(Treize heures cinquante-neuf minutes)
M. Fontecilla : Bonjour. C'est
une réaction préliminaire au projet de loi du ministre Jolin-Barrette sur la
laïcité de l'État. Nous allons étudier le projet de loi plus en détail pendant
le processus législatif, mais déjà on peut partager avec vous certaines
constatations.
Premièrement, M. Jolin-Barrette a échoué à
faire un projet de loi de compromis, un projet qui permettrait de tourner la
page sur ce débat de société. Parmi les points qui soulèvent des
questionnements, il y a plusieurs catégories de fonctionnaires qui sont visés
qui pourront affirmer qu'ils sont victimes de discrimination. En quoi un
régisseur de la Régie du bâtiment, de la Régie de l'énergie ou de la Régie des
marchés agricoles peut-il être discriminé au nom de la laïcité? Et je vous
rappelle que c'est l'État qui est laïque, ce n'est pas les individus.
M. Jolin-Barrette dit s'appuyer sur le
rapport Bouchard-Taylor. Pourtant, la Coalition avenir Québec étire abusivement
la portée du concept d'autorité coercitive en plus de ne pas l'écrire sur son
projet de loi. Et ça, c'est important, là.
Il n'y a pas, dans ce projet de loi, de
définition claire du critère justifiant, selon le gouvernement, d'interdire le
port de signes religieux à telle ou telle catégorie de fonctionnaires. Le
projet de loi ne parle plus d'autorité ou d'autorité coercitive, par exemple, c'est
le vide à ce niveau-là. Aussi, soyons clairs. Le rapport Bouchard-Taylor
recommandait noir sur blanc d'autoriser le port de signes religieux pour le personnel
enseignant et les directeurs d'école.
Autre chose, l'utilisation de la clause
dérogatoire ou de sauvegarde doit se justifier par la nécessité de défendre
l'intérêt public. Pourtant, il n'y a aucune menace à l'intérêt public
présentement. Et M. Jolin-Barrette n'en a pas fait la démonstration,
d'ailleurs.
Au-delà de l'aspect technique et juridique
de l'actuel projet de loi, je pense à l'impact humain sur les minorités
religieuses si ce projet de loi est adopté. Il y aura des gens qui verront
leurs perspectives d'emploi sérieusement restreintes sur la simple base qu'ils
portent des signes religieux, les enseignantes, en particulier. C'est
certainement, selon nous, discriminatoire, et c'est pour cette raison que le
ministre utilise la clause de dérogation ou de sauvegarde.
En conclusion, ce n'est pas un projet de
loi de compromis, pas un projet de loi d'apaisement, c'est un projet de loi qui
va réanimer le débat et pendant longtemps encore. L'attitude de la CAQ va nous
amener évidemment à des affrontements stériles.
Le Québec, en ce moment, après tout ce
qu'on a connu, après la crise des accommodements raisonnables, après la crise
de la charte des valeurs, après un débat qui s'éternise, a besoin d'équilibre
et de modération. Sur ces questions, pas de division. Merci.
Mme Prince (Véronique) : M.
Fontecilla, si la CAQ inclut, par exemple, les écoles privées subventionnées
dans son projet de loi, est-ce que vous seriez prêts à être plus souples sur le
reste?
M. Fontecilla : Nous, on pense
que, dans le monde de l'enseignement, que ce soit dans le secteur public ou
dans le secteur privé, on ne peut pas appliquer ce qui est prévu par le projet
de loi de M. Jolin-Barrette. Nous, ce qu'on croit, c'est qu'on droit retirer...
une véritable politique de laïcité, au Québec, c'est de retirer le financement
public des écoles privées, dont une bonne partie sont des écoles
confessionnelles. Là, on commence à parler de, véritablement, une politique de
laïcité pour le Québec.
M. Pilon-Larose (Hugo) : Mais
est-ce que la position de Québec solidaire, ce que vous exprimez aujourd'hui,
vous n'avez pas comme un peu les mains liées avec qu'est-ce qui va être décidé
en fin de semaine? On a appris qu'à la mi-mars des militants de votre
circonscription ont rejeté le compromis Bouchard-Taylor en disant : Il ne
faut pas interdire les signes religieux à n'importe quel employé de l'État.
Donc, en ce moment, finalement, on doit attendre à en fin de semaine pour voir
qu'est-ce que vous allez décider.
M. Fontecilla : En fin de
semaine, lors de notre conseil national, on va déterminer un aspect qui est
relativement technique, là, mais qui est très important, là, c'est : à qui
on devrait ou non interdire le port de signes religieux. La position traditionnelle
du parti, vous la connaissez, c'est selon les recommandations du rapport
Bouchard-Taylor, donc c'est ça qui va être tranché en fin de semaine. Et je
vous demande d'être patient, c'est samedi après-midi, quelque part, qu'on va
connaître la décision finale sur ces points-là très spécifiques.
Mme Lévesque (Catherine) :
Est-ce que vous craignez une chasse aux sorcières, aussitôt que la loi va être
adoptée, à savoir : La prof porte un hijab, et tout, et tout, il faut la
dénoncer, elle change d'emploi, tout ça?
M. Fontecilla : Le
ministre a pris soin de prévoir ce qu'on appelle, dans le langage populaire,
une clause grand-père pour justement tenter d'éviter les drames qui vont être
créés, là, par les congédiements des personnes, des femmes en particulier, des
professeurs dans le système scolaire. Mais cela ne règle pas toutes les
questions. Est-ce que ces personnes-là, ces femmes en particulier, pourront
monter dans la hiérarchie? Évidemment, non, elles ne pourront pas devenir
directrices d'école, par exemple. Est-ce qu'elles pourront changer de
commission scolaire? On sait que, dans le monde de l'enseignement, c'est une
pratique habituelle que les profs se promènent dans différentes écoles,
changent de commission scolaire, etc. Est-ce que ça va être permis? Est-ce
qu'une commission scolaire va être tentée d'embaucher une femme qui a déjà
travaillé dans une commission scolaire mais qui porte le hijab, par exemple?
Les clauses prévues dans le projet de loi ne sont pas suffisantes à mon avis.
Mme Lévesque (Catherine) :
Quand on a posé la question au ministre, justement, parce qu'il va y avoir ces
situations-là, sans aucun doute, il a dit : Ces personnes-là peuvent
réaliser leurs rêves si elles enlèvent leurs symboles religieux. Qu'est-ce que
vous répondez à ça?
M. Fontecilla : Nous, on est
pour l'accès au travail de tout le monde, y compris les minorités religieuses, et,
si le législateur se met à imposer des limites, des restrictions sur la base du
port de signes religieux, ça nous paraît discriminatoire.
M. Pilon-Larose (Hugo) :
Bouchard-Taylor, c'est ça qu'il proposait, là, puis...
M. Fontecilla : Bien, pas pour
les enseignants. Moi, je me réfère aux enseignants en particulier.
Bouchard-Taylor se référait au personnel... aux personnes ayant des fonctions
d'autorité coercitive. D'ailleurs, dans le projet de loi, il n'y a aucune
définition sur ce que c'est, tout d'abord, un signe religieux. Ensuite, le
ministre parle publiquement, beaucoup, de personnel en position d'autorité, ne
parle jamais en possession d'autorité coercitive. Mais, dans le projet de loi,
il n'y a aucune référence à la définition de pourquoi il faut restreindre le
port de signes religieux à ces personnes-là. En vertu de quel critère on
interdit à une personne, à un enseignant, à une enseignante, de porter un signe
religieux? Il n'y a aucun mot. Et pour nous, c'est une faiblesse majeure de ce
projet de loi là. Et il n'est pas fondé sur des principes, il est prescriptif, il
dit : C'est interdit, point à la ligne. Pourquoi? On ne le sait pas.
Mme Lévesque (Catherine) :
...pour le crucifix, la CAQ a quand même fait volte-face, a changé sa position,
ils acceptent de le retirer, finalement, quand le projet de loi va être adopté.
Est-ce que c'est un pas vers l'avant? Est-ce que c'est un compromis qui est
acceptable pour vous?
M. Fontecilla : C'est un pas
dans la bonne direction. Ça fait longtemps que ça fait partie... à cause de
l'aspect tellement symbolique du crucifix au salon bleu de l'Assemblée
nationale. Nous avons toujours avancé la nécessité d'enlever ce symbole-là.
Mais, en même temps, le ministre l'utilise comme un marchandage : si mon
projet de loi est adopté, bien, on pourrait l'enlever. Pourquoi ne pas y aller
directement, un geste de bonne foi? Nous, pour commencer le débat, hein, avec
ce projet de loi, on enlève le crucifix, et voilà, c'est une chose réglée. Mais
là on sent une tentative de marchander : Si vous approuvez notre projet de
loi, bon, bien, je vais retirer le crucifix. Si vous n'appuyez pas le projet de
loi, bien, le crucifix va rester là. Ça nous dérange.
Mme Crête (Mylène) : ...le
projet de loi va être adopté de toute façon, la Coalition avenir Québec est
majoritaire.
M. Fontecilla : Bien, vous
avez vu la motion déposée par le gouvernement aujourd'hui. C'est le
gouvernement qui a utilisé ces termes. On enlève le crucifix si le projet de
loi n° 21 est adopté.
Journaliste
: Pourquoi
c'est problématique qu'une femme policière porte un voile, par exemple?
M. Fontecilla : Pourquoi
c'est... Écoutez, parce que, selon le rapport Bouchard-Taylor, cette
personne-là a une fonction coercitive, une autorité coercitive qui peut jouer
avec votre... elle peut vous envoyer en prison, peut jouer avec la liberté.
Journaliste
: Mais
qu'est-ce que ça change qu'elle porte un voile? Elle ne va pas appliquer la loi
comme toute autre personne?
M. Fontecilla : Oui, je suis
convaincu qu'une policière ou un policier qui porte un signe religieux ou un
juge, peu importe, est en mesure d'appliquer la loi objectivement. Parce qu'encore
une fois c'est l'État qui est laïque, pas les individus. Je crois tout à fait à
l'objectivité des personnes qui portent le signe religieux. Mais il y a un
autre versant de la chose, qui était soulevé par le rapport Bouchard-Taylor,
qui est la question de l'apparence de neutralité. Et c'est sur cet aspect-là
que le rapport Bouchard-Taylor, encore une fois, recommandait l'interdiction du
port du signe religieux. Et c'est cette question-là que nous, on va trancher en
fin de semaine.
Le Modérateur
:
D'autres questions? Merci.
M. Fontecilla : Merci. Bonne
journée.
(Fin à 14 h 9)