(Neuf heures trente minutes)
Mme Labrie : Bien, bonjour. Je
suis très contente d'être ici ce matin en compagnie des... Hein?
Une voix
: ...
Mme Labrie : O.K. Très
heureuse d'être ici ce matin en compagnie des cofondateurs de Parlons
Dysphasie, François Gosselin, Pascale Durocher et Josée Pelletier. Parlons
Dysphasie est un organisme qui, depuis cinq ans, fait vraiment un travail
remarquable auprès des élus et de la population pour que les enfants atteints
du trouble primaire du langage, aussi appelé dysphasie, soient pris en charge adéquatement
dans leur milieu scolaire et aient accès aux ressources pour leur permettre de
réussir. Depuis cinq ans, ce groupe-là fait des recherches, collige des
données, rencontre des élus et des acteurs du milieu, et il multiplie les
actions pour que les services spécialisés en milieu scolaire soient accessibles
à tous les enfants dysphasiques.
Un des problèmes, c'est qu'il y a environ
80 000 élèves de moins de 18 ans au Québec qui vivent avec la
dysphasie, mais il y en a seulement 10 % d'entre eux qui ont accès aux
services et qui sont reconnus par le système. Donc, ici aujourd'hui, ce qu'on
souhaite, c'est sensibiliser la population et surtout le ministre à l'enjeu de
la dysphasie en milieu scolaire parce qu'il faut agir tôt et faire du
dépistage, ça, c'est bien, mais ensuite il faut s'assurer que les services
suivent. Donc, je laisse Pascale Durocher prendre la parole pour vous en
parler.
Durocher
(Pascale) : Bonjour. Notre groupe existe depuis cinq ans, et
nous faisons la sensibilisation pour le trouble développemental du langage, qui
est maintenant le nouveau nom pour la dysphasie. En 2017, nous avions déposé
une pétition de plus de 3 000 signatures à l'Assemblée nationale, et
M. Jean-François Roberge nous avait appuyés dans nos démarches.
Aujourd'hui, nous poursuivons le travail et espérons que des actions concrètes
découleront de nos actions.
Dans les médias, on parle beaucoup de santé
mentale et de décrochage scolaire, en particulier chez les garçons. Plusieurs
de ces troubles découlent des troubles du langage. Selon nous, traiter les
troubles du langage serait un moyen concret et efficace pour résoudre plusieurs
problématiques. Le trouble développemental du langage, c'est un trouble
génétique qui affecte le langage, et ces gens-là ont de la misère soit à parler
ou à comprendre. Tous les enfants dysphasiques ont, par définition, des impacts
au niveau du fonctionnement quotidien. On ne parle pas ici de trouble de
bégaiement ni de trouble moteur de la parole, c'est vraiment différent. Les
jeunes qui ont un trouble du langage ont nécessairement aussi des difficultés à
l'écrit, donc à l'école. Le trouble développemental du langage n'affecte pas
l'intelligence. Il touche principalement les garçons, environ deux, trois
garçons pour une fille. C'est le trouble développemental le plus fréquent, même
s'il est méconnu. Il est plus fréquent que le TDAH, cinq fois plus fréquent que
l'autisme et 50 fois plus fréquent que la déficience auditive.
De plus, tous les dysphasiques ont des
troubles associés. Il y en a plusieurs : le TDAH, les troubles moteurs, et
il y en a plusieurs autres. Comme donnée principale, il y aurait plus 600 000 Québécois
dysphasiques, si on compte tous les âges, et cela affecte toutes les classes de
la société. De ce nombre, environ 80 000 étudiants au primaire et au
secondaire; 80 000, c'est environ 40 % du nombre total d'élèves EHDAA
en troubles d'apprentissage au Québec. D'ailleurs, la recherche a démontré que
80 % des troubles d'apprentissage sont reliés aux troubles du langage
oral; c'est énorme. En pédopsychiatrie, 70 % des consultations sont le
fait de jeunes qui ont un trouble du langage, c'est incroyable. C'est très
élevé.
De plus, les récentes recherches ont
démontré que les dysphasiques ont une moins bonne santé physique, et ils ont
aussi plus de troubles du... plus de maladies chroniques. La réadaptation n'est
pas efficace seulement durant la petite enfance, elle est efficace jusqu'à
l'adolescence et même plus. Actuellement, il n'existe aucun organisme
gouvernemental, aucun centre de recherche, aucun institut universitaire en
trouble développemental du langage au Québec. Les coûts de la réadaptation ne
sont pas si élevés que ça, contrairement à ce que certains pensent. C'est
environ 4 000 $ par an en centre de réadaptation. Cela se compare aux
coûts d'une journée d'hospitalisation ou d'une chirurgie d'un jour. Le collège
royal des orthophonistes au Royaume-Uni a fait des recherches, et un dollar
investi pour la réadaptation orthophonique des dysphasiques rapporte à long
terme 6,45 $ pour la société. C'est très positif.
Il y a plusieurs conséquences à la
dysphasie. Souvent, les jeunes enfants ont des troubles émotionnels, des
troubles de comportement. Chez les adolescents, ils ont tendance à moins
parler, à moins discuter. Souvent on pense que, parce que c'est souvent des
garçons, c'est qu'ils sont simplement timides ou bavards, ce qui n'est pas
nécessairement le cas. Chez les adultes, ça a aussi des conséquences :
signer un bail, passer une entrevue d'embauche ou discuter avec des collègues,
c'est des défis pour ces gens-là. Donc, il y a plusieurs conséquences : le
taux de diplomation est plus faible chez les dysphasiques, ils ont plus de
troubles de santé mentale et aussi de santé physique, et ils ont des
difficultés au niveau socioéconomique. Et quand ils sont malades, ils ont plus
de difficulté à accéder aux services puis ils sont plus sujets à des erreurs
médicales.
La réadaptation en santé est offerte chez
les enfants jusqu'à l'âge de cinq ans. Ces services-là doivent être intensifs
et, normalement, ils devraient être offerts pendant des années, et la fréquence
des rendez-vous, c'est très fréquent, c'est un rendez-vous par semaine, ou aux
deux semaines, parce qu'il y a beaucoup de choses à travailler.
Comme c'est le seul traitement, les
familles se demandent pourquoi on cesse les services à cinq ans. Jamais les
parents n'accepteraient que leur enfant qui a un autre problème de santé cesse
d'être suivi sous prétexte qu'il a commencé l'école, et les médecins non plus
n'accepteraient pas cette situation. Dans le réseau de l'éducation, la
transition se fait mal. Les diagnostics de trouble de langage ne sont pas nécessairement
considérés valides par le ministère de l'Éducation. La raison est que le ministère
utilise des critères administratifs très restrictifs pour identifier les élèves
dysphasiques. Le MEES déclare qu'il y aurait 9 000 élèves handicapés
dysphasiques, alors que la réalité est qu'il y en aurait environ 80 000 au
primaire et au secondaire. La plupart de ces élèves-là sont en difficulté
d'apprentissage, mais ne sont pas considérés comme des élèves handicapés.
À l'école, les enseignants peuvent adapter
leurs méthodes d'enseignement et offrir des adaptations aux dysphasiques, mais
cela ne traite pas le langage. Nous, ce qu'on veut, comme parents, c'est que la
source de leurs difficultés, qui est le langage oral, soit traitée. Il arrive,
à l'école, qu'il y a des enfants qui ont des troubles de vision, des troubles
d'audition. Ces jeunes-là, on les traite, on les opère, s'il y a lieu, on leur
fournit des appareils. Pourquoi les enfants dysphasiques n'ont pas les mêmes
services de santé pour traiter leur langage? Malheureusement, la rééducation du
langage oral, ce n'est pas la mission de l'école, et les services d'orthophonie
sont une rareté à partir de la troisième année du primaire. C'est dommage parce
que les dysphasiques, ces jeunes-là, c'est des jeunes intelligents,
persévérants et qui veulent communiquer, mais qui ont de la difficulté à le
faire.
On va passer rapidement sur les programmes
sociaux, mais les programmes sociaux sont mal adaptés. Qu'on parle du soutien à
la famille offert par les CLSC ou accéder aux prestations pour enfant
handicapé, c'est très difficile pour les familles, et les jeunes qui sont
rendus à l'âge de 20 ans et qui veulent avoir accès aux prêts et bourses,
à l'aide pour l'emploi, c'est difficile aussi.
On applaudit les projets du gouvernement,
dont on parle récemment, pour aider les tout-petits. Par contre, la dysphasie,
c'est un trouble permanent qui répond, oui, à la réadaptation, mais ces
jeunes-là vont avoir besoin des services pas juste en petite enfance. La
problématique du manque de service n'est pas récente, c'est pour ça qu'aujourd'hui
on implore le gouvernement de nous aider.
En 2001, un groupe de parents s'était
présenté à la colline Parlementaire avec une pétition de dizaines de milliers
de signatures pour réclamer des services en centre de réadaptation. La situation
a peu changé. Jusqu'à aujourd'hui, il y a même des parents qui ont fait des
plaintes au Protecteur du citoyen, mais la situation n'a presque pas changé contrairement
à d'autres troubles développementaux plus connus. Les familles des dysphasiques
sont peu écoutées.
Pour terminer, on veut présenter cinq
propositions pour aider à la situation des dysphasiques. Premièrement, on
souhaiterait qu'il y ait un comité d'experts qui soit mis sur pied pour étudier
la situation des dysphasiques de tous âges au Québec, autant dans le réseau de
la santé, dans le réseau des services sociaux, et évidemment dans le de
l'éducation. Comme le ministre Legault avait promis en 2001 la création d'un
tel comité pour étudier les besoins et les services rendus aux dysphasiques,
nous espérons que maintenant la situation changera et que nous serons entendus.
Notre deuxième proposition :
faciliter la création d'une chaire de recherche sur le trouble développemental
du langage; quels sont les causes, la génétique, les comorbidités et les
traitements.
Troisièmement, mettre sur pied un système
de surveillance des cas de dysphasie dans la population, au niveau de la
prévalence. Il existe de tels systèmes pour l'autisme, par le système national
de l'autisme, il existe aussi des données pour le TDAH, récoltées par
l'Institut national de santé publique du Québec. Donc, c'est faisable.
Quatrièmement, pour ce qui est du réseau
scolaire, on aimerait que le ministère de l'Éducation change la définition du
code de déficience langagière pour avoir une définition scientifique et à jour
du trouble développemental du langage et que tous les étudiants dysphasiques
soient reconnus. On aimerait, par le fait même, avoir des statistiques valides
du nombre d'étudiants dysphasiques et de leur parcours scolaire de façon
détaillée.
Et enfin, on aimerait qu'il y ait des
services de réadaptation individualisés, incluant l'orthophonie, pour tous les
dysphasiques, en incluant les dysphasiques de 8 à 18 ans qui, pour
l'instant, n'ont aucun service. Et, en attendant que la structure soit mise en
place, M. Legault avait déjà parlé d'aider les familles financièrement,
qui doivent se tourner vers le privé pour avoir des services de réadaptation,
dont l'orthophonie.
Le langage, c'est une faculté humaine
unique. C'est un droit fondamental. Il est au centre de toutes nos
communications et de toutes les activités. Les dysphasiques ont les mêmes
droits que les autres Québécois qui ont un autre trouble de santé. Il est
vraiment temps qu'on offre aux dysphasiques des services de santé, parce qu'ils
sont capables de s'améliorer au niveau du langage. On vous annonce, par le fait
même, que le 18 octobre 2019 sera la journée internationale du trouble
développemental du langage. Parlons dysphasie va collaborer à cette campagne de
sensibilisation.
Et, pour terminer, on a espoir, étant
donné que M. Legault et M. Roberge sont ouverts, et ils connaissent
un peu c'est quoi, la problématique de la dysphasie. Ils nous ont aidés, en
2017, puis on espère qu'ils vont nous aider cette fois-ci, mais que des actions
concrètes seront posées. Merci beaucoup.
Mme Labrie : Merci, Mme
Durocher. Donc, lorsqu'il était dans l'opposition, le ministre de l'Éducation, Jean-François
Roberge, avait rencontré les représentants de Parlons dysphasie. Il avait
souligné leur initiative de déposer une pétition ici, à l'Assemblée nationale.
On a vu que, dans le passé, M. Legault lui-même avait également donné son
appui à la cause de la dysphasie. Donc, aujourd'hui, on demande au ministre de
l'Éducation et au premier ministre d'être cohérents puis de s'assurer que tous
les enfants qui vivent avec la dysphasie reçoivent les services auxquels ils
ont droit, peu importe leur âge, et ça, dans notre réseau de services publics.
Nous, à Québec solidaire, on appuie la revendication
de Parlons Dysphasie pour que le ministre de l'Éducation reconnaisse tous les
enfants dysphasiques et leur assure une prise en charge en milieu scolaire, parce
qu'en ce moment il y a seulement un très faible pourcentage d'entre eux qui ont
accès aux services et qui sont reconnus. On doit aussi développer rapidement
notre offre de services, parce que même ceux qui sont reconnus n'ont pas accès
à tous les services dont ils ont besoin en ce moment. Le gouvernement de la CAQ
a beaucoup parlé, dans les derniers mois, de l'importance d'agir tôt, de
dépister tôt les problèmes développementaux. Bien, c'est bien beau dépister,
mais il faut également que les services soient au rendez-vous, une fois qu'un
enfant a son diagnostic. Donc, c'est ce qu'on lui demande aujourd'hui. Merci.
Est-ce qu'il y a des questions? Merci.
(Fin à 9 h 43)