(Quinze heures treize minutes)
M. Carmant : Bonjour à tous et
merci de votre présence.
Je vous ai convoqués ici parce que je veux
adresser le drame qui a eu lieu à Granby hier. Une fillette de sept ans, connue
de la direction de la protection de la jeunesse de la région, a succombé à ses
blessures et est décédée. Je tiens d'abord à exprimer toutes mes condoléances
aux proches de l'enfant. Je veux aussi exprimer ma sympathie au personnel de la
DPJ en Estrie qui doit composer avec ce terrible événement.
Ce qui est arrivé à cette fillette est
tragique. Il est primordial pour moi et pour le gouvernement du Québec de faire
la lumière sur ce qui s'est passé. Trois actions ont été entreprises à la suite
de cet événement dramatique. Premièrement, il y a une enquête criminelle menée
par la police qui est présentement en cours. Deuxièmement, j'ai demandé à ce
qu'une analyse des interventions soit faite rapidement par le CIUSSS de
l'Estrie. L'objectif est d'établir quelles actions auraient pu être posées pour
éviter cette situation. J'ai exigé que ce rapport soit déposé sur mon bureau
dans les plus brefs délais. C'est un dossier prioritaire pour moi. Ce rapport
sera confidentiel en raison des informations cliniques et personnelles qui
pourraient s'y trouver.
Finalement, j'ai aussi discuté ce matin
avec le président de la commission des droits de la personne et de la jeunesse,
Me Philippe-André Tessier, pour lui demander d'ouvrir une enquête sur ce cas
précis. La commission est un organisme indépendant du gouvernement du Québec et
remplit sa mission dans l'intérêt du public. J'ai pleine confiance en la commission
et en son président de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans cette
tragédie. La CDPDJ fournira des recommandations pour éviter qu'un cas similaire
se reproduise, en Estrie ou ailleurs au Québec.
Donc, ce seront trois enquêtes différentes
qui vont avoir lieu et qui vont mettre en lumière ce qui s'est passé durant cet
événement tragique. Je ne peux en dire plus sur ce cas particulier. Vous
comprendrez la confidentialité et le respect du processus d'enquête policière
que je dois suivre.
Maintenant, je vous ai informés des actions
prises dans l'immédiat sur le cas qui nous a ébranlés ce matin. Je veux
informer la population de la façon dont j'ai pris en charge le dossier de la
protection de la jeunesse depuis que j'ai été nommé. Dès mon arrivée en poste, j'ai
demandé au ministère de me fournir un diagnostic de la situation de la DPJ et,
en janvier, je me suis assis moi-même deux demi-journées avec les DPJ, avec la
direction de la jeunesse du Québec. Immédiatement, il fallait qu'ils mettent en
lien la situation que je viens de vous décrire et il ne faut pas la rapporter
avec ce qui s'est produit en Estrie. Sans surprise, les listes d'attente sont
ressorties comme un enjeu majeur pour tous. Il y avait, au Québec,
3 300 cas en attente d'évaluation le 30 mars dernier. Un plan
d'action a été établi pour réduire ces listes dans les meilleurs délais. Nos
solutions reposent sur quatre piliers.
Premièrement, il faut diminuer le taux de
roulement de la main-d'œuvre. Les professionnels actifs en protection de la
jeunesse font face à des enjeux difficiles. Plus du tiers des intervenants ont
moins de 35 ans. Ils ont besoin d'encadrement et de soutien pour rendre
les services qu'on attend d'eux. Nous avons investi 18 millions pour leur
procurer cet encadrement et consolider les équipes sur le terrain.
Deuxièmement, il faut renforcer les
services de première ligne pour que les enfants à risque puissent être
identifiés et pris en charge de façon précoce et préférablement dans leur
milieu de vie. Les 88 millions à terme du programme Agir tôt vont
contribuer à venir en aide aux enfants à risque de négligence dès leur plus
jeune âge, la première cause de signalement à la DPJ. À moyen terme, ça fera
moins de jeunes qui présentent des problèmes de comportement, d'adaptation et
d'intégration.
Troisièmement, nous implantons un programme
d'amélioration des interventions et des évaluations. Présentement, les façons
de faire reposent sur des standards qui doivent être mis à jour. La société a
évolué, les familles se sont transformées, et les pratiques doivent suivre
cette évolution. Bref, nos interventions doivent rester pertinentes pour être
efficaces.
Quatrièmement, nous allons nous attaquer à
la hausse des signalements. Le Québec, cette année, a dépassé les 100 000 signalements
par année. C'est 20 000 de plus que le nombre de naissances au Québec.
Plusieurs hypothèses expliquent cette hausse, dont l'ajout dans la loi de
nouveaux motifs de signalement, dont la suspicion de négligence. Nous voulons
mieux comprendre le phénomène pour le régler à la source. Nous avons confié au
chercheur de l'Université Laval George Tarabulsy le mandat de cerner les causes
de ce phénomène.
En résumé, nous sommes en action pour
comprendre ce qui s'est produit en Estrie et surtout pour apporter les
correctifs nécessaires pour qu'une telle situation ne se reproduise plus. Nous
sommes aussi en action pour améliorer l'efficacité de la DPJ et pour faire en
sorte que cette institution joue pleinement son rôle de protection des enfants
au Québec. Merci.
M. Lacroix (Louis) :
Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur les interventions dans le cas de la
petite fille? Je comprends qu'il y a des renseignements personnels qu'on ne
peut pas dévoiler, là, mais, quand vous dites qu'elle était connue de la DPJ,
cette enfant-là, à combien de reprises elle avait été rencontrée? Est-ce que
vous pouvez nous donner ces renseignements-là? Quelles avaient été les
interventions faites préalablement à ce qui s'est passé au cours des derniers
jours?
M. Carmant : Elle était
connue de la DPJ depuis le plus jeune âge, mais je ne peux pas vraiment
commenter sur le reste.
M. Croteau (Martin) :
Vous avez dit qu'il y avait des failles ce matin. Est-ce que l'information que
vous avez eue depuis vous confirme cette hypothèse?
M. Carmant : Il y a des
décisions qui ont été prises. C'est pour ça qu'on a demandé l'enquête au CIUSSS
de l'Estrie, pour comprendre pourquoi ces décisions ont été prises et si elles
l'ont été dans le meilleur intérêt de l'enfant.
M. Croteau (Martin) : Mais ce
matin vous avez parlé de failles. Ça veut dire que, vous, vous saviez quelque
chose ce matin ou, en tout cas, vous aviez l'impression que quelque chose
n'avait pas bien fonctionné. Est-ce que l'information que vous avez à ce
temps-ci confirme, là, qu'il y a eu des failles?
M. Carmant : Bien, les
résultats auxquels on fait face, clairement, montrent qu'il y a eu des
problèmes dans la gestion du dossier.
M. Croteau (Martin) :
Pouvez-vous élaborer là-dessus? Quelles sortes de problèmes?
M. Carmant : Pour le moment,
je ne peux pas élaborer.
Mme Crête (Mylène) :
Est-ce que vous trouvez ça normal que la petite fille soit retournée chez son
père avec la promesse que celui-ci n'habite plus avec la conjointe, là, qu'il
avait?
M. Carmant : Écoutez, il y a
trois enquêtes qui sont en cours actuellement : au niveau de la police, au
niveau du CIUSSS et au niveau de la... on a demandé celle de la CDPDJ. In va
attendre d'avoir les résultats avant de commenter.
M. Lacroix (Louis) : La
dernière intervention, là, qui a été faite par des gens de vos services de la
DPJ remonte à quand? Est-ce que vous pouvez au moins nous donner cette
information-là, la dernière fois qu'il y a eu une intervention faite?
M. Carmant : C'était
récemment, la dernière intervention qui a été faite, puisqu'il y a eu un
signalement ce mois-ci.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Il y a eu un signalement ce mois-ci?
Mme Crête (Mylène) :
Ce mois-ci, au mois de mai ou au mois d'avril?
M. Croteau (Martin) : Est-ce
qu'il y avait des craintes pour la vie de cette jeune fille là?
M. Carmant : Je ne peux pas
commenter. Il faut vraiment qu'on analyse les résultats de l'enquête.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Ça veut dire quoi, s'attaquer à la hausse de signalements? C'est un bon signe
ou c'est un mauvais signe qu'il y ait plus de signalements?
M. Carmant : Écoutez, c'est
sûr que le fait que les gens sachent que le signalement est disponible, c'est
quand même quelque chose de positif. Mais ce qui est inquiétant, c'est vraiment
le nombre d'enfants qui sont signalés pour négligence, suspicion de négligence.
Il faut voir qu'est-ce qui se passe au niveau du système pour expliquer cette
augmentation importante, là, du nombre de signalements. Je ne pense pas que ce
soit, pour notre société en général, un bon signe.
M. Lacroix (Louis) :
Qu'est-ce qui va arriver, là? Parce que vous avez demandé au CIUSSS de l'Estrie
de vous rendre compte, de faire une analyse pour savoir ce qui aurait pu être
fait. Est-ce que vous cherchez à trouver des responsables? Parce que quelque
part, là, il y a quelqu'un qui semble avoir échappé, là. Vous avez dit ce matin
qu'il y avait négligence. Tout à l'heure, vous disiez : Il y a
manifestement un problème.
Alors, est-ce que vous voulez aller à la
source, savoir d'où vient ce problème-là? Est-ce qu'il y a des gens qui vont
être imputables de ce qui s'est passé?
M. Carmant : Écoutez, la DPJ
est toujours imputable, mais effectivement on veut mettre le... on veut éclaircir
ce qui s'est produit, pourquoi cette enfant a été gérée de cette façon et
pourquoi on est face à un résultat terrible aujourd'hui.
Mme Crête (Mylène) :
On nous dit qu'il y a 400 dossiers en attente à la DPJ de l'Estrie. J'aimerais
vous entendre là-dessus. Est-ce que c'est ce qui aurait pu expliquer que cette
petite fille là passe entre les mailles du filet?
M. Carmant : Alors, dans ce
cas-ci, non, puisqu'elle était connue de la DPJ, on s'entend là-dessus. Ce
serait plus l'intervention qu'il va falloir analyser dans ce cas-ci. On a vu
certaines inquiétudes au niveau de l'Estrie dues au fait des délais,
effectivement. Par rapport à la longueur de la liste d'attente, je pense qu'on
était intervenus dans celles qui en avaient plus que celle de l'Estrie :
Laurentides, Montérégie et Batshaw.
Ici, je pense que le problème est autre
que simplement la liste d'attente. Mais, en général, à travers le Québec, nos
interventions vont focusser sur la liste d'attente parce que c'est le problème
qui est ressorti de façon criante à la session qu'on avait faite avec les DPJ
du Québec.
Mme Crête (Mylène) :
Qu'est-ce que vous dites par «problème autre» que la liste d'attente? Vous avez
dit : Dans ce cas-ci, le problème est autre que la liste d'attente.
M. Carmant : Alors, c'est ça,
comme je vous dis, on a une intervention au niveau des délais d'attente. On
veut faire une... On veut changer aussi... analyser les façons d'améliorer
l'intervention et l'application des mesures chez les enfants.
M. Lacroix (Louis) : Est-ce
qu'il y a un manque de personnel en Estrie, à la DPJ de l'Estrie? Bon, vous
dites : Il faut faire... éviter, en fait, le roulement de personnel, tout
ça. Ça semble être un problème que vous avez noté, mais à la grandeur du
Québec, là. Mais dans le cas particulier de l'Estrie, est-ce que vous croyez
qu'il manque de personnel pour pouvoir justement procéder à l'examen de tous
les dossiers de l'Estrie?
M. Carmant : Il va falloir que
j'aille voir personnellement ce qui se passe en Estrie avant de pouvoir
répondre à ceci. Je n'ai pas eu d'indication qu'il manquait de personnel en
Estrie.
M. Croteau (Martin) : Au-delà
des listes d'attente, là, d'éventuelles pénuries de personnel, est-ce que la
DPJ de l'Estrie est un cas à problème pour vos services, que vous avez eu vent
de défaillances dans le passé dans les interventions de cette direction
régionale là?
M. Carmant : On n'avait pas
vraiment d'évidence de ça. On s'inquiétait cependant du délai au niveau de
l'intervention. Comme je vous dis, la liste d'attente n'est pas la plus longue,
mais on s'inquiétait du délai. Et moi, je dirais qu'un des problèmes c'est
qu'on a besoin d'avoir, au niveau du ministère, d'avoir plus de données,
d'avoir ces données de façon... en ligne, pour qu'on puisse suivre ce qui se
passe dans les différentes régions, savoir d'où viennent les signalements,
comment ils fluctuent de mois en mois pour être mieux capable d'agir, plutôt
que de toujours réagir.
Mme Crête (Mylène) :
Pourquoi ne pas avoir agi concernant la liste d'attente? Vous avez dit :
On a agi dans d'autres régions, Laurentides, etc. Pourquoi pas en Estrie?
M. Carmant : Parce que ce
n'était pas la plus longue. Il y en avait d'autres qui étaient plus
problématiques. Et ce que j'avais fait, je m'étais informé auprès de mes
collègues députés de Saint-François et de Sherbrooke pour voir si une action
plus immédiate était requise, et on avait décidé, à ce moment-là, que ça
aurait... une action immédiate n'était pas obligatoire.
Mme Crête (Mylène) :
Est-ce que vous regrettez ça à la lumière de ce qui s'est passé?
M. Carmant : Je ne crois pas
qu'une intervention aurait modifié ce qui s'est passé aujourd'hui, mais c'est
sûr qu'on va voir à ce que le problème ne se reproduise plus.
M. Croteau (Martin) : Vous
avez parlé au directeur régional de la DPJ?
M. Carmant : Pas encore.
M. Lacroix (Louis) : Vous ne
lui avez pas parlé encore? Pourquoi?
M. Carmant : Parce que mon
équipe leur a parlé. Moi, j'étais ailleurs pendant le reste de la journée.
M. Lacroix (Louis) : Bien,
attendez, là. Il se passe quelque chose de tragique, puis ça fait déjà deux
jours qu'on connaît l'événement, on connaît l'issue tragique depuis hier soir,
la fillette décède des graves blessures qu'elle avait. Vous savez qu'il y avait
des signalements qui avaient été faits à la DPJ concernant ce dossier-là en
particulier et vous n'appelez pas le directeur de la DPJ pour savoir ce qui se
passe?
M. Carmant : Bien, j'ai appelé
la CDPDJ, j'ai appelé les gens du CIUSSS de l'Estrie. Je n'ai pas encore eu le
temps de parler à la DPJ de l'Estrie.
M. Lacroix (Louis) : Ça ne
serait pas la première personne à qui vous auriez dû parler, ça? Il me semble
que c'est... La personne qui gère le service, ça ne serait pas la première
personne à qui vous auriez dû parler au départ?
M. Carmant : Bien, mon équipe
a communiqué avec elle...
M. Lacroix (Louis) : ...là,
vous dites, vous appelez partout, mais vous n'appelez pas le directeur de la
DPJ.
M. Carmant : C'est ce que... Ce
qui s'est passé, c'est que j'ai vraiment voulu savoir ce qui se passait au
niveau de la PDJ du CIUSSS de l'Estrie, au niveau du CIUSSS de l'Estrie, et
ensuite au niveau de la CDPDJ.
M. Croteau (Martin) :
...est-ce que vous avez eu... Vous dites, vous avez demandé à la Commission des
droits de la personne d'ouvrir une enquête, mais avez-vous eu confirmation
qu'elle va effectivement ouvrir une enquête?
M. Carmant : Non. C'est un
organisme indépendant. J'attends leur décision, évidemment.
M. Croteau (Martin) : O.K. On
ne vous a pas fourni une réponse encore.
M. Carmant : Je n'ai pas
encore eu de réponse.
La Modératrice
: Donc,
on va passer en anglais, s'il vous plaît.
Mme Senay (Cathy) : Mr. Carmant, this child, this seven-year-old child, was well known
by DPJ in the Estrie region. So basically, you have many questions today about…
What are you trying to find out with the CIUSSS de l'Estrie?
M. Carmant :
Well, exactly why the intervention with this child was not effective and why
did it lead to this event. That's why we have three enquiries going on with the
law enforcement, internal with the CIUSSS de l'Estrie and with the CDPDJ.
Mme Senay (Cathy) : You said that there were obviously problems. It went wrong, this
intervention went wrong. What are your first indications about what could have
been the nature of those problems?
M. Carmant : Well, I cannot comment on this right now.
Mme Senay (Cathy) : Can you explain what is your state of mind this afternoon?
M. Carmant : Well, I'm very disturbed by what happened and I want to make sure
that this never happens again in the region of Estrie and as well in the
province of Québec.
Mme Senay (Cathy) : You said that there are waiting lists, there are issues of waiting
lists. The Estrie region is not the worst region for waiting lists, but do you
have the impression that there is a lack of training for DPJ members?
M. Carmant : I think that in the province, the thing that we see is there's a lot
of mobility between the teams. We need more training, more experiments, we need
to consolidate the teams, and that's why we're investing $18 million in
the supervision of these young teams.
Mme Senay (Cathy) : How important, and that would be my last question, how important in
this whole review that you're doing at this point on the DPJ, how important it is for you to solve the case in Granby today?
M. Carmant :
Very important.
Mme Senay (Cathy) : Why is that so...
M. Carmant :
Well, because I think we are going to learn from this and make sure that it
does not happen again.
Une voix
:
Thank you.
(Fin à 15 h 27)