(Onze heures sept minutes)
M. Lanoie (Paul) : Mesdames
messieurs, bonjour. J'ai le plaisir d'être avec vous ce matin pour faire un
survol des résultats de travaux accomplis au cours de la dernière année. Ces
résultats sont détaillés dans le rapport que j'ai déposé un peu plus tôt à
l'Assemblée nationale et qui comporte quatre chapitres. Pour l'occasion, je
suis accompagné de Mme Caroline Rivard, directrice principale d'audit, ainsi
que de Mmes Josée Bellemare et Moïsette Fortin, directrices d'audit.
Je commence par l'audit de performance qui
concerne l'application de la Loi sur le développement durable. Cette année,
nous nous sommes intéressés aux organisations qui ne sont pas assujetties à
cette loi dans les secteurs municipal, de l'éducation et de la santé et des
services sociaux. Il s'agit d'organisations qui représentent une grande part de
l'activité du secteur public. Par exemple, les dépenses des organismes
scolaires et des établissements de santé et de services sociaux représentaient,
en 2017‑2018, 41 % des dépenses du gouvernement.
Afin que ces organisations entreprennent
volontairement une démarche de développement durable, la stratégie
gouvernementale 2015‑2020 a prévu deux mécanismes incitatifs. Premièrement, une
activité incitative déployée par les ministères et organismes qui travaillent
auprès des organisations non assujetties et, deuxièmement, la mise en place de
tables d'accompagnement conseil. De plus, des cibles, exprimées en termes de
pourcentage, d'organisations ayant adopté volontairement une démarche de
développement durable au 31 mars 2020 ont été établies pour les trois secteurs.
Le présent audit a été effectué auprès des
quatre ministères responsables des tables d'accompagnement conseil, soit le
ministère des Affaires municipales et de l'Habitation, le ministère de
l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, le ministère de la Santé et des
Services sociaux et le ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les
changements climatiques.
Nos travaux se sont articulés principalement
autour de deux axes, soit la mesure de l'adoption d'une démarche de développement
durable par les organisations non assujetties et les mécanismes incitatifs que
je viens de vous décrire.
Pour ce qui est du premier axe, un grand
constat s'impose. Les organisations responsables d'un large pan des activités
du secteur public n'ont pas pris le virage souhaité en matière de développement
durable. Bien que les méthodes d'enquête utilisées présentent des limites, les
résultats obtenus indiquent qu'un faible pourcentage d'organisations non
assujetties à la loi ont entrepris une démarche de développement durable. Les
cibles fixées dans la stratégie gouvernementale sont donc loin d'être
atteintes. Par exemple, en 2018, 13 % des établissements de santé et de
services sociaux ont entrepris une démarche, alors que la cible pour 2020 est
de 25 %.
En ce qui concerne le deuxième axe, soit
les deux mécanismes incitatifs, ces derniers présentent plusieurs déficiences
qui limitent leur efficacité. Du côté des tables d'accompagnement conseil, des
lacunes ont été relevées par rapport à la fréquence des rencontres, à la
qualité de leurs plans d'action et à l'efficacité des activités de
sensibilisation qu'elles offrent. Pour ce qui est des activités incitatives qui
sont déployées par les ministères et organismes qui travaillent auprès des
organisations non assujetties, notons que ceux qui doivent réaliser ces
activités ne sont pas clairement identifiés et que plusieurs activités
proposées sont peu pertinentes.
En terminant sur cet audit, j'aimerais
dire un mot sur le rôle que joue le ministère de l'Environnement et de la Lutte
contre les changements climatiques dans ce dossier. En particulier, je voudrais
faire ressortir que le ministère n'a pas exprimé de préoccupations quant au
faible taux d'organisations qui ont entrepris volontairement une démarche ni
proposé de réflexion sur les actions à accomplir pour que ces organisations
s'engagent dans la démarche gouvernementale de développement durable.
Dans le chapitre 1 du rapport, je poursuis
la réflexion sur ce sujet. Entre autres choses, j'invite les autorités
compétentes à réfléchir sérieusement à l'idée d'assujettir les écoles à la Loi
sur le développement durable dans le cadre de la prochaine stratégie
gouvernementale. En effet, une plus grande intégration des valeurs relatives au
développement durable dans tous les ordres d'enseignement ne pourrait que
favoriser leur émergence dans la société. Des centaines de milliers d'élèves et
d'enseignants du primaire et du secondaire pourraient constituer un levier
important pour une transition vers le développement durable. Pourquoi s'en
priver?
Je continue avec le chapitre 3 qui
présente un audit de performance sur la prévention en santé et en sécurité du
travail. L'entité concernée est la Commission des normes, de l'équité, de la
santé et de la sécurité du travail, la CNESST. La santé et la sécurité du
travail représentent un enjeu majeur, à la fois pour la société, les
travailleurs et les employeurs. En 2018, le coût des prestations versées pour
des lésions professionnelles s'élevait à 2,2 milliards de dollars et leur
coût global, qui tient compte de tous les effets négatifs de ces lésions pour
les travailleurs et les employeurs, était beaucoup plus élevé. Notons aussi
qu'après avoir connu une diminution sensible du taux de lésions
professionnelles de 2004 à 2015, le Québec a fait face à une augmentation de ce
taux au cours des dernières années.
La Loi sur la santé et la sécurité du
travail, adoptée en 1979, porte avant tout sur la prévention des accidents du
travail et des maladies professionnelles et a pour objet l'élimination à la
source même des dangers. À ce sujet, la commission vise notamment la prise en
charge de la santé et de la sécurité par les milieux de travail. Nos travaux se
sont articulés autour de deux axes relatifs à la prévention, soit, d'une part,
le leadership exercé par la commission et, d'autre part, l'efficacité et
l'efficience de ces inspections.
Commençons par le leadership exercé par la
commission. Notre premier constat est que la commission ne joue pas pleinement
son rôle d'agent de changement quant à la modernisation du régime en ce qui
concerne la prévention. Ainsi, le Québec accuse des retards importants par
rapport à d'autres administrations et des inéquités persistent entre les
travailleurs en matière de prévention. Par exemple, les quatre mécanismes de
prévention prévus dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail devaient
être déployés à l'ensemble des 32 secteurs regroupés en six groupes. Aujourd'hui,
près de 40 ans après l'adoption de la loi, le déploiement ne s'est jamais
matérialisé. Il s'est arrêté à certains groupes. Ainsi, en 2018, les groupes
non couverts par les mécanismes de prévention représentaient près de 75 %
des travailleurs et plus de 50 % des lésions. Par ailleurs, l'accent que
la commission met sur la prévention dans ses plans stratégiques a diminué au
fil du temps, tout comme la force de travail réelle pour les inspections.
D'autre part, afin d'inciter les
employeurs à mettre en oeuvre la prévention, la commission a introduit des
modes de tarification dans lesquels les primes des employeurs sont ajustées en
fonction du coût des lésions professionnelles qui leur est imputée. En théorie,
ce système devrait encourager les employeurs à faire davantage de prévention,
mais, dans les faits, il existe un risque que les employeurs n'y accordent pas
toute l'importance voulue. Par exemple, ce système peut mener à une
augmentation des contestations par les employeurs des décisions rendues en
matière d'indemnisation.
Enfin, la commission travaille avec des
partenaires auxquels sont conviées diverses responsabilités en lien avec la
prévention. En 2018, elle a versé 132 millions de dollars à ces
partenaires. Il est à noter que certains secteurs d'activité ne bénéficient pas
de services de la part des partenaires. Ainsi, 12 des 32 secteurs
d'activité ne sont toujours pas couverts par l'un ou l'autre d'entre eux. Dans
un même temps, parmi les secteurs couverts, il y en a six qui... des services
de deux types de partenaires, ce qui crée de l'inéquité dans les secteurs
d'activité. De plus, l'offre de services n'est pas optimisée entre les
partenaires. Par exemple, certaines associations développent des formations
ayant le même objet. Il y a donc duplication.
Je poursuis avec le deuxième axe de nos
travaux, soit l'efficacité et l'efficience des inspections. Les activités
d'inspection sont le type d'intervention le plus direct par lequel la
commission peut s'assurer que les milieux de travail prennent réellement en
charge la santé et la sécurité du travail. Pour mieux cibler les milieux où
mener ces inspections, la commission détermine notamment les types de lésions
professionnelles, les secteurs d'activité économique et les clientèles sur
lesquelles elle doit concentrer ses efforts. À cet égard, nous constatons que
la commission est peu proactive au regard des risques latents ou émergents
lorsqu'elle identifie et priorise les risques à considérer lors de ces
inspections.
De plus, la programmation des inspections
en fonction des priorités déterminées par la commission n'est pas efficiente.
Ainsi, les directions régionales doivent présentement consulter différents
systèmes non intégrés et procéder à plusieurs opérations manuelles pour choisir
les milieux de travail à inspecter afin d'atteindre les cibles fixées.
Par ailleurs, la commission guide peu ses
inspecteurs relativement à l'évaluation de la prise en charge de la santé et de
la sécurité dans les milieux de travail. Divers outils ont été élaborés, mais
ils ne sont toujours pas déployés. D'autre part, la commission ne s'assure pas
que les connaissances de ses inspecteurs expérimentés sont maintenues à jour.
Entre autres choses, l'offre de formation aux inspecteurs est très variable
d'une région à l'autre. Enfin, notons que pour soutenir les inspecteurs et les
directions régionales dans la réalisation de leurs activités en prévention, la
commission a mis en place un réseau composé d'une quarantaine d'experts. Bien
que les services de ce réseau soient nécessaires et appréciés, des délais de
traitement de certaines demandes retardent d'autant la réalisation d'activités
liées à l'inspection.
Dans le chapitre 4, je reviens sur la
situation du Fonds vert et présente les divers éléments qui appuient notre
décision de reporter l'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme du Fonds
vert, évaluation qui nous a été demandée par la Commission de l'administration
publique. En effet, nous jugeons qu'il n'est pas approprié pour le moment de
donner suite à la demande de la commission. D'une part, des lacunes relevées
dans notre audit de 2014 existent toujours et de nouvelles situations
problématiques relatives à la gestion du fonds ont été observées depuis sa
réforme.
D'autre part, tant au ministère de
l'Environnement que le Conseil de gestion du Fonds vert ont indiqué qu'ils
avaient l'intention de poursuivre leurs actions pour améliorer la gestion du
fonds. Près de cinq ans après la publication de notre rapport d'audit initial,
nous ne pouvons que nous désoler de cette situation, et ce, d'autant plus que
les objectifs du Fonds vert sont importants, que des sommes considérables sont
en jeu et que les parlementaires ont manifesté un intérêt soutenu pour cet
outil de développement durable.
Alors, voilà qui complète mon
intervention. Je suis maintenant disponible pour les questions.
M. Lecavalier (Charles) : Je
vais vous poser des questions.
M. Lanoie (Paul) : Oui,
j'espère.
M. Lecavalier (Charles) : Il
va falloir répondre à la caméra. Concrètement, pour les travailleurs, qu'est-ce
que ça veut dire, les défaillances que vous avez trouvées durant votre enquête?
M. Lanoie (Paul) : Bien,
écoutez, pour les travailleurs, essentiellement, ce que ça peut signifier, c'est
que, si le régime n'est pas modernisé, si les risques émergents ne sont pas
pris en compte, si les inspections ne sont pas efficaces et efficientes, il est
possible, donc, que des situations risquées perdurent et donnent lieu à des
lésions professionnelles.
M. Lecavalier (Charles) : Et
est-ce qu'il y a, à votre avis, des travailleurs qui ont peut-être plus de
difficulté à se faire indemniser en raison de...
M. Lanoie (Paul) : Notre
mandat ne touchait pas l'indemnisation. Donc, le Vérificateur général du Québec
a déjà fait un mandat sur ce sujet-là en 2015. Il y a un aspect sur lequel on
revient, qui peut être relié à votre question, c'est la liste des maladies
professionnelles. Donc, cette liste-là n'a pas changé depuis 1985, et donc,
quand une maladie n'apparaît pas sur la liste, c'est moins facilitant, là, pour
la faire reconnaître comme maladie professionnelle.
M. Lecavalier (Charles) :
Donc, on peut croire que, disons, les travailleurs ont plus de chances de se
blesser étant donné qu'il n'y a pas assez de prévention, là, à votre goût.
M. Lanoie (Paul) :
C'est-à-dire que la prévention, donc, telle qu'elle s'exerce présentement,
donc, n'est pas optimale. Alors, effectivement, des efforts mieux ciblés
pourraient solutionner certaines situations problématiques, oui.
M. Lecavalier (Charles) : Sur
le Fonds vert, cinq ans après votre audit, est-ce qu'on peut affirmer
aujourd'hui que le Fonds vert est bien géré?
M. Lanoie (Paul) : Dans le
chapitre sur le Fonds vert, on n'a pas fait un audit cette fois-ci. Donc, le
chapitre visait surtout à tenir les parlementaires au courant, donc, de notre
réflexion quant à leur demande de faire une évaluation complète de la révision
du fonds. Donc, nous, présentement, on suit l'évolution du plan d'action suite
à notre audit de 2014, et, oui, il y a des améliorations, il y a des
recommandations pour lesquelles il y a des progrès satisfaisants qui sont en
cours. Mais plusieurs de nos recommandations pour l'instant, on ne peut pas les
qualifier d'être pleinement en application. Il y a même une recommandation pour
laquelle on considère que les progrès sont insatisfaisants.
M. Lecavalier (Charles) :
Est-ce que vous pouvez préciser laquelle?
M. Lanoie (Paul) : Alors, la recommandation
principale qui est à l'effet de... le Fonds vert, donc, n'a pas vraiment un
cadre de gestion complet qui s'appuie sur des objectifs précis et mesurables
axés sur des résultats.
M. Lecavalier (Charles) :
J'aimerais ça vous parler aussi un peu de ce qu'on pourrait appeler une chicane
entre le Conseil de gestion du Fonds vert et le ministère de l'Environnement.
C'est un des obstacles qui fait que vous avez reporté votre audit?
M. Lanoie (Paul) :
Effectivement. Dans le fond, c'est maintenant public. Il y a deux documents qui
en font état. Le conseil de gestion du Fonds vert lui-même, donc, a produit un
rapport en novembre 2018, et il y a une section du rapport, donc, qui fait état
des différends entre le conseil de gestion et le ministère. Et il y a même
aussi... dans les documents budgétaires de 2019, donc, il y a une partie du
plan budgétaire où on parle aussi de difficultés, notamment liées à des
chevauchements de tâches entre les deux intervenants.
M. Lecavalier (Charles) :
Est-ce que vous pouvez donner peut-être un exemple concret des problèmes que ça
cause, ces dysfonctions-là?
M. Lanoie (Paul) : Bien,
écoutez, encore une fois, je le répète, on n'a pas fait d'audit, alors les
choses que je peux mentionner présentement, ce sont les éléments qui sont
connus publiquement. Donc, entre autres, dans le plan budgétaire, on fait état
de chevauchements. Donc, on dit, par exemple, que des ministères et organismes
doivent demander l'avis du Conseil de gestion du Fonds vert et du ministère
pour certains projets, et c'est probablement possible que l'avis ne soit pas le
même. Donc, que faire dans ces situations-là? Même chose au niveau des rapports
qu'ils ont à produire. Donc, ceux qui reçoivent des subventions doivent
produire des rapports. Ils doivent les donner au conseil de gestion ainsi qu'au
ministère, et, selon le document, donc, ce n'est pas exactement les mêmes
exigences pour l'un et pour l'autre. C'est des exemples comme ceux-là.
M. Lecavalier (Charles) :
O.K. Et donc vous reportez votre audit jusqu'à ce que ce problème-là soit
réglé?
M. Lanoie (Paul) : On reporte
notre audit au moins, donc, jusqu'en 2021 pour l'instant. Donc, on donne aux
entités le temps de régler leurs problèmes. Dans le fond, il y a trois raisons
qui expliquent pourquoi on reporte l'audit. Comme je l'évoquais, donc, il
semble y avoir des disputes concernant les rôles et responsabilités des deux
intervenants majeurs. Donc, on va leur donner le temps de résoudre ça. Il y a
des recommandations, qu'on a formulées en 2014, pour lesquelles il n'y a pas
pour l'instant une application satisfaisante. Et même, donc, le conseil de
gestion et la ministre, en décembre 2018, disaient qu'ils devaient poursuivre
leurs travaux pour améliorer la gestion du fonds. Donc, ce n'est pas idéal
d'aller faire un audit quand il y a beaucoup de changements qui sont en cours.
On espère, là, que la situation va s'améliorer et se stabiliser.
M. Lecavalier (Charles) :
Étant donné l'importance de la lutte aux changements climatiques, est-ce que ça
ne manque pas un peu de sérieux de la part du ministère de l'Environnement.?
M. Lanoie (Paul) : Je l'ai dit
à la fin de mon intervention, donc je ne peux que me désoler de cette
situation-là. Le Fonds vert pourrait être un outil de développement durable
très puissant. Pour l'instant, on peut dire qu'il ne joue pas encore ce
rôle-là.
M. Lecavalier (Charles) :
Merci.
M. Lanoie (Paul) : Merci.
(Fin à 11 h 24)