(Treize heures vingt-deux minutes)
M. Fontecilla : Bonjour,
messieurs dames. Donc, nous sommes ici pour réagir à deux annonces quand même
majeures du ministre Jolin-Barrette. Tout d'abord, la question de test des
valeurs et ensuite la question du plan d'immigration du Québec, les cibles...
les seuils d'immigration jusqu'en 2022. C'est quand même un sujet très
important.
Tout d'abord, ce que nous, moi et Québec
solidaire, vous disons, c'est que cette question de test des valeurs envoie un
très mauvais message à l'ensemble des gens qui veulent venir s'installer au
Québec et même les immigrants qui sont déjà ici, qui n'ont pas eu à passer ce
fameux test des valeurs là. Ça envoie le message, là, comme quoi les immigrants
ne respectent pas des valeurs universelles — parce que ce n'est pas
des valeurs québécoises, là, c'est des valeurs universelles — comme
l'égalité entre les femmes et les hommes, etc., et donc qu'il faut évaluer non seulement
la connaissance, mais l'adhésion à ces valeurs-là. Donc, les immigrants, c'est fondamentalement
des gens différents qu'il faut trier, là.
Ensuite, nous croyons qu'avec ce test des
valeurs c'est de la poudre aux yeux parce que le ministre évite les problèmes,
les grands problèmes de l'immigration, la question de la discrimination à
l'emploi, la question de la non-reconnaissance des diplômes et des compétences,
la question du profilage racial, dont on a parlé abondamment il y a quelques
jours.
Donc, il y a quand même une contradiction
assez grande dans cette initiative, cette volonté d'instaurer un test des
valeurs parce que, d'une part, le ministre dit : On veut obliger les immigrants
à adhérer aux valeurs québécoises, là, exprimées par la charte québécoise des
droits et libertés, et, d'autre part, ce ministre lui-même n'hésite pas à
déroger à des articles très importants de cette charte-là pour faire avancer
son projet politique. Donc, la charte, c'est vital, essentiel pour les
immigrants et les immigrantes qui veulent s'établir au Québec, là, mais,
lorsqu'il s'agit de faire passer des lois sous le bâillon, bien, on tasse la
charte, c'est soudainement accessoire, l'importance de cette charte-là.
Ensuite, concernant le seuil, bon, le
ministre a annoncé qu'il avait l'intention d'atteindre autour de
52 000 personnes d'ici 2022. C'est, grosso modo, le même chiffre que
la dernière année du gouvernement libéral, alors que l'ensemble des
intervenants en immigration et le milieu des affaires réclament à grands cris
l'augmentation pour régler... pour pallier à la pénurie, à la rareté de
main-d'oeuvre au Québec. Donc, c'est un effort très, très limité de la part du
ministre Jolin-Barrette, là.
Des aspects qui nous paraissent très
controversés dans le règlement annoncé. Par exemple, dans le Programme de
l'expérience québécoise, le PEQ, il va allonger de 12 mois à 18 mois
la période minimale à partir de laquelle les gens qui résident physiquement au
Québec peuvent déposer une demande dans le cadre du Programme de l'expérience
québécoise, là. Il va faire dépendre l'étude de ces demandes-là selon la liste
des diplômes des professions en demande au Québec, alors que cette liste-là
change pratiquement à tous les ans, maximum à tous les deux ans. Et on sait que
les processus d'immigration sont très, très longs; ça va dépasser largement,
donc, cette période-là. Donc, une personne qui dépose une demande dans un
programme qui est en demande, un diplôme en demande au Québec, là, ah! après
l'étude de son dossier, son diplôme, sa profession ne sera plus en demande au
Québec, et ça va tomber à l'eau, cette demande-là.
Et ensuite, ce qui nous paraît très
problématique, c'est l'exigence, pour les conjoints ou conjointes du requérant
principal en immigration dans le cadre du Programme de l'expérience québécoise,
là, d'avoir un niveau 7 de connaissance du français. Le niveau 7, c'est
un niveau quand même pas mal élevé, et ça va faire en sorte de rendre encore
plus compliquée l'obtention du certificat de sélection du Québec, là, pour les
personnes qui résident déjà au Québec.
Donc, il y a des aspects très
problématiques dans les annonces faites par le ministre Jolin-Barrette
aujourd'hui.
M. Bellerose (Patrick) :
...M. Fontecilla, que la CAQ a reculé par rapport à ce qui était proposé
en campagne électorale?
M. Fontecilla : Je crois
que, grosso modo, ils continuent dans la même voie, donc, celle de faire de
l'immigration, en quelque sorte, un sujet primordial, un problème qu'il faut
régler, alors que ce n'est pas le cas. Et je pense qu'ils continuent fondamentalement
sur la même voie.
M. Bellerose (Patrick) :
...la CAQ instrumentalise les immigrants pour des points politiques?
M. Fontecilla : Tout à
fait. Tout à fait, là. Écoutez, le test de valeurs, là... Est-ce que vous voyez
un problème, en sortant de l'Assemblée nationale, en vous promenant dans les principales
villes du Québec et dans les campagnes? Est-ce que vous voyez une clameur
populaire demande un test des valeurs? Est-ce qu'il y a, comment dire, des cas
manifestes de gens qui ne respectent pas les valeurs québécoises exprimées par
la Charte des droits et libertés du Québec, là ? Non, ce n'est pas le cas. C'est
un problème imaginaire, c'est de la poudre aux yeux, alors qu'il y a des
problèmes autrement plus importants qu'il faut régler, je les ai nommés :
la discrimination en emploi, la non-reconnaissance des diplômes, le profilage
racial, etc.
M. Bellerose (Patrick) :
...d'entrée de jeu que ce sont des valeurs universelles, donc ça ne sera pas
difficile de demander aux gens d'adhérer à ces valeurs-là qui sont
universelles.
M. Fontecilla : De facto,
je pense que le les gens qui font une demande d'immigration au Québec, là, et
qui veulent venir au Québec, là, acceptent de facto les règles de cette société
et veulent adhérer aux valeurs fondamentales de cette société et de la société
québécoise, qui ne sont pas uniques à la société québécoise, là, elles sont
pratiquées par la très grande majorité des peuples à travers le monde. C'est la
Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies finalement
Mais ça va plus loin que ça. On a des
façons de vivre, au Québec, et les gens, en partant, dès leur pays d'origine,
même s'ils ne connaissent pas ces façons de vivre, sont prêts à faire les
sacrifices qui s'imposent pour adopter les façons de vivre de la population du
Québec.
M. Bellerose (Patrick) :
Tantôt, M. Derraji disait que le fait d'avoir immigré au Québec l'a amené
à cheminer et à adopter toutes les valeurs québécoises... en tout cas, plus de
valeurs québécoises dans son cheminement. Je voulais savoir si ça a été votre
expérience aussi. Est-ce que vous avez vu une évolution de votre part qui était
que vous avez adhéré plus grandement, disons, aux valeurs québécoises ou à
quelque chose qui était moins...
M. Fontecilla : Tout à
fait. Ça a été mon cas, et je pense que c'est le cas non seulement des
personnes immigrantes qui doivent faire, en quelque sorte, un parcours
accéléré, vous savez, là, mais c'est le cas de l'ensemble de la population du
Québec, là, les gens qui sont nés ici. Vous savez comment on vivait en 1970, au
Québec, là. C'est complètement différent de comment on vit au Québec en 2019.
Donc, la population québécoise a avancé à travers les générations. Et même une
personne, à travers sa vie, évolue par rapport à différents phénomènes qui
commencent à se produire. Et au début on semble un peu déstabilisé, ensuite il
y a une phase de compréhension, et finalement il y a une phase d'acceptation et
de vivre pleinement ces valeurs-là. Et c'est le cas des personnes immigrantes,
mais c'est le cas des personnes... de n'importe quelle personne au Québec, là.
Mme Gamache (Valérie) :
Vous avez parlé de valeurs universelles, de, bon, la charte des droits et
libertés de l'ONU. Mais, à votre avis, est-ce qu'il n'y a pas des valeurs
vraiment qui sont québécoises? Je veux dire, vous semblez d'entrée de jeu, là,
établir le fait que c'est les mêmes valeurs partout sur cette bonne planète.
M. Fontecilla : Je crois
que le Québec est une nation universaliste, et on adhère à des valeurs
universelles. Et il y a des valeurs qui sont propres au Québec, comme, par
exemple, nos traditions à... au français, à la société francophone que nous
sommes et à la nécessité de préserver cette notion-là, cette caractéristique du
Québec, qui est, à moins que vous me disiez le contraire, là, typiquement... ça
appartient au Québec.
Si vous avez d'autres exemples, je serais
bien prêt à en discuter avec vous. Mais, pour la plupart, la question, par
exemple, de l'égalité entre les femmes et les hommes, on peut dire que c'est
une valeur qui est partagée par une très large partie de l'humanité. Et évidemment
il y a toujours des individus qui ne partagent pas ces valeurs-là, bon, je
sais. Mais officiellement, au Québec, c'est une valeur qui est consacrée, comme
dans presque la totalité des pays à travers le monde.
Mme Crête (Mylène) :
Mais ce n'est pas tout le monde qui adhère, par exemple, au mariage entre couples
de même sexe, monsieur Fontecilla.
M. Fontecilla : Tout à fait, tout
à fait. Tantôt, je vous parlais des phénomènes sociaux qui sont relativement
nouveaux. C'en est un. La société est en train de faire un cheminement à
travers... pour ces notions-là. On a légiféré, on a fait des avancées très
importantes, maintenant, c'est un fait, on admet les mariages de personnes du
même sexe, ici, au Québec. Ce n'est pas le cas de toutes les sociétés à travers
le monde, j'en conviens. Mais les personnes qui arrivent ici doivent respecter
les lois du Québec. Et de facto, encore une fois, les personnes qui viennent
ici sont prêts et prêtes à respecter les lois du Québec. Et voilà.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Vous vous appuyez sur quoi pour dire ça?
M. Fontecilla : Dire quoi?
M. Bélair-Cirino (Marco) : Que
les gens qui immigrent au Québec, de facto, adhèrent à toutes les valeurs
québécoises?
M. Fontecilla : Parce que
c'est la logique même. C'est la logique même.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
...quelque chose pour prouver ça? Parce que j'ai de la difficulté à croire que
quelqu'un qui immigre au Québec connaît tout le contexte historique qui fait en
sorte qu'aujourd'hui l'État canadien et québécois reconnaissent les unions, par
exemple, entre des personnes de même sexe. C'est quelque chose qui peut choquer,
qui peut même choquer un nouvel arrivant. Je ne comprends pas pourquoi vous
dites...
M. Fontecilla : Même des
personnes, ici, ce n'est pas universellement admis non plus, mais c'est un fait,
ça a été codifié dans des lois. Mais, moi, j'ai la conviction intime, là, que,
dès qu'on quitte un pays pour aller s'établir ailleurs, là, c'est pour adopter,
tout d'abord, accepter les lois qui régissent le pays où je peux m'installer et
ensuite avec la vision de m'intégrer à la société, non pas de m'assimiler, mais
de m'intégrer à la société dans laquelle je vais m'implanter, dans laquelle
peut-être je vais peut-être... non, sans doute, fonder une famille, élever mes
enfants, et mes enfants vont avoir des petits-enfants. Donc, on accepte les
projets portés par cette société-là, et j'ai cette conviction-là. Maintenant,
on pourrait faire un sondage, des études plus approfondies, etc., mais c'est ma
conviction que les immigrants viennent ici pour obéir aux lois et accepter les
façons de vivre du Québec.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Dites-moi si j'interprète mal vos propos, mais j'ai l'impression, ce que vous
me dites... M. Derraji nous a dit un peu ça, juste avant vous, que les gens
évoluent beaucoup aussi après leur arrivée au Québec, mais tandis que le
gouvernement, lui, semble voir si les gens se sont déjà intégrés avant qu'ils
arrivent au Québec. Est-ce qu'il y a un problème là?
M. Fontecilla : Écoutez, vous
savez, ça peut être un aspect assez problématique. M. Jolin-Barrette et le
premier ministre du Québec, François Legault, nous disent que le gouvernement
du Québec est en train de faire la même chose qui se fait au niveau fédéral
avec le test sur la... préalable à l'obtention de la citoyenneté, au serment à
la reine, là, bon, une reine qui n'habite même pas au Québec ou au Canada, mais,
bon, ça, c'est une autre histoire. Et, ceci étant dit, c'est une démarche qui
arrive à l'aboutissement d'un processus. C'est en aval, disons.
Là, il y a une différence fondamentale
dans l'ordre des démarches, là, c'est que le test des valeurs arrive au tout
début. Même qu'une personne, avant même d'arriver au Québec, va devoir passer
un petit cours par Internet, 90 minutes, j'ai entendu, et donc comprendre
l'ensemble des valeurs — des valeurs. S'il y a quelque chose qui peut
susciter des discussions, ce sont bien les valeurs, là, parce que, bon, il y a
toujours des nuances importantes. Mais, avant même d'arriver au Québec, avant
même d'avoir vu un gramme de neige, cette personne-là doit se prononcer sur des
aspects fondamentaux de notre vivre-en-commun.
Ça me semble contradictoire parce que les
gens apprennent en arrivant ici. Oui, ils adhèrent à des valeurs universelles,
à des valeurs importantes, mais c'est ici que ces valeurs-là s'incarnent dans
une façon de vivre. Et les gens apprennent en étant ici, en côtoyant des
collègues de travail, des camarades d'école, en se trouvant un conjoint, une
conjointe, etc. D'ailleurs, la meilleure façon, c'est en établissant des
couples mixtes, là, parce que, là, on est étroitement... on est en contact avec
la culture d'accueil, là. Mais voilà. Donc, passer le test au préalable, en
amont, ça peut être problématique.
M. Bossé (Olivier) : Vous
disiez tantôt qu'il y a même des gens nés au Québec qui voient les valeurs
changer. Est-ce que vous avez l'impression qu'il y aurait des Québécois nés au
Québec qui auraient de la misère à réussir ce test-là? Évidemment, on ne
connaît pas les détails, mais vous comprenez ce que je veux dire?
M. Fontecilla : Écoutez, je
crois qu'il faudrait le passer à... Oui, mais j'en connais personnellement, des
gens qui auraient de la difficulté et qui ne sont pas tout à fait d'accord avec
certains énoncés ou certaines, comment dire, nuances apportées par les valeurs,
entre guillemets, québécoises, là. Oui.
M. Bellerose (Patrick) : ...
des noms, des personnes du public, des élus? Vous pensez à des élus, si je
comprends bien?
M. Fontecilla : Je pense à
toutes sortes de gens un peu partout à travers la société, hein, je ne fais pas
de différence. L'évolution des valeurs, là, c'est quelque chose de très intime,
et ça concerne tout le monde à différents degrés.
La Modératrice
: Merci.
M. Fontecilla : Merci. Bonne
journée.
(Fin à 13 h 37)