(Onze heures cinquante-cinq minutes)
Mme
Hivon
:
Bonjour, tout le monde. Alors, c'est une vive déception que sont en train de
vivre les parents adoptants, surtout au nom de leurs enfants, des enfants
adoptés du Québec, aujourd'hui, avec le dépôt qui revoit le Régime québécois
d'assurance parentale.
Vous m'avez entendue, il y a quelques
minutes, à la période des questions. Il y a une inéquité très grave, une
injustice très grave qui perdure entre les enfants adoptés et les enfants
biologiques au Québec, et contre toute attente parce qu'il y avait eu un engagement
très clair de la Coalition avenir Québec pendant la campagne électorale. Je
l'ai ici, c'est la lettre qui avait été, donc, envoyée à la Fédération des
parents adoptants, disant qu'ils s'engageaient à mettre fin à l'inéquité de
traitement, et que les parents adoptants auraient donc droit à 55 semaines
de congé parental, tout comme les parents biologiques, s'ils étaient élus.
Or, aujourd'hui, force est de constater
que le gouvernement fait plein de changements au Régime québécois d'assurance
parentale, mais qu'il laisse perdurer cette inéquité-là, contrairement à sa
promesse. Donc, c'est une promesse brisée.
Et je veux juste rappeler que... Pourquoi
c'est si important de donner l'équité de traitement? C'est parce que les
enfants adoptés, ils ont le droit d'avoir une présence aussi constante et pour
une période aussi longue que les enfants biologiques. Il n'y a pas de raison
d'avoir deux catégories d'enfants au Québec, d'avoir deux catégories de
familles au Québec, surtout quand on sait que les enfants adoptés arrivent dans
leur famille avec un bagage très imposant, généralement, de défis
particuliers : défis d'attachement, défis d'adaptation, défis en santé,
défis reliés aux traumatismes qu'ils ont vécus pendant les mois, les années
qu'ils ont été, par exemple, en famille d'accueil, en orphelinat, les multiples
abandons et ruptures de liens qu'ils ont pu vivre. C'est quelque chose qui est extrêmement
documenté, de plus en plus, et c'est pourquoi il y a cette demande, depuis un
bon moment, d'avoir finalement l'équité de traitement.
Or, c'est incompréhensible, absolument
incompréhensible aujourd'hui que le ministre continue à essayer de justifier
l'injustifiable quand il a pris l'engagement en campagne électorale, quand son
équipe a pris l'engagement en campagne électorale, et quand on réalise que, vu
qu'il y a tellement un petit nombre d'adoptions par année, moins de 400, alors
qu'il y a plus de 83 000 naissances biologiques, ça représente au
maximum 5 millions pour un régime global qui avoisine les 2 milliards
de dépenses.
Alors, aujourd'hui, je trouve ça
hallucinant d'entendre le ministre essayer de trouver toutes sortes
d'explications, de dire : Oui, mais on ajoute cinq semaines. Oui, ils
ajoutent cinq semaines, donc au lieu que la discrimination soit sur quatre
mois, elle est sur trois mois. Alors, il y a toutes sortes d'arguties qui sont
sorties. On ajoute une autre couche de discrimination parce qu'on va prévoir
quelque chose de particulier pour les parents qui vont adopter à l'étranger et
qui ne sera pas disponible pour les parents qui vont adopter au Québec, alors
qu'on sait qu'il y a des besoins d'adoption tout autant au Québec. Alors,
franchement, je suis extrêmement déçue, au nom des enfants adoptés puis des
parents adoptants, de voir que non seulement on est face à une promesse brisée,
qui avait été clairement prise pendant la campagne électorale, mais on est face
à une couche supérieure de discrimination, une qui est maintenue, puis une qui
est ajoutée.
Alors, le gouvernement doit vite, vite,
vite corriger le tir, et vous pouvez être certains qu'on va avoir un amendement
en ce sens lors de l'étude détaillée, mais franchement on espère qu'on n'aura
pas à se rendre jusque-là. C'est comme si le gouvernement, quand il prend des
mauvais engagements comme la maternelle quatre ans, il se bat bec et ongles
pour les maintenir contre vents et marées, puis, quand il prend des bons
engagements qui ne coûteraient pratiquement rien, qui touchent à ce qu'on a de
plus humain, le lien d'attachement, il passe outre son engagement, comme il l'a
fait quand il a déposé son budget pour Parents jusqu'au bout! avec les enfants
lourdement handicapés. Est-ce que c'est ça, un gouvernement qui a du coeur puis
qui est à l'écoute? Je ne pense pas.
Donc, on demande au ministre Boulet
d'admettre son erreur, d'admettre la promesse brisée et de tout de suite dire,
aujourd'hui, qu'il va amener la modification pour qu'enfin il n'y ait plus
cette injustice entre les enfants adoptés et les enfants biologiques au Québec.
Mme Lajoie (Geneviève) : Le
ministre, Mme Hivon, dit que ce serait discriminatoire finalement envers
les femmes qui ont des enfants de façon biologique, de prévoir l'équité totale,
d'avoir 50 semaines pour les deux, donc... 55 semaines, pardon, pour
les deux. Qu'est-ce que vous répondez?
Mme
Hivon
: Ça,
je trouve que c'est des arguments traditionnels qui n'ont plus leur place. Oui,
la réalité biologique, elle est réelle, il faut en tenir compte. Mais pourquoi
il ne tient pas compte du pendant pour la réalité des besoins des enfants
adoptés? Parce que toutes les études vont vous le dire, tous les experts vont
vous le dire, en fait, les familles adoptives devraient avoir plus de temps
avec leurs enfants, compte tenu de tout le bagage très lourd de deuils, de
traumatismes, d'abandons, de défis que les enfants adoptés vivent.
Donc, si on voulait prendre cette
approche-là, il faudrait même se pencher beaucoup plus en détail sur la réalité
des enfants adoptés, de la normalité adoptive et des liens parents-enfants dans
une famille adoptive, et probablement qu'on arriverait à la conclusion qu'il
faut plus qu'un an, qu'il faut plus que 55 semaines, vous me suivez? Ce
n'est pas ça qui est demandé par les parents adoptants, ils disent juste :
Écoutez, on ne vous demande même pas de vous pencher sur toute la réalité avec
plein d'études. J'en ai plein, d'études, qui vont toutes dans le même sens,
qu'il faut favoriser ça pour le bien-être puis l'épanouissement de l'enfant parce
qu'il y a des défis énormes. Donc, ce n'est même pas ça qu'ils demandent, ils
demandent juste l'équité, ils demandent juste la dignité, un peu d'humanité.
Puis de dire : Bien, pouvez-vous au moins nous donner la même chose pour
nos enfants qui, il nous semble, méritent le même traitement que les enfants
biologiques. Donc, si le ministre veut commencer à faire des
distinctions — je comprends qu'il y a des réalités
différentes — bien, qu'il se penche sur la réalité des familles
adoptives, des enfants adoptés qui ont vécu une succession de traumatismes et
de défis, et puis il va voir que probablement que sa conclusion, ça devrait
être qu'en ce moment il y a une discrimination parce que les besoins sont plus
grands, puis ce n'est pas ça qui est demandé. Donc, je trouve ça un peu... Je
suis surprise que le ministre, aujourd'hui, sorte de ça aujourd'hui. Oui?
M. Lacroix (Louis) : Dans le
même ordre d'idées, là, il parle d'effets... il dit : Les effets
physiques, pour les parents naturels et les mères naturelles, ce n'est pas les
mêmes effets que pour les adoptants.
Mme
Hivon
:
C'est sûr, il n'y a pas d'accouchement. Je pense que tout le monde est
conscient de ça. Dans un contexte d'adoption, il n'y a pas d'accouchement. Mais
je pense que... C'est juste que ça traduit, puis je trouve ça dommage, parce
que le ministre Boulet, c'est quelqu'un que je respecte, mais je pense que ça
traduit un biais pour la parentalité biologique au détriment de la parentalité
adoptive, et je pense qu'il y a encore beaucoup de méconnaissance. C'est
compréhensible, hein? C'est un petit nombre de famille qui sont des familles
adoptives, mais c'est pour ça qu'il faut être à l'écoute, puis c'est pour ça
qu'il faut entendre la voix de ces gens-là, pour qu'ils fassent part de leur
réalité, qui est très différente. C'est vrai qu'il n'y a d'accouchement, mais,
par ailleurs, il y a des défis énormes de devoir sécuriser l'enfant, s'occuper
de la santé de l'enfant. Souvent, les enfants, de plus en plus, ils sont ici,
ils ont des besoins particuliers, ils ont vécu une succession d'abandons, des
traumatismes, de la négligence, des problèmes de santé. Donc, pourquoi parler
juste de la réalité biologique de la mère qui accouche, qui est bien réelle, et
ne pas parler de la réalité affective, médicale, sociale des enfants adoptés et
de ces défis-là?
Mme Plante (Caroline) :
Est-ce qu'il a assez consulté, le ministre Boulet? On nous dit que...
Mme
Hivon
:
Bien, je suis vraiment surprise parce que je sais que la Fédération des parents
adoptants a été en lien beaucoup avec son cabinet. Ils leur ont exposé c'est
quoi, la réalité, ils ont donné des études, notamment l'étude que j'ai déposée
en Chambre de trois professeurs de droit qui disent qu'il y a une réelle
discrimination. Ils ont fait part de tous les effets sur les enfants, des défis
d'attachement, et tout ça. Puis, je veux dire... je trouve juste que ça dépasse
l'entendement. Pourquoi le gouvernement s'entête? C'est comme s'il
disait : Il faut — pour un principe que je ne sais pas d'où il
sortirait, ce principe-là — donner plus aux familles biologiques.
Mais, je veux dire, O.K., il y a conception traditionnelle de la famille
biologique, parce qu'il y a l'accouchement, mais pourquoi vous ne prenez pas
compte de tout le reste des défis des familles adoptives? Donc, il me semble
que le gros bon sens, c'était de s'en tenir à leur engagement, c'était de
dire : On a pris un engagement en ce sens-là, on a même adopté une
résolution en 2017 dans un de nos conseils généraux. La CAQ a fait ça. Nous, ça
fait longtemps qu'on avait adopté ça, c'est dans notre programme, on en a fait
un engagement en campagne, et les libéraux avaient aussi pris une résolution
dans un congrès parce que tout le monde se disait : Ah! bien peut-être que
la meilleure manière d'y arriver, c'est de donner l'équité. Pourquoi on
continuerait à justifier ça, alors qu'on essaie de...
M. Lacroix (Louis) : Pour le
reste du projet de loi, là, est-ce que vous êtes satisfaite?
Mme
Hivon
: Oui,
pour le reste, je trouve qu'il y a des éléments qui sont intéressants, qui ne
vont pas aussi loin en termes de flexibilité que ce qu'on aurait souhaité. La
question du congé pour le père, ça, c'est un élément qui est intéressant parce
qu'évidemment ça va favoriser l'engagement encore plus important des pères. Je
pense qu'au Québec on fait très bonne figure à cet égard-là. C'est une manière
d'encore plus pousser pour l'équité du partage dès la petite enfance, dès les
premiers mois de vie parce que c'est prouvé qu'un père qui s'implique tôt va
rester toujours impliqué. Ça, c'est quelque chose qui est intéressant, la question
de la flexibilité aussi pour le retour au travail. Mais on aurait aimé ça que
ça aille plus loin, donc que ça puisse être sur une plus longue période puis
qu'il y ait une partie de congés mobiles que nous, on a revendiqués, qui était
dans le précédent projet de loi du ministre Blais, pour faire en sorte que dans
les premières années de vie de votre enfant, quand il y a toutes sortes de
problèmes de santé, que vous n'ayez pas à stresser à chaque fois que vous devez
manquer une journée ou une semaine parce qu'il y a un gros problème puis vous
devez rester à la maison.
Donc, ça, c'est des éléments qu'on est
déçu de ne pas retrouver. Mais c'est sûr que toute bonification est bienvenue.
Puis c'est pour ça qu'on trouve ça fou, là. Il y a pour 100 millions de
bonifications puis on aurait ajouté quelques millions puis on aurait eu
l'équité, puis on aurait mis fin à l'injustice décriée depuis tellement
longtemps entre familles adoptives et familles biologiques.
Mme Plante (Caroline) : Il y
a le fond, mais aussi la forme. Qu'est-ce que vous pensez du ministre Boulet
qui prend son projet de loi, qui s'en va l'annoncer dans son comté?
Mme
Hivon
: Je
pense que je suis aussi choquée que les journalistes et puis je trouve que
c'est un manque de respect et d'égards pour les parlementaires des oppositions,
les parlementaires tout court, pour les journalistes de la tribune
parlementaire, pour la population en général parce que, quand on dépose un
projet de loi, c'est parce que c'est un geste législatif qui est posé à
l'Assemblée nationale et duquel on doit répondre à l'Assemblée nationale. Ce
n'est pas banal. On se lève en Chambre. On le dépose en Chambre. Ce n'est pas
pour dire : Ah! je vais aller faire de la politique dans mon comté, avec
le nouveau projet de loi, sur des enjeux nationaux qui ne sont pas spécifiques
à Trois-Rivières, aux dernières nouvelles. Donc, ce n'est pas comme ça que ça
devrait fonctionner. Puis pour les groupes d'intérêt aussi parce que, là, quand
ça se fait ici, bien, on peut avoir le verbatim, on peut savoir ce qui a été
dit, on entend les questions, on entend les réponses, on est capable de
décortiquer les choses. Vous savez tout aussi bien que moi que ce n'est pas le
cas quand on fait ça ailleurs que dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Mme Plante (Caroline) :
Est-ce que vous considérez que c'est un geste partisan qu'il pose? C'est
partisan, de faire ça?
Mme
Hivon
: Je
considère que c'est un geste partisan, oui. Puis ce n'est pas la première fois
qu'on voit...
M. Lacroix (Louis) : C'est
l'instrumentalisation politique d'une pièce législative, dans le fond.
Mme
Hivon
:
C'est un geste partisan. C'est un geste qui n'a pas sa place. C'est assez
spectaculaire. C'est peut-être déjà arrivé. Moi, je n'ai pas d'exemple en tête.
Je sais que, depuis l'arrivée de la CAQ, on voit souvent qu'ils présentent
leurs pièces législatives, le détail, dans l'édifice H ou dans des salles.
Pour les maternelles quatre ans, on n'a pas eu le droit non plus à pouvoir
suivre l'entièreté de la conférence de presse. Ils sortent de l'enceinte de
l'Assemblée, ce qui fait en sorte que ce n'est pas diffusé, ce qui fait en
sorte que ce n'est pas enregistré au complet. Alors, de pousser ça jusqu'à
dire : Je vais aller présenter ça dans ma circonscription... Je comprends
que tous les députés veulent faire le maximum pour leur circonscription, mais
quand il s'agit d'un projet de loi avec des enjeux nationaux, je pense que ça
n'a clairement pas sa place. Heureusement, il s'est amendé, il l'a fait ici,
mais je ne pense pas que c'était dans des circonstances optimales parce que
normalement, je ne sais pas, les journalistes auraient dû être rencontrés,
connaître le détail de ce projet de loi là, qui est quand même assez technique,
là. Donc, voilà. Merci beaucoup.
(Fin à 12 h 8)