(Neuf heures trente-deux minutes)
M. Zanetti : Alors, bonjour.
C'est un honneur pour moi de prendre la parole aux côtés de Marjolaine Goudreau,
la présidente de l'association des travailleuses sociales et techniciennes en
travail social, le RECIFS. Si on est ici aujourd'hui, c'est pour lancer
vraiment un cri du coeur à la ministre de la Santé. Mme Goudreau pourra mettre
des mots mieux que moi, là, sur la dure réalité qui est vécue dans le réseau,
mais le constat général est alarmant. La gestion comptable de la Santé est en
train de rendre tout le monde malade.
Et la culture du silence qui règne dans le
réseau empêche le personnel soignant de dénoncer un climat qui est devenu
insoutenable. Les professionnels qui soignent nos proches sont complètement à
bout, il n'y a pas d'autre mot. On leur impose des impératifs de performance et
de rentabilité toujours plus élevés. Ils sont devenus contraints de traiter les
patients comme de la marchandise sur une chaîne de montage. Beaucoup d'entre
eux n'osent pas porter plainte ou dénoncer leurs conditions de travail par peur
de représailles. On ose même faire taire leurs critiques en évoquant un devoir
de loyauté envers le réseau, mais leur devoir de loyauté, en fait, les gens du
réseau de la santé sont en train de l'exercer en ce moment en dénonçant
publiquement ce mode de gestion à la chaîne qui est complètement déshumanisant
pour tout le monde.
Alors, aujourd'hui, on demande au
gouvernement de créer une commission d'enquête publique pour faire la lumière
sur l'impact de ce mode de gestion sur notre système de santé et notre
personnel. Je vais également déposer une motion en Chambre pour demander au gouvernement
de mettre en place sur cette commission une motion qui ressemble beaucoup au
libellé que le gouvernement a lui-même déposé cette semaine, comme motion, pour
faire appel à la liberté d'expression et valoriser finalement la culture de
l'expression des insatisfactions, là, envers le réseau. Donc, s'ils pensent que...
s'ils ont eux-mêmes déposé une motion pour que ça passe dans le domaine de
l'éducation, on pense qu'en toute cohérence ils devraient accepter qu'on dépose
une motion tout à fait similaire, mais appliquée au réseau de la santé.
Et ce qu'on veut envoyer comme message
essentiellement, là, c'est que, oui, il manque de personnel dans le réseau de
la santé, oui, il faut des projets ratios, oui, il faut investir de l'argent,
mais il faut avoir un regard plus profond que ça sur la façon dont sont gérées
les choses, dont sont considérées les personnes et aussi non seulement les
patients, mais aussi les personnes qui traitent ces personnes-là parce que
leurs conditions de vie sont interreliées. On ne peut pas avoir des bons soins
si on n'a pas des bonnes conditions aussi dans lesquelles on les donne.
Alors, c'est ce message vraiment important...
et je vais laisser la parole à Mme Goudreau pour pouvoir vous en parler
davantage.
Mme Goudreau (Marjolaine) :
Merci, merci, merci. Alors, bienvenue. Merci de m'avoir présentée, Sol. Je vais
quand même rajouter que j'ai une formation en travail social, et j'ai travaillé
35 ans dans le réseau des services publics et des services sociaux et huit
ans en maison d'hébergement pour femmes victimes de violence.
Je vais vous parler des cinq dernières
années qu'on a vécues. Je travaille étroitement avec un collègue, qui est
M. Angelo Soares, qui est professeur et chercheur à l'école de gestion de
l'UQAM, et ce que nous, tous les deux, on constate depuis les 15 dernières
années, c'est les impacts de la méthode «lean». Souvent, dans le réseau, on
appelait ça le toyotisme en santé parce qu'il y a un parallèle assez évident à
faire entre les deux.Et, dans le fond, le point de presse et les actions qu'on
fait aujourd'hui sont là pour dénoncer un peu les impacts sur les intervenants,
sur les travailleurs et sur les services à la population.
Donc, je vais vous informer, et vous le
savez possiblement, que nos gouvernements passés — et
actuel — ont effectivement fait le choix de produire et de gérer les
soins et les services sociaux de la même manière qu'une industrie produit et
gère des objets industriels. Pour nous, c'est un similaire assez évident.
Aujourd'hui, on constate que la chaîne de
montage que le gouvernement a mise en place menace très sérieusement de rompre,
ce que les employés vivent, et ils tombent de plus en plus en arrêt de travail
pour cause de maladie. On doit donc, nous, se rendre à l'évidence que la
décision des gouvernements, successivement... ont fait de choisir l'approche
industrielle, qui a eu pour effet de créer une profonde crise de valeurs chez
tous les employés du réseau, autant les professionnels que tous les autres qui
y travaillent, la performance, l'optimisation, la compétition avec les valeurs
industrielles qui, la plupart du temps, entrent en contradiction profonde avec
des valeurs humanistes, les normes et même nos codes de déontologie.... Alors, aujourd'hui,
par exemple, pour le ministère, je vais vous donner un bel exemple qui est
assez concret, pour le ministère, un bon employé, c'est celui qui voit le plus
de personnes dans le moins de temps possible. Celui qui, auparavant, prenait le
temps pour accueillir, écouter, prendre soin, pour accompagner une famille, une
personne âgée, eh bien, aujourd'hui, ce même employé-là est perçu et est
devenu, aux yeux du ministère, un improductif. Alors, dans cet exemple-là, vous
voyez comment les valeurs industrielles qu'impose le gouvernement affectent
autant les personnes, les soignants, les travailleurs sociaux que les personnes
les plus vulnérables de notre société.
Autre point qui découle directement de
l'approche industrielle, c'est la prolification à n'en plus finir des
protocoles, des outils technocratiques qu'on impose aux salariés, jour après
jour, et de façon obligatoire. La problématique est devenue à ce point critique
à ce niveau-là que le temps que les soignants passent à gérer cette
technocratie, elle est en voie de surpasser le temps de présence directe à la population.
Alors, on est en train de dire, nous, sur le terrain, qu'il y a, dans une
journée, à peu près 50 % de temps qui est passé à compléter des
formulaires et de la paperasse au lieu d'être en présence directe avec les gens
et de donner les soins et services auxquels ils ont droit. Et fait encore plus
inquiétant, les outils, les protocoles sont devenus tellement nombreux,
fastidieux, qu'on a besoin aujourd'hui de tout notre personnel clinique pour
gérer cette technocratie que le ministère a besoin pour fonctionner. En
conséquence, non seulement les travailleurs ont de moins en moins de temps pour
être auprès de la population, mais ils sont surtout aussi de moins en moins
aidés eux-mêmes, comme professionnels, pour gérer les difficultés qu'ils
rencontrent dans leur travail, bien sûr, auprès de la population et des gens
qui demandent des services. Alors, disons-le ici clairement, jamais la
technocratie d'un modèle de gestion n'a autant éloigné les professionnels et
les employés de la population.
Alors, comment alors pouvons-nous nous
assurer que ce sont bel et bien les soins de la population qui sont au centre
du système? On se pose drôlement la question, évidemment. Alors, nous croyons
que, socialement, politiquement, l'heure est venue de faire le bilan du modèle
de gestion adopté par le gouvernement, d'en évaluer les impacts, de cette
approche industrielle auprès des employés et pour les services à la population.
Alors, pour donner une voix aux
professionnels de la santé et des services sociaux qui ont peur de parler,
comme M. Zanetti le disait auparavant, le RECIFS, plusieurs
professionnels, des regroupements de défense de droits, des professeurs, des
chercheurs issus du milieu universitaire sont ici avec moi, actuellement. Ils
s'unissent aujourd'hui pour demander officiellement aux élus l'ouverture d'une
commission d'enquête publique portant sur l'approche «lean» appliquée par le gouvernement
actuel. Merci.
M. Zanetti : Merci. Et je
voudrais rajouter quelque chose. La ministre de la Santé, Mme McCann, a fait
des commentaires dans la dernière année où elle invitait les gens à rompre la
culture du silence. Elle l'a dit, et je pense qu'on peut la croire sincère là-dedans.
Toutefois, c'est insuffisant. On ne peut pas juste dire à ces effets-là qui
sont causés par un modèle de gestion, on ne peut pas leur proposer de
disparaître, de disparaître, la loi du silence, sans avoir une réflexion
profonde sur les raisons qui mènent à cet état de fait là.
Et moi, j'invite vraiment tous les partis,
d'opposition aussi mais particulièrement le gouvernement, à accepter, à voter
en faveur de notre motion aujourd'hui parce que, si non, quel signal on envoie
aux gens du réseau? Quel signal on envoie si on leur dit qu'on n'est pas prêts
à leur dire qu'on va réfléchir à ce qui cause la loi du silence dans le système
de santé en ce moment? Quel message on veut leur envoyer?
Je pense, c'est important, et, ce que vous
voyez là, c'est un mouvement de fond. Ce n'est pas, là, une organisation qui
pense une affaire, un parti politique qui pense une chose, qu'il faut réfléchir
là-dessus. La lettre qui a été diffusée dans les médias ce matin, elle est
appuyée par 120, je pense...
Mme Goudreau (Marjolaine) :
187 signataires.
M. Zanetti : 187 signataires.
Mme Goudreau (Marjolaine) :
Ça, c'est sans calculer qu'il y a les syndicats qui sont impliqués dans ça, il
y en a quand même trois, il y a des regroupements communautaires du Québec qui
ont signé. Donc, officiellement, il y a 187, mais ça comporte beaucoup plus.
C'est quand même assez parlant, là.
M. Zanetti : Exact. C'est un
mouvement de fond, et il y a là-dedans quelque chose qui doit être écouté. Ce
matin, là, les gens du réseau rompent le silence. Ils en parlent, ils disent quelque
chose, il faut qu'on les écoute. Il faut qu'on aille de l'avant avec ça. Merci.
Mme Goudreau (Marjolaine) :
Merci.
(Fin à 9 h 41)