(Dix heures une minute)
Mme Labrie : Je suis
accompagnée aujourd'hui de Sylvain Mallette, de la FAE. On se fait imposer aujourd'hui
un bâillon sur le projet de loi n° 40, qui, oui, réforme la gouvernance
scolaire, mais fait également beaucoup d'autres modifications dans la Loi sur
l'instruction publique, et je trouvais que c'était essentiel de donner une voix
aux enseignants pour voir comment ils réagissent à cette situation-là, à ce
qu'ils se font imposer cette semaine.
M. Mallette (Sylvain) :Merci beaucoup. D'abord, d'entrée de jeu, je veux remercier la
députée de Sherbrooke, Mme Christine Labrie, de me permettre aujourd'hui de
profiter de cette tribune pour m'adresser à vous. Je veux aussi profiter de
l'occasion pour saluer le travail qui a été effectué en commission
parlementaire par les trois porte-parole de l'opposition en matière
d'éducation, donc, Mme Labrie, mais aussi la députée de Saint-Laurent, Mme
Marwah Rizqy, et la députée de Joliette, Mme Véronique Hivon. Et le premier
ministre et le ministre de l'Éducation auraient avantage à s'inspirer de leur
intelligence et de leur rigueur.
Le premier ministre François Legault
utilisera pour la quatrième fois, et en neuf mois à peine, alors que se termine
la Semaine des enseignantes et des enseignants, le bâillon pour permettre
l'adoption accélérée d'un autre de ses projets de loi. Cette fois-ci, il force
l'adoption du projet de loi n° 40, un projet de loi qui contient plus de
300 articles et pour lequel le ministre de l'Éducation a lui-même déposé
167 pages d'amendements.
Comme le recours à une loi spéciale, le
recours au bâillon est l'arme des faibles et qui, lorsqu'ils constatent qu'ils
perdent la bataille sur le terrain des idées et de la raison, se retranchent
derrière des stratagèmes parlementaires pour remporter une manche. Pourtant, en
novembre 2015, la Coalition avenir Québec affirmait qu'un gouvernement de la
CAQ réviserait la procédure parlementaire afin d'éviter l'utilisation abusive
des bâillons ou des projets de loi mammouths. Avec François Legault, c'est :
faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Quoi qu'en disent le premier ministre et son
ministre de l'Éducation, le projet de loi qu'ils s'apprêtent à faire adopter
sous le bâillon constituera une loi mal écrite, une loi qui aura été mal discutée
et une loi mal votée. Par leur arrogance, leur refus d'écouter et leur
obstination à s'enfermer dans une logique purement politicienne, le premier
ministre et son ministre de l'Éducation ont brisé le lien de confiance avec les
enseignantes et les enseignants. La responsabilité de le reconstruire leur appartiendra
à eux et à eux seuls.
Le premier ministre Legault s'apprête donc,
avec toute l'arrogance qui le ronge, à modifier de fond en comble la Loi sur
l'instruction publique en faisant fi des nombreuses oppositions légitimes qui
se sont exprimées depuis le dépôt du projet de loi le 1er octobre dernier.
En s'appuyant sur sa seule majorité parlementaire, constituée de députés qui
assument pleinement leur rôle de député «Playmobil» qui lève le bras sur demande,
François Legault s'apprête à modifier unilatéralement et sans qu'un véritable
débat ait pu avoir lieu une loi fondamentale qui a contribué de manière
significative au développement du Québec et de ses régions. Le ministre de
l'Éducation et le premier ministre seront les seuls responsables des
dysfonctionnements, des dérapages, des erreurs et des ratés qui ne manqueront
pas de s'y accumuler. Tôt ou tard, ils devront rendre des comptes. Nous y
veillerons.
Malgré ce que prétendent le premier
ministre et son ministre de l'Éducation, ce projet de loi ne valorise pas les
profs et la profession enseignante, une profession composée à plus de 70 %
par des femmes. C'est un projet de loi qui nie notre expertise et qui non
seulement nous attaque, mais attaque aussi les fondements de l'école publique
telle qu'elle a été créée avec le rapport Parent.
Comme si cela ne suffisait pas, le
ministre de l'Éducation, avec la complicité bienveillante du premier ministre
et du président du Conseil du trésor, fait fi de la Loi sur le régime de
négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic
et des règles qui régissent la négociation. Le ministre de l'Éducation veut
passer outre les ententes qui sont déjà négociées sur le perfectionnement, et
qui le sont depuis des décennies, en faisant fi du travail aux tables de
négociation. Ce faisant, il attaque le principe du droit à la négociation.
Justement, sur la question du
perfectionnement, pas plus tard qu'hier, alors qu'il tentait de justifier son
coup de force, le premier ministre, qui a aussi été ministre de l'Éducation,
affirmait que les 20 journées pédagogiques qui sont prévues au calendrier
scolaire étaient des journées de congé. Non, M. le premier ministre, les profs
ne sont pas en congé lorsqu'ils sont en journée pédagogique. Ils travaillent.
L'arrogance du premier ministre n'excuse pas son ignorance.
Les coups sournois que s'apprêtent à nous
porter le ministre de l'Éducation, le gouvernement auquel il appartient et le
parti dont il est membre, sont violents, d'autant plus que ces coups sont
consciemment portés par quelqu'un que l'on croyait être l'un des nôtres. Cette
réforme qu'il défend, voulue uniquement par des directions d'établissement et
certains gestionnaires de commission scolaire, constitue une trahison. Et, sur
ceux qui trahissent, Victor Hugo écrivait en 1852 : «Toujours la trahison
trahit le traître. Jamais une mauvaise action ne vous lâche sans rémission pour
des coupables, et le jour vient où les traîtres sont odieux même à ceux qui
profitent de la trahison.»
J'annonce donc aujourd'hui que la
Fédération autonome de l'enseignement déposera tous les recours juridiques
pertinents, notamment afin de faire déclarer inconstitutionnelle la loi qui
sera adoptée sous le bâillon et de protéger le droit à la libre négociation des
profs que nous représentons.
De plus, considérant les doutes, que nous
avions déjà, et que le ministre de l'Éducation a fait le choix de ne pas
respecter les règles qui régissent la négociation, et que le premier ministre
et le président du Conseil du trésor ont fait le choix de cautionner son
comportement, le comité exécutif de la FAE recommandera à son instance de négociation,
qui se réunira lundi prochain, de ne pas participer au forum que souhaite
organiser le gouvernement dans le cadre de la négociation qui débute. Comment
faire confiance à un gouvernement qui ne respecte même pas les règles
existantes en matière de négociation et nous invite dans des forums qui sont
étrangers à la négociation?
Je veux m'adresser directement à mes
collègues enseignantes et enseignants qui partagent ma colère. Ne baissons pas
les yeux. Ne nous laissons pas abattre par ces coups ignobles qui sont portés
par celui qui a fait le choix de nous tourner le dos. Nous avons un devoir de
résistance. Et c'est pourquoi je demande à chacune et à chacun de respecter
scrupuleusement les dispositions négociées et contenues dans le contrat de
travail, particulièrement celles qui concernent le perfectionnement.
Le 10 septembre 1936, la syndicaliste
Laure Gaudreault déclarait :
«Le meilleur avocat dans sa propre cause,
c'est encore soi-même.
«C'est pourquoi, je le répète, il convient
que l'institutrice [...] cherche à améliorer sa propre situation en subissant
moins passivement le sort qui lui est fait.
«Si, en effet, celui qui demande, et
sollicite, et fait agir maintes influences, obtient relativement peu de choses,
que voulez-vous qu'obtienne celui qui se laisse aller au gré de la volonté des
autres sans jamais ne rien revendiquer?»
Les propos de Laure Gaudreault résonnent
encore aujourd'hui. Ses mots constituent un appel à l'action, à la
mobilisation, au refus du sort qui nous est fait.
Aujourd'hui, par respect pour le combat
mené par d'autres avant nous et par respect pour nous-mêmes et pour ce que nous
sommes, j'appelle les profs à résister. Merci.
La Modératrice
: Merci
beaucoup. Est-ce qu'il y a des questions sur le sujet? Parfait. Merci beaucoup.
(Fin à 10 h 9)