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Conférence de presse de Mme Sonia LeBel, ministre de la Justice

Annonce concernant un projet de loi destiné à soutenir les personnes victimes d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale

Version finale

Thursday, June 4, 2020, 11 h 30

Salle Evelyn-Dumas (1.30), édifice Pamphile-Le May

(Onze heures dix-sept minutes)

Le Modérateur : Alors, bonjour à tous et à toutes. Bienvenue au point de presse de la ministre de la Justice, Sonia LeBel, concernant le projet de loi n° 55, Loi modifiant le Code civil pour notamment rendre imprescriptibles les actions civiles en matière d'agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l'enfance et de violence conjugale.

Mme la ministre, la parole est à vous.

Mme LeBel : Bien, merci, et je vous avoue que je ressens une certaine fébrilité et une grande fierté. Ça fait longtemps que ça ne m'était pas arrivé de me sentir dans cet état-là, parce que, pour moi, c'est un projet de loi extrêmement important et significatif qu'on a eu l'occasion de déposer aujourd'hui, et on a l'occasion de dire tous ensemble, là, qu'il ne devrait pas y avoir de compte à rebours sur le cheminement vers la guérison et l'accès à la justice des personnes qui sont victimes d'agression à caractère sexuel, de violence conjugale et de violence subie pendant l'enfance.

Vous savez, en ce moment même, au Québec, des femmes et des hommes n'ont pas la possibilité de demander réparation pour un tort qui leur a été causé. Pourquoi? Parce que c'est arrivé il y a plus de 30 ans et que leur cheminement vers la réparation peut parfois être beaucoup plus long. C'est vrai que, vu de l'extérieur, on peut penser que 30 ans, ça semble long pour demander la réparation, mais souvent, il faut comprendre que dans ces cas particuliers, c'est le cheminement d'une vie pour ces personnes-là. C'est pourquoi il faut reconnaître la nature particulière de ces crimes. Il faut souvent bien du temps aux personnes victimes pour comprendre ce qu'elles ont vécu, pour l'assimiler, pour l'accepter, et encore plus pour faire la lumière sur les torts et les préjudices, les conséquences qu'elles ont subies, et les conséquences que cet acte-là, irréparable, a eu sur leur vie.

Demander réparation peut être extrêmement difficile pour ces personnes victimes d'agression sexuelle et de violence subie pendant l'enfance ou de violence conjugale. On le sait, on en entend parler présentement beaucoup. Cette discussion de société là est très animée, et c'est une bonne chose. Pourtant, si les gestes sont prescrits, la souffrance, elle, continue.

Au fil des années, beaucoup d'acteurs de la société québécoise ont interpellé le gouvernement pour demander que soient levés les délais de prescription pour certains crimes. Que ce soit à l'Assemblée nationale... Que ce soit, pardon, l'Assemblée nationale ou le Protecteur du citoyen, les groupes de victimes, le Barreau, même, du Québec, la demande venait et revenait sans cesse. C'est donc avec beaucoup de fierté, je l'ai dit, émotion et fébrilité, que j'annonce que notre gouvernement va de l'avant en déposant un projet de loi en ce sens.

Aujourd'hui, ce qu'on a l'occasion tous ensemble d'affirmer, c'est que les personnes victimes d'agression sexuelle, de violence subie pendant l'enfance et de violence conjugale pourront tenter d'obtenir réparation, mais sans limites de temps. Les dossiers seront jugés au mérite et sur le fond.

Je suis d'autant plus fière, et je vous en parlerai un peu, qu'on a décidé d'aller plus loin encore, notamment en introduisant la notion d'excuses au Code civil. À l'heure actuelle, le Code civil du Québec prévoit que l'action en réparation du préjudice corporel résultant d'une agression à caractère sexuelle, de violence conjugale et de violence subie pendant l'enfance doit être intentée dans les 30 ans suivant le moment où la personne affectée réalise que les gestes ont mené au préjudice. Un grand pas a été fait il y a quelques années quand on a fait passer la prescription de trois ans à 30 ans. Avec le délai de prescription de 30 ans actuellement prévu par le Code civil, les personnes victimes doivent souvent, par contre, démontrer devant les tribunaux à quel moment elles ont pris connaissance de leur préjudice, à quel moment elles ont réalisé que l'acte qu'elles avaient subi dans le passé leur a causé un tort, rendant souvent cette étape beaucoup plus ardue pour elles. Cette exigence constituait un frein supplémentaire à l'exercice de leurs droits. Nous souhaitons donc remédier à cette situation en abolissant le délai de prescription pour faciliter les recours civils.

Nous allons même encore plus loinque la recommandation des membres de l'Assemblée nationale en rendant cette mesure rétroactive. Ce faisant, nous allons permettre que les personnes victimes d'agression ou de violence subie dans le passé aient la possibilité de tenter d'obtenir réparation, peu importe le moment où se sont produits les événements ou peu importe le délai de prescription qui était alors, à l'époque, applicable. Tous et toutes pourront maintenant avoir l'occasion de faire valoir leurs droits.

Ce que ça veut dire, pratico-pratique, ça veut dire que le moyen de défense qui était fondé sur la prescription du recours ne sera plus recevable. Je l'ai dit tantôt, les dossiers devront être jugés, au fond, sur le mérite de l'affaire et non plus sur le simple écoulement du temps. C'est une question, je pense, de justice pour les personnes victimes.

Et de plus, de manière assez exceptionnelle, nous proposons que toute action contre une personne, dans le passé, qui a été rejetée pour le seul motif de la prescription — le seul motif de la prescription, c'est très important — que la prescription a été acquise puisse être réintroduite devant un tribunal. Mais comprenez que, comme il s'agit de causes jugées à l'époque, il y a une période de trois ans pour permettre à ces victimes-là de réactiver leur dossier.

Il faut bien comprendre, et je pense qu'on le saisit tous, que ce sont des crimes qui sont parfois loin dans le passé. En conséquence, il est possible que la personne poursuivie, que le présumé agresseur ou que la victime soit décédé. Il est donc important de clarifier la loi au sujet des recours possibles concernant les successions.

On propose donc de modifier le Code civil du Québec pour qu'il soit clairement établi que les recours doivent être intentés dans un délai de trois ans après la mort de l'auteur. Ce délai ne s'applique qu'à l'égard de la succession de la victime ou de l'agresseur, naturellement. On conçoit qu'il puisse sembler injuste qu'une personne n'ait pas eu de recours en raison de la mort de son agresseur. Toutefois, il faut quand même aussi considérer les successions et les héritiers qui risquent d'être poursuivis, et qu'il faut y imposer une certaine limite de temps. Il serait également inéquitable que des gens qui n'ont rien à voir avec les événements puissent être poursuivis pour le reste de leur vie théoriquement, donc, et que leur patrimoine soit toujours à risque. Je pense qu'on a réussi, avec cette ouverture-là d'un délai de trois ans suivants la mort du présumé agresseur, à trouver l'équilibre.

Notez toutefois que cette limite ne s'applique pas aux communautés religieuses ou aux autres, de même qu'aux entreprises ou organismes qui pourraient être tenus responsables des actions de leur membre ou employé décédé depuis les faits. Ce n'est pas le même type de règle, on parle des individus et de leur succession. Donc, l'action contre une communauté, théoriquement, par sa faute ou encore parce qu'elle n'a pas agi, caché la succession ou parce qu'un de ses employés ou un de ses membres, on peut le dire de cette façon-là, aurait commis une faute, cette action-là est imprescriptible.

Une autre notion qu'on introduit au Code civil, de laquelle je suis très fière également, c'est celle où on propose également des dispositions sur les excuses dans le Code civil du Québec. Cette disposition existe déjà dans plusieurs autres juridictions, notamment dans la majorité des États américains qui ont adopté ce qu'on appelle des «apology act», mais aussi en Australie ou en Grande-Bretagne. Cette mesure-là va permettre... elle n'est pas limitée aux types de violence qu'on vient de décrire dans la mesure précédente, mais cette mesure-là va permettre à une personne de présenter ses excuses à l'égard d'un événement sans que celles-ci puissent constituer un aveu admissible au sens du Code civil.

Il est important de dire que la portée de ces dispositions ne se limite pas, comme je viens de le mentionner, aux matières qui sont visées dans la mesure sur l'abolition de la prescription. Recevoir des excuses, on le sait, peut souvent contribuer au processus de guérison des personnes victimes. Les excuses peuvent également favoriser, dans bien des cas, des règlements à l'amiable. Cette règle sera applicable dans toutes les matières civiles uniquement. Il est important de préciser que le régime de preuve en matière criminelle et pénale est différent. Ça signifie que des excuses pourraient éventuellement exposer l'auteur d'une infraction à être poursuit au criminel ou au pénal. Donc, ça met à l'abri des poursuites civiles, mais pas à l'abri des poursuites criminelles et pénales. Je pense qu'il faut faire la nuance.

Ça peut permettre, à titre d'exemple, au premier ministre de présenter ses excuses pour une situation sans mettre le gouvernement susceptible d'être poursuivi, parce que les excuses très bien légitimes et appropriées du premier ministre pourraient constituer un aveu du gouvernement qu'il y a une faute. Alors, c'est ce type... c'est un cas de figure qui est capable... qui nous permet de l'illustrer, mais c'est ce type de situation là.

Je crois profondément à ce que nous présentons aujourd'hui parce que je pense que ça va contribuer à un système de justice plus juste pour les personnes victimes qui sont, il faut le rappeler, très vulnérables de par la souffrance qu'elles connaissent. Naturellement, il y aura des consultations. Des discussions sont déjà en cours avec les oppositions pour le faire le plus rapidement possible, mais je tiens à exprimer qu'il s'agit aujourd'hui d'un geste extrêmement important pour les personnes victimes, mais aussi pour toute la société qui, moi, j'en suis convaincue, en ressortira plus juste. Merci.

Le Modérateur : Merci, Mme la ministre. Je vais donner le coup d'envoi de la période des questions. Patrick Bellerose, Le Journal de Montréal, Journal de Québec.

M. Bellerose (Patrick) : Oui, bonjour, Mme LeBel. On sait qu'il y a des groupes qui attendent une telle mesure depuis très longtemps. Est-ce qu'on doit s'attendre à une déferlante de poursuites au civil après avoir, justement, aboli ce délai de prescription?

Mme LeBel : Bien, c'est difficile à anticiper, mais je ne le crois pas. Je ne le crois pas. Il y avait déjà quand même un délai de 30 ans qui a été fait il y a quelques années, je pense que c'est en... je ne veux pas me... mais ça fait... c'est sous Bertrand St-Arnaud, si je ne me trompe pas, donc...

Une voix : ...

Mme LeBel : 2013, merci. Mais non, je ne m'attends pas à une déferlante de poursuites. Je pense que ça vient juste rétablir un juste équilibre et permettre à ces personnes-là de faire un cheminement qui n'est pas relié à un compte à rebours, hein? Beaucoup de victimes nous ont mentionné le fait qu'elles avaient... Bon, les gens vont dire : Bien, comment se fait-il qu'elle n'a pas conscience de l'acte qu'elle a subi? Ce n'est pas une question de prendre conscience d'avoir subi un acte, c'est de prendre conscience... d'être prêt à en parler, d'être prêt à, des fois, l'accepter, hein, dans ce cas. Dans plusieurs cas de figure, la victime elle-même a du mal à accepter qu'elle a été victime de quoi que ce soit. Souvent, ils ont besoin de faire un cheminement, de commencer à se réparer. Et le fait d'avoir constamment ce tic-tac-là dans la tête qui lui disait : Bien, si tu ne le fais pas rapidement ou si tu ne le fais pas dans un délai x, tu vas te faire priver d'un droit, c'était pour elles, ces personnes-là — pas elles, ces femmes, elles, ces personnes-là — un fardeau ou un poids supplémentaire à la réflexion. Je pense que ça ne créera pas plus de poursuites, mais ça va fournir tout l'espace nécessaire pour ces personnes-là à une réflexion plus sereine et un processus de guérison mieux adapté.

M. Bellerose (Patrick) : Une disposition qui me semble très importante, c'est quand vous dites : Une victime va pouvoir poursuivre une communauté religieuse, même si l'agresseur est décédé, que ça fasse trois ans, 10 ans, 20 ans. Je comprends bien?

Mme LeBel : Oui, oui, tout à fait. C'est parce que je ne voulais pas qu'on pense que l'histoire de la succession s'adressait à ce type de dossier là. Non, c'est plutôt dans le cas de poursuite personnelle, quelqu'un voudrait introduire une poursuite contre vous, vous êtes décédé, bien là, trois ans, à partir de votre décès... parce que, là, il faut comprendre qu'après plusieurs années, souvent, dans les successions, les patrimoines se confondent. Alors, quel était le patrimoine d'origine du présumé agresseur? Quel est le patrimoine de la personne qui a hérité? Donc, il faut quand même qu'il y ait un certain équilibre.

C'est quand même, je dois le souligner, c'est exceptionnel, c'est vraiment exceptionnel, c'est approprié, mais c'est extrêmement exceptionnel d'éliminer un délai de prescription, surtout de façon rétroactive, la façon dont on le fait. Donc, il faut quand même qu'il y ait, à l'intérieur de tout ça, certaines balises pour ne pas non plus créer d'autres injustices. Et, quand je parle d'injustice, je parle envers les personnes qui n'ont rien à voir, qui ne sont pas l'agresseur, mais qui ont hérité de lui.

Le Modérateur : Merci. Ariane Krol, LaPresse.

Mme Krol (Ariane) : Oui. Concernant le petit élément, là, rétroactif, c'est-à-dire les poursuites qui auraient été refusées au seul motif de délai de prescription, est-ce que vous avez fait une évaluation du nombre de poursuites qui pourraient... et pourquoi trois ans, plutôt cinq ans ou 10 ans?

Mme LeBel : Bien, parce qu'il faut habituellement situer une limite de temps. Il faut comprendre dans le cas... je vais resituer, bon, le contexte. Dans le cas de ces poursuites-là, le cheminement de la victime est fait, on s'entend, elle avait déjà déposé poursuite. Donc, elle n'a plus... et là quand je le dis, ce n'est pas de façon péjorative, elle n'a plus besoin de cette espèce d'espace libéré par l'abolition du délai de prescription, parce qu'il faut comprendre que si la poursuite a été rejetée, c'est parce que la poursuite avait été intentée au départ, donc la victime avait déjà fait ce cheminement-là.

Non, je n'ai pas les nombres. Bon, je ne vous apprendrai pas rien en vous disant que le système de justice, au niveau des statistiques, présentement, on y travaille, mais de pouvoir computer des dossiers de façon précise, on n'est pas dans ce système-là. Mais ça va être du cas par cas, naturellement. Les victimes devront... le savent, les avocats le savent, les dossiers qui ont été refusés pour le seul motif... parce que c'est sûr que si un juge, dans sa décision de rejeter, a traité le dossier sur le fond et a jugé qu'il n'y avait pas de cause, mais, au passage, a nommé le délai de prescription, bien, ce cas ne s'appliquera pas là. Mais quand, dans une requête préliminaire, le délai de prescription a été invoqué, et que c'est le seul motif que le juge a pris pour rejeter, et que la cause n'a jamais été jugée au fond, ces personnes-là auront un délai de trois ans. Et je pense que c'est un délai qui va leur fournir l'espace nécessaire pour réévaluer leur dossier et décider si elles veulent le réactiver. Ce sera un choix.

Le Modérateur : J'ai une question de Jocelyne Richer qui a été transmise par courriel. Est-ce souhaitable et réaliste d'adopter le projet de loi n° 55 avant le 12 juin ou au plus tard le 12 juin?

Mme LeBel : Bon, il est souhaitable de le faire le plus rapidement possible. Je pense que, dans les débats à l'Assemblée nationale ce matin, on l'a bien exprimé, c'est attendu depuis longtemps. Maintenant, réaliste, on pourra voir avec les oppositions. On a déjà commencé des négociations, des discussions. Alors, moi, je suis disposée et disponible à le faire le plus rapidement possible. C'est souhaitable. Réaliste, on verra.

Le Modérateur : O.K. Concernant les excuses, donc je comprends bien que ça pourrait faciliter des excuses de la part d'un représentant d'une organisation et non pas d'une personne qui a posé une agression sexuelle, dans la mesure où cette personne-là prononcerait des excuses... s'exposerait à des accusations criminelles.

Mme LeBel : Oui. Bien, il y a des... Bon, écoutez, d'entrée de jeu, ça s'applique à tous, O.K.? De façon pratico-pratique, c'est probablement plus aisé pour des organisations, comme les communautés religieuses, qui pourraient peut-être vouloir... pardon, voulaient peut-être vouloir s'excuser d'un geste... et là, c'est une théorie, je n'attribue rien, qui pourraient peut-être vouloir s'excuser de gestes qui ont été posés par certains membres de leurs membres il y a de cela plusieurs années, mais ne veulent pas, par le fait même, en créer un aveu puis s'exposer aux poursuites civiles.

Mais on pourrait penser... Et là c'est parce qu'on le pense dans le cadre des agressions sexuelles et des violences conjugales. Pour un individu, c'est plus délicat de présenter des excuses parce qu'elles pourraient constituer un aveu au criminel. Mais on peut penser que des actions civiles n'ont pas nécessairement un pendant criminel. Ça peut exister. Dans ces cas-là, un individu sera à l'abri que cet aveu-là constitue une preuve au civil.

Donc, c'est très difficile. De façon générale, la réponse, c'est : ça s'applique à tous. Mais, de façon particulière, ça dépendra des cas de figure, effectivement.

Le Modérateur : Des précisions, Patrick Bellerose?

M. Bellerose (Patrick) : Un des arguments qu'on entendait par le passé pour éviter de rallonger le délai de prescription, on disait peut-être que Québec veut se mettre à l'abri de poursuites parce qu'il y a des employés, par exemple des religieux, qui enseignaient dans une école publique, qui pourraient être poursuivis, et Québec pourrait être tenu responsable en tant qu'employeur ou institution. Est-ce que vous vous attendez à des poursuites envers l'État québécois?

Mme LeBel : Bon, là, je vais être très prudente parce que je vais reprendre mon rôle de Procureure générale, puis je sais que c'est un rôle qui peut apparaître très plate au niveau des déclarations, mais qui est essentiel. Il y a présentement, vous le savez, des poursuites devant... que le gouvernement est poursuivi devant les tribunaux pour des contextes de communautés religieuses, justement, et je n'irai pas plus loin, les orphelins de Duplessis en étant un exemple. Il y en a d'autres, mais je n'irai pas plus loin.

Je peux vous dire que, naturellement, de par ce fait-là, le gouvernement se prive de l'argument de la prescription, ce qui ne veut pas dire que le gouvernement ne veut pas mettre tous les autres arguments de l'avant, mais, en effet, le gouvernement se prive de l'argument de la prescription. D'ailleurs, dans les dossiers en cours, on ne l'a pas invoqué dernièrement, cet argument-là. C'est l'étendue de ce que je vais vous dire pour ne pas compromettre les dossiers et notre argumentaire devant la cour.

Le Modérateur : Dans un autre dossier, celui du projet de loi n° 61, vous faites partie du comité de législation à titre de ministre de la Justice et vous êtes l'ancienne procureure-chef de la commission Charbonneau. Êtes-vous totalement à l'aise avec le projet de loi n° 61 de votre collègue Christian Dubé?

Mme LeBel : Bon, encore une fois, je sais que c'est tannant, mais c'est la réalité, les discussions qui ont lieu au comité législatif, les discussions qui ont lieu dans le processus décisionnel qui mène au dépôt d'un projet de loi, je ne les commenterai pas et je ne les exposerai pas.

Ceci étant dit, comme procureure de la commission Charbonneau, je peux vous dire... bien, je vais prendre ce chapeau-là parce que, dans votre question, j'ai plusieurs chapeaux. Je peux vous dire que les enseignements de la commission Charbonneau sont bien intégrés au sein du gouvernement et font partie de nos discussions et de nos préoccupations. Il n'est pas question d'enfreindre les règles de la Loi sur les contrats publics. L'AMP est là, les organismes de surveillance sont là. On pourra naturellement, au cours de la commission parlementaire... mon collègue pourra bonifier les règles. Il y a des préoccupations qui ont été soulevées par l'opposition. On a l'ouverture totale.

L'objectif de tout ça est de faire en sorte de procéder à la relance économique du Québec. Et moi, je peux dire une différence qu'il y a... il y a une très grande différence entre prendre le temps de faire les choses et de prendre son temps. Ici, ce qu'on veut, c'est de s'assurer que les projets restreints... parce qu'il faut comprendre que le projet de loi n° 61 est un projet restreint, spécifique, qui demande l'accélération de règles spécifiques pour des projets spécifiques. Alors, tout ça est très bien circonscrit, mais on pourra en débattre, mais la préoccupation est là, puis je suis très confortable qu'on va arriver à quelque chose qui va rassurer tout le monde.

Le Modérateur : Mais convenez-vous que certains des garde-fous qui ont été mis en place suite au dépôt du rapport de la commission Charbonneau seront mis de côté pour faciliter, accélérer le déploiement de certains projets d'infrastructures, notamment?

Mme LeBel : Non. On n'a pas mis de côté les garde-fous. On veut accélérer, à l'intérieur de ces garde-fous-là, la procédure administrative pour faire en sorte qu'on puisse travailler le plus rapidement possible à la relance économique. Alors, je le répète, les objectifs sont de garder ces garde-fous-là en place, mais je pense qu'à l'intérieur de ça, on peut trouver des aménagements qui nous permettent de procéder avec beaucoup plus d'agilité, plus de souplesse et avec célérité.

Le Modérateur : Très bien. Donc, pour résumer, êtes-vous totalement à l'aise avec le projet de loi n° 61?

Mme LeBel : Je suis totalement à l'aise avec les objectifs du projet de loi n° 61, effectivement, et je suis totalement à l'aise du fait qu'on va pouvoir le bonifier, si c'est nécessaire.

Le Modérateur : Avec le fond du projet de loi n° 61, de la façon dont il est rédigé?

Mme LeBel : Bien là, je n'irai pas commenter avec tous les articles de loi parce que vous le savez pertinemment que ça va devenir une opinion juridique, mais je peux vous dire que je suis «on board» avec mon collègue et je partage les objectifs poursuivis. Puis je suis confiante qu'on va arriver à le bonifier pour que ça soit à la satisfaction... et rassurer tout le monde que les objectifs ne sont pas de contourner les lois, mais les objectifs sont de faire en sorte de relancer l'économie du Québec.

Le Modérateur : Merci. Les questions en anglais. Cathy Senay, CBC News.

Mme Senay (Cathy) : For the prescription period, we get rid of the 30 years. So, basically, like, a victim of sexual assault will have the time to denounce, to report the crime. I guess, in the past, she had to justify why she waited. Is it something that was basically holding this person back to say : Yes, I'll go for it and I'll explain what happened, because she had to justify always why she waited that long?

Mme LeBel : Well, I don't want to correct you, but it's not entirely the way... At the beginning, she had three years. Three years was not a lengthy enough period of time for her or him, for that person to have the time to go through the process necessary to get to the fact that maybe she was a victim of something. But sometimes it's hard for them just to accept the fact that they were victimized. And, just to take knowledge of this fact, to assimilate the fact that they were victimized, sometimes this is a lengthy process, something that needs time.

What they had to do in the 30 year period was to... There was two moments that could start the clock, if I would say, because it's a countdown. The prescription period is a countdown. So, from the moment of the act, 30 years was... So you had, like, 29, 28, 27 from the moment the act occurred. The way... And, for that, in this first 30 years, if I can put it like that, she didn't have to prove anything. She just had to act within 30 years.

If she wanted... If it would've been 40 years or 35 years, then she had to explain why... We couldn't start the countdown from the moment of the act, but from another moment in time, which is the realization that she was... not that she was victim of something, but that she had some «préjudices», well, effects, I would say. This is not the proper term, but you know what I mean, not the fact that the act occurred, but the fact that this had damages for her, damages because we're talking about a civil suit, so she has to establish damages. So you have to understand, the first 30 years, she did not have to do anything except file... file the motion, file the action. If she would have done it, like, 35 years after the act, now she has to explain these five years, and it had to be 30 years after the point that she realized that, from that action, she had some damages.

Mme Senay (Cathy) : ...there is no more countdown, what difference does that make for victims, do you think, today or when the bill will become a law?

Mme LeBel : Now that there is no more countdown, she can do it after 45 years without explaining anything just to file. Now she has to establish the case, this is something else. But the mere fact of filing and getting the action into motion, now she could do it after 50 years, she could do it after 60 years, she could do it... There is no countdown anymore.

Mme Senay (Cathy) : So it gives the opportunity for maybe an older person that receives some flashbacks of something to do it. Do you have the impression that, in some cases, not only it's going to give a lawsuit but it can give, like, a criminal trial, a proper trial?

Mme LeBel : Well, not necessarily. Maybe I'm not getting your question right but I'm going to answer that way, maybe... Those are not tied because you have to... everybody has to understand that there was no such countdown on criminal proceedings. There was no prescription on criminal proceedings. She could have been, like, 45 years after the fact, this is not an issue. The issue of establishing the case could be, by the passage of time, more difficult to establish the case, but this is not the same issue as being forbidden to file a case because of the delay. So this is not an issue. So we are just opening another way for those victims to seek... repair?

Mme Senay (Cathy) : Reparation?

Mme LeBel : Reparation, thank you.

Mme Senay (Cathy) : On Bill 61, you went through the Charbonneau Commission, and...

Mme LeBel : Yes, some days.

Mme Senay (Cathy) : Yes, but, I mean, we hear so many critics from the Opposition parties but also from the environmentalists for other reasons, but, I mean, fast tracking public contracts in a period of, you know, such a pain and in an economic crisis, I guess, don't you have some red flags?

Mme LeBel : OK. All the red flags that could be there are there within the Government. OK? We are very aware of the fact that we have to be very careful not to create a situation where we should be vulnerable like we saw in the commission Charbonneau, OK? But the fact... This is not the fast track in itself that could create the situation. Just the fact, the mere fact of the «pandémie» that we are living right now and the fact that we want to reinvest massively in the infrastructures to restart the economy, that fact itself... And it has nothing to do with Bill 61, and that's what the VG was saying and that's what Mr. Gallant was saying, that fact itself has... We have to make sure to be supervigilant because this will create a «surchauffe», une surchauffe du métier de la construction, and this could be something that we...

But this is not the fact of the Bill 61 because we're not... L'AMP va être là, l'UPAC est là. All the rules are there. It's within this frame that we want to do it a little faster, not... That's what I was saying earlier. This is all the difference in the world between taking the time to do things... So we will take time to do those projects properly, make sure that the rules are followed, and that we're not vulnerable, but taking all... taking too much time, all our time... We have an emergency right here. And, when they say that they've never seen such a project, I hope so because we've never had a pandemic of that magnitude here. So this is something that we have to be... We all have to work together to find new ways.

Le Modérateur : J'ai reçu aussi des questions de Raquel Fletcher, de Global News, justement sur le projet de loi n° 61. Elle pose la question différemment de Cathy. On Bill 61, do you see any concerns? The oppositions say this bill will send us back to another Charbonneau Commission.

Mme LeBel : No, I don't... This is not where we're aiming and this is not where we're going to go. They are waving a lot of red flags and they are allowed to wave those red flags, but everybody has to understand that we are aware of that within the Government and we are working within those parameters. So we're not aiming towards that. We're aiming towards the fact that we need to find a way for Quebeckers to have a better economy as fast as possible and we need to find a way to get through that. Those are the goals of the Bill 61.

Le Modérateur : Sur le projet de loi n° 55. Other parties applauded you this morning when you tabled this bill. Will this bill be... to pass before June 12th? There seems to be a consensus. Why not make it a priority?

Mme LeBel : This is a priority in the fact that we are working together, in fact, with the Oppositions to find ways to do it as fast as possible. I made myself available to do it next week, if we can make so. So everybody agrees that this should be as fast as possible and adopted as fast as possible for the victims to be able to... not enjoy, but to be able to have access to these rights.

Le Modérateur : Merci. Y a-t-il d'autres questions en français ou en anglais? Rapidement. Oui, Patrick.

M. Bellerose (Patrick) : Une petite question de suivi à ce que vous avez dit à Cathy Senay. Vous dites, oui, il risque d'y avoir une situation de surchauffe dans l'industrie de la construction. Qu'est-ce qui nous garantit... quels sont les garde-fous qu'on garde en place pour éviter la collusion, la corruption, pour éviter de revenir dans la période pré-Charbonneau?

Mme LeBel : Donc, si je ne m'abuse, parce que, là, je veux quand même être prudente, je n'ai pas lu et je n'ai pas... avec beaucoup de détails ce que la VG avait dit ce matin, mais, à ma connaissance, ce qu'elle a parlé, c'est de surchauffe et de hausse des prix. Elle n'a pas parlé d'intégrité du marché.

Mais il faut comprendre que ce n'est pas le projet de loi n° 61 qui crée cette surchauffe-là, là. On est nécessairement dans une relance économique. On a mis le Québec sur pause pendant plus de deux mois. On repart l'économie. À travers le Canada, on parle de miser sur les infrastructures, en Ontario également, on parle de miser sur les infrastructures. Puis c'est normal, les infrastructures sont une belle façon de faire une relance économique, de faire travailler nos gens. Donc, on parle de miser sur l'infrastructure.

Donc nécessairement, puis on l'a vu, ça, dans le cadre de la commission Charbonneau, aussi aux États-Unis, à certains moments, quand il y a eu de la relance... il y a eu des constructions d'écoles parce que les écoles étaient désuètes. Donc, l'idée est de faire... On le sait, ça, on en est conscients, mais ce n'est pas le projet de loi n° 61 qui vient créer ça, puis il faut le comprendre. Le contexte actuel est propice, et je ne dirais pas que c'est automatique, mais est propice à une surchauffe. Donc, il faut continuer à être vigilants. L'AMP est là. La VG est là.

D'ailleurs, on a été d'accord, ce matin, à ce que la Vérificatrice générale participe aux consultations, et c'est une excellente chose. On n'est pas du tout réfractaires à ça. L'objectif n'est pas de revenir en arrière et de créer un contexte où on va avoir de la collusion, de la corruption. L'objectif est de relancer l'économie du Québec. Et, il faut le répéter, c'est un projet de loi spécifique qui accélère des règles spécifiques sur des projets spécifiques. Donc, même les projets sont identifiés, ce qui peut permettre d'avoir une meilleure surveillance de ces projets-là, justement, et d'avoir un focus sur... Ce n'est pas partout dans le marché, là, c'est des projets spécifiques, et je pense que c'est ça qu'il faut bien comprendre. Mais on en est conscients et on travaille à l'intérieur de ces paramètres-là.

M. Bellerose (Patrick) : ...terreau quand même assez fertile pour de la corruption, collusion. Il faudrait être particulièrement vigilants, disons, dans ces projets-là?

Mme LeBel : Bien, on est vigilants. On est vigilants, mais, il faut le comprendre, bien, on ne peut pas se passer de cette relance économique là, donc il faut le faire avec ces paramètres-là. Ce qui est important, c'est d'en être conscients et ne pas avancer avec des œillères en pensant que tout est beau. On le sait, mais il faut trouver une solution.

Et comme je le disais tantôt, les oppositions disent : Mais on n'a jamais vu un tel projet de loi. Mais je m'excuse, mais on n'a jamais vu une telle pandémie.

Donc, à un moment donné, il faut trouver, dans une nouvelle réalité, des nouvelles façons de faire, ce qui ne veut pas dire de mettre les règles de côté puis les principes de base, c'est-à-dire qu'il faut être à l'abri de la corruption puis de la collusion. Merci.

Le Modérateur : Merci, Mme la ministre. Bonne journée à tous.

Mme LeBel : Merci. Bonne journée.

(Fin à 11 h 48)

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