(Neuf heures vingt-deux minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour.
Très content d'être à l'Assemblée nationale ce matin alors que commence une commission
parlementaire importante. Elle est importante, et donc c'est dommage, c'est
très dommage qu'elle se tienne au milieu de l'été.
Je veux vous rappeler que le 28 mai
dernier Québec solidaire avait déposé une motion à l'Assemblée nationale pour
demander que se tienne une commission parlementaire sur les applications de
traçage et que cette commission se tienne avant la fin de la dernière session parlementaire.
Cette motion a été battue par le gouvernement de la Coalition avenir Québec, et
c'est pour ça qu'on se retrouve aujourd'hui, plusieurs mois plus tard, à tenir
ce débat important au milieu de l'été.
Bien sûr, c'est mieux de le faire au
milieu de l'été que de ne pas le faire du tout. Bien sûr, on est contents, au
fond, que le gouvernement se soit ravisé puis se soit rallié à la position de Québec
solidaire. Mais on aurait dû faire ça à un autre moment. On est au milieu du
mois d'août, il y a encore des centaines de milliers de Québécois et de
Québécoises qui sont en vacances, ce n'est pas le meilleur moment pour tenir ce
débat-là, et je m'en voudrais de ne pas le mentionner d'entrée de jeu.
Bien sûr, on va participer à la commission
de manière constructive parce qu'on a énormément de questions pour les experts
qui vont témoigner dans les prochains jours. C'est un dossier sensible, c'est
un dossier complexe, il y a des enjeux éthiques importants, des enjeux de
sécurité, des enjeux de santé publique, et on souhaite aller au fond de ces
enjeux dans les prochains jours.
Québec solidaire sera toujours en faveur
des moyens qui sont efficaces pour lutter contre la pandémie de COVID-19, et
c'est la question à laquelle on va chercher une réponse cette semaine :
Est-ce que ces applications-là sont efficaces ou non pour lutter contre la
COVID-19?
Notre position n'est pas arrêtée encore,
mais je ne vous cacherai pas qu'on regarde attentivement ce qui se passe à
l'extérieur du Québec, notamment au niveau canadien, mais aussi dans d'autres
pays dans le monde. Et, jusqu'à maintenant, ce qu'on constate un peu partout
dans le monde, dans les endroits où ces applications-là ont été recommandées,
c'est qu'elles sont très peu téléchargées par la population et que, par conséquent,
leur efficacité pour la santé publique est extrêmement limitée, alors que les
risques pour la vie privée, eux, sont bien réels.
Alors, ce n'est pas un équilibre facile à
trouver, mais on se présente à cette commission-là plein de bonne foi pour
tenter de trouver cet équilibre-là justement. Merci.
Mme Prince (Véronique) :
Bonjour. Véronique Prince, Radio-Canada. Vous ne le voyez pas quand même comme
un outil supplémentaire dans la mesure où déjà les gens, avec Google, la
plupart du monde ont déjà activé leurs données de géolocalisation, tu sais,
volontairement? Les gens, déjà, on est capable de savoir où ils se trouvent et
où ils se déplacent. Est-ce que d'ajouter ça en plus, ce n'est pas un outil
supplémentaire pour la santé publique? Et le risque, de toute façon, est déjà
là avec le reste.
M. Nadeau-Dubois : Une
application de traçage, ça peut être un outil. Encore faut-il que l'outil
fonctionne. Sinon, c'est juste un risque inutile. Et il faut se baser sur ce
qui se fait ailleurs dans le monde. Ailleurs dans le monde, où ces
applications-là ont été mises en place, elles ne sont pas efficaces. C'est le
bilan qu'on peut tirer à ce stade-ci. Et c'est des questions que je vais poser
aujourd'hui, demain et vendredi : Qu'est-ce qui nous garantit qu'au Québec
ce sera différent? Parce que, pour qu'un outil soit utile, il faut qu'il
fonctionne. Sinon, il est inutile.
Je veux quand même répondre aussi à la deuxième
partie de votre question parce que c'est superpertinent. Le fait de faire une
erreur une fois comme société, en laissant des technologies se répandre alors
qu'on n'est pas pleinement conscient des risques qui y sont associés, ce n'est
pas une raison pour faire la même erreur encore et encore par la suite.
Je pense que tout le monde au Québec… en
fait, pas au Québec, je pense qu'il y a un consensus qui s'installe à travers
le monde à l'effet que les grandes entreprises de technologie se sont infiltrées
dans notre vie privée, et on est plusieurs à réaliser qu'on ne s'en est pas
rendu compte. Alors, maintenant qu'on fait ce constat-là, ça veut dire qu'il
faut plus que jamais avoir une attitude prudente, une attitude critique quand,
encore une fois, on nous arrive en nous promettant des solutions technologiques
miracles.
Mme Prince (Véronique) :
Mais, je vais juste me faire l'avocate du diable, là. On a déjà des alertes sur
nos téléphones pour des orages violents ou des tornades, c'est la Sécurité publique
qui a mis en place ces alertes-là. Donc, le gouvernement sait déjà dans quels
secteurs on se trouve parce que c'est des secteurs ciblés où on reçoit
l'alerte. Alors, en quoi c'est différent de recevoir une alerte supplémentaire
pour nous dire : Bien, vous êtes dans un secteur où il y a eu de la
COVID-19 puis qu'il y a des gens autour de vous qui l'ont eue?
M. Nadeau-Dubois : C'est
une bonne question, puis la réponse pourrait faire 15 minutes parce qu'il
y a beaucoup de différences. Bon, d'abord, il est question de notifications,
ici, pas sur ce qui tombe du ciel, mais sur ce qui se passe à l'intérieur de
notre corps, sur notre état de santé. Je pense que ce n'est pas la même chose.
D'autre part, il y a toutes sortes
d'effets collatéraux potentiels à une application comme celle-là. Je pense, par
exemple, et c'est mentionné par plusieurs experts en éthique, au risque de
discrimination. Comment est-ce qu'on fait pour que le fait d'être testé positif
et de recevoir une notification par cette application-là ne soit pas utilisé
pour, par exemple, filtrer l'entrée de certaines personnes dans certains
bâtiments? Et là, ça, je ne raconte pas une histoire d'horreur, c'est arrivé
dans certains pays, où une application comme celle-là a été utilisée, il
fallait scanner son téléphone avant d'entrer dans un immeuble, et, si on avait
reçu un diagnostic, on ne pouvait pas rentrer.
Donc, ça, ce n'est pas des risques qui
sont présents quand on parle d'une application pour nous dire s'il va pleuvoir
ou neiger. Donc, il y a des risques spécifiques associés à ces applications-là
spécifiquement.
Il y a aussi le risque de faux positif,
hein? La technologie Bluetooth, ce n'est pas la technologie parfaite. Mon
téléphone, là, il ne peut pas savoir si, en ce moment, il y a un Plexiglas
entre moi et mon attaché de presse, et pourtant on va passer 15 minutes
assez près l'un de l'autre. Bluetooth, il ne le sait pas si on est séparés par
un Plexiglas, il ne le sait pas, Bluetooth, non plus si on porte un masque ou
non. Alors, comment on fait pour éviter que cette application-là génère des
faux positifs puis génère un faux sentiment de sécurité auprès de la
population?
C'est des questions qui peuvent avoir
l'air banales, mais qui sont absolument essentielles, parce que, si la
technologie n'est pas à point, on va se sentir en sécurité parce qu'on a
l'application sur notre téléphone, mais on ne sera pas en sécurité pour vrai,
et ça, ça peut être dangereux quand on veut gérer une pandémie.
Le Modérateur
: Nicolas
Lachance, Journal de Québec.
M. Lachance (Nicolas) : Si le
gouvernement accepte qu'on utilise une application de traçage dans le cadre
d'une crise sanitaire, est-ce que vous ne craignez pas que ça pourrait mener à
des dérapages, après, dans d'autres sphères de la société, par exemple, avec la
Sûreté du Québec?
M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est
un risque qui existe. C'est-à-dire que, sans tomber dans le sophisme de la
pente glissante, là, c'est quand même, quand on pense aux nouvelles
technologies, un phénomène qui existe. C'est-à-dire que c'est arrivé par le
passé que, dans des circonstances exceptionnelles, on accepte l'utilisation
d'une certaine technologie, et, lorsque la situation exceptionnelle disparaît,
la technologie, elle, demeure. Et là, oui, il y a un risque qu'à cause de la
pandémie on expose davantage notre vie privée et que, lorsque la pandémie se
termine, parce qu'elle va quand même se terminer un jour, bien, que ces brèches
dans la vie privée, là, elles restent entières. Alors, oui, c'est un risque qui
existe. Il faut être vigilant. Ça va faire partie des questions qu'on va poser.
M. Bossé (Olivier) : Est-ce
que vous estimez que les différentes compagnies qui mettent en place cette application-là
profitent de la pandémie pour…
M. Nadeau-Dubois : Ah! c'est
un des risques. C'est un des risques. Il ne fait aucun doute... Comment dire?
Le modèle d'affaires des Google et Apple de ce monde, c'est de capitaliser sur
l'utilisation des données personnelles. C'est leur modèle d'affaires. C'est
comme ça que ces compagnies-là font de l'argent. Et ils en font de plus en plus
en récoltant de plus en plus de données sur la vie des gens. Alors, il ne fait
aucun doute que, dans l'esprit de ces entreprises-là, il y a une occasion avec
la pandémie. La pandémie représente une occasion de s'infiltrer davantage dans
la vie privée des gens pour par la suite, oui, développer d'autres produits,
d'autres applications pour faire encore plus de profits. Ce risque-là, il
existe. Et c'est pour ça que c'est important d'avoir un débat public comme
celui qu'on a, dans les prochains jours, sur ces applications-là.
D'ailleurs, dans l'État de New York, il y
a un chantier qui a été lancé, un partenariat entre une grande entreprise de
technologie et le gouvernement pour voir comment, à partir de la situation de
la pandémie, on ne pouvait pas commencer à développer de plus en plus
d'intégration entre les technologies et la vie des gens. Donc, ce n'est pas de
la théorie du complot, il ne s'agit pas de crier au loup ici. Il faut juste
être conscients que les entreprises qui nous proposent ces bébelles
technologiques là, elles ont un agenda économique et elles veulent faire de
l'argent.
Nous, comme députés, on a un agenda, mais
il est différent. Nous, notre agenda, c'est la santé publique. Il faut faire
l'équilibre entre ces choses-là puis s'assurer qu'au nom de la santé publique
on ne tombe pas dans certains pièges.
M. Bossé (Olivier) : Si
c'était disponible demain, Gabrielle Nadeau-Dubois téléchargerait
l'application?
M. Nadeau-Dubois : Si, ce
matin, il y avait une application, je ne la téléchargerais pas, non. On verra,
à la fin de la semaine, quelle sera ma réponse.
La Modératrice
: Est-ce
qu'il y a d'autres questions en français? On va passer en anglais.
Mme Senay
(Cathy) : Good morning. There's already COVID
Alert<V, the federal application, that it's on. For example, Ontario is on
board. So, the train has left the station. Why we should wait, in Québec, to
use this application that notifies you if you've been in contact with a person
who tested positive?
M.
Nadeau-Dubois : Well, last time I heard, health care was a competency
of the Québec Government. I think the Québec Parliament has the authority to
decide if we want or not to use such an application. It's a problem that the
federal Government authorized such an app so quickly and without any debate.
And I'm proud that Québec legislators are taking the time to think about it and
debate about it, because it is not… You know, it is something important, it is
a significant choice that we have to make. And urgency, in a time of crisis, is
not always the best momentum to take such risks.
Mme Senay
(Cathy) : ...there is no address, location,
name... your health information. So what are the risks, then?
M.
Nadeau-Dubois : Well, first of all, that is
one of the issues of the debate: Which type of application should we talk
about? Some of them do not collect personal information, some of them do. And in
France, for example, the app that was announced was supposedly not collecting
any personal data, but experts have analyzed its code and found that there was
a backdoor, in the code of that app, that had the consequence that the app was,
in fact, collecting some personal data.
So, it's not black and
white. Some apps have been pushed outside of Canada as something that would
perfectly protect the privacy of the people, and sometimes it was not the case.
So, we have to thread carefully, we have to ask questions and have a real
public debate. Because I think it is a good reflex to be doubtful when
technological solutions are put forward as a miracle solution to a problem that
is not a technological problem. It's a health care problem, it's a social
problem, and I think social solutions should be put forward before
technological solutions.
Mme Fletcher
(Raquel) :...contact
tracing software? For instance, you're going to a restaurant, and the
restaurant asks you to record your personal information in order to eat there.
We've seen this already at construction sites, and there doesn't seem to be
really, like, clear guidelines or a framework of what is acceptable, what's
allowed, what isn't.
M.
Nadeau-Dubois : Well, that's one of the
problems. Our laws have been written in another era. Our privacy laws have been
written in an era where those apps didn't exist. And I want to remember
everyone that last May the president of the Commission
d'accès à l'information of Québec said on the record that our laws were not adapted to such
applications. So it's not because in the past we've accepted such privacy
breaches that we have to continue to do it. No. Making two mistakes, no.
There's a good saying in English for that, you know: Two wrongs don't make a
right.
Mme Fletcher
(Raquel) : Can we ask
you on the OQLF report about English and the…
M.
Nadeau-Dubois : Well, it is a disturbing news and it is unacceptable
that so much businesses are asking for people to speak English in order to have
a job. And the Government has to respond, the Government has to remind those
businesses of their duties. And I think that the businesses themselves also
have to realize that, when they are asking for such things, actually, they are
keeping themselves from getting employees that have talent, that want to
contribute to their business, but that are Francophones, whether they were born
here or are from recent immigration. So, you know, French as the common
language in the workplace is not an obstacle for businesses. It is a way to
have all Quebeckers have access to as much jobs as possible.
M. Authier (Philip)
:
Yesterday, Premier Legault was asked about the inquest into the CHSLDs again,
and he seemed a bit fuzzy that... he said it might only happen after a second
pandemic, if there is a second wave. What's your position on that? What is
required? What is the minimum that you think should be done to follow up what
happened in the CHSLDs?
M.
Nadeau-Dubois : Honestly, I don't understand why that issue has not
progressed more during the summer. I have the feeling that we're exactly at the
same place that we were two months ago. I think it is possible to begin a
process of inquiry even if the pandemic is not over. Because, you know, we
don't know when the pandemic will end, maybe in six months, maybe in a year, so
we can't push forward that inquiry because the virus is still there. The virus
is here for some time. So I think it is possible to begin a process of inquiry
even if the pandemic is not over. In fact, the Protectrice
du citoyen is doing exactly that. She's doing an inquiry on CHSLDs and she will
begin her work even if the pandemic is still on.
M. Authier (Philip)
: What would be your minimum requirement for the
inquiry? Like, does it have to be hearings? Does it have to be public? What is
the minimum basic you would accept?
M.
Nadeau-Dubois : Well, it has to be a transparent process. It has to be
a public process. It has to go in depth on the structural problems that are
responsible for the catastrophe that we lived in Québec a few months ago. But,
yes, it is important to have this inquiry.
But I want to emphasize
the fact that what we need even more than an inquiry is a realization that
public services have to be massively refunded in Québec. It's good to ask
questions, but we already have some answers. Austerity is a bad collective
choice. Austerity has fragilized our health care system. Austerity must end.
Mme Senay
(Cathy) :...detail
about this. I remember Premier Legault saying about Ontario putting in place a
public inquiry... and saying: We'll be faster than them because we want to put
in place a scientific inquiry. Is it confusing that, in the middle of August,
they have no idea where we're going with this?
M.
Nadeau-Dubois : It is confusing that the
answers today are less clear than they were two months ago. The Government's answer should be clearer now
than two months ago. So, I don't understand why we're still at the same spot.
This should have progressed more quickly. And we need answers soon. And we can
begin that work even if the virus is still among us.
Le Modérateur
:Merci beaucoup...
M.
Nadeau-Dubois : Merci.
(Fin à 9 h 41)