(Onze heures cinq minutes)
Mme Rinfret (Marie) : Bonjour
à tous et à toutes. Merci de vous joindre à moi pour la présentation du rapport
annuel d'activité 2019‑2020 du Protecteur du citoyen.
Comme on vous l'a dit, je suis accompagnée
de Me Hélène Vallières, vice-protectrice aux affaires institutionnelles et
prévention, qui est dans la salle aujourd'hui pour nous assurer de respecter
les règles de distanciation sociale. M'accompagne, donc, à ma droite,
M. Claude Dussault, vice-protecteur aux services aux citoyens et aux
usagers.
En tout premier lieu, permettez-moi de
souligner l'apport efficace et généreux de mon personnel aux résultats que je
vous présente aujourd'hui. Je continue de constater, après déjà trois ans en
fonction, que je suis entourée d'une solide équipe, consciente de porter plus
loin les valeurs de notre institution que sont la justice, l'équité,
l'impartialité, le respect et la transparence. Je tiens à les remercier très
sincèrement.
La période couverte par ce rapport se
termine le 31 mars 2020. On se souviendra qu'à cette date nous étions aux
prises avec la crise sanitaire due à la COVID-19 depuis presque trois semaines.
Dans ce contexte inédit, j'ai pu compter sur l'agilité et l'ingéniosité de mon
personnel pour réinventer nos façons de faire et nous y adapter en un temps
record. Un merci bien spécial à chacun et chacune pour ce virage mis en place
en mode accéléré et avec succès.
Avant d'aller plus loin, je tiens à dire
que nos enquêtes indépendantes nous amènent souvent à conclure que les services
publics québécois répondent aux besoins de leurs clientèles, et, quand ce n'est
pas le cas et que nous recommandons des correctifs, nous pouvons généralement
compter sur la collaboration de nos interlocuteurs et interlocutrices à
l'intérieur des organisations. Cela démontre, selon moi, une volonté, tant chez
les autorités que parmi le personnel, d'offrir des services tournés vers les personnes
qui en sont la raison d'être, mais on doit faire mieux.
Venons-en aux constats pour l'année 2019‑2020.
Le Protecteur du citoyen, il est important de le rappeler, a compétence sur
tous les ministères et la grande majorité des organismes du gouvernement du
Québec. À cela s'ajoutent les établissements de détention et le réseau de la
santé et des services sociaux. En matière d'intégrité publique, notre mandat
est encore plus large et s'étend, par exemple, aux entreprises du gouvernement,
aux services de garde subventionnés et au réseau de l'enseignement public.
C'est donc dire que les lacunes que révèlent nos enquêtes sont d'une grande
diversité, et les causes sous-jacentes également.
Toutefois, plusieurs manquements ont ceci
en commun : ils résultent de problèmes connus depuis longtemps et qui
stagnent en dépit des engagements des autorités à analyser les faits et, le cas
échéant, à y apporter des solutions. J'aimerais qu'on retienne de ce rapport
annuel d'activité que le passage à l'action est trop souvent reporté quand il
s'agit d'améliorer les services publics, voire de leur accessibilité.
Entendons-nous bien, qu'il s'agisse de
réforme ou de correctifs dans les programmes publics, les décisions des
autorités doivent reposer sur des analyses fouillées, mais qu'en est-il des
conclusions rigoureuses de comités internes, de groupes d'experts, de tables
interministérielles ou même de commissions d'enquête qui tardent à livrer leurs
résultats pendant des mois, voire des années? Certains ne mènent jamais aux
avancées nécessaires. Dans l'intervalle, des personnes, parfois parmi les plus
démunies, subissent les conséquences des délais ou, pire encore, de l'abandon
du projet. Or, en pareil cas, les lacunes ont été décelées, décrites,
dénoncées. Les solutions sont identifiées, approuvées, planifiées. Les
autorités en sont au stade de passer à l'action. Et puis le temps passe, rien
ne bouge. Je vous donne des exemples.
Le monde scolaire québécois s'est doté
d'un mécanisme de traitement des plaintes. Sa procédure est lourde, elle
comporte trop d'étapes et elle n'est pas assez transparente. En 2017, j'ai publié
un rapport spécial à ce sujet. Par la suite, le ministère a fait savoir que des
travaux étaient en cours pour déposer, au plus tard en décembre 2019, un
projet de loi qui faciliterait le traitement des plaintes et préciserait le
cadre juridique de l'institution du protecteur de l'élève au Québec. À ce jour,
aucun projet de loi n'a été présenté. Pourtant, bien des améliorations auraient
pu être apportées au mécanisme de traitement des plaintes par la voie
administrative, tout simplement.
Autre secteur. En 2018, après avoir
suspendu temporairement la réception des demandes de parrainage de personnes
réfugiées, le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de
l'Intégration a annoncé qu'il les recevrait de nouveau par messagerie le
17 septembre 2018. Or, étant donné l'affluence et le manque de
planification, l'opération a donné lieu à une désorganisation totale de la file
d'attente. Ce cafouillage a compromis, pour plusieurs personnes qui avaient
attendu leur tour, la possibilité d'acheminer leur demande. Le Protecteur du
citoyen a alors recommandé au ministère de modifier ses façons de faire.
18 mois plus tard, soit le 20 janvier 2020, fort d'une expérience qui
avait pourtant connu des ratés importants, le ministère n'a rien changé dans ses
façons de faire. Sans grande surprise, des débordements similaires ont eu lieu.
Dans les établissements de détention, la
responsabilité des soins de santé et des services sociaux est passée du
ministère de la Sécurité publique au ministère de la Santé et des Services
sociaux presque partout au Québec. C'était une de nos recommandations en 2011.
Depuis lors, là où le transfert est effectué, on constate que les soins sont
mieux donnés. Toutefois, le gouvernement tarde toujours à instaurer ce
transfert dans deux établissements. Ce sont les établissements de Québec et de
Montréal — Bordeaux — qui à eux seuls regroupent 40 %
de la population carcérale. Quand compte-t-on agir concrètement dans ces deux
endroits?
Des enfants d'âge scolaire qui ont des
problèmes de langage reçoivent des services spécialisés du ministère de la
Santé et des Services sociaux jusqu'au jour où ils entrent à l'école. À compter
de ce moment-là, le réseau de l'éducation est supposé prendre le relais, mais
cela ne se fait pas vraiment parce que les services perdent alors beaucoup de
leur intensité ou prennent fin, faute de ressources. En cours d'année, le
ministère de la Santé et des Services sociaux a accepté d'analyser la
situation. Depuis lors, aucun progrès.
L'accès à un médecin de famille est une
autre problématique qui n'est toujours pas réglée. Des personnes s'inquiètent
de rester sur des listes d'attente pendant plus d'un an, parfois deux. Ce sont
là quelques exemples parmi d'autres.
À l'opposé, si on veut parler d'un passage
à l'action, je salue l'adoption du projet de loi n° 55
le 12 juin dernier. Cette loi abolit tout délai de prescription pour intenter
des poursuites civiles pour des cas d'agression sexuelle, de violence durant
l'enfance et de violence conjugale. Le Protecteur du citoyen avait recommandé
qu'il n'y ait plus de délai de prescription, principalement parce que les
victimes de violence peuvent mettre beaucoup de temps avant de réaliser les
séquelles qu'elles en gardent physiquement et psychologiquement. Le fait d'être
passé aux actes signifie que, grâce à cette nouvelle loi, des victimes de
violence autrefois contrecarrées dans leurs démarches en raison du passage du
temps pourront obtenir justice.
Je veux revenir brièvement sur des
événements qui continuent de nous affecter toutes et tous, soit la crise de la
COVID-19.
Comme je vous le disais il y a quelques
instants, le présent rapport annuel en couvre les débuts, au mois de mars
dernier. Entre autres drames, le coronavirus s'est particulièrement propagé
dans les milieux de vie collectifs pour les personnes âgées, surtout les CHSLD
de la région montréalaise. On a alors pointé du doigt la pénurie de personnel,
l'épuisement des effectifs, le manque d'intervenants qualifiés et la vétusté
des lieux. Ces problèmes se sont manifestés plus durement qu'à l'habitude, mais
ils existaient auparavant et avaient souvent été rapportés au cours des
décennies précédentes.
Pour notre part, au terme d'enquêtes sur
le terrain, nous avons publié plusieurs rapports au sujet des atteintes à la
dignité des résidentes et des résidents en perte d'autonomie qui vivent dans
ces ressources. Force est donc d'admettre, pour les hautes autorités
gouvernementales et pour le réseau de la santé et des services sociaux, que
l'alarme avait été donnée à de nombreuses reprises. Malheureusement, les
solutions à apporter pour fournir aux personnes aînées un milieu de vie et de
soins répondant à leurs besoins avaient été remises à plus tard. Si nous étions
passés à l'action, dès le moment où les constats étaient connus, les milieux
d'hébergement auraient pu être solidifiés de manière graduelle et continue au
fil des dernières années.
Je résume. Après les analyses et les
constats, il faut convenir, à un certain moment, que tout a été dit, les
préjudices sont connus, tout est en place pour passer à l'action. Alors, comme administration
responsable, il faut passer des intentions aux actes.
Pour terminer, je ne saurais formuler de
telles attentes sans tenter d'en faire au Protecteur du citoyen une ligne de
conduite. Le rapport annuel d'activités et le rapport annuel de gestion que je
dépose aujourd'hui sont, je le souhaite, le reflet de nos efforts en ce sens.
Je vous remercie de votre attention.
Le Modérateur
: Merci
beaucoup. On va passer aux questions. Première question, Charles Lecavalier, Journal
de Québec.
M. Lecavalier (Charles) :
Oui, bonjour. Quand vous avez vu justement en mars la situation dans les CHSLD
et le fait que c'est des trucs qui sont dénoncés depuis, vous dites, des
décennies, puis dans vos rapports, à chaque année, on y revient, est-ce que ça
vous a mis en colère? Qu'est-ce que ça a provoqué chez vous?
Mme Rinfret (Marie) : Bien,
écoutez, au moment où la crise sanitaire a commencé, des gestes ont été posés.
Et, à ce moment-là, je vous dirais, quand on n'est pas pompier puis que ce dont
on a besoin, ce sont des pompiers, on se garde une petite gêne pour réagir.
Toutefois, c'est la raison pour laquelle, en mai dernier, j'ai annoncé qu'une
enquête spéciale portant sur la gestion de la crise du COVID-19 dans les CHSLD
serait tenue.
M. Lecavalier (Charles) :
Mais je comprends, là, je lis dans votre déclaration que, quand on a besoin de
pompiers puis qu'on n'est pas pompier, on se garde une petite gêne, mais il
reste quand même que les problèmes que vous soulevez, là, le manque, la pénurie
de personnel, la vétusté des lieux, pour vous, ça a directement causé le feu
qui s'est propagé dans les CHSLD.
Mme Rinfret (Marie) : En
fait, c'est le virus, hein, qui a mis le feu, si on veut. Les
constats — puis, écoutez, l'enquête est en cours
actuellement — on vous les livrera au moment opportun, mais
certainement qu'à la lumière des constats que nous avions formulés on a vécu un
drame incommensurable dans les résidences où sont hébergées les personnes
âgées.
Le Modérateur
:
François Carabin, Journal Métro.
M. Carabin (François) :
Bonjour, Mme Rinfret.
Mme Rinfret (Marie) :
Bonjour.
M. Carabin (François) :
Depuis les conclusions de votre rapport, le gouvernement s'est engagé à ajouter
des milliers de préposés dans les CHSLD à travers la province. On parle de quelque
chose comme 7 000, actuellement, qui sont déjà sur le terrain, en théorie.
Est-ce que ça peut, à vos yeux, régler une partie du problème?
Mme Rinfret (Marie) :
Écoutez, le manque de personnel était un constat, un fait avéré. Alors, de
pouvoir compter sur davantage de personnel, je pense que, certainement, ça fait
partie de la solution pour offrir aux personnes hébergées dans ces milieux de
vie les soins et les services dont ils ont besoin, et qu'ils soient adaptés à
leurs besoins. Donc, en ce sens-là, c'est clair que c'est une amélioration.
M. Carabin (François) : Vous
le dites, ça fait des années que vous soulevez certains problèmes, notamment
dans le réseau de la santé. Quel rôle est-ce que la réforme majeure du réseau
de la santé de l'ex-gouvernement peut jouer dans ces problèmes-là qu'on
constate aujourd'hui?
Mme Rinfret (Marie) :
Écoutez, la pénurie de personnel, le manque… la difficulté d'organiser les
soins, la vétusté des lieux, tout ça, ça fait quand même plusieurs années. Je
vous dirais, présentement, nous sommes en enquête. C'est une enquête
indépendante. On agit très rigoureusement. Des appels à témoignages sont faits,
des appels à mémoires également. Ça va nous permettre d'avoir un portrait
global de la situation, des causes de cette situation, nous permettant de faire
des constats et des recommandations. Donc, je nous invite à attendre le
résultat de notre enquête.
Le Modérateur
: Louis
Lacroix, Cogeco.
M. Lacroix (Louis) : Bonjour,
Mme la protectrice. On sent une certaine impatience et une frustration dans...
Tu sais, moi, ça fait longtemps que je couvre les rapports que vous remettez,
etc., puis c'est la première fois que j'ai l'impression… que je sens cette
impatience-là face au manque de suivi de vos recommandations. C'est quoi, là,
les CHSLD, c'est la goutte qui a fait déborder le vase?
Mme Rinfret (Marie) : Je vous
dirais, en termes de dossiers qui peuvent passer à l'action, là, au-delà...
Écartons pour l'instant, là, le volet des CHSLD. Je vais vous en donner quelques-uns.
Les enfants nés au Québec de parents à
statut migratoire précaire qui n'ont pas accès à l'assurance maladie, alors
que, selon notre avis, la loi n'a pas à être modifiée pour permettre à ces
enfants d'obtenir une carte d'assurance maladie, donc d'avoir des soins.
Autre dossier, la notion de victime en
vertu de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. On nous
annonce une réforme. En 2016, ma prédécesseure a déposé un rapport qui
contenait 33 recommandations. Presque toutes ces recommandations-là, qui
avaient un volet administratif, ont été appliquées par l'organisme. Ce qui
reste, essentiellement, c'est de revoir... d'obtenir de la part du ministère de
la Justice, qui est responsable de cette loi-là, des orientations qui sont
conformes à la jurisprudence et de les transmettre à la Direction générale de
l'indemnisation des victimes d'actes criminels pour permettre aux personnes
d'obtenir les services publics auxquels elles ont droit en vertu de cette
loi-là. Actuellement, l'interprétation est toujours très rigide, non conforme
aux décisions de jurisprudence, ce qui force les personnes victimes de violence
à s'adresser en révision et ensuite devant le Tribunal administratif du Québec,
dossiers qui sont généralement réglés en conciliation, pour ensuite obtenir
l'indemnisation à laquelle elles ont droit. Pour moi, ces lourdeurs-là, ces
délais deviennent difficilement acceptables.
Un autre dossier qui m'importe, celui du
soutien à domicile, le programme de soutien à domicile qui fait partie de la
clé actuellement pour permettre aux personnes qui sont en lourde perte
d'autonomie ou les personnes qui ont des problèmes de santé mentale, aux
proches aidants également, de garder ces personnes-là dans leur domicile, donc
de leur permettre de ne pas se rendre à l'hôpital. Et ce qu'on constate dans
notre rapport, actuellement, c'est qu'il y a des établissements, pas juste un,
qui excluent de l'application de la politique les personnes, par exemple, qui
souffrent de problèmes de santé mentale parce que, selon l'évaluation qu'ils
font de l'application de la politique, seuls les ennuis de santé physique
doivent être évalués. D'autres personnes voient des services qui auparavant
leur étaient offerts exclus, contrairement au
jugement professionnel, donc clinique, de leur travailleur
social… des personnes en lourde perte d'autonomie, des proches aidants qui se
voient refuser des services également en vertu de cette politique-là.
Alors, on fait deux recommandations, dans
ce rapport-ci, au ministère de la Santé pour qu'il revoie, avec les établissements
de santé, les CISSS et les CIUSSS, les critères d'application… et faire en
sorte d'inclure et d'offrir des services, en vertu de la politique de soutien à
domicile, aux personnes qui y ont droit.
D'autres... Je vous parlais, dans mon
allocution, du ministère de l'Immigration et des demandes de parrainage
collectif pour les personnes réfugiées. Comment se fait-il qu'on reproduise une
même démarche en 2020 que celle qu'on avait faite en 2018, qui a conduit exactement
aux mêmes ratés, alors qu'on est intervenus auprès d'eux? Ils le savaient. On
avait eu des plaintes. Alors, on rejoue dans le même film. On a reçu des
plaintes. On intervient auprès d'eux. Et là la réponse du ministère, c'est
qu'on revoit les orientations et on va vous tenir informés.
En matière de détention, compléter le
transfert des soins de santé et de services sociaux aux établissements
carcéraux de Bordeaux et de Québec, c'est extrêmement important, particulièrement
en temps de pandémie. On est ici à l'égard de personnes qui sont confinées dans
les établissements de détention. On nous dit qu'une modification législative
serait nécessaire. Je l'ai mentionné, lors de ma comparution sur le projet de
loi n° 61, où j'ai dit… puisqu'on souhaitait faire des modifications à
plein de lois en raison de la pandémie, alors là, je leur ai proposé :
Bien, modifions donc la loi qu'il faut modifier pour permettre le transfert des
soins de santé à Bordeaux et à Québec.
Au moment où on se parle, on n'a pas de
nouvelles. La pandémie est là. On nous parle d'une deuxième vague. Et ça, c'est
des tests de dépistage. Des tests de dépistage à Bordeaux… Il n'y a pas
d'infirmière. Est-ce que, là, ça va prendre la CIUSSS de l'île de Montréal?
Donc, il y a des gens qui vont se déplacer puis qui vont s'en aller à
l'établissement de Bordeaux, alors que ça pourrait être réglé
Puis, je vous dirais, en parallèle des
modifications législatives, Bordeaux, les lieux de l'infirmerie sont vétustes.
Je le sais, je les ai vus, c'est vétuste. Ça ne peut pas accueillir une
infirmerie, avec des infirmières, dans les lieux comme ils sont là. Donc, il y
a du travail à faire. Commençons donc à travailler pour que le transfert se
fasse le plus rapidement possible. C'est en ce sens-là que je demande de passer
à l'action.
Autre chose, c'est un élément que je
trouve important de vous dire à vous tous et toutes, on intervient beaucoup, au
Protecteur du citoyen, à la suite de plaintes et de signalements. Il faut que
vous sachiez que, dans les plaintes individuelles, on réussit à 100 % à
réduire... à corriger les iniquités, les préjudices qui ont été subis par les
personnes. Là où on intervient et là où on a plus de difficulté, c'est
lorsqu'on demande une correction pour la collectivité, où, là, ça commande un
geste soit administratif, soit législatif, soit réglementaire, soit une
modification de politique, si je pense au ministère de l'Éducation. Et c'est
cela dont on doit prendre conscience pour améliorer les services publics mais
aussi les rendre accessibles pour les personnes, particulièrement, qui ne
rentrent pas toutes dans les petites cases tout le temps.
M. Lacroix (Louis) : Je vais
poser une question directe, j'aimerais une réponse courte, si vous êtes
capable. Si on vous avait écoutés dans les CHSLD, parce que vous dites que ça
fait des années que vous rapportez les problèmes, est-ce qu'on aurait sauvé des
vies, à votre avis, ce printemps?
Mme Rinfret (Marie) : Les
personnes qui étaient en CHSLD, s'il y avait eu suffisamment de personnel,
auraient obtenu les soins d'hygiène, les soins de base auxquels elles avaient
droit, auraient été hydratées, auraient... Est-ce qu'elles auraient survécu
dans un contexte où le coronavirus s'infiltre, et tout? Ça, écoutez, je ne suis
pas devine ou devin. Mais, à tout événement, elles auraient été dans un milieu
de soins et de vie, parce que les CHSLD, c'est d'abord un milieu de vie... et
un milieu de soins qui les aurait accompagnées dignement.
Le Modérateur
: Valérie
Gamache, Radio-Canada.
Mme Gamache (Valérie) : Donc,
si je comprends bien, si on était passé à l'action... — puis vous le
dites, là, force est d'admettre que l'alarme avait été sonnée — si on
avait passé à l'action, la crise aurait été... on n'aurait pas eu droit à la
même crise dans les CHSLD?
Mme Rinfret (Marie) :
Écoutez, puis là, encore une fois, je vais me garder une petite gêne parce que
notre rapport d'enquête, lorsqu'il va sortir, va faire état des constats qui
ont été vécus dans les CHSLD, et des préjudices qui ont été subis, et de nos
recommandations, et, à partir de là, je serai capable vraiment d'affirmer des
choses sur les faits qui auront été rigoureusement recueillis auprès des
personnes concernées.
Mme Gamache (Valérie) : Et
qu'est-ce qui vous laisse croire que cette enquête spéciale ne sera pas tablettée
comme les autres?
Mme Rinfret (Marie) : Je ne
la laisserai pas se tabletter. Je ne la laisserai pas se tabletter. Écoutez,
actuellement, les personnes qui sont en CHSLD, il faut bien se comprendre,
hein, ce sont des personnes… On parle beaucoup de personnes âgées, mais je vais
revenir à… Ce sont des personnes en lourde perte d'autonomie. Ce sont des
personnes qui, bien souvent, ont de la difficulté à exercer leurs droits, donc
à porter plainte. Là-dessus, il faut souvent compter, puis c'est l'histoire de
nos précédents rapports d'intervention, soit sur des organismes communautaires
qui vont visiter les personnes dans les CHSLD ou encore le personnel pour
porter des situations à notre attention, ce qui fait que nous intervenons.
Donc, il faut aussi apporter ces
nuances-là et bien comprendre qu'au moment où on se parle c'est… Quand je parle
d'alarme, on doit offrir — ces personnes-là ont des
droits — on doit offrir aux personnes qui résident dans ces
établissements les services adaptés à leurs besoins. Et, en ce sens-là, on n'a
pas le droit de faillir à la tâche. Et, pour faire court, je ne le laisserai
pas se tabletter.
Le Modérateur
: Ça va,
Valérie? Tommy Chouinard.
M. Chouinard (Tommy) : Oui,
bonjour. D'abord, Mme Rinfret, le rapport d'étape, toujours prévu cet
automne?
Mme Rinfret (Marie) :
Absolument.
M. Chouinard (Tommy) : O.K.
Est-ce que vous avez la pleine et entière collaboration de tout le réseau de la
santé, de tous les établissements et du ministère pour l'accès aux documents,
aux preuves, aux éléments vous permettant de tirer des conclusions sur la
gestion de la crise?
Mme Rinfret (Marie) : On m'a
assurée de cette collaboration.
M. Chouinard (Tommy) : Puis
elle s'exerce, cette collaboration-là?
Mme Rinfret (Marie) : Au
moment où on se parle, oui.
M. Chouinard (Tommy) : O.K.
Maintenant, il y a des choses qui ont été entreprises par le gouvernement, là.
Il y a un plan, là, pour se préparer à la deuxième vague. J'imagine qui vous
suivez ça attentivement, là. Est-ce qu'il y a des écueils quelque part? Est-ce
que vous voyez que, woups, il y a des lacunes, il y a des choses qui sont
dites, mais que, sur le terrain, les échos que vous pouvez avoir sur des
plaintes et tout ça, il y a des problèmes? Est-ce que, quelque part, là, il y a
quelque chose qui ne fonctionne pas, que vous estimez qu'il serait comme
important de dire aujourd'hui, là?
Mme Rinfret (Marie) : Écoutez,
je nous invite tous au rendez-vous de la fin de l'automne pour la sortie du rapport
d'étape. Entre-temps, si toute personne constate qu'il y a des éléments qui ne
fonctionnent pas dans les CHSLD, dans les ressources intermédiaires, dans les ressources
de type familial, dans les organismes communautaires, dans les centres
hospitaliers, ces personnes-là doivent faire appel à nous, doivent nous
signaler la situation. Et, à la limite, s'il s'agit d'usagers, on les référera
au commissaire aux plaintes et à la qualité des services, et on veillera à ce
que le suivi soit donné.
M. Chouinard (Tommy) :
J'aimerais juste avoir une appréciation que vous avez sur le gouvernement
actuel. À ce que vous dites, les problèmes, ça remonte à loin. On a dénoncé ça
souvent. Le gouvernement actuel, en réponse à toutes les critiques, dit :
C'est des problèmes qui existaient depuis longtemps, dont on a hérité. Ça,
là-dessus, je veux vous entendre.
Est-ce que, jusqu'ici, le gouvernement va
dans la bonne direction, pose des actions rapides ou il est un peu comme les
autres, c'est-à-dire qu'il faut qu'il soit acculé au mur pour agir?
Mme Rinfret (Marie) : Je
vous répondrai encore d'attendre notre rapport d'étape qui va porter sur la
gestion gouvernementale relativement à la crise du COVID-19. Mais, encore là,
j'appelle à l'action.
M. Chouinard (Tommy) :
Mais donc, si vous appelez à l'action, là, je comprends que c'est au
gouvernement actuel que vous vous adressez.
Mme Rinfret (Marie) :
C'est certain.
M. Chouinard (Tommy) :
J'aimerais ça... J'essaie juste de voir dans quelle mesure est-ce qu'il ne fait
pas que répéter les recettes du passé, là.
Mme Rinfret (Marie) :
Écoutez, je ne réfère pas au passé, là. Je fais des constats, constats qui
s'appliquent encore cette année, l'année 2019‑2020, entendons-nous, là, et
qui appellent à un passage à l'action. C'est ça que je fais, là. Que ce passage-là
aurait dû être fait 10, 15, sept, deux ans plus tôt, je n'en suis pas là.
Le Modérateur
: Claudie
Côté-Chabot, TVA.
Mme Côté-Chabot (Claudie) :
Bonjour, Mme Rinfret. Vous dénoncez l'immobilisme de l'État. On vous sent
indignée, voire impatiente. Et je comprends, là, qu'il faut attendre le rapport
d'étape de l'automne, mais est-ce que nous n'avez pas peur qu'il soit trop tard
à l'automne? On est à l'aube d'une deuxième vague qui pourrait frapper fort.
Mme Rinfret (Marie) :
Écoutez, non. Pour répondre à votre question, je n'ai pas peur parce qu'on est
là. On est là dans le sens où que les gens n'attendent pas le rapport d'étape
pour porter des situations inacceptables à notre attention, là, hein? On va
faire enquête, là. On est indépendant, on est impartial, on a tous les pouvoirs
d'un commissaire enquêteur. Qu'est-ce que ça veut dire, ça? Je peux aller
chercher tous les documents auprès de tiers, tout document qui pourrait par
ailleurs être confidentiel. Ça, ce sont les pouvoirs qui me sont octroyés en
vertu de la loi, pouvoirs que j'ai délégués à chacun et chacune de mes
délégués.
Partant de là, si une personne constate
une situation préjudiciable, je l'invite à communiquer avec nous et, à partir
de là, on va faire enquête, on va corriger le préjudice, comme on a fait durant
la première vague. Nos services sont restés ouverts, mes lignes sont restées
ouvertes. J'avais quelqu'un qui répondait, même si on était à distance parce
qu'on était en confinement, et je vous avouerai qu'on a reçu beaucoup d'appels,
beaucoup d'appels de détresse, tant à l'égard de la santé que sur le plan
financier. Et, à cet égard-là, donc, on a fait preuve d'écoute, d'empathie,
mais aussi de résolution de problème, en ce sens que, si un dossier était sous
notre compétence, dans les jours suivants, un délégué l'appelait. Donc, la
personne qui avait répondu rentrait ça dans notre système, un délégué
l'appelait et appelait les instances pour corriger la situation. On a fait ça
durant la pandémie, on va continuer à faire ça. On continue de faire ça puis on
va continuer à faire ça.
Donc, on fait partie de la solution, actuellement,
pour nous assurer que toutes les personnes au Québec obtiennent les services
publics auxquelles elles ont droit, même si on est en temps de pandémie, même
s'il y a une deuxième vague. Et, à cet égard-là, moi, je ne peux pas faire
autrement que vous dire à quel point j'ai une équipe engagée, dédiée. Vraiment,
là, puis c'était vrai aussi pour tout le volet services correctionnels. Ils ont
répondu à l'ensemble des demandes.
C'est pour ça que je peux être devant vous
et vous donner des résultats qui sont basés sur des faits, qui sont basés sur
des dossiers. Il n'y a rien d'anecdotique là-dedans, là. Des fois je parle d'un
dossier, dans le rapport annuel d'activité, mais ce dossier-là... de ce
dossier-là a émergé une problématique collective systémique. Donc, il n'y a
rien à prendre à la légère dans le rapport annuel d'activité du Protecteur du
citoyen.
Et, encore une fois, n'attendez pas un
rapport d'étape. S'il y a des situations qui méritent un correctif parce que
des gens pensent qu'on contrevient à leurs droits, qu'ils n'hésitent pas. Si ce
n'est pas le cas, on va leur expliquer. Ils vont comprendre.
Mme Côté-Chabot (Claudie) :
Vous avez parlé de votre équipe, mais dans le rapport vous parlez aussi... vous
faites un coup de chapeau, là, vous donnez un coup de chapeau aux gens qui
travaillent dans les CHSLD.
Mme Rinfret (Marie) : Ah!
oui.
Mme Côté-Chabot (Claudie) : Pourquoi
c'était important de le faire dans le rapport?
Mme Rinfret (Marie) : Je vous
remercie tellement de me permettre de le dire. Écoutez, on décrit le manque de
personnel, on décrit les problèmes qui découlent de ce manque de personnel,
mais on tenait, et particulièrement cette année, à souligner le dévouement
exemplaire du personnel soignant dans les milieux qui hébergent des personnes
les plus vulnérables. Et on donne un exemple où une préposée aux bénéficiaires,
qui pourtant avait les mains pleines, réussit à apaiser une femme, une dame
âgée qui était en crise parce qu'elle n'est pas capable de penser que des gens
vont changer sa culotte d'incontinence. Alors, elle la calme, elle lui met la
musique qui la calme, fait ce qu'elle a à faire, puis tout le monde est
content. Et ça, pour moi, c'est un coup de chapeau, c'est un coup de chapeau.
Et on le voit, on le voit dans nos enquêtes et on tenait à le souligner parce
que, sans ces personnes, ça pourrait être pire.
Le Modérateur
: Alright. We'll move along into English questions.
First question, from… I believe, Mr. Dussault speaks English as well.
Une voix
:
…M. Dussault et Mme Vallières, dans le fond.
Le Modérateur
: O.K.
Une voix
: Ça fait que
je vais demander à Mme Vallières de se déplacer vers l'avant si on passe juste
en anglais. Peut-être aller ici. Comme ça, ça va?
Des voix
: Oui...
Le Modérateur
: O.K.
Cathy Senay, you're on.
Mme Senay
(Cathy) : Good day. How
discouraging it is for you to have noticed the crisis in the spring in CHSLDs,
knowing how many times you wrote those words in reports?
M. Dussault
(Claude) : I think everybody in the Québec society was quite shocked, I think,
from what we saw in the CHSLDs. And that's why, as Ms. Rinfret mentioned, we
decided to conduct a large investigation on the subject.
Mme Senay
(Cathy) : Yes, but you denounced the shortage
of staff, facilities that were too old and the difficulties to provide health
care, good health care in long-term care facilities for years.
M. Dussault
(Claude) : Correct.
Mme Senay
(Cathy) : How will you make sure that now,
this time, your alarms that you sent to the Government will be heard? What will you do differently that now they're going
to act for real?
M. Dussault
(Claude) : I think, sadly, the crisis has…
some movement from the Government. The hiring of staff was referred earlier by one of your
colleagues. We just want to make sure, with our inquiry, to study the whole
subject correctly and identify all holes that could be in the Government planning. And, as, once again,
the Québec ombudsman mentioned
earlier, we're going to make sure that the recommendations
will be implemented. And, by the way, that's why we're making a statement
today, because one characteristic of the Québec Ombudsman is we keep track of
our recommendations until they get implemented, and, when they are not
implemented, then, as we're doing today, we're saying that we're not satisfied
that some recommendations are lagging in terms of implementation for too long.
Mme Senay
(Cathy) : So repetition, repeating those
recommendations from previous years, that's exactly what you needed to do as
your job today?
M. Dussault
(Claude) : Yes, it's part of our job. We keep track of the
recommendations until they get implemented. It's one thing, a recommendation
being accepted, it's another one, being implemented. So one thing that differs
the Québec Ombudsman from, let's say, a general inquiry commission is an
inquiry commission does its report, its recommendations, and then it
disappears. The Protecteur du citoyen, the Québec Ombudsman, we're an
institution of the National Assembly. We're there, so we keep track of our
recommendations until they get implemented. And again, as I just mentioned, when we're not happy about the implementation of the
recommendations, then we're
saying we're not happy about it.
Mme Senay
(Cathy) : So this is why you've been talking
about CHSLDs for years.
M. Dussault
(Claude) : Right, correct, correct.
Le Modérateur
: Raquel Fletcher, Global Television
Mme Fletcher
(Raquel) : Good morning. I think it's still
morning. There is also this report coming out specifically about the Herron
residence, today, which… there were a lot of tragedies there. And you're
saying, you know, who did not
know about understaffing and the sorry condition of the resources in CHSLDs. If
these recommendations, that you've made in years past, had been fully
implemented, would we have been able to avoid those deaths and that tragedy in
CHSLDs?
M. Dussault
(Claude) : Once again, we have to be very
cautious before making any... such a strong conclusion and our inquiry will
address that. One thing I could say is the situation in CHSLDs or any type of resources… Let's say that the level of
staff that you require is that high, OK? At, one point in time, you've got this
amount of staff, you're short, we make an intervention, then the level of
resources get back to the level, and then, because there is turnaround, or
whatever, or sickness… Like, in the last crisis, some of the staff were
sick. So, of course, that's what's putting more pressure.
So you have to understand that the... To
answer your question, you have to understand that the situation in a CHSLD is
not a static one, OK? It could improve, it could go on the wrong side. That's
why we always insist that there's some… not a big one, but a thin margin, in
CHSLDs and in resources in general, to make sure that... because it's not a
static thing. You have to give yourself a margin to take care of special situations.
And, clearly, if you have… as the network of CHSLDs was something which where
you are already short of staff and then you have a crisis like the COVID, where
some of your staff gets sick, of course, it doesn't go... it can't improve
things at all.
Mme Fletcher (Raquel) :
So you're saying you're not only warning them to implement the standard, you
want them to go over and above, above and beyond that, in order for them to be
prepared for any sort of eventuality. Did I understand?
M. Dussault (Claude) : Yes.
You have to be prepared to the situation. Just give you an example out of the current COVID-19 crisis. Some
university experts have defined, you know, the amount of time that type of
activity should be needed. Let's say you should spend, let's say, half an hour
for that person to help her or him to eat. Could be good, on average, but if at
one point of time one person is not feeling well that day, you might need a
little bit more time. And, if you're very stretched all the time and you don't
have any margin of error, anything new or extraordinary that happens, you're in
trouble. So, precisely for… That's something we saw in CHSLDs, even prior the
COVID-19 crisis, that, when you're very stretched in terms of staff, anything
exceptional that happens puts you in some kind of trouble. So, of course, if
you have something as big as COVID-19, it's even worse.
I'm not thinking about
being largely overstaffed, but just to give you a margin of error, for example,
that you don't need to call somebody else from another establishment because
you're short-staffed one day because some of your staff called to declare him
or her sick.
Mme Fletcher
(Raquel) :Thank you.
M. Dussault
(Claude) : In one sentence, the main point is
you have to think in advance that you will have to face situations where you're going to be
short-staffed, so you have to plan accordingly.
Le Modérateur : And I have one more question from CTV, from Kelly Greig, CTV, which I received by email. And
it's a similar kind of question
that I had, but, I mean: How preventable was the situation that led to so many deaths?
M. Dussault
(Claude) : Once again, our inquiry will
address that largely. It's a sad situation, I think everybody recognized that. We certainly do recognize that
as well as the Potecteur du citoyen. I think there's no
secret that the fact that they were short-staffed in many places, that there
were movements of personnel not only affected the quality of the services, but
even the dignity of the person when the crisis occurred. And once again, that's
what our inquiry will establish.
M. Authier (Philip)
:
But do you think lives could have been saved?
M. Dussault
(Claude) : The inquiry will address that.
Le Modérateur
:
OK. Merci beaucoup. Anything else? I think that's it. Merci
beaucoup.
(Fin à 11 h 51)