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Introduction historique-en

13rd Legislature, 4th Session
(January 11, 1916 au March 16, 1916)

Par Donald Chouinard

Les événements de 1916

Entre le moment où les parlementaires se quittent, soit le 5 mars 1915 à l'occasion de la prorogation de la 3e session de la XIIIe législature, et celui de leur retour, soit le 11 janvier 1916, à l'occasion de l'ouverture de la 4e session de la XIIIe législature, les événements marquants se regroupent autour de deux préoccupations principales : la guerre et les droits des francophones hors Québec, plus particulièrement autour de la question des écoles francophones en Ontario.

 

La guerre

L'année 1916 représente en fait la troisième année civile de la participation du Canada à la guerre aux côtés du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande; et le Québec a et a dû suivre le mouvement. Lors du déclenchement, on croyait que cette guerre serait de courte durée. On disait même, en Europe, que l'on serait de retour pour la Noël 1914. Ces belles illusions du départ se sont cependant évanouies pendant la très dure année 1915. En 1916, tous savent désormais que la guerre sera longue. Les fronts est et ouest se sont stabilisés; la guerre des tranchées s'est installée; les morts et les blessés s'accumulent à un tel rythme que la guerre est devenue « La Grande Guerre ». On la qualifie même de « Grande Boucherie ». Souvent, au Québec, comme ailleurs au Canada, des familles sont laconiquement avisées du décès de l'un des leurs.

La propagande triomphaliste et la censure exercée par le gouvernement veillent à ne pas nuire au recrutement qui, à ce moment, est volontaire. Néanmoins, on prend peu à peu conscience que la guerre outre-mer n'est pas une simple ballade pour casser du Boche1.

Au Canada, l'organisation de la guerre, c'est l'affaire d'Ottawa et le gouvernement fédéral s'en occupe avec zèle. Son meilleur représentant est Sam Hughes, ministre de la Milice, un personnage flamboyant, tonitruant, bousculant tout sur son passage et démontrant une passion pour la cause qui va au-delà de toute description2. Dès le début du conflit, le gouvernement Borden répond à l'appel de la mère-patrie et commence à organiser la levée des troupes. Le recrutement s'effectue sur une base volontaire et il en sera de même tout au long de l'année 1915. Le Québec, entraîné dans le sillage du gouvernement fédéral, n'a pas d'autre choix que de suivre le mouvement.

De multiples régiments sont formés, entraînés et expédiés sur le théâtre de la guerre en Europe. Les Canadiens français sont cependant disséminés dans des bataillons, dans des régiments commandés par des Canadiens anglais, où ils comprennent mal la langue et sont —  il faut bien le dire —  peu considérés par les officiers anglophones. Des Canadiens français commandent des troupes au front, s'y distinguent, mais ils demeurent une minorité dans l'ensemble du corps des officiers. Toutefois, en 1915 on assiste à l'émergence du premier bataillon entièrement formé de Canadiens français, le 22e. Celui-ci complète son entraînement en Nouvelle-Écosse, s'embarque pour l'Europe le 20 mai 1915, monte en ligne le 20 septembre de la même année et subit ses premières pertes.

Le Québec fournit également des effectifs destinés à divers hôpitaux qui sont formés pour opérer sur le champ de bataille. Ainsi, le 6 mai 1915, trois hôpitaux quittent le sol canadien, soit l'hôpital no 3 de l'Université McGill, l'hôpital no 4 formé par le Dr Mignault, entièrement composé de Canadiens français, et l'hôpital no 5, formé à Kingston. Pendant ce temps, l'Université Laval envisage la formation d'un autre hôpital canadien-français, avec évidemment l'approbation des autorités religieuses, à savoir Mgr Bruchési.

Le recrutement des volontaires au Québec, malgré des chiffres assez imposants, demeure difficile et semble inquiéter les autorités fédérales, toujours sceptiques au sujet des convictions, voire de la loyauté, des Canadiens français du Québec envers la mère-patrie britannique3. À cet égard, il faut bien reconnaître que les positions et la campagne menée, depuis quelques années, par les nationalistes peuvent encourager les fidèles et loyaux partisans anglophones du dominion dans leur scepticisme, même si l'ensemble des autorités laïques et religieuses appuient officiellement et publiquement l'entrée en guerre du Canada aux côtés de la Grande Bretagne.

Afin de stimuler le recrutement des troupes au Québec, on évoquera abondamment la mère-patrie, non pas en pensant à l'Angleterre mais à la France. Au-delà du fait que la guerre se déroule sur un théâtre lointain, cette attitude démontre qu'il existe au sein de la population francophone une certaine ambiguïté des attitudes. Certains ministres francophones, à Ottawa, vont plus loin dans les arguments évoqués : « Si nous n'arrêtons pas les Allemands en Europe, ils viendront un jour, sur nos rives, saccager nos villages et nos églises4 ».

Ni guerre ni censure qui s'installe ne parviennent à faire taire les nationalistes. Henri Bourassa, le mentor et le chef de ce mouvement, rappelle, tout au long de cette année 1915, à l'occasion de multiples conférences, réunions publiques, articles, la position de la Ligue nationaliste. Et en décembre 1915, Bourassa publiera ce qui, selon l'expression de Robert Rumilly, s'avèrera « son premier et seul gros volume : Que devons-nous à l'Angleterre? » Au cours de la session, M. Armand Lavergne, député de Montmagny, se fera l'écho des thèses de M. Bourassa sur le plancher de l'Assemblée législative.

L'organisation de la guerre implique la mise en place d'une industrie de guerre. Ottawa s'y applique en étroite collaboration avec le gouvernement impérial. En conséquence, sous l'instigation de ce dernier, le gouvernement Borden abolit en novembre 1915 le « Shell Committee », ou plus exactement, le « Shell Committee » démissionne pour faire place au Bureau impérial des munitions. Dans les faits, il s'agit d'une agence du ministère britannique des munitions. Le Bureau, sous la présidence de Sam Hughes, comprend sept membres dont un Canadien français, M. J.-A. Vaillancourt, président de la Banque Hochelaga, qui « n'exerçait pas d'influence sérieuse5 ». L'industrie manufacturière canadienne profitera des nombreuses commandes de guerre effectuées par la Grande-Bretagne. Le Québec en profitera6, mais dans une moindre mesure que l'Ontario. L'agriculture québécoise en profite aussi. Cette relative prospérité comporte, pour les recruteurs, un effet pervers : le Québécois trouvant plus facilement de l'emploi est moins porté à s'enrôler.

Le financement de la guerre relève également du gouvernement canadien, lequel met en place divers mécanismes de contribution auxquels participent les provinces canadiennes, dont le Québec. Ainsi, en 1915, le gouvernement du Québec contribue à l'effort de guerre en fournissant des sommes d'argent à divers fonds d'aide : contribution à l'Hôpital canadien à Paris; aide au Fonds belge; contribution au Fonds national de secours français; contribution à la Commission des hôpitaux militaires; contribution à l'emprunt de guerre du Canada; octroi au Fonds patriotique canadien. Et la population québécoise est appelée, elle aussi, à contribuer aux Fonds britannique et canadien de la Croix-Rouge ainsi qu'au Fonds patriotique canadien.

 

Les écoles françaises en Ontario

L'année 1915 s'avère une autre année difficile pour les droits des Canadiens français de l'Ontario. Tout au long de l'année, la question des écoles françaises en Ontario sera fortement débattue au sein de la société québécoise, et ce, à tous les niveaux. La lutte pour le droit à l'éducation des Canadiens français en Ontario divise la classe politique, le clergé, la presse et la population en général. Au Québec, cette question ne peut pas être dissociée de celle de la guerre. Toute la problématique tourne autour de la question suivante : Pourquoi aller se faire massacrer sur les champs de bataille européens, au nom d'une fidélité et d'une loyauté à une mère-patrie anglophone, lorsque les représentants de cette même mère-patrie au Canada bafouent les droits les plus élémentaires des Canadiens français en Ontario? Et on ira jusqu'à comparer les Ontariens anglophones aux Allemands.

En 1915, le président de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario, M. Alphonse Charron, démissionne de son poste et l'Association songe à offrir la présidence à M. Rodolphe Landry, un Québécois, président du Sénat. On peut imaginer l'onde de choc dans le monde politique. Thomas Chapais effectue des démarches pour tenter de dissuader l'Association de procéder ainsi. Plusieurs politiciens, principalement issus du Parti conservateur, y voient un geste de provocation, un empiètement, une intrusion envers le gouvernement ontarien. Agir ainsi, dit-on, c'est heurter les bonnes dispositions du premier ministre ontarien à régler la question. Et on emploiera continuellement cet argument pour dénoncer les propos et les écrits des représentants de la Ligue nationaliste. Philippe Landry accepte le poste de président de l'Association.

Le 12 juillet 1915, la Cour d'appel de Toronto affirme la validité du Règlement XVII7, ce qui entraîne la dissolution de la Commission des écoles séparées d'Ottawa, alors constituée de 18 commissaires élus dont 12 Canadiens français. Cette dernière est remplacée par une commission de trois membres, constituée de deux Irlandais et d'un Canadien français nommé par le gouvernement ontarien. Une guerre s'engage.

L'école française Guigues d'Ottawa, nommée en l'honneur du premier évêque du diocèse, devient un symbole. Deux jeunes enseignantes, Diane et Béatrice Desloges, sont chassées de l'école par la nouvelle commission scolaire. Elles ouvrent alors une classe dans une chapelle voisine; les enfants suivent; les nouvelles institutrices nommées par le gouvernement se retrouvent devant des classes vides; le gouvernement ontarien suspend le brevet des sœurs Desloges et les menace.

Ailleurs, par exemple à l'école Garneau, les membres de la commission scolaire gouvernementale invitent quatre institutrices à toucher leur paie, mais ils leur demandent en même temps de signer un acte de soumission au Règlement XVII, ce qu'elles refusent. Pendant ce temps, avec Henri Bourassa en tête, les conférences et les levées de fonds s'organisent partout au Québec.

 

Autres questions d'actualité

Il faut rappeler un événement qui surviendra pendant la session parlementaire. Il s'agit de l'incendie qui a détruit, le 3 février 1916, les édifices du Parlement à Ottawa et qui a entraîné la mort de six personnes, d'après Joseph Schull. La Législature québécoise offrira ses locaux, mais le Parlement fédéral déclinera l'offre et siégera au Musée Victoria, à Ottawa.

Le 6 avril 1915, l'École des hautes études commerciales s'affilie avec l'Université Laval à Montréal et n'est plus, en conséquence, considérée comme une école neutre. Aux ultramontains, il ne reste plus que les écoles techniques à dénoncer comme étant supposément des écoles neutres. Cette question des écoles techniques sera débattue sur le plancher de la Chambre lors de la session : M. Cousineau, chef de l'opposition, les dénonçant vertement, M. Gouin, premier ministre, les soutenant.

Par ailleurs, soulignons quelques réalisations dans différents domaines : la construction de chemins se poursuit; on entreprend la construction de deux grands barrages : celui de la Saint-Maurice et celui de Saint-François. Les transactions entourant le barrage de la Saint-Maurice suscitent des questions, et un débat d'importance sera soulevé à l'Assemblée à la fin de la session. De leur côté, les coopératives agricoles profitent de la guerre pour se développer, et la colonisation continue son implantation en Abitibi.

Sur la scène culturelle montréalaise, la longue bataille de la lecture publique se solde par l'ouverture parallèle de deux grandes institutions. Le 12 septembre, les sulpiciens ouvrent au public la Bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, et moins d'un kilomètre plus loin la Bibliothèque municipale de Montréal inaugure ses locaux sur la rue Sherbrooke, le 22 novembre8.

C'est la situation qui existe à la fin de l'année 1915.

 

Les acteurs en présence

Le 11 janvier 1916, le lieutenant-gouverneur, Pierre-Évariste Leblanc, vient inaugurer la 4e session de la XIIIe législature. Les troupes libérales, au pouvoir pour une vingtième année, sont dirigées par Lomer Gouin, chef incontesté, au faîte de ses expériences gouvernementale et parlementaire, bien appuyé par Louis-Alexandre Taschereau, ministre des Travaux publics et du Travail, et par Joseph-Édouard Caron, ministre de l'Agriculture. Lomer Gouin apparaît bien en selle dès le début de la session et il en sera le maître de jeu. Cette session démontrera également son habilité, dans la façon de traiter la question scolaire des francophones de l'Ontario. Il réussira à faire trébucher l'opposition conservatrice sur cet obstacle, et ce, à la veille d'une élection générale.

Face à Gouin, le Parti conservateur, qui forme l'opposition officielle, entreprend la session avec un nouveau chef, Philémon Cousineau, à la mi-session de 1915. Ce dernier succéda à Joseph-Mathias Tellier, qui fut chef du 2 mars 1909 au 16 février 1915. Cousineau entreprend donc, en tant que chef, sa véritable première session. Ce sera aussi sa dernière.

Autant son prédécesseur apparaissait diplomate, posé, courtois, pas assez agressif comme chef de parti, disaient certains, autant Cousineau apparaît guerrier dans ses attaques à l'endroit du gouvernement libéral. En Chambre, les débats révèlent son ton brusque, même hargneux à l'occasion. C'est l'approche : « Pas de quartiers! » Il charge l'ennemi tête baissée. Cette attitude le conduira à sa perte. Il ne saura pas distinguer entre l'aveugle « partisannerie » politique et la raison d'État, principalement lors du débat sur le projet de loi 180, initialement intitulé Loi pour autoriser les municipalités à contribuer de leurs deniers pour des fins patriotiques, nationales ou scolaires. Ce projet de loi vise principalement à donner aux municipalités la permission de contribuer à la lutte des francophones en Ontario.

L'opposition compte aussi deux indépendants : le monde ouvrier est représenté en Chambre par le député de Saint-Sauveur, Joseph-Alphonse Langlois, et Armand Lavergne, député de Montmagny, représentant de la Ligue nationaliste.

Sans la présence de M. Lavergne, la session de l'hiver 1916 n'aurait pas été la même. À plusieurs reprises, il en animera les séances, surtout à l'occasion du débat sur l'Adresse en réponse au discours du trône et lors des débats sur les droits des francophones en Ontario. Armand Lavergne, dans la pure tradition de la Ligue nationaliste, associe la question de la guerre et les droits des francophones en Ontario. Haut en couleur, tribun hors pair, Lavergne nous livre des pièces d'éloquence mémorables; celle du 13 janvier 1916 donnera le ton à la session.

L'attitude de Lavergne, au cours de la session, révèle une évolution de la position des nationalistes à l'égard du gouvernement Gouin. Les nationalistes, depuis quelques années, s'étaient tactiquement alliés aux conservateurs provinciaux. Mais au cours de la présente session, M. Lavergne s'éloigne graduellement des conservateurs au point qu'en fin de la session il se déclarera relativement satisfait de la position du gouvernement à l'égard des francophones en Ontario. En fait, la rupture avec les conservateurs sera consommée lorsque Henri Bourrassa, en éditorial dans Le Devoir, donnera son appui à Lomer Gouin aux élections générales qui auront lieu le 22 mai 1916, soit deux mois après la présente session.

L'Assemblée législative a perdu deux de ses membres pendant l'ajournement sessionnel. En premier lieu, il y a eu le décès de M. Jean Prévost, à 44 ans, le 21 juillet 1915. Député de Terrebonne et ancien ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries dans un précédent gouvernement Gouin, Prévost démissionna à titre de ministre en 1907. Lors de son décès, il siégeait comme député libéral indépendant. À l'ouverture de la session, sur son pupitre à l'Assemblée législative, on pouvait lire une carte : « In memoriam. Au défenseur des petits et des humbles9. »

Le second départ affecte les rangs du Parti conservateur. Ésioff-Léon Patenaude, 40 ans, brillant député et représentant de Laprairie depuis 1908, a quitté la scène provinciale le 2 octobre 1915. Il se présenta aussitôt sur la scène fédérale et gagna l'élection partielle dans le comté d'Hochelaga, le 15 octobre 1915. Il est immédiatement nommé ministre du Revenu dans le gouvernement Borden.

 

Ouverture de la session

À la première séance du 11 janvier 1916, le président, l'honorable M. Cyrille Fraser Delâge refait aux députés la lecture du discours du trône à la Chambre, comme le veut la tradition. Il fait tout d'abord référence à la guerre « qui se poursuit sur un théâtre sans cesse agrandi et exige de chacun d'eux (les alliés) un effort de plus en plus considérable ». En fait, on parle de la guerre sans en parler. Le gouvernement, en livrant son discours du trône, semble volontairement « s'autocensurer ». On a l'impression qu'il n'est pas permis d'étaler en public autre chose que des déclarations de fidélité, de loyauté et d'appui aux alliés.

Le discours du trône affiche cependant moins de réserve à détailler les réalisations du gouvernement depuis la fin de la dernière session. Ainsi, l'agriculture est prospère, on construit des barrages, on augmente le salaire des enseignants, on construit une école normale à Sherbrooke, on poursuit la construction des routes, on favorise toujours la colonisation, on produit d'intéressants rapports sur les gisements miniers, on fait la promotion de l'émigration auprès des clientèles européennes, on pourvoit les municipalités en matériel anti-incendie, bref, tout va bien, tout le monde est heureux… Pas un mot sur la situation scolaire en Ontario.

Le lendemain, toujours dans l'orthodoxie parlementaire, la Chambre procède à l'Adresse en réponse au discours du trône. L'Adresse est présentée par le député de Bonaventure, Joseph-Fabien Bugeaud; Alfred-Joseph Bissonnet, député de Stanstead, la seconde. Une fois de plus, l'Adresse donne au parti ministériel une occasion de s'autocongratuler, sans retenue. Et naturellement, l'opposition officielle, quant à elle, relève secteur par secteur les ratés du gouvernement et souligne les irritants générés par les diverses politiques gouvernementales. La charge est principalement menée par le chef conservateur, Philémon Cousineau, et par Arthur Sauvé, député de Deux-Montagnes. Le gouvernement réplique coup pour coup aux attaques de l'opposition officielle. Dans un premier temps, c'est le chef du gouvernement lui-même qui se charge de répliquer au chef de l'opposition. Par la suite, J.-É. Caron, ministre de l'agriculture, répond à Sauvé. (Séance du 13 janvier 1916)

Bref, la session parlementaire débute comme une bonne petite session traditionnelle d'avant-guerre. Une perception s'en dégage, celle d'une entente tacite entre les acteurs; comme si on avait convenu de ne pas aborder les questions et débats qui secouent alors en profondeur toute la société québécoise. C'était sans compter sur Armand Lavergne qui remet les pendules à l'heure, en soirée, à la séance du jeudi 13 janvier 1916.

D'entrée de jeu, il affirme qu'il ne peut laisser passer l'occasion d'intervenir dans le débat portant sur l'Adresse en réponse au discours du trône pour montrer qu'il y a « au moins dans cette Chambre un membre qui (n'a) pas changé depuis la guerre et qui (est) resté conséquent avec lui-même ». On l'imagine alors dévisageant quelques-uns de ses collègues, entre autres le chef de l'opposition, M. Cousineau, ainsi qu'Ernest Gault, député de Montréal-Saint-Georges. Lavergne n'a pas oublié qu'en 1910 et en 1911, au moment des grandes assemblées nationalistes, Cousineau et Gault partageaient avec lui les « hustings » et condamnaient « toute participation du Canada à des entreprises extérieures ». (17 janvier 1916)

Réaffirmant la position de la Ligue nationaliste, il rappelle « que le Canada ne doit rien de plus à l'Angleterre que la défense de son propre territoire ». On peut à peine imaginer l'onde de choc que provoquent de tels propos, surtout en temps de guerre où les déclarations d'attachement, de fidélité et de loyauté envers la mère-patrie sont de mise. Renouvelant l'assaut, il en rajoute : « Je n'ai pas peur de dire que celui qui s'enrôle pour combattre à l'étranger manque à son devoir envers son pays. […] Qu'on m'arrête demain, si l'on veut, pour le crime de haute trahison. Entre la haute et la basse trahison, M. le Président, celle qui consiste à trahir l'Empire ou son pays, je choisis la haute et ne redoute pas la conséquence de mon acte. C'est de trahir que de désarmer comme nous le faisons au profit de l'Angleterre… » (13 janvier 1916)

Et comme si cela n'était pas suffisant, il relie le tout à la question de la situation scolaire de la minorité canadienne-française en Ontario : « Ce n'est pas dans les tranchées de Flandres que nous irons conquérir le droit de parler français en Ontario. […] Aller en Europe pour mener la lutte à la justice et à l'intolérance, s'interroge-t-il? Qui pourrait donner ailleurs des leçons de justice et de tolérance? Sont-ce les ministres de l'Ontario qui violent le rempart de femmes qui veulent empêcher deux jeunes institutrices d'aller en prison parce qu'elles veulent enseigner la langue que nous avons apprise sur les genoux de nos mères? Si les Allemands sont des persécuteurs, nous avons plus persécuteurs qu'eux. Il ne faut pas oublier que l'on persécute les nôtres en Ontario. » (13 janvier 1916)

« On a tort, poursuit-il, d'être fier de voir son nom dans les gazettes qui publient des listes de souscriptions pour les œuvres de la guerre; l'argent que l'on donne ainsi est de l'argent volé à la minorité de l'Ontario. […] Je n'ai pas peur d'être Allemand et je rappellerai à ce sujet un vieil axiome : Mordu par un chien ou mordu par une chienne, mordu quand même. […] Je me demande si le régime scolaire allemand ne peut pas se comparer au régime ultra-boche de l'Ontario. » (13 janvier 1916)

À la fin du discours percutant de Lavergne, personne n'applaudit. C'est le silence. Ses propos, c'est le moins que l'on puisse dire, sèment la consternation sur le plancher de la Chambre. L'élan et le ton de la session sont complètement modifiés. Les premières réactions viennent de Taschereau, Tellier, Stockwell et Gault qui dénoncent les propos de Lavergne et réaffirment leur soutien à la participation à la guerre. Gault se dit convaincu que les difficultés des francophones en Ontario allaient se régler à l'avantage de la minorité.

Point n'est besoin de décrire la réaction des journaux du lendemain et au cours de la fin de semaine. La vigueur des commentaires donne l'occasion à Lavergne d'y aller d'un plaidoyer pro domo, à sa propre défense. À la reprise des travaux, le lundi 17 janvier 1916, il expose à nouveau sa thèse et en profite pour attaquer avec plus de précision ceux qui, avant la guerre adhéraient à la thèse nationaliste et qui siègent devant lui. Il les désigne un à un, les dénonce : « Je suis toujours contre le principe de la participation du Canada à toute guerre de l'Empire. Je demande aussi à ceux qui étaient autrefois des compagnons d'armes de ne pas se tourner contre leur ancien ami pour chercher à le flétrir. J'appelle cela de l'hypocrisie, du mensonge; c'est vouloir berner le peuple. J'ai connu un temps, M. l'Orateur, où personne ne se serait levé pour élever la voix contre le discours de M. Bourassa, car il était trop utile alors pour arriver au pouvoir. […] Il n'est pas plus déloyal de dénoncer le militarisme durant la guerre que cela n'était déloyal de la dénoncer avant la guerre. Avant la guerre, on ne parlait pas de nous fusiller, on nous offrait des portefeuilles. »

En s'exprimant ainsi, Lavergne rompt à toute fin pratique les derniers liens, biens ténus d'ailleurs, qui unissaient encore nationalistes et conservateurs, à l'Assemblée législative du moins. Un discours apprécié par les spectateurs présents dans les galeries. Selon les dires des journaux, les applaudissements fusent, bien qu'ils soient défendus par les règles de l'Assemblée législative. Une semaine plus tard, le 24 janvier 1916, en réaction aux propos de Lavergne, Joseph-Mathias Tellier, précédent chef du Parti conservateur, soulève une question de fait personnel, en Chambre. Et, du coup, le bouillant député de Montmagny saute sur l'occasion et reprend encore une fois l'attaque.

 

Le discours du budget et la visite de M. Rodolphe Landry

Le discours du budget est prononcé le jeudi 20 janvier 1916 par l'honorable M. Walter George Mitchell. Le gouvernement, comme c'est son habitude, présente un bilan positif de l'année écoulée avec un beau surplus de 887 410,23 $. Le mardi suivant (25 janvier), le chef du Parti conservateur, M. Cousineau, en entreprend la critique dans un discours étoffé où il affirme que le surplus du gouvernement n'est pas aussi important qu'il le dit. Si ce n'eût été des droits perçus de deux successions importantes, le surplus se serait établi autour de 194 415,01 $, déclare-t-il10.

Mais le moment important de cette journée demeure le discours d'Alexandre Taschereau, en réponse au chef de l'opposition. À la fin de son discours M. Taschereau aborde la question scolaire en Ontario : « … Où vont nous mener, je vous le demande, ces luttes scolaires, ces dissensions lamentables de langue et de nationalité? […] On a dit que la question de la participation à la guerre et celle des écoles en Ontario n'avaient aucun rapport. En soi, oui; dans les faits, non; les deux choses se tiennent. […] La province de Québec est généreuse; elle l'a montré dans le passé; elle le sera encore à l'avenir. Ses enfants et ses ressources, elle saura les donner aux alliés librement et généreusement. L'année dernière, elle a envoyé un message à la province de l'Ontario, à la demande d'un de ses députés anglais à l'esprit libre et généreux. La province continuera à être généreuse, mais elle commence à être profondément ennuyée et impatientée. »

Lorsque le ministre Taschereau prononce ces paroles, Rodolphe Landry, ex-président du Sénat, président en exercice de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario, est assis à la droite du président de la Chambre11. Le gouvernement ne pouvait frapper un plus grand coup. Les grandes manœuvres du premier ministre Gouin débutent alors. Le gouvernement reprend l'initiative et stabilise sa position de défenseur des droits des francophones hors Québec. La table est mise pour la motion Galipeault.

 

La motion Galipeault

Ce que nous appelons communément la motion Galipeault réfère en fait au bill 180 présenté le 18 février 1916 par le député de Bellechasse, Antonin Galipeault; le bill s'intitule Loi pour autoriser les municipalités à contribuer de leurs deniers pour des fins patriotiques, nationales et scolaires. La présentation en première lecture se faisant sans débat, c'est à la deuxième lecture que le débat sur le principe du bill s'engage, soit le 23 février 1916. En introduisant cette législation, le gouvernement désire permettre aux municipalités de souscrire au Fonds des écoles ontariennes.

Déjà, la veille, à la séance du 22 février, lors de l'étude d'un article du bill 99 modifiant la charte de Montréal, Armand Lavergne entame le débat. Un article de la charte vise à permettre à Montréal « l'emprunt d'une somme n'excédant pas 300 000 $ sur son fonds d'emprunt […] pour être employée pour des fins de charité, fins patriotiques […] et spécialement pour contribuer au Fonds patriotique canadien. »

La charte de Montréal prévoyait déjà une somme de 1 000 $. Lavergne trouvant cette somme insuffisante propose en amendement à l'article 39 d'ajouter les mots « et éducationnelles » après les mots « fins patriotiques ». L'intention est évidente. « C'est, dit-il, afin de permettre à la ville de Montréal de souscrire plus largement au fonds de l'Association d'éducation de l'Ontario, la cause des Canadiens de l'Ontario qui nous est cent fois plus précieuse que le Fonds patriotique. » Et pour défendre son amendement, Lavergne sert une autre envolée oratoire sur la question ontarienne. Au passage, il en profite pour dénoncer le Fonds patriotique canadien qu'il qualifie « d'une des plus monumentales farces que l'on ait vues depuis le commencement de la guerre ».

Le député de Montmagny mêle les choses, réplique le premier ministre. Il rappelle que la Chambre étudie le bill de Montréal qui prévoit à l'article 39 que Montréal pourra souscrire des sommes d'argent à des fins patriotiques, que l'article laisse la liberté au conseil de ville de Montréal de verser une partie du montant à l'Association d'éducation de l'Ontario et que l'article 35 voté plus tôt prévoit un montant d'argent à cette fin. « De plus, dit-il, le député de Bellechasse a présenté un bill (le bill 180) durant cette session même et qui sera sans doute adopté à l'unanimité. Ce bill donne aux municipalités en général la permission de prélever une taxe spéciale pour des fins patriotiques scolaires. […] Montréal pourra se prévaloir de cette loi. »

Comme prévu, le lendemain, Antonin Galipeault propose la deuxième lecture de son bill qui est référé au comité général de la Chambre. À la surprise générale, le chef de l'opposition s'objecte au bill parce qu'il n'y voit qu'une manœuvre politique et qu'il ne croit pas que ce soit une bonne chose pour la minorité canadienne-française de l'Ontario. « Il est criminel, déclare-t-il, d'organiser ainsi les municipalités scolaires pour aller faire la guerre au gouvernement de l'Ontario. […] Une décision du gouvernement du Québec favorable au bill aura pour effet d'indisposer le gouvernement ontarien à notre égard. […] Nous allons faire là un acte anticonstitutionnel. »

Les observateurs politiques parleront d'un suicide politique de la part de Cousineau. Gouin, pour sa part, dira à ses proches : « Cousineau est coulé; préparons des élections12. » Effectivement, les conservateurs subiront en mai une de leurs défaites les plus cuisantes. Cousineau, lui-même défait à ces élections, sera remplacé par Arthur Sauvé à titre de chef de l'opposition.

Pourtant les objections soulevées par Philémon Cousineau, un juriste, ne sont pas sans fondement. Une de ses craintes les plus vives était de voir certaines municipalités, dont les plus importantes, s'entredéchirer entre Anglais et Français quant à la perception d'une taxe destinée au soutien des écoles francophones ontariennes. Et d'ailleurs, lorsque le Conseil législatif modifiera le bill pour transférer aux commissions scolaires la permission de souscrire auxdites écoles, l'Assemblée législative adoptera à l'unanimité, à la séance du 14 mars 1916, le bill ainsi modifié. Et à cette séance, Armand Lavergne interviendra une dernière fois à l'Assemblée législative, puisqu'il ne se représentera pas aux prochaines élections générales du printemps suivant.

Dans cette histoire, il semble que Philémon Cousineau ait été beaucoup plus pénalisé par son style fonceur et agressif face au gouvernement que par sa méconnaissance de ses dossiers. Le Parti conservateur a aussi eu de la difficulté à se distancer de son « grand-frère » d'Ottawa dont les positions sur les écoles françaises d'Ontario sont pour le moins tièdes. Ne pas indisposer le gouvernement ontarien semble être le leitmotiv du Parti conservateur tant à Ottawa qu'à Québec. C'est laisser beaucoup d'espace au premier ministre Gouin qui sortira grand gagnant auprès de l'opinion publique, se plaçant ainsi comme le chef de file de la défense des Canadiens français hors Québec13. Gouin aurait-il sciemment tendu un piège à l'opposition pour la faire trébucher?

 

Les femmes et le Barreau14

Le 9 février 1916, le jeune député de Dorchester, M. Lucien Cannon écrit une page d'histoire en présentant pour la première fois, à l'Assemblée législative, un bill visant à admettre les femmes au Barreau. C'est le début d'un long combat.

En effet, ce ne sera que 25 ans plus tard, en 1941, que l'Assemblée législative votera le bill permettant aux femmes de pratiquer le droit dans la province de Québec. Les interventions des députés sur le principe du bill, dont celle du parrain, ont lieu aux séances du 23 février et du 10 mars; certaines sont élégantes, d'autres moins…

Le bill est rejeté par 22 voix contre 21.

 

Législation

L'opposition officielle fait état, dès le début de la session, que le gouvernement présente bien peu de législation publique. Elle réitérera ce reproche tout au long de la session. En comparant avec les sessions antérieures, surtout celles d'avant la Grande Guerre, force est de reconnaître le point de vue de l'opposition : le gouvernement présente peu de lois importantes. Il est vrai que la guerre monopolise énergie et préoccupations, et que le gouvernement est rendu à la quatrième année de son mandat. Nous sommes donc à la veille du déclenchement d'une élection générale au Québec. Dans ce contexte, le moment n'est pas aux nouveautés et aux grandes réformes, mais plutôt à la consolidation des acquis, et le gouvernement fait son bilan.

Si les législations publiques sont peu nombreuses, certaines méritent néanmoins d'être soulignées :

  • Le bill 19 concernant le Code municipal de la province de Québec dont le dépôt fait suite à une longue étude de six années, menée par une commission chargée d'en réviser le contenu. Le rapport des commissaires déposé, le gouvernement demande à la Chambre d'adopter le nouveau Code, du moins les éléments qu'il en a retenus. Les modifications au Code, contenues dans ce bill, sont présentées par le premier ministre lui-même, à la séance du 3 février 1916; l'opposition y fait également ses commentaires.

  • Le bill 10 concernant l'entretien de certains enfants dans une école de réforme ou une école d'industrie. Il s'agit de cinq contrats passés entre le gouvernement du Québec et cinq intervenants religieux pour la prise en charge d'enfants en difficultés. Ce type de projet de loi n'est pas nouveau, mais, compte tenu que les contrats, les « cédules » disait-on, ont été reproduits au procès-verbal de la séance du 31 janvier 1916, nous avons là l'occasion de prendre connaissance de la façon dont ces institutions de « charité sociale » opéraient au début du siècle. Les « cédules » s'avèrent également une excellente photographie de la mentalité du temps sur cette question.

  • Le bill 25 relatif à certaines questions soumises à la Cour du roi, juridiction d'appel, par le lieutenant-gouverneur en conseil. Dans ses commentaires, le premier ministre dit que « le bill présenté a pour objet de confirmer une entente entre les gouvernements fédéral et provincial » à l'effet « de permettre de faire régler par le Conseil privé la question des pêcheries qui s'est élevée entre le gouvernement de la province de Québec et celui du Canada. » (Séance du 25 février 1916) Le jugement du Conseil privé de Londres n'interviendra qu'en 1922. Entre temps, le Québec s'activera à organiser les pêcheries dans le golfe Saint-Laurent.

  • Le bill 31 amendant la loi des licences. À la séance du 1er mars 1916, ce bill donne l'occasion aux parlementaires de donner leur point de vue sur la campagne de prohibition qui a cours au sein de la société québécoise. Il faut également noter que l'un des principaux articles du bill est proposé à la demande du ministre de la Milice du Canada, Sir Sam Hughes : l'article vise, en temps de guerre évidemment, à permettre au ministre de la milice de prendre les mesures nécessaires pour empêcher les soldats de se livrer à l'intempérance dans les « buvettes ». M. Mitchell, trésorier de la province, à la présentation du bill, le 28 février 1916, dira : « …il s'est produit bien des abus dans certaines buvettes. »

  • Le bill 179 modifiant la loi de tempérance relativement au mode de votation sur les règlements de prohibition. Le bill vise à permettre aux femmes qui ont droit de vote aux élections municipales d'exercer leur droit de vote sur la prohibition. De plus, le bill introduit le principe du scrutin secret quant à la prohibition, ce qui évitera toute intimidation et influence indue, au dire de tous les députés.

  • L'importante question de la fusion des commissions scolaires sur l'île de Montréal rebondit sur le plancher de l'Assemblée législative par l'entremise de trois bills privés : le bill 92 annexant la municipalité scolaire du village de Villeray à celle des écoles catholiques de Montréal, le bill 73 annexant certaines municipalités scolaires à celle de la Commission des écoles de Montréal (sic) et le bill 83 annexant la municipalité scolaire de la ville de Maisonneuve à celle des écoles catholiques de Montréal. La question est tellement d'intérêt public que la Chambre renvoie ces trois bills au comité des bills publics plutôt qu'au comité des bills privés. Et le premier ministre interviendra lui-même, à la séance du 29 janvier, afin d'expliquer la position de son gouvernement relativement à cette question : un projet « d'une importance capitale » déclare-t-il alors. Tout en se disant d'accord avec les demandes individuelles de fusion, il n'est cependant pas disposé, pour le moment, à accepter la fusion en bloc de toutes les commissions scolaires entourant Montréal. Ainsi les bill 83 et 92 seront sanctionnés et le bill 73 sera retiré. Le gouvernement étudiera cette question au cours de l'année suivante et proposera lui-même une proposition de fusion, conclut-il.

 

Débats

Dans les dernières semaines de la session, l'opposition initie une série de débats qui nous semblent poursuivre un double objectif. Tout d'abord, il s'agit, bien sûr, d'attaquer le gouvernement sur ses politiques destinées au monde rural, une clientèle particulièrement convoitée par le Parti conservateur. Ainsi, l'opposition suscite des débats sur la politique du gouvernement en matière de voirie, les 15 et 16 mars 1916, sur la politique de colonisation, le 13 mars 1916, sur la politique forestière, le 10 mars et sur l'industrie laitière, le 8 mars; l'opposition attaquera aussi l'intégrité du gouvernement quant à la construction d'un barrage sur la rivière Saint-Maurice et quant à la construction et la gestion de la prison de Bordeaux. (Voir le résumé ci-dessous) Le second objectif, non-avoué mais perceptible, consiste à esquisser l'ébauche d'un programme électoral.

Deux acteurs importants mèneront la charge : Philémon Cousineau et Arthur Sauvé. Ce dernier, en fin de session, démontre une stature de plus en plus importante, un fait concrétisé par le discours qu'il prononce à la toute dernière journée de la session, le 16 mars 1916, lors de la présentation d'une motion de censure à l'endroit du gouvernement. C'est un chef qui parle. Le changement de garde s'annonce.

 

Le barrage de la rivière Saint-Maurice

Aux séances des 8 et 9 mars 1916, l'opposition attaque lourdement le gouvernement dans le cas de la construction du barrage aux rapides de la Loutre sur la rivière Saint-Maurice. Il l'accuse principalement d'avoir privilégié un entrepreneur au détriment d'un autre qui s'avérait, selon l'opposition, le plus bas soumissionnaire. Le gouvernement, pour écarter ce dernier, M. Jos. Gosselin, lui aurait fixé, après la fermeture des soumissions, au moment de la signature du contrat, des conditions telles qu'il dût se désister au profit de la Saint Maurice Construction Company, dont la soumission était de 80 000 $ plus élevée que la soumission de M. Gosselin. L'opposition dépose, le 9 mars 1916, une motion de censure. Le gouvernement s'empresse de réfuter les accusations de l'opposition par l'entremise du ministre des Terres et Forêts, Jules Allard, du ministre des Travaux publics et du Travail, Alexandre Taschereau, du trésorier de la province, George Mitchell, et du premier ministre lui-même.

Un débat à saveur financière, fort intéressant qui, à la fin, dégénère en attaques personnelles contre la personne de M. Simon-Napoléon Parent, président de la Commission du régime des eaux courantes de Québec et ex-premier ministre libéral de la province. Ces attaques sont surtout menées par Cousineau. Gouin dénonce les propos du chef de l'opposition et défend l'honneur de M. Parent. Ce plaidoyer peut faire sourire, venant de celui qui, en 1905, a lui-même renversé le gouvernement Parent.

 

La prison de Bordeaux

Depuis des années, Philémon Cousineau talonne le gouvernement Gouin à propos de la construction de la prison de Bordeaux. Devenu chef de l'opposition, il n'abandonne pas le dossier. Aux séances des 14 et 15 mars 1916, l'opposition mène une charge à fond de train contre le gouvernement relativement à l'octroi de contrats sans soumission pour des travaux de construction effectués à la prison de Bordeaux; elle dénonce également la gestion de ladite prison. S'appuyant sur cinq affidavits signés par cinq gardiens congédiés, qui se déclarent tous de bons libéraux, l'opposition nous présente un véritable scénario d'horreur. Tout aurait été mal construit. Les affidavits, reproduits aux séances des 14 et 15 mars 1916, font état d'innombrables défectuosités au niveau des éléments suivants : solage, couvertures, « barrage des cellules », murs intérieurs, murs extérieurs, plomberie et chauffage, système d'éclairage, enduits, ventilation, fenêtres, barreaux de fenêtres, planchers, peinture, vernis…

Quant à l'administration de la prison, on parle de vol, gaspillage et de l'attitude quelque peu particulière du geôlier, le directeur de la prison en fait. À titre d'exemple, l'incident suivant est rapporté dans l'affidavit de M. Louis-Philippe Vallée :

« Le geôlier est un lutteur, il se proclame "all around athlete". Pour le prouver, un jour durant l'année 1914, il a fait mettre les officiers en rangs dans le vestibule de l'administration, c'était un matin de paie. Une fois en rangs, les officiers virent tout à coup apparaître devant eux le geôlier en costume de lutte. Il portait son pantalon, ses bretelles pendaient et le reste de son corps était nu. Il avait un air martial, la moustache relevée à la "Kaiser", et, d'un air provocateur, il fit l'inspection des gardes, puis il interpella le garde Samuel Vallée et lui dit de sortir des rangs pour venir dans sa chambre se mesurer avec lui afin que l'on sache lequel était le plus fort. M. Samuel Vallée pèse environ 245 livres, il est d'une forte stature et il a la réputation d'un homme fort. Comme c'était après 7 heures du matin, il y avait déjà un grand nombre de prisonniers qui avaient la permission de circuler dans la prison pour vaquer à leurs occupations diverses et un certain nombre dans les bureaux de l'administration, de sorte que plusieurs détenus ont été témoins de cette provocation.

« Il n'y a pas eu de "prize fight" parce que le garde Samuel Vallée, étant malade, a refusé de lutter. Le jour même, ce garde (S. Vallée) a été suspendu pour refus d'obéissance à l'ordre de son supérieur. Je crois qu'il a été dehors durant une quinzaine de jours. »

 

Le gouvernement, par l'entremise du ministre des Travaux publics et du Travail, M. Taschereau, rétorque que les argents ont été dépensés conformément aux statuts et que les contrats qui ont été accordés, trois au total, ont été approuvés par la Chambre. Quant aux faits énoncés dans les affidavits, M. Taschereau les qualifie « de commérages et de placotages ».

 

Humour

Une session donne toujours l'occasion à certains députés d'y aller de phrases savoureuses. Nous en avons relevé quelques-unes.

Le 7 février 1916, lors du débat en deuxième lecture du bill 63 concernant La Presse Publishing Company Limited, M. Cousineau demande : « Enfin, vous pouvez nous dire quel est le principe du bill? » Avant que le parrain du bill puisse répondre, M. Lavergne dit : «La Presse n'a pas de principe. Pourquoi le bill en aurait-il?»

Le 25 février 1916, en comité général pour l'étude article par article du bill 174 modifiant la loi de pharmacie de Québec, M. Galipeault, député de Bellechasse, « avoue avoir moins peur des ciguës préparées par son médecin que celles vendues en fioles par le pharmacien marchand de bonbons, de chocolat et d'appareils photographiques. » Il ajoute que « le plus grand chiffre d'affaires des pharmaciens était basé sur la vente d'articles qui n'avaient aucune relation avec la vraie pharmacie. Le trafic des objets de fantaisie dépasse souvent dix fois celui des médicaments. » Plus ça change, plus ça reste pareil…

La palme revient toutefois à M. Cousineau qui, le 4 février 1916, dans le cadre du comité général étudiant les subsides, exprimait les propos qui suivent :

« Nous sommes une province de bureaucrates. Il s'élève contre le coût trop élevé de l'administration civile. Il dit que le mode de gouvernement que la province possède suffirait pour une population de 50,000,000. Le Conseil législatif siège à peine trois jours. Nous, de cette Chambre, nous faisons plus de travail, mais nous ferions encore mieux si nous étions seulement la moitié moins. La majorité devraient retourner à la ferme. Il trouve qu'il y a trop de fonctionnaires publics et qu'il faudra en venir tôt ou tard à une diminution du coût de l'administration.

« Il se plaint en particulier des taxes qui retombent sur les citoyens de cette province, taxes qu'il prétend lourdes et injustes. Bon Baptiste est bien patient et généreux, il se fait voler par tout le monde. Ce sont d'abord les commissions scolaires qui le volent, puis le curé, les municipalités, le gouvernement provincial et bien d'autres corporations. Cela me fait penser à cet homme qui mourrait assisté de son curé et de son médecin et qui dirait : Mon Dieu, ayez pitié de moi, car je meurs entre deux voleurs. »

 

Critique des sources

Par Jocelyn Saint-Pierre

Un gouvernement libéral choyé par la presse

Durant cette session, la presse québécoise demeure un acteur politique de premier plan. En dépit de la guerre et même si la censure fédérale est impitoyable, ses effets ne se font pas sentir sur les reportages parlementaires. Presse et politique sont toujours étroitement liées. Chaque parti, chaque groupe, chaque idéologie dispose d’au moins un journal, parfois plus. Les libéraux peuvent compter sur Le Soleil et Le Canada alors que les conservateurs peuvent profiter de l'appui de La Patrie, de L’Événement et en principe des journaux anglophones tels que la Gazette ou le Star. Les nationalistes sont supportés par Le Devoir tandis que le pouvoir clérical est représenté par L’Action catholique.

Pour durer, un parti politique doit pouvoir compter sur une presse amie qui vantera ses mérites et défendra ses politiques auprès des électeurs. Depuis près de vingt ans, le parti libéral est au pouvoir sur la scène québécoise. En 1916, Lomer Gouin tient fermement les rênes du gouvernement. Les libéraux continuent de posséder des journaux comme Le Soleil ou Le Canada, financés à même les deniers publics, « faveurs qui coûtent bien cher à la province et qui lui rapportent bien peu » selon Sauvé (séance du 19 janvier).

Gouin réussit à attirer dans son orbite des journaux prétendument neutres comme La Presse et La Patrie, mais surtout, il est parvenu au fil des ans à se mériter les bonnes grâces de la presse conservatrice anglophone. On se rappellera que, traditionnellement, le Parti conservateur, surtout à Ottawa, contrôle plusieurs journaux. Par ricochet, la faible phalange conservatrice québécoise en profite. Mais la domination des libéraux est telle que les journaux conservateurs s’accommodent très facilement de l’administration Gouin. De plus, la scène politique fédérale et internationale les accapare davantage. Le financement des journaux, par l’intermédiaire d’annonces et de contrats d'impression du gouvernement, source de revenus non négligeable, peut justifier partiellement cette indulgence envers le gouvernement Gouin. Mais le facteur le plus important pouvant expliquer cet appui provient du fait que le gouvernement libéral et la presse conservatrice partagent la même idéologie, soit celle du libéralisme économique.

La Gazette, organe de la haute finance montréalaise et anglophone, propriété de la famille White, est proche des conservateurs fédéraux. Mais comme par le passé, elle supporte le programme et les réalisations du gouvernement Gouin. En 1916, elle goûte particulièrement le discours du trône. À ses yeux, l’administration libérale a entraîné le Québec dans un développement plus rapide que celui des autres provinces. Selon elle, le Québec se classe premier sur les plans industriel, commercial et démographique grâce à l’administration libérale. Gouin s’empresse de signaler à la séance du 13 janvier ce commentaire élogieux. Cousineau raille en parlant de la Gazette si chère au cœur du premier ministre (séance du 22 février). Les seuls ennemis de la Gazette demeurent les nationalistes. L’appui total à l’effort de guerre du quotidien anglophone le porte à dénoncer les nationalistes et les propos d'Armand Lavergne en particulier.

Les autres journaux anglophones conservateurs sont le Montreal Star de l’impérialiste Hugh Graham, le Montreal Herald qui vient de fusionner avec le libéral Montreal Telegraph, et le Quebec Chronicle. Ces journaux qui s’intéressent davantage à la politique fédérale et internationale sont généralement sympathiques au gouvernement Gouin pour sa bonne gestion. Le Daily Telegraph de Frank Carrel continue d’afficher ses sympathies pour le Parti libéral.

L’Action sociale change de nom. À partir du 9 juin 1915, elle s’appelle L’Action catholique. Cet abandon du mot « social » ne signifie pas un changement d’orientation. On veut tout simplement distinguer le journal des diverses œuvres d’action sociale catholique et faciliter ses relations d’affaires. On espère surtout éviter « toute méprise et toute confusion ». Elle gardera son nouveau nom pendant un demi-siècle. L’Action catholique, inspirée par l’archevêché, prône le développement d’une société conforme aux enseignements de l’Église catholique. Son idéologie en est une de retour au passé et de conservation de l’ordre établi. Elle demeure très critique face au libéralisme du gouvernement Gouin, mais cette opposition s’est atténuée avec le temps. On ne peut accuser L’Action catholique « d’amour tendre » envers les libéraux, l’expression est du ministre Taschereau (séance du 25 janvier 1916), mais elle écrit parfois de « jolies choses » sur eux. Avec les succès électoraux des libéraux, il fallait bien faire avec, d’autant plus que le parti a atténué son programme de réforme. L’Action met toujours l’accent sur les questions religieuses, l’agriculture, la colonisation, la tempérance et l’immigration. Elle maintient son audience particulièrement dans les milieux ruraux alors que le Parti libéral, mieux enraciné dans les villes, mais présent aussi dans les régions, doit composer avec le pouvoir clérical dans les campagnes.

Au Devoir, un changement de garde s’amorce : Jean-Baptiste Dumont, correspondant parlementaire depuis cinq ans, passe le flambeau à Louis Dupire, un journaliste brillant. Le Devoir, longtemps critique du gouvernement Gouin, met la pédale douce à ses attaques. Les liens jadis étroits entre les conservateurs et Le Devoir sont rompus avec l’arrivée de Cousineau à la tête de l’opposition. On lui fait grief d’être trop proche des torys-impérialistes d’Ottawa et de refuser d’appuyer la cause des francophones hors Québec. D’ailleurs, à l’élection de 1916, le fondateur du Devoir donnera son appui à Gouin en ces termes : « Un cabinet Gouin est assurément plus acceptable à tous égards qu’un cabinet Cousineau […] Gouin c’est quelqu’un […] Cousineau ce n’est personne ». Le ton du Devoir se fait plus modéré envers le gouvernement dans des dossiers comme l’éducation, la colonisation, la voirie, la fiscalité, les affaires municipales et les questions linguistiques. Lavergne y a naturellement bonne presse.

La Presse, de son côté, est plongée dans le drame de la succession de son propriétaire, Trefflé Berthiaume qui s’est éteint l’année précédente. Ce décès lance une longue querelle de famille, pleine de péripéties extraordinaires, qui ne se terminera qu’en 1961 avec le triomphe du gendre de Berthiaume, que l'on surnommait aussi « le gendre de La Presse », Pamphile du Tremblay15. L’ancien typographe avait peu confiance dans les talents d’administrateurs de ses enfants et en particulier de son fils aîné, Arthur. Dans son testament, il lègue son journal à ses enfants et nomme son fils aîné fiduciaire, mais il l’entoure de deux autres fiduciaires, ses hommes de confiance, l’avocat Zénon Fontaine et le notaire J.-R. Rainville. C’est une sorte de mise en tutelle. Les autres membres de la famille, Édouard, Eugène et Angélina, épouse de Pamphile du Tremblay, acceptent à contrecœur les dernières volontés de leur père, mais ils n’ont pas dit leur dernier mot. Ils chercheront par tous les moyens à récupérer leur bien.

Par ailleurs, la querelle se déroule également sur le plan politique. Trefflé Berthiaume avait juré un appui indéfectible aux chefs libéraux tant à Québec qu’à Ottawa, et à Wilfrid Laurier en particulier; son décès remet en question la fidélité du journal au Parti libéral. Arthur Berthiaume et Zénon Fontaine sont proches des conservateurs, et du Tremblay est un libéral notoire. Ce dernier mettra sept ans pour accéder au conseil de tutelle et devenir le maître de La Presse.

L’affaire connaît son premier rebondissement à l’Assembée législative dès 1916. Du Tremblay fait préparer un projet de loi, le bill 63, dont l’objectif vise à changer les fiduciaires d’une partie du capital-action de La Presse Publishing Company Limited et ainsi écarter Fontaine et Mainville en les remplaçant par les cinq héritiers de Berthiaume. Le projet de loi, présenté par le député de Laval, Joseph-Wenceslas Lévesque, ne fera pas long feu. Zénon Fontaine et Eugène Berthiaume font des représentations. Ils font valoir que Trefflé Berthiaume ne voulait en aucune façon que du Tremblay soit associé à la gestion de La Presse et qu’il considérait le rôle de fiduciaire attribué à ses trois filles inconvenant pour une femme16. Le projet de loi est vite retiré à la demande de ses promoteurs.

Le court débat (séance du 7 février) qui entoure la deuxième lecture de ce projet de loi attise la méfiance des députés de l’opposition, car son promoteur ne peut ou ne veut l’expliquer. À cette occasion, Armand Lavergne dira tout le bien qu’il pense de La Presse, qui n’a pas de principe, qui doit disparaître car elle déshonore sa race. Le 17 janvier, il va même jusqu’à dire que La Presse, qui « a couché avec tous les gouvernements », n’est pas un journal mais une « feuille publique ».

La Presse, qui se prétend toujours neutre, se montre très favorable au gouvernement. Arthur Sauvé, député conservateur, soulève une question de privilège à son sujet, car elle l’a accusé d’avoir demandé des documents dont la production coûterait 26 000 $. Et Sauvé de répliquer que cette demande coûtera moins cher que le bill de La Presse.

La Patrie des frères Louis-Joseph et Eugène Tarte, rivale de La Presse, demeure un journal conservateur. Elle appuie le Parti conservateur à l’élection tout en étant hostile aux nationalistes. Elle défend Cousineau et la faible phalange conservatrice, bien que les libéraux laissent planer durant la session l’existence de « dissensions intestines » en son sein. Ainsi, le 13 janvier 1916, le ministre Caron s’amuse des contradictions de La Patrie qui critique le gouvernement dans une même page et qui, souvent dans une même colonne, en fait l'éloge. Selon Armand Lavergne, La Patrie défend des principes pourvu qu’ils paient (séance du 17 janvier). Elle est représentée à la Tribune de la presse par un journaliste aux multiples talents, Damase Potvin.

L’Événement tient le rôle d’organe officiel des conservateurs francophones œuvrant sur la scène fédérale et québécoise. Son rédacteur, Joseph Barnard, est de famille conservatrice; il est le neveu de Thomas Chapais et apparenté à Joseph Doherty, ministre fédéral de la Justice dans le cabinet Borden. Le secrétaire d’État fédéral, Pierre-Édouard Blondin et Albert Sévigny, vice-président de la Chambre des communes, y ont leurs entrées. Son président, David-Ovide L'Espérance, qui doit son poste de président de la Commission du port de Québec aux conservateurs fédéraux, espère une nomination au Sénat17. Il n’est donc pas surprenant que le journal dénonce les libéraux de Gouin et supporte les conservateurs de Cousineau. Bien que ce journal se soit fait depuis longtemps proche des nationalistes, l’élection au fédéral d’un gouvernement conservateur et impérialiste vient détruire cette alliance entre le quotidien de Québec et les disciples de Bourassa.

Le Soleil demeure l’organe du Parti libéral et ne ménage pas les députés de la gauche. Son rédacteur, Henri d’Hellencourt, subit régulièrement les foudres de l’opposition. Pour Cousineau, le rédacteur du Soleil est un « Français renégat » qui reste ici tandis que ses compatriotes tombent par milliers sous les balles allemandes. Il n’a pas, dit-il, de leçon à donner aux Canadiens et il devrait se taire (séance du 24 février). Les conservateurs dénoncent le financement des journaux libéraux à même les fonds publics.

À Montréal, Le Canada demeure la voix officielle du Parti libéral. Il conserve l’impression du Journal d’agriculture qui lui assure des revenus intéressants, 27 000 $ annuellement, ce que dénonce l’opposition. Selon Sauvé, cet organe libéral « a exclusivement pour mission de dire des injures aux membres de l’opposition ». Cousineau le considère sans aucune valeur et il ne voit pas pourquoi le gouvernement l’encourage tant (séance du 8 mars).

Un mot sur Le Réveil de Tancrède Marsil qui a été lancé durant l’intersession. Ce quotidien conservateur nationaliste combat l’engagement militaire du gouvernement canadien. Marsil va même jusqu’à réclamer la formation d’une république canadienne. Le Réveil fait parler de lui, lors de la session, en proposant d’imprimer le Journal d’agriculture à moindre coût que Le Canada.

Mais, en dépit de liens politiques plus ou moins avoués entre les journaux et les acteurs parlementaires, nous n’avons pas trouvé de comptes rendus vraiment partisans. Certes, il arrive qu’un député, sur une question de privilège, dénonce un titre tendancieux ou un éditorial un peu trop zélé, mais la chronique parlementaire demeure généralement sans parti pris.

Durant la première session de 1916, la Tribune de la presse de Québec compte 15 journalistes :

John Richardson The Montreal Herald and the Daily Telegraph Président de la Tribune
Louis-Philippe Desjardins L'Action catholique Vice-président de la Tribune
Alonzo Cinq-Mars La Presse Vice-président de la Tribune
Abel Vineberg The Gazette Secrétaire de la Tribune
Noël Chassé L'Événement  
John A. Davis The Quebec Chronicle  
Louis Dupire Le Devoir  
Joseph-Amédée Gagnon Le Quotidien  
Eustache Letellier Le Canada  
Tancrède Marsil Le Réveil  
Willian R. O’Farell Montreal Daily Mail et Toronto News  
Wilfrid E. Playfair The Montreal Daily Star  
Damase Potvin La Patrie  
Charles Rhéaume Le Soleil  
N. Tooner The Quebec Telegraph  

 

Notes

1. Le 22 avril, à Ypres, les Allemands « employèrent des gaz asphyxiants, pour la première fois dans l'histoire militaire du monde ». Dans la bataille qui s'ensuivit, soit pendant huit jours, la division canadienne perdra six mille hommes, morts et blessés. « Les autorités canadiennes cachèrent au public canadien, pendant quelque temps, la gravité des pertes. Mais elles exaltèrent la vaillance des troupes. » … « La propagande en profita pour chauffer la fierté nationale et entretenir l'élan patriotique. » Dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XX, pp. 47-48.

2. « … Sam Hughes — qui arrivait à la Chambre en uniforme, le torse bombé, insolent et gaffeur — intensifiait le recrutement du deuxième contingent, et parlait d'un troisième, d'un quatrième, d'un dixième et d'un vingtième s'il le fallait. » Dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XX, p. 15.

3. « Les citadins préféraient le travail des usines et les cultivateurs préféraient le travail de la terre à l'aventure, même très embellie par l'éloquence des recruteurs. L'habitant, le vrai habitant fait corps avec sa terre. Pourquoi, comment la quitterait-il? … Cependant les chefs politiques des deux partis se prêtaient à la propagande, car ils craignaient une pauvre figure de la province dans les statistiques. » Dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XX, p. 77.

4. Dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XX, p. 120.

5. Dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XX, p. 165.

6. R. Rumilly dresse une liste exhaustive des entreprises québécoises qui, en 1915, ont profité des commandes de guerre, et ce, aux pages 165 à 169 dans Histoire de la province de Québec, tome XX.

7. L'adoption du Règlement XVII menace la survie des écoles francophones en Ontario. On retrouvera la reproduction du texte intégral de ce célèbre document dans Les débats de l'Assemblée législative, session 1915, pp. xii-xv, 2000.

8. J.-R. Lassonde, La Bibliothèque Saint-Sulpice 1910-1931, Montréal, BNQ, 1987, 401 pages. Et K. Landry, « La lecture publique au Québec à l'aube du XXe siècle : les obstacles à la création de la Bibliothèque civique de Montréal », La bibliothèque québécoise d'hier à aujourd'hui, Montréal, ASTED, 1988, pp. 67-78.

9. « Ce tribut funéraire est l'œuvre d'Armand Lavergne, et de Tancrède Marsil, directeur du journal Le Réveil de Montréal », selon Le Devoir du 12 janvier 1916, à la page 1.

10. Le gouvernement a retiré de la succession de Lord Strathcona la somme de 513 192,78 $ et 109 559,92 $ de la succession James R. Wilson. Ces sommes sont avancées par M. Cousineau dans son discours du 25 janvier 1916.

11. MM. Landry et Taschereau sont beaux-frères. Ils ont épousé les deux sœurs.

12. Dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XXI, p. 51.

13. Dans Histoire politique du Québec contemporain. De la Confédération à la crise (1867-1929), à la page 583, les auteurs, Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert s'expriment de la façon suivante : « Non seulement la guerre permet à Gouin de triompher facilement de ses adversaires, mais elle est aussi l'occasion pour lui de s'attirer le respect des nationalistes. Gouin devient, d'une certaine façon, le porte-parole politique le plus éminent des Canadiens français. »

14. Sur cette question, voir : Gilles Gallichan, « Les vaines tentatives de Lucien Cannon », Les Québécoises et le Barreau. L'histoire d'une difficile conquête 1914-1941, Sillery, Éditions du Septentrion, 1999, pp 37-59.

15. Pour suivre cette querelle rocambolesque, on consultera avec profit l'ouvrage de Pierre Godin, L'information-opium. Une histoire politique de la presse, Montréal, Éditions Parti Pris, 1973, 469 p.

16. Ibidem, pp. 85-86.

17. Voir Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, Montréal, Montréal-Éditions, 1940, tome XXI, Courcelette, pp. 189-190.