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Version finale

39th Legislature, 2nd Session
(February 23, 2011 au August 1, 2012)

Tuesday, March 29, 2011 - Vol. 42 N° 3

Consultation générale et auditions publiques sur le projet de loi n° 82 - Loi sur le patrimoine culturel


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Table des matières

Journal des débats

(Dix heures sept minutes)

Le Président (M. Marsan): À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Je rappelle le mandat de la commission, qui est de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 82, Loi sur le patrimoine culturel.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Robert (Prévost) est remplacé par M. Turcotte (Saint-Jean).

Le Président (M. Marsan): Je vous remercie. Et nous avons un grand plaisir ce matin: d'entendre par visioconférence le Conseil de la culture de la Gaspésie depuis Carleton-sur-Mer. Et je voudrais simplement vous rappeler quelques notes importantes lorsque nous travaillons avec la visioconférence. Alors, c'est possible qu'il y ait un léger délai entre le moment où on pose la question et le moment où on nous répond. On parle d'un très léger délai d'environ un petit peu plus d'une seconde. On nous demande de faire attention d'attendre qu'une personne ait terminé sa phrase avant de parler afin de ne pas s'interrompre. Alors, encore une fois, vous avez juste à écouter le président, qui, lui, va donner la parole. Je vous rappelle qu'il y a des écrans de chaque côté, ici en avant également.

Auditions (suite)

Je vous rappelle aussi que l'organisme, le Conseil de la culture de la Gaspésie, a un temps de 15 minutes pour exposer la position du Conseil de la culture de la Gaspésie sur le projet de loi n° 82. Alors, c'est vraiment agréable d'accueillir les représentants: M. Pascal Alain, qui est président, et Mme Annie Chénier, la directrice générale. Nous allons vous demander... Vous nous entendez bien?

(Visioconférence)

Conseil de la culture de la Gaspésie

Mme Chénier (Annie): Tout à fait.

M. Alain (Pascal): Très bien. Merci.

Le Président (M. Marsan): Nous allons vous demander de faire... de débuter immédiatement votre exposé.

M. Alain (Pascal): Parfait. Alors, bonjour à tous les membres de la Commission de la culture et de l'éducation, M. Marsan. Tout d'abord, permettez-nous de vous remercier très sincèrement de l'opportunité que vous nous donnez. On peut s'exprimer à distance sur le projet de loi par l'entremise de la technologie. Alors, nous sommes bien heureux d'être parmi vous ce matin.

Quelques mots pour vous parler brièvement de la mission, du mandat, de la raison d'être d'un conseil de la culture. Alors, notre mission, le Conseil de la culture de la Gaspésie, c'est de promouvoir et de défendre les intérêts du milieu culturel tout en travaillant à une meilleure visibilité des artistes et produits culturels gaspésiens et en assurer le développement. Cette mission sous-tend plusieurs objectifs. Les principaux sont évidemment de soutenir les artistes et les artisans dans leurs démarches artistiques et professionnelles. C'est également de promouvoir et de défendre les intérêts culturels de la région et c'est de participer activement aux mécanismes de concertation régionale, et enfin c'est de soutenir, promouvoir, stimuler la recherche et l'excellence dans le domaine des arts et de la culture.

**(10 h 10)**

Depuis sa fondation, en 1992, j'aimerais vous signaler quelques réalisations marquantes du Conseil de la culture de la Gaspésie en lien direct avec le projet de loi, donc la Loi sur le patrimoine culturel. Tout d'abord, en 1996, le Conseil de la culture de la Gaspésie a initié un forum régional sur le patrimoine de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Deux années plus tard, en 1998, nous avons initié la rédaction du plan directeur du patrimoine de la Gaspésie. En 2000, c'était l'entrée, évidemment, du monde dans le XXIe siècle, alors nous avons initié une série de colloques. Nous avons cinq MRC en Gaspésie, alors un colloque par territoire, par MRC, qui s'intitule Le patrimoine en 2000.

De 2000 à 2004, nous avons planché sur la mise en réseau par la commercialisation de la Route des origines. Trois ans plus tard, en 2007, nous avons travaillé à adopter un portrait diagnostique des institutions muséales en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, portrait qui nous a amenés l'année suivante à travailler sur un processus de mise en place d'un réseau muséal, et en 2010 nous avons réussi à implanter ce réseau. Alors, il existe, depuis 2010, en Gaspésie, un réseau muséal et patrimonial de la Gaspésie.

La portée de notre intervention aujourd'hui, M. Marsan, vous l'aurez peut-être deviné, sera davantage reliée à notre mandat d'organisme de concertation, de mobilisation et de sensibilisation. Alors, si notre intervention est portée là-dessus, bien, nos limites, vous l'aurez peut-être deviné également: nous ne sommes pas des experts en matière de législation. Bien que polyvalents, nous ne sommes pas avocats ni juristes de formation et de métier. Alors, nous allons vraiment porter notre intervention sur l'esprit de ce projet de loi, le contenu.

Alors, en mai 2008, la Conseil de la culture de la Gaspésie a présenté, à Gaspé, dans le cadre de la tournée de consultation sur la révision de la Loi sur les biens culturels, un mémoire qui s'intitulait Une Loi pour l'appropriation collective de notre patrimoine. Nous avions profité de cette occasion unique pour donner notre appui à certains volets du livre vert et aussi pour exprimer nos craintes portant sur la révision de la Loi sur les biens culturels du Québec. Le mémoire que nous avons déposé à ce moment-là commentait de nombreux enjeux reliés au projet de loi proposé, et nous avions insisté également sur l'importance d'intégrer la protection et la mise en valeur des paysages dans la loi. Pour le conseil de la culture, on ne vous cachera pas que cette dimension, le paysage, est intimement reliée à l'identité collective de la Gaspésie, alors identité collective qui rejoint évidemment la dimension culturelle mais également la dimension économique, et il mérite qu'on lui porte une attention très particulière.

Le Conseil de la culture de la Gaspésie se réjouit évidemment que le patrimoine paysager soit inclus dans le projet de loi et qu'un organisme comme le Conseil du patrimoine culturel du Québec puisse assurer une meilleure protection du patrimoine québécois.

Lors du dépôt de notre mémoire, nous avons mentionné notre souhait que l'ensemble des ministères et des sociétés d'État soient mis à contribution pour assurer une cohérence à leur intervention et à en minimiser l'impact sur nos paysages. Il apparaît opportun qu'un statut légal soit envisagé pour la route panoramique du Tour de la Gaspésie, qui est un tour, à notre avis, assez unique, mondialement reconnu à plusieurs reprises, notamment par le fameux National Geographic, qui en parle tout récemment, encore une fois, comme l'une des régions incontournables à visiter avant de mourir. Alors, si ce n'est pas déjà fait, il faut mettre ça à notre agenda. Alors, paysages mondialement reconnus, comme je le disais, dont la valeur historique, environnementale, emblématique et identitaire est très forte. Nous vous proposions même que la caractérisation des paysages de cette route fasse l'objet d'un projet pilote qui pourrait mener à l'identification des mesures de protection à mettre en oeuvre pour en assurer la sauvegarde, la mise en valeur et la pérennité.

Depuis le temps, M. Marsan, le projet a fait du chemin dans l'imaginaire collectif des citoyens gaspésiens. En effet, tout récemment, la Conférence régionale des élu-e-s Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine a amorcé une démarche concrète en matière de tourisme durable qui s'inscrit tout à fait dans l'esprit de la loi, pour l'intérêt public et dans une perspective de développement durable.

Alors, la conférence régionale des élus a adopté la première politique-cadre sur le tourisme durable au Québec le 5 novembre dernier. La démarche vise à assurer un développement harmonieux et a pour but de protéger et de mettre en valeur l'authenticité et l'intégrité de la richesse culturelle, humaine et physique de notre région. Si l'on regarde cette politique-cadre-là de plus près, on voit que la préservation et la mise en valeur du patrimoine paysager s'expriment en ces mots; on parle de «reconnaissance du paysage gaspésien, qui est marqué par son caractère péninsulaire, maritime et montagneux ainsi que par son patrimoine bâti identitaire, en tant que ressource essentielle au développement et à la durabilité de son industrie touristique».

L'orientation derrière cette politique-cadre-là: «Intervenir de façon concertée sur tout le territoire pour assumer les responsabilités qui reviennent à la région en matière de protection et de mise en valeur des paysages.»

Maintenant, si on regarde l'objectif, le coeur de cette politique, alors, l'objectif, c'est vraiment d'«adopter et de mettre en oeuvre, à l'échelle de la région et des localités, des mesures de protection et de mise en valeur du paysage et du patrimoine bâti», chose qui se reflète très bien dans le projet de loi sur le patrimoine culturel de ce que nous avons lu via le livre vert et le projet de loi.

Le Conseil de la culture de la Gaspésie et plusieurs acteurs de la région se sont engagés publiquement à collaborer à la mise en oeuvre de cette politique-cadre. Nous avions également identifié, par l'entremise de notre mémoire, plusieurs aspects préoccupants que nous voudrions vous rappeler aujourd'hui, car, dans le contexte actuel, nous pourrions croire que l'aventure gaspésienne pour la reconnaissance des paysages pourrait s'annoncer ardue. Voici pourquoi.

Dans un premier temps, il nous apparaît primordial de prévoir un volet promotion, animation et éducation au patrimoine dans les collectivités, collectivités qui peuvent être tant les municipalités que le milieu scolaire, pour développer une meilleure connaissance et une meilleure sensibilité à la valeur et au rôle de ce bien collectif. Pour y arriver, nous vous proposions différentes pistes, notamment un investissement du ministère de la Culture, Communications et Condition féminine justement dans cet objectif de promotion, d'animation, d'éducation au patrimoine, particulièrement en ce qui concerne le patrimoine paysager. À notre avis, M. le Président, aucune loi ne peut remplacer la volonté populaire et politique.

De plus, comme autre piste, nous vous proposions un engagement du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport pour inclure dans le cursus scolaire un chapitre dédié à la valorisation du patrimoine. Les jeunes, ainsi sensibilisés, pourraient devenir assurément de meilleurs citoyens envers le patrimoine et, par le fait même, devenir des ambassadeurs dans leurs familles.

Nous vous proposions également une valorisation des programmes tels que Villes et villages d'art et de patrimoine ou encore La Fondation Rues principales par leur consolidation et leur déploiement sur l'ensemble du territoire québécois.

Enfin, pour arriver à cet objectif toujours de promotion, d'animation, d'éducation au patrimoine, nous vous proposions une sensibilisation des structures du gouvernement afin de mettre en place des mesures d'atténuation en diminuant l'impact sur leur environnement immédiat. À titre d'exemple, les ministères ou les organismes gouvernementaux de même que certaines sociétés d'État, tant au provincial qu'au fédéral, ont grandement contribué, au cours des 50 ou 60 dernières années, à l'appauvrissement de la trame urbaine de nos villages. Ils auraient pu participer à la constitution du patrimoine de demain, mais, hélas, nous constatons malheureusement que les écoles polyvalentes, les bureaux de poste, les bâtiments d'Hydro-Québec, les succursales de la Société des alcools du Québec, pour ne nommer que ceux-là, sont pour la plupart des taches au centre des villages de la région.

**(10 h 20)**

Dans un second temps, nous souhaitons que le Conseil du patrimoine culturel du Québec ait les moyens de ses ambitions et soit doté d'un véritable coffre d'outils, coffre d'outils qui sera garni de ressources nécessaires, ressources humaines, ressources financières, ressources techniques, pour répondre pleinement et efficacement aux mandats que lui confiera le gouvernement.

Enfin, nous tenons à vous rappeler que le Conseil de la culture de la Gaspésie a toujours été d'avis que les municipalités ou les MRC doivent assumer davantage de responsabilités quant à la protection du patrimoine. Par contre, encore une fois, il souhaite réaffirmer une de ses craintes: nous craignons que plusieurs des municipalités ou MRC n'ont pas toutes les ressources nécessaires pour jouer ce rôle ou n'y sont pas disposées totalement. Pourquoi? Parce qu'elles n'ont pas toutes le même historique en matière de protection du patrimoine. Elles n'ont pas toutes la même sensibilité non plus ou le même désir d'assumer ces nouvelles responsabilités, ni les mêmes compétences, ni les mêmes ressources. Nous pensons qu'il faut mettre en place des mesures de soutien et d'accompagnement pour que toutes les municipalités puissent s'acquitter convenablement de leurs nouvelles obligations, car elles ne développeront pas du jour au lendemain une sensibilité accrue au patrimoine.

Aujourd'hui, il y a des pilules à la pharmacie du coin pour guérir bien des maux, mais une pilule qui existe pour donner la piqûre au patrimoine ou à... ça n'existe pas encore, ça fait que... peut-être un jour. Alors, c'est pour ça que, nous, on craint vraiment qu'on ne peut pas développer ça du jour au lendemain. Ça va nous prendre un coffre à outils pour y arriver.

Alors, les municipalités devront être accompagnées et outillées pour résister à la pression de leurs propres milieux. Ainsi, nous croyons qu'un transfert de responsabilité aux municipalités doit être accompagné de mesures, d'outils, de ressources nécessaires à l'atteinte de ces objectifs. De plus, nous pensons qu'il faut prendre certaines précautions pour s'assurer, dans le cadre de la nouvelle loi, que les municipalités puissent assumer convenablement leurs responsabilités.

Nous espérons, membres de la commission, M. le Président, nous espérons sincèrement que nos recommandations déposées aujourd'hui sauront vous guider non pas dans l'adoption du projet de loi proprement dit, puisqu'on n'a pas parlé à proprement dit de chacun des articles, mais plutôt dans la mise en oeuvre de celle-ci, et ce, pour le plus grand bien de cette richesse collective qui constitue notre patrimoine sous toutes ses formes. Je vous remercie infiniment de votre écoute.

Le Président (M. Marsan): Je vous remercie, M. Alain. Nous allons débuter immédiatement notre période d'échange, et je vais céder la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.

Mme St-Pierre: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bon matin à vous qui êtes loin de nous mais en même temps proches, parce que le dossier est un dossier évidemment qui nous intéresse au plus haut point et qui vous intéresse également.

Je me souviens très bien lorsque vous aviez fait votre présentation lors de la tournée de toutes les régions, et vous aviez d'ailleurs mentionné la question de la route 132. Ça faisait partie de vos préoccupations à ce moment-là. Et je suis heureuse de voir que vous mentionnez qu'il y a une politique-cadre qui a été mise en place pour parler de ces sujets-là. Donc, il y a un cheminement qui se fait en Gaspésie pour protéger la beauté, la beauté gaspésienne.

Vous avez des inquiétudes par rapport, évidemment, aux questions monétaires, et ce sont des choses que nous partageons avec vous, parce qu'évidemment les Québécois n'ont pas toujours... ne sont pas toujours... bien, enfin, n'apprécient pas qu'on aille, comme on dit, fouiller trop loin dans leurs poches, puis en même temps, bien, il faut qu'on ait des sources de revenus. Alors, on va essayer de trouver certaines voies, certaines solutions. Et je comprends vos inquiétudes par rapport aux municipalités, en disant: Bien, elles n'auront peut-être pas les ressources soit humaines ou financières pour mener à bien le mandat, mais nous voulons aussi, évidemment, accompagner et nous allons tenter de trouver des moyens.

Je trouve que vous avez des idées intéressantes. Sur la question de l'éducation, ça a été mentionné également par un autre groupe avant vous. Pour sensibiliser davantage les Québécois, même, il faudrait peut-être que ça passe aussi par une formation, une formation à l'école sur notre patrimoine québécois.

Vous parlez du... que le ministère encadre le transfert de responsabilité aux municipalités. Je pense que ça, c'est assez clair dans le projet de loi, que le transfert qui serait fait serait fait avec une concertation puis une supervision en même temps. Puis il y aurait peut-être des choses qui pourraient. après ça. être revues, et il y aurait des bilans qui devraient... devront être faits.

Campagne de sensibilisation, je trouve que c'est fort intéressant également, parce que plus on sensibilise la population à ses richesses, plus elle se sent impliquée aussi, les gens se sentent impliqués dans la protection de leur patrimoine, dans la beauté de ce qu'ils ont. Le conseil du patrimoine, on vous entend bien là-dessus.

Je voudrais vous entendre sur cette politique-là. J'aimerais ça que vous m'en disiez davantage, ce que vous avez mentionné puis on a mentionné au début, la politique-cadre. Est-ce que c'est incitatif, coercitif? Comment ça fonctionne puis comment... Parce qu'on retrouve là, je pense, la base de ce qu'on veut dans le projet de loi pour le paysage, c'est-à-dire qu'il y ait une grande concertation et que vraiment tout le monde dise: Bien, nous, on veut que ça se passe comme ça puis on demande au gouvernement, aux ministères, de donner sa bénédiction.

Alors, comment ça fonctionne exactement? Est-ce que toutes les municipalités sont impliquées? Est-ce qu'il y en a qui ont décidé de ne pas le faire ou tout le monde décide de le faire? Ça fonctionne comment?

Mme Chénier (Annie): Bien, je vais me permettre de répondre, Mme St-Pierre. Puisque le conseil de la culture siège sur le comité régional, on parle d'une politique qui est vraiment en lien avec la philosophie qu'on développe en Gaspésie, donc qui est une politique qui est beaucoup plus au niveau de la mobilisation, de la sensibilisation. On ne parle pas de mesures ou de règles de fonctionnement qu'on voudrait imposer aux municipalités.

Par contre, ce qu'on en connaît... C'est très récent comme adoption de cette politique-là. Par contre, on voit déjà les impacts dans le milieu. La conférence régionale des élus a souhaité viser dans un premier temps ces fameux engagements là. Donc, publiquement, il y a des organisations qui, lors du lancement, se sont engagées publiquement. Donc, il y a des municipalités qui l'ont fait, il y a des MRC qui l'ont fait, il y a des organisations régionales, tant au niveau de la culture que de l'environnement, qui se sont engagées publiquement donc soit sous forme de résolution publique ou sous forme de communiqué de presse, etc. Il y a également des... Il y a la table des préfets également qui souhaite s'impliquer à ce niveau-là.

Et une autre implication concrète, par exemple, la ville de Bonaventure, qui est une de nos... de plusieurs de nos municipalités, s'est engagée cette journée-là à regarder la possibilité de mettre en place une politique de protection du paysage qui pourrait s'apparenter à ce qu'on voit dans les autres régions, notamment les chartes du paysage. Donc, dernièrement, la municipalité de Bonaventure a mis en place une politique de protection et de mise en valeur du paysage qui, encore là, est dans la même lignée et la même philosophie que la politique régionale, qui est un outil de mobilisation, de sensibilisation. On souhaite vraiment favoriser la concertation entre les citoyens et le conseil municipal pour en arriver à des mesures.

La ville de Bonaventure, l'étape où ils sont rendus, c'est à l'étape de changer les règlements qui pourraient... pour s'assurer de la mise en oeuvre de cette politique-là, parce qu'on comprend bien -- et on le dit aussi dans notre mémoire -- qu'après la sensibilisation, après la mobilisation, la réglementation est beaucoup plus facile. Et c'est ce qu'on prône tant au niveau régional qu'au niveau local.

Mme St-Pierre: C'est un très beau discours effectivement, aller chercher le consensus. Dans notre projet de loi, article 18, d'ailleurs, on parle d'une «charte du paysage culturel patrimonial, adoptée par les demanderesses -- les municipalités qui le demanderaient -- qui présente les principes et les engagements pris par le milieu pour sa protection et sa mise en valeur». Ce que vous êtes en train de nous dire, c'est comme si la base de la charte était déjà là, et je trouve ça intéressant.

Et comment... Sur le plan financier justement et des ressources, est-ce que ça a posé un problème? Est-ce que... Parce que vous parlez de sensibilisation. Si «sensibilisation» veut dire qu'il faut mettre du monde sur le terrain ou il faut faire de la communication, de la pédagogie, ça se fait comment? Est-ce que ça demande des sommes d'argent importantes?

Mme Chénier (Annie): Ce n'est pas des sommes d'argent importantes. Ce sont souvent des outils qui sont déjà disponibles auprès de votre ministère mais qu'il faut s'assurer qu'on puisse les préserver.

Donc, dans le cas de Bonaventure, ils ont utilisé une ressource contractuelle pour travailler sur ce projet-là, mais la partie mobilisation, appropriation se fait dans le cadre d'un programme Villes et villages d'art et de patrimoine. Donc, ce sont des outils qui sont déjà existants mais qu'on... parfois, on peut sentir fragilisés dans les différents budgets, là, parce que, bon, notamment le projet de Villes et villages d'art et de patrimoine, dans certains cas en Gaspésie, ils sont à une dizaine d'années d'existence. Donc, ça peut être remis en question parfois par le ministère.

Mme St-Pierre: Est-ce que...

Mme Chénier (Annie): Donc, ce sont des outils accessibles.

**(10 h 30)**

Mme St-Pierre: Donc, les outils qui sont là pourraient être ces outils qui pourraient prendre en charge, pourraient être le... l'expertise, elle serait là.

Mme Chénier (Annie): Oui, tout à fait. D'ailleurs, ce qu'on a trouvé beaucoup intéressant dans le projet, c'est la partie sur les comités locaux du patrimoine. On se dit: Là, ça pourrait... il existe déjà des programmes, des services, des outils d'animation au niveau local, on les a nommés, là: Villes et villages d'art et de patrimoine, il y a Rues principales, il en existe d'autres. Le comité local du patrimoine, nous, on trouve ça très intéressant parce que c'est l'approche citoyens et municipalités, un lieu d'échange commun où va pouvoir se continuer la réflexion de dire: On s'en va où sur la protection de nos bâtiments, nos paysages, etc.?

Mme St-Pierre: Pour ce qui est de... Vous avez dit... Vous avez dit une phrase: Il faut voir la Gaspésie avant de mourir. Je trouve ça... Je trouve ça fort intéressant, puis c'est tout à fait vrai, d'ailleurs. Est-ce que, dans les autres mesures qu'on a dans le projet de loi, sur le fait d'avoir le registre, le répertoire, de bonifier tout ça, de faire en sorte qu'on puisse avoir un outil où on pourrait se référer, est-ce que c'est un plus, ça, sur le plan touristique? Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait être utilisé beaucoup pour faire de la promotion touristique?

Mme Chénier (Annie): Oui. Il faut comprendre que, si on veut faire de la sensibilisation puis développer des programmes d'animation pour les citoyens, il faut être bien documenté. Et, à ça, j'aurais tendance à faire référence à un programme que... M. Alain travaille dans une municipalité, donc il est déjà aussi au niveau des municipalités, mais je pense à l'inventaire qui existe au niveau du patrimoine religieux. Une fois qu'on a cette connaissance-là, il est plus facile, pour les intervenants de terrain comme M. Alain, d'avancer et d'offrir des outils et d'adapter en fonction des clientèles, si c'est la clientèle scolaire ou touristique, comme vous le demandez. Je ne sais pas si tu...

M. Alain (Pascal): Oui. Bien, l'exemple qu'Annie vient de parler est tout à fait éloquent, dans le sens où, dans les années passées... Moi, je travaille pour une municipalité -- pour ne pas la nommer -- ici même, à Carleton-sur-Mer, alors je suis... je m'occupe du développement culturel. Ça fait huit ans que je suis là, la sensibilisation commence beaucoup par ça, c'est un tremplin. Alors, on cite des bâtiments. Alors là, on a l'opportunité de citer ou constituer des sites du patrimoine, protéger des paysages. Alors, je pense qu'on est mûrs, on est assez prêts, matures pour passer à cette prochaine étape là. Et, lorsqu'on arrive à...

Bien, l'exemple du patrimoine religieux est un bel exemple. On a maintenant un site Internet assez important, un registre. Je discute très régulièrement avec les gens du Conseil du patrimoine religieux du Québec, et ce site Internet là, qui regroupe tous les biens culturels, mobiliers ou immeubles à préserver, sont répertoriés. Alors, c'est certain que ça nous donne un argument de plus pour dire aux gens: Écoutez, ce que vous avez sur le territoire, c'est répertorié, c'est protégé. On a une église, ici, qui est cotée B à l'ensemble du Québec, ce n'est quand même pas rien.

Alors, évidemment, c'est un outil de plus, un argument de plus qui vient nous permettre de travailler avec les gens et de les convaincre, lors de séances ou de consultations publiques, pour leur dire, bien: Après les bâtiments, on est peut-être mûrs à passer aux paysages -- qui sont souvent peut-être plus difficiles à protéger qu'un bâtiment. Parce que souvent on a des gens qui ont une vision ou un développement économique en tête, et là où protéger un paysage où les gens vont marcher, où... Oup! il y a un potentiel de développement touristique, économique, etc., là J'ai vraiment hâte de voir où la future loi va nous amener au niveau des paysages, puisque c'est, à mon avis, beaucoup plus délicat qu'un bâtiment mais tout aussi important à préserver.

Moi, je vous dirais, Mme St-Pierre, qu'en Gaspésie... je caricature un peu en le disant, mais le paysage est peut-être l'une des dernières ressources naturelles qui nous restent, sans trop exagérer, donc nous voulons le préserver. Et on voit le bout de chemin qui a été fait dans les dernières années, il y a des groupes de citoyens qui en parlent de plus en plus, et on voit l'évolution du dossier ou du projet dans la mentalité des gens. Il n'y a pas si longtemps, la préservation du paysage... Nous, on le voit tous les jours, on vit un peu dans une carte postale ici, en Gaspésie, mais cette carte postale là peut être éphémère si on fait des gestes irréparables. Alors, depuis quelque temps, avec la politique, la CRE, le projet de loi qui s'en vient, etc., des groupes de citoyens, des individus qui veulent préserver de plus en plus le paysage, on le voit, on le sent, et ces outils-là vont nous permettre d'avancer dans la bonne direction.

Mme St-Pierre: C'est clair que vous êtes dans un endroit, au Québec, qui est vraiment tout à fait particulier, et il faut le protéger, et plus, dans l'esprit des gens, ça développe, cette protection-là, bien, plus ils vont être intéressés à embarquer dans le train.

Je vous pose une dernière question. Vous ne l'avez peut-être pas analysé -- si vous ne l'avez pas fait, ce n'est pas grave -- c'est le patrimoine immatériel. Est-ce que c'est quelque chose qui, dans votre région... Est-ce que ça résonne? Oui, le paysage; bien sûr, ça va de soi parce qu'on parle de la Gaspésie, on parle des magnifiques paysages. En même temps, l'importance aussi d'aller...

Je reviens sur les patrimoines, les paysages, l'importance d'y aller avec le consensus de la population, c'est pour ne pas répéter la triste histoire du parc Forillon où ça vient d'en haut puis c'est imposé en bas. On est bien contents de le voir, le parc, là, mais il y a des familles qui ont été déracinées puis qui en portent encore les blessures.

Patrimoine immatériel. Est-ce que, sur la question du patrimoine immatériel, c'est quelque chose qui vous passionne, qui vous indique qu'on est dans la bonne direction ou si vous sentez que vous n'aviez pas le temps ou l'expertise pour vous pencher sur ce pan-là de notre projet de loi, qui est tout à fait nouveau?

M. Alain (Pascal): On n'a pas mis l'accent évidemment sur le patrimoine immatériel puisqu'on voulait vraiment prioriser le patrimoine paysager aujourd'hui, mais, bon, moi, je suis historien de formation, alors le patrimoine immatériel, évidemment, ça vient me chercher à 100 %. Je pense qu'il faut le préserver, et il est aussi porteur de richesse que n'importe quelle autre forme de patrimoine.

Moi, j'ai eu... Mon père avait 50 ans de plus que moi, donc ça a été mon porteur de patrimoine pendant de nombreuses années. Alors, mon père est né pas d'électricité, pas de voiture. Les souvenirs, je pense que c'est important. La tradition orale est hyperimportante, le savoir-faire de ceux qui nous ont précédés, qui s'opère, alors, si on ne va pas chercher... si on ne va pas interviewer ou si on ne va pas chercher des entrevues justement de porteurs de savoir -- qui nous quittent, parce qu'ils meurent, comme tout le monde -- on perd des pages d'histoire fondamentales.

Alors, c'est certain que, dans la loi, lorsqu'on a vu que oh! on met l'accent également sur le patrimoine immatériel, moi, ça vient me chercher tout à fait puisqu'il y a des choses qui se perdent à tous les jours, puisqu'il y a des choses qui ne s'écrivent pas dans les livres d'histoire: le savoir-faire, les matériaux, la façon de construire, les embarcations ici, en Gaspésie. Aujourd'hui, la pêche en Gaspésie, ce n'est plus ce que c'était. Alors, les gens qui ont développé des façons de faire, de construire des trucs, de vivre leurs moeurs, les coutumes... Aujourd'hui, c'est la postmodernité. Alors, si on veut éviter que la postmodernité balaie tout sur son passage, et qu'on garde des traces importantes de ceux qui nous ont précédés, qui ont construit la région ici et tout le Québec, tout à fait, on applaudit cette initiative-là, tout à fait, Mme St-Pierre.

Mme St-Pierre: Bien, merci infiniment. M. le Président, je n'ai pas d'autre question. Je ne sais pas s'il reste du temps?

Le Président (M. Marsan): Merci. Je vais maintenant donner la parole à M. le député de Lévis.

M. Lehouillier: Oui. Bonjour. D'abord, je voudrais vous féliciter pour votre mémoire, et, en particulier, ce que je trouve intéressant, c'est les propositions que vous faites à l'effet de mettre à contribution les divers ministères pour qu'ils puissent mettre en place des mesures qui atténuent l'impact de leurs interventions. Je pense que c'est un bon appel que vous lancez là.

Je voudrais revenir un petit peu sur la route panoramique du Tour de la Gaspésie. Vous savez que la désignation d'un paysage culturel patrimonial, en fait, même si c'est un pouvoir du gouvernement, l'initiative, c'est un peu les instances locales qui l'ont. Et, dans votre cas, on touche vraiment à un paysage, là, qui touche énormément d'élus, énormément de MRC aussi, et tout ça.

Alors donc, dans votre cas, je crois savoir que c'est la CRE qui semble prendre le leadership au niveau des élus -- en tout cas, à tout le moins, dans ce dossier-là. J'aimerais peut-être ça vous entendre là-dessus. Et en même temps vous voyez que ça touche beaucoup de monde et, au niveau du plan de conservation, il doit comprendre l'identification du territoire -- je parle pour le paysage -- la description des usages économiques, socioculturels, ça veut dire que, là, les gens qui font du transport routier interviennent aussi sur le plan économique. Il y a les gens, sur le plan culturel, qui veulent garder le côté pittoresque de la route, etc.

Alors, ma question est la suivante: Qui, dans votre cas... Parce que, là, c'est un projet qui est quand même immense et qui ressemble un peu à ce qu'on a vu dans l'élaboration de la route verte qui traverse le Québec maintenant. Alors: Qui vous voyez comme leadership chez vous, dans ce dossier-là, pour assurer le leadership? Et quel serait, selon vous, un consensus suffisant autour d'un projet comme ça qui fait que le gouvernement irait de l'avant? Alors, c'est mes questions par rapport à ça, parce que c'est un projet qui est en même temps drôlement intéressant aussi.

**(10 h 40)**

Mme Chénier (Annie): Ce qu'on a mentionné, c'était une idée qu'on avait ressortie de discussions d'il y a trois ans. Ce qu'on mentionne de façon très, très claire dans notre lettre mémoire qu'on vous dépose aujourd'hui, c'est qu'on s'aperçoit que le chemin sera ardu. Donc, on ne peut pas définir, en date d'aujourd'hui, si ce projet-là va se réaliser, parce que justement nous avons constaté qu'on parle d'un processus qui sera municipal ou de MRC. Donc, pour nous, ça demande de mobiliser cinq MRC, ça nous demande de mobiliser 40, 50 municipalités, et on parle de petites municipalités.

On est des rêveurs, en Gaspésie, donc ce projet-là, il n'est pas présentement présenté comme un projet avec une demande d'aide financière, avec une structure, un montage financier, et tout, pas du tout. Il est présenté beaucoup plus pour faire réagir et faire avancer l'imaginaire collectif des gens vers ce qu'on pourrait rêver.

Évidemment, trois ans plus tard, après qu'on a présenté ça et qu'on s'est documentés beaucoup sur le dossier, qu'on siège sur le comité de la CRE, de la politique sur le tourisme durable, bien évidemment qu'avec la CRE, là, lorsque vous posez... pour répondre à votre question, là: Qui va assumer ce leadership-là? Évidemment que, présentement, étant donné que la CRE a lancé la politique, c'est présentement elle qui assume le leadership. La CRE, pour nous, est une instance de concertation et de développement, donc la CRE va aussi mettre en place un comité régional où présentement les CLD siègent sur ce comité-là, les MRC y siègent. Le conseil de la culture, le conseil de l'environnement, l'association touristique siègent sur ce comité-là.

Après ça, toute la complexité d'amener un projet régional comme ça, ce n'est pas simple. Je ne vous garantis sûrement pas qu'on va déposer un projet comme ça au gouvernement. Ça nous remet en question, un projet de loi comme ça, parce que ça doit passer par les municipalités, mais en même temps ce qu'on dit, c'est: Oui. Oui, parce qu'on est d'accord avec ce transfert de responsabilité là, mais, si on veut réussir à faire quelque chose au niveau régional, bien, c'est par la sensibilisation, l'animation... C'est un peu ça qu'on dit dans notre lettre mémoire.

Le Président (M. Marsan): Merci. Ceci termine notre première période d'échange avec le parti ministériel. Nous allons poursuivre avec l'opposition officielle, et je vais immédiatement donner la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Bien le bonjour, messieurs dames. J'y vais d'emblée d'une proposition pour être sûr qu'on comprenne bien ce dont vous nous parlez. Je propose que vous veniez à Québec et qu'on s'en aille à Carleton-sur-Mer. Moi, je trouve, ce serait fort agréable.

Des voix: ...

M. Blanchet: Cela dit, dans l'intervalle, je vais aller directement sur la question du paysage patrimonial parce que la Gaspésie est effectivement dans une situation particulière, qui existe tout le long du Saint-Laurent mais qui est très marquée chez vous. Le paysage, ce n'est pas des morceaux, c'est une continuité à caractère maritime que les gens qui voyagent... Et d'ailleurs ici, à Québec, les gens reçoivent passablement de navires de grande envergure avec beaucoup de touristes. Évidemment, les côtes gaspésiennes, la Côte-Nord sont des attraits significatifs, et ça se fait en continuité.

La loi actuelle établit que, pour qu'un paysage soit déclaré paysage patrimonial, il faut que toutes les municipalités concernées soient d'accord. Dans ce contexte-là, pour la Gaspésie et compte tenu du fait qu'il doit y avoir une continuité pour que ça ait sa pleine valeur, pensez-vous qu'on va y arriver? Et pensez-vous qu'il soit possible qu'il n'y ait nulle part, sur le parcours ou dans une zone donnée, une municipalité qui, pour quelque raison que ce soit, décidera de ne pas donner son accord à cette espèce de... à cette unanimité requise par la loi telle qu'elle est libellée présentement?

M. Alain (Pascal): Écoutez, c'est certain que ce sera tout un défi. Sans vouloir répéter mot à mot ce qu'on vous a dit précédemment, c'est certain qu'on est peut-être davantage, actuellement, dans un processus de sensibilisation. Alors, on prépare le terrain. C'est certain que, si on veut arriver à adopter une loi qui va donner un statut particulier, un statut légal autour de la Gaspésie, il faut préparer le terrain. Alors, si on prépare le terrain, la sensibilisation puis, plus tard, la conscientisation, évidemment c'est des étapes importantes. On est à ce processus-là actuellement.

Mme Chénier vous le disait il y a quelques instants, je ne crois pas qu'on va arriver, l'année prochaine, avec un tel projet. Il va falloir que ce projet-là descende... excusez-moi l'expression, mais sur le plancher des vaches, près des citoyens. Il va falloir que les citoyens deviennent aussi des ambassadeurs du milieu. Je pense qu'il faut que ça soit un projet qui soit, oui, porté par des décideurs régionaux -- Annie Chénier en a parlé tout à l'heure -- de tous les intervenants possibles dans ce projet-là, dans ce défi-là de donner un statut légal autour de la Gaspésie. Bien, je crois que les premiers ambassadeurs, bon, les citoyens, auront un rôle important à jouer là-dedans.

Alors, s'ils ont un rôle important à jouer, bien, alors il faudra les... Il ne faudra pas faire du porte-à-porte, sinon ça ne finira pas, mais il va falloir développer des moyens, des outils qui sont... qui sont déjà là, c'est déjà commencé, mais pour convaincre ces gens-là, et on va parler dans les instances municipales, on va en discuter, le premier lundi du mois, lors du conseil municipal, à la séance publique, et c'est là qu'on va voir véritablement l'intérêt pour que ça monte véritablement jusqu'aux élus.

Est-ce que toutes les petites municipalités, tous les villages... On parle d'une soixantaine de municipalités et villages, en Gaspésie, qui n'ont pas tous la même réalité. Il y a des coins en Gaspésie... Vous le savez sans doute, le paysage socioéconomique est différent d'une région à l'autre. Alors, est-ce qu'il y a des régions qui seront plus difficiles à convaincre, des régions en Gaspésie, je dis bien, des MRC qui seront plus difficiles à convaincre que d'autres puisqu'il y a... Il y a toujours l'impératif du développement économique qui entre en ligne de jeu, l'éolien, qui est de plus en plus présent en Gaspésie, alors, c'est certain que ça sera tout un défi.

Alors, je me rends compte que je ne réponds peut-être pas totalement à votre question, mais on est vraiment à l'étape de la sensibilisation pour en arriver justement à ce qu'un jour on en arrive que toutes les municipalités gaspésiennes rament dans le même sens.

M. Blanchet: Nous, on est à l'étape de la consultation. Donc, c'est le temps de poser les questions, et il n'est pas requis d'avoir des réponses absolument claires parce que c'est une réflexion. Cela dit, vous avez soulevé l'exemple des éoliennes, qui m'était venu à l'esprit comme un exemple très clair. J'imagine une municipalité qui aurait un projet de ce type en tête pour les prochaines années et dont les gens considéreraient que ce projet est incompatible avec les objectifs de protection du paysage patrimonial. On aurait donc une municipalité qui non seulement s'objecterait, briserait l'unanimité, mais qui, de surcroît, pourrait laisser ce que beaucoup de gens considéreraient comme une cicatrice dans la continuité du paysage. Cet obstacle-là me semble majeur.

Est-ce qu'on ne devrait pas considérer plutôt une forme de consensus régional à partir duquel, lorsqu'il est suffisamment large et même s'il n'inclut pas tout le monde, le ministère pourrait trancher et procéder à la déclaration du paysage, lui conférer le statut patrimonial et les protections qui viennent avec?

M. Alain (Pascal): Bien, écoutez, ce que vous dites là, c'est une piste de plus pour nous, le fait que vous parliez d'un consensus régional, avec des instances régionales qui justement prendraient l'initiative d'en arriver à ce genre de consensus là et qui fait que, bon, les gens ne se sentiraient peut-être pas obligés d'adhérer de façon implicite ou explicite, dans le sens où est-ce qu'on va aller jusqu'à adopter, un peu comme Mme St-Pierre le disait tout à l'heure, des règles coercitives, à un moment donné, pour protéger le paysage.

Évidemment, vous l'avez bien souligné, il y a des petites municipalités... Et c'est d'ailleurs le cas, M. Blanchet, actuellement. Il y a encore sur la table, en Gaspésie, des parcs éoliens qui sont sur la table, qui seront en développement au cours des prochaines années, du côté nord de la Gaspésie, dans la baie des Chaleurs, pointe de Gaspé. Alors, effectivement, il y aura des maires, il y aura des élus qui arriveront, à un moment donné, au fait que: Le développement économique et la sauvegarde du patrimoine paysager vont-ils de pair toujours? Ça va être difficile, évidemment.

Alors, si on en arrive un peu à votre proposition, que je trouve intéressante, à savoir: Peut-on arriver à un consensus régional, à savoir se donner des orientations, se donner au moins des principes généraux pour la sauvegarde du patrimoine paysager? Je crois que ça serait une piste à explorer. Tout à fait.

M. Blanchet: Dans un autre ordre d'idées, vous avez effectivement parlé d'un projet pilote que vous aviez soumis au ministère. Pouvez-vous me préciser la réponse que vous avez eue?

**(10 h 50)**

Mme Chénier (Annie): Comme je le mentionnais tantôt, ce projet pilote là n'a jamais fait l'objet d'une demande concrète ni même, au niveau du papier, de montage financier. Donc, on n'a pas...

M. Blanchet: ...dit...

Mme Chénier (Annie): ...plutôt adressé cette idée-là dans le cadre des consultations de 2008.

M. Blanchet: O.K. Donc, c'était dans votre mémoire seulement que c'était mentionné, mais il n'y a pas eu de communication formelle avec le ministère.

Mme Chénier (Annie): Exactement. On croit qu'on n'est tout simplement pas rendus là comme région, c'est pour ça qu'on s'intéresse autant à ce projet-là pour pouvoir faire cheminer notre milieu vers. Et on pense qu'on a des conditions gagnantes, là. La politique du tourisme durable est une condition gagnante.

Une municipalité qui se dote d'une politique sur la protection, c'est un autre aspect, on va cheminer là-dedans. C'est depuis quelques mois que la politique a été adoptée au niveau régional, on chemine là-dedans, on a des belles conditions gagnantes, puis il faut juste s'assurer que... et peut-être qu'il y aura un projet dans trois ans, on l'espère.

M. Blanchet: L'histoire suggère que les conditions gagnantes, il ne faut pas les attendre trop longtemps.

Une voix: C'est bon.

M. Blanchet: Vous parlez des immeubles gouvernementaux qui, dans le fond, nuiraient à la beauté des paysages parce qu'ils seraient construits sans grande considération pour leur intégration harmonieuse au milieu. C'est ce que je comprends.

Avez-vous des suggestions comment on peut procéder? Est-ce que vous voulez que, d'emblée... Et d'ailleurs d'autres l'ont mentionné: lorsqu'un immeuble existant peut être rénové, qu'on aille d'emblée dans un immeuble existant, qu'on restaure les immeubles à caractère patrimonial, quitte à ce que ça puisse impliquer davantage de coûts, qu'on impose des règles architecturales et de présentation visuelle des nouveaux immeubles? Qu'est-ce que vous suggérez à cet égard-là?

Mme Chénier (Annie): J'y vais?

M. Alain (Pascal): Oui.

Mme Chénier (Annie): Bien, en fait, ce qu'on s'aperçoit, c'est que, lorsqu'il y a une philosophie... Bon, je reviens sur cette idée-là de politique. La ville de Bonaventure est un bon exemple, parce que, par des mobilisations citoyennes au cours de l'histoire... C'est des vieilles histoires que je vous conte par rapport à la ville de Bonaventure, mais c'est réel; ce sont les citoyens qui se sont mobilisés et ils ont demandé notamment à la Société des alcools, lorsqu'ils allaient aménager le bâtiment, d'y avoir un regard.

Là, on s'entend que ce cas de municipalité là, ils sont dans un cadre de réglementation, ce qu'on appelle les PIIA. Par contre, c'est les citoyens qui se sont mobilisés pour dire: On souhaiterait que. Donc, nous, on est toujours dans des démarches de concertation, de sensibilisation, d'animation, si les citoyens sont bien informés que c'est possible, et après ça l'idée de s'asseoir avec ces sociétés d'État là ou ces ministères-là qui s'installent sur notre 132 et de leur dire: Pour des moyens... Ce n'est pas des gros moyens financiers, c'est pour des simples petits moyens: Peut-on changer la tôle pour du bois? Peut-on changer telle fenestration pour une fenestration qui respecte plus le paysage? C'est ce qu'on croit.

M. Blanchet: Dans ce même esprit là, la question que je me posais avec mon collègue ici, c'est qu'il y a beaucoup de municipalités qui imposent déjà des règles. Il y a beaucoup de municipalités dans lesquelles tu ne peux pas mettre les enseignes comme tu les veux, tu ne peux pas aménager... Tu sais, la ville de Québec a réussi à dompter par endroits les indomptables McDonald's, là. Il y a moyen d'imposer des règles. Et la question que je me pose -- et j'avoue ne pas avoir la réponse présentement -- c'est: Est-ce que ces règles-là sont applicables aux immeubles gouvernementaux? Je pense que c'est dans cette direction-là qu'il faudrait chercher. Est-ce qu'une directive municipale se trouve à être applicable lorsqu'il s'agit d'un immeuble qui est sous la juridiction du gouvernement de Québec? C'est une bonne question.

Les municipalités... J'essaie de le phraser correctement. Les municipalités se voient offrir, selon la version que la ministre nous donnait, la possibilité de s'accaparer davantage de pouvoirs et de responsabilités sans en avoir l'obligation. Nos échanges sont très clairs sur le fait qu'on ne sait pas, à ce stade-ci, comment ces opérations-là... Non seulement on n'a aucune idée de comment ça va coûter, mais on ne sait pas comment ça va être financé. Moi, ma crainte évidemment, c'est que les municipalités, n'ayant pas de ressource financière attachée avec les responsabilités, qu'elles aient le choix ou non de les prendre, disent: Bien là, j'ai quelque chose dont je devrais m'occuper, je n'ai pas de ressource qui vient avec, je n'ai pas les compétences nécessairement, d'emblée, qui viennent avec, je vais choisir de ne pas m'en occuper.

Mais il y a un niveau de sensibilité qui semble être plus important dans votre région que dans certaines autres régions. Pensez-vous que les municipalités vont dire: Même si on ne connaît pas la ressource ou on ne connaît pas le mode de financement de ces initiatives-là, on prend le train pareil, ou ils vont dire: On va attendre de savoir comment ça se paie?

M. Alain (Pascal): Ce qu'on vous dirait là-dessus, et c'est une crainte évidemment que nous avons manifestée à votre égard aujourd'hui et dans le mémoire également, la Gaspésie, ce n'est pas une région homogène; la Gaspésie, c'est une soixantaine de villages et de municipalités qui va de 180 habitants à 5 000 habitants, et même, bon, 16 000, si on prend le Grand Gaspé, alors ce n'est surtout pas une région homogène, loin de là. C'est une région très hétérogène, ce qui fait qu'il y a des municipalités, M. Blanchet, de 180, 200 habitants qui... le patrimoine paysager, en tout respect, ne figure peut-être pas en priorité de la liste de développement. Leur combat est davantage de conserver l'école ouverte ou de conserver l'église ou le bureau de poste, etc. Alors, ils ne sont peut-être pas au même niveau, et c'est ce que nous craignons. Donc, ça sera...

Est-ce que toutes les municipalités... Même si tout le monde, je crois, en Gaspésie, sont très sensibles à la sauvegarde du patrimoine, est-ce que ces municipalités-là... Puis je parle même des plus grandes. Il y en a des plus grandes, de 2 000 ou 3 000 habitants, et, bon, il y a des lieux où il y a eu une industrie... bien, mono-industrielle qui s'est développée pendant des années. Bon, est-ce que ces municipalités-là également voudront mettre argent, ressources à la protection du paysage s'il n'y a pas de coffre à outils qui va avec?, c'est certain qu'on peut en douter. Et, moi, ça m'inquiète un peu.

Bon, je travaille à la ville de Carleton-sur-Mer, je suis un agent de développement culturel. J'ai étudié en histoire, alors j'ai une... je dirais, j'ai un intérêt naturel pour l'histoire, le patrimoine, le paysage, mais ce n'est vraiment pas le cas de toutes les villes. Alors, est-ce que les villes vont faire le saut s'ils n'ont pas ce coffre à outils là, ou du moins de l'aide pour y arriver? Je suis très sceptique actuellement, c'est certain.

M. Blanchet: Ce que vous dites est, à la limite, potentiellement porteur de bonnes nouvelles. On peut penser que des municipalités qui n'auront pas de ressource supplémentaire pour prendre cette charge-là vont dire: Écoutez, on en a déjà plein notre cour. Mais on peut penser, au contraire, qu'il y a des municipalités qui vont dire: Oh! Voici une responsabilité mais qui vient avec des ressources financières... vont effectivement y voir un levier économique et prendre cette possibilité-là à bras-le-corps puis dire: On va s'en emparer, on va l'utiliser, parce qu'on va prendre tout ce qui est possible. Mais évidemment ça doit venir avec des ressources.

Mais, dites-moi, la région que vous couvrez inclut les Îles-de-la-Madeleine?

M. Alain (Pascal): Le Conseil de la culture de la Gaspésie couvre strictement la Gaspésie puisqu'il y a un autre organisme aux Îles-de-la-Madeleine; ce n'est pas un conseil de la culture proprement dit, c'est une corporation qui s'appelle Arrimage. Évidemment, notre région administrative, c'est la Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine, mais notre territoire, comme conseil de la culture, c'est strictement la Gaspésie comme territoire.

Mme Chénier (Annie): Et pour...

M. Blanchet: Une dernière petite question. L'exploitation pétrolière à l'extrémité de la Gaspésie doit bien faire ciller quelques personnes relativement à son impact sur le paysage. Quelles sont les réactions et les préoccupations que ça provoque?

Mme Chénier (Annie): Là, il faudrait adresser principalement les questions peut-être au conseil de l'environnement ou directement à la Corporation Arrimage. Je sais que les gens des Îles-de-la-Madeleine, de notre région administrative, se mobilisent pour cette cause-là. Effectivement, le paysage en fait partie, des débats, mais ce n'est pas un dossier où, le conseil de la culture, on s'est prononcé.

M. Blanchet: Tout près de la pointe de Gaspé aussi?

Mme Chénier (Annie): Mais c'est un dossier ou le Conseil de la culture de la Gaspésie ne s'est pas prononcé.

M. Blanchet: O.K. Bien, ça répond à ma question. Je pense que mon collègue avait aussi une question.

Le Président (M. Marsan): Oui. Alors, M. le député de Saint-Jean.

M. Turcotte: Oui. Merci, M. le Président. Ma question est... Dans votre présentation, vous avez parlé de la mise en oeuvre du projet de loi sur le patrimoine culturel. On a entendu les gens de l'Outaouais, notamment les élus, mais j'aimerais vous entendre parler de la question de la formation. Parce que c'est bien d'avoir une loi, mais, de l'appliquer, et de la mettre en oeuvre, et d'avoir les gens qui ont les compétences pour l'appliquer, c'est mieux.

Donc, est-ce qu'en Gaspésie, selon vous, vous auriez des besoins de formation, ne serait-ce que pour les employés des villes, bien... pour classer des... pas pour classer mais pour voir: Bien, cette maison-là a un caractère patrimonial ou pas? Pour la question du patrimoine immatériel, on en a parlé aussi, mais des paysages, ça prend une expertise, des connaissances, puis ce n'est pas n'importe qui qui peut juger de ça, puis qu'il faut avoir une crédibilité.

Et, quand on envoie souvent les jeunes, à Montréal ou à Québec, se faire former, bien, souvent on les perd puis ils ne reviennent plus dans notre région. Donc, en termes de formation, c'est quoi, l'offre en Gaspésie, et est-ce qu'il y aurait des besoins à ce niveau-là?

**(11 heures)**

Mme Chénier (Annie): Bien, je ne sais pas si vous êtes au courant que les conseils de la culture au Québec gèrent des programmes de formation avec Emploi-Québec. Donc, il y a quelques années, voulant s'assurer qu'on suit les enjeux de la région, on a donné une formation justement sur les paysages, les chartes de paysages, les outils possibles. On a offert cette formation-là aux travailleurs culturels qui, souvent, ont la responsabilité de mener ces dossiers-là dans les municipalités, mais exceptionnellement on l'a ouvert aussi aux gens qui travaillent dans les MRC, les municipalités, qui sont plus liés à des dossiers d'urbanisme, par exemple.

Je vous avouerais par contre qu'une seule formation, ce n'est pas... On parle de formation continue. Donc, ce n'est pas de la formation académique universitaire. C'est très peu. Et, lorsqu'on parle de sensibilisation, animation, c'est évident qu'il va falloir aller plus loin là-dessus. On a très peu d'expertise, un peu d'expertise universitaire, par exemple la chaire sur le paysage, mais très peu d'expertise technique de professionnels. Ce n'est vraiment pas un créneau d'excellence de la Gaspésie. Il va falloir tabler là-dessus, vous avez raison.

M. Turcotte: Dernière question. Dans le projet de loi, on donne le mandat à la Commission de la capitale nationale de s'occuper des lieux de sépulture des premiers ministres du Québec, même s'ils ne sont pas sur le territoire de la Capitale-Nationale.

Les lieux de sépulture, c'est important, là, puis on en a qui sont un peu laissés à l'abandon, mais, dans certains cas, les premiers ministres ont laissé leur marque dans leur région d'origine, soit par une résidence, ou un bureau, ou un lieu symbolique. La maison de René Lévesque est sur votre territoire. Est-ce que vous voyez quelque chose qu'on pourrait ajouter à ce niveau-là pour que les lieux de... certains lieux de résidence de certains premiers ministres soient inclus aussi dans la préservation puis ils deviennent la responsabilité de la Commission de la capitale nationale?

Le Président (M. Marsan): ...

M. Alain (Pascal): Bien, écoutez, on ne peut pas être contre la vertu, c'est-à-dire que, oui, vous avez raison, tout près de chez nous, à New Carlisle, se trouve la résidence de René Lévesque. C'est une maison qu'on... évidemment, que nous entendons parler dans l'actualité depuis bon nombre d'années, puisque c'est un bâtiment qui... Actuellement, c'est une résidence privée. Le bâtiment, de ce que j'en sais, se détériore de façon considérable d'une année à l'autre. On l'a mentionné précédemment, c'est un bâtiment privé, alors un bâtiment privé, cité et/ou classé, implique, par son propriétaire: Bien, si tu veux évidemment changer portes, fenêtres, revêtement extérieur du bâtiment, et même intérieur, bien, il y a des prérogatives importantes. On ne peut pas remplacer, vous le savez, le bâtiment par n'importe quel revêtement. Il faut respecter le bâtiment, et c'est tout à fait normal.

Alors, dans le cas précis dont vous faites mention, le propriétaire n'est pas... n'est pas nécessairement intéressé, à première vue, à investir dans le bâtiment. Alors, oui, je me dis que, s'il y a une initiative qui viendrait de la Commission de la capitale nationale pour préserver ce bâtiment-là, bien, je crois qu'elle serait bienvenue, cette initiative, dans le cas précis qui nous concerne, tout à fait, puisqu'il y a des obligations qui font qu'il y a des privés qui, pour x, y, z raisons, moyens financiers et/ou intérêt tout simplement, peuvent menacer, je dirais, l'existence d'un bâtiment aussi important que celui-là.

Le Président (M. Marsan): Alors, merci, M. Alain, Mme Chénier, de nous avoir donné le point de vue du Conseil de la culture de la Gaspésie.

J'inviterais maintenant les représentants du Réseau Archéo-Québec à venir se présenter à notre table.

Et je vais suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 4)

 

(Reprise à 11 h 6)

Le Président (M. Marsan): Alors, nous reprenons nos activités. Il nous fait plaisir d'accueillir les représentants de Réseau Archéo-Québec, qui est représenté par Mme Sophie Limoges.

Mme Limoges, je vais vous demander de nous présenter les gens qui vous accompagnent, et vous avez une période d'environ 15 minutes pour nous faire votre présentation. La parole est à vous.

Réseau Archéo-Québec

Mme Limoges (Sophie): Merci, M. le Président. Alors, je suis Sophie Limoges, archéologue, directrice de la conservation et des programmes publics à Pointe-à-Callière, au Musée d'archéologie et d'histoire. Et je suis ici, ce matin, à titre de présidente du Réseau Archéo-Québec.

J'ai le bonheur, ce matin, d'être accompagnée de deux complices de longue date: alors, Mme Gisèle Piédalue, qui est, elle aussi, archéologue et conseillère en patrimoine et qui est membre fondatrice du Réseau Archéo-Québec; ainsi que M. David Gagné, qui est conseiller en patrimoine à la Direction de l'urbanisme de la ville de Lévis et qui est membre du conseil d'administration du Réseau Archéo-Québec.

Alors, Mme la ministre, Mmes et MM. les représentants de la commission, nous sommes honorés d'être ici, ce matin, parmi vous, et d'avoir la chance de contribuer aux réflexions entourant le projet de loi n° 82.

Nous profitons de cette entrée en matière pour saluer l'exercice tout à fait louable entrepris par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine pour actualiser la Loi sur le patrimoine culturel. Il s'agit là d'un beau défi que nous attendions depuis fort longtemps.

Ce projet de loi propose de bonnes avancées que nous ne manquerons pas de souligner au cours de la présentation de ce mémoire qui suggère néanmoins quelques pistes pour enrichir ce projet. Évidemment, nous nous concentrerons dans le secteur qui nous intéresse plus particulièrement, l'archéologie.

Avant d'articuler nos propositions, prenons quelques instants pour présenter notre organisme et ses principales réalisations. Pour la petite histoire, le Réseau Archéo-Québec est fondé, en 1999, par une trentaine d'intervenants du milieu de l'archéologie, et ce, afin de mettre en commun informations et ressources, mais aussi de combler un manque de diffusion relié à l'archéologie en général. Le réseau se voulait donc un outil d'information et de diffusion pour tous ceux qui s'intéressent à l'archéologie au Québec et qui veulent connaître les institutions et leurs activités. Il voulait aussi donner à l'archéologie une notoriété méritée, aussi bien auprès du grand public que du milieu touristique, gouvernemental et corporatif.

12 ans plus tard, on peut dire qu'un long chemin a été parcouru vers l'atteinte de ces objectifs. Le résultat est positif. Archéo-Québec a su mobiliser le milieu en favorisant des synergies entre les intervenants des domaines culturels et touristiques.

Archéo-Québec regroupe aujourd'hui les forces vives de l'archéologie au Québec. Il compte une centaine de membres institutionnels et individuels qui sont voués à la conservation, à la recherche et à la mise en valeur du patrimoine archéologique. Nos membres sont des institutions muséales, d'enseignement, des municipalités, des MRC, des organismes gouvernementaux et autochtones, des corporations touristiques, des entreprises privées ainsi que des professionnels du secteur. Ainsi, le réseau forme un point d'ancrage, un groupe de sensibilisation et une masse critique de compétences professionnelles.

**(11 h 10)**

Le réseau peut compter sur le soutien de nombreux partenaires et collaborateurs, dont le ministère de la Culture, qui demeure son partenaire majeur et de première heure.

D'ailleurs, j'ouvre une petite parenthèse. Nous profitons de l'occasion pour vous exprimer toute notre reconnaissance, Mme la ministre, ainsi que les gestionnaires et fonctionnaires de votre ministère, pour le soutien technique, moral et financier qui est renouvelé d'année en année. Cette confiance, c'est pour nous la plus belle récompense pour tous les bénévoles et puis les quelques contractuels qui ont à coeur de mener à bien la mission de notre organisme. Celle-ci vise à sensibiliser les publics à l'importance du patrimoine archéologique au Québec. Le Réseau Archéo-Québec offre support et conseils à ses membres et coordonne des activités de qualité dont le Mois de l'archéologie, dont nous sommes vraiment très, très fiers, et qui offre une vitrine exceptionnelle aux projets de recherche et aux lieux de diffusion aux quatre coins du Québec et qui, osons le croire, contribue à la protection du patrimoine archéologique et à une meilleure connaissance de l'occupation humaine de notre territoire. Nous devons vous faire une petite confidence: nous rêvons du jour où le mois d'août sera décrété Mois de l'archéologie. Ceci viendrait vraiment consolider notre événement et affirmer très clairement l'importance du patrimoine archéologique pour le gouvernement du Québec.

Après la mise en oeuvre de différents projets multiplicateurs, Archéo-Québec est devenu un acteur incontournable de l'archéologie au Québec. C'est pourquoi nous nous intéressons de près au projet de loi sur le patrimoine culturel.

L'archéologie scientifique au Québec, telle qu'on la connaît aujourd'hui, est un produit de la Loi sur les biens culturels de 1972. Depuis la mise en oeuvre de cette loi il y a 40 ans, des programmes de formation de haut niveau sur l'archéologie québécoise se sont développés dans les universités, formant ainsi une belle relève. Il y a une ouverture de poste d'archéologues au sein de certaines villes. Des programmes de recherche ont permis de mieux caractériser notre patrimoine archéologique. Une discipline s'est également spécialisée. Des expertises régionales se sont développées. Les modes de conservation et de mise en valeur ont également progressé.

Le Réseau Archéo-Québec est un exemple on ne peut plus probant du dynamisme des acteurs de l'archéologie québécoise et de leur capacité à travailler en partenariat. Mais, pour bien remplir notre rôle, nous devons pouvoir nous appuyer sur une vision globale et cohérente des pouvoirs publics, sur des initiatives qui vont dans le sens des principes énoncés et sur une continuité qui prend la forme d'un soutien non seulement technique et moral, mais aussi financier. Il est donc important que le ministère de la Culture s'assure que le patrimoine archéologique soit pleinement considéré au sein des autres ministères ainsi que des sociétés d'État. Il appartient à l'État de s'assurer de la complémentarité et de l'harmonisation de ses politiques culturelles, environnementales, d'aménagement, d'urbanisme, muséale et patrimoniale, dans une vision intégrée et non sectorielle.

Nos recommandations touchent trois secteurs indissociables pour la démarche archéologique: évidemment, la protection des sites et des collections, la recherche et plus particulièrement l'importance d'étudier les collections et les sites pour générer des connaissances qu'il sera possible de diffuser par la suite auprès de différentes clientèles.

Depuis les années soixante-dix, les études de potentiel, les inventaires, les fouilles et les analyses se font dans un cadre bien défini, mais les pressions du milieu sur la ressource accentuent la fragilité de ce patrimoine. Pensons au développement urbain, au phénomène d'érosion naturelle, aux territoires menacés par le pillage. L'une des plus grandes lacunes de la Loi sur les biens culturels concerne l'approche réactive plutôt que préventive, une situation que déplorent les archéologues depuis longtemps.

En termes de protection et de recherche, le projet de loi prévoit des dispositions concernant l'inventaire et la sauvegarde des biens archéologiques. En ce qui concerne l'inventaire, quelques 9 186 titres sont aujourd'hui répertoriés et ce nombre ne cesse d'augmenter. Les collections archéologiques -- plus de 15 millions d'objets -- sont conservées soit au laboratoire-réserve d'archéologie gérés par le ministère de la Culture, soit dans des réserves régionales rattachées à des institutions d'enseignement et de recherche, à des institutions muséales ou des municipalités.

Avec le renouvellement de la Loi sur le patrimoine culturel, il serait judicieux:

D'actualiser la banque de données sur l'Inventaire des sites archéologiques du Québec -- qu'on appelle, pour les intimes, l'ISAQ -- afin de bien localiser chaque site archéologique au moyen d'une cartographie adaptée et numérisée;

Qu'il constitue également un outil de diffusion des connaissances auprès de la communauté scientifique et des fonctionnaires municipaux qui interviennent sur l'aménagement du territoire. Ainsi, les sites connus seraient clairement identifiés sur l'ensemble du territoire. Les décisions d'aménagement pourraient se prendre en connaissance de cause;

Que des études de potentiel archéologique se multiplient et que les résultats soient également intégrés automatiquement à l'ISAQ puisqu'il s'agit d'une source d'information importante pour la protection du patrimoine archéologique.

Par ailleurs, la protection du patrimoine archéologique s'exerce, entre autres, par la possibilité d'attribuer des statuts juridiques aux biens ou aux sites archéologiques exceptionnels et par l'imposition de certaines obligations aux personnes qui découvrent ou exploitent des biens ou des sites archéologiques.

L'émission des permis et le dépôt de rapports sont de bons moyens pour le ministère de contrôler la qualité des interventions. Le ministère, par le biais du Règlement sur la recherche archéologique, impose à l'archéologue de déposer un rapport faisant état de ses découvertes. Les collections provenant des sites archéologiques, à l'instar des sites eux-mêmes, constituent des ressources qui gagneraient à être mieux protégées. À l'exception des sites présents dans les arrondissements historiques, pour l'instant, seules les découvertes fortuites peuvent faire l'objet de mesures de protection, ce qui n'est évidemment pas le cas pour les milliers de titres recensés dans la banque de l'ISAQ.

À notre avis, le ministère doit prévoir des dispositions dans sa loi pour assurer la protection des sites et des collections archéologiques. En ce sens, Archéo-Québec suggère:

Que la loi prévoie une disposition pour protéger les sites significatifs. La sensibilisation de la population est un outil pour assurer la protection, l'inscription des sites dans les schémas d'aménagement en est un autre. La loi devrait prévoir que les municipalités développent une disposition claire dans leur plan d'urbanisme et qu'elles se dotent de plan d'action en matière de patrimoine archéologique;

Que les collections mises au jour lors d'interventions archéologiques financées par l'État soient considérées comme étant propriété nationale puisqu'elles témoignent du passé commun des Québécois. Archéo-Québec n'est pas en mesure d'établir une formule recevable sur le plan juridique, mais la loi pourrait prévoir minimalement une entente formelle entre le ministère et les propriétaires afin que nous puissions assurer la pérennité de ces collections.

Dans les ententes sur la protection et la mise en valeur des biens culturels signées entre le ministère de la Culture et les municipalités, certaines sommes sont affectées à l'archéologie. Des efforts encore trop ponctuels sont entrepris dans l'analyse spécialisée des collections, mais encore moins d'énergie est consacrée à la diffusion des résultats. Le réseau propose que, dans le cadre des ententes avec les villes, la loi inscrive comme prioritaire le financement paritaire d'analyse sur la culture matérielle découlant des fouilles. Cette analyse est nécessaire pour l'étape de mise en valeur et sensibilisation citoyenne.

Ainsi, pour favoriser l'étude des collections, nous croyons que ce volet devrait être intégré dès la phase d'élaboration d'un projet. Nous demandons également que la loi oblige ou du moins encourage les promoteurs qui sont d'un certain niveau et qui se produisent dans des sites protégés par la loi de prévoir des sommes pour l'analyse des données récupérées lors des fouilles. Le financement de la recherche archéologique par des promoteurs pourrait être encouragé par un allégement fiscal, par exemple.

**(11 h 20)**

Le Québec dispose d'initiatives impliquant des promoteurs qui ont contribué de façon significative à des projets financés dans le cadre des ententes entre le ministère et les villes. Je pense notamment à la famille Price ici, à Québec, avec l'Auberge Saint-Antoine, ou encore au domaine Longwood, à Lévis. M. Gagné pourra peut-être vous en parler un petit peu plus longuement lors de la période des questions.

De plus, afin de consacrer une part plus large aux interventions archéologiques et à la mise en valeur du patrimoine archéologique dans les municipalités, nous proposons d'augmenter les ressources financières disponibles au ministère. Le ministère dispose déjà d'un Fonds du patrimoine créé par la loi. La présente loi prévoit qu'il peut s'alimenter des amendes et d'autres sources. Il faudrait prévoir que ce fonds puisse également servir à soutenir les interventions archéologiques menées dans un cadre municipal.

En termes de diffusion de l'archéologie, nous avons identifié de beaux défis -- ces éléments ne sont pas nécessairement à inclure dans la loi, mais devraient être considérés dans une vision d'ensemble. Archéo-Québec recommande:

Que les ouvrages de synthèse intégrant les ensembles culturels liés à des territoires plus qu'à des sites particuliers soient encouragés;

De favoriser un meilleur arrimage entre la recherche et la diffusion, et d'encourager les communautés autochtones à participer davantage à la compréhension et à la mise en valeur de leur patrimoine archéologique;

De valoriser le patrimoine archéologique dans une perspective de développement durable;

De favoriser l'accès aux collections archéologiques en développant un programme de diffusion de celles-ci;

D'intégrer l'archéologie au programme scolaire du ministère de l'Éducation; et

De permettre aux lieux de diffusion de se positionner, tout en continuant à améliorer leur complémentarité.

Une assise...

Le Président (M. Marsan): En terminant. Votre conclusion.

Mme Limoges (Sophie): Très bien. Alors, en conclusion, une assise forte est indispensable pour que nous puissions protéger et mieux comprendre le patrimoine archéologique québécois.

Plusieurs aspects sont intéressants. Pour nous, évidemment, le renforcement du dispositif de sanctions, mais aussi le transfert de pouvoir accordé aux municipalités, c'est une bonne avancée par rapport à la Loi sur les biens culturels.

À cet effet, il nous apparaît important de porter à votre attention que le ministère de la Culture a octroyé, dès la publication du projet de loi n° 82, une aide financière au Réseau Archéo-Québec pour la réalisation d'un guide destiné aux municipalités du Québec. Cet outil, qui sera prochainement disponible, a pour but de fournir aux municipalités une procédure claire et pratique sur la prise en compte de l'archéologie dans le développement et la gestion du territoire. Avec cet outil, Archéo-Québec démontre sa proactivité et son intérêt à prendre part à la mise en oeuvre de la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel.

Juste un petit mot. La semaine dernière, nos confrères de l'Association des archéologues ont souligné toute l'importance que recèle le patrimoine archéologique, non seulement au niveau de la culture, de l'éducation, des retombées économiques et touristiques. On sait que c'est 10 à 15 millions chaque année d'investissement en archéologie, j'aimerais ajouter à ce chiffre-là qu'en 2005, selon une étude de l'Observatoire de la culture, 3 049 630 visites ont été enregistrées sur les sites historiques du Québec. Alors, voilà. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Marsan): Je vous remercie. Merci, Mme Limoges. Nous allons immédiatement débuter notre période d'échange, et je vais donner la parole à Mme la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.

Mme St-Pierre: Merci, M. le Président. Alors, merci d'être parmi nous aujourd'hui. Je veux tout d'abord vous féliciter pour le travail exemplaire que vous faites dans le domaine de l'archéologie. Et j'ai eu l'occasion d'assister au lancement du Mois de l'archéologie. À chaque année, je trouve que vous faites des efforts considérables pour rajeunir, en fait, quelque chose qui est... qui date... une discipline qui parle du passé mais avec des porte-parole qui sont frais, jeunes et qui peuvent amener des enfants et enfin des jeunes, des familles à s'intéresser à cette question-là. Alors, c'est vraiment excellent, ce que vous faites comme travail.

Et vous nous parlez de 3 490 000 visites. C'est assez incroyable, c'est la moitié du Québec, finalement, qui s'intéresse à l'archéologie. Mais, bien sûr, il faut parler du potentiel qu'il y a au Québec. Vous nous avez parlé du registre... Vous avez parlé de la banque de données qui regroupe actuellement près de 9 200 sites. Comment peut-il y avoir une banque de données si elle n'est pas précise? Il y a des sites qui sont clairement des sites archéologiques puis des sites potentiels? Comment... Parce que vous dites que vous souhaiteriez que ce soit plus précis, qu'il y ait plus d'informations. Ou qu'est-ce que vous souhaitez exactement?

Mme Limoges (Sophie): On veut qu'elle soit actualisée. C'est un outil qui est déjà quand même très précis. Tous les sites connus sont répertoriés à l'intérieur...

Mme St-Pierre: Actualisée dans le sens d'en ajouter, d'ajouter ceux qu'on n'a pas encore ajoutés?

Mme Limoges (Sophie): Actualiser, plus au sens des moyens de la diffuser, en fait. Là, c'est très centralisé pour l'instant. Ce n'est pas un outil de diffusion qui est nécessairement efficient pour le moment. C'est un outil vraiment de base pour les gestionnaires du patrimoine archéologique au ministère. C'est très, très important. Mais, nous, ce qu'on se dit, c'est que peut-être...

Mme St-Pierre: Il n'y a pas grand public... d'outils...

Mme Limoges (Sophie): ...que ça pourrait devenir un outil utile pour les fonctionnaires municipaux qui ont à intervenir sur le territoire. Je crois que...

M. Gagné (David): À ce titre, Mme la ministre, l'ISAQ, comme on l'appelle dans notre jargon, est utilisé principalement par les archéologues. Lorsqu'une municipalité entreprend des travaux sur un terrain, bien souvent ces données-là ne sont pas publiques, elles ne sont consignées qu'au domaine archéologique, et il arrive parfois des situations où on développe dans des endroits où il y a effectivement potentiel archéologique. Alors, s'il y a ouverture du registre de l'ISAQ pour les fonctionnaires municipaux, dans une approche qui est contrôlée, avec mots de passe, etc., et qu'il y ait une concordance de ces données-là avec les outils qui sont utilisés dans les municipalités, c'est-à-dire des bases de géomatique, des bases informatisées, on arrive avec des situations où on sauve énormément de temps et énormément d'argent.

Mme St-Pierre: Et c'est quelque chose qui ne serait pas très coûteux de l'ouvrir puisqu'il existe, l'outil existe déjà. Enfin, effectivement, on va prendre votre recommandation très au sérieux.

Vous dites ici, dans la conclusion de votre mémoire: «...il nous apparaît également primordial de mettre en oeuvre un mécanisme qui favorisera l'analyse spécialisée des collections. Ces analyses sont essentielles pour notre compréhension de l'histoire culturelle du Québec.»

Je ne connais pas vraiment ça, là, les collections. Vous êtes les spécialistes, mais comment peut-on avoir une collection si on ne sait pas ce qu'il y a dedans ou si on ne l'a pas analysée? Il me semble, qui dit «collection», dit «organisation» puis dit également «information concernant les objets dans la collection». Ce n'est pas tout pêle-mêle, comme ça, sans qu'on ne sache de façon ordonnée ce que ça contient.

Mme Limoges (Sophie): En fait, lorsqu'il y a des fouilles archéologiques, il y a un rapport qui est rédigé par les archéologues. Dans ce rapport-là, il y a un inventaire qui est fait des collections, mais très souvent le... Actuellement, l'archéologie se fait beaucoup dans une perspective de sauvetage. Alors, malheureusement, il n'y a pas énormément d'énergie d'investie dans l'analyse spécialisée de ces collections. Alors, c'est cet aspect-là que nous souhaitons mettre de l'avant: essayer de tirer toute l'essence de ces collections-là qui sont pour nous vraiment une source didactique incroyable et qui sont sous-exploitées, à notre avis, en ce moment.

Mme St-Pierre: Je vous remercie, en passant, d'avoir souligné le guide pour les municipalités... guider les municipalités sur les questions en archéologie, parce que je pense que c'était une bonne initiative de votre part, puis on est très fiers d'y avoir contribué.

J'aimerais vous entendre sur le pouvoir d'ordonnance. C'est l'article, je pense, 148 du projet de loi. C'est ça, «Régime d'ordonnance» concernant les municipalités. Alors, ça donne quand même aux municipalités un pouvoir d'agir assez rapidement et sur-le-champ.

Est-ce que vous considérez que c'est quelque chose qui est essentiel pour les municipalités ou s'il y a eu... les municipalités vont dire: Bien, vous nous donnez cette possibilité-là, mais on n'est pas équipés pour...

M. Gagné (David): Vous me permettez de répondre puisque...

Mme St-Pierre: Oui, allez-y donc. À Lévis, vous êtes bons là-dedans.

**(11 h 30)**

M. Gagné (David): ...j'en suis un des principaux intéressés, à cette table. En fait, l'archéologie est sous la juridiction de l'État, par la Loi sur les biens culturels. Par contre, les municipalités, les MRC sont souvent les acteurs de premier plan. Alors, bien souvent, ce sont eux qui sont sujets aux développements domiciliaires, aux grands développements de territoires, de l'aménagement, et tout ça, et il n'y a pas toujours un dialogue efficace entre les deux niveaux de pouvoir.

Donc, le pouvoir d'ordonnance, il est très intéressant dans le sens que les municipalités vont pouvoir agir et de manière proactive dans le domaine de l'archéologie, le tout dans la mesure où l'État demeure un gardien, puisque, si on donne trop de pouvoirs à la municipalité, vous savez... et là je n'incrimine personne ici, mais vous savez que la municipalité est souvent très proche de ses projets de développement. Et, même à l'intérieur de certaines municipalités, c'est un conflit entre la Direction de l'urbanisme et la Direction du développement économique, où chacun ont des visions, disons, qui sont partagées.

Alors, il est nécessaire que l'État garde son rôle de gardien justement pour imposer certaines modalités ou imposer certaines procédures. Et là je dis bien «gardien» et non pas «chien de garde», parce que le gardien va entraîner un dialogue qui va arriver à un consensus ou à des résultats qui sont beaucoup intéressants, tandis que le chien de garde va japper, et ça va braquer tout le monde dans leurs positions et leurs préjugés. Donc, il est important que le ministère soit là en appui avec les municipalités.

Et, étant donné que présentement l'archéologie, dans le domaine municipal, est en émergence, il y a plusieurs municipalités qui ont pris en considération cette ressource patrimoniale là, puisqu'elles y voyaient une solution gagnante et quelque chose très lié à leur identité. Toutefois, il y a des municipalités ou des MRC qui vont avoir une certaine surprise, et c'est pourquoi, Archéo-Québec, nous avons décidé de produire un guide sur les municipalités, pour démontrer certaines procédures où on n'aura pas à faire des fouilles archéologiques à tout prix à certains endroits mais à surveiller, appliquer la bonne procédure à la bonne problématique pour arriver à la bonne solution et que tout le monde se retrouve gagnant dans cette solution-là.

Mme St-Pierre: Alors, qu'est-ce que vous proposeriez? Ce serait de laisser cette possibilité, le régime d'ordonnance aux municipalités, mais les municipalités devraient aviser le ministère ou... Est-ce qu'il y a quelque chose dans la loi, là, qui manque pour qu'il y ait un certain contrôle qui se fasse de la part du ministère?

M. Gagné (David): En fait, il devrait y avoir un dialogue obligatoire entre les départements d'aménagement et le ministère de la Culture par l'intermédiaire de ses directions régionales. Il devrait y avoir aussi une concordance entre la future Loi sur le patrimoine culturel et la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, qui donne les dispositions légales pour les municipalités. C'est dans ça qu'on retrouve les schémas d'aménagement et les plans d'urbanisme. Alors, une ville qui va intégrer la dimension archéologique dans son plan d'urbanisme va nécessairement avoir une meilleure emprise sur son développement, un meilleur contrôle.

Alors, en ayant un dialogue entre les directions régionales et les départements d'urbanisme ou d'aménagement, eh bien, là, on est capables d'avoir des démarches beaucoup plus proactives et, en ce sens, un échange d'information. On ne parle pas de coût, on ne parle pas de l'implication financière à cette étape-là. C'est une circulation d'information. Et plus les gens sont informés, plus ils vont être capables d'agir et d'appliquer les bonnes solutions. Par expérience, bon, j'ai rarement vu des gens qui sont de mauvaise volonté au premier égard. Bien souvent, le manque d'information ou l'ignorance est souvent passé sous la mauvaise volonté. Alors, plus les gens sont informés à la fois par leur direction régionale qui... appuie par de l'information la municipalité, alors plus il y a circulation d'information, plus on va pouvoir agir promptement et de manière proactive.

Mme St-Pierre: Oui. Puis, si on commence par rendre accessible l'inventaire des sites archéologiques du Québec, on ferait... on commencerait... Ce serait grand pas, un grand pas de fait.

M. Gagné (David): Et maintenant la plupart des villes et des MRC gèrent leurs territoires à partir des bases de géomatique, c'est-à-dire des outils informatisés qui sont disponibles pour plusieurs fonctionnaires. Alors, lorsque ces données-là sont accessibles, on est capable d'agir de manière rapide.

Mme St-Pierre: Bien, je vous remercie infiniment. Je pense que mes collègues ont des questions, alors je vais leur laisser du temps aussi.

Le Président (M. Marsan): Oui. Auparavant, il n'y a pas d'autre intervention? Mme Piédalue, ça va? O.K. Alors, M. le député de Lévis.

M. Lehouillier: Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, je voudrais vous féliciter non seulement pour la préparation de votre mémoire, qui est très riche, mais en même temps, également, pour votre présentation, la présentation que vous faites à ce moment-ci, que je trouve fort intéressante.

Moi, je voudrais peut-être vous entendre un petit peu plus sur l'idée que les municipalités devraient... parce que la loi prévoit déjà, là, au niveau de la protection et l'identification du patrimoine, qu'il y ait un amendement à la Loi sur l'aménagement pour que les secteurs présentant un intérêt culturel, notamment patrimonial au sens de la loi, soient indiqués au schéma d'aménagement. Vous autres, vous dites que finalement la loi devrait prévoir que les municipalités inscrivent les sites dans leurs schémas d'aménagement, O.K., ça, c'est un peu ce qui est prévu dans la loi, mais qu'elle prévoie des dispositions claires.

Qu'est-ce que vous entendez par ces dispositions claires là? Étant donné qu'on a justement un éminent archéologue, je crois, de la ville de Lévis avec nous aujourd'hui, et on sait que la ville de Lévis fait un excellent travail dans ce domaine-là, alors j'aimerais vous entendre sur les dispositions claires que... comment... qu'est-ce que vous entendez par les dispositions claires, là, dans la loi.

M. Gagné (David): Alors, je pourrai ajouter un nouveau diplôme dans mon bureau. Je ne suis pas archéologue, malheureusement. Je suis conseiller en patrimoine. Par contre, justement, c'est de là l'avantage d'avoir des fonctionnaires généralistes, disons-le, qui touchent à différents types de patrimoine, parce qu'on est capables de les gérer de manière intégrée.

Parmi les dispositions claires, présentement, l'inscription des sites archéologiques dans le schéma d'aménagement demeure encore facultative ou optionnelle dans la Loi de l'aménagement et de l'urbanisme. Donc, ces données-là devraient être obligatoires et devraient être mises en lien aussi, comme je le mentionnais précédemment, dans les outils qui sont mis à la disposition des gestionnaires, c'est-à-dire les bases de géomatique, alors... et d'arriver à certains scénarios d'application, c'est-à-dire de localiser les sites de potentiel archéologique sur le territoire, de localiser également les zones de développement. Et ainsi, lorsqu'on est capable de concilier les deux, on est capable d'appliquer le scénario idéal.

Alors, voici en général, c'est parmi les dispositions. Il ne s'agit pas d'arriver avec des applications qui sont coercitives ou qui vont obliger absolument les gens, sous peine d'amende. C'est certain que les amendes doivent être obligatoires, mais, lorsqu'on est rendu à les appliquer, c'est que nécessairement on a manqué une étape dans notre scénario. Alors, il faut avoir le plus d'informations, le plus d'outils possible pour pouvoir agir promptement.

M. Lehouillier: O.K. Oui, j'aurais une autre question. Quand vous parlez, au niveau des inventaires, d'identifier un mécanisme pour protéger les sites connus sur l'ensemble du territoire québécois, vous entendez quoi par «définir un mécanisme pour protéger l'ensemble des sites»? Et là faites-vous allusion aux 9 200 sites qui sont contenus dans l'inventaire? C'était ça, ma question, parce que 9 200 sites, c'est quand même quelque chose. Et qu'est-ce que ça représente comme travail, ça?

Mme Piédalue (Gisèle): Bien, quand on pense à protéger les sites, c'est surtout de déterminer des conditions de protection des sites dans les permis de construction puis de démolition. À l'heure actuelle, le permis est accordé à l'archéologue pour faire une intervention, et c'est basé sur la qualité de l'intervention professionnelle, mais très souvent il n'y a pas nécessairement de mécanismes qui sont mis en place durant l'intervention ou lors d'une découverte importante pour dire: Ce vestige-là, il est significatif, et on doit le protéger. Alors, en ayant vraiment, là, des conditions de protection dans les permis de construction, de démolition, ce serait vraiment un bon moyen de protéger ces sites-là.

Pas tous les sites nécessitent nécessairement une protection à long terme. 66 % des interventions archéologiques qui sont faites sur le territoire du Québec, c'est des interventions dites de sauvetage, et c'est souvent des informations assez fragmentaires. C'est important de documenter les vestiges, mais c'est seulement les vestiges significatifs qui doivent être conservés, à notre avis.

M. Lehouillier: O.K. J'ai peut-être une autre question. Est-ce que j'ai encore le temps, M. le Président?

Le Président (M. Marsan): En terminant.

M. Lehouillier: Sur la responsabilisation des municipalités. Alors donc... Et, vous, je sais que vous êtes en train de préparer un guide, au moment où on se parle. Est-ce que ce guide-là fait partie des outils, là, qui permettraient aux municipalités d'assumer ce rôle de responsabilisation? Est-ce qu'il y a autre chose que vous voyez là-dedans?

**(11 h 40)**

M. Gagné (David): On le souhaite, puisque présentement il y a très peu d'outils de sensibilisation. Bien, en fait, je vais me corriger. Depuis une vingtaine d'années, les archéologues ont beaucoup développé d'outils de gestion et d'outils de sensibilisation sur des méthodes, sur des méthodes de recherche, et tout ça. Mais un guide qui inclurait l'ensemble de ces éléments-là, adressé à des gestionnaires municipaux, dans leur langage, dans leur vocabulaire, ça ne s'est jamais fait. Alors, c'est pourquoi, nous, on jugeait nécessaire d'arriver avec ce projet-là pour outiller les municipalités.

Et, si vous permettez, M. le député, je vais répondre également à un questionnement du député de Saint-Jean, tout à l'heure, lors de la présentation précédente, qui posait une question sur la connaissance des intervenants en région. Et effectivement il existe des réseaux de formation, Archéo-Québec en fait partie. Il y avait le réseau Villes et villages d'art et de patrimoine qui offre des formations sur le cadre législatif, sur des éléments d'intervention pour donner un langage commun justement aux intervenants. Et, pour nous, c'est important, puisque ce sont nos antennes dans les régions. On n'a pas d'archéologue dans toutes les régions, il n'y a pas de spécialiste en archéologie dans toutes les municipalités, dans toutes les MRC, mais il y a des intervenants culturels, des agents ruraux, des gens qui sont liés justement aux conseils de la culture qui sont capables d'agir, alors de là l'importance de soutenir les programmes de formation.

M. Lehouillier: O.K. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marsan): Ceci termine la période d'échange avec le parti ministériel. Nous poursuivons avec... Et je vais donner la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Messieurs dames, bonjour. Dès le premier paragraphe de la partie 1, vous mentionnez que le Réseau Archéo-Québec a notamment été créé «face à une situation jugée critique». Ce ne sont pas de petits mots. J'ai lu le reste du paragraphe, et ça semble être encore écrit au présent. Donc, ce n'est... c'était vrai en 1999 selon vous, et on suggère que c'est encore une situation critique.

Est-ce que c'est si grave que ça? Est-ce que nos éléments patrimoniaux ou archéologiques en général sont à ce point-là en péril?

Mme Limoges (Sophie): Je vais juste préciser. Quand le Réseau Archéo-Québec est né, c'est vraiment... il est né d'un cri du coeur du milieu, effectivement, des gens qui travaillaient beaucoup justement dans les régions. Et notamment au tout début c'étaient beaucoup des gens qui travaillaient à l'intérieur d'institutions muséales, des centres d'interprétation, qui ont des objectifs... qui avaient des objectifs d'achalandage à atteindre et puis, avec des budgets limités, avec des ressources aussi humaines restreintes, essayaient à tout le moins de positionner cette archéologie-là. Alors, vraiment, le réseau s'est constitué dans cette perspective de mettre en commun les ressources pour vraiment positionner l'archéologie au Québec.

À l'époque, quand on parlait d'archéologie, on parlait beaucoup d'une archéologie qui empêchait le développement. C'était souvent un petit peu négatif. Quand on voyait arriver des archéologues, on se disait: Oh non! Notre projet risque de prendre du retard, et tout ça. Et puis le travail qui a été accompli par nos membres, puis par Archéo-Québec, et évidemment par plusieurs acteurs du milieu a fait changer cette vision de l'archéologie.

Il reste encore du travail à faire, effectivement. La population est de plus en plus sensibilisée. On le voit notamment par le succès du Mois de l'archéologie, qui est fréquenté de plus en plus par les citoyens. Au début, quand on a lancé l'événement, on avait 3 000 participants; aujourd'hui, c'est plus de 55 000, malgré le fait que plusieurs de ces activités sont contingentées. Et très souvent les gens sont encore étonnés de constater la diversité de notre patrimoine archéologique, qui est vraiment... qui demeure encore, pour plusieurs, insoupçonnée.

Alors, on parle au présent parce que, oui, il y en a encore beaucoup d'éducation à faire et des actions très concrètes à poser pour arriver à positionner l'archéologie non seulement comme... bien, comme une composante névralgique de notre patrimoine, effectivement.

M. Blanchet: Merci. Vous parlez, toujours dans la partie 1... «Les membres [d'Archéo] sont...» Bon, vous êtes des institutions muséales. Des institutions muséales au Québec qui ont une vocation en tout ou en partie qui soit archéologique, à part évidemment le remarquable musée de Pointe-à-Callière et le musée des civilisations, qui en fait beaucoup aussi, ça a l'air de quoi en région? Jusqu'à quel point... C'est un peu ça, la question: Jusqu'à quel point les artefacts qui sont trouvés à travers l'ensemble du territoire parviennent à être mis en valeur à peu près là où ils sont trouvés? Et jusqu'à quel point sont-ils simplement centralisés et même souvent même pas présentés au public parce que c'est très redondant? Donc, jusqu'à quel point est-ce que les régions réussissent à mettre en valeur leur propre patrimoine archéologique?

Mme Limoges (Sophie): Il y a de beaux exemples parmi les membres du Réseau Archéo-Québec, entre autres le Centre Archéo Topo, le Musée régional de la Côte-Nord, Pointe-du-Buisson, évidemment, vous les avez cités, Pointe-à-Callière, le Musée canadien des civilisations. Ce sont des lieux qui réussissent à présenter le patrimoine archéologique in situ, une approche qui est privilégiée évidemment quand on parle d'archéologie, parce que l'archéologie, à quelque part, c'est vraiment... on parle de site identitaire, hein? Alors, vous le savez pour avoir une formation en anthropologie, les objets ont tout leur sens quand ils se trouvent dans leur contexte d'origine.

Je ne sais pas si vous voulez compléter.

Mme Piédalue (Gisèle): Oui. Bien, on doit quand même admettre que, dans certains secteurs archéologiques, notamment le patrimoine maritime, le patrimoine industriel, les forces vives actuellement sont relativement minces, les experts qui connaissent ces secteurs-là sont aussi relativement minces. Alors, il y a un gros travail de formation à faire et un certain investissement en temps et en argent pour essayer de développer ces secteurs-là au niveau de la diffusion aussi. Alors, c'est assez inégal à travers l'ensemble du territoire québécois.

Mme Limoges (Sophie): J'aimerais juste ajouter. Dans les dernières années, le ministère de la Culture a investi beaucoup au niveau du renouvellement des expositions permanentes dans les institutions muséales, ce qui a permis vraiment d'actualiser les contenus, les collections aussi qui ont été découvertes récemment. Et, dans le cadre de cet exercice-là, vraiment ce qui est ressorti de la part de nos membres institutionnels qui sont issus du milieu muséal, c'est une grosse lacune, là, vraiment au niveau des synthèses régionales. Ça, c'est un aspect qui mérite d'être travaillé, puis je crois que le milieu de l'archéologie est très sensible à ça.

Je suis archéologue moi-même, puis évidemment, quand on fait de la mise en valeur du patrimoine archéologique à partir de rapports de fouilles, c'est une source qui est très, très aride à lire. Donc, des synthèses thématiques, des synthèses régionales seraient vraiment à prioriser au niveau des actions futures.

M. Blanchet: En fait, dans votre mémoire, vous déployez beaucoup d'éléments qui seraient une politique archéologique en soi. Ça déborde, selon moi, largement du cadre d'une loi, mais ce n'est pas sans intérêt. Et ça appelle, et vous le faites à plusieurs endroits, des ressources financières qui vont demander, comment dire, un certain lobby avant que qui que ce soit, avec toute la bonne foi du monde, y arrive, mais il y a là des pistes qui sont extrêmement intéressantes.

Vous parlez... En fait, j'ai plusieurs questions par page, on ne s'y rendra pas. Mais vous parlez de la masse critique en compétences professionnelles, et donc, évidemment, c'est lié au document que vous avez préparé au bénéfice des municipalités. Si tant est que cette loi-là est mise en application, il va devoir y avoir une régionalisation significative des compétences. Jusqu'à quel point ou en combien de temps croyez-vous que pourrait se déployer une structure qui rendrait de telles compétences disponibles là où elles seraient requises à travers les régions?

Mme Limoges (Sophie): Mes collègues pourront compléter. J'aimerais peut-être introduire, pour répondre à votre question, qu'il y a plusieurs régions qui disposent déjà de structures très intéressantes, d'une belle expertise régionale. Je pense à l'Abitibi-Témiscamingue, au Bas-Saint-Laurent, l'Outaouais, Québec, Montréal évidemment, la Mauricie aussi, où il y a des universités, des municipalités qui prennent déjà part assez activement à différents aspects, là, de la gestion du patrimoine archéologique.

Donc, maintenant, en combien de temps on pourrait déployer, c'est une bonne... c'est une excellente question. Je ne sais pas si mes collègues, David... M. Gagné, Gisèle, pourraient ajouter. Je pense qu'on est... Je pense que le milieu a une belle expertise déjà qu'il pourrait rendre accessible dès demain, dès le moment où le projet de loi serait mis en application. Évidemment, ça prendrait, comme on l'a souligné un petit peu plus tôt, des programmes peut-être de perfectionnement. Notre archéologie, elle est diversifiée, elle est complexe. Elle demande une expertise qui doit l'être tout autant, et puis évidemment ce n'est pas dans toutes les régions qu'on dispose de cette expertise-là.

**(11 h 50)**

Mme Piédalue (Gisèle): Bien, c'est certain que ça nécessite une diversité de formations qui est actuellement concentrée dans les grandes régions de Québec et de Montréal. Dans certains cas, il est possible d'exporter vers les régions cette expertise-là selon les besoins, mais, dans certaines régions où il y a des grosses concentrations de types de site, si on pense au patrimoine industriel, patrimoine maritime par exemple, patrimoine religieux, bien, ce serait vraiment souhaitable de... qu'il y ait une formation, qu'il y ait des gens formés en région pour être capables de traiter ce type de ressource archéologique. Cette formation-là doit nécessairement passer par les universités, qui, de plus en plus, ont un rôle à assumer au niveau de la formation archéologique.

M. Blanchet: On a assez peu mentionné les universités dans nos échanges à date. Je trouve ça intéressant, parce qu'on partait parfois dans la réflexion du niveau municipal, et là, évidemment, on était confrontés aux problèmes de petites municipalités qui n'ont pas, parce qu'elles ne peuvent pas, et ce n'est pas du tout une question de mauvaise volonté, qui n'ont pas la sensibilité et l'expertise requises pour attaquer des questions archéologiques, si tant est qu'un site se trouve sur leur territoire. Puis qu'est-ce qu'on fait avec ça?

Donc, j'imagine qu'à l'heure actuelle il y a un ensemble de procédures qui existent. Mais, dans la mesure où on voudrait élargir un inventaire complet, là où ça appelle une autre question, puis je ne suggère pas de réponse, il y a la question de facultatif versus obligatoire au niveau des municipalités, il y a la question municipalité ou région et il y a la question des différents modèles qui existent. Comme vous le dites, à tel endroit, ça fonctionne comme ça. La réalité de l'Abitibi puis celle de Montréal, c'est sans comparaison possible.

Jusqu'à quel point est-ce qu'on peut être cohérent, dans un secteur aussi spécialisé que l'archéologie, en laissant beaucoup de liberté aux interventions ou aux juridictions régionales par rapport à une vision qui, par appel d'expertise, devrait peut-être être quand même assez uniforme? Jusqu'où on laisse chaque région, chaque juridiction faire à sa façon, avec un oeil plus ou moins distant du ministère, ou jusqu'à quel point on dit: Non, pour que ce soit bien fait, c'est de même que ça doit être fait?

M. Gagné (David): Il existe des modèles qui sont intéressants présentement et qui illustrent bien ce que vous êtes en train de me dire parce que les interventions ne doivent pas être absolument balisées et semblables partout à la grandeur du Québec, puisque chacune des régions a sa propre identité et sa propre réalité. Et la différence entre obligatoire, facultatif, et tout ça, on l'a dans plusieurs domaines, que ce soit dans le domaine du patrimoine bâti ou peu importe, on le voit souvent, lorsque c'est facultatif, bien, on arrive avec des solutions simplistes ou des solutions qui ne sont pas durables et qui ne sont pas gagnantes, justement. Une maison peut être replaquée de vinyle, tandis qu'on est capable de faire du bardeau de bois qui va être beaucoup plus significatif et qui va donner une valeur justement à la maison.

Même chose pour l'archéologie. Il y a des milieux justement qui ont investi dans l'archéologie, qui ont décidé de le mettre en priorité dans leurs questions de développement. Et permettez-moi de souligner un exemple qu'il y a eu dans notre municipalité, l'exemple du domaine Longwood, où un promoteur immobilier voulait développer sur un terrain où il y avait des sites connus, et deux choix s'offraient à lui: soit qu'il passait le bulldozer, comme c'est déjà arrivé, ou soit qu'il s'arrêtait, réfléchissait, écoutait les intervenants et qu'il intégrait l'ensemble de la démarche archéologique dans son développement domiciliaire. Alors, à son bonheur, il a fait le bon choix, puisque ça a été gagnant pour lui. Il est allé chercher une signature corporative unique. La municipalité, elle est allée chercher une entrée de taxe supplémentaire, puisqu'on a grossi le gabarit des résidences. Le ministère a été gagnant, puisqu'on est allé chercher une masse de connaissances exceptionnelle sur un site exceptionnel d'occupation humaine au Québec. Et chacun s'y est impliqué activement, c'est-à-dire que le promoteur s'est impliqué financièrement, la ville s'est impliquée financièrement, et le ministère s'est impliqué financièrement. Ce qui veut dire que cet exemple-là peut servir à la grandeur du Québec, puisque souvent on dit: L'archéologie dans les régions, ça coûte cher, puis on n'a pas les moyens. Bien, ce n'est pas vrai, puisque chacun doit agir dans son propre champ de responsabilité et doit partager.

C'est le même exemple pour l'environnement. L'environnement, ce n'est pas juste la question du ministère de l'Environnement, c'est une question que chacun doit s'impliquer. Bien, l'archéologie, c'est la même chose, les villes, les municipalités, les MRC, les promoteurs privés, les citoyens. Et justement c'est le citoyen qui en est le grand gagnant, parce que c'est lui qui reçoit toute cette masse de connaissances et d'information.

Alors, tout ça pour répondre que, là, on ne pourra jamais inciter et on ne pourra jamais obliger les milieux ou les régions à agir obligatoirement en archéologie, mais c'est le choix qu'on leur offre. Si vous l'appliquez, vous allez être gagnants et de loin.

M. Blanchet: Est-ce que, dans l'éventualité... Parce qu'il y avait eu une ambiguïté, mais je pense l'avoir corrigée. La ministre croyait que j'étais mal à l'aise avec la décentralisation, que j'y voyais un désengagement de l'État. Je suis très à l'aise avec la décentralisation, parce que l'identité de chaque région me semble mieux préservée ou même mise en valeur si elle le fait elle-même. Bien sûr, je pense que l'État doit garder une espèce de rôle d'arbitre là où le développement pourrait se comporter plus comme un bulldozer que dans l'exemple que vous nous donnez.

Si c'est facultatif et si on dit: On n'impose pas ces politiques-là aux régions ou aux municipalités, qui peuvent donc dire: Non, je n'y vais pas, je ne le fais pas, est-ce qu'on ne met pas en péril justement des éléments de patrimoine à tous égards, notamment archéologiques? Est-ce qu'on ne dit pas: Vous n'êtes pas obligés d'y aller, ça risque de ne pas se faire, et évidemment l'attention va se porter vers les régions qui, elles, le font, au détriment de celles qui ne le font pas, et qui pourront laisser de côté des éléments qu'on ne retrouvera jamais? Est-ce que ce n'est pas le risque du facultatif?

Mme Piédalue (Gisèle): Oui, il y a un risque, effectivement, et, à cet égard, le ministère doit préparer des lignes directrices très solides qui sont transmises aux municipalités dans la façon de faire pour protéger le patrimoine et aussi le patrimoine archéologique. Et ils doivent aussi s'assurer périodiquement que certains sites jugés significatifs... Puis le cycle d'information va se faire, parce que le rapport archéologique, lui, va identifier que c'est un site très important, et ce rapport-là est transmis, là, au ministère.

Alors, à ce moment-là, quand on a un site significatif, ça va prendre un certain mécanisme pour s'assurer que les éléments significatifs soient conservés à plus long terme. Ce n'est pas tout qui doit être conservé, mais c'est certain qu'il y a certains éléments, là, qui doivent être intégrés. Et, dans un contexte de développement, il y a différentes mesures qui peuvent être applicables, soit la conservation intégrale d'un site ou soit une formule de développement qui va permettre d'intégrer la ressource archéologique au développement, en s'assurant que tous les principes d'intégrité commémorative, là, soient suivis. Et ces principes-là sont développés par le ministère et sont transmis par le ministère aux municipalités.

M. Blanchet: Je vous remercie en vous disant que, si éventuellement, compte tenu du succès effectivement du Mois de l'archéologie, le gouvernement choisissait de retenir votre proposition de décréter le mois d'août mois d'archéologie, vous aurez mon appui enthousiaste.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie, Mme Sophie Limoges, M. David Gagné et Mme Gisèle Piédalue, pour nous avoir fait connaître la position du Réseau Archéo-Québec sur le projet de loi n° 82.

Je voudrais mentionner à nos collègues, avant de suspendre les travaux, d'apporter leurs effets personnels. Il y a une autre réunion qui va débuter bientôt.

Et, sur ce, la commission suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 59)

 

(Reprise à 15 h 14)

Le Président (M. Marsan): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires. Nous allons poursuivre, sans plus tarder, les auditions publiques sur le projet de loi n° 82, Loi sur le patrimoine culturel.

Alors, nous avons le privilège d'accueillir les représentants de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable, et je vais demander au président-directeur général de se présenter, de présenter la personne qui l'accompagne. Vous avez une période d'environ une quinzaine de minutes pour nous faire valoir votre point de vue, qui sera suivie par une période d'échange entre les deux côtés de la chambre. La parole est à vous.

Association québécoise de la
production d'énergie
renouvelable (AQPER)

M. Samray (Jean-François): Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, mon nom est donc Jean-François Samray. Je suis le président-directeur général de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable. Je suis accompagné du président du conseil d'administration, M. Louis Robert, qui est également directeur Développement éolien chez la compagnie Innergex, Innergex qui est une compagnie québécoise présente dans le secteur éolien, le secteur hydraulique et qui maintenant rayonne au niveau canadien.

Donc, il nous fait grand plaisir de nous retrouver devant vous aujourd'hui pour partager nos vues sur le projet de loi que vous êtes à étudier. Nous sommes convaincus qu'en législateurs studieux vous avez lu et annoté notre mémoire et vous avez des questions à nous poser ou des précisions à nous demander. Permettez-nous quelques grands rappels avant d'échanger avec vous et d'essayer de répondre aux questions.

Donc, l'AQPER est le porte-parole de l'industrie pour toutes les questions ayant trait à la production d'électricité basée sur les ressources renouvelables ou les énergies nouvelles qui respectent les principes du développement durable. L'AQPER réunit les principaux intervenants de l'industrie dans la production d'énergie renouvelable au Québec, et ses membres oeuvrent principalement dans les secteurs de l'énergie éolienne, des centrales hydroélectriques, de l'énergie produite à partir de la biomasse et du biogaz. L'AQPER est un interlocuteur privilégié, un partenaire stratégique d'Hydro-Québec qui assure un lien entre l'industrie et les représentants du gouvernement et des organismes publics impliqués dans les secteurs énergétiques. Nous participons aux grands débats et aux prises de décision sur l'évolution et le rayonnement de l'industrie de l'énergie renouvelable au Québec. Notre association existe depuis 1991.

Donc, d'entrée de jeu, que l'on soit bien clairs, l'AQPER et ses membres supportent comme vous les efforts de protection du patrimoine culturel et des paysages exceptionnels du Québec. Les grands espaces naturels, marque de commerce du Québec à l'étranger, doivent être protégés. Plus encore, ils doivent être, et nous le soulignons dans notre mémoire, mis en valeur.

Les constructions de différents types qui ornent aujourd'hui notre territoire sont partie intégrante de notre territoire et sont des témoins, des reflets de notre histoire, de notre savoir-faire et représentent, chacune à leur façon, des époques de notre développement. Industrialisation et modernisation du Québec ont marqué le paysage et ont ainsi façonné notre patrimoine. D'autres moins, nous en convenons.

Certaines de ces constructions sont toutefois devenues des sites touristiques exceptionnels. Depuis quelques années, le Québec a vu naître de nouvelles constructions au reflet de notre époque dans le patrimoine plus récent des Québécois. De nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de produire de l'énergie propre et renouvelable ont fait leur apparition dans le paysage québécois. Une série de lois et de règlements émanant de plusieurs instances gouvernementales, bureaux, commissions locales ou québécoises, balisent aujourd'hui le processus menant à l'obtention des autorisations des permis requis. La notion de protection du paysage est déjà balisée par ces nombreux intervenants.

Toutefois, le développement de ces projets énergétiques ne peut se faire sans la présence d'un processus d'autorisation linéaire balisé, clair, comportant des échéances et des modalités connues par l'ensemble des parties. Nous vous expliquerons pourquoi nous recommandons au législateur de laisser aux multiples instances déjà impliquées dans le processus, et elles sont nombreuses... de laisser également aux lois et règlements actuels le soin d'encadrer la protection et la valorisation des paysages exceptionnels.

Les outils réglementaires à la disposition des municipalités et des MRC permettent la création de paysages éoliens et hydrauliques harmonieux qui concilient les intérêts de tous, communautés d'accueil et promoteurs, et ce, au bénéfice de l'ensemble des Québécois.

Historiquement, les Québécois ont développé des sites propices au développement hydroélectrique et se sont donné les moyens d'améliorer considérablement leur qualité de vie et leur niveau de richesse individuelle et collective. L'hydroélectricité est aujourd'hui une des grandes fiertés des Québécois. Néanmoins, à l'instar de plusieurs gouvernements à travers le monde, celui du Québec a opté pour la diversification de son approvisionnement énergétique renouvelable grâce à la filière éolienne. À cette fin, le gouvernement du Québec a intégré, dans sa stratégie énergétique, le développement de 4 000 mégawatts d'énergie éolienne à l'horizon de 2015.

L'éolien, au Québec, c'est huit parcs éoliens en opération, six sites actuellement en construction. C'est aussi une douzaine de projets de parcs éoliens actuellement dans la phase finale de l'obtention des permis de toutes sortes et qui seront mis en place d'ici peu. À l'AQPER, nous avons maintes et maintes fois répété que le développement de ces projets ne se fera qu'avec l'appui des communautés d'accueil ou ne se fera pas. Ce développement doit se faire de façon harmonieuse, en intégrant les dimensions environnementales, économiques et sociales.

L'intérêt porté par l'AQPER au projet de loi n° 82 porte sur un aspect bien spécifique: la désignation des paysages culturels patrimoniaux. La procédure présentée aux articles 17 à 25 du projet de loi encadre la désignation par le gouvernement des paysages culturels patrimoniaux à la demande des municipalités locales et des MRC. Cette procédure est claire et prévoit, entre autres, la reconnaissance par la collectivité concernée des caractéristiques paysagères remarquables du paysage. Or, la chronologie de la procédure nous apparaît cependant plus nébuleuse et soulève des questions.

**(15 h 20)**

Ainsi, que se passerait-il si un territoire donné est octroyé par Hydro-Québec, dans le cadre d'un appel de propositions, à un projet éolien et que subséquemment une demande de désignation de paysage culturel patrimonial est enclenchée? Le projet de loi n° 82 ne prévoit pas, à notre connaissance, de mécanismes pour solutionner de tels problèmes qui se poseraient au ministre. Pour nous, il s'agit là d'une situation problématique qui doit être corrigée avant l'entrée en vigueur de la loi.

M. Robert (Louis): Permettez-moi d'enchaîner sur le processus d'implantation de parcs éoliens. D'emblée, nous portons à votre attention les faits suivants: le développement de projets éoliens est un processus échelonné souvent sur plusieurs années et comporte des étapes de mesure des vents et d'études techniques et environnementales. Dans le système actuel d'appel d'offres mis en place par le gouvernement et Hydro-Québec, il peut s'écouler parfois jusqu'à six ans entre l'annonce de projets retenus et la mise en service de ces derniers. Six ans.

Certains articles du projet de loi devant vous ajoutent de l'incertitude pour le développement de projets d'énergie renouvelable. La superposition du processus de désignation de paysage culturel patrimonial à celui de l'obtention du décret ministériel pourrait créer une confusion au sein de la population mais également chez les instances réglementaires. Nous nous interrogeons: Un décret ministériel pourrait-il être accordé à un projet d'énergie renouvelable si une demande de désignation de paysage culturel patrimonial est en cours? Est-ce que les délais légaux de la procédure conjointe du MDDEP et du BAPE pourraient en être affectés? Dans quelle mesure ces articles de loi ne viendront-ils pas allonger encore plus le délai entre l'octroi des projets et leur mise en service? Comment sera perçue par le BAPE ou les autres instances réglementaires une demande pendante de désignation «paysage culturel patrimonial»?

Toute prolongation des délais aura des impacts importants sur la bonne marche des projets. L'un de ces impacts, et non le moindre, est la tenue dans ce délai de six ans d'élections municipales et les risques de transformation des projets en enjeu électoral. Dans un tel scénario, et il n'a rien de science-fiction: un nouveau conseil municipal achemine au gouvernement une demande de désignation de paysage culturel patrimonial et empêche la réalisation du projet après des années de travaux et des sommes importantes investies. Ceci n'est qu'un exemple, mais la réalité est souvent plus complexe.

Actuellement, quoi qu'on en dise, l'implantation de parcs éoliens relève d'un processus bien encadré et se déroule dans la grande majorité des cas de façon harmonieuse. Ainsi, l'installation d'éoliennes sur le territoire obéit déjà à des considérations réglementaires, techniques et environnementales auxquelles sont intégrés de nombreux éléments humains et biophysiques, dont le paysage. Vous pouvez consulter, à la page 12 de notre mémoire, la liste complète des lois, règlements et différentes politiques qui interviennent à un moment ou l'autre dans l'implantation de parcs éoliens. Au moins 35 lois, règlements ou différentes politiques sont à l'oeuvre.

Relativement à l'évaluation de l'impact sur les paysages, la présence d'équipements de production d'énergie modifie l'état des lieux et l'état des paysages au même titre que d'autres types de constructions humaines. Les paysages évoluent. La nature même de la vie en société et du développement économique nécessite de planifier et d'organiser l'aménagement du territoire. À cet égard, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme de même que les règlements municipaux qui en découlent permettent déjà une prise en compte de la préservation des paysages. Afin de répondre aux exigences du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, les promoteurs sont déjà tenus d'évaluer adéquatement l'impact de leurs projets sur les paysages. Cette évaluation est basée sur une approche méthodologique rigoureuse. Capacité d'absorption, unité de paysage, capacité d'insertion, valorisation, harmonisation, etc., sont parmi les éléments évalués et pris en considération, notamment en respect du Guide d'intégration des éoliennes au territoire du ministère des Affaires municipales, qui évoque la notion de création de paysages éoliens. Pour l'AQPER, il ne fait pas de doute que le cadre réglementaire auquel se soumettent les projets éoliens permet de garantir adéquatement la création de tels paysages en harmonie avec les valeurs actuelles de la société québécoise.

L'AQPER souhaite que la cohérence du gouvernement en matière de développement énergétique, de protection de l'environnement et de protection des patrimoines naturels soit maintenue. La stratégie énergétique, la Loi sur la qualité de l'environnement, la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme de même que d'autres lois et politiques gouvernementales actuellement en vigueur encadrent adéquatement l'implantation de parcs éoliens dans une perspective de développement durable et de protection des milieux naturels et humains.

Avec sa stratégie énergétique, le gouvernement mise sur le développement du potentiel d'énergie éolienne que l'on peut intégrer au réseau d'Hydro-Québec. L'objectif visé est de 4 000 mégawatts. Ainsi, l'énergie éolienne va permettre au Québec de disposer de quantités appréciables d'électricité, tout en permettant la création de milliers d'emplois dans les régions du Québec, et plus particulièrement en Gaspésie.

Vous pourrez consulter dans notre mémoire les éléments des lois et règlements actuels en vigueur qui protègent déjà les paysages patrimoniaux québécois. Pour l'AQPER, il faut non seulement protéger les paysages exceptionnels, mais il faut également mettre en valeur des lieux et des paysages et les rendre accessibles au public de façon sécuritaire.

Avant que mon collègue Jean-François Samray conclue, et puisqu'une image vaut mille mots, permettez-nous de vous montrer, sur les écrans, différentes photos présentant des paysages intégrant la production d'énergie renouvelable, notamment éolienne et hydraulique.

M. Samray (Jean-François): Oui, alors, on a ici une intégration au paysage au mont Miller, en Gaspésie. Voici, dans un milieu agricole, celui de Baie-des-Sables, vous voyez une intégration de turbines éoliennes, encore là, dans un paysage urbanisé de Baie-des-Sables. On voit maintenant, au niveau des centrales hydroélectriques, le même souci est appliqué. On a la centrale de Rivière-du-Loup qui, cette centrale-là, est un joyau du patrimoine, elle a été construite au début des années 1900, et sa réfection, lors des contrats de l'APR-91, a permis sa mise en valeur et lui a permis d'obtenir le Grand Prix du tourisme et le Phénix... un grand prix du Phénix de l'environnement. On a ici également, non loin, la centrale des Marches-Naturelles, vous voyez, juste à deux pas du parc des chutes Montmorency. On a ici la centrale de la Chaudière, la même chose, valorisation. On a un site touristique très achalandé année après année. On a la centrale de Saint-Paulin; vous pouvez voir l'intégration au sein du paysage afin d'en faire une intégration complète. Et, je vous dirais, ma foi, un des plus beaux joyaux du patrimoine québécois qui a été valorisé par la production énergétique, la centrale d'Arthurville. Cette centrale-là est un ancien moulin qui a été construit dans les années 1780 et qui a pu être rénové grâce à l'obtention d'un contrat de transfert de technologies et d'intégrer un projet hydroélectrique qui a permis la conservation et la valorisation de ce bâtiment historique. Alors, voilà.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie pour votre présentation.

M. Samray (Jean-François): Oui, alors peut-être donc... En conclusion, tout ce que nous... pour les raisons que nous avons invoquées, nous recommandons donc de ne pas intégrer les paysages à l'application de la Loi sur le patrimoine culturel.

Le Président (M. Marsan): Nous avons bien compris. Nous allons débuter nos échanges, et je vais céder la parole à Mme la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.

Mme St-Pierre: Merci, M. le Président. Alors, merci d'être parmi nous aujourd'hui. Juste une petite question géographique pour moi. Arthurville, c'est où?

M. Samray (Jean-François): Arthurville se trouve dans la région, je dirais, Lanaudière...

Mme St-Pierre: C'est très beau.

M. Samray (Jean-François): ...se trouve dans le coin de Saint-Paulin, là, dans...

Mme St-Pierre: O.K. Je pensais bien connaître le Québec, mais...

M. Samray (Jean-François): Lanaudière, Mauricie, dans le coin de Louiseville, un petit peu plus haut.

Mme St-Pierre: O.K. Bon, alors, oui, on a compris votre... le but, évidemment, puis l'objectif de votre mémoire, c'est de dire... de nous dire qu'il y a déjà beaucoup de choses qui sont en place pour protéger, et alors pourquoi ajouter une autre couche avec la Loi sur le patrimoine culturel? Parce qu'on parle aussi de développement, on veut parler également de développement économique en région, puis vous faites du développement économique. Vous représentez combien de compagnies exactement?

**(15 h 30)**

M. Samray (Jean-François): Écoutez, l'association regroupe plus d'une centaine d'entreprises qui sont autant dans la production d'énergie qui sont présentes au Québec, qui, par ce savoir-faire-là, sont également présentes à un niveau national et international, et également il y a les firmes en biens et en services qui les supportent dans leur développement.

Mme St-Pierre: O.K. Donc pas juste l'énergie éolienne, il y a tous les types d'énergie.

M. Samray (Jean-François): Autant énergie éolienne qu'énergie hydroélectrique de petite puissance, que biomasse et la filière du biogaz.

Mme St-Pierre: Et vous avez beaucoup insisté sur... Vous insistez beaucoup sur la question des éoliennes. Je comprends que c'est pas mal la grande majorité de votre activité, non?

M. Samray (Jean-François): Non, je vous dirais qu'il est clair qu'en termes de mégawatts, au terme de la stratégie, ça sera principalement l'assise de l'association, mais nous sommes très présents et contribuons à la création d'une électricité peu dispendieuse qui soit présente par la filière hydroélectrique. Nous sommes là également dans la filière de la biomasse et nous sommes consultés par le ministère pour la relance de cette filière-là. Et nous sommes très actifs avec le ministère du Développement durable et des Parcs pour arriver à une stratégie de valorisation du biogaz et de la biométhanisation, donc tout ça pour la réduction des matières putrescibles dans les sites d'enfouissement.

Mme St-Pierre: On a entendu des gens de l'industrie éolienne lors de la tournée de consultation -- on était en Gaspésie -- et ma mémoire fait défaut, je ne me souviens pas quelle compagnie était venue, mais il y a une compagnie qui était venue nous parler de cette crainte d'ajouter, dans notre projet de loi, la question du paysage patrimonial. Et, ce matin, on a eu aussi par vidéoconférence des gens de la Gaspésie, le Conseil de la culture de la Gaspésie, qui sont venus nous parler d'une politique-cadre qui a été adoptée par la CRE, je pense, là-bas. Alors donc, comment ça se passe? Est-ce que vous avez des contacts? Comment ça se passe, avec cette politique-là, le fait qu'il y ait du développement économique aussi qui doit se faire? C'est une région qui a besoin également d'avoir du développement économique, puis il faut que ça se fasse dans l'harmonie, et tout ça. Est-ce que les relations sont bonnes ou si vous avez des... vous êtes à couteaux tirés avec les gens de...

M. Samray (Jean-François): Je vais laisser M. Robert faire la précision puisque, lui, il est dans le quotidien dans le développement et les relations avec le milieu.

M. Robert (Louis): Mme la ministre, je ne sais pas si vous faites allusion... à quelle politique-cadre vous faites référence. Par contre...

Mme St-Pierre: Bien, ils nous ont expliqué qu'il y avait des municipalités... des MRC qui avaient mis en place une politique-cadre pour la question des paysages.

M. Robert (Louis): Par rapport à la Gaspésie, je peux vous donner l'exemple concret de l'évolution de la filière dans cette région-là. D'ailleurs, le premier appel d'offres de 1 000 mégawatts qui remonte à 2003 avait été lancé suite à une volonté des Gaspésiens qui, suite à un exercice de concertation, avaient choisi la filière éolienne comme étant un créneau d'excellence qu'ils voulaient développer dans la foulée de fermeture de plusieurs usines. Donc, c'est vraiment la Gaspésie qui a poussé, demandé au gouvernement de développer cette filière-là dans leur région d'abord et d'y associer des exigences de contenu non seulement québécois, mais aussi régional pour que les éoliennes qu'on installe soient fabriquées, de façon importante, là... des composants en Gaspésie.

Donc, il y a une volonté qui vient de la région. Parallèlement au lancement du premier appel d'offres de 1 000 mégawatts, il y a eu un processus, et ça, c'est un exemple concret d'outil qui est déjà existant qui a été utilisé. Il a été mis en place ce qu'on appelle un PADTP, un plan d'aménagement et de développement du territoire public. Donc, à travers ce plan-là, étaient identifiées de façon très claire les zones non admissibles au développement éolien, les zones admissibles au... compatibles avec le développement éolien mais avec mesure d'harmonisation, de sorte que l'ensemble des joueurs, des initiateurs de projet, avaient un cadre très clair: Nous, on veut l'éolien en Gaspésie mais dans tel, tel, tel territoire.

Donc, tout ça pour vous dire qu'il y avait un cadre très clair pour tout le monde pour pouvoir évoluer de façon harmonieuse. Et tout ça quand même était nouveau, donc, c'était bien d'avoir ce cadre-là en place.

Mme St-Pierre: ...déjà?

M. Robert (Louis): Là, on remonte au moment de l'appel d'offres, 2003-2004.

Mme St-Pierre: Est-ce que ce cadre-là existe encore?

M. Robert (Louis): Ce cadre-là existe toujours et il a été...

Mme St-Pierre: Donc, vous vivez avec ce cadre-là présentement?

M. Robert (Louis): On vit avec ce cadre-là et on doit... En tant qu'initiateur de projets, on souhaite qu'il y ait des cadres comme ça, on souhaite qu'il y ait des schémas d'aménagement ou des règlements de contrôle intérimaire au niveau des MRC qui déjà prévoient ce qui peut être fait, et pas fait, et fait de quelle façon dans certains territoires. Donc, comme industrie, on souhaite avoir, dans le fond, un cadre clair pour évoluer. Et ce qu'on dit, l'exemple du PADTP en est un, l'exemple des règlements municipaux, que ce soit un règlement de contrôle intérimaire, RCI, schéma d'aménagement du territoire, ces outils-là permettent justement de définir les zones où le développement éolien est souhaité et les endroits où il ne l'est pas.

Et en ce qui a trait aux relations avec le milieu, de façon générale, que ce soit le milieu économique, social -- en Gaspésie, vous parlez probablement des projets de Cartier Énergie éolienne, qui est une coentreprise d'Innergex, une entreprise que je représente, et TransCanada -- donc, on a réussi à implanter aujourd'hui trois parcs éoliens: Baie-des-Sables, Anse-à-Valleau et Carleton. Baie-des-Sables est vraiment montrée comme une vitrine, un exemple de projet bien intégré dans sa communauté, bien intégré dans l'environnement naturel.

Mme St-Pierre: Bon. Donc, avec ce que vous nous dites, vous êtes sensibles aux besoins de la communauté, aux intérêts de la communauté, et vous travaillez avec la communauté. Moi, je regarde notre projet de loi puis, plus je le regarde, plus je me dis: Il me semble que ça va exactement dans le sens du travail que vous faites avec les communautés. Parce qu'on parle d'ailleurs... Le terme «désignation» est important parce qu'on parle d'une désignation et avec tout un processus où ce sont les communautés elles-mêmes qui vont faire un consensus pour arriver à cette désignation avec une charte du paysage culturel patrimonial, puis il faut également qu'il y ait la désignation du territoire, et tout cela.

Et, ce matin, il y avait des craintes, puis, les autres jours, il y a eu des craintes inverses aux vôtres, c'est-à-dire on nous disait: Bon, bien, si une municipalité décide de bucker, il n'y a plus rien qui fonctionne. Alors, il y en a d'autres qui trouvent qu'on est... on donne comme un droit de veto à une seule municipalité qui pourrait décider que ça ne fait pas son affaire, tandis que toute la communauté, le reste de la communauté veut l'avoir. Tandis que, là, vous nous faites la crainte inverse.

Mais, moi, je lis notre projet de loi, et il me semble qu'il s'intègre très bien dans votre philosophie, et que ce n'est pas un... notre projet de loi n'est pas un empêcheur de tourner en rond. Au contraire, c'est de faire en sorte que certains endroits pourraient avoir cette désignation-là. Et le but n'est pas d'arrêter le développement économique du Québec, là, ce n'est pas l'objectif. Vous semblez y voir peut-être... Bon, on dit: Le diable est dans les détails. Vous semblez peut-être y voir un endroit dans le texte. Moi, je vous inviterais à nous éclairer sur comment... Je sais que votre conclusion, c'est de dire: Abandonnez la section III, là, puis les articles. Mais, mettons qu'on ne les abandonne pas et qu'on essaie de vraiment bien les encadrer pour répondre à vos inquiétudes, ce serait quoi, votre suggestion?

M. Samray (Jean-François): Bien, écoutez, Mme la ministre, pour nous, ce qui est très clair, c'est d'avoir un processus longitudinal, donc un processus branché en série plutôt qu'en parallèle. Pour nous, ce qui est clair, c'est qu'un processus d'approbation a un début et il a une fin, et toutes les étapes sont une derrière l'autre. Et ce qu'on veut éviter à tout prix, ce que l'industrie a énormément de difficultés à vivre, que ce soit elle-même... que pour les entreprises qui sont en attente des contrats puis de la construction, que ce soit pour les entreprises qui financent les projets, ce qui est la hantise la plus grande, c'est d'avoir des processus qui viennent en parallèle et qu'on ne sait plus trop à quel aiguillage est rendu le processus. Quand c'est sur un rail de chemin de fer qui est en ligne droite, ça va très bien. La métaphore est que ce qu'on apprécie, c'est une ligne de chemin de fer qui est en ligne droite et non pas 12 aiguillages, tel le train Montréal-Québec, où on doit faire trois, quatre fois la voie de garage pour attendre, le reprendre et s'en retourner.

Donc, nous, ce qu'on souhaite, c'est de faire en sorte que le processus soit linéaire, avec un début, avec une fin, et pas de démarches qui se font en parallèle. Donc, c'est ce que l'industrie souhaite. Et donc on trouve qu'il y a déjà... On les a mis en huit, de police, pour essayer de les faire rentrer sur une page, là, l'ensemble des lois et règlements qui l'encadre, là, et, pour nous, d'en ajouter, et d'ajouter des processus en parallèle, c'est ce qui nous déplaît.

Là, maintenant, si vous nous dites: On est prêts à le retravailler, on est prêts à attendre vos commentaires, on est prêts à... pour en faire un processus linéaire, bien là, écoutez, regardez, nous, ce qu'on dit, c'est que le projet de loi, on y voit du parallélisme plutôt que de la linéarité.

**(15 h 40)**

Mme St-Pierre: Bien, c'est sûr qu'on a entendu différents points de vue, puis j'en ai exposé un peu, là, dans ce que je vous ai dit tout à l'heure. Il y en a d'autres qui trouvent qu'on ne va pas encore assez loin. Certains nous disent qu'il faudrait des zones tampons. Je veux dire, on a beaucoup, beaucoup de points de vue sur la table, mais ce qui est important, c'est d'arriver avec quelque chose qui va faire le plus grand... le consensus le plus large possible.

J'ai une question sur justement les gens d'affaires. Dans notre commission, il n'est pas venu beaucoup... Il y a eu la Chambre de commerce du Québec. Il n'y a pas eu beaucoup de gens d'affaires qui sont venus. Il y a eu les gens des panneaux publicitaires qui sont venus à la commission. Personnellement, j'aurais aimé entendre plus de points de vue aussi, parce qu'il y a quand même le moteur de développement économique, et tout ça.

Est-ce que, dans votre association, vous vous impliquez de façon, je dirais... par le mécénat, dans la culture des régions où vous êtes implantés, dans la sauvegarde du patrimoine, justement? Est-ce que vous posez des gestes où vous dites à la population: Bien, on est respectueux, on respecte le paysage, on... bien, enfin, on respecte la collectivité et aussi, en échange, puisqu'on vient faire des affaires ici, bien, on va participer à certaines choses sur le plan culturel?

M. Robert (Louis): Je vais y aller là-dessus en...

Mme St-Pierre: Parce que bien des gens nous disent qu'on manque d'argent, puis on n'a pas d'argent, puis que... pour protéger le patrimoine, les églises, et tout ce qui fait notre patrimoine.

M. Robert (Louis): Oui. Bien, écoutez, je vais vous donner deux exemples concrets où il y a un lien entre l'implantation d'une installation de production d'énergie renouvelable et la valorisation du patrimoine naturel ou humain. Dans le cas des Chutes-de-la-Chaudière, vous voyez la photo à l'écran, c'est un projet donc juste ici, sur la rive sud de Québec. C'est un projet, bon, de l'entreprise Innergex qui a bien sûr conçu un projet, l'a proposé à la communauté, mais a été beaucoup à l'écoute de ce que la population locale... de ce que la communauté souhaitait.

Il faut rappeler que ce projet-là avait été proposé dans le cadre d'un appel d'offres d'Hydro-Québec qui visait à restaurer et remettre en fonction des petites centrales, des petits ouvrages qui avaient été en quelque sorte négligés par Hydro-Québec depuis 20, 30 ans, parce qu'Hydro-Québec se concentrait sur ce qu'elle sait très bien faire, les grands projets hydroélectriques. Alors, nous, on a proposé ce projet-là. Suite à de la concertation, de l'écoute de la part du promoteur Innergex, les gens sont venus nous proposer des choses. Entre autres, une des préoccupations, c'était la chute, le visuel de la chute, et à ce niveau-là les gens s'inquiétaient: Est-ce qu'il va encore y avoir de l'eau, et tout? Donc, on a regardé avec eux, on a fait des simulations visuelles et on leur a demandé: Qu'est-ce qui est satisfaisant pour vous? Qu'est-ce que vous souhaiteriez maintenir, préserver, comme visuel? Et les gens se sont exprimés. Ensuite, on a regardé au point de vue technique, économique, est-ce qu'on a encore un projet si on intègre la notion de débit, débit esthétique? Et c'était une première au Québec. Là, on revient au milieu des années quatre-vingt-dix, quatre-vingt-seize environ. Donc, on a intégré au projet la notion de débit esthétique, de sorte que, durant la période estivale où il y a beaucoup de touristes, le jour, il y a toujours un minimum d'eau et qu'il y a une belle apparence sur le site. C'est quelque chose qui est intégré. Il y a aussi la notion de débit écologique au niveau des poissons.

Et, au-delà de ça, la réalisation du projet a permis à la communauté, suite à un... Vous parliez de mécénat, là. Innergex a investi de manière à valoriser le site, non seulement le préserver, mais le valoriser. Il y a eu la construction de sentiers, dont une passerelle au-dessus de la rivière. Il y a aussi la construction d'un bâtiment qui se trouve à être un endroit où il se fait... les groupes scolaires vont à chaque année. Donc, en plus d'être une centrale de production d'électricité, ça devient un site touristique très achalandé dans la région de Québec, et également c'est un centre éducatif où les groupes scolaires vont pour se familiariser avec la production d'énergie renouvelable. Donc, c'est un exemple.

Je vous en donnerai un deuxième plus court, dans l'éolien. Donc, on a un projet, à Anse-à-Valleau, près de la région de Gaspé, qui est situé non loin du sentier national des Appalaches. Donc, c'est un endroit où les amants de la nature, les randonneurs vont, avec des points de vue exceptionnels. Et, dans le cadre de ce projet-là, Cartier Énergie éolienne s'est concertée avec l'organisme responsable du sentier -- c'est le Sentier international des Appalaches -- pour faire en sorte que le sentier soit amélioré, donc on a investi dans l'amélioration des infrastructures et, en plus, on a valorisé certains points de vue où les gens pouvaient voir des milieux naturels intacts et aussi avoir une vue sur le parc éolien. Donc, c'est un exemple concret où, encore là, l'entreprise s'est investie à améliorer des infrastructures récréotouristiques, et tout en valorisant également le paysage de cette région-là.

Mme St-Pierre: Alors, essentiellement, si je résume vos... dans vos craintes, il y a deux choses principales. La première, c'est: Pendant que vous êtes en train de travailler sur un projet, pourrait-il arriver hypothétiquement que, bon, là, il y ait une demande d'adressée au ministère pour désigner un paysage, en parallèle, là, quand vous nous parliez des rails?

L'autre point, c'est: Est-ce que, dans le futur, dans l'avenir, si on désigne un paysage et qu'on voudrait faire un développement... bien là, qu'est-ce qui arrive? Ça veut dire que tout est bloqué, c'est un peu ça, là, que... c'est-à-dire, on ne planifierait pas assez longtemps à l'avance. Enfin, vous avez dit que ça pouvait prendre très longtemps d'aboutir avec un projet et que cette démarche-là pourrait être plus rapide que le projet. Puis, vous, vous investissez dans un projet puis vous arrivez en bout de ligne, vous dites: Bien là, c'est ce qu'ils ont... ils ont fait la désignation, puis, nous, pendant ce temps-là, on travaillait dessus. Bien, c'est un peu réussir à ce que tout le monde se parle, là.

Le Président (M. Marsan): Alors, en terminant.

M. Samray (Jean-François): Écoutez, je pense que vous avez bien compris notre point de vue, et, dans le fond, ce qu'on s'attend, c'est: Regardez, que c'est un processus linéaire, clair, prévisible, et que l'industrie travaille là où elle est la bienvenue, travaille là... et qu'entre l'esquisse initiale et la construction finale il y ait énormément de discussions, de rencontres avec le milieu pour essayer d'intégrer à l'intérieur du projet... d'améliorer le projet et d'en faire le projet le plus rassembleur. Et Chutes-de-la-Chaudière, par son débit qui est là, a repris finalement le concept pris à Niagara Falls, là, qui est un des sites du patrimoine canadien très visité, mais il ne faut pas oublier, là, que c'est 4 000 mégawatts de production, là, à cet endroit-là. Donc, un n'est pas incompatible avec l'autre.

Le Président (M. Marsan): Alors, merci beaucoup. Nous allons poursuivre nos échanges. Et je vais céder la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture, de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Bien le bonjour, messieurs. J'ai l'impression que je lis tout ça, et, dans le fond, vous dites: Faites attention à ce qu'on ne se retrouve pas en conflit toujours, parce qu'après tout on est une énergie de l'avenir. Et, si je ne faisais que dire que nous sommes chaudement partisans de l'éolien, notre discussion n'avancerait pas pantoute. Donc, je vais plus aller sur ce qui pourrait être moins confortable.

Le premier inconfort, il est très clair: le développement durable, ce n'est pas que l'environnement, c'est effectivement aussi la culture et le patrimoine, c'est aussi des politiques sociales, c'est... Tu sais, c'est un certain nombre de notions sociales, culturelles, environnementales et économiques. Et là on aurait comme une branche du développement durable qui, un peu, s'oppose à une autre branche du même développement durable, c'est-à-dire énergie renouvelable versus patrimoine culturel et diversité culturelle. Ça, c'est un peu regrettable dans l'exercice même, mais ça ne rend pas votre présence moins pertinente, au contraire. Si la question devait être soulevée, et elle l'avait un peu été ce matin, grand bien nous fasse.

Je dirais tout de suite que j'aurais un malaise... J'en ai un avec le fait qu'on spécule sur comment on va financer tout ça en pleine commission parlementaire, parce que, dans ma perspective à moi, si on met une loi de l'avant, il va falloir qu'on ait prévu les moyens pour financer l'exercice qui va avec cette loi-là. Et je comprends que des entreprises, a posteriori lorsqu'elles veulent faire un développement qui pourrait incommoder des gens, compensent par une présence sociale acceptable. La caricature extrême, qui n'est pas près de ce que vous êtes, c'est les compagnies de cigarettes qui mettaient de la publicité sur des scènes de spectacle. Bon, c'est une manière d'acheter une acceptabilité sociale, et là on n'en est pas là, on parle de choses beaucoup plus acceptables d'emblée.

**(15 h 50)**

Mais je ne serais pas à l'aise à ce qu'on anticipe en partant de dire: Si vous mettez de l'argent dans les communautés, peut-être que c'est plus facile. Je pense que c'est a posteriori que ça doit être fait, parce que le principe de la loi ne doit pas être affecté par la possibilité qu'un promoteur privé, en dépensant de l'argent, achète un contournement de l'esprit de la loi. Je pense qu'il ne faut absolument pas aller là. Or, vous dites que c'est parce qu'il y a beaucoup de réglementations, et effectivement la liste que vous en faites est exhaustive, et ça peut être assez lourd. Vous dites que c'est déjà très lourd et donc que la Loi sur le patrimoine culturel devrait évacuer la notion du paysage patrimonial parce que c'est déjà largement couvert dans votre perspective. Est-ce qu'on n'a pas plutôt affaire à un problème d'harmonisation? Si je comprends bien, sur le fond des objectifs de la loi, vous n'avez pas de problème, mais, sur son application, parce qu'il y a déjà une liste de travaux à traverser avant d'y arriver, là, vous dites: Ça, c'est trop. Ça devient trop. Est-ce qu'un allégement et une harmonisation pourraient, sans compromettre l'esprit de la loi, satisfaire... ou apaiser vos inquiétudes?

M. Samray (Jean-François): Moi, je pense que, dans un premier temps, on l'a dit, là, et je pense qu'on va le répéter pour être on ne peut plus clairs, le développement de l'énergie renouvelable se fait avec les populations. S'il y a... D'abord, l'exemple de la Gaspésie a été patent, les Gaspésiens ont voulu se diversifier et ont appelé la venue au Québec du développement éolien, ça n'a pas été l'inverse. Et donc, lorsqu'un promoteur regarde pour des projets, il va aller là où il est le bienvenu, parce que c'est lui, l'étranger, dans une communauté. Et c'est à lui de s'intégrer, c'est à lui de parler avec la communauté pour essayer de valoriser ce qui est là, en place. Et les exemples que nous avons montrés, dans les images que nous avons présentées, le témoignent.

Et donc, pour nous, on ne voit pas d'incompatibilité entre patrimoine visuel et énergie renouvelable. Pour certains, il y en a; pour nous, on n'en voit pas parce que ça fait partie de l'acceptabilité sociale et ça fait partie des éléments qui doivent être là pour aller chercher l'adhésion d'une population. Et, je vais vous dire, l'adhésion d'une population, ce n'est pas l'argent qui l'amène, c'est l'adhésion dans un progrès, dans une revitalisation, dans un positionnement vers le développement durable, et c'est la ligne directrice qui est dans nos projets.

Maintenant, je pense qu'il est clair que d'avoir une étape de plus, d'avoir du cheminement en parallèle, c'est ce qui dérange beaucoup l'industrie. Ce qu'on s'attend, c'est du «smart regulating», là. On s'attend à des processus linéaires. Et, regardez, il y a sûrement, comme vous dites... Je pense qu'il y a sûrement un élagage à faire... ou de repenser les choses autrement pour aller obtenir les mêmes autorisations.

M. Robert (Louis): Peut-être pour compléter en donnant un exemple concret, ce qu'on dit, en fait, c'est qu'il y a déjà des outils à la disposition, entre autres, des communautés locales et régionales pour faire en sorte que le paysage, la protection du paysage et la valorisation du paysage soient pris en compte. Je donnerais un exemple. Dans une région où je travaille, la MRC de Kamouraska, ils ont mis en place ce qu'on appelle un règlement de contrôle intérimaire où ils ont désigné les zones admissibles au développement éolien, qui se trouvent à être dans la partie sud, à la frontière du Maine, là où il y a du vent, et de sorte qu'on ne verra pas d'éolienne construite à Kamouraska, Saint-Denis, Rivière-Ouelle. Bon. C'est le choix qu'ils ont fait, avec des outils qu'ils ont déjà à leur disposition, pour orienter là où doit se faire le développement éolien.

Et j'irais encore plus loin. Je crois qu'il y a actuellement un projet de réforme au niveau de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. Je crois même qu'il y a des dispositions spécifiques pour intégrer la question paysagère au sein du processus d'élaboration des schémas d'aménagement. Donc, ce qu'on vous dit, c'est: On pense qu'il y a des outils en place, on veut éviter d'en rajouter, et qui interviennent en parallèle, parce qu'ils... Oui.

M. Blanchet: À cet égard-là -- et je suppose que, Mme la ministre et moi, on sera d'accord là-dessus -- je ne crois pas qu'il soit envisageable que le ministère de la Culture renonce à une juridiction parce que d'autres juridictions et d'autres ministères en traiteraient autrement et pour d'autres considérations. La notion de paysage patrimonial est une belle innovation dans ce projet de loi là, et je ne pense pas qu'il faille y renoncer parce que ça pourrait être couvert indirectement par les affaires municipales. Je pense, par contre, clairement, qu'il faut que ce monde-là se parle. Mais, sur le principe, ça reste important. Aussi, il faut voir qu'il y a une volonté de trouver la meilleure avenue possible. Parce que je suis de ceux qui appellent l'éolien. Je pense que c'est une énergie parmi les plus souhaitables et les plus exploitables, et que le Québec est parmi les mieux placés au monde pour le faire.

Ça n'empêche pas la notion du où, quand, comment, par qui, et au bénéfice de qui. Ça, c'est un ensemble d'autres questions. Je veux par contre qu'on soit bien clairs. Parce que vous dites que vous avez été appelés à un certain nombre d'endroits, fort bien, puis que ça se passe bien en général, fort bien aussi. Est-ce qu'on peut dire que l'acceptabilité sociale a préséance et que, si une communauté dit: Nous, on n'aime mieux pas, le promoteur va se retirer sans piper mot?

M. Samray (Jean-François): Regardez, je pense que vous êtes en train de citer une lettre que j'ai publiée dans Le Devoir, à savoir que jamais sans l'acceptation des populations. Et, pour nous, c'est clair que le milieu doit être favorable au projet. Les conditions doivent être là. Ce qu'on vous dit, c'est que, dans le processus réglementaire actuel, on rajoute un étage. Et ce que l'industrie dit, bien, c'est qu'on ne sait pas si, l'étage, on le rajoute en haut ou si on le rajoute à côté.

Donc, dans le fond, regardez, il y a peut-être un ménage à faire dans le processus. Il y a peut-être un ménage... Et peut-être que cette loi-là est un bon moment pour repenser le tout, là, pour faire un certain ménage dans le processus menant aux autorisations pour les projets. Et peut-être que c'est le moment de le faire.

M. Blanchet: Je suis le premier à souhaiter qu'un jour, lorsqu'on parlera de patrimoine... On avait mentionné, au début de nos travaux, que le patrimoine n'est pas que ce qui est ancien. Le patrimoine se développe au jour le jour et au quotidien. Et je suis le premier à souhaiter que des opérations réussies... Je dirais que l'éolienne géante de Cap-Chat fait partie du patrimoine. C'est clair. Parce que c'est un élément historique. Les gens faisaient le détour pour aller la voir avant qu'on se questionne sur la pertinence, la beauté, le bruit, le... Bon. Et tant mieux si ça en fait partie.

Et votre image d'ailleurs des origines de la colonisation qui utilisaient des énergies renouvelables est extrêmement intéressante à cet effet-là. Je suppose, par contre, que ça appelle une sensibilité que, vous, comme association, vous pouvez peut-être induire auprès de vos membres. Et je ne veux pas entrer dans le débat sur la légitimité de qui développe les énergies, pas ici, pas maintenant, mais, pour connaître cette sensibilité-là, quel est le pourcentage des entreprises membres de votre association qui sont à propriété québécoise?

M. Samray (Jean-François): Regardez, c'est une très bonne question. Je connais mes membres, là, mais je l'amènerai en complémentaire. Je vous amènerai... J'écrirai à la commission pour faire le tableau, parce que je n'ai pas ce chiffre-là en tête. Mais on va vous revenir.

M. Blanchet: Donc, en termes de...

M. Samray (Jean-François): On va vous revenir. Mais il y a une chose qui est claire. Il y a une chose qui est très claire: c'est que c'est 10 milliards d'investissement qui sont amenés au Québec par le développement de la filière. Ce sont des milliers d'emplois qui permettent à la Gaspésie de se relever. Et c'est une énergie qui est complémentaire, qui permet à Hydro-Québec de valoriser son potentiel hydraulique, qui permet à Hydro-Québec de commercialiser les crédits environnementaux qui sont liés à cette énergie-là. Et c'est une énergie qui est vendue exclusivement à Hydro-Québec. Et c'est un type de développement, tout comme les petites centrales, qu'Hydro-Québec n'a pas... n'a pas la structure pour le faire. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle Hydro-Québec s'est départie de ses petites centrales. Et c'est la raison pour laquelle l'éolien... Lorsque le gouvernement du Parti québécois, en 2003, a fait le premier appel d'offres, c'est dans ce premier décret là qu'il a été décidé de le faire par appel d'offres.

M. Blanchet: Là, vous venez d'aller exactement là où je souhaitais que nous n'allions pas. Alors, je vous...

M. Samray (Jean-François): Je suis désolé. Mais c'était la question. La question était posée.

M. Blanchet: Je vous épargnerai mes désaccords qui relèveraient plutôt de la juridiction de quelques-uns de mes collègues.

J'en déduis aussi que vous ne pouvez pas me dire le pourcentage de la production éolienne au Québec qui est faite par des entreprises à propriété québécoise. Vous pouvez me dire que tout est acheté par une entreprise à propriété québécoise, forcément, puisque c'est Hydro-Québec. Mais, si on ne peut pas dire le nombre d'entreprises membres, on ne peut pas non plus dire le pourcentage de la production éolienne qui est développée, qui est déployée par des entreprises à propriété québécoise.

**(16 heures)**

M. Robert (Louis): Je peux peut-être répondre certains éléments de réponse. Écoutez, oui, notre association représente des producteurs d'énergies renouvelables. Parmi ces producteurs-là, il y a des entreprises québécoises. Il y a les Innergex, Boralex, Kruger, Hydroméga. Ce sont des entreprises québécoises bien... 3Ci, bien implantées au Québec et qui rayonnent aussi ailleurs qu'au Québec, sur la scène internationale, donc qui développent une expertise ici et qui la mettent en valeur ailleurs.

Parmi nos membres, on retrouve aussi des fabricants d'équipements, oui, qui sont peut-être, là, Enercon ou REpower de l'Allemagne, mais, de par l'appel d'offres qu'on fait, avec des exigences de contenu gaspésien et québécois, ces entreprises-là ont l'obligation d'installer des usines pour fabriquer les différents composants. Donc, on a des superbonnes technologies mais qui sont... on s'est assurés qu'elles soient fabriquées au Québec, qu'il y ait de la main-d'oeuvre québécoise qui travaille et qui dirige ces usines-là. Donc, moi, je pense qu'il faut aussi penser aux retombées économiques pour le Québec, pour les différentes régions du Québec.

Et, parmi nos membres aussi, on retrouve des firmes d'ingénieurs-conseils. On retrouve des cabinets d'avocats, donc, qui viennent en support à tous ces projets-là. On a aussi des communautés, des communautés locales et régionales qui s'impliquent dans cette industrie-là, que ce soient la petite hydraulique ou les projets éoliens communautaires, et qui le font en partenariat avec des entreprises du secteur privé. Je travaille sur un projet, moi, avec la MRC de Rivière-du-Loup, on est à 50-50. Donc, tout ça pour vous dire qu'il y a une couleur très québécoise dans le développement de l'énergie éolienne au Québec.

M. Blanchet: Plus ce sera, mieux ce sera. Manifestement, vous êtes beaucoup plus à l'aise avec cette partie-là. J'ai l'impression que vous l'avez déjà dit, ce bout-là, et fort bien. C'est correct, c'est votre travail.

M. Robert (Louis): Non, je le vis.

M. Blanchet: J'ai une question pour vous. Dans le contexte où la loi, dans son libellé actuel, établit que, pour qu'une demande de reconnaissance de paysage patrimonial soit faite, il faut avoir l'unanimité des municipalités concernées, donc, s'il y en a une qui n'est pas d'accord: terminé.

La crainte qu'on a évidemment, c'est qu'avec des arguments de développement économique comme vous venez de me donner avec beaucoup d'éloquence, les gens des municipalités soient confrontés au choix: paysage patrimonial ou développement économique. Mais ici on travaillera à rendre les choses plus harmonieuses. Ma crainte évidemment, c'est le poids du lobby qui peut être exercé sur une municipalité pour faire casser ce... même pas «ce consensus», pour faire casser l'unanimité requise avant qu'un paysage ne soit reconnu. Ma question est fort simple: Est-ce que vous exercez... Est-ce que vous faites du lobby auprès des municipalités?

M. Samray (Jean-François): Écoutez, moi, ce que je peux vous dire, c'est que ce que l'industrie demande aujourd'hui, c'est un processus linéaire. C'est un processus simplifié, c'est un processus... Ici, dans le projet de loi actuel et dans l'avant-projet de loi qui est en... qui était déposé également sur l'aménagement du territoire, ça nous permet d'éliminer certains étages et certaines démarches en parallèle, mais je pense qu'on va en sortir gagnants.

Maintenant, est-ce que nos représentants... Je vous dirai que ça fonctionne des deux côtés. Il y a également beaucoup de municipalités qui appellent des promoteurs, de dire: Écoute, il y a un appel d'offres qui s'en vient. Et certaines associations municipales ont également fait des pressions pour obtenir des appels de propositions. Et donc je pense que ça va dans les deux sens, mais il faut que les populations, le citoyen qui habite dans le rang Croche, dans le rang Droit, dans la 1re Rue ou dans la 5e Rue... Il faut que les citoyens soient au courant, il faut qu'il y ait une information et il faut que ce soit présenté.

M. Blanchet: Donc, moi, mon seul but, encore là je le répète parce que... Le fait que je pousse quelques questions ne doit pas être interprété comme une réserve sur l'éolien, je pense que c'est extrêmement important. Si on convenait clairement qu'il n'y a pas de développement sans acceptabilité sociale de la communauté, je pense qu'on n'a pas vraiment de problème. Malheureusement, l'actualité des dernières années a, de façon récurrente, soulevé des cas où il y avait volonté de développement, mais pas l'acceptabilité sociale. Tant mieux si ces choses-là sont éventuellement gérées.

Vous avez soulevé une question, vous demandez: Un décret ministériel pourrait-il être accordé à un projet d'énergie renouvelable si une demande de désignation de paysage culturel patrimonial est en cours? Dites-moi: Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Samray (Jean-François): Bien, regardez, si, nous, on pose la question aux législateurs...

M. Blanchet: Donc, vous souhaiteriez...

M. Samray (Jean-François): Bien, nous, ce que...

M. Blanchet: Parce que, si je le reformule, vous souhaiteriez que, même si une demande de reconnaissance est déposée, vous pourriez procéder au développement pareil, rendant la demande de reconnaissance caduque d'emblée?

M. Samray (Jean-François): Bien, regardez, nous, ce qu'on dit à mots couverts, c'est que, dans les faits, tout comme ça a été le cas de l'aménagement de la Gaspésie... de dire: Regardez, il y a des zones où le développement se fait, il y a des zones où il ne se fera pas. Ce que l'industrie a besoin, lorsqu'il y a un appel d'offres... Parce qu'il faut bien se le rappeler, là, Hydro-Québec est l'acheteur de cette énergie-là. Il va à un appel d'offres au plus bas soumissionnaire qualifié et, pendant que les soumissions se préparent pour Hydro-Québec, ce que l'industrie souhaite obtenir, c'est le signal le plus clair possible d'où se font les demandes de désignation et pour faire: Bien, partout ailleurs, il n'y en a pas eu puisque voici la liste des endroits où il y en a eu. Et ce que l'industrie voudrait grandement éviter et voir ne pas arriver, c'est le fait de dire: Voici, les soumissions sont déposées, le dossier est fermé, les appels d'offres... les gagnants sont annoncés. Le gagnant est annoncé. Les gagnants sont annoncés. Un projet qui est dans la liste des gagnants voit certains, après coup, dire: Bien, écoutez, nous, on entame une démarche. Et là le projet n'a pas obtenu toutes ses autorisations, il est en voie de les obtenir, mais c'est là la question: quand l'appel a été donné, le territoire était ouvert.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie, MM. Samray et Robert, de nous avoir donné le point de vue sur le projet de loi n° 82 de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable.

J'inviterais maintenant les représentants de la Société du patrimoine d'expression du Québec à venir se présenter à notre table.

Je vais suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 6)

 

(Reprise à 16 h 12)

Le Président (M. Marsan): Nous reprenons nos travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir les représentants de la Société du patrimoine d'expression du Québec. Et je vais vous demander de vous présenter et ensuite vous pourrez poursuivre avec la présentation de votre position sur le projet de loi n° 82. Alors, ça nous fait plaisir de vous accueillir. La parole est à vous.

Société du patrimoine
d'expression du Québec (SPEQ)

M. Landry (Guy): Merci beaucoup, M. le Président. Mon nom est Guy Landry. Je suis secrétaire général bénévole de la Société du patrimoine d'expression du Québec. Je suis accompagné de Mme Carla Oliveira, qui est membre du conseil d'administration de la société et qui est aussi responsable du groupe portugais Cana Verde.

Je suis aussi accompagné de deux autres personnes: de Vartan Cherikian, qui est de la communauté arménienne et qui est présidente à la Société du patrimoine d'expression du Québec; et de Jocelyn Parent, qui est le nouveau D.G. du groupe Les Sortilèges/Danses du monde, alors... que la ministre, d'ailleurs, a donné un bon coup de main pour les sauver.

M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. membres de la commission, nous vous remercions de nous avoir convoqués à cette consultation de la loi n° 82.

Nous étions forts heureux que le gouvernement ait déposé la Loi sur le patrimoine culturel. On est heureux parce que ça fait plus de 30 ans qu'on attend qu'il y ait quelque chose qui se développe. Alors, qu'arrive une loi, ça nous réjouit.

Je vais vous donner quelques éléments de la Société du patrimoine d'expression. Notre organisme organise, depuis plusieurs années, divers projets et a développé une vision du patrimoine culturel immatériel qui s'inscrit dans la démarche de l'UNESCO. Je dois dire que notre approche a été avant tout reliée à l'UNESCO qu'elle n'a été au gouvernement du Québec et du Canada.

Conserver, transmettre et diffuser le patrimoine culturel immatériel, pourquoi? Parce que l'UNESCO, si elle pose des gestes semblables, ce n'est jamais sans raison. Et, dans notre cas, c'est pour le dialogue et le rapprochement des cultures. Alors, c'est pour ça d'ailleurs que notre conseil d'administration est composé de... la moitié, des gens qui proviennent des communautés culturelles et, des autres, du milieu francophone.

Nous regroupons plus de 250 associations et groupes, dont 70 % proviennent des communautés ethnoculturelles du Québec. Quand je mentionne ça, ce n'est pas parce qu'on rejette des groupes québécois francophones, c'est qu'il n'y en a pas assez. Vous voyez le problème: je veux dire, les communautés culturelles, quand il s'agit de leur patrimoine culturel, elles vont former plusieurs associations pour protéger leurs danses, leurs chants, leurs musiques, leurs langues. Elles vont prendre tous les moyens qu'il faut pour découvrir... conserver une identité qui va leur permettre de partager avec l'ensemble des Québécois. Nous leur donnons des services d'information, de formation, de documentation, de réalisation d'événements, de diffusion, de consultation, d'étude, de représentation et de réseau.

Notre organisme. Un des éléments, c'est qu'on a développé... on développe le réseau. Alors, notre organisme est le représentant québécois d'un organisme canadien qui s'appelle Folklore Canada International. Folklore Canada International a des sections provinciales ou des groupes dans l'ensemble des provinces du Canada.

Folklore Canada International est le membre qui représente le Canada au CIOFF. Le CIOFF est un organisme international -- Conseil international des organisations de festivals de folklore et d'arts traditionnels -- et qui est un organisme consultatif, à l'UNESCO, en patrimoine culturel immatériel. Alors, vous voyez, c'est comme une boucle: on se trouve à travailler avec l'UNESCO sur le plan international et on revient ici peut-être parler un peu plus de l'aspect, au Québec, comment ça doit se dérouler.

Le CIOFF a plus de 500 festivals internationaux qui existent dans plus de 90 pays dans le monde, des festivals comme... Exemple: ici, là, je voyais le député de Drummondville mentionner le Mondial des cultures de Drummondville. Alors, c'est un exemple d'un festival qui appartient au réseau international qui participe à la mise en valeur du patrimoine culturel immatériel.

Plus de 100 pays ont signé la convention sur le patrimoine culturel immatériel. Bien entendu, le Canada n'a pas signé cette convention et, vous le savez tous, là, de par résultat aussi, le Québec est placé dans une situation un peu difficile: le pays n'ayant pas signé, il n'existe pas de convention, sur le plan international, qui détermine un peu comment ça doit se développer.

Le Canada a choisi plutôt de se battre pour la convention de la diversité des expressions culturelles, alors que... Et le Québec, d'ailleurs, aussi s'est engagé dans cette lutte de la diversité culturelle, des expressions culturelles. Intéressant aussi, parce que cette interprétation de la diversité culturelle varie beaucoup sur le plan international que sur le plan canadien. Comme, sur le plan canadien, on se rend compte qu'on veut sauver les industries culturelles, sur le plan mondial, on veut sauver les cultures, les expressions de tous ces pays qui ne sont pas nécessairement des industries culturelles. Alors, deux mondes: je veux dire, un monde qui est adapté à cette nouvelle réalité où les industries culturelles deviennent importantes et un autre monde où la culture reste l'expression des gens, la culture traditionnelle reste l'expression des gens.

La ministre, en présentant une loi qui inclut l'ensemble du patrimoine, innove et assure au Québec les bases d'un renouveau où le patrimoine sera considéré comme un tout interagissant les uns sur les autres. Je mentionne ça parce que souvent on a tendance à diviser le patrimoine, et, je veux dire, le patrimoine, ce n'est pas divisé. Quand on consacre une maison, ce n'est pas juste une maison, ce n'est pas juste de l'architecture, c'est la vie qui a été dans cette maison-là, c'est les savoirs qui ont été faits, c'est ce que les gens ont créé, ce qu'ils ont inventé. Alors, je veux dire, la ministre, en créant cette loi-là, je pense, a vraiment fait un pas de géant pour le Québec, parce que je trouvais que le Québec... Personnellement, je trouvais, depuis les dernières années, que, dans ce domaine-là, on avait très peu progressé. Il faut cependant que chaque partie soit considérée à sa juste valeur.

Et j'aimerais inviter, à ce moment-là, ma collègue, Carla Oliveira, de vous faire part de notre avis sur la question du patrimoine... de la loi, le patrimoine culturel.

**(16 h 20)**

Mme Oliveira (Carla): Merci. Alors, à la Société du patrimoine d'expression du Québec, on s'est penchés sur la loi n° 82, mais on a aussi présenté un mémoire... Lors de la grande consultation qui s'est faite à travers, donc, la province, on a rencontré la ministre à Montréal. On avait déposé un mémoire sur diverses facettes du patrimoine immatériel, qui est notre connaissance du terrain, dans le fond. Cette fois-ci, donc à l'automne, on a réécrit, on a lu la Loi du patrimoine culturel, et c'est sûr que notre spécialité étant le patrimoine immatériel, donc, c'est sur ces points-là que nous venons vous parler aujourd'hui.

Il y a deux grandes idées qu'on essaie de défendre: que le patrimoine immatériel, c'est plus que de la connaissance, parce que c'est beaucoup ce qu'on retrouve dans la loi; et, la deuxième idée, c'est qu'on aimerait qu'il y ait une reconnaissance des acteurs. C'est sûr, nous, on est la Société du patrimoine d'expression du Québec, mais il y a d'autres acteurs aussi qui sont là. Donc, comme M. Landry a dit, nous représentons 250 associations. Il y en a certainement d'autres, parce que nous sommes un organisme de regroupement, et il y en a d'autres.

Mais, tout d'abord, il y a certains points que j'aimerais voir dans le mémoire qu'on a déposé, donc les quelques pages qu'on a remises à l'automne. On a ciblé les articles qu'on trouvait qu'il manquait peut-être un petit quelque chose. Donc, je vais peut-être commencer par ça.

L'article n° 13. Donc, il est inscrit que le ministre peut désigner des éléments du patrimoine. Alors, à notre avis, c'est un petit peu limitateur, les éléments du patrimoine qui sont décrits. On ne tient pas compte des personnes, donc des gens. On pensait aux personnes qui sont porteuses d'un savoir-faire. Ces personnes-là pourraient être désignées. C'est sûr que, vu... si on extrapole, tout le monde est porteur d'un savoir-faire, donc tout le monde peut avoir un certain savoir. C'est sûr qu'il faut mettre peut-être des limites là-dedans, donc, à l'exemple peut-être de l'UNESCO. Ce sont des personnes porteuses d'un savoir-faire unique, des personnes qui sont exemplaires dans leurs traditions. Donc, à vous peut-être de réfléchir un petit peu là-dessus.

Le deuxième article, c'est le 78.5°. C'est inscrit que les pouvoirs généraux du ministre en patrimoine immatériel se résument à «favoriser la connaissance». Alors, à notre avis, oui, le patrimoine immatériel doit être connu, mais il doit être aussi conservé, protégé, transmis et diffusé. Donc, ça serait peut-être bien d'élargir un peu cette notion.

À l'article 78.7°, il y a une liste d'identités. Ce sont des identités avec lesquelles le ministre peut faire des ententes. Donc, il y a un petit paragraphe là-dessus. Et ce qu'on a remarqué, c'est qu'il manquait les associations légalement constituées. Alors là, c'est peut-être à voir au niveau de la législation. Parce qu'on parle beaucoup des municipalités. Est-ce qu'on pourrait rajouter, par exemple, les organismes qui animent le milieu? Et une manière de le faire, ce sont des associations légalement constituées, par exemple, être incorporé, être un OBNL. Donc là, on pourrait faire des ententes avec le ministère.

Puis finalement l'article 121. C'est l'article où on parle des municipalités. Les municipalités peuvent identifier également des éléments du patrimoine, et ce qu'il manquerait peut-être, selon ce qu'on pense, ça serait d'inclure encore une fois les personnes qui sont porteuses d'un certain savoir-faire ou d'une certaine tradition. Donc, ces personnes-là pourraient être reconnues.

Donc, c'est ce qu'on a remarqué dans la loi, à notre lecture. Pourquoi on a remarqué ça? Bien, en fait, les grandes idées qu'on défend, le patrimoine immatériel, c'est plus la connaissance, parce que c'est bien beau de le connaître, mais, une fois qu'on le connaît, il faut qu'on puisse le conserver, il faut qu'on puisse le protéger, il faut qu'on puisse le transmettre -- donc, cette idée de développement durable -- et il faut aussi qu'il soit diffusé. Ce sont des pouvoirs liés à la sauvegarde du patrimoine immatériel, et, pour nous, c'est important parce que, dans les dernières années, le patrimoine, c'est rendu un peu dans des sphères un peu dans... il est un peu dans l'ombre. Donc, c'est certains organismes qui tiennent le fort, mais ça serait bien qu'on ait plus de moyens pour pouvoir le protéger, le transmettre et le diffuser pour que d'autres personnes soient sensibilisées aussi au patrimoine immatériel et qu'il puisse être plus pratiqué.

Le bagage patrimonial qu'on a aujourd'hui, c'est une acquisition de connaissances, mais aussi une transmission de pratiques. Le milieu s'est organisé en lui-même, mais il n'y a pas nécessairement un plan éducatif formel. Donc, ça serait aussi peut-être un moyen d'essayer de voir comment est-ce qu'on peut aider ces connaissances-là à être transmises. Donc, le ministère -- bien, la ministre -- peut contribuer à la conservation et à la diffusion.

La deuxième grande idée qu'on aimerait défendre, c'est d'aider, donc, les acteurs, de reconnaître les acteurs et les associations du patrimoine immatériel. Dans notre lecture, aucun article ne fait référence aux acteurs du patrimoine immatériel. On pense ici aux acteurs présents, donc ceux qui sont aujourd'hui sur le territoire québécois, et aucun article ne reconnaît leur travail de transmission de pratiques et de savoirs.

Si on repart de la définition de patrimoine immatériel, c'est un ensemble de pratiques et des traditions d'une communauté. Donc, dans cette communauté, il y a des gens, il y a des groupes qui font que le patrimoine est vivant. Donc, il faudrait peut-être les reconnaître.

Ce qui est peut-être... Ce qu'on peut retenir de tout ça, c'est que la loi doit reconnaître les protagonistes et doit aussi les soutenir. Ainsi, les acteurs qui ont permis de conserver les pratiques et les savoir-faire jusqu'à aujourd'hui vont pouvoir être appuyés dans leurs démarches, vont pouvoir assurer la pérennité du patrimoine culturel. Ce sont ces mêmes personnes qui pratiquent les disciplines du patrimoine immatériel.

Il faut aussi se souvenir que les personnes qui vont pratiquer du patrimoine immatériel aujourd'hui, c'est une petite partie de la population québécoise, parce que beaucoup de ces pratiques se sont perdues dans le courant de... dans la vie quotidienne, dans le fond. Ce sont des gens qui se sont spécialisés, ce sont des petits groupes qui sont répartis inégalement sur le territoire québécois. C'est sûr, à Montréal, on a une grande concentration de communautés culturelles, donc beaucoup de pratiques qui sont là, vu que les communautés culturelles reprennent la danse traditionnelle, le chant traditionnel. Mais, dès qu'on sort des grands centres, on va retrouver peut-être quelques groupes et même les groupes québécois traditionnels. On prend l'exemple de la danse, il y en a peut-être une douzaine au Québec, donc il n'y en a pas tant que ça. Alors, ce que nous souhaitons, c'est que les acteurs encore une fois puissent être reconnus, qu'on aide à la sauvegarde, à la transmission et à la diffusion pour que le patrimoine immatériel puisse rayonner plus et qu'il y ait une pratique qui soit plus grande.

Je parle beaucoup des acteurs. Donc, les acteurs du patrimoine, ça part des individus, ça peut partir d'un milieu familial qui est sensibilisé à ça. Donc, quelqu'un qui va être, par sa famille ou par ses intérêts, sensibilisé au patrimoine immatériel peut joindre un groupe ou une association. Et il y a différentes formes de regroupement: il y a des acteurs locaux, il y a des acteurs régionaux, et il y a même des acteurs nationaux, comme la Société du patrimoine d'expression du Québec. Les groupes vont se diviser par après, soit par discipline ou champ d'intérêt.

Donc, juste pour vous donner quelques exemples, il y a des groupes de danse traditionnelle, il y a des groupes de musique traditionnelle. On peut compter aussi les sociétés d'histoire, les centres de documentation. Il y a certains centres qui se spécialisent sur des domaines du patrimoine immatériel. Il y a des associations artisanales. Souvent, ce sont des associations pour une discipline. Un exemple, c'est l'Association des dentellières du Québec, donc, qui vont essayer de garder les traditions de faire de la dentelle avec du fuseau. Les associations de regroupement. Il y a aussi quelques écoles, ce sont des écoles... on peut appeler ça des écoles parallèles, comme des écoles un peu qui font du loisir. Un exemple concret: il y a l'École des vieux métiers de Longueuil, qui essaie de garder justement des savoir-faire. On peut aussi rentrer les musées là-dedans. Il y a certains musées qui essaient de développer une expertise en mémoire collective, la mémoire faisant donc partie du patrimoine immatériel. L'exemple concret peut être le musée de Saint-Jean-Port-Joli.

Alors, dans les dernières années, étant donné que la dernière Loi sur le patrimoine culturel n'incluait pas le patrimoine immatériel... ce qui fait que le patrimoine immatériel québécois a été relayé dans l'ombre. Il y a un manque de ressources, il y a un manque de reconnaissance, et on espère grandement qu'avec la loi n° 82 sur le patrimoine culturel... on a vu que le patrimoine immatériel est présent, mais on espère que cette loi puisse aider le milieu pour qu'il soit encore plus actif, pour que le milieu soit bien vivant, pas juste vivant mais bien vivant, et qu'il soit vécu et pratiqué partout. Alors, voilà, nous sommes prêts pour vos questions.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie. Nous allons débuter immédiatement la période de questions, et j'invite Mme la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine à débuter nos échanges.

**(16 h 30)**

Mme St-Pierre: Merci beaucoup. Merci, M. le Président. Merci de venir nous rencontrer, aujourd'hui, pour ce projet de loi. Dans le projet de loi, vous mentionnez le fait qu'on ne va pas aussi loin que certains autres pays, entre autres le Japon, la notion de trésors nationaux. J'en ai moi-même rencontré un vivant, théâtre japonais, et il nous expliquait avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de connaissances les origines du théâtre, les masques, et tout ça, alors c'était vraiment fascinant.

Et, nous, on a choisi de ne pas l'inclure dans le projet de loi. On va reconnaître... On parle d'une certaine reconnaissance quand même des personnes puisqu'on parle de personnages historiques décédés dont vous avez fait mention à l'article 13. Mais ce que je comprends, c'est que vous voudriez que ce soit plus large que cela, que ce ne soit pas uniquement d'un personnage historique, mais aussi des personnages qui ont une certaine connaissance de certaines techniques ou enfin du patrimoine...

Mme Oliveira (Carla): Bien, les personnes qu'on peut juger qu'elles ont acquis un certain bagage qui en font une personne de référence. C'est sûr que ce n'est pas parce que je vais aller prendre des cours de gigue que, tout d'un coup, je dois être nommée, mais quelqu'un qui a étudié la gigue québécoise ou les danses québécoises, qui a atteint un niveau de connaissance qu'on juge qui est exceptionnel, ça vaudrait la peine qu'on puisse désigner cette personne-là, qu'on puisse la reconnaître, ou du moins reconnaître le travail qu'elle a fait.

Mme St-Pierre: Oui. Même si cette personne est encore vivante? Vous enlèveriez aussi la notion de personnes qui sont décédées?

M. Landry (Guy): Je vais répondre à ce... Aux États-Unis, notre pays voisin reconnaît un certain nombre de personnes qui ont un savoir-faire, et ils vont, pendant deux ans, trois ans, leur dire: On vous reconnaît et vous allez transmettre votre savoir-faire. Ils n'attendent pas qu'il soit mort et puis ça va être trop tard pour qu'il puisse transmettre son savoir-faire. Alors, dans ce sens-là, c'est intéressant qu'on puisse... Il y a des façons de faire. Il y a des savoirs qu'on doit valoriser et qui puissent être transmis aux gens.

Mme St-Pierre: Oui. Vous parlez des États-Unis, on sait que les États-Unis ont refusé -- vous l'avez mentionné tout à l'heure -- de signer la convention. Le Canada n'a pas signé la convention sur le patrimoine immatériel, les États-Unis également, l'Australie.

M. Landry (Guy): Oui. Les États-Unis n'étaient pas, à ce moment-là, à l'UNESCO.

Mme St-Pierre: Ils n'y étaient pas à ce moment-là, mais ça ne les empêcherait pas de signer là, présentement.

M. Landry (Guy): Oui. Ça ne les empêcherait pas, mais c'est... il y a des problèmes, là aussi.

Mme St-Pierre: Alors, éclairez-nous donc sur les raisons...

M. Landry (Guy): Pourquoi le Canada?

Mme St-Pierre: Oui.

M. Landry (Guy): Bien, vous savez que...

Mme St-Pierre: En fait, je le sais, mais j'aimerais ça vous en entendre...

M. Landry (Guy): Entendre mon point de vue...

Mme St-Pierre: Oui.

M. Landry (Guy): ...comment, moi, je le perçois. Personnellement, comment je le perçois, après les discussions que j'ai eues avec les gens de la Commission canadienne de l'UNESCO, divers représentants de gouvernements, je veux dire, dans... Bon, le Canada va dire que la loi est... la convention est arrivée trop rapidement, là. Le gouvernement... C'est la raison du gouvernement: la convention est arrivée trop rapidement et ne répondait pas à leurs priorités.

Bien entendu, au Canada... Dans la convention, le premier élément qu'il est mentionné qu'on doit protéger, conserver, c'est la langue. Vous savez comme moi qu'au Canada on a un problème au niveau de la langue. Si je prends la langue des Amérindiens, c'est actuellement le pays qui a le plus pénalisé les communautés amérindiennes en effaçant complètement... d'utiliser la langue, leurs langues traditionnelles.

Ça veut dire aussi que, quand l'UNESCO parle de langue... Et là je parle de langue et puis ça n'a pas de rapport avec le fait qu'on parle français ou qu'on parle anglais, ou qu'on a une province qui est... qui utilise la langue française, cela est fait avec le fait que, dans un pays, dans une province, il existe toujours plusieurs langues et on doit tout faire pour les conserver, parce que la langue, c'est ça qui établit le modèle culturel, c'est ça qui établit la valeur culturelle que tu donnes à toutes les choses qui t'entourent. Alors, si on veut avoir un modèle assez unique, on a une façon de percevoir. Si on veut avoir un modèle un peu plus ouvert vers le monde, bien, il faut que la signification des objets, des choses, ait des dimensions qui varient et qui nous permettent d'avoir une façon de réfléchir qui est un peu différente.

Alors, pour moi, c'était un des éléments. Ça voulait dire qu'il fallait... Ils ont posé des gestes. Il continue à en poser, le Canada, des gestes, face à la question des langues. Comme exemple, on pourrait prendre les gens de Wendat, là, près d'ici, là, des... qui ont perdu complètement leur langue et qui viennent de commencer à réapprendre leur langue à travers la tradition et en allant chercher le langage qui était à Milwaukee, aux États-Unis. Alors, il faut s'interroger sur les types d'actions qui sont faites pour tenter de préserver la langue. Donc, c'était un élément qui était un peu, pour le Canada, délicat et qui reste délicat.

Bien entendu, dans les pays, je dirais, très urbanisés, très poussés...

Mme St-Pierre: C'est plus simple.

M. Landry (Guy): Comment?

Mme St-Pierre: C'est plus simple.

M. Landry (Guy): Oui. Alors donc, on se rend compte aussi qu'il y a aussi un problème face au patrimoine. Les pays qui veulent préserver au départ leur patrimoine, ce sont les pays qui ont peut-être... leur développement économique n'est pas rendu au même niveau. À partir du moment où on est rendu à un niveau beaucoup plus avancé, bien, on a beaucoup de choix en termes de développement. Comme on peut parler, je ne sais pas, moi, de l'hydroélectricité ici puis on peut dire: Ça, c'est important pour notre développement, bien, à ce moment-là, on n'accorde pas la même importance au savoir-faire, on n'accorde pas la même importance à la transmission des valeurs qui est faite à travers la tradition, et on laisse, à ce moment-là, les médias, on laisse beaucoup d'autres moyens faire... déterminer quelles sont nos façons de penser et nos façons de faire.

Mme St-Pierre: Bien, merci pour cet éclairage. Donc, dans un projet de loi comme celui-ci, il y aurait aussi... il y a une notion de protection des expressions.

M. Landry (Guy): Absolument.

Mme St-Pierre: Si on parle... Puisque vous parlez de langues, on parle des expressions aussi.

M. Landry (Guy): Absolument. C'est le premier élément dans la convention, hein?

Mme St-Pierre: Les langues autochtones.

M. Landry (Guy): Mais ça veut dire être ouverts à toutes les langues, parce que c'est ça qui fait une société qui est plus ouverte. Mais là, je veux dire, là on rentre dans un conflit majeur. Il faut que la langue française demeure la langue d'expression du Québec. Je n'ai pas de problème avec ça, je suis en accord avec ça, mais, d'autre part, quand on parle... On va aider tous nos concitoyens à parler plusieurs langues, à s'ouvrir vers le monde. Je veux dire, le monde est après changer et on a besoin... Je veux dire, partout, dans tous les pays où on veut faire des échanges, on a cette ouverture qui se fait.

Mme St-Pierre: Oui. Parce que, quand on regarde la définition de «patrimoine immatériel», ici, on dit: «les savoir-faire, les connaissances, les expressions, les pratiques [..] les représentations fondés sur la tradition qu'une communauté -- vous aviez fait référence tout à l'heure à des organismes -- ou un groupe reconnaît comme faisant partie de son patrimoine culturel et dont la connaissance, la sauvegarde, la transmission ou la mise en valeur présente un intérêt public».

Alors, moi, j'ai l'impression qu'on couvre pas mal tout le domaine, à l'exception peut-être de ce que vous nous dites, là, sur la question des trésors nationaux, là.

M. Landry (Guy): Oui.

Mme Oliveira (Carla): Bien, dans le fond, l'esprit qu'on essaie d'amener, c'est que, si cette loi permet d'identifier des éléments du patrimoine, c'est que le patrimoine immatériel, il n'existe pas, donc il flotte dans les airs, là, si on prend cette image. Alors, on peut identifier une certaine pratique, sauf que, si les gens associés à cette pratique ne sont pas aussi désignés, ne sont pas reconnus, ça pourrait peut-être empêcher le développement de cette pratique-là. Donc, nous, notre vision, c'est d'aider au développement.

Mme St-Pierre: O.K. Il faudrait l'incarner, la pratique, là, c'est-à-dire dans un personnage.

Mme Oliveira (Carla): C'est ça. Ou, si on prend l'exemple... Si, cette personne-là, on la reconnaît et que, pendant deux ans, on la désigne comme spécialiste de la pratique x, cette personne, ce porteur peut donc peut-être transmettre, ou on peut en parler un peu plus... La manière que la société est faite, si on reconnaît quelque chose, on en parle, donc il y a des gens qui vont s'intéresser. C'est un peu le cercle médiatique, mais c'est comme ça que ça marche.

Mme St-Pierre: Alors, merci beaucoup. Moi, je n'ai pas d'autre question, M. le Président. Je ferais... D'ailleurs, vous avez mentionné le musée, à Saint-Jean-Port-Joli, qui fait vraiment du patrimoine immatériel, et c'est remarquable, le travail qui se fait là en allant recueillir la mémoire vivante, la mémoire des gens qui... et en l'enregistrant, et, en consignant cette mémoire-là, c'est formidable ce qu'ils font. Alors, je n'ai pas d'autre question, M. le Président.

Le Président (M. Marsan): Je vous remercie, Mme la ministre. Je cède la parole au député de Lévis.

M. Lehouillier: Bonjour. D'abord, merci pour votre mémoire, et je pense que... Moi, je trouve qu'un des éléments importants dans votre mémoire, c'est... ça touche tout le volet des personnes porteuses d'un savoir-faire, parce que c'est là le coeur. Et vous dites que, bon, il faut reconnaître ces personnes-là si on veut permettre le développement de cette pratique-là. Donc, quand on regarde dans le passé... Je vous donne un exemple. En fin de semaine, j'étais dans une érablière où j'ai vu la fabrication, tu sais, des réservoirs qu'on mettait sur les érables mais qui, aujourd'hui, seraient considérés comme n'étant pas acceptables au niveau de la santé des gens parce que le matériel avec lequel il est fabriqué est maintenant banni. Et pourtant c'est un savoir-faire parce que c'est un savoir-faire particulier.

Vous dites: C'est important pour le développement de la pratique. Sauf que, si la pratique cesse puis qu'elle n'est plus pertinente, est-ce que justement le projet de loi, en y allant plutôt sur la connaissance plutôt que sur les porteurs... Parce que, sinon, est-ce qu'on ne risquerait pas de se retrouver, dans notre société, avec plusieurs personnes porteuses sur des éléments qui sont complètement désuets, dont on ne se sert plus, mais par ailleurs dont il est important d'avoir la connaissance?

Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. Prenons un exemple. La course en canots à travers les deux rives, si elle cesse demain matin puis qu'il n'y a plus personne qui s'intéresse à ça, l'important, je pense, de maintenir la connaissance m'apparaît essentiel, mais on va-tu tenir des porteurs, même s'il n'y a plus personne qui suit ça puis ça n'intéresse plus personne?

Mais je donne cet exemple-là, j'aurais pu donner n'importe quel exemple. Donc, on ne prend pas un certain risque en allant sur des personnes porteuses d'un savoir-faire puisque, de toute façon, il se pourrait que ce savoir-faire-là, dans 10, 15, 20 ou 30 ou 40 ans, soit non seulement désuet, mais qu'il ne soit plus acceptable collectivement pour des raisons d'hygiène ou autres, là. Je vous donne ça comme exemple, là.

Mais je veux juste avoir votre point de vue là-dessus, parce que, moi, je trouvais que le projet de loi ciblait bien l'objectif, l'objectif, qui est de s'assurer que la connaissance ne se perdra pas. Alors, voilà, je vous écoute là-dessus.

**(16 h 40)**

M. Landry (Guy): Oui. L'UNESCO, dans sa définition qu'elle a faite justement dans la convention, a restreint la convention, l'application lorsqu'il s'agissait de savoirs, de connaissances qui rentraient en conflit avec toutes sortes d'autres conventions, comme, exemple, les droits de la personne. Comme exemple, on dit ici: Nous, notre société, on accepte l'égalité entre les hommes et les femmes. D'accord, c'est un droit qui est acquis dans notre société. Si vous allez dans d'autres pays, ce droit-là n'est pas acquis; ça donne des comportements, au niveau de la tradition, où la femme est soumise complètement à l'homme. Bon, mettons. Alors, est-ce qu'à ce moment-là la convention de l'UNESCO va s'appliquer? Alors, quand les droits de la personne, comme exemple, ne sont pas respectés, on ne reconnaît pas, on n'applique pas... à ce moment-là, on ne peut pas appliquer cette convention.

Aussi, bien, quand vous dites, au niveau de la cabane à sucre... Je vais prendre votre exemple. C'est sûr que notre société vise à garder nos gens en bonne santé et, à ce moment-là, on a déterminé qu'il y a des façons hygiéniques pour le faire, il y a des conditions. D'apprendre un savoir-faire, c'est aller peut-être plus loin aussi qu'apprendre le savoir-faire. C'est toujours... Moi, quand je regarde ça, je me dis: Qu'est-ce qu'il y a... Dans le savoir-faire, c'est quelque chose qu'on fait, mais qu'est-ce qu'il y a derrière ça? Qu'est-ce qu'il y a derrière? Il y a un arbre qui est là, dans notre pays. Il y a un arbre qu'on a utilisé, qu'on a trouvé une façon de faire des choses avec qui sont différentes, qu'on a développé toute une série d'événements autour de cet arbre-là. Est-ce qu'à ce moment-là il y a un certain savoir de le faire qui change, on devrait laisser tomber cette tradition-là pour dire que ce n'est pas hygiénique? Oui, on va laisser tomber la partie qui n'est pas hygiénique, mais on va garder le reste qui est quand même... qui a un sens pour nous, qui est unique en termes de Québécois, parce qu'on ne retrouvera pas ça dans les autres pays.

Parce que chacun des pays a eu des ressources biologiques qu'il a utilisées, des ressources... des fleurs, des plantes, etc., et a fait de la nourriture avec, hein? Et, je veux dire... Bon, c'est sûr qu'on peut dire... on peut se poser la question, comme exemple: Pourquoi les Sud-Américains, mettons, mettent autant de piment dans leur nourriture? Bien, on sait qu'il y a la chaleur qui est là, que la chaleur va accélérer la décomposition. Comment peut-on trouver un équilibre dans... Et ils ont trouvé des façons de le faire.

Alors, je veux dire, il y a un lien entre la nature, entre tout ce qui se passe. Et, je veux dire, quelque chose qui est unique à nous ici, au Québec, bien, ça reste quelque chose qui est unique. Si on doit avoir des choses à restreindre, on les restreint. Mais le savoir, la connaissance d'utilisation de ce qui nous entoure, c'est... Je veux dire, c'est comme, si on regarde nos forêts puis on dit: On les abat toutes, là... Vous surveillez ça. Alors, c'est partout, c'est... On revient toujours aux mêmes questions. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on pense que c'est important.

M. Lehouillier: Mais on est dans... Juste un petit commentaire.

Mme Oliveira (Carla): J'aimerais peut-être compléter. Il ne faudrait pas voir le patrimoine comme quelque chose de statique non plus. Donc, le patrimoine immatériel tel qu'il se pratique aujourd'hui n'est pas le même patrimoine d'il y a 500 ans. Donc, il y a eu une certaine évolution.

M. Lehouillier: Tout à fait.

Mme Oliveira (Carla): Ce qu'il faut essayer de voir, c'est, si on le défend, bien, il faut aussi défendre sa compréhension, essayer de voir... qu'on soit capables d'expliquer quelles en sont ses influences.

Aujourd'hui, beaucoup de gens vont pratiquer une certaine discipline mais n'auront pas le temps de faire la recherche, n'auront pas le temps de... Ils vont dire: Au Québec, on fait des ceintures fléchées comme ça, mais on n'est peut-être pas nécessairement capables d'expliquer d'où vient l'influence. Je vais vous...

Le Président (M. Marsan): Alors, merci...

Mme Oliveira (Carla): Oui.

Le Président (M. Marsan): Ceci termine notre échange avec la partie ministérielle. Nous allons poursuivre avec le porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Messieurs dames, bonjour. Messieurs. Vous avez touché un peu à l'autre commission parlementaire qui traite présentement de la loi n° 94 sur la laïcité et qui forcément se trouve à aborder des questions d'égalité. J'avais hâte qu'on arrive à la notion... à bras-le-corps à la notion de diversité culturelle, parce que vous êtes porteurs d'une manifestation et d'un ensemble de manifestations, d'un ensemble de préoccupations qui touchent directement à la diversité des expressions culturelles.

Si je peux me permettre, mais j'imagine que c'était... la volonté, elle n'est pas là, c'est que la... Vous avez dit que la convention, le Québec avait participé, avait embarqué là-dedans. Or, le Québec a initié la convention sur la diversité des expressions culturelles, suite, au début, de démarches commencées par Robert Pilon, il y a fort longtemps, qui était un vice-président de l'ADISQ. Mais ça, c'était bien avant l'époque où, moi, j'en ai été président. Le gouvernement d'alors a vraiment pris le train de ça, et ça a été une démarche qui a été menée d'abord par et au Québec, et c'est une chose dont on peut être extrêmement fiers.

Outre ça, il y a beaucoup d'expressions de cette diversité-là qui participent à l'exercice ou à l'existence d'un patrimoine qui effectivement ne s'exprime pas suffisamment. Vous avez mentionné le Mondial des cultures de Drummondville, qui est effectivement un exemple fort intéressant de patrimoine, de manifestation patrimoniale avec une vaste diversité. Mais j'ai été heureux de découvrir qu'il existait de plus en plus, dans la circonscription de Drummond, où il y a une forte présence immigrante, d'autres activités: une petite communauté irakienne qui se montre de plus en plus sous ses couleurs, et sa diversité, et sa volonté d'exprimer ce qu'elle est, c'est assez frappant; une forte communauté colombienne qui, au-delà du grand événement formel et encadré du Mondial des cultures, s'exprime de plus en plus dans des petits événements qui leur appartiennent, et c'est extrêmement enrichissant.

Mais, lorsqu'on aborde ces sujets-là au Québec, on aborde des questions relatives, inévitablement, à l'immigration, à la reconnaissance de la culture qui est amenée avec eux par les immigrants et parfois, parce qu'ils existent, les extrêmes, et parfois, parce qu'à des fins politiques on les exagère et on les caricature, ça ne sert pas la véritable expression de la diversité culturelle. Et, à cet égard-là, je pense qu'on est d'accord -- parce que vous l'avez dit -- pour dire que, pour que la diversité s'exprime, il faut qu'elle soit comprise. Pour qu'une personne d'origine turque puisse partager sa culture avec une personne d'origine italienne au Québec, elles doivent avoir une langue de référence commune. Et nous disons, et je pense qu'à la base tout le monde dit que la langue de référence commune au Québec, c'est le français.

Là où on devient moins conciliants entre parlementaires... et j'ai un exemple bien clair. Durant l'élection partielle dans Saint-Laurent, j'étais allé dans Saint-Laurent, et, dans la circonscription de Saint-Laurent, il y a une expression de diversité culturelle fascinante, mais je n'aurais pas pu partager avec ces gens-là en français. Et, moi, je souhaite que les gens qui viennent de partout et que je considère comme les bienvenus au Québec soient capables de partager avec moi dans la langue nationale de la nation d'accueil. Et c'est à cette condition-là qu'on est capables de pleinement vivre toute cette expression de diversité.

Et, quand on arrive sur ce terrain-là, sur les principes, tout le monde se dit d'accord; sur l'application, c'est parfois incertain. Et force m'est de mentionner poliment que, si un sénateur candidat conservateur dit que la loi 101 n'est pas importante au Québec, l'Assemblée nationale a le devoir d'insister sur le fait que la loi 101, c'est 1 000 fois l'expression d'un patrimoine au Québec, c'est la pierre d'assise de notre identité collective. Et, à cette condition-là et dans le contexte de cette reconnaissance-là, nous pouvons accueillir largement les immigrants qui pourraient souhaiter venir au Québec.

Une fois que ça est dit, il faut l'exprimer autrement que par ce qui apparaît parfois comme une contrainte. Et je vous en donne un exemple concret. Je suis le porteur d'une proposition, dont j'espère qu'elle se rendra au bout dans l'exercice de notre congrès au Parti québécois, qui veut que les expressions culturelles issues des communautés immigrantes soient invitées à circuler dans l'ensemble du réseau scolaire québécois pour que les gens qui viennent au Québec ne se sentent pas qu'appelés à adopter des traits culturels ou des traits linguistiques, mais bien à enrichir cette culture-là. Et j'espère que ça va se rendre au bout, parce que c'est par ce genre d'attitude aussi qu'on réussit une intégration harmonieuse puis un partage harmonieux et enrichissant pour tout le monde.

Ceci dit, la culture du lieu d'origine d'une personne qui vient au Québec change en arrivant au Québec, et la culture du lieu d'arrivée de la personne immigrante change avec l'arrivée de la personne immigrante, et le résultat est une culture québécoise, globale, qui n'est ni intégralement celle de l'immigrant ni intégralement celle de la communauté d'accueil, qui n'a jamais été si homogène parce que nous avons toujours accueilli des immigrants de différentes origines.

Il y a donc une nouveauté qui apparaît. Et je me questionnais par rapport à la possibilité, dans une loi comme celle-ci, de donner un maximum d'espace à cette nouveauté qui effectivement est en train de créer des morceaux de patrimoine québécois auxquels on ne pense pas parce que notre attention s'en va sur les églises et nos propres traditions, et il y a un côté très local à la notion de patrimoine qu'on voit a priori mais qui doit être largement enrichi de ce qui ne vient pas d'ici.

Je sais que ce n'est pas tout à fait une question, ce que je viens de vous dire, mais je pense...

**(16 h 50)**

Des voix: ...

Une voix: Ça dit ce que ça veut dire.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blanchet: Je pense que c'était important de le dire, parce que les contextes où on peut le dire d'une façon feutrée et non agressive sont relativement rares. Et, puisqu'aujourd'hui on se trouve relativement gentils et qu'on pourrait craindre que ça ne dure pas, j'en ai profité.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blanchet: Vous avez mentionné quelque chose qui... Sur le coup, honnêtement, je n'étais pas sûr de comprendre l'explication que vous avez donnée avec l'exemple américain, que des personnes encore vivantes peuvent être reconnues comme éléments patrimoniaux. Je trouve l'idée assez extraordinaire, et là j'essayais de démêler ça.

Lorsqu'on étudie la loi, on arrive à la question du patrimoine immatériel. Tôt ou tard, il faut arriver à la question de l'inventaire, il faut arriver à la question de la captation de ça. Il faut réussir à aller chercher l'essence de l'expression culturelle. Même si elle ne sera plus portée de façon vivante dans l'avenir, il faut au moins la préserver.

Et là effectivement on tombe dans le terrain passablement de la connaissance, et je me demandais si on n'était pas... Dites-moi si ma formulation a du bon sens ou pas, et commentez quoi que ce soit d'autre que j'ai dit avant pour le transformer en question. Est-ce qu'on peut parler de «traditions ou d'expressions culturelles telles que portées par», et là on peut mentionner les gens? Autrement dit, ce n'est pas tant la personne qui devient objet de reconnaissance patrimoniale que ce dont on reconnaît explicitement qu'elle est le porteur. Est-ce que c'est une zone de confort?

Mme Oliveira (Carla): Oui? Moi, ça va.

M. Landry (Guy): Vas-y.

Mme Oliveira (Carla): Je vais commencer à répondre et M. Landry, après, complétera. Alors, au Québec, il y a plusieurs personnes. Il ne faut pas penser que, la culture traditionnelle, elle est seulement québécoise. Maintenant, elle est donc diverse. Pour tenter de travailler avec tout le monde, c'est pour ça que, tout à l'heure, je disais, dans un des articles, qui est justement l'article 78.7°, d'ajouter des associations légalement constituées. Donc, si un organisme devient, un exemple, un OBNL, donc une association qui est enregistrée, qui devient une entité, ça peut devenir un organisme avec lequel on peut travailler.

Alors, si je prends mon exemple personnel, groupe culturel Cana Verde, nous sommes incorporés, nous somme un OBNL, donc on doit rendre certains comptes, ce qui fait qu'une association peut devenir un acteur avec lequel on peut justement parler pour essayer de mettre ces morceaux-là ensemble. Ça peut être une manière de parler, parce que vous n'allez pas parler avec tous les Portugais de Montréal et essayer de faire quelque chose avec eux. Peut-être même que, dans le registre des entreprises, on pourrait rajouter une petite coche que «nous sommes un organisme patrimonial», ça pourrait peut-être devenir une espèce de sous-catégorie, mettons.

Puis, pour ma part, encore une fois par mon expérience, parler des traditions telles qu'elles sont portées... Si je reviens à l'exemple des Portugais, les Portugais pratiquent d'une certaine manière ici, à Montréal. Le lieu influence, parce que, par exemple, dans les costumes, on ne trouve pas les mêmes tissus. Donc, c'est sûr qu'il y a des choses qui sont changées. On ne trouve pas nécessairement les mêmes ingrédients pour faire exactement les mêmes recettes. Donc, même au niveau gastronomique, il y a des choses qui changent. Ça va évoluer d'une certaine manière, au Québec, qui n'est pas la même manière au Portugal, alors les Portugais du Québec vont avoir une certaine culture. Et c'est sûr que ce n'est pas en 20 ans qu'on voit la différence, ça va sûrement être mes enfants à moi qui vont faire la différence -- si j'en ai un jour, là, mais ça, c'est une autre histoire. Donc, il ne faut pas juste se poser la question sur aujourd'hui, et je pense qu'il faut avoir une réflexion à long terme. C'est sûr que les lois changent au Québec. On essaie de bâtir une loi pour quelques années, mais elle a quand même une vision, cette loi-là, donc...

M. Landry (Guy): Oui. Alors, je trouvais intéressant votre approche sur la question, là, des immigrants qui arrivent puis ce mixage de cultures qui donne une nouvelle culture, des nouveaux éléments de culture. Je dois dire, si on regarde un exemple très simple, là, si on regarde la gastronomie comme exemple, comme société, nous avions une façon de manger nos produits, de cuire nos produits; avec l'arrivée des immigrants, de nouveaux produits sont arrivés, de nouvelles façons de le faire, et, si vous me posez la question: Est-ce que vous mangez maintenant à votre table... D'abord, on ne peut pas manger ce qu'ils mangeaient, nos ancêtres, parce qu'ils travaillaient dehors toute la journée puis ils avaient besoin d'avoir de l'énergie puis de la force, alors que maintenant on travaille dans des bureaux, on travaille dans... donc, on a besoin de d'autres types de nourriture. Mais la nourriture... la façon de nous nourrir a changé, elle a changé puis elle est influencée par un peu partout dans le monde. Elle est influencée par nos restaurants où on va. On va manger chez, mettons, un Chinois ou on va manger chez un Italien, ou on va manger... Puis tranquillement on rajoute des choses à nos propres... on intègre nous-mêmes, dans notre gastronomie, des éléments qui sont apportés. On le fait, et ça veut dire que notre patrimoine, dans un certain nombre d'années, tenant compte... aura changé. Alors donc, ça, c'est un élément qui illustre bien ce mélange qui se produit, ce côtoiement.

Je dois dire qu'on a fait, il n'y a pas longtemps, un projet qui était financé par la ville de Montréal et le ministère de la Culture, qui s'appelait -- avec les enfants -- «Je partage ma culture». Je vais vous expliquer le projet; c'est très simple, mais ça montre un peu cet esprit dans lequel on travaille. On a trouvé huit groupes d'enfants, à Montréal, qui appartenaient autant un à la communauté francophone et les diverses communautés qui étaient prêtes à participer. Et on leur a demandé d'apprendre chacun une danse de l'autre culture et de la danser ensemble devant leurs parents, de danser une danse de leur culture, une danse de la culture de l'autre avec l'autre et ensuite de danser, tout le monde ensemble, des chants et des danses québécoises. Alors, voilà, c'est un exemple de qu'est-ce qu'on peut faire: comment, à travers le patrimoine, on en arrive à intégrer les enfants qui font des danses ensemble et qui montrent justement comment on réalise concrètement ça. On essaie d'être sur le terrain et de prendre des exemples vraiment concrets.

D'autre part, ce que vous avez dit au niveau de ce que les communautés culturelles nous apportent, je trouve ça intéressant et je vais prendre l'autre côté maintenant, parce que souvent on dit: Vous vous occupez juste des communautés culturelles. Je vais prendre l'autre côté en disant: On s'occupe des communautés culturelles, mais on essaie de voir: Est-ce qu'eux peuvent apprendre quelque chose des communautés francophones? Et là on se rend compte d'une difficulté. Souvent, les communautés culturelles nous disent: Bien, c'est quoi, votre patrimoine à vous autres? C'est quoi... je veux dire, qu'est-ce qu'on a? Je veux dire, il y a des efforts qui ont été faits, mais il n'est pas très présent, il n'est pas très fort, il n'est pas.. il ne ressort pas. Alors, quand on arrive, on est obligés... Et c'est pour ça qu'on a besoin de renforcir nos groupes francophones. On a besoin de faire que nos groupes francophones vont partager avec les groupes des communautés culturelles leur savoir-faire. On a besoin qu'on ait, un peu partout au Québec, des groupes qui font ça, qui les reçoivent, qui partagent ce qu'ils sont. Et, je veux dire, bon, ça, ça demande un autre type d'effort. Ça veut dire renforcir toute notre question de notre patrimoine culturel francophone pour pouvoir le partager avec ces gens qui viennent.

**(17 heures)**

Je vous donne un dernier exemple, là. Dans les actions qu'on fait, on tente d'encourager les gens qui ont de l'initiative. Il y a Mme Francine Saint-Laurent qui a parti... Vous savez, il y a une tradition au Québec qui s'appelle la tradition de la Mi-Carême. La Mi-Carême, c'est une des questions que je me posais, je veux dire, moi, à un moment donné: La Mi-Carême, qu'est-ce que c'est, ça? Qu'est-ce qui se passe là-dedans? Et elle a fait des recherches et, je veux dire, avec des costumes, avec des masques, où les gens se promènent de maison en maison et où ils montrent des... ils font des chansons, ils racontent des histoires, etc., quelque chose qui est assez unique à notre culture, qui n'est pas l'Halloween, qui n'est pas le carnaval mais qui est la Mi-Carême.

Alors, tout ça pour dire qu'on est très... Je pense que M. le président me fait signe que c'est terminé. Tout ça pour vous dire qu'on était très heureux d'être avec vous. On a beaucoup de questions, on n'a pas toutes les réponses. On espère que la loi va nous aider.

Le Président (M. Marsan): Oui. Alors, M. Landry et Mme Oliveira, merci de nous avoir donné le point de vue sur la loi n° 82 de la Société du patrimoine d'expression du Québec.

J'inviterais les représentants de la Corporation du moulin Légaré à se joindre à nous. Et je vais suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 1)

 

(Reprise à 17 h 3)

Le Président (M. Marsan): Alors, nous reprenons nos travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir les représentants de la Corporation du moulin Légaré.

Alors, je vais vous demander d'abord de vous présenter, et vous pouvez par la suite faire votre présentation d'une durée d'environ 15 minutes. La parole est à vous.

Corporation du moulin Légaré

M. Labelle (Ernest): M. le Président, Mme la ministre, mesdames messieurs, membres de la commission, je me nomme Ernest Labelle. Je suis président bénévole de la Corporation du moulin Légaré, de Saint-Eustache, depuis tellement d'années que j'en perds le compte. J'ai exercé la profession d'archiviste durant quelques décennies, mais, depuis ma retraite officielle, qui date... j'exerce la profession de bénévole très actif et très impliqué dans les activités culturelles de ma région, particulièrement dans les domaines de l'histoire et du patrimoine. Je siège également au sein du Conseil Art et Culture de la ville de Saint-Eustache.

Je suis accompagné par Mme Léopoldine Marcotte, qui détient une maîtrise en aménagement du territoire avec un profil en conservation de l'environnement bâti. Elle est présentement chargée de projet à la Corporation du moulin Légaré.

Je veux d'abord remercier la commission de l'opportunité qui nous est donnée d'élaborer sur certains éléments du mémoire que nous avons déposé en novembre 2010 et d'en ajouter d'autres. Nous ne nous présentons pas comme des théoriciens en notion ou en définition du patrimoine mais plutôt comme des praticiens dans ce domaine, dans le sens où nous sommes impliqués directement dans la conservation et la mise en valeur d'un ensemble patrimonial exceptionnel, avec tout ce que ça implique comme travail.

La Corporation du moulin Légaré que nous représentons est un organisme sans but lucratif créé en 1976, ayant comme mission à l'origine de faire l'acquisition et d'assurer la sauvegarde du moulin Légaré ainsi que la perpétuation du métier de meunier. Sans perdre de vue cette mission, le rôle de la corporation s'est considérablement élargi avec les années pour en devenir le conservateur et le gestionnaire. Depuis 2005, suite à une entente intervenue entre la ville de Saint-Eustache et la corporation, en plus d'assumer son rôle de gestionnaire du moulin, la corporation est responsable du développement des volets tourisme et patrimoine ainsi que la promotion des attraits patrimoniaux du Vieux-Saint-Eustache. De plus, la corporation est responsable de la gestion des salles d'exposition situées dans la Maison de la culture et du patrimoine et d'y présenter des expositions de calibre professionnel.

Depuis 35 ans, la Corporation du moulin Légaré joue un rôle très actif au coeur de l'arrondissement patrimonial du Vieux-Saint-Eustache. Elle est reconnue pour la qualité de ses initiatives en matière de conservation, de mise en valeur et d'éducation du public sur les plans historique et patrimonial. Pour ces raisons, il nous semble important d'apporter notre contribution à cette démarche en suggérant des éléments de réflexion basés sur notre expérience du milieu.

Notre première réflexion porte sur la nécessité d'élargir la notion de patrimoine en donnant plus d'importance à la reconnaissance du patrimoine immatériel -- j'ai l'impression que vous en avez entendu parler beaucoup. Le patrimoine immatériel, pour nous, est souvent complémentaire et même parfois plus significatif que la seule commémoration d'un bâtiment ancien.

Pour illustrer cette réflexion, nous prendrons exemple sur ce que nous connaissons le mieux: le moulin Légaré, de Saint-Eustache. Construit en 1762, classé monument historique en 1976 par le ministère de la Culture du Québec -- c'était l'appellation de l'époque -- et déclaré lieu historique national par le gouvernement canadien en 2000, ce moulin est le plus ancien moulin à farine toujours en opération, sans interruption, en Amérique du Nord. Il fonctionne toujours avec ses meules et la plupart des mécanismes d'origine, qui sont toujours actionnés par la seule force de l'eau. De plus, il est la plus ancienne industrie toujours active au pays. D'ailleurs, son 250e anniversaire de construction et de fonctionnement sera célébré avec faste en 2012 -- on vous invite déjà. La valeur patrimoniale de ce bâtiment fait l'unanimité, comme en témoignent les contributions financières importantes du gouvernement du Québec et de la ville de Saint-Eustache, lesquelles permettent la restauration majeure des murs de pierre de l'extérieur du bâtiment, travaux rendus nécessaires par deux siècles et demi d'usure. La phase I de ces travaux a été exécutée en 2007, et la phase II a justement débuté hier, le 28 mars.

Comme gestionnaires de ce site, les membres de la corporation sont particulièrement satisfaits et très heureux de ces actions positives. Toutefois, il ne faudrait pas perdre de vue que ce bâtiment est plus qu'une coquille de pierre. Du fait qu'il soit toujours fonctionnel pas seulement pour fins de démonstration mais bien fonctionnel à l'année, où les gens viennent, comme leurs ancêtres, s'approvisionner en farine naturelle fraîchement moulue, il est un moulin vivant. D'ailleurs, au moulin, nous avons l'habitude de dire aux visiteurs: Au moulin Légaré, le passé se conjugue au présent.

Mais, pour le faire fonctionner, il y a un meunier qui a appris son métier du meunier précédent, lequel l'a appris de son père, ainsi de suite, en remontant dans le temps, perpétuant ainsi la tradition de transmission du savoir à un apprenti qui pourra à son tour prendre la relève. Cela peut paraître simple, mais nous pouvons vous assurer et témoigner que c'est très compliqué. Dans ce métier, comme dans d'autres certainement, il n'y a pas de relève formée en école. Le cours meunier 101 n'existe pas. Nous le comprenons. Il y a, quoi, 14, 15 moulins au Québec? Il y a cinq ou six véritables meuniers. Mais ce que nous comprenons moins, c'est qu'il n'y ait aucune ressource pour nous soutenir dans notre démarche de formation.

**(17 h 10)**

Actuellement, on a entrepris de former un apprenti meunier. C'est avec une entente avec la ville. Moi, ça fait 15 ans que je suis à la corporation du moulin, et, depuis 35 ans que la corporation existe, ça a été un problème que tous les administrateurs précédents ont tenté de régler. Comment assurer la suite? Il n'y a pas d'autre meunier. C'est toujours un problème de ressources. On peut entraîner un meunier, ça prend deux ou trois ans, mais après on n'a pas de travail à lui offrir parce qu'on a du travail pour un. Actuellement, on est en train de faire une tentative pour régler ce problème. On espère que ça va fonctionner. Ce métier, tout comme d'autres, est un exemple qui démontre bien l'urgence de reconnaître l'importance du patrimoine immatériel, car il s'agit d'un métier qui n'est pratiqué que par quelques personnes, métier qui est non seulement essentiel, mais indissociable d'un moulin fonctionnel ou d'un autre bâtiment de valeur patrimoniale qui abritait un artisan pratiquant un métier traditionnel et toujours voué au même type d'activité.

Je pense qu'on en connaît tous, des bâtiments comme ça. Moi, je connais une forge à Sainte-Thérèse qui est une ancienne forge qui a fermé il y a quelques années parce qu'il n'y a plus de forgeron. Le métier n'a pas été transmis.

Malheureusement, nous entendons peu parler des métiers traditionnels autres que ceux voués à la restauration des bâtiments anciens. C'est un pas dans la bonne direction, certes, mais nous ne croyons pas que la seule restauration d'un bâtiment soit une finalité en soi. Le cas échéant, il faudrait également perpétuer l'art ou le métier qui y était pratiqué, sinon la mise en valeur du patrimoine immatériel ne se limitera plus qu'à de la commémoration. En me permettant de paraphraser un de nos plus célèbres humoristes, je dirais que les 20 000 visiteurs qui se rendent au moulin à chaque année, ils ne veulent pas entendre raconter comment le moulin fonctionne, ils veulent le voir fonctionner. C'est une des raisons pourquoi on a un succès auprès des visiteurs.

Notre deuxième réflexion: le projet de loi propose un transfert de responsabilité important aux municipalités. La question qu'on se pose, c'est: Ont-elles les ressources humaines et financières pour s'en charger adéquatement? La réponse à cette préoccupation est plutôt inquiétante. C'est une situation qu'on a vécue depuis 35 ans. Je vais revenir là-dessus tantôt. Dans les dernières années, heureusement, ça... c'est en train de se... ça ne fait pas seulement que se régler, ça va très bien, mais la gestion du patrimoine dépend d'une volonté politique mais également de moyens financiers adéquats et surtout de personnel qualifié, ce qui peut varier grandement au gré des priorités et des intérêts des administrations, surtout locales, qui se succèdent, à moins qu'il y ait une forme d'encadrement venant d'un niveau supérieur.

Cette situation nous inquiète aussi pour une autre raison, car la préservation et l'interprétation du patrimoine sont très souvent assurées par des bénévoles dévoués qui travaillent au sein d'organismes à but non lucratif. Parfois, probablement plus souvent dans les grands centres, il arrive que, parmi eux, il y ait des gens mieux formés aux enjeux des interventions en patrimoine, mais la plupart du temps il y a davantage de bonne volonté que de réelle connaissance. On peut en témoigner. Hélas, la bonne volonté ne suffit pas toujours. Évidemment, il arrive que des interventions faites par des bénévoles seuls et sans formation particulière soient couronnées de succès, mais le chemin pour y arriver est tellement long et rempli d'erreurs et de recommencements qu'ils répètent rarement l'exercice.

Notre expérience de travail avec des bénévoles nous permet d'affirmer qu'il est de plus en plus difficile de recruter des bénévoles, surtout s'il s'agit de prendre en charge des responsabilités importantes. À titre purement personnel, je suis tenté de dire que les nouvelles réglementations et lois des dernières années touchant la responsabilisation sans aucune nuance des administrateurs bénévoles d'organismes à but non lucratif, entre autres, n'aident en rien au recrutement de bénévoles pour occuper des postes décisionnels, au contraire.

Nous serions malvenus d'être contre le bénévolat dans le domaine patrimonial, car il y a beaucoup plus de bénévoles à la Corporation du moulin Légaré que d'employés rémunérés. Nous sommes à peu près... La corporation compte à peu près 80 personnes, 80 membres. Il y a six employés. Durant l'été, on a une dizaine de guides-interprètes de plus. C'est 15 à... Les bonnes années, ça va jusqu'à... On a déjà été jusqu'à une vingtaine d'employés, une véritable PME.

Malgré notre implication bénévole, nous reconnaissons que le besoin d'encadrement par des professionnels dans le domaine est souvent criant. Les bénévoles devraient avoir accès à de la formation pour leur permettre de mieux remplir un rôle de soutien, mais seulement qu'un rôle de soutien. Aussi important soit-il, le bénévolat en patrimoine ne devrait pas remplacer le travail rémunéré de spécialiste. Il s'agit d'un travail qui doit être reconnu à sa juste valeur. Les bénévoles ne devraient pas devoir accomplir des tâches essentielles de la société qui méritent un salaire mais être en soutien aux professionnels.

Cette affirmation nous amène à notre troisième réflexion, qui porte sur le partenariat entre... c'est prétentieux, là, mais entre le ministère et la ville de Saint-Eustache. Il s'agit davantage d'un constat de partenariat qui fonctionne bien et dont nous sommes particulièrement fiers.

Comme je l'ai mentionné, la corporation est un organisme à but non lucratif composé de 80 membres à peu près parmi lesquels sont choisis huit administrateurs pour des mandats de deux ans. Les deux autres administrateurs sont nommés par la ville de Saint-Eustache. Dès 1978, année où la ville, grâce à une subvention gouvernementale, a fait l'acquisition du moulin, une entente tripartite est intervenue entre le ministère, la ville et la corporation. Dans cette entente, les responsabilités de chaque partie sont clairement décrites.

Ainsi, tout était clair dès le début. C'est une action que je trouve tout à fait extraordinaire. C'est arrivé à l'occasion, dans certaines discussions avec des administrations municipales -- puis c'est quand même ma troisième que je vois, là -- qu'ils n'étaient pas très, très chauds pour la conservation du patrimoine et qu'ils voulaient carrément s'en débarrasser, et, dans l'entente, c'est dit clairement que, s'il y a mésentente entre les deux parties, c'est le ministère qui va trancher. Ça a réglé beaucoup de problèmes.

Dans les premières années de l'entente, peu de choses ont été réalisées. Les quelques réalisations qui ont été faites étaient le fait presque exclusif d'actions bénévoles. Ce furent des années difficiles financièrement: financement presque nul, peu de revenus d'activité, soutien des autorités municipales inexistant. Mais en contrepartie, comme me disait un ancien président de la corporation, il y avait tellement de... on avait tellement d'ouvrage que ça faisait une bonne moyenne au bout.

Situation idéale depuis 10 ans. Depuis 10 ans, on vit une situation qui est presque idéale. Je vais dire vraiment ce que je pense, là: On a changé de conseil municipal il y a 10 ans, et celui qui est là, le maire qui a été là et les élus, eux, y croyaient, au patrimoine. Subitement, on a arrêté de se faire poser la question: Comment ça coûte? On s'est fait demander: Comment ça va rapporter? C'était déjà un grand pas en avant. Puis pas: Comment vous avez besoin de monde?, mais: Combien de monde vous allez attirer? Deuxième grand pas en avant. C'était très intéressant. La situation va vraiment très, très bien avec la ville depuis une dizaine d'années. Le financement a été augmenté. C'est vrai que j'avais surpris le maire, il y a 10 ans, quand j'ai été le voir pour lui annoncer que la corporation ne voulait plus de subvention. Il était un peu étonné. J'ai dit: Au lieu d'appeler ça une subvention, on va signer une entente de service. C'est ce qui a été fait, le montant a été multiplié plusieurs fois, et ça fonctionne comme ça depuis ce temps-là.

Ça fait... On en est rendus à la troisième entente de service entre la ville et la corporation, puis tout ça a développé sur... ça a débouché sur... maintenant on a du personnel, on a les moyens d'engager du personnel professionnel. On a même une muséologue; la ville nous a confié la mission de s'occuper du musée. On a le musée, on a du personnel. On a cinq, six personnes, cinq professionnels. Voilà.

Le Président (M. Marsan): Bien. Merci beaucoup. Nous allons immédiatement débuter cette période d'échange, et je vais demander... je vais laisser la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.

**(17 h 20)**

Mme St-Pierre: Merci, M. le Président. Merci, M. Labelle, Mme Marcotte. Merci d'être parmi nous aujourd'hui. D'ailleurs, j'ai visité le moulin. Ça a été une des premières activités politiques publiques que j'ai faites lorsque j'ai été nommée ministre, puis j'avais visité avec beaucoup d'intérêt le moulin, parce que vous savez sans doute que je viens de Saint-Roch-des-Aulnaies, où il y a un moulin, là aussi. Puis je me souviens de quand il a été restauré, remis en action, l'embauche du meunier, et tout ça. Ça a été tout un processus qui a été très, très long. Le manoir avait été vandalisé, et, enfin, il y a eu un travail de la collectivité énorme. Puis je suis en conflit d'intérêts quand je le dis parce que c'est mon père qui faisait partie du groupe pour remettre le manoir aux normes puis repartir le moulin banal. Mais ce sont des actions dans les communautés qui sont essentielles, et chez vous c'est formidable. Puis la maison Globensky en face est superintéressante aussi parce qu'on y trouve là des choses vraiment fascinantes. Et bravo à la communauté!

Et aussi, quand vous parlez que les choses ont changé, il y a 10 ans, avec l'arrivée d'une nouvelle administration municipale, c'est là l'importance vraiment qu'on voit quand la municipalité s'implique, que la municipalité est ouverte. On a une entente de développement culturel avec Saint-Eustache, et c'est vrai que ça va bien. Puis, dans l'entente, bien sûr, il faut discuter, mais en même temps, moi, je remarque que, dans la grande majorité des ententes que nous avons avec les municipalités au Québec, beaucoup portent une partie de l'entente sur la question patrimoniale. Alors, c'est très intéressant.

Cependant, vous avez des craintes. Vous dites, par rapport au transfert, là, de responsabilité aux municipalités, que vous avez certaines craintes par rapport à cela, et on peut... Moi, je peux vous rassurer en vous disant: Ce n'est pas systématique et ça va se faire de façon modulée. Puis il va falloir aussi que la municipalité, tout comme Saint-Eustache le fait... va devoir montrer qu'elle dispose des outils appropriés puis qu'elle a la réglementation suffisante également. Et aussi, pour faire en sorte que ses responsabilités soient bien assumées, il y aura des bilans qui seront faits, et le ministère pourra toujours intervenir s'il faut retirer certaines responsabilités.

Donc, je pense qu'on se... on veut doter les municipalités d'une certaine marge de manoeuvre, celles qui ont des sites, là, sites historiques, mais en même temps c'est sûr qu'il va y avoir une surveillance. Alors, pour ces craintes-là, là, j'espère que j'ai quand même été un peu... que j'ai modéré un peu vos craintes, mais on va continuer. Évidemment, il faut le travailler encore, notre projet de loi, et on est en commission parlementaire justement pour vous entendre. Et je veux vous féliciter, d'ailleurs. Vous avez dit au début que vous êtes un bénévole permanent, c'est une belle expression. Alors, bravo pour ce que vous faites. Puis je pense que la société doit vous remercier.

Donc, si vous êtes... J'imagine, bon, tout est perfectible puis tout peut s'améliorer. Dans votre contexte, c'est une question de transmission du métier. Comme vous avez dit: Les gens ne veulent pas le savoir, ils veulent le voir. Ils veulent voir comment ça fonctionne. Ils ne veulent pas se le faire raconter, mais ils veulent vraiment le voir puis voir le meunier en action. Mais on n'en aurait pas... D'ailleurs, je fais juste une parenthèse: on a des discussions avec le Conseil des métiers d'art pour la transmission, là, de certains métiers qui sont en disparition. Mais le potentiel d'embauche de meuniers au Québec, ce n'est pas comme... on ne peut pas dire qu'il y en a des centaines. On n'est pas dans le monde médical, là. Alors, comment on organise ça?

M. Labelle (Ernest): Ce qu'on voit, c'est: dans certains cas, dans certains sites historiques ou de grande valeur patrimoniale, on devait prendre en compte que, dans ces sites-là en particulier... Et je cite le moulin Légaré parce que c'est celui qu'on connaît bien, mais il y en a d'autres, puis il n'y en a pas tant que ça. Il y en a que c'est... Oui, on peut enseigner le métier de meunier de façon générale puis en avoir quelques-uns, mais il faut s'assurer d'en avoir un sur place, parce qu'à partir du moment où on n'aura plus de meunier pour faire fonctionner le moulin c'est fini, c'est terminé, ce n'est plus un moulin vivant.

Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques années, nous avons fait, la corporation, d'une façon très maladroite, je le reconnais -- on n'avait personne qui pouvait nous conseiller -- une demande pour que le moulin soit reconnu comme musée. On pensait que ce serait une façon d'avoir des moyens financiers, de l'aide financière annuelle, et puis on s'était fait répondre que malheureusement notre moulin n'avait pas assez de pièces muséales. Ma première réaction, moi, j'ai dit: Mais c'est quoi, ça? On les a toutes, les pièces muséales. Il y a d'autres musées, il y a d'autres moulins qui sont aidés, qui sont classés musées, qui ne fonctionnent pas mais que certaines pièces ont été accrochées sur les murs, et, nous, c'est un musée qui fonctionne. C'est un musée qui fonctionne, c'est un musée vivant. Ça fait que, pour avoir de l'aide, qu'est-ce qu'il faut faire? De l'aide au fonctionnement, je parle, puis c'était pour le musée.

Bon, depuis, on a appris qu'il y aurait eu une autre façon de le faire, mais c'est là peut-être aussi qu'on a besoin, que les organismes ont besoin de plus d'aide du milieu et des fonctionnaires et une meilleure formation.

Mme St-Pierre: Vous parlez de financement. On en entend beaucoup parler pendant cette commission parlementaire, c'est normal. Quelle serait la façon d'aller chercher des sources de financement, des sources de revenus? On connaît les finances publiques. L'éducation, la santé, ce sont des secteurs très importants qui demandent beaucoup d'investissement, et il faut évidemment être imaginatif. Alors, est-ce que, vous, avec votre sagesse et votre grande expérience, vous auriez certaines suggestions à nous faire pour éviter d'aller continuellement dans la poche des contribuables et faire en sorte qu'on puisse aussi assurer la pérennité d'entreprises comme la vôtre?

M. Labelle (Ernest): Oui, j'ai envie de vous faire une suggestion. Je ne suis pas ici... je ne représente pas la ville de Saint-Eustache, mais il vient de se faire quelque chose d'extrêmement important à Saint-Eustache. Je pense que c'est terminé ou c'est en voie d'être approuvé. C'est fait actuellement? Bon. La ville vient de décider que, sur le compte de taxes des citoyens, il va y avoir 0,01 $ par 100 $ qui va aller à un fonds de restauration et de conservation du patrimoine.

Mme St-Pierre: Puis les gens l'ont accepté?

M. Labelle (Ernest): Ils vont créer comme ça... Avec 0,01 $ sur 100 $, ça crée, par année, 300 000 $, un fonds à Saint-Eustache. Les gens ne protestent pas. Dans un premier temps, on parle que ces fonds-là vont servir à restaurer les bâtiments patrimoniaux qui appartiennent à la ville de Saint-Eustache. Puis on sait qu'il y en a beaucoup puis qu'ils ont besoin de beaucoup d'entretien et de réparations. Et éventuellement, bien, on ne sait pas si ça peut s'élargir.

Dans ce sens-là, c'est une bonne façon de financer. La ville y croit tellement, au patrimoine à Saint-Eustache, qu'ils viennent de former un comité, un comité de biens et sites patrimoniaux, puis c'est suite à la recommandation de ce comité-là qu'ils ont décidé de financer les travaux comme ça.

Nous, ce n'est plus tellement un problème de financement, on l'a réglé. Les problèmes de financement, c'était surtout pour les murs, pour travailler la coquille de pierre, qui sont des montants qu'on ne peut pas s'offrir. Mais c'est quand on forme des métiers anciens, un métier ancien, là, on aurait besoin d'un peu de soutien, ne serait-ce que pour nous aider... Le meunier, on lui transmet le métier, mais, moi, il y a quelques années, je m'étais... j'avais approché certaines écoles pour voir s'ils pouvaient nous aider là-dedans pour former des cours, puis tout ça, puis on n'a pas réussi à rien faire là-dedans. Ça fait que c'est dans ce sens-là.

Mme St-Pierre: Bien, je vous remercie beaucoup d'avoir fait le trajet. Et, quand vous dites: Ça coûte des sous, c'est vrai, parce que l'investissement dans votre moulin pour la restauration, ça a été de 529 104 $. Alors, c'est majeur, c'est un demi-million, puis...

M. Labelle (Ernest): Oui, oui, on l'apprécie. Puis ça va très bien. Il reste seulement une phase après, il reste la phase III.

Mme St-Pierre: Formidable! Merci beaucoup.

M. Labelle (Ernest): Merci.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie. Nous allons poursuivre, et je vais laisser la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Bien le bonjour, monsieur et madame. D'abord, deux commentaires que je tâcherai de garder brefs. Le premier, c'est que vous êtes un exemple des raisons pour lesquelles il faut protéger la décentralisation. Les mesures et les idées que vous avez eues sont apparues par vous, chez vous, pour vous, dans votre milieu, à cause de votre environnement particulier, et des directives prémoulées partant d'en haut et descendant vers le bas ne permettraient peut-être pas cette espèce de créativité qui vous donne le dynamisme dont vous venez de nous faire part ici.

Je prends un exemple voisin. Et, lorsque vous parlez de la reconnaissance d'un statut muséal, je pense qu'il y a des considérations économiques du côté du gouvernement pour ne pas accorder parfois des statuts muséaux, quoique vous avez quand même été soutenus. Dans la circonscription chez nous, il y a le Village québécois d'antan qui est un endroit très fréquenté, qui fonctionne somme toute très bien mais qui n'a pas de statut muséal, et je leur ai recommandé d'entreprendre et que nous entreprenions ensemble une démarche pour qu'ils obtiennent ça, parce que c'est bon en amont et en aval. À l'heure actuelle, à défaut des règles qui permettraient d'avoir et de préserver un statut muséal, le Village québécois d'antan gère le patrimoine dont il est dépositaire sans toute la rigueur que demande sa préservation. C'est relatif à un comportement d'attraction touristique beaucoup plus que d'attraction patrimoniale. Or, ce statut muséal qu'eux souhaitent et que je souhaite que nous travaillions à obtenir viendrait peut-être avec des ressources mais viendrait avec une espèce de rigueur qui pourrait appeler, à terme, la préservation ou l'encouragement, la formation de gens qui rentrent dans ces maisons relocalisées mais dans le plus grand respect possible d'un contexte d'époque afin que le métier, et la connaissance, et le patrimoine immatériel qui y est relatif soient perpétués. Et donc c'est une demande qui doit être faite, et je vous invite à persévérer dans votre démarche aussi, parce que c'est bon pour l'encadrement puis pour la reconnaissance dans le meilleur intérêt des deux angles.

**(17 h 30)**

Vous avez aussi parlé d'avoir modifié votre approche avec la municipalité de telle sorte que, plutôt que d'être «comment ça coûte?», c'est devenu «comment ça rapporte?». Je pense que les circonstances appellent ça, je pense que l'air du temps appelle ça. Mais, de la même façon que vous pouvez, jeudi soir, décider d'aller au cinéma puis de dépenser pour aller au cinéma, même si ça ne vous rapportera rien, sinon le plaisir d'être allés au cinéma, la société québécoise a le même droit. Mais là on cherche des manières de financer, mais collectivement on a le même droit de dire que ce qui est culturel, on est collectivement prêts un peu plus à dépenser pour ça. Ça n'a pas forcément... Et d'ailleurs, dans l'esprit de la notion de développement durable, ça n'a pas forcément à être rentable, même si souvent ça l'est. Vous en êtes un exemple, et c'est tant mieux. Mais on a le droit de soutenir, de développer les différents aspects de notre culture et de dépenser pour le faire. C'est un choix collectif qu'on peut être appelés à faire. Et, quand on regarde les milliards qui vont dans plusieurs des postes budgétaires de l'État québécois, ce qu'il faudrait pour mieux nourrir notre patrimoine, c'est somme toute bien peu de chose en échange de beaucoup de plaisir et de renforcissement de notre identité.

Petite question. Vous avez parlé de sortir d'un modèle de gestion de crise, donc de travailler en amont. Maintenant, aujourd'hui, on doit partir d'aujourd'hui. Aujourd'hui, il y a une perte. À chaque jour qui passe, on perd des éléments de patrimoine, c'est clair, même si on est incapables de le quantifier. Il aurait fallu avoir une politique et il faut intervenir rapidement. Et est-ce que l'État devrait prendre la décision de reporter la loi à, somme toute, loin parce qu'il faut avoir une politique, ce que je suis le premier à souhaiter, ou est-ce qu'il faut dire: Non, on va y aller, même si c'est très imparfait, parce qu'il nous faut une loi à relativement court terme?

Ma question: Croyez-vous que les deux objectifs puissent coexister, se développer en parallèle, gérer la crise en mettant en place une politique qui est nécessaire, parce que, pour l'instant, les consultations révèlent clairement qu'on va dans un paquet de directions assez floues par moments?

Mme Marcotte (Léopoldine): Oui, je peux essayer de répondre à votre question. Ce n'est pas évident. Je pense que vous avez raison quand vous dites que la gestion du patrimoine, ça demande beaucoup de temps et ça demande beaucoup de prudence aussi, mais je pense quand même que la loi, elle est là et elle est nécessaire. Je crois que ce qu'on fait en ce moment, ce n'est pas inutile non plus et que vous allez en tenir compte. Il y a des points qui sont très importants dans cette loi-là, et je pense qu'il y a des situations qui demandent des mesures plus coercitives, qui demandent qu'on agisse avec... plus dans l'urgence, mais il reste que, sans la prudence, sans l'expertise, sans les analyses nécessaires, la gestion du patrimoine, on va se retrouver à gérer des crises pour toujours, là.

Donc, je pense que le travail en amont dont on parle et qui est un peu... pour nous, fait partie de la mission de la corporation, c'est la sensibilisation. Je pense que c'est par là qu'on va réussir à faire moins de gestion de crise puis à travailler plus en amont, de façon préventive.

M. Blanchet: En patrimoine comme dans n'importe quoi, le plus tôt on part, le plus tôt on arrive. Vous vous êtes mis à la recherche de ressources humaines et d'expertise pour remplir les mandats propres à votre institution. Vous y êtes arrivés. On imagine que cette loi-là va appeler dans sa foulée beaucoup d'expertise du type de celle que vous avez trouvée.

Mme Marcotte (Léopoldine): Oui.

M. Blanchet: Ma question, c'est: S'il y avait eu, dans votre seule région, trois, puis huit, puis 12 institutions qui s'étaient mises simultanément à la recherche d'une expertise similaire, plus les municipalités puis tout le monde qui va devoir se mettre à bouger en termes de patrimoine, est-ce que toutes ces ressources-là auraient existé ou est-ce qu'on ne doit pas justement, parce que ça va prendre un certain temps, s'attaquer à la tâche de formation et reconnaître que les ressources financières et les ressources humaines nécessaires à l'exécution de cette loi-là n'existent pas présentement?

Mme Marcotte (Léopoldine): En fait, je pense que les... il y a beaucoup de ressources qui existent. Je pense que, des fois, on les... elles sont peut-être mal utilisées ou il y a certains programmes qui sont... dont on ne fait peut-être pas la promotion. Je pense qu'il y a des gens qui ont accès... qui auraient accès à des subventions puis qui ne le savent pas.

Je pense que, pour nous, l'expertise dont on a besoin à certains moments, puis ce qui est le cas de plein de monde, ce n'est pas une expertise à temps plein avec nous, c'est vraiment une expertise qui serait ponctuelle. On aurait besoin parfois de gens pour venir en soutien à certaines activités qu'on a. On a besoin de gens qui vont pouvoir nous conseiller sur certaines choses. Je pense qu'il y a des organismes qui ont besoin beaucoup plus d'être guidés dans les activités qu'ils veulent réaliser plus que d'avoir vraiment quelqu'un à temps plein.

On a, dans la région, le bureau du ministère de la Culture, mais on a aussi des agents qui viennent du programme Villes et villages d'art et de patrimoine qui sont là dans les MRC, qui sont là dans certaines villes et qui peuvent aussi venir en soutien à certaines personnes. À Saint-Eustache, on a quand même la chance, même si c'est une ville de 45 000 habitants, d'avoir un bassin de population dans lequel on retrouve une certaine expertise. Donc, je pense que, oui, si les gens ont besoin de l'expertise, elle est là. Il s'agit juste peut-être d'essayer de regrouper ces ressources-là ou d'en faire la diffusion, de savoir qu'il y a quelqu'un qui est là pour vous aider et que vous pouvez contacter à certains moments, quand vous en avez vraiment besoin.

M. Blanchet: Sans référence à une certaine actualité énergétique, j'ai une question qui est très sur le plancher des vaches. Dans votre mandat, dans votre quotidien, dans ce que vous faites, là vous venez, vous analysez la loi puis vous venez nous présenter vos commentaires. Quand vous la lisez, cette loi, est-ce qu'elle facilite votre vie ou est-ce que c'est un exercice théorique somme toute assez loin de votre réalité?

Mme Marcotte (Léopoldine): Bien, je pense que c'est assez loin de notre réalité, mais c'est un exercice qui est intéressant à faire puis qu'on fait parce qu'on a envie de le faire. Mais je pense que c'est assez loin de notre réalité, parce que, comme l'a dit M. Labelle, pour nous, depuis plusieurs années ça va plutôt bien, parce qu'on sait que ce n'est pas le cas à plein d'endroits, et que je pense qu'on a réussi à avoir une bonne... et que la corporation a une bonne relation avec la ville et a aussi une bonne relation avec le ministère de la Culture et aussi avec Patrimoine canadien.

M. Blanchet: Bien, je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Marsan): Alors, M. Labelle, Mme Marcotte, merci de nous avoir donné le point de vue de la Corporation du moulin Légaré sur le projet de loi n° 82.

Je vais demander à tous les députés de bien prendre leurs effets personnels, puisqu'il devrait y avoir une réunion bientôt.

Et la commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 38)

 

(Reprise à 19 h 39)

Le Président (M. Marsan): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Et je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre, sans plus tarder, les auditions publiques sur le projet de loi n° 82, Loi sur le patrimoine culturel. Il nous fait plaisir d'accueillir, à ce moment-ci, les représentants de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine et l'Institut du patrimoine culturel de l'Université Laval.

Nous accueillons le titulaire de la chaire, M. Laurier Turgeon, qui, je pense, est fraîchement débarqué des vieux continents, de la France. Alors, ça nous fait plaisir de vous accueillir. Et je vais vous demander de nous présenter la personne qui vous accompagne, et vous avez une période d'environ 15 minutes pour faire votre présentation. Bienvenue.

Chaire de recherche du Canada en
patrimoine et Institut du patrimoine
culturel (IPAC) de l'Université Laval

M. Turgeon (Laurier): Merci. Alors, je tiens à remercier très chaleureusement la Commission de la culture et de l'éducation pour cette invitation, de nous avoir donné l'occasion de présenter oralement le mémoire.

**(19 h 40)**

Je suis ici à titre de titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine et directeur de l'Institut du patrimoine culturel de l'Université Laval. J'ai mon collègue, à ma droite, Habib Saidi, qui est professeur d'ethnologie et de muséologie à l'Université Laval. Il est également membre du bureau de direction de l'Institut du patrimoine culturel de l'Université Laval. Il est venu ici pour m'épauler mais aussi parce qu'il a collaboré à la réflexion et aussi à la rédaction du rapport.

Je voulais aussi vous dire que M. Marc Pelchat, qui est le doyen de la Faculté de théologie et des sciences religieuses, devait être avec nous aussi ce soir, mais il a malheureusement eu un empêchement de dernière minute, et il demande de l'excuser.

Alors, je voulais d'abord dire, au nom de la chaire et de l'institut, que nous accueillons très favorablement ce projet de loi et les principaux articles qui sont proposés. Nous sommes très sincèrement convaincus que ce projet de loi est très novateur et qu'il contribuera à propulser le Québec à l'avant-garde, je dirais, de toute législation en matière de culture en Amérique du Nord et même ailleurs dans le monde.

Alors, notre position est d'essayer de contribuer, par les connaissances dont nous disposons et nos domaines de spécialisation, à aller peut-être un petit peu plus loin, à faire des recommandations qui permettront, nous l'espérons, d'améliorer peut-être encore davantage le projet.

Alors, comme on l'a expliqué dans le mémoire, au lieu de traiter de tous les points, on a pensé qu'il valait mieux se concentrer sur un des éléments qu'on a trouvé vraiment très neuf, dans le projet de loi, qui est celui du patrimoine culturel immatériel. Et il faut dire aussi que c'est un domaine, un secteur dans lequel nous travaillons, hein, de manière assez intensive depuis quelques années. Donc, on se sentait plus à l'aise et on pensait pouvoir apporter davantage en se limitant à cet aspect de la loi.

Alors, nous pensons que cet ajout est vraiment très novateur, très prometteur aussi et très porteur d'avenir, ceci, pour plusieurs raisons. Premièrement, en lisant le rapport Arpin, nous avons constaté que c'est un patrimoine auquel les Québécois tiennent beaucoup, hein? Ceci est ressorti très nettement dans le rapport Arpin. Donc, c'est un patrimoine, je dirais, qui fait partie intégrante de l'identité des Québécois et c'est un élément qu'ils utilisent beaucoup, hein, dans l'affirmation de leur identité.

Deuxièmement, nous pensons que ce patrimoine, le patrimoine immatériel, permet de donner une vision beaucoup plus large, et complète, et riche du patrimoine qui a été, comme on le sait, jusqu'à présent pas exclusivement limité au patrimoine matériel, mais... Mais le patrimoine matériel avait une dominante, en quelque sorte, hein, était l'élément dominant du patrimoine, et ceci, depuis très longtemps. Donc, l'ajout du patrimoine immatériel, hein, nous permet d'élargir les perspectives et d'enrichir non seulement notre façon de percevoir le patrimoine, mais aussi de le pratiquer.

La troisième raison, c'est qu'il y a -- nous l'avons constaté, mais nous ne sommes pas les seuls à l'avoir constaté -- un intérêt croissant pour ce patrimoine un peu partout dans le monde. Par exemple, que l'on pense à la convention de l'UNESCO de 2003 ou encore à de grandes conférences internationales qui ont eu lieu ces dernières années, que ce soient les conférences... l'Assemblée générale de l'ICOMOS, qui a eu lieu ici, à Québec, en 2008, qui a justement traité, hein, le rapport entre le patrimoine matériel et le patrimoine immatériel. Et ceci était pour moi quelque chose de très important, parce que l'ICOMOS est spécialisé dans le patrimoine matériel, disons, et cette ouverture de l'ICOMOS vers le patrimoine immatériel était le signe que c'était un patrimoine qui maintenant intéressait un grand nombre de personnes et qui avait vraiment sa place dans ce grand monde du patrimoine mondial.

Bon, je signale aussi que l'ICOM, le Conseil international des musées, a tenu sa 20e assemblée générale à Séoul, en 2004, sur ce thème. La Société des musées québécois, hein, a fait, l'automne dernier, son colloque annuel sur le thème du patrimoine immatériel et des musées. Et la Fédération des écomusées et des musées de société de France, qui a tenu son colloque annuel juste la semaine dernière, l'a fait aussi sur la thématique des musées et du patrimoine immatériel. Et j'ai eu l'honneur et le plaisir de participer d'ailleurs à ce colloque.

L'autre... la quatrième raison que je voulais signaler, c'est que c'est un patrimoine aussi qui répond à une demande touristique. Il y a une demande touristique de plus en plus forte pour ce type de patrimoine, hein? Les touristes maintenant recherchent de plus en plus des expériences culturelles, sensibles et vivantes, issues du patrimoine immatériel, et ce sont des organisations comme l'Organisation mondiale du tourisme, hein, qui le constatent depuis quelques années, ainsi qu'un nombre relativement important de spécialistes.

En dernier lieu, je crois, et cette croyance, je dirais, est partagée par mes collègues à l'Institut du patrimoine... Le patrimoine culturel immatériel peut, je crois, contribuer de manière marquée à la culture et notamment peut être mis au service du développement durable, hein? Et, comme je l'ai déjà dit à mes étudiants dans un cours que j'avais donné l'automne dernier sur le patrimoine et le développement durable, hein, je crois que la culture, en quelque sorte, est devenue le quatrième pilier du développement durable, mais, à l'intérieur de la culture, j'ai la profonde conviction que le patrimoine culturel immatériel est le pilier de la culture dans le développement durable, hein? Alors, je l'ai expliqué plus loin dans le mémoire, et on pourra revenir là-dessus plus tard, si vous le voulez bien.

Alors, le mémoire contient huit recommandations. Je vais les énumérer rapidement et ensuite on pourra passer à la période des questions. La première, c'est que nous souhaitons que la loi reconnaisse pleinement, hein, et peut-être davantage le patrimoine culturel immatériel pour les raisons que je viens d'énumérer.

Alors, la recommandation 2 porte sur la définition même du patrimoine immatériel. Nous trouvons que la définition actuelle est un petit peu limitative, et on aurait souhaité qu'elle soit un peu plus volumineuse et qu'elle se rapproche davantage de la définition qui est utilisée par l'UNESCO dans la convention de 2003, avec peut-être deux petits ajouts: celle de l'ouverture vers les autres cultures... J'avais souligné... on avait souligné en rouge les ajouts à la définition, hein, de l'UNESCO. Parce que l'ouverture aux autres cultures, je pense, surtout pour une société comme la société québécoise, qui est une société, depuis ses origines, plutôt multiculturelle, hein, et où le patrimoine a été construit souvent à partir d'emprunts à d'autres cultures, que ce soient les cultures autochtone, irlandaise, écossaise, anglaise, américaine, etc., il me semble que cette ouverture, la mention de d'autres cultures pourrait être quelque chose de très intéressant. Et aussi nous recommandons d'ajouter, dans la définition, la notion de développement durable.

**(19 h 50)**

Alors, la recommandation 3 porte sur le fait que... Disons qu'on a été un petit peu gênés par le fait que le patrimoine immatériel soit dans la même section que... soit associé ou dans la même section que les personnages, les événements et les lieux historiques, parce que, dans notre esprit, ce sont des choses... des catégories qui sont très différentes. Les personnages, les événements et les lieux historiques renvoient plutôt à la mémoire, hein? C'est l'histoire, la mémoire, alors que le patrimoine immatériel est un processus dynamique de transmission, hein, des savoir-faire, des pratiques. Et donc nous craignons que, si le patrimoine immatériel reste en cette section, qu'elle sera associée à la mémoire et aux personnages historiques, événements, lieux historiques et qu'il y aura là peut-être une confusion, hein, et que ceci pourrait nuire à la définition même du patrimoine immatériel, hein, qui est, comme je l'ai rappelé, un processus dynamique de transmission et de recréation, hein, de la culture.

Alors, la troisième recommandation porte sur le fait que nous souhaitons qu'elle fasse partie d'un... Bien, excusez-moi, là, je me répète, je me rends compte, hein, donc qu'elle fasse partie d'une section à part.

La recommandation 4, elle, porte sur la demande que le patrimoine immatériel fasse l'objet d'un plan de sauvegarde, de la même manière que les autres patrimoines, hein? Pour les autres patrimoines, on propose qu'il y ait, lors du classement, un plan de sauvegarde qui accompagne, hein, le classement, et nous pensons que ce serait une bonne idée que le patrimoine... que ce plan de sauvegarde accompagne le patrimoine, le classement du patrimoine immatériel, et qu'il y ait même éventuellement, pour les cas où le patrimoine est très menacé, hein... que ce plan de sauvegarde soit qualifié d'urgent comme le demande la convention de l'UNESCO de 2003. C'est tout simplement, là... On s'est inspirés, hein, d'une pratique qui est indiquée dans la convention de 2003.

La cinquième recommandation porte sur la protection du patrimoine culturel immatériel et notamment sur des mesures de soutien éducatif et le renforcement des institutions de formation et de transmission de ce patrimoine immatériel. Ceci nous paraît vraiment très, très important puisque c'est un patrimoine qui est conservé parce qu'il est transmis, hein? La façon la plus sûre, la plus efficace et pratiquement, je dirais, la seule de sauvegarder ce patrimoine, c'est d'assurer son usage en quelque sorte, hein, de s'assurer qu'il est transmis et qu'il est utilisé, ce qui le distingue du patrimoine matériel où, là, la sauvegarde va porter davantage sur la conservation matérielle, la restauration, la conservation matérielle des biens, alors que, dans ce cas-ci, hein, c'est la transmission qui lui permet de survivre, un peu de la même manière qu'une langue, une langue qui n'est pas pratiquée, une langue qui n'est pas transmise, hein, devient rapidement une langue qui meurt.

Alors, la sixième recommandation demande que le patrimoine immatériel fasse partie intégrante du patrimoine matériel. Et donc nous avons pensé qu'il serait possible d'introduire dans la loi un mécanisme qui nous paraît tout à fait gérable, c'est-à-dire que, lors du développement des plans de sauvegarde ou de conservation des éléments du patrimoine matériel, que ce soient les bâtiments, les paysages ou encore les sites, eh bien, qu'il y ait des enquêtes qui soient faites pour conserver pas juste les aspects matériels du site, du bâtiment ou de la collection d'objets, mais qu'on prenne la peine de faire des enquêtes orales pour voir s'il n'y a pas une mémoire vivante de ces lieux, si on ne peut pas recueillir des informations sur l'usage, les usages sociaux, hein, de ces sites ou de ces bâtiments. Et je pense que ceci nous permettrait d'enrichir considérablement, à des coûts relativement peu élevés, hein, l'information que nous avons sur le patrimoine et de l'information qu'on pourrait utiliser très utilement par la suite dans les projets d'interprétation et de conservation.

Alors, dans la recommandation 7, nous abordons la question des inventaires. Alors, nous sommes évidemment très favorables à la pratique de l'inventaire et à l'idée aussi que la loi permette et encourage les municipalités, hein, de faire des inventaires. Mais là nous sommes un petit peu préoccupés par le fait que ceci pourrait conduire à une multiplication, une grande diversité de façons de pratiques dans l'inventorisation et que ceci pourrait être néfaste pour l'inventaire national dans la mesure où il faudrait par la suite intégrer des façons très différentes... avec parfois aussi des communautés, des groupes qui ont aussi leurs agendas et qui pourraient être amenés, disons, à favoriser certains éléments, bon, de l'inventaire plus que d'autres parce qu'ils sont davantage concernés par lesdits éléments.

Le Président (M. Marsan): Alors, en terminant.

M. Turgeon (Laurier): Oui. Alors, voilà. Donc, la recommandation 8, qui est, dans notre esprit, je crois, la plus importante, là, elle porte sur le lien finalement entre le patrimoine et le développement durable, et plus spécifiquement le lien entre le patrimoine immatériel et le développement durable.

Alors, nous avons vraiment accueilli avec beaucoup de bonheur et d'enthousiasme la notion de développement durable qui apparaît dans l'article 1 de la loi. En revanche, nous pensons qu'il faudra trouver des moyens de rendre... de faire en sorte que le patrimoine et la culture puissent être davantage mis à contribution du développement durable. Ceci est un grand problème qui est... je vais dire, sur lequel les chercheurs partout dans le monde se penchent actuellement, hein? C'est qu'il y a une sorte de volonté et une sensibilité à l'idée d'intégrer la culture dans le développement durable, sauf qu'on n'a pas encore trouvé toujours les moyens de le faire, les mécanismes pour penser cette chose et puis de développer des méthodes et des mécanismes qui nous permettraient de le faire.

Ici, nous, ce qu'on proposait... Mais, bon, on n'est pas des législateurs ni des juristes, mais on pensait qu'il y aurait peut-être moyen d'ajouter un article qui amènerait les gens, à chaque fois qu'il y a un bien qui est désigné ou classé, eh bien... ou dans les plans de conservation des biens classés, là il pourrait y avoir un article qui incite les gens à expliquer, à s'engager pour qu'ils réfléchissent à des moyens de faire en sorte que ce classement, que le patrimoine qu'ils possèdent soit mis à contribution du développement durable. On pensait que ce serait une façon, disons, assez pratique et empirique d'aborder le problème et qui donnerait, on l'espère du moins, des résultats dans la mesure où chaque cas est unique, finalement, hein? Donc, on peut penser à des grands principes qui peuvent nous guider, mais, au bout du compte, on fait toujours du cas par cas. Et, comme chaque bien patrimonial est particulier, il faut trouver, je pense, un moyen particulier de penser à une manière où il se peut...

Le Président (M. Marsan): Oui, M. Turgeon, je vous remercie.

M. Turgeon (Laurier): Oui. D'accord.

Le Président (M. Marsan): C'est tout le temps que nous avons.

M. Turgeon (Laurier): Merci.

Le Président (M. Marsan): Mais c'est tellement intéressant. Nous allons tout de suite poursuivre nos échanges et vous pouvez continuer. Et je vais céder la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.

Mme St-Pierre: Merci. Merci d'être parmi nous ce soir. J'avais très hâte de vous entendre parce que vous avez une expertise en patrimoine immatériel qui est quand même assez importante. Et le partenariat que vous avez développé avec le ministère de la Culture est vraiment imposant parce qu'on parle beaucoup d'inventaire, et, depuis un certain nombre d'années, le ministère subventionne pour que l'inventaire s'enrichisse, et on a 73 000 entrées. Alors, au début des travaux, quand on nous parlait d'inventaire, bon, on laissait peut-être sous-entendre qu'il ne se faisait pas d'inventaire au Québec, mais je pense qu'il faut le faire connaître, notre inventaire, parce qu'il existe, puis il est fait avec beaucoup de rigueur, puis...

Alors, justement, quand on parle des municipalités, vous semblez avoir une inquiétude sur la façon que ça pourrait se faire. Et ce que je comprends un peu, c'est que vous nous suggérez d'introduire comme un protocole, d'avoir une sorte de protocole qui dirait: Vous allez le faire, vous devriez le faire de telle manière, telle manière. Est-ce que c'est quelque chose qui est compliqué? Est-ce que c'est difficile ou ça... Est-ce que ça prend vraiment des chercheurs qui ont une grande formation ou si on peut y arriver en donnant certains outils pour faire ce travail? Est-ce que c'est compliqué?

**(20 heures)**

M. Turgeon (Laurier): Oui. Non, je ne crois pas que ce soit trop compliqué, mais il faudrait éviter qu'il y ait une grande diversité des pratiques qui se développe. Et je pense que le protocole serait un outil très important, je pense, qui pourrait être développé sans trop de difficulté, hein? Et je crois que ce serait quand même important éventuellement d'offrir des formations d'appoint à des membres de municipalités, des employés ou, en fait, des gens que... des citoyens aussi qui souhaiteraient faire ce genre de travail, hein, parce qu'il y a peut-être aussi des bénévoles qui seraient prêts à le faire ou des associations.

Mme St-Pierre: Oui, on a vu avant vous un bénévole permanent, professionnel.

M. Turgeon (Laurier): Oui. Alors, il y aurait... Je pense que ça pourrait être utile éventuellement d'offrir des formations, hein, à ces... parce que, bon, on a beau préparer un protocole, souvent il faut quand même le présenter, l'expliquer, travailler avec les gens. Et puis, bon, il y a... Là, cette année, nous avons fait une université d'été, par exemple, qui va durer une semaine. C'est une formule qui pourrait peut-être être prise pour ce type de formation.

Je dis ça parce que j'ai assisté aux présentations ici la première journée, je pense que c'était le 16 janvier, puis après ça j'ai lu un certain nombre de mémoires et puis j'ai même regardé à la télévision certains des extraits des séances, et j'ai constaté qu'il y avait, dans les municipalités, une certaine inquiétude, je dirais, en ce qui concerne l'expertise, notamment en patrimoine immatériel. Et je me souviens, même la ville de Montréal -- ça m'avait un peu surpris -- si ma mémoire est bonne, avait dit qu'ils n'étaient pas vraiment... ils n'avaient pas l'expertise, etc.

Donc, bon, cette expertise peut se développer. Ça s'acquiert et ça se développe, hein? Mais je pense qu'il faudrait peut-être prévoir qu'il y ait un accompagnement, d'une manière ou d'une autre, hein, qui permettrait de continuer à procéder avec rigueur et puis avec des pratiques qui sont quand même conformes aux pratiques internationales et qui soient uniformes également.

Mme St-Pierre: Vous avez eu des paroles qui nous ont vraiment plu au début. Vous avez parlé d'un projet de loi novateur qui allait propulser le Québec. On a aussi... On sait que le Québec est reconnu pour son expertise et son leadership en matière d'inventaire du patrimoine immatériel. Donc, ça fait toujours plaisir de se vanter un peu, parce qu'on a souvent tendance à dire, bon, qu'on est moins bons puis qu'on est... des fois qu'on n'est pas aussi bons que les autres puis que tout est la catastrophe totale. Alors, on peut aussi montrer ce qu'on fait de bien puis...

Mais, sur la définition, sur le traitement, vous parlez un peu de traitement minimaliste, là, du... Donc, vous considérez que la définition n'est pas suffisamment... n'est pas claire ou la définition devrait être plus... Parce que la définition m'apparaît, moi, assez, quand même, complète: «...les savoir-faire, les connaissances, les expressions, les pratiques et les représentations fondées sur la tradition qu'une communauté ou un groupe reconnaît comme faisant partie de son patrimoine culturel et dont la connaissance, la sauvegarde, la transmission ou la mise en valeur présente un intérêt public.» Qu'est-ce qu'on pourrait ajouter de plus? Avant vous, cet après-midi, on nous a parlé des trésors nationaux, des personnages vivants qui pourraient... même morts ou vivants, là, qui pourraient être des porteurs de patrimoine immatériel. Mais qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus dans la définition? Il y a quelque chose qui m'échappe. Quand vous dites: C'est minimaliste, moi, ça ne m'apparaît pas... En tout respect pour vos grandes connaissances, là, ça ne m'apparaît pas minimaliste.

M. Turgeon (Laurier): Bien, c'est-à-dire que, par rapport à la définition de l'UNESCO, elle est beaucoup plus courte, hein, pour commencer. Bon, j'ai remarqué après que toutes les définitions dans le projet de loi étaient plutôt courtes, de quelques lignes, mais j'ai un peu regretté qu'il n'y ait pas la notion de recréation, vous voyez, comme dans la convention de l'UNESCO. La définition parle de... pas juste de transmission mais du fait que ces pratiques sont recréées à chaque génération et qu'il y a aussi un lien avec le patrimoine matériel, dans la mesure où ils précisent que c'est des expressions, des connaissances, des savoir-faire ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés. Et ça, j'avais trouvé ça intéressant dans la définition de l'UNESCO, parce qu'on fait le lien, là, entre le patrimoine immatériel et matériel. Bon, c'étaient ces deux points-là.

Puis le troisième, c'était l'interaction avec les autres cultures, parce que c'est quelque chose qui a été souligné dans le rapport Arpin, et je crois aussi que le patrimoine québécois est fait en grande partie d'emprunts qui sont faits à d'autres cultures, cultures autochtones. Je pense au sirop d'érable. La musique, hein, est très fortement influencée par l'influence irlandaise, écossaise. Et puis, bon, il y a l'architecture, enfin, etc., des manières, des pratiques artisanales en matière de construction et d'artisanat sont souvent influencées par d'autres cultures. Peut-être qu'Habib voudrait intervenir.

M. Saidi (Habib): Oui. Bien, par rapport à la définition, en fait, bien, dans le texte peut-être, ce qu'on cherche à suggérer, c'est d'éviter qu'on comprenne le patrimoine immatériel un peu selon le modèle de la compréhension, de l'appréhension du patrimoine matériel, c'est-à-dire en le limitant en quelque sorte à l'objet. En fait, ce qui arrive maintenant, en dehors même de la définition de l'UNESCO, c'est que le patrimoine immatériel, la pratique de ce patrimoine est en train de révolutionner la définition du patrimoine d'une manière générale. On est en train de découvrir, de reconnaître, en fin de compte, ce patrimoine immatériel plutôt en tant que processus et non comme objet, c'est-à-dire un processus qui implique la communauté, ses activités, ses savoir-faire, toutes ses pratiques, ses croyances, ainsi de suite, et donc ce n'est pas seulement un objet qu'on désigne, qu'on identifie, et que, bon, il nous amène à renouer avec cette notion d'un objet qui est figé. Donc, c'est ce qu'on essaie de suggérer à travers ce texte. C'est pour plutôt opter pour une approche plutôt dynamique du patrimoine d'une manière générale mais surtout du patrimoine immatériel.

Un autre point que je veux souligner et qui est parmi les raisons qui nous ont amenés, en fin de compte, à souligner cet intérêt au patrimoine immatériel, c'est que c'est un patrimoine aussi qui nous permet des ouvertures à des régions qui ne sont pas dotées de monuments, c'est-à-dire qui ne sont pas reconnues en tant que région monumentale, des destinations très populaires, ainsi de suite. Et donc ça permet à ces régions-là d'avoir leur patrimoine, d'avoir un patrimoine qu'ils peuvent mettre de l'avant pour attirer des touristes et pour se valoriser sur tous les plans. Voilà.

Mme St-Pierre: Sur le plan de l'éducation, quand, dans votre recommandation n° 7, vous dites: «...que la loi prévoie la poursuite d'une pratique d'inventorisation nationale qui associe le milieu universitaire, le milieu gouvernemental, le milieu professionnel et [le milieu local]. Il faudra articuler les inventaires menés à l'échelle municipale avec l'inventaire national», donc c'est la notion de protocole, puis que tout le monde s'entende sur les mêmes choses, puis que ça ne soit pas tout échevelé partout.

La contribution du milieu universitaire, à mon avis, elle m'apparaît vraiment, vraiment importante, et, un petit peu à ma surprise, je n'ai pas trouvé que le milieu universitaire s'était beaucoup intéressé à ce projet de loi. Peut-être qu'ils se sont intéressés, mais enfin ils ne sont pas venus vraiment nous le dire comme vous le faites si bien. Probablement qu'ils vous ont peut-être laissé la tâche de le faire. Mais est-ce qu'il y a d'autres universités qui, comme vous, comme la chaire, s'intéressent à cette question-là et se présentent un peu comme vraiment leaders sur la question du patrimoine immatériel où est-ce que le milieu universitaire pourrait contribuer... Enfin, je vais poser ma question autrement: Est-ce que le milieu universitaire pourrait contribuer encore plus dans cet exercice-là? Parce que c'est vraiment un gros chantier qu'on a devant nous, là, et alors ce sont peut-être les mieux placés, les universitaires.

**(20 h 10)**

M. Turgeon (Laurier): Oui, bien, je pense qu'ils ont un rôle très important à jouer, c'est vrai. Je dois dire que, bon, ici c'est lié... l'intérêt que nous avons aussi pour ce domaine est lié à nos traditions universitaires, à l'histoire de nos institutions aussi. Bon, à l'Université Laval, on a la chance d'avoir une tradition qui est établie depuis longtemps dans ce domaine. On a les plus anciennes archives orales pas seulement du Québec mais de l'ensemble du Canada à l'Université Laval. Donc, le patrimoine, disons, qu'on appelait autrefois «patrimoine ethnologique», même, avant ça, «le folklore» est enseigné à l'Université Laval depuis les années quarante. Donc, il y a là des traditions qui sont assez anciennes, et puis Laval est reconnue comme un pôle dans ce domaine depuis longtemps.

Ceci dit, l'Université du Québec à Montréal a, depuis plusieurs années, assuré des enseignements dans ce domaine, notamment le Département d'histoire de l'art, où il y avait... où il y a encore des professeurs comme Yves Bergeron qui ont été formés ici, à l'Université Laval, et qui enseignent en patrimoine, patrimoine immatériel et muséologie. Et je pense que... J'essaie... Je réfléchis. Pour ce qui est de l'Université de Montréal, bon, il y a quelques personnes mais peut-être moins, sauf que je suis persuadé qu'avec la convention de l'UNESCO, l'intérêt croissant, hein, pour ce patrimoine il y a une sorte de nouvelle sensibilité.

Comme le disait mon collègue Habib, la convention et le patrimoine immatériel ont contribué, mais, même avant l'existence de la convention, il y avait déjà, je pense, un intérêt pour ce type de patrimoine. On s'en allait vers... Il y a une demande, hein, puis on le voit dans la demande touristique. Très nettement, les touristes cherchent, hein, veulent participer à des fêtes. Ils veulent goûter la cuisine régionale, la cuisine des différentes cultures. Ils veulent, bon, plus que voir des artisans à l'oeuvre, ils veulent aussi mettre la main à la pâte et puis y participer en quelque sorte, hein?

Alors, je pense qu'il y a là un intérêt grandissant pour ce patrimoine, et ça nous a amenés à repenser, à reconceptualiser finalement nos façons de voir, là, et de pratiquer le patrimoine, hein? C'est ça qui est intéressant. Et je pense que ça ajoute un élément beaucoup plus dynamique finalement, parce que, comme le disait Habib, maintenant on le considère de plus en plus comme un processus plus que juste un assemblage d'objets matériels.

Mme St-Pierre: Oui. Et en même temps ça peut paraître quelque chose qui est très... un peu rébarbatif au départ, parce que ça peut paraître abstrait, puis, en fait, on peut le concrétiser très bien, concrétiser très bien cette notion-là.

Petite question en terminant. En fait, c'est une grande... Peut-être une grande petite question, vous me le direz: Il y a des gens qui nous ont suggéré d'ajouter des personnages dans notre définition du patrimoine immatériel. Est-ce que vous seriez d'accord avec ça ou vous trouvez que ce n'est pas nécessaire?

M. Turgeon (Laurier): Les trésors vivants, oui.

Mme St-Pierre: Les trésors, oui.

M. Turgeon (Laurier): Ah oui!

Le Président (M. Marsan): Alors, en terminant.

M. Turgeon (Laurier): Oui. Alors, ça, c'est une grande question, parce que, bon, dans les pays asiatiques, ils le pratiquent, ça, au Japon, en Corée, je crois aussi en Chine. Je ne sais pas si... Ce n'est pas tellement dans nos traditions. Bon, moi, je n'ai jamais vraiment étudié les tenants et aboutissants de cette politique en Asie, alors je ne sais pas trop ce que ça donne comme résultat, mais a priori ça me semblerait peut-être un peu compliqué à l'appliquer ici, parce que ce n'est pas vraiment dans nos façons de faire. Je pense qu'on peut parvenir à des résultats tout aussi intéressants avec les éléments qui sont déjà dans la loi et puis avec quelques ajouts. Voilà.

Le Président (M. Marsan): Alors, merci. Nous allons poursuivre, et je vais céder la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Bien le bonjour, messieurs. Bonsoir, en fait.

M. Turgeon (Laurier): Bonsoir, oui.

M. Blanchet: J'ai abandonné la science rapidement au niveau du baccalauréat, donc vous patinez sur une patinoire beaucoup plus grande que celle que j'ai fréquentée, mais il y a quand même quelques questions qui me viennent à l'esprit. Tenant compte du fait qu'il y a plusieurs courants de pensée en sciences, des observations similaires pourraient mener à des interprétations ou des explications différentes, et on sent des éléments dans votre mémoire.

Donc, je vais... Questions en vrac, en fait. Il y en a une qui n'est pas du tout théorique. Vous parlez d'un inventaire de ressources ethnologiques, du patrimoine immatériel et de l'inventaire du patrimoine immatériel religieux. J'aimerais que vous me parliez de l'effet, de la portée, de la représentativité, de jusqu'à quel point il y a beaucoup d'éléments qui ont été effectivement enregistrés, répertoriés, jusqu'à quel point on a un outil qui nous donne un portrait de ce qui existe, de ce qui se passe et de ce qui devra être ultérieurement inventorié. Parce qu'une fois qu'on s'est dit satisfait de ce qu'on a il va falloir ouvrir la porte sur ce qu'on n'a pas, sans ça, ça ne vaut pas la peine de faire une loi. Donc, quel est l'impact de ce répertoire-là?

M. Turgeon (Laurier): Oui, de l'inventaire du patrimoine, là, des ressources ethnologiques, du patrimoine immatériel. Oui, bien, je crois que, bon, c'est une entreprise que nous avons entreprise avec le ministère de la Culture il y a déjà plusieurs années. C'était... En fait, ça remonte à 2003-2004. Et je vous avoue que j'avais été un petit peu réticent au début, parce que les inventaires ne sont pas toujours quelque chose de très bien vu dans le monde universitaire, hein? Généralement, on considère que c'est un travail qui, bon, est fait par des archivistes, mais les vrais chercheurs devraient s'occuper plus de théorie et puis de nouvelles méthodologies, etc.

Alors, j'avais été un petit peu réticent, mais après j'avais saisi l'intérêt, surtout en matière de patrimoine immatériel, parce qu'il n'y en avait pas dans le monde. Et il y avait eu ici, au ministère de la Culture, des travaux très intéressants qui avaient été faits notamment par Bernard Genest, qui maintenant a pris sa retraite, mais qui avait travaillé pendant longtemps sur la notion d'inventaire du patrimoine immatériel. Et, au fur et à mesure qu'on avançait dans le projet, plus j'étais convaincu de l'intérêt, finalement, de cet inventaire.

Et ça nous a permis finalement de repenser les façons de faire les inventaires pour ne pas qu'ils soient justement une simple archive, hein, que ce ne soit pas juste un outil de conservation. Mais, dans la mesure où il s'agit de patrimoine immatériel, donc de patrimoine vivant, on s'était dit: Bien, il faut le rendre disponible au grand public. Donc, on a eu l'idée de mettre l'inventaire sur le Web. Et puis ensuite on s'est dit: Bien, on va essayer de faire un site qui est interactif, participatif, dynamique. Et puis finalement, par la suite, on s'est dit: Bien, une fois qu'on a une base de données multimédia, parce qu'en fait c'était un inventaire mais en même temps une base de données multimédia, on peut peut-être faire autre chose que juste le communiquer par le biais d'un site Web, et on a commencé à penser qu'on pouvait faire des dictionnaires et des encyclopédies en ligne, parce qu'une fois qu'on a l'archive, on peut, après ça, trouver des applications, des nouvelles applications à l'archive. Et donc on a fait une encyclopédie. Après ça, maintenant, on a travaillé sur des modules pédagogiques pour l'enseignement dans les écoles. On travaille aussi sur des itinéraires touristiques en ligne qui sont faits toujours à partir de la même base de données. Vous voyez?

Donc, ceci m'a amené vraiment à croire profondément à l'utilité, hein, de ce type d'inventaire qui n'est pas un inventaire qui est destiné juste à la conservation et à l'archivage mais, disons... bon, ça, c'est son but premier, mais à la communication, hein, la communication de ce patrimoine. Donc, ça, ça a été pour nous une découverte et puis quelque chose qui n'était pas... qui était inattendu au départ.

Maintenant, pour ce qui est de la représentativité, bon, c'est sûr que, dans l'inventaire que nous avons fait, avec lequel nous avons travaillé avec le ministère, on a à peu près 1 000 ressources qui couvrent pratiquement toutes les régions du Québec. Il y a juste la ville de Laval où on n'a pas de... Mais, pour l'instant, c'est un inventaire qui porte presque exclusivement sur les régions, hein? Nous n'avons pas inventorisé le patrimoine immatériel des villes, parce qu'on avait donné préférence aux régions parce qu'on pensait que le patrimoine immatériel était davantage menacé dans les régions rurales, d'une part.

Et, d'autre part, on a eu la chance d'avoir comme partenaire le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Organisation du territoire, qui étaient intéressés par notre projet parce qu'ils voyaient cet inventaire comme un moyen de faire du développement régional et donc ont financé le projet avec le ministère de la Culture. Mais comme, bon, eux voulaient financer le développement rural, et leur mandat, ce n'était pas de financer les villes, donc on n'a pas fait les villes pour l'instant. On espère peut-être un jour pouvoir le faire.

Puis on avait... on a seulement 10 ressources qui ont été inventoriées dans le Nord-du-Québec et chez les Inuits. Et ça, c'est en raison des coûts, hein? On a pu faire des enquêtes pendant un été, mais on n'a pas pu poursuivre, parce que les coûts sont vraiment très, très élevés. Mais là aussi il y a un trou, hein? Il faudrait qu'on puisse éventuellement inventorier le patrimoine immatériel des Inuits, d'autant plus que, comme vous le savez, avec les changements climatiques aujourd'hui, hein, leur mode de vie traditionnel est en train de se transformer très rapidement, oui.

**(20 h 20)**

M. Blanchet: En effet. Quel était le mécanisme d'inscription à ce répertoire? Est-ce que c'est sur une base volontaire que les gens viennent inscrire des éléments ou est-ce que c'est à l'initiative du département ou du ministère?

M. Turgeon (Laurier): Non, c'est-à-dire qu'on avait au préalable identifié un certain nombre de personnes qui pouvaient nous donner des informations, des membres d'associations, des intervenants culturels locaux, parfois des agents, les agents du développement, les VVAP, là, et les agents culturels aussi du ministère qui... Donc, à la suite d'une sorte d'enquête préalable, on a identifié un certain nombre de personnes qui pouvaient nous donner des informations, et ensuite nous avons rencontré des informateurs. Souvent, les informateurs qu'on a rencontrés nous ont donné les noms d'autres informateurs, et donc c'est un petit peu comme ça que nous avons procédé.

On avait un certain nombre de critères formels qui sont des critères qui définissent le patrimoine, disons, mais on a aussi tenu compte beaucoup de ce que les gens... ce qui était important pour les gens eux-mêmes, hein, ce que les communautés estimaient comme étant...

M. Blanchet: Important.

M. Turgeon (Laurier): ...oui, important pour eux, même si, bon, parfois ça ne remontait pas à trois, ou quatre, ou cinq générations, que c'était une pratique qui était relativement, bon, récente, qui remontait à une ou deux générations. Mais, si ça avait de l'importance pour la communauté, on l'a inclus dans l'inventaire.

M. Blanchet: O.K. Cette démarche-là donc ajustée pourrait mener ou servir de base au type d'inventaire qui doit être élaboré pour l'ensemble du territoire mais n'en représente qu'une partie à ce stade-ci.

M. Turgeon (Laurier): Oui, c'est ça. On a fait, comme je l'ai dit, l'ensemble des...

M. Blanchet: Des régions, sauf les villes.

M. Turgeon (Laurier): ...régions administratives du Québec, mais seulement les zones rurales. Donc, bon, les zones urbaines, là, n'ont pas été inventoriées pour l'instant.

M. Blanchet: O.K. Dans un tout autre ordre d'idées, il y a des mots qui ont des sens particuliers, variables, qui effleurent des susceptibilités, et vous avez un paragraphe qui dit: «[Ce] mémoire propose une définition plus [...] précise du patrimoine immatériel, en adéquation avec [...] le caractère multiculturel du patrimoine québécois...» Pouvez-vous définir «multiculturel», s'il vous plaît?

M. Turgeon (Laurier): Oui. Alors, c'est que ça revient à cette idée que le patrimoine québécois est constitué en partie, hein, d'emprunts qui ont été faits à d'autres cultures, à des cultures régionales françaises, hein, enfin, la région de l'Île-de-France, le Poitou-Charentes, la Bretagne, enfin, il y a tous ces emprunts d'abord. Et puis ensuite le processus de colonisation ici a fait en sorte qu'il y a eu des passages de population, il y a eu des emprunts qui ont été faits à d'autres cultures, qui ont été intégrés dans la culture et qui sont maintenant concédés comme typiquement, hein, québécois, mais, si nous faisons la généalogie finalement de ces pratiques, si on remonte aux origines, on se rend compte souvent que, hein, l'origine est d'une autre culture. Je pense, bon... Il y a des exemples, disons, qu'on cite souvent, comme le sirop d'érable, qui est quelque chose qui vient des cultures amérindiennes. Ça, c'est très bien documenté, on le sait. Mais la musique aussi, hein, la musique traditionnelle québécoise, hein, elle est en grande partie d'origine écossaise et irlandaise, hein?

Oui, donc je crois que... je pense que c'est quand même important de tenir compte, hein, de cette... parce que ça fait partie justement. Ça nous sensibilise à l'idée, comme le disait mon collègue, que la culture et le patrimoine, c'est quelque chose de dynamique qui se construit, qui se reconstruit.

M. Blanchet: On est totalement d'accord. Cela dit, tout ce que je voulais mettre en relief -- puis je ne pense pas qu'on ait une différence de vues nécessairement -- est que le multiculturalisme est une valeur fondatrice de l'Amérique anglo-saxonne, est une doctrine politique au Canada, est quelque chose qui fait vivement débat au Québec, où il y a toute une déclinaison entre multiculturalisme, interculturalisme et une vision un peu plus nationale du traitement culturel. Ce n'est pas là où on est, mais le mot prend ce genre de portée là.

Et je remarquais d'ailleurs... mais j'y reviendrai, parce que j'avais noté que vous parlez effectivement des emprunts que la culture québécoise fait des apports culturels soit des immigrants ou soit des premières nations, pour qui nous sommes les immigrants, parce qu'elles étaient là bien avant nous. Et, quand vous l'avez dit verbalement... comme, dans le texte, ça passe à sens unique: Nous avons fait des emprunts aux cultures immigrantes ou qui étaient là avant nous, mais vous ne mentionnez pas le transfert dans l'autre direction. Vous ne transférez pas qu'il y a évidemment des éléments de culture, disons, française, pour aller à l'origine des choses, qui sont allés vers les nations autochtones, malheureusement, dans le cas de certaines communautés, la perte de leur langue et l'acculturation, et vous ne mentionnez pas que les communautés immigrantes actuelles adoptent évidemment un certain nombre de traits de la culture d'accueil.

Je me demandais si c'était un choix volontaire, parce que justement la notion, j'y reviens, la notion de multiculturalisme, au sens le plus large puis au sens où la population en général l'entend, ça veut dire qu'il y a plusieurs souches culturelles qui, par frottement, font des échanges. Mais cette unidirectionalité-là était-elle volontaire ou fortuite dans le texte?

M. Turgeon (Laurier): Non, je dirais qu'elle est plutôt fortuite. Et je pense que c'est surtout... Si on a l'occasion de travailler sur le patrimoine des villes, comme... des villes comme Montréal notamment, là, ça va être très intéressant dans cette perspective parce qu'on va pouvoir constater toutes sortes d'échanges, d'emprunts de part et d'autre, hein, de la part des cultures des groupes immigrants et des cultures québécoises de souche, hein, je dirais.

Peut-être que mon collègue, qui lui est un...

M. Saidi (Habib): Oui. En fait, je veux revenir sur quelques points qui étaient soulevés. En fait, bien, dans le texte aussi, on a souligné l'approche intégrative donc qu'on veut accorder à ce patrimoine-là, dans la mesure où, bien, c'est un patrimoine qui intègre tout le temps, puisque, comme je l'ai dit, bon, on a tendance à l'appréhender comme processus plutôt que comme objet, donc à intégrer d'autres éléments. C'est une approche donc intégrative et ouverte. Ça nous amène à l'ouverture, c'est-à-dire, ce patrimoine qui ne peut pas être figé.

Et d'ailleurs, bien, un beau problème qui se pose par rapport à ce patrimoine-là, c'est comment le conserver, donc, parce que, bien, nous, on a appris la conservation un peu dans une... dans le sens où on conserve comme on conserve un objet dans un musée, alors que, pour ce patrimoine-là, donc, le conserver, ce serait plutôt de le transmettre pour le conserver. Donc, transmettre, le diffuser, c'est ce qui permet de le conserver, donc de le garder en vie. C'est un patrimoine vivant. C'est pour cela qu'on souligne et à plusieurs reprises donc cette dimension, donc, de patrimoine vivant par rapport à ces éléments-là. Et donc cette notion, donc cette dimension, donc, de patrimoine vivant et puis cette approche intégrative, c'est ce qui permet donc d'intégrer effectivement d'autres patrimoines migrants, je dirais, donc qui viennent épouser des traditions ici, des pratiques. Et, bien, on peut prendre des exemples qu'on rencontre dans la vie quotidienne, bien, toutes ces traditions gastronomiques qu'on trouve dans les restaurants, ainsi de suite. Et donc tout patrimoine, en fin de compte, à un certain moment, donc, réunit des recettes de par tout le monde. Et ce n'est pas le cas seulement pour le patrimoine ici, au Québec, même ailleurs dans le monde. Donc, moi, je viens d'une région méditerranéenne, de la Méditerranée, et donc le propre de ce patrimoine-là, c'est qu'il est tout le temps donc... qu'il constitue toujours un brassage de plusieurs cultures et un brassage continuel, donc, qui ne s'arrête pas, et surtout en ce qui concerne le patrimoine immatériel, effectivement.

M. Blanchet: O.K. Juste faire un petit commentaire. Vous venez de répondre beaucoup à la question sur le multiculturalisme. Vous avez parlé d'une approche intégrative. Tel que l'on comprend le multiculturalisme, à la lecture un peu sociologique et politique de maintenant, c'est que le multiculturalisme propose la coexistence avec peu d'intégration d'un ensemble d'origines et de groupes culturels de valeur égale, si on peut dire ça comme ça, tandis que l'intégration appelle la définition d'une nouvelle culture, ce qui correspond beaucoup moins à la doctrine du multiculturalisme.

**(20 h 30)**

Le Président (M. Marsan): Merci de votre commentaire. Ceci termine nos échanges. Et permettez-moi, M. Turgeon et M. Saidi, de vous remercier bien sincèrement de nous avoir donné la position de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine et Institut du patrimoine culturel de l'Université Laval.

J'inviterais maintenant l'Association des citoyens et citoyennes de Tewkesbury à venir se présenter à notre table. Nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 20 h 31)

 

(Reprise à 20 h 34)

Le Président (M. Marsan): Alors, nous reprenons nos travaux, et il nous fait plaisir d'accueillir les représentants de l'Association des citoyens et citoyennes de Tewkesbury -- j'espère que je le prononce bien. Et j'aimerais vous demander d'abord de vous présenter, de nous présenter les gens qui vous accompagnent, et vous avez une période d'environ 15 minutes pour nous exposer ce que vous pensez du projet de loi n° 82. La parole est à vous.

Association des citoyens
et citoyennes de Tewkesbury

Mme Darveau (Agathe): Merci. Alors, mon nom est Agathe Darveau. Je suis présidente de l'Association des citoyens et citoyennes de Tewkesbury. Et j'ai mes collègues qui m'accompagnent, M. Gilles Gaboury, qui est premier vice-président de l'association, et M. Carl Grenier, qui est également administrateur.

Alors, M. le Président de la commission, Mme la ministre, Mme et MM. les députés, nous voulons vous remercier de nous avoir invités à venir témoigner devant vous à propos du projet de loi n° 82. Nous avions déjà eu l'occasion d'apporter notre témoignage lors de la consultation sur le livre vert, en mars 2008, et nous sommes très heureux de pouvoir de nouveau faire entendre notre point de vue lors de cette consultation en cours sur le projet de loi n° 82.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous semble important de vous dire quelques mots sur notre organisme pour mieux situer le sens de nos recommandations par rapport au projet de loi. Alors, l'Association des citoyens et des citoyennes de Tewkesbury, c'est un organisme qui a été fondé comme tel en 1999 par un groupe de citoyens résidents de Tewkesbury qui s'inquiétaient de certaines pratiques de coupes forestières faites dans le corridor panoramique de la vallée. Il faut signaler que plusieurs personnes de ce groupe avaient déjà eu l'occasion, plusieurs années auparavant, autour des années 1970, de se battre pour conserver l'intégrité du territoire lorsqu'Hydro-Québec avait voulu implanter trois projets de barrages qui auraient inondé la vallée de la Jacques-Cartier. C'est ce qu'on a appelé la bataille de la Jacques-Cartier, ce que plusieurs observateurs de la sphère environnementale au Québec estiment être le premier combat écologique gagné de haute lutte par des citoyens, combat qui a d'ailleurs permis la création du parc national de la Jacques-Cartier.

L'association, fondée en 1999, est en quelque sorte l'héritière de ce groupe qui s'est vu confier par ses membres le mandat de voir à la protection des sites naturels qui constituent le patrimoine paysager de Tewkesbury.

Dès sa création, l'association s'est impliquée activement dans les consultations concernant la révision du schéma d'aménagement et de développement de la MRC de La Jacques-Cartier afin de faire valoir l'importance de maintenir des activités d'élevage sous certaines conditions afin de permettre de conserver le caractère agropastoral des paysages de Tewkesbury.

Au fil des années, notre association a poursuivi ses démarches pour promouvoir le caractère patrimonial des paysages de Tewkesbury auprès de nos membres et auprès des instances locales et régionales. Le mémoire que nous avons déposé en novembre 2010 auprès du secrétariat de la commission fait la recension de ces diverses démarches, aussi nous n'en donnerons pas le détail ici.

Par contre, nous voulons attirer votre attention sur le fait que notre association a développé, au cours des 10 dernières années, une certaine expérience en matière de problématiques paysagères soit en participant à des colloques et des séminaires organisés par des universitaires du domaine, soit en invitant des experts des questions paysagères à donner des conférences à Tewkesbury, soit en travaillant sur des projets de réglementation municipale ou à l'intérieur de comités et d'organismes régionaux.

Nous avons réussi à faire évoluer certains projets dans le sens des intérêts que nous soutenions. Nous l'avons fait dans un esprit de dialogue et de concertation avec les instances municipales et régionales pour faire avancer nos préoccupations tout en constatant que la culture de participation des organismes bénévoles au sein des instances municipales et régionales n'allait pas forcément de soi. Toutes nos demandes, toutes nos démarches reposent sur la seule base de l'engagement volontaire des membres du conseil d'administration, sans un sou de subvention, et en s'appuyant sur le seul membership de ses membres. Nous avons certes progressé au cours de ces années, mais il faut également constater que notre statut reste encore très précaire en regard des décisions que peut prendre un conseil municipal en matière de zonage, par exemple. Nous reviendrons sur cet aspect un peu plus tard.

Je terminerai cette introduction en vous situant rapidement la problématique des paysages sur un territoire comme Tewkesbury, ce qui nous permettra de mieux comprendre les motifs à la base de nos commentaires sur le projet de loi n° 82. Tewkesbury fait partie de la municipalité des cantons unis de Stoneham-et-Tewkesbury, une municipalité de la grande région de Québec à une distance de 40 kilomètres au nord de la capitale nationale, une municipalité qui a un des plus hauts taux régionaux de nouvelles constructions. On se souviendra du mémoire de la ville de Québec à propos des problèmes en approvisionnement en eau au lac Saint-Charles, moratoire vivement dénoncé par le maire de Stoneham et de Tewkesbury et qui a eu comme effet, effectivement, de geler tout nouveau projet de construction.

Tewkesbury est l'une des dernières vallées agroforestières dans la région de Québec. La rivière Jacques-Cartier est reconnue comme territoire d'intérêt récréatif et accueille chaque année un nombre grandissant de kayakistes et de rafteurs attirés par la succession de rapides qui caractérise la rivière à Tewkesbury.

Quelques exploitations agricoles permettent de maintenir pour un certain temps encore le caractère champêtre des paysages. L'exploitation forestière est mieux assurée grâce à la nouvelle réglementation municipale sur l'exploitation et la coupe des arbres. L'association y a d'ailleurs beaucoup travaillé. Mais, avec l'autoroute 75 qui facilite les déplacements vers la ville de Québec, avec la proximité du centre de ski à Stoneham, les risques de devenir une autre banlieue de la grande couronne de la capitale sont très réels.

Les pressions en faveur du morcellement et du lotissement des terres autrefois agricoles se font de plus en plus fortes. Comment assurer un développement qui permettra de concilier les demandes de nouvelles constructions tout en conservant à ce territoire les caractéristiques paysagères qui lui confèrent une valeur patrimoniale tant pour ceux qui y résident que pour tous les visiteurs de l'extérieur? Et, comme en attestent les nouveaux artistes de la région qui participent chaque année, à l'automne, à un symposium en arts visuels, c'est là, notre défi. Et c'est donc avec cette perspective que nous allons commenter certains éléments du projet de loi n° 82.

Si vous me le permettez, M. le Président, je vais demander à mon collègue M. Gaboury de poursuivre la lecture du document.

**(20 h 40)**

M. Gaboury (Gilles): À notre tour de souligner, après bien d'autres organismes concernés par les questions de patrimoine, l'importance de se doter au Québec d'une législation en matière de patrimoine. Tout en se sentant plus concernés par le paysage patrimonial, nous sommes convaincus aussi de l'importance de conserver d'autres formes de patrimoine, qu'il s'agisse du patrimoine bâti, incluant le patrimoine religieux, et du patrimoine immatériel. Tous ces patrimoines sont autant de lieux de mémoire qui favorisent activement le sentiment d'appartenance communautaire tout en contribuant, bien sûr, à favoriser le tourisme et les retombées économiques que toutes les régions recherchent désormais.

Il est évident que le projet de loi n° 82, en consacrant le paysage comme élément intrinsèque du patrimoine, nous permet d'élargir les mesures de protection que l'on pouvait trouver avec les autres lois existantes. Autre élément positif du projet de loi, le fait de ne pas définir ce qu'est un paysage culturel patrimonial et de laisser l'initiative aux collectivités et aux instances locales et régionales de déterminer quels paysages de leur territoire doivent être protégés. Toutefois, en confiant aux municipalités locales et régionales de comté la responsabilité première de procéder à la désignation des paysages patrimoniaux, le projet de loi confère une responsabilité qui comporte beaucoup d'aléas dans le contexte actuel des ressources financières et humaines dont disposent notamment les petites municipalités.

C'est pourquoi, tout en considérant que ce projet de loi permet de faire potentiellement des avancées significatives pour la protection des paysages patrimoniaux, il y a des éléments plus faibles sur lesquels nous voudrions attirer votre attention. Premier élément important, qui nous semble ne pas figurer explicitement dans le projet de loi n° 82, alors que le livre vert en faisait une condition évidente, à savoir de s'appuyer sur les organismes et associations qui se consacrent à la protection de toutes les formes du patrimoine et qui n'ont pas attendu d'avoir un projet de loi pour s'engager dans l'action. Il s'agit là d'une lacune très importante et à laquelle on pourrait cependant remédier facilement en introduisant dans le texte du préambule de la loi n° 82 la notion d'approche citoyenne et de partenariat, ce qui rendrait justice au livre vert et à la réalité terrain. Nous en faisons d'ailleurs deux recommandations explicites dans notre mémoire.

L'article 18, lorsqu'il parle de faire un diagnostic paysager, se base sur un présupposé qu'il existe des outils et que l'expertise est disponible. En introduisant le paysage dans un processus de reconnaissance patrimoniale, il faut avoir présent à l'esprit que c'est un nouveau domaine pour lequel il y a certes des expertises dans certaines universités québécoises mais elles demeurent rares ou peu accessibles. Par ailleurs, il existe bien un Guide de gestion des paysages au Québec produit, en 2008, par la Chaire des paysages en environnement de l'Université de Montréal et soutenu financièrement par le ministère de la Culture et des Communications. Il s'agit d'un ouvrage de référence qui vise à fournir des balises stratégiques, mais en ce qui concerne les outils opérationnels présentés, il demeure coûteux d'application, peu accessible, si on ne dispose pas de l'expertise appropriée. Nous croyons donc que les outils sont encore à développer. Il faut prévoir mettre en place des activités de formation avec le concours des départements et facultés universitaires spécialisés en architecture des paysages et en patrimoine, et cela implique que des programmes de financement seront accessibles, ce qui n'est pas le cas présentement. Nous avons fait l'expérience l'an dernier avec un département de l'Université Laval qui est intéressé de faire des études de caractérisation sur notre territoire à condition que l'on puisse financer le stage de l'étudiant. Faute de programme accessible, nous avons dû renoncer à ce projet.

Découlant de cette nécessité de développer des expertises pour réaliser des études de caractérisation du paysage -- et ce que nous signalons pour le paysage patrimonial vaut sans doute pour les autres types de patrimoine -- il nous apparaît que la vocation des municipalités régionales de comté devrait être consacrée dans le projet de loi en leur conférant le pouvoir d'initiative et aussi en leur attribuant la responsabilité de mettre en place des mécanismes appropriés de consultation et de concertation. Les raisons qui nous font penser que les MRC sont des instances... ou les instances les plus appropriées, ici, c'est que l'unité de base du patrimoine paysager n'est souvent pas confinée aux seules limites d'une municipalité. C'est le cas notamment de la vallée de la Jacques-Cartier.

Le projet de loi n° 82 nous semble très faible en ce qui regarde la gouvernance du patrimoine car il prévoit la création d'un conseil local du patrimoine mais qui, à toutes fins pratiques, repose sur l'existence d'un comité consultatif d'urbanisme, lequel comité peut donc se substituer à ce nouveau mécanisme dédié au patrimoine. Quand on connaît la modicité des ressources dont disposent les CCU, notamment dans les petites municipalités, il semble aberrant de leur confier une nouvelle responsabilité de cette ampleur. Tout le travail de caractérisation, et ensuite l'élaboration des plans de conservation pour la reconnaissance des paysages, se situe en amont du processus géré par les CCU. Ce travail de caractérisation, tout comme l'élaboration de plans de protection, devrait d'ailleurs précéder l'élaboration des schémas d'aménagement et de développement et alimenter ensuite les plans d'implantation et d'intégration architecturale, le principal outil des CCU, avec le règlement de zonage et de lotissement. Par ailleurs, comme nous le disions dans notre introduction, cette culture de participation et de partenariat avec les organismes associatifs du milieu est rarement mise en oeuvre au niveau municipal. Le processus de référendum de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme permet des consultations ponctuelles, ce qui est peut-être à l'avantage des conseils municipaux, mais en aucun cas ne peut-on considérer que cela favorise une pleine et entière participation des organismes associatifs du milieu sur des questions complexes qui nécessitent une vision de long terme comme la gestion du patrimoine paysager. Il faut donc envisager, dans le projet de loi n° 82, un nouveau type de gouvernance qui permette et encourage des formules de partenariat permettant de rassembler toutes les forces vives du milieu. C'est le sens des recommandations que nous faisions dans notre mémoire.

Pour ce qui est du Conseil du patrimoine culturel du Québec, nous aurions souhaité que les articles prévoient qu'il puisse exercer un rôle d'aviseur et d'expert vis-à-vis des organismes régionaux et locaux. Pour le moment, on ne perçoit qu'un rôle conseil auprès du ministre, et cela nous semble insuffisant.

Enfin, comme on le signalait dans notre mémoire, le financement de toutes les nouvelles actions du milieu du patrimoine reste très hypothétique, et on aurait souhaité avoir des précisions sur les modalités de financement, modalités de financement que l'on aurait pu retrouver dans un plan d'action si un tel plan accompagnait le projet de loi.

Donc, c'est sur ce fond de questions sans réponse que nous voulons conclure notre témoignage, en soulignant que la sauvegarde et la mise en valeur des paysages patrimoniaux constituent un chantier de grande envergure qui exige une approche d'ensemble touchant de multiples problématiques où interagissent les dimensions patrimoniales avec les questions reliées à l'environnement, l'aménagement du territoire, développement des activités économiques, touristiques, sociales.

De plus, dans un contexte de ressources financières limitées, il faudrait innover et favoriser des mécanismes d'intervention souples adaptés aux différents contextes régionaux et favorisant la concertation entre toutes les organisations concernées, incluant les organismes associatifs, afin de profiter au maximum de l'effet multiplicateur engendré par ces multiples partenaires. Merci.

**(20 h 50)**

Le Président (M. Marsan): Je vous remercie. Nous entamons nos échanges, et je vais céder la parole à Mme la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.

Mme St-Pierre: Merci beaucoup, M. le Président. Merci d'être parmi nous ce soir, Mme Darveau, M. Gaboury, M. Grenier que j'ai connu dans une autre vie, dans un autre pays. Alors, merci d'être ici, puis ça nous fait plaisir de vous voir. Manifestement, dans notre consultation qui s'achève demain, vraiment les thèmes du patrimoine immatériel puis le paysage, je pense que c'est ce qui a pas mal retenu l'attention, on peut dire. C'est nouveau, on le sait, puis on sait qu'on a un beau chantier devant nous, alors c'est fort intéressant d'entendre ce que vous avez à dire.

J'ai accroché sur l'idée... quand vous avez parlé de la définition du patrimoine... du paysage culturel patrimonial, j'ai comme compris que vous n'étiez pas satisfaits tout à fait de la définition, vous la trouviez peut-être trop simple mais, quand je la regarde... Je vais la lire: «Tout territoire reconnu par une collectivité -- donc, une collectivité, je pense que ça implique aussi les organismes qui sont dans la collectivité -- pour ses caractéristiques paysagères remarquables résultant de l'interrelation de facteurs naturels et humains qui méritent d'être conservées et, le cas échéant, mises en valeur en raison de leur intérêt historique, emblématique ou identitaire.» Et même, dans le site patrimonial, on parle de la question paysagère. Et aussi, quand on regarde dans l'article 18c, on parle «d'une démonstration de la reconnaissance par la collectivité concernée de ces caractéristiques paysagères remarquables».

En fait, ce que vous semblez nous dire dans votre mémoire, c'est que c'est comme si les gens du milieu associatif n'étaient pas impliqués dans cette démarche-là, et il me semble que la procédure le prévoit et en plus un décret... normalement, lors de la publication d'un décret, il y a une période, là, pour recevoir les commentaires, pour voir si ça fait l'affaire ou pas.

J'aimerais vous entendre davantage là-dessus. Quel rôle précis vous aimeriez jouer? À quel endroit vous voudriez être dans la... bien, en fait, dans la section III, là, ce qui est de la désignation de paysages?

M. Gaboury (Gilles): Dans le chapitre I, article 1, on mentionne effectivement... il y a le terme «collectivité» puis un peu plus loin, je pense que c'est dans le 18... le 18.2°c, on parle de collectivité, puis le 18.3°, on parle de milieu. Mais on peut... Comment qu'on définit la collectivité? Ça peut signifier un groupe qui appartient à un territoire, mais ça peut aussi, selon la définition qu'on peut retrouver dans le dictionnaire, signifier une unité administrative, une organisation municipale ou régionale.

Alors, dans ce sens-là, on disait: Il y a peut-être intérêt à voir explicitement le terme d'«organisme associatif» lié au processus. On voulait se voir de façon plus évidente dans les articles, peut-être dans la définition, qu'on définisse le terme «collectivité» en précisant qu'il s'agit aussi du milieu associatif. C'est simplement ça qu'on souhaiterait, mais on ne le sentait pas, et ça pourrait se limiter à des organismes municipaux. Le terme «collectif» peut s'attribuer uniquement aux organismes municipaux. Le milieu, c'est pareil. Alors, on se disait: Ça mérite d'être signalé.

Puis, on se disait même, en début de chapitre, de voir un paragraphe qui vient mettre l'emphase sur la participation des collectifs, des groupements, des associations. On a de la misère évidemment à être visible dans tout ça, et plus ça va, plus ça devient, je pense, des organismes qui ont du poids, puis qui ont du potentiel, et dont on pourrait se servir. On parle de manque de budget, bien, je pense que ça pourrait aussi faire partie des ressources à utiliser à quelque part.

Mme St-Pierre: Enfin, certains décideurs pourraient vous dire que le milieu associatif est très présent et a beaucoup de poids, puis même peut faire changer la volonté des décideurs. C'est sûr que les élus sont imputables aussi dans ces décisions-là, et j'ai beaucoup de respect pour le milieu associatif, bien sûr, puis il y a un éclairage important qui est donné. Mais, à la fin de la journée, pour utiliser un anglicisme, à la fin de la journée, c'est l'élu qui va prendre la chaleur puis qui va être imputable des décisions qu'il aura prises, bonnes ou mauvaises aux yeux des gens, et le milieu associatif, dans ce temps-là, peut être un... peut faire un travail auprès de la population en disant: Bien, la décision que l'élu a prise n'est pas correcte, elle n'est pas la bonne. Alors, il y a un poids très fort, à mon avis, du milieu associatif. Mais c'est sûr que c'est vu de mon côté de la lorgnette. Alors, je sens, M. Grenier, que vous êtes en... vous avez le goût de parler.

M. Grenier (Carl): Vos sentiments sont exacts, votre perception est bonne. Oui. En fait, Mme Darveau, dans son introduction, a rappelé cette fameuse bataille de la Jacques-Cartier où les citoyens du lieu ont combattu ce projet-là qui allait effectivement faire disparaître la vallée à l'époque. Or, c'était un groupement qui s'est formé spontanément. La municipalité n'a joué absolument aucun rôle au départ de ça. En fait, ils étaient contre, ils étaient contre les efforts du milieu associatif à ce moment-là.

Et donc, oui, c'est sûr que le milieu associatif peut toujours jouer un rôle de réveilleur, de contestataire, et tout ça, mais on se dit, nous, que, dans le monde d'aujourd'hui, en fait, lorsqu'on remet à jour une loi aussi importante que celle des biens culturels, maintenant la nouvelle loi, le nouveau projet de loi, eh bien, on devrait faire mieux. On devrait faire mieux que ce qui se faisait il y a 30 ans et on devrait associer le milieu associatif, justement, à cette démarche-là au départ pour éviter justement des surprises, et puis des contestations, et puis beaucoup d'énergies finalement, pour en arriver à une approche qui est plus raisonnable puis plus respectueuse justement des gens du milieu. Alors, c'est un peu ça qu'on veut dire ici.

Mme St-Pierre: Est-ce que vous iriez jusqu'à dire, si le milieu associatif qui s'intéresse à cette question-là se rend vers les autorités municipales, que les autorités municipales devraient être tenues d'entendre le milieu associatif sur sa requête? Autrement dit, le milieu associatif dit: Bien, nous, on pense que cet endroit-là devrait être désigné, et vous devez, comme élus municipaux, tenir compte de ce désir-là. Est-ce que ça irait aussi loin que cela?

M. Grenier (Carl): Oui, ça pourrait aller jusque-là. Et effectivement, si on était nommés dans la loi, ça nous donnerait tout de suite une certaine audience qu'on n'a pas toujours automatiquement, hein? Ça dépend souvent de la bonne volonté des autorités locales. Parfois, ça fonctionne; parfois, ça ne fonctionne pas du tout, en fait. Et ça, bien, on ne peut pas vraiment fonder une nouvelle politique sur le caractère des gens qui sont élus. Ils sont imputables, bien sûr, et on est tout à fait d'accord avec ça. Mais, si on était nommés dans la loi, même si on n'a pas d'argent, ça nous donnerait une audience, en fait.

Et le fait qui a été souligné aussi par mes collègues, là, qu'à toutes fins pratiques le nouveau conseil du paysage, en fait, du patrimoine paysager, là, bien, ça va se confondre avec le comité consultatif sur l'urbanisme, ça, ce n'est pas de nature à nous rassurer, en fait, parce que justement, ces comités-là, ils n'ont pas toujours des façons de procéder qui sont transparentes, et, bon, on peut aussi parfois mettre en cause leur compétence. Parfois, ils sont tout à fait compétents. Encore là, c'est conjoncturel. Mais, si les deux se confondent, bien là on exprime, nous, un souci.

En fait, le souci, c'est que déjà ils sont très, très, très surchargés, en fait, notamment parce qu'on connaît chez nous, en fait, un taux de construction... de nouvelles constructions, là, qui est très, très important. Alors, ils n'ont pas grand temps pour s'occuper du paysage, en fait, qui exige, et vous le notez dans votre propre projet, beaucoup de ressources, là. Avant qu'on arrive, là, au registre, vous avez six ou sept étapes. C'est quelque chose, ça. Et je comprends pourquoi, c'est parce que ça peut être très, très engageant de reconnaître un paysage et de... je ne dirai pas «de figer», mais au moins de contraindre, en fait, d'ajouter une nouvelle contrainte aux développeurs qui veulent, qui sont intéressés, qui sont attirés justement par les lieux qui sont beaux, qui sont attrayants.

Alors, ça, c'est quelque chose qui nous chicote un petit peu. Et on ne veut pas que... je vais dire... Vous avez dit: Est-ce que ça pourrait aller jusqu'à forcer peut-être -- j'emploie un mot plus fort que le vôtre, là -- les autorités municipales à tenir compte de nos avis? En fait, je pense qu'on peut s'organiser autrement. Mais, si on est nommés dans la loi, ça, ça va nous donner un gros coup de pouce, en fait, déjà au départ.

**(21 heures)**

Mme St-Pierre: Et ça aurait une implication, en fait, de le nommer dans la loi, c'est que ça donnerait l'obligation d'aller vers le milieu associatif quand cette démarche est prise.

M. Grenier (Carl): Voilà. Exactement.

Mme St-Pierre: Ce n'est pas assez clair, d'après vous, même si on pense qu'une démonstration de la reconnaissance par la collectivité, c'est suffisant.

M. Grenier (Carl): Exactement. Je pense qu'on... On a un texte ici, là, qui est très court et qui, pour nous, ferait la job, comme on dit en termes populaires. On pourrait formuler une phrase comme, par exemple: «Cette loi a pour objet d'introduire un nouveau cadre de gouvernance qui s'appuie sur des mécanismes favorisant la concertation et le partenariat entre les instances régionales et locales et les organismes privés, communautaires et associatifs dédiés à la protection et à la mise en valeur du patrimoine et permettant de s'assurer que l'ensemble du patrimoine québécois demeure un bien commun, tant pour la population actuelle que pour les générations futures.» Autrement dit, c'est de reconnaître la contribution de ces organismes-là, quand ils existent, bien évidemment.

Mme St-Pierre: Et ces organismes-là auraient une notoriété. Ce n'est pas une... Comment on ferait en sorte que ça ne soit pas un organisme qui vient de naître parce qu'ils considèrent, que... bon, ils viennent de se découvrir une cause, là? Il y en a, des associations qui ont beaucoup d'histoire, qui ont de la connaissance, qui ont de l'expertise, qui ont de la notoriété.

M. Grenier (Carl): Je pense qu'on peut faire confiance, peut-être, aux gens qui pratiquent encore le métier que vous avez pratiqué longtemps, c'est-à-dire la presse, pour séparer le bon grain de l'ivraie là-dedans. Les gens qui ont déjà fait quelque chose, les gens qui sont connus, les gens qui ont participé à d'autres mouvements, les gens qui ont travaillé, quoi, je pense que ça, c'est... Je ne vois pas là un très grand danger, là, de voir arriver des gens, comme ça, du jour au lendemain, comme un cheveu sur la soupe, là, pour proposer quelque chose qui n'a pas grand bon sens, finalement. Je ne pense pas que ce soit un danger.

Mme St-Pierre: Oui. Enfin... Parce qu'il y en a qui vont vous dire que, dans certains dossiers, puis qu'il y a des assemblées publiques, c'est le même groupe qui se déplace d'une assemblée à l'autre, puis là tout le monde pense que c'est du monde différent, mais c'est le même groupe. Mais c'est juste un commentaire. Évidemment, ça ne touche pas votre organisme puis...

Bien, moi, je suis très contente de vous avoir entendus. Je vous remercie infiniment d'avoir participé à cette consultation. Je ne sais pas s'il y a des collègues qui ont des choses à ajouter ou si vous avez des choses à ajouter, mais je sais que mes collègues d'en face ont certainement des questions intéressantes à poser. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marsan): Alors, merci, Mme la ministre. Et nous poursuivons, et je cède la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications, M. le député de Drummond.

M. Blanchet: Madame, messieurs, intéressante discussion sur la notion de qui doit être consulté, sous quelle forme et jusqu'à quel point on l'oblige. Je porte à votre attention qu'il y a des gens qui trouvent toujours moyen d'être écoutés. Ça passe direct. C'est les gros développeurs économiques, c'est les créateurs d'emplois. Ils ont le numéro de téléphone du maire, ça rentre direct. Ou, même, dans des plus grosses collectivités, il y a un débat, à Trois-Rivières, sur la centrale de Gentilly, ce n'est pas long qu'apparaît dans le journal le regroupement des gens d'affaires qui veulent qu'elle reste ouverte. Ce sont des organisations riches et permanentes qui sont capables d'intervenir. Et, si, effectivement, on ne prévoit pas une voie pour des organisations moins proéminentes, il y a un risque qu'elles ne soient ultimement pas entendues. Ça fait que, puisque tout le monde peut se rendre... bien, un peu comme modèle ici, bien, des individus peuvent venir en commission parlementaire, des associations peuvent venir en commission parlementaire, des associations d'entreprises peuvent venir en commission parlementaire, et ultimement c'est peut-être sage qu'il en soit ainsi.

Je voulais vous parler d'un projet. Il y a un projet de barrage sur la rivière Jacques-Cartier, à hauteur de Shannon, à l'heure actuelle. Dans votre volonté de protéger les paysages, que vous décrivez de façon éloquente, est-ce que c'est une préoccupation?

M. Grenier (Carl): Oui, bien sûr que c'est une préoccupation, mais le lieu du barrage, évidemment, n'est pas dans les limites de notre municipalité, c'est plus en aval, là où il y a déjà eu, d'ailleurs, un barrage pendant plusieurs décennies. Je pense que l'un et l'autre, Gilles Gaboury et moi, pouvons en parler un peu mais pas au nom de l'association, ce n'est pas notre mandat. Sauf qu'on fait tous les deux partie du Conseil de bassin de la Jacques-Cartier et donc on a été interpellés au premier chef, en fait, là-dessus.

La préoccupation du paysage est une préoccupation du Conseil de bassin, déjà, en fait, et donc ces préoccupations-là figurent dans les tenants et les aboutissants qui déterminent, là... qui sont en train de déterminer effectivement la position de la Corporation de bassin sur ce projet-là. Mais, écoutez, ça me gêne un peu, là, de parler de cette position-là puisqu'on n'est pas ici pour représenter le Conseil de bassin.

M. Blanchet: Tout à fait d'accord. Vous avez mis le doigt sur un aspect fort important dès votre première phrase. Vous avez dit: On ne peut pas trop commenter parce que, d'emblée, ce n'est pas notre municipalité. D'emblée, la loi établit qu'un paysage patrimonial va toucher plusieurs municipalités et qu'il faut aller chercher l'unanimité d'entre elles. Donc, l'enjeu d'où est-ce que c'est situé, quoi que ce soit qui va affecter le paysage fait appel à plusieurs municipalités.

Avant de revenir à ça, parce que je pense que la tentation sera trop forte, vous parlez de ressources insuffisantes. Évidemment, éventuellement, entre nous, ça devient redondant, parce que le sujet revient. Bon, pour ma part, j'insiste beaucoup parce que ça me semble important que les ressources sont insuffisantes. J'aimerais que vous les qualifiiez. Est-ce qu'on parle davantage de ressources humaines, d'expertises précises, de ressources financières, toutes ces réponses sont bonnes?

Mme Darveau (Agathe): ...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Grenier (Carl): Exactement. Je pense que vous avez presque donné la réponse avec votre question. J'ai fait allusion tantôt, et on l'a mentionné dans notre mémoire, au long processus qui nous mène à la désignation d'un patrimoine... d'un site paysager, d'un patrimoine qui va figurer au registre, et là vous avez franchement... et ça, c'est dans la section III, les articles 17 à 21, c'est très compliqué, finalement, et on comprend pourquoi. C'est parce que c'est très engageant, en fait, de désigner un paysage. C'est assez large, ce n'est pas un édifice, ce n'est pas un simple lieu, là, bien précis, c'est vraiment une aire qui peut être assez vaste. Notamment dans le cas de la vallée de la Jacques-Cartier, ça peut couvrir six, sept municipalités, en fait. Donc, c'est important.

Alors, on n'est pas gênés par ce long processus. On est en train de commencer ce long processus. On s'inspire des expériences qu'on a vécues ailleurs, mais c'est clair que, s'il n'y a pas, par exemple, un simple programme de subventionnement des jeunes universitaires, qui ont l'expertise dans la caractérisation des paysages, par exemple... Hein, il n'y en a pas des tonnes à Québec, là, au Québec. Eh bien, on a vécu l'expérience l'an dernier. On a fait toute une démarche avec l'Université Laval et puis finalement, bien, justement, on s'est adressés à la municipalité. C'était l'organisme le plus près de nous dans ce cas-là et puis, bon, bien, ils n'ont pas trouvé les quelques milliers de dollars, là -- on ne parle pas de beaucoup, là, on parle de 2 000 $ ou 3 000 $ -- pour littéralement permettre à un étudiant de venir passer quelques semaines chez nous pour commencer ce processus-là.

Alors là, il y a certainement besoin, et on comprend, là, que ce n'est peut-être pas dans le projet de loi lui-même qu'on va retrouver ça. Certains d'entre nous ont une certaine expérience aussi de l'administration publique, on sait qu'il y a des processus budgétaires, et tout ça. Mais, si on ne prévoit pas déjà, dans l'esprit des concepteurs de cette loi-là, ce type de programme là, eh bien, ça va être très, très difficile, pour des organismes comme nous et aussi pour les organismes de représentation... d'élus, en fait, les municipalités, les petites municipalités notamment, ça va être très, très difficile de s'insérer dans ce que vous avez conçu comme processus.

M. Blanchet: Votre réponse amène encore ma question suivante. Si la municipalité a le choix de s'inscrire dans le processus de désignation du paysage comme étant un paysage patrimonial et, compte tenu du fait qu'il n'y a pas, d'emblée, de ressource attachée avec ça, le fera-t-elle ou va-t-elle juste dire: Non, je passe mon tour là-dessus; continuez à militer?

**(21 h 10)**

M. Grenier (Carl): Bien, je pense qu'on va faire face à une situation très, très bien connue, c'est-à-dire qu'il va falloir que les gens déterminent des priorités, hein: quoi faire avec l'argent des contribuables? Et donc, bien, c'est sûr qu'à ce moment-là c'est un petit peu difficile.

D'ailleurs, c'est un peu pour ça qu'on a mentionné dans le mémoire qu'on pense qu'on devrait laisser l'aspect structurel, là, le fameux conseil local du patrimoine, là, un peu plus relâché. On vous a signalé -- vous avez sans doute entendu parler de ça dans les divers témoignages -- que, dans d'autres régions, il y a déjà eu des réalisations, là, très, très intéressantes en l'absence de ces mécanismes-là, hein, et, dans au moins trois régions avec lesquelles on a eu des contacts, nous, c'est des façons différentes qui ont été employées.

Je vous les cite, là, rapidement: la région Nord-des-Laurentides, c'est le conseil régional de l'environnement qui a pris le pôle, comme on dit, et qui a servi de base aux MRC de la région pour travailler sur la problématique des paysages. Dans la région de l'Estrie, autre mécanisme complètement, c'est le Comité du patrimoine paysager estrien. C'est un organisme dédié spécifiquement à ça qui a regroupé une quinzaine d'organismes régionaux et locaux qui ont parti le bal, si on veut, et qui ont éventuellement débouché sur une charte du paysage et qui ont fait une oeuvre très, très intéressante. Et ils ont été cherché le financement où est-ce qu'ils pouvaient le trouver, notamment Hydro-Québec, l'UPA, la fondation de l'environnement, et des choses comme ça.

Et, plus près de nous et plus récemment, eh bien, le gros effort qui est en train, là, de se faire sur la Côte-de-Beaupré et dans Charlevoix, où le... c'est la conférence régionale des élus, finalement, qui a pris le leadership, et là, bien, on a obtenu une enveloppe financière de quelque chose comme un-demi million de dollars pour lancer une opération d'envergure, en fait. Alors, vous voyez, là, trois expériences très, très différentes, mais qui toutes tendent à la reconnaissance d'un paysage et à sa préservation et à son développement.

M. Blanchet: Vous envisagez... Vous touchez différents aspects ou différents enjeux qui pourraient affecter le paysage, dont la gestion de la ressource forestière. Vous avez parlé de ça.

Une voix: Oui.

M. Blanchet: Bon. J'en déduis qu'il y ait possiblement plusieurs municipalités de touchées, ce n'est pas seulement une municipalité, ça peut toucher plusieurs municipalités.

Le Président (M. Marsan): Je pense que, M. Gaboury, vous voulez intervenir?

M. Gaboury (Gilles): Bien, je... complétez votre question, je pourrai...

M. Blanchet: Bien, en fait, je voulais savoir si vous pensez imaginable qu'il y ait non seulement un consensus, mais une... unanimité, dis-je bien -- il est tard -- une unanimité quant à l'enjeu, de telle sorte, comme la loi, dans son libellé actuel, le demande, que toutes les municipalités touchées soient d'accord pour qu'un paysage soit déclaré patrimonial.

M. Gaboury (Gilles): Je ne répondrai pas tout de suite à votre question, mais j'aimerais cadrer tout de même l'amorce de notre initiative par rapport à ce qui se passe dans d'autres régions. Dans d'autres régions, ça relevait... des actions de protection de paysages relevaient de MRC, de conférences régionales des élus, c'était à l'échelle beaucoup plus globale.

Nous, à Tewkesbury, on a un territoire, le Hameau de Tewkesbury, qui présente un intérêt que tout le monde reconnaît aussi, puis on regarde ce qui se passe au pourtour de Tewkesbury, le type de développement qu'on a, on se dit: Il ne faudrait pas que, chez nous, ça vienne se faire de la même façon. Et c'est ce qui motive notre intérêt par rapport aux paysages et nos petites actions à l'échelle de notre hameau d'abord, puis après ça municipalité, puis après ça on se met à regarder qu'est-ce qui se passe ailleurs. Puis on regarde quelles sont les expertises qui peuvent nous être apportées pour pouvoir faire un travail qui progresse et puis qui peut aller à l'échelle de la MRC aussi. Si on parle de préserver la vallée de la Jacques-Cartier, bien sûr que ça touche plusieurs municipalités.

Notre action, c'est de sensibiliser puis d'amener les gens à se prêter à l'exercice qu'est... Parce que, tant que les gens ne se sentent pas menacés immédiatement, ils n'embarquent pas. Mais là, nous, on a quelque chose qui est intéressant à préserver puis on se dit: Il faudrait que ça se poursuive comme c'est parti là. Ce n'est pas qu'on est devant une menace immédiate, on la sent venir avec le temps. Les règlements actuellement sont intéressants, mais les règlements, ça se change. Pour nous, une charte des paysages, ça vient consacrer un territoire, et puis ça passe au-delà des règlements, je pense. Et puis évidemment le projet de loi qui nous est présenté là vient mettre quand même un décret au bout d'un territoire.

Je laisse Carl, qui va poursuivre par rapport à la coupe forestière, parce qu'il a travaillé sur le dossier.

M. Grenier (Carl): On s'est impliqués beaucoup justement dans le renouvellement du règlement forestier de la municipalité il y a quelques années. Et je ne sais pas si c'est prévu dans vos procédures, mais il y a une illustration ici, dans un petit fascicule qu'on a produit il y a cinq ans pour le cent cinquantenaire de la paroisse de Tewkesbury, en fait, et il y a des photos là-dedans, surtout dans la page frontispice, là... Il y a deux photos du paysage que vous avez lorsque vous entrez dans la vallée de la Jacques-Cartier, une prise en 1945 et l'autre prise en 2005, qui était l'année du cent cinquantenaire.

Et ça vous dit tout de suite, là, le genre d'évolution qu'un paysage peut subir -- sans qu'il y ait de développement à outrance, là, ce n'est pas la question. C'est que, là, c'est l'agriculture, c'est-à-dire l'élevage qui a pratiquement disparu de la vallée. Alors, immédiatement, la forêt est revenue, donc d'où notre intérêt évidemment pour le règlement forestier, parce que quelqu'un qui fait une coupe abusive... Parce qu'on en a... on avait déjà un règlement forestier avant ça et on avait un règlement forestier depuis une douzaine d'années, mais c'est très difficile pour les municipalités de le faire respecter, hein? Par exemple, on ne peut pas faire une coupe à blanc, il ne faut pas couper plus que 30 % des tiges à l'hectare, des choses comme ça. Sauf que couper, là, couper une terre, là, ça se fait très rapidement. Il n'y a pas d'ingénieur forestier à la municipalité, il y en a un à la MRC, mais la MRC, elle est à Sainte-Catherine, en fait, elle est à Shannon. Donc, avant qu'on fasse appel à ces gens-là, c'est trop tard. Et là on est pris avec une cicatrice dans le paysage qui va prendre 30 à 40 ans à disparaître, en fait, hein? Alors, c'est pour ça que c'est... notre souci, là, envers le peu de ressources des municipalités est tout à fait réel.

M. Blanchet: Je vous remercie infiniment.

M. Grenier (Carl): Je pourrais faire circuler ça, monsieur, j'en ai une copie pour chacun d'entre vous si vous voulez regarder ça.

Le Président (M. Marsan): D'accord, je vous remercie. Mme Darveau, M. Gaboury, M. Grenier, merci pour nous avoir présenté le point de vue de l'Association des citoyens et citoyennes de Tewkesbury sur le projet de loi n° 82.

Je lève maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux au mercredi 30 mars, à 15 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau. Merci et bon retour. Soyez prudents.

(Fin de la séance à 21 h 16)

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