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Version finale

39th Legislature, 1st Session
(January 13, 2009 au February 22, 2011)

Wednesday, February 2, 2011 - Vol. 41 N° 48

Mandat d'initiative - La modernisation des dispositions anti-briseurs de grève prévues au Code du travail


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures quarante minutes)

Le Président (M. Ouimet): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Bon matin à tous et à toutes. Je constate le quorum et je déclare la séance de la Commission de l'économie et du travail ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Le mandat de la commission est de tenir des auditions publiques dans le cadre de consultations particulières sur le mandat d'initiative concernant la modernisation des dispositions antibriseurs de grève prévues au Code du travail.

M. le secrétaire, avons-nous des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Deltell (Chauveau) est remplacé par M. Bonnardel (Shefford).

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, aujourd'hui, nous entendrons, à 9 h 30, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec; à 10 h 30, Me Gilles Trudeau; à 13 h 45, M. Alain Barré; 14 h 30, M. Gregor Murray; 15 h 15, la Centrale des syndicats démocratiques; à 16 heures, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Et nous procéderons aux remarques finales autour de 16 h 45.

À la demande des dirigeants de ruefrontenac.com, nous allons distribuer le journal qu'ils ont publié hier à partir d'une chambre d'hôtel, de l'hôtel Loews, ici, à Québec, donc.

Une voix: ...nous avons visités.

Le Président (M. Ouimet): Et que nous avons visités, d'ailleurs. Moi, je l'ai fait. Bien.

Auditions (suite)

Alors, je demande maintenant aux représentants de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec de bien vouloir prendre place à la table des témoins. Alors, M. Brian Myles, vous êtes le président de la fédération, bienvenue parmi nous. Auriez-vous la gentillesse de nous présenter la personne qui vous accompagne?

Fédération professionnelle des
journalistes du Québec (FPJQ)

M. Myles (Brian): Oui. C'est Claude Robillard, qui est le secrétaire général de la FPJQ.

Le Président (M. Ouimet): Très bien. Alors, vous disposez d'un temps de parole de 15 minutes, après quoi nous procéderons à un échange avec vous.

M. Myles (Brian): Excellent. Merci beaucoup. Quelques mots d'abord sur la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. C'est un regroupement non syndical et à adhésion volontaire de 2 000 membres, qui représente la diversité du milieu journalistique québécois. Fondée en 1969, la fédération assure la défense des droits et des intérêts des journalistes, la liberté de presse et le droit du public à l'information.

Nous n'avons pas le mandat ni la compétence pour intervenir sur les questions reliées au droit du travail, mais, au fil des ans, nous sommes intervenus régulièrement sur toutes les tribunes, y compris dans des commissions parlementaires, afin de freiner la concentration de la presse écrite et électronique. En 1973, la FPJQ s'est opposée à l'achat du Soleil par Gesca et, en 1986, à l'achat de TVA par le même groupe. En 2001, nous étions contre l'acquisition de TVA par Quebecor et nous l'avons fait valoir devant le CRTC et à une commission parlementaire.

Pourquoi vous parler de tout ça aujourd'hui, rappeler à votre mémoire ces combats, à plus forte raison dans une commission dont l'enjeu est la modernisation du code du travail? Parce qu'à notre avis la concentration de la presse est la principale raison qui explique la durée exceptionnelle du conflit au Journal de Montréal. Pour aller droit au but, la FPJQ croit que la commission ne peut discuter de la notion d'établissement contenue dans le code sans prendre en considération la concentration de la presse.

On ne s'est jamais empêchés, historiquement, de se prononcer sur des enjeux professionnels qui peuvent survenir à l'intérieur d'une négociation, même si notre mandat, à la FPJQ, n'est pas de négocier à la place des parties en présence. Et nous intervenons sur des clauses dites professionnelles dans un souci de préserver les valeurs fondamentales que sont la qualité et la diversité de l'information.

Alors, notre but, aujourd'hui, c'est simplement de vous renseigner sur les transformations exponentielles que l'industrie des médias de masse a vécues au fil des ans et vous informer sur les conditions actuelles de production, dont vous avez pu avoir une idée en recevant, ce matin, le journal Rue Frontenac, afin d'orienter ultimement votre réflexion sur les questions à l'étude.

Pour la FPJQ, ce n'est pas seulement le concept de télétravail ou de lieu physique de l'emploi qui sont en jeu, mais aussi la convergence entre plusieurs groupes de presse... entre plusieurs médias, pardon, appartenant au même groupe de presse et la fameuse recirculation des contenus entre ces entités.

Dans les conditions actuelles du marché, un établissement médiatique consiste, dans certains cas, en un simple rouage d'un système beaucoup plus grand. Cette réalité affecte grandement l'équilibre dans le rapport de force dont le législateur était si préoccupé lors de l'adoption du Code du travail et des dispositions antibriseurs de grève. La rupture de cet équilibre entraîne des conséquences négatives sur le droit du public à l'information, qui est l'un des champs d'intervention de la fédération.

Alors, quelques mots sur les choses et leur évolution. En 1977, lors de l'incorporation des dispositions antibriseurs de grève, le principal outil de travail d'un journaliste, c'était le téléphone, un appareil à roulette muni d'un fil, qui servait à placer et recevoir des appels. La liberté de mouvement d'un journaliste au téléphone était proportionnelle à la longueur du fil.

Toujours en 1977, l'Internet était une obscure invention. La convergence ne faisait pas partie du vocabulaire, et les contraintes liées à la production d'un journal écrit, radio ou télévisé, étaient telles qu'il fallait rivaliser d'audace et de débrouillardise pour acheminer ses reportages au pupitre. À l'écrit, les journalistes dactylographiaient leurs textes sur place, sinon ils les dictaient au téléphone à des copistes. Les photographes disposaient d'une chambre noire et, sur la route, ils devaient s'en improviser une, souvent dans des garde-robes. Les journalistes de la presse écrite couraient jusqu'à leur média avec des bandes que l'on devait monter en vue de la diffusion d'un reportage. On engageait même des courriers à moto, qui étaient les plus rapides, pour aller chercher les bandes à l'aéroport. Nous vivions donc les grandeurs et surtout les misères d'une culture analogique dans laquelle la conservation de l'information, qu'elle soit écrite, radiophonique ou télévisuelle, nécessitait l'usage d'un support matériel.

Avec autant de contraintes techniques lourdes, le journaliste devait se rapporter en personne à la salle de rédaction presque chaque jour. Cette loi convenait parfaitement à une situation qui n'était pas différente dans les médias que celle qu'on retrouvait dans une usine de fabrication de chaussures. Il fallait être sur les lieux physiquement pour faire un journal ou faire un téléjournal.

Et, quand une grève éclatait -- et, vous allez vous en rappeler, il y en a eu des très dures -- les médias cessaient de paraître. Et d'ailleurs Le Journal de Montréal est né en 1964, en très peu de temps, au profit d'un arrêt de travail à La Presse. On pourrait donc dire, non sans ironie, que l'arrêt provisoire des activités d'un journal à cette époque a favorisé la diversité des médias en donnant le coup de pouce nécessaire à l'essor du navire amiral de Quebecor.

2011, maintenant. Nous découvrons un peu plus chaque jour le plein potentiel de cette fameuse révolution numérique et nous vivons la dématérialisation du travail. Au creux de ma main, ici, j'ai une boîte de courriels, j'ai une connexion Internet, j'ai des outils de travail -- j'ai téléchargé un dictionnaire, hier, cherchant l'accord de certains mots pour mon mémoire -- un carnet d'adresses et sans oublier un téléphone. Je pourrais très bien couvrir les audiences ici, aujourd'hui, avec ce iPhone, pour Le Devoir, acheminer un texte complet et ne pas être forcé de remettre les pieds au bureau de la journée. Grâce aux connexions sans fil, aux téléphones cellulaires et aux camions micro-ondes, le journalisme est devenu une activité sans barrière ni frontière.

Même en supposant, maintenant, que le Code du travail soit modernisé pour tenir compte de ce contexte, Quebecor pourrait encore se passer de ses journalistes pour faire la production du journal. Le contenu des nombreux médias de Quebecor, qui contrôle 35 % de l'information au Québec, sera toujours utilisé sans aucune limite dans les pages du journal. L'Agence QMI a atteint sa pleine vitesse durant le lock-out. Elle joue à la fois un rôle de producteur de contenu original et d'agrégateur des contenus produits par les multiples filiales de Quebecor. Et les pages du journal peuvent être remplies à rabais et de façon parfaitement légale. C'est donc dire qu'en misant sur une stratégie de convergence tous azimuts Quebecor peut tout simplement ignorer ses journalistes et poursuivre ses affaires.

Ce phénomène, ce fameux phénomène de la convergence, par lequel les grands groupes de presse créent des agences internes et font recirculer leurs contenus, malheureusement c'est là pour rester dans le monde des médias. On le voit à la radio, Astral et Corus ont un logiciel qui leur permet de partager tout leur matériel non pas entre eux, mais à l'intérieur de chacun des groupes. Donc, une station qui est au Saguenay peut utiliser le contenu qui a été produit à Winnipeg, et vice versa. Et c'est une banque inépuisable de reportages. Cogeco a l'intention de faire la même chose. Radio-Canada a procédé à la fusion de ses composantes radio, télé et Internet, qui sont maintenant regroupées au sein du Centre de l'information. Et, dans les sept quotidiens de Gesca, on permet aussi le partage de l'information, notamment des chroniqueurs, selon des balises qui ont par contre fait l'objet de négociations au préalable.

**(9 h 50)**

Donc, la logique de la convergence s'exprime avec plus ou moins d'intensité dans tous les groupes de presse, mais Quebecor l'a poussée plus loin que n'importe quel autre groupe en impliquant un nombre sans précédent de médias de toutes sortes. Le modèle de QMI est nettement plus centralisé que celui d'Astral ou des autres groupes dont je vous ai parlé. QMI permet la recirculation de l'information entre les filiales de Quebecor, incluant la chaîne Sun Media au Canada anglais, et produit elle-même une certaine quantité d'information. Il y a même des réunions de cadres -- et ceux du Journal de Montréal n'y participent pas, par contre -- et ces réunions de cadres permettent de diriger des couvertures journalistiques et d'assurer un partage du travail entre les différents médias de Quebecor.

Un média qui appartient à un grand groupe de presse peut être si radicalement imbriqué dans un ensemble qui lui fournit du contenu qu'on peut difficilement le considérer comme un établissement au sens de la loi antibriseurs de grève. En conséquence, un petit nombre d'individus, tels que les cadres, au Journal, peuvent suffire à produire un journal en toute légalité, avec un contenu spécifique minimal, tout le reste provenant des autres entités du groupe de presse, de l'Agence QMI ou d'autres agences. C'est un système qui fonctionne en parfait équilibre et qui peut durer à l'infini.

Pour conclure, nous voulons attirer votre attention sur les conséquences négatives de ce nouvel environnement pour les journalistes au Québec. Ils perdent une grande partie de leur rapport de force face aux directions des médias concernés. Et une autre conséquence négative, c'est que Quebecor compte sur d'excellents journalistes dans ses filiales, dans ses nombreux médias, et, à leur corps défendant, ils sont entraînés dans ce conflit, car ils n'ont aucune possibilité réelle d'empêcher que leurs reportages soient utilisés dans Le Journal de Montréal.

On ne veut pas aborder ces aspects-là sous l'angle syndical, mais sous celui de la liberté d'information. C'est une question qui concerne toute la société. Le législateur a voulu la loi antibriseurs de grève pour assurer un certain équilibre entre les forces en présence lors d'un conflit de travail. Il avait en tête des questions normales de négociation collective. Il voulait que les deux parties soient fortement incitées à négocier pour en arriver à une entente satisfaisante pour les deux parties. Mais, dans le monde des médias, il y a un autre aspect, qui est tout aussi fondamental, qui entre en ligne de compte, à notre avis, c'est la qualité et la diversité de l'information. Ces valeurs font aussi l'objet de négociations entre les parties.

Et ce serait une erreur de croire que toutes les entreprises de presse veulent nécessairement et toujours chercher la meilleure information possible pour le public. Il y a d'autres préoccupations qui peuvent parasiter notre mission première. Il faut donc un contrepoids à l'intérieur même de ces entreprises pour faire valoir des valeurs journalistiques et empêcher l'appétit commercial d'occuper toute la place. Ce contrepoids, ce sont les journalistes, la plupart du temps regroupés dans des syndicats.

Le syndicalisme a fait son apparition dans les salles de rédaction, au Québec, au milieu des années cinquante et plutôt même vers la fin. Selon l'expression de Michel Roy, il a permis de rendre aux journalistes leur dignité perdue et de donner au métier un caractère professionnel. Pierre Godin, dans son ouvrage La lutte pour l'information, retient, en conclusion, que le syndicalisme a amélioré non seulement les conditions matérielles et professionnelles des journalistes, mais aussi l'information.

Bien sûr, les syndicats n'ont pas tous les mérites dans ce combat. Ils ont pu compter sur l'appui de rédacteurs en chef et de directeurs de l'information qui étaient dédiés à la poursuite du même but. Mais on doit reconnaître quand même aux syndicats une contribution essentielle dans l'adoption de clauses telles que les politiques d'information dans les médias; la distinction entre les reportages et les publireportages, pour éviter la confusion des genres; les clauses de conscience, qui permettent à un journaliste de refuser de signer un texte s'il a été considérablement modifié; des impositions à la recirculation des textes à l'intérieur d'un même groupe de presse.

Depuis le début du lock-out, Quebecor s'est employé à discréditer les journalistes sur la place publique en étalant leurs salaires et conditions de travail, ce qui a permis de les présenter comme des privilégiés. Mais, ce faisant, on a escamoté un enjeu central du conflit. Est-ce qu'on veut qu'une poignée de dirigeants d'un immense empire de presse puisse dicter sans contrepoids la couverture de l'actualité qui sera faite dans ses nombreux médias?

La professionnalisation du journalisme comme activité devant servir uniquement l'intérêt public et non les intérêts du propriétaire d'un média a été le fait d'une saine tension créatrice entre les forces en présence. Je me souviens des paroles de Jean-Louis Gagnon, pas personnellement, mais par le truchement de livres d'histoire, parce que Jean-Louis Gagnon était chef de la rédaction de La Presse à la fin des années cinquante, je n'y étais pas. Mais il disait que, dans un contexte de multiplicité des médias, le propriétaire d'une média avait «le droit exclusif d'orienter le journal dans le sens [qu'il] l'entend».

Mais, jusqu'en 1965 il y avait 14 propriétaires différents pour les 14 quotidiens, au Québec. Et, pour Gagnon et bien d'autres journalistes de cette époque qui précédait la première vague de la concentration de la presse, la présence de plusieurs journaux rendait possible la liberté d'expression du journaliste. S'il n'était pas content, il pouvait toujours aller ailleurs. Mais qu'en est-il quand le propriétaire contrôle 35 % de l'information au Québec, comme c'est le cas avec Quebecor? Est-ce qu'il n'y a pas là un danger considérable qui devrait nous forcer à revisiter les croyances communément admises?

Le lock-out démontre que la concentration de la presse et la convergence ont détruit l'équilibre entre les parties et que la loi antibriseurs de grève, obsolète, n'est plus en mesure d'assurer la défense de l'intérêt public dans le sens que nous l'entendons. La modernisation de la loi pourrait servir d'instrument pour favoriser la diversité de l'information et pour assurer qu'en cas de conflit les journalistes ne soient pas réduits à l'impuissance sur des questions de clauses professionnelles qui nous sont chères, à la FPJQ. Nous ne sommes pas des spécialiste du code, je vous l'ai dit, mais il nous apparaît très clair que la notion d'établissement, dans ce contexte de haute technologie et de conglomérats médiatiques pleinement intégrés, bien, ne veut plus rien dire.

En conclusion, on constate que le mandat est large. La question déborde largement du Code du travail. Et nous vous invitons, parmi vos recommandations, à suggérer la tenue d'une nouvelle commission parlementaire sur la concentration de la presse. La dernière a eu lieu en 2001, et 10 ans, dans un contexte d'effervescence tel qu'on le connaît dans le monde de l'information, c'est une éternité. La donne a radicalement changé, et nous estimons qu'il n'est pas trop tôt pour se pencher à nouveau sur la concentration et ses effets. Et c'était d'ailleurs le sens d'une résolution unanime que la FPJQ a adoptée en assemblée générale, lors de son dernier congrès, en novembre dernier. Merci beaucoup.

Le Président (M. Ouimet): Alors, merci à vous, M. Myles, pour la présentation de ce mémoire fort intéressant. Juste un commentaire sur la question de la concentration de la presse. Le vice-président et moi, en comité directeur, avons eu plusieurs échanges à savoir si on devait l'inclure dans le document d'information ou pas. Au début, la réponse était oui, et par la suite, pour toutes sortes de raisons, on a décidé de le retirer. Mais, grâce à votre mémoire, je pense que vous établissez bien le lien entre la concentration de la presse et la question des mesures antibriseurs de grève.

Si j'interprète bien, la façon que je vois les choses... Parce que souvent on oublie que, dans le cadre d'une négociation entre un journaliste et le média d'information, au-delà des questions de rémunération, d'avantages sociaux et de conditions de travail, il y a toute la protection que vous accordez à la diversité de l'information et à la qualité de l'information. Donc, si j'interprète bien votre mémoire, dans le fond, si on modernise les dispositions antibriseurs de grève, on vient accorder, dans le fond, un meilleur rapport de force et un meilleur équilibre aux journalistes dans leurs négociations, ce qui leur permet, au-delà des questions de conditions de travail, dans leurs négociations, de s'attaquer également à la qualité et à la diversité de l'information.

**(10 heures)**

M. Myles (Brian): Tout à fait. Vous avez très bien compris le sens de notre mémoire. Et d'ailleurs j'ai pu écouter ou lire les transcriptions, hier, des audiences. Plusieurs groupes sont venus dire que le rapport de force avait été brisé à l'avantage des syndicats. Écoutez, peut-être que, dans d'autres secteurs, la réalité est vécue différemment, mais je peux vous dire que, dans l'industrie des médias, ce rapport de force là, il a été brisé mais qu'il défavorise largement les journalistes, comme en témoignent les lock-out pénibles et douloureux, non seulement du Journal de Montréal, mais celui du Journal de Québec au préalable.

Et, plus le groupe a une stratégie de convergence, plus sa capacité de contourner le problème d'une mise à pied des travailleurs est grande, là. On peut très bien s'imaginer que d'autres groupes pourraient faire la même chose, utiliser la même stratégie. Alors, par conséquent, ce rapport de force là, il est inexistant ou il devient très faible.

Et vous avez raison de souligner la question des clauses professionnelles. Les clauses, pour nous, à la FPJQ, c'est central, tu sais. Distinguer un reportage d'un publireportage, c'est fondamental.

En ce moment, Mme Payette a soumis un rapport qui est très intéressant -- elle présidait le Groupe de travail sur le journalisme et l'avenir de l'information -- où elle recommande la création d'un titre professionnel pour les journalistes, titre dans lequel on prendrait un engagement à respecter l'éthique et la déontologie. On l'exige déjà de nos membres. On demande un engagement moral de respecter le guide. Ce guide a des obligations de rigueur, d'impartialité et toutes sortes de dispositions qui favorisent la pluralité de l'information puis la qualité de l'information. Et chaque négociation a des enjeux de qualité, a des clauses professionnelles en...

D'ailleurs, au Journal de Montréal, ce qu'on a su, quand les ententes de principe ont avorté l'automne dernier, c'est que la question du droit d'un journaliste de signer ou de ne pas signer son texte faisait partie des points en litige ou en discussion. C'est fondamental, si un rédacteur en chef ou un directeur de l'information modifie un texte, élimine des paragraphes ou enlève la version d'une partie, pour des questions d'espace ou parce qu'il n'aime pas le contenu, c'est fondamental qu'un journaliste puisse dire: Écoutez, moi, je ne mettrai mon nom sur ce papier qui n'est plus le mien.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci. Alors, je vais ouvrir... poursuivre les échanges avec M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Merci, M. le Président. Alors, je veux d'abord vous remercier de votre présence ce matin, de votre présentation. Je veux demeurer quelques instants, quelques minutes sur le sentier de la concentration de la presse au Québec. Vous en parlez beaucoup, dans votre mémoire, comme étant, enfin, responsable des impacts concernant les relations de travail, des dispositions du code entourant les antibriseurs de grève.

Vous écrivez, à la page 6 de votre mémoire, et vous me permettrez de le citer rapidement: «Ce rapide survol démontre qu'un média qui appartient à un grand groupe de presse peut être si radicalement imbriqué dans un ensemble qui lui fournit du contenu qu'on peut difficilement le considérer comme un "établissement" au sens de la loi antibriseurs de grève.»

Un peu plus loin, vous ajoutez: «La concentration de la presse donne à ce groupe de si vastes propriétés qu'il peut choisir de vivre en autarcie.» Et, ce faisant, en quelque sorte, vous placez la concentration de la presse au Québec comme grand responsable du lock-out. J'aimerais que vous nous expliquiez clairement le lien cause à effet que vous établissez dans votre mémoire, que vous alliez plus loin, en fait, là-dessus, dans un premier temps. Puis je voudrais aussi que vous nous parliez des solutions concernant cette problématique-là.

M. Myles (Brian): Bien, écoutez, c'est tout simple, hein? Hier, certaines parties vous ont amené des données, des pourcentages, le pourcentage des agences de presse dans Le Journal de Montréal avant le conflit, pendant et au fur et à mesure que Quebecor remportait des gains devant les tribunaux dans les multiples batailles qui les ont opposés sur des questions de briseurs de grève, et on constate que le poids de QMI est devenu très, très important. Et donc les cadres au journal ne produisent qu'à peu près 15 % de l'information. Tout le reste vient des agences, vient principalement de QMI ou d'autres agences, comme l'Agence France-Presse, Reuters, etc.

Alors, QMI, qu'est-ce que c'est? QMI, c'est la réutilisation de tout le contenu produit dans toutes les filiales de Quebecor. Il y a du contenu original qui se fait chez QMI. QMI nous révèlent parfois des nouvelles, font des enquêtes, mais à la base c'est un pipeline qui sert à canaliser de l'information. Vous prenez les multiples antennes de Quebecor, dans les hebdos, Le Journal de Québec, TVA, Canal Argent, tout ça s'en va dans l'entonnoir QMI, ressort au bout d'un tuyau, prêt à être utilisé, prêt à être mis dans Le Journal de Montréal. Alors, c'est justement parce que Quebecor contrôle un pan très important de l'information au Québec qu'il peut avoir accès au contenu. Et l'établissement, dans ce cas-là, qu'est-ce que c'est, l'établissement? Est-ce que c'est Le Journal de Montréal ou c'est Quebecor Média? C'est ça, la question qu'on doit se poser. Les groupes sont pleinement intégrés.

M. D'Amour: Alors, les solutions à ça, M. Myles?

M. Myles (Brian): Bien, les solutions... On est toujours prudents, à la FPJQ, de se mêler du Code du travail parce qu'on a toujours dit que ce n'était pas notre champ prioritaire d'intervention. Ça peut être désolant d'entendre ça ici, aujourd'hui, pour vous, mais je crois qu'il peut...

M. D'Amour: ...peut-être un peu surprenant, parce que, dans le fond, votre mémoire est basé, là... C'est le sujet.

M. Myles (Brian): Oui. Je crois qu'hier vous avez entendu des très bonnes suggestions. Il y a des façons de faire en sorte que les règles du jeu qui étaient utilisées et la façon de produire un journal avant le lock-out devraient se transposer durant le lock-out. S'il y avait un poids de 15 % d'agences dans l'année précédant le lock-out, il devrait peut-être y avoir un poids de 15 %. Ça pourrait être une avenue.

Il faudrait aussi... La notion d'établissement, écoutez, moi, je vous dis: Enlevez-la du Code, si vous ne voulez pas la moderniser, parce qu'en ce moment il faut pratiquement... c'est une définition qui convient à des chaînes de montage, à des usines, à un contexte industriel. Et on vit dans une économie en migration. On parle toujours du Québec qui vit dans une économie du savoir. L'économie du savoir, c'est à peu près 40 % des emplois, maintenant. Donc, des situations comme celle-là, de travail dématérialisé, ça va se présenter de plus en plus dans l'avenir.

M. D'Amour: Et, si on revient à votre mémoire, vous relatez aussi, à la page 4, qu'auparavant, lorsqu'une grève éclatait dans un média écrit, celui-ci cessait totalement de paraître. Vous citez d'ailleurs l'arrêt de travail à La Presse, en 1964, qui a permis au Journal de Montréal de voir le jour. Lorsqu'un conflit sévit dans un média, est-ce que, selon vous, il devrait carrément arrêter ses activités, qu'il s'agisse... que ce soit d'une grève ou d'un lock-out?

M. Myles (Brian): Le droit au lock-out existe, on ne le remet pas en question. Et, quand on dit que le journal cessait de paraître, c'est que, dans cet environnement-là, à l'époque, les cadres ne suffisaient pas pour produire le journal, ils avaient besoin des journalistes, ils avaient besoin des typographes, qui étaient souvent des journalistes... des syndiqués eux-mêmes. On ne pouvait pas faire un journal juste avec les cadres. Et donc c'est pour ça que ça ne tenait pas puis que les conflits se réglaient beaucoup plus rapidement, même s'il y a eu des grèves qui ont duré plus d'un an ou à peu près. Aujourd'hui, cette réalité-là n'est plus là, ne fait plus partie de la donne. Un nombre minimal de cadres, avec plusieurs agences autour, peut suffire à produire un journal. C'est ça qui a changé.

M. D'Amour: La question: Est-ce que le journal devrait cesser ses activités, que ce soit lors d'une grève ou d'un lock-out, selon vous, clairement?

M. Myles (Brian): Écoutez, si on prend pour acquis qu'il y a un droit au lock-out dans le Code du travail, on ne peut pas exiger qu'un journal ferme ses activités.

Le Président (M. Ouimet): Bien...

M. D'Amour: Merci.

M. Myles (Brian): Le problème, à notre avis, il est ailleurs. Il est dans l'inversion du rapport de force au profit des grands médias, qui ont une stratégie de convergence et qui ont de multiples propriétés. C'est clair que les journalistes sont impuissants. Vous avez des gens... vous avez des présidents de syndicat puis des vice-présidents qui voient leurs textes dans Le Journal de Montréal tous les matins. Pensez-vous que ça leur fait plaisir? Ils n'ont aucun droit de regard, aucun contrôle sur ce qu'on fait.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci, M. le député. Allons du côté de l'opposition officielle, maintenant. M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: Merci, M. le Président. Bien, bonjour, M. Myles, M. Robillard. Merci pour votre mémoire.

D'entrée de jeu, je vous donne un suggestion. Enlevez, dans votre vocabulaire, que vous n'avez pas les compétences pour être capables de nous aider à travailler le Code du travail, car je crois qu'avec la qualité de votre mémoire que vous avez déposé, c'est des gens comme vous, des gens comme nous, c'est tout le monde autour de la table qui va réussir vraiment à regarder... La journée qu'on mettra des lignes claires et écrites, c'est des gens comme vous qui allez analyser ça puis dire: Oui, c'est faisable, non, ce n'est pas faisable, vous avez oublié telle situation. Alors, je crois que vous allez être une partie prenante, vous allez être le bienvenu à travailler avec nous pour s'assurer que n'importe quelle loi que le législateur va mettre dans le Code du travail, s'assurer que ça va être applicable dans votre quotidien. Alors, je ne crois pas du tout que vous ne pouvez pas nous aider là-dedans.

Je comprends très bien, dans votre mémoire, aussi que, pour vous, c'est définitif, la concentration de la presse reste une problématique qui est à revoir. Puis je laisserai peut-être mes collègues revenir là-dessus un peu plus tard. Vous n'êtes pas du tout contre le fait... Bien au contraire, vous définissez que la notion de l'établissement, tout comme qu'on dit dans le projet de loi, doit être revue. Alors, on s'attend à savoir de vous... Vous dites, en priorité, la concentration de la presse, pour vous, ça serait de prioriser cette avenue-là et ensuite aussi de regarder le projet de loi antibriseurs de grève pour bien définir la notion de l'établissement.

Alors, comme vous saviez très bien, ici, aujourd'hui, nous sommes définitivement basés puis entourés de notre projet de loi, alors c'est une porte ouverte pour les discussions. C'est sûr que, nous, on regarde, avec la motion qui été votée à l'unanimité en Chambre... de dire que les parlementaires voulaient absolument qu'on regarde la loi antibriseurs de grève très spécifiquement. Nous sommes ici aujourd'hui pour tenter d'élucider et de trouver des solutions avec les gens. On n'est plus au point de se dire: Est-ce qu'on doit, est-ce qu'on ne doit pas? Notre mandat est clair, c'est de regarder comment qu'on peut améliorer la loi antibriseurs de grève.

Alors, dans l'exercice que nous faisons aujourd'hui, la notion d'établissement, vous êtes d'accord que c'est quand même un premier pas que l'on doit faire pour au moins lancer le débat, tel que nous le faisons depuis hier. J'aimerais vous entendre là-dessus, même si ça ne comble peut-être pas toutes vos exigences pour le moment, mais c'est quand même une ouverture.

**(10 h 10)**

M. Myles (Brian): On dit souvent, en droit, que les lois doivent suivre l'évolution d'une société, que la Constitution canadienne est un arbre vivant qui s'adapte aux nouvelles réalités, sinon on n'aurait pas juridiction sur les nouveaux médias.

Le Président (M. Ouimet): Certains d'entre nous sommes heureux de vous l'entendre dire.

M. Myles (Brian): J'en vois qui grincent un peu des dents.

Le Président (M. Ouimet): J'ai bien dit «certains d'entre nous».

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Myles (Brian): Je ne veux pas me lancer dans un débat sur la place du Québec au Canada. S'il vous plaît, épargnez-moi ce débat.

Mais toujours est-il qu'on dit de la Constitution et des lois que c'est comme un arbre vivant qui s'adapte aux changements, sinon on aurait arrêté de légiférer à l'époque du télégraphe. Et revenez à l'intention du législateur de 1977. Le téléphone cellulaire d'ailleurs a été inventé en 1977 en Illinois. Il n'était pas commercialisé. Les... Donc, revenez à cette époque-là. Faites des recherches sur le contexte dans lequel on a adopté cette loi. Il n'existe pas de telle chose que le travail à la maison. Le travail à la maison, on appelle ça le chômage ou une démission de l'employé.

Donc, la notion d'établissement doit suivre l'évolution de nos pratiques. Et 2011, c'est un contexte qui me surprend chaque jour. Je découvre des outils nouveaux à chaque fois que j'en ai l'occasion. Je vous dis, au Devoir, il n'y a plus de raison d'aller au travail, sinon que pour socialiser avec les collègues, ou les déranger, ou prendre des paris sportifs, parce que je n'ai pas besoin d'y aller.

M. Leclair: Bien, c'est bien. Je vais maintenant passer la parole à mon collègue.

Le Président (M. Ouimet): Alors, M. le député de Verchères.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. On dirait par chez nous: Vous mettez le doigt sur le bobo, dans ce sens qu'il ne faut pas penser que les parlementaires ne sont pas conscients du fait que la problématique à laquelle on est confrontés présentement touche également le phénomène de la concentration de la presse.

D'ailleurs, le président l'a évoqué, nous avions introduit dans notre document de consultation, au départ, un paragraphe, préparé par le très compétent recherchiste de la commission, un paragraphe qui faisait état de la situation. Pour une foule de raisons, nous avons choisi de retirer ce paragraphe. Puis, parmi ces raisons, très brièvement exposées, il y a la question de la compétence de la commission. C'étaient des travaux qui étaient menés par la Commission de la culture. Celle-ci s'était donné un mandat, par rapport à ses responsabilités, sur les dispositions antibriseurs de grève. Ce n'est pas de la compétence de cette commission.

Deuxième raison, évidemment, nous souhaitions avoir les éclairages de nos témoins sur les dispositions antibriseurs de grève et nous souhaitions pouvoir conclure, au terme de nos deux journées de travail, que nous aurions quelques éléments éventuellement à présenter au gouvernement. Nous ne voulions pas que le débat porte sur autre chose. On s'attendait à ce qu'il porte ponctuellement sur autre chose, parce que c'est comme l'éléphant dans la pièce, que personne ne veut voir, là, mais à quelque part nous souhaitions principalement que le débat porte, compte tenu de notre mandat, sur les dispositions antibriseurs de grève.

Et l'autre raison, bien simple, c'est que, si on veut avoir un débat sur la concentration de la presse, il faut avoir tous les joueurs autour de la table et pas simplement qu'un seul joueur. Vous en avez nommé quelques-uns dans votre mémoire: Astral, Corus, Cogeco. Il aurait fallu avoir tout le monde. Or, notre liste de témoins était déjà complétée, puis on avait peur que ça donne lieu à un débat qui soit mal orienté. Et il était peut-être plus approprié que la Commission de la culture, si tel est son désir, fasse le pont sur ce qu'elle a fait il y a un certain nombre d'années puis analyse la question de la concentration de la presse.

Mais évidemment nous sommes très conscients, et le fait que nous ayons introduit ce paragraphe illustre le fait que nous sommes conscients du fait qu'il s'agit là d'une partie importante de la problématique auquel fait face le monde de l'information au Québec. Maintenant, la problématique sur laquelle nous nous penchons, ce n'est pas simplement que le monde de l'information au Québec. C'est les relations de travail dans tous les secteurs, avec comme cas de figure, bien sûr, le cas du Journal de Montréal, mais, on l'évoquait hier, il y a eu celui du Journal de Québec, il y a celui d'Olymel, il y a celui du cimetière Côte-des-Neiges, il y a celui de Sacacomie. Il y a plein de secteurs qui sont touchés par la problématique de la nécessité de moderniser les dispositions du Code du travail concernant les briseurs de grève.

Ma question, fort simple: Par rapport au secteur que vous connaissez bien, puis vous nous avez bien exposé les deux problématiques, est-ce qu'on est en mesure, croyez-vous -- puis je reviens un peu à la question de mon collègue de Beauharnois -- de régler un problème comme celui qu'on vit, par exemple, au Journal de Montréal uniquement en apportant des modifications aux dispositions antibriseurs de grève du Code du travail ou est-ce qu'il faut effectivement que le législateur examine cela sous un angle beaucoup plus large, auquel cas j'imagine que, comme Mme Carbonneau hier, vous voulez vous inscrire tout de suite à la commission?

M. Myles (Brian): Je comprends très bien les limites de votre mandat et votre réflexion, et c'est vrai qu'on ne peut pas faire deux débats en même temps. Nous, ce que nous espérons, à la FPJQ, c'est que ça ne soit que la première de deux commissions ici, aujourd'hui, et on vous invite à réfléchir à cette opportunité dans vos familles politiques respectives.

Maintenant, modifier le code, changer la notion d'établissement, tout dépendamment de ce que vous allez choisir, pourrait être un pas dans la bonne direction. Il faut envisager... Il faut vraiment regarder comment les médias sont produits avant et pendant un conflit pour avoir des poignées, des balises pour rétablir ce rapport de force là. Il ne suffit pas de se pencher juste sur la notion d'établissement puis dire: L'établissement, c'est tous les endroits où peut être produit un journal. Il faut voir la résultante dans le journal. Il faut voir les reportages qui sont mis à l'antenne, qui sont placés dans les journaux. Est-ce qu'ils ressemblent à la situation de statu quo ante ou non? Et là vous allez être capables de voir un peu si c'est vraiment les cadres qui le produisent, le journal, ou si c'est toutes les filiales autour. Parce qu'au départ c'était ça. On disait: O.K., droit au lock-out, mais l'entreprise doit fonctionner avec les cadres en place, on n'a pas le droit aux travailleurs de remplacement. C'est la notion d'établissement et la notion de travailleur de remplacement sur lesquelles vous devez réfléchir en même temps.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, je vais retourner du côté ministériel. Mme la députée de Mégantic-Compton, à vous.

Mme Gonthier: Oui. Bonjour... Merci, M. le Président. Bonjour à vous, merci pour la présentation, qui est fort...

Le Président (M. Ouimet): Excusez-moi, madame. Voulez-vous ajouter...

M. Myles (Brian): J'aurais juste un complément à faire.

Le Président (M. Ouimet): Je m'excuse.

Mme Gonthier: Oh! Excusez-moi.

M. Myles (Brian): Je m'excuse.

Mme Gonthier: Non, allez-y.

M. Myles (Brian): On dit souvent que ça ne concerne que le monde des médias. C'est vrai et c'est faux. J'ai ici une étude, L'économie du savoir au Québec, ministère du Développement économique, 2005. Le poids de l'économie du savoir, c'est 1/5 du PIB en 2003, au Québec. La progression des emplois dans ce domaine-là depuis 1997 est de 30 %. Et là on avait frappé le crash des technos de 2000 quand on a fait cette étude-là. On commençait à récupérer un peu d'entrain. Et, moi, je vous soumets que cette économie-là, où l'actif prend l'ascenseur, où l'actif est ici et où le travail peut être fait n'importe où, va croître considérablement au fil des ans. Alors, ne pensez pas que ça ne concerne que 253 ou quelques personnes au journal. Ça concerne tous les travailleurs qui ultimement vont vivre dans ces conditions-là. L'économie du futur est dématérialisée. Est-ce que le Code du travail va être capable d'en tenir compte?

M. Bergeron: Juste un petit commentaire, M. le Président?

Le Président (M. Ouimet): Pour terminer, oui.

M. Bergeron: Oui, absolument. On est conscients de cela. Ma préoccupation, c'était par rapport à la question de la concentration de la presse, qui évidemment ne touche pas nécessairement les autres secteurs de l'économie. Mais tout à fait conscients de ce que vous nous dites par rapport à la révolution technologique, qui va toucher tous les secteurs de l'économie. C'est déjà le cas, d'ailleurs.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, Mme la députée, maintenant, à vous la parole, et désolé de vous avoir interrompue.

**(10 h 20)**

Mme Gonthier: Merci. Non, bien, pas du tout, pas du tout. Ça a été... c'était intéressant. Écoutez, vous n'avez pas voulu vous prononcer sur la notion d'établissement, mais en même temps vous nous faites le profil de ce qui existait au niveau des communications en 1977. Je trouve ça fort intéressant à lire, d'autant plus que j'étais dans ce monde-là, non pas comme journaliste, mais plutôt comme responsable de salle de presse, je veux dire, dans des événements, particulièrement les événements sportifs. Et vous le décrivez avec beaucoup de... en tout cas, un réalisme sûr et...

Mais, à ce moment-là, la notion d'établissement pouvait déjà se poser. Les journalistes, là, soyons honnêtes, en 1977, si on organisait des salles de presse... Et, vous avez raison, il fallait organiser des chambres noires. On transmettait des textes par bélinographe à raison de trois à six minutes par page. Alors, je peux vous dire que le personnel qui coordonnait des salles de presse travaillait très tard. Les heures de tombée avaient changé.

Donc, finalement, ce que je veux dire, c'est que, la notion d'établissement, les journalistes, par définition, ont toujours été appelés, particulièrement dans le secteur sportif, à travailler à l'extérieur des salles de presse. Le domaine sportif est peut-être l'exemple le plus patent, à cette époque-là. Alors, les technologies sont venues faciliter le travail. Moi, je me souviens d'une salle de presse, entre autres, où un journaliste de la Gazette avait peine, avec son nouveau P.C... Il s'ennuyait de son Underwood, je peux vous le dire, moi. Mais ça, on l'a vécu, ce changement technologique là. Mais la notion d'établissement, elle aurait existé en 1977 aussi. Présentement, on semble focusser là-dessus, mais est-ce que c'est vraiment...

C'est une réalité, c'est vrai, vous avez raison. Votre téléphone, qui est gros comme ça, contient des tonnes... et vous permet de faire les choses avec beaucoup plus de rapidité et beaucoup plus efficacement. Mais déjà en 1977 il y avait des mécanismes qui permettaient... qui étaient lourds, je suis d'accord avec vous, mais qui permettaient... Les Olympiques de 1976, souvenons-nous qu'on a accrédité je ne sais pas combien de milliers de journalistes qui couvraient à travers le monde les Olympiques. Alors, la notion d'établissement, je veux dire, ça existait aussi, ce n'est pas une notion nouvelle, tout d'un coup, avec le phénomène de l'électronique. Alors, c'est une question que je vous pose tout simplement.

M. Myles (Brian): Bien, il y a peut-être deux niveaux d'analyse à faire. Dans un premier temps, c'est qu'être sur la route, à cette époque, c'était l'exception et non la règle. Aujourd'hui, être sur la route ou à distance, c'est pratiquement la règle. Et, d'être obligé d'être à l'extérieur du média, c'était toute une corvée. Et, avant de faire le mémoire, j'ai consulté plusieurs vieux sages -- c'est une façon polie de leur dire qu'ils étaient vieux -- pour leur demander comment ça fonctionnait à l'époque.

Mme Gonthier: ...moi, également.

M. Myles (Brian): Pas du tout...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Myles (Brian): Pas du tout. On parle de... Écoutez...

Le Président (M. Ouimet): Retenez juste la partie «sages».

M. Myles (Brian): ...de travailler. Mais toujours est-il qu'il y a vraiment eu... À cette époque-là, dans le fond, le réflexe, c'était de retourner à la salle de rédaction, ce n'était pas d'être sur la route. Et la salle de rédaction contenait l'essentiel des activités et de la facilité de production. L'équipement lourd nécessaire était là. On finissait toujours par retourner à la salle autant que faire se peut. Alors, oui, il y avait du travail à distance, mais qui se faisait d'une façon beaucoup plus rare. C'était beaucoup moins présent qu'aujourd'hui. C'était fait avec tellement de contraintes qu'on devait le faire par nécessité et non pas par choix. Et il n'y avait pas ce caractère -- vous l'avez dit, ça prenait trois à six minutes, transmettre des pages -- il n'y avait pas ce caractère instantané, cette facilité que nous permettent aujourd'hui les nouvelles technologies de l'information. Alors, à mon avis, on ne peut pas comparer 1977 et 2011 puis dire: Les notions d'établissement étaient là. On ne peut pas penser que le législateur de 1977, avec son téléphone à cadran, avait en tête le téléphone de 2011 et tous les autres accessoires dont on ne parle pas, à commencer par les tablettes numériques.

Mme Gonthier: Bien, je vous ramène à ça. Les gens, quand même, les journalistes, vous êtes d'accord avec moi, étaient sur la route. Il y avait des modes de transmission. Mais c'est sûr et certain aussi que les modes de transmission étaient tellement lourds. Il y a toute la définition des rôles et des fonctions. Alors, effectivement, une salle de presse de l'époque nécessitait beaucoup de personnes, beaucoup de gens. Aujourd'hui, la technologie... Et ça, on le vit dans toutes nos entreprises. Aujourd'hui, une secrétaire, ce n'est pas vrai qu'elle dactylographie des lettres que lui dicte son patron. En général, le patron va... En tout cas, les fonctions ont changé. Alors, en se ramenant à la notion d'établissement, est-ce qu'on n'escamote pas une autre notion qui est différente, qui est la description des tâches, des fonctions, et tout ça?

M. Myles (Brian): À mon avis, c'est deux choses différentes. C'est vrai que les tâches ont évolué. Il y a des métiers qui sont apparus et qui ont disparu dans l'industrie des médias, au XXe siècle. La typographie, pour n'en nommer qu'un seul. Mais ça ne devrait pas être un empêchement à revoir cette notion d'établissement. Et considérez aussi qu'à l'époque un journaliste ne pouvait pas partir avec son bélinographe ou son téléscripteur et n'en avait pas un à la maison. C'étaient des équipements lourds, coûteux, et forcément ils devaient être soit dans le média ou soit dans une des salles de presse dont vous parliez. Aujourd'hui, c'est l'ordinateur chez moi, c'est la connexion sans fil, et tout est réglé. C'est des contextes qui sont radicalement différents. On ne peut pas envisager l'établissement, à notre avis, de 1977 comme celui de 2011.

Mme Gonthier: Merci.

Le Président (M. Ouimet): Merci, Mme la députée. M. le député de Jean-Lesage.

M. Drolet: Merci, M. le Président. Bien, bonjour, bienvenue, ce matin. Écoutez, moi, seulement qu'une brève question qui va compléter un peu mon collègue de Rivière-du-Loup. Parce que tout à l'heure... même dans votre mémoire, vous le mentionnez aussi, que, même en modifiant des mesures aux dispositions de la loi antibriseurs de grève, même à ça, vous avez dit que Quebecor réussirait quand même à pouvoir opérer et à pouvoir réussir à faire ce qu'il fait. J'aimerais ça vous entendre un peu plus là-dessus. Ça va arrêter où, finalement, tu sais?

M. Myles (Brian): Ca va... Écoutez, on sait tous que ce conflit va se terminer là où il a commencé, c'est-à-dire à la table de négociation. Ultimement, c'est une négociation privée. Et vous avez l'opportunité ici de mettre une semence en terre pour l'avenir.

Et, quand je vous dis qu'ils peuvent continuer, c'est justement en raison du poids. Écoutez, Quebecor contrôle, selon les informations qu'on a pu colliger à partir du Conseil de presse, qui lui-même a fait une analyse exhaustive... J'ai un document qu'on pourra vous remettre tout à l'heure. Quebecor, c'est 8 % des quotidiens, au Québec, avec deux quotidiens seulement. Gesca, avec sept quotidiens, a 7 % d'information. La télévision, chez Quebecor, c'est 23 % de l'écoute. La part totale finit par 35 %. Il y a une quantité inépuisable de matériel.

Parce qu'un reportage télé, de nos jours, on va demander au reporter télé de faire une brève, de l'écrire, son reportage, pour alimenter le Web. Et les métiers se sont transformés, et maintenant un bon journaliste est capable de faire un peu de radio, est capable de faire de l'écrit, est capable d'alimenter son site Internet, de faire de la télé. Donc, tous ces contenus-là, ce n'est plus important que ça ait été à la base un reportage radio ou télé, il peut être transformé, il peut être ramené à une forme écrite et réacheminé dans d'autres médias. Des fois, on voit des nouvelles du Journal de Montréal qui se retrouvent dans des hebdos en région. On a vu des cas de nouvelles montréalaises qui se retrouvaient à?

M. Robillard (Claude): À Saint-Jean-Port-Joli.

M. Myles (Brian): À Saint-Jean-Port-Joli.

M. D'Amour: Pouvez-vous répéter? Je n'ai pas entendu...

M. Myles (Brian): C'est arrivé qu'on voie des nouvelles faites dans Le Journal de Montréal puis on les envoie dans un hebdo à Saint-Jean-Port-Joli, un hebdo Quebecor forcément. Donc, cette recirculation, qui n'a pas de limite, permet de poursuivre la stratégie. Il n'y a pas de danger que les cadres s'épuisent, ils ont une banque de matériel qu'ils peuvent utiliser, puis elle se renouvelle tous les jours parce qu'il y a des journalistes très compétents chez Quebecor qui font du très bon travail.

Et ça, c'est l'autre aspect. Il y a une rupture de la paix sociale dans mon métier, en ce moment. Nous, comme fédération, on est interpellés constamment. Nos membres sont des gens civilisés, très calmes dans les circonstances, mais on sait qu'il y a une rupture de la paix sociale. Ce conflit a divisé les journalistes, et on se regarde un peu plus en chiens de faïence qu'auparavant, et je trouve ça très triste pour notre profession. C'est une des conséquences, je dirais, secondaires du conflit.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Je vais aller du côté de l'opposition officielle. Je reviendrai. Merci, M. le député. Alors, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Hier, en commission, j'ai dit d'emblée que je souhaite que les parlementaires à l'Assemblée nationale puissent étudier la question de la concentration de la presse. Je relisais hier le rapport de la Commission de la culture qui a été déposé en 2001, puis, lorsqu'on relit les recommandations... Première des choses, sur les 11 députés qui y siégeaient, un seul est toujours actif maintenant à l'Assemblée nationale. Et, lorsqu'on relit les recommandations du rapport, on peut se questionner à savoir si le mandat d'initiative de la Commission de la culture, par exemple, est le meilleur outil pour aborder une question aussi importante que celle de la concentration de la presse.

Alors, ma première question, c'est: Est-ce que vous pensez que c'est l'outil d'une commission parlementaire par un mandat d'initiative ou, par exemple, de procéder comme le mandat qui a été donné, par exemple, à Mme Payette? Et quels vont être les conséquences d'un tel rapport, croyez-vous? Quelles sont les suites qui seront données à ça?

**(10 h 30)**

M. Myles (Brian): On pourrait très bien envisager une commission, une commission sur la concentration de la presse comme un autre pas dans une même direction, qui vise à encadrer la concentration. Vous savez, on dit toujours, dans notre métier: La pâte à dents est sortie du tube, on ne pourra pas la remettre à l'intérieur. Il y a un état de fait qui est la concentration de la presse. Et les constats qui avaient été faits par le gouvernement du Québec à cette époque, c'était qu'on avait besoin d'une certaine dose de concentration au Québec pour avoir des entreprises, des conglomérats forts. Nous, on ne partageait pas cette lecture et on continue d'être très sceptiques. Donc, une commission parlementaire serait une étape de plus. Et, s'il y a une volonté politique pour faire un groupe de travail similaire à celui de Mme Payette, vous serez assurés de notre collaboration et de notre présence, puis on vous soumettra un mémoire et des arguments. Et, forcément, il faut le faire, parce qu'on regarde les engagements de 2001, ils n'ont pas été respectés.

M. Cloutier: Bien, voilà. Êtes-vous satisfaits des recommandations, du suivi des recommandations, des 14 recommandations du rapport?

M. Myles (Brian): Le rapport sur la...

M. Cloutier: Sur la concentration de la presse.

M. Myles (Brian): De 2001?

M. Cloutier: Il y avait eu plusieurs recommandations, dont une qui porte sur une négociation avec Ottawa pour le rapatriement des pouvoirs en matière de communication, création de poste d'ombudsman, etc., là.

Le Président (M. Ouimet): C'était tentant, M. le député.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cloutier: Bien, vous m'avez ouvert la porte avec votre interprétation du «living tree».

M. Robillard (Claude): Non, mais à cette époque-là, on avait été déçus par les recommandations, qu'on trouvait plutôt molles, mais là on ne s'est pas repenchés là-dessus, puis ce n'est pas le mandat de la commission ici...

M. Cloutier: Je comprends, mais...

M. Robillard (Claude): ...donc on n'est pas revenus à ces recommandations-là. Notre point de vue, c'est de dire: Il y a une concentration de la presse, qu'est-ce qu'il faut faire? Il peut y avoir plusieurs moyens. Vous, vous êtes en train de discuter de la notion d'établissement qui fait que, s'il y a un conflit de travail dans un lieu, un média donné, bien, peut-être qu'on peut s'assurer que les journalistes qui sont là aient un meilleur rapport de force. Donc, il y a la notion d'établissement qui fait partie de ces...

Le comité Payette, du groupe Payette, là, le rapport sur le journalisme et la qualité de l'information au Québec, bien, arrive et dit: Il faut un titre, un titre de journaliste professionnel qui est lié à une déontologie. Bien là, il y a peut-être un autre bloc qu'on met au mur. Et après ça, ils disent: Il faut donner plus de pouvoirs... plus de moyens au Conseil de presse qui juge les manquements à la déontologie. O.K., c'est un autre bloc qui vient d'être mis. Donc, en d'autres mots, on peut penser à plusieurs solutions qui se conjuguent mais dont une des clés est de créer un contre-pouvoir au pouvoir, à ce moment-ci, qu'on peut estimer vraiment trop grand, d'un certain nombre de dirigeants de grands groupes de presse qui...

En tout cas, dans le cas de Quebecor, les cadres nous disent qu'effectivement il y a des réunions de production qui se font le matin pour décider que LCN va couvrir de même, Argent de même, TVA de même, le journal de même, etc. Donc, là, en ce moment, on a comme un supermédia parce que c'est parfaitement intégré, et ce supermédia-là n'a presque pas de contrepoids, c'est-à-dire la direction à l'information. Ça fait que, si, un jour, il y a une campagne, par hypothèse, qui se ferait contre les dépenses gouvernementales, bien ça peut se faire dans une quantité phénoménale de médias et avec une direction unique. Donc, c'est un contrepoids à ça qu'il faut établir.

M. Cloutier: Dernière question, très rapidement parce que je veux céder la parole à ma collègue. L'article 44 de la Charte québécoise des droits et libertés, «toute personne a droit à l'information», avez-vous l'impression que ce droit-là est respecté au Québec et s'exerce comme il devrait s'exercer, comme on avait l'intention de le faire à sa création?

M. Robillard (Claude): C'est parce qu'il y a eu un débat historique là-dessus, sur le sens de cette clause-là qui a souvent été interprétée plutôt comme liée à l'accès à l'information, au sens de la Loi sur l'accès à l'information, et non pas un droit à l'information. Moi, je ne peux pas exiger que tel média me dise telle chose. Ce serait impossible à mettre en pratique, là. J'accuse ce média-là de ne pas m'avoir informé correctement sur l'Égypte, ça n'a pas d'allure.

M. Cloutier: Portée restreinte, donc.

M. Robillard (Claude): Donc, ça serait... Elle est assez restrictive, cette clause-là.

M. Cloutier: Merci.

M. Robillard (Claude): Puis elle n'a jamais été interprétée devant les tribunaux pour voir si effectivement elle aurait une plus grande portée.

Le Président (M. Ouimet): Il reste 30 secondes, Mme la députée.

Mme Richard (Duplessis): Merci. Merci, messieurs. Mon collègue le député de Beauharnois a déposé le projet de loi n° 399. Si le gouvernement devait ne pas appeler le projet de loi n° 399, s'il devait ne pas bouger dans ce dossier, selon vous, qu'est-ce qui risque d'arriver?

Le Président (M. Ouimet): Je pourrais faire en sorte que l'horloge joue en notre faveur et dire: Il ne reste plus de temps, mais allez-y, complétez la réponse.

Mme Richard (Duplessis): Merci, M. le Président.

M. Myles (Brian): Non, je vais la prendre, celle-là. Ce qui va arriver, c'est que la tentation du lock-out va être là dans les médias où il y a un fort potentiel de convergence, et les journalistes vont négocier dans la crainte d'un lock-out. Et d'ailleurs vous avez vu que les gens du Journal de Québec sont venus dire hier qu'ils le craignaient. Plusieurs journalistes de plusieurs groupes, pas seulement Quebecor, sont anxieux sur leur réel pouvoir de négociation justement parce qu'il y a une situation de fait qui rend ça tellement simple, tellement facile. Écoutez, deux ans de lock-out dans un journal, et le public ne s'en rend même pas compte, c'est signe qu'il y a un problème dans le rapport de force.

M. Robillard (Claude): On peut peut-être rajouter un aspect là-dessus qu'on n'a pas encore évoqué, là, qui n'est pas lié directement au Code du travail, mais c'est le fait qu'avec la concentration de la presse la mobilité des journalistes est beaucoup réduite, c'est-à-dire que des journalistes de l'ancien temps, si on peut dire, comme Jean-V. Dufresne, qui est mort maintenant, c'est des gens qui pouvaient aller d'un média à l'autre très aisément. Ils passaient d'un média... Ils faisaient quelques années là, quelques années là, quelques années là.

Cette mobilité-là est presque finie parce que ça se fait au compte-gouttes, parce que, là, maintenant, c'est tellement cristallisé en blocs que le passage de l'un à l'autre, il se fait mais très petitement, à très petite échelle, de telle sorte que le journaliste qui est dans un empire sait que, si... son choix de carrière pour aller ailleurs, comme disait... C'est pour ça qu'on a mis ça, la citation de Jean-Louis Gagnon dans notre mémoire, c'est qu'il n'a pas le choix d'aller ailleurs, il n'a pas beaucoup de choix. Et ça, ça met encore un peu plus de pression pour que son rapport de force soit moins... c'est-à-dire pour éliminer son rapport de force ou amoindrir ce rapport de force, de sorte que tous ces morceaux-là mis ensemble font en sorte que les valeurs professionnelles que défendraient les journalistes trouvent moins bien à s'exprimer, ont plus de misère à s'exprimer.

Une voix: ...

M. Robillard (Claude): Eh bien, c'est ça, ce qu'on ne dira pas.

Le Président (M. Ouimet): Merci. Alors, j'ai débordé, là. Mais allons du côté de la deuxième opposition. M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Bon matin, M. Myles et M. Robillard. Je suis très sensible à votre mémoire qui nous explique bien l'évolution du journalisme depuis les 50 ou même les 60 dernières années. Quand je suis arrivé comme élu en 2007, je ne connaissais rien du rôle ou du travail du journaliste, la pression du «deadline», du scoop. Pour moi, les journalistes, c'étaient tous des méchants. J'ai compris que ce n'était pas le cas.

Une voix: ...

M. Bonnardel: Et, dans le rôle... dans le rôle que vous avez, on parle énormément aujourd'hui du contexte de travail, on parle aussi du contexte d'entreprise qui a changé. Vous l'avez vu dans les dernières années, Gesca qui ne publie plus La Presse du dimanche, il y a Cogeco qui achète un lot de radios... de postes... de stations de radio, Quebecor qui a une convergence et une concentration de la presse énorme, même Gesca aussi. Et, pour moi, je vois ça, c'est inquiétant dans la profession que vous avez. Les jeunes journalistes qui veulent arriver, quel camp on choisit? C'est presque ça qui amène les prochains journalistes qui sortent de l'université. Et je cite l'expression de Michel Roy que vous avez à la page 7 de votre mémoire: «...le syndicalisme a permis de rendre aux journalistes leur dignité perdue et de donner au métier un caractère professionnel.» Est-ce que la convergence, ou la concentration de la presse est en train de tuer cette dignité que vous avez retrouvée?

M. Myles (Brian): Je vous dirais que la convergence, c'est quelque chose qu'on ne contrôle pas. Ça se fait à notre insu. Vous êtes dans un grand groupe de presse, vous faites un reportage puis vous apprenez le lendemain où est-ce qu'il a pu se retrouver. Ce que c'est après tuer, c'est la diversité de l'information. Et on constate que, contrairement à ce que Quebecor promettait en 2001 lors de la commission parlementaire sur la concentration, les mêmes nouvelles circulent sur une multitude de canaux, alors que la promesse initiale, c'était: On ne va pas se tirer dans le pied en passant les mêmes nouvelles partout, donc. Et vous pouvez le voir, à plus forte raison pour les élus qui sont en région, il y a une rareté de l'information sur les régions, il y a une montréalisation des ondes et de l'information.

Je vous dirais que la convergence tue certainement la diversité. Mais il y a des journalistes aussi qui en tirent profit, parce qu'aujourd'hui on peut faire une carrière puis toucher à tout. Et, chez les jeunes journalistes, c'est un défi très stimulant de savoir que vous ne serez pas confinés à l'écrit, mais qu'il y aura un peu de radio, il y aura un peu de télé. Et il y a certains moments où la convergence a permis de dégager des ressources pour faire de l'enquête. Et l'enquête, c'est la forme la plus aboutie du journalisme. Donc, c'est pour ça qu'on dit que la convergence est là pour rester. Il y a certains avantages. Mais les inconvénients, ils sont là, c'est sur la diversité de l'information.

M. Bonnardel: Avez-vous peur pour l'avenir de votre profession, pour l'avenir du journalisme si on regarde cette concentration ou...

**(10 h 40)**

M. Myles (Brian): Il y a d'excellents journalistes au Québec qui font de l'excellent travail. Et, on n'a qu'à regarder, cette année, pendant que plusieurs groupes de la société civile réclamaient une enquête sur l'industrie de la construction, les journalistes ont fait ladite enquête. Et donc je suis confiant pour l'avenir de notre profession, mais je le serais encore plus si les gouvernements réalisaient que l'ère où il fallait encourager la concentration est finie et qu'il fallait maintenant encourager la diversité de l'information.

M. Bonnardel: Il me reste encore un peu de temps, M. le Président?

Le Président (M. Ouimet): Il reste une minute, M. le député.

M. Bonnardel: Merci. Cette concentration de la presse, cette convergence qui... ma foi, on la voit un peu partout dans le monde. Je pense que, dans votre mémoire, vous citez l'Australie, United Press, si je ne me trompe pas, là, qui publie ou qui prépare des journaux un peu partout dans le monde. Mais, dans le Canada, on a la famille Murdoch, si je ne me trompe pas, ou en Angleterre... Comment on va arrêter ça? Si, demain matin, on prenait le mandat de discuter de cette concentration comme on l'a fait en 2001, est-ce qu'aujourd'hui on peut arrêter ces magnats de la presse qui achètent, achètent, achètent, qui concentrent? Parce que, je le disais tantôt, on dit quoi aux jeunes journalistes qui arrivent sur le marché du travail? Tu choisis ton camp en réalité aujourd'hui, là. Alors, ça va être extrêmement difficile d'arrêter ces grosses machines qui font des acquisitions, acquisitions, parce que les modèles d'affaires changent, les conditions, aussi, de travail changent. Mais ça va être difficile, non?

Le Président (M. Ouimet): Il reste 30 secondes pour la réponse.

M. Myles (Brian): On n'a pas en poche un mémoire tout prêt sur la concentration, mais il y a plusieurs choses qu'on peut faire. C'est d'abord de mettre des balises à la convergence. On peut décider que tout n'est pas partageable partout. Il y a un intérêt légitime au nom de la diversité.

On peut commencer à rediscuter du mur de Chine entre les salles de rédaction. Vous savez, il y avait cette idée de mur de Chine. Le CRTC a aboli ce critère-là. Au départ, quand on a permis la propriété croisée d'un journal et d'une station de télé dans un même marché -- ce que les Américains ne font pas, les grands champions du capitalisme ne permettent pas ce qu'on permet au Québec -- on avait dit: Il y a un mur de Chine, les rédactions ne se parlent pas. Pourquoi? Pour assurer qu'il y ait une diversité. Donc, on pourrait travailler autour de ce mur-là. Et ne jamais oublier que les clauses professionnelles, c'est la première brique dans l'édifice de l'indépendance journalistique, et il faut avoir un contexte qui encourage l'émergence et le maintien des clauses professionnelles.

Le Président (M. Ouimet): Je dois aller maintenant du côté de M. le député de La Peltrie pour une minute.

M. Caire: Merci, M. le Président. D'abord, merci beaucoup pour votre présentation, c'était vraiment édifiant. Puis je vais faire un peu de millage sur votre dernière réponse parce que c'est... Le sens de votre intervention, je pense, arrive à son point culminant dans ce que vous venez de dire.

On a l'impression, d'une part, que les grands conglomérats d'information sont un peu inévitables dans un contexte de mondialisation et, d'autre part, que c'est la pire chose qui puisse arriver à l'information. Alors, comment on fait? Puis, bon, je posais la question tout à l'heure: Pourquoi est-ce qu'on n'imprime pas du côté de Rue Frontenac un journal comme ça? Puis on me dit: Écoutez, ça prend des moyens, c'est énorme, c'est très coûteux, ce n'est pas si simple que ça. Donc, ce n'est pas si simple que ça de diffuser de l'information. Mais, en même temps, ce que vous nous dites, c'est que ça nous amène vers une convergence qui pénalise, qui pénalise tout l'exercice de la démocratie, et ça, j'en suis. Alors, comment on fait pour concilier ces deux réalités qui, à première vue, ont l'air irréconciliables?

M. Myles (Brian): Mme Payette, dans son rapport, invite l'État à prendre le relais également et à fournir des aides publiques, des aides indirectes aux entreprises qui engageraient d'éventuels journalistes professionnels et qui respecteraient un guide de déontologie. Et plusieurs pays dans le monde ont choisi la voie de l'aide de l'État -- il y a toutes sortes de formes d'aide, que ce soit en France, en Belgique ou ailleurs -- par des crédits d'impôt...

M. Caire: Est-ce qu'il n'y a pas un danger que l'État ait la tentation de s'immiscer dans le contrôle de l'information? Est-ce qu'il ne devrait pas y avoir une séparation...

Le Président (M. Ouimet): M. le député, on doit y aller rapidement parce que j'ai dépassé le temps.

M. Myles (Brian): Cette séparation-là a toujours été là, puis les préambules de tous ces programmes-là, c'est que l'État décline toujours compétence dans les affaires de la presse mais qu'il reconnaît qu'il a un rôle pour encourager la diversité de l'information et les formes de journalisme dites d'intérêt public qui participent de la vie démocratique, et donc ces aides indirectes là sont données aux... En Belgique, c'est en fonction des journalistes professionnels mais des angles de couverture aussi pour favoriser l'émergence de l'information régionale. On a donné de l'aide aux quotidiens parce que, le quotidien, c'est une mine d'or de nouvelles dans des villes, pour ne pas que ça disparaisse. Donc, il y a toutes sortes de façons indirectes pour l'État de jouer un rôle.

M. Caire: Comme des pare-feux?

M. Myles (Brian): Oui.

Le Président (M. Ouimet): Alors, là-dessus...

M. Myles (Brian): Bien, écoutez, on s'est chargé de vous tenir à distance, je vous dirais.

Le Président (M. Ouimet): ...là-dessus, M. Myles, au nom de tous les parlementaires, je tiens à vous remercier ainsi que M. Robillard pour votre contribution importante aux travaux de cette commission.

Je suspends quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 45)

 

(Reprise à 10 h 52)

Le Président (M. Ouimet): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de l'économie et du travail reprend ses travaux. Et je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir reprendre leur place.

Document déposé

À la demande de M. Myles, de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, je dépose un tableau, un document intitulé Sources quotidiennes d'information des Québécois, dont la source est le Conseil de presse du Québec, 2010.

Document déposé

Et, à la demande de représentants de Quebecor également, je rends publique une lettre datée du 1er février dernier, de la part de M. Péladeau, ainsi que des communiqués de presse qui sont rendus publics. Voilà.

Alors, Me Trudeau, bonjour. Bienvenue à l'Assemblée nationale du Québec, merci d'avoir accepté notre invitation pour participer aux travaux de cette commission. Donc, je vous cède la parole pour une période de 10 minutes.

M. Gilles Trudeau

M. Trudeau (Gilles): Merci. Merci de m'avoir invité. Je voudrais juste bien préciser que, dans la correspondance que vous m'avez adressée, vous m'identifiez comme le doyen de la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Je voudrais surtout ne pas parler au nom de ma faculté mais bien en mon nom personnel, comme expert en droit du travail; c'est à ce titre-là que je suis ici.

Je croyais important de vous présenter, d'un point de vue universitaire ou plus objectif dans le cadre de ces témoignages puisque je ne représente pas une partie, mon point de vue sur le cadre contextuel et les enjeux relatifs au projet de loi n° 399 que vous avez devant vous.

Ce qu'il, je pense, est important tout d'abord de bien spécifier, c'est que ce projet de loi, et surtout les raisons pour lesquelles il a été déposé, soulève une préoccupation beaucoup plus large que la réglementation de l'utilisation de travailleurs en remplacement de grévistes. C'est une illustration très claire de l'évolution de notre économie, de notre contexte socioéconomique, et de la désuétude de l'ensemble du Code du travail et de la structure de représentation syndicale et de négociation collective qu'il propose face à un contexte économique et technologique qui prévaut aujourd'hui et qui largement n'était pas là au moment de l'adoption du Code du travail et de ses modifications importantes en 1977, moment où on avait amendé le code pour y insérer notamment les dispositions antibriseurs de grève.

Le code a été conçu à une époque qui est pratiquement révolue aujourd'hui. Il ne peut plus prétendre jouer le rôle qu'il devrait jouer dans un contexte qui est passablement nouveau par rapport à celui dans lequel il a été adopté. C'est donc une réforme beaucoup plus large dont il faudrait discuter et qu'il faudrait entreprendre afin de permettre aux travailleurs de notre économie contemporaine, celle d'aujourd'hui, de bénéficier du droit fondamental à la libre représentation syndicale et à la véritable négociation collective de leurs conditions de travail.

Le Code du travail est fondé sur une relation bipartite entre le salarié et l'employeur. Cet employeur, toujours dans la vision du code, opère, exploite une entreprise. Or, depuis la conception de la structure du code, la notion même de salarié a largement évolué. La notion de salarié qui est encore au sein du code est une notion restreinte, qui ne couvre plus la réalité contemporaine du travail, on l'a bien vu. J'entendais mes prédécesseurs, la Fédération syndicale des journalistes, décrire leur réalité de travail en journalisme. Je vous invite, puisqu'il s'agit d'une modification au Code du travail dont on discute aujourd'hui, je vous invite à regarder l'ensemble de l'économie, et ce qui se passe dans l'industrie de la presse se passe dans toute l'économie, la notion d'employeur aussi.

D'ailleurs, sur la notion de salarié, il y avait eu un rapport d'une commission de travail qui avait été mise en place sous la direction du Pr Bernier, il y a quelques années, qui portait justement sur cette question de notion de travailleur. On appelait alors encore des travailleurs atypiques des travailleurs précaires qui ne tombaient pas sous la protection du Code du travail. Ce qu'on appelait des travailleurs précaires et atypiques sont plutôt les travailleurs typiques aujourd'hui, et ça, il faut bien le voir.

La notion d'employeur aussi, qui est centrale au syndicat, a beaucoup évolué et elle est de plus en plus difficile à cerner. Qui est l'employeur du salarié? Avec qui le syndicat représentant les salariés peut-il négocier? Encore là, la concentration dans l'industrie de la presse et ce que vous avez entendu sur ce sujet-là illustrent un phénomène beaucoup plus large que simplement ce qui se passe dans l'industrie de la presse ou des médias. L'entreprise qui est exploitée par l'employeur a aussi fortement évolué, on ne parle plus de la même entreprise que l'entreprise typique d'il y a 30 ou 40 ans, moment où les dispositions du code et surtout celles sur les mesures antibriseurs de grève ont été adoptées.

Maintenant, plus immédiatement, il demeure que le cadre du Code du travail et que le Code du travail continuent de s'appliquer. On en a un exemple dans ce qui nous amène ici aujourd'hui. Il demeure aussi que, dans le secteur privé, il y a environ 27 % des travailleurs qui sont syndiqués et qui se prévalent des dispositions du code pour négocier. Notre Code du travail est un code qui correspond à l'approche des structures de négociation légiférées en Amérique du Nord. C'est une approche, en Amérique du Nord, États-Unis, Canada, qui est très typique, qui est différente de ce qui se passe ailleurs dans le monde, particulièrement par rapport à l'Europe. C'est un cadre très typique, où la négociation collective est une négociation décentralisée entre un employeur et un syndicat représentant les salariés de l'employeur.

La négociation collective est dite libre négociation collective en ce sens que les parties, à partir de leur force de négociation qu'elles peuvent dégager du marché, vont négocier librement des conditions de travail sans l'intervention de l'État. Leur pouvoir de négociation à la table de négociation est central. C'est ce qui va faire en sorte qu'une partie pourra imposer à l'autre sa vision des conditions de travail et qu'il y aura, avec le jeu du pouvoir de négociation, qu'il y aura éventuellement un compromis qui amènera une entente.

Donc, la libre négociation envisagée par le Code du travail est fondée sur le rapport de force des parties en présence. Et ce rapport de force, il prend racine sur la position des parties à partir du marché, du marché du travail, du marché du produit, aussi, de l'industrie dont il est question. La possibilité du recours aux moyens de pression économiques est centrale, c'est un ingrédient essentiel que la possibilité d'imposer à l'autre partie des difficultés économiques pour le fonctionnement de l'entreprise, c'est essentiel à la bonne conduite, à l'efficacité de la négociation collective envisagée par le Code du travail. C'est essentiel.

**(11 heures)**

Et l'approche canadienne, pas simplement québécoise, l'approche canadienne traditionnelle à l'égard des conflits de travail dans le cadre des négociations collectives est une approche de réglementation. Les dispositions antibriseurs de grève, c'est peut-être la dernière intervention d'un législateur québécois qui intervenait depuis fort longtemps, à l'image des autres législateurs canadiens dans les autres provinces canadiennes, pour réglementer les moyens de pression.

Dans un contexte qui se ressemble beaucoup au nôtre, du côté américain, les moyens de pression jouent le même rôle. Cependant, l'approche américaine est une approche de laisser-faire. On ne réglemente que très peu le recours aux moyens de pression, laissant aux parties l'enjeu d'une grève ou d'un lock-out à partir de leurs forces qu'elles peuvent tenir dans le marché: Est-ce que le syndicat aura suffisamment de force auprès de l'employeur pour faire stopper la production et empêcher que d'autres travailleurs viennent prendre leur place? Le droit n'intervient pas. Et les emplois des grévistes à la fin de lock-out ou de la grève ne sont pas protégés. Il faudra que le syndicat les négocie s'il a la force de le faire.

L'approche canadienne est différente. On a toujours réglementé, d'abord au nom de l'intérêt public parce qu'il y avait des conflits de travail qui menaçaient l'intérêt public, par la suite pour réglementer l'exercice de ce droit au lock-out ou à la grève et d'aménager un rapport de force qui implique l'intervention du droit dans le conflit même. C'est pour ça que notre grève ou le droit de grève et de lock-out s'exerce dans des périodes restreintes, juste dans les négociations. On a des protections contre des mesures de représailles qu'on pourrait imposer. On a la protection de l'emploi du gréviste à la fin du conflit. On a la réglementation, bien sûr, de l'utilisation des briseurs de grève. On a la réglementation des services essentiels. C'est une émanation canadienne, québécoise qui représente un choix de société.

Que signifient les mesures antibriseurs de grève dans ce contexte? Bien, vous le savez, les mesures antibriseurs de grève ont été adoptées en 1977 et s'inscrivent dans cette tendance canadienne et québécoise de réglementer par le droit l'exercice de la grève ou du lock-out.

À l'époque, il y a eu plusieurs modifications insérées en même temps dans le Code du travail. Puis il faut bien voir qu'en 1977, lorsque ces modifications importantes ont eu lieu... Puis je peux vous... on peut mentionner la formule Rand modifiée mais insérée obligatoirement dans le code, des dispositions visant la démocratie syndicale, l'obligation de représenter de bonne foi tous les salariés de l'unité, la reddition de comptes sur le plan budgétaire, élection d'officiers syndicaux. On a eu aussi l'arbitrage de la première convention collective. On a eu évidemment les dispositions antibriseurs de grève.

Toutes ces dispositions insérées dans notre code de 1977 -- le code avait été adopté en 1964 -- en 1977, lors de ces modifications majeures, on peut identifier ces modifications à beaucoup de conflits. Un peu comme aujourd'hui le conflit ou les conflits au Journal de Québec et de Montréal initient une réflexion qui doit être plus large, il y a eu des conflits, au début des années soixante-dix, très emblématiques: la United Aircraft, la Firestone, la Robin Hood, Murray Hill, bon, tout... Oui?

Le Président (M. Ouimet): Je vous amène à conclure, on dépasse le temps.

M. Trudeau (Gilles): Et le législateur a été amené, à l'occasion de ces litiges, de ces grands conflits, à intervenir. C'est un peu la même chose aujourd'hui.

Depuis -- et j'arrive vraiment à ma conclusion -- depuis on pourrait prétendre, depuis 1977, que le climat de travail s'est assaini, qu'il y a moins de conflits, qu'il y a moins de violence. Il faut voir une chose, fondamentalement, s'il y a moins de conflits de travail, ce n'est pas tellement à cause des dispositions antibriseurs de grève, c'est que le rapport de force s'est largement modifié depuis, à la faveur de l'économie mondialisée, tout ça, et le mouvement syndical, face à une entreprise mondialisée, n'a plus le même moyen de pression, le même rapport de force. Et, lorsqu'il y a un conflit, on l'a vu, les dispositions antibriseurs de grève, qui établissaient ou qui protégeaient un certain rapport de force par une difficulté accrue faite à l'employeur de laisser son entreprise ouverte, bien ce rapport de force a été largement changé.

Les dispositions antibriseurs de grève avaient été adoptées à l'époque pour cristalliser un rapport de force qui était établi au point de départ à la table des négociations, et on voulait rendre plus difficile le recours à des travailleurs de remplacement ou le... pour faire tourner l'établissement. Depuis, il y a eu aussi cette question de violence. Au coeur de cette notion de briseurs de grève et d'utilisation de travailleurs de remplacement, il y avait l'établissement. Et je l'ai entendu et j'imagine qu'on en discutera à la période de questions: Cette notion d'établissement est périmée, ne peut plus fonctionner aujourd'hui, elle ne représente à peu près plus rien, sauf dans des industries traditionnelles où c'est encore le cas, de sorte qu'il faut absolument, si on veut conserver des dispositions antibriseurs de grève...

Et c'est un choix politique que le législateur a à faire. Des dispositions antibriseurs de grève, c'est un choix politique. On peut en avoir, on peut ne pas en avoir. On peut les rendre plus ou moins imperméables. Mais, si on veut en avoir qui jouent le rôle aujourd'hui que ces dispositions jouaient en 1977, on ne peut plus conférer à l'établissement la notion centrale ou le rôle central que cette notion avait en 1977. En 1977, on n'a même pas pris le... Je finis. En 1977, on n'a pas pris le soin de la définir, cette notion, parce qu'elle était évidente; aujourd'hui, elle s'impose.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci infiniment, Me Trudeau.

M. Caire: M. le Président.

Le Président (M. Ouimet): M. le député de La Peltrie.

M. Caire: Je trouve l'exposé extrêmement intéressant puis je sais qu'avec l'accord des collègues on pourrait peut-être permettre à monsieur de prendre un petit peu plus de temps, puis si tant est qu'il en a besoin, parce qu'en tout cas je pense qu'il avait l'attention de tout le monde. Puis, la commission étant souveraine, on peut décider de lui accorder un petit peu plus de temps.

Le Président (M. Ouimet): Ah, tout à fait, sauf que...

Une voix: ...

Le Président (M. Ouimet): Je m'excuse, je dois juste vérifier quelque chose. Le vice-président me rappelle: On prend le temps de Me Trudeau sur qui?

M. Caire: Je lui donne ma minute, mais je ne suis pas sûr...

Le Président (M. Ouimet): Votre minute. Bon, merci.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Caire: Je ne suis pas sûr que ça va faire une grosse différence, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet): Bien, peut-être en 30 secondes, 40 secondes, Me Trudeau. Une conclusion.

M. Trudeau (Gilles): Juste ma conclusion, c'est qu'en 1977 la notion d'établissement s'imposait d'elle-même, c'était la notion prédominante qui conférait... c'était un lieu de production identifié la plupart du temps. Il y avait des exceptions déjà. Le transport était déjà une exception envisagée, on ne savait pas quoi faire avec le transport sur la route.

Maintenant, 40 ans plus tard, la notion d'établissement ne veut plus rien dire à cause... On a parlé de la dématérialisation du travail. Le travail n'est plus le même, et donc se fonder sur l'établissement comme étant la frontière entre l'endroit où peut se faire du travail et où on ne peut le faire à l'extérieur ne correspond plus à une réalité sur laquelle on peut se fonder.

Donc, conclusion, si on veut réfléchir à des dispositions antibriseurs de grève qui jouent le rôle qu'elles devaient jouer il y a 40 ans, il faut davantage réfléchir sur la notion de travail et surtout, quant à moi, sur la notion d'entreprise. Est-ce que le travail considéré comme un remplacement des grévistes est un travail qui s'intègre dans l'entreprise de l'employeur ou pas? Et cette notion-là est un peu mieux circonscrite que la notion d'établissement.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, merci, Me Trudeau, pour cette présentation. Ouvrons dès maintenant avec M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Alors, merci beaucoup, M. Trudeau. Non seulement votre présentation est intéressante, mais j'oserais dire qu'elle est captivante aussi. Vous avez parlé d'entrée de jeu, tout de suite vous avez abordé, au moment de votre présentation, vous avez parlé de la désuétude du Code du travail. Maintenant, moi, je voudrais savoir, puis on parle beaucoup d'équilibre en regard de tout ça: Quelle est... quelle serait votre proposition aujourd'hui pour établir justement ce meilleur équilibre? Avant qu'on parle des autres aspects concernant le code, j'aimerais qu'on amène ce point précis.

M. Trudeau (Gilles): Bien, moi, mon point de départ, c'est de permettre aux travailleurs -- je dis «travailleurs» en opposition à «salariés» -- aux travailleurs, aux gens qui travaillent pour le compte d'autrui d'exercer un droit qui internationalement est un droit reconnu comme fondamental, c'est-à-dire d'être représentés par une organisation collective face au donneur d'ouvrage, l'employeur, et de négocier collectivement leurs conditions de travail.

Ce que je dis et ce qu'on dit beaucoup -- ce n'est pas moi qui l'invente, la littérature en parle depuis 25 ans -- le Code du travail, qui visait cet objectif-là mais qui a été conçu à une époque qui remonte au milieu du XXe siècle, dans un cadre industriel et économique différent du nôtre, ce code-là ne permet plus d'exercer largement ce droit à la négociation collective.

Donc, avant de parler d'équilibre à la table de négociation ou d'équilibre entre les mouvements patronal et syndical, il y a ce droit de négociation dont il faut se préoccuper, et la structure actuelle du code ne permet pas à une majorité de travailleurs qui le souhaiteraient de s'organiser efficacement collectivement pour négocier avec un rapport de force significatif face à leur employeur parce que le code est conçu pour une structure industrielle qui est de plus en plus minoritaire. Donc, c'est de là dont il faut partir.

**(11 h 10)**

M. D'Amour: Donc, l'exercice à faire: on revoit le code dans son ensemble.

M. Trudeau (Gilles): On revoit le code dans son ensemble, comme on a commencé de le faire. Le rapport Bernier a des pistes. Et on a beaucoup de pistes.

M. D'Amour: On a parlé hier, entre autres, de la question du vote secret sur les accréditations syndicales. Est-ce que, selon vous, ça doit aussi faire partie de l'analyse qu'on ferait du code dans son ensemble, pour reprendre vos propos?

M. Trudeau (Gilles): Moi, je vous dirais que, lorsqu'on parle d'une réflexion sur la négociation collective et la représentation syndicale et qu'on s'intéresse à des questions comme le vote au scrutin secret lors de l'accréditation ou des dispositions antibriseurs de grève, on est à deux niveaux. Quand on parle de vote au scrutin secret et puis de dispositions antibriseurs de grève, on s'insère dans l'appareil actuel, dans la structure du code. C'est sûr que, dans la structure du code, que de réformer ou de réfléchir au scrutin secret pour déterminer l'allégeance syndicale, c'est significatif, comme les dispositions antibriseurs de grève sont significatives. Cependant, il faut voir que ces dispositions-là sont dans un système qui, lui, globalement, perd de plus en plus de son importance.

Si on réfléchit largement à la notion de négociation collective, de dialogue social, comme on a dans d'autres pays, à une époque qui n'est plus celle d'il y a 50 ans, la question du scrutin secret lors de l'accréditation devient une question dont on pourrait peut-être débattre mais qui est très mineure par rapport aux enjeux plus larges. Et c'est, quant à moi... C'est difficile pour un gouvernement parce que c'est une entreprise à beaucoup plus long terme, ce n'est pas immédiat, mais c'est une réflexion beaucoup plus globale qu'il faut faire. Il faut la faire parce qu'on le voit bien, dans notre société, les travailleurs sont de plus en plus laissés à eux-mêmes. Et, si le climat social s'est assaini, qu'il y a moins de conflits sociaux et de grèves, ce n'est pas parce que les travailleurs ont de meilleures conditions de travail qui les empêchent aujourd'hui d'exercer ce droit-là, qui les convainquent de ne pas le faire. Le besoin est là. Les salaires n'ont pas augmenté tant que ça, la sécurité d'emploi non plus. C'est qu'ils n'ont plus la capacité collective d'exercer leur droit à la négociation collective comme on pensait qu'ils l'avaient il y a 30 ou 40 ans.

M. D'Amour: Dans cette perspective de dialogue social -- je reprends, encore là, une de vos expressions -- est-ce qu'il apparaît que le projet de loi n° 399 n'est pas une vision trop restrictive?

M. Trudeau (Gilles): Bien, le projet de loi n° 399 est un projet de loi qui s'insère dans une structure qui existe et qui est significative pour un certain nombre de travailleurs. Encore une fois, je vous le disais, le conflit à Quebecor avec les journalistes, c'est significatif, les dispositions antibriseurs de grève. Cependant, une majorité de travailleurs et d'employeurs d'ailleurs ne tombent plus, pratiquement, sous le Code du travail. Donc, de regarder juste les dispositions antibriseurs de grève, bien sûr que c'est important, bien sûr qu'il y a là un problème social auquel il faut s'adresser, mais il faut bien voir que c'est un aspect dans un cadre qui est de moins en moins appliqué généralement. Alors... Par contre, c'est très significatif et puis c'est quelque chose de très politisé, donc ça intéresse tout le monde. Mais pratiquement c'est une minorité de travailleurs qui en bénéficient actuellement.

M. D'Amour: Rapidement, si vous me permettez, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet): Oui, vous avez le temps, M. le député.

M. D'Amour: Dans la perspective du projet de loi n° 399, dans le fond, ce que ça viendrait interdire, c'est le recours aux agences de presse. On s'entend là-dessus? Selon vous, est-ce que ce serait une situation normale?

M. Trudeau (Gilles): Moi, ce que je dis, c'est que les dispositions antibriseurs de grève permettaient à un employeur de faire tourner sa production, qu'elle soit journalistique ou autre, à partir de conditions spécifiques. Les cadres pouvaient intervenir dans l'établissement, et, à l'extérieur de l'établissement, on permettait de contracter le travail des grévistes.

Si on veut revenir à cette notion telle qu'on l'envisageait, il faut revoir la notion d'établissement. Et ce n'est pas tellement le recours aux agences comme plutôt de se demander: Qu'est-ce que c'est que les agences aujourd'hui dans le cadre de production? Et il semble bien que les agences aujourd'hui, qui sont représentatives de la nouvelle configuration de l'entreprise... Ce n'est pas Quebecor ici, là, c'est les entreprises qui fonctionnent comme ça. Et les agences dont on parle, c'est cette kyrielle de sous-traitants que les entreprises ont maintenant partout à travers le monde. Alors, quand bien même qu'on dirait: Les agences, le recours aux agences est défendu, ce serait bien inadéquat dans le sens général de notre économie, parce que ce qu'il faut voir, c'est que l'entreprise a des possibilités de s'étendre, même au-delà de nos frontières, qu'on n'avait pas antérieurement.

Donc, il faut revenir à d'autres notions. Et je pense que la notion d'intégration dans l'entreprise, la notion du travail que les grévistes font et qui est visé par la grève sont des notions qui sont plus faciles à utiliser aujourd'hui que la notion d'établissement, qui, elle, a disparu. Parce que, quand on parle d'agence, c'est l'établissement par rapport à des sous-contractants à l'extérieur mais qui sont souvent des agences de la même entreprise.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci, M. le député. Allons du côté de l'opposition officielle. M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: Merci, M. le Président. M. Trudeau, merci beaucoup pour la profondeur que vous apportez dans votre discussion. Je crois comprendre... C'est sûr que vous avez manqué un peu de temps, vous auriez été capable de nous continuer ça pendant une autre bonne heure. C'était très intéressant.

Il y a plusieurs notions dont vous parlez que c'est sûr que, si on regarde le code en général, il n'y a aucun monde parfait sur cette terre, et j'imagine que le code fait malheureusement partie de ça aussi. Notre jeu, nous, comme législateurs, c'est de tenter de l'améliorer bout par bout. Si ça serait simple, on pourrait tourner la page et en refaire un nouveau, mais on sait très bien que ce n'est pas simple comme ça.

Alors, le but du projet de loi n° 399 était, malgré le fait que le code n'est pas parfait, en ce moment on voit un déséquilibre à une table de négociation, face aux briseurs de grève, c'était de tenter de... justement de ne pas tout chambarder le code, d'y aller pièce à la pièce. C'est plus simple pour le législateur d'y aller pièce à la pièce que d'ouvrir et noyer le poisson puis se retrouver en bout de piste ou en fin de journée qu'on n'a rien réglé parce qu'on parle tellement large qu'on va laisser produire ça pendant plusieurs années. Avec des situations qui perdurent et qui risquent de venir, bien on s'est dit: On va s'attarder plus spécifiquement à la loi antibriseurs de grève. Et je crois qu'avec votre expérience vous savez très bien que, si on embarque à la grandeur du code et à ce que les autres groupes ont dit hier et sûrement les prochains, de cibler le code à la grandeur, bien, c'est ouvrir une canne de vers, puis on n'en viendra jamais à bout.

Alors, si je crois avoir bien compris, c'est un début, le projet de loi n° 399. La manière qu'il est écrit présentement, comme qu'on l'a déposé, on n'imagine pas que c'est la perfection même. Sauf que, de votre vision des choses, est-ce que vous croyez que c'est quand même un bon début pour, après ça, peut-être apporter d'autres dispositions dans un deuxième ou troisième temps pour continuer à améliorer la situation des travailleurs au Québec et surtout de garder la base de l'équilibre de forces lors d'une négociation, qui est le point premier de ce projet de loi là?

Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, voir si vraiment on est sur la bonne piste. Malgré le fait que vous me parlez des notions de salarié, notion d'employeur, intégration de l'entreprise, bien, je voudrais qu'on recible plus précisément sur le projet de loi n° 399. Puis on aura sûrement la possibilité de débattre une autre fois avec ces lignes avec... si la ministre peut appeler...

M. Trudeau (Gilles): Vous avez bien raison. Vous faites preuve d'un réalisme qui va peut-être amener à faire quelque chose de précis. Moi, je pense que c'est une piste de réflexion, sans plus, que le projet n° 399 tel qu'il est libellé. Il s'adresse à une difficulté qui a été illustrée à l'occasion des conflits au Journal de Québec et de Montréal. Cependant, il se fonde encore sur la notion d'établissement, puisqu'on dit que... on parle d'utilisation à l'extérieur de l'établissement où la grève se situe. Dès qu'on part avec cette prémisse puis qu'on ne définit pas le mot «établissement», on retombe un peu dans les ornières du libellé de 1977. Et c'est pour ça que je vous dis que, quant à moi, je pense que c'est un départ, que c'est un point de discussion, mais il faudrait avoir une discussion plus fine sur le libellé et les différents concepts à utiliser.

M. Leclair: Entièrement d'accord. Donc, si on revient... Moi, je suis très ouvert d'esprit. Je crois que ma... Notre position, au Parti québécois, le but, c'était de mettre quelque chose de l'avant parce qu'on tentait de voir... que le gouvernement disait: On réfléchit, on réfléchit, mais on voit la situation qui s'empirait. On avait quand même la pression des pétitionnaires, de dire: Bien, aidez-nous, faites de quoi, il faut vraiment... Puis, comme vous dites, il y a toujours une situation actuelle qui nous fait voir des failles qu'on a, puis, dans ce cas-ci, c'était la loi antibriseurs de grève.

Donc, nous, on est très... on est prêts à garder le titre, la loi antibriseurs de grève, même si les lignes doivent changer, en espérant que ça conférera aux demandes de diverses associations... Mais on est sûrs et garantis qu'on doit absolument traiter la loi antibriseurs de grève pour rétablir un certain rapport de force. Puis ça sera le début de peut-être une modification du code par la suite, ça nous fera voir d'autres dispositions.

**(11 h 20)**

M. Trudeau (Gilles): Je pense que votre approche est exacte. Il demeure qu'il y a plusieurs travailleurs, 27 %, dans le secteur privé, qui sont actuellement représentés par un syndicat accrédité en vertu du code, qui peuvent exercer leur droit de grève, dont l'employeur peut exercer son droit au lock-out, et, dans ce contexte-là, les dispositions antibriseurs de grève ont un impact certain. Et le projet de loi tente, à mes yeux... s'adresse à une perte d'efficacité des dispositions antibriseurs de grève telles qu'elles étaient libellées depuis 1977. Et ce projet de loi est un point de départ à la discussion pour trouver un libellé qui va s'adresser mieux au contexte contemporain. Mais je pense qu'il faut sortir de la notion d'établissement qui est encore présente.

M. Leclair: Donc, pour vous, j'imagine, vous pourriez nous faire déjà peut-être un genre d'entrée en matière d'une notion d'établissement. Mais j'ose espérer que, lorsque la ministre appellera le projet de loi, que vous serez d'accord à être réinvité pour donner vos lignes sur la notion d'établissement, qu'on pourra regarder et discuter tous ensemble. Alors, j'espère que vous accepteriez l'invitation.

M. Trudeau (Gilles): Ça me fera plaisir. Mais la notion d'établissement, elle est déjà... les experts en droit du travail la connaissent bien. Alors, je peux vous dire que je peux être remplacé par un autre travailleur, qui ne serait pas un briseur de grève. Mais ce que je veux dire, c'est que c'est une notion en droit du travail qui est bien connue, avec laquelle on peut travailler, et que je suis un des experts. Il y en a plusieurs au Québec, puis il va y en avoir... d'autres de mes collègues viennent aujourd'hui, et je pense que vous allez entendre des propos de ce type-là.

M. Leclair: Donc, j'imagine, de toute façon... J'ose espérer qu'avec une problématique qui semble être vraiment actuelle, que, lorsque la ministre appellera ce projet de loi là, qu'on fera une consultation encore un peu plus large, car aujourd'hui et hier c'est un peu restreint. Puis on comprend un peu le mandat d'initiative qui n'avait pas la même portée. Alors, j'ose espérer qu'on aura plus de groupes. Puis plus qu'on est de fous, plus qu'on a de fun.

Le Président (M. Ouimet): Merci. Il reste... Allons du côté, peut-être, tiens, de la deuxième opposition. M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Avec plaisir. Merci, M. le Président. Bonjour, Me Trudeau. Vos réflexions sur une époque révolue -- j'ai pris quelques notes -- d'un code de travail qui ne reconnaît plus peut-être... bon, moderniser la loi antibriseurs de grève, certains points du code qui seraient à revoir. Vous parlez même d'une réforme très, très large. Est-ce qu'il faudra le revoir de A à Z? C'est un travail qui sera immensément long. Mais, si la volonté politique ou la volonté ministérielle était là, vous pouvez être certain qu'on y participerait activement et d'une façon constructive.

J'ai pris une note. Vous parlez d'entreprises mondialisées, de travailleurs laissés à eux-mêmes dans le contexte des années qu'on vit aujourd'hui. La situation a énormément changé depuis 50, 60 ans. Est-ce que vous avez ciblé... Est-ce qu'il y a des catégories d'emplois où le Code du travail est révolu aujourd'hui et où on se devrait de concentrer nos efforts spécifiquement?

M. Trudeau (Gilles): Oui. Le Code du travail a été pensé à une époque où c'était l'entreprise industrielle, manufacturière qui prévalait dans l'économie. Le PNB était, dans nos pays nord-américains, là, était beaucoup alimenté par la production manufacturière, les grands de l'automobile, par exemple, là, c'est un exemple. Le syndicalisme et la négociation collective tels que représentés dans le Code du travail proviennent de ces structures-là.

Aujourd'hui, on est dans une économie de savoir beaucoup mais surtout de services. Et les services, c'est plus de 75 % des emplois, si je ne me trompe pas. Les services s'organisent dans la très petite entreprise ou dans la très grande entreprise. Wal-Mart, qui a fait, par exemple, la manchette mais aussi l'objet de beaucoup de décisions des tribunaux du travail depuis les dernières années, est dans le service et emploie des milliers de travailleurs. Et c'est comme ça pour de grandes entreprises de services du secteur financier et du secteur de l'alimentation. Ce sont ces secteurs-là mais aussi toute l'économie du savoir, les technos, là, et qui ont des configurations d'emploi...

Les travailleurs sont autonomes, travaillent à la maison, se définissent comme des entrepreneurs. Mais en même temps toutes ces catégories de travailleurs sont laissés à eux-mêmes en ce sens qu'ils ne s'identifient pas comme des salariés face à un grand employeur, de sorte qu'on a des problèmes sociaux qui s'accumulent par le fait qu'on a cette agglomération d'individus qui ne sont pas organisés et qui ne peuvent pas s'intéresser à des questions aussi fondamentales qu'un fonds de pension, par exemple, que des avantages sociaux en matière d'assurance collective. Il n'y a pas juste le salaire et les heures de travail, il y a des protections à plus long terme qui sont laissées pour compte parce qu'aujourd'hui, dans notre économie, on a été conduits à avoir cette série de pigistes, de travailleurs autonomes mais qui ne le sont pas vraiment, de petits commerçants qui travaillent face à un grand acheteur comme Costco ou Wal-Mart, tout ces... C'est ça, notre économie, plus de grands secteurs fortement organisés dans le service. Ce sont ces catégories de travailleurs qui sont dominantes aujourd'hui, ce sont ces employeurs qui sont dominants aujourd'hui. Et c'était le rapport Bernier. Juste là, on n'a pas à refaire l'exercice au moins pour voir les enjeux et des pistes de solution. On a le rapport qui a été fait avec de larges consultations. Il n'a pas été utilisé.

Le Président (M. Ouimet): Ça complète le temps. Désolé, j'étais un peu distrait. M. le député de La Peltrie, on va vous redonner votre minute.

M. Caire: Ah oui? Quelle générosité! Bien, je trouve ça extrêmement intéressant, ce que vous dites, notamment sur les travailleurs autonomes, qui est un phénomène en expansion. Puis je vous pose une question: Diriez-vous, par exemple, que le fait d'avoir pour les ministères une définition unique de ce que c'est, un travailleur autonome, et des paramètres qui définissent un travailleur autonome, ce seraient aussi des choses qu'il faudrait regarder? Vous parliez de pigistes. Moi, je viens du monde l'informatique, je peux vous dire qu'ils sont légion, les pigistes dans mon secteur d'emploi, dans les services financiers aussi.

Donc, ce que vous dites, là, c'est que c'est beau, la microgestion proposée par le projet de loi n° 399, mais le problème de la transformation de l'économie, il est beaucoup plus large que ça. Et c'est à cette définition-là de la façon dont les services sont livrés, par qui ils sont livrés, comment ça s'organise, c'est à ça que vous dites qu'il faut s'attaquer.

M. Trudeau (Gilles): Qu'il faudra s'attaquer plus largement et que, même si on s'attaque à un problème plus précis, qui est pressant, qui sont les dispositions antibriseurs de grève, ça ne change en rien...

M. Caire: Je ne nie pas l'importance du problème. Ce que vous dites, c'est que...

M. Trudeau (Gilles): ...ça ne change en rien l'importance de réfléchir à la protection générale des travailleurs de notre société d'aujourd'hui, qui ne sont plus les travailleurs d'il y a 50 ans. Et les mécanismes...

M. Caire: ...de quelle façon on peut aborder ça? Parce que c'est un immense chantier.

M. Trudeau (Gilles): Bien, je vous le dis, le gouvernement d'il y a quelques années seulement s'était intéressé à la question, et il y a des pistes de réflexion fort intéressantes dans un rapport qui est encore sur les tablettes. Le gouvernement fédéral l'a fait dans une commission qui était dirigée par Harry Arthurs sur les mêmes questions, la protection par l'État des travailleurs non représentés par syndicat, et ce rapport-là donne des pistes aussi de représentation très large par des organisations syndicales de travailleurs qui ne se définissent pas comme des salariés.

On a l'exemple du secteur des artistes au Québec qui est une forme de structure de représentation, de négociation qui est à l'extérieur du Code du travail et qui correspond davantage à cette notion d'artiste autonome, pigiste. Il y a des pistes de solution pour ces... globalement.

**(11 h 30)**

Le Président (M. Ouimet): Alors, le temps est épuisé. Je retourne du côté ministériel.

Peut-être, Me Trudeau, j'entends bien ce que vous nous dites par rapport à fonctionner et tenter d'améliorer un système qui est ni plus ni moins désuet au niveau du Code du travail. Reste toute la dimension politique de la chose, reste tout l'équilibre que nous avons dans notre société. Hier, on nous rapportait que somme toute il n'y a que 2 % de conflits de travail au Québec; 98 %, les choses vont relativement bien. Et, je me dis, si je suis ce que vous nous proposez, je dois m'attaquer à la réforme du Code du travail, qui est un chantier immense pour lequel je ne sais pas s'il y a une volonté politique présentement de part et d'autre des différentes formations politiques qui sont autour de la table, et ça m'empêche presque de venir corriger des problèmes que nous observons avec la législation actuelle et le fait qu'il y a des failles dans le système que nous avons au niveau des mesures antibriseurs de grève, failles qui avaient déjà été identifiées dans les années quatre-vingt-dix, avec la thèse de Jean Paquette, qui en a fait un volume par la suite, dont j'ai pris connaissance il y a quelques semaines. Il annonçait, il y a plus de 16 ans, la problématique que nous vivons aujourd'hui.

Sachant cela, comment pouvons-nous tenter de régler, avec la quincaillerie que nous avons actuellement, le problème qui surgit dans le monde des médias d'information? On nous lance un appel de trouver une façon de colmater cette brèche. Et le Conseil du patronat, hier, est venu nous dire: Si vous ouvrez les dispositions du Code du travail ou vous touchez à l'équilibre du Code du travail, nous avons beaucoup de revendications. Et puis par la suite la partie patronale nous dit: Nous en avons beaucoup également. Alors, comment, nous, tenter de régler un problème avec les mesures antibriseurs de grève sans affecter l'équilibre du Code du travail, que nous devrons régler un jour ou l'autre?

M. Trudeau (Gilles): À mon avis, à mon humble avis, vous ne pouvez pas. Vous êtes pris dans une mauvaise situation, parce que votre problème politique qui vous interpelle aujourd'hui, puis c'est clair, puis il faut bien être réaliste, là, c'est ça, c'est ce qui s'est passé dans les médias. Et d'ailleurs on voit que c'est relié à la concentration des médias. C'est un problème important, socialement sérieux, mais qui, en matière de relations de travail et de droit du travail, et donc du code, est un problème spécifique.

Et là la proposition du projet de loi n° 399, c'est d'amender le code dans ses dispositions antibriseurs de grève, et là, si je suis vos propos, pour régler un problème spécifique dans une industrie particulière, celle des médias. Et ça, c'est très difficile parce que, quand vous touchez au code, vous touchez à la loi qui structure la négociation collective dans l'ensemble de notre économie. Donc, nécessairement, si vous ouvrez le cadre pour vous adresser à la situation du Journal de Québec, et du Journal de Montréal, et de Quebecor, vous ouvrez le code avec une perspective sectorielle et étroite -- parce que c'est quand même configuré à partir des caractéristiques de cette industrie-là -- et vous touchez à la loi globale. Si vous touchez à la loi globale, même pour les raisons qui vous amènent à y toucher, là il faut que vous voyiez l'ensemble, nécessairement. Je ne dis pas de tout réformer le code, mais il faut être conscient qu'en touchant au Code du travail pour l'industrie du journalisme on touche au Code du travail qui s'applique à toutes les industries. Et donc il faut que vous vous éleviez au-dessus de ça pour avoir une réflexion plus large, même simplement sur les dispositions antibriseurs de grève.

Maintenant, ce qui se passe dans l'industrie du journalisme et des médias est assez typique, à mon avis, de ce qui se passe dans l'ensemble des industries, parce que l'industrie ou la notion d'établissement et d'employeur, tel qu'on l'a vu évoluer dans le secteur des médias... Et je pense que mes prédécesseurs... j'ai eu la chance de les entendre, ils parlaient de l'industrie journalistique et de l'industrie des médias, je pense que leur description de l'évolution dans ce secteur-là s'applique à bien d'autres secteurs de notre économie aujourd'hui. Mais quand même il faut faire la distinction.

Le Conseil du patronat a raison en ce sens quand il dit que, si vous touchez, pour régler la question de l'industrie du journalisme et des médias, au code, vous touchez au code qui s'applique à tout le monde. Et c'est bien sûr que vous pouvez limiter le débat aux dispositions antibriseurs de grève, mais politiquement vous allez avoir des revendications qui vont aller ailleurs. Parce qu'il y a toujours une recherche de consensus, à peu près impossible à avoir, lorsque le législateur veut toucher au Code du travail, il y a toujours une question de négociation avec les parties représentantes, là, des acteurs sociaux et puis il y a une certaine recherche de consensus, à peu près impossible à obtenir. Mais, lorsqu'on ouvre l'ensemble du code, comme on avait fait en 1997, bien, il y en avait pour les uns, il y en avait pour les autres. Donc, la pilule des dispositions antibriseurs de grève, elle n'a jamais vraiment bien passé chez les employeurs, mais elle était quand même un peu plus enrobée lorsqu'on créait, par exemple, l'obligation de représenter de bonne foi tous les salariés pour le syndicat ou qu'on créait des obligations d'élections au scrutin secret.

Le Président (M. Ouimet): J'entends ce que vous dites, sauf que, des conflits de travail qui durent depuis deux ans ou qui ont duré, au Journal de Québec, pendant 16 mois, je n'en vois pas d'autre dans le paysage politique actuel. C'est ce qui m'indique... J'y vois un problème là, et le problème, à mon point de vue, là, bien personnel, semble émerger d'une décision qui a été rendue par un tribunal administratif, le conseil des relations de travail.

On avait eu la même chose en 1983, lorsque le législateur a décidé d'intervenir, c'est à la suite d'une décision de la Cour d'appel qui avait donné une interprétation un peu trop restrictive au mot «personne» inclus dans les dispositions antibriseurs de grève. Donc, le législateur avait choisi, en 1983, d'apporter une modification pour pouvoir faire en sorte que la volonté qu'il avait exprimée en 1977 puisse être préservée en 1983.

Et, moi, personnellement, je vois que nous sommes dans le même exercice, sachant bien ce que vous dites -- vous avez tout à fait raison -- par rapport à une réforme, un jour, éventuellement, du Code du travail. Mais, pour l'instant, des grèves qui durent 16 mois, et 24 mois, et plus, je n'en ai pas énormément. Alors, je me dois, je pense, de corriger ça parce que je sens qu'il y a un rapport de force qui est déséquilibré par rapport à ce secteur-là.

M. Trudeau (Gilles): Mais, encore là, si vous voulez corriger ça... Puis c'est vrai que, dans notre portrait social actuel, des grèves ou lock-out, en fait, comme ceux-là, il n'y en a pas beaucoup. On pourrait épiloguer longtemps sur les raisons pour lesquelles on n'en a pas. Je pense qu'il y a bien des secteurs où les travailleurs ne sont même pas en mesure de le faire, alors que les journalistes sont encore en mesure de le faire, même si on voit ce que ça donne.

Mais, encore là, si vous ouvrez les dispositions antibriseurs de grève pour régler ce problème-là, vous touchez aux dispositions antibriseurs de grève qui s'appliquent à l'ensemble des industries, des employeurs et des travailleurs et que vous pouvez... vous devez nécessairement avoir une vue générale parce que c'est le Code du travail. Je ne parle même pas des autres dispositions du code, mais, juste dans les dispositions antibriseurs de grève, vous ne pouvez pas avoir des dispositions antibriseurs de grève pour l'industrie du journalisme puis les autres à côté. C'est une disposition qui s'applique dans l'économie générale, et donc il faut nécessairement que vous réfléchissiez au-delà d'un simple secteur de production, qui est emblématique, important et qui vous pose le problème politique actuellement.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci infiniment. Du côté de l'opposition officielle, il reste 6 min 30 s.

Des voix: ...

Le Président (M. Ouimet): M. le député de Verchères.

**(11 h 40)**

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Le débat qu'on a actuellement est tout à fait passionnant et fondamental parce que d'aucuns prétendent depuis hier que ce qu'on veut régler, là, c'est le conflit au Journal de Montréal à travers une modification des dispositions antibriseurs de grève. Or, tel n'est pas le cas.

C'est bien sûr un cas d'espèce, mais, je le répète depuis hier, il y a d'autres conflits qui attirent notre attention. Il y a eu, bien sûr, celui du Journal de Québec. Vous allez me dire: À plusieurs égards, il y a des similitudes flagrantes par rapport au conflit du Journal de Montréal. Mais on faisait état du conflit à Sacacomie, où là c'est la notion de bénévole qui est en cause, le conflit également... Je faisais référence, depuis hier, au cimetière Notre-Dame, en fait c'est Le Repos Saint-François d'Assise. Le cimetière Notre-Dame, c'est réglé, mais ça a duré un petit bout, là. Là, c'est Le Repos Saint-François d'Assise, c'est encore la notion de bénévole qui est en cause. Il y a le conflit chez Olymel. Donc, des conflits qui sont longs et qui nous amènent à penser que les dispositions qui étaient en vigueur en 1977, amendées en 1983 ne sont peut-être plus à jour. Bien sûr, pour toutes sortes de raisons que vous comprenez, là, médiatiquement parlant, on a tendance à accrocher sur celui du Journal de Montréal, mais il y en a d'autres.

On revient aussi, depuis hier, à la nécessité apparemment que, si on ouvre sur les dispositions antibriseurs de grève, il faudrait ouvrir sur l'ensemble des dispositions du Code du travail. Vous avez vous-même fait état du fait que, dans le secteur des communications, il y a la question de la concentration de la presse. Vous avez dit: C'est partout dans tous les secteurs de l'économie, ça se passe par la sous-traitance. Ai-je besoin de rajouter qu'en 2003 ce gouvernement a rouvert les dispositions du Code du travail touchant la sous-traitance, facilitant, de ce fait, le recours à la sous-traitance? Est-ce qu'on a ouvert... Comme le disait M. Péladeau hier, est-ce qu'on a fait... Est-ce qu'on a regardé l'économie générale du Code du travail lorsqu'on l'a ouvert en 2003? Mais non.

Alors là, il y a peut-être lieu effectivement de ramener un certain équilibre sur la question des dispositions antibriseurs de grève. Il y a tous les changements technologiques auxquels on doit prendre... dont on doit prendre en considération par rapport à la notion d'établissement. Donc, la notion d'établissement, le recours à des salariés d'un autre employeur, la notion de bénévole, toutes ces questions-là sont au coeur de notre réflexion par rapport au conflit du Journal de Montréal, mais par rapport à bien d'autres conflits.

Ne croyez-vous pas, dans les circonstances, qu'il nous faut effectivement apporter des modifications au Code du travail et, si on n'est pas capables politiquement d'ouvrir l'ensemble du code, au moins d'apporter les correctifs qui s'imposent pour atteindre de nouveau, à travers ces dispositions-là, l'objectif qu'on poursuivait en 1977, c'est-à-dire de forcer les parties à s'asseoir, à négocier et à raccourcir d'autant les conflits de travail qui ont cours au Québec?

M. Trudeau (Gilles): Ma réponse, c'est oui parce qu'effectivement, juste dans le cadre des dispositions antibriseurs de grève, il y a une réflexion à y avoir. Ce n'est pas anormal que cette réflexion soit démarrée à l'occasion d'un conflit particulier. C'est ce qui est arrivé dans bien des cas qui ont apporté des amendements au Code du travail. Cependant, même si on est à l'intérieur seulement des dispositions antibriseurs de grève -- je pense que vous l'exprimez très bien -- il y a un ensemble de considérations qui s'appliquent à l'ensemble de l'économie dont il faut prendre compte.

Et ce n'est pas par les dispositions antibriseurs de grève qu'on devrait tenter de régler le problème, s'il y en a un, de concentration de la presse ou... Il faut sortir de... C'est tout ce que je dis. Mais bien sûr que ce conflit-là illustre une tendance beaucoup plus lourde qui tend à démontrer que les dispositions antibriseurs de grève, telles qu'elles sont libellées aujourd'hui, ne jouent plus le rôle qu'on voulait qu'elles jouent en 1977.

Le Président (M. Ouimet): Merci. Mme la députée de Duplessis, deux minutes.

Mme Richard (Duplessis): Merci, M. le Président. Bonjour, M. Trudeau.

M. Trudeau (Gilles): Bonjour.

Mme Richard (Duplessis): Mon collègue le député de Beauharnois a déposé le projet de loi n° 399, ça a été le sujet depuis hier. Je vous dirais, si le gouvernement devait ne pas appeler le projet de loi n° 399 et s'il ne devait ne pas agir dans ce dossier... Parce que, somme toute, ce n'est qu'un début, le projet de loi n° 399. On ne prétend pas tout régler ce qui se passe. Mais somme toute on aura toujours bien à débattre sur la notion d'établissement et peut-être amener un correctif. Il faut comprendre que... Et, la plupart des groupes qu'on a entendus, personne ne veut aller vers l'ouverture du Code du travail.

Selon vous, si le gouvernement n'appelait pas le projet de loi n° 399, si on n'agissait pas, je dirais, dans les mois qui viennent, qu'adviendrait-il? Particulièrement, on le voit, là, avec le conflit au Journal de Montréal, mais on pourrait le voir dans d'autres industries, si on veut.

M. Trudeau (Gilles): Oui. Le conflit comme tel chez Quebecor, je pense qu'il ne faut pas le... moi, je ne suis pas en mesure de le commenter et de dire qu'est-ce qui va arriver...

Mme Richard (Duplessis): Ce n'est pas le but non plus.

M. Trudeau (Gilles): ...dans le futur, je ne voudrais pas le faire. Cependant, ce que je pense qu'il est important de voir, c'est: ne pas agir, ne pas prendre action est agir. Parce que l'économie évolue, des conflits comme celui qui survient, bien sûr, il est très, très long, et tout ça, c'est spécifique, mais c'est illustratif d'une tendance plus large qui démontre que les travailleurs et les syndicats, à la lumière de l'évolution de notre économie, ont perdu du pouvoir, par rapport à il y a 30 ou 40 ans, dans leurs négociations collectives. Ne pas agir sur ces dispositions spécifiques, c'est comme ne pas agir sur toutes les questions de relations de travail et de laisser le statu quo au point de vue législatif. Laisser le statu quo au point de vue législatif, c'est de faire en sorte que notre appareillage législatif perd de son influence graduellement. Et c'est ce qui se passe depuis 30 ans.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci, Mme la députée. Il reste 30 secondes, M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Alors, juste une précision, M. le Président, que je voudrais apporter. Le fait que le gouvernement n'ait pas appelé le projet de loi n° 399 ne signifie pas qu'il n'y a pas une volonté d'agir. Bien au contraire, on ne serait pas ici aujourd'hui, dans le cadre de ce mandat d'initiative, si le gouvernement ne voulait pas agir. Alors, je pense que c'est très clair et je veux apporter cette nuance-là au dialogue. Ça fait deux fois ce matin que ça a été dit, M. le Président, alors je voulais carrément rétablir...

Le Président (M. Ouimet): Très bien.

M. D'Amour: ...rétablir les faits, Mme la députée.

Le Président (M. Ouimet): Merci. Alors, là-dessus, je remercie infiniment Me Trudeau pour votre éclairage...

M. Trudeau (Gilles): Merci beaucoup, merci.

Le Président (M. Ouimet): ...et votre participation, nous l'apprécions grandement. Merci.

Et je suspends les travaux jusqu'à 13 h 45. Et la salle sera sécurisée. On peut laisser nos choses ici. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 46)

 

(Reprise à 13 h 52)

Le Président (M. Ouimet): À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de l'économie et du travail poursuit son mandat.

Document déposé

Et j'ai reçu une demande de la part du vice-président de la commission et député de Verchères de déposer officiellement un document, que je dépose, M. le secrétaire, document en réponse au document qui a été déposé ce matin par Quebecor.

Je vois que notre prochain invité, M. Alain Barré, a déjà pris place à la table des témoins. Alors, au nom de tous les parlementaires, M. Barré, bienvenue à l'Assemblée nationale, merci de vous rendre disponible pour les travaux de cette commission. Et, sans plus tarder, je vous cède la parole pour à peu près 10 minutes.

M. Alain Barré

M. Barré (Alain): D'accord. Merci. M. le Président, Mmes, MM. les députés, j'aimerais tout d'abord remercier tous ceux qui m'ont permis de me présenter devant vous aujourd'hui pour exprimer mes vues sur un sujet qui me tient à coeur depuis très longtemps, puisque j'avais participé de très près, à l'automne 1977, peut-être pas à la rédaction de l'article 109.1 du Code du travail, mais à ce qu'on avait appelé à l'époque les amendements au projet de loi 45. Et j'ai dû assister, par la force des choses, à de nombreux débats entourant l'adoption de ces dispositions relatives aux briseurs de grève.

Donc, tout d'abord, dans la motion adoptée par l'Assemblée nationale le 22 septembre 2010, on fait référence à la perspective d'avoir un code du travail qui reflète des nouvelles réalités... les nouvelles réalités du travail. Donc, ici, je me suis permis d'ajouter deux nouvelles réalités qui ont passé peut-être un peu inaperçues jusqu'à maintenant: la question relative à la libéralisation des échanges économiques et celle relative à la constitutionnalisation du droit du travail.

Donc, on se rappelle, en 1977, et c'est aussi le cas en 1983, que notre économie était protégée largement par des barrières tarifaires. Toutefois, deux importants accords de libre-échange sont entrés en vigueur en 1989 et en 1994. De nombreux accords bilatéraux ont été conclus et d'autres sont en voie de négociation présentement. Et ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est aussi un important accord de libre-échange qui est en voie d'être négocié avec l'Union européenne, et on nous annonce la conclusion probable d'une entente de principe dans le courant de l'année 2011.

Certes, l'État peut ouvrir nos frontières et laisser les produits étrangers pénétrer notre marché. D'accord. Moi, j'ai toujours été favorable à la libéralisation des échanges économiques. Nos entreprises n'ont qu'à s'organiser pour être concurrentielles. Non seulement doivent-elles l'être sur le marché intérieur, mais plus encore il est nécessaire qu'elles le soient sur les marchés extérieurs. En janvier 2010, une étude de Statistique Québec, de l'Institut de la statistique de Québec démontrait que 28,6 % de l'emploi au total et 72 % de l'emploi dans le secteur manufacturier dépendait des exportations québécoises.

Donc, avant d'ajouter une nouvelle contrainte à nos secteurs d'activité exposés à la concurrence étrangère, je pense qu'il faut y réfléchir à deux fois. Rendre parfaitement ou à tout le moins rendre plus étanche notre régime antibriseurs de grève pourrait contraindre certains de nos employeurs, surtout dans les petites et moyennes entreprises, à signer des conventions collectives à coût plus élevé. Avant de franchir ce pas, il faudrait peut-être évaluer l'impact du régime que nous connaissons, à tout le moins, depuis 1983. Nous recommandons donc au gouvernement du Québec de réaliser une telle étude avant de poser quelque geste que ce soit en vue de renforcer le régime antibriseurs de grève. Hier, j'ai entendu M. Parent, de la CSQ, faire allusion à cela et il dit: La démonstration est à faire. Bon, moi, je vous invite à faire l'étude et vérifier si cette prétention qu'on peut avoir aujourd'hui est réelle, oui ou non, avant de poser un geste.

Pour le reste, il y a la question de la constitutionnalisation du droit de grève. Donc, je ne suis peut-être pas un très chaud partisan de la constitutionnalisation du droit du travail, mais je sais que l'Assemblée... pas l'Assemblée nationale, mais la Cour suprême du Canada s'apprête peut-être à constitutionnaliser le droit de grève. Plusieurs auteurs très sérieux, très crédibles, tant au Québec qu'au Canada anglais, appellent à la constitutionnalisation du droit de grève. Cela signifie que le droit de grève ferait désormais partie de la liberté d'association au sens de la Charte canadienne des droits et libertés, en conséquence de quoi toutes les limitations et toutes les restrictions que nos lois du travail comportent au regard de l'exercice du droit de grève pourraient être révisées par les tribunaux.

Donc, je pense, entre autres, au caractère syndical de la grève. Si la grève devient un droit individuel, est-ce qu'on peut encore parler du caractère syndical de la grève? La grève, dans notre système, appartient aux syndicats. Est-ce qu'elle appartiendra encore aux syndicats une fois que le droit de grève sera constitutionnalisé? Notre Code du travail comporte une limitation très importante à l'exercice du droit de grève, à l'article 107. Il interdit le recours à la grève pendant la durée d'une convention collective. Si cette restriction devait tomber au nom du droit de grève, au nom de la... du caractère constitutionnel du droit de grève, c'est certain que cela provoquera des déséquilibres très importants et, j'oserais même dire, des déséquilibres sensiblement plus importants que ceux auxquels on fait allusion et qui découleraient des nouvelles technologies de l'information.

Donc, M. Trudeau, ce matin, faisait allusion à une réforme plus large dans nos rapports collectifs de travail. Je ne m'aventurerai pas trop sur ce terrain-là, mais je constaterai que... je constate que la constitutionnalisation du droit de grève serait peut-être, dans un avenir très rapproché, l'occasion d'envisager une révision globale de notre régime de relations de travail. Donc, compte tenu que cette révision-là devra tôt ou tard se faire, parce que je suis persuadé que la Cour suprême va poser le geste appréhendé, je pense qu'il serait opportun de mettre de côté pour l'instant une modification à un aspect très particulier de notre régime de relations de travail et attendre les développements importants qui sont, à mon sens, imminents.

Les considérations reliées au Journal de Montréal. Donc, ce que je comprends du régime antibriseurs de grève et surtout du régime qui découle des modifications apportées en 1983, c'est que très clairement le recours à ce qu'on appelle communément la sous-traitance externe, de faire faire du travail à l'extérieur de l'établissement d'un employeur, ça n'a jamais été banni par l'article 109.1, tant dans sa version de 1977 que dans sa version de 1983.

Donc, je vous rappelle, en 1983, on a ajouté trois interdictions. Il y en avait quatre à l'origine, on en a ajouté trois en 1983. Et, dans les trois, on retrouve exactement les mêmes mots, «dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré». Et j'insiste aussi sur le paragraphe b de l'article 109.1. Lorsqu'on a voulu interdire à l'employeur de recourir aux services d'une personne à l'emploi d'un autre employeur ou d'un entrepreneur, très clairement la restriction ne vaut qu'à l'égard du travail réalisé dans l'établissement visé par la grève ou le lock-out, ce qui me fait dire que la sous-traitance externe n'a jamais été interdite.

**(14 heures)**

Je comprends, il y a certains employeurs qui ne peuvent pas recourir à la sous-traitance externe compte tenu de la nature du travail exécuté. Et certains ont vu là une forme d'inéquité, une forme de disparité entre certains employeurs, entre ceux qui peuvent recourir à la sous-traitance externe et ceux qui ne peuvent pas recourir à la sous-traitance externe. Et certains semblent y voir là une grave injustice qu'il faudrait éliminer de toute nécessité.

Donc, je vous rappelle qu'en 1977, à tout le moins, une des considérations fondamentales entourant l'adoption du régime, c'était l'élimination des actes de violence... ce n'était pas la seule considération, mais l'élimination des actes de violence sur les lignes de piquetage. Et c'est pourquoi déjà en 1977 le code se référait à du travail exécuté dans l'établissement où se déroule la grève ou le lock-out.

Donc, très clairement, avec le régime établi en 1983, on interdisait le recours à ce qu'on appelle communément la sous-traitance interne. Par contre, la sous-traitance externe n'a jamais été interdite.

Donc, on a beaucoup parlé des nouvelles technologies de l'information en relation avec la notion d'établissement, les nouvelles technologies de l'information qui auraient eu pour effet de rendre obsolète jusqu'à un certain point la notion d'établissement. Donc, l'idée que l'établissement au sens de l'article 109.1, ce serait limité dans des lieux physiques, hein, pour une entreprise de presse, à la salle de rédaction. Je regrette, il y a peut-être un juge de la Cour supérieure qui a adopté une telle conception de la notion d'établissement, mais, dans mon mémoire, je souligne déjà un jugement rendu en 1985 où on a considéré que des individus, des cadres qui travaillent chez Télébec dans un bureau situé à Trois-Rivières faisaient partie du même établissement que des salariés qui étaient en grève à Mont-Laurier. Il est complètement faux de prétendre que, d'une manière traditionnelle, l'établissement s'est toujours référé à des lieux physiques. Ça a été dit peut-être dans un jugement de la Cour supérieure, mais est-ce que, sur la base d'un jugement, à mon humble avis, erroné de la Cour supérieure, est-ce qu'on va s'embarquer dans une modification qui a des conséquences peut-être très lourdes?

Donc, je comprends que les nouvelles technologies, peut-être dans d'autres secteurs d'activité, auront une incidence importante. Sûrement que les nouvelles technologies de l'information, dans le domaine de la presse, vont faciliter la transmission des textes et des photos. Mais je ne crois pas que ce soit là quelque chose qui est au coeur du problème, qui explique pourquoi Le Journal de Montréal est publié à tous les jours depuis le mois de janvier 2009. Et, ce n'est pas moi qui invente la réponse, elle est dans la décision du commissaire Bussière, sa décision qu'il a rendue au mois d'avril 2009, lorsqu'il met en parallèle le travail fait par un journaliste de La Presse canadienne en parallèle avec un travail fait, réalisé par un journaliste de QMI. Les deux peuvent couvrir le même événement.

Donc, si je prends une autre illustration, tout à fait hypothétique, là -- je le dis tout de suite parce qu'il y a peut-être des gens qui vont réagir -- s'il y avait jamais un journaliste du Journal de Montréal qui voudrait retourner au travail, et, mettons que c'est un journaliste sportif, il va au Centre Bell, il écrit un texte pour faire un reportage sur un match de hockey qui vient de se dérouler, il y a un journaliste de La Presse canadienne à côté de lui qui fait le même travail, je comprends que le journaliste du Journal de Montréal qui est en train de faire ce travail-là, qu'il enverrait par courriel à la salle de rédaction du Journal de Montréal, ce journaliste-là très clairement fait du travail rattaché à l'établissement visé par le conflit de travail, pas le journaliste qui travaille pour La Presse canadienne qui fait le même travail peut-être à côté de lui.

Donc, c'est complètement faux de prétendre que la notion d'établissement est strictement liée à des lieux physiques, à du travail qui doit être fait -- je l'ai encore entendu pas plus tard qu'hier -- dans la salle de rédaction pour une entreprise de presse. Donc, je comprends, il y a peut-être un juge de la Cour supérieure qui a rendu un jugement qui va dans ce sens-là, mais je ne crois pas qu'il faut s'arrêter à ce jugement.

Pour le reste, dans la décision de Mme Bédard auprès de la Commission des relations du travail ici, à Québec, concernant Le Journal de Québec, on a semblé reprocher, tout au long de cette décision, à Quebecor ou à Corporation Sun Média de s'être préparées, à plusieurs endroits: Ah, ils ont fait ça avant le déclenchement du conflit, ils ont posé tel, tel, tel geste en vue de. Bien, c'est intéressant parce que, dans la décision de M. Bussière à Montréal, il met aussi en relief que l'Agence QMI a été créée dans les derniers mois de la convention collective en vigueur, là, jusqu'au 31 décembre 2008. Et il souligne fortement le caractère légitime des mesures prises par l'employeur. Un plan de contingence, avoir un plan de contingence à l'approche d'un conflit de travail, ce n'est pas quelque chose qui est interdit.

Donc, je comprends bien le Code du travail. Le Code du travail, c'est de légitimer le recours à la pression économique. Mais la Cour suprême a déjà établi qu'un employeur avait le droit légitimement de prendre des mesures pour chercher à résister à la pression générée par le conflit de travail. Et remarquez bien que les syndicats font exactement la même chose lorsqu'ils se créent des fonds de grève importants en vue de résister à cette pression à caractère économique. Et, à maintes reprises, sans toutefois se référer à la décision du Journal de Québec, le commissaire Bussière met en relief le caractère légitime des diverses mesures qui ont été prises par Corporation Sun Média en vue de résister au conflit.

Finalement, en conclusion...

Le Président (M. Ouimet): En conclusion, très bien.

M. Barré (Alain): ... -- d'accord -- la question qui se pose à nous ici aujourd'hui, bien c'est de savoir si on doit rendre encore plus étanche le régime antibriseurs de grève, entre autres, et c'est ce que fait le projet de loi n° 399 en interdisant aux employeurs le recours à la sous-traitance externe. En ce sens, le projet de loi n° 399, à mes yeux, c'est une solution que je qualifierais de mur à mur, qui va s'appliquer à tous les employeurs, y compris à ceux qui sont exposés à la concurrence étrangère. Et, sur ce point-là, j'ai déjà souligné que, en dépit de tout le respect qu'on doit à l'Assemblée nationale du Québec, l'Assemblée nationale ne pourra jamais s'opposer à la délocalisation du travail, adopter des lois qui auraient pour effet d'empêcher la délocalisation du travail. Une firme multinationale qui possède des établissements à l'extérieur du Québec pourra toujours aisément transférer sa production ailleurs. Les lois du Québec, malheureusement, n'y peuvent rien.

Donc, face à un régime antibriseurs de grève parfaitement étanche, la firme multinationale bénéficiera toujours d'un avantage par rapport à la PME québécoise, qui, elle... pour elle, ce sera toujours beaucoup plus difficile de résister à la pression économique, et en conséquence de quoi la firme... la PME québécoise aura peut-être davantage tendance à céder aux demandes syndicales, de telle sorte que les conflits seront peut-être plus courts mais à un coût, il y aura un coût pour les petites et moyennes entreprises québécoises, et c'est ce qui me fait dire qu'il faut établir...

Le Président (M. Ouimet): Bien. Là, on dépasse de cinq minutes le temps qui vous était imparti.

M. Barré (Alain): D'accord.

Le Président (M. Ouimet): Ce n'est pas que ce n'est pas intéressant, mais je dois aller vers une période d'échange avec les membres de l'Assemblée nationale.

Alors, merci pour votre contribution. Ouvrons la période d'échange dès maintenant avec M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Alors, bienvenue, M. Huppé. Je dois d'abord vous dire que votre position est pour le moins étonnante, du moins différente comparativement à ce qu'on a eu l'occasion d'entendre depuis hier matin. Et je le dis en tout respect, soit dit en passant.

J'aimerais revenir à votre mémoire, lorsque vous mentionnez: «...il n'a jamais été dans l'intention du législateur de restreindre la faculté de l'employeur de recourir à la sous-traitance externe. En d'autres termes, le législateur n'a jamais voulu faire obstacle à ce que l'employeur puisse faire exécuter du travail à l'extérieur de l'établissement visé par le conflit.»

Alors, c'est vraiment... c'est vraiment différent. J'aimerais que vous poussiez plus loin votre réflexion. À travers ce que vous nous avez dit tantôt, je me retrouve, là, mais j'aimerais que vous alliez plus loin là-dessus. Ça m'interpelle vraiment beaucoup, sincèrement, là, parce que... pas strictement par le fait que votre position soit différente, mais elle m'étonne quant à la portée.

M. Barré (Alain): Oui. Lorsque j'étais étudiant, mon professeur me parlait parfois du test économique de la grève, du conflit de travail de manière générale. Donc, avant d'enclencher un conflit de travail, il faut être en mesure d'évaluer la capacité de l'autre partie de résister à la pression qui sera générée par le conflit. Je comprends que cet exercice-là, depuis 1977 et surtout depuis 1983, est particulièrement limité, puisque les moyens d'action de l'employeur, compte tenu de ce qui est écrit dans l'article 109.1, sont fort limités, mis à part peut-être les cadres embauchés avant le début de la phase des négociations, d'accord, les bénévoles, qui à mon sens est une question assez marginale.

Qu'est-ce qui reste à l'employeur qui cherche à poursuivre sa production? Bien, il ne reste que la sous-traitance externe. Bon, il y a des employeurs qui peuvent y recourir, il y en a d'autres qui ne peuvent pas y recourir. Et, selon ce que je comprends de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, c'est légitime pour un employeur, dans notre système économique, de chercher à résister à la pression économique générée par un conflit, comme c'est légitime pour les syndicats aussi de chercher à résister...

**(14 h 10)**

M. D'Amour: Il ne faut pas perdre de vue la notion... Je m'excuse de vous interrompre, mais il y a une notion d'équilibre qu'on doit respecter aussi.

M. Barré (Alain): Oui, oui. Oui, oui. Mais là, je comprends, on a fait des choix en 1977 et en 1983 pensant que l'équilibre, avec la solution adoptée en 1983, serait maintenu, je comprends. Et ça, remarquez qu'en 1977, même lors de l'adoption de la première version du régime antibriseurs de grève, il y avait deux choses qui étaient claires: il y avait le recours aux services des cadres embauchés avant le début de la phase de négociation et il y avait aussi toute la question... on ne l'appelait peut-être pas sous-traitance externe à l'époque, là, parce que la terminologie s'est raffinée, mais le fait de faire faire du travail à l'extérieur, ça, on en était conscient lorsqu'on a élaboré la première version, et a fortiori lorsqu'on a élaboré la deuxième version, où encore on ajoute trois interdictions, et trois interdictions qui se limitent au travail exécuté dans l'établissement de l'employeur. C'est des choix qu'on a faits en 1983 quand même.

M. D'Amour: Vous avez abordé rapidement la question du projet de loi n° 399 tout à l'heure en parlant de mur-à-mur. Encore là, je vous demanderais de préciser votre pensée.

M. Barré (Alain): Donc, il me semble qu'au Journal de Montréal il s'agit d'une entreprise qui n'est pas exposée à la concurrence étrangère, hein? Les consommateurs qui achètent le journal, qui lisent le Journal de Montréal à tous les jours, ils n'ont pas le choix entre ce produit-là puis un produit en provenance de l'étranger.

Par contre, il y a des entreprises québécoises, dans le secteur manufacturier, entre autres, qui exportent, même dans le secteur des services mais surtout dans le secteur manufacturier, qui exportent de nos produits. Donc, je pense que ces employeurs-là vont être touchés au même titre que n'importe quel autre employeur, y compris le Journal de Montréal, par la référence à l'interdiction du recours à la sous-traitance externe.

Donc, je n'ai pas besoin de vous rappeler que, je pense, il y a quelques mois vous avez adopté une loi pour contraindre la STM à faire... de conclure un contrat avec la firme Bombardier. Bon, moi, je n'ai pas aimé ça, je vous le dis, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Mais, moi, je pense que l'important, c'est de...

M. D'Amour: Mais, moi, comme député dans le Bas-Saint-Laurent, moi, vous savez, j'étais nettement en faveur.

M. Barré (Alain): Oui, oui, je sais, je sais. Je suis conscient. J'en suis conscient. Oui, j'en suis conscient, j'en suis conscient. Mais, moi, je vais vous dire une chose, c'est que l'important, c'est que Bombardier soit en mesure de fabriquer au Québec les meilleures voitures de métro au monde, pas seulement pour les vendre à la STM mais pour les vendre partout sur la planète. C'est ça qui est important. Et là on enlève, on enlève un moyen auquel Bombardier pourrait recourir éventuellement en cas de conflit. Je sais que Bombardier a d'autres solutions dans sa poche, parce qu'ils ont des usines tout près des frontières du Québec, à l'extérieur du Québec, hein? C'est une multinationale, donc elle peut exporter ses emplois à l'extérieur du Québec, le cas échéant. Mais l'important, c'est ça.

M. D'Amour: La commission est riche des propos qu'elle entend. Alors, votre point de vue s'ajoute, et je vous en remercie. Je vais laisser l'occasion à mes collègues de poser d'autres questions.

Le Président (M. Ouimet): Merci, M. le député de Rivière-du-Loup. Mme la députée de Mégantic-Compton.

Mme Gonthier: Moi, dans votre... Bonjour. Bonjour, ça me fait plaisir de vous entendre aujourd'hui.

M. Barré (Alain): Bonjour, madame.

Mme Gonthier: Donc, dans le fond, si je regarde ce que vous dites, ce que vous avez dit, c'est que toute la notion d'établissement, ce serait comme un faux débat présentement.

M. Barré (Alain): Absolument, absolument. Là, on se fonde sur un jugement erroné de la Cour supérieure qui limite l'établissement à la salle de rédaction. Ça a été évoqué pas plus tard qu'hier ici même. Complètement faux, à mon humble avis. Je n'ai jamais enseigné ça. Ça fait plus de 33 ans que j'enseigne ça. Remarquez que ça faisait 33 ans hier que la première version du régime antibriseurs de grève est entrée en vigueur, hein, le 1er février 1978, 33 ans hier. Et j'ai entendu ça, mais je n'ai jamais enseigné une telle notion d'établissement. Je ne dis pas qu'il fallait pour autant maintenir la décision du commissaire Bédard. Elle avait des vices, je pense. Mais, sur ce point-là, c'est un mauvais argument.

Mme Gonthier: Donc, de vouloir changer toute cette notion d'établissement, l'amener à une notion d'entreprise, et ci, et ça, ça...

M. Barré (Alain): Bien, la notion d'établissement ne l'est pas, limitée. Il y a d'autres considérations qui peuvent intervenir, comme dans l'exemple que je vous donnais, prendre en considération le lien d'emploi, hein? Quand il y a deux journalistes qui sont à la Tribune de la presse en train d'écrire un texte, qu'ils vont envoyer chacun de leur côté leur texte à différentes salles de rédaction, ces deux journalistes-là, parce qu'ils sont assis côte à côté, ne travaillent pas dans le même établissement au sens de l'article 109.1 du Code du travail.

Mme Gonthier: C'est ça. Et donc, en bout de ligne, ce que proposerait le projet de loi n° 399, ce serait carrément un arrêt de production, point.

M. Barré (Alain): Pas tout à fait. Je dirais, le régime antibriseurs de grève deviendrait beaucoup plus étanche. Il resterait quoi? Il resterait le travail des cadres. Le travail des cadres, là, ce n'est pas tout le monde qui peut continuer à faire rouler une entreprise uniquement avec le travail des cadres embauchés avant le début de la phase de négociation. Et, comme je l'ai dit tantôt, les travailleurs bénévoles, à mon sens, c'est quelque chose d'assez marginal dans l'ensemble du système. Donc, on ne serait pas loin de l'arrêt complet de tout travail compris dans l'unité de négociation.

Mme Gonthier: Et ça, ça viendrait encore créer un déséquilibre. Si on tend vers un équilibre, qui ne sera jamais parfait, on s'entend, ça viendrait...

M. Barré (Alain): Ça pourrait peut-être amener certaines petites et moyennes entreprises à signer des conventions collectives plus rapidement. Il y aurait peut-être moins de conflits de travail, peut-être que, dans certains cas, les conflits seraient moins longs, mais en bout de ligne il y a des employeurs qui signeraient des conventions collectives qu'ils n'ont pas les moyens d'appliquer.

Rappelez-vous le cas d'Olymel, sur lequel j'étais intervenu à maintes et maintes reprises, à Vallée-Jonction. Bien, Olymel -- et il y en a d'autres aussi -- qu'est-ce qu'ils ont fait? Ils étaient pris avec une convention collective. Là, ce n'est peut-être pas imputable au régime antibriseurs de grève mais surtout à la valeur du dollar canadien, qui s'était beaucoup apprécié rapidement à ce moment-là. Bien, Olymel n'était plus capable de vivre avec sa convention collective.

Donc, obliger des employeurs à signer des conventions collectives et, six mois, un an, deux ans, trois ans plus tard, demander de rouvrir les conventions collectives parce que je ne suis plus capable de vivre avec, sous menace de fermeture, est-ce qu'on est beaucoup plus avancés en tant que société? C'est la question qu'on...

Mme Gonthier: Qu'on doit se poser.

M. Barré (Alain): Oui.

Mme Gonthier: Est-ce que le travailleur est mieux servi comme ça aussi?

M. Barré (Alain): Bien, en bout de ligne, c'est ça. Si l'entreprise ferme parce qu'elle est n'est plus en mesure de vivre avec sa convention collective, est-ce que le travailleur, en bout de ligne, est véritablement gagnant?

Mme Gonthier: O.K. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Ouimet): Merci, Mme la députée. Allons du côté de l'opposition officielle. M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: Merci, M. le Président. Bonjour à vous. Bien entendu, vous avez une expression à peu près unique dans tous les gens qu'on a reçus. Puis c'est correct. Le but, c'est ça, c'est de se faire éclairer les lanternes de tous les côtés possibles. Qu'on l'apprécie ou non, ce n'est pas le but de l'affaire, on n'est pas ici pour juger. Je vous remercie d'ailleurs pour votre mémoire, il est quand même très étoffé, puis on voit qu'il y a du travail qui a été mis dedans. On vous en remercie.

Je vais commencer par un petit... Je vais revenir avec une couple de termes que vous avez utilisés que j'aimerais discuter avec vous mais surtout sur l'histoire du... Vous dites, à la page 5 de votre mémoire: «Nous sommes d'avis que, si le Journal de Montréal a pu être publié quotidiennement depuis le déclenchement [d'un] lock-out, ce n'est pas attribuable aux nouvelles technologies de l'information ni à une conception [étrique] de la notion d'établissement.»

J'aimerais peut-être vous entendre un petit peu, là, face à ça, car, moi, je crois qu'on ne peut pas, on ne peut absolument pas, aujourd'hui, en 2011, faire semblant ou prétendre que... lorsqu'on entend les gens qui ont venu défiler ici à la commission, qui disent: Notre outil de travail est un téléphone, on était entre quatre murs pendant des années, aujourd'hui on est rendus avec Internet, et blablabla. Hier, on a eu même un exemple qu'une rédaction de presse était rendue en haut dans un hôtel, une chambre d'hôtel. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus. J'ai de la misère à vous suivre, à dire que ce n'est pas attribué aux nouvelles technologies de l'information. J'ai bien de la misère à vous suivre.

M. Barré (Alain): Bien, moi, je constate que la notion d'établissement -- ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Cour supérieure du Québec, là, pas dans le jugement St-Pierre mais dans d'autres jugements qui ont été rendus auparavant -- ne peut pas se limiter à la localisation territoriale, à la localisation territoriale distincte, ça ne peut pas se limiter à des lieux physiques, hein? Même si aujourd'hui les journalistes n'ont plus besoin d'être dans leur salle de presse, ils font quand même partie de l'établissement au sens de 109.1 qui est visé par l'accréditation, même s'ils fournissent leur prestation de travail à l'extérieur. Même si le journaliste sportif qui est sur la galerie de la presse du Centre Bell écrit son texte, même s'il ne se rend pas à la salle de presse, qu'il y va très rarement, il fait toujours partie de l'établissement de l'employeur. L'établissement, au sens de 109.1, ne peut pas être strictement limité par référence à des lieux physiques.

M. Leclair: Ça ne semble pas être le point de vue de tous les gens qui ont venu. De le voir de cette manière-là, c'est...

M. Barré (Alain): Oui, oui. Oui, mais là, eux, ils ont lu le jugement St-Pierre, ils ont lu ça, puis là ils ont dit: Ah, c'est ça, le droit en vigueur au Québec, donc il faut changer ça. Bien, moi, je vous dis: Le jugement St-Pierre, ce n'est pas le droit positif en vigueur au Québec, en dépit de tout le respect que j'ai à l'égard de ce juge-là.

**(14 h 20)**

M. Leclair: J'irais sur un autre... Je lis votre mémoire puis je crois voir une grosse... un gros lien, surtout par rapport au projet de loi, par rapport à un côté, à un aspect plus économique des choses lorsque vous parlez de restreindre puis si on parle de... exemple: Les multinationales sont avantagées par rapport aux petites PME au Québec.

Je vais prendre un petit peu l'exemple, là, qu'on a chez Prysmian, à Saint-Jean-sur-le-Richelieu, l'entreprise qui fournit des câbles pour Hydro-Québec. Alors, eux, il y a un désaccord. L'usine est encore fermée aujourd'hui, puis ils ont transféré leur production à une autre usine qui fournit toujours Hydro-Québec, notre société d'État. Alors, si je vois un lien un peu avec ce que vous dites, l'avantage et le désavantage d'une PME, d'une multinationale au Québec avec les lois qu'on a présentement, ça se trouve le meilleur exemple pour ça, là.

M. Barré (Alain): Ah, c'est un exemple extraordinaire. On ne peut pas s'abstenir de parler de Prysmian ici. Prysmian, c'est le cas par excellence. Aïe, vous avez un employeur qui avait une entreprise, ses salariés, au-dessus de 217 salariés syndiqués, très bonne convention collective, semble-t-il. Il y a un conflit de travail qui est déclenché le 1er avril 2009. L'employeur cherche à obtenir des améliorations pour bonifier le rendement, plus de flexibilité à l'intérieur de son usine. Il n'obtient pas les changements au régime de travail qu'il souhaite obtenir à la table de négociation. Qu'est-ce qu'il peut faire? Bien, il peut toujours choisir de fermer, et c'est ce qu'ils ont fait. Ils ont fermé. Et la clientèle, qu'est-ce qu'elle fait? Bien, la clientèle, y compris le plus gros client de Prysmian, qui était Hydro-Québec, continue de s'approvisionner auprès d'une usine qui est en Caroline du Sud. Et là semble-t-il qu'on est même en train d'accréditer une autre usine qui est en Ontario, exploitée par Prysmian. Hydro-Québec pourrait aussi s'approvisionner à partir de cette usine située en Ontario.

M. Leclair: Exact. Alors, on voit carrément un déséquilibre, là.

M. Barré (Alain): Bien...

M. Leclair: Sur le point de vue économique, c'est une chose. Si on le regarde économiquement parlant, on dit: L'employeur est avantagé. Lui, il continue à travailler. Mais le but d'une négociation collective, ça se passe entre deux parties.

M. Barré (Alain): Oui.

M. Leclair: Lorsqu'on arrive... Parce qu'on parle, dans le projet de loi, de limiter ce qui est fait à l'extérieur pour ne pas arriver en compétition aussi. Là, on parle de ne pas interférer ou de ne pas ingérer une troisième personne à la table de négociation. Donc, on a deux parties qui s'assoient, que, nous, on dit: Bien, il faut que ça soit équitable, il faut que le balancier soit là à la table de négociation. Si on laisse... si on ne met pas le cadre un peu plus rigide, on a toujours une troisième partie qui s'en vient avantagée, dans ce cas-là, l'employeur, parce que, lui, il dit: Regarde, on va rester en lock-out. Moi, ça adonne bien, je suis un multinational, si je ne le fais pas faire à Saint-Jean-sur-Richelieu, je peux le faire faire en Europe. Je vais payer de frais de train, de n'importe quoi. Donc, on n'est plus dans une négociation collective à deux parties mais plutôt à trois parties. Il y a une troisième partie qui vient interférer la négociation.

M. Barré (Alain): Le client? Hydro-Québec?

M. Leclair: Non, mais c'est la compagnie, la compagnie Prysmian qui est capable de fournir ses produits via une autre chose.

M. Barré (Alain): Absolument. Un autre de ses établissements, oui.

M. Leclair: On est en train de négocier. Le but, ce n'est pas, pendant qu'on négocie, qu'on est en lock-out ou en grève, de trouver... de mettre une priorité à trouver comment qu'on peut se départir puis continuer notre business. C'est de dire qu'il faut s'asseoir puis s'entendre, les boys.

M. Barré (Alain): Oui.

M. Leclair: Mais là ce n'est pas ça qui arrive.

M. Barré (Alain): Ils n'ont pas pu s'entendre chez Prysmian.

M. Leclair: Bien là, je suis d'accord avec vous, il y a des fois qu'ils ne s'entendent pas. La preuve est au Journal de Montréal, et partout ailleurs, et chez Prysmian, et on peut en nommer et en nommer. Mais le but ultime, c'est de garder une équité à une table de négo et non de trouver... et de pallier par x, y raison en définissant, dire: L'établissement, ça nous avantage ou désavantage dans ce cas-là, on utilise la faille puis on embarque dedans. Le but, c'est de régler la négociation, ce n'est pas de trouver une avenue de «by-passer» ce qui se passe à la table de négo, dans mon esprit à moi, là.

M. Barré (Alain): Donc, on... En tout cas, ce que, moi, je vous dis: Si le régime antibriseurs de grève est parfaitement étanche ou en tout cas plus étanche qu'il ne l'est présentement en interdisant de faire faire du travail à l'extérieur de l'établissement d'un l'employeur, bien je comprends que la multinationale est davantage en mesure de résister à cette pression économique. Et Prysmian, à mon humble avis, l'illustre très bien.

Et j'avais déjà donné, à l'occasion du Journal de Québec, au conflit au Journal de Québec -- on va rester dans le domaine de la presse -- j'avais donné un autre exemple. Pendant la durée du conflit, le Journal de Québec était imprimé à Mirabel, hein, pour l'essentiel, dans une usine ultramoderne. Les pressiers ont de très bonnes conditions de travail, représentés par un syndicat FTQ, pas de problème. Avec le projet de loi n° 399, et là hier on a évoqué qu'il pourrait y avoir encore un lock-out au Journal de Québec, là, c'est ce qu'on a dit hier, donc où serait imprimé le Journal de Québec, avec le projet de loi n° 399? Je vais vous le donner dans le mille: en Ontario. Bien, est-ce qu'on est plus avancés en tant que société?

M. Leclair: Mais je comprends très mal, parce que ce que vous dites, vous dites que, si on apporte le fait de l'établissement, on va forcer à aller à l'extérieur, puis, d'entrée de jeu, vous dites...

M. Barré (Alain): Bien, ceux qui ont la faculté d'y aller vont pouvoir y aller.

M. Leclair: Exact, exact. Sauf que, d'entrée de jeu, vous dites: On n'a pas besoin de le définir, il est clairement défini, l'établissement. Ils font déjà partie de l'établissement.

M. Barré (Alain): Oui, mais les lois du Québec ne sont applicables que sur le territoire du Québec. Là, il n'y a rien à faire contre ça, là, hein?

M. Leclair: Ça fait que ce n'est pas vrai de dire que l'établissement est clairement défini au Québec, là, parce qu'il n'y a qu'un exemple qui est à la Cour supérieure, qui est toujours en appel.

M. Barré (Alain): Je ne dis pas qu'il est nécessairement clairement défini. Je dis qu'il est faux de prétendre que l'établissement, au Québec, dans le cadre de l'application de l'article 109.1, c'est limité à des lieux physiques; pour une entreprise de presse, limité à une salle de rédaction. Ce n'est pas vrai que l'établissement se limite à cela.

M. Leclair: Mais ça, c'est à vos yeux. Tous les autres disaient le contraire.

M. Barré (Alain): Bien, je comprends, ils ont lu le jugement St-Pierre, puis il y en a qui se sont peut-être dit: Oui, c'est le droit positif en vigueur au Québec. Je regrette, là, le jugement St-Pierre, ça peut être renversé par la Cour d'appel sur cette question-là précisément, hein? Et il y a de la jurisprudence sur laquelle on pourrait s'appuyer pour dire que l'établissement, ce n'est pas limité à des lieux physiques. Et remarquez que le jugement St-Pierre est encore pendant devant la Cour d'appel. On pourra peut-être éventuellement en reparler.

M. Leclair: Donc, votre solution à vous, si on se rapporte un peu aux faits qu'ils nous apportent ici, côté médiatique et Journal de Montréal, on règle ça pas par une législation dans le Code du travail? Il n'y a pas de faille dans le Code du travail face à ça?

M. Barré (Alain): Non, non. Non, on ne réglera pas ça par voie de législation, je ne crois pas. Et je me rappelle, à l'automne 2008, là, bien avant les événements, au moment où on négociait... où on s'apprêtait à négocier au Journal de Montréal, un journaliste m'avait posé la question, j'ai dit: Ils vont régler sur la base du modèle élaboré ici au Journal de Québec. Bien, je m'étais trompé, semble-t-il.

M. Leclair: Ils vous ont déjoué, vous aussi.

M. Barré (Alain): Mais, à ma grande surprise, l'automne dernier, dans le blogue de Jean-François Lisée, j'ai pris connaissance de l'entente qui est intervenue au mois de décembre 2009. Bien, effectivement, quand tu regardes l'entente intervenue au mois de décembre 2009 entre Corporation Sun Média et le syndicat, je comprends que cette entente-là, c'était un cadre de règlement. Ce n'était pas une convention collective, on se comprend bien. C'était un cadre de règlement qui était modelé sur ce qui était intervenu ici, à Québec.

M. Leclair: Je vais passer la parole à mon collègue -- excusez-moi de vous interrompre -- pour une autre question.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, je vais aller...

M. Leclair: On va aller de l'autre côté avant?

Le Président (M. Ouimet): C'est-à-dire, il vous reste 3 min 10 s à votre bloc. J'irais peut-être du côté de M. le député de La Peltrie, je vais revenir du côté ministériel, puis il vous restera trois minutes et quelques. M. le député de La Peltrie.

M. Caire: Merci, M. le Président. Vous avez dit quelque chose qui, à mon sens, est majeur et fondamental, puis je veux vous entendre vous expliquer clairement là-dessus. Si on rendait plus étanches les mesures antibriseurs de grève, ce que vous nous dites, c'est qu'on pénalise l'ensemble de l'entreprise qui a pignon sur rue au Québec et qui n'a pas les moyens de sortir du Québec. Et donc, de ce fait, dans plusieurs cas, puisque, dans 80 % de notre production industrielle, on est un exportateur, on met ces entreprises-là dans une situation où potentiellement elles ne seraient plus en mesure de compétitionner aussi efficacement les autres entreprises qui sont dans la même situation et qui, elles aussi, sont sur les marchés internationaux. Est-ce que c'est bien ça que vous nous avez dit?

M. Barré (Alain): Sur ce point-là, M. Parent hier disait: La démonstration reste à faire. Et, moi, ce que je vous recommande, c'est de faire une étude par des économistes du travail qualifiés, de faire une étude pour chercher à mesurer le coût de la présence d'un régime antibriseurs de grève. Ce n'est pas facile à...

M. Caire: Mais comment, comment on peut évaluer ça? Parce que c'est très hypothétique, là, comme...

M. Barré (Alain): Bien, il y a des études qui ont été faites. J'en cite une dans ma bibliographie, là, publiée dans le Labor Law Journal en 1999, si je... Donc, je ne suis pas en mesure d'évaluer les chiffres qui sont avancés dans... parce que je ne suis pas économiste de formation, dans cette étude, mais on a cherché à évaluer le coût dans les provinces du Québec et de la Colombie-Britannique et peut-être pendant les quelques années en Ontario où on a connu un régime antibriseurs de grève.

Mais, moi, j'aimerais ça qu'on fasse, on réalise une étude à tout le moins pour la période postérieure à 1983 jusqu'à aujourd'hui, qu'est-ce que ça représente. Et là on est dans une économie de plus en plus ouverte, je vous le répète, là. En 1977, en 1983, il n'y avait pas d'accord de libre-échange. Maintenant, il y en a un, puis il y en a un autre très important qui s'en vient, qui va être conclu en 2011.

**(14 h 30)**

M. Caire: M. Trudeau nous disait: Globalement, ce n'est pas les mesures qu'on a adoptées sur les briseurs de grève qui expliquent le déséquilibre qu'il peut y avoir entre les travailleurs et les employeurs, c'est le fait que, pour l'employeur, il est délocalisé, il est sans frontières, alors que le travailleur, lui, est un peu... Évidemment, il en a, des frontières. Physiquement, il peut occuper un emploi là où il habite. C'est un peu ce que vous dites dans le fond, c'est que, si, moi, ça ne fait pas, si ma production, là ça ne fait pas, que je n'obtiens pas les conditions souhaitées, je prends ma production, je la déménage en Chine ou au Mexique, en Inde, au Pakistan.

M. Barré (Alain): C'est vrai pour les entreprises dites multinationales. La PME québécoise, plus difficilement.

M. Caire: Bien, je vous donne un exemple, Louis Garneau, qui à l'époque n'était pas une multinationale, a envoyé sa production en Chine.

M. Barré (Alain): Oui, puis il en a rapatrié une partie, oui.

M. Caire: Et puis Louis Garneau n'est pas une multinationale.

M. Barré (Alain): Non, non.

M. Caire: Je prends le producteur de jeans beauceron, là, célèbre pour ses déclarations pendant la campagne référendaire, qui a envoyé sa production en Chine. Donc, ce que je comprends, là, c'est que ce n'est pas réservé aux multinationales.

M. Barré (Alain): Non, mais les multinationales qui ont déjà des établissements à l'extérieur du Québec, c'est très facile. Même pendant la durée d'un conflit, ils ont seulement à augmenter la production dans leur autre établissement. C'est ce que fait probablement Prysmian.

M. Caire: Mais, à ce moment-là...

Le Président (M. Ouimet): M. le député, je dois aller... Je vous ai laissé beaucoup de temps.

M. Caire: Donnez-moi-z-en une petite dernière.

Le Président (M. Ouimet): Rapidement.

M. Caire: Merci, M. le Président. Comment on fait pour redonner aux travailleurs un rapport de force pour qu'ils soient en mesure de se donner des conditions de travail décentes? Parce que, dans le fond, ce que vous me dites, c'est que c'est sans solution, là.

M. Barré (Alain): Non, moi, je ne dis pas ça. Moi, je dis: Il faut faire une étude pour connaître l'impact du régime tel qu'il existe. Et peut-être qu'au moment où on aura les résultats d'une telle étude on sera en mesure de voir qu'est-ce qu'on peut encore faire dans le sens de la protection du travail. Mais, pour l'instant, moi, je ne connais pas.

Qu'est-ce que ça veut dire concrètement, le régime antibriseurs de grève, pour les entreprises québécoises? Je n'ai pas de chiffres très précis à vous donner là-dessus, je ne les connais pas. C'est pour ça que je vous suggère de réaliser une étude pour mesurer l'impact du régime, à tout le moins depuis 1983, puisque, la période 1977-1983, le régime comportait ce qu'on a appelé hier des trous, qui ont été comblés en 1983, hein?

Le Président (M. Ouimet): Bien, retournons du côté ministériel. M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Oui. Je peux revenir avec deux ou trois questions. Concernant le Code du travail dans son ensemble, est-ce qu'il y a d'autres modifications que vous envisageriez aujourd'hui?

M. Barré (Alain): Bien, aujourd'hui, moi, ce que je vous dis, c'est: Finalement, il vaudrait peut-être mieux attendre les jugements importants qui s'en viennent de la part de la Cour suprême, concernant la constitutionnalisation du droit de grève. Il y a peut-être des dispositions qui sont présentement dans le Code du travail qui vont tomber et qui vont nous obliger à revenir ici, en commission parlementaire, pour réfléchir sur l'ensemble du système de relations du travail. Donc, si on s'en va vers un droit de grève dit individuel, ou un droit de grève permanent, sans aucune interdiction ou limitation pendant le cours de la convention collective, ça nous obligera collectivement à réfléchir, pas seulement nous, au Québec, mais partout ailleurs au Canada probablement, à réfléchir sur notre système de relations industrielles.

M. D'Amour: Selon vous, quelles seraient les dispositions qui pourraient -- et j'emploie votre expression, là -- tomber?

M. Barré (Alain): Bien, je ne suis pas certain, mais une chose est certaine, c'est que, si on arrive à constitutionnaliser le droit de grève, il faut s'attendre à ce que ça ait des conséquences en quelque part, hein? Si ce n'est pas dans le régime général, ça pourrait être peut-être dans les services publics, dans les secteurs public et parapublic. Mais ça aura sûrement des conséquences.

Je ne suis pas devin pour prédire quels vont être les jugements qui vont être rendus par la Cour suprême sur la question de la constitutionnalisation du droit du travail et quelles sont les dispositions, quelles sont les restrictions que nous avons déjà dans nos lois du travail, et il y en a plusieurs, qui pourraient être susceptibles de tomber. Et je ne pense pas seulement aux limitations puis aux restrictions qui existent dans le droit du travail présentement, je pense aussi éventuellement à toutes les lois dites spéciales que parfois l'Assemblée nationale est obligée d'adopter pour régler certains litiges.

M. D'Amour: Bien d'autres, au cours de ces travaux, depuis hier matin, ont eu à se prononcer sur le vote secret au niveau de... ou en regard de l'accréditation syndicale. Puis c'est important d'aller chercher l'opinion de tous ceux qui ont témoigné... ou la plupart des personnes qui ont témoigné. Votre position là-dessus?

M. Barré (Alain): Donc, moi, je suis plutôt défavorable à cette mesure-là. Encore là, c'est une mesure ad hoc. Tantôt, on va être obligés de repenser probablement l'ensemble du système. Là, on s'attaque encore une fois à un point très précis, donc...

M. D'Amour: Mais pourquoi vous êtes plutôt défavorable?

M. Barré (Alain): Mais je comprends que les lois du travail... avoir des lois du travail très fortes, qui permettent un taux de syndicalisation relativement élevé, en fait le plus élevé en Amérique du Nord, à 40 % de taux de présence syndicale... Les lois du travail, ce sont des lois qui permettent d'avoir une classe moyenne très forte, je pense, dans notre société, et permettent, au même titre que les lois fiscales, et peut-être davantage, à certains égards, que les lois fiscales, permettent une meilleure répartition de la richesse parmi les individus.

Et je ne suis pas prêt, moi, à affaiblir le taux... prendre des mesures qui seraient de nature à affaiblir le taux de présence syndicale au Québec. Je pense que c'est important d'avoir un taux de présence syndicale important. Mais, moi, ce que je dis parfois aux syndicats: Il faut être en mesure de prendre les réalités... prendre en compte les réalités, notamment les réalités des entreprises de presse. Dans mon mémoire, en quelque part, je dis qu'on annonce la mort des journaux. Bien, si on annonce la mort des journaux, là...

On peut la nier. Et je pense que, M. Leblanc, c'est ce qu'il faisait le 24 janvier 2009, il niait l'existence de ce problème-là. Il n'y avait pas de problème au Journal de Montréal: Ils font des profits. Non seulement il n'y avait pas de problème, ils avaient un fonds de grève pour durer deux ans. Donc, je voyais là, moi, un comportement qui faisait en sorte qu'on refusait de prendre en compte la réalité, hein, le bien-fondé... ou de mesurer l'opportunité des demandes faites par l'employeur quant à la révision du régime de travail. C'est un choix qu'on a fait.

Non, ça n'a rien à voir avec le taux de présence syndicale. Je ne suis pas prêt à baisser le taux de présence syndicale parce que le syndicat refuse, dans certaines situations, de prendre en compte la réalité du marché. Et c'est le même genre de réflexion que j'avais fait à propos d'Olymel. Tu sais, Olymel n'était plus capable de vendre son porc au Japon. Qu'est-ce qu'on fait? Bien, on ferme Vallée-Jonction. Donc, ça, il n'est pas nécessaire d'abaisser le taux de présence syndicale par des mesures comme celles que vous venez d'évoquer.

M. D'Amour: Merci. Ça fait le tour pour moi, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet): D'autres questions?

Une voix: Ça va aller.

Le Président (M. Ouimet): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Oui, merci, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer et de vous remercier pour le dépôt de votre mémoire.

Je trouve ça quand même un peu particulier, je ne sais pas si vous réalisez que vous êtes en train de dire au législateur québécois: Attendez que la Cour suprême du Canada décide si, oui ou non, on doit inclure dans le droit à la liberté d'association le droit de grève pour que, vous, vous décidiez par la suite, en fonction des bons dires et de l'interprétation que fera le tribunal de la plus haute instance, pour vous positionner sur des dispositions du Code du travail du Québec. Dans la... Je comprends qu'on a dit, ce matin, que la Constitution est un arbre vivant, j'en conviens. Mais c'est quand même particulier que vous invitiez le législateur québécois à attendre les diktats de la Cour suprême du Canada avant de s'intéresser à la modernisation des dispositions du Code du travail.

Je ne peux pas m'empêcher de souligner ça parce qu'on est devant une situation concrète où on dit constamment que la Constitution canadienne n'est pas renouvelable, alors que constamment, évidemment, la Cour suprême du Canada y va de son interprétation et, comme vous le savez, par interprétation judiciaire, ajoute, enlève, modifie le texte de la Constitution. Puis l'exemple que vous soulevez nous amène à avoir, je pense, cette réflexion-là. C'est plus une réflexion, un commentaire que je partage avec vous, parce que je trouve que le législateur québécois n'a pas à être en attente de ce que notre juge de la Cour suprême du Canada décidera.

Ceci dit, j'essaie de suivre votre raisonnement. Si jamais... Vous dites: La décision est devant la Cour d'appel du Québec. La Cour supérieure aurait erré en droit dans l'interprétation du mot «établissement». Est-ce que je comprends que, même si la Cour d'appel du Québec donnait raison... c'est-à-dire modifiait la définition qui a été donnée par la Cour supérieure, sur le fond ça ne changerait rien pour les lock-outés?

M. Barré (Alain): Possiblement, parce qu'on pourrait quand même confirmer le jugement de la Cour supérieure, tout en le contredisant sur la notion d'établissement, parce que, pour moi, c'est très clairement un cas de sous-traitance externe ici, donc.

M. Cloutier: O.K.

M. Barré (Alain): Et même la commissaire Bédard, ici, à Québec, dans sa décision, l'a clairement dit: L'employeur des journalistes en question qui écrivaient des textes, là, c'étaient les agences, ce n'était pas Corporation Sun Média.

M. Cloutier: Et, pour vous...

M. Barré (Alain): Donc, on fait affaire avec les salariés d'une... avec les services... On faisait référence aux services d'une personne à l'emploi d'un autre employeur. Et très clairement Mme Bédard dit, dans sa décision: Leur employeur, ce n'est pas Corporation Sun Média. Donc, il aurait été possible tout simplement de constater qu'il s'agissait, dans ce cas-ci, d'une situation de sous-traitance externe et d'infirmer la décision du commissaire Bédard sans avoir à aller chercher cette fameuse notion d'établissement limitée par des lieux physiques. Ça, à mon humble avis, c'est complètement erroné.

Ce matin, le doyen Trudeau a évoqué le cas du transport. Très beau cas. Parce que, dans le domaine du transport, c'est quoi, l'établissement de l'employeur? Dans le domaine des services aux entreprises, l'entretien ménager, le gardiennage, les services alimentaires, c'est quoi, la notion d'établissement? Ce n'est certainement pas l'établissement... les lieux physiques exploités par l'employeur parce que, par définition, le travail se fait à l'extérieur de cet établissement-là. Donc, la notion d'établissement, c'est quelque chose de vivant qu'il faut laisser, à mon humble avis, aux tribunaux.

**(14 h 40)**

M. Cloutier: Votre point de vue est plutôt fascinant parce que vous êtes le seul, en commission, jusqu'à maintenant, à dire ouvertement que la Cour supérieure s'est clairement trompée dans son interprétation.

M. Barré (Alain): Oui. Et j'en étais conscient lorsque j'ai rédigé mon mémoire. Je savais qu'en venant ici je dirais... je tiendrais un discours complètement opposé à tout ce qu'on entendrait.

M. Cloutier: O.K. Mais, dans le...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cloutier: Mais, dans l'interprétation... c'est-à-dire dans l'application... non, même dans l'interprétation de la sous-traitance externe, je comprends que, là aussi, vous faites bande à part. Parce que, dans la mesure où... Est-ce que je comprends que la commissaire Bédard, elle, a conclu que... si on avait une interprétation plus large de l'expression «établissement», comme elle l'avait fait, elle aurait conclu à la violation des dispositions existantes? La réponse, c'est oui.

M. Barré (Alain): Elle a conclu à la violation du paragraphe b de l'article 109.1. Pourquoi...

M. Cloutier: Chose avec laquelle vous êtes en désaccord?

M. Barré (Alain): Oui, dans la mesure...

M. Cloutier: Pas sur la question d'établissement.

M. Barré (Alain): Et il y avait une circonstance factuelle, il y avait... On va faire une petite distinction, qu'on n'a pas faite encore, que je n'ai pas encore entendue ici, entre la décision du commissaire Bédard et la décision du commissaire Bussière à Montréal. Et Bussière, dans sa décision, l'a dit à au moins trois reprises dans sa décision: Les faits sont différents de ceux auxquels on était confrontés au Journal de Québec. Au Journal de Québec, on avait mis en preuve que l'éditeur du journal téléphonait directement aux agences et leur demandait: Allez, envoyez-moi un journaliste ou un photographe pour couvrir tel, tel, tel événement. Et le commissaire Bussière le répète à au moins trois reprises dans sa décision: Cette preuve-là n'a pas été administrée dans le cas du Journal de Montréal. Voilà une décision factuelle.

Je serais peut-être prêt, à la limite, à vivre avec la décision du commissaire Bédard sur la base de cette distinction, et ce qui me fait dire aussi que probablement que le jugement que pourrait rendre éventuellement la Cour d'appel là-dessus n'aura peut-être pas beaucoup d'incidence sur le conflit au Journal de Montréal, puisque les faits, à l'origine, à la base, sont fondamentalement distincts dans la mesure où l'éditeur du journal commandait auprès des différentes agences, Nomade et Keystone entre autres, leur disait: Aïe! envoyez-moi quelqu'un pour couvrir tel événement, j'ai besoin d'un texte là-dessus ou d'une photo là-dessus.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, le temps étant épuisé, M. Barre, je vous remercie... M. Barré, je vous remercie pour votre participation aux travaux de cette commission parlementaire. Merci à vous.

M. Barré (Alain): Merci.

Le Président (M. Ouimet): Et je suspends les travaux quelques minutes.

(Suspension de la séance à 14 h 43)

 

(Reprise à 14 h 47)

Le Président (M. Ouimet): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je demande aux parlementaires de bien vouloir regagner leur fauteuil et aux gens dans l'auditoire et dans l'assistance de bien vouloir faire la même chose.

La Commission de l'économie et du travail reprend ses travaux. Et nous avons le plaisir d'accueillir maintenant M. Gregor Murray. Alors, bienvenue à l'Assemblée nationale du Québec, M. Murray. Et je vous cède la parole pour environ une dizaine de minutes.

M. Gregor Murray

M. Murray (Gregor): Bon, alors vous m'entendez bien? Alors, ça fait plaisir d'être ici. Je dois souligner que je ne suis pas un spécialiste du conflit du travail au Journal de Montréal et je n'ai pas parlé aux parties impliquées dans ce conflit. Donc, j'arrive comme un spécialiste de l'externe. Vous m'avez invité à ce propos. Ce n'est pas moi qui ai proposé de venir à ce propos, au même titre que les Prs Barré et Trudeau, je crois. Et, sans doute si je suis là, c'est dans l'espoir de replacer vos réflexions dans un contexte plus large, qui est mon domaine d'expertise.

Je suis professeur à l'École des relations industrielles, à l'Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mondialisation du travail et directeur du Centre de recherche interuniversitaire de ce même nom. Alors, me voici. Et je ne suis pas juriste, alors à l'encontre des Prs Trudeau et Barré, et je ne propose pas d'aller trop dans les détails à ce propos-là parce que ce n'est pas mon domaine d'expertise. Et, bien sûr, j'interviens à titre personnel et non pas au nom des institutions, qui me donnent la pleine liberté, mais je ne représente par leurs propos. Je représente... C'est ce que je pense.

Alors, nous voici devant un conflit de droit classique, situation sur laquelle les législateurs, au Canada et ailleurs, sont intervenus maintes fois depuis le XIXe siècle à la lumière des conditions socioéconomiques changeantes, la force des acteurs en présence et des normes sociales que le législateur voulait faire valoir ou voir évoluer. Et vous voilà à ce propos.

D'une part, c'est la protection de la liberté d'association et du travail en situation de conflit, qui est un prolongement de la liberté d'association. D'autre part, c'est la liberté de faire affaire. La conjugaison de ces deux droits nous renvoie à l'essence même du Code du travail, au Québec comme ailleurs, et la complexité tient au fait que les uns exercent ces droits sur les lieux physiques des autres. Autrement dit, les droits se conditionnent mutuellement parce que cela a lieu dans les mêmes lieux physiques. C'est ça, la particularité de votre travail. Dans cette perspective, le problème que vous étudiez est nécessairement relié à l'évolution des milieux du travail.

**(14 h 50)**

Et je tiens à souligner juste un petit point. Quand on parle des décisions de la Cour suprême du Canada, il y a un autre élément qui entre dans votre réflexion parce que l'Assemblée nationale est liée par les conventions internationales auxquelles elle s'est souscrite, donc Nations unies, Organisation internationale du travail. Et, qu'il s'agit de la Cour supérieure ou de la Cour suprême, de plus en plus, c'est le mérite de la jurisprudence canadienne de tenir compte de ces obligations internationales, donc la reconnaissance grandissante d'un droit d'association comme un droit fondamental des droits humains. Et donc vous êtes reliés, dans ce sens-là, par ce type de décision, que ça passe par la Cour suprême ou que ça passe par une autre manière. Juste une petite précision parce que je pense que c'est, j'espère, pertinent.

Alors, dans le temps qui m'est disponible, j'aimerais parler de six choses -- si je n'y arrive pas, c'est comme un prof, je vais le reprendre dans la période des questions: la révolution technologique et organisationnelle; comment changer les institutions en contexte de mondialisation, les études des impacts des lois antibriseurs de grève, quelques pistes de réflexion, les enjeux d'une réforme majeure du code et deux autres considérations, l'une sur l'innovation, les partenaires et le climat social, et l'autre, comment promouvoir les négociations en contexte de changement. Je pense que ce n'est pas tous vos intervenants qui ont touché ce type de points, alors j'espère que ça peut aider à votre démarche.

Comme la plupart des gens ont dit, sur le premier point, la révolution technologique et organisationnelle, il est évident que l'évolution des modèles technologiques et organisationnels, au cours des trois dernières décennies, est majeure. De multiples études en traitent. Il doit suffire d'identifier comment l'introduction de nouvelles technologies d'information et de communication et la libéralisation du commerce et d'autres formes de régulation sectorielle -- exemple, télécommunications ou les appels téléphoniques, etc. -- ont provoqué une transformation profonde dans les modèles d'entreprise et leur mode de gestion. Fait.

La notion d'établissement n'a maintenant un sens que dans le contexte d'un réseau de relations économiques plus complexes et souvent multiformes. On ne parle pas de multinationale, on parle de chaîne de valeurs, on parle de chaîne de production. Ce n'est pas pour rien que les travailleurs de cafétéria chez Bombardier ne sont plus des employés de Bombardier, ils sont des employeurs d'une autre entreprise qui travaille là-dessus. Et ça, c'est la tendance générale, eu égard du pays où on le regarde. Et je ne crois pas... Cela nous donne une flexibilité enviable pour beaucoup, mais il y a des effets pervers, et ça met en branle vraiment l'inadaptation du Code du travail à ce propos dont... et pas seulement dans le contexte des conflits qui pourraient inciter votre travail ici.

Deuxième point, les institutions et la mondialisation. Si le monde est plat, comme prétendait Thomas Friedman, du New York Times, les institutions et les compromis sociaux qu'elles représentent ne le sont pas. Le gazon est plus alléchant chez les voisins, mais devrions-nous faire comme eux? Ça, c'est la question. Mais les autres n'ont pas nos institutions, et on ne peut pas faire table rase sous prétexte que les autres n'ont pas ces institutions. Sinon, on n'aurait pas la Caisse de dépôt et placement, on n'aurait pas un régime d'assurance médicaments, on n'aurait pas Hydro-Québec, on n'aurait pas des fonds d'investissement syndicaux, on n'aurait pas une disposition antibriseurs de grève, et j'en passe.

Il faut reconnaître que nos lois et nos institutions traduisent les normes sociales, tout comme celles des autres pays. Le législateur peut chercher à les infléchir pour améliorer leur efficience et encore pour tenir compte des changements de contexte ou de l'évolution des parties prenantes de la société. Et les décisions d'investissement des multinationales tiennent rarement aux dispositions d'antibriseurs de grève. Ça tient lieu d'un ensemble très complexe. Ça peut jouer, mais que ce soit un facteur de plus que 1,5 % sur 100, ça m'étonnerait, Surtout, juste les lois du travail. Ça joue. Les Français croient que nous avons une flexibilité absolument formidable, qu'ils n'ont pas. Et cela est relié à un ensemble de facteurs de l'économie canadienne et notre régime de travail.

Mais mon constat est simple, et il part de l'observation institutionnelle dans de nombreuses sociétés. Il ne faut pas avoir peur de nos propres spécificités institutionnelles. Il y a un corollaire. Naturellement, le législateur a tendance de vouloir regarder l'expérience ailleurs, mais cette expérience n'est pas toujours comparable. Exemple, on parle du taux de syndicalisation ici et on dit que c'est élevé, mais, quand on regarde les données du Canada dans une étude récente des pays de l'OCDE, le taux de couverture syndicale, on est 16e sur 19 pays étudiés, parce que le taux de couverture est très élevé dans d'autres pays, par convention collective. Les conditions sont déterminées par les conventions collectives, mais les gens ne sont pas syndiqués. Parce que le sens d'être syndiqué et le sens de couverture syndicale, d'un régime à l'autre, n'est pas le même. Deuxième exemple, la grève fournit, dans ce sens, un contexte particulier. En France, le droit de grève est un droit individuel. On ne parle pas de briseurs de grève, on ne parle pas d'antibriseurs de grève parce que la grève n'a pas le même sens. Alors, étudier comment résoudre ce problème, c'est là un sens dans notre cas. Ça fait que cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas regarder ce qui se passe ailleurs au Canada ou dans d'autres pays, mais il faut se méfier de ces comparaisons.

Il faut donc, à mon avis, tenter de trouver des solutions qui cadrent avec nos propres institutions et d'éviter la pensée magique qu'il faut faire exactement comme les autres. Exprimés autrement, différents ensembles institutionnels répondent aussi bien aux enjeux de compétitivité et d'efficience sociale. Et, si vous regardez le rang des pays les plus compétitifs, au Davos, la semaine dernière -- on le donne toujours lors du forum de Davos -- je descends: Suisse, Norvège, États-Unis, Singapour, Suède, le Canada est dans le top 10. Ces institutions ne se ressemblent pas. Les sociétés arrivent à des solutions variables au même type de problème en fonction de leur propre histoire et leurs normes sociales. Cela rend votre travail plus difficile, mais d'autant plus intéressant, car il faut construire les solutions avec les acteurs du milieu.

Troisième point -- je vais être très bref, je pourrais être beaucoup plus long -- grosso modo, les études sur les impacts de la législation antibriseurs de grève que souhaitait mon ancien collègue à l'Université Laval, Me Barré, il ne faut pas trop s'y fier, et j'explique pourquoi.

La grève la plus récente... la grève, excusez-moi, l'étude la plus récente que je trouve plutôt fiable, de Duffy et Johnson, dans Canadian Public Policy, qui regardaient l'expérience entre 1978 et 2003, juste entre la loi antibriseurs de grève et les effets. Quels effets? L'incidence, la durée et le nombre total de journées perdues en raison des grèves. Augmentation de l'incidence, disent-ils, diminution de la durée, effet neutre, après deux ans d'implantation, sur le nombre de journées perdues. Vous voyez, c'est... Et ça, c'est une assez bonne étude qui a été faite. Et une autre étude suggérée: Diminution du niveau de violence sur les lignes de piquetage.

Et, je vous dis, les études sont complexes parce qu'on a trois expériences: Colombie-Britannique, depuis 1993; Québec, depuis 1978, bonifié dans les années quatre-vingt; et l'Ontario, entre 1993 et 1995. Ça ne fait pas beaucoup d'expériences, et il y a de nombreux problèmes méthodologiques avec ces études, et ils sont de trois ordres.

D'abord, généralement, on introduit plusieurs types de réformes en même temps. Alors, comment séparer ces réformes? Il n'y a pas d'impact. Et souvent les auteurs, même, disent: L'arbitrage obligatoire dans la première convention collective ou l'arbitrage possible dès la première convention collective diminue le nombre de grèves, tandis que la loi antibriseurs de grève peut avoir une incidence sur la hausse du nombre de grèves, mais aussi ça diminue la durée de ces grèves. Vous voyez? Il y a beaucoup de mouvements... beaucoup de facteurs.

Deuxièmement, les auteurs reconnaissent que les modèles statistiques ne sont pas toujours robustes, autrement dit faible variation expliquée, et n'arrivent pas à tenir compte de toutes les variables pertinentes. Exemple, parce que deux des expériences, c'est la Colombie-Britannique et le Québec, et où est-ce que l'industrie forestière est la plus forte au pays, au Canada? Colombie-Britannique et Québec. Alors, il y a énormément de conflits qui sont associés avec des industries à des fortes cyclicités -- excusez l'expression.

Et le troisième, et c'est le plus amusant, la suggestion d'une relation de cause à effet est assez problématique parce qu'on peut avoir... Il s'agit généralement des gouvernements du NPD ou du PQ qui ont implanté... Alors, pour aller à l'essentiel, comment séparer le vaisseau du porteur du vaisseau? Autrement dit, est-ce que c'est l'effet de la loi ou est-ce que c'est l'effet du gouvernement? Quand on arrive à l'étude des effets et que leurs corollaires, qui sont très problématiques... il y en a à peu près deux ou trois, sur l'emploi et sur l'investissement, il est très difficile de séparer ces facteurs. Et, pour aller au plus simple, je parlais avec un collègue qui était l'auteur de l'une de ces études, il a dit: Ils ne sont pas assez robustes pour fonder des politiques publiques. Alors, pas de pensée magique à ce propos. Je l'exprime autrement. Vous ne souhaiteriez pas que les stratégies pour combattre le cancer d'une personne proche de vous soient basées sur des résultats si faibles. Et c'est un problème. Moi, je crois que la création de...

**(15 heures)**

Le Président (M. Ouimet): M. Murray, désolé de vous interrompre, mais on a dépassé de trois minutes le temps imparti.

M. Murray (Gregor): Je veux juste terminer cette phrase.

Le Président (M. Ouimet): Vous avez trois autres points. Oui.

M. Murray (Gregor): La création de la richesse au Québec, qui vous préoccupe de manière légitime, ne relève pas d'une disposition sur les briseurs de grève, mais plutôt de ce que les salariés, en collaboration avec leurs partenaires, font dans les milieux du travail. Et donc il faut tourner votre attention vers ces éléments-là, de comment on arrive à promouvoir le partenariat, le partage, ainsi de suite. Excusez-moi d'avoir dépassé le temps.

Le Président (M. Ouimet): Pourriez-vous juste nous glisser une ligne sur les trois points que vous n'avez pas réussi à développer?

M. Murray (Gregor): Ah! Ça, c'était juste... C'était une bonne stratégie, donc...

Le Président (M. Ouimet): Juste pour permettre aux parlementaires... parce qu'on...

M. Murray (Gregor): Bon.

Le Président (M. Ouimet): ...on n'a pas eu le texte de votre présentation.

M. Murray (Gregor): Ah, disons, je rejoins les propos de mon collègue Gilles Trudeau, je crois que... dans le sens qu'action, inaction, je suis plutôt du côté d'action, parce que ne rien faire... Et, si on peut conduire un camion à travers un dispositif législatif, vous êtes en train de passer un message que c'est acceptable. En même temps, il faut aller doucement, parce qu'il ne faut pas empêcher l'impartition. Il faut séparer l'impartition des conflits dans lesquels il y a peut-être des possibilités, dans le sens que c'est... l'impartition, on ne veut pas l'arrêter, donc il y a des solutions juridiques qui peuvent être regardées, les entrepreneurs dépendants, les pratiques déloyales, ainsi de suite.

La réforme majeure du Code du travail, je la laisse à côté au cas où vous posez la question. Et je veux simplement donner ces deux autres points de vue, à savoir la relation entre la stabilité des partenaires et l'amélioration du climat des relations du travail. On a fait des choses assez importantes au Québec au cours des années quatre-vingt et des années quatre-vingt-dix: fonds de solidarité, partenariats, allongement des conventions collectives, beaucoup moins de pression sur les négociations collectives parce qu'on met en place des mécanismes permanents de résolution des problèmes, etc. Et, moi, je dis: On a réussi à faire ce type d'innovations parce qu'on ne remettait pas en cause la légitimité d'un des partenaires. Si le discours est: On ne peut pas faire ça parce que vous n'êtes pas vraiment légitimes, est-ce que ça nous pousse vers un climat social d'innovation qu'il nous faut pour faire concurrence dans un monde de plus en plus concurrentiel à la lumière de nos institutions?

Le deuxième constat: Comment pourvoir des règlements négociés en contexte de changement? Il faut expérimenter. Notre régime met beaucoup trop de poids sur les négociations collectives. Et la négociation collective est épisodique. On veut avoir une négociation en permanence. Or, un des lieux où notre code est très faible, c'est sur l'obligation de fournir l'information et l'obligation de consultation avant les décisions majeures. S'il y a plus d'information qui circule, moi, j'ose croire que les ajustements de plan d'affaires, qui doivent se faire très souvent, vont se faire plus facilement dans un contexte où on arrive à avoir des mécanismes permanents de consultation et d'échange d'information.

Et on ne peut pas dépendre simplement de la période des négociations collectives où on met tout le poids là-dessus. Et, malgré tout le bon travail du Service de médiation et de conciliation du ministère du Travail, leur constat: il faut pousser et développer des mécanismes permanents. Et vous avez un rôle à jouer à ce propos, parce qu'on les voit dans d'autres pays, ces mécanismes, mais on les voit très peu en Amérique du Nord.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, merci, Pr Murray. On a dépassé quelque peu le temps. Mais voyons voir ce que nous pourrons développer avec vous dans le cadre de la période d'échange. M. le député de Rivière-du-Loup, à vous la parole.

M. D'Amour: Moi, je veux en remettre, M. le Président, parce que vous avez effleuré, j'oserais dire, très, très rapidement la question de la réforme du Code du travail. Vous avez même dit: Si on me pose la question, je pourrai y revenir. Alors, je vous la pose, la question. J'aimerais qu'on y revienne. Alors, je vous écoute là-dessus.

M. Murray (Gregor): D'accord, oui, merci de la question, c'est d'une gentillesse! Et, moi, j'ai été favorable au contrat avec Bombardier, je dois le dire...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Murray (Gregor): ...parce que ça nous permet de créer la richesse au Québec. Et l'autre élément que j'ai oublié de dire, et c'est sans doute le plus amusant, parce que tous les gouvernements qui ont fait des dispositifs d'antibriseurs de grève ont été soit sociodémocrates, NPD ou PQ. J'aimerais bien qu'un gouvernement qui n'est pas de cette alliance politique fasse une telle innovation qui, sur le plan expérimental, serait formidable pour nous, les chercheurs.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Murray (Gregor): Alors, sur la réforme du Code du travail...

Des voix: ...

M. Murray (Gregor): ...trois questions... oui, trois questions... trois réponses. Oui, parce que notre régime présente des inconvénients majeurs. C'est très injuste qu'une partie si importante de la population soit exclue de la représentation: cols blancs, travailleurs précaires, travailleurs dans des petites entreprises. Autrement dit, on a un régime à géométrie variable. On a plein de choses qui doivent aller sur la possibilité d'avoir un «input», d'avoir son mot à dire au sein de l'entreprise via une représentation quelconque, et on ne le fait pas parce que soit ça va par un régime syndical qui est très intensif et très difficile d'accès, soit on ne le fait pas du tout. Et bon nombre de systèmes ne font pas une division si radicale. Donc...

Et, il faut également dire, à une époque où les conflits sont susceptibles d'être de plus en plus internationaux, nous avons des obstacles considérables à des conflits transfrontaliers, parce que c'est juridiquement encadré comme ça, tandis que les conflits de l'avenir vont traverser les frontières. Il faut y réfléchir dans nos groupes de travail. Ce n'est pas un empêchement dans bon nombre de pays européens. Non, parce que c'est une boîte de Pandore. Vous avez vu, depuis deux jours, que c'est très difficile à trouver, un consensus, et cela suppose un long travail. Et pourquoi faire table rase, et un travail de longue haleine, et de faire la pensée magique parce que c'est peut-être mieux chez le voisin?

Là, je reviens sur mes propos institutionnels. Je pense qu'il faut travailler dans des solutions intermédiaires, entamer une réflexion et tenter de l'expérimentation dans une optique volontaire, où on dit: L'expérimentation doit se faire sur une certaine période et introduire une obligation d'information. Moi, je pense que le rapport qui est génial à ce propos, c'est le rapport Bernier, qu'on a déjà mentionné, qui n'a pas dit: Nous avons un problème avec les travailleurs précaires. Voici, à l'intérieur de nos cadres institutionnels, comment on peut proposer des solutions qui sont dans le développement naturel institutionnel qui est le nôtre. Ce même travail doit se faire, et je pense que vous avez des éléments. Je pourrais en parler plus, mais j'aimerais mieux faire parler des juristes de ce type de réflexion qui peut se faire à l'intérieur de nos propres structures.

Le Président (M. Ouimet): Je vais peut-être y aller, si vous permettez, avec une question sur un point que vous avez très peu développé, mais qui... Vous avez parlé de l'impartition, vous avez parlé de solutions, vous avez dit que c'est louable, ce que le législateur tente de faire. J'ai en tête, bien sûr, le conflit de travail au Journal de Montréal. On a entendu, ce matin et cet après-midi, vos deux prédécesseurs, qui disaient que d'intervenir au niveau de la législation pour éliminer ou combler la brèche leur semblait difficile, pour ne pas dire impossible, parce que ça touche beaucoup d'autres domaines de travail. Quel est votre point de vue là-dessus?

Face au problème auquel nous sommes confrontés, où il y a un conflit de travail qui dure depuis maintenant deux ans, on a l'impression, nettement, qu'il y a un stratagème qui a été mis sur pied avec une agence pour éluder l'effet de la loi. Que peut faire le législateur face à cette situation-là? C'est un conflit de travail qui est privé mais qui implique également la liberté de presse, la diversité des opinions. Avons-nous, à quelque part, une ouverture pour pouvoir tenter de trouver façon d'éviter que de tels conflits ne se reproduisent dans le domaine des médias d'information?

**(15 h 10)**

M. Murray (Gregor): J'essaie de rester dans mes domaines d'expertise. Alors, la concentration de la presse et ses autres éléments, les médias d'information et la diversité des sources d'information sont bien sûr importants. Je suis plutôt en accord avec le Pr Barré, que les acteurs ne peuvent pas faire abstraction des forces du marché. Et donc, votre rôle, c'est de s'assurer que l'échange d'information et les mécanismes d'État peuvent intervenir. J'ai aussi entendu des propos intéressants, que la justice retardait et la justice reniait. Alors, si c'est très long à faire fonctionner nos lois du travail, par exemple, à propos des dispositions antibriseurs de grève, c'est un facteur qui ne peut que faire prolonger les grèves.

Moi, je suis réticent de vouloir utiliser une seule pièce législative. Par exemple, on l'a fait en Ontario pour un retour au travail des chargés d'enseignement à l'Université York, qui est assez exceptionnel et même un peu étonnant face à l'incapacité. Mais est-ce qu'on a épuisé tous les recours? Moi, j'ai beaucoup confiance dans nos mécanismes de négociation collective, malgré les problèmes vécus dans ce cas-ci. Mais je suis d'accord qu'il y a un problème dans la définition de l'établissement, qui semble vouloir prolonger le conflit.

Cela dit, que les médias d'information évoluent, qu'il y aurait de l'impartition dans ces médias, que la structure d'affaires de ces entreprises va se modifier et que les parties des uns et des autres vont s'ajuster, il faut remarquer qu'on est arrivé à faire sans conflit dans certaines entreprises et sans conflit dans d'autres. Et je sais que je patine, à ce moment-là, mais dans le sens que, sur le plan intellectuel, on est réticent à définir un cadre qui peut avoir de multiples effets corollaires, sous prétexte de résoudre ce problème-là. Quand on fait l'analyse serrée du problème et on dit: Si la justice a été rendue plus rapidement, si la définition de l'établissement est autre, dans ce cas précis de conflit, le cours du conflit aurait été autre.

Le Président (M. Ouimet): Bien, merci. Opposition officielle. On va revenir, il reste un autre bloc de temps. M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: Bien, tout d'abord, mes salutations. Merci d'être là, merci d'éclairer nos antennes. Puis j'aimerais surtout rajouter que vous me réconfortez un petit peu, car je ne vous cacherai pas que je prends toujours des petites notes à chaque groupe qui vient nous... Puis les notes que j'avais prises de votre prédécesseur étaient de bonnes idées colorées. J'avais encerclé «colorées» un peu. Puis là je commençais à me poser de sérieuses questions, parce que, quand on parlait tantôt de changements technologiques, je pense qu'on ne peut pas passer à côté du fait que le Code du travail, la loi antibriseurs de grève date de 1977. Et, comme vous avez si bien dit, la technologie nous rattrape. On n'a pas le choix. Même si on ne veut pas le dire, si on ne veut pas l'avouer ou si on a complètement une vision autre, on fait face à cette technologie-là, puis je crois que directement le fait de l'établissement, bien, vient nous redonner espoir de dire: Bien, il faut la redéfinir. À quel niveau? Comment qu'on va la définir? Comment que ça va finir par cadrer tout ça? On travaillera avec la plupart des groupes pour tenter de trouver une solution qui va être encourageante pour tout le monde.

J'aime surtout le fait aussi que vous dites de prendre compte des déficiences sociales et du caractère social d'une négociation. Lorsqu'on parle de garder l'équité de chaque côté d'une table de négociation collective, bien un rapport de force, pour moi, va au-delà de l'économie. Mais de dire qu'on doit oublier l'économie pour régler toute entente, je ne suis pas tout à fait d'accord non plus. Il y a le côté économique. Le facteur économique des entreprises, il faut le voir de compte. Puis je ne crois pas nécessairement, dans toutes les conventions collectives, qu'on ne prend pas compte de l'économie du marché non plus.

Alors, j'aimerais vous entendre un petit peu plus sur le fait... où est-ce que vous élaborez le fait de... il faut prendre en jeu ou en compte tout le côté social lorsqu'on négocie. Oui, il faut voir le facteur économique. Alors, si on redéfinit l'établissement pour tenter d'équilibrer l'équilibre de force de chaque côté de la table... Bien, j'aimerais vous entendre un peu plus, là, sur le rapport social que ça fait, après ça, une entente qui est bien négociée.

M. Murray (Gregor): Bien, il est clair que les milieux performants ne le font pas, sauf exception, par le gros bâton, surtout dans un milieu social comme le Québec, une société industrielle avancée. On va dans les entreprises qui s'ajustent bien, que ce soit Bombardier Aérospatiale, que ce soit Pratt & Whitney ou bien d'autres, on se retrouve face à des ententes et à un dialogue permanent entre les partenaires et les conditions qui y donnent lieu. On aimerait que ce soit la norme, mais ce ne l'est pas tout à fait.

Alors, moi, je dis: Le législateur peut quand même jouer un rôle, outre le côté administratif, via le ministère du Travail. On n'est pas toujours obligés d'accomplir toutes les modifications des pratiques par la législation, parce qu'il existe une arme administrative de l'État qui est capable de pousser, et le ministère du Travail fait ça assez bien, mais je pense qu'il nous manque des outils. En même temps, et là je dois dire, la technologie nous rattrape dans l'ensemble dans le Code du travail.

Mais ma réticence est de dire: On ne peut pas faire table rase du Code du travail, donc il faut travailler à la pièce. Un vrai problème, c'est sans doute la définition de l'établissement, la définition opérationnelle. Et peut-être que les décisions des tribunaux au Québec vont éclairer ça, et ça peut changer la donne, même pour nos discussions ici. Sinon, il est possible d'entrevoir différentes solutions intermédiaires qui gardent un rapport de force qui nous permet de tenir compte de l'évolution des pressions économiques tout en donnant les outils aux acteurs.

En même temps, moi, je dis: L'aspect social est très important. Nous pouvons être expérimentaux et pédagogiques en cherchant à rendre plus permanents des mécanismes de consultation. Et il est clair que les solutions négociées s'implantent mieux, sont mieux vendues auprès des salariés eux-mêmes -- parce que ce n'est pas toujours les salariés -- et supposent une diffusion de l'information qui facilite le changement.

Il est clair qu'il y a des conflits-phares, parfois violents. Et on ne peut pas prétendre que tout... Le législateur ne peut pas assurer que la situation concurrentielle de toutes les entreprises soit identique. C'est un peu loufoque de penser que la petite entreprise va avoir la même situation compétitive que la grande entreprise, quand ses ressources technologiques, du capital, de mobilité technologique, et tout le reste... Mais l'objectif, pour nous, à l'égard des petites entreprises, c'est d'assurer leur intégration dans ces réseaux plus grands et de développer le capital humain et technologique pour qu'elles puissent devenir autre chose que les toutes petites entreprises.

M. Leclair: Bien, je suis très content d'entendre aussi le point de vue de dire: On ne peut pas tout oublier tout le Code du travail, tout l'ouvrage qui a été fait par nos prédécesseurs, puis de dire qu'il faut tout le regarder, on le jette par-dessus bord, on repart à zéro. Qu'on le regarde à la pièce, parce qu'on... Puis, je pense, la plupart des intervenants, là, je dois dire, la plupart des intervenants ont dit que le Code du travail avait sa place puis, on n'a pas le choix, il faut le travailler plus à la pièce que de tout l'enlever. Puis l'intervenant précédent nous disait que ce n'était pas trop, trop la job du législateur de s'infiltrer à ça. Mais, le Code du travail, c'est nous qui avons à changer les lois puis donner des outils, comme vous dites si bien, aux entreprises pour tenter d'équilibrer les forces lors d'une table de négo.

Puis je dois ici rajouter que même le Barreau du Québec nous envoie une lettre, là, qu'il a envoyée à la commission, il dit qu'«il est sain que le législateur examine ces dispositions à la lumière de l'évolution de la société». Alors, je crois que vous faites... vous cadrez parfaitement avec le Barreau, qui dit que, oui, le législateur doit s'assurer de donner les outils minimums pour au moins donner un minimum d'encadrement. Puis, dans le cas qui fait fi ici, bien, c'est dans la loi antibriseurs de grève qu'on se doit d'assurer que le mot «établissement» soit mieux défini. Puis après ça, bien, on va vivre avec l'expérience puis on pourra réajuster le tir pour les autres, que ça soit pour les délais... Alors, en ce qui me concerne, c'est bien pour moi. Est-ce qu'il reste du temps pour notre côté?

Le Président (M. Ouimet): Oui, oui, il vous reste du temps. Maintenant, on...

Une voix: ...

Le Président (M. Ouimet): On est rendus à sept minutes. Je vais aller du côté de la deuxième opposition... ou de notre collègue député de La Peltrie et puis par la suite je reviendrai. Mais il vous reste beaucoup de temps.

M. Caire: Merci de faire la distinction, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet): M. le député de La Peltrie, pour environ deux minutes. Vous progressez: d'une minute à deux.

M. Caire: Oui, écoutez, l'année prochaine, je vais en avoir trois.

M. Murray, je vous écoutais, puis je reviens un peu sur ce que M. Barré disait. Dans le fond, ce qu'il disait, c'est que, si on rend plus étanches les dispositions antibriseurs de grève, il y a une possibilité que, pour la petite et moyenne entreprise québécoise qui est sur les marchés d'exportation, ces mesures-là la rendent moins concurrentielle, parce que... sa prémisse à lui, c'était que ça amenait des conventions collectives difficiles à soutenir dans un marché de forte concurrence.

Dans votre exposition, d'entrée, vous avez dit... Et lui nous recommande évidemment d'évaluer ça avant de faire quoi que ce soit qui pourrait avoir un impact négatif de cette nature-là. Vous, d'entrée, vous dites: Bien, les études, ce n'est pas fiable, pas sûr qu'on peut vraiment s'embarquer là-dedans. Mais en même temps vous dites, dans le même souffle, qu'il faut tenir compte de la situation des marchés. Donc, d'un côté, vous dites: M. Barré est peut-être dans le champ, mais en même temps il a raison. J'aimerais ça que vous éclairiez ma lanterne à moi.

**(15 h 20)**

M. Murray (Gregor): Ah! Oui, je pense que vous soulignez des points intéressants.

M. Caire: Toujours.

M. Murray (Gregor): Je ne crois pas que M. Barré est dans le champ, dans le sens que les acteurs doivent toujours tenir compte des forces du marché, c'est exactement le jeu de la négociation. Et, si 99,x % des conventions collectives se règlent sans conflit, c'est parce que les acteurs sont en train de tenir compte des forces du marché, pas... Et moi, mon argumentaire, c'est mon impression au Québec qu'on met beaucoup trop de pression sur le moment de la négociation collective qui a un certain caractère cathartique, mais en même temps, là où ça marche, on négocie en permanence, c'est toujours ouvert. Et, dans la petite entreprise, je pense que c'est le bon exemple, si on va, via un conflit, perdre un contrat majeur duquel l'entreprise dépend totalement, mais le conflit est totalement idiot et de part et d'autre. Autrement dit, je pose un problème: Où est le problème sur le plan informationnel que les gens n'arrivaient pas à apprécier ce problème?

M. Caire: Si je peux me permettre...

Le Président (M. Ouimet): Malheureusement, M. le député...

M. Caire: Je ne peux pas me permettre.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Ouimet): ...on est rendus à 2 min 30 s. Je vais aller du côté ministériel. Désolé.

M. Murray (Gregor): ...je ne dirai rien en réponse en raison de l'injustice à cet égard.

Le Président (M. Ouimet): Libre à vous ce que vous voulez répondre. M. le député de Jean-Lesage.

M. Drolet: Merci, M. le Président. Bienvenue, monsieur. Écoutez, mon intervention se situerait sur la remarque de M. Barré tout à l'heure, qui a mentionné que plusieurs entreprises ont eu naturellement, à un moment donné, par des réalités économiques, à être obligées à en arriver à un constat de fermeture ou de transfert d'entreprise, que ce soit ailleurs au Québec ou ailleurs en Amérique. S'il y avait eu une certaine écoute et de part et d'autre, vous avez aussi... vous avez mentionné ça tout à l'heure dans vos propos, que peut-être que des fois il y a des choses qui pourraient se régler. Vous avez parlé d'une entente peut-être qui pourrait être... poser des mécanismes plus permanents qui pourraient permettre qu'au lieu d'arriver à un constat de conflit de travail et de faire en sorte qu'il y ait négociations ardues, il pourrait y avoir des solutions. Et vous avez donné l'exemple que peut-être partout... pas partout, excusez-moi, mais ailleurs vous aviez des exemples comme ça, parce que finalement il y avait peut-être des moyens. J'aimerais vous entendre un peu là-dessus.

M. Murray (Gregor): Bien, c'est triste, quand ça arrive, qu'une entreprise ferme au moment d'un conflit de travail. C'est triste qu'une entreprise ferme, mais honnêtement cela arrive tout le temps. Le taux de faillite ou de renvoi de nouvelles entreprises, ça fait partie du processus entrepreneurial. Bien sûr, les entreprises bien établies où les gens se sont investis, leur vie, pour les faire fonctionner, et puis on se retrouve face à une situation où l'entreprise n'est pas concurrentielle, très souvent le conflit qu'on constate n'est pas la cause, c'est le symptôme.

Autrement dit, si on se retrouve dans une situation où on peut déplacer les activités ailleurs à un prix de 20 % du coût parce que ça coûte beaucoup moins cher au Vietnam ou en Chine ou au Mexique, bien, on se demande: a, si l'entreprise est dans le bon créneau; b, pourquoi les gens n'avaient pas les bonnes informations avant et ont cherché à agir là-dessus? Parfois, c'est possible. Parfois, ce n'est pas possible. Il ne faut pas tout mettre sur le dos, ces fermetures, le conflit. Le conflit est symptomatique, c'est malheureux, mais on n'arrive pas à s'entendre. Et on peut supposer, en tant que spécialistes, pourquoi on est arrivés là. Parfois, il y a des conflits où...

Le conflit permet l'ajustement des attentes des uns et des autres, mais très souvent il y a des cas tristes aussi. Et je pense qu'on peut imaginer des types de mécanismes à la fois du côté administratif mais aussi, tranquillement, par l'introduction par le Code du travail des formes de consultation et d'obligation. Et, je souligne, généralement ces formes de consultation étudiées ailleurs ne fonctionnent pas très bien dans l'absence de syndicat. Il faut un acteur organisé. Et la consultation et le dialogue social fonctionnent le mieux quand il y a des acteurs organisés. Cela permet de structurer le patron, y compris dans la petite entreprise. Mais il faut les former, il faut avoir de l'information, il faut avoir un système de formation qui permette de bonifier le capital humain, etc. Ça fait partie d'une plus grande approche à la prospérité fondée sur le partenariat social qui fait sens dans un contexte comme le Québec qui a un degré d'homogénéité qui le rend possible, comme la Suède, comme la Norvège, comme l'Allemagne, qui est le moteur d'exportation économique et qui est fondé sur le dialogue social et une capacité d'échange informationnel qui le rendent encore le pays le plus exportateur au monde, ce qui pourrait être tout à fait étonnant compte tenu de sa structure de prix.

Le Président (M. Ouimet): M. le député de Rivière-du-Loup? Ça va? Alors, M. le député de Verchères.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. On le disait tout à l'heure, évidemment on a tendance à mettre l'emphase sur le conflit qui a cours présentement et qui défraie la manchette, mais il y a toute une série d'autres conflits qui font en sorte que les parlementaires sont extrêmement préoccupés par le caractère peut-être un peu archaïque, vétuste des dispositions du Code du travail touchant les briseurs de grève.

La question que j'aurais le goût de vous poser, c'est par rapport à la notion de lieu d'établissement, la notion de lieu de travail dans une perspective de mondialisation, avec des procédés technologiques fort importants où il y a délocalisation d'un certain nombre d'emplois. De quelle façon est-ce que, par un texte législatif, les parlementaires peuvent-ils faire face à ce phénomène? Est-ce que le terme, le terme d'établissement, de lieu de travail est toujours indiqué, approprié dans le contexte de la mondialisation?

Et un autre élément sur lequel nous n'avons que fort peu insisté malheureusement depuis hier, c'est la notion d'employeur. Techniquement, les employés de QMI n'ont pas le même employeur que les employés du Journal de Montréal, en vertu des dispositions du Code du travail, ils n'ont pas le même employeur, sauf que vous savez comme moi qu'en bout de piste c'est le même employeur. Alors, est-ce que les dispositions du Code du travail quant à la définition de l'employeur sont à jour? Et, si tel n'est pas le cas, est-ce qu'il faut... de quelle façon peut-on apporter des modifications? Et, là encore, est-ce que la mondialisation a une incidence sur la définition du terme «employeur»?

M. Murray (Gregor): La réponse est oui, oui et oui. Les questions sont excellentes et sont des questions qui traversent l'esprit des juristes qui cherchent à résoudre ces questions.

D'abord, la question de l'employeur est une question épineuse et multiforme, et ça peut traverser... et c'est particulièrement épineux dans notre cas en raison du caractère radicalement décentralisé de notre régime de relations du travail. En France, il y a une série de dispositifs qui permettent d'assimiler de part et d'autre, pour des raisons de consultation, ou d'échange, ou de partage d'informations économiques, ces multiples formes de l'entreprise dans une seule entité. Nous n'avons pas ça.

Une piste possible... Parce que je pense qu'il faut faire la distinction entre l'impartition en général et l'impartition pour contourner un conflit. Il me semble que ce sont des cas d'espèce différents. Vous pouvez dire: Oui, mais à quel moment? Moi, je dis: Il y a quelques pistes peut-être. Et, là encore, je souligne que je ne suis pas juriste et je reste à la recherche des appuis de mes collègues juristes à ce propos.

D'abord, dans le code fédéral, on utilise l'expression «entrepreneur dépendant». Alors, si on arrive à dire que l'agence de presse, son seul rôle est de fournir du travail à tel lieu de travail, il est totalement dépendant de cet employeur et de ce milieu de travail. Si les liens se complexifient... Et cela pourrait changer dans l'espèce l'analyse détaillée de ce cas-là par rapport à l'entrepreneur. Personne ne dirait qu'une multinationale française qui assure les services alimentaires dans différentes usines est un entrepreneur dépendant, nullement, et ses employés ne doivent pas être touchés par le conflit, sauf que les gens ne sont pas là pour manger en partie dans la cafétéria, il n'y a aucun sens de dépendance. Mais, si on crée une entité qui est totalement dépendante, il y a peut-être là une piste.

**(15 h 30)**

Une deuxième piste est de dire «dans le motif». Cela existe encore dans le code fédéral, mais ça n'a pas été vraiment utilisé. Alors, je ne sais pas, je doute de son efficacité. Mais ça, c'est les questions de notion de pratique déloyale. Est-ce que l'impartition a été créée simplement pour briser le syndicat représentatif des salariés? Et, si cela est le cas, cela change l'analyse par rapport à un cas où l'impartition existe, ça fait partie du plan d'affaires, c'est légitimement établi, et on est plutôt convaincu que ça va perdurer bien au-delà de ce conflit, et ça devient une donne permanente de l'entreprise comme bien d'autres.

Et une troisième piste qu'on pourrait regarder, et vous avez vous-mêmes créé cette piste: votre Commission des relations du travail a énormément de sagesse et une jurisprudence administrative qui permet de tenir compte... Alors, en lui ouvrant, vous pouvez la laisser compléter le travail. Évidemment, si les cours vont dans le sens contraire, comme suggérait le Pr Barré, il y a lieu d'imaginer des corrections possibles. Mais, si les cours vont dans un autre sens, cela pourrait dire que peut-être avec la Commission des relations du travail et quelques astuces que vous pouvez introduire, dépendant, cela permet l'ouverture nécessaire pour tenir compte de ces situations.

Là encore, je souligne l'aspect des délais, que je trouvais ça assez important, et l'aspect peut-être que la Commission des relations du travail manque des outils pour intervenir, tel qu'on les a donnés... J'ai entendu dans le mémoire de la FTQ, hier, qui était plutôt simple, mais l'idée d'une inspection accompagnée de part et d'autre par les représentants, qui permet d'établir les faits. C'est ça qui est difficile dans une situation de conflit. Si on peut éviter des psychodrames, c'est mieux. Moi, je préfère beaucoup faire évoluer la négociation que de renvoyer le tout à la technologie et essayer de mousser les psychodrames. Mais, psychodrames, en relations du travail, c'est ça qu'on retient, et non pas les 99 %.

M. Bergeron: Vous avez, ô combien, raison...

M. Murray (Gregor): C'est pour ça que les journalistes ne nous appellent jamais pour dire que ça va bien et le chien a aboyé.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bergeron: Je veux simplement savoir, vos trois pistes, c'est plus particulièrement par rapport à la notion d'employeur que vous nous les soumettez ou est-ce qu'on peut également, mis à part, peut-être, la première... ou est-ce qu'on peut également les appliquer à la notion de lieu de travail, à la notion d'établissement?

M. Murray (Gregor): Bien, la reconnaissance d'un entrepreneur dépendant aurait tendance à assimiler les employés à l'établissement, eu égard de leur localisation physique. Là, c'est la notion. Et je pense que ça, c'est clair de nos échanges ici, que dire que les travaux de l'Assemblée nationale ont lieu seulement sur les lieux physiques de l'Assemblée nationale, c'est un non-sens. Vous allez parfois dans vos comtés, je crois.

Des voix: ...

Le Président (M. Ouimet): Il reste deux minutes. M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: J'aimerais savoir: D'après vous, si jamais un gouvernement ne veut pas appeler le projet de loi, qui est une ouverture, je pense, à tenter de modifier une partie du code, peut-être pas résoudre toutes les problématiques qu'on peut voir dans le monde du travail et dans le monde de la négociation... Mais, d'après vous, si on ne fait rien, ça va être sûrement pire que d'agir, car, lorsque vous disiez tantôt: J'aime mieux l'action à l'inaction. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, là. Si on décide qu'on ne fait rien, on court après quoi, là?

M. Murray (Gregor): Si la jurisprudence est maintenue et si vous ne faites rien, je crois que vous êtes en train de passer un message qu'il est possible de contourner certaines dispositions de la loi antibriseurs de grève.

M. Leclair: Merci.

Le Président (M. Ouimet): D'autres questions, M. le député? Ça va?

Une voix: Oui, c'est beau.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, M. Murray, avant de terminer avec vous, auriez-vous peut-être... seriez-vous ouvert à nous laisser le texte de votre présentation? Certains collègues me l'ont demandé. Et on pourrait par la suite le distribuer aux...

M. Bergeron: Et les autres s'apprêtaient à le faire.

Le Président (M. Ouimet): Voilà.

M. Murray (Gregor): J'ai peut-être juste à corriger quelques... quelques aberrations dans l'autobus.

Le Président (M. Ouimet): Très bien. Alors, à votre convenance.

M. Murray (Gregor): D'accord.

Le Président (M. Ouimet): Le plus rapidement possible, cependant. Et je vous remercie infiniment de votre participation aux travaux de cette commission parlementaire.

Je suspends les travaux quelques instants.

(Suspension de la séance à 15 h 35)

 

(Reprise à 15 h 39)

Le Président (M. Ouimet): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de l'économie et du travail poursuit son mandat d'initiative. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir regagner leur siège.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir les représentants de la Centrale des syndicats démocratiques. Et M. Claude Faucher est le vice-président de la centrale. Alors, je vous souhaite la bienvenue, M. Faucher, ainsi qu'aux personnes qui vous accompagnent, que vous allez sûrement nous présenter.

Centrale des syndicats
démocratiques (CSD)

M. Faucher (Claude): D'accord. Alors, merci, M. le Président, Mmes, MM. les députés, je veux vous remercier de permettre à la Centrale des syndicats démocratiques de venir exprimer son point de vue sur ce qu'on appelle communément les dispositions antibriseurs de grève. Pour faire ma présentation, je suis accompagné, à mon extrême gauche, de Me Jean-Luc Dufour, qui est avocat chez Poudrier Bradet, un grand bureau d'avocats en droit du travail, et il est également chargé de cours en droit du travail à l'Université Laval ainsi qu'à l'Université du Québec à Trois-Rivières; à ma gauche immédiate, Serge Tremblay, trésorier de la CSD; et, à ma droite, Normand Pepin, directeur du Service de la recherche à la CSD.

**(15 h 40)**

La CSD, au Québec, c'est 70 000 travailleuses et travailleurs, répartis dans tous les secteurs d'activité économique, exception faite, je dirais, de la grande fonction publique. Et nos syndicats, nos quelque 350 syndicats se retrouvent principalement dans le secteur privé et en particulier dans les PME.

Les dispositions antibriseurs de grève ont été introduites au Code du travail à la suite de conflits épiques en 1977 et avaient un but fort précis. Le but précis de ces dispositions-là, c'était de maintenir un équilibre dans le rapport de force entre les parties au moment d'un conflit de travail. D'ailleurs, le ministre du Travail de l'époque, Pierre Marc Johnson, disait que ces dispositions visaient plutôt à rétablir un sain équilibre entre les parties et à éliminer des pratiques qui sont source de tension et de violence au moment des conflits.

Donc, il y avait eu, juste avant l'entrée en vigueur de ces dispositions-là, des conflits célèbres, qu'on pense à la United Aircraft, d'autres conflits qui avaient cours et pendant lesquels il y a eu utilisation de personnes qu'on appelle des scabs, même si les dispositions n'existaient pas, et qui venaient en quelque sorte venir s'interférer entre l'employeur et le syndicat et les salariés en conflit, mais s'interférer en faveur de l'employeur. Dans le fond, un briseur de grève, qu'est-ce que c'est, pour les personnes qui sont en conflit de travail? C'est le traître qui passe dans le camp ennemi, en particulier quand il s'agit d'une personne qui est membre de l'unité en conflit.

Donc, ce que Robert Burns aussi, un juge, ancien député du Parti québécois et ministre du gouvernement du Parti québécois, disait, c'est qu'il fallait protéger le droit de grève par une loi qui empêche les scabs de briser l'équilibre entre les travailleurs et les employeurs. Le droit d'exercer la grève, c'est un rapport de force, et la seule force du travailleur, c'est celui de retirer son travail. Donc, on comprend mieux, à partir de ces éléments-là, la frustration que peuvent avoir des personnes en conflit quand ils voient quelqu'un s'immiscer dans le conflit en faveur de l'autre partie, faisant en sorte de les priver, eux, d'être capables de trouver une solution appropriée à la négociation collective qu'ils veulent régler.

D'autres effets secondaires fort importants aussi sont à prévoir. C'est que l'utilisation des briseurs de grève, et on en a des exemples très concrets, non seulement ça crée de la frustration puis ça crée de la violence, au moment du conflit, sur les piquets de grève et ça mine les relations entre l'employeur, le syndicat et les salariés, mais ça mine également les relations de travail, même au moment où on réussit à conclure une convention collective pour l'avenir.

On a des cas fort appropriés qui nous démontrent bien ce que ça fait comme frustration. Les mineurs de l'Asbestos, si on se rappelle la célèbre grève de 1949, eux, pour eux, les gens qui ont travaillé pendant le conflit, alors qu'eux étaient en grève, c'est des scabs, et ils les appellent encore aujourd'hui les 49. Alors, nous représentons ce syndicat-là. Et je peux vous dire que ces gens-là se souviennent encore tellement des 49 que personne ne veut dîner, manger à la même table qu'un 49. On a même vu récemment quelqu'un dire au président du syndicat: Moi, je suis allé acheter mon lot au cimetière et j'ai pris bien soin de m'assurer qu'autour il n'y a pas de 49, pour que je puisse avoir un repos. Alors, c'est épouvantable, ce que ça fait, parce que c'est quelqu'un qui vient te priver de ton gagne-pain finalement, qui vient s'immiscer dans le conflit de travail puis qui prend la part en faveur de l'employeur. Donc, c'est donc pour ça qu'il y a des dispositions antibriseurs de grève qui ont été introduites au Code du travail.

Il y a quand même un esprit important à ces dispositions-là, un esprit qui malheureusement, aujourd'hui, selon les constats qu'on peut faire, est trop souvent contourné, trop souvent violé. La commissaire de la Commission des relations du travail, Myriam Bédard, a bien dit qu'il s'agit là d'une loi à caractère social et que ce type de loi, en vertu de la Loi d'interprétation du Québec, doit recevoir une interprétation large et libérale, et elle a rendu une décision. Mais, malheureusement, cette décision-là est contestée, hein? Un employeur qui ne veut pas, il ne veut pas, même si la décision lui est défavorable, conteste la décision. On s'en va devant les tribunaux de droit commun. La Cour supérieure, qui connaît moins bien le droit du travail, renverse la décision. On va se ramasser éventuellement en Cour d'appel et un peu plus tard, dans quelques années, probablement plusieurs années même, devant la Cour suprême. Et, quand on connaît les décisions qui sont rendues, en tout cas, actuellement, par la Cour suprême, on s'aperçoit très vite qu'ils ne connaissent à peu près pas les lois du travail puis surtout pas les rapports collectifs de travail au Québec.

Il n'appartient pas, selon nous, aux tribunaux de décider de ce que veulent les Québécoises et les Québécois puis de ce que veut le gouvernement du Québec, mais c'est au gouvernement du Québec à donner un message clair quand tu veux avoir des rapports de force qui sont sains, quand tu veux avoir des relations de travail qui sont équilibrées puis quand tu veux assainir l'atmosphère. Parce qu'on a beau se demander si un conflit de travail, c'est un conflit privé ou un conflit public, peut-être que le conflit de travail, il est privé, mais les conséquences de l'utilisation de briseurs de grève sur les personnes, sur les relations de travail, sur la société, sur le climat en général, ça devient d'intérêt public, quant à nous.

Le projet de loi qui est actuellement déposé par le député de Beauharnois, bien on l'accueille favorablement, dans le sens où il nous semble couvrir les... un certain nombre, pas toutes les difficultés, mais un certain nombre de difficultés, entre autres celles qu'on a illustrées et qu'on voit au Journal de Montréal, qui vient mettre en évidence, dans le fond, la désuétude des dispositions actuelles antibriseurs de grève. Mais ça ne règle pas tout.

Chez nous, on a des cas particuliers où on voit qu'il y a des employeurs qui s'entêtent, par exemple, et qu'indépendamment du contournement ou pas des dispositions on décide sciemment de violer les dispositions antibriseurs de grève. Et notre constat, c'est que le Code du travail n'apporte pas les remèdes, n'apporte pas ce qu'il nous faudrait pour pouvoir véritablement avoir des dispositions qui rendent justice et qui atteignent l'objectif de départ, celui d'établir un rapport de force équitable entre les parties.

Quand des travailleurs membres d'une unité franchissent les lignes de piquetage, ça crée un tort irréparable, irréparable, et je peux vous dire, et non seulement par rapport à l'entreprise où ça se passe, par rapport au syndicat et aux travailleurs où ça se passe, mais dans toute la communauté. L'exemple d'Asbestos, c'est un exemple clair. Et, nous, actuellement, on a un autre exemple où on va répéter l'histoire, à Saint-Alexis-des-Monts, dans le conflit de l'auberge de Sacacomie.

Donc, dans ce dossier-là en particulier, l'employeur a même dit, selon nos sources, aux briseurs de grève qu'il utilise dans l'établissement: Si vous êtes condamnés, si vous êtes mis à l'amende, je vais payer pour vous les amendes, donc faites-vous-en pas, vous pouvez dormir tranquilles, franchir la ligne de piquetage puis vous ficher, dans la fond, de vos collègues de travail. Et c'est ça qui se passe actuellement à l'auberge Sacacomie. Et, malgré les enquêtes, malgré les décisions, malgré qu'il y a des milliers et des milliers de dollars qui sont susceptibles d'être imposés comme amendes à l'employeur et aux transgresseurs de la loi, on s'en fiche, parce que l'employeur garantit qu'il va payer le tout, le temps venu. Puis c'est comme si les dispositions antibriseurs de grève, dans le fond, aujourd'hui, là, la mode, c'est de les violer, puis on se fiche bien des conséquences qui arrivent aux travailleurs qui sont en conflit de travail. Donc, il y a de la haine qui surgit dans ces conditions-là puis de la haine qui passe le temps, qui passe les générations, qui sont, quant à nous... qui ont des cicatrices, qui portent cicatrices qui ne se guérissent pas avec le temps.

Pour nous, on pense que le Code du travail doit prévoir cinq mesures additionnelles à celles qui sont proposées dans le projet de loi qui est déposé par le député de Beauharnois. On pense que le Code du travail devrait prévoir que, si une personne est reconnue coupable d'avoir violé les dispositions antibriseurs de grève, la rupture du lien d'emploi soit inscrite dans la loi et que l'employeur ne puisse reprendre à son emploi, peu importe à quel endroit, ladite personne qui aurait été condamnée, parce que c'est quelque chose de socialement inacceptable que de franchir les lignes de piquetage pour aller travailler alors que les autres sont en conflit.

Deuxième point, l'enquêteur. On souhaiterait que l'enquêteur du ministère du Travail, lorsqu'il y a une plainte et qu'il va enquêter sur les lieux de travail, ait des pouvoirs accrus, des pouvoirs qui seraient un peu analogues aux pouvoirs de l'inspecteur en matière de santé et sécurité du travail. Il observe une violation de la loi, on demande immédiatement de faire cesser... sinon on met la clé dans la porte, on arrête les travaux. Ce serait un moyen de rétablir l'équilibre. Parce que, si c'est vrai que l'employeur n'a pas le droit d'utiliser des briseurs de grève puis qu'il les utilise en déséquilibrant le rapport de force en défaveur des travailleurs, bien ça rééquilibrerait le rapport de force que de pouvoir faire cesser les opérations, s'il est en défaut de respecter la loi.

Troisième point, on pense que la loi devrait être précisée à l'effet qu'un employeur ne puisse pas utiliser des bénévoles pendant un conflit pour aller faire le travail des gens qui sont en conflit. Là, on essaie de trouver toutes sortes de stratagèmes, toutes sortes de mots, toutes sortes de qualificatifs pour engager du monde pour faire la job des gens qui sont en conflit, ce qui est totalement inacceptable à nous. Et il n'y a rien qui justifie, même si l'employeur prétend qu'il ne les paie pas, alors que dans les faits il les paie par des manières détournées, il n'y a rien qui justifie qu'un bénévole aille faire la job.

Je termine, M. le Président. Il me reste deux petits points. Les amendes, qui n'ont pas été revues depuis 1977, on devrait les revoir et les adapter au goût du jour, dans le fond, les indexer. On a un exemple, une loi qui vient d'être adoptée concernant les ressources de type familial, où on prévoit, pour des dispositions semblables, des amendes beaucoup plus substantielles à ce qui est prévu au Code du travail, et on pense que ça, ça aurait un caractère un peu plus dissuasif.

Et, dernier point, dernier point, on aimerait que la Commission des relations de travail puisse avoir l'autorité pour imposer les amendes aux employeurs et aux briseurs de grève lorsqu'ils sont reconnus coupables d'infraction à la loi, parce qu'actuellement les procédures qu'on doit entreprendre pour faire respecter les ordonnances sont trop longues et, quant à nous, sont inefficaces.

**(15 h 50)**

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, merci, M. Faucher, pour ce mémoire, votre présentation de votre point de vue. Allons dès maintenant avec M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: J'aimerais simplement revenir, dans un premier temps, là, sur les manières détournées dont vous avez parlé tantôt, à l'effet que certains entrepreneurs, finalement, pour justifier le travail de bénévoles... Alors, les manières détournées, là, à quoi faites-vous allusion? Comment ça se passe? Je n'ai pas l'imagination assez fertile pour l'imaginer, alors vous allez m'aider.

M. Tremblay (Serge): Écoutez, dans le cas où un employeur veut s'assurer que l'activité de l'entreprise demeure à un niveau économiquement rentable, bien tous les moyens sont bons, soit par l'utilisation d'agences occultes qui s'occupent effectivement de transporter les salariés, les personnes dans des moyens de transport... par des moyens de transport où on ne peut voir à l'intérieur de qui il s'agit, en s'assurant effectivement qu'aux abords de l'entreprise les agents de sécurité tiennent suffisamment loin les équipes de piquetage pour qu'ils ne puissent constater ce qui se passe, en prenant toutes les dispositions, quand il vient un enquêteur nommé par le ministre, qu'au moment de se présenter sur les lieux du travail, tout le monde sont sortis par la porte d'en arrière. Ça veut dire quoi, ça? C'est: entre le temps où il se présente sur les lieux et le moment où il pénètre à l'intérieur de l'établissement, il se passe suffisamment de temps pour faire le ménage, hein, et effectivement... Ou il s'agit de mon oncle, ma tante et tout du monde que personne ne connaît et souvent des personnes que l'employeur ne peut même pas nommer par son prénom. C'est de la famille proche, ça.

Alors donc, faire la démonstration de ça, c'est très difficile, presque impossible. Il faut être tenace pour être capable de démontrer que les personnes qui sont là, dans les faits, ce ne sont pas des bénévoles. Vous savez, une personne, là... Moi, j'ai l'esprit, effectivement, d'engagement et je ne suis pas sûr que je le ferais pendant quelques mois de temps pour aider quelqu'un qui effectivement se place dans une situation où le temps n'arrangera pas les choses, là. Alors donc, dans ce sens-là, on n'est pas capable de démontrer ça, et c'est très difficile.

M. D'Amour: ...pour vous, ce que vous prônez, c'est une interdiction totale d'opérer, advenant un conflit, que ce soit une grève et un lock-out. Pour vous, là, on ne fait même pas référence au travail des cadres, on dit: Écoutez, il y a un conflit, c'est terminé, on n'opère pas.

M. Faucher (Claude): Non, on n'est pas intervenus sur la question du travail des cadres, là, on n'en est pas là. Mais toute autre personne...

M. D'Amour: Mais comprenez que c'est important qu'on apporte la précision, parce que l'impression que vous nous avez donnée, là, c'est carrément ça.

M. Faucher (Claude): Oui, oui, mais toute autre personne qui, en dehors des conditions qui sont déjà prévues au Code du travail, serait embauchée -- parce que là on essaie d'éviter le mot «embaucher», on dit: On ne l'embauche pas, c'est un bénévole -- qui viendrait travailler pour faire le travail des gens qui sont en conflit devrait être interdite, peu importe le qualificatif qu'on pourrait imaginer pour essayer de contourner la loi. C'est plutôt ça.

M. D'Amour: C'est la raison qui fait que vous appuieriez éventuellement le projet de loi n° 399, parce que ça prévoit l'interdiction totale.

M. Faucher (Claude): Oui, oui, le projet... Oui, oui, d'accord, mais ce qu'on trouve, c'est qu'il manque un peu de précision, là. Mais on est d'accord avec le projet de loi du député de Beauharnois. C'est le projet de loi auquel vous faites référence. Oui, tout à fait.

M. D'Amour: Lui-même est moins d'accord un peu avec son projet de loi, mais ça, ce n'est pas grave, c'est un autre débat, là.

Des voix: ...

Le Président (M. Ouimet): Bien. Merci, M. le député de Rivière-du-Loup. Mme la députée de Mégantic-Compton.

Mme Gonthier: J'écoutais puis je suis un peu en accord avec mon collègue. Je veux dire, finalement, dans les faits, ce que vous proposez, c'est que la loi soit tellement restrictive qu'on en vienne à une interdiction totale de produire, à peu de chose près. Certains nous ont dit qu'on fait beaucoup référence présentement à la notion d'établissement et que le vrai problème ne réside pas là. Je veux dire, au cours des auditions, là, qu'on vit depuis deux jours, on a dit: Il faut mieux définir la notion d'établissement parce qu'aujourd'hui, avec le système de communication, le virtuel, etc. Mais certains nous ont aussi dit: La notion d'établissement n'est pas nécessairement la notion en cause, c'est plutôt la notion de sous-traitance qui devient en cause -- comment vous réagissez, vous, par rapport à ça? -- et la capacité de sous-traiter la production.

Le Président (M. Ouimet): Alors, Me Dufour.

M. Dufour (Jean-Luc): Bien, dans l'exemple qu'on vient de donner, tout à l'heure, la particularité au niveau de la sous-traitance, si on veut la relier au niveau des bénévoles, c'est exactement la même situation. L'employeur en question offre des services de repas, et les services de repas sont arrêtés, on les donne en sous-traitance, mais on dit que c'est une sous-traitance bénévole. Alors, si on veut faire un lien avec tout ça, bien c'est ce qu'on se fait opposer.

Tout à l'heure, on parlait d'exemples, votre collègue parlait d'exemples. Alors, on parle de parents, d'amis, d'actionnaires, d'agences occultes, on parle d'administrateurs, on parle de personnes retraitées qui vont venir dire: Bien, écoutez, non, je n'avais rien à faire, moi, je viens donner 15 à 20 heures par semaine pour remplacer un travailleur qui est en grève ou qui est en lock-out. Alors, la situation d'un bénévole, c'est celle-là.

Alors, même chose au niveau de la sous-traitance. Quand on parle de la notion d'établissement, oui, c'est vrai que le travail ne se fait pas, peut-être, dans l'établissement, mais, dans le cas qu'on parle, il se fait à l'extérieur de l'établissement pour le bénéfice... servi à l'intérieur.

Alors, actuellement, il y a des dispositions dans le Code du travail, il y a des exceptions qui sont permises, qui permettent à l'employeur d'aller à l'extérieur, qui permettent aux cadres de venir travailler. Je ne pense pas que l'objet du débat, l'objet de la représentation de la CSD soit à ce niveau-là. Il est au niveau de la représentation au niveau des bénévoles qui sont utilisés. Je pense, à ce niveau-là, il y a un problème assez flagrant. Je pense que, dans ce cadre-là, il y aurait bon de voir une interdiction.

Parce que ça a commencé avec un simple administrateur d'une caisse populaire qui avait eu l'autorisation d'aller travailler par son gérant de caisse. La Cour d'appel a dit: Non, il n'est pas embauché, il fait son travail ponctuellement, de manière bénévole, donc il n'est pas en contravention du Code du travail, alors, par conséquent, les dispositions ne sont pas violées. Alors, c'est un peu le même principe avec la sous-traitance. Je ne sais pas ce que veut élaborer M. Tremblay là-dessus, s'il veut continuer, mais, au niveau de la sous-traitance, la sous-traitance au niveau bénévole, c'est exactement la même chose.

M. Tremblay (Serge): Alors, dans le fond, ce qu'on veut, c'est assainir le climat, rétablir un équilibre puis éviter que, par toutes sortes de stratagèmes, on aille chercher du monde qui ne travaillaient pas là avant puis qu'on leur fait faire le travail des gens qui sont en conflit.

Le Président (M. Ouimet): Merci. D'autres questions?

Mme Gonthier: Ça va.

Le Président (M. Ouimet): Ça va pour l'instant? M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: Merci, M. le Président. Tout d'abord, bonjour, M. Faucher, ainsi que vos collègues. Il me fait plaisir d'accueillir votre mémoire, où est-ce que nous avons pris de bonnes notes en ce qui a trait, en ce qui me concerne, surtout aux délais. C'est une notion qu'on n'avait pas vraiment regardée, mais c'est vrai que ça pourrait améliorer parfois certains conflits de travail. Parce que souvent on sait que les délais, le temps de faire la paperasse puis... Délai de 90 jours, si on espère que des lock-out ou des grèves ne durent que 24 heures ou qu'il n'y en ait pas du tout, bien, avec un délai de 90 jours, on est sûr qu'il y a un minimum de 90 jours de lock-out. Alors, je pense, c'est une belle avenue à regarder.

Puis je crois comprendre que, d'une manière ou d'une autre... Vous n'avez pas trop parlé, dans... Bien, votre mémoire est clair que vous êtes d'accord avec rapporter le projet de loi n° 399. Puis en plus, comme plusieurs autres intervenants, je vous dirais, la majorité, sauf une personne, là, qui avait dit, elle, que la notion d'établissement n'était pas un problème, mais la plupart disent... ils reconnaissent que l'établissement est problématique. Il y a d'autres gens... ou la plupart des gens ont dit qu'il ne fallait pas toucher à tout l'ensemble du Code du travail.

J'aimerais vous entendre là-dessus, là, si on reste... Je suis d'accord avec les écrits. Comme qu'on l'a dit depuis le début, nos écrits restent un préliminaire, on veut travailler ça avec les gens lorsque la ministre rapportera le projet. Mais, en ce qui a trait au code, là, si on prend, par le fait même, qu'on va avoir de la place à modifier un peu qu'est-ce qu'il y a dans le projet de loi actuel, j'aimerais avoir votre version des choses à l'ouverture du code, là, quasi à la grandeur ou le revirer de bord...

**(16 heures)**

M. Faucher (Claude): À la CSD, on n'en est pas là. Le Code du travail, c'est une pièce législative fort importante et avec laquelle on y trouve notre compte. Et on ne dit pas qu'il n'y a pas des imperfections. Mais, si on commence à parler de réouvrir le Code du travail pour régler des problèmes aussi graves que ceux qu'on doit régler d'urgence, on va se retrouver aux calendes grecques. Et, quand on parle de délais, là, là on va en avoir, des délais, puis on va tourner tout simplement en rond. Alors, pour nous, attaquons-nous au coeur du sujet, au coeur du problème qu'on voit à la face de la société québécoise aujourd'hui, celui des dispositions antibriseurs de grève. Pour le reste, on verra plus tard.

M. Leclair: J'aimerais aussi peut-être vous entendre... Parce que je le sais, l'hôtel à Saint-Alexis-des-Monts, Sacacomie, qu'on a une problématique de bénévoles. Puis je crois que, quand on regarde la loi antibriseurs de grève, malheureusement, là-dedans, on... Est-ce que vous croyez que ça, ça réglerait notre problématique de bénévoles ou ça prendrait des amendes plus élevées? J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que...

M. Tremblay (Serge): Il y a deux situations pour lesquelles il faut agir rapidement en termes de modification à la loi, d'abord celle des bénévoles dans ce dossier-là, mais aussi une des dispositions du code qui établit clairement les limites quant à l'utilisation des salariés compris dans l'unité de négociation. Un employeur n'a pas le droit de faire ça. Il arrive quoi, de façon concrète? Je vais vous raconter une petite histoire, là, on va prendre juste deux minutes, ce ne sera pas long. Parce que c'est beau, ça.

Alors donc, ce qui arrive, c'est que, bien sûr, dans le cas qui nous intéresse, celui-là -- et j'en ai d'autres -- dans ce cas-là c'est deuxième récidive, deuxième négociation où on reprend ça. Ça va tellement bien, ce code-là, qu'on n'oublie pas ce qu'on fait de bien puis on continue quand on est un employeur. Ça n'a rien changé. Le premier conflit, où il a utilisé des briseurs de grève, des salariés compris dans l'unité de négociation, comprenez-moi bien, là, c'est un briseur de grève, mais ça n'a plus la même portée, là. Ça n'a plus la même portée. Quand nos chums, à tous les jours, passent la ligne puis ils sont financés par l'employeur, vous comprendrez qu'ils ne mangeraient pas à côté de moi non plus au retour du travail. On est-u d'accord avec ça? Ça, c'est s'il y a retour du travail. Parce que, dans ce dossier-là, ça a pour effet, d'une façon claire et significative, le fait d'utiliser des salariés dans l'unité de négociation comme briseurs de grève et des bénévoles, de permettre à l'employeur de passer à côté de l'esprit même de la loi. C'est clair. Ça fait sept mois qu'on est dehors, et ça fait sept mois parce que justement il a trouvé les moyens d'opérer.

Ce qui se passe concrètement dans la petite histoire, c'est un peu... Et Me Dufour, il est là. Effectivement, il a joué un rôle de secrétaire juridique pour un bout. Et ce que je veux dire par là, c'est que, quand on déroge à cette disposition-là du code, à ce moment-là il y a un processus, hein, qui est beaucoup trop long, on en a parlé, un processus beaucoup trop long. Là, on dépose les plaintes. Savez-vous combien il y en a dans ce dossier-là? 1 800, et il y en a autant en attente. Je vais vous faire passer une semaine à rédiger ça puis à déposer au greffe, ce dossier des plaintes là, vous allez voir que c'est un peu tannant comme procédure. Le temps qu'on fasse ça, on ne fait pas d'autre chose, on ne s'occupe pas de l'employeur. Très bien. Bon.

Une fois qu'elles sont déposées, ces plaintes-là, il faut poursuivre. Au pénal, là, c'est un an. On fait quoi en attendant? Et le conflit dure. On peut effectivement utiliser la commission, faire rendre une décision et, par outrage au tribunal, effectivement obtenir des ordonnances ou des amendes même, effectivement, à l'endroit de ces personnes-là. Mais, sur le nombre, il faut toutes les pogner. Puis ça dépend juste comment l'employeur est organisé géographiquement. Parce que ce n'est pas simple, hein? Je ne peux pas me promener en bateau sur l'eau tout le temps. Là, il est gelé, le lac. Puis ils le checkent, hein, je peux vous dire ça, moi. Alors donc, on ne peut pas le suivre au niveau de l'enquête. C'est un enquêteur qui va là. Ça fait six, sept fois qu'il y va, puis il en pogne, il n'en pogne pas. La pêche, ce n'est pas toujours pareil, hein? Alors donc, à ce moment-là ce n'est pas simple.

Mais là, au niveau des plaintes, il y en a 1 800. Jean-Luc m'expliquait combien de temps qu'on en a à plaider ça: deux ans temps complet. On va monopoliser une cour, un juge pour entendre cela. Deux ans, deux avocats temps complet sur les 1 800; les autres ne sont pas déposées. Pensez-vous qu'il y a un employeur qui a peur de ça? Lui, il a compris que, si on en fait juste assez, c'est nous qui allons faire peur au patient, puis le patient va se coucher puis il va attendre. Il ne s'énervera pas avec ça. Alors donc, fondamental: quand j'utilise un salarié, les recours, inefficaces.

Deuxième élément: Est-ce qu'on peut se permettre de garder et de maintenir une loi qui ouvre la porte à une division telle que les rapports entre les individus deviendront impossibles? À titre d'exemple, Asbestos. C'est ça que ça fait... Parce que ça, c'est l'angle qu'on ne regarde jamais. Mais, quand on tente de régler un conflit puis qu'on a ça comme difficulté additionnelle, savez-vous ça que ce n'est pas réglable, ce dossier-là? Ce n'est pas réglable parce que les tensions sont tellement fortes, la haine est tellement grande qu'on perd de vue ce pour quoi on négocie. Et on ne veut plus négocier, je regrette, on veut tuer du monde, là, parce que ça n'a plus de bon sens. C'est à tous les jours qu'il y en a. Puis s'ajoutent les bénévoles juste pour faire plaisir. On les hait un peu moins parce qu'on ne les connaît pas. On ne sait pas qui on peut haïr.

Mais en même temps, ces deux éléments-là dans ce dossier, plus les recours pénaux qui sont prévus et qui sont impossibles à soutenir, ça fait finalement que le champ est libre. Puis je devrais dire que le bois est libre, parce que c'est entouré de bois, puis les gens circulent là-dedans, tu sais bien, à bicyclette -- puis pas à ce temps-ci, c'est en motoneige, je crois bien. Alors, dans ce sens-là, effectivement c'est inefficace. Il faut faire de quoi.

M. Leclair: ...encore un peu de temps?

Le Président (M. Ouimet): Il vous reste encore six à sept minutes.

M. Leclair: Pas plus qu'une demi-heure?

Le Président (M. Ouimet): On peut aller du côté ministériel ou du côté de la deuxième opposition. Alors, M. le député de Shefford. Je reviendrai.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Bonne fin de journée, messieurs. Je vous écoute, puis, quand on regarde, depuis 48 heures, on regarde les contextes des relations de travail au Québec depuis presque 40 ans, hier on nous disait qu'il y avait 600 personnes qui étaient en conflit de travail, à peu près, présentement au Québec, dont les lock-outés du Journal de Montréal, quand on regarde les grèves depuis près de 30 ans, on serait passé de 357 en 1976 à 53 en 2009, alors, il faut croire que les syndiqués... autant les syndicats que les employeurs veulent s'entendre, majoritairement. C'est ce que je peux remarquer. Je ne suis pas un spécialiste, mais les chiffres sont là.

Je pense que vous défendez les syndiqués de Sacacomie. C'est ce que j'ai cru comprendre. C'est ça, hein? Vous disiez tantôt avoir 70 000 membres de votre syndicat. Dites-moi, dans les 10 dernières années... Parce que, là, on est dans un mandat d'initiative où on se dit: Est-ce que le gouvernement se penche... ou est-ce que la volonté politique ministérielle sera là pour appeler un projet de loi pour se pencher spécifiquement sur un lock-out ou sur une loi antibriseurs de grève qui n'est pas adaptée aux nouvelles technologies, à la notion d'établissement? On en a parlé depuis 48 heures. Vous, de votre côté, bon, dans les 10 dernières années, ça a touché combien de vos syndiqués ou d'employeurs auxquels vous étiez entendus pour cette loi antibriseurs de grève qui n'est pas modernisée? Ça veut dire combien, ça, chez vous, depuis 10 ans à peu près? Outre Sacacomie, là, que vous êtes dedans, vous disiez tantôt, depuis sept mois, ça a-tu touché bien, bien du monde?

M. Tremblay (Serge): Ce n'est pas tant le nombre que l'effet des difficultés que ça génère, qui, toutes proportions gardées, deviennent plus importantes que le conflit en soi. Comprenez-vous? La dimension que ça prend comme problématique, on ne peut pas se la permettre, je pense. Parce qu'il est vrai qu'au niveau des rapports collectifs les choses se font et les dossiers se règlent. Et, à ce moment-ci, les difficultés découlant, je dirais, des dispositions, à toutes fins pratiques, inopérantes de l'article 109, il y en a de moins en moins, on a moins de conflits. Mais je vous cite cette entreprise-là, c'est le troisième renouvellement de convention collective, et, sur trois, deux ont fait l'objet de la même problématique, puis ça ne dérange personne. Comprenez-vous? Et le dommage que ça crée... Et personnellement, moi, je suis un gars de terrain. J'ai dirigé des conflits. Ça fait 30 ans que je suis à la CSD. Je suis un gars de Granby d'ailleurs, hein?

M. Bonnardel: Très heureux de savoir ça, cher monsieur.

M. Tremblay (Serge): Alors donc, j'en ai dirigé puis je connais ça. Je connais ça, les conflits. Puis je peux vous dire que ce n'est pas la première fois que ça arrive. Sauf que le temps a fait que c'est plus supportable quand ça arrive, hein? Puis justement il y a tellement de moyens pour les régler, ces conflits-là. Demandez au conciliateur dans le dossier de Sacacomie s'il lui reste des idées. Il n'en a plus, il n'en a pas, parce que, quand on a quelqu'un qui décide qu'il fait la job comme ça, il y a des incontournables, puis il faut vivre avec. Puis les incontournables, c'est quoi? C'est qu'il y a des... Il n'y a pas de zone grise. C'est que le recours qu'on a ne rend pas, ne fait pas le travail qu'il devrait faire puis il permet à l'employeur de prendre le risque en se disant: Le jour où je vais régler, ils vont avoir assez faim, là, qu'ils vont les laisser tomber, leurs recours. Il n'y a pas de problème avec ça.

Je ne suis pas sûr que le législateur voulait ça. Le législateur voulait avoir des conflits courts. Puis, quand, en 2010, on a un conflit qui fait six, sept mois avec tous les outils et les moyens qu'on a pour s'asseoir à la table et échanger, c'est parce qu'il y a problème de fond, il faut le regarder. Parce que, s'il y a une chose qui a changé, il y en a peut-être moins, mais ils sont plus longs un peu, hein?

M. Faucher (Claude): Alors, si vous me permettez de compléter...

M. Bonnardel: Oui, allez-y.

M. Faucher (Claude): ...pour nous ce n'est pas tellement le nombre que l'importance des situations que l'on vit. Et, pour nous, ne rien faire, c'est d'encourager la violation des dispositions antibriseurs de grève et d'encourager la dégénération des conflit de travail. Ça, pour nous, c'est totalement inacceptable. Et on pense que, dans la vie, des fois c'est une bonne idée d'écouter les jeunes, et ce que j'ai compris, c'est que les jeunes libéraux seraient d'accord de moderniser les dispositions antibriseurs de grève pour élargir et les rendre plus efficaces.

M. Bonnardel: Loin...

**(16 h 10)**

Le Président (M. Ouimet): ...je vais aller... La banque de temps est épuisée. Désolé, M. le député de Shefford. M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Je tiens d'abord à vous rassurer à l'effet qu'on n'a pas l'intention de rien faire, on a l'intention d'agir. Ça, c'est évident. De toute évidence, il y a une situation particulière, et ça, on est là pour justement s'y attarder.

Maintenant, il y a une question que j'ai posée à l'ensemble du monde syndical qui s'est présenté devant nous depuis hier matin. C'est sur la question du vote secret, sur les accréditations syndicales. Votre position à vous là-dessus?

M. Faucher (Claude): Bien, on pense que ça n'a pas vraiment rapport avec ce qui est devant nous, là. Mais, de toute façon, le vote secret, là, ce que les employeurs proposent, c'est un stratagème pour éviter la syndicalisation puis avoir du temps pour faire de la pression sur les salariés pour qu'ils n'adhèrent pas aux syndicats. C'est une manoeuvre, encore une autre manoeuvre pour casser la syndicalisation.

Aujourd'hui, on est dans un système démocratique. Quand on vote, au Québec, on vote, puis c'est la majorité qui l'emporte. Quand on réussit à faire signer des cartes... C'est déjà assez difficile avec toutes les pressions que les gens font, mais, quand une majorité de salariés ont eu le courage de signer les cartes, on doit être accrédités, et c'est tout.

M. D'Amour: Alors, votre position a l'avantage d'être claire. Vous répondez clairement à ma question.

Maintenant, vous parlez beaucoup de Sacacomie. Moi, c'est un conflit que je ne connais pas vraiment de façon personnelle, j'en entends parler. J'aimerais que vous élaboriez sur les deux groupes qui s'opposent, sur quelles bases, comment ça se passe. Je veux que vous alliez plus loin là-dessus. Vous l'avez abordé tantôt.

M. Tremblay (Serge): Les deux groupes qui s'opposent, de salariés, vous voulez dire?

M. D'Amour: Oui.

M. Tremblay (Serge): Oui. Bon, là-dedans, c'est qu'à l'origine... Vous avez au moins encore 20 minutes, hein?

Le Président (M. Ouimet): Oui, oui, vous avez plusieurs minutes.

M. Tremblay (Serge): Ce qui est arrivé là-dedans, c'est qu'à l'égard de la syndicalisation... C'est un groupe qui est syndiqué depuis 2002, O.K.? Au moment de la syndicalisation, le syndicat regroupait les salariés, maîtres... pas maîtres d'hôtel mais les serveurs, et femmes de chambre, et cuisine, et... ce personnel-là.

Il est arrivé une campagne d'adhésion, l'employeur a été... une nouvelle campagne d'adhésion. On a appelé ça chez nous un maraudage. Et l'employeur effectivement a été reconnu comme faisant de l'entrave et, s'ayant mêlé du dossier, a été condamné là-dedans, avec un groupe de personnes qui voulaient avoir les services d'un conseiller syndical indépendant. Ces personnes-là, c'étaient les gens de la cour, qu'on dit, hein? Ce n'était pas des gens trop, trop favorables au modèle de syndicalisme qu'on prône chez nous. Alors donc, effectivement, c'était plutôt de tendance autre, patronale, que la nôtre.

Alors donc, eux effectivement se sont fait prendre à leur jeu, ils n'ont pas réussi leur stratagème et finalement ont été englobés dans l'unité. Mais il y a quelques bons appuis de l'employeur dans ce monde-là qui ont fait la job, et le problème vient de là, entre autres, là. Eux autres n'ont jamais adhéré à l'idée que maintenant ils faisaient partie d'un syndicat, CSD, parce que la commission avait rendu une décision, puis c'est des dissidents, des dissidents. Au moment du conflit, pour toutes sortes de raisons, les journaux en parlent deux fois par jour, je crois bien, alors donc ils ont décidé, eux, que, non, ils ne suivraient pas le mouvement de grève et le pacte de solidarité que les gens avaient... Il n'en était pas question. Et, à ce moment-là, effectivement ils ont entretenu la division dans le groupe. Ils n'ont pas participé à la grève, ils ont travaillé, avec le soutien de l'employeur. Ils ont été condamnés par la Commission des relations du travail. Ils ont continué. On est revenus. Et là on est dans les poursuites, bien sûr, par-dessus la tête dans ce dossier-là, et c'est ce qui fait que les rapports entre ces deux groupes-là sont impossibles, là. Ils en ont trop fait. Ils en ont trop fait. En pleins journaux, ils disent: Regarde, je me fous éperdument, moi, du syndicat et du conflit. Quand tu es un salarié syndiqué puis que tu es sur le perron de l'employeur quand tu dis ça, pas sûr qu'on l'aime beaucoup.

Une voix: Combien d'employés...

M. Tremblay (Serge): 140.

M. Bonnardel: Ceux qui se sont dissidés, là, qui ont sorti, c'est combien?

M. Tremblay (Serge): Bien, les gens de la cour, c'était 18, 19 personnes. Puis il y en a d'autres qui ont embarqué là-dedans, des... j'appelle ça d'innocentes victimes, parce que, dans un milieu comme ça, là, les gens ne savent pas trop, trop effectivement ce qu'ils devraient faire, hein? La culture syndicale n'est pas très développée. Et là, bien, on est-u mieux de suivre l'employeur? On est-u mieux de ne pas suivre? Et qu'est-ce qui arrive? Et il y a des temps partiels, il y a des choses comme ça. Alors donc, le nombre est plus important que ça, mais, dans les faits, les purs et durs, là, c'est ceux-là, là.

Le Président (M. Ouimet): M. le député de Rivière-du-Loup.

M. D'Amour: Ça va.

Le Président (M. Ouimet): Ça va?

M. Faucher (Claude): Peut-être une précision. C'est que les 18 dont on parle sont des gens qui n'étaient pas syndiqués à l'origine dans notre groupe et que l'employeur a utilisés pour créer un syndicat de boutique et d'essayer d'englober nos membres dans ce syndicat de boutique là, puis ça n'a pas marché. Ils se sont retrouvés membres de notre syndicat. Alors, aujourd'hui, ils contestent à tour de bras parce que vous comprenez qu'ils ne veulent pas... Le but de l'employeur quand il les a utilisés pour nous marauder, c'était de se débarrasser de nous autres. Alors, ils ne veulent pas être là.

M. Dufour (Jean-Luc): Si vous me permettez d'ajouter quelque chose par rapport à la question, tout à l'heure, qui était posée. Bon, je comprends qu'il y a peut-être moins de conflits, les conflits sont plus longs, mais le message qui est envoyé dans ce dossier-là, c'est le message du précédent, le message du précédent, de passer outre un peu aux ordonnances de la Commission des relations du travail.

Je vous explique un petit peu comment ça s'est déroulé au niveau juridique. Il y a eu des rapports d'enquête du ministère du Travail qui ont effectivement confirmé qu'il y avait violation des dispositions antibriseurs de grève. Quand il est question des bénévoles, l'enquêteur -- c'est pour ça qu'on réclame des pouvoirs plus stricts au niveau de l'enquêteur -- l'enquêteur nous dit: Ce n'est pas de ma compétence, c'est de la compétence de la CRT. Alors, il faut se retourner devant la CRT, Commission des relations du travail, pour obtenir l'ordonnance appropriée. Or, dans nos dossiers, mis à part les bénévoles mais pour d'autres ordonnances, on a obtenu l'ordonnance, en conséquence, de la Commission des relations du travail.

L'ordonnance n'est pas respectée. Il faut se retourner de bord. Il faut aller à la Commission des relations du travail pour obtenir la permission de déposer l'ordonnance à la Cour supérieure, pour par la suite demander à la Cour supérieure de faire comparaître pour outrage au tribunal l'employeur. Et, une fois qu'on a obtenu l'ordonnance de citation à comparaître, il faut procéder à l'enquête et l'audition devant la Cour supérieure, donc recommencer le processus devant la Cour supérieure pour faire vérifier si effectivement il y a ou non outrage au tribunal.

Alors, pendant tout ce temps-là, il s'écoule une semaine, deux semaines, un mois, deux mois, trois mois, quatre mois. Et une entreprise qui décide de passer outre à tout ça, bien elle continue à fonctionner, à fonctionner même, dans certains cas, comme on disait tout à l'heure, avec des bénévoles.

On parle de plainte pénale? Oui, c'est vrai. Ça a un effet dissuasif... ça pourrait avoir un effet dissuasif. Mais, encore là, c'est la justice judiciaire -- appelons-la comme ça -- qui a la compétence là-dedans. Alors, il faut se ramasser devant un juge de paix magistrat qui va avoir besoin évidemment de soutien technique, qui va avoir besoin de salles disponibles, qui va devoir lui-même être disponible. Et, dans ces cas-là, ce n'est pas évident de libérer un juge de paix magistrat pendant une semaine, deux semaines, trois semaines, parce que, quand il y a 100, 200, 300 plaintes, il faut faire la preuve de chacune des infractions au quotidien, et d'entendre chacun des témoins, puis de convoquer des témoins qui ont vu les gens passer les lignes de piquetage.

Alors, avant qu'on ait terminé, on va avoir pris notre retraite. Et c'est pour ça qu'il y a peut-être une lenteur à ce niveau-là, au niveau de l'administration pratique du dossier, qui fait en sorte que, bien, on passe par-dessus puis on dit: Bye! Alors, c'est pour ça que je vous dis: Le message envoyé, c'est le message du précédent.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Il me reste quelques minutes pour M. le député de Jean-Lesage.

M. Drolet: Merci, M. le Président. Bienvenue, messieurs. Écoutez, vous représentez, tout à l'heure vous avez mentionné, plusieurs, plusieurs PME. Plusieurs intervenants nous ont souligné des effets possibles avec les dispositions de mesures antibriseurs de grève, que c'était plus sévère sur les PME que sur des holdings -- disons ça comme ça -- comme Quebecor, qui naturellement, lui, peut passer à côté. Cela, ce que l'on a même entendu, ça pouvait même forcer la signature de conventions collectives peut-être même à rabais. C'est des propos que l'on a entendus tout à l'heure.

Ne croyez-vous pas que le projet de loi n° 399, à ce moment-là, aurait des impacts négatifs sur les PME? Il faut quand même bien comprendre que l'entreprise puisse quand même fonctionner après, naturellement, le conflit. Parlez-moi de votre expérience, à ce moment-là, pour l'équilibre, finalement.

M. Faucher (Claude): Alors, bien, premièrement, «plus sévère pour les PME», si ce que vous voulez dire, c'est que les grandes entreprises ont plus de moyens de contourner la loi que les PME, oui.

M. Drolet: ...ce que je veux dire, oui, effectivement.

M. Faucher (Claude): Par contre, je dirais qu'en contrepartie les PME en profitent parce que, quant à nous, c'est la violation des dispositions antibriseurs de grève qui sèment les conflits, qui font durer les conflits puis qui sèment des difficultés ultérieures au retour au travail. Quand il n'y en a pas, de violation des dispositions antibriseurs de grève, il n'y a pas ce genre de problème là, les relations de travail sont saines au retour au travail. Donc, elles en bénéficient, les entreprises qui respectent les dispositions antibriseurs de grève.

Quand vous parlez des conventions collectives à rabais, je ne suis pas trop sûr de ce que vous voulez dire, parce que, dans notre langage, une convention collective à rabais, c'est quand les employés font trop de concessions par rapport à ce qu'ils auraient pu obtenir. Mais je comprends de votre propos que c'est l'inverse, c'est comme si l'employeur accorderait trop d'avantages parce que, lui, il se voit pris dans un conflit.

M. Drolet: Ça peut arriver.

**(16 h 20)**

M. Faucher (Claude): Bien, je peux vous dire qu'on en négocie presque une centaine, de conventions collectives à chaque année et on a peu de conflits. Pourquoi est-ce qu'on a peu de conflits? Parce que les salariés puis les syndicats, là, on n'est pas malades au point de dire: On va fermer une entreprise pour le plaisir de faire fermer une entreprise. C'est notre job, c'est notre gagne-pain. Donc, ce qu'on fait quand on négocie la convention collective, on regarde la situation économique de l'entreprise, on regarde l'environnement économique, on regarde la concurrence mondiale, on regarde les conditions que l'employeur nous présente comme celles qu'il peut nous offrir puis celles qu'il justifie comme ne pouvant pas nous offrir, puis on réussit à s'entendre dans la très grande majorité des cas.

Quand il y a un conflit de travail, ce n'est pas pour faire fermer l'usine, c'est parce que les offres sont soit excessives parce qu'on nous demande des concessions extraordinaires, ou que les relations de travail sont tellement pourries que, là, ils sont peut-être mieux de la fermer, la maudite shop, parce que de toute façon on s'en va nulle part, ou encore qu'ils nous font des propositions qui sont totalement inacceptables et indignes pour les salariés qui sont là.

Faire un conflit de travail, là, ce n'est pas facile, hein? Je ne sais pas si quelqu'un ici autour de la table en a déjà vécu, un conflit de travail. Mais décider un jour que, moi, j'arrête de travailler parce que je veux faire la démonstration que ce que vous m'offrez, c'est inacceptable, là, ça prend un sacré courage puis c'est dur en maudit de supporter ça. Parce qu'il y a des conséquences pour les salariés qui décident de faire un conflit. Vous allez me dire qu'ils ne sont pas obligés. Ils ne sont pas obligés, mais, s'ils décident de le faire, c'est parce qu'ils sont poussés au pied de mur puis qu'ils ne voient pas d'autre solution. C'est ça, un conflit de travail.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Dernier mot.

M. Drolet: Bien, on a entendu quand même aussi que l'employeur peut-être était rendu aussi au pied du mur. Et souvent, malheureusement, s'il y avait eu assouplissement de certaines mesures au moment où le règlement aurait pu se faire, avec des... ça aurait peut-être pu aussi sauver l'entreprise. On a entendu ça aussi tout à l'heure, c'est pour ça que je vous en fais part.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, du côté de l'opposition officielle, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Vous êtes le premier groupe qui mettrait en lumière la difficulté de la mise en oeuvre des mesures antibriseurs de grève dans son applicabilité. Puis, dans le fond, ce que vous nous dites, c'est: Si l'employeur est de mauvaise foi dans l'application des ordonnances, il s'ensuit un processus judiciaire extrêmement complexe qui, dans le fond, favorise l'employeur. C'est bien ça que je comprends?

M. Faucher (Claude): Tout à fait. Tout à fait. Ça ne se voit pas souvent, mais, quand on pogne un employeur entêté, là, à ce moment-là, c'est là qu'on voit l'inefficacité de la loi.

M. Cloutier: Si votre stratégie, c'était... Il me semble, si vous en prenez un, au lieu de les poursuivre toute la gang pour outrage au tribunal, si vous en preniez juste un, il me semble que le premier qui va être condamné par le juge à outrage au tribunal, le message que ça envoie aux autres, c'est assez clair. Ce n'est pas suffisant? Puis ce serait...

M. Dufour (Jean-Luc): Le délai est le même.

M. Cloutier: Le délai est le même? Mais, pour une audition versus 100, ça ne va pas...

M. Dufour (Jean-Luc): Oui, mais c'est parce qu'on change, à un moment donné, de compétence de tribunal. À la CRT, pas de trouble. J'ai envoyé, hier, dans un autre dossier, une plainte en vertu du Code du travail. Ce matin, je recevais mon avis de convocation pour le 18 février; on est le 2. On avait 16 jours. Juste, juste à l'intérieur des délais pour envoyer tes subpoenas. C'est bon, c'est rapide, c'est efficace.

Mais après, la Commission des relations du travail, elle, son ordonnance, même si elle est rendue, elle n'est pas coercitive. Pour qu'elle le devienne, il faut qu'on obtienne son autorisation et qu'on la dépose au greffe de la Cour supérieure. Et par la suite, là, on change de régime. On s'en va dans le processus judiciaire pour obtenir une citation à comparaître pour outrage au tribunal. Et là on arrive devant la Cour supérieure puis on dit: Écoutez, on veut vous faire la preuve qu'il y a eu dérogation à l'ordonnance rendue par la CRT. Et là on recommence. Et, si on tombe à l'outrage au tribunal, si on tombe devant la Cour supérieure, ça veut dire que, là, on prend la Cour supérieure puis on se rend plus haut aussi. Et là le conflit, il dure. Tandis que les décisions de la Commission des relations du travail, sous réserve d'une révision judiciaire, sont finales et sans appel.

M. Cloutier: O.K. Puis dois-je comprendre que, dans les cinq recommandations que vous nous faites, une de celles-là concerne les amendes... non, pas les amendes, pardon, le pouvoir d'imposer les amendes? Est-ce que votre quatrième recommandation vient en sorte régler ce problème-là? C'est autre chose?

M. Faucher (Claude): Non, chacune des recommandations prise isolément ne règle pas le problème. C'est imbriqué, ça. C'est un ensemble de dispositions qui vont donner vraiment ce qu'il faut pour faire respecter la loi.

M. Dufour (Jean-Luc): Toutefois, dans l'éventualité où on avait à dédoubler... éviter de dédoubler le processus, la Commission des relations du travail entend la demande d'ordonnance pour violation des dispositions antibriseurs de grève. Elle l'entend, elle la voit, la preuve. Et au niveau pénal je fais quoi? Je recommence devant un autre tribunal.

M. Cloutier: ...donner le pouvoir à la commission?

M. Dufour (Jean-Luc): Bien, c'est le tribunal spécialisé dans le secteur. Pourquoi pas?

M. Cloutier: Donc, ça pourrait faire...

M. Dufour (Jean-Luc): Le Tribunal du travail avait cette compétence là avant, puis c'était le tribunal spécialisé dans le domaine des relations du travail.

M. Cloutier: Est-ce que je comprends que ça pourrait éventuellement faire l'objet au moins d'une réflexion du législateur? Parce que ça ne faisait pas partie de vos recommandations que vous nous avez faites aujourd'hui, mais là je comprends que ça pourrait être une...

Une voix: ...

M. Cloutier: Oui, c'est dedans?

Une voix: Oui, oui, tout à fait.

M. Faucher (Claude): Oui, oui. Accroître les pouvoirs de la Commission des relations du travail, c'est dedans, oui.

M. Cloutier: O.K. Donc...

M. Faucher (Claude): Sauf que peut-être que, dans la dernière page, là... On l'a mis dans le texte, mais, si vous avez lu juste la dernière page, on l'a peut-être échappé dans la dernière page.

M. Cloutier: Non, j'ai surtout écouté ce que vous nous avez dit tout à l'heure, puis le lien avec le juge de paix, là, je ne l'avais pas fait. Je comprends qu'on parle bien...

Est-ce que je comprends aussi que... Les fameux bénévoles, là, c'est quoi? Dans la réalité, c'est quoi? Ils sont payés au noir? C'est ça? C'est pour ça qu'on n'est pas capable de les retracer?

M. Faucher (Claude): Bien, on prétend que c'est un beau-frère, on prétend que c'est un membre de la famille, on prétend toutes sortes d'affaires, mais, dans les faits, il n'y a personne qui va travailler pour les beaux yeux du patron puis sans se faire payer, là.

M. Cloutier: Non, je comprends. Mais ces gens-là, dans la vraie vie, s'ils sont payés, là...

M. Dufour (Jean-Luc): Oui, mais là il faut en faire la démonstration.

M. Cloutier: Je comprends. Mais, théoriquement, s'ils travaillent pour l'employeur, s'ils sont effectivement payés pas au noir, nécessairement ça doit apparaître quelque part, sinon c'est...

M. Dufour (Jean-Luc): Ils ont une rétribution. C'est une question de crédibilité, tout simplement. C'est une question que le commissaire ou la commissaire va se dire: Bien, voyons, travailler 30 à 40 heures par semaine bénévolement... Une hypothèse comme on a déjà vu dans la jurisprudence: Vous nous indiquez que vous avez laissé votre autre emploi à 30 à 40 heures par semaine, vous travailliez dans un autre complexe hôtelier puis vous êtes venu travailler à tel hôtel ou dans tel restaurant? Alors donc, c'est difficile à croire. Donc, la crédibilité du témoin est affectée.

M. Faucher (Claude): Et l'employeur qui est prêt à contourner la loi ou à violer la loi, il est prêt à faire bien des affaires, là. Mais le principe est le suivant: il n'y a rien qui justifie qu'une personne vienne prendre la job d'une personne en conflit de travail. Ce n'est pas une employée de l'entreprise, ça là, là. Alors, il n'y a rien qui justifie.

M. Cloutier: Il y a un intérêt soudain pour le bénévolat dans le domaine de l'hôtellerie.

M. Faucher (Claude): Mais le bénévolat n'est pas justifié. Le bénévolat n'est pas justifié.

M. Cloutier: Je comprends. Il me semble qu'on a déjà de la difficulté à trouver des bénévoles pour des causes beaucoup plus...

M. Faucher (Claude): Sinon, un employeur véreux, là, va toujours trouver... Sinon, un employeur véreux va toujours trouver un bénévolat ou appeler quelqu'un autrement pour lui faire dire qu'il a le droit parce que la loi ne le prévoit pas. Il n'y a rien qui justifie qu'on fasse remplacer les gens qui sont en conflit par d'autres personnes pour faire leur job.

M. Tremblay (Serge): Sur votre question des amendes, là, effectivement, imaginons qu'on avait ça, que ça comme moyen. La réserve que je mettrais, moi, c'est que, dans les cas où ça se produit puis que l'employeur effectivement fait la démonstration que, lui, il va chez eux puis il va faire ce qu'il a à faire, c'est qu'il va se placer dans une situation où il ne sera même pas capable de rencontrer l'objet des amendes qu'il y a là, et on a le choix de les déposer, les plaintes, ou de faire fermer l'entreprise, parce qu'il dit: Regarde, tu ne seras pas capable de les payer.

Ce qu'on dit, c'est que, écoutez, dans le cas où on ne doit pas utiliser un salarié compris dans l'unité de négociation pour faire du travail et que l'enquêteur nommé par le ministre constate qu'il y en a un, il faut arrêter ça là tout de suite. On ne laissera pas faire l'employeur, s'enliser encore plus. C'est clair, ça. C'est: Tu es un salarié, tu n'as pas d'affaire là, terminé là. Alors, on n'ira pas aux amendes, hein? C'est fini.

Puis le deuxième avantage que nous aurions à faire ça de cette manière-là, c'est qu'au niveau des rapports entre les individus ne croyez-vous pas que dans le conflit Sacacomie ou les conflits où c'est arrivé, si on pouvait arrêter ça à la première puis à la deuxième journée, ça ne serait pas si pire que ça, parce qu'au moins il y en a qui pourraient dire: Bien, regarde, on ne le savait pas trop, on est passés, puis sauvent la face, toujours? Mais après quatre, cinq mois, là, il n'y a plus personne qui va sauver la face, on s'en rappelle, de leurs faces.

Alors donc, c'est là que je dis: Ce n'est pas les amendes qui règlent ça. Même s'il y avait des amendes, le mal est fait entre les individus, c'est terminé. Alors, là-dessus, il faut agir promptement et rapidement pour ne pas permettre ça, parce que, là, l'employeur se place dans une situation puis en plus tantôt il ne sera pas capable de payer le compte. On n'a rien réglé pareil, hein?

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, là-dessus, il ne me reste plus qu'à vous remercier pour votre participation aux travaux de la commission parlementaire. Alors, merci à vous, M. Faucher, M. Tremblay, M. Pepin et Me Dufour.

Et je suspends les travaux quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 29)

 

(Reprise à 16 h 32)

Le Président (M. Ouimet): Alors, la commission reprend ses travaux. Nous accueillons maintenant la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Alors, Mme Martine Hébert, vous êtes la vice-présidente de la fédération, bienvenue à l'Assemblée nationale, merci de votre présence, de votre participation à nos travaux. Et pouvez-vous nous présenter la personne qui vous accompagne?

Fédération canadienne de
l'entreprise indépendante (FCEI)

Mme Hébert (Martine): Oui. M. Francis Bérubé, qui travaille aux affaires législatives à la fédération.

Le Président (M. Ouimet): Très bien. Alors, vous avez environ 10 minutes pour nous faire la présentation.

Mme Hébert (Martine): Bien, d'abord, merci beaucoup, M. le Président. On tient à remercier les membres de la commission de nous accueillir aujourd'hui pour discuter de certaines dispositions du Code du travail dans le cadre de ce mandat d'initiative là.

Comme vous le savez, à la FCEI, on regroupe 24 000 PME au Québec. De ce nombre, je vous dirais qu'il y a environ... à peu près 10 % sont syndiquées. Évidemment, à cause de ça, on est donc grandement préoccupés par le mandat dont s'est doté la commission, et on est d'autant plus préoccupés que, de ce qu'on a vu, c'est qu'il s'appuyait sur un conflit de travail privé dans un secteur spécifique et évidemment que nous n'entendons pas commenter.

Je pense que, d'emblée, M. le Président, il faut le dire haut et fort, un conflit de travail, c'est toujours regrettable et ce n'est jamais souhaitable pour l'ensemble des parties concernées. C'est pour ça d'ailleurs qu'on est d'avis que les changements législatifs en matière de relations du travail ou de lois du travail doivent toujours être impérativement guidés par l'intérêt public général. C'est d'autant plus important en ce qui a trait au Code du travail, d'ailleurs, parce qu'en principe ce dernier doit viser l'équilibre entre les droits et obligations qui sont conférés à la fois aux parties patronale et syndicale.

Je vous dirais que, du point de vue des PME, le Québec est déjà aux prises avec une législation du travail qui est parmi les plus contraignantes en Amérique du Nord, législation qui, dans le cas des PME aussi, est nettement à l'avantage de la partie syndicale. Le Québec est de loin parmi les territoires les plus syndiqués en Amérique du Nord. Les organisations prospères aussi que sont devenues les grandes centrales syndicales québécoises ne trouvent que peu d'équivalents en Amérique du Nord, et je ne pense pas qu'aucune organisation patronale, en tout cas au Québec, ne peut rivaliser avec les ressources humaines et financières dont disposent les grandes centrales syndicales québécoises.

Les conséquences néfastes de la législation actuelle sur les PME du Québec, qui pourtant représentent, et il faut bien le souligner, 98 % des entreprises, sont indéniables. Et, M. le Président, vous savez, les difficultés vécues par les PME, elles ne sont pas du tout imaginaires. On reçoit quelques centaines d'appels par année, à la FCEI, en rapport avec la syndicalisation ou encore les décrets de convention collective, qui sont un dérivé.

J'ai moi-même, aussi, parlé avec certains de nos membres encore cette semaine et la semaine dernière pour mieux cerner leurs réalités et prendre un petit peu aussi le pouls du terrain, là, par rapport aux débats qui ont lieu aujourd'hui, face aux syndicats. Je vous dirais que, dans la législation actuelle, ce qu'on me dit et ce que les PME ressentent, dans le fond, c'est qu'on est un peu comme dans la légende de David contre Goliath, où David est les PME, les petites entreprises, et Goliath, les centrales, les syndicats. Mais, à la différence de la légende, c'est toujours David qui perd, dans la situation des petites entreprises.

Donc, je pense qu'il est grand temps, au Québec, de prendre en compte la réalité des petites entreprises quand on fait des lois ou qu'on veut les changer. Et, à cet égard-là, je constate qu'à l'exception de quelques intervenants, cet après-midi, on n'en a très peu parlé chez... Je suis d'autant plus contente, parce que c'est important, et elles sont touchées par le Code du travail, les petites entreprises au Québec.

Alors, en ce qui a trait maintenant, M. le Président, aux dispositions antitravailleurs de remplacement, je vous dirais qu'en 2007, lorsque le fédéral, rappelez-vous, avait... on avait proposé d'introduire de telles dispositions dans le Code du travail canadien, les PME s'étaient déjà opposées à une telle idée. Ce n'est pas surprenant, parce que ces dispositions-là représentent une véritable épée de Damoclès sur la tête des dirigeants de PME. Il faut dire, d'une part, que c'est normal, c'est une épée de Damoclès, premièrement, comme on l'a dit tantôt, les PME ne disposent pas des mêmes ressources que leurs homologues de plus grande taille et encore moins que les syndicats. Elles ne peuvent tout simplement pas soutenir un arrêt total et définitif de leur production ou une fermeture temporaire de leurs commerces sans littéralement mettre en péril leur survie, de leurs entreprises, en cas de conflit de travail.

Les dispositions actuelles concernant les travailleurs de remplacement ne sont pas du tout, du tout adaptées à la réalité des petites entreprises de Québec. Et, je vous dirais, mettons-nous deux minutes, M. le Président, dans la peau d'un petit quincaillier, d'un petit boulanger ou d'un petit manufacturier syndiqué -- puis je pense que vous en avez tous dans vos comtés, et vous le savez -- des cadres, dans ce genre d'entreprise là, là, bien, il y en a souvent juste un, puis c'est le patron, c'est le propriétaire. S'il y a un conflit, bien, c'est lui qui doit assurer en personne, seul, les heures d'ouverture de son magasin, ou encore il doit confier un minimum de sa production, pour essayer de survivre, là, à gros prix, à une autre entreprise pour essayer de continuer à desservir tant bien que mal sa clientèle. Autrement dit, dans une petite entreprise, un conflit de travail, ça fait mal, ça fait très mal. Et, vous savez, M. le Président, quand une seule PME au Québec perd des clients, quand une seule PME au Québec doit effectuer des mises à pied ou encore fermer ses portes à la suite d'un conflit de travail, bien, à la FCEI, on trouve que c'est inacceptable.

Qui plus est, je vous dirais, le propriétaire de PME n'a souvent pas les moyens de se payer une armée de juristes et d'experts, comme c'est le cas pour les syndicats. Il doit négocier tout seul les conventions collectives, souvent, parce qu'il n'a pas le moyen, justement, de se payer des avocats, alors que les syndicats disposent de moyens financiers extraordinaires qui leur permettent, dans le fond, de soutenir leurs syndiqués pendant une longue période et de soutenir les négociations aussi pendant une longue période. Le propriétaire de PME ne peut pas se permettre un tel luxe sans que son entreprise ne subisse des préjudices.

Devant ces faits, comment les choses se passent-elles pour une PME syndiquée? Bien, ça veut dire quoi? Ça veut dire, un petit peu comme M. Barré l'a dit tantôt, quand il y a une négociation, bien, la PME se retrouve nettement désavantagée. La pression économique étant extrêmement forte, elle n'a pas d'autre choix que de chercher un règlement rapide, et ce, souvent au détriment de la pérennité, de la croissance et de la création d'emplois dans son entreprise.

Un de nos membres me disait d'ailleurs la semaine dernière: Tu sais, Martine, ce n'est pas compliqué, quand on négocie, dans mon entreprise, on a un peu le couteau sur la gorge, parce que je ne peux pas me permettre une grève ou une négociation qui s'étire, sinon je risque de tout perdre. Alors, je me retrouve dans une situation où, finalement, c'est ou tu dis oui aux demandes ou on te ferme, parce que c'est ça qui va arriver en bout de ligne.

Quand on entend ça et qu'on sait que plusieurs études démontrent, en plus, les effets pervers des dispositions antitravailleurs de remplacement que ce soit en termes de nombre de conflits -- il y a plusieurs études qui ont été citées lors de cette commission, on en a cité plusieurs dans notre avis qu'on vous a produit aussi -- que ce soit en termes de durée des conflits, bien, s'il y a urgence, je vous dirais, M. le Président, de traiter de ces dispositions-là, c'est pour les abolir.

Et ce n'est pas le seul élément, évidemment, du Code du travail, pour nous, qui mériterait d'être revu, si jamais il y avait une révision. Je pense que, depuis 1964, notre Code du travail a connu plusieurs modifications, mais ces changements-là se sont souvent effectués à la pièce et en exacerbant, finalement, les déséquilibres induits en faveur de la partie syndicale, vis-à-vis des petits propriétaires d'entreprise. Je vous en donne quelques exemples.

**(16 h 40)**

Quels sont les effets, dans une petite entreprise, de ne pas imposer le vote secret au moment d'une accréditation? Imaginez les tensions que ça crée dans une petite entreprise quand il y a 10, 20, même 40 employés et que vous avez un groupuscule de travailleurs qui tentent, de façon légitime, de faire entrer le syndicat. Il est évident que c'est toujours plus difficile pour un travailleur d'exprimer son désaccord. Plus le groupe est petit, plus la pression est forte et plus le climat de travail finalement peut rapidement devenir tendu et pas propice à l'expansion de l'entreprise.

Je pense que, nonobstant ça, aussi, ce qui est encore plus grave, c'est que le fait qu'on n'oblige pas le vote secret, ça représente aussi un accroc important à la démocratie. Dans les conditions minimales qui régissent la tenue d'élections libres et démocratiques qui sont reconnues à l'international, on retrouve les éléments suivants: la liberté d'expression, le droit d'association et la liberté d'association, le droit de réunion, le droit à l'égalité et, j'insiste, M. le Président, le vote libre et secret. C'est la même chose que les dispositions... certaines dispositions de notre Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne édictent aussi.

Les mêmes observations peuvent s'appliquer aussi à l'égard de l'obligation de cotiser à un syndicat et au fait que la loi permet à une minorité de travailleurs syndiqués de décider du sort de la majorité en cas de vote de grève. On pense, nous, que ce sont là des accrocs à des principes démocratiques fondamentaux.

En conclusion, M. le Président, je vous dirais que les PME du Québec participent, et vous le savez, à la vitalité de toutes nos régions, sont à la source du dynamisme et de la santé économique de notre province en cette période d'incertitude. Elles sont aussi d'excellents employeurs, ça, il faut le dire, soucieux... J'entendais tantôt «entrepreneurs véreux». Je vous dirais que j'ai été un peu estomaquée d'entendre une telle appellation, parce qu'il faut le dire, les propriétaires de PME au Québec sont d'excellents employeurs. Puis, si ce n'est pas le cas, je veux qu'on me dise pourquoi, dans un récent sondage encore, 78 % des jeunes de 18 à 34 ans, au Québec, estiment que les PME offrent les meilleures occasions de développement de carrière et d'atteindre leurs objectifs professionnels. Donc, les travailleurs apprécient la flexibilité, la proximité avec les dirigeants, l'autonomie, les possibilités de créer, d'innover et de se développer qu'offrent les PME. Et d'ailleurs je vous dirais qu'au cours de la dernière récession, M. le Président, ce sont les PME, au Québec, qui ont le plus résisté au licenciement.

C'est pourquoi, nous, à la FCEI, on souhaite vivement qu'on ne cédera pas à la tentation, au Québec, de répondre aux demandes de certains groupes qui, sur la base d'un cas bien particulier, tentent de faire progresser leur propre agenda, et ce, au détriment de milliers de propriétaires de PME qui sont nettement désavantagés dans la législation de travail actuelle. Je vous remercie.

Le Président (M. Ouimet): Merci à vous, Mme Hébert, pour la présentation de votre mémoire. Et juste un bref commentaire. Dans le fond, ce que vous nous dites, c'est que David n'est pas toujours l'employé, c'est parfois l'employeur aussi, et que Goliath, ce n'est pas toujours le... l'empire syndical, des fois c'est également l'inverse.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Ouimet): En tout cas, je me perds, là. Désolé, je suis fatigué, la journée a été longue. Mais vous comprenez ce que je veux dire.

Mme Hébert (Martine): Tout à fait.

Le Président (M. Ouimet): Le petit face au gros, ce n'est pas toujours la même personne.

Une voix: ...

Le Président (M. Ouimet): Oui, oui, ça serait une bonne idée.

Une voix: Et contrairement à la légende...

Le Président (M. Ouimet): Allons-y avec le député de Rivière-du-Loup, oui.

M. D'Amour: ...n'est pas toujours celui qu'on pense. C'est ça?

Le Président (M. Ouimet): Voilà.

M. D'Amour: Merci, M. le Président. Alors, Mme Hébert, monsieur, on est très heureux de vous accueillir aujourd'hui. Lorsqu'on parle de la PME, j'ai la prétention de m'y connaître un petit peu parce que je représente un comté à l'Assemblée nationale qui est celui de Rivière-du-Loup, et les PME, pour une bonne part, constituent, j'oserais dire, les fondements économiques et sociaux de notre territoire. Quand, cependant, j'écoute votre message, j'ai l'impression que vous vous dépeignez un peu comme des victimes. J'ai un peu, peut-être, de difficultés avec ce message-là.

Maintenant, vous soutenez également que vous n'êtes pas du tout en faveur de l'arrêt complet des opérations d'une entreprise en cas de grève ou de conflit. Vous dites, dans un même souffle, qu'il n'y a souvent que le propriétaire, souvent, qui peut être considéré comme un cadre. Il est où, le compromis, là-dedans? Parce que l'objectif ultime de tout le monde ici, c'est de définir une solution d'équilibre ou un compromis qui va permettre de bien vivre dans le marché du travail au Québec, hein, d'avoir de bonnes relations de travail puis de faire en sorte qu'on puisse continuer à créer de la richesse puis à se développer. Est-ce que vous avez des choses à suggérer?

Mme Hébert (Martine): Bien, écoutez, je pense que, si on regarde la situation actuelle au Québec, on l'a dit, puis d'ailleurs ça a été noté à moult reprises au cours de cette commission, 98 % des négociations se règlent sans conflit au Québec. Ça fait qu'on n'est pas dans une situation d'urgence, là, où, de façon très urgente, on doit, pour régler une situation particulière, rouvrir une loi qui s'adresse à tout le monde et apporter...

M. D'Amour: Sans que ça soit urgent, vous comprenez qu'en tant que parlementaires on a une responsabilité, puis notre responsabilité, c'est de bouger puis c'est de prendre des décisions qui vont dans le sens de l'intérêt du Québec. Alors, on ne peut pas prolonger ça indéfiniment.

Mme Hébert (Martine): Non, mais la question qu'on doit se poser, c'est: Est-ce que le Code du travail est le bon véhicule pour trouver une solution à ces cas particuliers là qu'on a évoqués? Vous savez, le Code du travail, ça ne concerne pas que quelques entreprises, ou que quelques types, ou quelques... c'est un véhicule où il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde qui sont assis dans ce véhicule-là, de toutes les tailles, de toutes les grosseurs, de toutes sortes finalement, puis ceux qui se font brasser, c'est ceux qui sont assis en arrière, et c'est souvent les plus petits qui se font le plus brasser.

Et, quand je parlais... Tu sais, quand vous disiez, tantôt, «victimes», on n'est pas du tout victimes. Ce qu'on dit, c'est que c'est plus difficile pour les PME de vivre avec les conditions qui sont énoncées dans le dans le Code... la législation du travail actuelle, elles pèsent plus lourd sur eux parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire face à des conflits, moyens qu'ont, par exemple... ou de se payer des conseillers ou encore de... Ils n'ont pas les moyens économiques, non plus, de survivre à un conflit.

Quand il y a un conflit de travail dans une entreprise, les travailleurs qui paient des cotisations syndicales perçoivent des revenus et sont compensés pendant la période d'arrêt de travail. Le petit entrepreneur, lui, il ne reçoit rien. Quand il y a un conflit de travail puis qu'il y a une grève, s'il ne peut pas continuer à opérer un minimum... et même à ça, pour l'argent qu'il perd, il ne reçoit rien, Dans le fond, c'est ça que je veux dire. Et ça, ça fait mal. Parce que, vous savez, les petites entreprises au Québec, ce sont elles qui assurent la vitalité de plusieurs de nos régions, et vous l'avez dit tantôt vous-même.

Donc, nous, ce qu'on souhaite, c'est que le Code du travail... Dans le fond, si on le revoit, moi, ce que je vous dis, c'est que nos membres seraient beaucoup plus en faveur d'abolir les dispositions antitravailleurs de remplacement que de les laisser... que de les durcir. C'est comme... c'est...

M. D'Amour: Ce n'est pas nécessairement ce qu'on appelle un équilibre.

Mme Hébert (Martine): Bien, écoutez, oui, dans le cas... Si on le prend du point de vue d'une PME, absolument.

M. D'Amour: Parce qu'on est quand même... Par votre présentation, on est quand même assez loin de la situation qui sévit au Journal de Montréal. Ça, c'est un fait. Vous souhaiteriez donc que les mesures à l'intérieur du code soient mieux adaptées à vos entreprises. C'est ça, votre message.

Mme Hébert (Martine): L'équilibre à travers le code, M. le député, vous savez, n'est pas lié qu'à ces dispositions-là, hein? L'équilibre, dans le Code du travail, c'est un ensemble, on le sait. On ne peut pas dénaturer... On ne peut pas prendre un article du code puis dire: Bon, bien... et l'enlever ou le remettre. L'équilibre, c'est un tout. Le Code du travail comporte plusieurs dispositions.

Quand on vous dit, nous, à l'heure actuelle, que le Code du travail est déséquilibré en défaveur, c'est que, de par plusieurs dispositions, et certainement aussi les dispositions antitravailleurs de remplacement, à l'heure actuelle, on vous dit que la pression économique est très grande sur les employeurs pour signer souvent des ententes qui ne sont pas nécessairement des ententes optimales, qui ne permettent pas de favoriser justement la création de richesse collective au Québec autant qu'elles le devraient. C'est ça qu'on vous dit.

M. D'Amour: Merci.

Le Président (M. Ouimet): Merci, M. le député de Rivière-du-Loup. M. le député de Jean-Lesage.

M. Drolet: Bien, j'aimerais revenir un petit peu là-dessus, madame, parce que vous représentez, contrairement au Conseil du patronat, 24 -- plus ou moins -- mille entreprises, les petites et des moyennes, qui vivent la même réalité que les grandes entreprises, par contre... qui ne vivent pas plutôt, excusez-moi, les mêmes réalités. Et je l'ai vécu en stratégie entrepreneuriale, ne serait-ce que dans la tournée du Québec que je viens de faire. Vous avez parfaitement raison de l'invoquer, puis je crois qu'il est important de rappeler ce fait-là.

Vous avez parlé brièvement, dans votre présentation, en fait, que la modernisation des mesures antibriseurs de grève, ça représente pour vos membres peut-être... J'aimerais ça que vous en parleriez un petit peu. Ça représente des inconvénients qui feraient en sorte que ça pourrait peut-être les toucher de près ou de loin. Parlez-moi-z-en donc un petit peu plus encore en détail.

Mme Hébert (Martine): Écoutez, moi, quand je lis...

M. Drolet: Puis j'ajouterais aussi: Concrètement, pouvez-vous me dire ce que représente pour vous le projet de loi n° 399, concrètement?

Mme Hébert (Martine): J'allais vous répondre justement là-dessus. Quand je lis le projet de loi n° 399, je me dis: Elle est où, la possibilité pour le petit entrepreneur? Il n'y a plus... On enlève... On vient de lui enlever son droit au lock-out. Quand je lis ce projet de loi là, là, on vient carrément de le priver presque de 100 % de son droit au lock-out, alors qu'il y a un principe fondamental dans le Code du travail au Québec, qui dit: Il y a un droit de grève, il y a un droit de lock-out. Si on va de l'avant avec le projet de loi n° 399, tel que libellé, là, c'est carrément ça que ça fait.

Et je vais vous dire le terme que les membres que j'ai consultés ont employé, c'est «catastrophe». «Catastrophe». Déjà, déjà que les dispositions actuelles... et, quand je vous dis qu'on voudrait les... S'il y a quelque chose à faire, c'est beaucoup plus de regarder l'opportunité de les enlever, ces dispositions-là, actuellement, parce qu'il y a déjà un déséquilibre. On a peut-être moins de conflits au Québec, mais à quel prix? Et c'est la question qu'il faut se poser aussi: À quel prix?

**(16 h 50)**

M. Drolet: Merci, madame.

Le Président (M. Ouimet): Merci. Du côté de l'opposition officielle, M. le député de Beauharnois.

M. Leclair: Merci, M. le Président. Bonjour à vous, merci pour votre mémoire. Merci d'être présents surtout, de participer à notre grande quête de tenter de trouver une solution à notre loi antibriseurs de grève. Je vais vous avouer très franchement, peut-être parce qu'il est tard, j'ai un petit peu de misère à suivre vos propos en fin de journée. Mais, une chose que je veux qui soit claire, je veux dire bravo aux PME. Définitivement, les PME sont un sérieux et un bon moteur d'économie pour plusieurs régions, puis je lève mon chapeau à ça.

Où est-ce que j'ai de la misère, c'est que vous... Premièrement, en entrée de jeu, vous dites: On n'est pas d'accord avec le projet de loi puis on ne le commentera pas. Vous apportez plusieurs autres points de vue, dans le Code du travail, qui pourraient faire votre affaire. Puis ça, c'est bien correct parce que le but, c'est que tout le monde apporte leurs commentaires, puis, si on est capables d'élucider puis de rendre tout le monde heureux, bien, ce sera tant mieux pour tout le monde.

La seule chose où est-ce que c'est un peu contradictoire, c'est que vous dites que les PME, c'est eux qui sont mieux sortis de tout, la crise économique puis... Mais le Code du travail existe encore aujourd'hui, là, donc. Puis, vous dites: Le Code du travail, il est très... totalement défavorable aux PME parce qu'on n'est pas trop... on n'a pas les mêmes moyens pour aller se défendre contre les syndicats et les gros syndicats, alors que vous dites: Les PME, c'est plus de la plus petite entreprise, donc ils n'ont pas tout à fait, à chaque fois, à se batailler contre les gros syndicats, comme vous dites. Alors, j'aimerais essayer de comprendre. En tout cas, je trouve ça un petit peu contradictoire, mais c'est peut-être juste ma manière de comprendre en fin de journée, là. Mais je voulais vous faire ces points de vue là.

Je comprends très bien que, pour une PME, comme l'exemple que vous citiez, une personne, un monsieur qui a une entreprise, qui a sept, huit employés, si nécessairement il est syndiqué, bien, j'imagine que... Lorsque tu te syndiques, lorsque tu as une négociation, c'est toujours le même but recherché, c'est de s'assurer que, même que lorsque lui négocie, que le rapport de force soit aussi vrai pour le patronal que le syndical. Dans le cas échéant que l'on suit présentement, qui nous apporte à regarder ça de plus près, on regarde plutôt quelque chose plus gros qu'une PME, Le Journal de Montréal, et plusieurs gros cas, mais la base de ça reste toujours le même point de vue et le même fait: on part du point de départ qu'on veut s'assurer de maintenir un équilibre de chaque côté de la table, indépendamment de la grosseur des entreprises.

Alors, j'aimerais vous entendre à trouver des points qui nous rapprochent vraiment du projet de loi, ou non, mais côté négociation, sur la loi antibriseurs de grève, qui peut avantager aussi... Parce que, lorsque vous dites: Ce projet de loi là enlève le droit au lock-out, bien ça ne me tente pas de vous «astiner» ici, ce n'est pas mon but, mais je veux juste vous faire comprendre que le but, c'est de dire: Lorsqu'il y a lock-out ou grève, on ne veut pas enlever ce droit-là, c'est de dire qu'il n'y ait pas d'antibriseur de grève, une troisième partie qui vienne s'interrompre dans une négociation à deux parties, que l'équilibre reste là.

Alors, j'aimerais vous entendre plus spécifiquement là-dessus. Mais tantôt vous avez dit que vous ne vouliez pas trop, trop commenter. Alors, je vous laisse le soin d'y aller ou non, là. Je ne veux pas vous mettre... si vous êtes moins familière...

Mme Hébert (Martine): Ce que j'ai dit tantôt que je ne voulais pas commenter, c'était un conflit de travail particulier, un conflit de travail privé. Ce n'est pas mon mandat de commenter ça. Je n'ai pas l'expertise non plus pour commenter un conflit de travail privé. J'ai dit que je ne voulais pas commenter ça.

Si je regarde le projet de loi n° 399 dans sa forme actuelle effectivement et que je regarde -- parce que, moi, je suis ici pour vous parler des PME -- que je regarde que l'impact qu'une telle disposition aurait sur les PME, je vous dis que ce ne serait pas drôle. O.K.?

Quand je vous ai dit tantôt... Et je comprends qu'à première vue ça peut... ça vous est apparu contradictoire, mon propos. La question n'est pas de dire que... Ce n'est pas parce qu'on s'en sort et qu'on s'en est mieux sortis qu'on n'aurait pas pu mieux s'en sortir et qu'on ne pourrait pas encore faire mieux dans le futur. Je vous dirais qu'au Québec, à l'heure actuelle, quand on regarde les données, M. le député, c'est inquiétant. C'est inquiétant parce qu'on est en proie à un déclin entrepreneurial, hein? Vous le savez d'ailleurs, le gouvernement est en train d'essayer de mettre en place une stratégie entrepreneuriale pour contrer ça.

Quand on regarde aussi le taux de faillite, au Québec, de nos entreprises à l'échelle canadienne, alors que, le Québec, on compte pour 20 % de l'économie canadienne, on compte pour 40 % des faillites à l'échelle canadienne. Alors, oui, on a un problème. Ça ne veut pas dire que, parce qu'on fait bien, on n'est pas capables de faire mieux. Comprenez-vous?

Donc, nous, ce qu'on dit, c'est que plus on va renforcer les dispositions du Code du travail... certaines dispositions du Code du travail et que le Code du travail, comme beaucoup de nos lois d'ailleurs ont davantage été souvent conçues en pensant justement... ou en voulant régler des cas spécifiques d'une part, ou encore en voulant... en ne tenant pas compte de la réalité des petites entreprises.

Moi, ce que je dis, c'est que, dans la réflexion actuelle, au Québec, il faut absolument qu'on tienne compte de la réalité des petites entreprises. Et il ne faut pas qu'on tente de régler un cas particulier à travers un véhicule, qui est le Code du travail, qui englobe toutes les entreprises, en tout cas qui touche un ensemble d'entreprises de toutes tailles et dans tous les secteurs d'activité au Québec. Donc, la question qu'on a peut-être à se poser pour régler la problématique qui vous concerne ou en tout cas qui vous préoccupe, les parlementaires qui avez décidé de prendre ce mandat-là, la question qu'on a à se poser: Est-ce que le Code du travail est le meilleur véhicule pour ce faire?

M. Leclair: Je ne crois pas qu'on soit à cette question-là. Je crois qu'il y a une motion qui a été votée à l'unanimité en Chambre pour dire qu'il fallait réviser les lois antibriseurs de grève et une partie du Code du travail. Donc, le début d'exercice qu'on se donne en mandat d'initiative ici, c'est sûr que c'est restreint. C'est juste deux jours, on n'aura pas la plénitude de tous, tous les groupes qui vont venir, en espérant qu'on l'aura un jour. Mais le but, c'est de vous entendre, justement, si... Puis je crois que votre point de vue est clair: pour vous, le code, il est dommageable pour les PME. Puis, si votre point de vue est là...

Mme Hébert (Martine): Il est en défaveur des PME.

M. Leclair: ...bien, c'est correct aussi, là. Je ne vous demande pas de dire ce que je pense ou ce qu'on dit. Le but, c'est de vous entendre, puis on analyse tout ça, puis on va essayer de vous satisfaire.

Mme Hébert (Martine): On espère bien. On espère bien. Ce que je vous dis, c'est qu'actuellement le code, il est en défaveur des PME, dans le point de vue d'une petite entreprise. Et, je pense qu'il y a d'autres experts qui vous l'ont dit, monsieur... le monsieur qui était ici tantôt vous l'a dit: Il faut évaluer, dans les dispositions du Code du travail, la capacité de résister de l'employeur à la pression économique. Et je vous dirais que la balance de la pression économique pèse davantage sur l'employeur, dans le cas des PME, avec les dispositions actuelles du Code du travail, que sur les travailleurs, les travailleurs syndiqués. Alors, c'est ça que je vous dis.

Donc, je pense que, dans l'exercice... Et je suis très contente de vous entendre dire justement que vous allez prendre en compte la réalité des petites entreprises dans vos recommandations, et je souhaite vivement que vous le fassiez, parce qu'effectivement, à l'heure actuelle, le poids... les dommages possibles en cas... lors d'une négociation pèsent beaucoup plus lourd sur le petit... sont nettement en défaveur du petit entrepreneur qu'en faveur des travailleurs syndiqués. Il y a un déséquilibre à l'heure actuelle, on ne veut pas l'exacerbé.

M. Leclair: Mais c'est sûr que, lors d'une future... un futur débat, si nous continuons d'aller de l'avant, on va vous réinviter, en espérant que vous allez encore...

Mme Hébert (Martine): Ça va nous faire plaisir.

M. Leclair: ...approfondir vos demandes pour qu'on tente de les régler.

Mme Hébert (Martine): Ça va nous faire plaisir.

M. Leclair: C'est bien.

Le Président (M. Ouimet): Merci, M. le député. Allons du côté du député de Shefford, deuxième opposition à l'Assemblée nationale.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Mme Hébert, M. Bérubé, bienvenue, merci d'être avec nous autres ce soir.

Moi, j'ai des questions. Je n'ai pas beaucoup de temps, je ne ferai pas le grand débat sur ce que vous mentionnez dans votre mémoire. Je pense que tout le monde connaît mes positions sur la modernisation, oui, de la loi antibriseurs de grève, mais de la modernisation aussi du Code du travail.

Je veux savoir. 24 000 petites et moyennes entreprises, vous dites qu'à peu près 10 % de ces entreprises sont syndiquées, donc à peu près 2 400. Êtes-vous capable de me dire la proportion d'employeurs syndiqués la plus forte en termes d'employés? Parce que, bon, on parle de relations petites PME, cinq, 10, 15 employés, ce n'est pas évident, il y en a la moitié qui veulent se syndiquer, puis là qu'est-ce qu'on fait? Les pressions sont fortes. C'est quoi, la principale proportion d'employeurs, en termes de syndiqués, qui sont syndiqués présentement dans vos PME? Est-ce que...

Mme Hébert (Martine): Écoutez, je n'ai pas le détail exact des calculs, mais ce que je vous dirais, par exemple, c'est que notre membership, l'ensemble de notre membership général, c'est vraiment à l'image du nombre d'entreprises au Québec. Parce qu'à 24 000 PME on est quand même assez représentatifs, là. Je vous dirais qu'à peu près 95 % des entreprises...

M. Bonnardel: Syndiquées?

Mme Hébert (Martine): ...de l'ensemble des entreprises au Québec ont moins de 50 employés. Donc, 95 % de notre membership a moins de 50 employés. Donc, on peut fortement présager que la forte majorité de... qu'une bonne partie de nos entreprises syndiquées... Mais on pourra faire suivre aux membres de la commission, par exemple, demain, plus de détails à cet effet-là... à cet égard-là. Mais je peux vous dire que le portrait ne sera pas vraiment différent de ce que je viens de vous dire, là.

M. Bonnardel: O.K. Bien, j'imagine en tout cas qu'on doit se situer entre 10 et 30 employés, selon moi, là, si...

**(17 heures)**

Mme Hébert (Martine): À peu près.

M. Bonnardel: À peu près. Vous disiez tantôt que vous étiez en contact avec des PME. Quel est le... Parce que, des chiffres que j'ai vus... Puis je sais que vous envoyez des sondages à tous les mois ou presque à vos entreprises au Québec. Vous les connaissez bien, sinon mieux que le gouvernement, ou presque, là-dessus. Les chiffres que j'avais déjà vus, c'est qu'il y a à peu près 10 %... 20 %, pardon, des entreprises, des PME qui dépassent leur 10e année. J'aimerais ça que vous soyez capable de nous dire aussi...

Puis là vous avez le droit de nous dire si, oui ou non, vous voulez en débattre, mais vous dites: On est en discussion avec des PME qui peut-être veulent se syndiquer ou qui ne savent pas trop comment travailler là-dedans, comment voir cette situation-là: J'ai huit employés, j'en ai 12, je vais-tu fermer, je ne vais pas fermer? Quelle est la crainte pour un employeur... Parce que je vous dirais que je connais des employeurs qui sont syndiqués, puis ça va bien. Il y en a d'autres que ça ne va pas bien du tout, mais il y en a que ça va bien. Quelle est la crainte majoritairement d'un employeur qui a 15, 20 employés, de se dire: Je me syndique? Il y en a peut-être la moitié... Bon, les lois sont là, aujourd'hui, elles sont ce qu'elles sont, on ne peut les changer, à moins que la volonté ministérielle soit là. Quelles sont les plus grandes craintes d'un employeur, aujourd'hui, de se dire: Je me syndique, j'ai 15 employés, j'en ai 20, je ferme mes portes ou non?

Mme Hébert (Martine): Bien, écoutez, comme je disais tantôt, c'est la pression économique. Je pense qu'on l'a bien exprimé aussi. Imaginez-vous, là, que vous êtes dans une petite entreprise, puis que justement les employés se sont syndiqués, puis vous avez à négocier. Imaginez-vous juste la négociation de la première convention collective puis la négociation de vos conventions collectives, après ça, à chaque échéance, quand ça revient. C'est sûr qu'il y a une pression économique qui est très forte, parce que les employés, comme tout être humain, ils vont arriver avec des demandes, mais les demandes vont souvent être beaucoup plus élevées que ce que l'employeur est capable de payer. Alors, lui, ses projets d'expansion qu'il avait peut-être dans la tête, ses projets aussi de maintien, ne serait-ce que de ses emplois, ses projets de renouvellement de sa machinerie, tout ça vient finalement d'être anéanti parce qu'il doit consentir. Parce que, s'il ne consent pas, il s'expose à un conflit de travail, conflit de travail qu'il ne peut pas... ou en tout cas qu'il peut très, très, très... auquel il peut très difficilement faire face sans que ça ait des conséquences économiques très importantes sur sa business.

M. Bonnardel: J'aimerais ça, pour le bénéfice des parlementaires ou si vraiment on poussait plus loin la réflexion, à savoir... Je vous le répète, les chiffres que j'ai vus, c'est qu'il y a 20 % des PME au Québec qui dépassent leur 10e année d'existence. Ce n'est pas beaucoup, là, deux sur 10 qui se rendent à la 10e, là. Est-ce qu'on est capable de savoir... Je me syndique demain matin, mes employés décident ça. Parfait, on y va. Bon, ça a des coûts, vous le dites. Et là-dessus est-ce qu'on est capable de savoir: Dans les membres qui sont syndiqués aujourd'hui, les 2 400, est-ce qu'il y en a une plus grosse majorité qui dépassent la 10e année que ceux qui ne sont pas syndiqués?

Je pense que ça serait une statistique intéressante à savoir. Moi, j'ai plein de chums qui ont des entreprises. Il y en a qui sont syndiqués, il y en a qui ne le sont pas. Il n'y en a pas beaucoup qui vont à leur 10e année. Mais est-ce qu'on c'est un gage de succès, la syndicalisation, pour eux, ou ce ne l'est pas du tout? Parce que, donc, sur les 2 400 que vous avez, sur le 10 %, c'est peut-être une statistique qui pourrait être intéressante à savoir.

Mme Hébert (Martine): Tout à fait.

M. Bonnardel: Est-ce que c'est un gage de succès pour la plupart des entreprises ou ça ne l'est pas pantoute?

Mme Hébert (Martine): On va regarder, on va certainement regarder ça, mais...

M. Bonnardel: Si vous êtes capables de nous le faire, ça serait peut-être intéressant pour nos travaux.

Mme Hébert (Martine): On va essayer de voir si notre système informatique permet d'aller jusque-là, dans les détails. Mais, chose certaine, chose certaine, c'est que, oui, au Québec, on a un taux de survie de nos entreprises sur cinq ans, même, qui est inférieur à celui de l'Ontario, par exemple. Donc, oui, nous avons un problème au Québec. Il faut, au Québec...

Et, bon, ce n'est pas tout la faute du Code du travail. On sait, on connaît l'environnement fiscal, qui est très défavorable aux petites entreprises au Québec. Bon, il y a une série de raisons. Mais très certainement aussi que l'ensemble de la réglementation, dont les lois du travail font partie, font mal aux petites entreprises et, dans le fond, briment l'essor ou l'expansion que ces petites entreprises là pourraient prendre.

L'exemple que je vous ai donné tantôt, là, ça se passe régulièrement. Comme je vous dis, un commerce de détail... Prenons un quincaillier. Il négocie sa convention. Il est obligé de... Bon, il n'a pas le choix de répondre aux demandes. Il est pris. S'il ne répond pas aux demandes, il a 10 ou il a 12 employés puis il se retrouve dans un conflit de travail. Il ne peut pas se permettre de fermer sa quincaillerie pendant deux, trois semaines parce qu'il est en conflit. Il ne peut pas se le permettre, c'est clair. Il ne peut pas non plus se permettre, même s'il décide d'assumer les heures d'ouverture tout seul avec son conjoint ou sa conjointe, je veux dire, il ne peut pas... D'avoir une ligne de piquetage devant les portes de la quincaillerie, ce n'est pas l'idéal pour attirer la clientèle, on se comprend. Donc, c'est ça qu'il faut prendre en compte dans l'analyse qu'on fait de la problématique, à l'heure actuelle.

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, merci, M. le député de Shefford. Ceci met un terme à nos audiences. Je remercie donc la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Mme Hébert et M. Bérubé, merci infiniment d'avoir contribué aux travaux de la commission parlementaire.

Et je suspends les travaux quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 5)

 

(Reprise à 17 h 8)

Le Président (M. Ouimet): Bien. Alors, la commission reprend ses travaux.

Remarques finales

Et nous allons maintenant procéder aux remarques finales. Et, comme le veut la tradition, nous allons commencer avec le député de Shefford, au niveau de la deuxième opposition.

M. François Bonnardel

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Alors, rapidement, juste pour remercier tous les organismes, associations qui sont venus débattre avec nous d'un contexte législatif qui sera extrêmement difficile à entreprendre, si la volonté, premièrement, comme je l'ai répété, est là du côté ministériel, pour revoir un peu... pas juste un peu, revoir la loi antibriseurs de grève, qui est néfaste en certains points pour des lock-out qu'on voit présentement, mais certainement aussi pour un code du travail qui a besoin d'être modernisé. Le contexte de travail, autant que le contexte d'entreprise, a changé, au Québec, depuis 45, 50 ans. Je pense que cette situation-là mérite d'être revue, approfondie.

Maintenant, le Parti québécois a décidé de déposer un projet de loi qui dictait seulement une ligne de pensée. C'était celle de revoir la loi antibriseurs de grève. Je pense que tout le monde a vu, depuis 48 heures, que notre formation politique souhaite entreprendre ce débat-là, mais aussi ce débat-là dans un contexte où on va revoir certaines dispositions du Code du travail. Il faut, encore une fois, se rendre compte que le contexte d'entreprise et, je le répète, le contexte de travail a changé. Moderniser ce Code du travail, l'amener aux années 2010 et peut-être même prévoir ce qui pourrait se passer dans les 30, 40 prochaines années, protéger aussi autant le salarié, le travailleur, travailleuse que l'employeur.

Je le disais tantôt, c'est une statistique qui est quand même importante, il faut le savoir, 20 % des PME au Québec traversent leur 10e année. Ce n'est pas beaucoup. Et l'entrepreneurship est à la baisse. Il faut le promouvoir. Est-ce que c'est un frein à l'entrepreneurship, le Code du travail, présentement? Peut-être. Peut-être que non. Il y a eu différents points, aujourd'hui et hier, qu'on a entendus. Maintenant, je pense qu'il faut le faire dans un contexte constructif et positif dans les prochains mois et les prochaines années, surtout si le gouvernement décide d'appeler ce projet de loi. Et on y travaillera certainement d'une façon constructive du côté de notre formation politique. Merci, M. le Président.

**(17 h 10)**

Le Président (M. Ouimet): Merci, M. le député de Shefford. M. le député de Beauharnois.

M. Guy Leclair

M. Leclair: Merci, M. le Président. Bien, à mon tour de remercier tous les groupes qui ont défilé devant nous depuis deux jours. On les remercie de leur déplacement, surtout aujourd'hui aussi avec la belle météo qui nous attend à l'extérieur. Merci aux collègues de l'Assemblée nationale, les gens de la CET. Je crois qu'on a eu quand même deux belles journées, avec des discussions franches. Puis je pense qu'on n'a pas eu peur des questions. Puis la partisanerie n'était pas tout à fait de la partie. Alors, c'est sûr qu'on s'est fait une couple de clins d'oeil, mais ça fait partie de la «game». Mais j'ai quand même aimé les discussions qu'on a eues. Puis, si on n'est pas capable d'en rire, on ne vaut rien. Alors, merci au président. Je crois que vous avez très bien géré ça, M. le Président.

Puis il en est clair, pour moi, que le mandat qu'on s'est donné à l'unanimité, la motion qu'on s'est votée à l'unanimité au salon bleu, de regarder spécifiquement la loi antibriseurs de grève et peut-être la possibilité dans le Code du travail de certaines anomalies que je crois qui étaient décriées tout haut, tout fort depuis plusieurs mois... Donc, voici une première étape de faite, un mandat d'initiative, qu'on a pu entendre les gens.

Je répéterai encore une fois que j'aurais bien aimé que Mme la ministre utilise un siège avec nous pour entendre ces gens-là, même si ce n'est qu'une prémisse puis ce n'est pas l'ensemble des gens. Ça aurait été apprécié, je pense, de la part des gens aussi, surtout ceux qui sont en conflit actuellement, notre conflit qui sévit. Je crois qu'il y aurait peut-être eu un essor ou un petit regain de voir la ministre siéger avec nous. Mais, bref, je ne suis pas inquiet qu'on se dotera d'un très beau rapport pour s'assurer qu'il se rende très bien à la ministre.

Puis, de remarques préliminaires, moi, je vous dirais, rapidement, je pense qu'il y a quelque chose, un large consensus qui a sorti des deux derniers jours, c'est que la loi antibriseurs de grève se doit d'être appelée. C'est sûr que les premiers écrits qu'il y a là ne semblent pas couvrir tout l'aspect. Puis je pense que ça va être le but d'entendre des soit la notion de l'établissement, la définir mieux, laisser les gens être capables d'apporter de nouvelles lignes dans le projet de loi pour s'assurer... Mais je pense que la loi antibriseurs de grève, par un large consensus -- ça n'a pas été unanime, là, je ne vous ferai pas d'accroire ici -- par un large consensus, les gens disent que ça mérite d'être regardé de très près. Et surtout de ne rien faire, de la part des législateurs, bien je crois que ça serait d'encourager encore les gens qui tentent de la contourner encore, malheureusement. Et je crois que tous les gens ont posé des questions spécifiques. Le mandat était assez large. Alors, ça s'est promené de gauche à droite, mais on a eu quand même de très beaux échanges.

Alors, d'un autre consensus que j'entends, qui a été très largement dit, M. le Président, c'est le fait que, pour la plupart des gens, je vous dirais une grande majorité, d'ouvrir le Code du travail à la grandeur pourrait noyer le poisson. Donc, c'est dommage. Bien souvent, on... C'est une situation spécifique qui fait ressortir un point spécifique dans le Code du travail, puis c'est malheureusement ou heureusement comme ça que le code se modifie au fil des années.

Alors, on a encore une situation ici qui est rapportée. On parle du conflit du Journal de Montréal avec les pétitionnaires. On se retrouve à regarder la loi antibriseurs de grève puis peut-être d'autres aspects que les gens qu'on a entendus, qui travaillent dans les communications, qui ont venu nous faire saisir que définitivement une commission sur la concentration de la presse en parallèle serait, pour eux, quelque chose de très bien. Alors, on ose espérer que, quelque part dans nos recommandations, on pourra suggérer ça à une autre commission de travail pour tenter de faire entendre ces gens-là.

Puis j'ai adoré entendre, suivant la motion qui dit qu'on doit regarder... une motion à l'unanimité, puis mon collègue de Rivière-du-Loup qui a affirmé à l'avant-dernier groupe qui a passé: Ne vous inquiétez pas, on a vraiment l'intention d'agir là-dessus. Alors, moi, ça me fait porter espérance que les gens... Bien, peut-être qu'on ne réglera pas tous les problèmes au Code du travail, mais, si on en règle un, que ça soit un seul puis que ça fasse avancer la cause des travailleurs au Québec et de l'économie du Québec, bien, moi, j'en serai comblé, M. le Président, puis, moi et mes collègues, on participera toujours à ces débats-là. Merci beaucoup.

Le Président (M. Ouimet): Merci à vous, M. le député de Beauharnois. M. le député de Rivière-du-Loup, maintenant.

M. Jean D'Amour

M. D'Amour: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, d'abord, comme le veut pratiquement la tradition, la coutume depuis hier matin, je veux apporter une précision. C'est tout de même surprenant d'entendre le député de Beauharnois s'interroger sur l'absence de la ministre. Il était de notre responsabilité ou de la responsabilité de la commission d'inviter la ministre -- c'est comme ça que ça se passe dans le cadre d'un mandat d'initiative, et il le sait très bien -- et ça n'a pas été fait.

Ceci dit, en guise de remarques finales, je tiens également, à mon tour, à remercier l'ensemble des participants, les différents témoins qui se sont présentés devant nous depuis hier matin. Tous ont pu s'exprimer librement. Je souligne l'esprit constructif et positif des échanges, des discussions. Nous sommes évidemment conscients de la responsabilité qui nous incombe maintenant, soit de se projeter dans le temps dans un contexte notamment de changements technologiques, puisqu'il en a été abondamment question au cours de ces deux derniers jours d'auditions.

Nous avons entendu différents messages, notamment, parmi ceux-ci: bonne performance économique du Québec, la paix sociale qui en découle. Cependant, nous reconnaissons tous la situation particulière... ou la situation particulièrement difficile des salariés, des employés du Journal de Montréal. Ça nous touche beaucoup. On a souligné à juste titre, au cours des travaux de la commission, que c'était à la table de négociation que les choses devaient se régler, et c'est ainsi, nous l'espérons, dans les meilleurs délais, que les choses se régleront.

Sur la question du projet de loi n° 399, nous avons cru, ce matin, à un moment, que le proposeur, du PQ, allait mettre un terme à cette douloureuse et longue agonie du projet de loi n° 399. Et je parle d'agonie dans la mesure où c'est loin de l'unanimité, hein? Il y a des organisations et des individus qui ont refusé de se prononcer. C'est le cas, entre autres, de Me Gilles Trudeau, qu'on a entendu de matin, de la Fédération professionnelle des journalistes, de la Centrale des syndicats du Québec. Il y a eu les groupes également qui se sont manifestés contre: la Fédération des chambres de commerce du Québec, le Conseil du patronat, la Fédération de l'entreprise indépendante, M. Alain Barré. Et, bref, ça fait aussi des gens. Et, lorsqu'on est en commission, on se doit d'écouter l'ensemble des intervenants, ce que nous avons fait avec beaucoup de rigueur, M. le Président.

Je tiens à dire également que les parties impliquées peuvent compter sur nous dans un souci d'équilibre. Et, lorsque je dis «sur nous», je parle de nous, de notre côté, de notre formation politique. Ce qui est important, de notre part, c'est qu'il s'agit d'un engagement indéfectible à maintenir un dialogue et des réflexions sérieuses, qui seront porteuses pour l'avenir, des solutions pragmatiques, équilibrées, hein? Lorsqu'on parle d'équilibre au niveau du rapport de force, ça doit nous animer. Et on va continuer notre travail.

Dans les prochains instants, après l'ajournement, M. le Président, on va discuter entre nous, les parlementaires. Et je pense que c'est important qu'on amorce ce... qu'on le continue, ce dialogue-là, de façon à trouver des solutions porteuses, qui seront positives, qui seront bonnes pour l'avenir au niveau du marché du travail au Québec. C'est notre préoccupation. On est touchés par ce qui se passe actuellement et on va le démontrer ensemble. Et je pense que ce qui nous habite, c'est ce souci.

Et je termine là-dessus. Je termine là-dessus. Je pense que tout a été dit. Et encore une fois j'adresse nos remerciements sincères à tous ceux qui se sont présentés ici. Ça a été pour nous aussi un exercice qui a été formateur, qui a été apprécié, et c'est important de le souligner. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet): Merci à vous, M. le député de Rivière-du-Loup. À mon tour de remercier l'ensemble des parlementaires pour la grande collaboration de tous et chacun et l'ambiance également qui régnait autour de cette table de la Commission de l'économie et du travail. Ça a été un des beaux mandats. Ça a été fort agréable.

Je remercie mon vice-président de la commission, parce que nous avons travaillé en étroite collégialité, lui et moi, pour préparer les travaux avec le secrétaire de la commission et celui qui l'a précédé, avec qui on a passé de très nombreuses heures, nos recherchistes également, M. Blouin -- merci de me le rappeler -- et l'ensemble du personnel de la commission.

Je remercie aussi l'ensemble des témoins qui se sont présentés devant nous. Désolé, des fois, le rôle du président, c'est de couper la parole pour pouvoir mieux la partager avec les autres. Mais voilà, voilà, ça fait partie de mes tâches.

Documents déposés

Et là-dessus, avant de suspendre les travaux, je vais déposer le mémoire du Barreau du Québec et le mémoire de M. Marc-Yvan Bernier. Donc, ces documents sont déposés.

Et donc la commission suspend ses travaux quelques minutes, avant de se réunir en séance de travail afin de statuer sur les observations, conclusions et recommandations concernant le mandat d'initiative portant sur la modernisation des dispositions antibriseurs de grève prévues au Code du travail. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 20)

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