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Version finale

36th Legislature, 2nd Session
(March 22, 2001 au March 12, 2003)

Wednesday, February 6, 2002 - Vol. 37 N° 44

Consultation générale sur l'avant-projet de loi instituant l'union civile des personnes de même sexe et modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives, ainsi qu'à l'égard du document de consultation Pour un traitement égalitaire, l'union civile


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures quarante et une minutes)

Le Président (M. Gautrin): Je constate le quorum, et nous allons donc commencer la séance. Je déclare donc cette séance ouverte. Il me fait plaisir de vous rappeler le mandat de la commission: elle est là pour poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé la Loi instituant l'union civile des personnes de même sexe et modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Beaulne (Marguerite-D'Youville) est remplacé par Mme Barbeau (Vanier); Mme Leduc (Mille-Îles) est remplacée par M. Laprise (Roberval); M. Pagé (Labelle) est remplacé par M. Désilets (Maskinongé); M. Dupuis (Saint-Laurent) est remplacé par M. Brodeur (Shefford); et, finalement, M. Pelletier (Chapleau) est remplacé par Mme Rochefort (Mercier).

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Je me permets de vous donner aujourd'hui l'ordre du jour: à 9 h 30 ? alors, on a un peu de retard ? nous allons recevoir MM. Claude et Bernard Gadoua; à 10 heures, Mmes Monica Perazzo et Gabriel Pinkstone; à 10 h 30, Mme Dubuc; à 11 heures, Mme Labelle; à 11 h 30, Mme Barratt; à midi, Mme Greenbaum. Nous suspendrons après nos travaux à 12 h 30.

À 14 heures, nous recevrons Mme Gascon; à 14 h 30, M. Saint-Pierre; à 15 heures, M. Ludovic Maillé-Prévost; à 15 h 30, Mme Julie Pétrin; à 16 heures, Mme Annick Gariépy; à 16 h 30, Mme Françoise Susset; à 17 heures, Mme Danielle Julien; et à 17 h 30, Me Jocelyn Verdon. Et après on finira nos travaux.

Ce qui a été convenu pour ce type d'auditions, c'est qu'il y a 30 minutes qui sont consacrées à chacun des groupes pour l'audition. Même si on commence en retard, vous avez droit à vos 30 minutes qui sont réparties de la manière suivante: une dizaine de minutes pour permettre aux personnes qui viennent témoigner devant nous de faire la présentation de leur mémoire, 10 minutes pour le questionnement des parlementaires ministériels et 10 minutes pour le questionnement des parlementaires de l'opposition. Et, si, moi, je dois poser des questions, c'est comptabilisé dans le temps des parlementaires de l'opposition.

Auditions

Ceci étant dit, ça me fait plaisir de vous accueillir, MM. Claude et Bernard Gadoua, et vous avez le micro.

MM. Claude Gadoua et Bernard Gadoua

M. Gadoua (Bernard): Alors, on aimerait d'abord saluer les efforts du gouvernement dans la promotion d'une plus grande équité de traitement pour les couples de même sexe. Du seul fait qu'il y a deux ans seulement, après l'adoption de la loi n° 32 sur les conjoints de fait de même sexe, on souhaite déjà débattre d'un nouveau régime marital, pour nous, ça prouve qu'il y a une volonté claire de vouloir mettre fin à la discrimination pour les unions de même sexe.

On a également noté, au dernier congrès du Parti libéral du Québec, la résolution en faveur du mariage gai et lesbien. Donc, on prend bonne note du nouvel état d'esprit de la classe politique québécoise à l'égard des gais et lesbiennes au Québec.

On pense que la société québécoise, étant donné que son caractère est moderne, démocratique, pluraliste et laïc, elle est consciente de ces valeurs communes qui rassemblent les citoyens et citoyennes du Québec. La société québécoise a droit, en regard de sa tradition historique d'ouverture, à des institutions adaptées à ce qu'elle veut être: une société où les libertés et les droits fondamentaux de la personne sont intégralement respectés. En ce sens, l'État doit garantir, dans une société pluraliste, l'accès égal de tous aux institutions communes dont la société s'est dotée et éviter, dans toute la mesure du possible, les pratiques discriminatoires aussi bien que les pratiques ségrégationnistes.

Pour nous, il ne fait aucun doute que l'accès au mariage est un droit inaliénable. Comme le soulignait la philosophe juive Hannah Arendt, dès 1959, dans son combat contre l'interdiction des mariages interraciaux aux États-Unis, le droit de se marier avec qui l'on veut est aussi capital que le droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur.

Nous croyons que l'État québécois n'a pas à s'immiscer dans la vie privée des citoyens comme cela est inscrit comme un droit fondamental dans la Charte des droits de la personne du Québec. En conséquence, nous croyons que l'État n'a pas de devoir à l'égard d'une orientation sexuelle en tant qu'orientation sexuelle, celle-ci relevant essentiellement de choix individuels, mais qu'il a le devoir de protéger les individus contre la discrimination, qu'elle soit sociale, légale ou institutionnelle.

Bon, c'est, d'une certaine manière, avec enthousiasme que nous avons pris connaissance de l'annonce du dépôt de l'avant-projet de loi par le gouvernement du Québec. Sachant très bien que le cadre constitutionnel canadien limite considérablement la marge de manoeuvre du gouvernement du Québec en matière de régimes maritaux, nous prenons acte de son engagement à nous donner enfin accès à une protection légale accrue pour nos unions et du message qu'il envoie par le fait même à l'ensemble de la population. Nous sommes très conscients que ces compétences législatives restreintes ont contraint le gouvernement du Québec, et particulièrement le ministère de la Justice, à faire preuve d'une ingéniosité qui n'a pas été sans créer une certaine surprise dans nos communautés et sûrement plus largement dans la population québécoise.

Ce contournement des compétences fédérales par la création d'un régime inédit et original vous honore. Bien sûr, le contexte politico-juridique s'y prêtait, et nous pensons ici au procès devant la Cour supérieure du Québec intenté par le couple Hendricks-LeBoeuf en faveur du mariage, mais le fait que le gouvernement du Québec ait pris les devants se doit d'être applaudi. Mais ces limites constitutionnelles qui caractérise le régime d'union civile nous affectent également, puisque les limites territoriales qui lui sont afférentes nous confinent à une reconnaissance strictement provinciale. Aussi, le régime ne nous permet pas d'espérer une quelconque reconnaissance hors des frontières du Québec. Nous partageons donc avec le gouvernement du Québec cette situation d'impuissance et de limitation dans l'exercice de nos droits. En conclusion, malgré notre reconnaissance de l'ingéniosité du gouvernement du Québec, nous sommes résolument convaincus que l'union civile ne saurait être qu'une solution transitoire en attendant notre pleine reconnaissance par la Cour suprême du Canada et, subséquemment, par le gouvernement fédéral.

C'est en ayant à l'esprit ce contexte général de l'action gouvernementale que nous aimerions tout de même attirer l'attention de l'Assemblée nationale sur quelques éléments du régime d'union civile. Le premier irritant pour nous dans l'avant-projet de loi, c'est l'article 365 du Code civil du Québec qui n'est pas modifié, le deuxième alinéa. Je pense que, déjà, d'autres sont venus le dire avant nous, mais je pense qu'il faut souligner le fait que cet article est vraiment un irritant pour nous.

Le deuxième, c'est: il y a des oublis dans l'avant-projet de loi. Le premier oubli qui nous a sauté aux yeux, c'est l'absence de modification à l'article 15 du Code civil. Bien qu'on répète souvent qu'il n'y a pas d'obstacle au consentement aux soins pour les conjoints de même sexe et les partenaires de même sexe dans le Code civil, en réalité, la situation demeure floue. Et une modification du Code civil à cet égard qui mettrait clairement les termes «époux», «partenaires» et «conjoints» en préséance de la famille pour le consentement aux soins serait une déclaration claire pour mettre fin à une discrimination sociale qui existe par ailleurs.

Par ailleurs, dans l'avant-projet de loi, il y a de nombreuses incongruités qui se sont glissées sur l'utilisation des termes «époux», «partenaires» et «conjoints» et qui font qu'il y a un manque de systématicité à certains endroits, qui fait certaines incongruités.

Mais le plus préoccupant pour nous, ça demeure le caractère ségrégationniste du régime d'union civile. Cet aspect a suscité de nombreux débats parmi nous et développé un sentiment de perplexité quant à notre acceptation ou non de ce nouveau régime, nul n'ignorant que le régime égal mais séparé rappelle tristement le sort réservé aux Noirs américains avant le combat pour les droits civiques de la communauté noire américaine avec à sa tête Martin Luther King, sans oublier le sort scandaleux réservé aux Noirs sous le régime d'apartheid d'Afrique du Sud. Les messages envoyés à la population concernant certaines mesures contenues dans l'avant-projet de loi nous semblent non seulement ambigus, mais quelquefois carrément spécieux.

n (9 h 50) n

Ainsi, un régime qui prétend nous donner accès à un statut social égal mais séparé comporte aussi quelques articles cruciaux qui font en sorte que le régime se présente bien plutôt sous l'angle d'un régime de droit séparé et asymétrique. Nous sommes conscients que cette caractéristique du régime d'union civile découle en partie des restrictions à la liberté d'action du gouvernement par le régime constitutionnel canadien, mais cette constatation ne saurait dissiper nos inquiétudes à ce sujet.

Bon. Il y a large consentement, il y a la dissolution plus facile des unions, il y a toutes sortes de messages comme ça qui sont envoyés. Notre dilemme moral et politique face au régime d'union civile est le suivant: Depuis des années, nous nous sommes battus pour notre intégration sociale, pour l'élimination de la discrimination juridique et sociale dont nous avons été victimes, tant sur le plan individuel que sur celui des droits conjugaux, matrimoniaux et parentaux. Ce régime spécial conçu sur mesure pour les couples homosexuels désireux de légaliser leur union et excluant les hétérosexuels nous confine dans un espace juridique ghettoïsé auquel nous tentons précisément d'échapper depuis des lustres.

À l'image de la position du gouvernement du Québec qui, de bonne foi, tente d'améliorer notre situation discriminatoire, mais qui se retrouve coincé par l'étroitesse de sa juridiction constitutionnelle dans le domaine marital, les gais et lesbiennes voudraient bien de bonne foi accorder 100 % d'appui à ces avancées pour nos droits, mais récuse le caractère exclusif qui lui est attribué. Notre objectif demeure la pleine égalité et le droit au mariage en bout de ligne.

C'est pourquoi ce régime, s'il doit demeurer exclusif, ne saurait pour nous qu'être transitoire. Autrement dit, ou bien le gouvernement consent à étendre ce régime à tous les couples sans égard à l'orientation sexuelle des individus qui les composent ou bien le gouvernement doit inclure une clause dans le projet de loi stipulant qu'advenant l'extension du droit au mariage aux couples de même sexe, ces derniers puissent se prévaloir d'une clause leur donnant un laps de temps déterminé leur permettant de choisir entre le mariage ou le régime de conjoint de fait. En clair, nous voudrions que le projet de loi soit assorti d'une clause crépusculaire qui dissolverait ce régime marital lorsque la Cour suprême du Canada et le gouvernement fédéral auront enfin reconnu notre droit au mariage.

Et ici je passerai sous silence la question des droits parentaux. Je pense qu'il y en a d'autres qui ont amplement fait état de la chose.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, M. Gadoua. M. le ministre, est-ce que vous commencez la période d'échange?

M. Bégin: M. Gadoua, évidemment, nous avons l'avantage ou l'inconvénient d'avoir entendu plusieurs mémoires déjà, ce qui fait que des questions ont été abordées, mais je prendrais donc quelques-uns des points que vous soulevez, mais en les réunissant. Il est assez remarquable qu'à l'égard de deux points majeurs on retrouve le même signal, et vous venez de le donner à nouveau, et c'est concernant l'adoption et concernant les consentements aux soins, l'article 546, dans le premier cas, l'article 15 du Code civil.

Dans les deux cas, on nous dit: Oui, c'est vrai que c'est prévu au Code civil, mais c'est tellement ambigu que, dans la pratique, soit qu'on reçoive une fin de non-recevoir en disant: Ce n'est pas de vos affaires, et comme on est dans une situation d'urgence ? je pense surtout aux consentements aux soins, dans la plupart des cas ? ce n'est pas le temps de faire une plaidoirie, le train est passé quand on est prêt...

Deuxième chose, pour l'adoption, certains nous ont mentionné ? et la lecture des mémoires qui n'ont pas encore été présentés, mais qu'on a pu lire... font état de difficultés importantes et, vous-même, vous faites état de difficultés majeures pour cette question-là. Alors, pourriez-vous peut-être m'expliciter, si vous avez des expériences personnelles ou connues de difficultés rencontrées pour ? vous avez utilisé l'expression les «tracasseries administratives», là ? obtenir, par exemple, l'adoption. Est-ce que vous êtes familier avec ça? Parce que vous en faites mention. Sans référer à des cas particuliers, j'aimerais voir comment ça se manifeste. Parce que, techniquement, on se dit: Oui, on en a le moyen et comment se fait-il qu'on ne le fait pas en réalité?

Le Président (M. Gautrin): Lequel des deux MM. Gadoua va répondre?

M. Gadoua (Bernard): Vas-y.

M. Gadoua (Claude): O.K. Mon nom est Claude Gadoua. Ça, c'est Bernard. Moi, je n'ai pas vraiment d'expérience proche. C'est plus mon contact avec la communauté en général qui me permet de le dire, parce que, moi, je n'ai pas eu d'ami, là, qui est mort du sida récemment ou avec lequel j'aurais pu avoir des problèmes. J'ai entendu parler de personnes qui ont eu des problèmes, mais rien de spécifique.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Très rapidement, un autre sujet. Vous avez survolé, même pratiquement pas parlé de «partenaire» versus «conjoint». Est-ce que vous avez une opinion là-dessus? Vous avez dit... Il y a une confusion dans les termes, mais est-ce que vous avez une préférence à l'égard d'une expression?

M. Gadoua (Bernard): Bien. Je dois dire que l'expression «partenaire» ne nous apparaît pas très heureuse. Je pense que beaucoup de gens conviendront que de dire, je ne sais pas, d'arriver à sa famille et dire: Je vous présente mon partenaire, ça n'a pas du tout le même sens que: Je vous présente mon conjoint ou je vous présente mon mari, ou mon époux, ou mon épouse. Le mot «partenaire» a une connotation sexuelle justement que le mot «conjoint», déjà, n'a pas. Il y a déjà une différence, mais évidemment il faut quand même clarifier le Code civil. Alors, il y aurait peut-être eu l'expression «conjoint de droit» puis «conjoint de fait» qui auraient pu être explicitées à cet égard-là.

M. Bégin: D'accord. Finalement, peut-être le point sur lequel je voudrais plus m'arrêter, c'est celui du caractère ségrégationniste, là. J'ai peut-être fait un mauvais lien, mais j'ai cru comprendre qu'avec la présence d'une clause crépusculaire qui dirait que, jusqu'à ce qu'on arrive au mariage reconnu pour les gais et lesbiennes, qui est de compétence fédérale, vous accepteriez et vous comprendriez l'utilisation de certaines clauses, mais que, si on n'avait pas cette clause-là, vous trouveriez que c'est la création d'une ségrégation du style de celle qu'on a connue aux États-Unis. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Gadoua (Bernard): C'est exactement cela.

M. Bégin: O.K.

M. Gadoua (Bernard): Et je peux vous dire que, s'il y a une clause crépusculaire, je pense que toute la communauté gaie et lesbienne va applaudir au projet de loi. Ça, c'est clair.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. M. le ministre?

M. Bégin: Non. Peut-être de mes collègues.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'il y a un collègue qui voudrait poser des questions? Bon. Alors, dans ces conditions-là, Mme la députée de Bourassa et porte-parole de l'opposition officielle en la matière.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Je prends la page où vous faites la liste de certaines de vos recommandations, des recommandations. Et vous mentionnez, en dernier lieu, d'appeler à des états généraux de la famille au Québec. Pouvez-vous, s'il vous plaît, expliciter davantage?

M. Gadoua (Bernard): Bien, je pense que, bon, le gouvernement du Québec est dans une... Il y a une série de questions qui concernent la famille qui sont débattues au Québec. Je pense aux congés parentaux, je pense même à la situation des jeunes contrevenants qui, d'une certaine manière, concerne les mineurs dans la famille, je pense, avec cet avant-projet de loi, aux conjoints de même sexe. Il y a toute une situation de la famille au Québec qui est, à mon avis, à repenser, étant donné que le modèle nucléaire traditionnel n'est plus le modèle général. Il y a beaucoup d'enfants qui vivent dans des familles reconstituées. Les familles monoparentales existent. Je pense qu'il y aurait moyen de peut-être se pencher généralement sur la question de la famille au Québec et de voir à faire une réforme dans le sens de l'ensemble des lois, mesures et de ne pas y aller à la pièce. En fait, c'est ça.

Mme Lamquin-Éthier: Merci beaucoup. Lorsque vous parlez d'«oublis» et d'«incongruités», vous faites référence à l'article 15 du Code civil et vous dites, et permettez-moi de vous lire, bon: «Les communautés gaies ont été particulièrement éprouvées par la pandémie du sida au cours des années 1980 et 1990. Cette situation nous a fait réaliser à quel point notre absence de droits en tant que conjoints conduisait à des injustices et des tragédies personnelles que bien des gens ne peuvent imaginer.»

Pouvez-vous, s'il vous plaît... Vous utilisez des termes qui sont extrêmement forts et, j'imagine, profondément significatifs en termes des injustices ou en termes des tragédies, puis-je demander de m'éclairer davantage? Pouvez-vous...

M. Gadoua (Bernard): Donner des exemples?

Mme Lamquin-Éthier: Oui.

Le Président (M. Gautrin): M. Gadoua.

M. Gadoua (Bernard): Oui. Il y a un cas, par exemple, que je connais très bien où, bon, la personne atteinte du sida vivait avec son conjoint depuis une quinzaine d'années et ne voyait plus sa famille. Sa famille l'avait rejetée en raison de son homosexualité. Et, bon, au moment où il est hospitalisé, la famille arrive, débarque à l'hôpital, interdit au conjoint les visites à l'hôpital et, après, ils ont interdit d'assister au service funéraire et de participer aux cérémonies funéraires. Alors... Et non seulement ça, mais, en plus, après ça, étant donné qu'on n'avait pas la loi n° 32 non plus du tout et qu'ils n'avaient pas d'acte notarié, ensuite, ils ont vidé la maison et le condo qu'ils avaient acheté ensemble.

Alors, je ne sais pas si vous vous imaginez, mais vous perdez votre conjoint et, en plus, la famille que vous n'avez jamais vue ni connue débarque dans votre vie et vide littéralement votre vie, vous jette à la rue, d'une certaine manière. Alors, ça, on en a vu, des cas comme ça, il y en a eu. Évidemment, il y en a moins parce que la pandémie est moins grande et que, bon, il y a quand même la loi n° 32 maintenant qui offre certaines protections, mais je pense que... être plus clair là-dessus, je pense que ce serait très important.

n(10 heures)n

Mme Lamquin-Éthier: Merci. J'imagine que vous pourriez me donner aussi des exemples de situations tout aussi délicates en milieu hospitalier où les conjoints, si vous me permettez, pour qu'on se comprenne bien, ont eu les mêmes difficultés, je crois, avec l'équipe ou avec le corps médical, j'imagine.

M. Gadoua (Bernard): J'en ai moins. J'ai moins d'exemples là-dessus. Je n'ai pas... Je pense qu'il y a des... C'est parce que, en fait, la question, c'est qu'on est livrés à l'arbitraire. C'est que, si... Généralement, la société québécoise, il n'y aura pas de problème. Je veux dire, on va aller à l'hôpital puis, bon, tu vas dire que tu es le conjoint, généralement, il n'y a pas de problème. Mais, s'il y en a un, on n'a pas de recours. C'est ça, la question; c'est qu'on est livrés à l'arbitraire, au bon vouloir du médecin. Si le médecin dit: Non, vous n'avez aucun droit, bien, c'est fini, on ne peut rien faire, tandis que, si c'est inscrit, bien là je regrette mais, si c'est inscrit dans le Code civil, on a un recours. C'est dans ce sens-là qu'on demande que ce soit clairement mentionné dans l'article 15 du Code civil.

Mme Lamquin-Éthier: Une dernière question, si vous me permettez, quant à la dissolution du contrat d'union civile, vous dites dans votre texte, puis je pense qu'on peut en convenir, que la procédure qui est prévue au niveau de la dissolution d'un contrat d'union civile est beaucoup plus aisée qu'elle ne l'est lorsqu'on regarde le divorce. Vous dites que ça envoie un message contradictoire. Mais est-ce que vous ne croyez pas que ça confère un avantage indu aux homosexuels par rapport aux hétérosexuels, en plus de ce message contradictoire?

M. Gadoua (Bernard): Il est certain que les hétérosexuels vont envier, d'une certaine manière, cette mesure, parce qu'on sait qu'un divorce, ça coûte cher. Ça coûte des avocats, bon, etc. Tout le monde... D'ailleurs, il y a de plus en plus l'utilisation du médiateur pour les séparations et pour les divorces. Mais, effectivement, c'est un message ambigu dans la mesure où ça nous dit que nos unions sont moins solides, d'une certaine manière, donc, qu'elles ont moins besoin de protection légale, donc que c'est plus facile à les dissoudre. Mais, d'un autre côté, les hétérosexuels, je suis sûr qu'ils seraient contents aussi de l'avoir. Ça nous donne comme un privilège en même temps que ça nous maintient dans un régime à part. Et il y a certains privilèges à être séparés, si on peut dire.

Mme Lamquin-Éthier: Permettez-moi, vous venez de dire, et ça appelle une question: On nous dit que nos couples ne sont pas stables. Qu'en est-il de ce côté-là? Est-ce qu'il y a une différence entre la perception quant à la stabilité ou non-stabilité et la réalité? Quelle est la réalité des couples? Est-ce qu'on parle de stabilité? Est-ce que, statistiquement parlant, elle existe? Qu'est-ce que vous pouvez me donner comme éléments d'information?

M. Gadoua (Claude): Il y a plusieurs éléments là-dedans. Au Danemark, ils ont eu une loi récemment, là, pour établir les... des conjoints de même sexe, puis le taux de divorce est plus élevé chez les hétérosexuels que chez les gens qui sont en union civile là-bas.

Par ailleurs, les gens qui veulent être en union vont avoir tendance à vouloir être plus stables. C'est sûr que les gens qui ne veulent pas se marier, on ne s'attendra pas à ce qu'ils soient stables. Mais les gens qui veulent se marier, c'est parce que, justement, ils veulent solidifier leur relation. Là, en fait, il y a probablement, puis peut-être encore plus dans le passé, beaucoup de mariages qui restaient là tout simplement parce que le cadre était tellement rigide qu'on ne pouvait pas en sortir. Le cadre renforcit les unions socialement par la pression sociale environnante, par le fait que, oui, je suis marié. Déjà, ça, ça donne un poids à la relation puis ça donne une autre bonne raison de travailler à ce que la relation fonctionne. Moi, c'est comme ça que je le vois.

Le Président (M. Gautrin): Ça va, Mme la députée de Bourassa?

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Alors, il reste... Oui. Alors, attendez. Il reste du temps mais, sur votre temps, vous avez déjà le député de Frontenac qui voudrait s'exprimer. Je crois que la députée de Vanier aurait... Non. Et alors, le député de Frontenac, M. le ministre, et, est-ce que, du côté de l'opposition, il reste du temps? Il reste deux minutes. Alors, je les prendrai, moi, pour poser une question au nom de l'opposition. Alors, M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Je veux revenir sur ce que disait la députée de Bourassa au sujet de la préséance du conjoint homosexuel sur les autres membres de la famille. Je pense que c'est une demande que vous faites, très stricte, au niveau des soins de santé. De quelle façon on peut vous garantir ça? De quelle façon on pourrait donner cette préséance-là sans atteindre aux droits des autres membres de la famille?

Le Président (M. Gautrin): M. Gadoua.

M. Gadoua (Bernard): Il ne s'agit pas d'atteindre aux droits de la famille. Je pense que c'est... Dans l'article 15 du Code civil, c'est clair que, quand tu es marié, la personne avec qui tu es marié a préséance sur les autres membres de la famille. C'est tout simplement ça qu'on demande de mettre clairement dans... de mettre «mari», «partenaire» et «conjoint de fait» même dans le libellé de l'article. Il n'est pas là, et c'est sous-entendu, parce que c'est une pratique sociale courante au Québec. Ce n'est pas inscrit dans les mentalités, «dans le cas des couples homosexuels», ce qui fait que, dans la réalité, le consentement, on ne l'a pas. Alors, il n'est pas inscrit à nulle part, alors donc il faut, à chaque fois, se battre pour l'avoir. C'est un peu ça. Je pense que ce n'est pas d'avoir préséance sur les membres de la famille «at large», je pense que, dans le cas où on est conjoint ou marié, bien, qu'on ait ce privilège-là puis que ça soit inscrit, parce que ce n'est pas une pratique commune au Québec de le reconnaître.

Le Président (M. Gautrin): Vous avez une autre question, M. le député de Frontenac?

M. Boulianne: Peut-être une question. Je ne sais pas...

Le Président (M. Gautrin): Bien sûr. Allez-y.

M. Boulianne: ...si je devrais la poser. Claude Gadoua et Bernard Gadoua, est-ce que c'est...

M. Gadoua (Bernard): Ha, ha, ha! Deux cousins.

M. Boulianne: Vous êtes... C'est vos noms? Vos deux noms?

M. Gadoua (Bernard): Oui, oui.

M. Boulianne: Ah, vous êtes Gadoua tous les deux. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Oui. M. Gadoua.

M. Gadoua (Claude): Une petite note rigolote. C'est que Bernard était le filleul de mon père et, moi, j'étais le filleul de son père. Nos deux pères étaient de très grands amis aussi, en passant.

Le Président (M. Gautrin): Bon. Alors, M. le ministre, est-ce que vous voulez compléter?

M. Bégin: Juste sur la dernière question. Partageriez-vous ce commentaire de Mme Demczuk sur l'article 15, qui dit ? après avoir relu, je comprends que ça l'autorise en fait, mais: «Toutefois, pour éviter les erreurs d'interprétation, nous demandons au ministre de la Justice de modifier l'article 15 du Code civil du Québec afin d'y inclure nommément les conjoints de fait et les conjoints en union civile au même titre que les époux comme premiers mandataires pouvant consentir aux soins de leur conjoint dont l'inaptitude est constatée»? C'est ça que vous dites: Clarifions le texte? Bon.

Je vais aborder avec vous, si vous permettez, un point que vous avez soulevé, que nous n'avons pas discuté à date, sauf superficiellement, et je pense que peut-être on ne pourra pas aller jusqu'au fond de la question, mais quand même. Vous parlez de... C'est dans votre mémoire, malheureusement qui n'est pas paginé, mais, sur les commentaires de fond, juste avant le a, qui s'appelle: Les avancées juridiques, vous dites: «Mais ces limites conditionnelles qui caractérisent le régime d'union civile nous affectent également puisque les limites territoriales qui lui sont afférentes nous confinent à une reconnaissance strictement provinciale. Ainsi le régime ne nous permet pas d'espérer une quelconque reconnaissance hors des frontières du Québec. Nous partageons donc avec le gouvernement du Québec cette situation d'impuissance et de limitation dans l'exercice de nos droits.»

Pour le bénéfice de tout le monde, la question qui est soulevée par ça, c'est: Est-ce que le fait que l'on reconnaisse au Québec l'union civile, est-ce que ce sera reconnu à l'extérieur des frontières du Québec? C'est le problème de droit international privé qui se pose à l'égard de chacune des institutions. Comme, par exemple, le mariage, est-ce qu'il est reconnu ailleurs? Le mariage, datant de milliers d'années, c'est reconnu, tout le monde le fait, mais ce n'est pas si évident pour l'union civile.

Et on a le Code civil qui dit, à 3083: «L'état ? pas le pays, là, mais l'état d'une personne ? et la capacité d'une personne physique sont régis par la loi de son domicile.» Et on a mis dans l'article 3090.1 de l'avant-projet de loi: «L'union civile est régie, quant à ses conditions de fond, par la loi applicable à l'état de chacun des futurs partenaires.»

En clair, ceci voudrait dire que, évidemment, si ailleurs on reconnaît l'union civile, elle pourra avoir une existence, une reconnaissance à l'extérieur. Mais, inversement, lorsqu'ils ne la reconnaissent pas, ce sera le cas.

Je crois, je pense être en mesure d'affirmer que le PACS, en France, n'a pas cette projection extérieure, puisque ce n'est pas un état civil. C'est un contrat qu'on dépose. Donc, il n'y a pas cette célébration du mariage qui est reconnue à l'état civil.

Par contre ? c'est le Vermont ou le...

Une voix: Le Vermont.

M. Bégin: ...le Vermont, lui, chemine dans la même direction que nous, ce qui voudrait dire qu'au Vermont, compte tenu que l'état civil... l'union civile a le même état, à ce moment-là, elle pourrait être reconnue parce que nous l'avons chez nous. Donc, c'est un problème de droit international privé. Est-ce que vous voyez ça de cette manière-là ou bien si vous avez des remarques à faire là-dessus?

Le Président (M. Gautrin): M. Gadoua. Et le temps étant en train de filer rapidement...

n(10 h 10)n

M. Gadoua (Claude): Écoutez, moi, j'aurais deux remarques à faire. Premièrement, le mariage est reconnu pour les personnes de même sexe aux Pays-Bas, et c'est sûr qu'ils ont été obligés d'inscrire dans la loi qu'au niveau du droit international on ne peut pas reconnaître vos unions... enfin votre mariage donc, dans d'autres pays. Ça, c'est une chose, nous le comprenons.

L'autre chose, c'est qu'il y a quatre autres provinces au Canada qui ont accordé différents droits, un petit peu plus, là, aux conjoints de même sexe. Peut-être que, par exemple, cette loi-là pourrait s'appliquer, disons, en Colombie-Britannique, mais pas en Ontario ou des choses comme ça. Là, j'avoue que je ne suis pas très ferré en droit, là, mais...

M. Bégin: En fait, pour être reconnu, il faut que le pays ou la province qui a du droit le reconnaisse lui-même. Au moment où on institue une nouvelle institution, on la crée, c'est sûr qu'on est en avance sur les autres, donc ils n'ont pas ces dispositions de réciprocité. Mais, au fur et à mesure que le temps va avancer...

Comme là, le Vermont... Si, mettons, le Québec, par hypothèse, le faisait, demain, une autre province pourrait dire: Bien, on veut faire comme au Vermont puis comme au Québec, alors, graduellement va se créer un état de fait et un état de droit où l'institution va être reconnue, que ce soit sous le cadre union civile ou mariage. Mettons que le mariage gai était reconnu par le fédéral, bien d'abord, tout le Canada, ce serait reconnu, et là probablement que, avec les Pays-Bas, il pourrait y avoir une réciprocité, et ainsi de suite, de chacun des pays ? la Belgique l'a fait ? où on pourrait reconnaître cette situation juridique.

Le Président (M. Gautrin): M. Gadoua, et brièvement, puisque le temps du ministre est épuisé.

M. Gadoua (Bernard): Il y a quand même des aspects où, même au Québec, ça va quand même créer certaines difficultés comme je pense, par exemple, à un mariage avec un conjoint qui n'est pas citoyen canadien, une union civile avec quelqu'un qui n'est pas un citoyen canadien. Est-ce que le gouvernement fédéral va pouvoir reconnaître ça dans sa Loi sur l'immigration, par exemple? Est-ce qu'on va pouvoir intégrer ça dans le partenariat? C'est des questions comme ça aussi qu'on peut se poser.

M. Bégin: ...l'immigration, là.

Le Président (M. Gautrin): Il n'y a plus de temps.

M. Bégin: Là, nous passons au problème de l'immigration.

M. Gadoua (Bernard): Oui.

M. Bégin: Quelqu'un qui se marie avec quelqu'un qui n'est pas citoyen canadien, l'effet, c'est de rendre la personne citoyenne canadienne. Donc, à ce moment-là, ça régularise la situation. Alors...

Le Président (M. Gautrin): Votre temps est un peu écoulé, M. le ministre.

M. Bégin: Merci. Je m'excuse, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Il nous restait deux minutes sur le temps de l'opposition, parce que je vais essayer de les prendre et vous poser une question sur une dimension que vous avez abordée dans votre dernière recommandation, celle qui porte sur la coparentalité.

Il y a beaucoup de gens qui sont venus témoigner hier devant nous en disant ? et je pense que, implicitement, vous êtes d'accord avec eux ? lorsqu'un enfant ? et, dans l'occurrence, on parlait souvent de couples lesbiennes ? était issu d'un projet parental commun, qu'il y ait la possibilité au moment de la naissance de l'enfant de reconnaître les deux parents dans le certificat, et c'était dans le cas, évidemment, de deux femmes qui auraient bénéficié de la procréation assistée.

Vous allez un peu plus loin et vous soulevez la question d'une troisième ou d'une quatrième possibilité de déclaration dans la coparentalité. Je voudrais que vous m'expliquiez un peu plus ce que vous aviez dans la tête à ce moment-là.

M. Gadoua (Bernard): Bien, comme, par exemple, le cas le plus simple, mettons ? parce qu'il y a quand même plusieurs cas de figure ? ce serait deux lesbiennes, par exemple, qui, dans une union, décident d'avoir un enfant, mais dont le donneur, elles ne veulent pas qu'il soit anonyme et elles veulent qu'il participe de la filiation. Je pense que, à ce moment-là, si l'acte de naissance pouvait comporter trois membres, donc deux parents sociaux et deux parents biologiques, je pense que ça pourrait...

Le Président (M. Gautrin): Notamment une mère porteuse et un couple homosexuel.

M. Gadoua (Bernard): Bien, ce n'est pas une mère porteuse nécessairement, c'est dans une union. On ne parle pas de mère porteuse ici, là.

Le Président (M. Gautrin): Non, non, je comprends, dans ce cas-là, mais je dis, inversement...

M. Gadoua (Bernard): Comme. Oui, oui.

Le Président (M. Gautrin): ...si on prend le couple, un couple homosexuel masculin, si je puis dire, et une mère porteuse qui veut strictement ne pas élever l'enfant, mais strictement le confier à être élevé par le couple en question.

M. Gadoua (Bernard): Oui. Là, je pense qu'on ouvre un autre débat, mais...

Le Président (M. Gautrin): C'est un autre débat.

M. Gadoua (Bernard): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Mais c'est... Non, non, mais j'ai cru comprendre qu'il était inclus à l'intérieur de votre réflexion.

M. Gadoua (Bernard): Oui, oui.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie et, au nom de la commission, je vous remercie pour l'éclairage que vous nous avez apporté.

Et je demanderais maintenant à Mme Monica Perazzo et M. Gabriel Pinkstone... Est-ce que c'est un monsieur ou une madame?

Des voix: Madame. C'est une madame.

Le Président (M. Gautrin): Excusez-moi, c'est moi, parce qu'on avait écrit «Gabriel» avec un seul «l» dans mon texte. Alors, j'en suis un peu désolé.

Des voix: ...

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Gautrin): Alors, excusez-moi de mon ignorance. Si j'ai bien compris, c'est bien Gabriel, sans...

Mme Pinkstone (Gabriel): En fait, je viens d'Australie originellement. Et c'est pour la prononciation en anglais. Mais ça confond tout le monde ici, au Québec.

Le Président (M. Gautrin): Alors, écoutez-moi, je m'excuse d'avoir... de m'être trompé.

Mme Pinkstone (Gabriel): Je suis bien une madame. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Il n'y a aucun problème. Alors, vous avez compris nos modes de procédure? Vous allez avoir 10 minutes pour présenter votre mémoire. Ensuite, il y aura 10 minutes qui seront accordées aux parlementaires ministériels pour vous poser des questions d'éclaircissement et 10 minutes aux parlementaires de l'opposition. Alors, mesdames, je ne sais pas laquelle de vous va faire la présentation.

Mmes Monica Perazzo et Gabriel Pinkstone

Mme Perazzo (Monica): Merci. C'est moi, Monica Perazzo, qui va...

Le Président (M. Gautrin): Très bien.

Mme Perazzo (Monica): ...présenter le mémoire. Et puis vous allez voir, je suis nerveuse, alors je m'en excuse avant. Donc, je nous présente: Gabriel, Monica. Ça fait plus de sept ans que nous sommes ensemble. Nous nous sommes connues à New York en 1994. Gabriel est venue vivre à Montréal pendant un hiver pendant que je finissais mes études. Par la suite, j'ai moi-même émigré en Australie et, à ce moment-là, les lois australiennes reconnaissaient les conjoints de même sexe, donc j'ai pu émigrer en tant que conjointe de Gabriel en Australie et j'ai vécu en Australie cinq ans. Et, quand nous avons décidé de revenir vivre ici au Québec, Gabriel a dû à ce moment-là émigrer en tant que personne indépendante, sans relation à moi, parce qu'à ce moment-là les lois de l'immigration ne reconnaissaient pas notre relation. Et puis, bien, présentement, nous planifions avoir des enfants, nous en sommes à cette étape, et nous avons l'appui de nos amis et de nos familles qui attendent impatiemment.

La raison pour laquelle nous sommes intéressées au projet... l'avant-projet de loi concernant l'union civile, c'est que nous aimerions nous marier. Ça fait longtemps qu'on aimerait se marier, mais on n'en a pas le droit. Et puis, l'avant-projet de loi, surtout si les recommandations qui sont amenées sont implémentées, amène une possibilité qui se rapproche beaucoup au mariage. Du fait qu'on reconnaît que c'est des lois provinciales et non pas fédérales, on sait que le mariage comme tel n'est pas disponible, mais quelque chose qui se rapproche sans nécessairement s'appeler le «mariage», pour nous, serait très important et très significatif dans nos vies, et puis aussi, du fait qu'on veut avoir des enfants, la possibilité que ces enfants-là aient une protection légale, parce que probablement ce dont on a peur, c'est qu'on sait ce qui nous attend. Et ce manque de protection, cette vulnérabilité face à nos enfants projetés, si ça disparaît, encore une fois nous ferait du bien à plusieurs niveaux.

Et aussi cet avant-projet de loi pourrait désamorcer beaucoup l'homophobie qui existe présentement socialement envers nous, notre famille, notre amour, envers nos enfants projetés, et à l'école et à plein de niveaux que j'arrêterai d'énumérer.

Et aussi une citation du ministre Bégin, à la conférence de presse annonçant le projet, le 7 décembre, que nous aimons beaucoup, qui dit ? donc, je cite: «On veut qu'ils aient les mêmes droits, pas plus ni moins.» C'est exactement ce qu'on veut. Et c'est parfait comme ça. Ça nous touche beaucoup.

Donc, effectivement, pour nous, l'avant-projet de loi contient beaucoup de positif: premièrement, la reconnaissance sociale de nos relations, le fait qu'il y aura un message très fort qui sera envoyé que nos relations sont aussi valables que toute autre relation, que tout d'un coup notre amour devient égal et reconnu et visible, aussi, bon, le support, la réalisation de la Charte québécoise au niveau de nos droits qui existent, mais qui ne sont pas toujours implémentés ou respectés.

Deuxièmement, la constitution de l'union lors d'une célébration, ça nous donne la possibilité de célébrer publiquement notre engagement et ça renforcerait l'égalité de nos relations à celles des autres couples. Et puis aussi un aspect que nous aimons beaucoup, c'est que ça soulignerait que nos relations sont complètes. Ce n'est pas seulement défini par notre orientation sexuelle, notre amour en fait partie aussi.

Troisièmement, protection juridique et financière. Donc, nous serions très heureuses d'avoir la possibilité de protection en ce qui concerne l'héritage sans testament, le patrimoine familial puis la pension alimentaire.

n(10 h 20)n

Toutefois, comme présentée actuellement, l'union civile... l'avant-projet de loi reste sérieusement incomplet, justement car il n'accorde pas «les mêmes droits, pas plus ni moins». Il y a deux graves omissions pour nous présentement: il y a les droits parentaux ? donc, c'est discuté depuis hier ? et puis aussi l'immigration qui est pour nous... vu que c'est notre cas réel, ça nous touche. Ces omissions créent des limites. Ça crée un statut incomplet par rapport au mariage, par rapport aux couples. Ça crée un statut incomplet, et donc inférieur, et aussi disponible seulement aux homosexuels. Ça nous met en différence et puis ça représente la discrimination donc institutionnalisée, basée sur l'orientation sexuelle. Classe à part. La discrimination devient légale. Et puis ça va aussi dans le sens contraire de la Charte québécoise par le fait qu'il y a des inégalités qui sont justifiées.

Donc, face à ces points-là, on recommande la création d'une union civile... ? pardon ? que la création de l'union civile confère aux partenaires en union civile les mêmes droits et obligations que ceux accordés aux époux mariés et puis que l'accès à l'union civile soit également ouvert aux couples hétérosexuels pour éviter une ségrégation.

L'absence des droits parentaux est majeure et grave. Et, pour nous, cette absence-là servirait à perdurer la discrimination envers les familles homoparentales, dont notre famille future avec des enfants, et perdurer les difficultés juridiques que pourraient vivre nos enfants.

Les familles homoparentales existent de plus en plus et vont continuer d'exister. Ce sont des familles comme les autres, avec les mêmes réalités quotidiennes. Pourtant, elles ne sont pas... on n'est pas reconnues comme telles. Notre réalité n'est pas actuellement reflétée dans l'avant-projet de l'union civile. La notion de «parentalité» est supprimée de notre relation; c'est comme si on ne le méritait pas. On n'a pas la possibilité d'être reconnues comme parents, quel que soit notre engagement financier, émotif envers l'enfant. Il n'y a pas d'enfant né par accident dans nos couples. Il faut vraiment qu'on les veuille très fort. C'est plutôt difficile à y arriver.

Pour nous, par exemple, notre plan donc, c'est d'avoir deux enfants, chacune en porterait un, parce qu'on a la possibilité de se partager la tâche. Et puis, si, par exemple, l'enfant que j'aurais porté, mon enfant biologique, va à l'hôpital avec Gabriel, et je ne suis pas disponible ou je suis moi-même dans un accident, Gabriel, à ce moment-là, ne pourra pas consentir aux soins de l'enfant. Elle n'aura aucun droit, alors qu'elle est parent tout autant que moi. Si, par exemple, Gabriel s'en va visiter la grand-mère avec nos deux enfants, et, moi, je dois rester ici, mettons, pour des raisons de travail, Gabriel ne pourra pas y aller... ne pourra pas franchir les douanes avec les deux enfants sans permission écrite de ma part, alors qu'elle est parent tout autant que moi.

Mme Pinkstone (Gabriel): Bien que ma mère a déjà commencé à tricoter.

Mme Perazzo (Monica): Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Perazzo (Monica): Et aussi, si, mettons, on se séparait de façon amicale, l'enfant non biologique risquerait de perdre contact avec l'autre et pourrait se voir privé de pension alimentaire et d'héritage. Mais on ne planifie pas de se séparer comme ça.

Si on n'est pas capable de concevoir des enfants, mettons qu'on serait infertiles, ce qui pourrait être vrai, on pourrait à ce moment-là très sérieusement penser à adopter, et malheureusement, présentement, même si le Code civil ne dit rien contre le fait qu'un couple homosexuel devrait ou pas adopter, les services francophones ne donnent pas d'enfants en adoption aux couples homosexuels, et les services anglophones au Québec en donnent à la personne célibataire, mais pas aux couples. Et notre union est la raison pour laquelle on veut des enfants; si on ne serait pas en union, on n'en voudrait pas ? bien, je ne pense pas, personnellement.

O.K. Financièrement, que les enfants soient biologiques ou adoptés, présentement, on aurait des obligations fiscales, mais on n'aurait aucun des droits qui devraient les accompagner. Donc, bien que, comme conjointes de fait, nos deux salaires soient considérés dans les calculs pour l'allocation familiale, la mère non biologique n'a aucun droit parental; bien que, comme conjointe de fait, nous ne puissions pas recevoir les allocations de famille monoparentale... encore, la famille non biologique n'a pas plus de droits parentaux qu'un voisin. Donc, une chose que j'aime bien dire aussi comme réalité: Nos parents auront beau avoir deux parents, les deux parents ne seront pas reconnus juridiquement nulle part. Et pourquoi est-ce que les enfants de ma soeur devraient avoir plus de droits que les miens? Ça devient aussi évident pour moi.

Pour éviter la continuation de la discrimination envers nous et nos enfants, il faut absolument que nous soyons toutes les deux reconnues comme parents d'une façon simple et égale à des époux mariés. Les familles homoparentales sont une réalité de la société québécoise que le gouvernement ne peut plus ignorer. Ces enfants doivent avoir les mêmes protections juridiques que tout autre enfant québécois et bénéficier de la reconnaissance sociale et juridique de leurs deux parents.

Également, tout parent homosexuel doit avoir les mêmes droits et responsabilités qu'un parent hétérosexuel. De ce fait, nos enfants ne risqueraient pas d'être privés de liens affectifs ni de soutien financier lors d'une rupture. Les deux parents seraient capables de signer des documents médicaux, scolaires et de voyager avec eux. Ils ne risqueraient pas d'être dépossédés d'un héritage de leur famille non biologique. Bref, ils auraient accès à la même protection que tout autre enfant québécois.

Dans le cas d'un enfant né par le biais de l'insémination alternative où le père est inconnu, le gouvernement du Québec doit permettre à la mère non biologique d'être reconnue comme parent dès la naissance de l'enfant, comme cela est déjà le cas en Colombie-Britannique. Le gouvernement doit permettre l'inscription des noms des deux mères sur l'acte de naissance, sans recours à la cour ou à une autre procédure. Ainsi, les enfants de ce couple bénéficieront des liens de filiation des deux mères dès la naissance.

Dans le cas de l'enfant déjà né dans le même contexte, le gouvernement doit permettre à la mère non biologique d'adopter l'enfant et ainsi établir des liens de filiation ? donc, les gens qui ont déjà des enfants aujourd'hui.

Dans le cas d'un enfant adopté publiquement, les deux enfants doivent être légalement reconnus comme tels dès l'adoption pour que ces enfants aussi bénéficient de la reconnaissance de leurs deux parents. Au moins quatre provinces du Canada, dont l'Alberta conservatrice, ont déjà accordé des droits parentaux à des couples de même sexe.

Donc, nous recommandons que l'union civile comprenne les mêmes droits à la filiation et à l'autorité parentale que le mariage.

Nous recommandons aussi que, dans l'absence d'un père connu, la mère non biologique soit reconnue comme parente sur l'acte de naissance sans recours à une autre procédure.

Nous recommandons aussi qu'un couple en union civile qui partage un projet d'adoption publique ait la possibilité d'adopter l'enfant conjointement.

Et nous recommandons que le gouvernement accorde la possibilité de l'adoption privée d'un enfant non biologique dans l'absence du deuxième parent biologique.

Maintenant, par rapport à l'omission sur l'immigration...

Le Président (M. Gautrin): Votre temps est en train de fuir très rapidement. Si vous pouviez essayer...

Mme Perazzo (Monica): Pardon?

Le Président (M. Gautrin): Le temps...

Mme Perazzo (Monica): Le temps file?

Le Président (M. Gautrin): ...file. Si vous pouviez essayer de conclure.

Mme Perazzo (Monica): D'accord. Bien, par rapport à l'immigration, simplement le fait que ce n'est pas mentionné, qu'il n'y ait présentement rien dans l'avant-projet de loi qui inclut la reconnaissance du conjoint en union civile parce que, probablement, la loi, on le sait, reconnaît les conjoints de fait, mais tout ça, c'est une procédure longue, et aussi qu'il y a l'incertitude, alors que, si on veut qu'on ait les mêmes droits que les gens mariés, on devrait avoir ces mêmes droits au niveau de l'immigration, incluant aussi peut-être un «visa de fiancé», que ça s'appelle, je crois, pour les gens qui ne peuvent pas avoir le droit à rentrer au Canada.

Donc, on reconnaît que... on recommande plutôt que le statut d'union civile soit reconnu comme équivalent au mariage en ce qui concerne l'immigration, y compris la création d'un visa «fiancé» pour ce statut.

Donc, outre les limites de l'union civile elle-même, il existe aussi une incohérence, et je pense qu'on en a déjà parlé. Le ministre de la Justice a déclaré à maintes reprises son intention d'accorder l'égalité aux couples homosexuels. Il a également laissé entendre qu'un Québec souverain accorderait le droit au mariage aux couples homosexuels. L'union civile est un bon pas dans cette direction, mais je souligne les incohérences dans d'autres actions du gouvernement. Donc, on sait présentement que le gouvernement est dans la cause Hendricks-LeBoeuf. On aimerait simplement que le gouvernement s'en retire, et ceci signifierait donc vraiment qu'on n'empêche pas l'accès au mariage. Et aussi, par rapport à l'article 365 du Code civil, retirer la définition homme, femme, qui irait encore dans la même direction.

Et, en conclusion, l'union civile reste incomplète. L'avant-projet, de la façon qu'il est présentement et essentiellement... comme il est présentement, institutionnalise la même discrimination qu'il tente de redresser. Le gouvernement du Québec doit rectifier ses omissions en sorte qu'il crée dans l'union civile un véritable statut d'égalité pour les couples de même sexe, qu'il adresse le manque des droits des enfants de tels couples et qu'il agisse de façon cohérente dans toutes ses actions par rapport aux groupes homosexuels pour éliminer toute discrimination à leur égard.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, mesdames, et nous allons procéder à la période d'échange. Et je passerai la parole au ministre de la Justice pour commencer les échanges.

M. Bégin: Alors, merci, mesdames. Vous avez abordé deux points où je demanderais peut-être de parler de votre expérience. Vous avez discuté de l'immigration et aussi de l'adoption, deux problèmes qui vous préoccupent dans votre vie, on le voit bien, et j'aborderai une autre question par la suite.

Quant à l'immigration, vous racontez que ça a pris cinq ans avant que vous puissiez... plusieurs années avant que vous ayez la permission de venir ici, malgré le fait que vous ayez des points extrêmement positifs, là: l'emploi, etc. Comment ça se traduit dans la vie? Est-ce que vous sentez une discrimination, un empêchement de fonctionner? Comment vous le vivez, vous l'avez vécu, ça, ces difficultés-là que vous avez rencontrées?

Le Président (M. Gautrin): Laquelle veut répondre? Mme Pinkstone.

Mme Pinkstone (Gabriel): On a vécu beaucoup d'insécurité parce que, bien que je serais mariée avec une Québécoise si j'avais le droit, je n'avais pas le droit de rentrer ici, au Québec, si je n'avais pas, par exemple, déjà le bon emploi ou assez de points pour tous les autres côtés, bien qu'un couple marié ait le droit de présenter un certificat de mariage, puis tout est réglé. Et, pour nous, dans notre relation, tout est réglé, l'engagement est très clair. Alors, ça a pris beaucoup de temps et on n'avait pas le... le résultat n'était jamais sûr puis jamais certain. Alors, c'est...

M. Bégin: J'irais plus loin...

n(10 h 30)n

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: C'est évident que si vous aviez été mariée, il n'y aurait pas eu de problème, c'est quasiment un automatisme. D'autre part, lorsqu'on veut immigrer quelque part ? oublions votre situation ensemble ? vous devez rencontrer certains critères, bon, un certain nombre de pointages. Est-ce que vous avez senti que, dans l'analyse de votre dossier, on était plus sévère, plus difficile pour vous, connaissant votre statut...

Mme Pinkstone (Gabriel): Ils ne connaissaient pas mon statut...

Le Président (M. Gautrin): Mme Pinkstone.

M. Bégin: Ils ne le connaissaient pas?

Mme Pinkstone (Gabriel): Ils ne le connaissaient parce qu'il n'y a pas d'espace sur les formulaires pour mettre une conjointe; il y a juste un espace pour un époux pour moi, et je n'en ai pas. Alors, pour l'immigration, Monica n'existait pas. Alors, oui, c'est une discrimination, mais c'est comme une omission au lieu d'être une discrimination.

M. Bégin: O.K., je comprends.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre, vous avez une autre question?

M. Bégin: Bon, pour l'adoption, vous avez énoncé très clairement que vous désiriez procéder à l'adoption, que la loi le permettait, mais que, dans les faits ? vous avez été, je pense, descriptive de manière très précise et exacte aussi par rapport à ce que nous avons entendu ? que vous aviez... c'était non. Est-ce que vous avez quand même fait des démarches pour arriver à votre conclusion ou bien si c'était une conviction qui provenait de témoignages extérieurs? De quelle façon avez-vous...

Le Président (M. Gautrin): Mme Pinkstone.

Mme Pinkstone (Gabriel): Notre préférence serait d'avoir nos enfants biologiques. L'adoption, c'était un deuxième choix pour nous, alors on n'a pas fait des démarches dans cette voie-là, mais on a fait des recherches très préliminaires et on a parlé à d'autres personnes qui ont tenté de le faire. On n'a pas parlé directement au service parce que tout le monde qui l'a essayé a dit...

M. Bégin: C'était inutile.

Mme Pinkstone (Gabriel): ...que ça ne vaut pas la peine.

M. Bégin: Je vais peut-être reprendre sur un ton badin, mais dans deux passages de votre mémoire, vous semblez douter de ma parole.

Mme Pinkstone (Gabriel): Oh, non, non! On vous encourage, monsieur. On vous encourage.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Alors, je vais vous lire...

Le Président (M. Gautrin): Et elles ne sont pas les seules!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Alors, à la page 9 de votre mémoire, vous dites: «Le ministre de la Justice a déclaré, à maintes reprises, son intention d'accorder l'égalité aux couples homosexuels.» Je passe au paragraphe suivant: «Si le gouvernement est sincère dans ses intentions...» Page 11: «Le ministre Bégin a déclaré très clairement sa volonté que les couples de même sexe "aient les mêmes droits, pas plus ni moins".» Et plus loin: «Comme preuve de sa sincérité en ce qui concerne la réelle élimination de la discrimination envers les couples [...], le gouvernement doit se retirer...»

Alors, est-ce que je dois comprendre que vous avez des doutes ou bien si c'est parce que c'est une mauvaise formulation que vous avez eue?

Mme Pinkstone (Gabriel): C'est pour vous encourager, monsieur, c'est tout.

M. Bégin: Alors, merci. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Pour continuer sur la lancée de sincérité du ministre, je veux revenir sur l'adoption. Bon. Puis vous faites une distinction très nette, vous parlez d'adoption publique, mais vous dites que c'est discriminatoire. Vous parlez peut-être qu'il pourrait y avoir de l'adoption privée et vous dites, à un certain moment donné, qu'on pourrait faire de l'adoption sur consentement spécial en faveur de son conjoint. Est-ce que vous pouvez me donner... Pour quelle raison ou de quelle façon ça pourrait fonctionner?

Le Président (M. Gautrin): Mme Pinkstone.

Mme Pinkstone (Gabriel): Si nos recommandations sont suivies, nous, on n'aurait pas le besoin d'adopter nos enfants parce qu'ils seront déjà sur l'acte de naissance. Mais pour d'autres couples qu'on connaît, qui ont déjà des enfants qui sont nés par le biais de l'insémination...

M. Bégin: Artificielle.

Mme Pinkstone (Gabriel): ...alternative, ils restent dans la situation dont on peut voir qu'il y a une mère biologique et une mère qui n'existe pas. Et c'est pour ces gens-là qu'on veut que l'adoption privée soit possible, sans que la mère biologique doive nier ses droits. Est-ce que j'ai bien répondu à votre question?

M. Boulianne: Oui, oui.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Oui, c'est beau, merci.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'il y a d'autres députés ministériels qui auraient des questions à poser à nos témoins? Mme la députée de Bourassa, au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Bonjour, Mme Perazzo, Mme Pinkstone également. Votre mémoire est extrêmement intéressant. Vous soulevez des éléments qui n'avaient pas été abordés jusqu'ici, notamment la question de l'immigration. Mais aussi, à la page 7, Mme Pinkstone a dit que, dans vos couples, les enfants n'arrivent pas par accident. Et vous utilisez l'expression «notre plan ? donc, c'est mûri, réfléchi ? est d'avoir deux enfants, chacun porté par une mère différente».

Alors, j'aimerais que vous m'expliquiez votre plan, comment êtes-vous arrivées à votre plan, et ce plan-là va se passer comment, est-ce que vous aurez deux donneurs inconnus, est-ce que ça serait le même donneur? Pourquoi vous avez pris ces décisions-là? Quels éléments vous avez considérés?

Le Président (M. Gautrin): Qui répond? Monica?

Mme Perazzo (Monica): Oui. Bien. Les choses sont très... Je veux dire, l'idée de concevoir des enfants, il y a toute la partie émotive qui fait peur d'ailleurs parce qu'on est en milieu de carrière, on sait qu'est-ce que ça amène, on a des amis qui en ont et on sait que, bientôt, ça veut dire: pas dormir, plus de vie sociale, etc. Et puis il y a l'âge aussi. On sait que, surtout avec l'insémination artificielle, c'est plus difficile, le taux de sperme est plus bas, etc. Donc, il y a des réalités simples et banales comme le fait que Gabriel est un peu plus vieille que moi, de trois ans seulement, mais c'est déjà... Avec le timing de nos carrières et... où on en est avec nos vies fait qu'on s'est dit: Bon, Gabriel étant plus vieille, vas-y en premier; moi, j'irai en deuxième. On s'est dit qu'on allait partager toutes les deux l'expérience d'être enceinte, de porter un enfant, et aussi, côté carrière, ça équivaut, ça nous aide à poursuivre notre chemin.

Mme Pinkstone (Gabriel): Mais pas en même temps, par exemple, les deux femmes enceintes dans le même couple en même temps.

Mme Perazzo (Monica): Ce n'est pas recommandé, ça. Et puis, aussi, moi, de mon côté ? Gabriel partage avec moi aussi ? je veux être sûre de pouvoir fournir à ma famille tout ce qu'il faut: un bon toit, accès aux soins dentaires après que l'assurance maladie ne paie plus. Les choses que j'ai vécues moi-même étant enfant, je ne veux pas les vivre avec mes propres enfants, je veux être sûre de pouvoir... Donc, c'est pour ça, la carrière reste importante, puisque je veux pouvoir donner à mes enfants tout et que rien ne leur manque. Et donc, tout ça, on prend tout ça en considération, et c'est là qu'on en vient à des plans comme ça.

Mme Pinkstone (Gabriel): Si je peux ajouter?

Le Président (M. Gautrin): Mme Pinkstone.

Mme Pinkstone (Gabriel): On a choisi l'idée d'un donneur inconnu parce qu'on trouve...

Mme Lamquin-Éthier: Un ou deux?

Mme Perazzo (Monica): Un.

Mme Pinkstone (Gabriel): Un ou deux donneurs? Il se peut que ce soit le même donneur. Mais, dans le fond, c'est très simple: Si on pourrait avoir des enfants de nous deux, si c'était possible d'avoir nos enfants à nous, c'est ça qu'on ferait. Mais, étant donné que ce n'est pas possible de le faire, on a voulu qu'ils soient nos enfants biologiques puis partager l'idée de vivre l'expérience aussi d'être mère.

Mme Perazzo (Monica): Pardon, je vais rajouter.

Le Président (M. Gautrin): Mme Perazzo.

Mme Perazzo (Monica): Je vois que vous avez une curiosité par rapport à un donneur ou deux.

Mme Lamquin-Éthier: Bien, notamment, oui.

Mme Perazzo (Monica): Oui. Bien ça, c'est une réalité qu'on a à faire face par rapport aux banques de sperme, dans le sens que, les donneurs vont donner du sperme; à un moment donné, ils peuvent arrêter. Et le temps que, mettons, Gabriel porte le premier enfant et que ce soit mon tour, peut-être qu'il n'en restera plus. Alors, on ne peut pas... Bon. On pourrait en acheter d'avance, mais il faut le garder congelé, ça coûte une fortune. Alors, on ne peut pas miser là-dessus. Ça fait que ça, c'est des simples réalités, il faut qu'on fasse avec.

Mme Pinkstone (Gabriel): C'est des problèmes pratiques. Mais c'est toujours un mélange entre les vouloirs émotifs puis les problèmes pratiques, parce que, comme j'ai dit, ça ne peut jamais arriver par accident, il faut que ce soit bien planifié.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Merci. Mme Perazzo, tout à l'heure, vous avez dit, en vous exprimant, et j'ai attrapé votre phrase au vol: Il n'est pas question que ce que j'ai vécu, nos enfants ou mes enfants le vivent. Qu'est-ce que vous vouliez dire? Quelles sont les réalités que vous avez connues et quelles sont justement les réalités que vous voulez éviter?

Le Président (M. Gautrin): Mme Perazzo.

Mme Perazzo (Monica): Mes parents se sont divorcé quand j'avais cinq ans et demi. J'ai surtout été élevée par ma mère, le weekend avec mon père. Ma mère étant monoparentale, financièrement, ça a été très difficile. Il y a des moments où est-ce qu'elle ne savait pas où aller chercher l'argent pour nous nourrir. Et les soins dentaires, ça coûte cher, et je voyais que c'était toujours... Aussitôt qu'on a 16 ans, l'assurance maladie ne paie plus. Rendue à 17 ans, à 18 ans, j'avais mes dents de sagesse qui sortaient, et ça devenait une grosse affaire de pouvoir me payer le dentiste. Juste des choses, des angoisses...

Mme Lamquin-Éthier: Très bien.

Mme Perazzo (Monica): ...que j'ai vécues, et c'est pour ça que tantôt vous m'entendiez parler que... carrière allait dans nos plans d'avoir des enfants. Oui, parce que carrière équivaut salaire, équivaut...

Mme Lamquin-Éthier: Stabilité.

Mme Perazzo (Monica): Oui. M'assurer que nos enfants manqueront de rien pour ne pas vivre ce que j'ai vécu.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre, vous m'avez signalé... Vous avez encore une question, Mme la députée de Bourassa?

Mme Lamquin-Éthier: Merci beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): J'avais cru comprendre que vous m'aviez signalé que vous n'en aviez plus.

Mme Lamquin-Éthier: J'attendais votre signe, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Excusez-moi, madame.

Mme Lamquin-Éthier: Je ne voudrais pas être trop indisciplinée.

Le Président (M. Gautrin): Allez-y.

Mme Lamquin-Éthier: Mme Pinkstone, qu'en est-il en Australie quant au statut juridique des conjoints de même sexe?

n(10 h 40)n

Mme Pinkstone (Gabriel): Les conjoints de fait ont à peu près les mêmes droits qu'ici, mais les conjoints de fait étaient reconnus pour l'immigration plus tôt, au moins cinq ans plus tôt. Parce que Monica est venue en Australie en 1995, 1996...

Mme Perazzo (Monica): 1996.

Mme Pinkstone (Gabriel): ...1996 comme conjoint de fait. Mais, pour les droits parentaux, je ne sais pas parce que ce n'était pas dans nos plans quand on vivait là. C'est maintenant qu'on s'est mises en recherche puis on trouve des petits pépins.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Une dernière question. Merci, M. le Président. À la page 10, évidemment vous parlez des changements que vous souhaitez au niveau de l'immigration, y compris la possibilité d'un visa de fiancé. Alors, est-ce que ça existe? Si oui, où? Et comment ça se...

Mme Pinkstone (Gabriel): C'est tout simplement comme le mariage. Si quelqu'un veut venir ici pour se marier, c'est juste pour avoir les mêmes droits.

Mme Lamquin-Éthier: Ah! O.K.

Mme Pinkstone (Gabriel): Comme venir ici pour célébrer une union civile. Parce que si la personne n'a pas le droit de venir ici, comme quelqu'un de Cuba, par exemple, ils ne vont pas être capables de se réunir dans une union civile. Ça va être compliqué. Ça va dans le même sens qu'avoir les mêmes droits que les couples mariés pour l'immigration. C'est juste un petit ajout, un soulignement que c'est important.

Mme Lamquin-Éthier: Merci.

Le Président (M. Gautrin): Vous avez terminé, Mme la députée de Bourassa?

Mme Lamquin-Éthier: Oui, merci, M. le Président. Merci beaucoup, mesdames.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre, vous avez encore une question supplémentaire?

M. Bégin: Mme la députée de Bourassa a posé la question. Je voulais connaître l'état de la situation, vu que vous aviez vécu longtemps en Australie, quelle était la situation, et vous avez répondu ce qu'il en était. Alors, je n'ai pas d'autre question.

Mme Pinkstone (Gabriel): Je peux ajouter quelque chose, par exemple.

M. Bégin: Oui, allez.

Le Président (M. Gautrin): Mme Pinkstone.

Mme Pinkstone (Gabriel): Ils viennent... Selon ma mère qui m'envoie des petits trucs de journaux, ils ont passé une loi récemment qui limite l'accès à l'insémination alternative, très sévèrement. Je pense qu'ils ont ? je n'ai pas un mot autre ? paniqué avec les nouvelles technologies. Ils n'ont pas fait une loi qui inclut le clonage puis plein d'autres choses, et l'insémination alternative est plus restreinte maintenant qu'avant, ce qui est bizarre, selon moi, mais c'est la réalité.

M. Bégin: Qu'en était-il pour la mère porteuse?

Mme Pinkstone (Gabriel): Je ne sais pas.

M. Bégin: Vous ne savez pas?

Le Président (M. Gautrin): Vous avez terminé?

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Gautrin): Alors, Mme Perazzo et Mme Pinkstone, je tiens à vous remercier pour votre témoignage et, au nom de la commission, je vous souhaite bonne chance dans votre projet... dans vos projets de parentalité.

À cet effet-là, je voudrais demander à Mme Dubuc de bien vouloir se présenter devant notre commission.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Gautrin): Bonjour, Mme Dubuc. Prenez votre temps. Soyez à l'aise. Il n'y a peut-être plus d'eau. Peut-être que quelqu'un pourrait lui fournir de l'eau. Ça va? Bon.

Alors, Mme Dubuc, vous avez compris notre mode de fonctionnement. Il y aura donc une période de 30 minutes qui vous est allouée, répartie de la manière suivante: 10 minutes pour votre témoignage, 10 minutes pour les questions provenant des députés ministériels et 10 minutes pour les questions provenant des députés de l'opposition. Alors, vous avez la parole, Mme Dubuc.

Mme Dominique Dubuc

Mme Dubuc (Dominique): D'accord. Merci. Bonjour et merci beaucoup de m'accorder cette audience aujourd'hui. Je ne représente pas un groupe, je suis une simple citoyenne, mais, ma famille et moi, on va être directement concernées par cet avant-projet de loi là. Alors, c'est pour ça que je voulais me présenter ici.

Je vis dans une relation amoureuse et conjugale ? c'est important de le spécifier ? avec une femme, Sylvie Robert, qui aurait bien voulu être ici aujourd'hui avec nous mais qui est restée à la maison avec nos enfants. Ensemble, nous formons une famille qui est reconstituée, comme bien d'autres familles.

Dans notre cheminement de couple, nous avons atteint le stade où nous désirons nous unir officiellement et légalement, et c'est pourquoi nous nous sommes engagées dans la lutte pour l'accessibilité au mariage pour les conjoints de même sexe. Nous sommes convaincues que seule cette accessibilité au mariage signifierait que les homosexuels sont reconnus comme de véritables citoyens. Notre démarche pour y parvenir a été de nous présenter au palais de justice de Sherbrooke pour obtenir une licence de mariage. Évidemment, on nous l'a refusée en invoquant le fameux article 365. Pas en invoquant des dispositions fédérales, mais vraiment la lettre le spécifie. Armées de ce refus, nous avons déposé des plaintes aux commissions des droits de la personne fédérale et provinciale. Ce faisant, nous avons soulevé un grand battage médiatique ? en tout cas, dans notre échelle de grand battage médiatique, bien sûr ? qui a fait de nous, du jour au lendemain, le couple de lesbiennes de service à Sherbrooke.

Nous n'avions pas pris un tel «coming-out» à la légère. Nous avions des appréhensions. Mais nous nous disions qu'ultimement, si notre visibilisation redonnait espoir ne serait-ce qu'à un seul jeune gai qui contemple le suicide ? et les statistiques à ce sujet sont alarmantes, je le rappelle ici ? notre démarche aura valu la peine. Et pourtant la réaction des gens... Finalement, on avait des appréhensions, mais la réaction des gens a été très positive. On nous arrête dans la rue, à l'épicerie, à la banque, à Sherbrooke, pour nous féliciter de notre courage puis nous encourager à poursuivre. Les gens sont surpris et n'ont pas conscience des droits dont nous sommes privés en ce moment.

Nous n'avons eu aucun commentaire négatif ou incident malheureux. Je peux donc témoigner, en plus des sondages qui ont déjà été publiés, que la population québécoise appuie nos revendications. Ceux qui sont contre représentent une minorité. Souvent, ils vont parler haut et fort, mais il faut se rappeler toujours, d'après mon expérience personnelle et les sondages, ce sont une minorité, qui ne représente pas l'opinion publique ? encore que l'opinion publique devrait-elle nécessairement être associée à la justice?

Et l'union civile, c'est d'un bon oeil que nous avons accueilli cet avant-projet de loi, car il émane du gouvernement québécois. Il va donc aussi loin que la juridiction québécoise le permet, sauf, bien entendu, et c'est énorme à nos yeux, en ce qui a trait aux droits de nos enfants. À mon avis, l'union civile devrait combler trois besoins manifestes de la communauté gaie. Premièrement, offrir un cadre légal pour nos unions qui est égal au mariage; ça, c'est pour le couple lui-même. Deuxièmement ? et c'est important, ça aussi ? être un outil d'évolution sociale, car l'homophobie existe encore et, malgré ce que je disais tantôt, il reste que juste de prendre la main de ma conjointe en public, ça me demande encore du courage. Et, plus important encore, devrait entraîner la pleine reconnaissance de nos familles, les familles homoparentales, ce qui implique la reconnaissance donc de deux filiations et de deux autorités parentales, donc deux parents complets, finalement.

Le premier objectif semble somme toute atteint pour ce qui est des besoins du couple avec l'héritage sur son testament, etc. L'objectif d'évolution sociale est rendu nécessaire, je le rappelle, par la persistance de l'homophobie dans notre quotidien. Si on fait un parallèle avec l'évolution du droit des femmes, on constate que, lorsque les femmes ont cessé d'être des possessions pour leur mari et qu'elles ont acquis le droit de vote, la misogynie n'est pas disparue du jour au lendemain mais elle est devenue plus difficile.

L'oppression vécue par les homosexuels est analogue. Elle était évidente et explicite au temps de l'illégalité, qui ne remonte pas à Mathusalem, qui remonte à 1969 ? j'étais née ? et elle est devenue plus subtile mais tout aussi présente de nos jours. J'en veux pour preuve le tabassage et le meurtre d'homosexuels. J'en veux pour preuve la publication ou le passage en ondes, sous couvert d'opinions et de liberté d'expression, de propos qui sont carrément haineux et diffamatoires, qui soulèveraient un tollé épouvantable si on les dirigeait contre toute autre minorité. J'en veux pour preuve tous ces homosexuels qui invoquent leur vie privée plutôt que de poser des gestes naturels comme se tenir la main en public ou échanger un baiser ou encore présenter son conjoint comme tel et non pas comme son colocataire. D'où la nécessité, comme je le disais tantôt, d'un bon moteur d'évolution sociale. La célébration de l'union telle que proposée en est un, bon moteur. Plutôt que de juste signer un contrat, c'est une avancée qui va améliorer l'image que les gens ont de la conjugalité homosexuelle.

n(10 h 50)n

Cependant, j'ai des réticences sur l'utilisation du mot «partenaire»; donc, vous pouvez m'ajouter à vos statistiques. «Conjoint de droit», «conjoint civil», je trouve que ce serait bien d'utiliser «conjoint» qui chapeauterait les trois états civils, avec des particularités à chacun.

Par contre, le côté ségrégationniste de l'union civile est un autre problème. L'accessibilité aux seuls couples de même sexe marginalise et infériorise nos unions par rapport à la majorité hétérosexuelle, qui, elle, a accès à l'institution traditionnelle, qui est le mariage. Ceci, en parallèle avec la plus grande facilité de dissolution de l'union civile par rapport au divorce, envoie un message qui n'est pas souhaitable à la population: que nos unions, finalement, sont de moins grande qualité et qu'elles peuvent se dissoudre plus facilement. On règle facilement ce problème en ouvrant ce nouveau statut aux couples de sexe opposé. Ça ne veut pas dire qu'il y en aurait des centaines et des milliers qui le prendraient, mais au moins ce serait ouvert et ce ne serait pas ségrégationniste. D'ailleurs, il serait injuste de priver les hétérosexuels de cette avenue conjugale sur la simple base de leur orientation sexuelle.

Et, le plus important, les droits des enfants des parents homosexuels. La prémisse a été répétée à plusieurs reprises, à savoir qu'il est prouvé scientifiquement ? et ça vient me chercher, je suis de formation scientifique moi-même ? par des études de plus de 20 ans ? dont la dernière est sortie cette semaine, ça adonne bien, de l'illustre Association des pédiatres américains ? que les enfants élevés dans un milieu homoparental ne subissent absolument aucune altération dans leur développement, et ce, à tous les niveaux. Est-ce assez clair? Je crois qu'il n'y a rien qui peut justifier les préjugés qui persistent. On peut les prendre un par un et les démolir un par un. Devant l'avalanche de ces preuves scientifiques, il serait hypocrite d'invoquer le bien-être des enfants pour refuser les droits parentaux, qui, d'ailleurs, sont surtout des responsabilités parentales. C'est le droit de nos enfants qu'on défend ici.

Le Président (M. Gautrin): Le temps file, madame, si vous pouviez gérer...

Mme Dubuc (Dominique): Oui. Bon, c'est ça, j'ai presque fini. Alors, au contraire, la situation actuelle marginalise, stigmatise, infériorise et discrimine nos enfants. Dans cinq provinces, bientôt six, pourtant, la situation est déjà réglée. Dans notre cas personnel, ma conjointe ne pourrait adopter mes enfants puisqu'ils ont un père. Mais, pour nos enfants, le bénéfice de la reconnaissance des familles homoparentales sera au niveau de la symbolique positive reliée à la légitimité de ces familles qui serait maintenant reconnue et validée par l'État. Mais, tant que perdurera la discrimination institutionnalisée contre les enfants de parents de même sexe, les homophobes s'en nourriront et le quotidien de nos enfants sera directement affecté, comme les miens ici.

J'ai une série de recommandations ici, que vous avez sûrement consultée. Bon, on parle de consentement aux soins, le plus explicite possible, j'adhère à ça aussi; éviter la ségrégation; la création d'un nouveau statut seulement pour les homosexuels aussi; la notion de «partenaire» ? je passe rapidement; inscrire le nom de la mère non biologique tout simplement dans le cas d'une insémination artificielle, d'un projet parental commun, ça aussi; que les couples aient accès à l'adoption. Et là il faut faire attention, en ce moment, on ne peut pas avoir... Un enfant ne peut pas avoir deux pères ou deux mères. On peut jouer avec les mots et dire que l'adoption est accessible aux homosexuels, mais c'est faux, puisque, quand on est un couple, on veut donner deux parents à nos enfants lorsqu'on les adopte. Alors, il ne faut pas jouer avec les mots ici.

Évidemment, retirer le fameux article 365 pour aller dans la bonne voie. Et finalement, attendu que de la reconnaissance légale des familles homoparentales découle une reconnaissance sociale, le gouvernement du Québec doit mettre en oeuvre des programmes d'éducation en milieu scolaire qui reflètent l'inclusion sociale de ces familles homoparentales, ce qui aura un impact direct sur mes enfants à moi ? donc, j'y suis particulièrement sensible ? et un impact aussi sur une autre catégorie d'enfants dont on n'a pas parlé ici, c'est-à-dire les enfants de demain qui seront homosexuels, c'est-à-dire les enfants qui sont présentement dans le système scolaire et qui sont homosexuels. Peut-être qu'ils ne l'ont pas encore réalisé à ce moment-ci, mais, si on leur envoie un message qui est positif de l'homosexualité, ils pourront se développer au mieux. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Dubuc. Je passerai la parole maintenant à M. le ministre pour débuter les échanges.

M. Bégin: Merci, M. le Président. Je trouve que vous nous en mettez épais sur les épaules, mais vous avez raison, et je cite un passage de votre mémoire, à la page 9, que je trouve remarquable: «Dans ce dossier, nous fournissons le courage, la société nous fournit son ouverture d'esprit, et le gouvernement devra nous fournir des cadres légaux à la mesure de notre pleine citoyenneté.»

Vous avez mis l'accent de manière extrêmement positive sur la mesure qu'est la célébration de l'union civile. Vous avez déjà vécu le mariage, vous avez divorcé, etc. Pourquoi ceci vous a-t-il tant frappée?

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): C'est que, en ayant accès à une célébration, ça devient de l'ordre public, ce qu'une relation de couple engagée devrait être ? ce n'est pas du domaine privé ou secret ? et ça nous permet, comme les hétérosexuels, de célébrer un mariage avec tout ce que ça implique, les deux belles-familles qui se rencontrent, etc. C'est très émotif finalement, mais ça envoie une image qui est plus positive finalement à la population en général.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Est-ce que vous y voyez une différence importante, le fait que les droits découlent, dans le cas de l'union civile, justement de la célébration plutôt que de la signature du contrat qui serait enregistré et déposé? Est-ce que, pour vous, il y a une valeur qui est raccrochée à ça aussi?

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

M. Bégin: Autrement dit...

Mme Dubuc (Dominique): Oui.

M. Bégin: Comprenez-vous ma question?

Le Président (M. Gautrin): Excusez-moi.

Mme Dubuc (Dominique): Non.

M. Bégin: Est-ce que le fait que des droits, comme par exemple le droit de succéder, etc., découlent du simple fait de l'union, de la célébration de l'union et non pas de la signature d'un contrat comme le PACS, par exemple, en France, où c'est un document signé qu'on dépose et c'est de là que découlent les droits...

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): C'est sûr que nous, on aspire au mariage. Alors, tout ce que vous pouvez nous offrir qui ressemble le plus au mariage, qui va être un moteur pour changer les mentalités, encore une fois, on est satisfaites avec ça. Mais on va quand même poursuivre la lutte au palier fédéral, bien entendu, pour être reconnues, parce que la symbolique est très, très, très importante ici, ce n'est pas juste les protections. C'est sûr que c'est très intéressant pour nous d'enlever une panoplie d'épées de Damoclès au-dessus de nos têtes, avec le consentement aux soins puis les mandats d'inaptitude et tout et tout. Ça a l'air de rien, mais c'est quand même stressant dans une vie. On n'a pas toujours les moyens de se payer des contrats notariés pour cette série de démarches là qu'il faudrait entreprendre pour approximer un mariage. Donc, c'est très positif de ce côté-là.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Merci. Vous avez abordé la question que vous aviez des enfants, votre conjointe en avait également.

Mme Dubuc (Dominique): Non, pas elle, juste les...

M. Bégin: Pas elle? Ah, c'est vous qui en avez.

Mme Dubuc (Dominique): Oui.

M. Bégin: O.K., d'accord. Je croyais que les deux en avaient. Est-ce qu'il est indiscret de vous demander combien vous en avez?

Mme Dubuc (Dominique): Deux enfants...

M. Bégin: Deux enfants.

Mme Dubuc (Dominique): ...de six ans et 10 ans.

M. Bégin: Parfait. Vous dites, à la page 7, que vous voyez d'un bon oeil le cas de la dissolution de l'union devant un notaire plutôt que devant la cour. Vous dites que vous avez vécu, et votre conjointe également, le divorce. Alors, pouvez-vous nous parler de pourquoi, des raisons pour lesquelles vous préférez cette solution, tout en y mettant des bémols quant aux précautions à prendre?

Mme Dubuc (Dominique): Oui.

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): Bon. Il y a une question de frais, carrément, de judiciarisation du processus. Si tout va bien, dans le sens qu'on s'entend, pourquoi est-ce qu'il faudrait compliquer les choses? Je trouve que c'est une avancée de ce côté-là. Cependant, c'est une avancée qui est glissante, il faut vraiment... Puis là je n'aurais pas la compétence de m'embarquer là-dedans, mais il faut vraiment s'assurer que les deux conjoints ou conjointes sont bien protégés, bien entendu. Et on ajoute aussi, au niveau des enfants: Il faut s'assurer que leur bien-être est de première importance dans tout ça, bien entendu.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Je vais à un autre point. À la page 8, vous avez une phrase assez incisive, je comprends que c'est relativement à l'article 15. Vous dites: «Il serait inadmissible et insultant que les partenaires d'une union civile n'occupent pas, eux aussi, le sommet de la hiérarchie décisionnelle.» Je comprends que vous référez à l'article 15 pour les soins à donner. C'est ça?

Mme Dubuc (Dominique): Oui, c'est ça.

M. Bégin: Bon.

Mme Dubuc (Dominique): Et je comprends aussi que ça semble être le cas avec la nouvelle proposition.

M. Bégin: Oui.

Mme Dubuc (Dominique): Sauf que, bien sûr, comme tous les autres qui ont passé avant moi, j'adhère à ce qui pourrait être le plus explicite possible.

n(11 heures)n

M. Bégin: C'est pour ça que je vous posais la question, parce que je crois qu'on doit liquider cette question-là et le faire immédiatement et dire qu'il est évident que, dans le projet de loi éventuel, ce sera une mesure incorporée. Ça ne pose pas de problème. Au contraire, on sait que c'est là. Ce n'est qu'une précision à apporter, et on va faire en sorte que la précision soit dans le texte et éviter toute ambiguïté quant à l'avenir.

Mme Dubuc (Dominique): J'en étais persuadée.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Roberval.

M. Laprise: Oui, M. le Président. Vous parlez de célébration du mariage. Dans votre célébration de votre premier mariage, si... je pense que le fait de reconnaître aussi l'union de fait, est-ce que... si vous aviez été en union de fait, est-ce que le combat intérieur et le combat aussi autour de ? parce que c'est sûr qu'un divorce, c'est dur à vivre, on pense qu'aujourd'hui il y en a un peu dans toutes les familles... et puis est-ce que ça n'aurait pas été plus facile, si vous aviez été en union de fait, de retourner à une nouvelle orientation sexuelle que de faire un divorce? Dû au fait que vous aviez fait une célébration d'un mariage devant Dieu et devant les hommes, là, je pense qu'à ce moment-là... il me semble que l'union de fait vous aurait donné peut-être plus de latitude, ça aurait été plus facile de faire le transfert vers une autre orientation. D'après vous?

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): Plus de latitude mais moins de protection. Moi, je suis absolument satisfaite des dispositions du divorce. Bien que complexes, coûteuses, il reste que ça nous donne des bonnes protections, bien heureusement. Quant à l'évolution de l'orientation sexuelle, c'est tout simplement... j'aimerais clarifier ça ici. Bon, notre génération, on commence à vivre dans une société qui est plus ouverte, mais, par le passé, ce n'était pas facile de réaliser qu'on était homosexuel. Moi, je ne m'en étais personnellement pas du tout rendu compte jusqu'à ce que, bon, j'évolue, et je vieillisse, et que je me rende compte de cette chose-là qui est un des aspects qui a mené au divorce d'ailleurs; ce n'est pas nécessairement l'aspect seul. C'est sûr que tout seul il aurait été suffisant pour m'amener au divorce, mais il y en avait d'autres, aspects, aussi.

M. Laprise: C'est pour ça que vous seriez favorable à ce que...

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Roberval, allez-y.

M. Laprise: Excusez, à ce que ça se prononce devant un notaire, ou que ce soit plus facile, en fait.

Mme Dubuc (Dominique): Bien, je trouve ça intéressant en autant que les protections viennent avec. Puis je n'ai vraiment pas la compétence d'aller plus en profondeur là-dessus, le projet de dissolution. Et je suis sûre que bien des couples hétérosexuels aimeraient bien y avoir accès, d'où j'espère qu'on ne créera pas de discrimination contre les hétérosexuels avec ça ici.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Est-ce que vous avez terminé, M. le député?

M. Laprise: J'ai terminé.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'il y a d'autres ministériels qui voudraient poser des questions? Mme la députée de Bourassa, au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Mme Dubuc, bonjour. Mme Dubuc, dans votre mémoire, et je pense que M. le ministre avait raison de le relever, vous dites: «Nous fournissons le courage.» À un autre endroit, vous dites: «Quel exemple le plus banal mais combien explicite pourrais-je vous donner qui est le suivant? Chaque fois que je prends la main de ma conjointe en public, ça me demande encore du courage, du courage pour faire face à des regards réprobateurs, et de la vigilance face à des comportements agressifs qui pourraient se manifester. Si ce simple petit geste demande énergie et courage, imaginez le reste de notre quotidien.»

Puis-je vous demander, et, si vous ne voulez pas répondre, je le comprendrais bien, votre quotidien... vous êtes de Sherbrooke, est-ce que ça apporte une dimension particulière à votre quotidien? C'est quoi, votre quotidien?

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): Je pourrais diviser mon quotidien en deux périodes: il y a la période pré «coming-out» et post «coming-out», si on veut. C'est sûr que, pendant la première partie de la réalisation de l'homosexualité... bon, premièrement, je me le cachais à moi-même pendant longtemps. Comme c'est le cas de bien des homosexuels, je n'arrivais pas à le livrer à tout le monde, bien entendu. Alors, il y a beaucoup de secrets, ce qui est très, très, très difficile à vivre; de penser à chaque mot qu'on va dire, éviter le mensonge mais sans trop en dire, ce qui fait que nos contacts humains finalement s'en trouvent très aseptisés finalement. À partir du moment où le «coming-out» a été très médiatisé dans notre petite localité ? moi, je prends pour acquis que tout le monde le sait, et je pense que c'est vrai aussi, à Sherbrooke ? c'est beaucoup plus facile, dans le sens que je me pose moins de questions. Mais, encore là, c'est encore un acte de courage à chaque fois de prendre la main de ma conjointe. Et c'est encore à chaque fois... si j'ai à la présenter ou si j'ai à raconter qu'est-ce que j'ai fait en fin de semaine, j'y pense un instant.

Des fois, on parle à des personnes qui ne sont pas nécessairement nos amis proches, bon, des collègues de travail éloignés, bon, on se rencontre devant la machine à café, et, bon, lui va me dire: Bon, j'ai fait ça avec ma femme, ou ma blonde, ou ma conjointe en fin de semaine. Ah oui! moi, avec ma blonde ? puis, lui, il ne le sait pas peut-être ? oui, moi, avec ma blonde, j'ai fait d'autre chose, ou j'ai fait la même chose. Bon. Je le fais de plus en plus, j'essaie d'en faire comme une bonne résolution, arrêter de fumer ou quoi que ce soit, mais il reste que ça prend de l'énergie. Ça prenait de l'énergie pour garder le secret et, aujourd'hui, ça prend de l'énergie pour faire face à de l'homophobie qui existe encore, mais qu'on ne sait jamais d'où est-ce qu'elle va sortir finalement. Et finalement, elle ne sort pas souvent. C'est ça qu'il est très intéressant de constater.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa, vous avez d'autres questions?

Mme Lamquin-Éthier: Vous avez également soulevé dans votre mémoire, et je trouve ça intéressant, à la page 11... Évidemment, vous avez deux filles, deux belles petites filles qui sont issues d'un mariage précédent, et, bon, vous dites: «Nous essayons de leur rendre la vie la plus facile possible en rencontrant les professeurs et la direction d'école, par exemple, mais il reste qu'elles sont parfois confrontées à des questions sur la différence de leur milieu familial.» Vous abordez donc la question de l'école et de ce qui se passe à l'école. Qu'est-ce qui se passe à l'école et qu'est-ce qui ne devrait pas se passer à l'école, et comment est-ce qu'on pourrait éviter que ça se passe différemment?

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): Je prendrais l'exemple du racisme. Maintenant, dans les cours d'école, jamais on entendrait, ou, à tout le moins, il y aurait des conséquences très rapides: Ah! toi, espèce de nègre, ou des choses qui sont totalement inacceptables de ce type-là. Pourtant: Ah! tu lances comme une moumoune, espèce de fif. Ça, c'est monnaie courante. Et ce n'est pas de la mauvaise volonté du côté du système scolaire, bon, à un certain point, là. Mais, quand même, l'homosexualité est tellement quelque chose de tacite. Les homosexuels ne sont pas vus; ils sont présents partout, partout, partout. On ne les voit pas, mais ils sont là. Mais c'est comme si on prend pour acquis ? on parlait d'hétérosexisme, hier, devant cette commission ? c'est comme si on prend pour acquis que tout le monde qui est présent dans la salle ici est hétérosexuel, et, si on échappe un petit «fif» ou «moumoune», ça ne fera pas mal à personne. Ce n'est pas le cas, malheureusement. Et justement, bon, dans les cours d'école, mes enfants sont confrontées à ça de temps en temps. Bon, elles sont prévenues. Ce n'est pas pire que, justement, si on était un couple hétérosexuel noir puis qu'il y aurait juste un Noir dans l'école où est-ce que mes enfants vont. D'ailleurs, ce n'est pas le cas, elles ne sont pas les seuls enfants de parents homosexuels, il y en a d'autres. Mais est-ce qu'on penserait un instant ne pas donner la permission, entre guillemets, à un couple noir de faire un enfant sous prétexte qu'il va être le seul enfant noir à l'école? C'est absurde.

Donc, il y a un petit peu de défis de ce côté-là qui se produisent à l'école, mais, nous, on fait notre possible de ce côté-là en allant rencontrer la direction à chaque année, et régulièrement s'il y a des points qui sont soulevés, les professeurs évidemment de nos deux enfants, et ça va bien de ce côté-là. C'est sûr que, des fois, il y a des petites taquineries... pas des taquineries, non, je ne dirais même pas des taquineries, des inquisitions. Les autres enfants sont curieux. Ah bon! ça existe, comment ça se fait, bon, est-ce que tu vas être lesbienne, toi? ? en parlant de mes filles. Puis la réponse est non. Puis c'est prouvé, ça aussi, scientifiquement, comme je le disais tantôt, il n'y a pas plus d'enfants qui s'avèrent gais venant de parents gais. Mais ce ne serait pas un problème de toute façon, puisque l'homosexualité est très correcte.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Je crois comprendre que vous-même et votre conjointe avez vécu deux divorces.

Mme Dubuc (Dominique): Un chacun.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Lamquin-Éthier: Oui. O.K. Donc, ça fait deux. Est-ce que les deux se sont réglés sur consentement et est-ce que vous avez connu, l'une ou l'autre ou toutes les deux, un excès de judiciarisation?

Le Président (M. Gautrin): Mme Dubuc.

Mme Dubuc (Dominique): Je vais parler de mon cas à moi. C'est un divorce par médiation, donc il n'y a pas eu de problème ni d'excès de judiciarisation, pas de problème non plus pour que j'obtienne la garde, étant donné mon orientation sexuelle qui était très clairement dite. Ça, c'est bien parce que j'ai la garde complète de ces enfants-là.

n(11 h 10)n

Pour ce qui est de ma conjointe, ça remonte à il y a plus de 20 ans. Elle s'était mariée très jeune et avait divorcé très rapidement par la suite. Absolument par relié à son orientation sexuelle d'ailleurs, elle l'a découvert plus de 10 ans après son divorce. Alors, elle, je ne le sais pas exactement qu'est-ce que ça a été, ses circonstances.

Le Président (M. Gautrin): Merci. Il vous reste très peu de temps, Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Seulement une dernière question. Vos enfants sont issues d'un mariage précédent. Comment ça se passe entre... on peut parler, je pense, de père biologique, et votre conjointe réclame des droits parentaux.

Mme Dubuc (Dominique): Non, ma conjointe ne réclame pas de droits parentaux, étant donné que mes enfants ont un père.

Mme Lamquin-Éthier: O.K. Comment ça se passe?

Mme Dubuc (Dominique): Comment ça se passe entre eux? Bien, ils n'ont pas de relations. Ha, ha, ha! Ils n'ont pas d'occasions... Ce n'est pas qu'ils n'ont pas de relations, ils n'ont pas d'occasions à ce qu'ils se rencontrent. Donc, qu'est-ce que je pourrais rajouter là-dessus, là? Bien, premièrement...

Mme Lamquin-Éthier: Non, c'est parce que j'essaie de voir le rôle du père biologique.

Mme Dubuc (Dominique): Le rôle du père biologique, c'est le rôle... C'est lui, le père. C'est encore lui, le père. C'est moi qui ai la garde comme c'est le cas dans bien des divorces. Ça s'adonne comme ça. C'est moi qui ai un emploi et lui n'en n'avait pas. Bon. Il y a une série de choses comme ça. Mais, par contre, je dois souligner que, malgré le fait que ma conjointe n'a pas le moindre droit parental et n'en revendique pas dans les circonstances, nos comptes sont conjoints, nos payes sont déversées dans le même compte. Si les enfants ont besoin d'une paire de bottes... Et, à la rentrée des classes, les enfants qui grandissent, c'est quatre paires de souliers, deux paires de bottes, deux costumes de skidoo, bon, je n'ai pas besoin de faire la liste, là. Elle assume totalement, et avec beaucoup d'amour, cet aspect-là financier et l'éducation aussi des enfants, à laquelle elle participe directement.

Mme Lamquin-Éthier: Merci.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Dubuc. Vous avez terminé votre temps, Mme la députée de Bourassa. Il vous reste une minute, M. le ministre.

M. Bégin: Peut-être serez-vous incapable de répondre, mais êtes-vous en mesure de témoigner de ce que... comment vivent les enfants cette situation de couple que vous vivez? Et ça fait plusieurs années, si je comprends bien. Comment vivent-ils ça? Est-ce que eux-mêmes vous en parlent? Est-ce qu'ils vous racontent des choses qui se produisent à l'extérieur qui parlent de vous? Est-ce que vous êtes en mesure de témoigner un peu là-dessus?

Mme Dubuc (Dominique): Bon, nos enfants vont à la même école depuis... Bien, la plus jeune vient d'entrer à la maternelle, donc c'est différent. Mais la plus vieille est rendue en cinquième année. Et ses amis viennent chez nous, elle va chez ses amis, puis ses amis viennent coucher chez nous, c'est devenu une tradition, et inversement, elle va coucher chez des amis. Il n'y a pas de différence. Au niveau des amis, il n'y a pas de différence dans leur vécu. C'est que, comme n'importe quel enfant qui a quelque chose que ce soit qui est différent, il y a des défis additionnels, et l'important pour les parents, c'est de les préparer à ces défis-là.

Mes enfants, je les ai prévenues tout de suite que ce n'est pas tout le monde qui sont d'accord avec l'homosexualité, d'abord et avant tout, et il y en a qui peuvent dire des choses qui sont blessantes. Mais, bon, de les ramener à elles, puis à leur équilibre, puis à l'amour qu'elles voient entre ma conjointe et moi, et à l'amour que nous avons comme famille aussi, c'est ça qui est vraiment primordial dans tout ça. Et ça donne des petites filles qui sont bien équilibrées, heureuses et en santé, et dont je suis très fière.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Dubuc, du témoignage que vous apportez à cette commission.

Je suspendrai nos travaux pour trois minutes et, pendant la période de suspension, je demanderai à Mme Labelle de bien vouloir s'approcher, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 11 h 14)

 

(Reprise à 11 h 28)

Le Président (M. Gautrin): Alors, nous reprenons nos travaux avec le plaisir d'entendre Mme Labelle, qui est devant nous. Vous savez nos règles de procédure: vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire, 10 minutes seront accordées aux parlementaires ministériels pour vous poser des questions et 10 minutes, aux parlementaires de l'opposition officielle. Alors, Mme Labelle, vous avez la parole.

Mme Diane Labelle

Mme Labelle (Diane): Merci beaucoup. J'aimerais vous remercier de m'avoir invitée ici pour témoigner ce matin. J'aimerais aussi vous souligner que je suis un peu nerveuse, étant donné que c'est la première fois. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Soyez bien à l'aise, il n'y a rien d'extraordinaire ici.

Des voix: ...

n(11 h 30)n

Mme Labelle (Diane): Merci beaucoup. Alors, je m'appelle Diane Labelle. Depuis 12 ans, moi et ma compagne Suzy, nous formons un couple. Nous avons ensemble deux enfants, un âgé de cinq ans et une petite fille de trois ans. Les enfants sont le résultat d'un projet commun d'établir une famille et ont été conçus par le biais de l'insémination artificielle.

Pour nous, c'est très important, ce projet de loi sur l'union civile, afin que notre union et notre famille soient légitimées devant la société. Mais il est encore plus important que ce projet de loi inclue les mêmes droits parentaux pour nos couples, les couples de même sexe, que pour les couples de sexe différent, pour inclure le droit à la filiation afin d'assurer le bien-être affectif, social, économique et légal de nos enfants. C'est très important aussi que ce soit modifié afin d'assurer que nos enfants bénéficient des mêmes droits et reconnaissance que tout autre enfant né ici, au Québec. Ils ont le droit à la même reconnaissance et au même respect de la part de tous les intervenants dans leur vie, que ce soit à l'école ou en cas de traitement médical ou devant le tribunal en cas de décès d'un des parents. Actuellement, seule Suzy, qui est la mère biologique, est reconnue comme parent et jouit des droits parentaux. Si elle meurt ou se trouve dans l'incapacité de prendre des décisions à l'égard de nos enfants, ces derniers risquent de perdre leur deuxième parent en même temps, puisque mes obligations et mes droits ne sont pas reconnus.

Au début, lorsqu'on avait envisagé notre projet de famille, nous avions décidé que ce serait moi qui porterais les enfants. Après trois ans d'essais et trois fausses couches, nous avons dû accepter que je ne donnerais pas naissance à nos enfants, et notre rêve d'avoir une famille était en danger de se dissoudre. En plus, le coût sur le plan affectif et économique avait commencé à nuire à notre vie de couple. Mais, puisque nous ne sommes pas un couple légitime dans la société, nous n'avions pas accès aux cliniques de fertilité, ni accès aux services de support pour les couples qui éprouvent des difficultés à avoir des enfants. Suzy, qui s'était préparée durant ce temps à devenir parent, avait décidé de tenter l'insémination. Et voilà qu'en septembre 1996 elle a donné naissance à notre fils, Jamie, et deux plus tard à notre fille, Sage.

Dès la naissance de Jamie, nous avons eu à confronter les effets du manque de la reconnaissance légitime des couples de même sexe. Lorsque j'ai entrepris la tâche d'inscrire la naissance de notre fils au registre provincial, on a refusé de me reconnaître comme parent et même refusé de donner à notre fils le nom qu'on lui avait choisi. De plus, lorsque je me suis absentée de mon travail, on m'a refusé un congé parental, puisque je n'ai pas de lien biologique à mon enfant. Cette décision, pour moi, a été très choquante, puisqu'on n'oblige pas un homme à faire preuve de la filiation biologique lorsque la femme avec qui il cohabite accouche. Mais, parce que je suis une femme et que les couples de même sexe ne sont pas perçus sur le même pied que les couples de sexe différent, on m'a refusé un congé parental.

Le fait que Suzy avait porté les enfants ne voulait pas dire qu'elle envisageait être la mère à la maison à temps plein. En effet, avant la naissance de nos enfants, nous avions changé nos horaires de travail afin d'assurer que l'une de nous deux soit toujours à la maison avec les enfants. Elle est psychologue en bureau privé et, lorsqu'elle est en entrevue, elle n'est pas disponible. Ceci peut engendrer beaucoup de problèmes. Un fait qui est devenu une réalité lorsque Jamie est devenu malade et on a dû l'accompagner à l'hôpital. Suzy a pris la peine d'expliquer au médecin la réalité de notre famille et de demander qu'on inscrive dans le dossier de notre fils que j'étais aussi la mère et que je pouvais prendre des décisions à son égard. L'administration de l'hôpital a refusé carrément de le faire en disant que je n'avais aucun droit parental, et, sans avoir un document juridique, ils ne le feraient pas.

Ce refus nous a obligées d'embaucher un avocat dans le but que j'obtienne la garde partagée de notre fils. Ce fut accordé au mois de janvier 1997. Ce document me donne droit de prendre part à sa vie et fixe mes responsabilités envers cet enfant, mais seulement pour une période fixe, soit la vie de Suzy. Si elle meurt, je risque de perdre la garde de mon fils. Étant donné cette limitation importante, on avait décidé de ne pas entreprendre une démarche semblable pour la garde de Sage. Mais voici que, pour Sage, la situation est encore plus dangereuse, puisqu'elle souffre d'asthme sévère et a souvent besoin d'une intervention médicale. À cause de sa profession et son absence, c'est à moi qu'incombe la responsabilité d'accompagner les enfants chez le médecin ou à l'hôpital. Par chance, nous avons trouvé un pédiatre qui est très sympathique et ne questionne pas mon rôle parental.

Mais, lorsqu'on se présente à l'hôpital, c'est une situation très différente. Pour Sage, j'ai choisi de ne pas révéler mon identité et de laisser les intervenants présumer que je suis la mère biologique. En effet, je les laisse croire que je suis Suzy, mais ce mensonge, même par omission, engendre beaucoup d'anxiété de ma part à cause de la crainte que ma vraie réalité soit révélée et qu'on refuse de donner à ma fille les services nécessaires. Puisque je n'ai aucune reconnaissance parentale légitime, on m'oblige à mentir afin d'assurer son bien-être.

La naissance de mon fils m'a obligée à faire une sortie complète du placard à l'école, et j'ai parlé ouvertement de ma famille et de la naissance de Jamie. J'enseigne dans une école primaire qui a gardé son statut catholique après l'abolition des écoles confessionnelles, et on craignait une réaction adverse de la part des parents. Ce ne fut pas le cas. Au contraire, les parents m'ont saluée pour mon courage et mon honnêteté et ont envoyé des cadeaux à mon fils. Les élèves ont réagi de la même façon. En outre, le fait que je me suis déclarée ouvertement nous a donné une chance d'étudier en classe les origines de la discrimination et d'entreprendre un projet portant sur ce malaise qui existe dans notre société. Pour une famille, je suis devenue une personne-ressource lorsqu'on a dû affronter les fantasmes suicidaires de leur fils à cause de la difficulté d'assumer son orientation sexuelle. Pour une autre famille, leur amitié pour moi les a obligés à réviser leurs idéaux homophobes et à se documenter sur l'homosexualité et les familles homoparentales, ce qui les a rassurés contrairement à ce produit d'ignorance, et cela dans un milieu très catholique et avec des enfants du primaire.

L'ouverture qui existe à mon école n'est pas la même ailleurs. Une de mes amies, une mère lesbienne, me parle de ses enfants qui ont peur de parler ouvertement de la composition de leur famille à l'école sous crainte qu'ils soient harcelés par les autres enfants. Une autre raconte que sa jeune fille évite de raconter les activités familiales dans la classe comme le font tous les autres enfants de la première année. Ces enfants ne se sentent pas dans un environnement sécuritaire qui leur permet de parler ouvertement de leur réalité, un fait renforcé par le silence des enseignants concernant l'homosexualité et par l'intolérance des paroles et des gestes homophobes dans la cour d'école. Une mère non biologique qui n'a aucun droit parental se détache de la vie scolaire de ses enfants. Une autre laisse les intervenants présumer qu'elle est une amie de la famille. Les enfants de leur côté souffrent de l'absence du deuxième parent et apprennent, à un très jeune âge, que les droits et libertés de la société ne s'appliquent pas également à chaque personne qui vit ici, au Québec, que l'égalité est un principe à géométrie variable, selon que l'on appartient à un type de famille ou à un autre.

Voici que ce manque de reconnaissance et de droits parentaux me cause encore plus d'anxiété lorsque je veux visiter ma mère qui habite au Vermont. Quand Suzy est avec nous, elle nous accompagne, nous n'avons rien à craindre; mais lorsque je suis seule, le portrait est très différent. Je crains qu'on va me mettre en arrestation parce que je ne peux pas démontrer, je n'ai aucune preuve de filiation à ma fille. Pour mon fils, c'est un peu différent, à cause de la garde partagée. Est-ce qu'on va m'enlever mon enfant un de ces jours? Est-ce qu'on va me prévenir d'aller visiter ma mère, parce que je suis... Dans un sens, je kidnappe mon enfant parce que je n'ai aucun droit parental. J'attends aussi le jour où mes enfants vont me demander pourquoi je prétends être Suzy dans certaines situations. D'un côté, je veux leur montrer qu'il y a tort à compter des mensonges, mais comment leur expliquer que, de temps en temps, je dois le faire pour les protéger? J'espère que les lois vont changer avant que cette journée arrive. En bref, j'aimerais bien que le gouvernement du Québec modifie cet avant-projet de loi sur l'union civile afin que l'union des personnes de même sexe soit digne de même reconnaissance et respect qu'on accorde aux unions de sexe différent, mariage et couples de droit coutumier.

Par conséquent, je formule les recommandations suivantes:

Je recommande que le gouvernement redéfinisse l'union civile pour qu'elle soit équivalente au mariage ou aux couples de droit coutumier dans les autres provinces;

Je recommande que ce choix d'union civile tel que défini dans le projet de loi soit offert à chaque Québécois et Québécoise ayant atteint l'âge de la majorité;

Je recommande que l'avant-projet de loi inclue les droits parentaux tels qu'ils sont définis pour les couples de sexe différent, afin de donner la reconnaissance légitime aux deux parents des enfants nés ou adoptés dans le cadre d'un couple de même sexe; Je recommande que les couples de même sexe aient le droit d'adopter conjointement un enfant comme les couples de sexe différent;

Je recommande que l'acte de la naissance soit modifié afin de permettre l'enregistrement des deux parents lorsque l'enfant est né du projet commun d'un couple de même sexe par biais d'insémination artificielle en l'absence d'un deuxième parent biologique reconnu;

Je recommande que l'avant-projet de loi inclue les droits à la filiation des deux parents, biologique et non biologique, pour les enfants nés ou adoptés dans le cadre de l'union d'un couple de même sexe, afin qu'on évite d'amplifier inutilement le traumatisme des enfants dans l'éventualité du décès d'un parent biologique et afin d'assurer leurs droits juridiques dans le cas du décès du parent non biologique;

Je recommande aussi que le gouvernement du Québec prenne au sérieux sa responsabilité de protéger les enfants de familles homoparentales en donnant un statut légitime à leurs familles, en reconnaissant les deux parents, peu importe leur orientation sexuelle, et en mettant fin à la discrimination systémique des personnes homosexuelles par rapport aux droits juridiques, sociaux et économiques de membres de leurs familles.

n(11 h 40)n

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Labelle. Et, pour commencer l'échange, je donnerais la parole au ministre de la Justice.

M. Bégin: Bonjour, Mme Labelle. Merci de votre témoignage. Deux questions qui résultent de votre vie. Vous avez parlé particulièrement de l'enregistrement de l'enfant au registre de l'état civil; et, deuxièmement, je vais vous parler de l'adoption.

Vous mentionnez dans votre mémoire que ça a été vraiment difficile, on a refusé le nom. Quel est le nom qu'on vous a refusé d'inscrire au registre?

Le Président (M. Gautrin): Mme Labelle.

Mme Labelle (Diane): On voulait donner à notre fils un nom de famille, Labelle-Goodleaf. Malheureusement, il n'a pas le droit de porter mon nom dans son nom de famille. On a dû ajouter mon nom de famille à son prénom.

M. Bégin: Alors, son prénom et son nom sont maintenant?

Mme Labelle (Diane): Présentement, il s'appelle Jamie-Labelle Goodleaf.

M. Bégin: Ah! O.K. Et ça, vraiment vous avez tout fait les démarches pour essayer d'avoir un enregistrement comme tel?

Mme Labelle (Diane): Oui.

M. Bégin: Il n'en a pas été question, pas de possibilité, d'aucune manière?

Mme Labelle (Diane): Pas de question parce qu'on ne reconnaît pas deux mères. Et, étant donné que je n'ai aucun lien à l'enfant, on refuse d'ajouter mon nom à son nom de famille.

M. Bégin: Deuxième chose, est-ce que vous avez entrepris, à un moment ou l'autre, des procédures d'adoption d'un ou des deux enfants?

Mme Labelle (Diane): On a espéré ne pas passer par là parce qu'on nous a dit que c'était très difficile et on attendait aussi de voir si les lois étaient pour changer. Ce qu'on avait fait au début, c'est qu'on avait entrepris la garde partagée qui nous a coûté beaucoup de sous. Pour entreprendre une démarche telle que ça, ça demande non seulement beaucoup de sous mais beaucoup de courage. Étant donné aussi que, avant la naissance de mon fils, je devais poursuivre un employeur qui m'avait congédiée à cause de mon orientation sexuelle, ça faisait une autre démarche légale. Alors, à ce point-là, on était très fatiguées.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Vous avez mentionné qu'on vous avait refusé un congé parental. Est-ce que c'est connu publiquement dans votre milieu? Êtes-vous sortie du placard, comme on dit?

Mme Labelle (Diane): Ah oui! C'est certain que je suis très reconnue. Je ne cachais pas mon identité avant la naissance de mon fils, ni à la naissance de mon fils. Lorsque j'ai fait une sortie du placard, c'était avec les élèves; statut complet, avec les parents et les élèves. J'ai fait plusieurs démarches auprès de la commission scolaire lors de la naissance de mon fils pour avoir accès à un congé parental. On a refusé, disant que ça ne faisait pas partie de la loi. Alors, on n'était pas reconnues.

Lorsque ma fille, Sage, est née deux ans après, j'ai entrepris d'autres démarches pour avoir un congé parental et, cette fois-ci, on m'a donné un congé, mais ce n'était pas identifié comme étant un congé parental.

M. Bégin: Hier, des gens de la CSN, je crois, sont venus. Ils nous ont dit que depuis longtemps, dans les conventions collectives, ils prévoyaient les mêmes règles pour les homosexuels. Est-ce que, dans la convention collective qui vous régit, on avait une disposition semblable ou si c'était absent?

Mme Labelle (Diane): Avec la naissance de mon fils, non. Je sais que présentement ça se fait aujourd'hui dans notre commission scolaire, mais ça a changé tout récemment.

M. Bégin: Tout récemment.

Mme Labelle (Diane): À cause des démarches de certains individus qui ont...

M. Bégin: Est-ce que c'est la loi de 1999, pensez-vous?

Mme Labelle (Diane): Oui, c'est ça, ma fille est née en 1998. Alors, par après, on a changé la loi.

M. Bégin: Ah! Merci.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci. Je voudrais être sûr d'avoir bien compris. Le fait d'être un parent d'un enfant donc né par procréation médicalement assistée ne vous autorise pas à être inscrite au registre civil. C'est ça?

Mme Labelle (Diane): C'est ça. On l'a fait. On l'a fait à l'hôpital, lorsque j'ai inscrit mon fils, nous avons ajouté mon nom comme étant le deuxième parent. On a refusé de l'inscrire. On a envoyé un nouveau document avec les explications disant qu'il fallait l'inscrire d'une autre... refaire le formulaire et le renvoyer.

M. Boulianne: Vous avez parlé, dans votre exposé, vous avez semblé faire une distinction entre le fils et la fille. À un moment donné, vous avez dit: C'est plus facile parce que j'ai la garde partagée.

Mme Labelle (Diane): C'est ça.

M. Boulianne: Soit du fils ou de la fille, je ne me souviens plus.

Mme Labelle (Diane): De mon fils, oui.

M. Boulianne: Oui. Alors, qu'est-ce que ça donne comme avantage? Puis pourquoi, les deux, vous n'avez pas la garde partagée?

Mme Labelle (Diane): Alors, ce qui est arrivé, c'est que, lorsqu'on a refusé de me reconnaître à l'hôpital, on prévoyait un problème, parce que c'est moi qui est avec les enfants une grande partie du temps. On voulait éviter ce problème. Alors, on a consulté plusieurs avocats. Donc, on nous a expliqué que je ne pouvais pas faire l'adoption. Il n'y avait aucun autre choix. Alors, ils nous avaient suggéré de faire une demande pour la garde partagée afin d'assurer que je pourrais prendre des décisions à son égard si jamais il était malade.

Ce qu'on a réalisé par après, c'était que c'était très limité. Que ça donnait peut-être... Pendant la vie de Suzy, ça me donnait le droit de répondre pour mon fils, mais ceci pourrait être enlevé en n'importe quel temps si elle décidait de changer d'avis. Alors, ce n'était pas comme si j'étais un parent. Alors si, par chance, on se séparait et qu'elle décidait qu'elle ne voulait pas que j'aie la garde, ça pourrait changer. De plus, ce qui arrivait, c'est que, pour ma fille, on avait décidé que ça ne valait pas la peine de prendre une démarche si chère aussi, parce que ça donnait très peu de pouvoir dans la vie de Sage... de dire dans sa vie.

M. Boulianne: Donc, c'était surtout ponctuel, pour une question de santé pour un des enfants.

Mme Labelle (Diane): Ça nous inquiétait à ce point-là. Oui. Et, pour notre fille, c'est inquiétant. Parce que, sans la garde partagée, même sans les droits parentaux qu'on espère avoir pour elle, puisqu'elle a un problème d'asthme, ça devient assez inquiétant.

M. Boulianne: Merci. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que, parmi nos collègues ministériels, il y a quelqu'un d'autre qui veut une question? M. le député de Maskinongé.

M. Désilets: Oui. À la toute fin de votre présentation tantôt, vous avez parlé des enfants issus de familles monoparentales, protéger leurs droits. À quoi vous faites référence un peu?

Mme Labelle (Diane): Bien, les enfants de familles homoparentales?

M. Désilets: Monoparentales. Vous n'avez pas glissé un mot là-dessus tantôt?

Mme Labelle (Diane): Je n'ai pas mentionné «monoparentales», c'est «homoparentales». Je parle des enfants qui sont nés dans le cadre d'une relation de couple «the same sex», de même sexe.

M. Désilets: O.K. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Merci, M. le député de Maskinongé. Alors, au nom de l'opposition officielle, Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Labelle, bienvenue. Mme Labelle, vous êtes enseignante dans une école primaire qui a gardé un statut catholique. Dans votre mémoire, vous dites que la naissance de votre fils vous a obligée à faire une sortie complète du placard et vous dites: «L'ouverture qui existe dans mon école n'est pas la règle ailleurs.» Alors, est-ce que c'est une constante? Et, en regard du fait que cette ouverture n'existe pas partout, en votre qualité d'enseignante, croyez-vous qu'il y ait quelque chose à faire? Et, si oui, qui devrait le faire?

Le Président (M. Gautrin): Mme Labelle.

Mme Labelle (Diane): C'est certain qu'il y a beaucoup de choses à faire dans les écoles. Présentement, c'est le fait qu'on ne parle pas du tout de l'homosexualité, que les familles ont changé beaucoup dans les dernières 20 années, et on utilise toujours le même modèle de famille. Alors, le matériel qui est utilisé dans nos classes, dans les faits, ça présente maman, papa et les enfants. Pour les familles monoparentales, disons que c'est différent, ces enfants-là ne sont pas inclus dans le matériel qu'on utilise pour enseigner dans les classes; de même pour les enfants qui sont nés ou qui vivent la réalité d'une famille homoparentale. Aussi, le fait qu'on n'en parle pas directement ou qu'il n'y a pas d'exemples dans le matériel qu'on inclut, alors qu'on utilise dans la classe, leur donne le message qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec leur famille.

Ce qui manque beaucoup, c'est l'implication du ministère de l'Éducation. Disons qu'il y a certains ministères qui se sont impliqués dans des projets pour combattre l'homophobie dans les écoles. Mais, malheureusement, le ministère de l'Éducation n'a rien fait, à ma connaissance. Il ne se prononce pas clairement sur le fait que l'homophobie devrait être quelque chose à lutter contre dans nos écoles.

En plus, on devrait obliger des programmes de sensibilisation pour tous les intervenants qui sont dans les écoles, que ce soient les enseignants, les travailleurs sociaux, les psychologues, tout intervenant dans les écoles. Présentement, ce qui arrive, c'est que ces programmes de sensibilisation, c'est sur demande seulement. Il faut passer par l'administration, et souvent, c'est là où ça bloque. L'administration craint toujours la réaction adverse des parents. Ma réalité était que les parents... Ce qu'on craignait comme réaction des parents n'était pas la réalité. En effet, ils ont eu la chance d'avoir quelqu'un pour parler de l'homosexualité dans les écoles, ou des familles homoparentales, quelqu'un qui connaissait le domaine plutôt que d'entreprendre une discussion à la maison. Ils ne savaient pas comment s'y prendre à la maison pour en parler à leurs enfants. C'est très présent dans les médias. On voit ça à la télé souvent. Malheureusement, comment parler aux enfants d'un sujet sur lequel on connaît très peu? Alors, c'est à l'école que ça devrait se faire.

n(11 h 50)n

Nous parlons de racisme, nous parlons de discrimination, nous ne tolérons pas les actes ou des gestes et paroles racistes dans les écoles, mais on ne voit pas l'homosexualité ou... les actes et les paroles homophobes comme étant sur le même pied que le racisme. Nous sommes une minorité invisible, alors on assume, comme Mme Dubuc l'a dit tantôt, que toute personne et tout enfant dans la classe vient d'une famille hétérosexuelle, ce qui n'est pas la réalité.

J'avais mentionné dans le mémoire qu'on peut compter presque à peu près 120 000 enfants qui vivent une réalité de famille homoparentale ici, au Québec. C'est 120 000 enfants qu'on néglige dans nos écoles. Et c'est des petites choses qu'on peut faire. D'en parler ouvertement, c'est la première étape; deuxièmement, de demander aux enseignants qu'ils soient formés afin d'être capables de bien répondre lorsqu'ils sont confrontés avec ces gestes ou ces paroles homophobes, d'expliquer aux enfants pourquoi on ne devrait pas identifier ces individus et les harceler ou leur causer des problèmes. Moi, ça m'inquiète lorsque... Présentement, mes enfants sont dans un milieu assez protégé, mais ça m'inquiète, l'année prochaine, lorsque mon fils est dans une école publique et puis qu'il sort dehors pour la récréation et il entend des mots comme: Tu es fif ou tapette ou... Alors, comment lui expliquer ou lui montrer comment se protéger dans cet environnement?

Le Président (M. Gautrin): Merci, Mme Labelle. Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Merci beaucoup, Mme Labelle. Dans votre mémoire, vous dites également, vous évoquez le silence des enseignants concernant l'homosexualité et la tolérance des paroles et des gestes homophobes dans la cour d'école. Décrivez-nous ce qui se passe et comment est-ce que les enseignants... Vous dites, vous parlez de silence, donc ils n'interviennent pas?

Mme Labelle (Diane): Ils n'ont pas les moyens pour intervenir, ils ne savent pas comment intervenir. Alors, c'est ça, la formation manque. La sensibilisation manque de leur part aussi, mais c'est la formation qui manque. Alors, on a mis beaucoup d'efforts dans nos écoles pour nous montrer comment résoudre des problèmes, montrer, enseigner aux enfants comment résoudre des problèmes, comment se parler, comment bien communiquer. Quand c'est arrivé où on devait vraiment confronter l'idée de la discrimination ou toute discrimination et toute forme de racisme dans nos écoles, on a pris la peine de ne pas seulement sensibiliser les enseignants, mais de les former afin de leur donner les moyens, les outils nécessaires pour confronter ce problème. Malheureusement, ce n'est pas la même chose avec l'homophobie. Ils ont peur, ils ont aussi peur, les enseignants, d'être identifiés. Alors, s'ils se présentent, si on croit qu'ils sont sympathiques à la cause des gens, des couples de même sexe ou des homosexuels, peut-être qu'on va présumer qu'ils sont aussi d'une orientation sexuelle différente. Alors, il y a plusieurs enseignants qui sont silencieux sur le sujet à cause de ça.

Je sais très bien que les enseignantes et les enseignants qui sont homosexuels ou ont une orientation sexuelle différente ont la tendance d'être très silencieux parce qu'on a peur que, lorsqu'on intervient, lorsqu'on s'implique, on veut promouvoir une cause ou quelque chose. Même pour moi, c'est la réalité; lorsque je suis de garde à l'extérieur, de surveillance à l'extérieur dans la cour d'école et qu'il y a une situation qui se présente, il faut toujours que je respire et que je me dise: O.K., qu'est-ce que je fais, là? Est-ce que je vais intervenir avec les enfants et de quelle façon? Et souvent, ce qui arrive, c'est que je fais une intervention et, par après, me présente au bureau pour expliquer à l'administration ce que j'ai fait exactement, au cas où ça peut me causer des problèmes.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Labelle. Vous avez épuisé votre temps, Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Ah!

Le Président (M. Gautrin): Vous avez encore une dernière question? Alors, vous voyez, pas de problème. Allez-y, voyons! On est assez souple.

Mme Lamquin-Éthier: Vous avez, je crois, parlé tantôt d'un congédiement en raison de votre homosexualité. Avez-vous été obligée d'aller à la Cour? Ah! oui?

Mme Labelle (Diane): Oui. Ça a pris longtemps et, malheureusement, c'était le problème, c'était la cause principale. Encore dans le milieu scolaire parce qu'on craint toujours que les homosexuels sont des abuseurs d'enfants. Et, en plus, étant donné que j'avais pris un congé... Parce qu'on avait perdu beaucoup d'individus qui étaient près de nous ? 12 individus en 10 mois à cause du sida ? ça a été très difficile de continuer de travailler, parce que j'avais pris un congé de quelques semaines. Lorsque le médecin a rapporté que c'était à cause du décès de plusieurs individus par rapport au sida, on a eu peur. On a eu peur que je porte le sida, mais c'est l'ignorance. Alors, c'est une ignorance générale qui est là en termes de notre vie, notre réalité.

Le Président (M. Gautrin): Merci, Mme la députée de Bourassa. Je pensais que vous aviez encore une... Merci. Alors, Mme Labelle, je tiens à vous remercier de votre témoignage, au nom de la commission.

Et je demanderais maintenant à Mme Greenbaum de vouloir s'approcher. On a convenu d'inverser l'ordre entre Mme Barratt et Mme Greenbaum, avec l'accord des deux témoins. Il faut laisser de la place à Mme Greenbaum. Alors, Mme Greenbaum, je vous souhaite la bienvenue. Est-ce que vous voulez témoigner en français ou en anglais?

Mme Greenbaum (Mona): En français. Ça peut être un peu lent.

Le Président (M. Gautrin): En français, il n'y a pas de problème. Vous avez compris qu'il y a 20 minutes qui vous est alloué, et il y aura... Non, il y a 10 minutes qui vous est alloué, 10 minutes qui sera accordé aux parlementaires ministériels pour vous poser des questions et 10 minutes aux parlementaires de l'opposition pour vous poser des questions. Alors, vous avez la parole. Est-ce que vous auriez l'amabilité de nous présenter la personne qui vous accompagne aussi?

Mmes Mona Greenbaum et Nicole Paquette

Mme Greenbaum (Mona): Oui, c'est ma conjointe, Nicole Paquette. Je tiens à remercier les membres de la commission pour m'avoir invitée à présenter mon mémoire. Nicole et moi, nous sommes les mères lesbiennes de deux garçons d'âge préscolaire. Comme cela fait 13 ans que nous vivons en couple, l'avant-projet de loi sur l'union civile est spécialement important pour nous. Nous sommes heureuses que le gouvernement pense à reconnaître davantage les couples gais et lesbiens. Il est important pour nous que notre relation soit reconnue de façon publique. L'avant-projet de loi serait un progrès important aux yeux des gais et des lesbiennes parce qu'il leur accorderait des responsabilités et des droits légaux ainsi qu'une reconnaissance sociale. Nos couples seront valorisés au Québec.

Il est vital que nos couples soient reconnus par la loi et protégés dans l'éventualité de rupture, de maladie ou de décès. Toutefois, nous sommes très préoccupées par le fait que l'avant-projet de loi ne prévoit pas de droits pour nos enfants. Nicole et moi avons pensé avoir des enfants pendant plusieurs années avant de passer à l'action. Nos deux fils ont été conçus par insémination artificielle, par le biais d'une banque de sperme. Pour plusieurs raisons personnelles, nous avions décidé que ce serait moi qui porterais les bébés, mais il reste que Nicole a été entièrement impliquée et engagée dans le projet parental depuis le début. Elle m'a aidée pendant le travail et l'accouchement de nos deux garçons et elle s'est levée la nuit pendant l'allaitement et pour les changements de couches. Maintenant que nos garçons parlent, ils m'appellent «mummy» et Nicole «maman». Elle est leur mère dans tous les sens du mot: elle leur donne de l'amour et de l'affection, elle les appuie psychologiquement, émotionnellement et financièrement et elle participe à chaque décision qui doit être prise au sujet de leur éducation. Leur amour pour elle est évident.

Alors que j'étais enceinte de notre premier enfant, Nicole et moi avons consulté un avocat parce que c'était important pour nous qu'elle ait les mêmes responsabilités et droits légaux envers le nouveau bébé que moi en tant que mère biologique. Quand notre premier enfant est né, nous avons appris que nous ne pouvions pas inscrire nos deux noms sur son acte de naissance, et ce, même si le donneur de sperme était anonyme. Si nous avions pu inscrire nos deux noms sur l'acte de naissance, Nicole aurait eu automatiquement les mêmes droits et obligations envers son enfant. Au début, notre avocat nous a dit que Nicole pouvait simplement adopter son fils en vertu de la loi. Lors d'une deuxième réunion, notre avocat nous a suggéré que nous aurions plus de chance de succès en demandant simplement une délégation d'autorité parentale. Nous savions que cela serait important dans la vie quotidienne pour les décisions médicales, pour l'école, pour voyager avec notre fils.

n(12 heures)n

Léo est né en 1998. Nous sommes allées en cour quelques mois plus tard. Notre cause a été rejetée. Le juge, dans sa décision, mentionne qu'une délégation d'autorité parentale est accordée habituellement pour une courte période lorsque le parent biologique est, pour une raison ou une autre, incapable d'agir en tant que parent. Quand notre cause a été en appel, les trois juges de la Cour supérieure d'appel l'ont aussi rejetée. Dans leurs conclusions, les juges ont suggéré que Nicole devrait tenter d'adopter, puisqu'il y avait déjà des précédents dans d'autres provinces canadiennes. Mais cela n'avait jamais été fait au Québec auparavant.

Depuis, nous avons entrepris des procédures avec un autre avocat et nous demandons le droit à l'adoption de nos deux fils par Nicole. En effet, Simon, notre deuxième fils, est né en janvier 2000. Une psychologue a fait une évaluation psychosociale de notre famille. Le rapport a été extrêmement positif. Quand nous sommes allées en cour en septembre 2001, la juge nous a dit qu'elle avait étudié les documents de près et qu'elle jugeait nécessaire que le Procureur général du Québec et la Direction de la protection de la jeunesse soient impliqués dans notre cause. Effectivement, il s'agit d'une question plus large de société qui dépasse largement notre histoire personnelle. Nous croyons que le gouvernement québécois et l'Assemblée nationale devraient prendre avantage de l'union civile pour régler cette question qui affecte de nombreuses familles.

Depuis notre première requête pour assurer à nos enfants deux parents légaux, nous avons appris que plusieurs autres provinces accordent déjà de tels droits. La Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse reconnaissent les deux parents dans les couples gais et lesbiennes. En Colombie-Britannique, les deux mères peuvent enregistrer leurs noms sur l'acte de naissance au moment de la naissance de l'enfant, ce qui leur donne instantanément tous les droits parentaux. Il n'y a pas lieu de passer par le système judiciaire pour adopter son propre enfant. Mais, à la place, ici, au Québec, Nicole doit être évaluée par la DPJ, subir un examen médical et fournir des lettres de référence et ses derniers états financiers pour adopter les enfants avec qui elle vit depuis leur naissance. Je trouve tout cela humiliant. Une loi permettant à deux mères d'inscrire leur nom sur l'acte de naissance, comme en Colombie-Britannique, nous aurait évité toutes ces démarches.

Depuis l'adoption de la loi n° 32 en 1999, nous déclarons notre statut de conjoints de fait. Nous pensions que nous serions finalement reconnues pour ce que nous sommes: un couple avec des enfants, une famille. Nous avons rempli notre première déclaration de revenus en tant que couple en avril 2000. J'ai perdu ma déduction de mère monoparentale, ce qui est normal, puisque nous formons un couple. Vers le milieu de l'été, nous avons reçu une lettre annonçant que notre allocation familiale sera réduite parce que nos deux revenus seront considérés. Tout cela est normal, puisque nous sommes une famille.

Alors, comment se fait-il que Nicole n'ait toujours pas plus de droits que notre voisin lorsque vient le temps de prendre des décisions au sujet de nos enfants? Si un de nos enfants a une crise d'asthme et nécessite une intervention médicale, elle ne peut pas l'accompagner seule à l'hôpital, puisque, légalement, elle n'est pas un membre de la famille et ne peut pas prendre de décisions. Comment se fait-il que Nicole serait à la merci de la décision d'un juge s'il devait y avoir un procès pour la garde ou des droits de visite? Comment se fait-il qu'elle n'est pas considérée comme un membre de la famille lorsqu'il est question de droits et de responsabilités, mais qu'elle l'est lorsque vient le temps de payer les impôts?

Une des responsabilités données aux couples gais et lesbiennes par l'avant-projet de loi est celle de fournir un appui financier en cas de rupture. Encore une fois, la législation proposée ne reconnaît pas l'existence de nos enfants. Les parents non biologiques devraient avoir la responsabilité de fournir de l'aide financière à leurs enfants dans le cas d'une rupture familiale. Ils devraient aussi être assurés d'un droit d'accès à leurs enfants, comme des droits de visite. L'avant-projet de loi ne protège pas nos enfants en cas de rupture du couple.

J'ai découvert récemment que je porte un gène muté qui peut potentiellement affecter ma longévité. Si je mourais, mes fils auraient une mère qui n'est pas reconnue par la loi. Nos grands-parents, oncles, tantes et cousins du côté de Nicole n'ont aucune reconnaissance légale. Il est injuste que la moitié de leur famille ne soit pas reconnue par la législation québécoise. Selon moi, le choix du gouvernement d'exclure nos familles perpétue l'homophobie dans notre culture. J'applaudis le gouvernement pour avoir déterminé qu'un «héritage sans testament» est essentiel pour protéger nos couples. Mais cette proposition ne protège pas nos enfants. La famille de mon côté aura des droits et obligations à l'égard de nos enfants, mais leur propre mère, ma conjointe Nicole, n'en aura pas.

La société québécoise a franchi de grands pas dans la reconnaissance des couples gais et lesbiennes. Malgré cela, je suis triste à l'idée que nous devrons peut-être un jour expliquer à nos enfants que nous vivons dans une société qui tarde à appuyer et reconnaître notre famille. Cela m'attriste que notre famille n'ait pas la même valeur que les autres aux yeux de la loi. Comment le gouvernement peut-il justifier la discrimination envers nos enfants? Pourquoi mes enfants n'auraient-ils pas le droit à deux parents légaux?

Le Président (M. Gautrin): Bon, le temps file, si vous pouviez peut-être synthétiser votre pensée.

Mme Greenbaum (Mona): J'ai presque fini. Un de mes plus grands souhaits est que le gouvernement du Québec reconnaisse et appuie véritablement les gais et les lesbiennes. En appuyant nos couples mais en rejetant nos familles, le message que le gouvernement nous envoie est que Nicole et moi ne sommes pas des citoyennes égales aux autres et que nous ne sommes pas de bons parents. Le bien-être des enfants des gais et des lesbiennes a fait l'objet d'études depuis les dernières 20 années. Une revue de la littérature exhaustive mène à une seule conclusion: Nos enfants diffèrent très peu des enfants de parents hétérosexuels. L'Association américaine de pédiatrie est arrivée à la même conclusion, comme j'ai pu le lire lundi dans le journal The Gazette. Et on peut passer... on a l'étude de l'Association américaine de pédiatrie...

Le Président (M. Gautrin): Ça a été déposé à la commission hier.

Mme Greenbaum (Mona): O.K. Nos enfants se portent aussi bien que ceux des couples de sexe différent. Il n'y a aucune raison scientifique de dénier aux parents gais et lesbiennes les droits dont jouissent les parents hétérosexuels. Il est dans le meilleur intérêt des enfants que le gouvernement les reconnaisse et les appuie tant légalement que socialement.

Mes recommandations sur l'union civile sont:

1° que le gouvernement modifie l'acte de naissance pour permettre aux deux mères d'être reconnues automatiquement par la loi lorsqu'il n'y a pas de père connu, comme cela se fait déjà en Colombie-Britannique;

2° que le gouvernement du Québec inscrive les droits parentaux pour nos couples dans la loi sur l'union civile. Ainsi, les enfants appartenant à des familles gaies ou lesbiennes auraient deux parents pouvant prendre des décisions médicales, signer des documents scolaires et traverser des frontières internationales avec eux, comme cela est déjà le cas en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et en Nouvelle-Écosse;

3° que le gouvernement du Québec inscrive également la protection de nos enfants dans la loi afin qu'en cas de dissolution du couple les enfants soient assurés d'un accès continu à leurs deux parents ainsi qu'à un appui financier de ceux-ci, selon leurs capacités;

4° que le gouvernement reconnaisse légalement les parents non biologiques afin que la garde des enfants soit automatiquement accordée aux parents non biologiques si le parent biologique mourait. Ainsi, nos enfants seraient assurés d'avoir un parent légal si leurs parents biologiques mouraient;

5° que nos enfants puissent eux aussi jouir d'une double filiation. Cela assurerait le bien-être financier de nos enfants si le parent non biologique mourait avant d'avoir rédigé un testament; et

6° que le gouvernement du Québec reconnaisse légalement et socialement tous les parents gais et lesbiennes et leurs enfants.

Merci.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Tenenbaum. Je passe maintenant la parole, pour le côté ministériel, à M. le ministre de la Justice.

M. Bégin: Bonjour, Mme Greenbaum, Mme Paquette. Je vais peut-être personnellement m'abstenir de vous poser des questions compte tenu du fait que vous êtes en cour dans un dossier où je suis impliqué comme Procureur général. Ce n'est pas que je manque d'intérêt, mais, dans ce dossier particulier, je ne voudrais pas créer quelque chose qui pourrait déranger le fonctionnement normal des tribunaux. Alors, je vais m'abstenir, mais mes collègues vont certainement poser les questions que je pourrais poser moi-même.

Le Président (M. Gautrin): Je tiens à vous remercier... m'excuser, je vous ai appelée Mme Tenenbaum au lieu de Mme Greenbaum. Excusez-moi. M. le député. Non? Alors, Mme la députée de Bourassa, au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Mesdames, bonjour. Vous dites dans votre mémoire: À l'opposé d'autres provinces, la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse. Vous évoquez qu'elle ont... elles agissent différemment. Alors, on entend souvent parler ensemble de toutes ces provinces-là, mais on dit que les cinq sont très avancées. Est-ce qu'elles ont une reconnaissance qui est égale, les cinq, ou s'il y a des différences de l'une à l'autre? Et, si oui, où sont-elles, ces différences-là?

n(12 h 10)n

Mme Greenbaum (Mona): Je ne suis pas expert en ça, mais je pense qu'il y a, dans quelques provinces, une question de législation qui a été faite qui accorde aux parents homoparentaux les mêmes droits que les parents hétérosexuels. Mais, dans les autres provinces, il y a une question de jurisprudence légale. Mais je pense qu'il y a beaucoup de provinces qui viennent vers la législation, même s'il y a seulement maintenant de la jurisprudence parce que la jurisprudence n'est toujours pas aussi forte qu'une législation.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Je vous remercie. Vous dites dans le sommaire des recommandations: «Nos enfants auraient une filiation aux familles de chacun de leurs parents, le parent biologique et le parent non biologique.» Le mémoire du Barreau, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le lire, ils ont envisagé différentes situations. Et j'aimerais vous lire et peut-être pourriez-vous le commenter, s'il vous plaît. Alors, on parle bien: «L'enfant a toujours eu un père et une mère connus et inconnus, peu importe qu'il soit gardé par sa mère et sa partenaire ou son père et son partenaire. Il est possible de créer une famille par le biais de la garde et de l'autorité parentale sans pourtant créer un lien de filiation.» Qu'en pensez-vous?

Le Président (M. Gautrin): Mme Greenbaum.

Mme Greenbaum (Mona): Je pense que la filiation est aussi très, très, très importante. C'est nécessaire parce que, s'il y a un problème, c'est comme... S'il n'y a pas une filiation là, une moitié de la famille est coupée, n'a pas de droits. Et, si, comme dans toutes les familles que... les autres que j'ai rencontrées, si tout va bien, il n'y a aucun problème. Mais il y a des fois où il y a la famille biologique... n'est pas contente avec la famille non biologique et peut couper tous les liens. Donc, ça veut dire que, s'il y a un décès, l'enfant perdrait pas seulement un parent, mais aussi tout un côté d'une famille. Donc, moi, je trouve que la filiation est complètement importante dans ça. Et ça peut... L'autorité parentale n'est pas assez.

Mme Lamquin-Éthier: Pardonnez-moi, l'autorité...

Le Président (M. Gautrin): L'autorité parentale.

Mme Lamquin-Éthier: ...n'est pas assez? Ah! O.K. N'est pas suffisante.

Le Président (M. Gautrin): ...assez présente dans le projet de loi.

Mme Paquette (Nicole): Est-ce que je peux ajouter?

Le Président (M. Gautrin): Certainement. Madame, pourriez-vous identifier.

Mme Paquette (Nicole): Je suis Nicole Paquette.

Le Président (M. Gautrin): Merci.

Mme Paquette (Nicole): Je suis la conjointe de Mona Greenbaum et la mère non biologique, non reconnue de nos deux enfants. Pour moi évidemment, la filiation est très importante. Les droits parentaux sont importants dans la vie de tous les jours, mais la filiation a une valeur symbolique très importante qu'on ne peut pas négliger. Et puis aussi, pour la famille élargie, la filiation est importante. Même si, moi, j'ai des droits parentaux, ça ne donne pas de filiation aux grands-parents, parce que ces enfants-là ont quatre grands-parents: les parents de Mona, mais ils ont aussi mes parents à moi qui sont leurs grands-parents, et ils n'ont pas de filiation. Donc, ça, ça n'est pas reconnu du tout. Alors, les droits parentaux, c'est une chose qui est très importante, mais ça ne règle pas tout. Pour moi, la filiation est plus importante que les droits parentaux. La filiation comprend les droits parentaux tandis que les droits parentaux n'incluent pas la filiation. C'est deux choses différentes.

Le Président (M. Gautrin): D'autres questions? Oui. Est-ce que vous avez terminé, madame?

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Vous avez... vous dites, vous résumez, dans votre mémoire, les différentes procédures que vous avez dû prendre. Notamment, vous dites: «Quand notre cause a été en appel, les trois juges de la Cour supérieure [...] l'ont...» Vous dites: Cour supérieure d'appel. J'imagine, là, que vous parlez de la Cour d'appel? Ou vous parlez des deux paliers?

Comment ça s'est passé, les procédures, là, et en Cour supérieure et en Cour d'appel? Et, lorsque vous êtes allées en Cour d'appel, l'une de vous était requérante, et je crois que son assise légale, sa réclamation, c'était «parente psychologique».

Mme Paquette (Nicole): Oui, exactement. C'est moi qui étais la requérante, et je demandais, donc, une délégation d'autorité parentale. Et notre avocat a pensé au terme de parent psychologique, étant donné que je ne suis pas le parent biologique. Donc, il fallait trouver un terme, et c'est ce qui était la requête, là.

Mme Lamquin-Éthier: Et votre demande, le tribunal, je crois, a décidé ? puis je suis certaine qu'il était sensible ? il disait que le véhicule ou l'assise légale «parent psychologique» n'existait pas actuellement, donc il ne pouvait pas la recevoir.

Mme Paquette (Nicole): La décision est une décision intéressante de la Cour d'appel, puisque enfin, en conclusion, ils nous suggèrent d'aller directement à l'adoption en expliquant que ce qu'on demandait en fait n'était pas recevable parce que ce n'était pas une demande qui allait pour le type de famille qu'on était. Ça fait qu'on a suivi leur suggestion, d'ailleurs. On a fait une demande d'adoption.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que... Mme la députée?

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Si vous me permettez de vous citer une des conclusions, le tribunal dit également: «Le tribunal ne peut donc que constater que la requérante, n'étant ni le père ou la mère de l'enfant, ne peut exercer l'autorité parentale conjointement avec la requérante, M.G. Il ne s'agit aucunement de discrimination à cause de l'orientation sexuelle des requérants. Les mêmes principes de droit s'appliqueraient si le conjoint de fait de madame était un homme.»

J'ai, plus particulièrement à l'occasion des rencontres avec les groupes, hier, fait état de cette décision de la Cour d'appel, et plus précisément d'une conclusion ou d'une décision du tribunal, où ils disent: «Il suffit de mentionner que les textes législatifs qui traitent de l'adoption n'excluent a priori aucune personne sur la base de son orientation sexuelle.» Nous y voyons une ouverture. Nous trouvons que cela constitue un élément positif encourageant. Est-ce que vous partagez ma vision?

Le Président (M. Gautrin): Mme Paquette ou Mme Greenbaum?

Mme Paquette (Nicole): Certainement, on a trouvé ça très encourageant. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on a décidé de continuer les démarches malgré tout ce que cela représente. Donc, effectivement, on va voir là. Mais on a trouvé ça encourageant effectivement, cette conclusion-là. Faut dire qu'initialement, ce que Mona a expliqué, on voulait faire une demande d'adoption, mais on nous a conseillé autrement. On nous a dit que c'était probablement mieux de procéder différemment. C'est pour ça que la première demande était, là, cette délégation d'autorité parentale. En fait, je pense que notre avocat voulait s'assurer qu'on ait une protection légale.

Il faut toujours remonter dans le temps. La première demande, Léo n'était pas né, donc c'est en 1997. Vous savez, de 1997 à 2002, en cinq ans, il y a beaucoup de choses qui ont changé. Donc, le conseil qu'on a eu en 1997, peut-être maintenant, en 2002, serait différent. Mais, à l'époque, c'est ce qu'on nous avait recommandé, d'où cette démarche.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Merci, M. le Président. J'aimerais que vous m'aidiez à ne pas vous nuire. Alors, vous avez une cause actuellement pendante devant les tribunaux. Je voudrais m'assurer que je ne poserai pas des questions qui concernent ce sujet-là. Alors, si vous pouvez m'indiquer à quel sujet est votre cause?

Mme Paquette (Nicole): Je pense qu'on l'a un petit peu mentionné, mais on peut le répéter.

M. Paquin: Précisément.

Mme Paquette (Nicole): Finalement, je fais une demande d'adoption pour...

M. Paquin: O.K. C'est à ce sujet-là.

Mme Paquette (Nicole): Oui.

M. Paquin: Alors, on va parler d'autres choses, à ce moment-là. Moi, j'ai une préoccupation importante du côté de la procréatique, qui est l'ensemble des technologies qui sont utilisées pour faire des enfants sans que ce soit par la méthode traditionnelle, si on peut s'exprimer ainsi. Et, dans les avancées des technologies biologiques qui permettent les grossesses assistées ou d'autres technologies, ça se passe en même temps que sur le plan des sociétés, il y a des évolutions, et que sur le plan des encadrements légaux, il y a des inadéquations évidentes. Alors, de plus en plus, les sociétés avancées vont être appelées à prendre en compte ces dimensions sociales, mais aussi ces possibilités technologiques et scientifiques et faire en sorte que l'évolution soit bien encadrée dans l'ensemble de ces sujets-là.

Et, moi, une de mes préoccupations importantes est du côté du fait que, dans tout cela, on va produire des enfants et que, dans une société, je pense qu'un des intérêts fondamentaux d'une société, c'est de quelle façon les enfants vont devenir des citoyens, quels seront leurs droits, et de s'assurer que ces droits-là seront respectés, seront bien identifiés, seront les mêmes pour tous et seront bien identifiés. Il y a beaucoup d'aspects, donc, que ça questionne sur le plan scientifique, et, notamment, on a parlé beaucoup, beaucoup, de l'adoption et de la filiation, mais on n'a pas parlé beaucoup de l'ascendance. Vous avez donc des enfants qui ont été conçus à partir d'un sperme d'un donneur et qui peut être un donneur connu ou un donneur inconnu.

Du point de vue de l'enfant, la connaissance de ses racines, ça peut être de la façon dont il est éduqué, de la société à laquelle il appartient, et tout ça, mais c'est aussi son patrimoine génétique. Et, à cet égard, dans le passé on faisait la présomption de paternité, il y avait toutes sortes de pratiques, mais il reste qu'on ne connaissait pas l'importance de la filiation génétique ? c'est ce que j'appelle l'ascendance génétique ? et qu'on ne connaissait pas la portée, l'importance de ça. Or, les pratiques actuelles veulent que, quand c'est père inconnu, on pourrait, par exemple, indiquer le nom de deux personnes, peu importe le sexe, sur le certificat de naissance.

Moi, ma présomption, c'est qu'il faudrait qu'on connaisse les géniteurs, c'est-à-dire que l'enfant, au moment où il pourrait avoir un besoin en santé, par exemple, ou pour d'autres raisons, les besoins psychologiques éventuellement, puisse connaître l'identité de son géniteur, indépendamment de la volonté de celui-ci ou de celle-là de ne pas se faire connaître, et, en particulier, donc, que l'on puisse savoir très clairement la provenance du sperme, et de l'ovule dans plusieurs cas, aussi. Bon, ici, ce n'est pas permis, là, les grossesses par procuration, c'est une question de temps peut-être, en tout cas, dans des juridictions voisines. Et il est toujours possible d'aller dans d'autres États. Donc, il faut qu'on prenne en compte que ce qu'on veut au Québec, c'est des enfants qui aient les mêmes droits.

Donc, d'un point de vue, là, technique, scientifique, j'aimerais, vous qui avez sûrement réfléchi à toutes ces dimensions-là, que vous me parliez de cet aspect-là, du droit d'un enfant à pouvoir éventuellement connaître son ascendant génétique ou que les médecins puissent le connaître, et tout ça. Est-ce que vous avez fait une réflexion là-dessus?

n(12 h 20)n

Le Président (M. Gautrin): Mme Greenbaum.

Mme Greenbaum (Mona): Je pense que, nous, comme lesbiennes, nous sommes dans la même situation que les couples hétérosexuels qui utilisent les banques de sperme. Jusqu'à maintenant, la plupart des gens qui utilisent les techniques de procréation assistée ont utilisé des donneurs anonymes parce que, ça, c'était le cas au Canada. Aux États-Unis, il y avait le choix, car, nous, on a utilisé la Sperm Bank of California. Il y avait un choix là entre les donneurs connus ou inconnus. Ça veut dire que, quand l'enfant a 18 ans, il peut rencontrer son parent ? si on utilise ce mot ? génétique.

Pour nous, je pense que ça doit être un choix. C'est important, et je pense que c'est en train de changer. C'est une des recommandations au niveau fédéral dans leur nouvelle loi. Mais je pense qu'il y a beaucoup des enfants qui n'ont jamais rencontré leurs racines biologiques et ne sont quand même pas traumatisés par ça. Il y a beaucoup des enfants adoptés qui n'ont pas des grands problèmes comme ça. Si c'est une possibilité, ça peut être bien, mais je pense que ce n'est pas tout à fait nécessaire. Mais ça, c'est une question personnelle.

Pour, maintenant, ce qu'on demande comme lesbiennes, c'est juste l'accès aux cliniques de fertilité, parce que, ici, au Québec, par contraire aux autres provinces au Canada, on n'a pas, comme lesbiennes ou même hétérosexuelles célibataires, accès aux banques de sperme. Donc, pour maintenant, on veut accès à ce système que tout le monde a accès, hein? Et, quand ça arrive, on va lutter avec les hétérosexuels pour avoir des donneurs qui peuvent révéler leur identité à l'âge... à 18 ans.

M. Paquin: Croyez-vous qu'il serait sage pour l'État de rendre obligatoire que les donneurs, que ça soit des donneurs d'ovules, le cas échéant, ou des donneurs de sperme, ce qui est déjà le cas, soient connus et qu'ils ne puissent pas renoncer à... comme ça à ne pas... qu'il soit interdit d'être anonyme dans ce cas-là?

Mme Greenbaum (Mona): Au niveau théorique, je pense que c'est sage. Au niveau pratique, je ne sais pas parce que je pense que ça va diminuer beaucoup, beaucoup le nombre de donneurs. Parce que c'est une chose de dire qu'on peut protéger un donneur pour... Même s'il peut rencontrer les enfants, il n'a aucun... il peut avoir des droits qui le protègent financièrement, et toutes sortes de choses comme ça, mais émotionnellement on ne peut jamais protéger un donneur.

Donc, moi, si j'avais la chance d'être un donneur, moi, je choisis d'être anonyme parce que je trouve que c'est une grande décision de dire qu'on va rencontrer cet enfant plus tard. Mais c'est une chose qu'on ne peut pas contrôler, et ça peut être très difficile. Moi, je trouve que c'est un grand choix qu'on fait. Donc, je pense qu'il y a beaucoup d'autres qui vont penser la même chose, et, donc, le choix des donneurs va diminuer beaucoup. Moi, je trouve plutôt que c'est une bonne idée de faire le choix pour les donneurs et pour les récipients aussi que ça peut être un donneur connu ou inconnu.

M. Paquin: Est-ce que vous avez fait le choix d'un donneur connu?

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Est-ce que vous avez fait le choix d'un donneur connu ou inconnu, si ce n'est pas trop indiscret de vous poser la question?

Mme Greenbaum (Mona): Moi, je trouve que c'est une question personnelle.

M. Paquin: D'accord, je n'insiste pas.

Le Président (M. Gautrin): Moi, j'aurais une petite question à vous poser ce matin, et ça va toucher aussi la question des donneurs. Dans un témoignage de... je crois que c'était M. Gadoua, un couple homosexuel, ils sont venus dire qu'éventuellement ils envisageraient évidemment la coparentalité et éventuellement la triparentalité advenant le cas d'un donneur qui serait clairement... qui accepterait d'être identifié. Comment vous réagissez à cela?

Mme Paquette (Nicole): Pouvez-vous juste répéter la question?

Le Président (M. Gautrin): Alors, voici. C'était dans le témoignage, et je pourrais vous donner, si vous voulez...

Mme Paquette (Nicole): J'ai compris le début... c'est la question.

Le Président (M. Gautrin): ...de M. Gadoua. Ils envisageaient... Je pourrais même vous dire exactement le texte, si vous voulez, qu'ils...: «Nous souhaitons le développement d'une politique de coparentalité qui comprendrait la possibilité d'inscrire dans l'acte de naissance un troisième parent, voire un quatrième afin de pallier au vide juridique trop souvent constaté.» Et ils prenaient l'exemple à ce moment-là, donc, d'une coparentalité de couple lesbienne, mais qui voudrait aussi inscrire dans le certificat de naissance, éventuellement, le nom du donneur.

Mme Paquette (Nicole): C'est un débat très intéressant, mais, je pense, qui dépasse un peu le cadre, puis je vais expliquer pourquoi. On peut prendre, si on sort des questions d'homosexualité, hétérosexualité, si on prend les familles en général, c'est un petit peu toute l'histoire des familles reconstituées, où, bon, il y a eu un divorce, l'enfant était en bas âge, un nouveau couple s'est formé, et puis là on a un parent social qui n'est pas le parent biologique. Ça recoupe un peu ce genre de choses là, où il y a des figures parentales qui sont importantes, mais qui ne sont pas les parents biologiques.

Puis, si on regarde maintenant, avec toutes les nouvelles technologies de reproduction, il y a effectivement maintenant des parents biologiques, qui sont les géniteurs, puis il y a des parents sociaux. Ça, c'est tous des concepts sur lesquels il va certainement falloir se pencher dans l'avenir. Mais je pense que, là, on déborde un peu du sujet d'intérêt.

Nous, ce qu'on demande, ce n'est pas de modifier les choses. Je pense qu'effectivement il va falloir venir à modifier ces choses-là pour répondre à toutes ces nouvelles demandes, mais, pour l'instant, nos demandes sont beaucoup plus simples: on demande d'avoir les mêmes droits et devoirs et on demande que nos enfants aient les mêmes droits et devoirs et aient les mêmes parents et les mêmes reconnaissances parentales que tous les autres enfants au Québec. Je pense que, avant de demander de changer toute la notion de famille, on aimerait être inclus dans une famille nucléaire normale, avec deux parents, si on peut appeler ça normal. O.K.

Donc, j'ai un petit peu de... Je trouve que vous nous posez des questions très intéressantes, mais, je pense, qui dépassent un petit peu le cadre de nos compétences. Nous sommes deux mères de famille qui essaient d'élever nos enfants le mieux possible. On s'est certainement posé beaucoup de questions sur la famille parce qu'on est dans une famille atypique. On s'est posé beaucoup ces questions-là parce qu'il a fallu choisir: donneur connu, donneur inconnu, puisqu'on a procédé via une banque de spermes dans laquelle... où il y avait la possibilité de choisir, alors qu'ici au Canada c'est impossible.

n(12 h 30)n

Alors, effectivement, tout ce questionnement-là est là, mais je pense que donner des réponses claires à ça, c'est hors de notre compétence, et, pour moi, ça déborde de beaucoup nos demandes. Et je ne voudrais pas que ce soit interprété, les questions que vous nous posez puis nos réponses, comme des demandes qu'on n'a pas émises. Pour l'instant, on voudrait une reconnaissance assez simple. Et puis, dans un deuxième temps, effectivement, je pense que la société va devoir se pencher sur ce que vous avez mentionné. Mais je pense que ce que vous nous posez comme question est vraiment un petit peu au-delà de nos compétences.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie et je tiens à vous remercier de votre témoignage, Mme Greenbaum et Mme Paquette. Sur ce... Vous avez encore une question, monsieur? Est-ce qu'il reste du temps? Il vous restait une minute, mon cher ami.

M. Paquin: Bien, simplement pour vous indiquer que je ne cherche pas à piéger à l'intérieur de mes questions pour vous amener sur un terrain sur lequel vous ne voulez pas aller. Je connais la portée des demandes. Et ce pour quoi on est ici autour de cette table, c'est pour essayer d'y répondre le plus correctement possible. Cependant, nos préoccupations ne peuvent pas se limiter à ça. Il faut aussi que, en prenant les décisions qu'on prendra à cet égard-là, on n'ouvre pas une nouvelle problématique qu'on pourrait éviter en étant prudent sur certains aspects. Et, comme la question de la procréatique n'a pas été beaucoup évoquée ici, la question de l'ascendance génétique, le biologiste que je suis, et, je pense, vous êtes biochimiste, vous comprendrez que ça nous préoccupe d'en tenir compte.

Alors, je ne voulais pas vous amener sur un terrain où vous ne vouliez pas aller. Simplement pour vous dire qu'au moment de prendre des décisions à cet égard-là, et vous avez pu constater qu'elles vont se prendre d'une façon assez unanime, il faut qu'au-delà du fait qu'on est maintenant assez fixé déjà, je pense, sur un certain nombre de paramètres, sur l'intention de combler des demandes qui sont socialement tout à fait justifiées... vous comprendrez à votre tour notre préoccupation de ne pas créer des nouvelles problématiques, en particulier dans des enjeux que l'on saisit mal à ce moment-ci parce qu'il y a des nouvelles données scientifiques puis il y a des conséquences sociales non évidentes à des façons nouvelles de vivre l'humanité. Puis notre préoccupation à nous doit aller jusque-là.

Le Président (M. Gautrin): Merci.

Mme Paquette (Nicole): Excusez-moi.

Le Président (M. Gautrin): Oui, brièvement.

Mme Paquette (Nicole): Ce ne sera pas long. Mais je reviens à dire que ce qu'on demande, ce n'est pas une nouvelle problématique, on demande la reconnaissance qui est déjà donnée aux hétérosexuels qui ont recours au même type de technologie. Donc, ce n'est pas une nouvelle problématique.

Le Président (M. Gautrin): Je tiens à vous remercier, Mme Greenbaum et Mme Paquette. Et je demanderai maintenant à Mme Barratt, qui a attendu longtemps, de bien vouloir se présenter. Et, d'emblée, je vous remercie, Mme Barratt, d'avoir bien voulu accepter de permuter votre période de témoignage.

Alors, Mme Barratt, vous comprenez le cadre de nos travaux. Nous avons 30 minutes à vous consacrer, réparties en 10 minutes pour votre témoignage, 10 minutes pour les questionnements des parlementaires ministériels et 10 minutes pour les questionnements des parlementaires de l'opposition. Alors, vous avez la parole.

Mme Amy Barratt

Mme Barratt (Amy): Bonjour. Merci d'avoir accepté de m'entendre aujourd'hui sur un sujet que je tiens au coeur. Je m'appelle Amy Barratt. J'ai 36 ans. Je travaille comme journaliste à la pige et aussi comme mère au foyer pour notre belle fille Georgia, elle a quatre ans. Je vous montre ça. Elle est comme ça.

Le Président (M. Gautrin): Vous voulez en faire un dépôt à la commission?

Une voix: ...

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que vous voulez nous déposer le portrait de votre fille à la commission? Madame, si vous voulez la déposer à la commission, je suis prêt à la recevoir.

Mme Barratt (Amy): Oui? D'accord.

Document déposé

Le Président (M. Gautrin): Alors, on la dépose, et c'est un dépôt accepté.

Mme Barratt (Amy): J'ai gardé une copie pour moi-même. Ma conjointe Mary et moi formons un couple depuis sept ans. Dès le début, le désir d'avoir un enfant faisait partie de notre projet. Pour des raisons financières et personnelles, nous avons décidé que Mary porterait notre enfant. Georgia a été conçue par le biais d'un don de sperme d'un vieil ami à moi. Mary et moi avons des comptes bancaires conjoints et, l'année dernière, c'est-à-dire 2000, nous avons fait notre déclaration de revenus comme conjointes de fait. J'essaie actuellement de concevoir une petite soeur ou un petit frère pour Georgia grâce au même donneur.

Actuellement, au Québec, notre couple est reconnu sous plusieurs aspects comme l'équivalent d'un couple de conjoints de fait de même sexe. Mais mon enfant vit encore dans un vide juridique. Ma famille, tout comme plusieurs autres, a besoin que le gouvernement inclue dans l'union civile, d'une part, la filiation et, d'autre part, l'autorité parentale. En tant que parent biologique, ma conjointe a des droits et responsabilités envers notre enfant. N'étant, pour ma part, pas liée biologiquement à notre enfant, je n'ai donc ni droit ni responsabilité envers elle. Si je quittais cette famille demain matin, je n'aurais aucune obligation de payer une pension alimentaire pour mon enfant ni de maintenir un contact avec celle qui me considère depuis sa naissance comme sa mère. Ou encore, si ma conjointe me laissait demain matin et décidait de me refuser tout droit de visite à notre enfant, je n'aurais aucun recours légal puisque, devant la loi, je ne suis pas un parent. Et, si ma conjointe décédait, je n'aurais pas la garde de Georgia automatiquement. Cette situation est injuste envers moi, mais, plus important, elle est injuste et potentiellement traumatisante pour notre fille. Ses droits doivent être protégés en lui accordant la reconnaissance légale de ses deux parents.

Actuellement, je n'ai ni le droit de prendre des décisions médicales pour mon enfant ni de traverser des frontières internationales avec elle. J'ai sa carte d'assurance maladie dans mon porte-monnaie, mais je n'ai pas le droit de signer de formulaire de consentement aux soins de mon propre enfant dans le cas d'une urgence médicale. Ce vide juridique pourrait mettre sa santé ou même sa vie en danger. De plus, si j'essaie de traverser la frontière des États-Unis avec mon enfant mais sans ma conjointe, je risque d'être arrêtée et soupçonnée de kidnapping.

J'ai déjà dit que j'essaie de concevoir un petit frère ou une petite soeur pour Georgia. En fait, aux yeux de la loi, cet enfant ne sera pas son frère ou sa soeur. J'aurais l'autorité parentale envers un de nos enfants, et ma conjointe, envers l'autre. Nos enfants n'auraient pas le droit de porter le même nom de famille et seraient, aux yeux de la loi, des étrangers.

Bien que ce sujet m'implique émotionnellement, mes arguments sont supportés par des données scientifiques. Cette semaine, l'Association américaine de pédiatrie recommandait l'adoption pour des co-parents dans les familles homoparentales. Leurs recommandations se basent sur de nombreuses recherches faites sur des familles comme la mienne depuis les 20 dernières années. L'Association américaine de pédiatrie a conclu que nos enfants, et cela, sous tous les aspects considérés, ne présentent aucune différence avec les enfants des familles hétérosexuelles. En fait, si nos enfants souffrent, ce n'est pas à cause de l'orientation sexuelle de leurs parents, mais plutôt en raison de l'insécurité due à l'absence de reconnaissance légale d'un de leurs parents. Bref, cet organisme important, composé de médecins, suggère que la reconnaissance des deux parents est indiquée pour la santé et le bien-être de ces enfants.

Des sondages ont démontré que la société québécoise est prête à accepter le mariage pour les conjoints de même sexe. Je crois que, si la bonne question était posée aux citoyens, ces derniers accorderaient aussi leur support à nos familles. En général, les Québécois n'ont pas connaissance de la réalité d'une situation comme la mienne et celle de ma fille. Si on demande à la population en général: Est-ce que les homosexuels devraient avoir accès à l'adoption? beaucoup diront non. Cependant, parmi ceux-là, plusieurs n'ont pas réfléchi en profondeur à ce sujet et n'ont jamais rencontré de famille comme la mienne. Si on demandait à ces mêmes personnes: Est-ce que tous les enfants méritent une protection égale en vertu de la loi? les statistiques seraient, je crois, très différentes. Il y a déjà beaucoup d'enfants au Québec qui vivent dans des familles homoparentales, et ces enfants méritent les mêmes droits et protections que tout autre enfant québécois.

Ma conjointe et moi avons planifié sa grossesse ensemble. C'est moi qui ai enregistré sa température chaque jour durant les mois au cours desquels elle tentait de devenir enceinte. Nous avons écouté ensemble le battement du coeur de notre fille pour la première fois et avons vu son image à l'échographie. Je suis restée aux côtés de Mary durant les 24 heures de travail à la fin desquelles j'ai attrapé Georgia dans mes deux mains. Malgré tout ça, aux yeux de la loi, je n'étais rien pour ce bébé.

Dans notre vie familiale quotidienne, l'absence d'un statut légal pour moi ne fait aucune différence. Ma fille et moi sommes attachées l'une à l'autre à un degré que je n'aurais pas cru possible sans lien biologique. C'est à moi qu'elle vient quand elle se fait mal et moi qu'elle appelle dans la nuit quand elle fait un mauvais rêve. Je sais ce qui est susceptible de la blesser, ce qui la fâche et ce qui la fait rire. Je sais quand elle va pleurer ou faire une crise avant qu'elle ne le fasse. Je la connais et je l'aime de cette façon bouleversante dont les parents aiment leurs enfants.

n(12 h 40)n

Mais, de temps à autre, nous confrontons le fait que, légalement, nous sommes des étrangères. Il y avait la fois où j'ai perdu mon porte-monnaie et où j'ai appelé la Régie de l'assurance maladie pour recevoir de nouvelles cartes pour nous deux. Le préposé à qui j'ai parlé a fait grand cas du fait que mon dossier n'indiquait pas que j'avais une fille. J'ai expliqué que c'était parce que je ne suis pas la mère biologique. Le préposé a suggéré que je rectifie la situation en adoptant légalement l'enfant. J'ai expliqué que j'aimerais bien le faire, mais que je n'avais pas le droit. C'est seulement lorsque ma conjointe a pris le téléphone et demandé qu'il sorte son dossier que le préposé a convenu de nous envoyer les formulaires nécessaires pour une nouvelle carte-soleil pour Georgia.

Cet incident était un peu dérangeant, mais, au moins, aucun tort réel n'a été causé. Peut-être que nous ne serons pas aussi chanceuses la prochaine fois. Qu'arriverait-il si ma conjointe partait à l'extérieur pour le travail et que je devais emmener notre fille à l'urgence? Même si ma conjointe me fait confiance pour prendre des décisions médicales pour notre enfant, je n'ai aucun droit légal de le faire. Pour la sécurité de notre enfant, ses deux mères doivent jouir de tous les droits parentaux. J'espère ardemment que le gouvernement du Québec n'attendra pas la mort d'un enfant causée par la recherche de la vraie mère pour agir et reconnaître les parents non biologiques.

La loi familiale au Québec accorde beaucoup d'importance aux meilleurs intérêts de l'enfant; c'est un idéal louable. Je demande au gouvernement de se rappeler de cette priorité lorsque vient le moment de rédiger le texte définitif de la Loi sur l'union civile. Il est grand temps que la loi reconnaisse que la société a changé. Si, auparavant, cela pouvait sembler impossible qu'un enfant ait deux mères vivantes, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il est dans les meilleurs intérêts de l'enfant de vivre dans une famille qui est reconnue tant par la société que par la loi. Nous avons réalisé d'importants progrès en ce qui regarde la reconnaissance sociétale en faisant valoir nos familles et en montrant aux autres que nos familles sont comme les autres. Seule la législation peut conférer à nos enfants les protections dont ils ont besoin. Il est dans les meilleurs intérêts de l'enfant d'être assuré d'un contact continu avec ses deux parents malgré tout ce qui pourrait arriver à leur relation de couple. Cela s'applique non seulement lorsque l'enfant vit avec ses parents biologiques, mais aussi aux parents sociaux, comme c'est le cas dans les familles adoptives. Les familles homoparentales ne devraient pas avoir un traitement différent.

Le Président (M. Gautrin): Le temps passe. Vous y arrivez, à synthétiser...

Mme Barratt (Amy): Alors, je ne vais pas lire les recommandations, vous avez mes recommandations dans mon mémoire. Je veux juste dire, en conclusion, je veux souligner que, pour moi, ceci n'est pas une question théorique ni une lutte idéologique. Depuis la naissance de ma fille, j'agis en tant que son parent, prenant toutes les responsabilités d'un parent, même si je n'ai aucune obligation de le faire en vertu de la loi. Je veux cette obligation légale. Si jamais je devais essayer de me délester de mes responsabilités, la loi devrait pouvoir me poursuivre et me forcer à faire ce qui est juste.

Mes désirs ne sont pas extravagants, je veux me marier avec la femme de ma vie et je veux que nous élevions notre enfant ? peut-être un jour nos enfants ? dans un environnement aussi sécure que possible dans un monde incertain. Je vous remercie.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie de votre témoignage et je passerai la parole au ministre de la Justice pour commencer l'échange.

M. Bégin: Merci, Mme Barratt. Je pense que votre conclusion était intéressante à écouter parce que, effectivement, vous parlez beaucoup plus de responsabilités que de droits, et ça, c'est important que les gens comprennent qu'effectivement ce que l'on dit ici depuis deux jours, c'est, la plupart du temps: Nous voulons avoir les mêmes obligations pour nos enfants que nous en avons à notre égard ou que les parents issus d'un couple hétérosexuel ont à l'égard de leurs enfants.

Vous avez dit avec un sourire: La bonne question, ce n'est pas de savoir si c'est la conjugalité mais plutôt la parentalité ou la filiation. Et je pense que vous avez raison d'une certaine manière. Si vous regardez les deux tableaux que vous avez là, à gauche là, les panneaux, si vous les regardez, vous allez voir qu'à gauche vous avez le premier, ce qui montre des cercles, qui montre dans le centre ce qui est commun dans la conjugalité entre l'union civile et le mariage. Comme vous pouvez voir, il n'y a pratiquement pas de différence au niveau des effets, il y en a seulement... Vous l'avez devant vous, on vous le remet, là. Alors, vous allez voir que, au niveau de la formation, il y a une petite différence pour l'âge et, au niveau de la dissolution, il y a celle devant le notaire par rapport à devant un juge. Mais, si vous regardez le coeur, les effets, c'est les mêmes dans le mariage et l'union civile. Et là-dessus, je pense que vous aviez raison de dire que les questions posées à la population indiquent très clairement qu'ils sont d'accord avec ça.

Quand on regarde le deuxième tableau, vous allez voir que c'est d'une très grande complexité. Ce n'est pas volontairement que nous l'avons rendu complexe, mais la réalité est complexe. Et là on voit que, là-dessus, peut-être que la société n'est pas tout à fait rendue à la même place. L'objectif premier, à mon point de vue, de cette commission parlementaire est d'entendre ce que les gens pensent de l'évolution de ce qui devrait être, de ce que nous devrions faire à l'égard justement de ce que vous soulevez, la parentalité et la filiation. L'adoption est incluse comme un des éléments parmi la filiation et la parentalité.

Alors, je pense que les témoignages que vous faites... Cette photo parle beaucoup aussi, d'une mère avec un jeune enfant... une jeune enfant qui va jouer du violon, si je comprends bien. Elle a du talent pour jouer du violon?

Mme Barratt (Amy): On verra.

M. Bégin: En tout cas, elle semble destinée à ça. Ça témoigne beaucoup, vous savez, que c'est compréhensible et que cette enfant ne soit pas privée des droits que les autres enfants nés dans un autre contexte ont. Je pense que, si on regarde le problème... «le problème» est un grand mot, la question sous cet angle-là, on peut comprendre que nous n'avons pas à juger de ce que les gens font, de quelle manière ils se comportent ? en autant qu'ils le fassent dans la légalité, au sens de ne pas commettre de crime, mais dans la légalité ? comment ils se comportent, mais voir à ce que nous pouvons faire pour que les enfants qui sont là et qui sont souhaités, qui sont entourés d'amour, puissent s'épanouir correctement dans des milieux différents peut-être de ceux qu'on a traditionnellement connus mais qui changent. Et je pense qu'on ne doit pas avoir peur de voir l'évolution, parce que... Ne serait-ce que dans le mariage, on a vu qu'il y a eu toute une évolution dans les 50 dernières années, et dans les rapports entre les hommes et les femmes, et leurs enfants aussi, il y en a eu beaucoup. Il va y en avoir d'autres, et on ne sait même pas encore ce que sera demain. Les questions posées par mon collègue tout à l'heure concernant les technologies nous indiquent que nous sommes au seuil, à l'aube, au commencement d'une découverte et non pas à la fin. Alors, il faut qu'on regarde de manière ouverte, je crois, tous les problèmes que vous soulevez. Et votre témoignage...

Moi, je ne vous poserai pas de questions, parce que vous avez dit avec votre coeur ce que d'autres nous ont dit, et de la même manière. C'est ça qui est important, que vous nous apportiez ça et que vous le fassiez ici devant la télévision pour que tous les Québécois et les Québécoises puissent l'entendre, le voir, le sentir, le comprendre et, finalement, éventuellement, l'accepter et le favoriser. Alors, tout ça, je voudrais vous en remercier, et c'est le témoignage, je pense, que je peux rendre à tous ceux et celles qui sont venus. C'est sur vous que ça arrive, mais je veux le transmettre aux autres également. Alors, merci de votre témoignage.

Mme Barratt (Amy): Merci beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): Mme Barratt, est-ce que vous avez une réaction?

Mme Barratt (Amy): Bien, simplement, merci à vous, M. le ministre. Je suis contente que ce ne fut pas une question, c'est facile pour moi. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Alors, parmi les collègues ministériels, y en a-t-il qui ont des questions? Dans ces conditions-là, je passerai la parole à Mme la députée de Bourassa, qui va intervenir au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Bonjour, madame. Ça va bien? Merci, hein, pour la photo de votre belle petite Georgia. Très, très belle! Vous dites dans votre texte, dans votre mémoire... vous parlez d'un besoin de faire de la sensibilisation, d'éduquer la société, plus particulièrement, je crois, pour le volet adoption. Vous semblez faire une distinction entre mariage, quant à l'attitude de la population, quant à la sensibilisation et quant à l'adoption... Est-ce que j'ai raison de...

Le Président (M. Gautrin): Mme Barratt.

Mme Barratt (Amy): Est-ce que c'est ça, la question?

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Vous croyez qu'il devrait y avoir une sensibilisation de faite plus particulièrement auprès du public et vous dites: «Si on demande à la population en général: Est-ce que les homosexuels devraient avoir accès à l'adoption? beaucoup diront non. Nous avons besoin en l'occurrence d'éduquer et de sensibiliser.» Donc, vous croyez utile et nécessaire...

Mme Barratt (Amy): Oui, je pense que la sensibilisation est déjà... on est en train de la faire. Il y a plusieurs individus qui peuvent contribuer à ça. Il y a des groupes de gais et lesbiennes qui peuvent contribuer à ça aussi. Et les gouvernements aussi, je pense, ont un rôle à jouer. Je pense que ça se fait par des étapes, la sensibilisation. Beaucoup a changé depuis même... depuis 10 ans, puis ça s'accélère maintenant.

Mme Lamquin-Éthier: Donc, voyez-vous des changements, là?

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Vous dites: Depuis 10 ans, les choses ont changé, et même, ça s'accélère. Donc, vous avez vu...

Mme Barratt (Amy): Je pense aussi que...

Le Président (M. Gautrin): Mme Barratt.

n(12 h 50)n

Mme Barratt (Amy): Excusez-moi. Oui, il faut... Et j'ai oublié de mentionner que les médias aussi peuvent jouer un grand rôle là-dedans, juste à montrer les familles qui ne sont pas des familles conventionnelles. Mais, quand même, que l'on voit que nous sommes comme les autres familles. Nos familles, nous avons les mêmes préoccupations comme parents. Et, je pense, des fois, l'idée de l'adoption, gais et lesbiennes, ça fait peur, mais, quand on voit la réalité de notre situation, je pense que ça peut changer les idées.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, madame.

Le Président (M. Gautrin): Vous n'avez plus de questions, Mme la députée de Bourassa?

Mme Lamquin-Éthier: Non, c'est parfait.

Le Président (M. Gautrin): Alors, écoutez, il me reste à vous remercier, Mme Barratt, pour votre témoignage, et vous souhaiter bonne chance. Si je comprends bien, vous avez un projet d'avoir un autre enfant, et bonne chance dans ce projet-là.

Alors, à ceci, je suspends les travaux de la commission jusqu'à 14 heures. Je crois qu'on peut laisser les choses ici.

(Suspension de la séance à 12 h 51)

 

(Reprise à 14 h 10)

Le Président (M. Gautrin): ...cela étant dit, je constate que nous avons quorum. Alors, nous allons pouvoir réouvrir la séance. Je vous dispenserai de la lecture du mandat de cette commission. Je vous rappellerai que nous avons un certain nombre de personnes qui vont venir témoigner cet après-midi. La première est Mme Gascon, qui a eu l'amabilité de se présenter déjà devant cette table.

Mme Gascon, je vous rappellerai brièvement que vous avez 30 minutes, réparties en 10 minutes pour votre présentation, 10 minutes pour le questionnement des députés ministériels et 10 minutes de questionnement pour les députés de l'opposition. Alors, Mme Gascon, vous avez le micro qui est à vous pour faire valoir votre point de vue.

Mme Sylvie Gascon

Mme Gascon (Sylvie): Merci beaucoup. Alors, mon nom est Sylvie Gascon. J'ai 40 ans. Je suis consultante en formation et formatrice pour les entreprises manufacturières. Je travaille principalement au Québec. Je vis avec Sylvia Edgerton depuis 1994. Nous avons décidé de fonder une famille, Sylvia et moi. Et je suis la mère biologique de Julien Edgerton Gascon, il a trois ans et demi, et je suis également la mère non biologique de Carl Gascon Edgerton, qui a présentement neuf mois et demi.

Je suis née au sein d'une famille de classe moyenne de cinq enfants. Mes parents, pratiquants catholiques, nous ont élevés avec des valeurs de solidarité, d'honnêteté, de sens du travail et du sens des liens familiaux. Toutes les décisions concernant les conceptions, les grossesses, l'éducation, la planification budgétaire, la planification des vacances, la vie courante sont établies entre nous, ma conjointe et moi, et en fonction du bien-être et des besoins spécifiques de tous les membres de notre famille. Nous formons une famille. Il en est ainsi d'ailleurs aux yeux de nos amis et de nos voisins et des ressources de notre quartier et, bien sûr, auprès de nos familles respectives.

Le 31 août 1996, nous nous sommes réunis avec nos amis et nos familles afin de célébrer notre amour et notre engagement l'une envers l'autre. C'était symbolique. Tous les membres de cette fête ont pu témoigner de l'authenticité et de l'importance de ce geste. Nous n'avons pas attendu la permission légale de s'unir. Nous nous sommes unies pour démontrer, tout comme mes frères et mes soeurs et un certain nombre des membres de notre entourage, notre intention de nous engager mutuellement. Julien est né le 14 août 1998 et Carl est né le 23 avril 2001. Nous avons deux fils et nous en sommes fières, comme tous les parents.

Ma conjointe et moi, nous nous sommes engagées à éduquer, à démystifier et à ouvrir les horizons des personnes qui nous entourent, afin de favoriser le meilleur développement pour nos enfants. Nous nous sommes donné la mission de favoriser l'ouverture de notre communauté immédiate face à l'acceptation et la non-discrimination envers nous et envers notre famille. Nous sommes des conjointes de même sexe.

La décision d'avoir des enfants a été longuement réfléchie de notre part. Toutes les deux, ma conjointe et moi, nous avons, étape par étape, décision après décision, entrepris ce projet de s'unir et de fonder une famille. Il m'apparaît maintenant évident, après tous les dédales administratifs et légaux, sous le couvert d'une similiéthique de procédures ou autres, que ma conjointe et moi avons à défendre nos droits parentaux et familiaux plus que les autres citoyens désirant entreprendre le même projet, c'est-à-dire s'unir, fonder une famille et la maintenir dans un équilibre de protection sociale et légale.

Le mariage tel qu'il existe actuellement demeure pour moi la façon officielle de s'unir. L'union civile est un moyen de seconde classe. J'ose espérer que, si le projet de loi de l'union civile est voté, qu'il soit suffisamment modifié pour inclure tous les droits relatifs à la parentalité des conjoints de même sexe. Et, ultimement, j'ose espérer que cette loi sera une loi transitoire pour aller vers la forme du mariage telle que nous la reconnaissons dans notre société, et ce, sans compromis.

Mon frère jumeau a souhaité ajouter son témoignage à travers mon mémoire, et il dit ceci. Mon frère, c'est Sylvain Gascon. Il est parent de cinq enfants de 17 ans à neuf ans. Alors, il dit: Moi et ma femme, «nous avons eu des enfants parce que nous nous aimons et que pour nous c'était important». Il dit aussi: «Mon amour s'épanouit via une belle famille. Pour elles, ce n'est pas [...] évident[...]. Un jour (le 31 août 1996) nous sommes invités à un mariage pas comme les autres, celui de Sylvia et de Sylvie! Un vrai beau mariage où l'amour est présent partout.» Par la suite: «Quand Sylvia et Sylvie nous ont parlé d'avoir des enfants, cela nous paraissait très naturel. Elles forment une vraie famille. Si les gens connaissaient vraiment, sans préjugés, le vrai côté de l'histoire de ces gars et de ces filles qui s'aiment assez pour fonder un couple, il y a longtemps que la loi sur l'union civile serait en force.» Il dit aussi: «Notre société doit faire en sorte d'aider ces familles, sur le plan juridique afin qu'elles puissent, s'ils ou elles le souhaitent, vivre l'amour d'être [...] parents. C'est une cause juste et pleine de bon sens! Les préjugés sont encore omniprésents mais Sylvie et Sylvia font en sorte de démystifier la vie de tous les jours d'une famille extraordinaire.» Il dit: «Je suis témoin privilégié de cet amour et je souhaite de tout mon coeur voir un jour la famille de Sylvie et Sylvia, et d'autres familles semblables, être reconnues comme telles.»

Je considère que le projet de loi sur l'union civile est un compromis au mariage. Il sera un compromis acceptable en autant qu'il soit modifié de façon majeure afin de nous protéger et protéger les enfants de notre union.

Ce que je considère positif de l'avant-projet de loi, c'est l'intention positive que le gouvernement a de regarder la situation des conjoints et de légiférer en faveur de cet engagement. Le gouvernement prend ainsi ses responsabilités. Il y a effectivement de nombreux couples d'homosexuels qui vivent ensemble avec très peu de protection. Cet avant-projet de loi a tout de même une importance à mes yeux, puisqu'il a l'avantage de reconnaître ce besoin de protection. Tous les citoyennes et citoyens hétérosexuels ou homosexuels pourront dorénavant s'unir officiellement.

Ce que je déplore, c'est que ce projet de loi sème la confusion non seulement dans tous les articles du Code civil ou autres, mais également dans l'esprit des gens qui m'entourent, et je m'explique. Plusieurs amis et membres de ma famille m'ont mentionné qu'ils croyaient que cela était déjà possible de se marier entre conjoints de même sexe et que cela était une affaire réglée. Maintenant que je leur énumère l'ensemble des différences entre une union civile et le mariage, cela devient encore plus confus. Ce que je remarque, c'est que les gens disent finalement que cela n'est pas un vrai mariage, ce qui me confère encore une classe, un rang différent, ne faisant que me rétrograder.

Ce que je considère négatif dans ce projet de loi, c'est l'absence de droits liés à la filiation, l'adoption et les droits parentaux. Par exemple, le nom de ma conjointe ne peut pas apparaître sur l'acte de naissance de nos enfants. Le nom de nos enfants ne peut pas inclure le nom de la mère non biologique. L'adoption de l'enfant de ma conjointe sans que la mère biologique renonce à ses droits de mère est impossible. Les droits de garde des enfants, en cas de divorce, sont inexistants. Toute la question d'héritage au niveau des enfants de premier niveau n'est pas prévue. Je ne suis pas juriste, mais je constate que rien n'a été réfléchi. C'est comme si on avait oublié que de nombreux enfants vivent avec leurs parents dans une famille homoparentale.

Ce qui me rend inquiète, comme mère biologique de Julien et mère non biologique de Carl, c'est le fait que ni l'un ni l'autre ne puisse légalement se considérer comme des frères, alors que notre situation familiale est ainsi dans la vie de tous les jours. Ma conjointe et moi avons entrepris de nombreuses démarches pour que les testaments de nos parents mutuels prévoient ce fait. Ce qui est d'une évidence à nos yeux, c'est que nous sommes une famille. Alors, pourquoi avoir à faire toutes ces démarches légales?

Lorsqu'il y a des éléments légaux qui se pointent, nous ne sommes que des étrangères vivant en famille. Il en est de même si nous nous présentons à la clinique de santé avec notre enfant non biologique. Je suis une étrangère, et c'est injuste. En fait, je ne suis pas une étrangère.

Je souhaite que mes deux enfants puissent avoir deux parents légitimes tel qu'ils le vivent dans leur vie courante. Advenant le décès ou la séparation, je voudrais que mes deux enfants bénéficient de toutes les protections du fait d'avoir deux parents.

Tous, éducateurs, parents de la garderie, directrice et amis de Julien à la garderie répondent sans hésitation: Sylvia et Sylvie sont les parents de Julien. Il y a une évidence devant ce geste. Nous souhaitons que cette évidence soit également présente dans la loi sur l'union civile.

Je souhaite pouvoir voir mon nom de famille dans le nom de famille de mon enfant non biologique. Je souhaite adopter l'enfant de ma conjointe sans qu'elle doive renoncer à ses droits. Aussi, je souhaite que ma conjointe adopte mon enfant biologique sans que je renonce à mes droits. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Merci, madame. Alors, nous allons commencer la période d'échange et, M. le ministre, vous avez la parole.

M. Bégin: Alors, merci, Mme Gascon. Vous remercierez également votre frère du beau témoignage qu'il a fait. Vous avez passé deux beaux passages quand il parle, entre autres, qu'il vous avait toujours dans les jambes, là. Ha, ha, ha!

Mme Gascon (Sylvie): Oui, j'ai fait exprès pour la passer, celle-là. Ha, ha, ha!

M. Bégin: Ha, ha, ha! Quand vous étiez plus jeune, à l'école primaire, secondaire, etc. Ça, c'est un très beau témoignage. On sent beaucoup d'amitié et d'amour là-dedans.

n(14 h 20)n

Évidemment, vous comparaissez au moment où on a déjà entendu beaucoup de personnes.

Mme Gascon (Sylvie): Effectivement.

M. Bégin: Je prends votre témoignage comme étant extrêmement important. Cependant, les questions techniques ont été soulevées à plusieurs reprises. Je ne voudrais pas être redondant juste pour le plaisir de vous parler mais, ce que vous soulevez, je pense que c'est l'essentiel de ce que les gens ont voulu nous transmettre jusqu'à ce jour, à savoir que, oui, c'est beau, la conjugalité, oui, c'est beau que les conjoints aient les mêmes droits et obligations ? c'est le tableau 1 qu'on voit là-bas, là, où on voit que, pour les effets de l'union civile et du mariage, c'est la même chose. Il y a quelques petites nuances, mais ce n'est pas suffisant pour créer une discrimination. Par contre, au niveau de la parentalité, de la filiation, là, évidemment, il y a des changements.

Je me suis demandé, en regardant les noms des enfants, si vous aviez réussi à contourner la difficulté de l'enregistrement, puisque vous avez les deux noms de famille. Est-ce que c'est le fait que vous n'avez pas mis un trait d'union alors que, lorsque vous signez, vous mettez les deux avec un trait d'union, ce qui indique une union? Est-ce que vous avez contourné la difficulté ou si c'est par...

Mme Gascon (Sylvie): Non.

M. Bégin: Vous l'utilisez comme tel.

Mme Gascon (Sylvie): Non. Elle n'est pas contournée du tout.

M. Bégin: Non?

Mme Gascon (Sylvie): En fait, ce que nous, on utilise comme prénom...

M. Bégin: C'est ça.

Mme Gascon (Sylvie): O.K. C'est le nom de famille de l'autre, de la mère non biologique, si tu veux.

M. Bégin: Ce n'est pas votre objectif. Votre objectif, vous voudriez qu'il y ait comme...

Mme Gascon (Sylvie): Non. Je veux juste...

M. Bégin: ...un trait d'union entre les deux noms de famille pour dire que ça, c'est...

Mme Gascon (Sylvie): Exact.

M. Bégin: ...deux noms de famille.

Mme Gascon (Sylvie): Exactement. Je souhaiterais qu'on prenne la décision, nous, en tant que parents, d'utiliser l'un ou l'autre, ou comme dans le cas des familles hétérosexuelles. En fait, là, ce qu'on a fait, c'est qu'on a mis mon nom de famille dans le prénom de mon enfant non...

M. Bégin: Et vice et versa.

Mme Gascon (Sylvie): ...et vice et versa. Donc, ça fait qu'on a deux enfants avec des noms de famille différents.

M. Bégin: Je vais tenter de, sans être injuste, résumer votre témoignage en disant que, en ce qui concerne les relations de couple, c'est sensiblement satisfaisant dans ce qu'on a dans l'union civile. Par contre, pour le point de vue des enfants, dans leurs relations vis-à-vis leurs parents et vice et versa, là, il y aurait lieu de faire des modifications qui vont dans le sens, là, de reconnaître la parentalité, la filiation.

D'ailleurs, si vous remarquez, à la fin de... à votre dernier point, vous avez dit, juste avant vos recommandations, vous dites: «Je souhaite adopter l'enfant de ma conjointe sans qu'elle doive renoncer à ses droits. Aussi, je souhaite que ma conjointe adopte mon enfant biologique sans que je renonce à mes droits.» En mettant ça de cette manière, c'est comme si vous n'entrevoyiez pas la possibilité que le seul fait de l'union civile puisse entraîner cette reconnaissance-là, alors que vous passez par le chemin de l'adoption.

Mme Gascon (Sylvie): En fait, je ne sais pas par quel chemin passer.

M. Bégin: Ha, ha, ha!

Mme Gascon (Sylvie): Je ne suis pas juriste. C'est pour ça que je suis ici: pour que vous puissiez faire les détours qu'il faut.

M. Bégin: D'accord.

Mme Gascon (Sylvie): Concernant votre premier point, c'est vrai que je ne me suis pas beaucoup penchée sur la question du mariage, l'union civile en tant que tels pour notre couple, parce que je ne suis pas juriste, encore une fois. Mais ce qui m'a apparu officiel, là, c'est qu'il n'y avait absolument rien pour nos enfants. Donc, là, j'ai penché plus ma réflexion là-dessus pour dire: Bon, bien, je laisse aux autres s'occuper du couple, mais, moi, je veux porter ma réflexion sur les responsabilités que j'ai face à mes deux enfants et aux droits de protection que mes deux enfants ont.

M. Bégin: On ne refera pas le débat, mais je vais vous faire remettre une copie des deux tableaux qu'il y a là.

Mme Gascon (Sylvie): Oui. Je l'ai déjà.

M. Bégin: Ah! Vous les avez? Bon.

Mme Gascon (Sylvie): Oui. Je l'ai déjà eu, là, ce matin.

M. Bégin: Quand vous regarderez, au centre, les effets, vous allez voir que c'est pareil, mariage et union civile. D'accord?

Mme Gascon (Sylvie): Bon. C'est peut-être pour ça que je ne me suis pas penchée trop là-dessus.

M. Bégin: Ha, ha, ha! O.K. Alors, voilà, je prends en compte tout ce vous avez dit et je vous remercie beaucoup pour votre témoignage.

Mme Gascon (Sylvie): Est-ce que je pourrais ajouter une métaphore?

M. Bégin: Oui.

Mme Gascon (Sylvie): O.K.

Le Président (M. Gautrin): Vous avez toujours et encore le droit. On va étendre le temps.

Mme Gascon (Sylvie): Mais je peux ou...

M. Bégin: Oui, oui.

Le Président (M. Gautrin): Mais oui, madame.

Mme Gascon (Sylvie): Alors, la métaphore que je trouve qui pourrait être intéressante, c'est un ingénieur civil qui a à construire une autoroute, d'accord? Alors, cet ingénieur-là a à planifier quand il va neiger, quand il va pleuvoir, s'il grêle, s'il y a trop sable, bon, s'il arrive un paquet de choses. Alors, je trouve que vous autres, vous avez la possibilité de faire un changement dans le... de construire, de bâtir, une belle route, O.K., pour tout le monde qui vont l'emprunter. Puis je trouve que vous faites un travail intéressant de nous écouter de tous les bords et tous les côtés. Et je vous souhaite que vous soyez des ingénieurs qui n'oublient pas une voie de service ou quelque chose comme ça.

M. Bégin: On va essayer, madame. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Vous êtes là pour nous le rappeler. Est-ce qu'il y a d'autres parlementaires ministériels qui auraient des questions? Non. Mme la députée de Bourassa, de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Bonjour, Mme Gascon.

Mme Gascon (Sylvie): Bonjour.

Mme Lamquin-Éthier: Comment allez-vous?

Mme Gascon (Sylvie): Ça va bien.

Mme Lamquin-Éthier: Ça va bien. Juste une petite question. Vous mentionnez que vous n'avez pas attendu afin de célébrer votre amour et votre engagement l'une envers l'autre. Comment ça s'est passé?

Mme Gascon (Sylvie): Bien. En fait, c'est que, Sylvia et moi, on savait qu'on voulait des enfants. O.K.? C'était comme clair. Alors, on se disait... Moi, mes soeurs et mon frère sont tous mariés. Il y a comme une espèce de voie, si tu veux, naturelle de fonder une famille. Alors, pour nous, il était important qu'on s'engage mutuellement l'une envers l'autre. Et, pour faire ça, bien, on a pensé qu'une célébration, ça pouvait être un moment pour annoncer à toute notre communauté, nos amis, notre famille que c'est ça qu'on voulait faire. Pas qu'on voulait avoir des enfants, et tout ça, mais qu'on s'engageait pour le meilleur et pour le pire, là, qu'ils disent.

Mais donc on a fait une célébration, le 31 août, au Mont-Tremblant, dans la région des Laurentides. On a invité tout le monde, on a célébré. On avait une petite partie de célébration où on s'est engagées. On s'est échangé des bagues, on a fait, si tu veux, un petit témoignage, et tout ça. Et nos amis, nos neveux et nièces nous ont témoigné aussi l'importance de ce geste-là. Ça a été magique. Et, bien, par la suite, le party, et tout ça, et ça s'est déroulé comme ça.

Mais je peux vous dire que ça a transformé ma famille parce que, eux...

Mme Lamquin-Éthier: Ah oui?

Mme Gascon (Sylvie): ...parce que eux, ils n'avaient jamais été en contact, si tu veux, avec... ouvrir sur ce sujet-là. Oui, mais pas aussi fort que ça. Alors, eux ont sorti du garde-robe. Nous autres, ça faisait longtemps que c'était sorti, là, mais eux, quand ils ont reçu les photos, quand ils ont montré les photos à leur belle-famille à eux, à leurs amis, etc., bien, ça les a fait sortir du garde-robe, ça les a transformés. Ils ont vraiment compris c'était quoi puis ils ont expliqué dans leurs mots à eux autres l'importance de ce geste-là comme de la même manière qu'eux autres s'étaient mariés, etc. C'était comme tout à fait normal.

Alors, ça a transformé même le personnel de l'hôtel du Mont-Tremblant parce qu'ils se promenaient avec nos petites affaires en disant: Aïe! Sais-tu, j'ai été serveuse à ce mariage-là. C'était extraordinaire, c'était un beau mariage, etc. Bref, ça a été ça.

Le Président (M. Gautrin): Très bien. Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Et vous dites également ? et ça sera ma dernière question: «Ma conjointe et moi avons entrepris de nombreuses démarches pour que les testaments de nos parents mutuels prévoient ce fait.» Évidemment, c'est votre préoccupation à l'égard des enfants. Est-ce que vous avez trouvé difficile d'aborder cette question-là avec les familles? Et comment les familles réagissent-elles?

Mme Gascon (Sylvie): Oui. Effectivement, c'est un sujet qui est... au niveau légal, on se dit: Bien oui, mais quand on va mourir, de toute manière, ça va s'organiser. Bon. La loi prévoit les choses. Mais là il faut expliquer davantage, il faut être un peu plus spécialisés, il faut être nous-mêmes avocats pratiquement pour expliquer l'affaire, l'importance de faire ça comme ça.

Et, oui, on dirait qu'on a une obligation supplémentaire d'expliquer davantage pourquoi le faire, pourquoi pas le faire. Et les résultats sont assez positifs, je dirais. Il peut... Dans toutes les familles, ouvrir... pas ouvrir un testament pour le modifier, là, mais il y a toujours une... c'est sensible, hein, ouvrir un testament comme ça.

Alors, je ne vous dis pas qu'il n'y a pas de heurt qui s'est produit, là, mais dans l'ensemble, ça se déroule très bien. Les gens sont... ma famille, la famille de ma conjointe sont très... tu sais, ils ont deux... ils ont ces petits-enfants-là parmi les autres, puis c'est grand-papa, c'est grand-maman, puis c'est ça.

Mme Lamquin-Éthier: Merci beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): Moi, j'aurais une question à vous poser, madame.

Mme Gascon (Sylvie): Oui.

Le Président (M. Gautrin): Dans votre argumentaire, au deuxième élément, page 5, vous signalez ce que vous déplorez actuellement dans l'union civile telle qu'elle est présentée actuellement.

Mme Gascon (Sylvie): Oui.

Le Président (M. Gautrin): Je comprends qu'il y a des lacunes, qu'elles peuvent être corrigées ou pas, mais... Et, actuellement, vous avez fait une célébration que vous venez de raconter. Est-ce que... Si la loi ne change pas, est-ce que vous avez l'intention ou pas de vous unir civilement tel qu'il était dans le projet avec votre conjointe?

Mme Gascon (Sylvie): Si le projet d'union civile ne changeait pas, c'est sûr que non, on n'aurait pas d'avantage à le faire.

Le Président (M. Gautrin): Je comprends. Donc, réellement, il faudrait qu'il change pour y inclure, comme l'a rappelé tout à l'heure le ministre, la dimension de filiation et de parentalité.

Mme Gascon (Sylvie): Tout à fait. Tout à fait.

Le Président (M. Gautrin): Et ça, c'est une condition pour que vous puissiez... vous décidiez de bénéficier des normes de la loi.

Mme Gascon (Sylvie): Effectivement.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Est-ce que vous avez d'autres questions? S'il n'y a pas d'autres questions, Mme Gascon, je vous remercie et...

Mme Gascon (Sylvie): Merci beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): ...transmettez nos salutations à votre conjointe de notre part, je comprends qu'elle devait s'occuper du petit...

Mme Gascon (Sylvie): Exactement.

Le Président (M. Gautrin): ...et qu'elle a des responsabilités parentales.

n(14 h 30)n

Alors, je demanderais maintenant à M. Saint-Pierre, Noël Saint-Pierre, s'il pourrait bien avoir l'amabilité de se présenter devant nous.

(Consultation)

Le Président (M. Gautrin): Bonjour, M. Saint-Pierre. Je vous souhaite la bienvenue. Je vais résumer pour vous aussi notre mode de fonctionnement. Il y a une période de 30 minutes qui est réservée pour votre témoignage, et nous la fractionnons de la manière suivante: 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, 10 minutes pour les questions venant des ministériels et 10 minutes pour les questions venant des députés de l'opposition officielle. Alors, M. Saint-Pierre, vous avez le micro.

M. Noël Saint-Pierre

M. Saint-Pierre (Noël): Oui, merci, M. le Président. J'aimerais bien saluer le ministre de la Justice, Me Bégin, avec qui j'ai eu d'ailleurs beaucoup d'échanges, notamment dans la modification de la Charte des droits et libertés, pour permettre la reconnaissance des conjoints homosexuels en matière de régime de retraite et d'assurances collectives.

Vous avez eu mon mémoire, et je pense qu'il doit un peu sortir, je dois dire, des platebandes de ce que vous avez couvert depuis quelques jours parce qu'il touche exclusivement l'immigration. Vous avez remarqué également que j'ai eu plusieurs autres fonctions. J'ai représenté, entre autres, la Coalition pour la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe dans le dossier du mariage devant la Cour supérieure au mois de novembre, donc je connais assez bien l'ensemble de la problématique. Mais l'immigration, comme je le souligne dans mon mémoire, est une problématique trop souvent oubliée. Et c'est un peu mon témoignage personnel, mais c'est un témoignage personnel qui vient de quelques centaines de dossiers d'immigration de conjoints homosexuels, ce n'est pas une réalité marginale, loin de là. Et j'ai des centaines de dossiers que j'ai représentés, ceci depuis mon retour en pratique privée, en 1991. Donc, c'est, en plus, des gens que j'ai vus pour des consultations, mais qui ne sont pas devenus des clients, si je peux dire, pour un dossier à part entière.

Alors, je cherche depuis plus de 10 ans à résoudre les problèmes de couples gais ou lesbiens qui désirent mener à terme un projet d'immigration. Trop souvent, le rêve de bâtir une vie ensemble a été brisé par la non-reconnaissance des couples homosexuels. Je représente des conjoints de même sexe dans les contestations judiciaires, le plus souvent de façon bénévole. J'ai négocié avec le personnel du dernier ministre libéral des Communautés culturelles, c'était avant les élections de 1994, et avec chaque ministre du gouvernement péquiste, depuis 1994, qui était responsable de l'immigration. Chaque fois, malheureusement, il fallait pratiquement recommencer à zéro. À chaque fois, comme je l'ai indiqué dans le mémoire, on entend: L'immigration, c'est complexe, c'est de juridiction fédérale, nous ne pouvons rien faire. Pour finalement découvrir que, oui, il y a des choses à faire. Et je souligne à la fin, avec une série de recommandations, qu'est-ce qu'on peut faire aujourd'hui dans le contexte de ce qui est proposé avec l'avant-projet de loi et la notion d'union civile.

Il est relativement frustrant cependant d'avoir toujours à recommencer à faire, si je peux dire, l'éducation juridique des personnes qui appliquent l'immigration au Québec ? c'est un peu la même chose, malheureusement, au niveau du fédéral ? pour retrouver en plus que, lorsqu'on a fait des avancées importantes, lorsqu'André Boisclair était le ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, et on avait un système qui fonctionnait de façon relativement cohérente... Dès qu'il y a eu un changement de ministre, on est revenu vraiment à la case départ et on a recommencé presque à zéro avec plusieurs bureaux du Québec à l'extérieur.

J'aimerais expliquer un petit peu, et j'en parle dans mon mémoire, ce qu'on avait pu trouver à l'époque avec André Boisclair comme accommodements, tout en reconnaissant que le cadre juridique général était difficile à cause, entre autres, du partage des pouvoirs entre Ottawa et le Québec.

Alors, j'ai souligné bien sûr, ici, ce que j'ai appelé le long combat ou les combats pour le droit des conjoints de fait homosexuels de vivre ensemble. Je souligne ce que je peux appeler un manque de volonté politique des deux ordres de gouvernement vraiment à prendre ce dossier de façon sérieuse en disant, comme j'ai indiqué tout à l'heure, que c'est complexe. Mais, en même temps, lorsqu'il y avait des contestations judiciaires, l'expérience que nous avons faite...

Je fais une parenthèse: il n'y a aucune jurisprudence en la matière au Canada, pour une raison toute simple: on n'arrive jamais à avoir un jugement parce que, lorsqu'on arrive pour argumenter, présenter les arguments d'ordre constitutionnel, on reçoit une lettre pour dire que le visa a été délivré de façon discrétionnaire. Alors donc, l'individu qui était le plaignant ou le requérant n'a plus d'intérêt juridique pour continuer une démarche devant le tribunal. C'est aussi extraordinaire que, dans un des premiers dossiers que j'ai représentés ? là, on visait le pouvoir québécois, en 1993 et 1994 ? lorsqu'on a pu, après toute une série de barrages par les avocats qui représentaient à l'époque le Procureur général du Québec, et le tribunal nous a finalement accordé le droit de présenter les arguments constitutionnels contre le règlement québécois, on s'est présenté devant le tribunal et l'avocat du Procureur général du Québec avait en main une lettre adressée à mes clients, que eux n'avaient pas reçue, disant que le visa attendait à l'ambassade du Canada au Guatemala. Alors, ça donne un peu l'image globale de ce dossier. Et ceci est d'autant plus difficile qu'il faut imaginer l'impact sur des êtres humains qui cherchent à vivre ensemble à qui un avocat peut dire: Je ne peux pas vous dire qu'est-ce qui va se passer dans votre dossier. Il y a des accommodements qu'on a négociés qui parfois fonctionnent, parfois ne fonctionnent pas. Je donne quelques exemples.

Et je souligne également un élément, et ça relève de la notion même de ce qu'on appelle communément la discrimination systémique. La discrimination systémique existe lorsqu'on oublie une catégorie, ce qui est très souvent le cas de la majorité face à une minorité, comme ça a été le cas pour les femmes qui sont bien sûr une majorité de la population, mais qui sont traitées comme une minorité souvent.

J'aurais quelques exemples dans mon texte de cas que j'ai eu à traiter dans la partie où je parle de l'application des normes ministérielles québécoises. Parce que ce qui a été trouvé comme accommodement lorsque M. Boisclair était ministre, c'est que le pouvoir discrétionnaire pour accommoder la partie québécoise de l'immigration, qui est le certificat de sélection du Québec, donc le Québec sélectionne la personne en principe comme immigrante et le pouvoir fédéral doit l'accepter s'il n'y a pas de problème d'ordre médical, de criminalité ou de sécurité. Alors, lorsque M. Boisclair était ministre, nous avons négocié, la communauté gaie et lesbienne, avec le ministre, une entente qui est devenue une directive ministérielle à l'effet que l'agent représentant le Québec à l'extérieur doit tenir compte de la relation de conjoint de fait. Et ça a bien fonctionné aussi longtemps qu'André Boisclair était ministre. Ça a bien fonctionné dans presque tous les bureaux du Québec. Aujourd'hui, ça fonctionne bien dans une seule délégation générale, de façon générale, à Mexico.

À Paris, on exige... et même un des exemples que je donne ici est assez extraordinaire. Vous avez un Américain et un Guinéen qui ont vécu ensemble en Guinée lorsque l'Américain travaillait avec le «peace corps» américain il y a environ 11 ans. Depuis ce temps-là, ces gens cherchent à vivre ensemble. Ils ne peuvent pas le faire en Guinée parce que l'homosexualité est interdite par la loi. Alors, qu'est-ce qu'ils ont fait? Ils ont passé de longues périodes de vacances dans différents pays, la bataille toujours pour avoir des visas dans ce qui est devenu les pays de... les pays de l'Europe de l'Ouest, des vacances parfois en Afrique. Impossible, bien sûr, d'avoir un visa pour les États-Unis pour le Guinéen, impossible d'avoir une reconnaissance pour l'immigration américaine pour le Guinéen.

Ils ont choisi le Québec. L'Américain a appris un français impeccable, il est un expert en banque au niveau international, un acquis extraordinaire pour l'immigration du Québec. La même agente a traité... Et les deux demandes de certificat de sélection ont été présentées de façon conjointe, une à Paris, l'autre à New York, les bureaux respectivement responsables des pays d'origine. Celui de New York a été accepté très rapidement; l'autre, à Paris, a été malheureusement égaré. Et finalement, on a le même fonctionnaire... a fait le trajet de New York à Paris pour traiter le dossier du Guinéen. Elle a refusé la demande en disant qu'il n'y avait pas de preuve de cohabitation, parce qu'elle voulait avoir un certificat de cohabitation de la police guinéenne pour un couple homosexuel. Alors, vous pouvez vous imaginer ce genre de truc là?

Les exemples que j'ai utilisés dans une des rencontres à Montréal avec Me Audet, c'était: Si vous avez un conjoint afghan, essayez de vivre avec votre conjoint, le conjoint ne viendra pas au Canada, il n'aura pas de visa; évidemment, ça mettrait votre vie à vous en danger possiblement si vous allez en Afghanistan. Alors, tout ça pour dire qu'il y a des problèmes d'application par les fonctionnaires par manque d'information, parfois par des attitudes qui sont carrément discriminatoires. Il y a des gens qui se font dire: Cette réalité n'existe pas.

Et la dernière en règle que j'ai reçue est une lettre de la Délégation du Québec à Mexico où des gens ne savaient pas qu'un résident mexicain, en relation de conjoint de fait avec un Québécois depuis un an et demi... le Mexicain s'est présenté dans son pays d'origine pour demander le certificat de sélection et a été refusé. Le conjoint québécois est venu nous voir et nous a présenté un dossier très, très détaillé sur la relation de couple avec attestation-photo, attestation des parents, et tout, et tout, et tout, et on n'en a pas tenu compte. On a dit ni plus ni moins: On a accordé les points au candidat, qui résultent de sa relation avec un Québécois, comme un ami. Donc, même les directives qui existent depuis que M. Boisclair était ministre ne sont pas respectées actuellement.

Bon, maintenant, pour arriver très rapidement parce que je ne veux pas empiéter sur la période des questions, je sais qu'il y a eu une question hier sur l'immigration...

Le Président (M. Gautrin): ...

M. Saint-Pierre (Noël): Pardon?

Le Président (M. Gautrin): Et ce matin aussi.

M. Saint-Pierre (Noël): Oui. La question... Vous avez, à la fin de mon texte, une série de recommandations pour arriver à ce que je... tenant compte de ce qui est proposé dans l'avant-projet de loi, alors, ce qu'on pourrait faire pour éliminer le plus possible la discrimination. Il doit y avoir un élément qui doit rester, qui va rester et qui exige une concordance avec le pouvoir fédéral. Et ce qui est intéressant, c'est que j'ai eu le privilège de représenter le Barreau du Québec, la semaine dernière, devant le Comité permanent de la Chambre des communes, sur le nouveau règlement sur l'immigration fédérale, et un des points centraux, c'est la concordance avec le droit québécois et particulièrement avec ce qui deviendra l'union civile québécoise.

n(14 h 40)n

Alors donc, le Barreau rejette, d'une part, la définition de «conjoint de fait», qui est d'exiger une cohabitation de 12 mois, ce qui, pour l'immigration, est impossible dans beaucoup de cas, et, par ailleurs, exige une reconnaissance pleine de l'union civile pour les fins de parrainage. Cependant, le Québec a des pouvoirs de parrainage qu'il s'est accordés lui-même en mai 2000 et le Québec pourrait aujourd'hui permettre le parrainage de conjoints de fait homosexuels sous le régime, bien sûr, d'union civile. Encore plus important, ce serait de reconnaître les fiancés, parce que l'union civile doit être nécessairement célébrée ici, et le conjoint, s'il vient d'un pays du tiers-monde, n'aura pas de visa pour venir au Canada. Je souligne une des raisons, c'est que les agents de visa exigent ce qu'on appelle des racines, des garanties que la personne retournera dans son pays d'origine, et, normalement, on exige que la personne soit mariée, avec des enfants, qu'on va laisser au pays lorsqu'on fait un voyage au Canada. Ce qui, pour un gai ou une lesbienne, évidemment, est impossible. Alors, je m'arrête là et je suis sûr qu'il y aura des questions.

Le Président (M. Gautrin): C'est extrêmement intéressant, M. Saint-Pierre, et je vais donner au ministre la chance de débuter nos échanges.

M. Bégin: Après ce que vient de dire le président, je ne peux pas dire que ce n'est pas très intéressant.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Alors, merci infiniment, M. Saint-Pierre. Effectivement, je crois que vous abordez directement un problème qui a fait objet de discussion, mais jamais aussi directement et aussi franchement, devrais-je dire. Cependant, je me sens ? comment je dirais? ? un petit peu impuissant, dans le sens que ce que je comprends de votre discours, c'est qu'il ne semble pas qu'il y ait des moyens légaux ? je dis bien au sens lois, règlements ? pour solutionner le problème, sauf ce que vous avez dit à la fin au niveau du parrainage, au niveau du fiancé ou de la fiancée, et peut-être une troisième mesure dont je ne me souviens pas, mais qu'essentiellement donc, c'est au niveau de l'administration, des pratiques administratives, des directives qui dépendent du ministre en charge.

Y a-t-il dans le projet de loi quelque chose qui devrait être modifié, qui pourrait être enlevé ou encore ajouté afin de faciliter ce que vous venez de décrire? Parce que, sincèrement, je me sens un peu démuni devant ce que vous dites. Ne connaissant pas bien du tout le secteur dans lequel vous travaillez, il m'apparaît important et il est, je crois, normal de dire: Lorsqu'il y a une discrimination, lorsqu'il y a un empêchement, nous voulons le changer. Bien, ça s'applique également dans le domaine de l'immigration, on s'entend bien là-dessus. Mais, pour faire oeuvre utile, j'ai besoin de ce que vous allez nous dire.

J'ai été content d'entendre que le Barreau avait fait une représentation au fédéral à l'effet qu'il voulait que l'union civile soit l'équivalent du mariage pour les... ça peut servir dans un cas d'immigration. C'est ce que vous avez dit?

M. Saint-Pierre (Noël): Oui.

M. Bégin: Bon.

M. Saint-Pierre (Noël): Me Bégin, j'ai apporté le texte, enfin cette partie-là du... C'est un peu un résumé, ce n'est pas un mémoire, parce que...

M. Bégin: Est-ce qu'on peut vous demander de le déposer, M. le Président?

Le Président (M. Gautrin): Seriez-vous prêt à le déposer à la commission, Me Saint-Pierre?

M. Saint-Pierre (Noël): Avec plaisir.

M. Bégin: Oui. Restez là, restez là, on va aller le chercher.

Document déposé

Le Président (M. Gautrin): Alors, si vous le déposez à la commission, la commission reçoit le dépôt. Je vous remercie, maître.

M. Bégin: Merci, M. le Président. Alors, pouvez-vous dire: Est-ce que vraiment on a quelque chose qu'on pourrait faire? Je parle bien du projet de loi et je suis intéressé à entendre ce que vous avez à dire. Même s'il n'y a rien dans le projet de loi, ça fait oeuvre d'éducation pour tout le reste.

M. Saint-Pierre (Noël): Tout d'abord, vous avez remarqué sans doute que la Loi sur l'immigration du Québec n'est pas mentionnée dans le projet de loi. Il faudrait qu'elle le soit. Il y a d'autres choses qui pourraient être faites, et, dans les recommandations, ça touche en fait le règlement québécois sur l'immigration, qui s'appelle Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, et ceci, en ce qui est, d'une part, bien sûr, de la définition de «conjoint», la notion de «fiancé», parce que la définition générale qui est proposée dans l'avant-projet de loi de «conjoint» ne couvre pas la notion de «fiancé», et, si vous voulez, j'expliquerai pourquoi c'est important. Et finalement, ça touche, toujours dans le règlement sur l'immigration, ce qui ne fait pas l'objet, bien sûr, de l'avant-projet de loi, la question des exigences financières en matière de parrainage. Si vous voulez que j'aborde très rapidement là-dessus...

M. Bégin: ...parce que je crois que tous les membres de la commission sont intéressés à être instruits là-dessus.

Le Président (M. Gautrin): Ils sont intéressés, absolument.

M. Saint-Pierre (Noël): Oui. Ça va. D'accord. Alors, il y a actuellement la possibilité de parrainer une personne qui ne fait pas partie de ce qu'on appelle communément la catégorie de la famille. C'est important de noter ceci, parce que, dans l'entente entre le Québec et le Canada sur l'immigration, la définition de ce qu'on appelle la catégorie de la famille appartient au pouvoir fédéral. Les exigences financières appartiennent au Québec. D'accord? Donc, le garant pour une question de parrainage signe l'entente de parrainage avec le ministère québécois.

Cependant, le Québec s'est donné, en l'an 2000, quelque chose de nouveau et tout à fait innovateur qui n'existe pas ailleurs, c'est ce qu'on appelle «parrainage discrétionnaire». Et il y a effectivement... est accordée la possibilité de parrainer une personne qui ne fait pas partie de la catégorie de la famille. Et nous avons actuellement dans certains cas des conjoints étrangers homosexuels qui sont parrainés par un conjoint homosexuel québécois. Lorsque le dossier fonctionne bien, c'est ça qui peut arriver.

Cependant, de par la notion de discrétion, ça dépend bien sûr de l'information, et je dirais parfois, si vous excusez l'expression, même je dirais parfois l'intelligence de l'agent qui aura à l'appliquer... c'est pourquoi la notion de directive ministérielle nous fait problème, parce que c'est toujours, bien sûr, à savoir si chaque agent est au courant et, comme j'ai indiqué tout à l'heure, ça a posé problème particulièrement lorsqu'il s'agit d'une minorité, comme c'est le cas ici. Donc, il y a des choses...

En ce qui concerne maintenant les exigences financières, il y a exemption, au Québec, en ce qui concerne les exigences financières de solvabilité, pour le garant lorsque le garant veut parrainer son conjoint ou sa conjointe ou ses enfants. Si on veut parrainer, par exemple, ses parents, bien sûr il faut démontrer qu'on a l'argent. La raison est fort simple, c'est qu'on a estimé que c'était tellement important, la réunification de la famille et que, par ailleurs, il y avait une très forte possibilité que le conjoint qui viendrait rejoindre son conjoint ou sa conjointe ici puisse travailler, qu'on a fait exception. Donc, même si je suis bénéficiaire d'aide sociale, je peux parrainer mon épouse. D'accord? Bon. Alors, il faudrait donc avoir le même genre d'exemption financière pour le conjoint qui existerait, ou le partenaire, dépendant. Je sais qu'il y a eu beaucoup de débats sur la terminologie, là, je ne veux pas recommencer aujourd'hui, avec moi du moins. Mais le conjoint homosexuel devrait bénéficier effectivement du même privilège ou du même droit.

Il faudrait cependant élargir ceci pour inclure dans l'exception... l'exemption en matière de solvabilité, le fiancé, et pour une raison bien simple. Si je veux épouser une femme ? je suis un homme ? je peux aller dans le pays d'origine de ma future épouse et je peux me marier là-bas. Je ne peux pas aller à Cuba, ou en Iran, ou en Afghanistan et demander que l'union civile québécoise soit prononcée. L'union civile doit être prononcée et célébrée ici. Alors, c'est pour cela qu'il faut nécessairement tenir compte de cette réalité discriminatoire de fait, non pas parce qu'on le veut, mais par la réalité, lorsqu'on aborde les questions d'ordre financier.

La dernière partie touche les ententes entre le Québec et le fédéral. J'ai souligné tout à l'heure le document de travail du Barreau du Québec. C'est important pour une raison, c'est qu'il y a une question... un pouvoir plutôt qui relève du fédéral, c'est l'admission du futur immigrant. Si je parraine mon épouse et si elle est atteinte d'une maladie qui entraînerait des dépenses, des services de santé ou des services sociaux de la province respective qui dépassent la moyenne, elle est inadmissible. Je peux quand même contester cette décision devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour tout motif, y compris des motifs humanitaires.

J'ai représenté depuis un an deux cas de couples hétérosexuels où le conjoint étranger était atteint du VIH sida. Les deux cas ont été acceptés. On a tenu compte d'une part qu'il y a environ... peut-être maximum 1 000 $ par mois de frais de médicaments et, en même temps, que la réalité du couple était tellement importante, en plus bien sûr de ce que la personne étrangère, une femme, subirait dans un pays comme la Côte-d'Ivoire ou le Burkina-Faso... que, donc, les éléments humanitaires étaient tellement importants dans le dossier que ça contrebalançait bien sûr les coûts pour la société canadienne.

Je ne peux pas le faire avec des conjoints homosexuels. Je ne peux pas le faire. Alors, il faudrait nécessairement accorder, avec le gouvernement fédéral, les mêmes droits de contestation ou d'appel. Bien sûr que c'est un tribunal fédéral qui aura à trancher ça, mais il faudrait bien que le Québec, dans l'ensemble de ses relations dans un domaine de juridiction partagée, aborde le ministère fédéral, surtout que le règlement fédéral actuellement est en débat devant le Comité permanent de la Chambre. Merci.Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Est-ce que vous avez d'autres questions, M. le ministre? Mme la députée de Bourassa.

n(14 h 50)n

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Saint-Pierre. Vous avez abordé quelques éléments de distinction entre le pouvoir provincial et le pouvoir fédéral. Je ne sais pas si la section «Application des normes ministérielles québécoises»... J'ai tendance à penser qu'au provincial, c'est plus administratif. Et, si tel était le cas, pouvez-vous nous dire ce que le Québec pourrait faire tout de suite pour apporter des solutions adéquates aux difficultés que vous avez soulevées?

M. Saint-Pierre (Noël): J'ai abordé directement cette question déjà. La solution qui a été trouvée par le Québec a été de dire, il y a déjà maintenant six ans... cinq ans, pardon: Puisque nous ne pouvons pas accorder le droit de parrainage aux conjoints homosexuels, cela appartenant au pouvoir fédéral, nous devons traiter ces demandes comme étant des demandes de candidats indépendants, ce qu'on appelle la catégorie des travailleurs. Donc, la personne fait sa demande de certificat de sélection, elle présente un dossier faisant valoir sa formation, ses compétences professionnelles, entre autres, ses liens d'amitié au Québec, des séjours déjà effectués ici, sa connaissance du français et, à moindre mesure, de l'anglais. Ce sont donc les critères habituellement utilisés pour des candidats indépendants.

Ce qu'on a trouvé comme accommodement, ça a été de demander aux agents, qu'on appelle les conseillers d'immigration du Québec à l'étranger, de tenir compte de la relation. Ça va? Ce qu'on voit, et j'ai souligné les problèmes d'application... Depuis le mois de mai de l'an dernier, à ma demande, il y a eu quelques rencontres avec M. Boulerice, qui n'avait pas le plein pouvoir, bien sûr, en matière d'immigration comme ministre, et j'ai, de façon, comme on dit, un peu volontariste, indiqué quels seraient pour moi, à mon avis, les critères qu'on devrait utiliser avant toute modification réglementaire et législative pour décider de ces cas. Alors, qu'est-ce qu'on peut imputer comme responsabilités? Et c'étaient des choses aussi simples comme: Est-ce qu'il y a un testament? Est-ce qu'il y a une convention de vie commune? Est-ce que le conjoint québécois a démontré un sens de responsabilités face à l'étranger? Dans une convention de vie commune, j'exige de mes clients, par exemple, qu'il y ait une obligation alimentaire pendant la même période après l'établissement qui correspondrait au droit de parrainage pour des hétérosexuels. Donc, il y a une série de choses comme ça. Bien sûr, attestations, preuves de voyages, de communication, lettres, souvent par Internet, etc., factures de téléphone souvent assez appréciables, donc des éléments objectifs qui démontrent que le couple est stable, qu'il existe et qu'il a, bien sûr, des chances raisonnables de réussir après l'obtention du droit d'établissement au Québec.

Et ça, bien sûr, on peut le faire tout de suite. À mon avis, on pourrait avoir une directive ministérielle détaillée qui donne vraiment des instructions, des guides, des éléments d'analyse aux agents qu'ils ne semblent pas avoir. Les agents, malheureusement, devant ça, se sont rabattus sur la définition de «conjoint de fait» qu'on trouve dans les lois, qui est la cohabitation d'un an, qui est impraticable en immigration.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Une dernière question, et je vous invite à me corriger si j'ai mal compris. Je crois comprendre qu'il y aurait lieu de procéder à une certaine forme d'éducation juridique pour les fonctionnaires. Est-ce que vous avez déjà fait des suggestions quant à ça? Lorsque vous soulevez qu'il y a une application inégale des normes qui ont été adoptées, vous soulevez que des fonctionnaires ont manifesté une ignorance totale des directives du ministère ou, pire, des attitudes désobligeantes. Vous mentionnez que le site d'information du ministère ne mentionne pas spécifiquement les politiques, et ainsi de suite, le silence du ministère dans ses publications. Il semble donc possible, à la lecture, d'apporter des correctifs. Est-ce que j'ai... Bon.

M. Saint-Pierre (Noël): Je pense qu'il y a ? et les femmes dans la salle pourront l'apprécier peut-être plus que les hommes ? beaucoup de parallèles entre la situation des femmes et les progrès que nous avons réussis au Québec et la situation des gais et des lesbiennes. Les femmes avaient souvent à dépasser ou surmonter des embûches qui existaient et que les hommes ne pouvaient pas comprendre, parce que, évidemment, ils étaient beaucoup moins confrontés à certains types de problèmes. Juste la question, par exemple, du fait d'avoir des enfants... pour un homme, ça paraissait tout simple de travailler après telle heure, telle heure, etc. Donc, il y a effectivement beaucoup d'éducation et de sensibilisation qui serait à faire.

J'ai indiqué, par exemple, la question... juste le site Web du ministère qui ne mentionne pas... je l'ai effectivement déjà mentionné aux responsables du ministère pour dire que je ne comprenais pas, ou que deux personnes qui choisissent le Québec, deux étrangers conjoints homosexuels choisissent le Québec pour leur futur, un des deux est un candidat extraordinaire d'immigration et, actuellement, ce qu'on fait comme obligation à ces personnes, c'est de se séparer pour, après l'établissement de celui qui réussit cette étape-là, que, par la suite, après environ un an de vie au Québec, il puisse parrainer son conjoint. Donc, on attend encore deux, peut-être trois ans après tout ça. Donc, d'imposer jusqu'à cinq ans de séparation à un couple qui a choisi ensemble de venir au Québec.

Bien sûr, oui, il y a de l'éducation, de la sensibilisation. Et, à mon avis, ce n'est pas juste dans ce ministère-là qu'il y a le problème, bien sûr. C'est souvent les oublis, et une des frustrations qu'on vit lorsqu'on travaille des questions, comme juriste, avec les questions des gaies et lesbiennes, c'est très souvent de revenir à la charge pour dire: Pourquoi vous l'avez encore oublié? Pourquoi est-ce que nous avons une belle politique au Québec pour le suicide des jeunes, mais on a oublié qu'il y a une problématique d'homosexualité qui cause... par hasard, le tiers des suicides chez les adolescents, ce sont des homosexuels? Et c'est la même chose avec la politique des aînés. Vous voyez un peu? Il y a un problème général qui a d'ailleurs été abordé dans une revendication de la Table de concertation à l'effet qu'il faudrait voir un interlocuteur gouvernemental qui prenne en charge cette réalité-là.

Le Président (M. Gautrin): Moi, j'aurais une question...

Mme Lamquin-Éthier: Merci.

Une voix: On n'a pas compris le dernier bout de...

Le Président (M. Gautrin): Vous permettez? Ah! vous n'avez pas compris le dernier bout. Vous voulez qu'il répète, c'est ça. Bon, pourriez-vous répéter pour mon collègue de Maskinongé?

M. Saint-Pierre (Noël): Oui, le dernier bout, c'était: Il y a eu une revendication lors du colloque de la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Québec, de septembre 2000, je crois, à l'effet de créer l'équivalent d'un secrétariat gouvernemental qui serait responsable des questions reliées aux gais et aux lesbiennes, qui a reçu un accueil plus que mitigé en disant qu'on avait déjà trop d'organismes semblables, on n'avait pas besoin d'en rajouter d'autres, pourquoi on aurait besoin de ça, particulièrement pour ce groupe-là.

Le problème, c'est qu'il y a des politiques parfois de certains ministères qui sont fort bonnes. C'est souvent l'application qui est plus que déficiente. Il y a une politique, par exemple, au ministère de la Santé qui n'est pas appliquée parce qu'il n'y a aucun fonctionnaire qui porte le dossier. Alors, il n'y a pas d'application de la politique. Et c'est un peu la même chose qu'on voit pour chacun des ministères. Il n'y a personne au gouvernement qui a la responsabilité un peu pour obliger chacun de s'asseoir autour d'une table pour dire ou, au moins, répondre à des lettres, pour dire: Où en êtes-vous avec l'application de votre politique?

Alors, malheureusement, aujourd'hui, c'est la communauté, avec des moyens très limités, qui cherche à le faire. Et c'est un peu, je dirais, une expérience généralisée, qu'il faille recommencer très souvent la sensibilisation des personnes; exemple, le personnel politique, les hauts fonctionnaires. Les gens changent. On a à peine fini de sensibiliser un ministre que, malheureusement ou heureusement, en tout cas... Je ne veux pas critiquer le nouveau ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, que je trouve une personne extrêmement compétente, mais il va falloir sans doute que lui soit sensibilisé à un dossier qu'il ne connaissait pas du tout auparavant.

Le Président (M. Gautrin): Je voudrais vous poser une question. Vous avez soulevé, très pertinemment, la question du fiancé comme tel, c'est-à-dire, vous dites: Bien souvent, si on instaure ici l'union civile, il serait difficile bien sûr de pouvoir la voir se pratiquer dans d'autres pays. Alors, si je comprends bien, l'union civile existe dès qu'elle est célébrée, c'est-à-dire, dès qu'il y a eu la célébration, ça donne, dans le projet de loi, lieu immédiatement à l'union. Si le projet de loi... Et je comprends que ça ne pourrait pas être le cas pour le côté laïque, mais le projet de loi permet l'union civile à caractère religieux. Si l'extension pouvait se faire pour des unions qui seront prononcées par des religieuses hors du Québec, si ça a été reconnu par le gouvernement du Québec, est-ce que ça ne résoudrait pas en partie le problème que vous soulevez à l'heure actuelle, qui est la difficulté de parrainage?

M. Saint-Pierre (Noël): Je crois, M. le Président, qu'il y a une solution plus simple que cela. Actuellement, pour des fiancés, on peut parrainer son fiancé ou sa fiancée, et il y a une condition qui est imposée, à ce moment-là, lors de la délivrance du visa, c'est que les deux conjoints, de fait jusque-là, se marient dans un délai imposé après l'arrivée au Canada. Donc, on pourrait imposer la même exigence. Le règlement fédéral transfère aux candidats de l'immigration qui obtiennent un visa canadien des conditions qui seraient imposées par les provinces. En tout cas, la seule province aujourd'hui qui impose de telles conditions, bien sûr, c'est le Québec.

n(15 heures)n

Un des éléments du Barreau, c'était d'être sûr que toutes les conditions imposées par le ministère québécois sont imposées aux candidats de quelque catégorie qu'ils soient. Alors donc, à mon avis, la solution la plus simple, au niveau juridique du moins, ce serait que le règlement prévoie d'abord que la Loi sur l'immigration au Québec spécifie la notion de «fiancé». C'est une réalité bien sûr un peu à part, on n'a pas besoin de parler de fiancé autre que dans ces contextes-là, je crois. Mais donc, la Loi sur l'immigration pourrait prévoir une définition de «fiancé», à savoir une personne qui s'engage à célébrer le mariage ou l'union civile dans un délai qui serait imposé par le règlement. Et, dans le règlement, bien sûr il faudrait créer un délai raisonnable. Le délai normalement imposé est de trois mois. Et, avec ce qui est devant nous comme moyens de ces célébrations, je dois dire que c'est parfois difficile d'organiser un mariage dans ce délai-là, à cause des délais de publication et tout ça, des avis. Cependant, il n'y a aucun empêchement à célébrer une union civile. Si c'est un contrat ou une convention signée devant un notaire, on peut sûrement faire ça.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre avait une question supplémentaire à soulever.

M. Bégin: Oui, une seule question. Avez-vous ? j'imagine ? pris connaissance de l'article 241 du projet de loi, de l'avant-projet de loi?

M. Saint-Pierre (Noël): Je n'ai pas le texte devant moi, M. le ministre. Est-ce que c'est la définition de «conjoint»?

M. Bégin: Non, c'est: «Dans les règlements auxquels s'applique la Loi sur les règlements, à moins que le contexte ne s'y oppose...»

Le Président (M. Gautrin): On doit en avoir une copie, attendez, pour... Est-ce qu'on aurait une copie du projet de loi? On va vous en transmettre une tout de suite. Et, moi, j'aimerais ça en avoir une aussi. Merci.

(Consultation)

M. Bégin: Page 51. Dernière page, je pense.

M. Saint-Pierre (Noël): Oui?

M. Bégin: Est-ce que ça a une influence positive ou négative sur le débat que nous avons?

M. Saint-Pierre (Noël): Disons que ça devrait entraîner nécessairement des accommodements dans le règlement sur l'immigration, enfin québécois sur l'immigration. Cependant, il faut nécessairement faire des pas de plus, tenir compte de ce qui est prévu à l'article 241 dans l'application qui sera faite par le règlement.

M. Bégin: Donc, c'est toujours une question d'application et non pas...

M. Saint-Pierre (Noël): Non, non, ce n'est pas une question d'application du texte réglementaire, il faut que le règlement québécois de sélection des ressortissants étrangers soit modifié...

M. Bégin: Ah!

M. Saint-Pierre (Noël): ...pour tenir compte de ce que le projet de loi éventuel indiquera dans... ce qui correspondra sur...

M. Bégin: Merci.

Le Président (M. Gautrin): Bien, écoutez, M. Saint-Pierre, je tiens à vous remercier de votre éclairage, que vous avez apporté à la commission, et on va... j'imagine, le ministre va en tenir compte.

Et je voudrais maintenant demander à M. Ludovic Maillé-Prévost de bien avoir la gentillesse de se présenter devant nous. Est-ce que M. Ludovic Prévost est dans la salle?

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Gautrin): Il y a Ludovic, Julie Pétrin et Annick Gariépy. Vous êtes ensemble, c'est ça? Et vous voulez témoigner ensemble?

M. Maillé-Prévost (Ludovic): En fait, on va le faire de manière individuelle, mais...

Le Président (M. Gautrin): Mais vous voudriez être assis ensemble et faire votre témoignage. Écoutez, on va s'adapter à votre réalité.

M. Bégin: ...témoigner l'un après l'autre, puis après ça, on va...

Le Président (M. Gautrin): Non, non, c'est ce que j'allais suggérer. Exactement. Je vais vous suggérer que vous présentiez chacun vos témoignages, et qu'à ce moment-là nous ne poserons pas des questions après chacun, et après le témoignage de chacun d'entre vous, j'ouvrirai des périodes de discussion qui seraient un peu plus longues évidemment que ce qui est prévu. Alors, dans l'ordre, on va donc... Oui?

(Consultation)

Le Président (M. Gautrin): Oui, oui, je comprends que... Mais ça, c'est de la régie interne. Alors, écoutez, on va fonctionner de cette manière-là. Il faut être souple, et on est ici d'abord pour savoir ce que vous pensez plutôt que de vous imposer nos manières de voir. Alors, je vous donne la parole. C'est vous, monsieur... Vous êtes M. Ludovic Maillé-Prévost, si je comprends bien?

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Oui.

Le Président (M. Gautrin): Mme Pétrin, c'est vous?

Mme Pétrin (Julie): Oui.

Le Président (M. Gautrin): Et vous êtes Me Gariépy? Alors, c'est vous. Alors, écoutez, allez-y suivant la manière dont vous choisissez de témoigner, je vous donne la parole.

M. Ludovic Maillé-Prévost,
Mmes Julie Pétrin et Annick Gariépy

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Merci. Tout d'abord, je vais remercier. Je vous remercie de m'avoir accueilli ici, à la commission parlementaire, pour que je puisse témoigner et je veux aussi vous remercier de votre ouverture d'esprit quant aux procédures. Donc, je vais commencer.

Donc, je m'appelle Ludovic Maillé-Prévost, je suis natif de Montréal, d'un père français et d'une mère québécoise. J'ai présentement 19 ans et j'ai quitté mon milieu familial depuis maintenant un an. J'étudie actuellement au cégep, en techniques de travail social, pour la deuxième année consécutive. Je travaille dans un café afin de payer mes études et mon appartement. Mon statut civil est celui de célibataire. De plus, il peut être intéressant, tenant compte des circonstances et dans un but de démystification des préjugés, de spécifier que je suis hétérosexuel. J'ai été éduqué en grande partie par ma mère dans une famille qu'on peut qualifier d'homoparentale. J'ai une grande soeur qui a été éduquée, après l'âge de 11 ans, dans les mêmes circonstances familiales que les miennes, et elle aussi est hétérosexuelle.

Mes parents se sont séparés lorsque j'avais un an, et une entente de garde partagée a été établie entre ma mère et mon père. Ma mère a eu sa première conjointe peu après la séparation, et mon père s'est remarié avec une autre femme et a fait un autre enfant. Il est ensuite parti en France, et je l'ai suivi à l'âge de quatre ans. Ensuite, je suis resté deux ans et je suis revenu à Montréal auprès de ma mère où elle a poursuivi mon éducation jusqu'à l'âge adulte. J'ai eu une éducation semblable à celle de tous les autres garçons de mon âge, la différence majeure était qu'il valait mieux que je garde le silence sur le fait que j'avais à l'époque une belle-mère qui n'était pas la femme de mon père.

Au plan de l'éducation, beaucoup de personnes ont des préjugés ou de fausses croyances envers les parents homosexuels et leur manière d'éduquer les enfants. Ma mère ne m'a jamais éduqué comme une fille, elle n'a jamais voulu éliminer ma masculinité, contrairement à ce que plusieurs peuvent penser. En réalité, ce n'est pas parce que je n'avais pas un modèle d'homme omniprésent dans mon quotidien que j'en étais dépourvu. En fait, je n'étais pas plus dépourvu de modèle masculin qu'un enfant qui a été éduqué dans le cadre d'une famille monoparentale. L'été, j'allais soit chez un ami de ma mère ou soit chez mon père. Elle était très soucieuse que j'aie dans ma vie un modèle masculin. En fait, ce qui est le plus nuisible dans le fait d'être élevé dans une famille homoparentale, c'est de ne pas être inclus dans la norme. Attention, je mets des guillemets à «norme», car je n'étais pas anormal; cependant, à l'école, il était acquis de la part des professeurs que ma mère était hétérosexuelle. Disons-le, les modèles homoparentaux ne sont pas présentés dans nos écoles.

Donc, le sentiment d'exclusion d'un enfant qui a une mère lesbienne ou un père gai ne découle pas du fait qu'il a un parent homosexuel mais plutôt que cette réalité familiale est passée sous silence, comme si nous n'existions pas. C'est ici qu'un problème d'identification à la norme peut se poser. Beaucoup d'enfants sont souvent confrontés à ce problème de norme quand ils viennent à l'école, par leur apparence physique ou par leur origine ethnique. Il faut aussi spécifier que la norme n'est pas nécessairement représentative de la réalité de chacun et de chacune. J'ai rencontré à l'école primaire des enfants de parents gais, seulement je ne l'ai su que beaucoup plus tard; en fait, trois ans après. Pourquoi? Sans doute parce qu'il est difficile d'en parler à l'école sans être ridiculisé. Mon sentiment de marginalisation a commencé à l'école primaire, là où on apprend à vivre dans une microsociété.

Il faut prendre en considération que l'école est souvent représentative de notre société dans le sens où les mêmes valeurs, positives ou négatives, y sont véhiculées. Où était ma place à moi? Nulle part. J'ai été obligé de la forger contre vents et marées de préjugés. J'avais la chance d'avoir une personnalité affirmée et extravertie en plus d'avoir des amis qui aimaient ma mère et qui me protégeaient contre ceux qui me jugeaient pour ça. Les préjugés sont, à mon avis, très néfastes, car on se fait attribuer une étiquette ou une image qui efface notre individualité et nos caractéristiques propres en tant que personne. Je me faisais attribuer une orientation sexuelle qui n'était pas la mienne. Je ne compte plus toutes les fois où on pensait que j'étais homosexuel parce que j'avais une mère homosexuelle. Mais ça s'explique très bien: c'est le fruit de l'ignorance dans toute sa splendeur.

n(15 h 10)n

Cette ignorance vient du fait qu'on ne normalise pas l'homosexualité, ni dans nos lois ni dans nos écoles. Si, à l'école, les professeurs avaient exposé la possibilité qu'il y ait des familles comme la mienne, peut-être que élèves auraient su qu'il n'y a pas de lien de causalité entre l'orientation sexuelle des parents et celle des enfants. Pourtant, l'effet est direct sur la vie sociale d'un jeune comme moi. En excluant le type de famille qui est la mienne de la normalité, on me considère indirectement anormal. Je vous demande, à vous: En quoi la vie amoureuse de ma mère peut influencer négativement ou même positivement mon développement, ma personne, ma personnalité, mes valeurs? C'est plutôt l'individu, c'est plutôt ce qu'est ma mère qui va m'influencer dans mon éducation, mais pas son orientation sexuelle.

Pour en revenir à ma famille, même si j'ai été élevé dans une certaine différence, je ne peux qu'observer une similarité prononcée avec l'éducation reçue par les enfants ayant eu des parents hétérosexuels. J'ai eu une éducation sexuelle comme les autres enfants, et jamais ma mère ne m'a influencé dans mon choix d'orientation sexuelle ni dans mon choix de vie amoureuse, d'ailleurs. Mes amis venaient à la maison et, si je ne leur avais pas parlé du lesbianisme de ma mère, ils ne s'en seraient jamais douté, car il n'y avait tout simplement aucun signe pour éveiller quelconque soupçon.

Au plan affectif, je n'ai eu aucune carence. D'ailleurs, je ne vois pas où serait le lien avec la vie amoureuse de ma mère, ce que je spécifiais tout à l'heure. Quoi qu'il en soit, j'ai eu de l'amour plus qu'il n'en faut de sa part. J'inclus aussi dans ma famille les conjointes de ma mère. Même si elles ne tenaient pas le rôle d'une deuxième mère, elles avaient aussi une place importante dans ma vie. Elles m'aidaient à faire mes devoirs, me soutenaient au point de vue moral et ont contribué de manière différente à mon éducation. J'ai d'ailleurs développé des liens affectifs très forts avec certaines d'entre elles.

Les préjugés et la discrimination et l'exclusion sont souvent générés par un système organisationnel qui favorise cela. Je me permets de critiquer ce système, car j'en ai souffert. Je ne vous fais pas part d'une expertise sociologique mais d'un constat personnel. Pour faire un parallèle avec l'homophobie, le sexisme, le racisme et les autres problématiques de discrimination avaient tous à une époque un point commun: le gouvernement et le système scolaire ont déjà approuvé ces discriminations. On peut se référer à l'histoire du Québec en mentionnant entre autres, comme exemple de sexisme, les lois discriminatoires telles que l'interdiction de voter pour les femmes. Quant au racisme, on peut mettre en relief des lois qui ont été discriminatoires en matière d'immigration envers les communautés asiatiques et les autres communautés ethniques. Cependant, depuis quelques années, fort heureusement, le gouvernement du Québec a pris des mesures proactives pour combattre la discrimination fondée sur le sexe et l'origine ethnique dans ses lois.

De plus, il existe depuis près de 20 ans des programmes d'éducation dans nos écoles visant la tolérance zéro face au racisme et au sexisme. Cependant, on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne l'homophobie. Les retombées sociales des mesures prises par le gouvernement concernant le racisme et le sexisme furent positives. Il est maintenant mal vu et réprimandé d'adopter des attitudes discriminatoires envers les femmes et les jeunes de couleur. Dans toutes les écoles, des jeunes se font harceler et étiqueter de fifs, de tapettes ou de lesbiennes, peu importe leur orientation sexuelle, sans que les professeurs n'interviennent pour que cesse cette violence. Pour ma part, lorsque j'entendais à l'école des insultes ou des remarques à connotations péjoratives à propos de l'orientation sexuelle, même si elle ne m'étaient pas adressées à moi directement, on m'attaquait, on agressait ma famille, on agressait ma mère.

Le gouvernement du Québec doit reconnaître les mêmes droits aux personnes homosexuelles dans tous les domaines, que ce soit aux plans professionnel, conjugal ou familial. Éliminer la discrimination aurait des répercussions sociales jusque dans nos écoles. Si cela avait été réalisé avant, je n'aurais peut-être jamais souffert de cette marginalisation injustifiée. Le gouvernement du Québec doit accorder l'égalité des droits aux couples de lesbiennes et de gais et à leurs enfants comme il l'a déjà accordée aux femmes et aux personnes de communautés culturelles. De ces droits...

Le Président (M. Gautrin): Oui. Je me dois de vous signaler que le temps passe et qu'il serait peut-être bon que vous synthétisiez vos...

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Excusez-moi, j'ai fini dans à peu près un demi paragraphe.

Le Président (M. Gautrin): Parfait.

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Merci. De ces droits découlerait un changement dans la perception et dans les attitudes négatives de la population envers nos familles. L'égalité juridique favoriserait la mise en oeuvre de programmes d'éducation dans nos écoles pour combattre l'ignorance et les préjugés qui, on le sait, sont très répandus chez les élèves et les professeurs en plus d'être extrêmement néfastes.

À partir de mon modeste témoignage, j'aimerais proposer au gouvernement du Québec une série de recommandations:

Je recommande au gouvernement du Québec d'accorder les mêmes droits parentaux aux couples de même sexe afin que les enfants, comme moi, ayant un ou deux parents homosexuels puissent vivre comme les autres, sans silence et sans secret;

Je recommande au gouvernement du Québec d'accorder la pleine reconnaissance légale des familles homoparentales afin que les enfants qui ont des parents homosexuels ne souffrent plus des préjugés à l'égard de leur famille;

Je recommande au gouvernement du Québec, et plus particulièrement au ministre de l'Éducation, de créer rapidement des programmes d'éducation dans les écoles pour éliminer l'ignorance, les préjugés et les comportements homophobes des élèves, de nos amis et de nos professeurs. Sur ce, je vous remercie.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, M. Maillé-Prévost, et, comme on a convenu, je vais passer la parole maintenant à Mme Pétrin.

Mme Pétrin (Julie): Bonjour. Je voulais vous remercier de m'accueillir à la commission pour entendre mon témoignage. Donc, je vais commencer par me présenter. Je me nomme Julie Pétrin, j'ai 25 ans. Je suis fiancée présentement, donc je suis hétérosexuelle et pas homosexuelle. Je suis éducatrice de formation, d'un diplôme en techniques d'intervention en délinquance, et je suis étudiante à l'université dans plusieurs certificats pour l'obtention d'un bac dans mon domaine d'études. Je suis éducatrice auprès des enfants et adolescents depuis bientôt quatre ans, auprès des enfants dans divers milieux: milieu écolier, milieu communautaire, milieu des centres jeunesse de Montréal aussi, et je vis avec des problèmes de comportement, des problèmes de négligence de la part des parents et des abus de toutes sortes.

Donc, maintenant, je vais vous parler de mon passé. Je suis née en 1977, d'une union entre ma mère et mon père. Mes parents étaient mariés depuis 1971. Avant ma naissance, ils ont mis au monde mon frère, Pascal. Mes parents, ils paraissaient heureux, mais mon père ne l'était pas. Mon père a commencé à fréquenter des hommes, mais, au fur et à mesure, c'est devenu des amants. Mes parents se sont séparés pendant quelques mois et finalement se sont remis ensemble pour mon plus grand bonheur, puisqu'ils m'ont mise au monde. Donc, je suis née dans une famille qui était une famille nucléaire, donc une famille qui était ensemble. Après quelques années ? donc j'avais trois ans ? mes parents ont décidé de divorcer parce que mon père n'était pas heureux, il était homosexuel. Donc, il recherchait le bonheur dans sa vie. Donc, en 1980, je me retrouve dans une famille éclatée.

J'avais trois ans quand la séparation se fit. Je ne me souviens pas d'avoir ressenti un vide dans ma vie. Pour mon frère, cela a été plus dur, car il avait, à cette période, huit ans. À l'adolescence, il a vécu beaucoup de rejet de la part de ses amis; même il s'est fait frapper à l'école parce que mon père était homosexuel. Ma mère, elle, essayait de refaire sa vie avec un autre homme, et, mon père, en 1982, rencontre l'homme de sa vie. À cinq ans, je rencontre l'homme que mon père aime et qu'il affectionne. Je vois ce couple régulièrement, car on rendait visite à notre père un minimum de deux fois par semaine et même plus quand ça adonnait.

Je voyais ces deux hommes comme un couple qui s'aime et non pas comme une union irrégulière. Pour moi, c'était normal que deux personnes qui s'aiment soient ensemble. Malgré mon jeune âge, je le voyais et le comprenais comme ça. Je ne voyais rien de mal. Pourtant, beaucoup de gens disaient que ce n'était pas normal que deux hommes soient en couple et que des enfants, mon frère et moi-même, soient témoins de cela. Je vieillissais tranquillement, et les gens répétaient la non-conformité du couple que formaient mon père et son conjoint. Je demandais: Pourquoi? On me répondait qu'un couple était composé d'un homme et d'une femme qui devaient s'aimer. À partir de cette affirmation, j'orientais ma question sur le mot «amour». Est-ce que ce n'est pas le mot «amour» le plus important, le sentiment de l'amour? À ce moment, les gens se fermaient, ils ne répondaient plus.

Les gens disaient aussi que mon père allait nous abuser. Je leur disais: Pourquoi? Mon père nous aimait. Il aimait les hommes et non pas les enfants. Il n'est pas pédophile, il n'est jamais rien arrivé non plus par rapport à mon père et moi et son conjoint. Quand on pense aux homosexuels, on s'imagine que les hommes ne savent pas s'occuper d'un enfant, que le développement de l'enfant est compromis. Moi, pour avoir vécu avec un couple d'homosexuels et avoir étudié dans le domaine du développement des enfants, je peux dire que l'important, c'est de se sentir aimé, apprécié et qu'on s'occupe bien de nous.

n(15 h 20)n

D'avoir connu et vécu avec un couple homosexuel pendant mon enfance, mon adolescence et ma vie de jeune adulte m'a appris plusieurs choses. Une des plus importantes, c'est que l'amour est celui qui forme le bonheur intérieur. L'homosexualité de mon père m'a amenée à avoir une ouverture d'esprit et à ne pas juger les gens. Cela m'amène à croire qu'il faut apprendre à connaître les gens, que chaque personne est unique et qu'il faut les respecter en tant que personne et non par rapport à l'orientation sexuelle, leur sexe, leur ethnie ou leur classe sociale. De voir mon père vivre les jugements, l'agressivité et le rejet des gens m'a amenée, comme lui, à me battre, à briser les barrières, surtout les éléments que, moi, je considère comme une injustice. Voilà pourquoi j'ai accepté d'écrire ce témoignage.

Quand il y a des avantages, il y a aussi des inconvénients. J'étais à l'aise avec l'orientation de mon père et j'étais heureuse de son bonheur. Je n'ai pas vécu beaucoup de difficultés personnellement, sauf deux, la première étant que, souvent, j'entendais les gens dire: Si mon fils m'apprendrait qu'il est homosexuel, il mangerait une fessée; je le mettrais à la porte; je le renierais de ma vie. Ces paroles me fâchaient, car je disais: Vous n'aimez pas mieux voir votre enfant heureux plutôt que malheureux? De plus, il n'y a rien de mal à aimer une personne du même sexe. La seule différence se trouve dans la chambre à coucher. Mes paroles ne leur disaient rien, ils restaient enfermés dans leurs préjugés et leurs jugements, ceci sûrement parce que l'homosexualité les renvoyait à leur virilité.

L'autre difficulté que j'ai rencontrée, c'est de voir le regard des gens sur mon père et sur moi, comme si j'étais toujours en danger et que c'était malsain de vivre ou de me promener avec mon père. Voir tous ces regards, ceux-ci me restaient en tête et je ne comprenais pas cette attitude, car, pour moi, ce n'était pas mal. J'ai même fini par avoir honte de me promener avec mon père. Je me sentais triste et en colère de voir les gens nous dévisager et nous juger. Avec le temps, je n'ai plus eu honte des regards sur nous, mais j'étais désolée que ces gens soient enfermés dans leurs jugements. Moi, j'étais bien dans ma peau et j'étais fière de mon père, et je le suis toujours encore.

L'homosexualité n'est pas un choix, elle fait partie de nous. Je crois que plusieurs homosexuels prendraient la pilule de l'hétérosexualité si elle existait, par rapport à tous les obstacles qu'ils doivent vivre jour après jour. On ne doit pas et je crois qu'on n'a pas le droit de rejeter, humilier les homosexualités et de leur enlever des droits que tous les autres humains ont acquis avec les années. On a défoncé les barrières pour les droits des femmes et des ethnies, que nous avons réussi. Maintenant, c'est le temps de donner les droits aux homosexuels.

Moi, je n'oublie pas que mon père a été un père merveilleux, que j'ai appris beaucoup avec lui. Je suis une femme qui croit que le bonheur vient en premier lieu de soi et de notre acceptation de nous-mêmes. Ma mère a présentement un conjoint depuis 14 ans maintenant. J'ai vécu avec lui pendant neuf ans et je n'ai jamais vu en lui un père aimant pour moi, mais en le conjoint de mon père, oui. Oui, deux hommes mais d'orientation sexuelle différente. Je dois dire que celui qui m'a marquée, aimée et fait grandir mon estime de moi est un homosexuel. Je peux conclure que l'homosexualité ou l'hétérosexualité n'a rien voir avec le fait d'être un bon parent. C'est ce qu'il y a à l'intérieur de nous qui fait toute la différence.

Moi, je pense que tous les couples, qu'ils soient hétérosexuels, homosexuels, ont le droit de connaître la parentalité. Avoir un enfant est un moment inoubliable. De plus, quand un couple veut, souhaite et est prêt à tout donner à l'enfant tant attendu, n'est-ce pas cela le plus important, de l'aimer? Beaucoup de couples hétérosexuels ont des enfants juste pour en avoir mais ne s'en occupent pas. Plusieurs de ces enfants sont placés en centre, et ces enfants-là, tout ce qu'ils demandaient, c'est être aimés et non être rejetés. Quand on est conscient de la responsabilité à vie qu'on aura envers un enfant et qu'on est prêt à l'aimer, on ne devrait pas mettre autant de barrières. Je le redis, l'orientation sexuelle ne viendra pas nuire au développement global de l'enfant. Je pense qu'il viendra l'enrichir. Dois-je vous rappeler que la non-reconnaissance de l'homoparentalité cause des problèmes dans la vie quotidienne des enfants?

En conséquence, le gouvernement devrait reconnaître aux couples de même sexe le droit à la filiation, à l'autorité parentale et à l'adoption. De plus, je recommande que le ministère de l'Éducation et celui de la Santé et des Services sociaux soient plus ouverts à l'homosexualité, donc de former les enseignants, les éducateurs, les médecins, tous les professionnels qui travaillent auprès des enfants, autant des adolescents, autant des adultes, pour qu'ils soient prêts à aider les jeunes qui se posent des questions sur l'homosexualité, qui ont peur, et ceux vivant des remarques désobligeantes de la part des autres. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Pétrin, et, comme on a convenu, je passe maintenant la parole à Me Gariépy.

Mme Gariépy (Annick): Oui. Bonjour. D'abord, je tiens à remercier, mon Dieu, tout le monde ici, les membres de la commission de nous recevoir parmi vous. En fait, ce n'est pas tous les jours qu'en tant que citoyennes on a l'occasion de donner notre opinion et de vivre la vie démocratique de cette façon-là, d'aussi près. Alors, je suis vraiment honorée d'être ici.

D'abord, je vais prendre quelques minutes, en fait quelques secondes pour me présenter. Mon nom, c'est Annick Gariépy. Je suis avocate depuis peu. Donc, me faire appeler Me Gariépy, ça me fait toujours... encore un choc et...

Le Président (M. Gautrin): On s'habitue. On finit par s'habituer, ne vous inquiétez pas.

Mme Gariépy (Annick): Donc, je suis avocate depuis peu et je suis issue d'une famille homoparentale, comme Julie et Ludovic. Et je suis hétérosexuelle, je tiens à le dire aussi. Et, à l'instar de mes deux compatriotes ici, moi, je n'ai jamais connu une famille hétérosexuelle, donc le milieu familial hétérosexuel. Du plus loin que je me rappelle, ma mère a toujours aimé les femmes, et je ne connais d'ailleurs pas mon père. Sur mon certificat de naissance, mon acte de naissance, je suis de père inconnu.

Donc, si je reviens à ma mère, ma mère nous a élevées, moi et ma soeur, jusqu'à l'âge de six ans, en mère monoparentale, jusqu'à ce qu'elle rencontre sa conjointe, Gaby, qui a été sa conjointe pendant plus de 10 ans. J'avais donc six ans quand ma nouvelle famille s'est créée. J'ai grandi auprès de deux femmes qui ont fait, mon Dieu, des pieds et des mains pour me rendre heureuse et pour me fournir tout ce que j'avais besoin pour grandir. Comme j'ai dit tout à l'heure, leur histoire d'amour a duré plus de 10 ans et, pendant ces 10 ans, ma mère a toujours caché son homosexualité. Et, par le fait même, par respect pour elle, je cachais aussi son homosexualité.

Je vous dirais même qu'aujourd'hui ma mère sait que je suis à Québec, elle sait que je viens pour les auditions. Elle ne connaît pas la portée de ma présentation, elle ne sait pas que je viens livrer un témoignage. Donc, c'est pour ça que... Ça explique un petit peu ma nervosité, parce que je le fais parce que je trouve ça important. J'ai travaillé beaucoup auprès des personnes gaies et lesbiennes. Cependant, même au sein de ma famille, il y a un certain froid de ce côté-là. Donc, c'est pour ça donc que je suis très nerveuse.

Mais, si je me rappelle, en fait, pendant ces 10 ans là, je comprends pourquoi ma mère a voulu tant cacher son homosexualité. En fait, je sais qu'elle a fait ça pour nous protéger, moi et ma soeur, parce que plus souvent qu'autrement j'ai été témoin ? pas moi, mais mes amis qui, eux, le disaient ouvertement ? des préjugés que les gens avaient sur eux, les regards que les gens avaient sur eux.

Donc, si je reviens à Gaby, Gaby, pour moi, ce n'était pas ma deuxième mère, c'était la conjointe de ma mère. Même si je n'avais pas de figure de papa dans le décor, c'est sûr qu'elle a apporté beaucoup, beaucoup à ma vie. Pendant ces 10 ans là ? comme Ludovic, la conjointe de sa mère l'a aidé à faire ses devoirs ? j'ai bénéficié là d'un style de vie, d'un mode de vie avec elle. J'avais un chalet grâce à elle; je pouvais, l'été, me baigner dans une piscine parce qu'elle était là puis elle me procurait ça, choses que je n'aurais pas pu évidemment faire si ma mère était restée monoparentale et ne m'avait pas procuré ça.

Donc, pour mes amis, en fait, ce qui était un petit peu bizarre, c'est que Gaby ? en fait, c'est ce que je leur disais ? c'était ma tante qui était coloc, qui logeait chez nous pour se remettre d'une maladie. Donc, ce n'est que récemment, en fait... Même ma meilleure amie, je lui ai annoncé il y a peut-être quatre ou cinq ans que, bien: Tu sais, Chantale, finalement Gaby, ce n'est pas ma tante, c'est la conjointe de ma mère. Puis elle: Bien, voyons, Annick, on le sait toutes, tu sais. Alors, dans le fond, tu sais, on se fait des grosses histoires.

C'est vrai qu'on ne choisit pas ses parents, mais, croyez-moi, si j'avais eu à choisir mon père, ma mère, j'aurais fait le choix de ma mère. Jamais je n'aurais échangé mes parents pour tout l'or du monde. Ma mère, c'est une mère qui est présente et qui a donné le meilleur de soi-même. Elle est encourageante, attentionnée, disponible, dévouée, toutes les qualités qu'une maman devrait avoir. C'est vrai que ça a été dur de taire et de mentir à propos de son orientation sexuelle. C'est un lourd fardeau à porter d'être différent, que ce soit à tout âge.

n(15 h 30)n

Imaginez maintenant comment ça peut être difficile pour moi et pour les milliers d'enfants qui vivent la même situation que moi de subir les préjugés associés à l'homosexualité de leurs parents à 10, 12 ou même 16 ans. Comme j'ai dit tout à l'heure, ça fait seulement quatre ou cinq ans que j'ai commencé à me réconcilier avec l'orientation sexuelle de ma mère. J'ai arrêté de ressentir l'humiliation d'avoir trop souvent un parent associé à la pédophilie, à l'anormalité, un parent considéré hors normes. Souvent, je me suis demandée ? et ça apparaît dans mon mémoire, dans mon témoignage ? comment un sentiment qui est aussi noble et aussi beau que l'amour, comment un sentiment comme ça a-t-il pu m'inspirer des sentiments aussi dévastateurs que la honte? Moi, comme enfant, j'étais mortifiée dans cette situation-là. Pourtant, comme je l'ai dit, encore beaucoup d'enfants subissent les contrecoups et les préjugés associés à l'homosexualité de leurs parents encore aujourd'hui.

Moi, ce que je veux passer comme message aujourd'hui, c'est: Comment on peut faire évoluer les mentalités si ce n'est pas d'abord par une loi qui va encadrer et donner une légitimité à ces familles-là? Le désir de fonder une famille ? et on l'a dit plus tôt ? est un besoin profondément humain qui habite toutes les personnes, peu importe leur orientation sexuelle. C'est pourquoi les parents gais existent et continueront d'exister. Continuer de faire l'autruche et leur ignorer des droits normalement reconnus aux parents hétérosexuels constituent selon moi davantage une menace pour la famille que peut l'être l'inverse, contrairement à ce que certains peuvent penser. En quoi donner tout ce qu'on a d'amour et s'engager pour toute la vie auprès d'un enfant peut-il être une menace pour la société ou pour la famille? Pourquoi demander aux gais et aux lesbiennes de renoncer à une partie de leur humanité au nom de leur différence?

Le législateur se doit de supporter les projets parentaux de tous ses citoyens et d'offrir les mêmes opportunités d'épanouissement à toutes les familles, qu'elles soient traditionnelles, éclatées, recomposées, monoparentales ou homoparentales. Je suis convaincue qu'une législation qui serait davantage sensible aux réalités gaies et lesbiennes, et plus inclusive surtout, aurait un impact énorme sur la vie quotidienne des enfants de familles homoparentales. Non seulement cela apporterait une sécurité au niveau légal et une stabilité de ces enfants-là, mais je crois aussi que ça contribuerait à offrir une image renouvelée de la famille et des couples de même sexe.

Encore une fois, je le répète, je suis très fière d'être ici aujourd'hui. On a beaucoup parlé aujourd'hui et hier, et je pense qu'on va continuer à en parler au cours de cette commission, de l'intérêt des enfants. Vous en avez trois ici, devant vous, qui sont devenus des adultes, qui sont des citoyens politisés, engagés et qui viennent ici, jusqu'ici pour vous dire combien ils sont fiers de leurs parents.

Juste pour conclure, j'aimerais vous dire... J'aimerais vous relire la conclusion de mon témoignage, de mon mémoire. En fait, depuis quelques années déjà je participe au Défilé de la fierté gaie, je marche avec les milliers d'hommes et de femmes qui sont gais et lesbiennes. Ma mère, elle, préfère rester spectatrice. Elle continue toujours à cacher son orientation sexuelle et se ferme à toute discussion avec sa fille, même si elle la sait ouverte et sensible à la réalité des communautés gaies et lesbiennes. Moi, je dis que, tant et aussi longtemps que le législateur continuera de nier les droits liés à la parentalité des conjoints de même sexe, il niera par le fait même tous les efforts que posent quotidiennement les parents de même sexe pour élever leurs enfants. C'est ni plus ni moins donner raison à ma mère d'avoir caché pendant toutes ces années l'amour qu'elle avait pour une autre femme. C'est aussi rejeter les adultes que nous sommes devenus.

Lorsque je me suis mise à écrire mon mémoire, mon témoignage, je me suis souvenue d'une discussion que j'avais eue avec un ami au sujet de la fierté gaie, de la fête de la fierté gaie. Il me disait: Mais pourquoi une célébration de la fierté gaie? Je suis hétérosexuel, moi, puis je ne vais pas crier ça sur les toits. Et je lui avais dit, reprenant les paroles d'un porte-parole de la communauté gaie, que c'était la fierté de ne plus avoir honte que ces milliers d'hommes et de femmes célébraient annuellement. Moi, ce que je vous dis, c'est que j'espère seulement un jour pouvoir marcher aux côtés de ma mère. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Merci beaucoup, Mme Gariépy ? je vais vous appeler comme ça. Pour les échanges, M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, je pense que, juste pour entendre ces trois témoignages, ça justifiait d'avoir la commission parlementaire que nous tenons maintenant. C'est extraordinaire, ce que vous avez dit. J'ai pensé, en vous écoutant, à ce qu'on avait déjà eu comme slogan au Québec, qui était Un Québec fou de ses enfants. Mais je pense qu'on devrait dire: Des enfants fous de leurs parents. Et c'est beau, c'est beau, c'est extraordinaire! Vous avez eu des phrases qui nous ont fait vibrer pas mal: Présumer que je suis homosexuel parce que ma mère est lesbienne, «c'est le fruit de l'ignorance dans toute sa splendeur» ? en italique. «L'homosexualité de mon père m'a amenée à avoir une ouverture d'esprit et à ne pas juger les gens.» Et l'autre: «Comment un sentiment aussi grand que l'amour qui unit deux personnes puisse avoir tant mortifié l'enfant que j'étais et m'inspirer des sentiments aussi dévastateurs que la honte?» C'est ça que vous avez dit et c'est ça qu'on vit. C'est ça que vous vivez puis c'est pour ça qu'on est ici, je pense, pour se parler, s'entendre. Et quand je dis «se parler», ce n'est pas simplement les parlementaires qui sont ici, c'est tous les gens qui nous écoutent à travers le Québec, ta mère, Annick, qui t'écoute, qui a dû être très émue de t'entendre. Peut-être un petit peu surprise au début, mais je pense...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: ...très émue. Et ça, je vous remercie infiniment d'être venus ici, d'avoir eu l'audace, le courage, la force de venir dire ces choses-là, qui ne sont pas faciles. Mais venant de jeunes comme vous, qui sortez si beaux, si belles de ce que les gens croient être une situation épouvantable, atroce, traumatisante même, vous sortez plus beaux que n'importe qui. Alors, bravo puis merci infiniment!

Le Président (M. Gautrin): Sans vouloir formaliser, en principe, le public ne doit pas signaler son...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Alors, est-ce qu'il y aurait d'autres parlementaires ministériels qui voudraient intervenir? M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Oui. Alors, je reprends un peu les mots du ministre, je pense que c'est les mêmes phrases que j'avais citées. D'abord, je veux vous féliciter, vous êtes bien structurés. C'est un témoignage émouvant et important. Vous avez dit des vérités: l'amour, l'affection, c'est majeur, et on voit que vous avez grandi dans ça. Vous avez proposé des choses importantes ? je pense que c'est venu aussi dans les autres témoignages ? à l'école puis la proposition d'un programme d'éducation; je pense que, ça, c'est majeur, ça revient souvent. Moi, j'étais dans l'enseignement; vous avez raison sur plusieurs points. Et ça, je pense qu'il faudrait tenir à ça.

J'aurais peut-être une question à poser à Julie, à Ludovic, puis peut-être une tout à l'heure... Vous avez parlé de violence, de frustration, souvent dénonciation. Vous autres, vous vivez ça de quelle façon, vous? Vos mères, par exemple, et vous, vos pères vivent ça. Est-ce qu'ils vous en ont parlé? Est-ce qu'ils échangeaient? Est-ce que c'était quelque chose d'invivable? Est-ce que vous aviez l'occasion à ce moment-là d'en discuter, d'en parler?

Le Président (M. Gautrin): Alors, qui veut répondre?

Mme Pétrin (Julie): Je vais y aller.

Le Président (M. Gautrin): Mme Pétrin.

Mme Pétrin (Julie): Je n'ai pas réellement parlé avec mon père. Moi, je n'ai jamais vécu de violence. Je sais que c'est arrivé une fois que, en discussion avec mon père et son conjoint, mon frère était là, et j'ai appris que mon frère s'était fait battre à l'école. C'est venu me chercher à l'intérieur de moi parce qu'on s'attaquait à mon frère, on s'attaquait à ma famille. À part de ça, un de mes oncles a pensé que mon père abuserait de nous et de ses enfants, à mon oncle. Pas du tout. Je l'ai su bien plus tard, et ça m'a fâché, et les liens sont brisés avec lui présentement, justement un peu à cause de ça; il y a d'autres facteurs aussi.

Mais en tant que parler de la violence, non, parce qu'on ne l'a jamais vécue. Je ne me souviens pas que mon père ait dit comme quoi qu'il se soit fait frapper, je veux dire, en se promenant ou quoi que ce soit. Il ne s'affichait pas, là. Son conjoint avait peur de s'afficher homosexuel, donc ils ne se tenaient pratiquement jamais la main quand ils se promenaient dans la rue. Donc, ça ne se voyait pas. Ce n'est pas marqué non plus sur le front de quelqu'un, qu'on est homosexuel. Donc, non, ce n'est pas arrivé, mais je trouve ça regrettable d'entendre des fois dans les médias qu'il y a des homosexuels qui se sont fait violenter, justement parce qu'ils sont homosexuels. Ça n'a aucun rapport.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que quelqu'un veut ajouter en réponse? Oui, M. Maillé-Prévost.

M. Boulianne: Mais ce que je voulais dire aussi à Ludovic: Est-ce qu'ils vous ont dit...

Le Président (M. Gautrin): Attendez un instant, M. le député de Frontenac, il y a M. Maillé-Prévost qui veut donner un complément de réponse.

M. Boulianne: Oui, mais je voulais ajouter quelque chose. Allez-y.

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Je voulais rajouter par rapport à la violence. Je pense que la violence, comme je l'ai dit tout à l'heure, n'est pas nécessairement une attaque directe. Je pense que c'est à plusieurs niveaux. Donc, de la violence, j'en ai vécue, et tous ceux qui m'entourent ici en vivent, et même ceux qui ne sont ni gais ni lesbiennes en vivent dans le sens où les propos homophobes touchent tout le monde, ceux qui appartiennent au stéréotype ou même quand c'est des insultes, même si ce n'est pas proprement des insultes. Donc, moi, comment j'ai fait? C'est que je me suis affirmé. J'avais beaucoup d'amis qui m'aidaient là-dedans, puis on ne m'a jamais attaqué directement. Mais je ne veux pas savoir ce qu'on a dit sur mon compte par rapport à des préjugés.

n(15 h 40)n

Le Président (M. Gautrin): Merci. M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Ce que je voulais dire aussi: Est-ce que vos parents vous disaient à un moment donné... se confiaient: Ce n'est pas vivable, ça n'a pas de bon sens, où est-ce qu'on s'en va, c'est terriblement difficile dans la société? Est-ce qu'ils étaient découragés?

Le Président (M. Gautrin): Qui veut répondre? Mme Pétrin, encore?

Mme Pétrin (Julie): Non. Je veux dire, mon père, il ne montrait pas comme quoi qu'il était découragé, il s'est toujours battu. Ça fait des années qu'il se bat pour les droits des homosexuels. Depuis des années, il fait le Défilé de la fierté gaie. Je veux dire, il est impliqué socialement dans plusieurs choses pour les homosexuels. Non, pas découragé, mais en même temps je vous dirais oui parce que des fois il essaie de se battre... Il envoyait plusieurs lettres au ministre, et les lettres n'étaient même pas lues, elles étaient jetées. On ne le rappelait pas, on n'envoyait rien. Qu'on soit rendu aujourd'hui ici, je pense que c'est une fierté pour lui puis une fierté un peu pour tout le monde qui s'est battu pour les droits des homosexuels. C'est sûr que c'est frustrant des fois quand on ne voit rien, là, mais...

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'il y a quelqu'un qui veut ajouter? Mme Gariépy.

Mme Gariépy (Annick): Oui. Bien, peut-être, en fait, moi, ma mère, en le cachant toujours, ça a fait un message assez clair, là, de l'image qu'on lui renvoyait, là, dudit miroir qu'on lui renvoyait. C'est certain que... En fait, je n'en ai pas parlé avec elle, de ça, précisément parce que, comme je vous dis, il y a beaucoup de non-dit. Mais sûrement, si elle a pris cette décision-là pour moi, pour ma soeur et pour elle, c'est qu'elle sentait qu'il y avait une résistance lorsqu'elle l'annonçait. Donc, probablement que c'est un effet, là, de ça. Donc...

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que vous avez d'autres questions, M. le député de... Une autre question, M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: M. le Président, à Annick, parce que c'est toi qui en a parlé. Est-ce que le Défilé gai, c'est un événement important?

Mme Gariépy (Annick): Pardon?

M. Boulianne: Est-ce que le Défilé gai ou les... est-ce que c'est important, c'est un événement important, ça, majeur?

Mme Gariépy (Annick): Bien, c'est certain que les images qu'on présente à la télé annuellement, ce n'est pas l'image que, moi, je me fais d'un gai et d'une lesbienne, moi, pour avoir vécu toute ma vie avec ma mère, et je ne me reconnais pas nécessairement dans toutes les images qui sont projetées par les médias. Maintenant, je trouve quand même important d'être là pour signifier que je suis solidaire. Et, comme je vous dis, ma mère reste souvent chez elle à regarder la télé puis elle me dit: Il était beau, le défilé. Je dis: Oui, maman, tu sais, j'étais là, tu m'as vue. C'est ma façon pour moi de lui dire que, même si on ne s'en parle pas, je suis là pour elle puis je suis fière d'elle.

Le Président (M. Gautrin): Des commentaires? Bon. M. le député de Roberval.

M. Laprise: Est-ce que les préjugés auxquels vous avez, disons, été appelés à faire face vous ont sensibilisés à des préjugés qu'un peu tous les enfants dans les écoles, à un moment donné, ils font face à des préjugés, peu importe la dimension familiale qu'ils peuvent avoir, peu importe la façon que la famille est composée? Je pense que c'est toujours l'amour qu'il y a à l'intérieur de la famille qui fait la valeur familiale. Est-ce que ces expériences-là vous ont préparés à défendre justement autour de vous autres tout préjugé qui s'attaquait à un enfant?

Le Président (M. Gautrin): M. Maillé-Prévost.

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Donc, comme le disait ma collègue Julie, c'est qu'on peut en sortir fortifié comme aussi blessé. Je pense que, quand on est bien supporté, oui. Moi, j'en suis sorti fortifié. Je suis en techniques de travail social où j'exerce une conscience sociale et la démystification des préjugés, exclusivement l'homophobie, et dans mes ? comment dire? ? revendications et dans mes motivations professionnelles. Donc, oui, je suis plus sensible à ça.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'il y a une d'entre vous qui veut compléter la réponse?

Mme Pétrin (Julie): Bien, je veux juste...

Le Président (M. Gautrin): Mme Pétrin.

Mme Pétrin (Julie): Je veux juste rajouter comme quoi que justement, oui, ça nous a permis d'avoir une ouverture d'esprit plus grande, comme j'ai déjà dit dans mon mémoire. Je pense, de vivre avec un père homosexuel... peut-être même ça aurait fait la même chose, j'aurais vécu... j'aurais été adoptée par un couple noir ou d'Asiatiques ou n'importe quoi, je pense... ou de classe sociale différente aussi, j'aurais eu une ouverture d'esprit plus grande dépendamment avec qui qu'on vit. Je pourrais avoir un couple hétérosexuel proche de moi, mais je ne serais pas plus ouverte d'esprit, tu sais, ou plus... Ça dépend de l'éducation qu'on reçoit, je pense, puis comment qu'on est intérieurement, notre individu, nous.

M. Laprise: Cela veut dire que la famille, peu importe ses différences, c'est toujours ce qu'il y a au coeur de la famille, qui est l'amour...

Mme Gariépy (Annick): Oui.

M. Laprise: ...qui fait foi de tout. Et j'en viens, en terminant... En terminant, je dirais que ce n'est pas l'amour du pouvoir qui va changer le monde, c'est le pouvoir de l'amour. Et vous en êtes des témoins. Je pense que c'est évident.

Le Président (M. Gautrin): Mme Gariépy, à votre question, voudrait ajouter quelque chose, M. le député de Roberval.

Mme Gariépy (Annick): Oui, merci. Je voulais juste rajouter: C'est sûr qu'on ne fait pas l'analyse de ça comme ça, mais c'est certain que les préjugés auxquels j'ai dû faire face m'ont rendu, là, le sentiment de l'injustice à fleur de peau. C'est probablement pour ça, une des raisons pour lesquelles j'ai choisi d'être avocate: le sentiment de justice, pour moi, c'est quelque chose de très important. Je l'ai vécu, et puis...

Le Président (M. Gautrin): Je vais vous appeler «maître», hein!

Mme Gariépy (Annick): Pardon?

Le Président (M. Gautrin): Je vais recommencer à vous appeler «maître».

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Gariépy (Annick): Ah non, ah non! Ne faites pas ça, ne faites pas ça. Ha, ha, ha! Alors, non, c'est tout ce que j'avais à dire. Donc, oui, ça a eu une influence positive dans mon choix de carrière, évidemment.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Merci, M. le Président. Je me posais la question: Est-ce que vous vous êtes connus ici ou vous vous connaissiez avant et vous avez décidé ensemble de témoigner? Ou est-ce que vous aviez décidé séparément de témoigner et puis qu'il y a une convergence? C'est plus qu'une curiosité, c'est afin de savoir... En fin de compte, vos positions semblent tout à fait personnelles, issues de votre histoire, mais est-ce que vous vous étiez parlé avant ou vous vous êtes connus ici?

Le Président (M. Gautrin): Alors, Mme Gariépy.

Mme Gariépy (Annick): Oui. Bon, je n'en ai pas fait mention dans mon témoignage aujourd'hui, mais Julie, c'est, mon Dieu, ma belle-soeur, si on veut, puisque mon copain est le fils de son père. Donc, mon copain est son frère. Donc, moi, j'ai une maman lesbienne et un beau-papa gai ? ha, ha, ha! ? si on veut s'exprimer ainsi.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Gariépy (Annick): Puis ensuite, si je pouvais juste rajouter là-dessus, mon Dieu, je peux me permettre d'attendre, mais en même temps j'ai tellement hâte d'avoir des petits enfants parce que je sais qu'ils vont faire, les deux, des grands-parents formidables.

Le Président (M. Gautrin): Extraordinaire! Est-ce que ça répond à votre question, M. le député de Saint-Jean?

M. Paquin: Donc, M. Maillé-Prévost, vous, vous ne les connaissiez pas?

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Non, je ne les connaissais pas. En fait, je suis venu en solitaire et je repars en solidaire.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Ah bon!

M. Paquin: C'est une formulation tout à fait intéressante. J'aurais pourtant une question mais plus technique, et je ne veux pas insister si vous préférez ne pas répondre à cette question-là. Elle s'adresserait à Me Gariépy. Vous avez indiqué que vous étiez de père inconnu, donc vous ne connaissez pas la provenance de votre géniteur et tout ça. Vous êtes avocate et vous avez une précaution importante contre les injustices. Alors, moi, j'ai une préoccupation du côté de la bioéthique et je me pose la question...

Lorsque des adultes font des enfants ou donnent des semences, ou un ovule, ou un ovocyte, ils savent ce qu'ils font et plusieurs préfèrent garder l'anonymat là-dessus. Par contre, l'enfant, lui, il n'est pas responsable des choix qui ont été faits, et vous avez vous-même mentionné qu'on n'est pas responsable de... On ne choisit pas ses parents. Alors, il y a donc des problèmes, à un moment donné, qui peuvent survenir sur le plan génétique, sur le plan de l'hérédité, sur le plan non pas de la filiation mais de l'ascendance génétique. Alors, si vous êtes à l'aise de répondre à la question, j'aimerais savoir ce que vous pensez, vous, du fait que les dons de sperme soient anonymes.

Le Président (M. Gautrin): Mme Gariépy.

Mme Gariépy (Annick): Oui. Bien, peut-être que je vous ai laissé sur une mauvaise impression, mais, moi, ma mère n'a pas eu recours à la procréation médicalement assistée. En fait, je ne pense pas qu'en 1977 ce service-là était très courant ? et là peut-être que je me trompe. Ma mère a vraiment eu une relation, j'imagine, avec un homme, puis c'est son choix. Son choix a été d'être débarrassée... Non! Ha, ha, ha! Son choix a été de m'élever seule. Donc, comme je vous dis, pour ce qui est de... Peut-être que je vous ai laissé sur une mauvaise impression, mais ça n'a pas du tout été le cas, là, chez nous.

M. Paquin: Bien, disons, le fait est que, comme personne, vous êtes dans cette situation-là, mais comme avocate et comme personne préoccupée des droits, est-ce que vous avez à ce moment-ci déjà une opinion sur le fait que les ovocytes ou les ovules ou le don de sperme puisse être anonyme? Est-ce que vous pensez que l'enfant, au besoin, aurait le droit de connaître son bagage héréditaire, sinon de connaître le géniteur, mais au moins de connaître son génotype?

Mme Gariépy (Annick): En fait, je me demande, et avec tout le respect que je vous dois, je me demande si cette question-là est vraiment pertinente dans le débat qui nous concerne. C'est une question qui doit se poser à la largeur de la société. Donc, c'est certain que la question doit être posée, et je me demande seulement si c'est le bon forum. Et je ne serais pas habilitée franchement à vous répondre, n'étant pas une avocate dans ce domaine-là.

M. Paquin: Je vais vous dire pourquoi je considère que c'est le bon forum. Parce que, voyez-vous, pour régler certains problèmes, comme parlementaires, on souhaite le faire en ne créant pas de nouveaux problèmes. Or, si on veut donner aux personnes qui vivent une relation homosexuelle les mêmes droits et privilèges ? en fait, pas les donner mais les reconnaître ? au même titre que ceux qui vivent dans une relation hétérosexuelle, il faut questionner aussi ce qu'on fait pour les hétérosexuels. Alors, notamment au niveau de la parentalité, de la filiation et tout ça, il y a le fait que l'insémination artificielle actuellement, telle qu'elle est pratiquée au Québec, les spermes sont anonymes. Et si on doit, par exemple, légiférer sur cette question-ci, il ne faudrait pas qu'on crée une nouvelle situation en n'ayant pas pris des précautions sur un autre aspect de la question.

Autrement dit, en réglant un problème, les gens sont en demande sur quelque chose, on peut bien accorder la chose, mais en l'accordant de la bonne façon, en ne créant pas une nouvelle problématique, en particulier sur le droit des enfants qui sont produits. Et, à ce moment-là, moi, qui suis biologiste, j'ai une préoccupation particulière sur les questions de la procréatique, des naissances assistées par les moyens technologiques et biologiques, et une des conséquences, c'est celle sur les enfants. Ma préoccupation est à ce niveau-là. C'est pour ça que je cherche, lorsque j'ai l'occasion d'en parler avec quelqu'un qui a des raisons d'être sensible à cette question-là, un éclairage supplémentaire. Alors, vous me dites que vous n'êtes pas en mesure de le faire. Je veux bien, mais je voulais au moins que vous sachiez que, dans mon esprit, il y a un lien nécessaire et que le législateur ne peut pas se permettre de légiférer sur un secteur, sur une demande, en ne voyant pas des conséquences domino ailleurs, dans la périphérie de ce sur quoi on chemine.

n(15 h 50)n

Le Président (M. Gautrin): Brièvement, Mme Gariépy.

Mme Gariépy (Annick): Oui. En fait, moi, je vois qu'à l'heure actuelle il y a davantage de risques pour les lesbiennes qui désirent avoir accès à la procréation médicalement assistée et qui ne peuvent pas l'avoir parce que soit que certaines cliniques le refusent... Alors, ces femmes-là, leur seule opportunité de fonder une famille, c'est de s'adresser à un ami. Et puis, dans ce cas-là, on tombe... Je sais que c'est une solution pour une autre, mais ces femmes-là n'ont pas de choix, donc elles s'adressent à des amis pour un don de sperme qui n'est évidemment pas anonyme cette fois-là. Et puis là, moi, je trouve que ça risque encore plus de disloquer les liens familiaux parce que là il y a vraiment trois personnes qui... en fait, deux personnes qui ont formulé le désir de fonder une famille et une troisième qui, potentiellement, pourrait demander des droits d'accès ou quoi que ce soit alors qu'elle ne faisait pas partie du projet.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Mme la députée de Bourassa, au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Merci beaucoup. Je voudrais à mon tour vous remercier tous les trois pour les très beaux témoignages que vous nous avez donné l'occasion d'entendre. Ce matin, il est ressorti un petit peu plus qu'hier des problématiques qui sont soulevées à l'école ou que vous avez vécues également à l'école. Et, M. Prévost, dans votre mémoire, vous dites: «Si, à l'école, les professeurs avaient exposé la possibilité qu'il y ait des familles comme la mienne, peut-être que les élèves auraient su qu'il n'y avait pas de liens de causalité entre l'orientation sexuelle des parents et celle des enfants.» Et, Mme Pétrin, vous avez, en conclusion, notamment formulé également deux recommandations: l'une s'adressant au ministère de l'Éducation et l'autre au ministère de la Santé. Et, Me Gariépy, je suis sûre aussi que vous êtes sensible à ça.

Puis-je vous demander à tous les trois de nous aider à concevoir l'école idéale? Quelle serait-elle, cette école-là, et qu'est-ce qu'on devrait faire pour qu'elle le soit, pour les enfants?

Le Président (M. Gautrin): Alors, qui veut se... M. Maillé-Prévost.

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Donc, je crois que l'école, comme le monde où on est, ne sera jamais idéale, premièrement. Mais, si on veut arriver vers un idéal, il y a des étapes à franchir, c'est sûr, et je pense que la prochaine qu'on a à franchir, c'est ? que ce soit dans tous les domaines ? essayer de détruire les préjugés parce que ce n'est que des fausses connaissances. Et, à l'école, on est supposé apprendre les vraies connaissances, que ce soit au point de vue scientifique ou moral. Alors, pour moi, l'école idéale, c'est une place où on apprend toutes les réalités du monde. Et les réalités du monde, l'homosexualité en est une; seulement, elle n'est pas dans les manuels scolaires. Alors, moi, pour moi, ça contribuerait à l'enseignement d'une manière extraordinaire.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'une de vos consoeurs veut rajouter quelque chose? Non. Est-ce que vous avez d'autres questions, Mme la députée de Bourassa?

Mme Lamquin-Éthier: Non, mon collègue en aurait une.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Shefford.

M. Brodeur: Merci, M. le Président. Premièrement, je dois vous féliciter tous les trois pour votre excellent mémoire qui fut très touchant, qui est un constat d'une réalité... constat malheureusement d'une vraie réalité. Vous avez dit clairement dans vos mémoires que ce qu'on a besoin en fin de compte, c'est d'un changement de mentalité, combattre ces préjugés-là. Et on sait très bien, comme l'a dit Mme Gariépy ou Me Gariépy, que, de toute façon, ça va continuer à exister comme ça a toujours existé.

On sait aussi que si vous êtes ici, c'est parce que le gouvernement du Québec est en quelque sorte ou a été en quelque sorte aussi un moteur de changement, et tous les gouvernements... On a parlé de sexisme, de racisme. Et le gouvernement se doit également de donner l'exemple et d'être le moteur d'un changement de mentalité. Est-ce que vous iriez jusqu'à dire ? et vous pourriez peut-être nous confirmer ? que le gouvernement doit prendre des mesures, par exemple, autant comme on l'a fait dans les cas de communautés culturelles, pour essayer de dissiper ce racisme-là? Donner l'exemple, en fin de compte, à la population de la marche à suivre et prendre les mesures nécessaires. Autant on a parlé d'éducation, on peut parler aussi de fonction publique et de tous les organismes gouvernementaux. Est-ce que vous pouvez nous dire si vous préconisez des mesures actives et immédiates non seulement en ce qui concerne l'union entre les personnes du même sexe mais aussi de véhiculer un message qui serait celui, en fin de compte, d'une reconnaissance complète par le gouvernement du Québec, entre autres, des couples homosexuels? Et non seulement des couples homosexuels mais de l'homosexualité à travers les organismes gouvernementaux.

Le Président (M. Gautrin): Qui veut répondre? Mme Gariépy.

Mme Gariépy (Annick): Bien, c'est sûr que là on est en face d'une discrimination qui est systémique, là, c'est-à-dire qu'elle est très insidieuse. C'est sûr qu'il ne faut pas se leurrer: Dans 10 ans, je ne pense pas qu'on va pouvoir parler du passé, on va être encore... Ça va être une question encore très d'actualité.

Maintenant, peut-être une première étape ? et puis ça, je veux dire, ça me concerne plus particulièrement ? au lendemain de l'adoption de la loi, je pense qu'il serait important qu'une information adéquate sur l'union civile, si c'est la volonté de l'Assemblée nationale, en fait, si l'union civile existe, qu'une information adéquate soit donnée à tous les Québécois et à toutes les Québécoises. Il me semble que ça, ça serait une première étape. Et ça, c'est de l'information juridique vulgarisée, là. C'est très facile.

Pour ce qui est de tout, là... s'attaquer à la discrimination systémique comme telle, c'est certain que, comme je vous dis, ça ne prend pas quatre ans, ça prend plus que ça. Ça demande des investissements, des orientations stratégiques à l'intérieur des ministères. Donc, je pense que chacun des ministères va devoir faire sa part. Et ce n'est certainement pas une loi qui va changer tout, mais c'est une loi qui va être justement le moteur de plein d'autres choses, j'espère.

Le Président (M. Gautrin): M. Maillé-Prévost, vous sembliez vouloir dire quelque chose supplémentaire, dans votre langage corporel.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Maillé-Prévost (Ludovic): En fait, c'est pour compléter les propos dits. Donc, c'est ça, je pense qu'effectivement c'est important que le gouvernement s'implique, mais, le gouvernement, c'est vaste. Il n'y a pas des paliers précisés. Mais je pense que ce n'est pas s'implique pour un seul avant-projet de loi, je pense que ça doit être fait sur des années continues, que ça doit être fait à divers paliers, au plan de l'éducation, et, comme je l'ai dit tout à l'heure, au niveau des réalités conjugales et puis, bon, toutes ces variantes-là au point de vue législatif. Et je pense qu'on va pouvoir changer du moment que c'est en haut que ça va changer pour aller vers le bas. Je dis «en haut», parce que vous donnez l'exemple. Donc, je pense qu'en faisant ça il y a une grande chance qu'on puisse changer les attitudes négatives de la population. Donc, c'était pour revenir à la question de monsieur aussi en même temps. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Ça va? M. le ministre, vous aviez encore une dernière question.

M. Bégin: Je ne sais pas si ça va être une question, mais j'ai été frappé quand vous vous êtes présentés.

Une voix: ...

M. Bégin: Vous allez voir. Julie est intervenante en matière de délinquance; Annick est avocate et elle a dit qu'elle voulait défendre les droits; et Ludovic est travailleur social. Est-ce que c'est un hasard si vous avez des métiers qui luttent contre la discrimination ou qui veulent aider les autres? Peut-être que... Vous pouvez ne pas répondre. Mais, moi, ça me frappe.

Une voix: Vas-y, réponds.

Le Président (M. Gautrin): Alors, qui veut répondre?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Bien là je vais répondre.

Une voix: Ha, ha, ha!

n(16 heures)n

M. Maillé-Prévost (Ludovic): Est-ce que c'est un hasard? Non, je ne crois pas. Parce que c'est facile de se voiler les yeux de la réalité quand on ne la vit pas. Quand on la vit, c'est autre chose. Là, on est confrontés plus à des films ou à des médias. Non, là, on est confrontés à la réalité, on est confrontés à des problématiques qui nous... Ah! Et on se rend compte qu'on n'est pas seuls dans cette problématique-là. Donc, je crois que c'est là que ça nous motive à faire changer des choses, à faire changer la société, les mentalités, et par conséquent se changer soi-même aussi. Il faut croire que notre chemin nous a portés à une grande évolution aussi.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que vous voulez compléter, Mme Pétrin?

Mme Pétrin (Julie): Oui, je voulais juste dire comme quoi que j'ai toujours voulu être éducatrice, travailler auprès des enfants. La seule chose... je pense, que qu'est-ce qui m'a été donné, c'est la volonté de me battre pour les injustices. Ça, je ne l'avais pas quand j'étais jeune. Je voulais aider les gens. Mais là je suis rendue à me battre pour les injustices que des gens peuvent vivre et que, pour moi, ils me blessent puis eux autres aussi, ça les blesse.

M. Bégin: Je pense bien que, comme note, vous méritez tous les trois A plus.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Alors, on vous remercie M. Maillé-Prévost, Mme Pétrin, Mme Gariépy, de votre témoignage. C'est très instructif, et je suspends les travaux de la commission pour quatre minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 1)

(Reprise à 16 h 11)

Le Président (M. Gautrin): ...on va attendre que nos collègues de l'opposition officielle soient présents.

Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Excusez mon retard.

Le Président (M. Gautrin): Ah! ma générosité est immense. Alors, étant donné que nous avons quorum, nous allons reprendre nos travaux et, suivant l'ordre du jour que nous avons adopté ce matin, nous allons écouter le témoignage de Mme Susset.

Mme Susset, vous avez probablement connu notre procédure, mais je vais vous la rappeler. Vous avez 30 minutes devant vous: 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, 10 minutes pour les questions qui viendront des parlementaires ministériels et 10 minutes pour les questions des parlementaires de l'opposition officielle. Alors, vous avez la possibilité de vous exprimer, madame.

Mme Françoise Susset

Mme Susset (Françoise): Merci. Merci de m'avoir invitée à m'adresser à vous à cette commission parlementaire. Je voudrais me présenter. Je suis psychologue. Je suis membre de l'Ordre des psychologues du Québec, membre aussi de l'Ordre des travailleurs sociaux du Québec depuis peu, en tant que thérapeute conjugale et familiale, et aussi membre de l'Ordre des psychologues du Minnesota, qui est l'endroit où j'ai travaillé pendant de nombreuses années.

En plus de ma Maîtrise en psychologie clinique, j'ai une formation de deux ans post-Maîtrise en thérapie conjugale et familiale. Ça représente un intérêt particulier de ma part.

J'ai travaillé auprès de communautés diverses. J'ai une pratique générale pour l'instant. Je travaille aussi bien auprès des couples que des familles, des individus autant hétérosexuels que gais ou lesbiennes. J'ai travaillé dans le milieu de la toxicomanie, dans un institut qui s'appelle Pride Institute, au Minnesota, qui est en fait le premier institut qui était un institut pour traitement pour toxicomanes, alcooliques et toxicomanes gais et lesbiennes. C'était en fait le premier au monde de ce genre.

J'ai travaillé aussi pendant trois ans, je pense ? vous avez mon c.v. ? à Family and Children's Service, qui est un service social qui offre de la psychothérapie aussi bien... à toute la communauté, mais il y avait un programme qui était particulièrement axé aux besoins des personnes gaies ou lesbiennes, autant individus, couples que familles.

Je suis aussi formatrice avec un programme du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui s'appelle Pour une nouvelle vision de l'homosexualité, où je parcoure, avec mes collègues, le Québec afin de sensibiliser nos intervenants du réseau aux besoins des individus, des couples et des familles homosexuelles.

J'ai de plus participé, en 1995, à la rédaction d'un article, qui est une révision de littérature sur les effets sur les enfants d'être élevés par des parents gais ou lesbiennes. Ça a été publié dans la revue Prisme.

Le Président (M. Gautrin): Mais, madame, certains de mes collègues ne vous entendent malheureusement pas...

Mme Susset (Françoise:) Pardon!

Le Président (M. Gautrin): ...peut-être parce que vous êtes un peu loin du micro. Vous pouvez peut-être vous rapprocher du micro ou...

Mme Susset (Françoise): D'accord. Ça va mieux comme ça?

Le Président (M. Gautrin): ...parler un peu plus fort.

Mme Susset (Françoise): D'accord. Tout ce que je vous ai dit, c'est en première page de mon mémoire. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Non, non, mais, moi, je vous entendais.

Mme Susset (Françoise): Oui, d'accord, d'accord. Alors, je viens vous parler de mon mémoire. La raison pour laquelle j'ai cru bon de participer à ce processus, c'est que, depuis environ 15 ans, je travaille, entre autres, auprès des communautés gaies et lesbiennes et aussi parce que j'ai un intérêt particulier pour les couples et les familles de tout ordre, hétérosexuels aussi bien qu'homosexuels.

J'ai une croyance profonde qu'en fait nous créons des citoyens productifs et positifs en nous assurant que leur bien-être commence déjà au sein de leur couple et de leur famille. C'est la raison pour laquelle je me suis spécialisée dans ce domaine: alors, aussi bien pour les enfants qui sont gais et lesbiennes dans des familles de parents hétérosexuels que pour des parents gais et lesbiennes qui élèvent des enfants. Ces deux domaines m'intéressent particulièrement.

Cet avant-projet de loi vraiment est un pas en avant important. Une des considérations, par contre, que j'ai eues ou une des inquiétudes que j'ai eues par rapport à la création d'un statut séparé, d'un statut pour les familles gaies ou lesbiennes, c'était la possibilité justement de confirmer au sein de la population québécoise l'idée que les personnes gaies et lesbiennes étaient vraiment une communauté à part et qu'il fallait donc créer des institutions séparées.

J'ai parlé, dans mon mémoire, de la situation aux États-Unis, qui a eu lieu dans les années cinquante, où on a tenté justement de remédier aux problèmes de discrimination en créant des institutions séparées pour les personnes afro-américaines et, en fait, ce qu'on a appris avec le temps, avec l'histoire et le recul, c'est que de créer un statut séparé vient encore plus confirmer la différence, qu'il faut créer quelque chose de différent pour ces personnes.

Une des recommandations ou une des choses que je voulais suggérer, c'était probablement d'ouvrir la possibilité de l'union civile aux couples de sexe opposé, aux couples hétérosexuels. De nombreux couples au Québec, hétérosexuels, ne choisissent pas le mariage pour des raisons historiques, pour des raisons qui vont avec leur croyance profonde, en fait par rapport au mariage et au fait que c'est relié à une institution religieuse. Et beaucoup de couples hétérosexuels en union de fait ne se rendent pas compte, en fait, qu'il y a certains droits qu'ils n'ont pas.

Et, en fait, ce que je voulais suggérer, c'était d'ouvrir la possibilité d'union civile aux personnes hétérosexuelles, aux couples hétérosexuels aussi. Surtout au Québec où on sait qu'il y a une grande partie... on a vraiment le taux de mariage... un des plus bas au monde. Ça pallierait au problème de cette création d'un statut séparé pour les personnes gaies et lesbiennes.

Maintenant, pour parler spécifiquement des couples, je pense que je n'étais pas ici pour le témoignage en entier des enfants de parents de gais et lesbiennes, mais je voulais vous parler un petit peu à partir de ma pratique, de mon expérience clinique. Je vais vous lire, en fait, le cas que je vous ai mentionné dans le mémoire, le cas de Suzanne qui vient me consulter à la suite d'une rupture d'une relation amoureuse de plus de 10 ans avec Micheline. Elle manifeste des symptômes de dépression importants, est en arrêt de travail depuis deux mois.

Elle vient d'une famille très liée et se dit proche autant de ses deux soeurs que de ses parents. Une des sources de conflits importants entre elle et son ex-conjointe se rapportait au fait que sa famille ne reconnaissait pas la place qu'occupait sa conjointe dans la vie de leur fille. Pourtant, après trois ans de vie commune, le couple avait invité tous leurs proches à venir célébrer leur union par une cérémonie qu'elles avaient créée. Puis, lorsqu'elles ont pu le faire, elles se sont déclarées conjointes de fait dans les lois du Québec. Elles étaient invitées ensemble aux fêtes de famille, mais elles étaient plutôt traitées comme colocataires que comme un couple. Elles sentaient bien d'ailleurs qu'elles étaient tolérées tant et aussi longtemps qu'elles ne manifestaient aucune marque d'affection entre elles.

Suzanne avait reçu des directives formelles de la part de sa mère lorsqu'elle s'était aventurée, lors de l'une des premières visites chez ses parents, de prendre la main de Micheline en passant du salon à la salle à manger pour le souper. Lorsque Micheline a perdu sa mère, la famille de Suzanne n'a pas réagi. Pourtant, lorsque le père d'un des beaux-frères de Suzanne est décédé, ses parents sont allés au salon funéraire, et on fait un don important à l'oeuvre de charité désignée par la famille du défunt.

n(16 h 20)n

Suzanne se sentait coincée émotionnellement entre les règles d'invisibilité imposées par sa famille et son désir de donner à Micheline la place qu'elle s'attendait à occuper au sein de sa belle-famille. Chaque contact entre Suzanne et sa famille engendrait des conflits douloureux et difficiles à résoudre dans le couple.

Depuis la rupture, il y a trois mois de cela, Suzanne se sent très seule. Sa famille ne comprend pas pourquoi elle est encore si atteinte par cette perte et lui suggère de trouver une nouvelle colocataire pour partager ses frais d'appartement. Pourtant, lorsque sa soeur a quitté son mari après quatre ans de vie commune, la mère de Suzanne est restée triste pendant des semaines et a même offert à sa fille de revenir au domicile familial afin qu'elle puisse mieux s'occuper d'elle.

Suzanne a intériorisé les mêmes messages que sa famille quant à la légitimité des couples homosexuels. Elle sait que son couple n'est pas reconnu de la même manière que ceux de ses soeurs. Lorsque sa mère lui interdit de tenir la main de sa conjointe, elle ne remet pas en question cet ordre. Elle ne se sent pas le droit de revendiquer en faveur de sa relation amoureuse, car cette famille bénéficie, pour appuyer ses attitudes discriminatoires, des lois du Québec et du Canada qui ne reconnaissent pas aux homosexuels la permission d'affirmer leur engagement au même titre que les couples hétérosexuels.

On rentre vraiment, je pense, dans des subtilités, mais qui n'en sont pas. Ma préoccupation, c'est la santé mentale, l'équilibre de chaque individu qui est membre... qui sont membres d'une famille, hein! Et le problème d'homophobie intériorisée, je ne sais pas s'il a été discuté ici, mais c'est un problème réel. Il n'y a pas que le fait de vivre la discrimination venant de l'extérieur qui pose un problème, il y a aussi le fait que les personnes gaies et lesbiennes évoluent dans le même contexte social que nous tous et donc intériorisent les messages négatifs à leur propre égard. Ça pose des problèmes quand il s'agit d'affirmer la légitimité de leur couple, et même la légitimité de leur famille.

Alors, je pense que c'est important dans ce sens-là aussi d'avoir un statut qui, vraiment, n'est pas réservé aux personnes gaies et lesbiennes, et surtout un statut qui pourrait venir contrer les faits de l'homophobie intériorisée. Suzanne ne s'est pas battue... Oui?

Le Président (M. Gautrin): ...temps et vous avez déjà épuisé votre enveloppe de temps. Je ne voudrais pas vous couper la parole, bien sûr, mais si vous pouviez essayer de synthétiser votre présentation.

Mme Susset (Françoise): O.K. Oui. D'accord. Je voudrais donc... À ce moment-là, je voudrais passer tout de suite à la question des familles. Et une des questions qu'on me pose souvent, quand je donne des formations, à travers le Québec, aux intervenants, c'est la question du modèle parental, l'inquiétude que, si des parents homosexuels ont des enfants, ces enfants vont manquer... l'enfant du sexe opposé va manquer de modèle. Je voulais un petit peu, en tant que psychologue, parler de cette question de modèle.

D'abord, il faut savoir que c'est un principe de base qui a été remis en question par certaines études, hein? C'est un... En fait, on prend pour acquis que l'enfant a besoin d'une personne du même sexe à laquelle s'identifier et on prend pour acquis aussi que cette personne doit habiter dans la maison même. Et, en fait, ce dont on se rend compte, c'est que les enfants trouvent des modèles. Il faudrait faire des efforts surhumains pour enlever aux enfants la possibilité d'avoir des modèles.

Quand je travaille avec des adultes dans mon bureau et qu'on parle, en fait, de qui les entourait quand ils étaient enfants, il m'arrive... Je pose toujours la question dans l'évaluation: Est-ce qu'il y avait des gens significatifs autour de vous autres que votre famille? Alors, souvent, il y avait un professeur, un voisin, une voisine, les parents d'un ami chez qui l'enfant passait du temps, qui a été une source importante d'identification pour l'enfant. Donc, les enfants trouvent des modèles.

De plus, je pense que, quelque part, on réduit des fois la discussion à dire: Il faut absolument avoir une personne de ce sexe opposé au couple lesbien, par exemple, ou au parent... d'hommes gais dans la maison. Il faut absolument que cette personne soit là. Et, en fait, on réduit ça à dire: À peu près n'importe qui ferait l'affaire. Je pense que, si on s'inquiète de la qualité des modèles pour nos enfants, je pense qu'il faut d'abord regarder bien d'autres facteurs que le sexe biologique de la personne qui représente le modèle.

Alors, je ne sais pas s'il reste du temps, mais je voudrais peut-être...

Le Président (M. Gautrin): Madame, je suis souple, mais je ne suis pas extensible à l'infini. Mais je peux avoir une certaine souplesse pour vous laisser finir votre pensée.

Mme Susset (Françoise): Je pense que cette question des modèles, en fait, est une préoccupation très actuelle dans la société. Avec les problèmes des tueries dans les écoles secondaires aux États-Unis, qu'on a connus ces dernières années, on se pose beaucoup de questions sur, particulièrement, le bien-être de nos garçons et l'identité, le développement identitaire des garçons dans notre société. Et il y a beaucoup de choses qui sont remises en question par rapport au modèle qu'on présente aux garçons de ce que c'est que d'être un garçon et, plus tard, un homme.

En aucun lieu, ces questionnements-là passent par l'idée d'avoir à la maison, vivant sous le même toit, une personne du même sexe que le garçon. Alors, je pense qu'il faut vraiment qu'on ouvre la définition de ce que peut être un modèle pour un enfant et de se rassurer que d'avoir deux parents du sexe opposé à l'enfant ne pose vraiment aucun problème au développement de l'enfant.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Susset. Je vais donc commencer les échanges en donnant la parole à M. le ministre.

M. Bégin: Merci, Mme Susset. Si je tente de résumer ce que vous essayez de nous transmettre ? parce que vous avez manqué un peu de temps ? mais j'ai compris que vous disiez, en d'autres mots: Dans notre société, il y a beaucoup de familles monoparentales. Les enfants élevés dans ces familles monoparentales ne souffrent pas, contrairement à ce qu'on peut penser, d'un manque de modèle masculin ? parce que, très majoritairement, ce sont les femmes qui ont les enfants et qui les élèvent dans cette forme de vie ? et qu'en conséquence on se trompait monumentalement, les femmes monoparentales élevaient des enfants parfaitement équilibrés à tous égards et que ces enfants, soit avec l'aide de leur mère ou d'eux-mêmes, trouvaient dans la société le modèle ? entre guillemets ? l'homme masculin nécessaire à l'équilibre de la personne.

C'est, je crois, ce que vous venez nous dire. Autrement dit: Arrêtez de penser que, parce qu'il y a deux femmes ou qu'il y a seulement une femme, ou deux hommes, on va avoir un problème d'identification, un problème de développement de la personnalité. On est capable... les enfants sont capables de trouver, par ailleurs ? à moins qu'il y ait vraiment des cas exceptionnels, là ? sont capables de trouver les modèles requis pour se former une personnalité apte à vivre correctement leur vie. Est-ce que c'est traduire ce que vous vouliez nous dire ou bien si...

Mme Susset (Françoise): Oui, absolument. D'ailleurs, je vous dirais que l'intervention que je fais auprès des femmes hétérosexuelles largement, souvent, c'est au niveau de leur garçon qui arrive à l'adolescence. Les mères elles-mêmes ont intériorisé ce message qu'elles sont inadéquates, qu'elles ne suffiront pas. Et, quand le père est absent, le père n'est plus présent dans un couple hétérosexuel, elles sont très, très inquiètes du développement de leur fils. À chaque fois, tout ce qui a suffi, c'est vraiment de rassurer ces mères qu'elles avaient tout ce qu'il fallait pour élever un fils comme il faut et pour faire de lui un homme tout à fait respectable et respecté dans la société.

Alors, je pense que c'est un message qui fait du mal... qui fait tort vraiment à tout le monde et, en particulier, aux mères qui essaient d'élever des garçons, qu'elles soient lesbiennes ou hétérosexuelles.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Juste sur un autre plan ? c'est votre première conclusion ? vous avez parlé du statut séparé. Vous avez d'ailleurs élaboré un peu tout à l'heure là-dessus en référence, et je pense que vous n'êtes pas la première à avoir fait la comparaison avec ce qui s'est passé aux États-Unis où on a développé pour les Noirs une situation qui a dégénéré dans quelque chose d'inacceptable. Mais sans doute êtes-vous au courant que, à cause de l'histoire constitutionnelle, c'est ce qui nous amène à faire une approche différente. Ce n'est pas avec une arrière-pensée, là, de dire: On va les traiter séparément puis on va les mettre dans une classe particulière, mais, au contraire, c'est le seul instrument parce que l'autre avenue qui nous resterait, c'est de dire: Bon, c'est vrai, si on risque de créer une classe comme celle-là, nous ne voulons pas, donc nous ne faisons rien et nous attendons que le gouvernement fédéral modifie sa loi, et ça, ça peut arriver dans x années, on ne le sait pas.

Alors, partant de là, est-ce que le fait de penser qu'un jour, advenant que le gouvernement fédéral décide d'adopter une loi du mariage qui permette le mariage aux homosexuels... ça serait suffisant pour accepter pour le moment l'union civile, comme elle est, comme quelque chose de peut-être pas parfait, mais qui permet à des gens de faire des gains considérables sur le plan des droits, de l'égalité des droits?

Le Président (M. Gautrin): Mme Susset.

Mme Susset (Françoise): Absolument. Il est important d'accepter ce statut d'union civile comme étant un pas important. Il n'y a aucun doute là-dessus, et je pense que les personnes aux États-Unis qui ont créé ce statut de séparé légal avaient aussi des intentions positives. Je dis simplement que...

Une voix: ...

M. Bégin: Ha, ha, ha!

Mme Susset (Françoise): Bien, je dis simplement qu'il est important de remarquer que ça va vraiment réparer beaucoup de choses, mais ça va créer aussi un problème qui doit être remédié éventuellement. Mais c'est absolument... c'est déjà un pas très, très important, oui.

M. Bégin: O.K.

Le Président (M. Gautrin): Merci. Vous avez d'autres questions, M. le ministre?

M. Bégin: Non.

n(16 h 30)n

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que des parlementaires ministériels auraient d'autres questions? Alors, Mme la députée de Bourassa, au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Bonjour, madame. Vous avez une expérience clinique qui est intéressante, et, si vous permettez, c'est la première fois, je crois, que nous pourrons avoir l'occasion de vous adresser des questions directement en lien avec votre champ de pratique. Mais permettez-moi d'abord... Vous dites: Je suis formatrice pour un programme du ministère de la Santé et des Services sociaux. Vous êtes formatrice depuis quand?

Mme Susset (Françoise): Depuis deux ans. Février 1999.

Mme Lamquin-Éthier: O.K. Et vous faites cette formation-là auprès des intervenants du réseau de la santé et des services sociaux. Est-ce que ça veut dire que vous allez dans les établissements, CLSC...

Mme Susset (Françoise): Oui.

Mme Lamquin-Éthier: Oui. Extrêmement intéressant. Pouvez-vous, s'il vous plaît...

Mme Susset (Françoise): Toutes les régies régionales du Québec sont avisées de cette formation, et toute personne oeuvrant dans le réseau de la santé et des services sociaux peut demander de participer à cette formation. Du moment qu'il y a 20 participants, on vient et on donne la formation. On a été jusqu'aux Îles-de-la-Madeleine, la Gaspésie. On se promène à travers tout le Québec et on parle vraiment à des gens à partir... on parle de gens qui viennent de centres jeunesse, de CLSC, des gens qui travaillent dans le milieu scolaire en tant qu'infirmières, psychologues, des médecins, des travailleurs de rue. On a parlé à beaucoup, beaucoup de gens. On donne cette formation vraiment dans tout le réseau.

Mme Lamquin-Éthier: Et, bon, c'est un programme de sensibilisation, j'imagine...

Mme Susset (Françoise): Oui.

Mme Lamquin-Éthier: ...pour une nouvelle vision de l'homosexualité. Quel est l'accueil? Entrez un petit peu plus dans le cadre du programme: les réactions, avez-vous constaté des changements depuis que vous l'enseignez?

Mme Susset (Françoise): Les réactions sont extrêmement positives. Les évaluations qu'on donne à la fin, là, sont toujours... je dois dire, sont quand même un plaisir à lire, parce que les gens semblent vraiment apprécier la formation. C'est une formation qui est très dynamique et qui vraiment, en très peu de temps, sert à démystifier l'homosexualité, en un premier temps. C'est la première journée de formation.

La deuxième journée de formation est vraiment plus axée vers l'intervention clinique auprès des jeunes, et, la troisième journée, une intervention clinique auprès des adultes, donc vraiment des mises en pratique pour le réseau de la santé et des services sociaux: Que faire quand vous avez, par exemple, une mère lesbienne qui vient vous voir au CLSC, qui a des problèmes avec son enfant? Comment l'accueillez-vous? Que faites-vous avec un homme de 50 ans qui est suicidaire et déprimé parce que son conjoint de 25 ans vient de mourir, mais qu'il n'en a parlé à personne de toute sa vie?

Alors, on les met dans la situation, on leur demande d'intervenir selon leur rôle, en fait, qu'ils ont en réalité, et, nous, on joue les intervenants. Alors, c'est très dynamique. Et je pense qu'en ce moment... Parce que cette formation est donnée... est gérée à travers le Centre québécois de coordination sur le sida, et, à la dernière réunion justement, on se préoccupait de la question de l'évaluation du programme, hein, de voir quels sont les effets du programme. Ce n'est pas évident à mesurer, mais il y a des régions, comme dans la Beauce, où on a formé à peu près tous les intervenants. Ils ont suivi au moins deux des trois formations parce qu'il y avait des gens, dans cette région, par exemple, qui étaient intéressés à organiser les formations et qui regroupaient les gens.

Mme Lamquin-Éthier: Est-ce que les réalités entre les régions ou les grands centres sont différentes? Est-ce qu'il y a des choses, là, qui sont... que vous avez constatées, des difficultés plus grandes en région? Est-ce qu'on peut dire ça, par exemple? Est-ce que ça se vit...

Mme Susset (Françoise): Je pense que ce qui est intéressant, c'est de constater que les... C'est sûr que les gens en région disent que c'est plus difficile, hein, que c'est même plus difficile pour eux en tant qu'intervenants de s'afficher en tant qu'ayant une attitude positive vis-à-vis de leurs clients homosexuels. Mais je dirais en fait qu'on donne surtout les formations en région. Maintenant, on en donne beaucoup à Québec, aussi, ces temps-ci. À Montréal, moins. Alors, on ne s'explique pas trop pourquoi on est moins en demande à Montréal. On n'est pas sûr si c'est les gens... Il semble qu'ils ont moins besoin de formation ou... Pourtant, on entend les mêmes histoires des gens qui accèdent au réseau santé et services sociaux, on entend les mêmes histoires d'horreur de la façon dont ils sont reçus à Montréal qu'en Gaspésie, en Beauce, etc., à Shawinigan.

Alors, il n'y a pas... Moi, je ne constate pas nécessairement de différence. Je constate que les gens qui viennent à la formation le font parce qu'ils sont intéressés par le sujet, le font parce qu'ils sont... parce qu'ils ont besoin de ces outils-là avec la population avec laquelle ils travaillent. Il y a une ouverture d'esprit et vraiment un cheminement qui est très, très positif de la part des intervenants.

Mme Lamquin-Éthier: Vous avez donné tout à l'heure deux exemples, un concernant un enfant, l'autre concernant un adulte, et des difficultés. Est-ce que c'est difficile dans le réseau tel que constitué pour une personne qui vit une difficulté, soit un enfant, soit un adulte ou en couple, d'obtenir les services?

Mme Susset (Françoise): Oui, c'est difficile encore, parce que le processus de démystification, même s'il est entamé, continue d'avoir besoin d'être encouragé. Mais, aussi, quand il s'agit des couples et des familles, le problème devient plus aigu. Même si les gens sont très ouverts par rapport aux copains homosexuels qu'ils ont, etc., quand il s'agit des enfants, les gens ont une réticence profonde. Alors, homosexualité et enfants, il y a encore des mythes profonds et vraiment destructeurs.

À la fin des formations, souvent je dis aux gens ? parce qu'on parle de ce qu'on peut faire concrètement: Parlez aux enfants, parlez à vos enfants, dites-leur qu'il est possible d'avoir des modèles de couple différents d'un homme et une femme, parce qu'il y a 10 % de ces enfants-là à qui vous parlez, vos enfants à vous, vos nièces, vos neveux, vos petits-enfants, etc., il y en a 10 % qui vont avoir des questionnements au sujet de leur orientation sexuelle, et ils se souviendront que... Et je sens toujours une réticence comme: Oh! Mais pas trop jeunes, là, il ne faut pas leur donner des idées. Il y a encore cette idée qu'on peut créer l'homosexualité, hein, que c'est un choix quelque part, et cette idée-là est difficile à déloger.

Mme Lamquin-Éthier: Très intéressant. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que vous avez d'autres intervenants? Alors, je voudrais vous remercier, Mme Susset, en signalant en terminant que vous êtes aussi affiliée au Centre hospitalier de Verdun et que c'est un honneur pour nous.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gautrin): Alors, je demanderais à Mme Julien de bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît.

Changement d'organisme)

Le Président (M. Gautrin): Mme Julien, puisque vous avez probablement... connu nos pratiques, je vais vous les répéter. En général, un témoignage dure une demi-heure, partagée en trois parties: 10 minutes qui vous appartiennent pour présenter votre mémoire, 10 minutes aux questions des représentants ministériels et 10 minutes à la représentante de ou aux représentants de l'opposition officielle. Alors, Mme Julien, vous avez la parole.

Mme Danielle Julien

Mme Julien (Danielle): O.K. Donc, permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis Danielle Julien, je suis professeur et chercheur au Département de psychologie à l'UQAM depuis 1987. Auparavant, j'ai eu une formation de recherche qui a été presque exclusivement centrée sur les questions familiales, en particulier la communication conjugale et parentale.

J'ai eu d'abord une première formation sur la communication entre la mère et son nourrisson ? mère hétérosexuelle ? et, par la suite, mes intérêts, au niveau du doctorat, se sont étendus à la communication conjugale. À la suite de l'obtention de mon Ph.D., je suis partie pendant deux ans et demi, où j'ai poursuivi des études de formation et de recherche postdoctorale au Denver Center for Marital and Family Studies, qui est dans le cadre du Département de psychologie de l'Université du Colorado. Il s'agit d'un centre de réputation internationale sur la question des études familiales et conjugales.

Par la suite, à mon retour au Canada, j'ai participé au concours de chercheurs-boursiers du Canada et j'ai obtenu une bourse de cinq ans de recherche qui m'a permis, en fait, dans le cadre du Département de psychologie de l'UQAM, d'établir un laboratoire. Donc, c'était une position qui me permettait de concentrer mes énergies à la recherche, puisque j'étais dégagée d'enseignement.

n(16 h 40)n

Par la suite, suite à la terminaison de ce contrat de cinq ans, je suis devenue professeur permanent à l'UQAM. Donc, au cours de ces années, j'ai développé une expertise qui, surtout dès mon retour à Montréal, a commencé à se centrer sur la question des familles... c'est-à-dire des relations conjugales homosexuelles, et qui s'est étendue par la suite aux familles homoparentales.

Je définirais mon expertise aujourd'hui comme touchant les réalités familiales en lien avec l'homosexualité. Donc, ça touche pas seulement les familles homoparentales, mais aussi la question des jeunes gais et des jeunes lesbiennes avec leur famille d'origine, la question des parents hétérosexuels qui ont des enfants homosexuels, la question des grands-parents qui ont des petits-enfants nés de parents homosexuels. Donc, disons que j'ai une expertise au niveau des aspects multigénérationnels des réalités familiales en lien avec l'homosexualité.

Je voudrais rapidement vous rappeler un peu l'historique des recherches. L'homosexualité ? je ne vais pas reprendre ce qui a déjà été dit auparavant ? vous savez que ça a été considéré comme, d'abord, un crime, ensuite une maladie mentale, et donc, la recherche a suivi le même pattern finalement des idéologies dominantes dans la société. Donc, on a, pendant de nombreuses années ? je dirais jusqu'au début des années quatre-vingt ? considéré l'homosexualité comme une maladie, et les recherches portaient sur les individus homosexuels en tant que malades mentaux.

Par la suite, je dirais que le sida a amené une révolution au niveau de la recherche. Tout en changeant l'attitude vis-à-vis de l'homosexualité, le sida a eu, malgré ses effets terribles, a eu comme effet, je dirais, au niveau de la recherche, de mettre en évidence les relations, les aspects familiaux en lien avec l'homosexualité. On voyait que les individus homosexuels étaient non seulement des individus qui avaient des relations sexuelles, mais ils avaient aussi des conjoints, des frères, des soeurs, des parents et, pour la première fois... voyaient apparaître le paysage social du réseau social qui entourait l'homosexualité.

Parallèlement à ces études qui sont apparues au cours des années quatre-vingt, on a vu émerger un ensemble de recherches qui étaient motivées par le développement de l'expertise psycholégale sur le développement des enfants qui avaient des mères lesbiennes. La plupart de ces recherches, donc, sont nées avec l'idée de documenter certains aspects du développement des enfants dans le cas où le juge avait à décider si l'enfant allait... la mère lesbienne allait obtenir la garde de son enfant. Je précise que l'ensemble de ces recherches portaient sur des mères lesbiennes qui avaient été auparavant hétérosexuelles, qui s'étaient mariées, et qui se divorçaient, et qui réclamaient la garde de leur enfant, et dont la garde était contestée par l'ex-conjoint. Donc, les premières recherches sur la famille homoparentale sont nées dans ce contexte.

Par la suite, bien sûr, au cours des années quatre-vingt-dix, la recherche a pris davantage d'envergure, et les méthodologies de recherche se sont complexifiées. Mais je vous dirais que, dans l'ensemble des questions qu'on s'est posées, je pourrais les résumer en cinq points. La première, c'est: Est-ce que les enfants ont une confusion au niveau du genre ? est-ce que je suis un garçon, je suis une fille?; est-ce qu'ils ont des confusions au niveau de leur rôle? ? c'est-à-dire, est-ce que, pour résumer simplement, est-ce que les filles deviennent «tomboy», est-ce que les garçons adoptent des attitudes efféminées?; est-ce que les garçons et les filles de parents homosexuels deviennent davantage... sont plus nombreux à devenir homosexuels comparés à des enfants hétérosexuels? Et est-ce qu'ils sont davantage abusés sexuellement? Et enfin, ces enfants ont-ils davantage de problèmes d'anxiété, de dépression, de comportement et d'intégration sociale?

Donc, le plan du mémoire que je vous ai présenté présente en fait, dans un premier temps, deux revues de littérature qui portent sur le résumé de ces recherches. Et, pour illustrer davantage la manière dont les recherches ont procédé, j'ai illustré chacune des questions par cinq types de recherche qui ont tenté d'y répondre. Les résultats de ces recherches sont non équivoques: les enfants n'ont pas plus de confusion de genre, n'ont pas plus de confusion de rôle, ne deviennent pas plus souvent... ils ne sont pas plus nombreux à devenir homosexuels que les enfants de parents hétérosexuels, ils ne sont pas davantage abusés sexuellement et ils n'ont pas davantage de problèmes d'anxiété, de dépression et d'agressivité. Et voilà.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Mme Julien. Alors, M. le ministre, vous pouvez commencer les échanges.

M. Bégin: Merci, Mme Julien. En fait, vous nous apportez une dimension qui est latente et sous-jacente à toutes les discussions, mais vous vous nous donnez le recul de ce qui fait en sorte qu'aujourd'hui on est en mesure de regarder un peu différemment. Les cinq, je ne sais pas si c'étaient mythes, tabous, horreurs, je ne sais pas comment les qualifier, là, que vous venez de décrire, nous montrent bien qu'il faut les éliminer dans l'esprit des gens avant qu'ils puissent passer à un autre stade que celui-là. Et c'est la société qui fait cette évolution-là plus ou moins rapidement, dépendamment des milieux individuels ou des réseaux que nous avons.

Alors, aujourd'hui on sait que, dans la population, il n'est pas possible de déterminer l'exact nombre de personnes qu'il y a, mais, d'après ce que j'ai pu voir dans vos notes, là, c'est entre 1 et 15 %. Mais je pense que c'est d'environ 8 à 10 %, le chiffre qu'on voit le plus souvent. C'est dans l'ordre des choses, ça, 8 à 10 %?

Mme Julien (Danielle): En fait, c'est toujours... La question est complexe, parce que, comme je l'ai dit, l'homosexualité est définie selon trois dimensions. Par exemple, si je prends la dernière enquête de Santé Québec, qui a fait... donc qui a défini un chapitre sur l'homosexualité, on a pris comme définition les conduites sexuelles, les comportements, les relations sexuelles d'un individu. Donc, on base l'identité sur la base des comportements sexuels.

D'autres études vont évaser sur l'identité homosexuelle, c'est-à-dire: Est-ce que la personne reconnaît qu'elle est gai ou qu'elle est lesbienne? Pour faire contraste avec le premier, un individu peut dire qu'il est hétérosexuel, mais avoir périodiquement des relations sexuelles avec une personne de même sexe. Donc, ces dimensions ne sont pas nécessairement concordantes. Donc, une troisième dimension également, c'est l'attirance pour une personne du même sexe. Et, ces trois dimensions-là ne convergeant pas nécessairement, les études ramènent des statistiques différentes selon qu'on utilise l'une ou l'autre des dimensions.

Non, mais généralement je dirais que, sur la base des conduites sexuelles, des relations sexuelles, la population... les enquêtes, les premières enquêtes de type national qui sont... qui ont commencé à apparaître aux États-Unis, et en France, et ailleurs en Europe montrent autour de 3 à 4 % de la population, toujours... dans toutes les études, on montre davantage d'hommes homosexuels que de femmes homosexuelles.

M. Bégin: Est-ce que la recherche est actuellement suffisamment étendue dans le temps? Par exemple, à savoir qu'est-ce qui passe d'une chose qui a changé aujourd'hui, normalement ça prend peut-être 20 ans pour mesurer effectivement quel est l'effet que ça a eu. Alors, est-ce que les recherches maintenant sont suffisamment avancées pour dire qu'on a, mettons, le temps requis pour regarder toute une cohorte pendant une certaine période de temps et dire... Comme vous l'avez fait, et je prends pour acquis ce que vous venez de mentionner, là. Mais, pour bien comprendre le processus de la recherche que vous et d'autres ont fait, est-ce que le temps a été assez long, des recherches, pour être capable d'être affirmatif et dire: Voilà, on sait où on en est?

Mme Julien (Danielle): Il y a quelques études qui ont commencé à faire de l'examen longitudinal qu'on appelle, c'est-à-dire on suit les enfants dans le temps. Il y a une de ces études qui est rapportée ici, dans le texte, puis, entre autres, c'est une étude qui porte sur différentes dimensions du développement. Et l'article que j'ai mis ici porte sur la question de l'orientation sexuelle. Comme vous avez... Si vous avez eu le temps d'examiner, l'étude a d'abord interviewé les parents et les enfants lorsqu'ils avaient neuf ans et ensuite à 21 ans. Donc, c'est une étude qui a été portée en Angleterre. On peut quand même parler d'une assez longue période de temps. Et les résultats de cette étude vont exactement dans le même sens que les études qui sont de type qu'on appelle, nous, transversales, c'est-à-dire à un seul moment dans le temps.

M. Bégin: Et là je veux peut-être vous poser une question qualitative puis difficile peut-être à cerner. Soyez à l'aise d'y répondre ou pas: Est-ce que la... Est-ce que ce que vous percevez dans vos recherches se révèle dans la société d'abord ou bien si ? et qu'on le voit ? ou bien si c'est le fruit des recherches qui font avancer la société? Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. C'est qu'on dit que, maintenant, les homosexuels de plus en plus sortent du placard, ils le disent. Il y a 10 ans, ça ne se faisait pas ou presque pas, etc. Donc, on a changé. Est-ce que c'est le fruit des recherches qui permettent à des gens de s'affirmer plus positivement ou bien si, naturel... bien, pas naturellement, je cherche le mot, là, exact, si c'est une évolution de la société et que l'on constate par la recherche? Comme ça évolue?

n(16 h 50)n

Mme Julien (Danielle): C'est vraiment une interaction, je vois ça. D'une part... Je regarde comment j'ai pu développer, comment m'est venue l'idée de travailler sur la famille homoparentale. C'est sûr que pour les chercheurs, pour beaucoup de chercheurs, c'est tout d'abord une forme familiale parmi d'autres, et, comme on sait qu'il y a une variabilité croissante des structures familiales, donc c'était un objet de recherche en soi, qui, bien sûr, venait de la visibilité des personnes homosexuelles. D'un autre côté, la diffusion de ces recherches-là peut aussi permettre d'ouvrir davantage des perspectives sur cette forme-là.

Personnellement, si je suis ici aujourd'hui, si j'ai décidé de venir, de présenter un mémoire, c'est que, lorsque j'entendais les débats, soit dans les journaux, soit à la radio, sur la question des enfants de parents homosexuels, j'ai jugé de mon devoir de venir ici pour informer la Chambre de l'état des recherches et afin que le débat peut-être puisse se dérouler sur une base un peu plus rationnelle et moins sur l'émotion, le préjugé et les croyances. Donc, dans ce sens-là, il se peut que ça fasse un peu avancer les choses.

M. Bégin: Alors, est-ce que vous croyez qu'une commission comme celle...

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: ...oui, une dernière. Est-ce que vous croyez qu'une commission comme celle-ci, qui est télévisée, a un effet pédagogique comme celui que vous voulez avoir en venant nous voir?

Mme Julien (Danielle): Là, je ne le sais pas. Je souhaite simplement que... Mon plus cher souhait, c'est que le mémoire que j'ai déposé va éclairer la situation davantage sur une base rationnelle.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Maskinongé.

M. Désilets: Avez-vous jeté un coup d'oeil sur l'avant-projet de loi? Si oui, vous en pensez quoi? Est-ce qu'il favorise? Est-ce qu'il aide? Est-ce qu'on fait un pas par en avant ou on recule ou... D'après votre expertise ou le bagage que vous avez comme connaissances, s'il y a des choses à modifier dans l'avant-projet de loi, qu'est-ce qu'il faudrait modifier au juste, d'après vous?

Mme Julien (Danielle): Je ne le connais pas assez en détail pour me prononcer là-dessus. Les recommandations que je fais, c'est que, sachant qu'il n'y avait pas des dispositions pour la parentalité, qu'il n'y a pas de raison de ne pas en avoir, pour les raisons portant sur le développement des enfants. C'est là qu'est mon expertise, et là-dessus, c'est ce que je voulais apporter aujourd'hui.

M. Désilets: O.K. La parentalité, revenez...

Mme Julien (Danielle): Bien, c'est-à-dire...

M. Désilets: Oui. C'est correct.

Mme Julien (Danielle): Oui. Reconnaître les droits de parents, les droits à l'adoption.

M. Désilets: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Gautrin): Mme la députée de Bourassa.

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. Dans votre mémoire, vous résumez les principales questions qui ont été abordées dans le cadre des recherches, la première étant: Les enfants de mères lesbiennes ont-ils des problèmes de confusion de genre? La deuxième: Ces enfants ont-ils des problèmes de rôle sexuel, donc apprentissage des conduites et préférences conformes au modèle masculin? Ces enfants sont-ils plus nombreux que les enfants de parents hétérosexuels à devenir gais ou lesbiennes une fois adultes? La quatrième: Ces enfants sont-ils davantage à risque d'abus sexuels que les enfants de parents hétérosexuels? La cinquième: Ont-ils davantage de problèmes d'anxiété, de concentration et d'intégration sociale à l'école?

Alors, «tout en reconnaissant les limites ? vous ajoutez ? les chercheurs n'ont pas trouvé de différences entre les enfants de parents homosexuels et ceux de parents hétérosexuels: les enfants se développent de manière comparable dans les deux groupes». Alors, je trouve ça extrêmement positif que, pour permettre une discussion plus rationnelle, vous ayez soumis des éléments importants à ce niveau-là, et je voulais vous en remercier parce qu'on en avait besoin justement.

Le Président (M. Gautrin): Madame, pas de commentaires? Est-ce qu'il y a d'autres questions? Moi, j'aurais une question à vous poser, et vous ne l'avez peut-être pas étudiée: Est-ce que la stabilité des couples homosexuels par rapport aux couples hétérosexuels, puisque vous avez fait des comparaisons, sont de même nature, c'est-à-dire il y a le même risque d'échec du mariage, en fait du mariage ou de l'union, disons, dans un cas comme dans l'autre ou est-ce qu'il y a une plus forte stabilité dans un cas ou dans un autre?

Mme Julien (Danielle): Vous répondre très, très scientifiquement à la question: impossible présentement, puisqu'on ne sait pas...

Le Président (M. Gautrin): On ne connaît pas exactement le début de la relation.

Mme Julien (Danielle): C'est ça. Donc, on ne peut pas avoir de statistiques sur le taux de séparation et des divorces. Par contre, ce que je peux vous dire, c'est que, dans les recherches que j'ai faites, nous avons eu des couples de gais et de lesbiennes qui avaient 20, 25 ans de vie commune, donc nous donnant la preuve que ces couples-là peuvent durer très longtemps. Ce qu'on sait, c'est que ces couples-là font face, en termes de développement de détresse conjugale, font face exactement aux mêmes problèmes que les couples hétérosexuels.

Le Président (M. Gautrin): Hétérosexuels.

Mme Julien (Danielle): Mais ils ont un problème en plus, c'est celui de la question de l'homophobie et comment ça peut avoir un impact sur la relation conjugale. Par exemple, dans mes recherches, j'ai trouvé que le type de problème qui est discuté dans le couple, chez les couples homosexuels, chez les femmes et les hommes, plus souvent que chez les hétérosexuels, va avoir un contenu en lien avec l'environnement social, donc la famille d'origine, les amis. Donc, la question des frontières entre le couple et son environnement est peut-être plus problématique que chez les couples hétérosexuels.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Madame, vous aviez une dernière question, Mme la députée de Bourassa?

Mme Lamquin-Éthier: Oui, M. le Président. Vous avez soulevé un élément qui me fait penser à un autre. Est-ce que vous auriez conduit des études pour la violence? Qu'en est-il? Avez-vous fait des comparaisons et quelles sont les constatations?

Mme Julien (Danielle): Malheureusement, je n'ai pas fait d'étude sur la violence dans les relations.

Mme Lamquin-Éthier: À votre connaissance, est-ce qu'il existe des études comparatives au niveau de la violence entre...

Mme Julien (Danielle): Il y a des choses qui commencent à sortir aux États-Unis, un courant de recherche qui se développe dans ce sens-là. Et, malheureusement, encore là, on peut très difficilement connaître l'incidence statistiquement de la violence, puisqu'on ne connaît pas le nombre initial de couples.

Le Président (M. Gautrin): ...connaît pas le nombre de couples à ce moment-là, évidemment vous avez de la difficulté...

Mme Julien (Danielle): Donc, on ne peut pas savoir s'il y en a plus...

Le Président (M. Gautrin): ...de statistiques au départ, c'est évident.

Mme Julien (Danielle): Non.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce qu'il y a d'autres questions? Dans ces conditions-là, Mme Julien, je tiens à vous remercier au nom de la commission pour la qualité de votre présentation, les informations que vous avez eu l'amabilité de nous transmettre. Et j'appellerais la dernière personne, Me Verdon, si elle est arrivée. Bon, s'il avait la gentillesse de vouloir se... On va suspendre une minute pour permettre... On suspend une minute pour permettre...

(Suspension de la séance à 16 h 57)

 

(Reprise à 16 h 58)

Le Président (M. Gautrin): Vous êtes prêt?

Une voix: Prêt.

Le Président (M. Gautrin): Bon. Alors, on recommence. Ça me fait plaisir, Me Verdon, de vous accueillir ici, à la commission. Vous connaissez un peu nos pratiques. Vous avez une trentaine de minutes pour la durée complète de votre témoignage, qui se répartit de la manière suivante: 10 minutes pour votre présentation, 10 minutes pour les questions des parlementaires ministériels et 10 minutes pour les parlementaires de l'opposition officielle. Alors, Me Verdon, vous avez la possibilité de présenter votre mémoire.

M. Jocelyn Verdon

M. Verdon (Jocelyn): Merci. Alors, je me présente. Je suis avocat en pratique privée et j'oeuvre dans le domaine du droit de la famille depuis environ 15 ans. Je ne fais que du droit de la famille. Je suis ici pour aborder avec vous un sujet qui m'a frappé en consultant le projet de loi. Ce qu'on confirme dans le projet de loi, à mon avis, c'est que le droit des enfants découle du choix que les parents feront, et ça a pour conséquence que les enfants sont victimes de discrimination. Alors, c'est ce que je voudrais aborder avec vous et c'est la portée du texte que je vous ai déposé. Si vous voulez, si vous me permettez, je peux peut-être, pour être plus pratique, donner des exemples de la vie courante qu'on constate en pratique privée, devant les tribunaux.

n(17 heures)n

Je vous donne un exemple de deux enfants provenant de deux parents identiques. La seule distinction, c'est que, dans un cas, vous avez des conjoints mariés et, dans l'autre cas, vous avez des conjoints de fait, qu'ils soient du même sexe ou non. Dans le cas des conjoints mariés, les enfants, lors d'une rupture, pourront s'adresser au tribunal par le biais d'un des parents pour demander, par exemple, un droit d'habitation. Le même enfant, avec les mêmes parents qui ne sont pas mariés, n'a pas ce droit. C'est la première constatation. Et je suis, en tant que praticien, un peu désolé de voir que le projet de loi tente de remédier à une discrimination, permettre à des adultes d'avoir des droits équivalents, mais que les enfants sont laissés de côté complètement. Et, si on regarde le Code, dans mon texte, j'ai une série d'exemples. Requête pour expulsion. Advenant une rupture ou une dispute, le parent conjoint de fait ne peut pas bénéficier de cette disposition. Le Code civil prévoit que c'est réservé aux époux. Et vous avez une série comme ça d'exemples, que je pourrais vous citer, où on a des différences entre les deux types d'enfants.

Avec l'avènement de ce type de loi, l'avant-projet de loi, on va se trouver à avoir trois types d'enfants, si on va dans une cour d'école, trois types d'enfants qui vont avoir trois types de droits différents. Dépendant de ce qui sera décidé en commission, les enfants provenant d'une union du même sexe, l'union civile, auront peut-être ou non... seront éligibles, là, à l'adoption. Par contre, ça se peut que ce ne soit pas possible selon les résultats qui surviendront. Vous aurez des enfants de conjoints de fait qui auront des droits différents et vous aurez les enfants de parents mariés qui auront des droits aussi différents.

Un autre exemple: les fameux formulaires de fixation qui avaient été adoptés par le gouvernement. Au Québec, un enfant de 19 ans est considéré comme étant majeur et à charge. Alors, s'il est à l'université et qu'il veut une pension, si ses parents sont des conjoints de fait, il doit prendre des procédures et réclamer une pension alimentaire de ses parents. Le même enfant de 19 ans à l'université, si ses parents sont mariés, ce sont eux qui présenteront les procédures pour réclamer une pension alimentaire pour lui. Alors, ce sont des discriminations qu'on voit constamment devant les tribunaux et qui me portent à croire qu'on n'a pas d'égalité, on ne respecte pas, notamment ce que j'indiquais dans le texte, l'article 522 du Code civil, qui avait été adopté dans les années quatre-vingt, lors de la réforme. On disait à l'époque: Égalité des sexes, égalité des enfants. Et là on a écrit ça dans le texte dans les années quatre-vingt et on disait, à l'article 522, que, une fois la filiation de l'enfant établie, les enfants avaient tous les mêmes droits. Or, dans le Code, quand on lit la section qui précède, on s'aperçoit que ce n'est pas vrai. Et, en 1980, toutes les dispositions qui ont été adoptées: droit à l'habitation, droit à l'expulsion, qui avaient pour but de protéger les enfants; aujourd'hui on n'atteint pas ces objectifs-là, parce que, en l'an 2002, la majeure partie des enfants proviennent d'unions de fait. C'est curieux comme phénomène. Alors, en 1980, on a adopté des dispositions pour protéger les enfants qui provenaient de familles mariées, mais, avec l'évolution, aujourd'hui, on se retrouve avec le phénomène où il y a plus d'enfants issus d'unions de fait que d'enfants issus du mariage. Donc, plus le temps passe, plus le droit des enfants rétrécit. Ils ne peuvent plus... la majeure partie des enfants au Québec n'ont pas le droit d'habitation, n'ont pas la requête pour expulsion, etc.

Alors, le fondement de mon exposé, c'était, je crois, de profiter de ce changement législatif pour peut-être introduire dans le Code, amender les articles spécifiques en disant: au lieu d'utiliser le terme «époux», on pourrait utiliser le terme «parents». Et on pourrait préciser clairement pour les tribunaux, qu'importe le type d'union choisi par les parents... Qu'importe le type d'union choisi par les parents, les enfants, à mon avis, n'ont pas à subir ce choix qu'ils n'ont pas choisi. Ça leur est imposé. Alors, c'est simplement le but de ma présentation. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, Me Verdon. Et, pour faire participer à cet échange, M. le ministre de la Justice, vous êtes directement interpellé.

M. Bégin: Ah oui?

Le Président (M. Gautrin): Comme ministre de la Justice.

M. Bégin: Ah bon! Ha, ha, ha! Merci, Me Verdon. En fait, votre présentation est courte, mais vous avez mis beaucoup de matière dans le contenu, partant toujours cependant de la même prémisse. Et là je pense qu'une fois qu'on a admis ça le reste découle. Il s'agit juste de faire le repérage pour établir quelles sont les différences qu'il y a.

Ce qui est intéressant peut-être dans ce que vous venez de dire, qui n'est pas tout à fait le propos que nous avons eu aujourd'hui, c'est pour les enfants issus de conjoints de fait. Vous avez mis l'accent sur quelque chose qu'on n'a pas beaucoup regardé, puisqu'on s'est penché surtout sur l'union civile et, entre guillemets, les lacunes qui pouvaient exister quand on regardait du point de vue des enfants, donc question de la parentalité, de la filiation, de l'adoption, etc. Alors, ça a été là-dessus qu'on l'a mis. Mais là vous venez de mettre l'accent sur un autre point, c'est que, dans les conjoints de fait, qui ont connu une évolution incroyable au Québec depuis une vingtaine d'années, depuis l'année 1982, au moment où on a voulu faire disparaître toute discrimination à l'égard des enfants et où le ministre de la Justice d'alors, Me Marc-André Bédard, disait: Fini les bâtards, fini les enfants X, puis tout le monde est sur le même pied... Il y a eu une évolution considérable dans les comportements des conjoints, si vous me permettez cet exemple-là, parce que les conjoints de fait se sont développés, et il me semble bien que le droit ? ça lui arrive souvent ? n'a pas suivi l'évolution qui s'est produite dans notre société. Et, au fur et à mesure que le temps passe, l'écart se crée et augmente. Donc, vous avez raison de nous soulever ça, parce que, quand nous regardons depuis hier matin l'ensemble de la problématique, puis je pense qu'il y a un constat qui est fait, grosso modo, les gens reconnaissent que, pour les relations entre conjoints... on peut bien chipoter sur ici et là, mais, fondamentalement, ils sont satisfaits de la relation qui est établie. Mais, dès que l'on parle de la filiation, de la parentalité, là les jeux ne vont plus comme... je ne sais pas quel jeu, et ça ne fonctionne pas. Et vous venez en rajouter un petit peu de ce côté-là. Alors, nous sommes vraiment, je pense, bien saisis de cette problématique-là.

Je ne sais pas si vous avez eu la chance ? je dis bien «la chance» ? d'entendre les trois témoignages tout à l'heure, je pense que ça vaut mille mots, hein, ce que nous avons entendu là. On devient humble dans ce qu'on peut apporter quand on entend ces témoignages-là. Ils nous ont bien montré que c'est du point de vue des enfants que nous devons regarder la suite des choses parce que c'est là que se trouvent les principales lacunes. Et je suis certain que pas un parent au Québec ne veut que des enfants qu'on aime n'aient pas les chances, des opportunités égales.

Alors, je vous remercie de nous avoir montré un petit côté qu'on n'avait peut-être pas regardé et qu'on ne devra pas négliger si nous travaillons dans le sens que nous avons entendu depuis hier matin.

M. Verdon (Jocelyn): Vous permettez, M. le ministre?

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Gautrin): Me Verdon.

M. Verdon (Jocelyn): Merci. Ça rejoint un sens, c'est que, pour rejoindre les témoignages des trois jeunes, si on reconnaît aux enfants les mêmes droits, on vient de créer une génération tolérante. Dès l'instant... puis là c'est pour ça que ça évite le débat, finalement, de savoir s'ils devraient avoir la parentalité, ça dépend du sexe, etc. Ce n'est pas ça, le problème. Les enfants, eux, je pense qu'il y a un consensus, et c'est là qu'il y a une porte d'ouverture, c'est de dire: Écoutez, les enfants doivent avoir les mêmes droits.

La réalité sociale au Québec, tout le monde connaît des enfants à la garderie ou à l'école qui se font reconduire la matin par, excusez-moi, deux pères ou deux mères. Mais, outre nos croyances, outre nos mentalités, ces enfants-là ont deux parents du même sexe, ou ont des conjoints de fait du sexe opposé, ou ont des parents mariés. Mais le résultat de tout ça, et c'est là que les gens se rejoignent, c'est que ces enfants-là n'ont pas à payer ou n'ont pas à subir le choix pris par les parents. Et c'est pour ça que je crois que ce serait intéressant, dans le cadre de l'avant-projet de loi, de simplement insérer ce concept-là qui réglerait bien des discussions. Parce qu'on ne peut pas nier le phénomène au Québec, on ne peut pas nier qu'il y a deux pères qui vont reconduire des enfants à la garderie, c'est là. Mais ces enfants-là, s'il y a une rupture, qu'est-ce qui arrive avec eux? Et toute la discussion qu'on a sur le droit qu'on accorde aux parents... pendant qu'on parle des adultes, on ne parle pas des enfants. Puis ils n'ont pas de lobbying, eux. Il n'y a personne qui les représente ici. Ils ne votent pas.

Alors, c'est juste pour ça que je voulais être ici pour porter votre attention sur ces problèmes-là qu'on vit à tous les jours et où on voit des mères qui se font dire, alors que la maison est collée sur l'école, que, du fait qu'elles sont en union de fait, la maison va être vendue. Qu'importe si ça a de l'allure ou non, la maison va être vendue. C'est tout. Alors que, si elle était mariée, les enfants auraient un droit d'habitation.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Bégin: Me Verdon, au-delà de l'intérêt manifeste que votre présence ici signifie, vous semblez être quelqu'un qui est un peu spécialisé dans le domaine, avez-vous eu le temps de prendre connaissance du tableau qui est là? Est-ce que vous y voyez quelque chose qui est l'exacte vérité ou bien si vous croyez qu'il y a des choses qui devraient être modifiées? Parce que ce qui est en noir est l'état actuel, ce qui est en bleu est ce qui est souhaité. Les représentations qui nous ont été faites, on les avait faites à partir des mémoires. Alors, voilà le nouveau portrait que ça donnerait. Est-ce qu'à votre point de vue ça répondrait à vos questions?

M. Verdon (Jocelyn): Ce qui est en bleu?

M. Bégin: Oui.

M. Verdon (Jocelyn): Bien, écoutez, je ne suis pas là pour prendre position...

M. Bégin: Non, non...

n(17 h 10)n

M. Verdon (Jocelyn): ...sur la nature de l'union, mais, oui, parce que les enfants... on doit s'assurer, je crois, tout d'abord que les enfants sont protégés, puis, ensuite, on va s'occuper des adultes. Et là, depuis 20 ans, on vote des lois sur le patrimoine familial pour protéger les époux. Là, on adopte une loi pour protéger un certain groupe dans la société qui sont des adultes, mais les enfants, eux? Si on enlève ce qui est en bleu, bien, la conséquence implacable, c'est que vous allez avoir trois types d'enfants au Québec qui vont avoir trois types de droits différents.

M. Bégin: Et je repose la question: Si on met ce qui est en bleu, on aurait juste une catégorie d'enfants?

M. Verdon (Jocelyn): Deux.

M. Bégin: Deux? Lesquelles?

M. Verdon (Jocelyn): Bien, parce que là on dirait: On va avoir les enfants de l'union civile qui ont des droits...

M. Bégin: Non, non, je parle en termes de droits qu'ils auraient. Est-ce qu'ils auraient les mêmes droits?

M. Verdon (Jocelyn): Bien, écoutez, grâce au projet de loi sur l'union civile, ces enfants-là auraient des droits égaux aux parents mariés, effectivement...

M. Bégin: Bon.

M. Verdon (Jocelyn): ...mais les parents d'union de fait qui constitue la famille traditionnelle, eux, on va régler leur problème un peu plus tard. C'est tout ce que...

Le Président (M. Gautrin): J'ai deux intervenants ministériels encore, à savoir le député de Maskinongé et le député de Saint-Jean. Si vous pouviez vous limiter dans vos questions, un et l'autre, faire ça brièvement, l'un et l'autre. M. le député de Maskinongé, il vous reste trois minutes normalement, mais enfin.

M. Désilets: Merci beaucoup. Je vais vous poser ma question tout de suite. Vous dites, dans votre présentation ou dans le rapport, que, seulement en changeant le mot «époux» dans l'avant-projet de loi par «parents», on règle le dossier.

M. Verdon (Jocelyn): Bien, on pourrait simplement amender une disposition du Code. Tous les articles ? on l'a fait récemment pour...

M. Désilets: Du Code civil?

M. Verdon (Jocelyn): Oui. Tous les articles qui parlent d'«époux»... ou introduire une notion qui dit: tous les articles du Code civil qui parlent des «époux», là, concernant les enfants, prévoir qu'on parle de «parents», et dès cet instant-là... là, vous profitez de ça pour régler le problème de l'union civile, mais, en même temps, vous réglez le problème des conjoints de fait, pour les enfants.

M. Désilets: O.K.

M. Verdon (Jocelyn): Ça fait que là je vous dis... il faut traiter tout le monde également, on parle de discrimination.

M. Désilets: Je trouve ça intéressant, ce que vous me dites. Deuxième question...

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Maskinongé, vous prenez ça sur le temps de votre collègue de Saint-Jean.

M. Désilets: O.K. Je vais m'arranger. S'il reste du temps, tantôt, je vais revenir. J'irai vous voir tantôt.

Le Président (M. Gautrin): Mais il n'en restait plus beaucoup. M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Moi, je pense que votre mémoire est important parce que, justement...

Le Président (M. Gautrin): J'essaie de partager équitablement entre vous deux.

M. Paquin: Ça va?

Le Président (M. Gautrin): Allez-y. Non, non, bien sûr.

M. Paquin: Je pense que votre mémoire est important parce que, justement, on part du fait qu'on veut régler une situation pour des gens qui sont en demande pour quelque chose qu'on considère tous qui doit être réglé. Ce faisant, on veut donner les mêmes droits à tous, et il pourrait arriver, et il arrive donc que de donner le même statut, par exemple, que ce qui est prévu pour les hétérosexuels ne soit pas nécessairement la bonne chose et qu'il y ait des effets pervers à ce qu'on veut décider. Donc, est-ce que, pour les fins pédagogiques de cette commission, c'est-à-dire que c'est diffusé actuellement, vous pouvez énumérer des cas qui ne sont pas réglés pour ce qui regarde les droits des enfants par le projet de loi actuel et qu'on pourrait, en ajoutant quelques mesures supplémentaires et transitoires, régler à ce moment-ci?

M. Verdon (Jocelyn): Un seul article: de reconfirmer dans le Code, à mon avis, puis c'est dans la Charte québécoise ? en passant, l'article 10, on dit qu'on ne doit pas avoir de discrimination en fonction du statut civil. L'enfant est complètement... On ne respecte même pas notre propre Charte. Les enfants, les premiers qu'on doit protéger, on ne les respecte pas.

Mais, pour répondre à votre question, il s'agirait, dans le Code civil, de dire clairement que les enfants, quel que soit le type d'union choisi par leurs parents, ont tous les mêmes droits. Point à la ligne. C'est clair, ça règle tout. Et l'évolution de la jurisprudence se fera en respectant la morale des gens. Ce n'est pas une réforme majeure, c'est simplement de profiter de cet ajustement-là pour atteindre l'objectif d'union civile, mais, en même temps, de tenir compte qu'il y a des parents, des gens qui ont encore ? si je peux appeler ça comme ça ? l'union traditionnelle et, eux, qui ne sont pas allés à l'Église, bien, ces enfants-là n'ont pas de droits. C'est simplement de trouver un équilibre entre les droits des adultes et les droits des enfants pour tenir compte de l'évolution. Parce que, ce que je vous dis là, c'est que ça a été fait en 1980 pour... Mais, à l'époque, en 1980, il n'y avait presque pas d'unions de fait puis on appelait ça des enfants illégitimes.

Alors, c'est simplement de mettre à jour ce qui a été décidé en 1980, une grosse commission parlementaire, Claire L'Heureux-Dubé en faisait partie, et on est venu nous dire: Écoutez, on va donner des droits d'habitation, qu'importe le type de propriété. Lorsqu'il y a une rupture, si le juge est d'avis que c'est dans l'intérêt des enfants de rester dans la maison, il le fera. Ça a été fait pour les enfants, ça, et, dans 90 % des jugements, le droit d'habitation est conféré en faveur des enfants.

Alors, moi, je vous dis: Pourquoi ne pas le donner, le retourner aux enfants? Ce qui a été décidé en commission, là, nous échappe. Les chiffres dans mon texte sont intéressants là: en l'an 2002, il y a plus d'enfants issus d'unions de fait que d'enfants issus de parents mariés, alors.

Le Président (M. Gautrin): Merci. Mme la députée de Bourassa, au nom de l'opposition officielle.

Mme Lamquin-Éthier: Écoutez, Me Verdon, je prends bonne note de ce que vous nous livrez, dans l'intérêt des enfants. Ce que vous nous dites clairement à la question: Les enfants ont-ils tous les mêmes droits? c'est: Non, parce que les droits des enfants varient selon le modèle d'union qui est choisi par leurs parents. Il y a donc lieu d'intervenir, parce que, au surplus, si le projet de loi sur l'union civile était retenu, on aurait, au Québec, en plus, trois modèles de familles où les enfants auraient, pour chaque type, des droits différents. Alors, je comprends très bien, et vous avez bien fait de venir nous sensibiliser.

M. Verdon (Jocelyn): Pour terminer, la réponse d'énumérer... vous l'avez dans le document, par titre, aux pages 7, 8. Vous avez l'article, vous avez même la jurisprudence, des réactions de tribunaux qui disent qu'on ne peut pas rien faire, le législateur utilise le terme «époux», c'est malheureux.

Mme Lamquin-Éthier: Alors, la balle est dans le camp du législateur.

M. Verdon (Jocelyn): Bien, pour lui donner... C'est parce qu'on est pris avec le mot «époux», puis le juge ne peut pas... en tout cas, certains juges disent, prétendent qu'ils ne peuvent pas changer la loi. Il y en a qui prétendent qu'il y a deux façons de changer une loi: par le législateur ou en modifiant notre interprétation. Bon, mais bref, c'est ça.

M. Bégin: Puis il y en a d'autres qui disent le contraire.

M. Verdon (Jocelyn): Ha, ha, ha! Les dissidents.

Le Président (M. Gautrin): Il reste une minute pour mon collègue de Maskinongé qui avait une deuxième question.

M. Désilets: Ça va.

Le Président (M. Gautrin): Ça va. Alors, Me Verdon, je tiens à vous...

M. Paquin: ...

Le Président (M. Gautrin): Tu veux l'utiliser?

M. Paquin: Oui.

Le Président (M. Gautrin): Alors, brièvement, M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Je pense, pour les fins pédagogiques de la commission, pour que le public sache, et c'est pour ça que je posais l'autre partie de ma question, il y a notamment le droit d'usage de la résidence familiale accordé au parent gardien d'un enfant et l'ordonnance d'expulsion qui sont réservés aux ex-époux; la présomption de paternité qui profite aux enfants nés pendant un mariage, le droit aux aliments entre époux permet le maintien d'un niveau de vie du gardien et un bénéfice à l'enfant; la Loi sur le divorce permet à un parent de faire une demande alimentaire pour un enfant majeur; la Loi sur le divorce qui reconnaît, par la notion de «in loco parentis», un droit alimentaire à l'enfant de son conjoint; cette loi qui comporte un délai de six mois... comme l'article 596 du Code civil qui impose au débiteur alimentaire...

Le Président (M. Gautrin): S'il vous plaît!

M. Paquin: ...qui demande l'annulation des arrérages, l'obligation d'établir l'impossibilité d'agir plus tôt. Et il y en a une septième, M. le Président, si vous me permettez...

Le Président (M. Gautrin): Vous avez épuisé votre temps.

M. Paquin: Est-ce que vous voulez me donner 30 secondes, M. le Président?

Le Président (M. Gautrin): Non, c'est parce que...

M. Paquin: Alors, c'est pour dire qu'il y a beaucoup de cas, j'aurais aimé qu'il les énumère et que le public donc...

Le Président (M. Gautrin): Et vous l'avez fait pour lui.

M. Paquin: ...puisse connaître les cas où les enfants ont des droits différents.

Le Président (M. Gautrin): Vous l'avez fait pour lui, et je pense que... Me Verdon, il nous reste à vous remercier pour votre présentation. Et, ceci étant dit, je suspends les travaux de la commission à demain, 9 h 30.

(Fin de la séance à 17 h 18)



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