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Version finale

38th Legislature, 1st Session
(May 8, 2007 au November 5, 2008)

Tuesday, March 18, 2008 - Vol. 40 N° 34

Consultation générale sur les documents intitulés Rapport d'évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile et Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique - les poursuites-bâillons (SLAPP)


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-trois minutes)

La Présidente (Mme Thériault): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande aux personnes présentes dans la salle de bien vouloir fermer leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode vibration, s'il vous plaît.

La commission est réunie afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale portant sur les documents intitulés Rapport d'évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile et Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ? les poursuites-bâillons (SLAPP).

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. Mme Roy (Lotbinière) est remplacée par M. L'Écuyer (Saint-Hyacinthe) et M. Cloutier (Lac-Saint-Jean) est remplacé par M. Bédard (Chicoutimi).

La Présidente (Mme Thériault): Parfait, merci. Donc, aujourd'hui, nous entendrons Les Ami-e-s de la Terre; ce sera suivi de MM. Jacques Marquis, Yves Michaud, Michael Laucke, Michel Magnant et Jean-Yves Côté; et le dernier groupe de cet avant-midi, ce sera la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Ce sera suivi d'une suspension. Après les affaires courantes, nous reprenons les travaux et nous entendrons la Confédération des syndicats nationaux, l'Union des consommateurs, et ATTAC-Québec, pour ajourner aux alentours de 18 heures.

Auditions (suite)

Donc, bienvenue au premier groupe, Les Ami-e-s de la Terre, qui sont avec nous. Pour la durée de votre présence ici, vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire. M. Mongeau, je vais vous demander de nous présenter les membres qui vous accompagnent. Par la suite, ce sera suivi d'échange avec le groupe formant le gouvernement, ensuite l'opposition officielle, et on terminera votre première heure avec le représentant de la deuxième opposition. Donc, bienvenue à l'Assemblée nationale. M. Mongeau, la parole est à vous.

Les Ami-e-s de la Terre de Québec (ATQ)

M. Mongeau (Serge): Merci. Écoutez, nous sommes trois membres des Ami-e-s de la Terre de Québec: Marie-Ève Beaupré, Patrick Plante et, moi, Serge Mongeau.

Patrick et moi, en plus d'être membres des Ami-e-s de la Terre de Québec, nous sommes aussi membres de l'association de l'île d'Orléans contre le port méthanier, et à ce titre ? on va vous l'expliquer tout à l'heure ? nous avons été impliqués justement dans une procédure de bâillonnement de la part du promoteur du projet Rabaska.

Je pense que je vais demander à Marie-Ève d'abord d'un peu vous dire c'est qui, Les Ami-e-s de la Terre.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, Mme Beaupré.

Mme Beaupré (Marie-Ève): Alors, bonjour. Les Ami-e-s de la Terre de Québec, c'est un groupe d'écologie sociale qui travaille à la construction d'une société écologiste. Donc, nous sommes formés de citoyens, plus de 400 membres qui se regroupent en comités de travail pour travailler à la défense collective de nos droits à un environnement sain et qui travaillent donc, par la défense collective de droits et l'éducation populaire autonome, à créer cette société écologiste voulue.

Inutile de dire que ces citoyens regroupés au sein des comités sont susceptibles, dans les luttes et différentes mobilisations, d'être touchés par des SLAPP possiblement dans l'opposition à des projets controversés. Donc, nous trois ici, devant vous, nous sommes membres des Ami-e-s de la Terre. Nous ne sommes pas juristes, nous sommes des citoyens engagés mais préoccupés par la situation et de bonne foi. Donc, nous sommes ici pour vous présenter aujourd'hui notre position en tant que victimes de SLAPP, et donc nous croyons, comme vous, j'imagine, que la situation actuelle est inacceptable, puisque nous ne semblons pas tous égaux devant la loi pour le moment. Semble-t-il que ceux qui ont plus de moyens financiers ont plus de chances de gagner certaines causes juridiques, et nous sommes dans une situation dans laquelle des intérêts différents sont défendus, donc le profit privé et le bien commun. Donc, nous croyons, comme vous aussi, j'imagine, que les lois devraient protéger le bien commun. Voilà.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bon. Oui. Oui. Je pense qu'il faut insister... D'abord, nous n'avons pas l'intention de vous lire le mémoire, vous l'avez en main, et donc nous sommes plus là pour répondre à vos questions, mais il y a quand même des choses qui nous semblent importantes.

Marie-Ève vient de parler justement qu'on trouve qu'il y a en opposition deux choses d'un ordre très différent, hein? Les citoyens défendent le bien commun, alors que, la plupart du temps, on est opposés à des gens qui défendent finalement des intérêts privés et finalement la possibilité de faire des plus gros profits. Et nous pensons que les lois devraient, très évidemment pour nous, favoriser ce qui va dans le sens du bien commun.

Nous croyons aussi que le droit d'opinion est quelque chose d'essentiel et qu'il faut absolument qu'on fasse quelque chose pour le préserver, et il est grand temps de le faire. Et je voudrais qu'on passe ici à deux cas où justement nous croyons qu'il y a eu volonté de bâillonner les gens, et je vais passer la parole à Patrick qui va nous parler de ce qui s'est passé avec le Port de Québec concernant, à ce moment-là, le projet Rabaska.

La Présidente (Mme Thériault): M. Plante.

n (9 h 40) n

M. Plante (Patrick): Bonjour. Vous me permettrez de lire parce que je veux être le plus concis, le plus rapide possible. Donc, je vous soulignais un peu le contexte, là, de la SLAPP qu'on a eue, à l'ACPM et aux Ami-e-s de la Terre, puis ensuite les différentes conséquences qu'il y a eu pour nous.

Donc, notre présence ici est justifiée par le fait que nous avons été l'objet d'une poursuite-bâillon, en novembre 2006, de la part de l'institution fédérale qui est l'Administration portuaire de Québec, APQ. Pour bien comprendre cet épisode, il faut le replacer dans un contexte, celui des audiences conjointes du BAPE et de l'ACEE prévues pour la fin 2006 et début 2007. Donc, en fin de compte, bon, l'objet qui nous a valu une poursuite-bâillon, c'est qu'on a envoyé une lettre à plusieurs croisiéristes afin de connaître certains points, donc s'ils étaient au courant du projet Rabaska, si ça les inquiétait, etc. Malheureusement pour nous, la réponse n'est pas venue des croisiéristes mais du Port de Québec, par l'entremise d'une mise en demeure et d'une injonction.

Bon, on a été en cour, on a gagné... bien, on a gagné... le Port de Québec s'est désisté. Donc, dans notre cas, ça a été quand même assez rapide, là; du 8 novembre au 12 décembre, tout était terminé. La procédure était terminée, sauf que les conséquences pour un petit groupe... des groupes comme nous, des groupes de bénévoles vont bien au-delà de ça, et, encore aujourd'hui, on est encore pris avec ces conséquences-là.

Donc, comme je le disais, bien que l'épisode de l'injonction semble assez court dans le temps, du 8 novembre au 12 décembre, il y a eu plusieurs conséquences, donc des conséquences personnelles, bien entendu. Je vous parlerais «personnelles» en mon nom, puisque c'est moi qui ai envoyé la lettre. Donc, je vous dirais qu'étant en doctorat à l'université ma fin de session 2006 a été un cauchemar. Ça n'a pas été très, très bon pour moi. Les préoccupations financières aussi, parce que l'avocat, c'est plusieurs milliers de dollars, puis en plus on se sent coupables parce que, vu que c'est l'ACPM qui a envoyé la lettre, mais il y a d'autres groupes, en dehors de l'ACPM, qui ont été poursuivis avec ça, qui n'avaient absolument rien à voir avec cette lettre-là.

Donc, c'est certain qu'il y a des préoccupations personnelles, il y a des conséquences financières, comme je vous disais, qui sont sans doute les plus grosses conséquences. Nous avons décidé d'être représentés par un avocat, puisqu'on ne connaissait rien aux procédures juridiques. On ne pouvait pas vraiment se défendre adéquatement, puis on avait seulement trois jours pour se défendre, pour préparer une défense, parce que c'était une demande d'injonction interlocutoire.

Ce que nous trouvons injuste, c'est que, même si nous avons gagné suite au retrait de l'APQ, nous nous sommes retrouvés avec une dette énorme pour un petit comité ad hoc comme l'ACPM ou les Ami-e-s de la Terre. Les membres ont alors prêté des milliers de dollars afin de payer les honoraires de l'avocat. Il fallait payer rapidement, intégralement, afin de récupérer notre argent dans une deuxième étape. Par contre, les négociations entre l'APQ et notre avocat n'ont pas abouti. Pour aller chercher nos honoraires, il fallait poursuivre. Ce type d'action aurait été encore plus dispendieux que notre défense, sans compter les possibilités de demandes d'appel dans le cas d'une victoire. Nous avons donc décidé de mettre un terme à ces procédures. Nous avons eu une nouvelle facture de l'avocat, de plusieurs milliers de dollars encore, pour conclure. Les membres ont alors consenti à transformer leurs prêts en dons. Malgré ces gestes de générosité, l'ACPM doit encore quelques milliers de dollars à des organismes prêteurs.

Il y a des conséquences aussi sur les actions citoyennes, et ça, c'est important. Dans le cas de la poursuite-bâillon dont nous avons été victimes et de l'aveu même des porte-parole de l'APQ, ce n'était pas la victoire qui était recherchée, mais l'arrêt des contestations et des questions publiques face aux implications maritimes du projet Rabaska. C'est avec cet objectif que non seulement l'ACPM a été visée par une injonction, mais aussi le GIRAM, Les Ami-e-s de la Terre et Rabat-Joie. Leur seul crime était d'avoir un hyperlien sur le site de l'ACPM.

Même en gagnant la cause, la perte de temps, les implications financières et les craintes de récidive ont limité notre participation au débat public entourant le débat sur le projet Rabaska. L'ACPM était saignée économiquement, ne pouvant plus publier son journal d'information aux citoyens de l'île d'Orléans. Nous avons également mis en veilleuse d'autres types de demandes d'information semblables à celles qu'on avait envoyées aux croisiéristes. Malgré le jugement Caron, qui nous était favorable, nous avons craint de nouvelles poursuites-bâillons.

En conclusion, le système judiciaire actuel, malgré sa rapidité dans notre cas, n'a pas permis d'évacuer l'imposition d'un rapport de force démesuré de la part de l'APQ avec des groupes citoyens. Il en découle selon nous un déficit démocratique qui est d'autant plus dangereux qu'il semble institutionnalisé. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Oui. L'autre cas dont je veux parler, c'est une poursuite. C'est en fait une action qui a été lancée par un groupe de 93 citoyens de Lévis et de Beaumont qui ont voulu, à ce moment-là, faire montrer à la Cour supérieure que le règlement de zonage de la municipalité de Lévis n'était pas respecté. C'est donc un groupe de citoyens qui a entrepris une action contre la compagnie, mais sauf que la compagnie, avec évidemment ses capacités financières, était capable de supporter ce procès-là, a remis en question la capacité de témoigner du témoin... de l'expert qui a été engagé par les citoyens de Lévis, et ça a entraîné beaucoup, quand même, de frais pour pouvoir défendre cette cause-là.

Au bout de 40 000 $ de frais ? parce que Rabaska prolongeait les débats ? les citoyens ont gagné leur point et ont montré que leur expert était recevable, que leur expert pouvait, à ce moment-là, être entendu, mais là il fallait commencer à faire le plaidoyer, et l'avocat a demandé un nouveau 40 000 $ parce que c'étaient des procédures qui étaient longues, et là les citoyens ont dit: Bien, dans quoi on s'embarque, finalement? Et ils ont décidé de dire: Bon, bien, on va laisser tomber parce que ça n'a plus de sens; déjà, ça nous à coûté tellement cher; et, à ce moment-là, ils ont décidé donc de retirer leur demande. Et, à ce moment-là, la compagnie Rabaska dit: Bien, maintenant, si vous vous retirez, ça veut dire que vous n'aviez pas finalement une plainte qui était recevable, et donc on va vous poursuivre pour pouvoir récupérer, nous, nos frais d'avocat, qui se chiffrent à 50 000 $. Et ce qui est arrivé à ce moment-là, ils ont dit: On va... Hors cour... Ça s'est plaidé hors cour, ils ont dit: Écoutez, on ne vous poursuivra pas; donc, vous n'aurez pas les 50 000 $ à payer, à une condition, c'est qu'à partir de maintenant il n'y a personne d'entre vous, les 93 personnes, qui a le droit de parler sur la question du zonage.

Et, nous, ce qu'on veut montrer par ce fait-là, c'est qu'une fois encore les gens qui possèdent, les gens qui ont l'argent ont des pouvoirs qui sont démesurés et qu'ils sont capables, à ce moment-là, d'amener les gens à ne pas s'exprimer. Et c'est ça qu'il faut qu'on sauve actuellement, et c'est ça qu'on vous demande de légiférer. Et je pense qu'il y a des principes qui sont importants à sauvegarder, hein? D'abord, c'est important de protéger évidemment le bien commun, et donc que la vigilance continue à s'exercer avec, quand il le faut, une dénonciation quand il y a lieu.

Une deuxième chose, c'est de rétablir quelque peu la confiance en la justice, dans un système qui est actuellement très justement critiqué, où tout le monde sait que c'est les gens qui ont de l'argent qui triomphent.

Troisièmement, c'est important aussi de ne pas fragiliser les groupes écologistes et de défense sociale à cause de coûts qui sont très élevés dans le système.

Puis, quatrièmement, on pense que c'est important de lancer un message clair aux entreprises: qu'elles ne poursuivront pas impunément les groupes qui actuellement essaient de se préoccuper de la défense publique.

Comment on peut faire ça? Bien, écoutez, on n'est pas des légistes. Puis est-ce que c'est par une loi ou autrement? Comme on a dit dans notre mémoire, on favoriserait une loi, mais qu'on trouve le moyen. Et on trouve que finalement la suggestion qui est faite par la commission, à la page 81, de la création d'un fonds d'aide aux victimes, ce serait quand même une solution excellente. Le rapport dit que ça pourrait être administré par les gens qui déjà administrent les recours collectifs. Ça pourrait être aussi confié à... celui qui défend les droits des citoyens...

Une voix: L'ombudsman.

n (9 h 50) n

M. Mongeau (Serge): ...à l'ombudsman du Québec. Ça pourrait être un troisième organisme totalement indépendant. O.K.? Et, en plus de la création de ce fonds d'aide, dans les termes qu'eux le disent, bien aussi il pourrait inclure des avocats-conseils qui aideraient les gens quand arrive justement quelque chose de rapide comme ça.

Ensuite, autre recommandation, c'est qu'on dit qu'il devrait y avoir un dépôt, au moment où une entreprise décide de poursuivre un groupe, un dépôt qui serait prévu pour les dommages éventuels qui pourraient, à ce moment-là, être réclamés de cet organisme-là s'il perd sa poursuite et s'il est prouvé que c'était une poursuite qui était, on dit, frivole, en termes légaux.

En même temps, comme la commission Macdonald le recommande, en même temps que l'entreprise dépose une déclaration assermentée comme quoi vraiment ils ne font pas ça pour empêcher les gens... donc qu'ils jurent, là, devant la loi, qu'ils ne font pas ça pour empêcher... pour bâillonner un groupe.

La troisième, c'est que, dans le jugement, de demander que les juges, quand ils ont ce genre de cause là à juger, qu'ils incluent automatiquement dans leurs jugements les dépens et les frais extrajudiciaires pour protéger les groupes. Et, à ce moment-là, les groupes pourraient remettre cet argent-là au fonds, qu'ils aient gagné ou qu'ils aient perdu. Moi, je pense qu'il faut présumer au départ qu'il n'y a pas un groupe de citoyens qui poursuit une compagnie d'une façon frivole. Il y a toujours quelque chose qu'on veut préserver, et c'est dans l'esprit de protéger le bien commun que ça se fait.

Donc, on espère que le gouvernement va légiférer, et le plus tôt possible, parce que les conséquences, bien on va pouvoir y répondre, les conséquences sont quand même graves, et certainement ça nous empêche de faire un travail qu'on trouve qui est nécessaire et qui ne se compare pas avec finalement... Écoutez, quand je regarde, là, les milliers d'heures de travail qu'on met, qu'on a mises dans la question, par exemple, du projet Rabaska, et, même là, les milliers d'heures qu'on a mises bénévolement, puis, en plus de ça, là, c'est des coûts quand même... bon, ça nous a coûté actuellement, Rabaska, un premier 8 000 $ et un autre 3 000 $ qui s'est rajouté de frais, puis là on a arrêté les frais parce que nos avocats disaient: On pourrait continuer, mais ça peut durer des années, on a des grosses chances de gagner. Oui, des grosses chances de gagner, mais, pendant ce temps-là, il va falloir qu'on paie, qu'on défraie ça, avec la possibilité... Et on sait bien que de l'autre côté les fonds sont pratiquement illimités, et donc on va faire traîner les choses, faire traîner les choses jusqu'à temps qu'on se décourage. Alors, on est prêts à répondre à vos questions.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup. Pour des gens qui ne sont pas habitués d'être en commission parlementaire, vous avez très bien fait ça, on est dans les temps. Donc, sans plus tarder, je vais passer la parole... Ce matin, nous avons le plaisir d'avoir le député de Chapleau et ministre de la Réforme des institutions démocratiques, entre autres, parce qu'il a plusieurs fonctions. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Mongeau, Mme Beaupré, M. Plante, de votre témoignage. Si je comprends bien, à la lumière de votre mémoire, vous souhaiteriez l'adoption d'une loi anti-SLAPP, contre les poursuites-bâillons, et, dans cette loi, on retrouverait notamment le remboursement des dépens, bien entendu, des frais extrajudiciaires. On retrouverait également des mesures concernant des dommages punitifs, des dommages exemplaires. Mais vous avez aussi dit que, pour vous, la méthode importait peu, le moyen importait peu dans la mesure où on aboutissait avec des mesures efficaces. Donc, si je comprends bien, vous ne verriez pas d'objection à ce que les mêmes résultats soient atteints par une modification du Code de procédure civile plutôt que par l'adoption d'une loi distincte. Je sais que vous n'êtes pas des juristes, puis je respecte ça, puis je ne veux pas vous entrer dans des questions trop techniques. J'imagine que, pour vous, modification au code ou loi distincte, ça vous est égal, ou...

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, disons qu'on favoriserait la loi distincte parce que ça lancerait un message plus clair, nous semble-t-il, à ce moment-là: il y a une loi qui vient d'être passée, et, à ce moment-là, vous vous exposez à telle chose. Il me semble que ce serait... Sans être des juristes, effectivement, c'est le résultat, pour nous, qui importe. Qu'on procède d'un côté ou de l'autre, trouver la façon la plus facile de nous protéger le plus possible, hein, c'est ça qu'on vous demande. Mais en même temps on avait comme option... l'option idéale, ce serait vraiment, à ce moment-là, qu'il y ait une loi, d'après nous autres.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): O.K. Mais je comprends que vous souhaiteriez aussi que ce soit un recours assez rapide, là, forcément.

M. Mongeau (Serge): Non, mais, écoutez, ça, c'est essentiel. Comme Patrick l'expliquait, écoutez, on a eu quelques jours pour retomber sur nos pieds, et c'est pour ça que... Écoutez, notre avocat nous dit: Le 8 000 $... j'estime que ça va coûter à peu près ça. Effectivement, il a travaillé beaucoup d'heures, des fins de semaine, et tout ça, on avait peu de temps pour le faire. Et il nous dit en même temps aussi: C'est important que ce soit payé tout de suite pour qu'à ce moment-là je montre en cour que, oui, il y a eu des frais puis que je puisse soumettre la facture en disant: Bien, écoutez, essayez... ce qu'on n'a pas obtenu directement de la cour, que le juge dise: Bien, oui, c'est à Rabaska à payer ça. Et là il fallait entreprendre la deuxième étape, que je vous ai dit qu'on a laissée tomber à un moment donné parce que ça nous entraînait dans trop long. Donc, c'est rapide quand ça arrive.

Et il faut voir l'effet que ça a eu. Bon, bien, Patrick vous a dit que ça l'avait dérangé. Bien, nous autres, on a vu que ça l'a plus que dérangé, ça l'a profondément perturbé, quand, à ce moment-là, tu es un jeune couple, là, puis tu reçois une injonction. Puis heureusement que nous nous trouvions, à l'île d'Orléans, dans un contexte où ce n'est pas des gens dépourvus totalement, et à ce moment-là on a dit: Bien, on va l'emprunter, on va prêter cet argent-là. On a pu le trouver rapidement, et, comme Patrick a dit: À un moment donné, bien il a fallu que la plupart des gens convertissent ces prêts-là en dons, parce qu'on ne l'a pas, cet argent-là.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Et vous avez parlé tout à l'heure d'un dépôt qui pourrait être exigé de certaines entreprises qui seraient demanderesses, bon, dans les procédures. Avez-vous une idée un petit peu comment ça procéderait? Est-ce qu'automatiquement, dès le moment où telle ou telle entreprise intente une poursuite, le dépôt serait requis sans même savoir si dans le fond on est en présence d'une procédure vexatoire ou frivole ou enfin une poursuite-bâillon?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Non. Écoutez, j'ai essayé de trouver, finalement, bon: est-ce que ça devrait être un montant fixe pour tout le monde, dire: On fait un dépôt de 25 000 $, ou je ne sais pas quoi? Et, écoutez, la taille des entreprises qui poursuivent n'est pas la même, puis 25 000 $, pour une multinationale, ce n'est rien, puis ça peut être pour une petite entreprise, puis il y a des petites entreprises qui peuvent être prises à... Or, je ne sais pas comment procéder. Moi, je pense que ça devrait être établi en fonction de la grosseur, de la taille de l'entreprise. Et ce dépôt-là, il devrait être remboursé aux gens s'ils gagnent la poursuite, s'ils prouvent, s'ils réussissent à prouver devant le juge qu'effectivement on les a... effectivement ils avaient raison de vouloir empêcher... ou qu'effectivement il y avait libelle, ou je ne sais pas quoi, s'ils poursuivent pour ça. Mais, s'ils perdent, moi, comme j'ai dit, de toute façon, ils devraient au moins payer les dépens et les dépenses, les frais d'avocat, les frais extrajudiciaires, mais récupérer... s'ils gagnent, ils récupèrent leur dépôt, et, s'ils perdent, le dépôt devrait être remis au groupe qui a été poursuivi pour compenser justement, là, tous les inconvénients qu'il y a eu. Alors que l'argent pour les frais d'avocat, s'il a été avancé par le fonds, bien là le groupe devrait le remettre au fonds, tout simplement.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de LaFontaine.

M. Tomassi: Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Mongeau, Mme Beaupré, M. Plante, bienvenue à l'Assemblée nationale. À mon tour de vous saluer.

J'écoutais votre présentation tantôt, et je ne suis pas juriste, moi de même. Ce que les commissions parlementaires nous permettent, c'est, de part et d'autre, d'apprendre des choses, puis c'est tout à fait correct, et, par l'entremise de la télévision, il y a des gens qui nous écoutent et ça établit un débat au sein de la société.

Vous avez parlé tantôt de bien commun, que les gens, la majeure partie des gens, des groupes qui se portent à la défense de certains... contre certains projets le font sur la base du bien commun. Or, je voulais en tout premier lieu savoir de votre part à vous quelle est votre définition de «bien commun». Parce que je me dis, puis là je ne fais pas état d'un projet plus qu'un autre, là, je regarde ça d'une façon très large, le bien commun est très large. Tout dépendamment de quel côté de la clôture qu'on se met, le bien commun peut être un bien commun pour moi et peut ne pas être un bien commun pour vous, et le contraire est aussi vrai.

Je prends l'exemple, sous l'ancien gouvernement péquiste, l'établissement de la ligne hydroélectrique Hertel-des Cantons, qui était, à la limite... pour le gouvernement de l'époque, c'était pour le bien commun, c'était pour garantir l'alimentation électrique du centre-ville de Montréal et de la grande région si jamais l'événement d'une crise de verglas comme on a connue en 1998 referait surface. Or, pour le gouvernement, c'était pour le bien commun. Il y a quand même des groupes qui ont mis des procédures judiciaires de l'avant pour que ce projet-là ne se fasse pas.

n (10 heures) n

On pourrait dire la même chose pour l'autoroute 25, qui est en débat actuellement. Pour certains, la construction de l'autoroute 25 n'est pas pour le bien commun. Pour certains autres, ceux qui demeurent sur Henri-Bourassa ou, comme moi, sur Gouin, près du pont Pie-IX... moi, l'autoroute 25, c'est un bien commun pour moi parce que, le matin... le matin et le soir, j'ai de la misère à sortir de mon stationnement parce que les gens contournent Henri-Bourassa, prennent Gouin, parce qu'à partir de ? grosso modo, je ne sais pas si vous connaissez Montréal ? Lacordaire pour embarquer sur le pont Pie-IX, des fois ça peut prendre une heure et demie. Or, vous comprenez la congestion qu'il y a sur Henri-Bourassa. Pour les gens qui demeurent là, c'est du bien commun de faire l'autoroute 25 pour qu'on puisse dégager la voie Henri-Bourassa.

Le même projet pour Rabaska ? puis je ne suis pas ni pour ni contre, là, on est ici pour discuter ? quelques-uns vont dire: Bon, bien, ça va nous garantir une suffisance en termes de gaz naturel, si jamais on en avait besoin, puis on en a besoin. Or, je voulais savoir de vous, là, vous vous situez où. Quand vous dites que vous êtes là pour défendre le bien commun, de quel côté vous vous situez, là? Parce que le bien commun qui peut être le bien commun pour vous peut être pour moi non pas un bien commun, peut être un problème, là.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Écoutez, je ne vous donnerai pas une définition du bien commun, parce qu'effectivement je pense que, oui, il y a bien des choses qui peuvent être incluses dans le bien commun puis il y a bien des perspectives. Mais ce que je dis et ce que je répète, c'est que les gens qui ont une perception de quelque chose qui est pour le bien commun, qui peut être différente de celle des autres, leur motivation est très différente de celle de la compagnie qui va, à ce moment-là, les attaquer, alors que la compagnie, elle ne le fait pas pour le bien commun.

Oui, ça peut être le gouvernement qui peut, à un moment donné, juger que, pour le bien commun, telle mesure est mieux, mais en même temps l'autre, la motivation, c'est aussi une autre perception du bien commun, mais les gens n'en retireront pas des profits personnels, individuels. Et, à partir de ce moment-là, et c'est ça qu'on dit, ils ne devraient pas être pénalisés, ils ont droit... Et, dans notre société, c'est important qu'il y ait des débats de société. Et, oui, on peut avoir des perceptions différentes... Oui, bon, dans des cas comme ceux-là, pour moi, le bien commun, des groupes écologistes, c'est une réflexion à plus long terme que ceux qui, à un moment donné, veulent se rendre plus vite à leur bureau. Oui, ça ferait du bien, ce serait apprécié par bien des gens, et, à ce moment-là, on peut dire qu'il y a un certain bien commun, mais je pense qu'il y a des gradations, dans le bien commun aussi, qui peuvent se faire.

Mais c'est la motivation des gens, c'est ça qui est important. Et les gens qui prennent des actions, ils peuvent errer, eux autres aussi, oui, c'est possible, mais qu'ils l'ont pris dans un esprit, à ce moment-là, d'aider à la société, à ce que la société, selon leur perception, fonctionne mieux, bien il me semble que ces gens-là ne devraient pas être pénalisés. Au contraire, ils devraient, à ce moment-là, être félicités de s'occuper de la chose publique et de s'impliquer en tant que citoyens pour essayer d'améliorer la société.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Chomedey, en vous indiquant que vous avez cinq minutes à votre disposition.

M. Ouellette: Merci, Mme la Présidente. M. Mongeau, Mme Beaupré, M. Plante, bonjour. Je voudrais d'entrée de jeu... parce que j'ai un peu sursauté tantôt, quand vous nous avez fait part de votre perception de la justice, qu'il y avait deux justices et puis qu'il y avait une justice pour les riches, pour les pauvres. Je vous dirai qu'effectivement ça m'a fait sursauter parce que je pense que tout le monde travaille à faire en sorte qu'il y ait une justice puis qu'elle soit la même pour tout le monde. Elle est peut-être... et, si je regarde votre point de vue, moins accessible, mais... peut-être moins accessible monétairement, là, je regardais ce que vous nous mentionniez par rapport aux poursuites, etc.

Si vous aviez à inclure dans le projet de loi une disposition par rapport à l'accessibilité du citoyen qui va être poursuivi dans une poursuite-bâillon, à part du dépôt, y a-tu autre chose que vous avez, entre vous autres, discuté ou que vous pourriez être en mesure de nous suggérer, là? Ça peut être l'aide juridique, ça peut être plein d'autres choses, là. Vous nous avez parlé du dépôt tantôt, mais vos discussions ont-u porté sur d'autres sujets que seulement que le dépôt lors de la poursuite?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Écoutez, c'est très clair aux yeux de tout le monde qu'on est inégaux, alors que le système de justice dit: Tous les citoyens sont égaux. Puis c'est très clair que la perception dans notre société actuelle puis la perception dans nos groupes est la même que finalement quand on fait face à un organisme, par exemple, qui peut se payer tous les avocats qu'il veut et aller chercher les meilleurs avocats et qui, à ce moment-là, quelles que soient les procédures, va être capable d'aller jusqu'au bout, c'est évident, à ce moment-là, que c'est décourageant pour les citoyens et que ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible de croire qu'on a un système égalitaire, où on est égaux actuellement. Et c'est pour ça que le fait d'aider, d'aider, à ce moment-là, les gens à se défendre rapidement eh bien, ce serait important. Puis c'est pour ça que, moi, je dis qu'on pourrait rajouter, là, à l'organisme qui administrerait ce fonds-là des avocats-conseils pour que les gens puissent aussi... Parce qu'à un moment donné il faut être un peu spécialisé dans ce genre de cause là, pour qu'ils puissent avoir les meilleurs avocats et, à ce moment-là, avoir plus de chances de gagner leur cause. On ne peut pas aller beaucoup plus loin, parce que, rétablir le système de justice actuel, la perception est là, puis la perception est amplement justifiée.

Écoutez, nous autres, je vous ai dit, on met des milliers d'heures... finalement on a été aussi... on a été aussi assez... je ne sais pas quel mot dire, pas découragés, mais dépités par les frais qui ont été chargés par notre avocat. Quand on regarde, là, 175 $ de l'heure, alors que, nous autres, on travaille comme bénévoles, bien on dit: Mais ça n'a pas de sens, là, écoute. Puis, le 175 $, bien on a les factures, ça veut dire un téléphone, à un moment donné, deux minutes, puis c'est les minutes qui s'ajoutent. Ça n'a absolument pas de sens, c'est...

M. Ouellette: Qu'on baisse les honoraires des avocats, c'est ça que vous nous dites, là?

M. Mongeau (Serge): Ça, c'est les honoraires des avocats, mais, écoutez, pour aller devant la justice, et on le sait, chaque fois que les gens se présentent devant, finalement, les juges sans avocat, très souvent les gens sont blâmés, puis le juge dit: Vous devriez avoir un avocat, puis ça vous aiderait à gagner votre cause. Mais en même temps ça coûte tellement cher que ça n'a pas de sens.

M. Ouellette: Ça pourrait être... Excusez, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): Rapidement.

M. Ouellette: Ça pourrait être autant de vous donner accessibilité à l'aide juridique pour ce genre de poursuite là ou d'aller... comme d'autres organismes nous ont mentionné, qu'aussitôt qu'un organisme, une multinationale dépose une poursuite-bâillon, elle doit prévoir un fonds pour permettre aux gens qui sont accusés de pouvoir se défendre équitablement, sur le même pied que la multinationale. Ça pourrait aller aussi loin que ça.

M. Mongeau (Serge): Bien, parce que, écoutez, là, dans la commission Macdonald, là, ils analysent cette possibilité de dire: Bien, on pourrait recourir à l'aide juridique. Mais, écoutez, c'est un système qui est compliqué, hein? Parce qu'on nous dit: Si c'est un organisme collectif, il faut que la moitié des membres soient déjà admissibles à l'aide juridique. Ce qui n'a pas de sens. D'abord, ça ferait des calculs difficiles à faire, puis là c'est qui est membre, qui n'est pas membre, ça n'a pas de sens. Et en même temps même les gens qui ne sont pas accessibles à l'aide juridique mais qui... ils peuvent être fragiles, à ce moment-là, et ne pas avoir les fonds pour se défendre quand même, parce que la limite pour l'aide juridique n'est quand même pas si élevée que ça, et ce n'est pas des citoyens riches qui sont inadmissibles.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Ouellette: Il va y avoir des avocats qui vont vous en parler, là.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Mongeau. Ceci met fin au premier bloc de temps. Donc, on va aller du côté de l'opposition officielle avec le député de Saint-Hyacinthe, qui est porte-parole en matière de justice.

n (10 h 10) n

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, Mme Beaupré, M. Mongeau, M. Plante, il me fait plaisir de vous... Votre mémoire n'était pas tellement volumineux, mais vos propos étaient quand même assez chargés de connaissances.

D'entrée de jeu, dans un sens vous avez quand même établi les points de base, c'est-à-dire la bonne foi, égaux devant la loi, puis bien commun versus bien privé... Et mon collègue de LaFontaine a quand même expliqué cette problématique-là de bien commun versus de bien privé. Quelquefois, si c'est dans ma cour, ça devient un bien privé, et, si c'est loin de ma cour mais ça peut m'obtenir un bien à long terme chez moi, ça devient presque un bien commun.

Alors, moi, j'aimerais quand même vous entendre sur cette question-là, parce que des fois ça peut me perturber dans mon environnement très, très présent, puis par contre ça peut être un acquis pour d'autres, un peu dans le sens... Je repense, là, historiquement, à la construction du fameux chemin de fer transcanadien. À l'époque, c'est sûrement que c'était le développement, ça a été quand même la création de l'État canadien qui a eu lieu à la suite de cette construction-là, et c'est certain que, quand le train passait sur le terrain de monsieur X, monsieur Y, il y avait sûrement un irritant qui était là.

Et c'est sur cette question-là que j'aimerais vous entendre, parce que, si je regarde, vous êtes les Ami-e-s de la Terre de Québec, et puis quand même les Ami-e-s de la Terre de Québec, à mon avis, c'est très large, c'est très vaste, ça comprend tout le Québec. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette question-là.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Nous sommes les Ami-e-s de la Terre de Québec et non les Ami-e-s de la Terre du Québec, O.K.? Donc, c'est un groupe qui s'occupe des problèmes de la région de Québec, mais en même temps évidemment les préoccupations des Ami-e-s de la Terre, c'est aussi la planète parce que nous sommes un groupe écologiste et qu'on ne peut pas isoler aujourd'hui, là... L'air qu'on respire ici, bien il vient d'un peu partout, etc.

Moi, je pense que la question de bien commun, je n'ai pas voulu entrer là-dedans, mais c'est évident qu'à des moments donnés il y a des... il y a une hiérarchie dans les valeurs qui nous font définir c'est quoi, le bien commun. Par exemple, dans le cas de Rabaska, on nous dit: Pour le bien commun, il faut que vous acceptiez qu'on améliore les possibilités d'emploi dans la région, donc le bien commun au plan de la croissance économique, mais, nous, en contrepoids de ce bien commun là, on dit: Mais il y a l'avenir de la planète, il y a la sécurité des gens sur place. Il me semble qu'il y a des ordres de priorité qu'on peut établir là-dedans, hein?

C'est sûr que, oui, c'est important que l'économie fonctionne bien, mais en même temps il y a d'autres choses de plus important. Actuellement, dans notre société, malheureusement c'est l'économie qu'on met en avant de tout. On est en train de faire sauter la planète avec la croissance économique et avec augmenter constamment la consommation, alors qu'on dépasse déjà les capacités de la planète en disant: Ah, bien, écoutez, l'économie, c'est tellement important, il faut qu'on crée des emplois, il faut que les gens puissent continuer à consommer comme ils consomment actuellement. Mais, nous, on dit: Il y a d'autres priorités. On a des enfants; si on veut que nos enfants et que nos petits-enfants aient une planète pour continuer à vivre, bien il faut qu'on commence à se préoccuper et il y a des actions qu'il faut qu'on prenne. Et je pense que, dans les groupes écologistes, on a plus tendance, à ce moment-là, à considérer le bien commun beaucoup plus globalement que tout simplement de dire: Tout le bien commun va passer par une meilleure économie. L'économie au service de la société, c'est ce qu'on devrait avoir, alors qu'actuellement c'est la société qui est au service de l'économie.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Mongeau ? j'ai sursauté un peu quand vous avez dit, question de la justice ? si vous regardez, au sujet du rapport Macdonald, à la page 77 de son rapport, il dit clairement en fait: «Il apparaît clairement aux membres de ce comité que l'article 46 du Code de procédure civile établit le pouvoir de la cour et des juges de protéger l'institution judiciaire et que les orientations de la dernière révision du Code de procédure civile, telles qu'elles sont reconnues actuellement par la Cour d'appel, favorisent une plus grande initiative du juge dans tous les dossiers où l'intégrité et les finalités de l'institution sont remises en cause. Ces pouvoirs autorisent le juge à intervenir dans toutes les situations où le détournement de la fonction judiciaire est constaté.»

Et d'ailleurs, si on fait une lecture de l'article 46, puis, je veux dire, c'est peut-être très judiciarisé et très judiciaire, mais par contre je dois vous dire quand même qu'au niveau de l'article 46 c'est très clair qu'un juge peut intervenir à tout moment dans un processus judiciaire: «Ils peuvent, en tout temps et en toute matière, tant en première instance qu'en appel, prononcer des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu'ils déterminent.» Alors, lorsqu'il y a eu amendement au Code de procédure civile, 46 leur permet d'intervenir de façon assez précise et avec diligence dans les dossiers.

Et ça m'amène quand même à poser cette question-là, parce qu'on parle souvent de regroupements, de collectivités, de personnes qui se regroupent, mais croyez-vous que, même si un individu se retrouve dans une situation individu versus compagnie ou individu versus individu, il ne pourrait pas faire face aussi à un certain bâillon? Et j'aimerais quand même vous entendre sur ça, parce que présentement je pense que le Code de procédure civile a des outils pour affronter les poursuites qui sont quand même abusives.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Écoutez, oui, ça peut arriver qu'un citoyen se retrouve dans la même situation, mais je pense que c'est quelque chose de plus rare, d'une part. Puis, moi, je ne favoriserais pas, à ce moment-là, ce genre d'action des citoyens, isolée. Il me semble que, quand on compare, là, les situations, si quelqu'un a pris la peine de former un groupe, de travailler dans un groupe, il y a eu discussion, on essaie d'avoir plus de points de vue à ce moment-là, et, avant de se lancer dans une action quelconque, bien on a plus réfléchi. On a plus de chances d'avoir une défense de bien commun et de ne pas être en conflit d'intérêts, vouloir défendre un bien commun, pour défendre, à ce moment-là, des intérêts plus particuliers, il me semble, à ce moment-là.

La Présidente (Mme Thériault): Mme Beaupré.

M. Mongeau (Serge): Et, moi, je pense que la loi devrait effectivement être... Comme on a dit, c'est un groupe qui est poursuivi, et, moi, je pense qu'on devrait, à ce moment-là, réserver cette loi-là pour la protection des groupes, parce qu'à un moment donné, si on ouvre tout ça, bien où est-ce que c'est qu'on met les limites, finalement? Ça n'aurait pas de sens. Alors que clairement il y a des gens qui travaillent pour le bien commun, ils se trompent peut-être des fois; oui, c'est sûr, ça peut arriver. Mais, à ce moment-là, clairement c'est des groupes qui sont identifiés, qui, à ce moment-là, travaillent dans une perspective de bien commun. Et, non, moi, je n'entrerais pas les individus là-dedans.

La Présidente (Mme Thériault): Mme Beaupré, vous voulez ajouter?

Mme Beaupré (Marie-Ève): Oui, c'est ça. À la limite, le débat sur le bien commun, il n'est jamais terminé puis il ne se terminera jamais, on ne sait jamais vraiment qui a la raison. Mais je pense que ce qui est important, c'est que les groupes, les individus puissent participer au débat public librement en exprimant leur opinion. Dans le fond, peu importe, il n'y aura jamais une réponse, personne n'a raison absolument, mais ce qu'il faut, c'est que chacun puisse y participer, s'exprimer et sans avoir la peur de se faire foutre une SLAPP, dans le fond, et de se faire taire en exprimant cette opinion-là. Voilà.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. À un moment donné, à une réponse que vous avez en fait formulée, vous aviez parlé d'avocats-conseils. Et à quel moment pensez-vous que vous auriez intérêt à avoir un avocat-conseil dans le processus? Est-ce que ce serait dans un processus préliminaire ou un processus... Alors, j'aimerais quand même vous entendre sur cette question-là, à cause de l'expérience que vous avez vécue. Peut-être qu'à un moment donné ça aurait été peut-être intéressant d'avoir peut-être de façon plus rapide un avocat-conseil dans votre dossier.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. L'Écuyer: Est-ce que vous avez consulté, avant d'envoyer votre lettre, un avocat?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Moi, il me semble que, dès qu'il y a poursuite, dès qu'il y a attaque d'un groupe, au moment justement où le groupe fait appel au fonds, on pourrait leur offrir, à ce moment-là dire: On a aussi les avocats, et, si vous voulez les prendre, à ce moment-là ils peuvent vous aider à vous en sortir. Parce que le groupe, on est vraiment dépourvus, là, quand arrive quelque chose comme ça.

On avait la chance, nous, à l'île d'Orléans, quand on a reçu une injonction, d'avoir... de connaître des avocats à l'île même, là, qui pouvaient être impliqués, qui pouvaient être déjà sensibilisés à notre cause, mais ça ne voulait pas dire qu'ils étaient bons dans cette cause-là. Alors que, s'il y avait des gens qui en ont déjà défendu, ce genre d'affaire là, bien ils pourraient être plus efficaces ? mais sans les imposer. Moi, je ne les imposerais pas, je dirais: Oui, on a des gens qui peuvent vous aider, puis, à ce moment-là, de toute façon on va défrayer les frais de ces avocats-là. C'est pour ça que le fonds existerait.

n(10 h 20)n

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Il vous reste environ quatre minutes, un peu moins.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Mongeau. Vous avez lu et analysé le rapport Macdonald, et on parle d'un ajout de l'article 165.5 du Code de procédure civile, qui est une procédure en fait préliminaire. Et aussi on parle de 75.2, un ajout concernant les procédures vexatoires.

Vous, pensez-vous qu'effectivement, avec ces points-là d'ajout dans le Code de procédure civile, les gens qui ont vécu ce que vous avez vécu auraient eu quand même cette protection-là davantage avec ces articles-là?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. L'Écuyer: Une protection plus avantageuse?

M. Mongeau (Serge): Écoutez, je ne me souviens pas, là, par coeur de tous les points, là, mais, pour moi, c'est important qu'un message clair soit envoyé aux compagnies que: Écoutez, là, vous devez avoir des raisons sérieuses de poursuivre un groupe ou d'essayer d'empêcher un groupe de parler, et que, parce que vous êtes effectivement dans votre droit et parce que ce groupe-là a dépassé peut-être les limites, mais il faudrait que ce soit très clair.

Quand on regarde ce qui s'est passé avec le Port de Québec, c'est très évident que c'était une procédure pour nous empêcher de parler. Puis, écoutez, là, hein, les bateaux, les croisiéristes, ils vont être touchés par... ils risquent d'être touchés par le port méthanier dans cinq ans, six ans, sept ans.

Il n'y avait pas de justification de prendre, à ce moment-là, des mesures, une injonction interlocutoire pour nous empêcher de parler... Dans quelle sorte de société on se retrouve si on n'est pas capables de discuter pour quelque chose qui va arriver dans cinq ans, dans six ans, dans sept ans? Ce n'était absolument pas justifié. C'est très clair, à ce moment-là, que le Port de Québec ne voulait tout simplement pas qu'on parle de ce sujet-là, et ce n'est pas correct. Et ça nous a empêchés effectivement d'en parler avec d'autres aussi, parce que ça va avoir des implications pour toute la navigation sur le fleuve. Et il me semble qu'on forçait, d'une certaine façon, le Port de Québec à faire son travail qu'il n'avait pas fait, parce qu'il n'avait pas communiqué... Et les croisiéristes, c'est ça qui est arrivé, les croisiéristes ont dit: Mais qu'est-ce que c'est ça, cette affaire de port méthanier? Est-ce que ça va... on ne savait pas ça que ça pourrait avoir des conséquences sur la navigation, alors que, nous, on leur posait simplement des questions.

La Présidente (Mme Thériault): Mme Beaupré.

Mme Beaupré (Marie-Ève): Encore une fois, que le groupe qui pose une action, qui se fait poursuivre ait raison ou non, le groupe ne peut pas se faire poursuivre... Bon, une SLAPP étant une SLAPP, c'est une poursuite qui ne vise pas... le but n'est pas de gagner cette cause-là mais bien de faire taire le groupe. Là, rappelons-nous-le, c'est le fondement d'une poursuite-bâillon. C'est ça qui se passe, dans le fond. Le but de la poursuite est de faire taire le groupe qui poursuit. C'est ça qui est inacceptable.

Nous, dans le cas des Ami-e-s de la Terre... bon, dans le cas qu'on a expliqué, dans le fond, une lettre a été envoyée à des croisiéristes, et, bon, le Port de Québec a poursuivi pour éviter que des citoyens puissent contacter ses clients, les croisiéristes. Mais comment voulez-vous que ça se passe, ça, dans une société démocratique, là, empêcher des gens de contacter des entreprises croisiéristes? Empêcher qui? Nous, les Ami-e-s de la Terre, on apparaissait sur le site Internet de l'organisation qui envoyait la lettre. On n'avait rien à voir, en plus, avec le cas, et on se fait poursuivre pour un gros montant, un organisme qui a peu de sous. C'est ça qui est inacceptable, là.

Il faut se ramener au fondement, là, de ce que c'est, une SLAPP. Il faut absolument réagir à ça. Que l'organisme ait raison ou non, à la limite, c'est presque secondaire, à mon avis. Tout ce qu'il faut, c'est que le bon sens reste. Pas que c'est secondaire. Ce que je veux dire, c'est que ce qu'il faut, c'est préserver la liberté d'expression, dans le fond, dans le débat public.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ceci met fin à l'échange avec l'opposition officielle. Maintenant, nous allons aller du côté de la deuxième opposition avec le député de Chicoutimi, qui est aussi porte-parole en matière de justice. M. le député.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Mongeau, Mme Beaupré et M. Plante, merci. Je m'excuse de mon retard. Je prends l'autobus pour venir de Chicoutimi, alors c'est mon effort que je fais aussi du côté environnemental, ce qui fait que j'ai moins le contrôle sur mon horaire.

Simplement vous remercier de votre présentation, et je remercie Mme Beaupré d'avoir remis le débat où est-ce qu'il doit être. Il ne faut pas mélanger toute la question d'avoir un intérêt personnel versus un intérêt privé. On peut avoir un intérêt personnel dans un débat public d'ailleurs, et vice versa. Mais ça n'empêche pas que ce qu'on vise aujourd'hui, c'est de défendre ceux et celles qui veulent prendre part à un débat qui, lui, doit être public, et les procédures... et qui concerne d'ailleurs... les débats publics concernent le bien public. Ceux qui ont raison, ça, on verra en bout de ligne, mais il faut protéger ceux et celles qui y participent. C'est pour ça que je trouvais que c'est un bien mauvais exemple qui a été donné tantôt, quand on parlait de Hertel-des Cantons. À aucun moment les groupes qui défendaient une ligne ou l'autre ou le fait de ne pas en avoir besoin n'ont fait l'objet d'une poursuite qui les a empêchés de parler.

Oui, on peut trancher puis que ça ne fasse pas l'affaire de tout le monde, mais je pense que chacun doit avoir le droit d'exprimer son opinion normalement sans faire l'objet de pressions financières. Alors, moi aussi, je sursaute à mon tour, je vous dirais, mais à l'inverse, là, quand je vois des exemples comme ça qui n'ont rien à voir avec ce qui s'est passé dans votre cas, dans le cas de Rabaska plus particulièrement, et dans les cas qui nous sont cités où les gens ont été l'objet de poursuites dont le seul but était à l'époque... mais, dans le cas du Port de Québec, je le dis ouvertement, sans aucune réserve, là, était de faire taire les gens, il n'y avait pas d'autre but que ça, faire taire les gens. Et en plus c'est un organisme public qui agissait sans mandat, et c'est totalement inadmissible. Au-delà de mon opinion sur ce que devrait être la résultante de tout ça, c'est totalement inadmissible.

Alors, ceci dit, plus techniquement un peu, vous avez fait référence à l'aide juridique, et au début je l'ai soulevé un peu, pour rééquilibrer ce rapport de force qui existe, et là je dis «rééquilibrer». Vous avez bien raison: quand on est face à une multinationale avec des moyens illimités, c'est sûr qu'on donne tout le cadre à notre justice pour qu'elle soit indépendante, mais l'inégalité des moyens, elle est réelle. Ça, c'est réel, et être capable d'embaucher 200 experts et une autre partie qui est incapable de s'en payer un, et même un avocat, c'est un déséquilibre réel. Alors, ce qu'on vise aujourd'hui, c'est rééquilibrer, bientôt je le souhaite, dans le cadre d'un projet de loi.

Donc, l'aide juridique: Est-ce qu'il y a aurait lieu de modifier les règles de l'aide juridique pour que, lorsque des conditions sont rencontrées, au-delà des moyens qui sont... des parties en cause, si on est capable de démontrer que la partie qui fait l'objet d'une action rencontre la condition x, là, est intervenue dans le cadre d'un débat public, a été poursuivie après tant de temps, bon, et une autre... peut-être une autre condition, être un organisme sans but lucratif, en tout cas on en fixerait deux, trois, est automatiquement admissible à l'aide juridique, est-ce que vous pensez que ce serait de nature au moins à vous donner... à donner un peu plus de moyens, à rééquilibrer les forces?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, écoutez, c'est exactement, là, la proposition de la commission Macdonald, à ce moment-là, en disant: Là, on ne tient plus compte des critères financiers, hein? On dit: Si c'est un groupe puis si, à ce moment-là, bon, il y a des conditions qui sont posées, et, à ce moment-là, oui, ce serait administré par l'aide juridique. Mais on ne change pas l'aide juridique, on ne dit pas que c'est l'aide juridique, à ce moment-là, qui est étendue. Moi, je pense qu'il faut qu'on fasse la distinction entre les deux: ça pourrait être administré par l'aide juridique, mais ce n'est pas l'aide juridique qui est étendue aux groupes, parce qu'on rentre dans... L'aide juridique, en principe, c'est pour les gens qui sont dépourvus à ce moment-là. Et là, à ce moment-là, nous, on dit: Non, il n'est pas question d'examiner l'état des finances des citoyens qui sont impliqués là-dedans. Ce n'est pas ça, c'est: Bien commun par rapport à profit, par rapport à intérêts privés. C'est ça qui est important.

M. Bédard: Je suis d'accord avec vous: donc, de changer les règles pour qu'on n'ait pas justement à examiner justement ces règles de revenus; donc, que ce soit automatique, sans preuve autre que celles des conditions, mais qui sont objectives et qui n'ont rien à voir avec les revenus. Ça, vous seriez d'accord?

M. Mongeau (Serge): C'est ça.

M. Bédard: O.K. Deuxième chose: Est-ce que vous avez bénéficié des conseils du Centre québécois du droit de l'environnement?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau?

M. Mongeau (Serge): On n'a pas fait appel à eux à ce moment-là; peut-être qu'on aurait dû. Mais, écoutez, au niveau des groupes, là, on n'a pas toutes les connaissances puis... Peut-être qu'à Québec, oui, eux, ils l'ont fait, là? Non?

La Présidente (Mme Thériault): Mme Beaupré?

Mme Beaupré (Marie-Ève): Bien, vous terminez votre idée, je vais continuer après.

M. Mongeau (Serge): Non, bien, c'est ça. Écoutez, on ne sait pas toutes les ressources justement qui existent. Écoutez, des groupes...

La Présidente (Mme Thériault): Oui. On va...

M. Bédard: ...n'ont pas de ressources, eux non plus...

M. Mongeau (Serge): Bon!

n(10 h 30)n

M. Bédard: ...et c'est une des demandes de plusieurs groupes justement de faire en sorte qu'il y ait de ces groupes en droit de l'environnement de... donc, qu'il y ait un peu plus de moyens pour être capables, au départ, je vous dirais, de bien conseiller les groupes, même les individus, là, dans le cas d'un débat public, qui sont face à de telles situations.

La Présidente (Mme Thériault): Mme Beaupré.

Mme Beaupré (Marie-Ève): C'est ça que je voulais dire aussi. Ça pourrait être important... Bien, vous dites: Il n'y a pas beaucoup de ressources. Oui, mais ça, ce serait important aussi de peut-être ouvrir des budgets de communication, là, sur l'éducation aux groupes, les ressources auxquelles ils ont droit. Bon, nous, quand, un bon matin comme ça, un huissier arrive avec une pile de dossiers, je veux dire, je les ai feuilletés, les dossiers, là, de la réception, de, bon, la mise en demeure. Ça, je veux dire, pour nous, c'est incompréhensible, c'est dans un langage qu'on ne comprend rien. On se retrouve: Qu'est-ce qui se passe? Qui est-ce qu'on appelle? C'est quoi qui se passe? Puis dans le fond on se retrouve complètement vulnérables dans une situation comme ça. Oui, il y aurait des budgets de communication peut-être à développer pour essayer peut-être d'outiller les groupes, là-dedans. Au-delà des avocats-conseils, quelles autres ressources ou... Bon, voilà.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau, voulez-vous ajouter? Non, ça va? C'est beau. M. le député.

M. Bédard: Peut-être un dernier point aussi. Dans le cadre du... ce que vous souhaitez, c'est le dépôt d'une somme, c'est ce que j'ai compris. Lorsqu'on est face à une situation de bâillon, là, de poursuite-bâillon, qu'il y ait dépôt d'une somme de la partie poursuivante, c'est ça? C'est ce que vous me disiez?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Bédard: Ce que j'ai compris de votre expérience par contre, c'est que le problème dans tout cela... Parce que, vous savez, si on est face à une grande corporation, pour que ça ait le moindre impact, là, ça va en prendre beaucoup, d'argent, là, en dépôt pour que, je vous dirais... qu'un actionnaire puisse poser une question, là, par rapport à son dividende de l'année en cours, là.

Donc, est-ce que vous ne pensez pas qu'on devrait plutôt privilégier l'idée justement, qui est proposée dans le rapport Macdonald, de viser à ce que les procédures soient le plus courtes possible, là, par l'introduction de moyens préliminaires pour justement mettre fin à ces poursuites rapidement et donner l'occasion à la partie qui a poursuivi abusivement de payer des dommages et intérêts, y incluant les honoraires extrajudiciaires, donc les honoraires d'avocats?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Oui, mais il me semble que, dans le rapport, il faudrait, à ce moment-là, que le groupe, d'une certaine façon, poursuive celui qui l'avait poursuivi.

M. Bédard: Nécessairement, c'est ça. Vous lirez... Bien là, c'est plus technique, évidemment, là, mais ce qui est proposé dans le rapport Macdonald, c'est qu'avec l'introduction d'une modification du Code de procédure civile, advenant le cas qu'on soit face à une situation de poursuite-bâillon, l'autre partie pourrait avoir droit à des frais autres que les dépens, sans qu'il y ait une demande reconventionnelle, comme vous me disiez, ou une autre poursuite, lors des moyens préliminaires. Donc ça, ça veut dire au début, là, une requête, là, pour rejet d'action, c'est au début, ça, on fait ça dans les 60 premiers jours.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien oui, mais c'est ça que, moi, je recommande, là, que nous recommandons, c'est qu'automatiquement, au moment où une poursuite est entreprise, qu'il y ait dépôt d'un certain montant. Et donc, à ce moment-là, ce serait dans tous les cas. Bon, comme j'ai dit, c'est difficile d'établir c'est quel montant, il faudrait que ce soit en fonction, mais, en même temps, si la poursuite était vraiment injustifiée, bien le groupe, au moins il va avoir une compensation de ce côté-là, très clairement.

Quand vous dites, bon... Il me semble que ce n'est pas un choix de dire que ce soit rapide, que ce ne soit pas rapide. Il faut que ce soit toujours rapide; ça, c'est sûr; que les procédures se fassent rapidement pour ne pas laisser les gens d'un groupe, là, dans l'incertitude pendant un bout de temps. Donc, très vite, qu'on sache qu'ils vont être protégés, que les gens sachent qu'ils vont être protégés puis qu'ils ne seront pas menacés dans leurs finances personnelles, et des groupes et des individus, pour pouvoir, à ce moment-là, se défendre.

M. Bédard: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. Bédard: Donc, ce que vous nous dites finalement, l'autre élément que je voulais voir avec vous... et vous l'avez confirmé au ministre, mais ce que vous souhaitez, c'est vraiment, lorsqu'on va modifier la loi... puis que ce soit le Code de procédure civile ou d'autres lois, c'est qu'on réaffirme le principe... que ce soit une loi indépendante qui peut modifier d'autres articles mais qui réaffirme le principe, donc qui envoie un signal très clair à ceux et celles qui utilisent les tribunaux pour empêcher les gens de participer aux débats publics qu'au Québec ce n'est plus tolérable. C'est ce que vous souhaitez et c'est ce que j'ai compris.

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, il y a deux messages qui seraient lancés. Un message aux compagnies, de dire: Cessez de tenter d'empêcher les gens de parler. Puis il y aurait un message qui est lancé aux citoyens en disant: Vous avez raison de vous impliquer, et la société reconnaît et est reconnaissante de vos actions, puis, à ce moment-là, vous ne devriez pas être pénalisés. Alors, moi, je pense que le message, il se fait aux deux niveaux.

M. Bédard: ...même la possibilité, dans le cadre de ce rééquilibrage des forces, de renverser le fardeau de preuve à l'étape de la requête. Autrement dit, que les groupes qui sont l'objet... ou les individus... Parce que, moi, je pense qu'il faut l'étendre aux individus aussi, parce que souvent les individus vont être poursuivis en même temps que les groupes parce qu'ils ont parlé personnellement aussi dans le cadre du débat. Et c'est pour ça qu'il faut l'ouvrir, je pense, aussi ? par rapport à vos commentaires, là ? aux individus. Donc, pour rééquilibrer, de faire en sorte que le groupe ou la personne qui est l'objet de cette poursuite, qui a moins de moyens, ait simplement à montrer, je vous dirais, des faits simples, prima facie, là, donc, par exemple, qu'il est intervenu, comme je vous disais un peu tantôt, dans le cadre d'un débat public, en fixant des conditions x, et ce serait à la partie... à l'autre partie à démontrer. Parce qu'elle, elle le sait, les raisons qui ont motivé son choix de poursuivre. Donc, qu'elle fasse sa démonstration par prépondérance de preuve que sa poursuite n'est pas abusive ou ne sert pas une autre fin finalement que celle qui est inscrite à ses conclusions. Est-ce que vous pensez que ce serait de nature à rééquilibrer?

La Présidente (Mme Thériault): Et vous avez 45 secondes pour répondre, pour mettre fin à l'échange.

M. Mongeau (Serge): O.K. Bien, deux choses, O.K.? Moi, je pense que, oui, c'est important... et c'est pour ça que c'est important qu'il devrait y avoir une déclaration assermentée de l'organisme, quand il dépose la plainte, comme quoi il n'a pas ça comme intention. Parce qu'à ce moment-là, si effectivement il perd, bien il va être obligé de prouver qu'il était de bonne foi.

Et la deuxième chose, je voudrais revenir, j'ai dit: Les individus ne devraient pas être protégés par... Mais effectivement, quand un individu est attaqué dans le cadre d'une action collective, un individu, dans une action qu'il a faite pour un groupe, au nom d'un groupe, oui, à ce moment-là, c'est différent. Mais quelqu'un qui, tout seul dans son coin et pas dans un groupe, commence une action, bien, comme j'ai dit, je pense qu'il faut qu'on mette des limites à cette loi-là, à un moment donné, puis qu'on ne mette pas tout dans le même sac.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Merci beaucoup, Mme Beaupré, M. Plante et M. Mongeau.

Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux parlementaires de vous saluer. Le prochain groupe va bien vouloir s'avancer. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 38)

(Reprise à 10 h 41)

La Présidente (Mme Thériault): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, la commission va poursuivre ses travaux, et nous entendons le deuxième groupe. Je vais demander à M. Jean-Yves Côté peut-être de prendre la parole en premier, de nous présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous avez une quinzaine de minutes pour présenter votre mémoire; par la suite, il y aura des échanges avec les parlementaires. Juste pour les gens qui suivent les travaux, il y a une présentation audiovisuelle présentement, il y aura aussi du son avec ça. M. Côté, la parole est à vous.

MM. Jean-Yves Côté, Jacques Marquis,
Yves Michaud, Michael Laucke
et Michel Magnant

M. Côté (Jean-Yves): Oui, d'accord. Alors, notre rapport, bien qu'il soit signé par cinq personnes, a été l'oeuvre principalement de Me Jacques Marquis, et bien sûr nous épousons ses vues. Me Marquis est un avocat de pratique privée de la région de Montréal qui a une pratique en droit civil. C'est aussi quelqu'un qui se distingue au sein de notre profession par ses écrits, où il aime porter un regard d'ensemble et pas strictement, je dirais, technique sur la loi.

La Présidente (Mme Thériault): On s'excuse. Le son qui va avec la projection est un peu trop fort.

M. Côté (Jean-Yves): Parfait.

La Présidente (Mme Thériault): Donc, à la régie, on m'a fait signe de demander de couper le son, s'il vous plaît. Merci.

M. Côté (Jean-Yves): Alors... Je peux continuer?

La Présidente (Mme Thériault): Oui, continuez.

M. Côté (Jean-Yves): Parfait. Alors, ce qui, un petit peu, caractérise l'approche de Me Marquis, c'est qu'il ne cherche pas uniquement, si je peux dire, des expédients, il cherche à inscrire sa réflexion dans un cadre plus global, et c'est à cette enseigne qu'il a préparé le document que nous vous soumettons aujourd'hui. Alors, je laisse Me Marquis présenter les autres signataires du mémoire.

La Présidente (Mme Thériault): Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): J'espère être à la hauteur de la présentation qui m'est faite. Est-ce qu'on entend bien?

La Présidente (Mme Thériault): Oui. Oui, vous avez du son, là, c'est beau.

M. Marquis (Jacques): Oui? O.K.

La Présidente (Mme Thériault): Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): Oui. Alors, comme le disait tantôt Me Côté, il y a cinq personnes qui ont contribué à ce document-là, de différentes façons. Il y en a deux qui n'auront pas pu être présents aujourd'hui: M. Yves Michaud, qui est connu, je pense, et également mon ami Michel Magnant, qui est docteur en sciences politiques, retenu par des occupations professionnelles.

Les deux autres, à part moi évidemment, sont, à ma gauche et à ma droite ? d'ailleurs, c'est deux cracks de l'informatique dont je suis le disciple bien modeste et pas toujours obéissant: Michael Laucke, alors, qui est un magicien des ondes, qui a préparé d'ailleurs ce PowerPoint; et, à ma droite, Jean-Yves Côté, un jeune avocat malgré le début de ses cheveux gris, parce qu'il commence à pratiquer, il commence à connaître les affres de la pratique, parce que, pendant 18 ans, il s'est contenté de faire 4 000 recherches, il vivait de ça. Maintenant qu'il a de la compétition trop féroce et qu'il s'ennuyait un peu de... enfin qu'il voulait goûter aux vrais défis, il est venu dans la pratique privée pour connaître évidemment les choses un peu plus rudes que travailler dans une bibliothèque. N'est-ce pas, Jean-Yves? Bon.

M. Côté (Jean-Yves): Oui, c'est ça.

M. Marquis (Jacques): Alors, ce que je vais vous dire, Mme la Présidente, d'abord, Mmes les législateurs, MM. les législateurs, ce que je vais vous dire, ne prenez pas ça personnel. Je vais exposer en trois parties nos réflexions, que j'ai partagées avec d'autres évidemment, mais j'en prends la responsabilité quand elles sont moins acceptées ou acceptables. Je vais faire en trois parties l'exposé, je les cite et ensuite je m'en explique.

D'abord, je dis, dans un premier cas ? c'est une image, hein ? que le législateur est un maçon qui travaille à la truelle. D'abord, comprenez-moi bien que je n'ai rien contre les maçons, mon grand-père était maçon lui-même, et je n'ai rien contre le législateur personnellement. De toute façon, ce que je dis réfère évidemment au passé.

Le deuxième point, que je vais développer tantôt brièvement, c'est que nous estimons, j'estime que le processus judiciaire civil ? alors, je crois qu'il y a plusieurs avocats ici d'ailleurs qui s'entendent très bien là-dessus ? nous disons que le processus est trop long, trop lourd et trop lent. Alors, on peut le retenir sous la forme des trois l. On s'en expliquera plus longtemps tantôt.

Et enfin le troisième point, qui est peut-être l'essentiel de notre message ? ici, j'ai joué un petit peu au savant sans diplôme ? je parle de la vision géocentrique du législateur. Alors, on élaborera tantôt pour dire que la procédure, loin d'être la servante du droit substantiel, comme on l'a toujours dit depuis des siècles et des siècles... J'estime ? et ça, c'est une opinion personnelle mais vécue depuis 40 ans ? que c'est le contraire qui est vrai, c'est le droit substantiel qui tourne autour du droit procédural. Alors, je donnerai plus d'explications tantôt.

Alors, la première partie: le maçon est un législateur qui travaille à la truelle. C'est une façon autre de dire l'inverse, c'est-à-dire, comme l'ont dit avant moi deux personnes, deux personnalités au Québec que je connais ? je n'en ai pas trouvé d'autres sur le point ? M. Louis Marceau, qui était doyen de la Faculté de droit de Laval en 1967, et Mme Gretta Chambers, qui alors était chancelière à l'Université McGill.

Alors, je vous réfère à mes paragraphes 12 et 13, où M. Marceau dit, en 1967... Alors, vous comprenez qu'en 1967 le Code venait d'être adopté, était en vigueur le 1er septembre 1966, le Code de procédure civile. Alors, il dit, ce avec quoi je suis d'accord, et là je le cite alors à mon paragraphe 12: «On est même étonné [...] à quel point la pensée des codificateurs de 1966 diffère peu, au fond, de celle de leurs prédécesseurs de 1896.» Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un savant doyen.

Et, au paragraphe 13, j'ai fait une deuxième citation de M. Marceau: «Un système de procédure découle d'un certain nombre de données et prises de position initiales: or, la quasi-totalité de celles à partir desquelles l'ancienne législation avait été élaborée n'ont aucunement été remises en question.» Ce évidemment avec lequel je suis d'accord. Il faut comprendre que, si on reculait encore plus loin, 1896, c'est basé sur 1806 en France. 1806, ça a été fait à la hâte, ça a été fait sur 1667. 1667, c'est dans le temps où il y avait une monarchie, dans le temps où les citoyens étaient des sujets du roi. Aujourd'hui, je pense qu'on peut dire que les citoyens sont des sujets de droit, c'est bien différent, et le Code de procédure devrait la refléter, cette préoccupation-là, et ne le fait pas, à mon humble point de vue.

La deuxième personne qui a... enfin qui, à ma connaissance, a cité... s'est posé des questions sur les fondements et le besoin de refondre la procédure civile, c'est Mme Gretta Chambers. Je le dis à mon paragraphe 15. Alors, j'extrais un... enfin c'est un extrait de sa conférence qu'elle a faite devant le Barreau, cette fois-là en 1997, si je ne m'abuse, donc 30 ans après M. Marceau.

Elle, elle dit ? ce n'est pas des révolutionnaires, ça, ces gens-là, là; elle dit: Faut-il procéder à une véritable réforme «en commençant par un réaménagement en profondeur du fonctionnement de l'appareil mis en place pour régler le litige et donner confiance au coureur-après-justice qu'il va pouvoir arriver à destination avant d'être complètement à bout de souffle...»

Ça, pour l'avoir vécu pendant 40 ans: oui, il y a souvent des justiciables... Je regrette pour ceux qui ne pensent pas comme ça, là, mais, dans nos bureaux, il y en a qui ne se rendent pas, il y en a qui ne participent pas au marathon, il y en a qui n'embarquent pas dans le bateau parce qu'ils savent que c'est trop long ou qu'ils ne sont pas capables de... Il y en a qui pensent qu'ils vont nager à travers le fleuve, tu sais, ou à travers l'Atlantique. Alors, c'est trop... c'est trop long, c'est... Enfin, ça coûte trop cher, ce n'est pas si facile que ça. Alors, malgré que le système, sur le papier, c'est vrai que c'est fait pour être juste pour tout le monde, mais, dans la vraie vie, ce n'est pas toujours comme ça.

n(10 h 50)n

Alors, la première partie, c'est que nous prétendons, avec ces deux auteurs-là, que... enfin, moi, ça, c'est les deux auteurs que je connais qui ont remis en question... qui suggèrent la remise en question des fondements du système procédural. Là, vous pourrez me dire, ou on pourra en discuter, je pense que tous les juges en chef qui ont été nommés, à ma connaissance, à chaque fois qu'ils arrivent, ils font toujours des remarques, ils font toujours aussi même des... ils changent les règles de pratique: On va essayer de mettre ça plus accessible, plus court. En fait, tout le monde fait son possible, mais finalement le bout de la ligne, il y a des améliorations, mais ce n'est pas... disons que l'accès, là, n'est pas... est... Si on prend les statistiques, comparer, là, même vos statistiques du ministère de la Justice, j'en ai cité dans mon texte, on voit presque toujours un déclin. Depuis les années quatre-vingt-dix ou quatre-vingt, il y a un déclin. Il y a de moins en moins de gens qui recourent au système. Bon.

Deuxième point ? je voudrais aller rapidement pour ne pas prendre trop de temps: le processus, nous estimons qu'il est trop long, trop lourd, trop lent. Bon. Ce n'est pas juste un slogan, c'est une réalité. Nous avons, et là je ne suis pas diplômé en mathématiques, mais je suis en train de me faire vérifier par des gens qui connaissent les mathématiques, mon équation au paragraphe 24, où j'ai établi un théorème à l'effet que la vitesse... c'est-à-dire que la... oui, la durée du processus, si vous regardez le paragraphe 24, est fonction de la masse, qui est elle-même inversement proportionnelle à la vitesse. Bon.

Pour faire une histoire courte, là, ça termine que... ? c'est trop court? ? c'est que la vitesse est fonction... Et là j'insiste parce que beaucoup de gens me font la remarque: fonction, ça ne veut pas dire égal, ça veut dire fonction; ça veut dire plus... C'est ça, c'est une variable, c'est plus... ça va durer de plus en plus long en fonction de la masse, qui est de plus en plus nombreuse. Bon. La masse, moi, dans mon livre à moi, c'est des procédures. Et la durée se multiplie par la masse au carré, pas par la masse multipliée par deux. Alors, c'est un, deux, quatre, neuf, etc.

Dans la réalité, le Barreau de Montréal avait fait une petite enquête, et ils en étaient arrivé, eux autres, je l'ai cité dans mon rapport: 29 mois, il y avait cinq procédures. Bon, enfin... Bon. Ce n'est pas une règle mathématique pure. Ce que je veux dire, c'est que plus il y aura ? et là c'est ça qui est important ? de procédures écrites, ça augmente les délais, l'augmentation des délais augmente les coûts, et ça réduit d'autant l'accès à la justice. C'est là qu'est le problème que soulevait tantôt, j'ai cru comprendre, le député à ma droite, ici. Je crois reconnaître le visage de son père, là, si je ne me trompe pas, qui a été un excellent ministre, d'ailleurs. Il ne m'a rien donné, là. O.K.? Alors, ma digression m'a fait perdre le fil.

Alors, pourquoi... Alors, nous sommes d'avis que les procédures, il y en a trop. Et c'est dû à deux causes principales que j'ai appelées, moi, «le mal français», qui est aux paragraphes 26 et suivants. Mais je voudrais plutôt m'attarder au... deuxième partie, qui est le virus américain, paragraphes 34 et suivants. Vous allez comprendre pourquoi je veux insister là-dessus; j'en parle au paragraphe 37, et je veux m'expliquer.

En 1980 ? je n'étais pas là, là, aux États-Unis, à Chicago, mais je l'ai lu ? alors le professeur Wayne Brazil, avec d'autres professeurs d'université, ont fait des enquêtes auprès des avocats, des bureaux solos ? comme, moi, je suis depuis presque toujours, sauf en société nominale avec une quinzaine de temps en temps ? des avocats de bureaux moyens et des avocats de gros, gros bureaux, de gros cabinets. Et les conclusions, 400 pages ? que je n'ai pas toutes lues, mais en résumé je les ai lues ? vous en avez, des conclusions, qui sont répétées au paragraphe 37, ici, de mon mémoire, et j'en cite deux, là. Je vais le dire en français, mais enfin c'est...

Premièrement, l'enquête a révélé que l'«examination on discovery» ? alors ceux qui connaissent ça, là, bon ? ça a été futile. C'est des avocats qui disent ça, là. Plusieurs avocats admettent qu'un petit pourcentage de l'information résultant de l'examen hors cour, ce que ça produit, c'est rarement utile. Et, b ? c'est des avocats qui parlent, encore, là: 80 % des avocats interviewés croient que les cours devraient intervenir pour sanctionner plus décisivement.

Ce qui me choque un peu, là, je vous le dis, c'est que, pendant que ça a été fait, ça, en 1982, 1983, 1984, il y a eu des amendements au Code de procédure qui ont justement favorisé à outrance l'utilisation de l'«examination on discovery». Alors, en 1984, nous, on admet ici ou on intègre une procédure qui, aux États-Unis, est déjà décriée. Alors ? pour être honnête, je vais être complet ? le but visé par le juge en chef à ce moment-là, qui a convaincu le législateur, c'était: On va désengorger les rôles. J'étais là, là; depuis 40 ans, j'étais là. On va désengorger les rôles. C'est vrai, mais, au lieu de les désengorger... on les désengorge au rôle... si le rôle le mérite, on le désengorge en amont. Alors, c'est quoi qui est le mieux?

Le problème qui se pose ici, en amont, c'est ? on revient toujours au même problème ? examen au préalable, d'un côté, de l'autre; alors multiplication des procédures. Qui peut suivre la parade? C'est encore ceux qui ont le plus les moyens. Ça, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, là, on peut avoir les pensées les plus angéliques qu'on voudra, la réalité, c'est ça.

La Présidente (Mme Thériault): M. Marquis, je vais...

M. Marquis (Jacques): Je termine sur mon troisième point.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, c'est ça. Je vous demande d'aller à la conclusion parce qu'il vous reste 10 secondes.

M. Marquis (Jacques): Oui, je m'excuse. Je vais essayer de faire vite.

La Présidente (Mme Thériault): Je vais vous donner un petit peu plus de temps...

M. Marquis (Jacques): Oui.

La Présidente (Mme Thériault): ...je vais le récupérer sur le temps de mes collègues.

M. Marquis (Jacques): Est-ce que vous permettez que je termine?

La Présidente (Mme Thériault): Oui, rapidement. Allez.

M. Marquis (Jacques): En troisième point, là, alors je vais juste citer les principes, c'est que là... ça, c'est une idée qui... ça va à l'encontre des idées reçues. La procédure, on l'a toujours dit, là, vous allez trouver ça aux paragraphes 42, 43, 44, c'est la servante du droit substantiel, c'est le véhicule... Bien, pour une servante, c'est une maîtresse qui a du galon, parce que c'est elle qui dit... c'est la procédure qui dit aux justiciables quoi faire, comment faire, pour quoi faire.

Alors, la vision du législateur... Et là je ne m'adresse pas à vous personnellement, je m'adresse à l'institution: le législateur a toujours sous-estimé ? enfin c'est mon humble opinion ? la procédure. La procédure a été surexploitée par des plaideurs téméraires qui ont les moyens, et ce hiatus fait en sorte qu'on le déplore aujourd'hui et qu'on le déplorait il y a un siècle passé.

Là, je ne le citerai pas, mais vous regarderez tout ce que M. Roscoe Pound disait. Au début du XXe siècle, tous les effets pervers du système tel qu'on connaît ici... aux États-Unis, mais, pour moi, c'est la même chose ici... parce que toujours la raison, c'est que le législateur ne porte pas une attention... une considération, devrais-je dire, assez importante, et ça a un effet sur les justiciables.

D'ailleurs, quand est-ce qu'on a demandé aux justiciables, dans des «focus groups», sauf peut-être dans des sondages un peu... à la petite semaine, là, mais quand est-ce qu'on a demandé sérieusement aux justiciables: Qu'est-ce que vous pensez de la justice? Mais pas: Qu'est-ce que vous pensez?, puis ça finit là, là. Des vrais... D'ailleurs, tous les... monsieur... comment il s'appelle, là?, M. Ferland ou d'autres déplorent le fait qu'ils n'ont pas eu les moyens de recourir justement à des sociologues ou à des travaux de sociologues pour être capables de palper plus... d'être plus conscients de la réalité, parce qu'ils n'avaient pas les moyens, etc. Mais demandons au justiciable qu'est-ce qu'il en pense et ce qu'il suggérerait, et, je veux dire, on serait surpris, en fait on pourrait au moins comprendre qu'il vit des problèmes, et qu'il faut en être conscient. Vous les représentez, les justiciables, je pense que c'est un de vos devoirs, je sais que vous en avez de multiples, devoirs, là, mais c'en est un qui est important.

Et finalement je termine, Mme la Présidente, je ne sais pas si je l'ai bien préparé, mais on a longtemps dit et on le dit de plus en plus, on est pour une défense pleine et entière. Moi, je suggère, à vous, les législateurs, qu'on soit maintenant pour une justice pleine et entière. Là-dessus, je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): Merci bien, Me Marquis, Me Côté, M. Laucke. Donc, sans plus tarder, je vais juste indiquer les temps parce qu'on est en retard et que ça a pris un petit peu plus de temps que ça aurait dû. Dans les temps de parole qui seront dévoués à chacun des groupes, ça va donner 12 minutes au parti formant le gouvernement, 11 minutes à l'opposition officielle et 10 minutes au deuxième groupe de l'opposition. Donc, on va aller avec le député de Chapleau, ministre de la Réforme des institutions démocratiques. M. le ministre.

n(11 heures)n

M. Pelletier (Chapleau): Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Marquis, M. Côté, M. Laucke, merci de votre présentation. Merci aussi de votre mémoire, dans lequel je pense qu'il y a beaucoup de travail. Notamment aux pages 13 et 14, vous faites une série de propositions, et j'aimerais vous entendre par rapport à deux propositions en particulier. La première, c'est celle qui vise l'élimination des dépens. Évidemment, vous dites que c'est sous réserve de votre proposition 4, là, les frais dissuasifs lorsqu'il y a une contestation indue d'une procédure. Mais il n'en demeure pas moins que c'est assez, à mon avis, important, la proposition que vous faites donc d'éliminer les dépens. Et l'autre, ça concerne tout ce qui entoure dans le fond votre proposition 2, au sujet de laquelle vous dites qu'il n'y aurait pas d'appel, il n'y aurait pas de révision judiciaire. La seule chose qu'il pourrait y avoir, ce serait une rétractation dans les cas admis par la loi. Donc, ça veut dire que l'avocat ou l'avocate qui, pour une raison ou pour une autre, ne serait pas présent le jour de la présentation de la procédure, pourrait faire l'objet d'un jugement ex parte et n'aurait à peu près aucun motif à faire valoir contre ce jugement qui pourrait avoir des conséquences énormes. Alors, j'aimerais vous entendre sur ces deux propositions-là en particulier.

Le Président (M. Lévesque): Merci, M. le ministre. Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): Ah! La présidente s'est changée en président. Bonjour. Je ne sais pas si j'ai bien saisi votre question. D'abord, premièrement, ce document-là que vous avez devant vous, là, les 12 propositions, c'est un document que j'avais préparé en mai 1998. Je vais vous dire pourquoi c'est facile pour moi de le retenir, c'est que je pense bien humblement avoir incité le ministre à faire ce qu'il a fait, au mois de juin, le ministre, M. Ménard ? en partie, je ne suis pas le seul ? à faire la commission qui est devenue le comité Ferland. Ces propositions-là sont mutatis mutandis, sauf quelques exceptions, sont reflétées dans le nouveau code. L'action a été changée par la requête, l'avis de présentation... Ça, c'est inspiré de ce document-là.

Maintenant, je vais répondre à vos deux questions de tantôt plus précisément. Quand je dis, par exemple, aucun appel admissible, sauf sur toute décision relative à la proposition 2, alors, quand c'est des jugements par défaut, ex parte, «and so forth», peut-être que je n'ai pas raison, mais, à un moment donné, j'imagine... J'essaie de me souvenir quel était le fondement de ma proposition à ce moment-là. Moi, en tout cas, je sais, pour l'avoir dit à ceux qui siégeaient sur le comité... Je faisais partie également du comité 2 ? j'ai oublié de dire ça tantôt, là ? comité qui s'occupait de requêtes introductives d'instance, comité Ferland. Alors, je crois avoir dit que les appels devraient tous être sur permission, au civil, j'entends, ça éviterait... au lieu de faire l'inverse, c'est-à-dire, on fait une requête pour rejet d'appel si on estime que l'appel n'est pas fondé à sa face même. Je pense que ce serait mieux... Bien, ce ne serait pas injuste, en tout cas, de dire: Si tu veux aller en appel, vas-y, mais, vu que tu as perdu en première instance, démontre à la cour que tu devrais... Bien, c'est la règle dans certains cas, on le sait, dans les cas de jugements interlocutoires. Alors, pourquoi ce ne le serait pas toujours? Ça éviterait peut-être justement des appels abusifs par des gens qui avant moi dénonçaient, là, ceux qui ont trop les moyens. Ça arrive souvent d'ailleurs, hein? Ceux qui ont les moyens, 30 jours, suspension, etc. Est-ce que j'ai répondu à vos questions, Me Pelletier?

Le Président (M. Lévesque): M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Bien, plus ou moins. Mais ça s'éclaire un peu dans la mesure où vous nous dites que c'est un document qui date de 1998. Enfin, vos propositions des pages 13 et 14, là, c'est ça. Parce que vous parlez aussi de bref d'assignation, au point 1. Et je pense que le bref d'assignation n'existe plus, donc probablement que c'est...

M. Marquis (Jacques): C'est-à-dire que ces propositions-là ont été améliorées par le comité Ferland, si je peux m'exprimer ainsi.

M. Pelletier (Chapleau): C'est ça, d'accord.

Le Président (M. Lévesque): Merci. Et maintenant...

M. Marquis (Jacques): Je veux en profiter pour dire aux gens du comité que vous êtes que je ne sortais pas des nues, là, moi. Tu sais, je m'étais un peu sali les mains là-dedans, là, mais... j'avais trempé, là, toujours de façon bénévole, comme disait M. Mongeau auparavant, là, par amour pour la justice.

Le Président (M. Lévesque): Merci, Me Marquis. Maintenant, le député de Laval-des-Rapides.

M. Paquet: Merci, M. le Président. Alors, Me Marquis, Me Côté, M. Laucke, merci de votre participation à nos travaux. Et effectivement vos propos étaient empreints... et même le début de votre présentation était empreint d'une trame musicale qui a innové, je crois, un peu à l'Assemblée. Mais on parle effectivement d'un élément qui est important, dans nos consultations, lorsqu'on parle de toute la question des poursuites-bâillons et de l'abus qui peut en être fait. Ça revient à trouver un équilibre dans le respect de deux droits qui sont fondamentaux, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas un contre l'autre... Bien sûr, la liberté d'expression, qui est fondamentale dans une société démocratique comme la nôtre et qu'il faut toujours... je pense qu'il ne faut jamais prendre pour acquis, il faut toujours mettre de l'avant et protéger, et en même temps le droit de se défendre, dans une société de droit comme la nôtre, aussi. Et ce n'est pas en contradiction, mais s'assurer justement qu'il n'y ait pas d'abus.

Mon premier ordre de questionnement, puis j'en aurais un deuxième un peu plus précis, concerne un peu... À la page 3 de votre mémoire, vous faites référence au fait que le législateur ne fait que rénover et non pas innover, en tout cas dans le contexte où on parle, là. Et une de vos recommandations serait de revoir peut-être même les fondements du système judiciaire. Et, si on fait... juste pour fins d'abstraction, si on suppose, O.K., juste pour faire une discussion ce matin, qu'on se met un peu dans l'utopie où on efface le Code de procédure civile et que vous auriez à le réécrire, si vous vous mettiez dans les souliers d'un législateur, quels seraient les principes de base du système judiciaire que vous aimeriez voir refléter dans le Code de procédure civile, si vous aviez à résumer votre pensée là-dessus?

Le Président (M. Lévesque): Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): Mon confrère voudrait parler, mais je vais l'appuyer par la suite, si vous permettez. Allez-y, Me Côté.

Le Président (M. Lévesque): Me Côté.

M. Côté (Jean-Yves): Oui. En fait, je pense que Me Marquis pourrait répondre plus directement à cette question-là de refaire, si c'était à refaire. Ça, je vais le laisser se prononcer.

Vous avez toutefois, au tout début de votre intervention, parlé du maçon qui travaille à la truelle, autrement dit, si on... et des SLAPP, si on avait à trouver une solution spécifique et de continuer à travailler à la truelle. Ça, je vais répondre à cette question-là. Alors, vas-y, Jacques.

M. Marquis (Jacques): O.K. Alors là, évidemment, comme je disais déjà à mes enfants, je ne suis pas la boîte à réponses. Tu sais, des fois... même à ma femme des fois je dis ça. Sauf que, de temps en temps, je pense que j'ai une opinion ou deux. Alors, pour répondre à votre question précisément, je le dis dans mon texte, O.K., je dis, par exemple, que, là, maintenant, il faut favoriser le droit à l'expression dans une société démocratique. Alors, comme exemple... libérale, PQ, «whatever», ça, c'est correct. Pas de problème avec ça.

Et d'ailleurs je suggère, sur le plan technique, mécanique, vous faites une action, lui fait sa défense un mois après, mais tout de suite, là, on n'attend pas le juge, on met la lumière rouge au début. Bien, il faudrait peut-être... Je ne sais pas si Me Pelletier a des idées là-dessus, le «case management». Le juge, là, ce n'est pas un demi-dieu, ça pourrait être considéré comme un vice-président de compagnie, mettons. Il devrait... On pourrait, pourquoi pas, lui assigner des dossiers. Toutes les causes qui vont en cour de pratique, là, je comprends que les gens vont dire: Le juge va être bien occupé. Oui. Il va être occupé, là, à sa chambre, dans son bureau, mais, qu'il soit occupé à la cour de pratique, il y a cinq ou 10 fois plus de causes à la cour de pratique qu'il y a de causes... Je le dis dans mon texte, là, ça, c'est les rapports du ministère de la Justice. Alors, tout ce qui se passe en aval, ça se passerait, bien, pas en amont, mais au début. Alors ça, ce serait un des principes que je mettrais.

Le deuxième, la règle de proportionnalité, ça, c'est un des beaux ajouts du comité Ferland. Mais, écoutez, moi, là, je l'ai vu, là. C'est appliqué quand? Comment? À peu près... Les juges des fois... C'est comme un bonbon, alors que le juge s'en sert pour bonifier sa décision, mais la vraie règle de proportionnalité, si M. Mongeau avait été au courant ou bien... Je ne sais pas s'il en a parlé. Les juges devraient intervenir, pas pour dire: Toi, le gros méchant, je vais te donner des coûts. Mais regardez, là, la règle de proportionnalité, c'est le bon sens, c'est l'équilibre entre les forces. Là, c'est le géant contre le nain. On va-tu équilibrer ça un peu ou pas? Si on laisse ça de même, pas de problème. Alors, disons... Mais ne disons pas qu'on vit dans une démocratie. Alors, si on vit dans une démocratie, il faut donner une chance. Mais ça ne veut pas dire qu'il a toujours raison, M. Mongeau, non plus, là. Ce n'est pas ça que je dis, là.

Mais, au début, il y a un juge. Le juge, là, devrait avoir le pouvoir et les devoirs. C'est ça, le problème, là aussi. Les juges, vous savez, une fois qu'ils sont juges, ils ne veulent pas se chicaner avec bien, bien, des avocats, à moins d'être bien malcommodes. Alors, des fois, prendre une décision, ce n'est pas toujours facile. Alors, la deuxième règle que je suggérerais, c'est la règle de proportionnalité.

Le Président (M. Lévesque): Merci, Me Marquis. Il nous reste environ 1 min 30 s. Alors, le député de Laval-des-Rapides.

n(11 h 10)n

M. Paquet: Merci. Juste avant... et je sais que Me Côté veut ajouter quelque chose, mais peut-être... ma question va peut-être soulever des points qu'il voudrait peut-être toucher. Une des suggestions, qui a émergé lors de nos consultations dans les jours précédents ou les semaines précédentes, relève de la possibilité peut-être de prévoir un mécanisme de provision pour frais. Quelqu'un qui entamerait une poursuite qui pourrait être ? et on verra après le jugement si c'est abusif ou non, là, ou après qu'il y ait une décision ? ...il y aurait des provisions pour frais, qui pourraient être une mesure dissuasive pour éviter des choses frivoles. Qu'est-ce que vous pensez, entre autres, de cette formule-là? Et peut-être que ça va toucher vos points sur l'élément truelle.

Le Président (M. Lévesque): Me Côté.

M. Côté (Jean-Yves): Oui. Pour les SLAPP, effectivement vous me devancez. C'était une des deux suggestions que j'allais vous faire. Je ne crois pas qu'on ait besoin d'une loi spécifique. Je crois qu'on peut procéder par deux amendements: un au Code de procédure civile, qui va dans le sens de ce que vous suggérez; et le deuxième, c'est modifier le Code civil pour la notion de dommages directs. Pour la provision pour frais, c'est la piste qui m'apparaît... qu'il faut à mon sens privilégier. La provision pour frais existe présentement en droit de la famille. Elle permet à une partie défavorisée sur le plan économique de soutenir son droit et elle consiste à faire payer en provision à l'avance les honoraires d'avocat. Donc, c'est une mesure rémédiatrice a priori et non pas a posteriori. Parce que le remboursement des honoraires d'avocat à la fin du litige, c'est loin, puis les gens ne sont pas en position de soutenir leurs droits jusqu'à temps qu'ils reçoivent un tel jugement. Donc, provision pour frais, oui, je suis d'accord, au fond, se servir de ce qui existe présentement en droit de la famille et de l'étendre à d'autres secteurs.

Le seul autre secteur où ça existe à ma connaissance, c'est en vertu de la Loi sur les sociétés par actions. Il existe un mécanisme permettant aux actionnaires minoritaires victimes d'oppression de faire payer les frais d'avocat par la partie adverse. Ça a été tenté par un regroupement de soi-disant victimes des caisses populaires, ici, au Québec. Ils ont essayé de se faire financer leur recours, qui n'avait pas trait à la Loi sur les sociétés par actions, qui n'avait pas trait au droit de la famille, et donc ils s'en remettaient au pouvoir inhérent de la cour, qu'un de vos collègues a mentionné tantôt. La cour a des pouvoirs: Est-ce qu'elle ne pourrait pas se servir de ces pouvoirs pour accorder ça? Le fait est que la cour ne le fait pas. Donc, il y aura besoin d'une intervention législative de votre part pour que la cour se sente autorisée à accorder une provision pour frais en dehors des deux contextes spécifiques que je vous ai indiqués.

Maintenant, pour les dommages...

Le Président (M. Lévesque): Je vous inviterais à compléter. Merci beaucoup.

M. Côté (Jean-Yves): Oui, d'accord.

Le Président (M. Lévesque): Merci, Me Côté. Nous allons passer à l'opposition officielle. J'inviterais le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, M. le Président. Alors, Me Marquis, Me Côté et M. Laucke, bonjour. Alors, j'ai bien aimé votre mémoire en fait, et aussi je vois que c'est un mémoire d'avocat, un peu comme un jugement, avec les paragraphes. Je vais continuer un peu dans le sens que Me Côté exposait concernant ce que j'appelle en fait une avance de frais judiciaires. Et, dans ce contexte-là, j'aimerais ça quand même vous entendre. On sait qu'il existe l'article 497 du Code de procédure civile. Lorsqu'on va en appel, il y a une possibilité de cautionnement. Et croyez-vous dans le fond qu'on pourrait apporter des amendements pour faciliter un peu... en fait repositionner 497 de façon à le rendre efficace pour l'ensemble des procédures civiles? Alors, pour vous rappeler 497: «...un juge de la Cour d'appel peut, sur requête, pour une raison spéciale autre que celles prévues aux paragraphes 4.1 et 5 du premier alinéa de l'article 501, ordonner à l'appelant de fournir, dans [un] délai fixé dans cette ordonnance, un cautionnement pour une somme déterminée, destiné à garantir, en totalité ou en partie, le paiement des frais d'appel et du montant de la condamnation, au cas où le jugement serait confirmé.»

Le Président (M. Lévesque): Alors, Me Côté.

M. Côté (Jean-Yves): Oui. Je pense que ça peut être une mesure dissuasive pour le poursuivant, mais la lacune que j'y vois, c'est que ce n'est pas une mesure qui permet à la partie adverse de financer son recours, alors que la provision pour frais, elle, le permettrait. En fait, c'est peut-être une combinaison de ces mesures-là qui permettrait d'atteindre l'objectif visé. Je crois que l'article que vous mentionnez est un pas dans la bonne direction, l'étendre, au fond, aux tribunaux de première instance. C'est un peu ce que vous suggérez. Je pense qu'il y a là... C'est un pas dans la bonne direction, mais je crois que la provision pour frais pourrait aussi compléter et faire... se combiner adéquatement à la mesure que vous suggérez.

Également, pour ce qui est des dommages... des honoraires d'avocat accordés comme dommages, ça a été très en vogue à compter, disons, dans la décennie quatre-vingt-dix, ça s'est accéléré à compter du milieu de la décennie quatre-vingt-dix, il y avait une mode chez les avocats de réclamer les honoraires d'avocat comme dommages en matière d'abus de droit, et il y a eu beaucoup de demandes là-dessus jusqu'à temps que la Cour d'appel sonne la fin de la récréation, en 2002, avec l'arrêt Viel. Elle n'a pas complètement fermé la porte, mais pratiquement, c'est-à-dire qu'on ne peut réclamer les honoraires d'avocat comme dommages que strictement dans les cas d'abus de procédures ou d'abus du droit d'ester en justice. C'est très limité. Je peux vous dire, comme avocat recherchiste, que j'ai observé que les juges de la Cour supérieure ne suivent pas, ne sont pas d'accord avec ça. Alors, il y en a qui continuent d'accorder les honoraires d'avocat comme dommages, et ils se font systématiquement casser en appel parce que la Cour d'appel s'est assise sur sa décision dans Viel. Alors là, il y a un désaccord entre les juges de première instance et les juges de la Cour d'appel. Je trouve personnellement que la Cour d'appel a fermé la porte trop... a trop fermé la porte et je crois qu'il faudrait amender le Code civil pour faire reconnaître les honoraires d'avocat, dans certaines circonstances, à titre de dommages directs, à titre de dommages directs.

On dit que le Code civil présentement permet de réclamer pour tout dommage qui est une suite directe et immédiate. Je crois que c'est l'article 1614, mais ça, ce serait à vérifier, parce que Me L'Écuyer et moi avons étudié sous l'ancien code, celui du Bas-Canada. Alors, nos numéros d'articles dans le nouveau, des fois ça sort moins rapidement, ça trahit notre âge, Me L'Écuyer, mais je vois que vous avez un jeune collègue qui, lui, doit avoir été formé sous le Code civil du Québec. Mais je pense que c'est dans le coin de 1614. Et de bien préciser, d'expliquer au juge qu'en certaines circonstances, oui, les honoraires d'avocat sont une suite directe et immédiate du dommage.

Mais là ce serait bien, mais c'est une mesure a posteriori. On a entendu les gens tantôt, dans l'autre mémoire, ça a pris des mois. Donc, d'être remboursé, ça fait... pour les gens, là, qui sont dans cette situation-là, c'est que, pendant toute la durée du litige, ils doivent supporter le stress financier et aussi psychologique de financer la cause et ils ne sont pas certains d'être remboursés. Donc, c'est pour ça que la provision pour frais, elle, c'est une mesure a priori, alors que le remboursement des honoraires d'avocat comme dommages, c'est une mesure a posteriori. Plus le cautionnement que vous suggérez, je pense que la combinaison de ces mesures-là qui consisteraient, là, sur le plan législatif, uniquement des amendements à ces deux lois-là, Code de procédure civile et Code civil, je pense que ce serait suffisant, parce qu'il faut... Je ne suis pas un partisan d'empiler les lois les unes par-dessus les autres. J'aime mieux fonctionner dans le cadre de celles que nous avons déjà.

Le Président (M. Lévesque): Merci, Me Côté. Le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, M. le Président. J'ai quand même pris connaissance en fait des délais, de l'analyse des délais, vous dites, faite au sujet du 29 mois, là, concernant une procédure de moins de 50 000 $; et plus 50 000 $, 37 mois; et plus de 50 000 $, 100 000 $ et plus, là, plus long, mais on parle seulement de causes en litige, les litiges, des causes qui sont... qui ont une date d'audition inscrite à la cour. Est-ce que vous avez des statistiques concernant l'ensemble des autres causes? Je pense que des intervenants antérieurs sont venus nous préciser qu'il y avait beaucoup de règlements.

Et ma question en arrive à ce point-là, concernant les interrogatoires au préalable, où en fait vous semblez dire que ces interrogatoires-là au préalable sont inutiles, et à 80 %, selon l'enquête, aux États-Unis, que vous avez eue, vous semblez dire que ces enquêtes-là sont... que c'est une perte de temps.

M. Marquis (Jacques): Moi, je...

Le Président (M. Lévesque): Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): Oui, excusez-moi de vous interrompre.

M. L'Écuyer: C'est ça? Parce que voici...

M. Marquis (Jacques): Je m'excuse, M. le juge.

M. L'Écuyer: Je comprends quand même, parce que je me dis... Excusez-moi, M. Marquis, mais c'est parce que je comprends qu'effectivement, lorsqu'on a un bon interrogatoire puis on positionne quand même les parties... Et d'ailleurs le Jeune Barreau ? je ne sais pas si vous avez assisté le Jeune Barreau de Montréal, l'Association du Jeune Barreau de Montréal ? eux favorisaient l'interrogatoire... l'abolition de l'interrogatoire, non pas l'abolition de l'interrogatoire au préalable, mais aussi, concernant le 25 000 $ et moins, avoir la possibilité d'avoir un interrogatoire au préalable, mais, eux autres, ils préconisaient l'abolition de l'interrogatoire avant défense.

Le Président (M. Lévesque): Me Marquis.

n(11 h 20)n

M. Marquis (Jacques): Merci. Disons délicatement que je ne vous dirais pas que je partage l'opinion de ceux que vous avez mentionnés tantôt. De toute façon, je ne suis pas ici pour parler en leur nom. Ce que j'aimerais, pour trancher le débat, là, question d'opinion, oui, pour, contre, bon, moi, je suis prêt à mettre un vieux cinq cennes, là, que, si vous faites une vraie enquête, vous allez découvrir plus ou moins les mêmes... vous allez arriver aux mêmes conclusions que M. Brazil est arrivé, et, dans la vraie vie de tous les jours, quand on va... on arrive à la cour, l'examen au préalable n'a servi souvent à rien. Souvent, il n'est même pas déposé à la cour. Des fois, ça dure beaucoup trop longtemps, malgré que là, ça... Voyez-vous, les règles, là, sont faites, vous êtes obligés de dire aujourd'hui: Ça va prendre une heure, deux heures, trois heures. Ce n'est pas respecté. Et qui va le faire respecter? Il n'y a pas de juge dans l'examen au préalable, dans la petite boîte, le cubicule, là. Alors, même, on entend des juges, là ? je ne les nommerai pas, évidemment, hein ? dire: Écoutez, ça va vous donner quoi, cet examen?, dire à des avocats, là, en chambre de pratique: Ça va vous donner quoi d'interroger un tiers que vous voulez interroger, là?

Maintenant, il y a des avocats qui ont l'habitude de parler en public, ils bafouillent: C'est quoi que tu veux? Bien, il veut aller à la pêche, mais il ne peut pas le dire. C'est ça, le problème. Si le juge avait son maillet, bien il avait le droit de dire: Non. Ou bien convaincs-moi que tu vas aller chercher de l'information pertinente, pertinente au litige en vertu des déclarations de défense qui sont là. Ça pourrait se faire, mais ça, pour ça, ça prend... Vous permettez de dire une petite phrase personnelle? Tout le monde est intelligent, mais c'est le courage qui manque des fois, le courage, il faut avoir le courage de dire: j'affirme quelque chose, puis quitte à se tromper, mais, au moins, celui qui exerce les fonctions de décideur, il faut qu'il décide. Parce que c'est facile dire: Je suis prêt à suivre, je suis prêt à suivre. Le justiciable, lui, qui est là ou qui n'est pas là, à qui on fait rapport, «prêt à suivre», ça veut dire quoi? Ça ne veut rien dire. Puis c'est accordé, c'est refusé. Il va falloir qu'il soit plus décisif.

Le Président (M. Lévesque): Merci, Me Marquis. Je rappelle qu'il nous reste environ une minute. Le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Simplement, rapidement, quand je regarde cette position-là par rapport à 75.1 et 75.2, vous savez qu'effectivement ça prend un interrogatoire au préalable avant de déposer une requête en 75.1, alors ça nous éviterait quand même... il me semble qu'il y aurait quand même une inconsidération au niveau de l'article 75.1.

Le Président (M. Lévesque): Me Marquis, pour environ 30 secondes.

M. Marquis (Jacques): 75.1 ou 75.2, dans quelle proportion vous croyez que c'est appliqué en faveur de celui qui fait une requête? Moi, je risquerais à dire que ce n'est pas un sur 10, c'est un sur 50. Puis tu as besoin d'avoir fait un bon examen au préalable, d'avoir un témoin qui se contredit dans sa déclaration écrite puis dans ses réponses, qui dit exactement le contraire. Moi, j'en ai eu une fois, un succès, avec ça. Mais c'était presque évident, le juge n'avait pas le choix, il a dit: Il ne peut pas gagner sa cause, il dit le blanc et le noir. Mais ça, là, avant de dire blanc puis noir... C'est une fois, ça m'est arrivé une fois, moi.

M. Côté (Jean-Yves): Statistiquement, je vous dirais que c'est très rare...

Le Président (M. Lévesque): Me Côté.

M. Côté (Jean-Yves): Oui. Pardon, M. le Président. Statistiquement, c'est très rare. Il y a beaucoup de jurisprudence sur 75.1, c'est très rarement accordé. C'est ce que j'ai observé comme avocat recherchiste. Et, comme tout jeune avocat plaideur, si vous me permettez, parce que ça ne fait que deux ans, je l'ai essayé, 75.1, et on se fait revirer comme une crêpe. Pourquoi? Parce que le juge ne veut pas priver la partie adverse du droit d'être entendu. 75.2, il y a seulement 20 % des causes présentées sous 75.1, où il y a une somme qui est accordée sous 75.2.

Donc, c'est un leurre, ça ne fonctionne pas, je pense, parce que les juges ne veulent pas priver une partie du droit d'être entendue. Donc, on ne peut pas contrer les SLAPP en continuant dans la logique de 75.1, 75.2, qui est une logique dans laquelle les juges n'embarquent pas vraiment.

Le Président (M. Lévesque): Merci, Me Côté. Et maintenant nous passons à la deuxième opposition officielle, le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Donc, mes collègues ont couvert bien des sujets, je vais être très bref. Peut-être... Sur cette question, je viens de vous entendre, mais vous avez vu quand même la recommandation qui souhaite l'élargissement de l'application de ces articles...

M. Côté (Jean-Yves): Oui, mais c'est que...

M. Bédard: ...en donnant des critères autres que ceux qui sont déjà là.

M. Côté (Jean-Yves): On va, je crois... puis on va toujours se buter à la réserve des juges, parce que, comme vous le savez, un des principes fondamentaux du Code de procédure civile, c'est le droit d'être entendu, c'est un principe de justice naturelle, c'est le audi alteram partem. Alors, c'est le défaut de la logique de 75.1, c'est que l'esprit de 75.1, c'est de tuer une cause avant qu'elle ne soit entendue. C'est ça, l'esprit de 75.1. Je ne sais pas si mon collègue Me L'Écuyer, ancien client, disons, accepte cette interprétation que j'ai, mais c'est ça, la vision de 75.1, c'est de tuer l'affaire dans l'oeuf, et les juges n'ont pas le réflexe de le faire.

Et je remarque aussi, dans l'ensemble des groupes qui viennent témoigner, c'est que les juges ne viennent pas parce qu'ils sont tenus sans doute à leur devoir de réserve. Et je pense que, sur des questions comme celle-là, il faudrait que les juges soient entendus, peut-être par vous ? je sais que, bon, ça peut peut-être poser un certain problème ? peut-être à huis clos, mais il faudrait trouver une façon.

L'ancien juge en chef Pierre A. Michaud, là, suggérait qu'en certaines circonstances les juges doivent sortir de leur devoir de réserve pour justement apporter des solutions qui soient plus concrètes et mieux adaptées. Parce que, là, on a le législateur qui travaille en vase clos pour élaborer des solutions qui seront appliquées par le pouvoir judiciaire, qui n'a pas du tout été consulté et qui, lui, est sur la ligne de front. Et ce serait peut-être souhaitable que les juges soient consultés pour des questions de cette nature-là.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. Bédard: Mon autre question va être vraiment différente. Ce que j'ai compris de vos commentaires, monsieur... j'ai oublié votre nom, monsieur... dans le milieu, monsieur...

La Présidente (Mme Thériault): Marquis. Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): Marquis.

M. Bédard: M. Marquis. Par rapport à la procédure, est-ce que vous êtes en faveur d'une augmentation importante du seuil pour ceux et celles qui auraient accès aux Petites Créances? On reviendrait peut-être à ce que vous parliez tantôt, de sortir un peu de la procédure. Et les Petites Créances, vous savez, c'est très léger en termes de procédures. Est-ce que vous souhaitez que les seuils soient augmentés de façon importante?

La Présidente (Mme Thériault): Me Marquis.

M. Marquis (Jacques): ...aujourd'hui?

Une voix: ...

M. Marquis (Jacques): Mais qu'est-ce qui est prévu? En haut de 7 000 $, c'est quoi?

M. Bédard: C'est ça, mais est-ce que vous souhaitez que ce soit augmenté de façon importante?

M. Marquis (Jacques): Ah! c'est une question hypothétique? Écoutez, premièrement, j'avoue que je n'y connais rien. La raison est bien simple, c'est qu'on n'a pas le droit d'y aller.

M. Bédard: Mais, si vous aviez plus le droit d'y aller?

M. Marquis (Jacques): Et les commentaires qu'on entend à Montréal, parce que ce n'est pas pareil partout, ça prend un an avant d'être entendu pour une cause aux Petites Créances. Pour quelque chose qui, dans l'esprit des gens, devait aller vite, c'est trop long. Puis maintenant, aussi, c'est prohibitif. À ce qu'on nous dit, c'est que non seulement ils paient un certain montant, comme on appelle, nous autres, des timbres judiciaires, mais, autrefois, quand ça a commencé, je pense que les gens ne payaient pas l'exécution. Aujourd'hui, ils paient les frais de huissier puis... Enfin, je ne dis pas que c'est bon ou pas bon, là, mais je dis que, pour le justiciable, le but visé par l'institution des Petites Créances, je me souviens, j'étais là au début, c'était justement de dire: Bien, ça va être plus facile pour ceux qui ont des petits montants. En tout cas, ce n'est peut-être pas des gens qui ont des petits moyens, mais le montant ne vaut pas la peine de dépenser des frais d'avocat, et autres. Ça avait un certain sens.

Mais là, si ça prend autant de temps qu'une cause ordinaire puis ça coûte un certain montant, je ne suis pas sûr que les gens... une portion importante de ces gens-là qui vont aux Petites Créances, je ne suis pas sûr qu'ils y trouvent satisfaction. Mais là je ne le sais pas, je n'ai pas de...

Mais, tantôt... Je voudrais revenir à quelqu'un. Est-ce qu'il y a eu une enquête? Je pense que c'est la question de M. le député à l'autre bout, là.

Une voix: Saint-Hyacinthe.

M. Marquis (Jacques): Saint-Hyacinthe. Il faudrait, si on avait une enquête sociologique qui déterminerait, là, c'est quoi, le taux de satisfaction ou d'insatisfaction, puis les raisons pour quoi qu'ils sont insatisfaits, ce ne serait pas méchant d'en avoir une, enquête. Ça fait 40 ans que le nouveau code a été... depuis 1965 qu'il a été aboli, ça fait plus de 40 quelques années. Alors, on n'a pas d'enquête là-dessus. On a des enquêtes sur bien des choses, on n'en a pas là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Non, c'est terminé. Mes questions sont réglées, oui.

La Présidente (Mme Thériault): Vous avez terminé? C'est beau. Parfait. Merci. Donc, Me Côté, Me Marquis, M. Laucke, merci beaucoup de votre présence en commission ce matin.

Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux parlementaires de vous saluer. Je vais demander à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse de bien vouloir s'avancer. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 29)

 

(Reprise à 11 h 31)

La Présidente (Mme Thériault): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, la commission poursuit ses travaux. Et nous allons entendre la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Donc, nous avons, ce matin, Me Gaétan Cousineau, président. Vous êtes un familier de nos commissions parlementaires. Donc, je vais vous demander de nous présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire, puis par la suite ce sera suivi d'échange avec les différents groupes. Bienvenue à l'Assemblée.

Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

M. Cousineau (Gaétan): Alors, merci. Je suis accompagné de Mme Sylvie Godin, vice-présidente, et par Me Michèle Turenne, qui est conseillère juridique à la Direction de la recherche et de la planification stratégique et qui est l'auteure de notre mémoire. Alors, merci de nous recevoir. Même si on est habitués, c'est toujours impressionnant d'être dans cette enceinte. Merci.

Alors, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a pour mission de veiller au respect des principes contenus dans la Charte des droits et libertés de la personne. C'est donc avec le plus grand intérêt que la commission entend contribuer à la réflexion que soulève la problématique des poursuites-bâillons en participant à la présente commission parlementaire.

Les auteurs du rapport soumis ici pour la consultation expliquent comment les poursuites-bâillons visent essentiellement à forcer ces individus ou ces regroupements à limiter leur activité publique ou encore à censurer leurs déclarations en les impliquant dans des procédures juridiques coûteuses dont ils ne peuvent généralement pas assumer les frais.

Il est un fait que ces poursuites ne sont pas encore légion au Québec, mais nous sommes loin d'échapper à la tendance. En effet, quoique les annales judiciaires ne font pas état de beaucoup de poursuites, il est un fait que plusieurs tentatives de poursuites-bâillons se sont soldées par des règlements hors cour.

Les SLAPP sont souvent décriés en ce sens qu'ils ne sont pas toujours conformes aux valeurs démocratiques et respectueux des droits fondamentaux protégés par les chartes internationales, canadienne et québécoise. C'est ce qui préoccupe particulièrement notre organisme, puisque, dans de telles circonstances, les droits protégés par la charte peuvent être en péril.

Examinons les droits revendiqués par les parties. La pratique des poursuites-bâillons met souvent en conflit les droits des parties, qui ont des intérêts divergents. D'abord, les institutions ou entreprises qui intentent les actions en justice prétendent, pour ce faire, que les actions et revendications des groupes militants peuvent porter atteinte indûment à leur réputation. Relativement à la charte, les poursuivants s'appuient particulièrement sur le droit à la sauvegarde de leur réputation, protégé par l'article 4, droit inscrit au chapitre des droits fondamentaux. À l'article 4, on lit: «Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.»

Or, les actions et revendications des groupes militants peuvent être prises, dans le contexte québécois, en vertu particulièrement du droit à la liberté d'opinion et de celui à la liberté d'expression, inscrits à l'article 3 de la charte, tous deux des droits fondamentaux. «Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.»

Les actions relativement aux agissements de l'État peuvent s'entreprendre aussi en vertu de l'article 21 de la charte, un droit inscrit au chapitre des droits politiques, qui se lit comme suit: «Toute personne a droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale pour le redressement des griefs.»

La menace de recourir aux SLAPP constitue en elle-même une forme d'intimidation judiciaire ? le rapport parle de «chilling effect» ? qui limite l'exercice des droits des militants cité plus haut. On réalise par ailleurs que le droit d'accès à la justice en toute égalité est fortement menacé dans le contexte des SLAPP. Le droit d'accès à la justice en toute égalité est un droit judiciaire garanti qu'on rattache à l'article 23 de la charte et qui se lit: «Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.» Les militants et les organisations communautaires ont rarement accès au financement nécessaire et/ou accès à des procureurs compétents pour défendre leurs causes.»

En égard des droits de la population prise dans son sens large, un des droits les plus en cause dans le contexte des SLAPP est celui du droit à l'information, inscrit à l'article 44 de la charte, et je cite: «Toute personne a droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi.» Or, la constatation la plus immédiate qu'impose la lecture de l'article 44 provient certainement de ce que ce droit à l'information n'y jouit, comme tel, d'aucune autonomie. Ce n'est que dans la mesure prévue par la loi et non autrement que toute personne a droit à l'information.

Dans ses documents soumis à l'Assemblée nationale en mars 2003 et en octobre 2003 dans le contexte de la consultation sur la loi de l'accès à l'information ainsi que dans le bilan publié à l'occasion du 25e anniversaire de la charte, aussi en 2003, la commission soulignait la nécessité d'inclure le droit à l'information parmi les droits fondamentaux de manière à ce qu'ils jouissent des mêmes prérogatives que ceux déjà inscrits à ce chapitre. La commission considère que l'exercice ou la protection de plusieurs droits protégés par la charte ont pour prérequis évident un droit à l'information. Il en est ainsi, par exemple, du «droit à la vie, [...] à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne» ? l'article 1 de la charte ? qu'on peut rattacher à des préoccupations d'ordre médical ou environnemental souvent décriées par les militants anti-SLAPP. Notons aussi à cet égard l'article 46.1 de la charte, relatif au droit à un environnement sain, récemment enchâssé, qui est le plus souvent évoqué dans un tel contexte.

Il y a définitivement un déséquilibre dans l'exercice des droits protégés par la charte. À première vue, on pourrait se référer à l'article 9.1 de la charte, qui dicte que «les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public [ou] du bien-être général des citoyens du Québec», pour tenter d'équilibrer du moins l'exercice des droits fondamentaux des parties en cause dans un litige, dans le contexte des SLAPP. Or, cet équilibre semble peu probable dans l'ordre juridique actuel. En effet, l'accès inégal à la justice, le coût relié aux procédures judiciaires font en sorte que plusieurs groupes n'intenteront même pas une action, d'où l'entrave a priori de l'exercice des droits fondamentaux des militants, qui, dans un tel contexte, sont en situation de faiblesse.

Nous avons bien pris connaissance des prétentions des présentations qui nous ont précédés, et plusieurs organismes communautaires ont dressé le même constat. Les auteurs du rapport font une analyse détaillée des protections procédurales déjà inscrites dans l'ordre juridique québécois, notamment dans le Code de procédure civile, afin de protéger contre les actions dilatoires mal intentionnées ou non fondées, mais cela ne semble pas être suffisant pour le moment. Le déséquilibre entre les parties étant à toutes les étapes du processus, le droit à un procès équitable sans avoir les ressources financières ou juridiques appropriées s'en trouve dénié pour les militants et les citoyens. En effet, les constats les plus criants sont reliés au déséquilibre des ressources financières, qui constitue un déni direct aux droits des militants, notamment au droit d'accès à la justice et à un procès juste et équitable. Comment payer un avocat compétent avec des ressources insuffisantes? Comment alors faire valoir ses droits quand on ne dispose pas de tous les moyens appropriés?

Pour toutes ces raisons, il nous apparaît nécessaire d'intervenir de telle façon que ces pratiques soient découragées et de prendre des mesures efficaces afin de protéger le droit à la liberté d'expression et d'opinion publique, le maintien de l'intégrité et des finalités de l'institution judiciaire, l'accès à la justice, le droit du public à l'information. Afin de faciliter l'accès à la justice pour les groupes militants et les citoyens, il est aussi nécessaire de considérer l'attribution de ressources financières ou professionnelles concrètes destinées aux victimes de SLAPP et susceptibles de faciliter la préparation d'une défense. Alors, nous croyons que le statu quo n'est plus possible.

Et je vais demander à Mme Godin de poursuivre et d'expliquer qu'il est nécessaire de prendre des mesures adéquates pour garantir l'équilibre dans l'exercice des droits protégés par la charte.

n(11 h 40)n

La Présidente (Mme Thériault): Allez-y, Mme Godin.

Mme Godin (Sylvie): Merci. Je me permettrai d'ajouter un regard rapide sur les trois options juridiques se retrouvant au rapport du comité d'étude sur les poursuites-bâillons. Rappelons que les deuxième et troisième options proposent des modifications au Code de procédure civile. À cet égard, les membres du comité indiquent que «l'ordre juridique québécois comprend déjà les fondements d'un droit équivalent au droit à la participation publique: le droit à la liberté d'expression et d'opinion. Dès lors, la difficulté réside plutôt ? et je les cite ? dans l'insuffisance des dispositifs procéduraux susceptibles de mettre fin à la pratique des poursuites-bâillons». Ainsi, il y est proposé une série de mesures visant à modifier les pratiques et à améliorer l'application du Code de procédure civile en vue de protéger les droits les plus vulnérables en cause.

Quant à la troisième option, soit celle d'adopter les mêmes mesures que celles proposées dans la seconde mais qui seraient incluses dans le cadre d'un projet de loi clairement dédié à protéger les tribunaux du détournement de la fonction judiciaire et à favoriser la participation des citoyens au débat public et à l'exercice de leur droit à la liberté d'expression et d'opinion, la commission trouve sa portée quelque peu limitée, en ce sens qu'elle ne couvrira pas éventuellement toutes les situations qui pourraient survenir, notamment dans un contexte extrajudiciaire. Pensons à la médiation, aux ententes hors cour.

La première option, soit celle qui propose l'établissement d'un texte législatif spécifique aux SLAPP, est clairement la voie que nous privilégions. Dans un tel scénario, plusieurs instruments législatifs auraient à être modifiés, dont le Code de procédure civile et éventuellement la charte, pour y inscrire certains droits, tel le droit à la participation à la vie publique, droit protégé par l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada et le Québec ont adhéré. De l'avis de la commission, cette option a une valeur symbolique importante et offre l'avantage d'envoyer un message clair du législateur en vue de préserver l'exercice des droits protégés par la charte dans l'ordre démocratique.

À l'instar des recommandations faites au ministre de la Justice par les membres du comité d'étude sur les poursuites-bâillons, nous sommes d'avis qu'il est nécessaire de veiller à prendre les mesures appropriées et optimales afin de protéger les droits inscrits dans la charte, particulièrement ceux des plus vulnérables que sont la liberté d'opinion, la liberté d'expression, le droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale, le droit d'accès à la justice en toute égalité et à une audition impartiale.

Nous ajouterons que ces mesures favoriseront directement la protection du droit à l'information pour la population dans son ensemble. La concrétisation du droit à l'information, droit trop souvent bafoué dans le contexte des poursuites-bâillons, rappelons-le, ne peut se faire dans l'ordre juridique actuel. C'est pourquoi la commission réitère la recommandation qui avait été faite à l'occasion du bilan de 2003, dans le cadre des 25 ans de la charte, soit celle d'enchâsser le droit à l'information au sein des droits fondamentaux. La commission répond ainsi à son mandat de veiller à promouvoir la charte par tous les moyens appropriés.

Rappelons que plusieurs instruments juridiques internationaux, tel que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, protègent la liberté d'information. Dans la Charte canadienne, ce droit a été interprété par la jurisprudence comme une composante essentielle de la liberté d'expression. Cette garantie constitutionnelle inclut le droit de diffuser l'information de même que le droit de rendre celle-ci accessible au public auquel elle est destinée. Comme la liberté d'expression est déjà reconnue comme un droit fondamental dans la charte québécoise, il serait donc logique de déplacer le droit à l'information au coeur même des droits fondamentaux. Cet enchâssement du droit à l'information parmi les droits fondamentaux confirmerait la valeur prépondérante de ce droit sur toutes les lois du Québec, y compris à l'égard d'une loi anti-SLAPP.

La commission considère que l'exercice ou la protection de plusieurs droits protégés par la charte ont pour prérequis évident un droit à l'information. Il en est ainsi, par exemple, du droit à la vie, à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de la personne, que l'on peut rattacher à des préoccupations d'ordre médical ou environnemental souvent décriées par les militants anti-SLAPP. Notons à cet égard l'article 46.1 de la charte relatif au droit à un environnement sain, récemment enchâssé, qui pourrait être aussi évoqué dans le contexte des SLAPP. Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité.

Conclusion, la commission est d'avis que l'adoption d'une loi spécifique aux SLAPP est une option de choix permettant de baliser et de protéger les droits de toutes les parties en cause, tels le droit à la liberté d'expression et d'information et l'accès équitable à la justice. Dans ce contexte, les SLAPP seraient envisagées comme une pratique politico-juridique spécifique et non abordées comme l'expression particulière d'un problème procédural. L'adoption d'une loi spécifique aurait aussi une valeur symbolique importante et confirmerait la volonté ferme du législateur de bien circonscrire les objectifs visés, tout en permettant de répondre aux besoins des plus vulnérables que sont les simples citoyens. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup. Donc, nous allons, sans plus tarder, passer la parole au ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, Mme la Présidente. M. Cousineau, Mme Turenne, Mme Godin, merci de votre présentation. Merci également de votre mémoire. Si je comprends bien, vous souhaitez que le droit à l'information soit inscrit parmi les droits fondamentaux dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Cependant, nous avons déjà évidemment la liberté d'expression qui s'y retrouve, qui inclut la liberté de presse. Je vois mal en quoi le fait que le droit à l'information soit inscrit donnerait aux justiciables des moyens additionnels pour se défendre dans un contexte de poursuite-bâillon. Pourriez-vous être un petit peu plus clairs à cet égard?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Il y a une décision, Ford ? à la Cour suprême ? contre le Procureur général du Québec, qui dit que, bon, il y a le droit d'expression, donc le droit de celui qui parle. Mais ce qui est important aussi, c'est celui qui écoute. Alors, l'ajout, c'est pour celui qui écoute, qui va pouvoir entendre ce que l'autre a à dire et que souvent les poursuites-bâillons vont essayer de faire taire justement pour ne pas faire connaître certains faits ou pour changer l'opinion publique face à une situation, un événement. Alors, le droit à l'information vient... en l'incluant... en le sortant... Il est situé à l'article 44. Alors, le sortant des articles du chapitre IV, là, qui est les «Droits économiques et sociaux», et l'intégrant dans les articles avant 38, et par... parce que l'article 52, là, qui vient nous expliquer... qui est le rôle différent... va donner un signe clair, un message clair du législateur aux décideurs ? on parlait des juges tantôt, j'écoutais les questions ? qu'ils auront à faire des choix, intervenir, pourrait justement être un message clair qu'il faut intervenir parce que, là, le droit à l'information... pas juste le droit à l'expression, la libre expression, la liberté d'opinion, mais aussi pour celui qui écoute, les gens qui vont pouvoir avoir cette information qui autrement ne serait pas connue parce qu'on va avoir tenté de l'étouffer.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Lorsque vous écrivez, dans le mémoire, à la page 16, «qu'il est nécessaire de veiller à prendre les mesures appropriées et optimales afin de protéger l'exercice des droits inscrits dans la charte pour toutes les parties en cause»... et par la suite vous parlez notamment des droits prévus à l'article 3, à l'article 21, à l'article 23, est-ce que je dois comprendre que la protection n'est pas suffisante en ce moment?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Dans les situations de poursuites-bâillons, on voit comment le déséquilibre des forces vient limiter l'exercice de droits fondamentaux. C'est le combat ? et le rapport parle de David contre Goliath, alors c'est le déséquilibre ? de celui qui essaie de faire valoir des droits fondamentaux, parce que c'est le conflit entre le droit à la réputation de un, le droit à l'autre de s'exprimer. Par contre, quand il arrive le conflit puis on veut vous faire taire... Je regardais des cas particuliers qui ont été cités. Un cas dans ma région, on parlait du dépotoir Cantley, par exemple. On parle, à l'île d'Orléans, du projet... on parle de Rabaska. Donc, tous ces exemples, on voit que la puissance des moyens de un puis l'absence de moyens de l'autre peut enlever ce droit parce qu'il y a un déséquilibre.

Pour répondre à la première question, je pourrais demander à Me Turenne, parce que, quand on parlait, tantôt, de deux documents de 2003, on nous avait demandé, à la commission, de compléter notre réflexion sur le droit à l'information, puis c'est Me Turenne qui a été l'auteure. Elle pourrait sûrement renchérir à ma réponse.

n(11 h 50)n

La Présidente (Mme Thériault): Oui. Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): Dans le cadre de la révision de la loi sur l'accès à l'information, alors donc on avait présenté un mémoire concernant la problématique de la situation, du fait que le droit à l'information soit inscrit parmi les droits économiques ou sociaux. Alors donc, pour le bénéfice des gens qui manipulent moins la charte que nous, alors l'article 44 est placé parmi les droits économiques et sociaux. Mais par contre, si on va à l'article 52 de la charte, l'article 52 dit: «Aucune disposition d'une loi, même postérieure à la charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38.» Alors donc, les articles 1 à 38 sont protégés dans tout contexte législatif, ce qui n'est pas le cas pour les droits économiques et sociaux, entre autres le droit à l'information. Il serait un peu prétentieux, dans l'ordre juridique actuel, de dire que le droit à l'information est inclus dans la liberté d'expression pour le moment, tel que cela se fait au niveau de la jurisprudence canadienne, du fait que le droit à l'information est inscrit à l'article 44 déjà, clairement. Alors donc, ce qu'on avait proposé à l'époque, c'est que donc il ne faudrait pas que ce soit «dans la mesure prévue» par la loi. Il faudrait que ce soit un droit qui a prépondérance sur toutes les lois du Québec, comme tous droits fondamentaux. Alors donc, c'est vraiment le principe fondamental.

Ensuite, on avait fait une analyse de la jurisprudence en matière de droit à l'information. Très rares sont les jugements qui peuvent s'appuyer sur le droit à l'information pour protéger cette partie-là de la liberté d'expression, tel que ça a été développé en vertu de la Charte canadienne.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ça va, M. le ministre? Parfait. M. le député de Laval-des-Rapides.

M. Paquet: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, Me Cousineau, Me Godin, Me Turenne, merci de votre présentation.

Relativement justement à la question du droit à l'information, est-ce qu'il n'y a pas un risque qu'il peut y avoir un conflit potentiel, enfin une difficulté d'application relativement aussi à un élément important qui est le secret professionnel? Il y a différents exemples qui me viennent à l'esprit. Il y en a un, par exemple... On a le projet de loi, qu'on va débattre probablement à cette session-ci, relativement à la question du secret professionnel des comptables, relativement au rôle qu'a le régulateur des marchés financiers, l'Autorité des marchés financiers, de prévoir, lorsqu'il y a de la fumée, d'avoir des signes précurseurs qu'ils puissent agir pour bien réguler et protéger les épargnants. Et il y a eu des fortes discussions.

Comme Commission des finances publiques, on a déposé un rapport, en février dernier, qui demandait aux gens de s'entendre, parce qu'il y a un élément important de protection du bien commun, protection du public, tout en protégeant, on comprend, là, l'élément commercial, l'élément professionnel, mais de secret professionnel, là, secret personnel, qui peut être important aussi. Mais il y a un équilibre, là, aussi. Et il y a eu de fortes discussions, de bons échanges entre l'AMF, ce qu'on entend, et les différents ordres des comptables. Il en sont venus, dans ce cas-ci, à un consensus qui est un article du projet de loi qu'on discutera en commission lorsqu'on parlera de la loi.

Mais il y a d'autres exemples aussi, et cet élément-là, il n'est pas toujours simple. On comprend que les professionnels, eux, veulent protéger... avec raison, hein, à bien des égards, là, et il y a une tension créatrice... Alors, est-ce qu'il n'y a pas un danger... Comment vous conciliez cet aspect-là, au niveau du principe, en tenant compte qu'il y a différents exemples? Et comment vous proposeriez de forcer une partie privée à communiquer de l'information qui lui est personnelle? J'avoue, là, qu'il y a peut-être des... Ce n'est pas clair à mon esprit, comment on peut faire ça puis comment on doit le faire aussi, surtout.

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Au premier volet de la question, la charte a déjà prévu votre question. Alors, si on regarde au chapitre I, dans les «Libertés et droits fondamentaux», si on va à l'article 9, il est prévu à la charte que «chacun a droit au respect du secret professionnel». Alors, c'est déjà inscrit à la charte. Et je peux lire, là, et l'article est quand même assez long: «Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.» Alors, la charte a déjà prévu cette situation du secret professionnel.

Quant à l'autre aspect, l'autre partie...

M. Paquet: ...finalement la limite de cela.

Mme Turenne (Michèle): Je peux compléter. Concernant la limite, alors donc on a notre article 9.1 de la charte qui permet de baliser et d'équilibrer l'exercice des droits, dépendant du contexte. Alors, évidemment, dans un contexte... La Charte canadienne n'a pas cette confusion-là parce que le droit à l'information a été interprété comme étant une composante essentielle de la liberté d'expression. Lorsqu'il arrive... comme, par exemple, ça peut arriver dans un contexte d'application de la charte québécoise, c'est l'article 9.1 qui va permettre d'équilibrer quel droit doit avoir préséance, dépendant du contexte.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. Paquet: À travers les consultations, j'y ai fait allusion avec les gens qui ont témoigné précédemment, le principe de provision pour frais, qui pourrait être récurrent, qui pourrait être instauré, est-ce que vous croyez qu'une idée comme celle-là permettrait de balancer adéquatement les droits des deux parties? Comment vous envisagez cet aspect-là?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): La question des frais, c'est un aspect qu'il faut considérer. Ce n'est pas le seul. D'ailleurs, le rapport parle d'autres aspects dans lesquels il faut aussi protéger ou soutenir les gens qui militent ou le citoyen qui voudrait intervenir dans une situation. Alors, les moyens financiers pour soutenir, oui, quand il y a un déséquilibre, ce serait utile. Alors, on le mentionne dans notre mémoire, qu'il y a un aspect important, là, pour soutenir, soit pour couvrir des frais juridiques soit pour embaucher l'avocat qui peut vous représenter et faire face aux démarches juridiques, qui peut être imputé. Parce qu'on l'a vu dans les exemples. Je relisais les textes de différents groupes qui sont intervenus qui mentionnaient des situations où les gens justement ont été poursuivis, souvent des sommes considérables, plusieurs centaines de milliers, on parle de situations de millions de dollars, du jour au lendemain parce qu'ils osent mentionner que, peut-être, le dépotoir près de chez eux pollue possiblement le ruisseau, et puis c'est là qu'ils consomment, eux, alors il y a un impact sur leur environnement. Ou d'autres y voient une situation de zonage ou route sur laquelle ils veulent intervenir. Et les gens, n'ayant pas les moyens, ne pourront pas... ils vont abandonner, tout simplement, ou on leur fait peur, puis ils vont carrément éviter de continuer. Ou d'autres qui voudraient peut-être parler vont se taire.

M. Paquet: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de LaFontaine, en vous indiquant qu'il vous reste quatre minutes.

M. Tomassi: Oui. Merci beaucoup. Vous savez, c'est essayer de trouver le juste équilibre, hein, entre celui qui écoute et celui qui doit donner l'information, dans votre explication de tantôt. Et, pour un peu revenir à ce que mon collègue de Chicoutimi disait... Je sais qu'actuellement ils sont en grande conversation nationale... il faudrait peut-être qu'ils soient un peu plus en écoute nationale. Parce que, dans mon exemple de tantôt, quand je disais qu'est-ce qui était le bien commun, et l'exemple de la ligne Hertel-des Cantons, j'en faisais mention seulement dans le sens où est-ce que, par l'entremise d'une loi, le gouvernement est venu changer de disposition... Puis ça n'a pas été seulement dans la ligne Hertel-des Cantons. Même dans une disposition sur la loi sur l'agriculture, où est-ce qu'il y a eu un jugement qui avait été rendu, il y avait une loi qui avait été déposée à l'Assemblée nationale qui venait renverser la décision de la cour. On en a fait une pareille, là, au gouvernement, lors des véhicules hors route et sur la route du P'tit-Train-du-Nord, là, où est-ce qu'il y a eu un jugement. Et il y a une loi qui est venue rétroactivement remettre en question, au-delà du débat, la loi sur le bâillon. Et je l'inviterais à écouter, parce que ce serait peut-être correct, là.

Une voix: ...

La Présidente (Mme Thériault): M. le député, je vous demanderais de ne pas interpeller, s'il vous plaît.

Une voix: ...

La Présidente (Mme Thériault): Allez à la question. Il vous reste 1 min 30 s.

M. Bédard: ...directement un appel au règlement. Là, ça fait deux fois. J'ai laissé passer la première. On est en consultation. La règle en consultation, c'est que la Commission des droits et libertés n'a pas à avoir les discussions politiques que souhaite avoir le député ici. Alors...

Une voix: ...

M. Bédard: Oui, c'est une question de règlement. Simplement, ce que je souhaite, c'est que c'est un débat qui nous intéresse, sur la loi anti-SLAPP. Jusqu'à maintenant, tout se passe bien. Alors, j'invite le député à poser des questions qui concernent le sujet qu'on a devant nous. Ça va éviter à tout le monde que je réponde à chaque fois et que finalement on perde l'intérêt principal du débat, celui d'arriver à une loi anti-SLAPP et à des modifications au Code de procédure civile, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): Je vous entends bien, M. le député de Chicoutimi. Le député de LaFontaine arrivait justement... je l'ai entendu mentionner la loi des SLAPP. Donc, M. le député de LaFontaine, allez-y. En vous mentionnant que le temps passe. Il reste 1 min 30 s, question et réponse.

n(12 heures)n

M. Tomassi: Merci, Mme la Présidente. C'est pour ça que je vous disais tantôt qu'il était mieux d'écouter au lieu de converser, dans le but de la recherche de cet équilibre. Et tantôt je posais la question sur le bien commun, à savoir où est-ce qu'est le bien commun. Tantôt, la dame, la jeune dame, Mme Beaupré, disait: Raison ou pas, c'est secondaire. Mais, en termes de loi, je me dis, moi, avant de déposer n'importe quoi devant un juge, devant une cause, il faut quand même avoir une limite à qu'est-ce que c'est qu'on doit dire ou qu'est-ce que c'est qu'on peut dire.

Alors, cette information ou cet équilibre qu'on essaie de rechercher, si on élargit un peu trop cette assiette, est-ce que vous ne pensez pas que ça pourrait revenir mettre en question cet équilibre de la justice, où est-ce qu'il dit: Avant que tu déposes quoi que ce soit devant un juge, il va falloir que tu aies une raison en quelque sorte à ce que tu prétends?

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): La situation actuelle, et c'est pour ça qu'il y a eu un rapport qui a étudié la question, c'est qu'il y a une tendance qui s'est vue beaucoup aux États-Unis, puis maintenant on la voit de plus en plus au Canada et au Québec, où il y a des situations où des citoyens, des militants, des groupes... on parle de militants, c'est souvent juste des gens qui ont décidé de se regrouper dans une... ou qui avaient une cause commune qui les concerne un peu plus, qu'elle soit environnementale ou qu'elle soit autre, et puis là ils ont souvent un peu d'information, ils ont fouillé un peu, ils ont un peu d'information, puis là ils essaient de protéger leurs droits de base, et c'est là que le déséquilibre commence. À ce moment-là, toi, tu peux t'organiser pour faire connaître et faire valoir tes droits. Et, si on n'intervient pas, si le législateur n'intervient pas par une loi spécifique pour encadrer ces enjeux, ces conflits de droit dans une situation dite bâillon, poursuite-bâillon... c'est ça, le déséquilibre, c'est ça qu'il faut régler. Si on règle, ça devrait ramener un équilibre, et c'est ce qu'on propose.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, nous allons aller maintenant du côté de l'opposition officielle avec le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, Me Godin, Me Turenne et Me Cousineau, il me fait plaisir de vous accueillir aujourd'hui. Remarquez que, moi aussi, j'avais des préoccupations concernant le droit à l'information en vertu de 44, et aussi compte tenu de l'article 52, où vous demandez que ce soit presque un droit en fait qui soit inscrit dans les droits fondamentaux. Et j'aimerais... Parce que vous nous avez quand même... L'élément de votre réponse, le dernier élément, là, que j'ai en tête, c'est la possibilité d'informer soit la situation d'un projet.

C'est assez difficile de positionner votre droit à l'information à l'intérieur du SLAPP, parce que, quand on voit qu'il y a une poursuite-bâillon, quand on s'aperçoit qu'il y a une couleur... Parce qu'il faut quand même penser couleur de droit... Moi, si j'ai une couleur de droit, j'ai le droit d'intervenir, si vous avez une couleur de droit, vous avez le droit d'intervenir, et, s'il y a une couleur de droit de SLAPP, de poursuite-bâillon, là il faut qu'une intervention arrive. Alors, le droit à l'information, à quel moment vous voyez ce droit à l'information tel que prévu à l'article 44 de la Charte des droits et libertés?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Bien, je pense qu'il intervient en tout temps. Dès qu'il y a une poursuite pour vous faire taire alors que, vous, vous faites valoir vos droits, vous faites valoir de... vous mettez sur la place publique de l'information pour informer peut-être d'autres citoyens qui pourraient être concernés par la question, la population en général, bien c'est déjà... ça entre en ligne de compte. Alors, c'est tout le début. C'est à tout moment dans la procédure. Ce n'est pas: Dès qu'on va vous faire cesser, ou on va vous faire taire, ou on va vous faire peur pour que ça arrête, ou on va vous poursuivre en dommages à un point tel que vous ne pouvez plus intervenir ou... tous vos moyens vont aller de ce côté-là, déjà l'information ne sera plus véhiculée parce que vous aurez peur d'en faire circuler. Puis d'autres qui vous accompagnent auront aussi cette peur-là. Alors, moi, je pense que c'est en tout temps. Je ne vois pas à quel moment... Si je ne réponds pas bien, oui...

Mme Turenne (Michèle): Je pourrais...

M. L'Écuyer: Simplement pour aller plus loin... Excusez, Me Turenne, oui.

Mme Turenne (Michèle): Je pourrais compléter. C'est qu'on oublie souvent: les droits sont interdépendants. Alors donc, supposons que le citoyen qui dit qu'il est victime de poursuite-bâillon, donc revendique son droit à l'information, de répandre l'information, et le public aussi revendique son droit d'avoir accès à l'information.

D'un autre côté, il ne faut pas oublier: oui, il y a aussi le droit des investisseurs, des entreprises ou même de l'État, qui sera aussi protégé par la charte par rapport aux droits... atteinte à la réputation. Alors donc, c'est un équilibre dans le contexte, ce sont toutes ces situations-là qu'on devrait baliser dans un contexte de loi anti-bâillon; que, oui, il y a la liberté d'expression, oui, il y a la liberté d'information, et en même temps la charte protège aussi le droit de ne pas atteindre à la réputation d'autrui. Alors donc, c'est un équilibre entre tous ces droits-là.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Et ce que j'y vois, moi, c'est qu'à l'intérieur du processus judiciaire le gros... l'essentiel, c'est la définition: où commence une procédure de bâillon et à quel moment exactement un tiers pourrait me dire: Il s'agit d'une procédure de bâillon. Et, lorsqu'on regarde au niveau d'une procédure judiciaire, si j'envoie une lettre et, à ce moment-là, je reçois une mise en demeure, est-ce qu'on peut dire immédiatement qu'il s'agit d'une procédure de bâillon? Si je continue et je mobilise les gens autour de ma maison et je décide de faire une marche avec 25, et ces 25 reçoivent encore... sont dans la rue, ils font une mobilisation, ils reçoivent une mise en demeure, et par la suite il y a une action qui est entreprise, là encore, je me demande: est-ce qu'effectivement on est devant une procédure de bâillon?

Et, lorsqu'il y a une prise... une action, de quelque nature que soit l'action, bien je regarde à l'article 23, puis on dit: «Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle. Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos», etc.

Mais on voit quand même qu'il y a des articles dans la charte, qui défend déjà, qui défend... «Toute personne a droit d'aller devant un tribunal.» Et c'est toujours la définition. Et je pense que j'aimerais être éclairé: Comment effectivement on peut, à un moment donné, définir qu'il y a une poursuite qui est une poursuite-bâillon? Et il faudrait qu'un tiers décide: Il s'agit d'une poursuite-bâillon. Et là, à ce moment-là, le mécanisme, en tant que tel, doit être enclenché à ce moment-là.

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): En fait, c'est là tout le débat, hein, c'est là l'intérêt de la question, et puis c'est une excellente question. C'est pourquoi nous recommandons l'option 1, qui est celle qui va encadrer le regard, la législation, c'est quoi, une poursuite-bâillon. Donc, il va y avoir la définition. Déjà, ça devrait éclairer le décideur face à une situation: quand est-ce que ça commence, qu'est-ce qui est véritablement une procédure-bâillon. Donc, il va falloir, lorsqu'on va légiférer, être prudent dans la rédaction pour assurer d'avoir une bonne définition d'une poursuite-bâillon et ensuite décider des processus... des procédures pour permettre l'examen lorsque les situations se présentent. Mais au moins il y a un éclairage, il y a une loi qui dit: Écoutez, là, il y a ces droits-là, et il peut y avoir des situations où on a... Ça existe, le SLAPP; ça existe, des poursuites-bâillons. Donc, jeter un regard, puis voilà le regard, et les droits fondamentaux sont ceux-là, et c'est en regard de cet équilibre des droits qu'il faut regarder la situation. Et bien sûr il y a quelqu'un qui doit décider. C'est possible que ce soit justement un juge qui va devoir décider. Mais au moins il y a une loi qui le situe.

On écoutait tantôt les... J'étais assis, là, puis on écoutait les gens qui nous précédaient et qui essaient de répondre à une question et qui disaient: Bien oui, les juges n'osent pas intervenir. Bien, ils oseraient peut-être, justement. Il faudrait qu'ils osent plus, parce que la loi leur donnerait un cadre dans lequel ils pourraient intervenir. Il y aurait une loi qui encadre les poursuites-bâillons, il y aurait possiblement... Si vous décidez d'y inclure le droit à l'information, il y aurait ce droit qui serait enchâssé dans la charte comme un droit fondamental. Alors, à ce moment-là, il y a un regard qui doit être fait. Ça, ça peut aider à répondre aux questions que vous posez.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Je pousse un peu plus loin mon raisonnement au niveau de l'information. Si je comprends bien, il y aurait peut-être une possibilité d'une requête, en fait d'une ordonnance a contrario, c'est-à-dire permettre aux gens qui veulent expliquer leur point de vue d'être en mesure d'expliquer devant le tribunal ce point de vue là et sans être bâillonné. Est-ce que ça irait jusque-là, ce que vous appelez le droit à l'information?

n(12 h 10)n

M. Cousineau (Gaétan): Bien, à la page 77 du rapport, quand on parle de la première option, on dit: Une loi anti-SLAPP serait ainsi adoptée par l'Assemblée nationale, établissant un ensemble de règles substantives et procédurales, comprenant la reconnaissance du droit à la participation publique; l'immunité des intervenants publics; l'établissement d'une procédure judiciaire; l'imposition des provisions pour frais; le renversement du fardeau de la preuve; l'imposition de dommages-intérêts ? le «back SLAPP». Donc, il y a toute une série de procédures, là, qui seraient enclenchées par une telle loi, qui viendraient répondre ou donner un éclairage supplémentaire pour déterminer s'il y a une poursuite-bâillon et comment on peut intervenir et comment ça peut se faire.

Nous, on n'est pas... vous avez vu, dans notre mémoire, qu'on n'est pas intervenus au niveau de la procédure, d'autres l'ont fait. Ça, on laisse les législateurs choisir les... Ce qu'on sait, c'est qu'il y a des actes, des articles, 4.1, de procédure qui existent, qui pourraient peut-être... puis on voit, ça sert à l'abus de droit, mais qui n'ont pas tellement été utiles dans les poursuites-bâillons.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député, en vous indiquant qu'il vous reste cinq minutes.

M. L'Écuyer: Oui. Merci, Mme la Présidente. Concernant le droit judiciaire et concernant l'application, surtout les articles 23 et suivants, est-ce que la commission est souvent saisie de plaintes par rapport à ces articles-là ou bien c'est très rarissime qu'il y ait des plaintes déposées en vertu de ces articles-là?

La Présidente (Mme Thériault): Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): La mission de la commission, c'est de veiller par rapport à tous les droits inscrits dans la charte. Cela dit, notre mission d'enquête est circonscrite par rapport à la discrimination. Et donc, dans les cas de discrimination, il y a des situations où la personne fait face à des accusations et qui impliquent donc des droits judiciaires. Alors, notamment, ces temps-ci, on a des dossiers de profilage racial, où donc il y a des droits judiciaires en cause, où il y a eu soit abus de force, abus de pouvoir, détention arbitraire, etc. Alors donc, c'est toujours conjugué avec un acte discriminatoire.

M. L'Écuyer: Merci, maître.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L'Écuyer: Simplement pour terminer avec... Vous avez parlé, au début, avancer les frais judiciaires. Vous avez entendu quand même les discussions antérieures avec l'autre groupe, sous quelque forme que ce soit, ce serait une avance pour frais. Et, toujours dans la détermination qu'il s'agit d'une procédure-bâillon, vous souhaiteriez en fait cette avenue-là, peut-être pas un fonds constitué, mais qu'un tiers décide d'avancer à l'autre partie des avances d'honoraires pour être en mesure de continuer leur poursuite. Est-ce que c'est bien dans ce sens-là que j'ai compris votre intervention?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Notre mémoire mentionne le déséquilibre et mentionne que les moyens financiers pour se défendre, c'est un facteur important. Dans ce sens-là, oui, on recommande d'avoir un regard sur l'aide à soutenir.

Cependant, aussi, l'option 1 devrait normalement amener une procédure qui limiterait ou écourterait les procédures. Donc, il peut y avoir une autre limite aussi, dans ce sens-là, de l'impact et des longueurs de poursuite par une poursuite qui pourrait permettre d'identifier une situation de poursuite-bâillon et d'avoir un règlement pour donner accès au droit à l'information, dont le droit à la libre expression, etc.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. L'Écuyer: Merci, Me Cousineau. Terminé. Merci beaucoup, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Chicoutimi, pour le deuxième groupe d'opposition.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, ça va être aussi très bref. Le mémoire est clair quant aux options que vous privilégiez. Peut-être une chose: Vous revenez sur l'ajout du droit à l'information, dans les premiers articles de la charte, donc d'application au-dessus des lois. Et seulement pour bien comprendre, là, vous donnez l'exemple, bon, du droit à l'information dans le cadre des lois anti-SLAPP, mais ce que je comprends du droit à l'information, c'est celui d'être informé, ce n'est pas celui d'informer, qui, lui, est carrément la liberté d'expression. Est-ce qu'on est d'accord là-dessus, sur cette dimension-là finalement que...

La Présidente (Mme Thériault): Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): Disons avec égard, c'est que la jurisprudence a développé que ça couvrait les deux, les deux aspects, et le droit d'informer et le droit de recevoir l'information, donc la liberté... le droit à l'information. Mais, disons, sans aller trop loin, là, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques intègre la liberté d'expression et le droit à l'information dans la même disposition. Alors donc, lorsqu'il y a eu la Charte canadienne et qu'on a développé... et dans Ford et dans les autres arrêts subséquents, on a bien précisé que ce droit à l'information intégrait les deux composantes.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Bédard: Même dans le cas où il cohabitait avec la liberté d'expression?

Mme Turenne (Michèle): Oui.

M. Bédard: O.K. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): C'est beau?

M. Bédard: C'est tout.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup.

Donc, nous allons suspendre les travaux jusqu'à 14 heures, et j'informe... jusqu'à 15 heures, après la période des affaires courantes. Et j'informe les députés qu'il y a un caucus qui se tient ici, dans la salle, donc de bien vouloir ramasser vos choses. En remerciant les gens de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse de leur présence en commission. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 16)

(Reprise à 15 h 4)

La Présidente (Mme Thériault): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, la Commission des institutions reprend ses travaux. Je demanderais, encore une fois, aux personnes présentes dans la salle de bien vouloir fermer leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode vibration, s'il vous plaît. Je vous rappelle que la commission est réunie afin de tenir une consultation générale et des auditions publiques portant sur le document intitulé Rapport d'évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile et Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ? les poursuites-bâillons, communément appelées les SLAPP.

Nous entendrons, cet après-midi, la Confédération des syndicats nationaux; ce sera suivi de l'Union des consommateurs; et le dernier groupe sera ATTAC-QUÉBEC.

Donc, puisque la Confédération des syndicats nationaux est déjà installée, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale.

M. Roy, vous connaissez nos règles puisque vous venez quand même en commission parlementaire. Donc, vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire, et ce sera suivi d'échanges avec les différents groupes. Et, si vous voulez bien commencer votre présentation, vous pouvez nous présenter aussi les gens qui vous accompagnent.

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

M. Roy (Louis): Merci beaucoup, Mme Thériault... Mme la Présidente. Alors, d'abord, oui, vous présenter... M. Pelletier, ministre, les autres camarades députés. Alors, je vais vous présenter les gens qui sont avec moi. Donc, à ma gauche, Mme Anne Pineau, du service juridique de la CSN; et, à ma droite, François Lamoureux, qui est coordonnateur du service juridique de la CSN.

Alors, 15 minutes, ce n'est pas beaucoup de temps. Alors, je vais tout simplement prendre quelques minutes sur la question du Code de procédure civile pour accorder un peu plus de temps aux poursuites stratégiques ou aux poursuites-bâillons, comme elles sont appelées dans le rapport.

Mais, avant de commencer peut-être les remarques directement sur le rapport qui nous a été soumis, je voudrais dire que, dans un premier temps, nous aimerions souligner la qualité et la rigueur du rapport d'évaluation qui a été préparé par le ministère de la Justice. Ça permet de bien situer les réformes antérieures et ça fait une bonne évaluation aussi de ce qui est proposé.

Par ailleurs, nous, notre préoccupation première va porter sur l'accès à la justice. Nous constatons que notre système de justice repose encore trop sur la confrontation et pas suffisamment sur la recherche de solutions. La confrontation, elle, devant les cours, favorise les mieux nantis, ceux qui ont les moyens d'utiliser les failles de notre Code de procédure civile soit pour déstabiliser leurs adversaires avec une panoplie de moyens procéduraux ou encore pour faire durer indûment les procès.

Le système judiciaire devrait donc être réformé pour éviter que les affrontements entre les grandes entreprises qui monopolisent depuis plusieurs années les cours de justice cessent et que la classe moyenne puisse y trouver son compte, ce qui selon nous n'est pas le cas actuellement. Pourtant, c'est elle, la classe moyenne, qui finance en grande partie le système de justice, et celle-ci a de plus en plus de difficultés à y avoir accès faute de moyens. À cet égard, nous croyons qu'il est temps d'agir, puisque la justice appartient d'abord au peuple. Quand, dans une société fondée sur la primauté du droit, de plus en plus de citoyens se représentent seuls devant une cour de justice faute d'avoir l'argent pour se payer un avocat, il y a là un problème d'équité citoyenne.

D'autres difficultés d'accès demeurent criantes d'injustice, dont celles des personnes travaillant au salaire minimum et des personnes aînées, qui sont toujours exclues du régime d'aide juridique. Et je commencerai donc notre présentation par ce volet, celui sur la question de l'aide juridique, même si nous comprenons bien que vous n'avez pas cru bon de l'inclure dans le rapport et qu'il y a d'autres travaux, mais nous tenions à faire un petit point sur ce volet-là.

Alors, malheureusement, le rapport donc d'évaluation portant sur la réforme du Code de procédure civile est muet sur la question de l'aide juridique. Nous sommes très préoccupés, nous, par le peu d'accès offert aux personnes à faibles revenus dans une société où la primauté du droit est proclamée.

En octobre 2005, le gouvernement adoptait des modifications au règlement sur l'aide juridique, plus particulièrement au niveau des seuils d'admissibilité. Ce geste, selon les paroles du ministre de l'époque, visait à offrir une justice plus accessible et faisait suite aux recommandations du rapport Moreau, de 2004. Le relèvement des niveaux de seuils d'admissibilité s'étale sur cinq années, et, selon les estimations du ministère de la Justice, ça devait permettre à environ 175 000 nouvelles personnes par année d'avoir accès à l'aide juridique. Nous avions été alors plusieurs à souligner que les hausses décrétées par ce règlement étaient trop faibles et n'auraient pas les effets escomptés.

Nous devons malheureusement constater que les deux premières hausses des seuils d'admissibilité n'ont aucunement augmenté le nombre de citoyens qui bénéficient des services de l'aide juridique, et les personnes travaillant au salaire minimum et les personnes aînées sont toujours exclues du régime. Les nouveaux seuils sont beaucoup trop bas, et l'aide juridique ne rejoint pas plus de Québécois qu'avant la réforme. Rien n'a changé.

n(15 h 10)n

En 2008, nous en sommes à l'année trois de ce programme de cinq ans, il est donc urgent d'agir pour donner un sens à cet engagement des plus importants. La CSN demande donc de modifier le règlement sur l'aide juridique afin que, premièrement, les seuils d'admissibilité à l'aide juridique soient haussés pour qu'une personne seule travaillant au salaire minimum à 40 heures par semaine soit admissible à l'aide juridique gratuitement; que les seuils d'admissibilité des autres catégories de requérants, y inclus le volet avec contribution, soient modifiés en conséquence; que l'admissibilité à l'aide juridique se fasse à partir du revenu mensuel des requérants; et que l'indexation annuelle des seuils d'admissibilité soit maintenue.

Bon, revenons, maintenant, au rapport du ministère. Alors, comme je l'ai dit, je vais aller assez vite sur certains points. Donc, concernant la conférence de règlement à l'amiable, nous constatons l'immense succès que connaît la conférence de règlement à l'amiable. Nous comprenons d'ailleurs ? les statistiques mêmes de la Cour supérieure ? qu'en moyenne 80 % des parties demandent la tenue d'une conférence de règlement à l'amiable. Donc, c'est: 80 % concluent un accord, 90 % en matière civile et 75 % en matière familiale. Nous avons nous-mêmes d'ailleurs participé à plusieurs conférences de règlement à l'amiable dans le cadre de litiges civils, autant en demande qu'en défense, et nous pouvons affirmer que ces expériences sont concluantes, car nous avons réglé l'ensemble de nos dossiers à notre satisfaction. Ainsi, nous partageons donc les orientations qui sont contenues au chapitre V.

Alors, nous croyons donc qu'il faut modifier le comportement des parties afin de changer les attitudes de confrontation en attitudes de recherche de solutions et de conciliation. Et nous recommandons donc que la conférence de règlement à l'amiable soit obligatoire pour toutes les parties avant instruction par la Cour supérieure et Cour d'appel de tout litige civil ou commercial.

Concernant, maintenant, l'appel sur permission. Le rapport fait état des dernières modifications de la réforme visant à réduire le nombre de dossiers en appel. Nous croyons que la partie gagnante, devant un tribunal administratif, bénéficie d'un titre privilégié qui devrait lui permettre d'en appeler de plein droit d'une intervention de la Cour supérieure. La Cour suprême a élargi le champ d'intervention, le pouvoir d'un arbitre, d'un juge d'un tribunal administratif. Cela devrait ouvrir la voie, selon nous, à un appel de plein droit lorsque la Cour supérieure vient infirmer la décision de ce tribunal.

Très rapidement, maintenant, sur les autres points de la réforme: le recours collectif. Alors, la CSN pense qu'il est important, à ce stade, qu'un bilan plus exhaustif soit fait de l'utilisation du recours collectif. Sur la question, par exemple, de la détermination des honoraires des avocats de la demande, nous, on pense qu'on devrait interdire la rémunération au pourcentage. Il ne s'agit pas d'une loterie, cette cour-là, et on devrait instaurer un paiement en fonction des heures travaillées.

Sur la question des conventions d'honoraires et les fonds d'aide aux recours collectifs, nous croyons que les conventions d'honoraires signées avec le Fonds d'aide aux recours collectifs devraient être accessibles au public sans restriction. Je pense que c'est une question tout simplement de transparence d'utilisation des fonds publics.

Alors, je vais consacrer la dizaine de minutes qui me reste aux poursuites-bâillons, communément appelées les SLAPP. Je dois vous dire d'abord que nous avons été très surpris des demandes qui ont été formulées ici même, devant cette commission, des demandes d'immunité de certains intervenants. Ça nous a vraiment jetés à terre, pour utiliser une expression populaire. Je pense que juste, juste ces demandes-là devraient nous convaincre de la nécessité d'une loi pour permettre aux citoyens d'intervenir librement dans l'espace public. Or, je reviens à notre présentation.

Alors, nous tenons à souligner quand même la célérité avec laquelle le gouvernement a décidé de s'attaquer au problème des poursuites stratégiques; nous nous en réjouissons. Nous désirons de même saluer le travail des trois commissaires ? Macdonald, Noreau et Jutras ? qui ont produit un rapport éclairant sur les enjeux de la problématique et sur les solutions adoptées à l'étranger. Ceci dit, selon nous, le principal enjeu en matière de poursuite-bâillon concerne la liberté d'expression, l'abus de procédures et l'épuisement des ressources ne constituant que des moyens de faire taire les citoyens. Dans cette optique, les solutions d'ordre procédural ou financier qu'avance le comité, si elles présentent quand même un intérêt, ne s'attaquent pas pour autant au véritable problème de la liberté d'expression.

Cette liberté se trouve au coeur de toute démocratie. C'est sans doute la liberté qui distingue le mieux une société libre d'une société totalitaire. Cette liberté assure la libre circulation des idées et des opinions, même celles déplaisantes ou choquantes ? je pense qu'on est tous, ici, bien placés pour en savoir quelque chose.

Déjà en 1938, la Cour suprême indiquait: «La liberté de discussion est essentielle, dans un État démocratique, pour éclairer l'opinion publique; on ne peut la restreindre sans toucher au droit du peuple d'être informé, en ce qui concerne des matières d'intérêt public, grâce à des sources indépendantes du gouvernement.»

Cette liberté d'expression est particulièrement névralgique lorsqu'elle concerne le discours politique, le débat public. Cette liberté vient malheureusement trop souvent et facilement se heurter au droit à la réputation tel qu'on l'interprète ici, au Québec. Le professeur Pierre Trudel, du Centre de recherche en droit public, souligne avec justesse selon nous la préséance pernicieuse qu'a pris le droit à la réputation sur la liberté de s'exprimer, et je le cite: «Les poursuites-bâillons sont encouragées par la portée étendue qui est donnée au droit à la réputation, en droit québécois. Ce droit a acquis une troublante suprématie sur la liberté d'expression. Il est maintenant étendu au point d'avoir l'allure d'un droit de faire taire les critiques.»

Par ailleurs, les arrêts Néron et Prud'homme écartent, en droit québécois, l'application des défenses d'immunité relative et de commentaire loyal au profit d'une évaluation contextuelle de la faute. On doit donc établir au cas-par-cas si, compte tenu du contexte, il y a eu atteinte à la réputation. Cela crée une incertitude peu propice à la prise de parole citoyenne. Et il y a eu des décisions, on les cite dans notre texte, là, où des mots comme «traître» ont été utilisés, alors que, dans chacun de ces jugements-là, il y a toujours un juge dissident. Donc, on voit qu'il y a une interprétation non seulement au cas-par-cas, mais quasiment au terme par terme à la situation qui est portée devant les juges.

Donc, les questions soumises au débat public autour d'enjeux sociaux sont de plus en plus complexes, aujourd'hui. Elles soulèvent en outre souvent les passions. Soumettre le citoyen qui désire prendre part à ces débats aux standards de stricte vérité et de totale modération dans le propos, c'est risquer de tuer dans l'oeuf la prise de position, la prise de parole, la circulation des idées, bref la démocratie.

Dans l'affaire du port méthanier Rabaska, le juge de la Cour supérieure, tout en rejetant la demande d'injonction visant à interdire tout commentaire sur le projet, recommande aux opposants la plus grande prudence dans la discussion. Et nous citons le jugement: «Entre-temps donc le tribunal invite les opposants au projet Rabaska, lesquels déclarent appuyer fermement l'industrie des croisières dans la région de Québec, à bien nuancer et doser leurs propos vis-à-vis cette clientèle importante qui constitue», etc.

La nuance et le dosage: doit-on condamner le citoyen à de tels standards lors de débats publics? Ne devrait-il pas se voir conférer une forme d'immunité relative semblable à celle reconnue aux élus? Pouvoir s'exprimer franchement et librement, avec audace et sans ménagement, voilà qui devrait être l'apanage de toute personne qui exerce son droit de participation publique. La responsabilité civile dans ce cas devrait être limitée aux cas de faute lourde, intentionnelle, malicieuse.

Bon, concernant, maintenant, l'accès à la justice lors de poursuites-bâillons. Il s'agit d'un problème réel ? qui n'est pas particulier aux poursuites-bâillons par ailleurs. Une des solutions à ce problème consisterait à enfin relever les seuils d'admissibilité à l'aide juridique. La proposition de constituer un fonds d'aide aux victimes de poursuites-bâillons est valable, et nous y souscrivons aussi. Nous ne croyons cependant pas que l'aide devrait se limiter à l'étape de la présentation d'une requête en rejet sous 75.1 et 75.2 du Code de procédure civile. Nous doutons en effet fortement des chances de voir une poursuite-bâillon rejetée à ce stade, du moins dans l'état actuel du droit.

Concernant, maintenant, un sujet qui nous préoccupe plus particulièrement, c'est la liberté d'expression du salarié. L'intervention législative concernant les poursuites-bâillons devrait être l'occasion d'assurer une forme de protection au salarié qui dénonce une situation socialement inacceptable ou dangereuse pour la santé et la sécurité de la population. On pourrait penser aux accumulations de neige sur les toits, par exemple. Le salarié qui dénonce publiquement une situation impliquant son employeur est vulnérable. Sa liberté d'expression se trouve trop souvent limitée, voire anéantie par son devoir de loyauté. C'est du moins en ce sens que tranchent les tribunaux qui, ce faisant, donnent préséance à une obligation contractuelle sur une liberté constitutionnelle.

Bon, sur la question du rejet sommaire, maintenant. Le comité propose d'ajouter aux motifs de rejet actuels les cas de procédures vexatoires ou excessives. Cette solution nous apparaît nettement insuffisante. Elle ne change rien au fait qu'il demeure extrêmement difficile d'obtenir un rejet préliminaire d'action, et nous sommes convaincus que les tribunaux continueront à se montrer très peu réceptifs à mettre un terme à une poursuite sans qu'il n'y ait eu procès au fond. Et c'est malheureusement le cas actuellement, et ? vexatoires et excessives ? d'après nous, ça n'y changera rien.

n(15 h 20)n

Bon, en conclusion, la solution au problème des poursuites-bâillons passe par une intervention législative énergique qui protège fermement la prise de parole des citoyens. On ne saurait empêcher une entreprise de poursuivre des citoyens devant les tribunaux. On peut toutefois faciliter le rejet sommaire des poursuites-bâillons par des mécanismes procéduraux inscrits au Code de procédure civile. On peut prévoir le versement de dommages et intérêts punitifs contre les auteurs de telles poursuites; d'ailleurs, ces dommages et intérêts pourraient alimenter le fonds. On peut aussi supporter financièrement les victimes par un fonds.

Mais toutes ces mesures seront insuffisantes à endiguer le phénomène si on ne s'attaque pas au fond du problème, soit la préséance accordée à la réputation sur la question de la liberté d'expression. Les citoyens désireux de s'impliquer dans les débats d'intérêt public doivent pouvoir le faire en toute tranquillité d'esprit et sans toujours devoir s'autocensurer de crainte d'une poursuite en diffamation. Bref, il faut reconnaître le droit de participation publique, l'encourager et le protéger. Et je termine en disant que nous optons donc pour l'adoption d'une loi antipoursuites-bâillons qui assure la reconnaissance du droit à la participation publique; l'immunité des intervenants publics; l'établissement d'une procédure d'urgence permettant un rejet sommaire; l'imposition de provision pour frais; le renversement du fardeau de preuve pour des intervenants publics visés par une poursuite-bâillon; l'imposition de dommages et intérêts punitifs; la mise sur pied d'un fonds d'aide; et une immunité et un droit de recours pour le salarié dénonciateur, communément appelé «whistleblower». Alors, voilà, Mme la Présidente, l'essentiel de notre mémoire.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup, M. Roy. Donc, sans plus tarder, nous allons débuter les échanges avec le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques. M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, M. Roy, pour votre témoignage. M. Lamoureux, Mme Pineau, bienvenue à l'Assemblée nationale. J'ai remarqué que vous vous prononcez sur l'expertise, la question de l'expertise, dans votre mémoire, qui est d'ailleurs très bien fait, soit dit en passant. Je vous félicite, c'est un mémoire très éclairant. Et donc vous vous prononcez sur la question de l'expertise.

On sait qu'une solution ? pas nécessairement la seule, mais ? pourrait être de constituer en quelque sorte un expert unique, d'avoir recours à un expert unique. Mais ça peut aussi poser tout un problème, parce que le juge, à ce moment-là, est presque obligé de prendre telle quelle l'opinion de l'expert. Évidemment, je comprends qu'il peut y avoir un contre-interrogatoire et que le contre-interrogatoire peut venir nuancer l'opinion de l'expert, mais le juge, à ce moment-là, a une marge de manoeuvre très, très réduite. Alors, j'aimerais vous entendre sur ces questions-là qui nous préoccupent.

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Alors, M. le ministre, si on prend les variables ou les pour et les contre pour une expertise unique, je vous dirais, puis on l'a dit dans notre mémoire aussi, également: Il est clair que les débats d'expertise, les débats de choix d'experts font en sorte... et on sait fort bien, dans le cadre d'un procès civil, que la partie qui a véritablement plus les moyens financiers et pécuniers d'embaucher divers experts a beaucoup plus de chances de faire valoir son point de vue que la partie qui a beaucoup moins les moyens. Et en ce sens-là, M. le Président... Mme la Présidente, j'ai trouvé tout à fait approprié, dans le rapport, où on disait: Les experts qui sont embauchés par les parties ont souvent tendance à oublier qu'ils sont là pour conseiller la cour et qu'ils ne sont pas là pour donner le point de vue de leur client, et en ce sens-là, quand les parties en viendraient à un accord sur un choix d'un expert unique, on ferait confiance à cet expert-là pour qu'il éclaire la cour, au lieu de voir des experts qui, même, fonctionnent à pourcentage, tout dépendant s'ils peuvent faire passer leurs points de vue sur tel, tel, tel dommage, dans une expertise... En ce sens-là, c'est une excellente idée pour accélérer et favoriser aussi, en même temps, un principe, c'est un principe, quant à nous, d'accès à la justice, de rapidité, d'efficience puis de confiance dans le processus.

Mme Pineau (Anne): Si vous permettez, madame...

La Présidente (Mme Thériault): Oui, Mme Pineau.

Mme Pineau (Anne): J'ajouterais qu'en droit du travail c'est une pratique qui existe déjà, quand on pense, par exemple, à ce qui s'appelle l'arbitrage médical. Or, souvent, quand deux parties sont confrontées à des problèmes de santé, on va à l'occasion avoir des clauses d'arbitrage médical où on va désigner un arbitre qui va trancher la question de savoir si la personne est apte ou pas à revenir au travail. Or, il n'y a pas plusieurs expertises qui sont... Évidemment, ça peut être précédé d'expertises contradictoires, mais c'est déjà une pratique qui est reconnue, de désigner un arbitre qui est choisi par les deux parties pour rendre la décision sur l'aspect touché par l'expertise.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Oui. Sur la question de la poursuite-bâillon, évidemment on connaît le scénario où il y aurait des poursuites abusives qui seraient, disons, intentées par un employeur contre un syndicat. Vous avez abordé dans votre mémoire, à la page 34, le scénario où un syndicat chercherait à... en appellerait au boycott des produits d'un employeur et, par le fait même, donc pourrait faire l'objet de poursuites de la part de ce même employeur.

Puis il y a une autre question par rapport à laquelle je veux vous entendre, puis ce n'est pas de la provocation, mais, le 20 février dernier, le Centre de recherche-action sur les relations raciales est venu témoigner, dans le contexte justement de la réforme du Code de procédure civile, en disant qu'ils étaient préoccupés par les poursuites abusives des syndicats contre leurs membres, contre les membres des syndicats.

Alors, j'aimerais ça vous entendre sur, dans le fond, ces trois volets-là, là: le syndicat attaqué par l'employeur; l'employeur attaqué par le syndicat dans un contexte d'appel au boycott ou autre; et les membres qui se sentent attaqués par le syndicat.

La Présidente (Mme Thériault): M. Roy.

M. Roy (Louis): Oui. Je suis très heureux que vous posiez cette question, parce que, suite à l'intervention de ces gens-là, nous avons cherché s'il y avait des situations où ça c'était produit, parce que ça nous a quand même surpris, parce que... Par exemple, nous, à la CSN, s'il y a une organisation syndicale qui lutte contre le racisme sous toutes ses formes depuis des années, c'est bien nous. Alors, on avait été un peu étonnés d'être ciblés, même en sous-entendu, sur ces questions-là. Or, à notre connaissance, il n'y a pas ce type de situation là. Mais, ceci dit, on peut quand même travailler sur la situation dite théorique.

Mais, moi, avant de rentrer dans les détails, je vais vous dire une chose. Sur la question de la poursuite-bâillon, pour nous, les organisations syndicales, nous ne faisons absolument pas ça pour nous, là. Nous avons les moyens, vous en avez la preuve, là: si je dis des bêtises aujourd'hui, je suis accompagné de deux éminents juristes. Nous avons les moyens de nous défendre. La question des poursuites-bâillons, pour nous, se situe beaucoup plus en fonction du citoyen qui exerce son rôle de citoyen, c'est-à-dire qu'il prend part au débat public.

Je ne voudrais surtout pas laisser l'impression aux gens qui lisent notre rapport que la question des poursuites-bâillons, c'est pour se donner un nouvel outil syndical pour se défendre dans la vie. Ce n'est pas ça, absolument pas. La question des poursuites-bâillons, quant à nous, ce sont des compagnies qui font en sorte d'éviter le débat public en bâillonnant des gens par des poursuites. Quand la CSN est poursuivie par des compagnies dans des cas de boycott, par exemple, on fait valoir notre point de vue devant les juges, on est équipés pour faire ça, et ça ne nous empêche pas d'intervenir publiquement. C'est une question de choix, c'est une question d'évaluation de risques, c'est une question d'évaluation politique. Et une organisation comme la nôtre est capable de faire ces choix-là, ce que n'est pas capable de faire le citoyen devant une grosse corporation.

Quand vous recevez chez vous une poursuite de 1 million ou de 1,2 million, vous avez beau penser que vous êtes dans votre droit, vous avez un petit frémissement, n'est-ce pas? Et vous voyez toutes vos économies s'envoler éventuellement, et vous vous voyez devant les cours, avec des avocats, et généralement ça vous bâillonne, tout simplement parce que ça vous coupe le souffle. Mais la question que vous posez, qui est très pertinente selon nous, là, la question des poursuites-bâillons, ce n'est absolument pas pour défendre des corporations, qu'elles soient syndicales ou autres.

Vous savez, nous, nous avons notre point de vue comme corporation. Si je le prenais juste d'un point de vue corporatif, je pourrais vous dire: Ah! bien oui, vous avez raison, peut-être qu'une loi, ce n'est pas nécessaire. Mais, si je le prends d'un point de vue... comme citoyen corporatif qui est à la défense des citoyens, bien, nous, la proposition qu'on fait d'une loi contre les poursuites-bâillons, c'est pour les citoyens, ce n'est pas du tout pour les organisations syndicales. François, sur des détails peut-être, mais...

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux, vous voulez ajouter?

n(15 h 30)n

M. Lamoureux (François): Oui. Peut-être juste ajouter en complément la réponse par rapport à l'assertion concernant le groupe que vous avez parlé aussi, devant une autre séance, par rapport aux syndicats. Je veux juste vous indiquer, M. le ministre, que, dans tous ces cas-là, dans toutes ces situations-là où les enquêtes sont faites, qu'il y a un organisme qui a pleine juridiction pour entendre l'ensemble des plaintes qui sont logées contre les syndicats et que c'est la Commission des relations de travail qui a à faire ses devoirs.

Je veux juste compléter sur la question des syndicats, aussi, poursuivis par les patrons. Dans le cas de SLAPP, je veux juste vous indiquer, M. le ministre, que, dans le cas des propositions qui sont suggérées sous 75.1, ça aurait un effet qui serait assez nul vis-à-vis les syndicats, dans la mesure où maintenant c'est les griefs patronaux qui sont la règle maintenant concernant la poursuite contre les syndicats. Donc, cette protection-là qui est suggérée dans les commentaires du rapport, à 75.1, ne serait pas d'aucune utilité pour nous.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le ministre... M. le député de Chomedey, excusez-moi.

M. Ouellette: Merci, Mme la Présidente. Bonjour à vous trois, bonjour à la commission parlementaire. À la page 11 de votre mémoire, vous en arrivez à la recommandation suivante: que la conférence de règlement à l'amiable soit obligatoire pour toutes les parties.

Pensez-vous vraiment que ça va... ou que ça pourrait permettre de régler plus de dossiers? Puis, à l'inverse, pensez-vous que ça pourrait... ça n'aurait pas l'effet pervers inverse, de braquer les parties une contre l'autre? Je voudrais vous entendre là-dessus.

M. Roy (Louis): François.

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Alors, je vous dirais là-dessus que les conférences de règlement à l'amiable devant la Cour supérieure, devant la Cour d'appel, c'est la voie de l'avenir pour l'accès à la justice, pour les justiciables. Dans la mesure où les parties, au stade du débat qui s'annonce, dans un procès qui est long et qui est coûteux, on s'aperçoit que 90 % ou à peu près des dossiers se règlent, des dossiers assez costauds. Donc, ça permet d'une part de déjudiciariser, ça permet de sortir du chantier de la confrontation. Et, nous, on est convaincus...

Faisons le pari... des procès civils qui ont lieu, des coûts de l'appareil de la justice, faisons le pari que l'ensemble de ces dossiers-là sont devant la Cour supérieure, même devant la Cour d'appel. L'inscription en appel, on se retrouve devant la Cour d'appel avant qu'il y ait la production des notes sténographiques et des mémoires. Qu'il y ait 90 % des dossiers qui se règlent, on est convaincus que le personnel des juges de la Cour supérieure qui serait consacré à faire de la médiation, et autant à la Cour d'appel que, un dans l'autre, au niveau d'abord de l'administration de la justice, on sauverait des coûts importants, il y aurait un accès plus important pour le justiciable, et ça ferait en sorte vraiment de permettre cet accès-là à la justice. Nous, on croit que c'est le chemin de l'avenir, et il faut qu'on puisse cesser de faire en sorte que des entreprises puissent monopoliser, pendant des semaines et des semaines, les cours de justice et les appareils de justice.

La Cour d'appel, dans un jugement qu'elle vient de rendre, au mois de décembre, dans Castor Holdings, un dossier qui a été institué en 1994, le jugement va être rendu environ d'ici peut-être deux à trois ans, sur une poursuite civile contre des comptables agréés de la compagnie Coopers Lybrand, là, qui sont poursuivis. Alors, le dossier a fait je ne sais pas combien d'allers-retours jusqu'à la Cour suprême, et la Cour d'appel dit que c'est un dérapage important. Alors, ce genre de dossier là, on pense qu'on devrait être en mesure de mieux les neutraliser au début et faire en sorte que ceux qui veulent leur «day in court» bien passent et justifient leur action un peu plus devant les juges.

La Présidente (Mme Thériault): Une dernière question, M. le député de Chomedey?

M. Ouellette: Vous ne voyez pas aucune problématique à l'obligation de créer une obligation que ça passe tout par là, là? Vous ne voyez pas d'effet pervers et aucune problématique relativement à ça, là?

M. Lamoureux (François): On ne voit pas aucune problématique, dans la mesure que ça va favoriser l'accès à la justice pour le citoyen et pour la classe moyenne. Et ceux qui vont y faire une obligation, M. le député, ce n'est pas compliqué, c'est la grande entreprise. Ceux qui veulent, par leurs moyens, et ceux qui ont les moyens d'écraser probablement l'adversaire avec tous les moyens de bord, avec le temps qu'il faut, eux vont s'opposer à une mesure obligatoire, pas ceux vraiment qui veulent régler leur litige de façon rapide à la cour.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ceci met fin à l'échange avec le groupe formant le gouvernement. Nous allons aller maintenant avec l'opposition officielle, avec le député de Saint-Hyacinthe, qui est le porte-parole en matière de justice. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, je vous remercie beaucoup, M. Roy, Mme Pineau de même que Me Lamoureux, d'être ici aujourd'hui. J'ai quand même, au sujet... je vais discuter de votre préambule, en fait votre introduction, concernant l'aide juridique. Au niveau de l'aide juridique, vous me corrigerez, en fait, au moment de l'adoption de l'aide juridique, c'était la parité un peu avec le salaire minimum. Et présentement est-ce que vous avez fait des calculs, à combien correspond environ l'admissibilité, au niveau des taux d'accessibilité? Ça correspond à un salaire de combien pour être admissible à l'aide juridique, un salaire horaire de combien?

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux ou M. Roy? M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Disons, un salaire horaire, on n'a pas fait le calcul, le calcul près, mais à tout le moins on pourrait faire un calcul rapide, avec quelqu'un qui a un revenu, pour une personne seule, par année, par exemple, à 11 250 $, avec un tarif horaire, c'est facile à calculer, ou encore un conjoint, avec deux enfants ou plus, qui est environ 20 000 $ par année, là, pour faire le calcul pour le taux horaire.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. L'Écuyer: Et, selon vous, l'accessibilité à la justice pourrait quand même être plus... en fait la justice pourrait être plus accessible si les seuils, présentement, qui ont été adoptés soient majorés à parité avec le salaire minimum?

M. Lamoureux (François): Les gens qui sont à salaire minimum présentement n'ont pas accès, pour la plupart, à cette aide juridique là, y compris les personnes à faibles revenus, les personnes âgées qui ont des faibles revenus.

M. Roy (Louis): Prenons, si vous permettez...

La Présidente (Mme Thériault): M. Roy.

M. Roy (Louis): Merci, Mme la Présidente. Si vous prenez 10 $ de l'heure, à 40 heures-semaine, 400 $ par semaine, ça fait 20 000 $ par année, disons, là, pour faire juste des chiffres ronds, alors que présentement c'est 11 000 quelques cents dollars par année pour une personne seule. Donc, on est très, très loin du salaire minimum pour une personne à temps plein, là.

M. L'Écuyer: On parle à peu près de 5,40 $ de l'heure, selon...

M. Roy (Louis): Ça peut ressembler à ça, à l'oeil, là, oui.

M. L'Écuyer: Concernant les aînés, vous avez aussi... en fait vous avez simplement mentionné que l'accessibilité au niveau de la justice, concernant les aînés, à cause encore de ce faible taux d'accessibilité, du taux d'accessibilité, ce taux horaire ou en fait ce montant devrait être majoré.

La Présidente (Mme Thériault): M. Roy.

M. Roy (Louis): Oui. Nous, on pense que, si on se basait sur la question du seuil de pauvreté puis du salaire minimum, on pourrait trouver un chiffre qui serait beaucoup plus élevé que celui actuel. Et, pour une personne seule, 20 000 $ par année, maintenant, ce n'est pas le grand luxe. Mais les personnes âgées qui sont à la retraite très souvent sont en deçà de ce seuil-là. Alors, oui, il faut trouver un espace d'équilibre. Il faut aussi avoir les ressources pour ce faire. À l'aide juridique, évidemment, on décide d'assumer collectivement le soutien de ces personnes-là devant les tribunaux. Alors, il faut trouver un équilibre. Mais de toute évidence, nous, ce qu'on dit, c'est qu'actuellement c'est loin de l'équilibre, et on est en train tout simplement de faire en sorte qu'une très grande majorité des personnes qui n'ont pas les moyens, qui n'ont pas d'argent, sont inadmissibles à une justice.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Vous nous parlez, dans votre... beaucoup en fait de la gestion de l'instance et de la proportionnalité en fait, au niveau du procès, puis vous nous dites: «Ces articles sont d'une extrême importance. C'est une invitation du législateur à intégrer le critère de proportionnalité à l'intérieur de nos débats de justice et à mesurer les interventions que les parties doivent faire.» Pouvez-vous en fait nous dire dans le... quel cadre juridique, en fait une modification ou... Par contre, l'article 4.2 est présentement actualisé, mais on utilise l'article 4.2 de même que l'article 46 du Code de procédure civile. Alors, j'essaie en fait d'interpréter ou de positionner vos exigences dans le Code de procédure civile et j'essaie de voir, alors qu'on a 46, on a 4.2, d'être en mesure d'intégrer cet article-là. J'ai de la difficulté à comprendre en fait votre intervention sur cette question-là.

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux.

n(15 h 40)n

M. Lamoureux (François): Si vous me permettez, c'est assez simple, pour indiquer que dans le fond la règle de proportionnalité, ça ne vise pas seulement les parties, aussi, mais l'utilisation qu'elles font des services judiciaires. Et évidemment 4.2, par rapport à l'instance que le juge a à gérer... il doit s'assurer que les actes de procédure qui sont utilisés soient au moins proportionnels par rapport à la demande. Alors, autrement dit, c'est la bonne vieille expression de prendre une masse pour assommer une mouche, avec des moyens démesurés, avec des, je disais tantôt, des expertises, trois, quatre experts, ou encore avec la multiplication d'actes de procédure qui sont utilisés, pour faire en sorte que ça a pour résultat d'être disproportionné comme geste posé par le requérant et que les critères doivent être resserrés davantage pour que le juge au procès puisse vraiment resserrer les écoutilles de façon plus serrée, par exemple sur le nombre d'expertises à produire, sur les procédures à produire, etc., pour faire en sorte que ce soit plus proportionné par rapport à la demande. Voilà.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. C'est certain que, dans le monde des relations de travail, vous avez, ce que je peux dire, assez peu de procédures écrites. Vous me corrigerez si je me trompe. On dépose un grief. Même s'il s'agit d'un congédiement, on peut déposer un grief, et sur simplement un simple libellé, en disant effectivement: Demande de réintégration du salarié avec ses pleine compensation de même qu'avec tout ce qu'il a pu avoir perdu durant le moment où il a été dans cet état-là de congédiement. Et par la suite il y a tous les processus en fait à l'intérieur de la convention collective, qui sont: première étape, deuxième étape et troisième étape. Croyez-vous qu'il y aurait une possibilité, à l'intérieur d'une réforme du Code de procédure civile, d'intégrer en fait ce processus, qui est moins écrit et plus interventionniste, de part et d'autre des parties, dans un processus de d'amendement au Code de procédure civile, pour accéder plus facilement à la justice?

La Présidente (Mme Thériault): Mme Pineau.

Mme Pineau (Anne): Bien, je vous dirais que paradoxalement on en est venu, en arbitrage de grief, il me semble, à avoir un processus qui ne favorise pas l'administration rapide de la justice. Pourquoi? Parce que justement le grief devient rapidement une boîte à surprise. On fait le grief, il n'y a pas de réponse vraiment écrite, il y a une réponse très sommaire de l'employeur, mais on se présente finalement à l'audition du grief et on ne sait pas trop ce qui va se passer. On ne sait pas c'est qui, les témoins qui vont être là, on ne sait pas c'est quoi, la preuve qui va être déposée, alors tout ce que finalement le Code de procédure civile permet d'avoir, qui cadre finalement qu'est-ce que ça va être, ce procès-là, hein? Et on joue cartes sur table, on a des interrogatoires préalables. Alors ça, à la limite, c'est ce qui nous manque de plus en plus en arbitrage de grief, parce qu'on se présente là au fond sans trop savoir, même au niveau des objections préliminaires, ce qui va se produire. On a souvent les objections préliminaires soit carrément le jour de l'audition ou à quelques jours d'avis.

Donc, curieusement, si on peut penser que c'est une procédure qui est légère parce qu'il n'y a pas d'écrit, il n'y a rien, bien paradoxalement ça ne facilite pas nécessairement l'administration des preuves à faire. Et souvent ça va se résulter comment? On va demander une remise parce qu'on est pris par surprise par le dépôt, par exemple, d'une preuve vidéo. Alors, on ne l'a pas vue, alors on va demander une remise, et souvent les remises vont retarder de beaucoup. Alors, il n'y a pas d'éden du côté de l'arbitrage de grief, je vous le garantis, et je ne suis pas sûre que c'est le modèle qu'on devrait adopter du côté de la procédure civile.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. J'ai M. Lamoureux qui veut rajouter.

M. Lamoureux (François): Je voulais juste compléter pour vous indiquer que même on pense que, quand quelqu'un se présente devant la Cour supérieure, il est beaucoup mieux servi ou mieux en mesure de savoir ce qui l'attend par rapport au procès. Il connaît sa preuve, il connaît le nom des témoins, il connaît ce que les gens vont venir dire. Et, en ce sens-là, on pense que, plutôt, l'exemple que vous avez donné sur l'arbitrage de grief, qui pour nous est un modèle qui est de plus en plus passéiste... et on regarde plutôt du côté d'une commission nationale d'arbitrage, qui permettrait de réformer beaucoup plus ce système-là qui est beaucoup plus, je dirais, passéiste.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député, en vous indiquant qu'il vous reste 3 min 30 s.

M. L'Écuyer: Oui. Merci, Mme la Présidente. Bien, vous me voyez quand même rassuré concernant le Code de procédure civile. Il y a quand même des avenues qui sont quand même assez intéressantes, et j'ai bien aimé votre réponse.

Par contre, quand vous discutez de la conférence de règlement à l'amiable à la Cour supérieure, vous en faites comme une obligation, en fait vous proposez une obligation. Et le Barreau, qui est venu ici la semaine passée, nous disait qu'ils suggéraient, eux autres, l'introduction d'une médiation favorisée à la préinstance, après la comparution et en postinscription, c'est-à-dire immédiatement après le dépôt de la comparution, une possibilité de procéder à une médiation. Le Jeune Barreau, pour sa part, suggère d'introduire une médiation favorisée à la postinscription, c'est-à-dire après que la défense a été déposée. Alors, en fait, remarquez que le Barreau du Québec disait les deux, c'est-à-dire privilégiait les deux options, c'est-à-dire après la comparution, avant la défense, et ensuite à la... pour ce qu'on appelle la postinscription, immédiatement après l'inscription, c'est-à-dire que la défense... la demande, la défense sont présentes, connues de tout le monde, des deux parties. Alors, le Jeune Barreau suggérait plus cette position-là, alors que le Barreau en fait voyait deux plages possibles à l'intérieur de la procédure pour intervenir la médiation. Alors, je voudrais avoir votre avis sur cette question-là.

La Présidente (Mme Thériault): Et il vous reste deux minutes pour la faire, M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Alors, pour la Cour supérieure, on serait pour la postinscription, évidemment, pour qu'on ait la défense, pour savoir évidemment à quoi on s'en tient au dossier, pour faire une meilleure médiation. Par rapport à la Cour d'appel, c'est simple, dès que l'inscription en appel est logée ? alors, nous ne sommes pas dans la même situation ? pour éviter les transcriptions de notes sténographiques et les mémoires, on passerait à une médiation tout de suite, à ce moment-là, à la Cour d'appel.

La Présidente (Mme Thériault): C'est beau?

M. L'Écuyer: Une petite question?

La Présidente (Mme Thériault): Rapide.

M. L'Écuyer: Rapide. 497, au sujet de la Cour d'appel, concernant le cautionnement, le dépôt d'un cautionnement concernant une procédure, un appel qui est frivole, est-ce que vous trouvez que cet article-là pourrait être intégré au niveau de la Cour supérieure ou au niveau de toute procédure?

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Probablement.

M. L'Écuyer: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Nous allons aller maintenant du côté du deuxième groupe formant l'opposition. M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Roy, M. Lamoureux, Mme Pineau. Je vois que, M. Lamoureux, vous n'êtes pas avocat. Ça m'étonne. Je vous écoute parler depuis tantôt puis...

M. Lamoureux (François): ...

M. Bédard: Ah? O.K. C'est une erreur?

M. Lamoureux (François): Oui.

M. Bédard: Ça me semblait assez clair. Merci. Je voyais «monsieur».

M. Lamoureux (François): Ça me rassure moi-même.

M. Bédard: Alors, simplement pour revenir sur deux points. Sur l'expert unique, cette avenue-là est intéressante pour diminuer les coûts et les délais, je pense, effectivement. Vous vous dites en faveur, mais est-ce que vous êtes en faveur finalement... Dans le cas où les parties s'entendent, c'est relativement simple. Tout est simple quand les parties s'entendent pour fixer justement cet expert unique. Mais est-ce que vous pensez qu'on devrait donner les pouvoirs au tribunal pour qu'il oblige, dans certains cas où il le juge approprié, l'imposition d'un expert unique? C'est ce que je comprends? C'est ce que vous souhaitez?

La Présidente (Mme Thériault): M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): C'est effectivement le sens de notre pensée. Ce qu'on souhaiterait, dans le cadre d'une réforme, c'est qu'on puisse convenir d'experts qui puissent être choisis par la Cour supérieure, autant qu'il y a des juges qui sont attitrés à la médiation. On pourrait en arriver à un choix ultimement d'une banque d'experts aussi en même temps qui pourraient être disponibles. Et sinon, évidemment, le juge au procès, qu'il puisse ordonner une expertise unique.

M. Bédard: Ce serait donc dans une procédure où on dit: Entendez-vous pour me suggérer un expert unique, et, dans le cas contraire, je vais choisir moi-même à partir de la banque que j'ai.

M. Lamoureux (François): Tout à fait. Nous en sommes, oui.

M. Bédard: Sur votre demande pour avoir un appel direct à la Cour d'appel, pour bien comprendre votre point de vue ? parce que ce qu'on cherche, c'est d'alléger la procédure ? vous souhaitez finalement que, dans le cas où la Cour supérieure casse un jugement d'un tribunal administratif ou d'un ordre administratif quelconque ? bien, quelconque, particulièrement, bon, l'arbitrage de grief ou la Commission des relations du travail ? que la partie qui voit son jugement cassé puisse en appeler directement à la Cour d'appel. En termes de procédure, quel est l'intérêt de faire tomber cet appel? Il pourrait arriver, par exemple, que, dans des cas où manifestement le tribunal d'arbitrage ? et peu importe de quel côté on se place ? a erré d'une façon, bon, là, vous allez me dire, manifestement déraisonnable, là, mais à un point tel qu'effectivement il y avait eu erreur grossière, une inclusion de preuve à l'encontre de toute espèce de commencement de logique... Tout ça pour dire: Il y a des cas évidents où la Cour d'appel ne verrait pas intérêt justement à rétablir le jugement. Pourquoi, pour une procédure qui est somme toute assez sommaire, soit la requête en permission d'en appeler, vous souhaitez vraiment voir disparaître cette procédure?

La Présidente (Mme Thériault): Mme Pineau.

n(15 h 50)n

Mme Pineau (Anne): Oui. Alors, écoutez, moi, quand j'ai commencé à pratiquer, il y avait le bref d'évocation, et toutes les révisions judiciaires, c'était appelable de plano, hein, il n'y avait aucun problème. Et, à un moment donné, on a inventé la permission d'en appeler pour les cas où la requête était rejetée. Alors, quelqu'un n'était pas content de la décision rendue devant le tribunal administratif, il tentait sa chance en révision judiciaire; la révision judiciaire était rejetée, et là on a dit: Bien, pour lui, on va lui demander une permission d'en appeler. Il ne pourra pas en appeler de plein droit. Mais, si l'évocation était accueillie, on pouvait en appeler de plein droit. Et, avec la réforme de 2003, là, on a cessé cet appel asymétrique, O.K., et on a mis tout le monde sur le même régime, c'est-à-dire: tout le monde va demander un appel.

Nous, c'est très important pour nous, toute la question des tribunaux administratifs. Ces gens-là sont nommés en fonction de leur expertise, on leur délègue des champs de sujets à trancher, et les décisions qui sont rendues, normalement, ne devraient pas faire l'objet d'un recours. Le recours est un recours extraordinaire. Il n'est pas normal qu'une décision d'un tribunal administratif soit cassée, et on se dit que, dans la mesure où le tribunal qui a entendu toute la cause et qui a rendu une décision se trouve cassé, souvent alors qu'il y a eu des jours d'audition ? on peut être cassé en dedans de deux, trois heures en Cour supérieure ? on estime que la moindre des choses serait qu'on puisse voir rétabli notre droit d'appel de plein droit.

Ceci d'autant que... Soyons conscients que, particulièrement en arbitrage de grief, les dossiers que traitent les arbitres sont des dossiers de plus en plus lourds. Et des dossiers qui autrefois étaient des poursuites civiles sont désormais de la compétence des arbitres de grief. Autrefois, on aurait eu un procès devant un tribunal civil et avec un litige de plus de 50 000 $, et automatiquement, si on avait perdu, on aurait eu un droit d'appel de plano. Or, sous prétexte qu'on renvoie aux arbitres de grief certaines matières, ça devient de la révision judiciaire, peu importe finalement le montant ou l'enjeu du dossier, et on se voit astreint à ce régime, là, de permission d'en appeler. Donc, on trouve qu'au moins, pour rétablir un peu d'équilibre, celui qui est bénéficiaire d'un titre, qui a gagné devant le tribunal administratif, donc le juge défait, le juge de première instance devrait pouvoir en appeler de plein droit si son titre est invalidé.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. Bédard: Comme on n'a pas beaucoup de temps, je ne veux pas tellement aller plus loin, mais en général les tribunaux... pas en général, maintenant les tribunaux, peut-être les 10, 12 dernières années, sont beaucoup moins interventionnistes en matière de révision judiciaire, auparavant l'évocation, où le critère du «manifestement déraisonnable» était appliqué de façon un peu plus approximative. Les dernières années ont quand même assez clarifié suite à une série de jugements de la Cour suprême, puis les juges de la Cour supérieure sont maintenant, là... en tout cas il y a 10 ans. J'imagine que ça n'a pas empiré, ça s'est sûrement amélioré. Mais ils sont plus réservés dans leur idée justement de réviser une décision d'un tribunal administratif.

Mon idée, ce n'est pas de revoir justement cette compétence. Au contraire, je pense que c'est bien. Ce que je veux plutôt comprendre, c'est que la requête-permission permet finalement, dans les cas où finalement il y a eu effectivement une erreur d'une nature où tout le monde s'entend, là... pas où tout le monde s'entend, évidemment, ça a été plaidé, mais une erreur purement grossière, là, vraiment, alors elle permet au moins d'éviter de se retrouver devant la Cour d'appel, bon, avec tous les mémoires puis une procédure qui est beaucoup plus lourde, et au moins de libérer ça. Et c'est pour ça que je demande l'intérêt réel de réaccorder cette permission de plein droit, cet appel de plein droit, plutôt.

La Présidente (Mme Thériault): Me Pineau.

Mme Pineau (Anne): Il faut se rappeler que la permission d'en appeler n'est pas automatique. Il faut démontrer un intérêt particulier, il faut démontrer que la question présente un intérêt particulier au niveau de l'administration de la justice. Donc, il y a...

M. Bédard: ...Cour d'appel, c'est en cas d'erreur dans le jugement de la Cour supérieure.

Mme Pineau (Anne): Non. Pour obtenir la permission, il faut remplir les critères. Le seul fait que le jugement soit erroné, en soi, n'oblige pas la Cour d'appel à accorder la permission. Alors, il y a les critères de l'article 26, là, que je n'ai pas, là, mais qui sont l'intérêt de la justice, que c'est une question nouvelle et... Alors, il y a au moins quatre critères qui sont énoncés, notamment. Alors donc, le seul fait qu'une décision soit erronée n'emporte pas obligation pour la Cour d'appel de nous entendre.

Par ailleurs, ce que vous soulignez, toute la question de la procédure lourde, la cour peut dispenser les parties de faire des mémoires, procéder de façon plus rapide. Donc, si vraiment la cour estime que la question doit être débattue rapidement, elle a toujours des possibilités. Mais donc ce qu'on questionne, c'est pourquoi finalement beaucoup de jugements sont appelables de plano, hein, simplement parce qu'ils dépassent le 50 000 $, et pourquoi, sous prétexte que c'est de la révision judiciaire, le justiciable devrait toujours aller démontrer qu'il devrait obtenir la permission.

M. Bédard: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Il vous reste 2 min 30 s, M. le député.

M. Bédard: Deux minutes? Bon, bien, écoutez, sur le SLAPP, j'ai bien entendu vos commentaires. Ce que vous souhaitez, c'est une intervention... Vous avez lu le rapport, j'imagine, du comité Macdonald. Ce que je comprends, c'est que vous souhaitez la première des possibilités, soit celle d'une... vraiment une loi-cadre, avec un renversement de fardeau de preuve et une déclaration de principe. C'est ça que vous souhaitez? C'est ce que je comprends?

La Présidente (Mme Thériault): Mme Pineau... M. Roy.

M. Roy (Louis): Ce que le ministre appelle la Grosse Bertha, oui, c'est ce qu'on souhaite. On souhaite une intervention assez lourde et assez substantielle de la part du législateur pour permettre le droit d'intervenir publiquement au citoyen.

M. Bédard: Et, advenant le cas qu'il n'en décide autrement? Puis évidemment on est en commission, il peut arriver bien des choses, là, mais le fait d'introduire, par exemple, le renversement de fardeau de preuve, dans la troisième possibilité qui est celle de faire un amendement au Code de procédure plus général, est-ce que vous pensez que ce serait quand même utile de le réintroduire?

La Présidente (Mme Thériault): Mme Pineau.

Mme Pineau (Anne): Oui. Tout l'aspect procédural évidemment n'est pas à rejeter. Les modifications à 75.1, 165, on peut en être, mais pour nous il demeure que le problème d'abord principal, c'est celui de la possibilité pour le citoyen de se sentir à l'aise de s'exprimer sur des enjeux d'intérêt public. Et pour ça, pour nous, la seule façon, c'est de prévoir un régime de responsabilité civile particulier, hein? Un peu comme on l'a dans le cas du bon samaritain, hein? On sait que quelqu'un qui va porter son aide à quelqu'un qui est en danger bénéficie, à 1471 du Code civil du Québec, d'une immunité, hein? Il ne peut être poursuivi qu'en cas de faute lourde ou intentionnelle. Alors, dans le fond, l'idée, c'est: Je prête secours à quelqu'un. Si les choses tournent mal, je ne pourrai pas être poursuivi simplement parce que... Alors, l'idée... Oui?

M. Bédard: ...mais, comme il reste quelques secondes, l'immunité que vous faisiez référence, de titulaire de charge publique, dans votre mémoire, cette immunité relative, vous dites, par rapport, j'imagine, à un juge ou quelqu'un pour qui l'employeur, par exemple la fonction publique, va prendre fait et cause pour lui? C'est par rapport à cette immunité-là que vous nous parlez?

La Présidente (Mme Thériault): 20 secondes.

Mme Pineau (Anne): Je parle de la possibilité de n'être poursuivi qu'en cas de faute lourde ou intentionnelle.

M. Bédard: ...là, c'est carrément... Mais c'est rare, ça. Même les députés ici n'ont pas cette immunité, vous le savez.

Mme Pineau (Anne): Oui, mais c'est là que je vous réfère à 1471, où on nous dit que «la personne qui porte secours à autrui ou qui, dans un but désintéressé, dispose gratuitement de biens au profit d'autrui est exonérée de toute responsabilité pour le préjudice qui peut en résulter, à moins que ce préjudice ne soit dû à sa faute intentionnelle ou [...] lourde». C'est un peu ça, l'idée. C'est de prévoir que les gens qui s'expriment sur des enjeux publics et qui rendent au fond service à la collectivité ? parce qu'en général ces gens-là vont dénoncer des situations qui peuvent porter atteinte à la santé ou à la sécurité ? que ces gens-là se voient protégés en quelque sorte, à moins qu'ils agissent de façon malicieuse ou totalement déréglée.

M. Bédard: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Et ceci mettra fin à l'échange. Donc, Mme Pineau, M. Roy, M. Lamoureux, merci de votre présence en commission parlementaire. Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux parlementaires de vous saluer et accueillir l'autre groupe.

(Suspension de la séance à 15 h 59)

 

(Reprise à 16 h 1)

La Présidente (Mme Thériault): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous poursuivons nos travaux et nous recevons l'Union des consommateurs, pour qui c'est la deuxième présence en commission parlementaire. Donc, Mme Duchesne et M. Boucher, bienvenue à l'Assemblée nationale. Vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire, et par la suite il y aura un échange avec les députés. Donc, la parole est à vous.

Union des consommateurs

Mme Duchesne (Geneviève): Alors, Mme la Présidente, Mmes, MM. de la commission, nous tenons d'abord à vous remercier de nous donner l'occasion de participer à la présente consultation et de venir vous présenter de vive voix nos commentaires qui portent sur le Rapport d'évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile ainsi que le rapport qui porte sur les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique.

Avant de vous faire le résumé des commentaires formulés dans le mémoire qui vous a été soumis, nous estimons approprié de vous entretenir quelque peu sur l'organisme que nous représentons, c'est-à-dire l'Union des consommateurs. Alors, l'Union des consommateurs est un organisme sans but lucratif qui regroupe 10 associations coopératives d'économie familiale, l'Association des consommateurs pour la qualité dans la construction ainsi que des membres individuels.

Alors, la mission de l'union est de promouvoir et défendre les droits et intérêts des consommateurs en prenant en compte de façon particulière les intérêts des ménages à faibles revenus. Alors, l'Union des consommateurs agit principalement sur la scène nationale en représentant les intérêts des consommateurs auprès d'instances politiques, réglementaires, ainsi que sur la place publique. L'Union des consommateurs défend également les droits et intérêts des consommateurs devant les instances judiciaires en agissant à titre de requérante dans les recours collectifs. D'ailleurs, depuis 2002, l'Union des consommateurs a mené plus d'une quinzaine de recours collectifs dans différents secteurs de consommation.

L'Union a donc une certaine expertise en matière de recours collectif et est très au fait de l'importance cruciale que représente pour la défense des droits et intérêts des consommateurs le véhicule procédural que constitue le recours collectif. Le recours collectif facilite en effet pour les consommateurs l'accès aux tribunaux notamment en rendant économiquement possibles des poursuites qui auraient été trop coûteuses pour être intentées individuellement, vu les sommes souvent relativement modestes, là, pour les consommateurs à titre individuel, qui peuvent être en jeu. Enfin, dans un recours collectif, l'investissement en temps et en argent est nul pour les consommateurs qui sont membres du groupe visé, à l'exception bien sûr, là, des démarches que les membres du groupe pourraient devoir effectuer en vue d'effectuer une réclamation, c'est-à-dire d'obtenir les sommes auxquelles ils pourraient avoir droit, là, en vertu du jugement ou de l'entente qui serait intervenue.

C'est donc avec une attention toute particulière que l'Union des consommateurs a pris connaissance des commentaires et conclusions formulés dans le rapport d'évaluation en ce qui a trait à l'article 1002 du Code de procédure civile, qui porte sur la requête en autorisation d'exercer un recours collectif. Là, on rappellera que, dans sa version initiale, l'article 1002 du Code de procédure civile prévoyait que la requête en autorisation d'exercer un recours collectif devait être appuyée d'un affidavit. Suite aux recommandations formulées par le Comité de révision de la procédure civile, cet article a été modifié lors de la réforme de 2002 de façon à retirer cette exigence. L'article 1002 fait désormais mention, là, de la possibilité pour le juge de permettre la présentation d'une preuve appropriée à l'étape de la requête en autorisation.

Alors, ce qui a motivé le comité de révision à recommander cette modification, bien c'est le constat selon lequel il y aurait eu un dérapage important, là, à l'étape de l'autorisation. L'étape de la requête en autorisation, et je pense que c'est important de le souligner, qui est une étape supplémentaire propre au recours collectif, le requérant, là, lorsqu'il procède par d'autres types de recours, normalement n'a pas à passer par une telle étape. Il peut procéder directement sans demander la permission d'utiliser un véhicule procédural plutôt qu'un autre. Alors, l'étape de la requête en autorisation, qui caractérise le recours collectif, est l'étape au cours de laquelle le juge doit regarder si les faits tels qu'allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. Alors, l'étape préliminaire d'autorisation doit servir... sert donc de filtre pour éliminer les demandes frivoles.

Alors, le comité de révision a toutefois constaté que l'étape de l'autorisation donnait lieu à des débats ? et c'est l'expression utilisée par le comité ? qui prenaient des proportions démesurées, à de multiples interrogatoires sur l'affidavit, et que... en fait les parties plaidaient au fond, là, plutôt que de se concentrer sur les critères d'autorisation. Alors, comme le mentionne le rapport d'évaluation, les modifications apportées à l'article 1002 sont venues imposer des limites aux parties qui plaidaient trop souvent au fond à l'étape préliminaire de l'autorisation. Alors, la modification a donc permis de mettre un frein au dérapage qui avait été constaté et qui avait des conséquences sur les coûts et les délais, sans faire en sorte par ailleurs que les articles 1002 et 1003 cessent de jouer leur rôle, c'est-à-dire de servir de filtre pour éliminer les demandes frivoles.

Il n'est en effet, à notre avis, pas permis de prétendre que la modification à 1002 est venue altérer la portée de ce filtre que représentent les articles 1002 et 1003. Et, à défaut d'un constat selon lequel, en raison des modifications apportées à 1002 ? toujours du Code de procédure civile ? certains recours collectifs auraient été autorisés, alors qu'il est apparu en bout de ligne que ces recours-là n'auraient jamais dû être autorisés, il serait inapproprié, de l'avis de l'Union des consommateurs, de revenir à la situation antérieure. Alors, c'est sans réserve que l'Union des consommateurs, là, appuie la conclusion du comité d'évaluation selon laquelle «il n'apparaît pas opportun de rétablir les règles antérieures, car cela recréerait les difficultés antérieures et ouvrirait la porte aux abus que la réforme a voulu corriger, puisque ces pratiques augmenteraient de façon significative les délais». Alors, je cite un extrait du rapport.

Alors, selon l'Union des consommateurs, il en va d'une saine administration de la justice que le débat au stade de la demande d'autorisation soit limité aux seules questions qui sont pertinentes à la détermination par le juge de l'existence d'une apparence de droit sérieuse et que les questions qui portent sur le fond soient reportées à une étape ultérieure de la procédure, au cours de laquelle de toute façon les défendeurs auront tout le loisir de débattre des questions de droit et de fait que le juge qui aura accordé l'autorisation aura déterminées comme étant celles qui devront être traitées collectivement.

L'Union des consommateurs tient également à insister sur le fait que, malgré l'absence d'affidavit, l'article 1002 permet que l'interrogatoire du requérant soit admis et que ses limites évidemment soient précisées par le tribunal, puisque 1002 prévoit que le juge peut autoriser la présentation d'une preuve appropriée. Et, comme la jurisprudence a clarifié la finalité de la requête en autorisation, à notre avis les tribunaux possèdent les balises nécessaires pour évaluer, au vu des particularités de chaque requête, la preuve pertinente qui pourra être autorisée et pour en fixer les limites. Alors, il nous apparaît, encore une fois, qu'aucune modification n'est nécessaire ou souhaitable à ce chapitre.

Le rapport d'évaluation fait état d'une autre problématique qui concerne le recours collectif, qui a été soulevée lors des consultations et «selon laquelle [certains] avocats ? et là je cite le rapport ? tenteraient d'imposer le règlement hors cour ou la décision judiciaire d'une autre province aux plaignants québécois». Alors, cette préoccupation-là... c'est-à-dire cette problématique-là préoccupe également l'Union des consommateurs. Vous n'êtes pas sans savoir, là, qu'en matière de droit de la consommation le droit québécois prévoit, aussi bien en matière de droit substantif qu'en matière de droit procédural, des avantages et des protections qui ne sont pas nécessairement reconnues, là, aux résidents, donc aux consommateurs des autres provinces canadiennes.

Alors, il sera, dans certains cas, certainement à l'avantage des défendeurs de voir des jugements étrangers reconnus et appliqués au Québec et d'inclure dans les classes nationales, là, les consommateurs québécois, alors qu'il ne sera définitivement pas dans l'intérêt des consommateurs québécois de se voir liés par des ententes ou des jugements qui ne tiennent évidemment pas compte des avantages ou des protections particulières que la loi a mises en place pour leur bénéfice.

Alors, l'Union des consommateurs invite donc fortement le législateur québécois à examiner cette question et à examiner la pertinence d'établir des règles claires en ce qui a trait à la reconnaissance des jugements étrangers rendus dans le cadre d'un recours collectif afin d'assurer aux consommateurs québécois qu'ils profitent pleinement des avantages et des protections que leur procurent les lois québécoises.

n(16 h 10)n

La problématique de l'accès aux tribunaux est un élément récurrent, là, de la présente consultation et qui a fait l'objet de nombreux commentaires, là, lors d'interventions précédentes, et ce qui va de soi, là, puisqu'il s'agit d'un élément qui sous-tend la réforme de 2002. Et, comme le recours collectif constitue un véhicule procédural qui vise à permettre l'accès aux tribunaux à des consommateurs qui n'auraient pas fait la démarche en raison notamment du montant peu élevé de leur réclamation, on trouvait pertinent de profiter de l'occasion de la consultation pour vous entretenir brièvement sur d'autres problèmes observés par l'Union des consommateurs qui concernent le recours collectif. Alors, le recours collectif est un véhicule procédural qui comporte de longs délais entre le dépôt de la requête et le jugement au fond. Et ces délais sont très peu compatibles avec la nature des réclamations des consommateurs qui sont aux prises avec un litige de consommation.

Alors, l'Union des consommateurs est très critique face à certaines propositions qui ont été formulées lors d'interventions antérieures, qui viendraient, à notre avis, ralentir encore plus le processus, telle que la possibilité de permettre aux intimés d'en appeler de la décision d'autoriser un recours collectif. Les longs délais que nécessiteraient une audition et un jugement au fond comptent parmi les éléments qui font en sorte que les recours collectifs en matière de consommation sont régulièrement réglés suite à une entente entre les parties. Alors, bien que l'entente comporte généralement pour les consommateurs l'avantage de la réduction des délais, elle a par contre pour effet de les priver, entre autres, d'un jugement au fond qui statuerait sur la légalité des actes reprochés au commerçant. Les recours collectifs qui font l'objet d'une entente et qui par conséquent ne permettent pas de faire dire le droit sur une situation problématique ont donc un effet dissuasif limité à la fois sur le commerçant visé par le recours ainsi que sur les autres commerçants qui utilisent une pratique semblable à celle visée par le recours.

Alors, il serait donc, à notre avis, là, bon de réfléchir à un type de recours qui, en matière de consommation, permettrait de faire dire le droit et par conséquent d'avoir un effet dissuasif plus important sur les commerçants, objectifs que vise aussi le recours collectif mais qui en pratique sont rarement atteints par le biais de cette procédure.

On aimerait également attirer votre attention sur un récent courant jurisprudentiel qui découle de la décision Agropur de la Cour d'appel selon lequel le recours collectif ne pourra, en règle générale, être intenté qu'à l'encontre des entreprises avec qui le requérant lui-même ou, si le requérant est une association, le membre qu'il désigne a une cause d'action directe et personnelle. Alors, les entreprises d'un même secteur d'activité qui utilisent une pratique identique à celle visée par le recours collectif du requérant mais avec lesquelles ce dernier n'aurait pas de lien de droit ne pourront être liées par le jugement ou l'entente à intervenir. Les consommateurs qui se trouveraient dans une situation identique face à des entreprises autres que celles visées par le recours ne pourront ainsi voir reconnaître leurs droits et être indemnisés que si des recours distincts sont entrepris aussi contre ces entreprises. Et, en outre, si le nombre de consommateurs victimes d'une pratique qui contrevient à ces droits n'est important que du fait de la multiplication des entreprises qui utilisent les mêmes pratiques, il sera pratiquement impossible de procéder par voie de recours collectif, attendu que la mise en branle de cette lourde machine procédurale ne serait habituellement justifiée que par l'importance de la réclamation globale qui pourrait en résulter.

Bref, le recours collectif ne permettra pas, dans bien des cas, de faire dire le droit sur des pratiques problématiques, ne liera que le commerçant visé dans les recours, bien que d'autres entreprises pourraient avoir eu recours à une pratique identique à celle qui était reprochée à l'intimé, et n'aura qu'un effet dissuasif limité sur les autres commerçants.

On constate donc que les droits procéduraux ? et j'ai autant en tête les recours individuels que les recours collectifs ? dont disposent les consommateurs et les associations dont la mission est de défendre leurs droits et intérêts sont mal adaptés; ils sont mal adaptés aux litiges de consommation. Il est, à notre avis, grand temps d'examiner des droits procéduraux qui tiendront davantage compte des particularités des litiges de consommation et qui permettront ultimement de contribuer à favoriser le respect par les commerçants des droits consentis aux consommateurs.

En ce qui concerne les SLAPP, maintenant. Compte tenu de la nature de ces interventions, l'Union des consommateurs est très sensible à la problématique des poursuites stratégiques entreprises contre les groupes d'intérêt. L'Union des consommateurs a pris connaissance du rapport portant sur les poursuites stratégiques et appuie la conclusion à laquelle en arrivent les auteurs du rapport, selon laquelle, compte tenu de la situation particulière, là, qui prévaut au Québec, il n'est pas nécessaire d'ajouter un droit spécifique qui viendrait protéger les pratiques liées aux prises de position publiques des citoyens, mais il conviendrait toutefois de procéder à un réajustement des règles de procédure civile et des moyens financiers, là, mis à la disposition des victimes de SLAPP aux fins de leur défense à la cour.

L'Union des consommateurs tient toutefois à souligner que, compte tenu de l'importance d'affirmer clairement le droit des citoyens de participer au débat public et l'intention de mettre un frein à toute tentative d'intimidation de la part des entreprises, il nous semblerait souhaitable que les mesures proposées par le comité fassent l'objet d'une loi anti-SLAPP nommément établie.

En ce qui a trait aux mesures proposées, l'Union des consommateurs appuie les recommandations du comité. Et, comme il importe que la pratique du SLAPP soit découragée, que les victimes du SLAPP soient en mesure d'opposer une défense complète ou de recourir aux procédures pertinentes pour mettre en échec le SLAPP, l'Union des consommateurs voit d'un bon oeil les propositions, là, qui portent sur l'octroi de dommages et intérêts ainsi que celles qui visent la mise sur pied d'un fonds spécifique, qui pourrait être administré par le Fonds d'aide aux recours collectifs.

Et enfin, en ce qui concerne spécifiquement la proposition de modification à l'article 75.1 du Code de procédure civile qui vise à ajouter, là, comme motif de rejet des procédures intentées les allégations de procédures vexatoires ou excessives, bien cela nous semble une voie simple et efficace qui permettrait, de manière expéditive, de mettre fin à une poursuite stratégique avant qu'elle n'entraîne les dommages escomptés, là, par son instigateur.

Bien, compte tenu toutefois des problèmes de preuve qu'a soulevés à ce jour l'application par les tribunaux de l'article 75.1, il serait souhaitable qu'une législation anti-SLAPP prévoie un renversement de fardeau de preuve qui imposerait à l'initiateur présumé du SLAPP de faire la démonstration du fondement de ses prétentions, de ce que l'action dont est l'initiateur ne menace pas la liberté d'expression de la partie défenderesse, qu'elle n'est pas excessive, etc.

Alors, voilà ce qui fait le tour brièvement des commentaires que l'on voulait soumettre. Alors, bien, je vous remercie. À tantôt.

Le Président (M. Tomassi): Alors, merci, Mme Duchesne, vous entrez très bien dans le temps qui vous était alloué. On va passer du côté ministériel. Alors, M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. Mme Duchesne, M. Boucher, merci d'être ici aujourd'hui. Merci aussi de votre mémoire. Ça a été une très bonne présentation et c'est un très bon mémoire que vous nous soumettez.

Je note cependant, à la page 8 du mémoire, que vous dites ceci, que le législateur québécois devrait prévoir «des règles claires en ce qui a trait à la reconnaissance des jugements étrangers, rendus dans le cadre d'un recours collectif, afin d'assurer aux consommateurs québécois qu'ils profitent pleinement des avantages et des protections que leur procurent les lois québécoises».

Et j'ai du mal à voir comment on pourrait faire cela: à la fois donc reconnaître les jugements étrangers et en même temps donner aux consommateurs les avantages qui découleraient des lois québécoises. Comment est-ce que, vous, vous voyez ça en pratique?

Le Président (M. Tomassi): M. Boucher.

M. Boucher (Marcel): Oui. Le jugement le plus important qui a été rendu jusqu'à maintenant en cette matière-là, pour ce qui est de la reconnaissance des jugements étrangers, c'est un jugement qui a été rendu dans l'affaire Postes Canada par la Cour d'appel récemment. C'est le premier jugement à la Cour d'appel, elle le dit elle-même, le premier jugement qui a été rendu sur cette matière-là ici, au Québec.

Le droit qui doit être appliqué, c'est le Code civil du Québec; dans le reste du Canada, c'est la common law. Les règles ne sont pas exactement les mêmes. La Cour d'appel, dans le jugement Postes Canada, a confirmé la décision qui avait été rendue par la Cour supérieure, c'est-à-dire de ne pas reconnaître le jugement. Je n'entrerai pas dans les détails de l'affaire, mais il s'agit d'un recours collectif qui a été intenté à la fois au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique. Il y a des négociations qui ont été entreprises pour régler les recours collectifs, négociations qui ont été conclues en Ontario. La Colombie-Britannique a embarqué là-dedans aussi et ils ont décidé de faire une classe nationale qui incluait le Québec, malgré le fait que le Procureur au Québec avait refusé l'entente que les autres Procureurs ? les Procureurs ontarien et de la Colombie-Britannique ? étaient prêts à accepter. Au Québec, lorsque le recours a tenté de procéder ici, il y a eu une opposition évidemment, une demande de reconnaissance de jugement pour faire arrêter les procédures du recours collectif québécois.

La Cour supérieure a décidé qu'elle ne pouvait pas reconnaître le jugement, pour des questions d'avis. Les avis avaient été publiés de façon trop rapprochée, l'avis pour le règlement en Ontario et l'avis pour l'autorisation au Québec, ce qui pouvait mêler un peu les consommateurs, qui ne savaient pas nécessairement par lequel des deux avis ils étaient visés, d'autant plus que l'avis ontarien ne mentionnait pas spécifiquement les consommateurs québécois.

Bref, le jugement n'a pas été reconnu en Cour supérieure, ça a été porté en appel. En appel, ils ont appliqué aussi... Comme le dit la Cour suprême, ce sont les règles du Québec qui doivent s'appliquer en matière de droit international privé. Ils ont appliqué ces règles-là. Tout le long dans le jugement de la Cour d'appel, on mentionne certains éléments, l'élément principal étant la déférence. On demande au tribunal québécois de faire preuve de déférence devant le jugement qui a été rendu par le tribunal de l'Ontario, et la Cour d'appel dit: On voudrait bien, mais pourquoi la cour d'Ontario n'a pas fait la même chose? Il y avait un recours ici, la Cour d'Ontario ne l'a pas respecté. La Cour d'Ontario n'a pas tenu compte du fait qu'il y avait déjà quelque chose en marche ici.

n(16 h 20)n

La Cour d'appel a fini par ne pas reconnaître non plus le jugement ontarien pour la même raison, pour des questions d'avis: l'avis qui n'était pas nécessairement suffisant, l'avis qui n'était pas nécessairement très clair, parce que les règles en reconnaissance de jugement, au Québec, règle générale, pour les jugements étrangers, on l'accepte, on reconnaît le jugement étranger, sauf exception. Il y a cinq exceptions dans le Code de procédure civile, à l'article 3155: si le tribunal étranger n'avait pas la compétence, si les règles de justice naturelle, d'équité procédurale n'ont pas été respectées; c'est sur ce point-là que la Cour d'appel a refusé de reconnaître le jugement. C'est à peu près, en matière de recours collectif, à peu près le seul motif qui va pouvoir être invoqué, à notre avis, pour rejeter, pour refuser de reconnaître des jugements qui seraient rendus à l'étranger.

Ce qu'on dit dans notre mémoire, c'est que les jugements rendus à l'étranger, ils peuvent avoir respecté l'équité procédurale. Le tribunal peut avoir une compétence, compétence qui a été définie déjà par la Cour suprême, là. Comment on regarde quel tribunal peut avoir la compétence, même un tribunal étranger, sur des ressortissants d'une autre province, la Cour suprême a défini tout ça; tout ça, c'est suffisamment clair. Ce qui reste, c'est la question d'équité procédurale.

À chaque fois qu'un consommateur québécois va être confronté à un jugement étranger... Puis, un jugement étranger en matière de recours collectif, là, c'est sérieux. C'est-à-dire que les consommateurs, partout au Québec, si jamais ils sont inclus dans le groupe... Par simple définition, un jugement, un autre procureur ailleurs va décider que son groupe, le groupe qu'il représente, inclut les consommateurs du Québec, s'il y a un jugement, s'il y a eu une entente, c'est-à-dire que les consommateurs du Québec, en vertu de ce jugement-là ou de cette entente-là, donnent quittance totale et complète aux intimés.

Les consommateurs du Québec ne les ont pas poursuivis. Les consommateurs du Québec n'ont pas pu faire valoir leurs droits. Est-ce que, là où le jugement a été rendu, ils ont tenu compte qu'ici on a une loi de la protection du consommateur et qu'on pourrait, par exemple, demander des dommages exemplaires? Est-ce que ça a été inclus dans le jugement? Est-ce que ça a été pris en considération dans l'entente?

À la vue de ce jugement-là de Postes Canada, qui a d'ailleurs été porté en appel ? la Cour suprême va se prononcer là-dessus ? ce qui nous vient à l'esprit, c'est que, chaque fois qu'il va y avoir un jugement à l'étranger qui va tenter d'inclure les consommateurs du Québec, la question qui va se poser, c'est: Est-ce que l'équité procédurale a été respectée? Les autres questions, comme, par exemple, la déférence du tribunal étranger sur des procédures qui auraient pu être entreprises ici, ça ne fait pas partie des critères. Ça devrait peut-être. C'est ce que suggère la Cour d'appel dans son jugement. C'est embêtant qu'on nous demande la déférence, alors que l'autre juge savait qu'il y avait une procédure ici, puis il n'en a pas tenu compte.

Est-ce que ça ne devrait pas être un critère? Est-ce que le tribunal québécois, en matière de consommation, puisqu'on a des droits spéciaux, ne devrait pas tenir compte du tribunal étranger? Est-ce que le tribunal étranger a tenu compte des droits spéciaux des consommateurs québécois? C'était le sens de notre questionnement.

Le Président (M. Tomassi): Merci, M. Duchesne. M. le ministre. M. Boucher, excusez.

M. Pelletier (Chapleau): Est-ce qu'il n'y a pas en soi une menace pour l'intégrité du droit civil québécois dans cette idée de recevoir des jugements étrangers en matière de droit privé?

Le Président (M. Tomassi): M. Boucher.

M. Boucher (Marcel): S'il y a un danger? Il y a toujours un danger; le danger existe, le danger est inscrit.

M. Pelletier (Chapleau): ...

M. Boucher (Marcel): Le danger est inscrit déjà dans le Code de procédure civile, c'est ce que prévoit l'article 3155. Le danger existe. Les balises sont là, les balises pour la compétence. Quand on n'est pas en matière de recours collectif, le danger est moins grand à notre avis, parce que la compétence d'un tribunal étranger sur un ressortissant québécois, ça va être plus difficile à établir. La compétence d'un tribunal étranger sur l'ensemble des consommateurs canadiens, c'est plus facile de faire un lien, de trouver quelques liens logiques, quelques liens directs entre, par exemple, le défendeur. Le défendeur fait affaire partout au Canada, le juge est en mesure de regarder la situation. La situation risque d'être la même, il peut y avoir un lien, il peut y avoir une compétence. En matière individuelle, ça va être plus compliqué. C'est pour ça qu'on précise, en matière de recours collectif, que cette règle-là de reconnaissance des jugements devrait peut-être avoir un petit ajustement pour prévoir ces cas-là spécifiquement.

Le Président (M. Tomassi): Ça va? M. le député de Chomedey, ça va?

M. Ouellette: Oui. Non, j'ai une question. Bonjour à vous deux.

M. Boucher (Marcel): Bonjour.

M. Ouellette: Est-ce que vous vous êtes... Est-ce que vous avez poussé votre réflexion à... Vous pensez quoi des poursuites contre bâillons? Parce que là il y a des gens qui sont poursuivis, il y a des individus qui sont poursuivis, là-dedans. Est-ce que vous avez une idée ou un point de vue que vous favoriseriez, au niveau de l'Union des consommateurs, que les gens répondent aux poursuites dont ils sont victimes, ou ce n'est pas quelque chose qui a fait l'objet de réflexion chez vous?

Le Président (M. Tomassi): M. Boucher.

M. Boucher (Marcel): Réflexion, oui, on pense beaucoup à ces questions-là. On n'a pas développé de position très, très stricte là-dessus. On n'a pas pensé à comment devrait se lire la loi, on n'a pas pensé à ce qu'il fallait prévoir à tout prix dans ce type de loi là. Par contre, il y a des principes... il y a des principes qui sont incontournables. Il faut que les citoyens, tous les citoyens puissent faire entendre leur voix, c'est un droit.

Le rapport du comité est très, très convaincant sur ces points-là, où il nous parle de la charte et il nous dit que ce droit-là est déjà reconnu au Québec; ce droit-là est déjà reconnu et il y a déjà des recours. Donc, pour le droit de se faire entendre, il n'y a pas vraiment de problème. Le problème, c'est le bâillon. Le problème, c'est le bâillon. Il y a deux aspects qui sont importants. Il y a l'aspect dont on parle beaucoup: il faut être capable de mettre fin à une poursuite-bâillon; il faut être capable de l'interrompre rapidement; puis il faut que le recours soit facilement accessible; il faut que la personne qui soit poursuivie ait les moyens de se défendre. Même si on réussit à faire une procédure qui est très, très rapide, même si la personne peut se faire rembourser ses frais d'avocat lors d'une poursuite, si on décide... si le tribunal décide que c'est une poursuite-bâillon, il faut quand même entre-temps qu'elle ait les moyens de faire ces démarches-là. Donc, le comité parlait d'un accès qui ressemblerait à celui du Fonds d'aide aux recours collectifs. Oui, pourquoi pas, c'est une bonne idée, on pourrait mettre un fonds là, les entreprises pourraient y participer, qui sont susceptibles de faire des poursuites-bâillons, ça mettrait à profit.

L'autre aspect qui est important des poursuites-bâillons, c'est la menace, la menace même de la poursuite-bâillon. En plus de prévoir le mécanisme pour mettre fin rapidement à une poursuite-bâillon si jamais les entreprises... pour éviter les dommages.... Il y a des gens qui se sont présentés ici, qui ont parlé des dommages de ce qui semble à leur avis être une poursuite-bâillon, et ce qui semblait l'être d'après ce qu'ils rapportaient.

Outre ces recours-là qu'il faut réussir à bloquer, il y a la menace de poursuite-bâillon. Est-ce que la simple menace d'une poursuite-bâillon ne risque pas d'être suffisante pour faire taire les citoyens? Si c'est le cas, il faut agir en aval, il faut éviter même que ces poursuites-là soient possibles. D'où l'intérêt, et je reprends les recommandations du comité, d'où l'intérêt de faire une loi qui préciserait... On n'a pas besoin, à mon avis... Comme le disait le comité, on n'a pas besoin d'une loi qui dise qu'on a le droit de s'exprimer, on l'a déjà. Il faut une loi par contre, une loi spécifique qui indique clairement que le gouvernement, le législateur s'intéresse à ce problème-là et qu'il va tout faire pour empêcher les poursuites-bâillons. Donc, une simple modification du Code de procédure civile pourrait peut-être faire l'affaire.

Comme je vous dis, on n'est pas entrés dans les détails, on n'a pas regardé quel type de rédaction serait nécessaire. Une modification au Code de procédure pourrait être suffisante, mais ça prend, à notre avis, à titre symbolique, une loi qui porte directement là-dessus pour décourager les poursuites-bâillons avant même qu'elles ne soient entreprises, pour y mettre un frein si elles le sont, mais pour les empêcher... pour empêcher que la menace de poursuite-bâillon fasse la même job que la poursuite elle-même.

Le Président (M. Tomassi): M. le député de Chomedey.

M. Ouellette: J'ai une autre question, M. le Président. Donc, la définition de la poursuite-bâillon, vous voulez qu'elle soit la plus restrictive possible à l'intérieur de cette loi-là, pas nécessairement dans le Code de procédure civile.

Le Président (M. Tomassi): M. Boucher.

M. Boucher (Marcel): Bien ? oui, merci ? la définition de la poursuite-bâillon pourrait probablement apparaître à la loi, la loi anti-SLAPP, ça serait probablement le meilleur endroit. Le plus restrictif possible, je ne crois pas. Je ne crois pas. Les entreprises qui sont susceptibles de faire ce type de poursuite là sont habituellement assez inventives. Ils ont assez de moyens pour trouver de nouvelles façons d'intervenir ou d'atteindre leur but. Si la définition est trop étroite, trop restrictive, je serais inquiet, j'aurais peur que de nouveaux moyens soient inventés sur le champ.

Le Président (M. Tomassi): Alors, merci, M. Boucher. M. le député de Chomedey, ça va?

M. Ouellette: Oui, merci.

Le Président (M. Tomassi): Merci. Alors, du côté de l'opposition officielle, M. le député de Saint-Hyacinthe.

n(16 h 30)n

M. L'Écuyer: Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup, Me Duchesne de même que Me Boucher, de votre présence. Dans un premier temps, les modifications apportées au Code de procédure civile, vous nous parlez de l'article 1002 et vous nous dites... en fait vous souhaitez un amendement: Ces allégations sont appuyées d'un affidavit. Je dois comprendre que c'est l'amendement que vous souhaitez. Est-ce que je me trompe? C'est un affidavit circonstancié ou un affidavit purement et simplement?

Le Président (M. Tomassi): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): Ça me fait de la peine de vous dire ça, mais je pense que oui. C'est l'article 1002. Ce qui porte sur l'affidavit et ce qui a été retiré déjà, c'est la modification qui a été apportée en 2002. Les demandes d'autorisation ne requièrent plus le dépôt d'un affidavit par le requérant.

Le Président (M. Tomassi): M. le député.

M. L'Écuyer: Vous souhaitez que cette... vous ne souhaitez pas, vous laissez...

M. Boucher (Marcel): Que ça revienne? Jamais de la vie.

M. L'Écuyer: Vous désirez que ce soit tel quel. C'est qu'à ce moment-là, sans affidavit circonstancié, donc la preuve ou la preuve préliminaire, que je peux dire, que M. le juge pourrait demander, à la suite d'un interrogatoire de cet affidavit circonstancié là, ne permettrait pas dans le fond d'immédiatement mettre fin à un débat long et coûteux. Vous ne croyez pas qu'avec un retour avec un affidavit circonstancié, où on permet quand même, à 1002, d'être en mesure de tester immédiatement la validité de l'action, ce ne serait pas un moyen suffisant pour mettre fin au débat?

La Présidente (Mme Thériault): Me Jasmin.

M. Boucher (Marcel): On se demande où est le problème. On regarde l'application par les tribunaux de 1002, tel qu'il est écrit présentement, on regarde les demandes en autorisation qui sont présentées couramment, là, devant la Cour supérieure, on regarde leur traitement, on regarde l'examen que fait le juge: est-ce que c'est un recours qui a du bon sens, est-ce qu'il y a une apparence de droit? On ne voit pas de problème. Est-ce qu'il y a présentement de longs débats sur cette question-là? Non, il n'y en a plus, il n'y en a plus parce que 1002 a été modifié. Ce qui faisait les longs débats, c'était le fait qu'il y avait de longs, longs interrogatoires. Et on parle d'interrogatoires, il y a tout le reste. Il y a les interrogatoires, il y a les objections aux questions, il y a retourner voir le juge pour les faire trancher, ces objections-là, et revenir après ça pour répondre aux questions, un peu plus limitées, que le juge aurait... Je vais la permettre, mais dans telle mesure; il y a ce retour-là. Pendant le retour sur les objections, il y a encore des objections, on retourne encore devant... C'était infernal. Ça n'avait aucun sens. D'autant plus que ces longs interrogatoires là, qui ont été maintenant enlevés, l'obligation a été enlevée, ces longs interrogatoires là portaient sur le fond du dossier.

La requête en autorisation, on le mentionnait dans notre mémoire, Geneviève le disait tantôt, c'est un filtre. C'est un filtre. Quelqu'un qui veut procéder par la voie de recours collectif, c'est quelqu'un qui dit: Je pense ou je sais qu'il y a plusieurs personnes qui sont visées par le même problème. Je n'ai pas de mandat par ces gens-là ? c'est la définition du recours collectif ? est-ce que je pourrais... et je demande la permission au juge: Est-ce que je pourrais regrouper tout ce monde-là dans un même groupe, faire juste une cause puis que ce soit entendu pour tout ce monde-là? On a des motifs, on a des choses communes à faire trancher, des questions de droit puis des questions de fait communes à faire trancher. Est-ce que, M. le juge, vous pensez que ce serait une bonne idée de faire ça pour tout le monde qui sont visés? Le juge va dire oui ou non. Le juge ne va pas dire: Vous avez raison, vous allez gagner. Ce n'est pas ça que le juge doit regarder. Le juge ne doit pas regarder à combien se monte votre dommage. Le juge doit regarder ça, ces critères-là: est-ce qu'il y a une apparence de droit? Est-ce qu'il semble y avoir un groupe? Puis est-ce que, vous qui demandez le rôle de représentant, vous êtes capable de représenter les gens qui vont être absents, les membres du groupe? C'est ça, les questions.

L'affidavit portait sur quoi? L'affidavit portait sur ça parce que c'était l'affidavit à l'appui de la requête. Mais, aussitôt que vous faites un affidavit, vous ouvrez la porte à des questions sur d'autres choses, dont le fond du dossier. Si je dis: Ma requête est bien fondée en fait et en droit parce que je dis que l'autre, il a eu des pratiques illégales. Comment ça, des pratiques illégales? C'était quoi, les faits? Quand est-ce que vous êtes allé chez le détaillant? Combien il vous a vendu le produit? Bien, on est rendus dans le fond, ce n'est plus la requête en autorisation, ça.

Rétablir l'interrogatoire, c'est revenir à ça. Il n'y a pas d'intérêt. Les longs débats dont on parle, c'est à ça qu'ils tiennent. Ils tiennent au fait qu'il y a des preuves qui sont demandées, ou qu'on demande au juge de pouvoir soumettre, qui ne sont pas pertinentes, ne sont pas pertinentes au stade de l'autorisation. L'autorisation, c'est très, très limité. L'autorisation, c'est: Est-ce que je peux procéder par ce véhicule-là?

Mme Duchesne (Geneviève): Moi, j'ajouterais...

La Présidente (Mme Thériault): Vous voulez ajouter, Me Favreau?

Mme Duchesne (Geneviève): Me Duchesne.

La Présidente (Mme Thériault): Excusez, Me Duchesne. Excusez-moi.

Mme Duchesne (Geneviève): Bien, ça va. Pas de problème. Oui, il ne faut pas perdre de vue également... Bon, j'ai perdu mes feuilles. Il ne faut pas perdre de vue également que la nouvelle rédaction de l'article 1002, hein, prévoit que le juge peut autoriser la présentation d'une preuve appropriée. Alors, il sera possible malgré tout de procéder à l'interrogatoire, mais de façon circonscrite, c'est-à-dire pour les fins de l'application de l'article 1003 du Code de procédure civile. Donc, cette voie-là n'est pas complètement évacuée.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L'Écuyer: Avec votre permission, quand vous dites que le juge peut permettre la présentation d'une preuve appropriée, est-ce qu'il vous est déjà arrivé dans votre expérience que, dans le cadre de directive d'un juge, conformément au nouveau Code de procédure civile, il vous est demandé un affidavit détaillé sur certains points immédiatement et de procéder à des interrogatoires immédiatement sur la finalité de votre dossier?

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): Non. Dans nos dossiers, on n'a pas vu ça, on n'a pas vu ça encore. On n'a pas vu ça encore, puis j'espère qu'on ne verra pas ça de sitôt, parce que produire un affidavit détaillé à l'appui d'une requête en autorisation, j'ai de la difficulté à voir en quoi un affidavit détaillé pourrait répondre à l'exigence de preuve appropriée, appropriée à la question en litige, c'est-à-dire à la demande d'autorisation strictement.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L'Écuyer: Mme la Présidente, concernant le fonds, vous travaillez souvent avec le Fonds d'aide aux recours collectifs, alors pouvez-vous exposer ici, en commission parlementaire, comment vous procédez avec l'aide du Fonds aux recours collectifs?

La Présidente (Mme Thériault): Oui. Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): C'est drôle, on parlait justement de ça sur le chemin entre Montréal et ici même. Devant le Fonds d'aide, en fait ce qu'on fait, c'est qu'on fait la même... ou presque la même opération de filtrage qui va se faire devant la Cour supérieure. Devant le Fonds d'aide, on va demander leur aide financière, et ce qu'on doit établir devant le Fonds d'aide, c'est: Est-ce qu'on a un recours? Est-ce qu'on a une apparence de droit? Est-ce que ça a du bon sens de faire un recours collectif sur la question qu'on soumet? Est-ce qu'il semble y avoir un groupe? Est-ce que... Les mêmes questions: Est-ce qu'on est un bon représentant? C'est sensiblement les mêmes questions. Alors, ça nous fait tiquer un peu.

Quand on entend des gens qui nous parlent de recours ? comment ils les appellent? ? les recours frivoles, on nous dit que, depuis qu'il n'y a plus d'affidavit, c'est effrayant, les recours frivoles, il y a des recours frivoles dans les recours collectifs. Où ça, des recours frivoles? Première chose, s'il y avait des recours frivoles, la Cour supérieure est là justement pour trancher la question: Est-ce qu'on autorise un recours collectif ou pas? S'il y a des gens qui nous disent qu'il y a plein de recours frivoles qui sont autorisés, ce qu'on nous dit, c'est que la Cour supérieure ne fait pas sa job. Ça, je regarde les statistiques, je regarde les autorisations qui sont accordées, puis à mon avis la Cour supérieure fait sa job. Ils traitent les demandes et les recours qu'ils autorisent, c'est des recours qui ont des apparences de droit.

On nous dit que, depuis qu'il n'y a plus d'affidavit, c'est effrayant, il y a plein de recours collectifs, il y en a plus que jamais. Je réponds à ça: Bien, tant mieux, tant mieux. Les recours collectifs ont été institués pour permettre un accès à la justice. Si ce recours-là est utilisé, c'est parce que ça doit répondre à un besoin. S'il est beaucoup utilisé, c'est parce que la méthode est bonne et que ça permet un bon accès à la justice. Et là je vous parle de dépôt de requête. Est-ce qu'il y a beaucoup de requêtes qui sont déposées qui sont frivoles? Je ne sais pas. Je ne pense pas, je ne pense pas, parce que le juge de la Cour supérieure les entend, puis il les accorde. La grosse, grosse majorité des demandes d'autorisation sont accordées parce que les requérants font preuve qu'ils ont une cause d'action, ils font preuve qu'il y a une apparence de droit assez sérieuse pour procéder avec ce véhicule-là.

Donc, je ne vois toujours pas de problème avec l'absence d'affidavit, au contraire.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez six minutes encore.

M. L'Écuyer: Oui. Merci, Mme la Présidente. On a parlé abondamment de la possibilité d'avoir un recours concernant les SLAPP, alors les gens ont dit: poursuites-bâillons, donc, à ce moment-là, avoir un recours qui s'apparenterait un peu au recours... au Fonds d'aide aux recours collectifs. J'aimerais avoir votre opinion sur cette question-là: Est-ce que c'est possible de faire des aménagements nécessaires pour qu'un fonds similaire au Fonds d'aide aux recours collectifs puisse être aménagé pour parler de Fonds d'aide aux recours antibâillons...

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. L'Écuyer: ...ou à l'aide antibâillon?

n(16 h 40)n

M. Boucher (Marcel): Oui. Vous me demandez s'il est possible de faire ça, de mettre ça en place, j'ai l'impression que vous parlez de plomberie. Je ne sais pas, je ne sais pas, pratiquement, comment ça pourrait être mis en place. Le Fonds d'aide aux recours collectifs a été mis en place... il y a un fonds qui est fourni par le gouvernement, et le Fonds d'aide aux recours collectifs prend un certain montant sur le reliquat, c'est-à-dire l'argent qui reste... qui est versé par les entreprises qui sont condamnées ou qui signent une entente dans le cadre d'un recours collectif, les montants qui restent, qui ne sont pas distribués, le Fonds d'aide aux recours collectifs prend un certain pourcentage là-dessus, a droit selon sa loi de prendre un pourcentage là-dessus, et il peut se financer un peu à partir de ça. Ça, c'est la mécanique que je connais du Fonds d'aide. Est-ce que ça pourrait, est-ce que ça devrait être une mécanique semblable? Celle-là a l'air de fonctionner, quoique le Fonds d'aide n'ait jamais suffisamment de fonds, mais ça, c'est une autre question. J'imagine qu'une mécanique semblable pourrait être pensée, mise en place. Si la loi anti-SLAPP prévoit, par exemple, qu'un poursuivant qui se ferait prendre en flagrant délit de SLAPP doit verser des dommages, pourquoi pas, pourquoi pas, un montant qui serait versé à un fonds pour prévenir les suivants. J'imagine que c'est des choses possibles, mais, comme je vous dis, c'est de la plomberie, ça, je ne me sens pas tellement à l'aise de vous donner des opinions là-dessus.

M. L'Écuyer: D'accord. Mais, avec l'expérience que vous...

La Présidente (Mme Thériault): ...

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Avec l'expérience que vous avez dans le domaine du Fonds d'aide aux recours collectifs, ce fonds d'aide là aide en fait les gens, et il y a quand même une première décision qui est prise au moment même où vous présentez une demande d'aide au Fonds des recours collectifs. Et je lis, dans votre mémoire, en fait: «Si le recours peut être exercé sans sa contribution, il apprécie l'apparence de droit que le représentant du groupe entend faire valoir ainsi que les probabilités d'exercice du recours.» Alors, ces fondements-là pourraient être appliqués, je pense. Les mêmes fondements juridiques pourraient être appliqués éventuellement dans un fonds. Je ne vous dis pas que je suis d'accord avec un fonds, mais éventuellement, dans un fonds, il faudrait au moins qu'il y ait une espèce de premier jet, d'étude avant de se lancer dans la distribution de fonds. Vous êtes entièrement d'accord avec ça?

M. Boucher (Marcel): Oui, oui, absolument.

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): Oui, absolument. Il est clair que, s'il y avait un fonds d'aide en défense pour le SLAPP, il devrait y avoir un examen par le fonds: Est-ce qu'il s'agit d'un SLAPP? Est-ce que ça ressemble à ça? Est-ce que... À première vue, évidemment toujours prima facie, parce qu'ils ne peuvent pas rentrer dans le fond, puis ils ne peuvent pas décider de la cause au moment de l'attribution de l'aide, mais, oui, il y aurait probablement une étape préalable où on devrait établir qu'on répond aux critères d'octroi de l'aide par le fonds.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L'Écuyer: ...Mme la Présidente. Je voudrais quand même vous entendre au sujet des jugements étrangers et de leur implication au niveau d'un jugement qui pourrait être rendu par un juge de la Cour supérieure ici. J'aimerais vous entendre surtout au sujet des motifs chose jugée, ou le dispositif chose jugée.

La Présidente (Mme Thériault): Et, Me Boucher, vous avez deux minutes pour répondre à la question du député.

M. Boucher (Marcel): Je ne suis pas certain de ce que vous voulez entendre. Je vais tenter de répondre, vous me préciserez... ou vous préciserez votre question pour que je puisse y répondre plus clairement.

M. L'Écuyer: Parce que j'ai l'impression que, dans un recours collectif, lorsqu'il y a chose jugée, ça prend identité de cause, identité de partie, identité et motif aussi. Dans certaines occasions, les juges peuvent accorder en fait un retrait de l'action parce qu'il y a motif chose jugée, et on revient au même jugement. Et vous dites que vous aimeriez... En fait, votre souhait, ce serait d'accepter le jugement étranger pour mettre fin à un débat ou bien pour régler une situation. Alors, est-ce qu'il y a une situation de chose jugée ou pas dans ce genre de jugement là, dans ces jugements-là qui sont des jugements étrangers?

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): Là, je pense que j'ai compris. Le problème du jugement étranger, c'est justement la question de la chose jugée. Dans un recours collectif... Le recours collectif, c'est une procédure assez particulière où les demandeurs n'ont pas besoin d'être... pas les demandeurs, mais les gens qui vont être visés par... Un recours, habituellement, là, ne va lier que les parties qui sont présentes à l'action. Si je poursuis ma collègue ici, tous les deux, on va être liés par le jugement, pas vous autres, parce que c'est nous deux qui sommes demandeur et défendeur respectivement. Dans un recours collectif, il y a un requérant, il y a un défendeur, puis il y a tout le reste du monde. Tout le reste du monde, c'est-à-dire tous ceux qui sont définis. Il s'agit de définir, hein? C'est un simple acte de plume, je vais définir, le juge va le redéfinir par la suite, il va dire: Voici le groupe qui est visé. Mais, si je définis un groupe, lorsqu'il va y avoir jugement, tous les gens qui sont inclus dans ce groupe-là par le simple fait de la définition de ce groupe-là, tous ces gens-là sont liés. Il y a chose jugée pour tous ces gens-là, d'où le problème qu'on voit avec les jugements étrangers. Si tous les consommateurs du Québec peuvent être liés par le simple fait que quelqu'un ailleurs, n'importe où, aux États-Unis, en Alaska, n'importe où, quelqu'un va décider que, dans sa définition du groupe, il inclut les consommateurs du Québec, s'il y a jugement là-dessus, on risque de se faire opposer chose jugée. C'est ce qu'il faut tenter d'éviter. Il faut tenter d'éviter que, par l'application automatique de la reconnaissance des jugements étrangers, l'article 3155, les juges n'aient pas assez de marge de manoeuvre pour dire: Non, non, ça n'a pas de bon sens. Ça n'a pas de bon sens que les consommateurs québécois soient liés par ça. Ils n'ont jamais été avisés qu'il y avait un recours. Les conclusions du jugement n'ont pas de bon sens, ou quoi que ce soit. Il faut que les juges aient une plus large marge de manoeuvre pour dire: Ce jugement-là ne va pas lier les consommateurs québécois.

La Présidente (Mme Thériault): Et ceci mettra fin à la période d'échange. Merci. On va aller du côté de la deuxième opposition. M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, Me Boucher, merci de votre présentation. Ça a l'avantage d'être très clair dans un sujet que, bien, vous maîtrisez bien mais qui... Évidemment, ces sujets sont beaucoup réservés à ceux qui pratiquent en cette matière, là, plus particulièrement les recours collectifs, donc. Mais votre présentation avait l'avantage d'être très claire et très pertinente, donc on vous remercie de vos éclairages.

Et, pour revenir, ce que je comprends, c'est que, par rapport au comité qui recommande le statu quo, c'est ce que j'ai compris, vous faites plus référence aux représentations qu'on a eues... qu'on retrouve dans le... entre autres, le Barreau du Québec. Je voyais des modifications assez importantes, qui semblent légères mais, à vous entendre, effectivement qui ont un impact assez important par rapport à la procédure. Et je vais vous les faire préciser parce que c'est un domaine que je connais beaucoup moins que vous évidemment, à vous entendre, donc, mais qui semble très important, alors...

Et, sans vouloir vous faire répéter, ce que je comprends, c'est que vous ne souhaitez pas évidemment le retour de l'affidavit, ce que souhaite le Barreau du Québec, donc qu'il y ait plus d'interrogatoires lors de l'audition de la requête en permission de l'utilisation du recours, c'est ce que je comprends, un. Deux, vous ne souhaitez pas plus non plus... Le Barreau souhaitait aussi la possibilité d'avoir une contestation écrite. Est-ce que cette possibilité est souhaitable? Parce que ce que je comprends, c'est une contestation qui est orale, donc devant le tribunal. Est-ce que vous pensez que c'est une possibilité qui est souhaitable de donner cette occasion-là de contester de façon écrite à l'autre partie?

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): On n'en voit pas l'utilité, on ne voit pas ce que ça ajouterait. Cette proposition-là, comme d'ailleurs la proposition d'accepter ? j'imagine que ça devait être votre prochain point ? ...

M. Bédard: Allons-y sur le deuxième.

M. Boucher (Marcel): ...la proposition d'accepter, si les parties s'entendent, d'accepter une preuve supplémentaire ou des interrogatoires, ou quoi que ce soit... Toutes ces demandes de modification là alourdissent le processus ou sont susceptibles de l'alourdir. Même chose pour la preuve par consentement, on se dit: Bon. Par consentement, les parties sont d'accord pour soumettre une nouvelle preuve. Oui. S'ils ne s'entendent pas, il va se passer quoi? Ça va être contesté, ça va revenir. De toute façon, si les parties ne s'entendent pas sur une partie de la preuve qui a été demandée, il va y avoir une demande. La demande est déjà prévue à 1002 du Code de procédure civile.

L'article dit... Si on le demande, le juge va vous dire: Cette preuve-là, je vous permets de la faire, cette preuve-là, je ne vous le permets pas. Demandons au juge. Le juge est là pour le déterminer et le juge a les critères, le juge a les balises, et ça évite tout ça. De laisser ça entre les mains du juge, ça évite que, par exemple, si une preuve était permise de consentement, automatiquement les parties s'entendent, et on va pouvoir déposer cette preuve-là. Est-ce que, moi qui suis en demande... Le défendeur me dit: Voudrais-tu soumettre telle preuve? Je ne suis pas intéressé, je trouve que ce n'est pas pertinent, mais, bah! je vais la soumettre pareil parce que ça va limiter le débat, puis je vais être sûr qu'il va parler devant le juge pour le demander puis ralentir, et tout ça.

Est-ce que je ne vais pas alourdir le débat en mettant au dossier de la preuve qui n'est pas pertinente, juste pour éviter le trouble? Si c'est le cas, bien on rallonge le débat, je viens de soumettre la preuve sur laquelle il va pouvoir y avoir de la preuve contradictoire, sur laquelle il va pouvoir y avoir des interrogatoires. Ce n'est pas une bonne idée. Il ne faut pas, il ne faut pas alourdir ce processus-là. Ce processus-là...

M. Bédard: ...

M. Boucher (Marcel): Oui, je vous en prie.

n(16 h 50)n

M. Bédard: ...peut-être le mémoire du Barreau: «Plusieurs avocats, agissant tant en demande qu'en défense, ont trouvé à se plaindre du retrait de la contestation écrite. En effet, pour plusieurs, la contestation orale de la requête pour autorisation est susceptible de causer davantage de surprise. L'absence d'une contestation écrite n'est donc pas toujours à l'avantage des demandeurs qui ont intérêt à connaître au plus tôt les moyens utilisés contre eux.» Est-ce que vous êtes en accord avec cette façon de voir? Bien m'expliquer, c'est ça, les désavantages d'utiliser...

M. Boucher (Marcel): Les critères d'autorisation d'un recours collectif sont très simples et très clairs: est-ce qu'il y a une apparence de droit?, est-ce qu'il y a un groupe? et est-ce que, comme représentant, je peux être un représentant convenable? C'est ça, c'est ça qui est à trancher. Quel genre de surprise je pourrais avoir? Quel genre d'argument pourrait m'amener le défendeur pour me dire que je n'ai pas d'apparence de droit, qui me prendrait par surprise? J'ai de la misère à voir, je n'en ai jamais vu.

M. Bédard: ...parce que vous en faites, là.

M. Boucher (Marcel): Je n'ai jamais vu d'argument, je n'ai jamais vu quoi que ce soit qui nous soit opposé en demande d'autorisation et qui soit pertinent aux critères de l'autorisation, qui me prenne par surprise, je n'ai jamais vu ça.

M. Bédard: O.K. Troisième thème, je vais finir là-dessus, sur l'appel, la modification du droit d'appel actuellement, c'est un appel dit droit d'appel asymétrique. Donc, en cas de rejet, il y a un appel de plein droit, c'est ça, de la partie requérante? C'est ce que je comprends. Par contre, dans le cas contraire, s'il y a autorisation du recours collectif, l'autre partie n'a pas de droit d'appel. Le Barreau suggère de leur donner la possibilité, à cette partie qui fait l'objet finalement du recours collectif, d'avoir un droit d'appel sur permission. Qu'est-ce que vous en pensez?

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): Ce que j'en pense... Par principe, a priori, on dirait: Oui, ça peut avoir du sens. S'il y en a un qui a un droit d'appel de jugement, l'autre devrait l'avoir. L'effet de ça évidemment va être de ralentir, ralentir les procédures, parce que, vu le pourcentage de requêtes qui sont autorisées, je présume qu'elles vont toutes être portées en appel. Déjà, les procédures sont longues, ça va rallonger les procédures. A priori, il semblerait logique que les deux parties aient le même droit d'appel. Mais, si on y pense bien, c'est-u si logique que ça?

La demande en autorisation, c'est un filtre, c'est un filtre, il faut que je demande au juge: Est-ce que je peux me servir de ce véhicule-là? En quoi la partie défenderesse, l'intimée est à ce point touchée par ça? Que ce soit refusé, je les comprends, parce qu'il n'y aura pas de recours contre eux, enfin pas de recours collectif, parce qu'il faut garder à l'esprit que, si...

M. Bédard: ...collectif.

M. Boucher (Marcel): Oui, c'est ça, ça met fin au litige, ça évite de l'entreprendre de façon collective. Si c'est un filtre qui est là et que je passe ce filtre-là, pourquoi on devrait continuer à débattre ça, puisque la vraie action va être déposée après? S'il y a des motifs qui disent que je n'avais pas de cause, ils les feront, au fond. Et c'est ce qu'ils feraient de toute façon s'il n'y avait pas cette étape de filtrage là. Je dépose mon recours, ils déposent une défense, puis on va débattre de toutes les questions, et, si je n'ai pas de droit, bien ce sera leur défense, je n'aurai pas de droit puis je vais perdre. Puis, si j'ai des droits, je vais gagner. Il y a une étape supplémentaire qui est, jusqu'à un certain point, à leur avantage. Un juge va devoir évaluer: Est-ce que ça a du bon sens de procéder comme ça, oui ou non?

Alors, pour ne pas éterniser les débats, non, pas de droit d'appel, je maintiens que je ne vois pas l'urgence de ça, parce qu'encore une fois le recours collectif et la procédure d'autorisation qui va le permettre, c'est un mode d'accès à la justice, un mode d'accès à la justice amélioré pour des consommateurs qui n'y auraient pas accès d'autre façon. Vous connaissez le discours, parce que c'est des petits recours, parce que les consommateurs ont peur du système de justice, et tout ça. C'est une voie d'accès. Une fois que cette voie d'accès là est entreprise, la personne qui se la voit refuser, qu'elle ait un droit d'appel, je comprends, ça me semble parfaitement normal et logique. L'autre partie, la partie contre laquelle va être prononcée l'autorisation, ce n'est plus une question d'accès à la justice, là, pour cette partie-là, ce n'est pas pour elle que le recours collectif a été institué.

M. Bédard: Parfait, c'est très clair. L'autre élément, simplement noter, ce que je comprends aussi au niveau du fardeau de preuve, vous êtes aussi en faveur, dans le cadre des poursuites-bâillons, d'un renversement du fardeau de preuve, donc que ce soit la... lors de l'audition, si on choisit la troisième voie, là, donc, dans le cadre du Code de procédure, ou que ce soit par la première, mais vous pensez effectivement qu'il est très utile de renverser le fardeau de preuve, donc que ce soit à la personne qui poursuit de démontrer que son recours n'est pas une poursuite-bâillon finalement, n'est pas utilisé à des fins autres que celui d'obtenir justice.

La Présidente (Mme Thériault): Me Boucher.

M. Boucher (Marcel): Oui. Bien, comme je le mentionnais, le rapport du comité est très, très convaincant sur ce point-là. L'histoire des autorités étrangères nous indique que c'est la voie à suivre. Encore une fois par simple logique, si je dois me défendre d'une poursuite-bâillon qui est entreprise parce que celui qui me poursuit sait que je n'ai pas les moyens de me défendre, si je dois amener la preuve que l'autre me défend par mauvaise foi, ou tout ça, c'est un fardeau que je ne serai pas capable d'assumer de toute façon, et c'est le but... c'est un des buts des poursuites-bâillons. Donc, pour que les lois antibâillons soient efficaces, si on renverse le fardeau de preuve, automatiquement, tu veux faire une poursuite-bâillon, bien tu es pris au départ. Donc, oui, ça me semble efficace, ça me semble simple, et les entreprises qui sont susceptibles de faire des poursuites-bâillons ont les moyens de faire cette preuve-là, si jamais ce n'en est pas une.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, Me Boucher, Me Duchesne, merci beaucoup pour votre présence en commission parlementaire. Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux parlementaires de vous saluer et d'accueillir le groupe ATTAC-Québec.

(Suspension de la séance à 16 h 56)

 

(Reprise à 17 heures)

La Présidente (Mme Thériault): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous entendons le dernier groupe de la journée, ATTAC-QUÉBEC. Donc, M. Jasmin, si vous voulez nous présenter la personne qui vous accompagne. Vous allez avoir une quinzaine de minutes pour présenter votre mémoire, et par la suite il y aura des échanges avec les trois groupes qui sont représentés ici. Bienvenue à l'Assemblée nationale.

ATTAC-QUÉBEC

M. Jasmin (Robert): Je vous remercie beaucoup de me recevoir, nous recevoir. La personne qui m'accompagne cet après-midi, en l'absence de Me Favreau qui n'a pas pu se rendre pour raison de maladie, c'est Me Érik Bouchard-Boulianne, qui, à pied levé, m'accompagne au cas où certaines questions techniques, on pourrait débattre de ces questions-là. Mais j'aimerais tout de suite préciser qu'à ATTAC-QUÉBEC il y a un conseil scientifique formé d'environ 25 personnes, pour la plupart des universitaires, des professionnels. Me Favreau, qui était jusqu'à tout récemment au contentieux de SNC-Lavalin, était la personne qui, dans le conseil scientifique, était la plus compétente et la personne qui a effectivement fait la recherche pour le mémoire, qui en principe aurait dû répondre aux questions plus pointues, plus techniques. Alors, vous excuserez nos limites aujourd'hui.

Tout de suite, quand je vais... je pense, ce qui est important, si je dis un peu ce qu'est ATTAC-QUÉBEC, vous allez tout de suite comprendre, d'une façon presque évidente, à quel point notre groupe est directement interpellé par une législation anti-poursuite abusive. Vous comprendrez que, dans la mission d'éducation populaire qu'on s'est donnée, ça se joint à des actions. D'ailleurs, c'est la quatrième fois que nous comparaissons devant une commission parlementaire, tant à Ottawa qu'à Québec. C'est parmi nos actions que celle de se présenter devant des commissions pour alerter les élus sur certaines anomalies causées par l'économie et le système économique dans lequel on vit, et j'allais dire, qui sévit en ce moment. On n'a qu'à voir ce qui se passe en ce moment aux États-Unis, au niveau de la dérive des institutions financières chez nos voisins, pour dire que, si on n'est pas vigilants, et, même si on l'est, vigilants, on peut subir les mêmes affres que nos voisins sont en train de suivre, et probablement à nos dépens très bientôt.

ATTAC a été fondée justement pour lutter sur le front financier. Étant donné que l'économie mondiale est devenue essentiellement financière et au détriment de l'économie réelle, vous comprendrez qu'il y avait une nécessité que nos positions mondiales se créent à cette dérive mondiale, et ATTAC est un des groupes un peu fer de lance à cause de l'expertise qu'on a développée dans ce domaine-là, notamment ? et là je pense que vous allez voir que notre action a déjà porté fruit dans certains pays, dont la France; notamment ? sur la création de taxes globales. Dans une économie globale, une économie mondiale, il est inadmissible qu'il n'y ait pas une fiscalité mondiale, dans un premier temps, pour réduire le fardeau des pays pauvres, mais, dans un deuxième temps, pour mettre de l'avant une fiscalité qui éviterait cette concurrence fiscale qui nous entraîne constamment vers le bas.

L'encadrement des marchés financiers, c'est une des choses... la réglementation, quand on le disait, il y a sept, huit ans, personne ou à peu près nous écoutait; maintenant, tout le monde n'a que ça à la bouche, avec ce qui est en train de se produire chez nos voisins.

L'élimination des paradis fiscaux, c'est une tâche primordiale et qui nous apparaît essentielle pour assainir le climat frauduleux dans lequel toute l'économie est en train de glisser. En somme, c'est une économie au service des citoyens et non pas une économie qui tourne pour elle-même.

Alors, vous comprendrez que cette simple description de la mission qu'on s'est donnée nous expose, d'une façon assez évidente, à des poursuites. Il s'agit simplement d'imaginer comment des associations citoyennes ? et ça a été le cas aux États-Unis ? qui ont les premiers sonné l'alarme contre cette politique des banques, politique qui faisait en sorte qu'on permettait des hypothèques à des personnes non solvables et qui aboutit à la situation dramatique qu'on vit actuellement... Imaginez, par exemple, qu'on s'en prenne aux banques, aux institutions financières qui font directement affaire avec les paradis fiscaux, où règne l'évasion fiscale, où règne la criminalité financière, pour qu'on puisse essayer de nous faire taire éventuellement. Donc, je n'élaborerai pas là-dessus parce que ça me paraît tellement évident qu'on peut passer directement au coeur de la situation.

Je vous ferai remarquer dans un premier temps que vous allez avoir la chance, on m'a dit, le 8 avril, je pense, d'entendre et de prendre connaissance d'un très riche mémoire qui a été déposé par la Ligue des droits et libertés. J'aimerais tout de suite vous dire que nous travaillons très souvent étroitement avec la Ligue des droits et libertés et nous souscrivons entièrement au mémoire. Je pense que c'est à noter pour qu'on puisse simplement enrichir le nôtre du leur, parce qu'évidemment nous avons fait un mémoire assez succinct et qui va directement à certains points de procédure. Mais, quant au fond, on s'en remet à l'analyse au niveau historique puis au niveau des précédents puis au niveau des exemples qui existent, un peu partout au Canada, aux États-Unis et dans le monde, qui sont cités dans le très riche mémoire de la Ligue des droits et libertés.

Ce que nous demandons, c'est essentiellement une clarification, identification surtout de ce que sont ces poursuites abusives, à l'intérieur du Code de procédure civile, de façon à ce qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Ce qu'on demande aussi, c'est de retirer aux grandes sociétés, aux grandes corporations le droit de poursuivre en libelle diffamatoire.

n(17 h 10)n

Il y a évidemment une tradition juridique, qui remonte à un jugement de la Cour suprême aux États-Unis, je crois que c'est en 1826, où, pour la première fois, on a décrété que les corporations avaient les mêmes droits que toute personne, ce qui nous semble une aberration et qui a conduit, qui a conduit aujourd'hui à un déséquilibre incroyable au niveau des forces en présence, les forces sociales en présence. Il nous apparaît abusif de traiter les corporations comme de simples citoyens. Avec ce qui s'est développé depuis 20, 25 ans, avec les fusions, avec la libéralisation tous azimuts de cette économie qui a mis à l'avant-scène des décideurs autoproclamés, dangereux pour la démocratie, on se dit qu'il faut faire attention de plus en plus parce qu'à certains égards les États se sont affaiblis, dangereusement affaiblis au profit de dirigeants financiers non élus, ce qui met la démocratie en danger. Alors, il faut, à un certain moment, utiliser des exemples comme le dossier qui est devant nous pour montrer que la démocratie, c'est avant tout le pouvoir des élus, des États. Mais, en corollaire de ça et a contrario, quand les États ne prennent plus leurs responsabilités, ou quand les États se délaissent... délestent un peu trop de leur capacité d'intervenir, il se passe ce qui se passe de plus en plus, c'est que des groupes de citoyens prennent à leur charge ce qui normalement devrait être fait par l'État, avec les moyens qui sont inférieurs à ceux dont l'État dispose et jamais avec nécessairement toute l'information. Donc, si des groupes citoyens décident de prendre en charge la moralité financière ou la sauvegarde de l'environnement, il ne faudrait pas que ces groupes citoyens, qui font marcher la démocratie, qui aident à la démocratie à s'exprimer, il ne faudrait pas que ces gens-là aient peur de le faire. Et je crois que le possible... même si le Barreau n'est pas convaincu de ce danger imminent, il ne faudrait pas attendre trop tard pour intervenir.

Donc, cette législation nous apparaît essentielle pour envoyer un message très clair aux dirigeants des grandes corporations pour dire que, s'ils ont des gestes à poser, qu'ils ne peuvent pas se fier à simplement des actes qui pourraient faire taire tout simplement les gens simplement parce que ces gens-là disposent de moyens financiers faramineux.

Je vais peut-être m'arrêter ici, d'une certaine façon, parce que peut-être que vous avez des questions sur le tableau que je viens de dresser, quitte à revenir sur certains point précis de notre mémoire.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Jasmin. Donc, sans plus tarder, nous allons aller avec le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques. M. le ministre.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Favreau, M. Bouchard-Boulianne?

M. Jasmin (Robert): ...

M. Pelletier (Chapleau): Pardon?

M. Jasmin (Robert): M. Favreau est absent.

La Présidente (Mme Thériault): Me Jasmin...

M. Pelletier (Chapleau): M. Jasmin?

M. Jasmin (Robert): Oui.

M. Pelletier (Chapleau): Pardon, M. Jasmin.

M. Jasmin (Robert): De rien.

M. Pelletier (Chapleau): Merci de votre présentation. J'ai noté, dans votre mémoire, que vous proposez le retrait du droit des corporations de poursuivre en libelle diffamatoire les ONG et des individus. Et dans le fond ça pose la grande, grande, grande question: Est-ce qu'il peut y avoir de la diffamation contre des corporations? Est-ce que les corporations doivent vraiment être, si je peux dire, sans moyen, sans recours pour se défendre dans des situations où il y aurait de la diffamation par rapport à leurs activités, à leur nom, à leur raison sociale, finalement? Je trouve que... je ne vois pas la justification a priori. D'ailleurs, cette proposition-là voulant qu'on retire aux corporations le droit de poursuivre en libelle diffamatoire, j'aimerais vous entendre là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Me Jasmin.

M. Jasmin (Robert): J'avoue très honnêtement que c'est une question qui est discutable, mais ce qui nous porte à proposer cette interdiction ou ce retrait de droit aux corporations, c'est qu'on se dit: Les corporations posent des gestes dans leurs activités; ces gestes-là sont soumis aux devoirs... les corporations doivent être capables de prouver, à n'importe quel moment, que le geste qu'ils posent ne vient pas à l'encontre des droits, ou à l'encontre des lois, ou de la santé publique, ou des droits des citoyens.

Je veux dire par là qu'en partant les forces sont inégales, et, si, par exemple, je dis que la chaîne des restaurants McDo agit de telle façon au niveau mondial ? et, «mondial», ça inclut ici ? de faire une propagande au niveau de la façon de se nourrir qui implique une dégradation de l'environnement, bon, puis une dégradation majeure, j'affirme cette chose, McDo peut tout de suite dire: Je te poursuis pour diffamation. Et cette possibilité de le faire, c'est justement là où les citoyens se trouvent en situation d'obligation de se défendre. La preuve est facile à faire, mais la seule poursuite en diffamation à chaque fois qu'une chose n'est...

Puis, les individus le font. Vous savez que souvent les individus vont poursuivre en diffamation simplement pour réduire la portée d'une déclaration; juste le seul fait de se défendre, ça annule un peu la déclaration qui a été faite. Mais, si une corporation comme McDo se faisait traiter de corporation coupable de dégradation grave de l'environnement, il est extrêmement facile de faire la démonstration, mais là, au lieu de faire un débat sur la place publique, ils nous traînent devant un tribunal, ce qui est tout à fait différent. Mais, sur la place publique, il est façon de dire que... de forcer des Asiatiques à manger du boeuf, alors qu'ils n'en ont jamais mangé, ça veut dire saccager des forêts au Brésil et ça veut dire dégrader l'environnement par l'accroissement des troupeaux bovins, qui à plusieurs égards sont une catastrophe pour la planète.

Alors, en quelques phrases, j'ai fait mon point, là; c'est un exemple. Il est facile de dire que les paradis fiscaux déséquilibrent l'économie mondiale et de dire qu'une banque canadienne est complice de cette dégradation de l'économie en ayant une filiale aux îles Caïmans ou à la Barbade, mais, aussitôt qu'on dit que, parce que j'ai dit qu'ils se faisaient complices de criminels, la banque me poursuit en diffamation... ou plutôt me poursuit sur la base que je l'ai diffamée, je suis absolument paralysé dans tout ce que j'ai à faire. C'est dans ce sens-là un peu qu'on se dit qu'aussitôt qu'on laisse la porte ouverte à la diffamation c'est ce qui risque d'arriver.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. C'est beau? Merci. Donc, nous allons aller maintenant du côté de l'opposition officielle avec le député de Saint-Hyacinthe.

n(17 h 20)n

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, Me Jasmin, Me Bouchard-Boulianne, ça fait me plaisir de vous recevoir ici, en Commission des institutions. Et plus particulièrement, simplement pour continuer un peu au sujet du libelle diffamatoire, ce droit-là, quand même, de notre Code civil est assez restreint, tu sais. Il y a quand même un délai très court pour pouvoir poursuivre; on parle d'une année. Et aussi on parle des articles du code, 75.1, après un interrogatoire, pour être en mesure de valider ou de tester dans le fond une poursuite en libelle diffamatoire. Il y a aussi l'article 46 du Code de procédure civile. Vous ne croyez pas qu'avec en fait cette batterie... en fait ces articles-là à l'intérieur du Code de procédure civile, il n'y a pas quand même une garantie qui est donnée aux citoyens face à une procédure qui est libelle... en fait une procédure de libelle diffamatoire qui peut être frivole?

M. Jasmin (Robert): Écoutez, moi, je pense qu'il y aurait peut-être une façon de contourner une interdiction... Je réfléchis avec vous, là, en ce moment: il y a peut-être une façon de contourner une interdiction pure et simple de poursuite en libelle diffamatoire. Il s'agirait de prévoir ce qui est arrivé, au niveau du tribunal européen, quand effectivement deux citoyens d'Angleterre ont parlé... ou ont distribué des tracts contre la chaîne McDo ? McDo mondial et McDo Angleterre. Ces gens-là ont été condamnés à une peine incroyable, c'étaient deux personnes qui n'étaient absolument pas solvables sur le plan personnel. Ils ont été condamnés par les tribunaux. C'est allé en appel jusqu'au tribunal européen, qui a renversé les autres décisions et qui a même donné à ces citoyens-là un dommage causé par la batterie incroyable d'avocats de McDo.

Si on prévoit des mesures compensatoires en cas de dommage suite à des poursuites, à ce moment-là on pourrait éventuellement se passer d'une telle interdiction, mais c'est un exemple. Ce que je vais dire, c'est que le but de tout l'exercice, quelle que soit la technicalité que bien des juristes sont capables de mener à bon port, il faut absolument que tout ça soit très clair, que le message juridique soit lancé aux grandes corporations pour dire: Attention, les citoyens ont un droit, et les corporations, parce qu'elles se targuent toujours de dire qu'elles sont là pour le développement, mais vous ne les entendrez jamais dire: Nous sommes là pour le bien commun, mais pour un type de développement, mais pour que ces corporations-là reçoivent le message très clair que, si elles emploient le chemin des poursuites abusives, c'est un cul de sac et qu'elles risquent de payer.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L'Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Je reviens. Dans le fond, ce que vous m'annoncez, c'est que vous plaidez la recommandation 3, en ajoutant une définition aussi large que possible du SLAPP, incorporant, entre autres, les mots suggérés dans le rapport d'experts commandé. Et ce que je dois comprendre de la recommandation 3, c'est que, 75.1 et 165, vous acceptez dans le fond les modifications à 75.1 et 165, et de plus vous aimeriez une définition, la plus large possible, de SLAPP, c'est-à-dire une poursuite-bâillon. C'est ça que je dois comprendre au niveau de votre recommandation 3?

La Présidente (Mme Thériault): Me Jasmin.

M. Jasmin (Robert): Exactement.

M. L'Écuyer: O.K.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L'Écuyer: En ce qui concerne votre recommandation 4: «Qu'en cas de SLAPP, les règles de la preuve soient modifiées afin de permettre au défendeur d'alléguer et de produire copie certifiée de tout jugement de culpabilité à une infraction pertinente commise par la demanderesse», ça, je vais vous dire, j'ai un peu de difficulté à vous suivre sur cette recommandation-là, et j'aimerais avoir de plus grandes explications concernant cette recommandation 4, là.

La Présidente (Mme Thériault): Me Jasmin.

M. Jasmin (Robert): Ce qu'on m'a rapporté ? et c'est là qu'on voit que, si Me Favreau était ici, là, c'est lui qui a fait la recherche ? c'est qu'on avait refusé qu'on allègue une condamnation, et, si ma mémoire est bonne, c'est dans le cas de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique. La multinationale qui avait attaqué cette association... et, au moment où l'association ? mais je le dis pour les besoins de l'histoire ? ça a été le premier groupe à sonner la sonnette d'alarme. Et, dans la conférence de presse qu'ils ont faite à l'époque, lors de cette poursuite qui les a littéralement lessivés et paralysés, une association de citoyens qui ? leur réputation est déjà faite d'ailleurs, elle n'est plus à faire ? lutte vraiment pour des questions d'environnement, ATTAC-QUÉBEC était présent à la conférence de presse, on était solidaire de l'association. Mais, justement, dans ce cas-là, si ma mémoire est bonne, la multinationale avait été condamnée, mais cette condamnation, dans un... précédemment. Cette condamnation n'avait pas été retenue par le tribunal parce qu'il ne s'agissait pas d'un aveu, et on ne retenait que l'aveu. Alors, ce qu'on dit, nous, c'est que toute condamnation, quelle qu'elle soit, puisse être soulevée devant le tribunal dans le cas d'une poursuite abusive.

M. L'Écuyer: Une dernière question concernant le... Vous avez parlé de délestage, à un moment donné. Il faut faire attention que le gouvernement en place ne soit pas... je ne peux pas dire permissif... ou soit un peu plus renforcé, se renforcer dans cette situation-là.

Concernant le renforcement du ministère du Développement durable et de l'Environnement, croyez-vous présentement que le nombre d'inspecteurs est suffisant pour faire face à la situation qu'on peut présentement vivre ici, au Québec?

M. Jasmin (Robert): Je ne répondrai pas comme un expert, mais je vais répondre comme un citoyen relativement informé. Avec ce qui s'en vient comme dangers tous azimuts pour l'environnement, je crois que le nombre d'inspecteurs, c'est comme la ligne d'horizon. Le bon nombre, on ne l'atteindra jamais, mais il faudrait y arriver, il faudrait marcher vers cette ligne, parce que je pense que les dangers vont aller en s'accroissant d'une façon géométrique. Et je pense que le bien commun exigerait de l'État une plus grande vigilance, mais non seulement une plus grande vigilance, mais une législation beaucoup, beaucoup plus forte.

C'est tout le débat qui ne devrait pas exister et qu'on met en opposition, c'est-à-dire l'écologie et l'économie. Pour nous, c'est le plus grand débat à l'heure actuelle. Je vous dis ça parce que, même à l'intérieur des rangs d'ATTAC-QUÉBEC, il y a eu un débat à l'effet qu'on devrait délester les questions financières pour aller vers les questions les plus graves, les plus immédiates au niveau économique. Et c'est cette opposition qu'on fait et malheureusement qu'on entend trop souvent dans la bouche des élus. On les comprend, parce que l'élu est entre l'écorce et l'arbre dans ce domaine-là, parce que d'un côté il y a l'économie, puis on met en opposition l'écologie, et on dit: C'est bien beau, l'écologie, mais il y a le développement économique. Mais, attention, le développement économique, dans un contexte de dégradation de la planète, ce n'est que pelleter de la neige en avant, le problème va aller en s'accroissant et, pour les générations futures, ça va être encore plus dramatique. Donc, pour revenir à votre question précise, je ne pense pas qu'il y ait jamais assez d'inspecteurs dans ce domaine-là.

M. L'Écuyer: Merci, Me Jasmin.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. C'est beau?

M. L'Écuyer: Oui, merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Je vais aller maintenant du côté du deuxième groupe de l'opposition. M. le député de Chicoutimi.

n(17 h 30)n

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, Me Jasmin, Me Bouchard, c'est ça?, alors, merci de votre présentation, et je suis heureux de vous retrouver ici sur des questions aussi importantes.

Peut-être plus techniquement, en étant conscient des limites, vu que Me Favreau n'est pas présent, mais, pour revenir sur la question des condamnations pénales, effectivement ce sujet est pertinent, parce que quelqu'un invoque la protection de sa réputation et, quand ce quelqu'un est en plus une corporation, donc... Et normalement ce que je connais de la preuve en matière de diffamation, mais ce n'était pas mon domaine de pratique... D'ailleurs, vous le savez bien, mon domaine de pratique, j'ai plaidé devant vous à cette époque-là.

M. Jasmin (Robert): Pour la petite histoire, c'est que...

M. Bédard: Oui, effectivement.

M. Jasmin (Robert): Je reconnais...

Une voix: ...

M. Jasmin (Robert): C'est parce que j'étais... Non, c'est parce que...

M. Bédard: Non, pas à cette époque-là. Nos causes sont liées.

M. Jasmin (Robert): Écoutez, c'est parce qu'en fait, pour expliquer le tout, c'est que j'ai été 16 ans commissaire du travail, donc il y a plusieurs avocats qui ont plaidé devant moi. Et ce qui démontre ma limite, parce que j'ai été tellement spécialisé qu'il y a beaucoup de choses qui sont très, très loin dans ma carrière, comme, entre autres, la diffamation.

M. Bédard: Alors, ça adonne bien, parce que j'ai le même problème que vous ici. Mais, en matière de diffamation, il me semblait que la preuve de protection de sa réputation demandait une grande ouverture de la part du tribunal quant aux preuves qui allaient contre cette réputation. Et ce que je comprends, et c'est pour ça que j'aimerais être documenté ? si ce n'est pas tout de suite, vous savez, on a bien le temps parce que le projet de loi va arriver plus tard ? mais effectivement que certains tribunaux n'ont pas admis, dans le cadre des débats sur, je vous dirais... d'attaques en diffamation finalement, de preuve en ce qui concerne des condamnations antérieures autres qu'évidemment par aveu, donc par reconnaissance de culpabilité, que des tribunaux ont refusé le dépôt de telle preuve. C'est ce que vous nous confirmez. Et ce que je souhaiterais, c'est peut-être avoir ces décisions des tribunaux qui nous permettraient d'être plus à même de juger. Parce que ça me surprend moi-même que, dans le cadre de débats contradictoires en diffamation, on n'ait pas permis le dépôt d'une telle preuve.

M. Jasmin (Robert): Oui. J'y vais de mémoire, là. Dans le cas de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, il y a effectivement eu une poursuite, mais il n'y a jamais eu de décision d'un tribunal. Je ne sais pas si...

M. Bédard: Je pense qu'il y a un règlement. Il y a un règlement, effectivement.

M. Jasmin (Robert): Il y a eu un règlement, il y a eu un règlement. Effectivement, puis je fais une petite parenthèse, il y a effectivement eu un règlement, mais après combien de dommages? Parce que je sais qu'il n'y a plus rien qui fonctionnait dans cette association-là. Toutes les énergies, toutes leurs maigres finances est passé à travers cette lutte juridique, donc paralysie totale de cette association-là. Je ferme la parenthèse.

Et je crois que c'est dans le cours de la poursuite qu'on n'admettait pas cette condamnation que la multinationale avait déjà subie, une condamnation qui était à partir de questions d'environnement justement, qui avait déjà été condamnée pour avoir contrevenu à un règlement sur l'environnement ici, au Québec.

M. Bédard: Je vais le vérifier avec l'AQLPA, je pense, c'est ça. Alors, je vais le vérifier. Ils sont passés devant nous, c'est dommage, ils sont passés plus tôt, dans les premiers.

M. Jasmin (Robert): Ah, ils sont passés? Ah bon!

M. Bédard: Oui, oui, ça a été dans les premiers mémoires qu'on a eus.

M. Jasmin (Robert): Mais, si ma mémoire est bonne, là, j'y vais encore de mémoire, mais là, mémoire pour mémoire, là, c'est pour ça que je vous référais au mémoire de la Ligue des droits et libertés, parce que, dans le domaine du relevé de la jurisprudence, ils ont été aidés par des chercheurs de l'UQAM, je crois. Et c'est dans ce sens-là que je dis que leur mémoire est extrêmement complet et qu'il va sûrement vous éclairer beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. Bédard: Merci. Autre élément, j'ai bien pris note, évidemment dans le rapport puis aussi dans votre mémoire, de l'exception de l'État du South Australia pour empêcher les sociétés commerciales de 10 employés ou plus du droit de poursuivre en libelle diffamatoire. Depuis ce temps, c'est la seule exception qu'on connaît effectivement? Est-ce que vous avez eu connaissance de cette modification législative qui a dû soulever beaucoup de...

M. Jasmin (Robert): Non, non.

M. Bédard: Non, à l'époque? Au point 3.5, vous aviez une crainte quant au fait de l'utilisation de l'article 75.1 ou 165, quant aux requêtes pour rejet d'action, là, où la jurisprudence effectivement était très restrictive, où la personne devait démontrer qu'il n'y avait vraiment aucune apparence de droit. Je tiens à vous rassurer sur une chose, si on propose un renversement de fardeau, un peu comme on voit en droit du travail, donc les groupes ont à faire la preuve d'éléments simples: prima facie, par exemple, qu'ils sont une organisation d'intérêt public, qu'ils luttent en matière environnementale, qu'ils ont fait des déclarations dans le cadre d'un débat d'intérêt public et qu'ils sont l'objet d'une poursuite en diffamation, en libelle ou d'autre nature apparentée, là, et qu'à partir de ce moment-là le fardeau de preuve reposerait sur le demandeur de démontrer qu'il ne s'agit pas finalement d'une poursuite-bâillon, donc qu'il aurait vraiment le fardeau, par prépondérance de preuve, de démontrer, un peu comme les congédiements, comme on voyait, là, pour activités syndicales. Donc, est-ce que vous pensez que ce serait de nature justement à rééquilibrer les forces?

M. Jasmin (Robert): Oui, ça pourrait être une... Je pense que, par analogie, l'analogie est bonne, et ça pourrait être une façon de régler le problème. Mais peut-être que, là aussi, c'est une technicalité juridique, de dire qu'il n'est pas nécessaire que ce soit hors de tout doute raisonnable, là, ou d'une égale force, c'est déjà beaucoup. Mais je pense qu'un renversement du fardeau de la preuve à partir d'éléments qui seraient quand même à exposer...

M. Bédard: ...prima facie, mais, bon, on est une organisation, c'est relativement simple à démontrer qu'on est intervenu dans le débat public. Ça prend un communiqué que...

M. Jasmin (Robert): Oui, ça ne prend pas grand-chose, hein?

M. Bédard: Oui, pour faire en sorte finalement que la preuve soit assez légère à faire pour le groupe qui est victime du SLAPP et que l'autre partie, qui a plus de moyens dans tous les cas, là, ou presque, là, elle, elle ait vraiment un fardeau plus grand à rencontrer donc, et elle-même connaît les causes qui justifient sa requête en diffamation. Donc, à ce moment-là, le juge aurait un peu plus de latitude, il serait plus autorisé à suspendre ou empêcher quelqu'un d'avoir accès aux tribunaux, parce que c'est quand même assez exceptionnel dans notre droit, aux étapes préliminaires, d'empêcher quelqu'un, malgré une apparence de droit... de le priver d'un accès aux tribunaux.

M. Jasmin (Robert): Oui, et c'est curieux, parce qu'en vous écoutant je me remémore un chercheur de l'UQAM qui nous a informés, suite à des recherches, que certaines compagnies minières canadiennes, dont certaines québécoises... Parce qu'on voit toujours la chose ici, hein, on voit la chose telle qu'elle se déroule chez nous, mais il y a de nos compagnies minières qui sévissent en Afrique d'une façon terrible. Alors, si, par exemple, suite à des recherches, on apprend qu'une compagnie minière fait en même temps le commerce d'armes pour nourrir des conflits au Congo, qui font en sorte que le prix du métal monte à cause des problèmes de guerre internes, si on fait cette démonstration-là, on peut avoir des éléments suffisamment importants pour le dire sur la place publique.

M. Bédard: Mais en faire la preuve, c'est une autre chose, là.

M. Jasmin (Robert): En faire la preuve, c'est une autre chose, mais on peut mettre le débat sur la place publique.

M. Bédard: D'ailleurs, j'avais vu un reportage, et là c'est public, à RDI, je me souviens, sur le diamant, entre autres au Congo, voilà, où les gens alimentaient les conflits et qui créaient artificiellement la montée des prix. Mais, encore là, c'est que tu peux le réécouter dans un reportage, mais tu ne peux pas déposer en preuve le reportage.

M. Jasmin (Robert): Non, non.

M. Bédard: C'est ça qui est compliqué pour ces groupes qui auraient de telles prétentions, là.

M. Jasmin (Robert): C'est ça.

M. Bédard: Alors, je vous remercie. En tout cas, ça élargit le débat effectivement et de voir que... Seulement votre illustration quant au droit à la protection de la réputation des sociétés était assez éloquente effectivement, et je pense que c'est à nous de faire en sorte justement que ceux et celles qui décident de militer dans des groupes de défense en environnement aient tous les moyens... pas les moyens, mais au moins la quiétude de pouvoir le faire sans être l'objet d'une poursuite qui a des effets financiers mais aussi, on a vu, les gens sont même venus témoigner, personnels directs. Donc, cette préoccupation-là, je pense que vous l'avez bien témoignée, puis on vous en remercie.

n(17 h 40)n

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Jasmin, Me Bouchard-Boulianne. Avant d'ajourner les travaux et de permettre à mes collègues d'aller vous remercier, je vais vous remercier, mais j'ai un petit message à passer pour les membres de la Commission des institutions: tout simplement vous remémorer que la mère du Code civil, Me Marie-José Longtin, prend sa retraite, et, puisqu'elle a travaillé beaucoup avec certains membres ici, je voulais vous aviser qu'il y a une réception en son honneur au restaurant Le Parlementaire. Donc, si vous voulez aller la saluer, gênez-vous pas. Et je vais me faire le porte-parole des membres de la Commission des institutions pour lui souhaiter de profiter largement de cette retraite qui est fort bien méritée.

Donc, sur ce, j'ajourne les travaux au jeudi 20 mars, à 9 h 30. Et merci encore de votre parution en commission parlementaire. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 41)


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