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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Wednesday, April 15, 2015 - Vol. 44 N° 30

Special consultations and public hearings on the draft regulation concerning the Regulation respecting change of name and of other particulars of civil status for transsexual and transgender persons


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Table des matières

Remarques préliminaires

Mme Stéphanie Vallée

Mme Carole Poirier

Mme Nathalie Roy

Le président, M. Gilles Ouimet

Auditions

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

Centre de lutte contre l'oppression des genres

Aide aux trans du Québec (ATQ)

Document déposé

Coalition Jeunesse montréalaise de lutte contre l'homophobie (CJMLH)

AlterHéros

Autres intervenants

M. Jean-François Lisée

Mme Manon Massé

Mme Sylvie D'Amours

M. Jean Boucher

*          M. Jacques Frémont, CDPDJ

*          Mme Renée Dupuis, idem

*          Mme Claire Bernard, idem

*          Mme Gabrielle Bouchard, Centre de lutte contre l'oppression des genres

*          Mme Monica Bastien, ATQ

*          M. David Mein, CJMLH

*          Mme Sophie Labelle, idem

*          M. Esteban Torres, idem

*          Mme Julie-Maude Beauchesne, AlterHéros

*          Mme Caroline Trottier-Gascon, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente-trois minutes)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Bonjour à tous, prenez place. Et, puisque nous avons quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Veuillez, s'il vous plaît, vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode silencieux pour ne pas perturber nos travaux.

Alors, je souhaite la bienvenue à tous et à tous les téléspectateurs à la séance de la commission, qui est réunie afin de tenir des consultations particulières et des auditions publiques sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme D'Amours (Mirabel) remplace M. Martel (Nicolet-Bécancour).

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Alors, bonjour à tous les collègues, bonjour, Mme la ministre, que nous recevons encore une fois avec beaucoup de plaisir à la Commission des institutions, bonjour au personnel et aux gens qui vous accompagnent. Bienvenue à la commission.

Remarques préliminaires

Nous allons entreprendre tout de suite nos travaux par les remarques préliminaires. Et, Mme la ministre, vous disposez de six minutes pour vos remarques préliminaires. À vous la parole.

Mme Stéphanie Vallée

Mme Vallée : Alors, merci M. le Président. C'est un plaisir de vous retrouver et de retrouver l'équipe de la Commission des institutions. J'en profite pour saluer les collègues, avec qui on a une habitude de travail qui est toujours agréable.

Je tiens, d'entrée de jeu, aussi à remercier les 18 organismes qui se joindront à nous au cours des prochains jours pour participer avec nous à cette grande consultation. Je l'appelle grande consultation parce que le Québec avance, fait des avancées continues dans la question des droits de la personne et je considère que ce que nous nous apprêtons à faire aujourd'hui constitue une démarche très importante dans ce sens.

Alors, au cours des prochains jours, des experts, des organismes communautaires et la commission des droits de la personne et de la jeunesse, bref, viendront nous parler et nous feront part de leurs commentaires suite à un projet de règlement, et je dis bien «un projet de règlement» parce que l'objectif de la consultation, c'est d'entendre, et d'écouter, et éventuellement de bonifier un projet de règlement qui a été soumis à la consultation, et un projet de règlement qui s'inscrit dans le cadre de modifications importantes qui ont été apportées par mon prédécesseur, je tiens à le souligner, Bertrand St-Arnaud, qui a apporté des modifications importantes au Code civil en matière d'état civil, en matière de succession, en matière de publicité des droits, et ce projet de loi a été sanctionné le 6 décembre 2013. Et l'exercice d'échange auquel nous collaborons aujourd'hui va contribuer à enrichir, et à donner suite... et à mettre en oeuvre le projet de loi adopté par l'Assemblée le 6 décembre 2013. Les enjeux que nous abordons sont des enjeux importants, et nous sommes ici pour en discuter dans le cadre de dialogues constructifs comme la Commission des institutions sait si bien le faire. Et je tiens encore une fois à souligner que nous sommes en mode écoute. Parce que j'ai lu les mémoires, et parfois les gens, les organismes soumettent des mémoires et pensent que nous consultons pour la forme. Je tiens à souligner et à resouligner que nous sommes bel et bien en mode écoute.

J'aimerais remettre aussi en contexte pour ceux et celles qui se joignent à nous... Alors, vous savez, le Québec figure parmi les nations précurseures au chapitre des droits et libertés de la personne, et ça, sans égard à l'orientation des personnes et sans égard à leur identité de genre, mais, malgré ça, et jusqu'à tout récemment, les personnes trans se heurtaient à des obstacles administratifs, surtout lorsqu'elles souhaitaient faire modifier leurs documents d'état civil, en raison de certaines dispositions du Code civil. Des pas importants ont été franchis, et on souhaite poursuivre dans ce sens-là. Et la loi qui a été sanctionnée en décembre 2013 prévoit que le Directeur de l'état civil est dispensé de publier un avis lorsqu'il autorise un changement de prénom ou un changement de la mention du sexe à l'acte de naissance. Les articles concernant cette dispense sont en vigueur depuis le 1er mars 2014. Et la loi a aussi modifié le Code civil afin de permettre le changement de la mention du sexe sur un acte de naissance sans avoir à subir de traitements médicaux ou d'interventions chirurgicales, des interventions de réassignation. Alors, pour ce faire, il faut qu'un certain nombre de conditions prévues au Code civil et au règlement soient satisfaites. Ce sont sur ces conditions prévues au règlement que vont porter les présentes consultations. Alors, je tiens à le rétablir, puisqu'il ne s'agit pas d'une consultation portant sur les modifications au Code civil, mais bel et bien sur le projet de règlement prévoyant les conditions permettant la mise en oeuvre des dispositions adoptées. Il nous reste encore du chemin à faire pour permettre aux personnes trans d'exercer leurs droits, et je suis persuadée que les travaux de la commission sauront nous faire avancer.

En terminant, M. le Président, nous avons ensemble un objectif d'atteindre un équilibre délicat, un équilibre délicat entre l'exercice des droits des personnes trans et la stabilité des actes de l'état civil. C'est un équilibre qui doit être atteint sans sacrifier l'accessibilité et la rapidité du processus de changement de nom... de changement de la mention de sexe, pardon, dans le respect des uns et les obligations des autres. Notre ouverture d'esprit permettra de concilier, j'en suis certaine, ces deux éléments.

Alors, je suis confiante que l'exercice de consultation saura nous faire progresser collectivement vers cette quête de l'égalité sociale pour toutes les Québécoises et pour tous les Québécois, sans égard à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre. C'est par la richesse de nos échanges que nous contribuerons ensemble à bâtir cette société toujours plus ouverte et plus inclusive à laquelle nous aspirons toutes et tous. Je vous remercie.

• (11 h 40) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie, Mme la ministre. Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, porte-parole de l'opposition officielle en cette matière, pour vos remarques préliminaires.

Mme Carole Poirier

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Effectivement, il y a un quatuor de députés qui se réunissent sur différents sujets qui commence à avoir l'habitude de travailler ensemble et qui, je dois le reconnaître, est fort productif. Alors, ça, il faut le reconnaître.

Alors, nous sommes réunis aujourd'hui pour étudier et surtout entendre ce que les groupes ont à nous dire sur la proposition de règlement du gouvernement. On sait qu'à l'heure actuelle les personnes transgenres et transsexuelles sont obligées de publier, dans un journal et à la Gazette officielle, le fait qu'elles demandent au Directeur de l'état civil le changement de leur prénom. Cette obligation de publication les force donc à révéler publiquement leur situation, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives pour ces personnes. La loi n° 35 qui est venue modifier le Code civil, par mon collègue Bertrand St-Arnaud, a été adoptée en décembre 2013 pour pallier à certaines difficultés vécues par les personnes transgenres et transsexuelles.

Alors, nous sommes aujourd'hui réunis sur un fait : il y a une modification au Code civil. Nous devons trouver les modalités d'application de cette nouvelle règle de notre Code civil, et, comme la ministre, nous serons, au Parti québécois, à l'écoute de ce que les groupes nous présentent à l'intérieur des mémoires, qui sont fort intéressants. Et nous n'avons pas, à ce moment-ci, de préjugé sur l'issue de ce règlement, nous voulons être en mode écoute et en mode travail pour trouver le meilleur règlement qui pourra faire en sorte que les personnes qui souhaitent, justement, obtenir une reconnaissance puissent l'avoir dans les meilleures conditions possible. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Merci, Mme la députée. Je me tourne maintenant vers la deuxième opposition, Mme la députée de Montarville, pour vos remarques préliminaires, en mentionnant que vous disposez de 2 min 30 s pour ces remarques.

Mme Nathalie Roy

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Alors, j'aimerais à mon tour saluer la ministre, les députés du gouvernement, les députés de la première opposition, le personnel de la commission et surtout j'aimerais saluer et remercier tous ces groupes qui viendront nous faire part de leurs expertises, qui ont fait parvenir leurs mémoires et qui viendront nous exposer leurs points de vue et leurs préoccupations au sujet du projet de règlement. Nous le soulignons, c'est un règlement publié par la ministre le 17 décembre dernier.

Notre société a évolué, les lois qui l'encadrent doivent en faire tout autant, et c'est pourquoi nous avons appuyé l'adoption du projet de loi n° 35 à la dernière législature, modifiant notamment l'article 71 du Code civil, au nom de la dignité et des droits et libertés des personnes transgenres. Rappelons que le ministre précédent s'était engagé à publier le règlement dans les quelques semaines suivant l'adoption dudit projet de loi, ce qui ne s'est manifestement pas réalisé. Le gouvernement actuel ne s'est pas, lui non plus, empressé de le publier. Et je peux comprendre l'impatience qu'ont démontrée les personnes concernées face au délai de l'entrée en vigueur de la réglementation nécessaire pour procéder au changement de leur statut de l'état civil.

Cela dit, nous croyons qu'il est nécessaire que des balises soient mises en place pour permettre ce changement tout en respectant les droits et libertés des transgenres. Ce qui nous importe, c'est qu'une personne ne puisse pas, du jour au lendemain, changer son statut de l'état civil parce qu'elle en a envie, pour ensuite le changer à nouveau. Pour nous, il y a tout de même des préoccupations sociales mais, aussi, sécuritaires à prendre en considération. Alors, c'est pourquoi nous sommes heureux de recevoir les groupes invités aujourd'hui afin de déterminer quels aménagements pourraient être apportés au projet de règlement au bénéfice de chacune des parties, et naturellement nous sommes ici pour vous entendre. Merci beaucoup, M. le Président.

Le président, M. Gilles Ouimet

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie, Mme la députée de Montarville. Ça complète les remarques préliminaires.

Vous me permettrez une brève... puisque j'ai eu le privilège... Lors de la 40e législature, j'étais le vis-à-vis et le porte-parole en matière de justice pour l'opposition officielle, donc j'ai travaillé avec le ministre de la Justice de l'époque, M. St-Arnaud, sur le projet de loi n° 35, et simplement souligner : Moi, je suis heureux d'entendre les paroles de la ministre et des parlementaires qui abordent cette étape importante dans ce changement de société, là, auquel on est conviés.

On avait fait une partie du travail lors de l'adoption du projet de loi n° 35, mais je tiens à rappeler pour ceux qui, malheureusement, n'étaient pas là à l'époque que c'était l'opposition officielle qui avait proposé de tenir des consultations sur le projet de règlement, parce que, ce changement, qui interpelle la société, il y a un aspect public du débat qui doit être tenu, et, grâce aux groupes que nous allons recevoir, qui vont fournir un éclairage, ils vont envoyer ce signal important pour qu'il y ait cet échange au sein de la société pour que les changements que nous allons adopter ultimement... qu'il y ait une adhésion sociale à ces changements. Alors, c'est l'objectif que nous poursuivons.

Et nous allons... en fait, il n'y a pas d'autres remarques préliminaires, mais vous aurez l'occasion, Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, de prendre la parole à votre bloc d'intervention.

Auditions

Ceci dit, nous recevons avec beaucoup de plaisir les représentants de la commission des droits et libertés de la personne, que je salue, et on vous remercie d'être avec nous. Me Frémont, dans un premier temps, vous présenter pour les fins de l'enregistrement et présenter les personnes qui vous accompagnent, et vous disposez d'une période de 10 minutes pour votre présentation.

Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse (CDPDJ)

M. Frémont (Jacques) : Merci, M. le Président. M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, je suis Jacques Frémont, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, et je suis accompagné par Me Renée Dupuis, qui est vice-présidente à la commission, ainsi que de Me Claire Bernard, qui est conseillère juridique au Service de recherche de la commission.

Nous vous remercions de l'invitation qui a été faite à la commission à présenter ses observations sur ce projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres.

Permettez-moi de rappeler tout d'abord que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a pour mission d'assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la charte des droits et libertés de la personne du Québec. Elle assure aussi la protection de l'intérêt de l'enfant ainsi que le respect de la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle veille également à l'application de la loi sur l'égalité en emploi dans les organismes publics. Conformément à son mandat, la commission a examiné le projet de règlement afin d'en vérifier la conformité aux principes contenus dans la charte et de faire les recommandations qu'elle estime appropriées.

Je tiens tout d'abord à souligner que la commission était d'avis à l'époque que l'assujettissement du changement de la mention de sexe ou du prénom à l'exigence d'avoir subi des traitements médicaux et des interventions chirurgicales constituait une atteinte discriminatoire à des droits fondamentaux protégés par la charte. Elle avait recommandé à deux reprises que les dispositions pertinentes du Code civil du Québec soient modifiées pour établir des conditions de changement des mentions du sexe et du prénom qui soient conformes aux droits garantis par la charte. La commission avait par conséquent accueilli avec beaucoup de satisfaction l'abolition de cette condition en 2013.

Le droit des personnes trans de demander le changement de la mention du sexe et le prénom dans les registres de l'état civil et plus spécifiquement dans leur acte de naissance est protégé par plusieurs droits garantis par la charte des droits et libertés de la personne du Québec. Il se fonde principalement sur le droit à la personnalité juridique, le droit à la sauvegarde de la dignité, le droit au respect de la vie privée et le droit à l'égalité et à la non-discrimination. Notre mémoire explique plus amplement la portée des droits de la charte qui sont touchés ici. La commission a analysé les nouvelles conditions que propose d'établir le projet de règlement afin de s'assurer que celles-ci respectent les droits fondamentaux et le droit à l'égalité et à la non-discrimination des personnes trans qui souhaitent demander le changement de la mention du sexe à leur acte de naissance. Notre analyse s'est notamment appuyée sur les normes juridiques internationales des droits de la personne... normes applicables. D'autre part, il existe des liens étroits entre ces normes et les droits protégés par la charte. D'autre part, le gouvernement québécois s'est engagé à maintes reprises à mettre en oeuvre, entre autres, dans l'élaboration de sa réglementation les droits garantis par les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne auxquels le Québec a adhéré.

Il se dégage des normes juridiques internationales applicables plusieurs principes qui permettent d'évaluer la conformité des droits protégés par la charte... des conditions de changement d'état civil proposées dans le projet de règlement.

Le premier est le fait que l'identité sexuelle est définie par la personne elle-même. Le deuxième principe est celui de la prescription de procédures qui soient efficaces, accessibles, rapides, transparentes et qui respectent le droit à la sauvegarde de la dignité, le droit au respect de la vie privée et le droit à l'égalité et à la non-discrimination. Finalement, le troisième principe qui se dégage des principes internationaux est que l'obligation d'attester d'avoir vécu pendant une période de temps déterminée dans le sexe pour lequel un changement de mention à l'état civil est demandé est contraire au droit à l'égalité et à la non-discrimination.

• (11 h 50) •

Au terme de son analyse, la commission considère que l'imposition ou la mise en oeuvre de plusieurs des conditions proposées dans le projet de règlement entraîneraient des atteintes à des droits protégés par la charte.

En ce qui concerne la première exigence, soit celle d'attester d'avoir vécu au minimum deux ans «sous l'apparence du sexe» — je cite ici le projet de règlement — il nous apparaît, d'une part, que les conditions exigeant d'avoir vécu en tout temps sous l'apparence du sexe soulèvent des problèmes d'interprétation et des problèmes d'application. Il n'est pas clair de savoir comment sera déterminé de façon précise ce qui pourrait être exigé pour démontrer qu'on a vécu en tout temps sous l'apparence d'un sexe ou de l'autre. Il faut également tenir compte des risques de renforcer les préjugés discriminatoires que peut entraîner le critère fondé sur l'apparence physique. Par ailleurs, l'imposition d'un délai préalable de deux ans obligerait la personne qui veut faire une demande de changement à l'acte de naissance... et c'est un point très important, ça l'obligerait de vivre en tout temps, du moins... au moins durant deux ans, dans une situation où son identité de genre ne correspondra pas à son identité civile. La commission a relaté, en 2007, dans son rapport de consultation contre l'homophobie des exemples d'atteinte discriminatoire aux droits à la sauvegarde de la dignité et au respect de la vie privée à laquelle cette situation peut l'exposer. Pour les mêmes motifs, la commission considère que l'exigence de corroboration par un témoin majeur que le demandeur a vécu en tout temps sous l'apparence du sexe dont il demande l'inscription à l'acte de naissance pendant un minimum de deux ans n'est pas conforme à la charte. De plus, cette exigence pourrait constituer en soi un obstacle à l'exercice du droit au changement pour plusieurs personnes trans soit en raison de leur condition sociale, parce qu'elles vivent de façon très isolée, soit parce qu'elles ont caché à leur entourage le fait qu'elles sont trans. Dans ce dernier cas, cette troisième exigence risquerait en outre de porter atteinte au respect de leur vie privée.

L'exigence de la déclaration par un professionnel de la santé nous paraît également problématique. S'il est vraisemblable que plusieurs personnes qui voudraient faire la demande de changement consultent ou auront consulté un professionnel de la santé, la commission a toutefois constaté que les personnes trans n'ont pas ou peu accès au réseau de la santé et des services sociaux et qu'il y a une méconnaissance généralisée du personnel de ces réseaux sur la question de la transsexualité. De plus, cette exigence contredit le mouvement de «dépathologisation» — je vous invite à reprononcer ce mot — de la transidentité. La commission considère donc qu'il faudrait clarifier le rôle du professionnel de la santé et notamment s'assurer qu'on n'induise pas de cette condition que la personne qui fait la demande devrait se soumettre à une expertise médicale spécifiquement liée à cette demande de changement civil. De plus, il faudrait envisager d'élargir la liste des personnes qui pourraient affirmer que le demandeur est une personne trans.

En conclusion, M. le Président, la commission recommande que les dispositions réglementaires proposées soient révisées en tenant compte des commentaires formulés plus haut afin de s'assurer qu'elles ne contiennent pas de condition qui porte atteinte aux droits des personnes trans. Nous vous remercions de votre attention et sommes à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie beaucoup, M. le président. Nous allons maintenant débuter la période d'échange avec les parlementaires. Et, simplement, là, puisque c'est la pratique et puisque j'aime bien, moi, le fait qu'on change d'interlocuteur, compte tenu des temps alloués — le gouvernement dispose d'une enveloppe de 23 min 30 s, l'opposition officielle, 14 minutes, la deuxième opposition, 9 min 24 s, et Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques disposera d'un bloc de trois minutes — je vous propose des blocs d'environ une dizaine de minutes, ce qui va faire un bloc pour l'opposition officielle, un bloc pour la coalition, un bloc pour Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques et deux blocs pour le gouvernement.

Et, pour ceux qui se posent des questions, l'article 173 s'applique dans ce cas-là du règlement. Mme la ministre, la parole est à vous pour un premier bloc d'environ 13 minutes.

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Me Frémont, merci beaucoup pour votre exposé, merci beaucoup d'avoir fait part de vos observations sur ce règlement.

Vous savez, la préoccupation que nous avons, c'est vraiment le respect des droits des personnes trans puis la stabilité des actes de l'état civil, et ce n'est pas évident à concilier, et on s'en rend bien compte actuellement, et on s'en rend d'autant plus compte lorsque nous entendons les commentaires de la commission. C'est de trouver une façon, une piste d'atterrissage qui est très mince mais qui sera respectueuse des droits des personnes et qui permettra aussi d'assurer la stabilité des actes d'état civil.

J'ai déjà, en amont, travaillé pour tenter de trouver, justement, cette piste d'atterrissage qui serait respectueuse des droits des personnes trans parce que, je le dis et je le répète, pour moi, c'est un dossier qui est extrêmement important, ça fait partie de toute cette lutte pour l'égalité et c'est une pierre angulaire de cette lutte-là. Et le travail que nous faisons, et le président l'a très bien mentionné, c'est aussi un travail d'éducation, puisque, malheureusement, on ne parle pas suffisamment de la réalité des personnes trans dans l'espace public, on n'en parle pas suffisamment ici, à l'Assemblée, et certains commentaires que nous pouvons entendre sur la place publique, que nous pouvons lire sur les médias sociaux, qui sont tout à fait inacceptables, sont probablement à la... La source de tout ça, c'est le manque d'information, c'est le manque de diffusion et le manque de connaissances. Et donc le travail, bien qu'il soit très théorique, il est essentiel. Et j'espère que les gens s'intéresseront à nos travaux, s'intéresseront et porteront attention à ce qui se fait, parce que pour les personnes trans c'est immensément important.

Dans cet esprit-là, j'ai bien compris les préoccupations puis je dois aussi souligner l'intervention d'une collègue ici présente et dont, là, je n'ai que son nom et prénom en tête...

Une voix : ...

Mme Vallée : ...Sainte-Marie—Saint-Jacques — je m'excuse, j'ai eu un blanc total — qui m'a sensibilisée sur la question de l'apparence du sexe. Et, honnêtement, M. le Président, lorsqu'on m'a présenté le règlement, honnêtement, je n'avais pas cette vision-là en tête, pour moi, bien, ça allait de soi, mais, non, effectivement, l'apparence du sexe, c'est un critère qui ne va pas nécessairement de soi, et il peut porter à confusion, c'est très subjectif. Et, je le dis bien candidement, je pense qu'on doit revoir cet élément-là, la formulation.

Alors, nous avons pensé à parler plutôt d'«une identité sexuelle» plutôt que de parler d'«apparence du sexe». Je vais vous lire une proposition d'amendement et je le fais, là, vraiment parce que je suis en mode travaillons et soyons proactifs. Alors, je pensais plutôt modifier l'article 23.1 et voir si plutôt le demandeur... Bon, je relis — pardon, on efface et on recommence : «23.1. Parmi les motifs exposés dans sa demande, le demandeur doit déclarer qu'il assume — donc assumer une identité — depuis au moins deux ans ou un an — bon, ça, le temps, on aura des échanges sur la question — l'identité sexuelle correspondant au sexe pour lequel un changement de mention est demandé.» Alors, plutôt que de parler d'une «apparence», dans le fond, on est vraiment dans un enjeu où c'est l'identité sexuelle qui ne correspond pas à celle qui apparaît sur le document d'origine.

C'est ça qui est à la base même de la demande qui est formulée au Directeur de l'état civil. Alors, la personne qui formule la demande, plutôt que de dire : Bien, mon apparence sexuelle ne correspond pas à celle de mon acte d'état civil, mais c'est plutôt : L'identité sexuelle à laquelle je m'identifie personnellement au quotidien... ou peut-être pas toujours au quotidien, parce que je peux comprendre que, dans certains cas, comme vous l'avez mentionné, avant que la mention de sexe soit modifiée, on peut parfois passer d'une identité à l'autre pour certaines fins de nos activités. Alors, on pensait peut-être utiliser le terme «identité sexuelle» plutôt qu'«apparence sexuelle», et j'aimerais savoir ce que vous pensez de cette proposition d'amendement.

• (12 heures) •

M. Frémont (Jacques) : Écoutez, je pense que c'est déjà un progrès, parce que finalement, à ce moment-là, comment dire, la dynamique de l'identité de genre est par rapport à ce que la personne décide dans sa pleine autonomie, la décision qu'elle prend, qui est une décision qui n'est certainement pas prise à la légère, et non pas une décision par rapport au regard de tiers et au regard de la société par rapport à cette personne-là, ce qui était bizarre.

Reste néanmoins la question du deux ans, qui est une question qui nous préoccupe, puis je pense que nous l'avons mentionné tout à l'heure, parce que, pendant ces deux ans, on se trouve à forcer la personne qui a fait ce choix et qui est prête à assumer ce choix... La loi, la société dit : Bien, nous, on n'est pas prêts à suivre ce choix-là et à l'avaliser pendant une période de deux ans, ce qui fait qu'on force cette personne à avoir un permis de conduire — c'est très concret, là — mais avoir un permis de conduire, avoir une carte d'assurance maladie, à devoir s'identifier et que... faire sursauter les interlocuteurs et dire : Oui, mais c'est... Finalement, on revient aussi à l'apparence, ce n'est pas ça que je vois, et voilà la source de discrimination et de problème.

Dans notre mémoire, Mme la ministre, il y a une citation de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Christine Goodwin contre Grande-Bretagne — c'est à la page 10 de notre mémoire — dans laquelle la cour a présenté — et je suis sûr que c'est ce que vous allez entendre pendant le reste de cette consultation : Est-ce que c'est grave, ça, ce disjoint, cette désincarnation? Et elle dit : «Le stress et l'aliénation qu'engendre la discordance entre le rôle adopté dans la société par une personne transsexuelle opérée — dans ce cas-là, c'était "opérée" — et la condition imposée par le droit qui refuse de consacrer la conversion sexuelle ne sauraient, de l'avis de la cour, être considéré comme un inconvénient mineur découlant d'une formalité. On a affaire à un conflit entre [une] réalité sociale et le droit qui place la personne transsexuelle dans une situation anormale lui inspirant des sentiments de vulnérabilité, d'humiliation et d'anxiété.»

Et je pense que c'est ça que vous allez entendre comme témoignage au cours des prochaines heures et des prochains jours, et c'est causé strictement par, dans ce cas-là la loi ou le règlement, cette exigence des deux ans.

Mme Vallée : Dans un premier temps, il y a un élément que nous pensons retirer du règlement, c'était de prévoir... Parce que, dans le texte que vous avez, qui est présentement à l'étude, on fait mention que le demandeur doit déclarer vivre en tout temps sous l'apparence de sexe. Alors, on biffe cet élément-là, le «vivre en tout temps». Alors, on va plutôt référer au fait que le demandeur ou la personne assume l'identité. Donc, on comprend très bien que dans différentes sphères de notre vie puissent arriver des moments où on est dans des milieux... certains milieux commandent de respecter, d'une certaine façon, l'acte d'état civil. Alors, on comprend les préoccupations à cet égard-là.

Par contre, pour ce qui est du délai, et c'est là qu'on arrive avec la stabilité des actes de l'état civil, il y a quand même, lorsqu'on se réfère, par exemple, à une demande de changement de nom... on demande une utilisation pendant cinq ans. Il y a cette référence qui est prévue, de cinq ans, et, dans différents textes un petit peu partout à travers le monde, on se réfère à une période donnée, donc que le demandeur ou la personne qui formule une demande de changement de sexe fasse une certaine démonstration qu'il y a une stabilité au niveau de la demande, et c'est pour ça qu'il faut trouver un élément temporel qui n'est pas évident, je le conçois très bien.

Je comprends que vous avez cité la décision qui apparaît à votre mémoire. Mais comment trouver cet équilibre-là? Parce qu'il s'agit quand même de faire une modification à un acte d'état civil. Alors, c'est quand même un élément officiel, une étape importante. Parce qu'on comprend très bien que les demandes qui sont formulées ne sont pas des demandes frivoles, mais malheureusement, malheureusement, il pourrait toujours y avoir des utilisations ou une utilisation faites dans un dessein complètement différent, et c'est là qu'il faut trouver la ligne pour éviter une utilisation qui ne serait pas conforme à celle qu'on souhaite aujourd'hui.

Alors, bon, deux ans, est-ce trop long? Peut-être, puis je peux comprendre que ça pourrait peut-être mener à une exclusion. Dans certaines juridictions, c'est deux ans; certaines, c'est plus que deux ans; certaines, c'est un an. Est-ce qu'on nomme un critère qui pourrait nous guider davantage?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En soulignant qu'il reste 1 min 30 s à ce bloc d'échange.

M. Frémont (Jacques) : Alors, il faut que je parle vite. Écoutez, la question que vous posez revient à une question très fondamentale, c'est de définir, et vous le faites, je pense, de dire quel est l'intérêt public supérieur, parce qu'on se retrouve dans une situation où on a, d'une part, des droits et libertés d'un groupe de personnes traditionnellement victimes de discrimination, etc., le groupe trans, avec un intérêt public supérieur, qui, le cas échéant, devra être débattu devant les tribunaux.

Mais c'est clair que la stabilité des actes de l'état civil, c'est un intérêt public qui est très légitime, mais que, cette stabilité-là, peut-être on puisse en abuser dans un cas ou un autre mais qu'à ce moment-là on exige de tout le monde d'attendre une certaine période au cas où il y aurait quelqu'un qui, lors d'un party le samedi soir, décide de changer de genre, ça me paraît un peu difficile en termes d'équilibrage et en termes de comment on va défendre un projet de règlement où il y a deux ans, où il y a un an, où il y a quatre ans devant les tribunaux en opposition à la vulnérabilité qui est maintenue par la loi, par le règlement. D'autre part, ça me paraît hasardeux, ça me paraît douteux. Alors, ce qui arrive, c'est que les actes de l'état civil, en général, vous le savez comme moi, c'est la naissance, la mort, le mariage. Pourquoi est-ce qu'on ne demande pas qu'il y ait deux ans de «cooling-off period» avant de se marier? C'est à peu près les seuls éléments dans lesquels... Il y en a qui diraient que deux ans, ce n'est pas assez, mais c'est à peu près les seuls éléments où c'est la volonté de l'individu qui influence sur les actes de l'état civil. Et, à ce moment-là, je retourne à la question de l'intérêt public supérieur : Est-ce qu'on doit mettre de côté les droits des gens pour une certaine période au nom d'une stabilité qui... Dans certains États, vous le savez, il n'y a pas de période, c'est fait en temps réel avec — je pense, c'est très légitime — des exigences que ça ne soit pas frivole, que ça ne soit pas fait sur l'inspiration du moment, que ça ne soit pas fait pour n'importe quelle raison.

Donc, il faut que ça soit sérieux. Je pense que la période... c'est ce que la commission pense, que la période de temps, quelle qu'elle soit, va être problématique devant les tribunaux éventuellement.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie, M. le président.

Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle pour un premier bloc d'intervention. Vous disposez de neuf minutes.

• (12 h 10) •

Mme Poirier : Merci. Merci, M. le Président. Bonjour, M. Frémont, bonjour, mesdames.

L'ouverture que vient de faire la ministre avec une proposition d'amendement en remplaçant... dans le fond, avec le mot «assume» — je mets ça vraiment au mot «assume» — à mon avis, puis ça demeure le mien, vient faire en sorte de... À partir du moment où j'assume, il y a un moment où j'assume. Pour moi, le délai de deux ans, il devient non applicable, parce que j'assume à partir de quand? Et à partir de quand je mets le compteur? Alors, moi, j'aimerais ça que vous puissiez... Parce que tout ça est autour du principe de la personnalité juridique. Et, à partir de la personnalité juridique qui se transforme, à partir de quand on assume?, si je comprends bien, si je reprends les textes que vous me donnez. Alors, j'aimerais ça, M. Frémont, que vous puissiez nous faire le lien à partir de la jurisprudence que vous nous avez collectée dans votre mémoire... À partir du moment où on prend le mot «assume» pour remplacer ce qui est dans le texte présentement, pour justifier un délai, moi, j'ai un problème de principe entre ces deux-là. Je veux juste mieux comprendre comment on peut dire à une personne : À partir du moment où tu assumes. À partir de quand? Puis, moi, c'est «à partir de», là. Et là à partir de quand est-ce qu'on commence à mettre le chrono pour le deux ans? Pour moi, cet équilibre-là, il n'est pas là, là.

M. Frémont (Jacques) : Je vais commencer à répondre, mais je pense que mes collègues vont compléter.

Votre intervention témoigne de toute la délicatesse de la question. Ce qui est intéressant dans le mot «assumer», c'est que ça réfère à la personne et à son choix personnel, et je pense que, règlement ou non, Code civil ou non, la personne trans, à un moment donné, assume. Et là il s'agit de voir quelles sont les conséquences juridiques de ce geste, où la personne dit... Et évidemment la personne peut dire : Bien, moi, j'avais décidé ça il y a cinq ans, je l'ai assumé il y a cinq ans, je l'ai assumé la semaine dernière, je l'ai assumé il y a six mois ou je l'assume à partir de maintenant, et ça devient un choix éminemment personnel. Et évidemment tout délai, et on le dit, dans son application factuelle, à partir du moment où il y a un délai... bien, je pense que ça ne se rendra pas en cour, espérons-le, mais, pour démarrer ce délai, effectivement il y a un problème d'application dans les faits. Je pense que, dans la majorité des cas, ça ne causera pas de problème. Mais, ceci étant dit, il n'y a pas nécessairement d'incongruité entre une exigence de temps, techniquement, et le fait d'assumer, à un moment donné, une identité. C'est là où le règlement... Je pense que le gouvernement a toute la latitude dans la façon de promulguer les... Elle peut très bien, avec cette nouvelle terminologie, arriver puis maintenir les deux ans.

Je pense que, ça, techniquement, il n'y a rien qui l'empêche. On reste toujours dans les mêmes problèmes par rapport à la situation de fait et on reste dans les mêmes problèmes par rapport à la situation de discrimination. Me Dupuis, voulez-vous compléter?

Mme Dupuis (Renée) : Je voulais juste ajouter : Puisqu'on recentre la question autour de l'identité... Et je vous inviterais peut-être à considérer l'identité personnelle plutôt que de faire le choix de l'identité de genre plutôt que d'identité sexuelle, mais disons qu'on recentre la question autour de l'identité personnelle.

Ce qui est caractéristique de notre régime jusqu'ici... Et, dans ce sens-là, le Code civil évolue, c'est-à-dire que la détermination de l'identité jusqu'ici est faite par la constatation qu'un médecin fait à la naissance et qui sert de document qui devient le document de base pour établir l'identité civile par le dépôt au Directeur de l'état civil, et ce qu'on constate aujourd'hui, c'est que la réalité fait en sorte que ce constat qui a été fait, qui correspondait aussi à une époque où le constat et le décret médical faisaient loi... on constate qu'à l'intérieur du Code civil il y a une évolution de plus en plus marquée vers le... que l'on se centre sur l'autonomie de la personne et l'autonomie décisionnelle de la personne.

Alors, la question de l'identité, à partir du moment où l'État cherche une certaine stabilité, ce que l'on dit, c'est que ce n'est pas nécessairement le temps — un an, deux ans, six mois — qui va le déterminer, c'est plutôt à partir du moment où quelqu'un vient dire par une déclaration quelconque, avec des formalités, des modalités, que l'identité qui lui a été attribuée à la naissance ne correspond pas à l'identité qui est l'identité selon laquelle elle se définit et qu'elle assume, puisque c'est en vertu de cette identité qu'elle se définit. Et, dans ce sens-là, le délai d'un an ou deux ans devient une question secondaire. Et la question qu'on se pose : Est-ce que ce délai est un héritage de la période ou de l'époque où on disait à quelqu'un qui voulait changer de sexe... devait forcément passer un certain nombre d'années en thérapie avant d'avoir accès à la chirurgie?

Alors, est-ce que le deux ans est venu de cette période où on leur raisonnait... en termes d'une étape forcément longue qui allait confirmer officiellement que la personne avait changé d'apparence et de sexe?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Ça va? Merci. M. le vice-président de la commission.

M. Lisée : Oui. M. Frémont, mesdames, je tiens à déclarer à la commission que M. Frémont est mon ancien patron et je ne lui en veux pas. Ça s'est très bien passé, il était vice-recteur et puis provost à l'Université de Montréal, et on a eu un grand plaisir à travailler ensemble.

Je reviens sur cette question de délai. Donc, je comprends votre position : à partir du moment où la personne assume son changement de genre ou de sexe, elle fait la demande et rapidement elle devrait avoir gain de cause. Maintenant, la ministre nous signale que, pour la stabilité de l'état civil, on demande que les changements ne puissent pas, si j'ai bien compris — et j'ai peut-être mal compris — être modifiés pour une période de cinq ans. Est-ce que c'est bien ça?

Mme Vallée : C'est en matière de changement de nom.

M. Lisée : En matière de changement de nom.

Mme Vallée : Oui.

M. Lisée : Alors donc, si la demande provoque un changement de nom, est-ce que vous avez un avis là-dessus, sur le fait que, si je demande un changement de nom et de genre, il y a une période de cinq ans où je ne peux pas revenir sur ma décision?

M. Frémont (Jacques) : La réponse est technique à votre question, parce que le changement de nom n'est pas fondé sur une caractéristique personnelle, discriminatoire, une caractéristique qui est protégée par les droits fondamentaux. C'est un changement de nom. C'est : n'importe qui peut changer de nom, alors que, dans le cas des trans, c'est une catégorie de personnes qui sont des personnes vulnérables qui subissent de la discrimination systématiquement, etc. Donc, la charte s'applique dans un cas, alors que, dans l'autre cas, il faudrait examiner pour le changement de nom, mais je ne suis pas sûr qu'il y a un motif, comment dire, de discrimination qui soit présent.

M. Lisée : Donc, autre question : Sur cette question du changement de genre, est-ce qu'il devrait y avoir une limitation au nombre de fois, et ça arrivera dans un nombre très rare de cas, mais où, si quelqu'un décide de changer et de rechanger... est-ce qu'il devrait y avoir un délai où, là, on invoque la stabilité des actes de l'état civil?

M. Frémont (Jacques) : Écoutez, je regrette de prendre cette image bête, mais est-ce qu'on limite le nombre de divorces qui sont enregistrés à l'état civil? Est-ce qu'on limite de dire : Bien là, vous vous mariez, vous avez cinq ans pendant lesquels, là, on ne veut pas toucher au registre, là, parce que, nous autres, il faut que le système soit stable? L'état civil doit refléter un état d'individus, de ce qu'ils sont au sein de la société, au sein de la cité.

Alors, je reviens à la question, là, que je mentionnais tout à l'heure : Quel est l'intérêt public supérieur? Est-ce que c'est d'éviter qu'il y ait peut-être 10 cas où, dans les cinq ans qui ont suivi, quelqu'un va rechanger de genre? Et là il serait intéressant de voir est-ce qu'il y a... l'ancien universitaire en moi... est-ce qu'il y a de la preuve en sciences sociales au fait que les gens trans changent? Moi, je connais peu le milieu, mais je peux vous dire que ce n'est pas ce que je sens. Au contraire, c'est tellement des décisions fondamentales, des décisions profondes quant à l'identité d'une personne, il n'y a personne qui prend ça légèrement, et je pense que, quand les gens arrivent là, ils n'ont pas envie de changer. C'est souvent au fruit de longues démarches, comment dire, par rapport à eux-mêmes, souvent des thérapies, etc. Donc, ils n'ont rien que pas envie de changer. Autrement dit, je ne sais pas si le... en anglais, on dit l'«evil» qu'on veut combattre, le... Comment on dit en français? Le...

Une voix : ...

M. Frémont (Jacques) : Ce que l'on cherche à combattre, finalement, le remède ne sera pas pire que le problème. Est-ce qu'il y a un problème de stabilité?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie...

M. Frémont (Jacques) : On peut poser la question. Mais ça, là-dessus, moi, la commission, on n'a aucune expertise là-dessus, ça relève de la ministre.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce premier bloc d'intervention. Vous aurez l'occasion, M. le vice-président, de revenir.

M. Lisée : ...très bien noté, c'est un bon argument, sur le nombre de divorces permis.

Des voix : Ha, ha, ha!

• (12 h 20) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Question de fait personnel. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Me Frémont, Me Dupuis et Me Bernard, merci. Merci pour votre présence, merci pour votre mémoire. Et, si vous me permettez, d'entrée de jeu, je voudrais parler aux gens qui nous écoutent, parce qu'on parle d'un règlement ici. On ne parle plus du Code civil, le Code civil a été modifié, on parle d'un règlement qui en découle. Les gens ignorent qu'est-ce qu'il dit, ce règlement. Si vous permettez, je vais le lire. Comme ça, ça va nous situer pour l'ensemble du débat.

Alors, ce règlement dit, à l'article 23.1... et on parle ici de changement de genre pour les personnes transsexuelles et transgenres, alors, l'article 23.1 nous dit : «Parmi les motifs exposés dans sa demande, le demandeur doit déclarer vivre en tout temps, depuis au moins deux ans, sous l'apparence du sexe pour lequel un changement de mention est demandé et avoir l'intention de vivre en tout temps sous cette apparence jusqu'à son décès.» Ça, c'est l'article 23.1. L'article 23.2, maintenant : «Outre les documents qui doivent accompagner la demande en vertu de l'article 4, celle-ci doit être accompagnée d'une lettre d'un médecin, d'un psychologue, d'un psychiatre ou d'un sexologue autorisé à exercer au Canada ou dans l'État du domicile du demandeur qui déclare avoir évalué ou suivi le demandeur, qui confirme que l'identité sexuelle du demandeur ne correspond pas à la mention du sexe figurant à son acte de naissance et qui est d'avis que le changement de cette mention est approprié.» Et je poursuis : «Elle doit également être accompagnée d'une déclaration sous serment d'une personne majeure qui atteste connaître le demandeur depuis au moins deux ans et que, à sa connaissance, celui-ci vit en tout temps, depuis au moins deux ans, sous l'apparence du sexe pour lequel un changement de mention est demandé.»

Alors là, vous comprenez que ça situe le règlement sur lequel nous travaillons aujourd'hui et le mémoire que vous nous avez soumis. Alors, vous nous mettez des bémols, vous dites : Faites attention avec ce règlement. C'est ce que vous nous dites aujourd'hui. Ce règlement, sur lequel nous allons travailler éventuellement, doit respecter les droits des gens trans, et je suis tout à fait d'accord avec vous. Vous nous dites également : Voici où il y a des bémols et ce que nous pourrions faire ou ce que nous devrions faire. Alors, je veux vous entendre là-dessus. Vous avez dit des choses qui étaient fort intéressantes, c'est la raison pour laquelle je voulais d'abord faire ce préambule. Vous nous dites, dans vos conclusions, entre autres, à la page 24 — et je vais le lire : «De plus, il faudrait envisager d'élargir la liste des personnes qui pourraient affirmer que le demandeur est une personne trans.»

En quelque part, c'est la déclaration de ce témoin que l'on demande, de connaître la personne depuis deux ans. Le règlement dit qu'il faut que cette personne soit une personne majeure. Quand vous dites : Élargir la liste d'une personne majeure, c'est pas mal grand, mais vous voulez nous amener où?

Mme Bernard (Claire) : Cette recommandation-là vise le deuxième paragraphe, le deuxième alinéa, donc, qui est d'élargir la liste du professionnel de la santé, ce n'est pas le témoin au troisième, et c'est de dire : Si vous tenez à cette attestation, sur laquelle on fait quand même certains commentaires, mais, si vous y tenez, pour éviter que ce soit vu comme toujours une expertise médicale, alors qu'il s'agit simplement d'attester qu'effectivement la personne... on confirme que la personne assume son identité de genre et qu'elle désire changer... que cette identité corresponde à l'identité civile. Donc, on élargit pour démédicaliser, parce que, là encore, on parle d'un historique où c'étaient des règles qui s'appliquaient à l'intervention médicale, et là, si on tient simplement à avoir un témoin pour attester... C'est la raison pour laquelle on parle d'élargissement, donc de ne pas la limiter aux professionnels de la santé, comme la liste qui est proposée à l'alinéa deux.

Mme Roy (Montarville) : Puis, outre cette liste au 23.2, ne serait pas-t-il plus pertinent, si on suit votre réflexion, que de faire sauter complètement le premier alinéa et de conserver le deuxième uniquement? Parce que, dans le fond, on veut un témoin pour attester de l'identité de la personne ou surtout du genre dans lequel la personne vit désormais et, puisque vous dites qu'il faut démédicaliser, donc, ne pas spécifier les témoins.

Mme Bernard (Claire) : Bien, c'est-à-dire que, dans un cas, on a commenté en tenant compte aussi du type de preuve qui est demandé. Dans l'idéal, ce qu'on dit aussi, c'est que normalement la déclaration de la personne elle-même... donc il faut quand même garder le premier alinéa, qui est la déclaration de la personne qui fait la demande. Et donc, dans certaines législations, on ne demande pas d'autre attestation. Donc, comme on semble tenir à quand même une preuve que cette personne a cheminé, on donne une liste, mais ça pourrait être effectivement un témoin et sans spécifier la qualification professionnelle aussi. Ça peut être une autre option.

Mme Roy (Montarville) : Dans l'optique de vouloir démédicaliser... je sais que ce n'est pas le terme que vous avez employé, j'ai bien aimé celui que vous avez dit tout à l'heure, là, mais, dans l'optique où nous voudrions effectivement démédicaliser la situation, le genre, est-ce qu'il pourrait être pertinent de garder tout de même le spécialiste qu'est le sexologue, dans la mesure où on parle ici de genre et de sexe, et que ce ne sont pas des gens malades qui vont voir le sexologue, mais plutôt pour avoir une attestation d'un professionnel? Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait être vu et qui ferait en sorte que ça ne soit pas médicalisé?

Mme Bernard (Claire) : Un des commentaires qu'on a faits aussi, c'est de penser à l'accessibilité. Une des réalités, c'est la difficulté de l'accès aux services et puis évidemment des coûts, parce que vous allez aussi entendre de la part des groupes que, selon les régions, on n'a pas tous accès à des psychologues, à des médecins, et sans frais, à des sexologues, alors que, si on ouvre la catégorie «personnes», bien ça laisse la possibilité aux demandeurs parce que, dans certains cas, ils auront, effectivement, pour des raisons de cheminement, là, eu des contacts avec un travailleur social ou avec un sexologue, mais il n'y a pas automatiquement un travail avec un sexologue.

Donc, si on limite à une catégorie professionnelle, il faut penser qu'encore là c'est un obstacle, mais, ça encore, vous allez le voir avec la... je pense, en entendant de la part des représentants des groupes quelle est la réalité de quelles sont les étapes quand on assume son identité de genre.

Une voix : Vous nous dites...

Mme Dupuis (Renée) : ...

Une voix : Oui, allez-y.

Mme Dupuis (Renée) : Je pense que c'est ce qu'on voulait dire. Quand vous parliez de l'évolution sociale de ces questions-là... Je voudrais attirer votre attention sur une décision de la Cour suprême qui est très récente sur le droit de mourir dans la dignité où on fait très bien la référence aux choix fondamentaux d'une personne et au droit d'une personne de contrôler l'intégrité de sa personne, de contrôler sa vie, et tout ça sans intervention de l'État.

Et, dans ce sens-là, la raison pour laquelle on soulève le problème d'avoir l'obligation d'une déclaration médicale, d'avoir un témoignage de quelqu'un d'autre, c'est que c'est une décision fondamentalement personnelle pour laquelle il n'y a pas de critère qui exige une preuve médicale, et je pense que c'est ça, l'intention, de démédicaliser, de la même manière qu'il n'y a pas de critère pour établir que la déclaration de votre voisin ou d'un autre témoin vient assurer une crédibilité objective à la déclaration que vous faites et à l'assumation que vous faites de votre identité.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Nous en sommes à la dernière minute de ce bloc d'échange, Mme la députée.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Vous nous dites dans votre mémoire — et j'allais entamer cette question — que trop peu d'États ont, justement, fait en sorte qu'on puisse, de façon plus rapide, plus facile, changer de genre. Pourquoi, selon vous?

M. Frémont (Jacques) : Bien, c'est précisément pour accorder le choix individuel que l'État... L'État est à la remorque du choix individuel et l'État ne doit pas baliser, empêcher ce choix individuel, au moment où il est fait, d'être consacré ou d'être reconnu par l'État. Alors, c'est sûr que les États plus libéraux sont arrivés puis ont dit : Bon, bien là, à partir du moment où la personne fait ce choix, l'assume et c'est sérieux, bien, à ce moment-là, l'État prend acte et prend acte... On n'a pas à délayer ça précisément, parce que, si on met un délai, à ce moment-là, là, c'est le droit à la dignité de cette personne, à ses choix fondamentaux qui n'est pas capable de se réaliser parce qu'il y a un «disconnect» entre la réalité à l'égard du genre du trans et ce que l'État reconnaît, et là on force les discriminations.

L'État, par sa volonté de ne pas reconnaître tout de suite mais d'attendre, force une discrimination et force des problèmes, impose des problèmes, et ça, là-dessus, je n'ai pas grand doutes sur l'issue devant les tribunaux, là, ça va... Le délai est extrêmement problématique.

• (12 h 30) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, à vous la parole pour trois minutes.

Mme Massé : Merci. Je voulais saluer mes collègues. Je vais aller droit au but. Trois minutes, vous savez, on n'a pas le temps de... Je voulais savoir. Dans le fond, ce que je comprends, c'est que, si j'entends bien, avec toute la question d'assumer, là... je trouve qu'il y a une piste, là, intéressante, c'est qu'à partir du moment où j'assume qui je suis, et que je dis : Je l'assume, et que je le déclare et, à la limite, que je le déclare sous serment, on vient de donner une protection énorme à la société, là, à l'instabilité du... Sinon, si je change d'idée, si je fraude, parce que j'entends beaucoup cette peur-là... Le parjure, c'est quand même une protection importante, ça, non?

M. Frémont (Jacques) : Bien, écoutez, là, le parjure, je ne peux pas vous dire... Je peux vous dire qu'il y a bien du monde qui se parjure puis il n'y a pas grand monde qui se ramasse devant les tribunaux, là, à la suite des parjures. On va s'entendre là-dessus. Mais je pense que la première partie de votre «statement» est extrêmement importante. Si, à partir du moment où la personne... puis que ce n'est pas un choix qui est fait de façon non inspirée puis impulsive sur le moment, je veux dire, l'État n'a pas le choix que de constater que, oui, ce choix-là a été fait. Ce qui est important : l'intérêt public supérieur, c'est la stabilité, c'est aussi que, les gens, leur état civil, leur permis de conduire soient conformes à leur identité de genre dès que possible. Imaginez la tête du policier qui arrête quelqu'un... puis, avec le permis de conduire, c'est rien que pas drôle.

Mme Massé : Effectivement, j'en ai beaucoup qui viennent dans mon bureau me raconter des histoires d'horreur. Quand vous parlez de dépathologisation, c'est assez essentiel. Puis, comme femme lesbienne, je me souviens, moi, comment on me traitait voilà 40 ans, hein? C'était moi qui étais malade, dans le fond, d'une certaine... Puis pas besoin d'aller loin, juste aller voir aux États-Unis.

Je reviens donc avec la notion de... Parce qu'en fait ce que le règlement... puis ça aussi m'apparaît problématique. La personne déclare sous serment, ce n'est pas assez. Ça prend quelqu'un d'autre qui va venir déclarer sous serment quelque chose. Il y a quelque chose là qui m'apparaît... Il y a une parole plus puissante que l'autre, là.

M. Frémont (Jacques) : C'est sûr. Le problème... c'est l'intérêt public supérieur qui contrebalance, mais on ne peut pas... ce n'est pas par le regard de l'autre ou le regard de la société que l'identité de genre va être confirmée par rapport à une personne. C'est par rapport au choix souverain, dans sa dignité, dans l'exercice de sa liberté, de dire : Je fais ce choix-là. Et, à partir de ce moment-là... je me répète, mais, à partir de ce moment-là, le regard extérieur, comment dire, devient non pertinent, jusqu'à un certain point, parce que ce qui est pertinent, c'est l'exercice, par cette personne, de ses choix fondamentaux par rapport à son autonomie.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Mme la ministre de la Justice, la parole est à vous.

Mme Vallée : Oui. Alors, Me Frémont, au niveau des amendements, là, je vous ai consulté sur le premier alinéa.

Pour ce qui est de l'article 23.2, deuxième alinéa, lorsqu'il est question justement d'accompagner la demande d'une déclaration sous serment d'une tierce personne pour corroborer les faits, évidemment il y aurait également là, je crois, lieu d'apporter certaines modifications qui seraient évidemment en concordance avec les amendements auxquels on avait pensé pour l'article 23.1, mais ces amendements-là seraient aussi une déclaration qui serait plutôt vers l'identité qui a été exprimée ou l'expression par le demandeur de cette identité-là. Alors, le texte actuel indique que la déclaration est «accompagnée d'une déclaration [...] d'une personne majeure qui atteste connaître le demandeur depuis au moins deux ans et que, à sa connaissance, celle-ci vit en tout temps, depuis au moins deux ans — bon, là on a toute la question du délai — sous l'apparence du sexe».

Alors, si cette déclaration-là était plutôt à l'effet que le demandeur a exprimé l'identité qui correspond au sexe... et là, la période, là, je comprends, il y a toute la question d'assumer, de l'assumation de cette identité-là, je ne suis pas fermée, là, à revoir puis à regarder... mais l'expression de l'identité face à la personne qui corrobore, est-ce que ça pourrait être un élément plus acceptable aux yeux de la commission que le texte qui est actuellement sous étude?

M. Frémont (Jacques) : Bien, écoutez, vous nous demandez des avis en temps réel. Normalement, la commission, c'est...

Mme Vallée : C'est le temps de venir en consultation, Me Frémont.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Frémont (Jacques) : ...c'est 13 commissaires. Mais je suis sûr qu'ils me font assez confiance. D'ailleurs, vous en avez nommé cinq la semaine dernière — je vous remercie beaucoup — à l'Assemblée nationale, chers collègues, c'est important pour nous. Je pense que ça pourrait être intéressant ou de retourner aussi au... que la personne témoigne, que la personne en question assume son identité sexuelle — c'est ce que vous avez dit — ou son identité de genre ou qu'il y ait une référence à ce qui serait le nouveau 23.1.

Mme Vallée : «Assumer», c'est peut-être moins évident pour la tierce personne d'attester cette assumation, parce qu'on peut difficilement se mettre dans la tête de l'autre. C'est-à-dire, à partir de quand la personne a-t-elle vraiment assumé, ça, c'est une chose, mais exprimé... Parce que, dans le fond, on recherche un corroborateur ou une corroboratrice qui viendra donner un certain formalisme à la demande, et donc évidemment on présume que c'est quelqu'un de confiance, soit un ami, un membre de la famille, quelqu'un qui sera informé évidemment de cette réalité-là, d'où l'utilisation du terme «exprimer» plutôt que d'«assumer». Parce que, là, on présume de l'état d'esprit ou on présume d'un état, et ça, c'est plus difficile d'attester d'un état d'esprit d'un tiers plutôt que d'attester sur la foi de ce qui a été exprimé de différentes façons.

M. Frémont (Jacques) : C'est plus objectif, certainement.

Mme Vallée : Exactement.

M. Frémont (Jacques) : C'est certainement plus facile. Je pense que Me Bernard a peut-être un commentaire.

Mme Bernard (Claire) : Il faudrait quand même faire attention, parce que l'expression de genre ou d'identité sexuelle, c'est un motif de discrimination qui est reconnu dans d'autres juridictions, c'est une autre réalité, ça couvre notamment les personnes travesties. C'est un motif de protection d'atteinte discriminatoire, par exemple, en emploi. Ça couvre une réalité, l'expression de genre, qui n'est pas celle que vous visez mais qui a déjà une définition juridique, donc il faudrait en tout cas faire attention.

Et, l'autre chose, encore là, votre... enfin, c'est que la personne, je ne pense pas... Encore là, vous allez entendre la réalité des représentants des personnes trans. C'est un processus, c'est une palette, mais c'est très rare que quelqu'un se dise : Bien, moi, je me sens... mais je n'ai pas fait le processus à partir de... enfin, je ne l'ai pas exprimé dans... enfin, je ne l'ai pas vécu dans certaines facettes. Je ne pense pas que quelqu'un va faire un changement à l'état civil si elle n'a pas commencé à faire le processus dans d'autres aspects de sa vie, c'est-à-dire le changement de la carte d'identité, de l'acte d'état civil, éventuellement, de ce qui s'ensuit avec le permis de conduire. Mais l'acte de naissance, là, ce n'est pas ce qui débute le processus, ça se passe quelque part dans le...

• (12 h 40) •

Mme Vallée : En fait, c'est justement à ça qu'on fait référence, parce que la tierce personne aura été témoin de cette évolution-là, puisqu'on n'assume pas seulement qu'en disant : Je fais une demande de changement au niveau administratif. On assume dans d'autres facettes de notre vie l'identité à laquelle on s'identifie et le genre auquel on s'identifie. Et donc peut-être que le terme n'est pas le bon terme, mais en fait l'objectif derrière cette modification-là était d'avoir une attestation de ce qui aura été constaté face au demandeur, face à la personne qui formule la demande.

Alors, justement, le tiers aura été témoin de cette étape-là, de cette manifestation, dans la vie de tous les jours ou dans différentes facettes de la vie, de l'identité de la personne qui fait la demande, l'identité qui correspond à la personne et non qui correspond au document.

M. Frémont (Jacques) : Je pense que l'idée est intéressante. Le défi, ça va être de trouver l'espèce de concept dans la rédaction, là, pour être sûr qu'on ne se barre pas les pieds par rapport à d'autres cas de figure.

Mme Vallée : Je comprends ce qui est mentionné, là.

M. Frémont (Jacques) : Mais ça apparaît beaucoup plus intéressant que ce qui est là, très clairement.

Mme Vallée : Parce qu'évidemment certaines personnes, comme vous mentionnez, les travestis vont exprimer un genre mais n'auront pas pour autant la volonté de faire une modification à l'état civil. Alors, vous avez tout à fait raison, il faut éviter de créer une situation qui porte à confusion et qui laisse place à l'interprétation, parce que, justement, la confusion et l'interprétation sont beaucoup à l'origine de la discrimination à laquelle font face les personnes trans. Alors, là-dessus il faut trouver la...

M. Frémont (Jacques) : ...d'accord, que c'est à éviter.

Mme Dupuis (Renée) : Et je pense que la question de la stabilité, qui est liée à la déclaration de la tierce personne... il faut se demander dans quelle mesure cette déclaration-là vient préciser — et je comprends que vous posiez la question en termes d'expression — ce que la personne a exprimé à quelqu'un d'autre, mais est-ce que la déclaration qui est reçue par cette autre personne-là vient assurer plus de stabilité? Est-ce qu'elle vient assurer plus de crédibilité? Et je pense que la question, elle tourne autour de ça, autrement dit, quel est l'objet exact de vouloir exiger une déclaration d'une tierce partie?, parce que ça ne dit rien de ce qui est dans le choix même fait par la personne. Donc, il restera toujours le côté extérieur et relativement subjectif de la perception de quelqu'un d'autre qui dit : Moi, je suis prêt à aller dire que, oui, vous avez fait ceci, oui, vous avez fait cela.

Donc, je pense que la question de la stabilité doit être revue de ce point de vue là.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Je me tourne vers l'opposition officielle, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, pour un dernier bloc d'environ quatre minutes.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Dans un premier temps, peut-être une question administrative. La ministre nous parle d'un amendement sur lequel elle nous a cité du texte. Est-ce qu'il serait possible de le déposer pour notre compréhension mutuelle de ce qui est là? Je sais que c'est un document de travail, là.

Mme Vallée : Ce n'est pas un amendement officiel, en fait c'est des documents de travail. On essaie vraiment de trouver une voie de passage, et puis c'est des trucs sur lesquels on a travaillé, alors... Parce qu'on peut évoluer au fil de nos consultations. C'est l'objectif derrière tout ça.

Mme Poirier : ...bénéficier de la même évolution.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la députée, à vous la parole.

Mme Poirier : Excellent. Je vous pose une question en lien avec ce qui existe présentement. Pour les personnes qui subissent une transformation physique, le deux ans n'existe pas vraiment. Alors, j'essaie juste de faire un lien entre... On exigerait à une personne qui n'aurait plus à subir de transformation physique un deux ans, versus à une personne qui fait le choix de subir une transformation physique, de ne pas avoir de délai. Comment vous soupesez ça, ces deux problématiques-là, où est-ce qu'on va devoir donner un délai dorénavant aux personnes qui décident d'aller sous le bistouri?

M. Frémont (Jacques) : C'est parce que je ne suis pas sûr qu'à partir du moment où le projet de règlement est adopté ou l'article 71 est mis en vigueur... je ne suis pas sûr que les gens vont attendre. Les gens en situation trans et qui veulent aller vers un changement physique, ils n'attendront pas le changement physique pour mettre l'état civil en conformité avec leur réalité.

Donc, je ne suis pas sûr qu'il va y avoir un régime à deux vitesses là-dessus, je pense que tout le monde va rentrer sur un régime où... Quand le choix de la nouvelle identité est fait par la personne trans, elle dit : Je l'assume — prenons cette expression-là pour les fins de la discussion — je l'assume, même si la chirurgie est en vue beaucoup plus tard, bien, probablement que cette personne-là va demander la modification de l'état civil.

Mme Poirier : Parce qu'on sait que cette personne-là doit consulter des médecins ou psychologues, etc., pour procéder à cette transformation physique, donc ce qui est l'aspect deux des obligations serait, à ce moment-là, répondu. Et on sait qu'il y a des délais aussi là-dedans, là, ça ne se fait pas du jour au lendemain non plus. Alors, je veux juste comprendre comment on va assumer deux ans à partir du moment... Est-ce qu'on assume à partir du moment où on consulte un médecin, on assume à partir du moment où on est d'apparence physique... ou qu'on est socialement reconnu? J'ai un problème avec la notion de «à partir de». Moi, c'est le «à partir de» qui me... Je me demande à partir de quand on dit que c'est «à partir». C'est aussi simple que ça.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Nous sommes aux 30 dernières secondes pour répondre à cette question.

M. Frémont (Jacques) : Bien, écoutez, c'est ce qu'on a soulevé effectivement et qu'on a déjà dit tout à l'heure, il y a un problème sérieux pour les délais dans ce cas-là, du point de départ, et il faut respecter aussi la personne qui dit : Moi, je veux aller sur des changements physiques, mais je veux vivre dans l'autre genre à partir de maintenant pour... ça peut être cinq ans, sept ans, ça peut être pour le reste de la vie aussi, là. Alors, c'est le choix, l'autonomie personnelle qui comptent, et à ce moment-là le délai devient plus ou moins non pertinent.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ces échanges fort instructifs. Alors, M. le président, membres de la commission, merci de vous être déplacés à la Commission des institutions.

Compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 47)

(Reprise à 15 h 7)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, prenez place, s'il vous plaît! Puisque nous avons quorum, la commission reprend ses travaux. Veuillez, s'il vous plaît, vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode silencieux pour ne pas troubler nos travaux.

Je vous rappelle que la commission est réunie afin de tenir des consultations particulières dans le cadre d'auditions publiques sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres. Alors, bon après-midi à tous, bienvenue à la suite de nos travaux. Nous recevons cet après-midi madame... Mme Gabrielle Bouchard — je suis désolé, c'est mon alzheimer qui me joue des tours. Vous disposez d'une période de 10 minutes pour votre présentation. Ensuite, il y aura un échange avec les parlementaires. La parole est à vous.

Centre de lutte contre l'oppression des genres

Mme Bouchard (Gabrielle) : Merci beaucoup, Mme Vallée, merci beaucoup, M. Ouimet, ça me fait plaisir de vous revoir. Manon, merci.

Premièrement, je vous remercie pour les groupes que vous avez invités ici, je vous remercie pour la liste de personnes qui vont être entendues, parce que parfois les groupes qui militent, ou qui travaillent, ou qui soutiennent les personnes trans sentent qu'ils ne sont pas écoutés, et je crois que cette commission-là va vous donner la chance d'entendre les gens qui travaillent, côtoient, supportent, soutiennent, disent bravo aux personnes trans, à travers leur quotidien, dans leurs batailles, dans leurs difficultés, dans leurs succès aussi. Donc, merci pour cette belle liste là, c'est vraiment intéressant. Ça fait que je vous remercie beaucoup. J'avais par contre de la difficulté à voir comment est-ce que j'étais pour approcher le sujet aujourd'hui en vous parlant.

Quand on a eu les premières rencontres, en 2013, il y avait quelque chose de relativement clair dans l'approche, le gouvernement voulait faire un retrait des chirurgies, il y avait un pas fondamental qui était fait, et on parlait d'une approche qui allait rejoindre d'autres législations, comme l'Ontario et comme d'autres pays, aussi qui avaient fait des pas significatifs pour faire des changements et réduire les discriminations auprès des personnes trans. Donc, on pouvait se dire que l'angle était un angle d'aller faire un petit peu de «fine-tuning», tu sais, de dire : O.K., mais il nous manque des détails pour être sûrs qu'on comprend.

Là, par contre, avec le projet de règlement qui a été proposé, en parlant dans les groupes, en se parlant entre nous, en allant voir des gens qui sont affectés sur le terrain, on n'a aucune espèce d'idée comment que vous avez été informés comme de quoi que cette réglementation-là était quelque chose qui était positif et qui était pour avoir un impact positif sur les personnes trans au Québec.

• (15 h 10) •

Donc, est-ce qu'on devait y aller avec une approche très théorique, avec une approche où est-ce qu'on parle des nombreuses recherches qui vont parler de la discrimination vécue en société, comment est-ce que ces discriminations-là amènent des taux de suicide élevés chez les personnes trans, comment est-ce que ces discriminations-là nous obligent d'avoir inventé un terme qui s'appelle «les garde-trans», où est-ce que, lorsqu'une personne, après une tentative de suicide, parce que sa vie est vraiment difficile, parce que ses papiers ne matchent pas... puis où est-ce que cette personne-là se retrouve à l'hôpital, on est obligés de se réunir, tout le monde ensemble, puis d'aller s'assurer que le personnel infirmier, puis le personnel à l'accueil, puis les docteurs ne viennent pas rajouter à cette détresse-là en les appelant par quelque chose qu'ils ne sont pas. On est obligés de mobiliser nos communautés pour aller assurer qu'il n'y ait pas une discrimination additionnelle, qu'on ne nie pas l'identité des personnes encore. Donc, je ne sais pas si c'est ça qu'il fallait que j'apporte pour dire que les recherches prouvent que la discrimination sociale, c'est ce qui amène la détresse. Est-ce qu'il fallait qu'on apporte l'idée peut-être que le fait de demander à un docteur de poser un acte médical en disant que c'était une bonne idée d'avoir un changement de mention de sexe sur ses papiers allait peut-être à l'encontre de la loi qui a été votée en 2013, où est-ce qu'on dit qu'il n'y a aucun acte médical qui va subordonner les changements de mention de sexe? Je ne le sais pas, si c'est l'argument juridique qu'il fallait qu'on apporte. Je ne le sais pas, si c'est le fait de dire qu'on changeait une discrimination qui était de forcer les chirurgies, de lier un besoin médical... et je ne le nie pas, ce besoin médical là, là, mais de lier un besoin médical à un besoin de reconnaissance d'identité légale était quelque chose qui était discriminatoire. Je n'en ai aucune idée. Ça fait que je ne veux pas parler longtemps, parce que j'aimerais mieux que vous posiez vos questions. J'aimerais savoir c'est quoi que vous entendez par «sécurité». J'aimerais entendre les gars, qu'ils nous disent qu'est-ce que vous entendez par «sécurité», parce que c'est de vous autres qu'on parle, là. C'est des hommes qu'on parle. On a peur des gars qui vont se déguiser en femmes pour aller faire des affaires toutes croches. Messieurs, vous devriez être vraiment insultés de ça, parce que ce n'est pas des personnes trans qu'on parle. Quand ils ont accès à des espaces, ils ont accès parce qu'ils en ont besoin. Quand ils s'en vont dans un centre d'hébergement, c'est à cause qu'ils n'ont plus de place où aller, puis des fois ils vont dormir sur le perron parce que c'est la seule chose qu'on va leur permettre. Ce n'est pas eux autres qui vont être le problème. Donc, je ne le sais pas, qu'est-ce qu'on entend par «sécurité», puis j'aimerais ça que vous me le disiez pour qu'on soit capables ensuite d'avoir une conversation.

On a commencé quelque chose de super le fun, là, aujourd'hui, là, avec la comparution du président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, puis je pense qu'on s'enligne pour quelque chose qui va durer comme ça. Ce que vous avez en face de vous, là, comme réglementation, c'est quelque chose qu'on a déjà parlé. On a parlé de ça il y a plus d'un an. On était dans vos bureaux, Mme la ministre... qui n'était pas vous à ce moment-là, là, mais on était dans vos bureaux, M. Noël était là aussi, où est-ce qu'on a dit : Ça n'a pas de bon sens, ce que vous demandez. Vous confirmez deux ans de discrimination sur la base de quoi? Faites-vous ça pour un mariage gai? On va t'autoriser à te marier avec quelqu'un du même sexe, mais, par exemple, on va attendre deux ans pour être sûrs que tu es full gai avant de te permettre de le faire. Pourtant, le mariage, ça a des impacts légaux, ça a des impacts économiques, ça a des impacts beaucoup, là. On ne demande pas ça.

L'obligation d'identifiant sur des cartes a été utilisée à travers notre histoire de façon récurrente pour faire des discriminations. On avait notre religion sur nos papiers avant, on avait notre race sur nos papiers avant, puis ce n'était pas pour la sécurité de personne, là. Puis, quand on l'a enlevé, ça n'a pas détruit rien du tout, du tout, du tout. L'Argentine fonctionne avec des choses qu'on suggère, là, puis ça fonctionne super bien, l'Argentine est encore sur la mappe, ça a l'air à fonctionner. Malte vient de faire un pas, aussi, significatif de la même façon, puis ça marche super bien. On a plein d'exemples à travers le monde qui montrent que de permettre aux gens d'identifier leur genre comme ils veulent n'amène pas le chaos et, au contraire, amène une capacité aux gens d'être capables de fonctionner en société beaucoup mieux.

Donc, il y a déjà eu, il semble, ce matin, des pas vers, tu sais, quelque chose de meilleur, puis je vous encourage, s'il vous plaît, à poser vos questions. Et, s'il vous plaît, posez vos questions tout au long des trois jours que vous allez avoir avec les gens, parce que vous avez les meilleures gens, les gens les mieux placés pour être capables de vous donner les informations que vous avez besoin pour prendre des décisions éclairées et informées. Je vais arrêter là. Si vous avez des questions...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Il y aura sûrement des questions. Merci, Mme Bouchard. Mme la ministre, pour un premier bloc d'intervention, à vous la parole.

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Alors, Mme Bouchard, merci de votre présence puis merci d'être aussi généreuse de votre temps, parce que, vous avez raison, il y a sûrement plein de questions autour de la table.

Vous savez, aujourd'hui, on est dans un contexte un peu particulier d'une consultation sur un règlement, et puis là-dessus je pense que je vais souligner la perspicacité de notre président, qui, à l'époque, l'an passé... ou en 2013... Lorsque le projet de loi venant modifier le Code civil a fait l'objet de discussions, à ce moment-là on mentionnait qu'un règlement de mise en oeuvre était pour être édicté, et c'est notre collègue le député de Fabre qui a suggéré, et ça a été accepté, que cette discussion-là se fasse ici, à la Commission des institutions, et justement pour permettre, bien, dans un premier temps, aux principaux intéressés d'avoir une voix au chapitre, d'où la consultation et d'où la participation des groupes. Mais ça a une double vocation : une vocation pour permettre à ceux et celles qui sont touchés directement par le projet de loi de venir en parler et de dire : Bien, il y a des éléments dans ça avec lesquels je suis en accord, avec lesquels je suis en désaccord et/ou voici les pistes de solution, d'une part, mais ça permet aussi un élément hyperimportant, qui est celui de parler de la situation, de la réalité des personnes trans au Québec, parce que ce n'est pas une réalité qui est suffisamment mise en lumière. Et ça contribue énormément à la discrimination à laquelle vous faites état, parce que, lorsque vous parlez des difficultés immenses auxquelles sont confrontés les membres de votre communauté, ceux et celles qui au quotidien font l'objet de discrimination... bien c'est beaucoup en raison de l'ignorance, en raison de l'espèce de petite... d'isolation, je dirais, sociale et aussi médiatique de la réalité trans. Et, pour moi, l'exercice auquel on se livre aujourd'hui, bien ça permet de parler de la réalité, ça permet aussi de concilier, parce que, dans tous les changements de société, il faut y aller doucement, puis d'amener les gens à réaliser tout le bien que ce changement-là va apporter à la société.

On a un règlement, parce qu'on a fait des modifications au Code civil pour mettre un terme à l'obligation de passer par la chirurgie de réassignation, et ça, c'était suite notamment à des recommandations de la commission des droits de la personne et de la jeunesse et pour aussi reconnaître que les attributs sexuels d'une personne n'ont rien à voir avec l'identité de la personne. Mais, au-delà de ça, il faut dans la pratique voir comment, une fois qu'on a éliminé cette obligation-là, comment on fait les changements à l'état civil. Alors, ce que je comprends de votre présentation, c'est que vous nous dites : À l'état civil, il ne devrait tout simplement pas y avoir de mention «homme», «femme».

C'est ce que je semble comprendre, qu'on ne devrait pas être identifiés en fonction de notre identité sexuelle ou de notre identité de genre, on devrait l'exclure. Est-ce que c'est ce que je comprends de votre représentation? Parce que, vous, dans le fond, aujourd'hui, vous nous dites : Cet élément-là, qui apparaît à l'état civil d'une personne, contribue à la discrimination, et donc on ne devrait tout simplement pas avoir à faire de changement, on ne devrait tout simplement pas avoir d'identité au certificat d'état civil. Je veux juste bien m'assurer que je comprends votre introduction, votre mise en situation.

• (15 h 20) •

Mme Bouchard (Gabrielle) : Dans un monde idéal, je crois, c'est... je crois que c'est ce qui serait la plus meilleure chose, mais, attendu que ce n'est pas dans ce monde-là qu'on vit et qu'on vit dans un monde extrêmement genré, je crois que d'enlever complètement... ne serait pas une bonne chose. D'enlever l'obligation serait certainement intéressant. Donc là, présentement, c'est comme, si on remplit un formulaire, là, il y a une petite étoile rouge à côté puis c'est un champ obligatoire. Je pense que, si on pouvait déjà enlever ça, ça serait comme déjà capacitant pour plusieurs personnes qui ne veulent pas avoir à utiliser le genre — ça fait que ça, ça serait bien — et, d'autre chose, de permettre aux gens de s'autodéterminer, donc de dire : Voici le genre que j'utilise dans la vie de tous les jours, voici lequel avec celui que je me sens le plus à l'aise. Donc, c'est plus ça que je dis que de dire qu'il devrait être débarqué au complet. Je veux dire, je pense qu'il y a des arguments qui sont intéressants pour dire qu'on doit l'avoir à certains niveaux — caché dans des caves statistiques pour dire... être capables de continuer à dire que les femmes gagnent moins que les hommes — mais de permettre aux gens de s'auto-identifier va donner de meilleures statistiques, parce que, là, on va vraiment savoir que toutes les femmes et tous les hommes sont bien répertoriés, sont bien dans les bons endroits qu'eux vont décider de s'identifier.

Une femme trans va traverser le plafond de verre, va le traverser en dessous une fois qu'elle va avoir fait une transition. Donc, est-ce que ce plafond de verre là existe? Oui. Est-ce qu'on doit encore avoir des études différenciées par le sexe? Absolument. Est-ce qu'elles doivent être visibles à l'ensemble des gens? Pas nécessairement. Et est-ce que chaque personne doit s'identifier à un sexe ou à un autre? Non, pas du tout. Donc, déjà, d'enlever l'obligation serait quelque chose d'intéressant. C'est une des choses qu'on propose d'ailleurs, de dire qu'on devrait l'enlever. L'obligation d'assignation à la naissance ne devrait pas être quelque chose qui est obligatoire, et c'est encore dans le Code civil pour dire qu'on doit avoir sur les papiers légaux l'identifiant de sexe.

Si on enlevait ça, déjà là on aurait un pas significatif qui serait fait. Donc, permettre l'auto-identification des gens selon leur parcours, et ensuite permettre de ne pas avoir d'identifiant, tout court.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Dans le contexte du règlement — je ne sais pas si vous étiez en transit cet avant-midi ou si vous avez eu la chance de prendre connaissance des échanges qu'on a eus avec Me Frémont — ce que j'ai annoncé, ce que j'ai signifié aux collègues de la commission mais aussi à Me Frémont, qui avait porté un regard très critique, et c'est le travail de la commission des droits de la personne et de la jeunesse... Alors, c'est pour ça qu'on a une commission des droits de la personne et de la jeunesse, c'est justement pour nous guider, nous, les parlementaires, notamment lorsqu'on est appelés à légiférer, lorsqu'on est appelés à se pencher sur certains enjeux. Et la commission des droits de la personne et de la jeunesse a levé les drapeaux face au libellé du règlement dans la forme que vous connaissez. Et avez-vous eu la chance d'entendre... Parce qu'on a échangé avec le président de la commission des droits de la personne et de la jeunesse et avec les membres qui étaient présents, parce qu'on essaie de trouver une piste d'atterrissage entre... parce que, là, actuellement, on a cette identification-là qui est prévue et on travaille avec les règles que nous avons actuellement pour permettre une transition, parce qu'on sait très bien aussi que, depuis l'adoption, en 2013, du projet de loi... et maintenant, il y a certains dossiers qui n'avancent pas au rythme qu'on voudrait, devant le Directeur de l'état civil, donc c'est important de pouvoir faire cette transition-là. Mais on comprend également que, dans la formulation du règlement, ça avait suscité un certain nombre de préoccupations de la part de différents groupes.

Plutôt que de parler d'apparence comme il était mention à l'article 23.1, on parlait plutôt d'une identité sexuelle. Me Frémont semblait intéressé par la référence de ne pas parler d'une apparence, parce qu'une apparence, on s'entend, là, c'est très subjectif. Et puis, encore une fois, là, je remercie notre collègue de Sainte-Marie—Sainte-Anne, qui... de Laurier...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Sainte-Marie—Saint-Jacques.

Mme Vallée : Sainte-Marie—Saint-Jacques. Ça va finir par entrer. Désolée. C'est parce que, malheureusement, c'est non parlementaire de s'appeler par nos prénoms et on trop habitués de s'appeler par nos prénoms. Mais c'est vrai que la question de l'apparence, ça ne veut rien dire, finalement, et...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je suis obligé de vous demander de... parce qu'on arrive à la fin du bloc.

Mme Vallée : Bien, bref, je voulais savoir ce que vous pensiez de cette suggestion-là qu'on avait apportée, j'aimerais ça vous entendre, parce qu'évidemment ça ne fait pas partie de votre mémoire.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En 30 secondes.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Oui, 30 secondes.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : On pourrait y revenir aussi.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Il y a confusion souvent entre «identité sexuelle» et «orientation sexuelle». Attendu la grande inefficacité du Directeur de l'état civil à être capable de s'occuper des dossiers trans, je ne suis pas sûre que c'est une bonne idée d'ajouter des choses qui vont confondre les employés qui travaillent là présentement. Donc, «identité sexuelle», ce n'est pas la bonne idée. Si on veut parler de quelque chose, ce serait «identité de genre». Mais rien de ces termes-là n'est bon si on reste quand même avec des choses comme «deux ans». Donc, tu sais, la question de temps, là, ce n'est pas...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : On devra y revenir, parce que, malheureusement, on a excédé un peu le temps qui était accordé au premier bloc. Je me tourne vers l'opposition officielle, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour. Ce qu'a commencé la ministre tout à l'heure avec la question... Et je vous la pose tout de go, très franchement : Est-ce qu'on devrait abolir les sexes?

Mme Bouchard (Gabrielle) : C'est à mon tour?

Mme Poirier : Oui.

Mme Bouchard (Gabrielle) : O.K. Bien, comme je disais, ça serait le fun, mais ce n'est pas quelque chose qui va arriver aujourd'hui, ni dans cinq, ni dans 10, ni dans 15 ans ou dans 20 ans. Le sexisme, la misogynie, les discriminations genrées, discriminations structurelles ou discriminations personnelles sont encore là. Donc, est-ce que le sexe est encore un outil qui est important dans les luttes féministes, dans les luttes syndicales, dans les luttes sociales? Absolument. Donc, oui, ça serait bien, mais je ne crois pas que c'est quelque chose qu'on peut faire.

Mais je reviens au point : l'idée de retirer l'obligation. Il y a tellement d'endroits où est-ce qu'on oblige le sexe... et c'est ces obligations-là qui causent des problèmes. Il y a des cégeps présentement qui disent : On va autoriser ton changement de nom à l'intérieur de nos murs, mais il va falloir que tu sois sur l'hormonothérapie. Ils ont copié ce qui se fait ici, là. Ce que vous faites là présentement va être copié après ça par d'autres espaces. Les cégeps, les universités, les écoles disent : On ne peut pas changer... ou autoriser l'utilisation du nom que tu utilises d'habitude parce que c'est obligé par le ministère de l'Éducation. Donc, des choses qui sont obligées ailleurs pour dire : On veut voir combien d'hommes et combien de femmes arrivent avec des diplômes universitaires de deuxième cycle, troisième cycle, au cégep ou au secondaire, à cause de ces obligations-là, on a des impacts significatifs sur les personnes trans. Parce que, quand on parle d'éducation et de discrimination, ce que les gens ont comme obstacle souvent, c'est que les personnes qui utilisent ces discriminations-là ou qui disent : Moi, je suis obligé d'utiliser... elles vont utiliser l'argument légal pour couvrir leur discrimination.

À l'hôpital, on va utiliser l'argument que c'est sur la carte d'assurance maladie pour justifier d'appeler un gars trans «madame» ou une femme trans «monsieur» dans la salle d'attente devant tout le monde. C'est ça qui arrive. L'identifiant, le M et le F, a des impacts dans la vie de tous les jours beaucoup plus grands que ce que vous pouvez vivre ou ce que vous pouvez voir. Donc, oui, de permettre aux gens de ne pas avoir à utiliser l'identifiant de genre serait quelque chose qui serait superintéressant dans la mesure où est-ce que ceux qui le souhaitent puissent s'auto-identifier eux-mêmes.

• (15 h 30) •

Mme Poirier : Je retiens de ce que vous me dites, là : baliser l'utilisation de genre. Dans le fond, si on balisait, peut-être qu'à certains endroits ou dans certaines modalités on ne devrait pas utiliser le genre mais que pour autre chose il pourrait y en avoir.

Puis je vous fais une référence sur : justement, au registre d'état civil, quand un enfant naît, on dit «nom de la mère», «nom de l'autre parent». Ça n'a pas beaucoup de sexe, ça. «Nom de la mère», c'est assez évident; c'est assez évident dans le sens où c'est le nom de la personne qui a mis au monde l'enfant là, à l'hôpital. À l'hôpital, là, tu viens d'accoucher, «nom de la mère», c'est celle qui a mis au monde l'enfant. Et après ça il y a «nom de l'autre parent». Ça, c'est au registre, actuellement, comme ça. Et moi, j'ai beaucoup de pères, actuellement, qui disent : Pourquoi, si c'est le nom de la mère qu'on spécifie sur la ligne 1, ce n'est pas écrit «nom du père» en dessous et que c'est écrit «autre parent»? Alors, ça, c'est une revendication des pères présentement. Alors, dans la même lignée, si on y va avec un «nom de mère» et «autre parent», on vient baliser, là.

Il y en a une, balise, là, qui s'est installée dans les formulaires qu'on a, qu'on utilise. Alors, comment on pourrait arriver justement à avoir des balises sur certains points où on pense qu'on a besoin... puis je n'ai pas d'idée sur quoi, mais ce sur quoi on pense qu'on pourrait avoir besoin d'inscrire une lettre... une et l'autre, et donc pour lequel on devrait tout simplement ne pas avoir d'utilisation de genre?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Sur la question de la mère, quand on parle de ne pas obliger des modifications structurelles qui, en passant, là... c'était plus qu'une réassignation sexuelle, là... Les gars trans, ce qu'on leur demandait, c'est d'avoir un retrait de leur utérus. C'est ça qu'on demandait. Ça veut dire qu'une fois que ça, ça va être retiré comme partout ailleurs ou plein... pas partout, mais plein d'autres places ailleurs, il y a des gars qui vont accoucher. Donc, de dire «mère» pour automatiquement signifier que c'est la personne qui a accouché d'un enfant, déjà là, ça aussi, c'est un pas qu'on doit aussi déconstruire, parce qu'il y a des pères qui vont accoucher. D'appeler ça une maternité, c'est le genrer.

Donc, les gars qui vont dire : Moi, je veux garder mon utérus, mais j'ai envie d'avoir des enfants, bien il va falloir qu'on leur permette. Et, en gardant ça comme étant une maternité et en gardant le terme «mère», bien on vient de mettre des barrières sur l'accès aux services que cette personne-là va avoir. Parce que peut-être que, bien, ce parent-là, qui se trouve à être la personne qui va accoucher, bien il va peut-être avoir une barbe, là, ou peut-être avoir une grosse voix.

Mme Poirier : ...exemple comme ça, il pourrait y avoir «noms des parents».

Mme Bouchard (Gabrielle) : «Noms des parents».

Mme Poirier : Alors, quand je parle d'une balise, là, à introduire, ça pourrait être «noms des parents».

Mme Bouchard (Gabrielle) : Par exemple, à l'université, un des travaux qu'on a faits beaucoup à Concordia, c'est la question du genre et avec le lien avec le ministère.

Ce qu'on a compris, c'est que le lien du genre avec le ministère puis avec l'université était strictement nécessaire pour valider que la note ou le diplôme, peu importe, s'en allait bel et bien dans le bon code permanent, donc c'était juste un moment de validation. Donc, l'université a gardé, dans ses dossiers en arrière, le genre, a gardé le sexe légal d'une personne — masculin ou féminin — mais ne l'utilise strictement que pour des questions administratives. Donc, ce n'est pas vu, tu sais, dans les dossiers étudiants, ce n'est pas vu aux yeux de tout le monde. Donc, les gens sont capables d'autodéterminer le genre, ou leur apparence, ou la façon qu'ils veulent fonctionner avec le nom qu'ils vont utiliser habituellement au sein des murs de Concordia. À ce moment-là, on se retrouve avec quelqu'un qui peut être vraiment juste... ou complètement une étudiante ou un étudiant. De la même façon où est-ce que d'être capable d'enlever «mère» ou d'enlever «père» pourrait parler du rôle parental que les gens veulent jouer sans nécessairement leur mettre un cadre qui est relativement rigide. Est-ce que ça répond à votre question?

Mme Poirier : Oui, tout à fait.

Mme Bouchard (Gabrielle) : O.K.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la députée, il reste environ une minute à ce premier bloc.

Mme Poirier : On va la reporter à un prochain bloc.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Donc, vous allez...

Mme Poirier : Oui, on va la reporter au prochain bloc.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : On va arrêter là. Je me retourne vers la ministre de la Justice pour un second bloc, compte tenu de... Je m'excuse, mais, compte tenu des blocs, ça nous force à être alertes.

Une voix : ...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Et à la flexibilité. Mme la ministre.

Mme Vallée : Bon. Il y avait toute la question de l'identité sexuelle. Vous m'avez mentionné que ça pouvait porter à confusion. On utilise le terme, puisque c'est le terme qui est prévu dans le Code civil et puis c'est un terme aussi qui est utilisé aussi en Ontario.

Alors, on essaie de trouver aussi une façon, tant qu'à réglementer, en réglementant, d'utiliser des termes que l'on retrouve ailleurs pour avoir une uniformité, une homogénéité aussi dans les différents textes pour permettre aux gens de se retrouver. Il y a aussi ce souci-là derrière la rédaction des textes. Est-ce que vous auriez une suggestion de libellé ou d'éléments qui pourraient être considérés? Je pose la question : Si vous aviez eu, vous, à déterminer l'étape pour la demande présentée à l'état civil... Parce que, lorsqu'on parle d'un changement de nom, il y a quand même des critères pour changer son nom. Il y a des critères pour changer les mentions à l'état civil. Il y a des critères. Changer d'état civil, on va demander une copie du jugement de divorce ou du jugement de séparation, peu importe. Alors, pour la changer, la mention de sexe, il y a aussi un certain nombre de critères qui doivent être respectés.

Je comprends que pour vous il y a cette préoccupation de rendre le tout le plus simple possible pour que ce soit le moins contraignant... pour éviter de discriminer davantage ceux et celles qui présentent leurs demandes. Alors, est-ce qu'il y aurait des éléments qui, pour vous, seraient des incontournables? Parce que nous, on peut élaborer; on peut arriver avec plein d'idées d'amendement, mais encore faut-il... Moi, j'aimerais vous entendre sur ce qui pourrait être, à votre avis, une voie de passage intéressante.

Mme Bouchard (Gabrielle) : O.K. Partons de la prémisse que l'identification d'un genre... Parce que ce n'est pas le sexe, hein? On s'entend, là, qu'on parle de sexe, là, puis c'est basé sur l'échographie ou bien donc après l'accouchement, là, mais ce n'est pas vraiment le sexe qu'on parle. On parle du genre ici, là, on parle du construit social, là, de notre présentation en société, des rôles qui nous sont alloués. C'est de ça un petit peu qu'on parle. Et ça, assigner ça à la naissance, nous, nos positions, c'est que c'est la même chose quand on assigne un... comme si on assignait un bébé hétérosexuel, dire : Bonjour, tu sais, félicitations, parents, vous avez un bébé hétérosexuel, et que, là, on avait une identification hétérosexuelle qui était assumée de cet enfant-là... qui l'est, dans le fond, là, mais qui n'est pas sur papier, qui n'est pas légale, là. Mais mettons qu'on légalisait cet identifiant-là, là, tu sais, là, d'hétérosexualité, et là que la personne devait prouver par la suite que, non, non, non, elle n'est pas hétérosexuelle, elle est vraiment gaie, ou lesbienne, ou bi, ou pansexuelle, ou asexuelle, et que ça ne fitte pas du tout. C'est un petit peu la même chose qu'on fait avec les personnes trans et avec les personnes intersexes aussi, où est-ce que ce qu'on fait, c'est qu'on assigne un genre, on assigne un rôle social basé sur l'observation de parties génitales. Quand les parties génitales ne fittent pas bien dans le cas des personnes intersexes, on les modifie très, très tôt à la naissance pour faire fitter ça dans ce qu'on comprend être un genre masculin ou un genre féminin et après ça on associe des rôles avec ça. Donc, nous, on part de cette prémisse-là, de dire que ça, là, au départ, là, ce n'est pas une bonne idée.

Si on avait à faire une réglementation qui serait bonne... Nous, on revient avec ce qu'on dit depuis 2013, là, où est-ce qu'on dit que l'Argentine, elle l'a pas mal, l'affaire, là. Eux autres, ils se présentent à leur équivalent du Directeur de l'état civil et ils disent... sous serment, je crois, là, et ils ont un affidavit, un deuxième, où est-ce qu'ils disent : Bien, nous, on veut... je confirme que l'identité qui est sur mes papiers ne correspond pas avec mon identité de genre. Et là on dit : Woups! Désolé, mauvaise assignation à la naissance. Et on change les papiers, puis c'est tout. Et ça, c'est suffisant pour l'ensemble d'un pays, là, c'est suffisant pour l'Argentine. Pour eux, c'est correct de faire ça. Mais je crois qu'on est capables d'avoir la même chose. On a déjà... puis je crois qu'on vous l'a mentionné ce matin, là... Une déclaration sous serment, si on ment là, c'est un parjure, puis un parjure, bien c'est passible jusqu'à 14 ans de prison. Et là c'est déjà ce qu'on fait, là, présentement, là. On met les gens dans des positions où est-ce qu'on leur dit : Si tu ne réponds pas à ces critères-là, si tu ne confirmes pas deux ans, si tu ne t'en tiens pas à ces règles-là, si tu survis à ces deux ans de discrimination là ou bien donc si tu mens là-dedans, tu es passible de 14 ans de prison parce que tu va avoir fait un parjure. Et, selon nous, de dire que les gens vont avoir autodéterminé... vont avoir déjà dit : Voici le genre auquel je m'identifie, qui ne correspond pas avec celui que j'ai à la naissance, s'il vous plaît, voudriez-vous le changer?, voici mon paiement, merci, bonjour... on vous envoie vos cartes la semaine prochaine...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre, 1 min 30 s.

• (15 h 40) •

Mme Vallée : Comment, dans une situation comme l'Argentine, par exemple, pouvons-nous assurer la stabilité aussi des... Parce que, si c'est l'équilibre qu'on cherche à trouver, et la stabilité de l'état civil, et le respect de ceux et celles qui doivent avoir recours à cette démarche-là, comment on pourrait assurer la stabilité de l'état civil? Parce que, je comprends, vous l'avez dit d'entrée de jeu, ce n'est pas les personnes trans qui vont jouer avec l'état civil, malheureusement, c'est probablement des gens qui utiliseraient la démarche à mauvais escient. Parce que c'est quand même notre responsabilité d'assurer une certaine stabilité des registres de l'état civil, et d'où la démarche protocolaire qui se fait, ne serait-ce que pour le changement de nom.

Comment on peut assurer ce respect-là de la stabilité de l'état civil lorsqu'on demande simplement une déclaration du demandeur et qui n'est pas corroborée d'aucune façon?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : 20 secondes.

Mme Bouchard (Gabrielle) : On le fait pour le mariage. Je veux dire, on le fait pour le mariage. On est capable d'assurer la stabilité des registres de l'état civil avec les mariages en ayant des déclarations sous serment puis des papiers signés. On demande un témoin, c'est correct, mais on ne demande pas au témoin de vivre deux ans, 24 heures sur 24, avec quelqu'un. On le fait déjà pour d'autres choses.

La question qui est plus importante, c'est : Qu'est-ce qu'on entend par «stabilité du genre» au Québec, là? Qu'est-ce qu'on veut dire par ça? Pourquoi est-ce que c'est si important que le genre reste stable à l'intérieur? C'est une question qui est importante, là. On est capables de faire l'autodétermination des genres.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre.

Mme Vallée : En fait, c'est la stabilité de l'état civil, des registres de l'état civil. C'est la stabilité de l'établissement et de l'acte, non pas la stabilité du genre, mais la stabilité de l'état civil, parce qu'on ne peut pas venir changer des états officiels ou des documents officiels de façon aléatoire et au gré du moment. C'est la même chose pour le changement de nom.

En fait, je fais le parallèle parce que le changement de nom requiert quand même un certain processus. Le mariage a quand même un certain processus. Il y a une publication des bans, il y a tout un formalisme qui est derrière ça. Même chose pour le divorce, il y a quand même un formalisme derrière le tout pour assurer une certaine stabilité. Et je comprends très bien que, de votre côté, vous nous dites : Nous, on s'inspire beaucoup... l'Argentine, pour nous, est très progressive et on considère que ce qui se fait en Argentine serait l'idéal.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre, je vais vous demander de conclure ce bloc.

Mme Vallée : Mais donc j'essaie de trouver la façon d'assurer cette préoccupation et... je comprends, là, et assurer les deux, finalement : assurer la stabilité de nos registres de l'état civil mais assurer aussi la protection des gens.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie, Mme la ministre. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Bouchard. J'ai lu votre mémoire, et il y a des choses très intéressantes là-dedans. Et on est réunis ici, et c'est extrêmement important, ce dont on parle. Et, moi, ce dont je suis triste, c'est que je n'étais pas à la réunion de travail avec le précédent ministre de la Justice lorsqu'il y a eu des discussions qui ont eu cours à l'égard de ces modifications au Code civil. Je n'étais pas là à l'époque. J'aurais aimé être là et les entendre, parce que c'est quelque chose d'extrêmement important.

Et ce que je trouve qui est intéressant dans votre mémoire, c'est qu'on a aussi un rappel historique, on fait un rappel historique. Et je vous ramène tout de suite à la page 5, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent. Comme il n'y a pas eu de commission parlementaire avant aujourd'hui, les gens ne savent pratiquement pas, précisément, de quoi il est question. J'ai fait mention du règlement ce matin, j'ai lu le règlement pour que les gens sachent de quoi il s'agit. Ce que je trouve intéressant dans votre mémoire... pages 4 et 5, un peu d'histoire, et je vais y aller rapidement parce que j'ai peu de temps, mais je vais quand même l'expliquer. Je trouve que c'est intéressant que vous le mettiez là puis qu'on voie l'évolution. Vous nous dites : «Au cours de l'histoire Code civil, deux dispositions ont été créées pour encadrer le processus de changement de mention de sexe. La première, valide de 1978 à 2004, demandait de répondre aux prérequis suivants...» Alors, il fallait avoir subi des modifications structurelles des organes sexuels, suivre des traitements médicaux, être majeur, être domicilié au Québec depuis un an, être citoyen canadien, être non marié ou divorcé.

Et vous poursuivez à la page 5 : «Pendant 26 ans, le législateur, par l'entremise du Code civil, exigeait les mêmes prérequis afin d'autoriser le changement de mention de sexe — et c'est de ça qu'il est question aujourd'hui, cette mention de changement de genre. Durant cette période [approximative], 350 personnes ont répondu à ces prérequis et ont ainsi pu obtenir un changement de mention de sexe. De ce nombre, 105 ont obtenu un changement de féminin à masculin, et 245, un changement vers le féminin.»

On est rendus en 2015. On a quand même avancé, parce que ces critères-là, qui faisaient loi à l'époque, ne sont, en grande partie, plus là. Il y a beaucoup de ces conditions-là qui sont disparues, entre autres... avec le nouveau code, là, avec le nouveau code, entendons-nous, entre autres, avoir subi des modifications structurelles aux organes sexuels, suivre des traitements. Le nouveau code ne dit pas ça pour ce qui est du changement de genre qui est proposé, à moins que je me trompe. Maintenant, on est ici pour étudier le règlement qui nous dit quelles sont les conditions d'application pour que le changement de genre soit appliqué. C'est pour ça qu'on est ici. Cependant, il y avait des chiffres que vous avez dits qui sont intéressants, mais ils touchent, et corrigez-moi si je me trompe, uniquement le ou les transsexuels.

Le nouveau règlement touchera les transsexuels et transgenres. Est-ce qu'on a une idée de la population au Québec qui répond à ces critères, qui s'identifie à des personnes trans, une idée, là? Éclairez-nous.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Le Centre de lutte contre l'oppression des genres refuse l'espèce de dichotomie qu'on essaie de faire entre «transsexuel» et «transgenre». Pour nous, c'est une fausse dichotomie, c'est une fausse séparation, ça ne tient pas compte du vécu des gens, et c'est assez oppressif pour... Parce qu'habituellement, lorsqu'on utilise «transgenre», spécifiquement quand il y a une séparation qui est faite comme ça, ça ressemble beaucoup à des mots péjoratifs qu'on utilise pour des orientations sexuelles, donc «on sait bien, les transgenres». Ça sonne un petit peu comme des termes qu'on va utiliser, «fif», ou «tapette», ou des affaires comme ça. Donc, ce n'est jamais utilisé de façon positive, c'est utilisé de façon péjorative. Donc, pour nous, on utilise le mot «trans». L'étude que je suis en train de faire, d'où ces chiffres sortent, là, inclut tant les personnes qui ont fait des changements de nom genré que des personnes qui ont fait des changements de mention de sexe.

Donc, pour nous, attendu qu'on comprend que l'utilisation d'un nom qui nous représente mieux est quelque chose d'extrêmement important dans la vie des personnes trans, on a considéré que les changements de nom genré étaient aussi des transitions, étaient des gestes légaux que les gens posaient pour être capables de fonctionner en société. Donc, des gens qui ont dit : Moi, je ne peux pas ou je ne veux pas de modification structurelle de mon corps, je ne veux pas passer à travers ça, je vais aller chercher un changement de nom, je vais passer de «Monique» à «Michel» ou je vais passer de «Jean-Pierre» à «Ginette», et ça, ça va être quelque chose que je vais être capable de négocier dans ma vie... Donc, les chiffres qu'on parle, c'est vraiment des chiffres qui incluent tant les personnes qui ont eu des modifications structurelles de leur corps — que ce soient des stérilisations par la vaginoplastie ou des stérilisations par l'hystérectomie — que les personnes qui n'ont fait que des changements de nom.

Mme Roy (Montarville) : Alors, je vais reformuler ma question autrement : Ça représente quel pourcentage de la population — et là je ne veux pas insulter personne — les gens trans? Et je ne disais pas «transgenres» d'une façon péjorative, dans la mesure où j'ai déjà fait quelques reportages avec des gens transgenres et qui s'identifiaient transgenres et ce n'était pas du tout péjoratif. Alors, la population trans, on parle de quel pourcentage de la population?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Je ne le sais pas. On n'a pas de bons chiffres. Je pense que, là, la recherche sur laquelle on est en train de travailler va nous permettre d'avoir des indicateurs qui vont être plus précis. Mais de demander une déclaration obligatoire de l'identité trans, ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire. Puis les chiffres qu'on a présentement à travers le monde sont beaucoup basés sur des chirurgies. Donc, c'est les gens qui vont avoir passé à travers des processus qui sont pathologisants... ces personnes-là vont être comptées. Et ça parle beaucoup des femmes trans, mais très peu des hommes trans, donc les chiffres ne sont pas très, très représentatifs.

Si on parle de mauvaise assignation à la naissance, là on pourrait avoir des chiffres qui seraient plus intéressants. Puis rappelez-moi dans un an puis je pourrai vous donner des chiffres, là. Je n'en ai pas, là.

• (15 h 50) •

Mme Roy (Montarville) : Alors, je vais poursuivre sur le peu de temps qui m'est alloué. Je vous amène aux conclusions parce qu'on est ici justement pour critiquer le règlement, tenter de l'améliorer, voir ce qu'on peut faire.

Dans vos conclusions — et je vais y aller rapidement, mais vous élaborerez : Position du Centre de lutte contre l'oppression des genres, vous vous opposez à «l'utilisation de l'apparence et d'un temps défini telle que présentée dans le règlement», vous vous opposez «à la demande de déclaration sous serment» telle que demandée par le règlement, vous vous opposez aussi... pardon, vous demandez «à ce que l'évaluation par un professionnel de la santé soit retirée du projet de règlement» et vous vous opposez à la demande de déclaration sous serment d'un témoin de l'apparence du requérant.

Alors, ma question est la suivante : Puisqu'on travaille sur le règlement et ce sont pratiquement les quatre critères qui sont à l'intérieur du règlement auxquels vous vous opposez, que souhaitez-vous comme modalités d'application du règlement?

Mme Bouchard (Gabrielle) : On doit commencer par avoir la compréhension claire que le document doit être fait à partir... on doit parler d'autodétermination.

Présentement, aucune de ces règles-là n'est basée dans l'autodétermination des gens. Ce qu'on dit, c'est qu'on dit : Je te garantis deux ans de discrimination, et ensuite on pourra parler, de la même façon que présentement on garantit aux mineurs... aux personnes trans qui sont mineures, on leur garantit une discrimination jusqu'à 18 ans, de la même façon qu'on garantit aux personnes qui n'ont pas de citoyenneté canadienne, «never mind» qu'ils soient résidents permanents, peu importe... on leur garantit une discrimination jusqu'à tant qu'ils aient ça. Donc, la question de temps ne tient pas compte de l'autodétermination et garantit une discrimination, ça doit être enlevé de là. Donc, chacune des règles a été construite pour faire, pour créer un ensemble, mais cet ensemble-là a été créé en voyant les personnes trans ou toute autre personne comme des fraudes potentielles. On doit renverser notre schème de pensée et beaucoup plus dire : O.K., les personnes qui vont venir faire ces demandes-là vivent déjà des difficultés sociales, et on va essayer de ne pas en ajouter une légale en plus de ça.

Donc, si on veut parler d'apparence ou si on veut parler de genre ou d'identité, assurons-nous qu'on dise que ça ne fitte pas avec qu'est-ce qui a été assigné à la naissance. Si on veut parler de deuxième témoin pour dire qu'on doit assurer la stabilité du registre, assurons-nous qu'on ne demande pas à quelqu'un d'aller valider l'identité de quelqu'un, mais beaucoup de valider ce que la personne dit, va faire. Donc, c'est plus vers cette avenue-là. Demander à un médecin de valider... les médecins ne sont pas formés pour ça, là. J'ai hâte d'entendre le président-directeur général des médecins, là, parce que les gens ne sont pas formés pour ça, là.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Quelques secondes.

Mme Roy (Montarville) : Alors, qui serait compétent pour former... pardon, pour se prononcer — un sexologue? — si on ne veut pas médicaliser la chose? Qui, selon vous?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Non. Les sexologues présentement ne sont pas plus formés pour être capables de parler d'identité de genre.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ces échanges avec la deuxième opposition. M. le vice-président de la commission.

M. Lisée : M. le Président, merci. Merci beaucoup, Mme Bouchard, d'être là. C'est très intéressant, l'ensemble des propos que vous portez et l'expérience que vous représentez, des gens qui sont avec vous.

Donc, avec ma collègue, on a parlé de ce qui vous gênait. Je vais essayer de voir ce que vous proposez, donc l'autodétermination. Donc, le demandeur ou la demanderesse se présente et dit, avec la nouvelle formulation de la ministre : J'assume mon changement de genre et je demande cette modification. Donc, ça, ça vous va. L'approche, vous dites, la plus capacitante pour les personnes trans et qui saurait répondre aux besoins du gouvernement de légitimation du processus serait de demander une déclaration sous serment de la ou du demandeur confirmant que le sexe sur son acte de naissance ne correspond pas à son genre vécu. Donc, ça, ça va. Et ensuite vous dites : «Nous étions prêtes et prêts à accepter une deuxième déclaration, dans la mesure où celle-ci n'avait pour but, telle que la première, que de valider la non-concordance entre le sexe assigné à la naissance et le genre vécu par la ou le demandeur.» C'est-à-dire un témoin, une deuxième personne qui ne soit pas médicalisée, qui ne soit... Et c'est ma question, donc : Comment est-ce que vous définissez cette deuxième personne? Est-ce que vous êtes toujours d'accord avec le fait qu'il y ait une deuxième personne si la première s'autodétermine?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Je ne peux pas faire le règlement comme ça juste avec vous autres ici, autour de la table, là. Ce que je peux dire, c'est que je peux dire que le règlement qui est là, il n'est pas correct.

Je peux dire que, pour nous autres, dans nos discussions puis dans nos conversations avec les personnes, on se dit : D'avoir une déclaration sous serment, c'est correct, on va le faire. Les personnes trans qui viennent nous voir, elles disent : Oui, oui, je vais la faire, la déclaration sous serment, je suis correct de vivre avec l'idée que, si jamais ils pensent que j'ai fait un parjure, de faire face à 14 ans de prison. Je suis correct d'avoir quelqu'un dans ma vie — n'importe qui dans ma vie — qui va venir valider ça, mais je ne veux pas être obligé de courir après un ingénieur ou courir après un médecin qui me refuse déjà des services, là, puis en plus de lui demander, dire : Bien, tu veux-tu confirmer mon genre? Mais il va dire : De quoi tu parles? Puis là il n'y aura pas le service.

On assure avec ces règles-là que les gens vont se river sur des portes fermées ou qu'ils vont se faire sacrer dehors. Donc, de dire : Je confirme, comme on dit, que le genre qui m'a été assigné à la naissance ne correspond pas à mon identité de genre et, à la limite, pour assurer la stabilité, d'avoir une deuxième personne qui, sous serment, va me fonctionner ça, deux possibilités de 14 ans de prison, là, d'après moi, ça devrait être suffisant pour s'assurer qu'on a quelque chose qui est solide.

M. Lisée : Je suis très sensible aux arguments d'équité entre les différentes modifications à l'état civil. Il n'y a pas de raison que pour les changements de genre ça soit plus compliqué que pour les autres, mais, à l'inverse, il n'y a pas de raison que ça soit moins compliqué, puisque c'est l'état civil, c'est inscrit, il y a un certain formalisme. Et effectivement, pour le divorce, pour le mariage, ce n'est pas si simple. On peut se marier autant de fois qu'on veut, on peut divorcer autant de fois qu'on veut, il n'y a pas de limite, mais ce n'est pas si simple. Et même, me disait ma collègue, pour le passeport, pour juste dire «c'est moi», on demande à un tiers qui est en autorité quelque part; ça peut être le banquier, ça peut être même quelqu'un qui vous connaît depuis quelques années. Et donc il y a quand même un test à passer que ce n'est pas... on ne se présente pas avec n'importe lequel témoin, son frère, sa soeur, son voisin, son chum. Ce n'est peut-être pas une bonne idée, c'est peut-être une bonne idée. Je fais juste constater.

On recherche ici l'équité pour l'ensemble des changements de l'état civil. Et puis je vous le soumets : Est-ce qu'à partir du moment où on acceptait l'autodétermination... Et la question du délai que vous posez, je trouve, est un argument très valable : Pourquoi ce délai, à partir du moment où la personne s'assume, surtout qu'on demande à ce que la personne soit majeure? Et on sait que beaucoup de changements de genre se font chez les mineurs. Alors, déjà, il y a un délai qui est imposé par la loi telle qu'elle est écrite. Est-ce que vous êtes ouverte à une discussion sur la qualité de la deuxième personne?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En 30 secondes.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Oui. Pour le passeport, qui est quand même un... tu sais, c'est hot, là, un passeport, là, bien on ne demande plus ce genre de personne là, là. La personne, le garant, ne doit plus nécessairement être une personne en position d'autorité, là. On a même compris au niveau du passeport, qui est une pièce extrêmement importante puis qui nous garantit notre identité à travers le monde, que ce n'était plus nécessaire d'avoir ça. Donc, on a déjà vu qu'on pouvait avoir des gens dans notre entourage qui étaient capables de le faire. Si on le fait pour le passeport, qui nous donne l'autorité à travers le monde, on peut le faire aussi ici, à l'interne.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. Mme la ministre, un dernier bloc d'intervention.

Mme Vallée : Bien, en fait, vous m'amenez, Mme Bouchard, là où je voulais aller, c'est que le passeport demande une corroboration par un tiers, une personne majeure, qui n'a plus à être une personne d'autorité, là. Les critères ont été assouplis.

Une voix : ...

Mme Vallée : Mais il y a une distinction. Mais ce n'est plus aussi strict que ce l'était il y a quelques années, parce que c'était, justement, complexe d'aller chercher notamment un avocat ou un commissaire à l'assermentation, ou peu importe. Donc, si on regarde la corroboration par un tiers, une personne majeure évidemment, parce que, pour signer ou pour attester d'un document, la majorité d'une personne demeure un élément important, est-ce que, ça en soi, je comprends que c'est un élément de corroboration et de formalisme auquel vous semblez adhérer?

• (16 heures) •

Mme Bouchard (Gabrielle) : Ce que les gens nous disent, c'est que, si on doit avoir une personne qui corrobore et qu'on peut choisir cette personne-là comme étant quelqu'un qui nous accepte, quelqu'un qui nous comprend, quelqu'un qui est déjà dans notre vie puis qui sait à travers quoi qu'on passe, bien, oui, d'avoir cette personne-là, qui va nous accompagner dans ce moment-là, qui peut être tellement joyeux puis qui peut tellement être capacitant, absolument, tu sais, allons-y vers ça.

Mais il faut faire attention, là, parce que, si on garde les autres choses qui sont dans le projet de règlement, de la façon qu'ils sont présentement, faire les choses à moitié n'arrange pas rien, là, de la même façon où est-ce que de dire qu'on retire les obligations de chirurgie mais qu'on ajoute celles qui avaient été mises là en place n'a rien réglé. Donc, la deuxième personne qui corrobore un témoin n'est pas mauvaise en soi. Ce qu'on lui demandait de faire, ça, c'était problématique.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : ...complète cet échange avec la ministre. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, pour trois minutes.

Mme Massé : Merci, M. le Président. Bonjour, Gabrielle. En fait, ce qui est problématique, c'est : si on garde la notion de délai, si on garde la notion de personne professionnelle, que tout le monde nous dit, bon, qu'ils ne sont malheureusement pas bien formés, tout ça, on aura beau avoir une corroboration par un tiers, mais, si on demande au tiers de dire : Oui, je te connais puis ça fait deux ans que tu vis... là, vous dites : Ça, ça n'a pas de bon sens. En fait, si je comprends bien... et je continue, là, parce que j'ai l'impression que c'est ça que les deux derniers intervenants essaient de... si je comprends bien, en fait, vous, là... une mécanique, on cherche un formalisme, j'ai bien entendu, une espèce de mécanique claire — vous l'avez même écrit dans votre mémoire — paramètres clairs qui vont guider les gens. Les droits de la personne ont fait la même chose. Vous dites, un, autodétermination, donc un formulaire qui dit : Voilà, j'assume qu'à partir de maintenant voilà qui je suis. Clang! Deux, deuxième petit mécanisme, quelqu'un que je connais, qui m'aime et qui m'accepte tel que je suis, qui aussi sous serment — point d'interrogation — dit : Oui, moi, je connais cette personne-là, déposez ça, c'est réglé. Est-ce que je comprends bien?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Oui.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Ça a l'avantage d'être clair.

Mme Bouchard (Gabrielle) : On n'est pas un marché aux puces, là, on n'est pas en train de barguiner sur comment pas oppressive ou oppressive la réglementation va être, là. Je pense que les groupes sont assez unanimes pour dire que c'est oppressif. On a déjà des règles qui sont en place, on a déjà des structures législatives qui sont en place pour être capables d'assurer que les déclarations sous serment vont être tenues et que, si jamais il y a un parjure, il va y avoir une répercussion sur les individus qui vont le faire. Donc, mononcle, là, qui va se réveiller un matin puis qui va dire : Moi, je fais un changement de mention de sexe, là, lui, on va pouvoir le poigner avec le 14 ans après si on a besoin. La personne trans, elle va être capable de continuer son chemin, va être capable d'être juste une étudiante ou un étudiant.

Mme Massé : Et c'est peut-être que...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En 50 secondes.

Mme Massé : Ah! 50 secondes. Bon. C'est sûr que, dans le changement de l'état civil, je veux dire, sur mon... Quand on faisait, par exemple, référence à la question du mariage, changement de nom, ce que moi, je comprends de l'expérience des gens que je côtoie... et vous pourriez peut-être le corroborer, c'est-à-dire que, oui, mais même si c'est écrit «marié», là, ça ne m'amène pas à me suicider, ça. Même si ce n'est pas le bon prénom ou il n'y a pas le trait d'union avec l'autre nom, ça ne m'amène pas à perdre ma job. En fait, ce que vous autres, vous dites clairement, c'est : Donnez-nous juste les moyens d'exister simplement, c'est déjà assez compliqué.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En 10 secondes.

Mme Bouchard (Gabrielle) : À Concordia, on a probablement sauvé des vies, parce qu'on a permis aux gens d'être juste des étudiants. Ce qu'on vous demande, c'est de faire la même chose avec le restant des personnes qui sont trans au Québec.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie beaucoup, Mme Bouchard, pour ces explications fort éclairantes.

Nous allons suspendre quelques instants afin de permettre à notre prochaine invitée de s'approcher.

(Suspension de la séance à 16 h 4)

(Reprise à 16 h 6)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous accueillons maintenant Mme Monica Bastien, présidente du groupe Aide aux trans du Québec. C'est bien ça?

Une voix : ...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, bienvenue à la Commission des institutions. Vous allez disposer d'une période de 10 minutes pour votre présentation, et ensuite il y aura des échanges avec les parlementaires. À vous la parole.

Aide aux trans du Québec (ATQ)

Mme Bastien (Monica) : Merci beaucoup. Bonjour, tout le monde. Merci de m'entendre et d'être ici. C'est la première fois que je viens ici, alors je trouve ça pas mal beau, pas mal le fun. Ça fait que c'est intéressant.

Alors, comme présidente de l'Aide aux trans du Québec depuis 2013, alors, je vois beaucoup de personnes, et je côtoie beaucoup de personnes dans les transitions, et je supporte ces gens-là, parce que le mandat de l'ATQ, c'est aide, support, entraide, démystification, sensibilisation. Donc, on aide les gens à tous les niveaux du processus. Moi, mon métier, c'était éducatrice spécialisée en psychiatrie. Donc, j'ai travaillé pendant 35 ans. Je suis retraitée maintenant de la fonction publique; très bons avantages sociaux. Alors donc, je suis en position d'aider et de comprendre ce que les gens vivent dans le processus de changement d'identité.

À l'ATQ, nous avons décidé de parler de transidentité et non de transsexualité. Ce que nous vivons, ce n'est pas une question de sexualité, mais d'identité de genre qui se vit à l'intérieur de nous, c'est un processus interne. Et l'identité d'un enfant se fait en bas âge, se fixe en bas âge. En psychologie, ça a été prouvé. Donc, c'est en bas âge que ça se passe et ça se fixe là. Alors, quand on parle de sexe, de sexualité, ces choses-là, je trouve que c'est un terme qui a été utilisé pour justement mettre l'aspect sexuel de l'avant. Donc, nous, on met la transidentité de l'avant, on parle de personnes transidentitaires, donc identité de genre, et notre genre n'est pas basé sur des organes génitaux. Donc, c'est là qu'on peut avoir des variantes, parce que présentement, à l'ATQ, nous avons des personnes qui ne veulent pas être ciblées soit hommes ou femmes dans leur genre, ils veulent être neutres.

Voilà deux semaines, je suis allé au Tribunal des droits de la personne présenter, faire une conférence de deux heures, et on parlait justement des genres. On pourrait avoir un genre féminin, masculin ou autre, ce qui se fait dans d'autres pays présentement. C'est des solutions possibles. La communauté trans, quand elle a vu... puis on s'est réunis pour ça puis on a discuté ensemble, quand on a vu les règlements qui sont proposés, on s'est dit : Oups! On fait un recul, ça ne marche pas. Présentement, les personnes trans font une transition; en dedans d'un an, tout est fait, tout est réglé. Alors, vous demandez deux ans, ça n'a pas d'allure. Ce n'est pas dans la réalité de ce que l'on vit présentement. Si les gens ne veulent pas d'opération, ils attendent encore après leurs papiers, ils attendent encore leurs papiers, leurs papiers, leur changement de mention d'identité, de genre sur leurs papiers, qui ne se fait pas. Alors, c'est très pénible. Et, quand on dit que c'est sérieux, c'est que c'est 70 % des personnes trans qui ont des états ou des idées suicidaires. Alors, c'est majeur comme situation de crise. Moi qui étais habituée de faire de la gestion de crise dans mon milieu de travail que je suis retraitée maintenant... il y a une détresse énorme.

Alors, quand on exige par une loi des prérequis aussi lourds, aussi énormes à un changement de mention d'identité de genre sur les papiers légaux, ça alourdit, ça stigmatise. Bon, Françoise Susset, elle donne des formations présentement. Je ne sais pas si elle a passé ce matin ou elle passe cet après-midi, là.

Une voix : ...

• (16 h 10) •

Mme Bastien (Monica) : Non plus? D'autres journées. O.K. Je fais des conférences avec elle, et on est vraiment d'accord là-dessus : la plus grande stigmatisation, c'est les obstacles que la société... ils sont là, devant nous.

Au point de vue législatif et médical, c'est deux choses. La législation présentement est lourde et ne nous permet pas d'être des personnes comme tout le monde. Alors, moi, je dis toujours qu'il y a un préjudice qui est causé. Pourquoi on exige à nous, personnes trans, des papiers, des documents, des preuves de? Je suis d'accord avec la position de Gabrielle Bouchard qu'un document, simplement, qui, sous assermentation, nous dirait tout simplement : L'autodétermination, on change d'identité, on l'écrit puis on assume... puis il faut avoir confiance en la responsabilité des gens qui le font. Vous parliez tantôt des craintes que vous avez, que le... attends une minute, au niveau de l'état civil, vous avez des craintes, mais elles sont basées sur quoi, ces craintes-là? Est-ce que c'est des choses qui ont été réalistes? En psychiatrie, ils ont souvent dit : Ce qui est réaliste, c'est ce qui est terre à terre, vraiment. Puis l'imaginaire... c'est deux choses complètement différentes, là. Donc, il ne faut pas imaginer des scénarios au pire. Dans d'autres pays, comme Gabrielle l'a expliqué, tout va bien, tout se fait bien, puis c'est important. Il n'y a pas de séquelle, il n'y a pas de risque majeur au point de dire à ces personnes-là : On n'autorise pas un changement d'identité sous le prétexte de crainte de. Ça, sur le plan légal, je trouve qu'il y a vraiment un préjudice qui est déjà causé par les termes utilisés.

Moi, comme présidente, je milite depuis un certain temps, je vois des gens en souffrance, je vois des gens qui ont besoin d'aide, et on me demande beaucoup qu'on pourrait avoir l'autodétermination et que juste une personne, comme le passeport... Le passeport, c'est plus qu'une personne, je crois, qu'on demande comme témoins, là, parce que j'en ai complété un avec quelqu'un cette année, qui sont comme des personnes qui disent O.K., confirment le tout sur le passeport. C'est une méthode qui est très simple, efficace, et la personne se doit de faire des recherches pour trouver une personne qui corrobore ces faits-là. Ça serait un atout merveilleux de procéder de cette façon-là, et vous diminueriez ainsi le premier impact législatif majeur sur les gens pour ne pas que... briser cette barrière-là, là, en fin de compte. Ça serait un soulagement immédiat de ces gens-là d'avoir juste à compléter un papier. Donc, on aurait des gens qui seraient beaucoup plus fonctionnels, des gens qui seraient plus aptes à faire leur vie et qui ne craindraient pas d'aller au-delà du législatif. Ils iraient de l'avant, ils seraient fiers de l'être.

Présentement, au milieu de travail, je rencontre des gens, je rencontre des employeurs pour aider des personnes à briser cette barrière-là des règlements, de la loi. Les gens disent : Ah! la loi, il faut attendre que les papiers légaux soient changés pour qu'on puisse faire travailler la personne dans sa nouvelle mention d'identité, parce qu'elle travaille, cette personne-là, comme préposée, comme intervenante et elle ne peut pas travailler avec les filles ou les gars, parce qu'on va attendre les papiers, parce qu'on ne peut pas savoir : Où est-ce que tu peux aller? Dans les toilettes de filles ou toilettes de gars? Quand tu es rendu que tu accompagnes quelqu'un dans sa transition puis tu lui dis : On t'empêche de travailler parce que ton identité ne correspond pas puis tu ne peux pas faire ta job, je trouve ça grave, je trouve ça décevant. Les gens ne connaissent pas la loi et utilisent les textes pour adapter leur situation et surtout moi, je trouve que c'est un reflet complet de la méconnaissance de notre société par rapport à la transidentité présentement. On est des êtres humains, on est comme tout le monde, on vit comme tout le monde, on a des valeurs, on a des enfants — j'ai deux enfants — alors on a le droit, au même titre que tout le monde, aux mêmes règlements, au même statut que tout le monde sans être obligés de se justifier. Est-ce que mon 10 minutes est terminé?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Il reste une minute quelques...

Mme Bastien (Monica) : Eh wow! C'est du calcul, ça.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mais on peut l'utiliser dans les échanges avec les parlementaires.

Mme Bastien (Monica) : Bien, je les utilise pour l'échange avec les parlementaires. J'aime bien échanger.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Bon, formidable. Mme la ministre, pour un premier bloc d'intervention.

Mme Vallée : Bonjour, Mme Bastien. Bien contente de vous revoir. C'est justement ça, l'objectif du travail qu'on fait, c'est de venir assouplir les barrières auxquelles font face ceux et celles qui s'adressent au Directeur de l'état civil, mais il faut trouver une... je le dis et je le redis, on a cette voie de passage là à trouver entre la stabilité des actes de l'état civil et le respect des droits de ceux et celles qui font les demandes de modification au registre de l'état civil. Et vous avez aussi mis le doigt sur un élément qui est extrêmement important — je pense, ça va au-delà de ce sur quoi on se penche aujourd'hui — mais c'est toute la question du manque d'information dont disposent bien souvent les employeurs, le manque de connaissance, le manque de sensibilisation face à la réalité des personnes trans. C'est ça.

Parce que, lorsque vous faites mention qu'une personne ne peut travailler parce que les documents ne sont pas officialisés, bien, à la base, bien souvent, c'est parce qu'il y a une incompréhension, parce que, chez des employeurs où cette compréhension-là existe, les barrières ont tendance à ne pas être aussi hautes.

Mme Bastien (Monica) : C'est ça. C'est en milieu scolaire, en plus, ça, là.

Mme Vallée : Alors, ça nous démontre à quel point, pour atteindre l'égalité, on a beaucoup de chemin à faire. On en parle avec les collègues, on en parle dans le dossier des agressions sexuelles, à quel point on a encore du chemin à faire, mais, dans la réalité des personnes trans, je pense que la marche est encore plus haute, et c'est notre responsabilité, comme parlementaires, de voir à nous amener vers cette égalité-là.

Dans le contexte du règlement, parce que le règlement sur lequel on se penche, le règlement que tout le monde a étudié et que les groupes sont appelés à commenter... c'est un petit peu le formalisme, c'est-à-dire, pour pouvoir faire ces modifications-là au registre de l'état civil, on doit répondre à un certain nombre de critères. Je comprends qu'il y a des critères avec lesquels, de façon unanime, les groupes aujourd'hui nous disent : Écoutez, c'est trop, ces critères-là nous amènent dans une situation qui risque de fragiliser notre réalité et de nous mettre dans une situation aussi discriminatoire. Puis ça, je l'entends bien, je le comprends. Puis l'objectif de la démarche qu'on fait, c'est justement, c'est d'entendre les commentaires pour pouvoir arriver avec quelque chose qui sera capable de répondre aux différents impératifs.

Quel serait, pour vous — si je vous comprends bien, là — la façon ou le formalisme qui pourrait être acceptable? Est-ce que c'est, bon, la déclaration solennelle de la personne, évidemment, dans un premier temps?

Mme Bastien (Monica) : Oui, oui.

Mme Vallée : Je pense qu'une déclaration solennelle... puis ça, je pense que tous ceux et celles qui, à date, sont passés devant nous nous disent : Oui, on...

Mme Bastien (Monica) : Absolument. C'est sérieux, là. C'est une démarche sérieuse, là, oui.

Mme Vallée : ...c'est sérieux, on s'adresse à l'État civil. Alors, ça, vous êtes à l'aise avec ça. Sur la corroboration par une tierce personne, ça aussi, ça vous va. Et, dans votre lettre, vous dites : «Notre hypothèse de travail porte sur trois points, donc la déclaration solennelle, la déclaration solennelle d'un témoin — donc d'une tierce personne — et deux évaluations par des professionnels du domaine de la santé, selon les normes de soins.»

Mme Bastien (Monica) : Attendez un petit peu. Ça, ça a été en décembre que je vous ai amené ça. Ça a changé depuis, O.K.? La dernière proposition; rayez.

Mme Vallée : D'accord. Donc, votre nouvelle proposition, vous mettez de côté... dans le fond, si je comprends, c'est les évaluations des professionnels que vous biffez complètement.

Mme Bastien (Monica) : C'est qu'il faut se fier à la responsabilité des gens qui font leurs propres démarches. Quand on demande l'autodétermination, c'est une responsabilité que les gens ont à faire leur vie. Si on prend en charge leur vie, l'État prend en charge la vie de ces gens-là, où est-ce qu'elle est, l'autodétermination? Il faut que les gens assument ce qu'ils vivent et ce qu'ils font. Si les gens ont besoin d'aide pour une transition, ils vont aller chercher l'aide, et là on a besoin d'aide de la RAMQ et du corps médical, du corps psychologique si la personne a besoin d'un support. Si la personne a un problème de santé, elle va aller consulter, elle va aller demander de l'aide comme tout citoyen, donc, à ce moment-là, c'est un dossier qui est de santé uniquement.

Quand qu'on parle de dysphorie de genre, c'est un problème de santé qui est une période qui est durant la transition et non qui s'étale durant toute une vie, et ça, ça a été vraiment prouvé et démontré dans les recherches de Mme Françoise Susset. Alors, que les personnes puissent faire cette transition-là juste en exigeant un papier d'assermentation et une référence, ça serait amplement suffisant, et je pense que l'État n'a pas à craindre d'un risque quelconque de... Comme Gabrielle l'a très bien dit, 14 ans de prison parce que tu fais une fausse déclaration, je pense que c'est très suffisant pour calmer les ardeurs de ceux qui voudraient essayer de frauder, puis ça pourrait être écrit tout simplement, un avis en bas : S'il y a une fraude quelconque, vous allez être sous... voyons, sous assermentation, vous allez risquer des peines. À ce moment-là, c'est sérieux, c'est sûr.

• (16 h 20) •

Mme Vallée : On pose beaucoup de questions, parce que, si on regarde ce qui se fait, si on compare dans d'autres provinces ou même dans d'autres pays, les...

Mme Bastien (Monica) : Ontario, oui.

Mme Vallée : Bien, l'Ontario exige quand même des lettres signées par un médecin ou un psychologue; on a la Colombie-Britannique aussi, il y a un membre des médecins, même, médecins chirurgiens, ce qui va encore plus loin que nous demandions; on a le Manitoba aussi et on a l'Alberta et le Nunavut. Donc, dans le fond, dans les provinces canadiennes, parce que ce n'est pas toutes les provinces canadiennes qui en sont rendues là où on en est rendus, les provinces demandent des lettres d'un professionnel. Et, même dans les autres juridictions, je regarde, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Portugal et l'Uruguay demandent quand même des professionnels, des témoignages de professionnels. Donc, on a l'Argentine qui est très progressiste...

Mme Bastien (Monica) : Oui, oui, l'Argentine.

Mme Vallée : ...par une déclaration du demandeur, et on a la Suède qui demande une période de temps, qui ne demande pas d'exigence de corroboration de la part d'un médecin ou d'un spécialiste mais qui demande quand même et qui oblige de vivre dans l'identité de genre depuis une période de deux ans. Alors, la Suède a d'autres exigences. Alors, lorsqu'on a élaboré le règlement, c'est un petit peu en essayant de trouver... aussi en s'inspirant de ce que d'autres juridictions ont mis en place. Donc, c'est un petit peu ce qui était derrière tout ça, puis aussi les différentes documentations écrites sur la question.

Alors, c'est un peu pour cela qu'on retrouve dans le projet de règlement cette référence-là au professionnel, de corroboration de la part d'un professionnel. C'était pour venir, bon, bien, donner un caractère officiel, évidemment. Ce n'était pas en lien avec une obligation de soins de santé ou de diagnostic. Ça, c'était bien évident, puis je pense que c'est important de le mentionner, parce que j'écoute depuis tout à l'heure les commentaires, et puis ce n'était pas l'objectif que de faire un lien entre l'attestation par le professionnel et l'aide, ou l'accompagnement, ou l'aide médicale, ou le soin médical, là. Ce n'était pas notre objectif.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En moins d'une minute.

Mme Bastien (Monica) : Ah! j'ai une minute?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En moins d'une minute pour ce premier bloc, mais on pourra y revenir aussi, là.

Mme Vallée : On va revenir.

Mme Bastien (Monica) : On va essayer de parler rapidement. Simplement, si vous arrivez avec des personnes... et c'est le cas à l'ATQ lors des rencontres à tous les mardis soir, qu'une personne voudrait changer son identité, mais, sur le plan médical, ne peut prendre des hormones parce qu'il y a une réaction, mais voudrait quand même changer d'identité, on fait quoi? On se ramasse dans une situation cul-de-sac à...

Mme Vallée : Mais il n'y a aucune obligation. Ça, il faut s'entendre, là, il n'y a aucune obligation dans le règlement qu'une personne, par exemple, suive un traitement hormonal, là.

Mme Bastien (Monica) : C'est ça, mais...

Mme Vallée : Ce n'est pas du tout l'intention.

Mme Bastien (Monica) : ...l'obligation de produire une lettre, l'obligation de produire un appui médical, un appui de psychologue, sexologue, c'est cette obligation-là qu'il ne faut pas qu'elle soit là, parce qu'à ce moment-là la personne, elle ne fait pas son changement. J'ai déjà vu un psychologue qui a fait sa propre transition tout seul. Qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce qu'on fait avec une personne qui est capable de signer ses propres papiers qui fait sa transition? Je l'ai connue, cette personne-là. Alors, elle a tout fait sans être obligée d'avoir d'appui. C'est cette personne elle-même là qui a fait sa propre transition. Est-ce qu'on est aussi responsable qu'un psychologue pour faire notre transition puis signer nos propres papiers?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Sur cette question, nous allons passer à un bloc d'échange avec l'opposition officielle. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, à vous la parole.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour. Écoutez, vous avez dit plein de choses intéressantes, entre autres, le premier bloc, vous nous avez parlé de transidentité. Souvent, des personnes pensent qu'on est seulement que dans les mots, mais je comprends que derrière cette appellation — je vais l'appeler comme ça — versus le transgenre, le transsexuel, vous, vous venez regrouper, dans le fond, le transgenre dans la transidentité. Est-ce que c'est ça?

Mme Bastien (Monica) : C'est un terme qui est parapluie par rapport à... Ça vient du GEST, du Groupe d'étude sur la transidentité, en France. Ça a été des références qui ont été prises là, tout le monde peut faire ses propres recherches là-dessus. Donc, le GEST, G-E-S-T.

Mme Poirier : G-E-S-T.

Mme Bastien (Monica) : Oui. Donc, c'est un terme parapluie. Donc, nous, on a dit «aide aux trans», parce que, «aide aux transidentitaires», on trouvait ça vraiment long, puis on s'est entendus avec la communauté aussi — on s'est parlé — que le mot «trans» est très, très accessible et facilitant pour tous les gens et qui évite toute discrimination possible dans les mots.

Mme Poirier : Tout à l'heure, j'ai posé la question à Mme Bouchard concernant le «pas de genre». Idéalement, elle nous a dit : Pas de genre. Vous, vous êtes à quelle enseigne?

Mme Bastien (Monica) : On ne pourra pas changer les gens de la planète au complet sur «arrête ton genre» puis «tu n'auras pas de genre». J'en ai discuté à plusieurs reprises dans différentes conférences, un troisième genre — homme, femme, un autre — qui est neutre serait beaucoup plus accessible de rajouter que de tout enlever.

Idéalement, dans une société idéale, hypothèse, qu'un enfant naisse et qu'on lui donne un nom, c'est tout, c'est un être humain comme tout le monde, on éviterait beaucoup de situations de sexisme dans notre société. Exemple très bien concret : les femmes ont encore moins de salaire que les hommes, en moyenne. Donc, ça éviterait des situations conflictuelles, et on oublierait le contexte d'homme et de la femme. Ça serait l'être humain qui serait mis de l'avant, dans un idéal.

Mme Poirier : Vous nous parlez aussi beaucoup de la méconnaissance. Ça, je vous avoue, vous avez 100 % raison. Puis je pense que tous ceux qui se sont assis ici, autour de la table, là... puis, même il y a deux semaines, on s'en est un peu jasé lors des auditions sur les agressions sexuelles, parce que le conseil LGBT est venu nous parler, justement, de toute la problématique qu'il y avait versus les maisons d'hébergement, versus les services, etc., au niveau hospitalier... Comment on peut faire pour aider, justement, à la connaissance, mais surtout à la connaissance sans préjugé?

Mme Bastien (Monica) : Briser la barrière de la méconnaissance.

Mme Poirier : Parce que, pour moi, là, le principal objectif, c'est d'enlever les préjugés. Et comment on peut y arriver?

Mme Bastien (Monica) : On en a discuté dernièrement avec certaines personnes, l'ATQ. Je pense que, même avec Roger Noël, on en avait discuté aussi. Il y a une expertise dans la communauté trans qui est présente, qui est là, et on pourrait aider le gouvernement à briser cette connaissance-là, mais il faut qu'on ait l'appui, les budgets qui vont avec pour aller partout, informer partout.

Donc, le sceau du gouvernement qui dit : Allez-y, puis on vous donne... en avant, va dire : Allez-y démystifier, allez-y ouvrir les portes pour justement que les différentes personnes puissent comprendre c'est qu'est-ce que l'on vit, qu'est-ce que l'on est. Il y a différentes personnes ici, à l'arrière, qui peuvent faire des conférences facilement, dont moi-même. Alors, il faut le montrer, être à l'avant-scène puis être fiers. Puis moi, je suis quelqu'un de fier de ce que je suis, fière de ce que je vis, O.K., j'ai une belle vie. J'ai aimé ma vie avant, j'aime ma vie maintenant, j'aime ma transition, parce que ça m'a démontré tout le courage que j'ai eu d'avancer puis de faire ma vie quand même, malgré tous les préjudices, les préjugés que les gens ont et qu'on se fait traiter de fou ou de folle. Moi qui travaillais en psychiatrie, ça m'a aidée à faire la part des choses, ça m'a aidée à aller de l'avant. Mais là j'aide la communauté à aller de l'avant avec cet apport humain là que je réclame de la société. Considérons-nous comme êtres humains ensemble et collaborons à faire en sorte de démystifier, briser la méconnaissance.

• (16 h 30) •

Mme Poirier : J'ai comme l'impression — et c'est vraiment une impression — que j'assiste à la commission en 1985, lorsqu'on a reconnu l'homosexualité. J'ai comme l'impression qu'on assiste à ça, j'ai comme un flash-back, là. Il me semble, je vois André Boulerice, là, qui est assis pas loin, là, puis on était en commission avec lui, puis qui... on est sur un changement sociétal qui nous amène à réfléchir autrement. J'ai vraiment l'impression d'assister à ça. Puis, on l'a dit d'entrée de jeu, on arrivait ici avec les oreilles grandes ouvertes puis on n'avait pas de présélection, on n'était pas capables de faire un départage des choses, mais de comprendre.

Et il y a une phrase que vous dites que Mme Bouchard a dite : On ne veut pas avoir le besoin de se justifier. Ça, là, ça me reste. Par contre, la société a besoin de justificatifs, dans la vie, pour tout, on se justifie dans tout. Dans tout ce qu'on fait dans la vie, on se justifie. Dans le fond, ce que vous dites : Le sexe ne devrait pas... ou l'identité, le genre... mettons-les, tous ces mots-là, dans le même paquet, là, pour le moment... Mais le sexe a besoin d'être justifié, entre autres, on le disait tout à l'heure, statistiquement. On a des groupes qui vont venir nous dire des inquiétudes par rapport, justement, à ne plus faire en sorte qu'il y a des hommes et des femmes, en tant que tel, basés sur l'apparence physique — je vais même aller jusque-là. Pour vous, dans cette logique-là, comment on peut à partir d'aujourd'hui... Puis je reprends le discours qu'on a eu avec les maisons d'hébergement, où on a demandé : Est-ce que vous acceptez des hommes qui se disent femmes, est-ce que vous les acceptez? Alors, on a été jusque-là en disant : Est-ce que ça se fait présentement? On ne le sait pas. Ce n'est pas compliqué, on ne le sait pas. Et ils nous ont dit : Oui, on le fait, et on n'a pas à s'immiscer là-dedans. Et, quand ils nous ont dit : On n'a pas, dans le fond, à faire ce travail-là de savoir si la personne qui est devant moi est un homme ou une femme, mais, si elle se dit femme victime de violence, je la prends comme elle est là... Et ça revient à ce que vous nous dites tout à l'heure : Pas besoin de se justifier. Mais vous voyez ça jusqu'où, ce besoin-là, actuellement? Ce besoin-là, que vous avez, toujours de vous justifier, il va jusqu'où?

Mme Bastien (Monica) : Mon Dou! Le coming out, toujours se justifier, c'est tout le long du processus, dans tous les papiers légaux où qu'on peut être : au travail, milieu scolaire... On est obligés de se justifier aux amis, à la famille, dans les sports, dans toutes les activités. On fait un coming out constant. Et, quand on dit qu'il y a des états suicidaires, c'est ça : on est obligés de se déclarer à tout le monde à tout bout de champ. Est-ce que vous êtes obligés de dire à tout le monde que vous êtes hétéros? Est-ce que vous dites à tout le monde que vous êtes célibataires, mariés, votre orientation sexuelle? Non. Nous, on est obligés partout de le faire, constamment, et c'est épuisant moralement. C'est ça qu'il faut arrêter.

Et moi, je dis au gouvernement, présentement, les gens que vous êtes assis là : Aidez-nous à briser ces barrières-là, parce que nous seuls, on pousse, mais il faut avoir de l'entraide entre... Puis moi, je suis prêt à collaborer puis à aller plus loin, puis aller faire des présentations, puis tout le monde au Parlement, n'importe quoi, ça ne me dérange pas, je n'ai pas peur de ça, je suis capable d'aller au-delà de, parce qu'il y a une cause derrière, puis on veut être reconnus comme tout le monde l'est, simplement. Être en paix avec ce que l'on est aussi, c'est important, parce que, là, on ne l'a pas. On ne l'a pas, la paix.

Mme Poirier : Est-ce qu'il reste du temps?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : 20 secondes à ce premier bloc. Vous allez le reporter au prochain?

Mme Poirier : C'est ce que je pensais. Reportez donc ça.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre, pour un second bloc d'échange.

Mme Vallée : Oui. Bien, dans un premier temps, je pense que, tout simplement... Parce que, tout à l'heure, j'ai fait référence à un tableau comparé, puis, pour le bénéfice de ceux et celles qui nous écoutent et le bénéfice des collègues parlementaires, je vais le déposer. Comme ça, ça permettra, pour la suite des choses, d'y référer au besoin.

Il est en version un peu grand format, mais il permettra à tout le monde de s'y référer. En fait, ce tableau-là, pour les gens dans la salle, c'est qu'on a répertorié les juridictions là où on acceptait... et où le processus de changement de sexe se faisait et était accepté dans les juridictions et, donc, quels étaient les critères et quelles étaient les obligations. Alors, c'est identifié, et ça nous permet de voir que, bon, oui, on peut s'inspirer d'autres juridictions, puis il y a certainement un tas de juridictions qui pourront s'inspirer de ce qui se fait et de ce qui se fera au Québec aussi, là, parce qu'on vise toujours à atteindre l'égalité puis on vise toujours à s'améliorer. C'est notre objectif. Mais, des fois, c'est toujours rassurant d'avoir une piste et d'avoir un point de repère à quelque part. Alors, c'est ce à quoi j'ai fait référence tout à l'heure, alors, je l'ai utilisé, et le président m'a suggéré de le déposer. Il avait tout à fait raison.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : C'est une excellente initiative de la part de la ministre.

Mme Poirier : ...direct.

Document déposé

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Là, on va essayer de faire faire des copies pour tout le monde. Si la méthode de la copie du document telle quelle ne fonctionne pas, on a la méthode du document informatisé qui pourrait être transmis en fin de journée. Sinon, peut-être que demain, on pourra trouver une autre façon. Alors, dès que possible, les collègues pourront l'avoir. Merci, Mme la ministre.

Mme Vallée : Oui. Alors, on revient sur les critères, en fait. Donc, on met de côté l'évaluation, pour vous en tout cas. Du moins, c'est l'évaluation. Mais je veux simplement rassurer puis revenir sur l'intention qui était en place au moment où ça a été mis dans le règlement. Ce n'était pas une question d'obliger une personne ou de forcer une personne à être nécessairement en suivi médical. Alors, ça, il faut que ce soit bien clair, là. Lorsqu'il était question de faire référence à un médecin, faire référence à un psychologue ou faire référence à un autre professionnel, ce n'était pas parce que cette personne-là devait nécessairement avoir un suivi, là. On se comprend, là? C'est parce que certaines personnes disaient : Bien oui, mais — comme vous le disiez, Mme Bastien — si moi, je n'ai pas besoin... Ou si, pour une raison de santé ou une raison x ou y, la personne ne suit pas de traitement en hormonothérapie, est-ce qu'on va l'obliger à aller voir un médecin? Ce n'était pas l'objectif derrière le tout, mais c'était plutôt pour assurer... en fait, c'était pour assurer le formalisme de la démarche et parce que, bien souvent... Mais là je comprends que ce n'est pas dans tous les cas qu'on va avoir recours aux services d'un professionnel, ce n'est pas dans tous les cas où une personne aura à prendre contact avec un sexologue, aura à prendre contact avec un médecin, aura à prendre contact avec un psychologue.

Il y a des gens qui arrivent, par une force de caractère puis une force vive, je dirais, à passer à travers ce cheminement-là, qui n'est quand même pas évident, là, mais qui arrivent à passer à travers tout ça. Et de demander à ces gens-là de se tourner vers des professionnels, ce serait, à votre avis, puis de l'avis de bien des groupes, une forme de discrimination.

Mme Bastien (Monica) : Exemple concret. Moi, j'ai eu mon hormonothérapie avec mon médecin de famille sans être obligée de passer par la psychologie, j'ai fait ça toute seule avant. Je n'avais pas de lettre d'intention de rien, de personne. J'étais très affirmative dans mon cheminement et je l'ai eue avant. Mais le système m'obligeait à avoir des lettres, alors j'ai concédé : O.K., il faut que je suive le système, alors je suis allée consulter. J'ai passé à travers ça rapidement. Mais c'est cette obligation-là, c'est ça qui crée un obstacle majeur. Puis, si on embarque ça dans une loi écrite, les gens vont l'utiliser et vont en faire une obligation : Regarde, regarde, c'est écrit, là, c'est marqué, là. C'est là que l'impact, subséquemment, de ça... C'est pour ça que, si, mettons, l'aspect médical, quelqu'un en a besoin, à ce moment-là il l'utilisera. S'il a besoin de prescriptions, s'il a besoin d'un suivi psychologique parce qu'il ne se sent pas bien puis la dysphorie de genre que cette personne-là vit à l'intérieur, cette instabilité-là émotionnelle, parce que la pression est trop forte avec elle-même, parce que son coming out lui donne beaucoup de pression émotive... à ce moment-là, elle fait le choix d'y aller, parce qu'elle dit : J'ai besoin d'aide.

Mais on n'est pas obligés d'avoir de l'aide. Moi, j'ai été obligée d'aller consulter. Bien, j'ai parlé avec ma psychologue pendant deux ans, j'ai placoté de différents sujets. Elle ne le sait pas, mais moi, je le sais avec moi-même, parce que je travaillais en psychiatrie puis je travaillais avec des gens, des professionnels de la santé. Ça fait que c'est ça, un impact qui peut être majeur et négatif à la transition.

• (16 h 40) •

Mme Vallée : Ce qui n'empêcherait pas, dans le fond... La tierce personne, pour vous, devient... Parce que, pour certaines personnes, la tierce personne qui viendra corroborer peut faire partie d'un ordre professionnel mais pourrait être aussi l'ami, le confident, le...

Mme Bastien (Monica) : Absolument. Autre personne. Qu'est-ce que vous faites dans les régions? Il y a des régions où il n'y a personne, il n'y a pas de professionnel, il n'y a rien.

Mme Vallée : Vous abordez un point qui m'est cher, j'avoue.

Mme Bastien (Monica) : Là, on a un groupe à Québec, l'ATQ, puis on est en train d'essayer de trouver des professionnels pour les former, et Françoise Susset a passé dernièrement aussi pour justement aider les gens, parce qu'ils ont besoin d'aide.

Une voix : ...

Mme Bastien (Monica) : Hein? À Québec. Ici, à Québec, oui. Ça fait que...

Mme Vallée : À Québec; je vous dirais, ce n'est pas une région. Moi, je pense aux milieux ruraux.

Mme Bastien (Monica) : Ah oui? Je ne suis pas habituée.

Mme Vallée : Effectivement, la disponibilité d'un certain nombre de professionnels et de connaissances de la réalité des personnes trans, c'est aussi un autre défi.

Mme Bastien (Monica) : Alors, à ce moment-là, il y a un vide total : la personne n'a plus de point de repère, elle n'a aucun outil pour, absolument, faire sa transition.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : C'est le vide total et l'absence de temps, puisque ça complète ce bloc. Mais la bonne nouvelle, c'est que, Mme la ministre, vous aurez l'occasion de revenir avec un prochain bloc. Je me tourne maintenant vers la seconde opposition.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Bastien, merci pour votre témoignage. Je ne vous connais pas beaucoup. Vous dites : J'ai travaillé dans le domaine de la psychiatrie. Est-ce que vous pourriez me dire qu'est-ce que vous faites comme travail?

Mme Bastien (Monica) : Je suis à la retraite, là, mais c'était : éducatrice spécialisée. Moi, j'étais directement spécialisée pour la réintégration sociale des gens, briser les barrières au niveau de la société pour justement qu'ils puissent s'intégrer. Donc, la majeure partie de mes suivis, c'est des schizophrènes, donc, maladie mentale, donc, qui est génétique.

Mme Roy (Montarville) : Vous étiez la bonne personne pour briser les tabous, j'en conviens. J'aimerais revenir sur quelque chose. Lors de la conversation avec Mme la ministre, vous parliez d'un document qui avait été envoyé en décembre sur lequel vous étiez d'accord avec certaines mesures, d'accord avec la déclaration solennelle, d'accord avec la déclaration solennelle d'un témoin et vous vous disiez, à l'époque, d'accord avec l'évaluation du professionnel. Mais là vous avez dit : Oups! Ça a changé. C'était en décembre. On est parti sur un autre sujet. Ma question, c'est : Qu'est-ce qui a changé entre décembre dernier et aujourd'hui pour que ça vous dérange?

Mme Bastien (Monica) : Il y a une prise de conscience qui s'est faite, parce que, là, je me suis rendu compte que, si c'est rendu dans un projet de loi précis, et qu'on exige aux gens des professionnels, puis il manque de professionnels... C'est la discussion qu'il y a eu autour de moi, qui s'est faite, les personnes trans, et c'est des discussions qui ont été sérieuses et vives. J'évolue, on évolue toujours dans la vie, on change, il n'y a personne de statique. Alors, c'est ce cheminement-là qui a été fait durant ce temps-là.

Il faut vraiment arrêter que l'on exige des choses de notre part pour confirmer ce que l'on est. Moi, je suis un être humain, mais, pour vraiment être ce que je suis, j'ai besoin d'une confirmation puis de suivi psychologique, de suivi médical. Puis moi, je n'avais pas besoin de ça, mais il a fallu que je le fasse, alors je me suis référée à moi, j'ai fait un retour sur moi-même.

Mme Roy (Montarville) : ...explique le changement de position.

Mme Bastien (Monica) : Oui, parce qu'on ne peut pas exiger ça des gens.

Mme Roy (Montarville) : Vous nous parlez — et naturellement ma collègue le mentionnait à juste titre, on a pris des notes, là — que vous ne voulez pas être obligés de se justifier. Parfait. Vous parlez de l'autodétermination pour ce qui est de l'affirmation du genre, mais le genre qui est aussi relié notre identité.

Mme Bastien (Monica) : Oui, identité de genre.

Mme Roy (Montarville) : C'est l'identité de la personne. Voilà. Et la ministre disait à juste titre également qu'il y avait une fenêtre dans laquelle il fallait concilier le fait de faire avancer ce droit nouveau là, les demandes qui sont faites, mais également la stabilité de l'état civil. Et le fait de ne pas être obligé de se justifier... Tout à l'heure, vous m'avez fait sourire. Quand vous dites : Vous, on ne vous demande pas si vous êtes célibataires, si vous... Je voudrais mettre des bémols ici. Dans la société, puisque nous sommes dans la société, nous avons terriblement besoin, nous, tous autant que nous sommes, de nous justifier sur notre état civil, sur notre statut civil, sur notre âge. On passe notre temps à nous poser ces questions-là, alors c'est contraignant, mais ça fait partie, en contrepartie, de la balance des inconvénients lorsqu'on vit en société.

Alors, ma question, et j'y viens... Comme on demande des modifications avec ce règlement-là pour pouvoir accéder à ces changements de genre, la question est la suivante : Pour avoir cet équilibre entre la stabilité de l'état civil et les demandes qui y sont faites, quel compromis croyez-vous qu'à la lumière du règlement qui vous est proposé, là, les quatre conditions... quel compromis serait le plus acceptable là-dedans? Sur lequel des points la communauté pourrait lâcher prise, si vous voulez? Parce que la dame qui était là juste avant vous, Mme Bouchard, si je ne m'abuse... finalement, les quatre modalités, bien, on les faisait sauter, il n'y avait rien là-dedans qui était bon. Alors, moi, je vous demande : Est-ce qu'il y a une possibilité d'arriver à une espèce de compromis pour faire avancer le règlement?

Mme Bastien (Monica) : Je vais vous retourner la question : Est-ce qu'on peut faire un compromis sur votre propre identité?

Mme Roy (Montarville) : Je ne veux pas embarquer là-dessus dans la mesure où je crois... enfin, mon opinion personnelle...

Mme Bastien (Monica) : Donc, c'est non.

Mme Roy (Montarville) : O.K. Donc, il n'y a pas place à aucun compromis en fonction du règlement.

Mme Bastien (Monica) : Non. C'est la même position que Mme Bouchard, O.K.?

Mme Roy (Montarville) : O.K. C'était ma question.

Mme Bastien (Monica) : Parfait.

Mme Roy (Montarville) : C'était ma question. Parce que, tout ce processus, on veut justement arriver à une façon... et c'est ce que je disais également, aussi, à Mme Bouchard, c'est un débat de société, et, ma collègue de la première opposition le disait à juste titre, c'est un débat qui est important, puis je trouve en quelque part que c'est un peu dommage que c'est rendu à l'étape du règlement, alors que la loi a été modifiée, qu'on essaie de déterminer le règlement alors que je pense qu'on aurait pu ouvrir plus grand à l'époque de la loi. Mais c'était une autre législature, et voilà, ni vous ni moi n'y étions, et on se ramasse avec un règlement. Et, comme je le disais plus tôt ce matin, c'est que les gens qui nous écoutent ne sont même pas au courant que tout ça est arrivé. Alors, c'est pour ça que je vous dis que c'est vraiment un débat de société, c'est un débat important, ce sont des marches qui sont franchies, des obstacles qui sont franchis, et on veut faire en sorte que ce règlement puisse voir le jour, parce que de toute façon la loi oblige la tenue d'un règlement.

Donc, vous nous dites : Il n'y a pas possibilité de compromis.

Mme Bastien (Monica) : ...

Mme Roy (Montarville) : C'est ce que vous nous dites. Quand vous allez à l'autodétermination, point, et, même peut-être plus loin, au fait de ne pas avoir de genre, est-ce que vous pensez que c'est le genre de position que les Québécois de façon générale sont prêts à entendre ou sont rendus là dans leur évolution? Ce n'est pas tout le monde qui évolue à la même vitesse, hein?

Mme Bastien (Monica) : ...que la société est prête à aller à ce niveau-là. Présentement, je ne crois pas que la société est prête à avancer vers qu'on considère l'être humain et qu'on enlève le genre. Le dogmatisme a été établi depuis tellement d'époques, est tellement lointain, le sexisme aussi, alors de défaire ça, ça ne se défait pas comme par magie. Il n'y a pas de baguette là-dessus, là : ting!

Mme Roy (Montarville) : Et, pour ces raisons — j'y reviens — pour faire avancer le dossier, puisqu'on est sur le règlement... et ce que je comprends bien à la lumière de ce que vous nous dites, c'est que des déclarations solennelles sur le changement d'identité seraient suffisantes pour vous et... ne seraient pas que suffisantes, mais seraient le plus loin où la communauté serait prête à aller.

Mme Bastien (Monica) : Bien, ça sera déjà beaucoup, à ce moment-là, une déclaration solennelle avec quelqu'un qui corrobore. Ça serait une très belle avancée pour le Québec et qui serait une image de proue pour, justement, être fiers de ce que le Québec peut faire à ce niveau-là puis de reconnaître tous les individus et de les respecter dans ce qu'ils sont.

C'est majeur comme avancée, là, c'est un changement complet. L'idée que vous parlez en même temps, c'est vraiment «homme, femme et autre», que certains pays font présentement aussi. Ne pas enlever le masculin, féminin présentement, la marche est trop haute. Mais il y a des papiers qui sont inutiles. Sur un permis de conduire, il n'y a pas besoin d'«homme» ou «femme» sur un permis de conduire. Non, non, non, il n'y a pas besoin... quand vous faites une infraction, c'est une infraction. Puis maintenant il est rendu avec des cartes à puce. Les cartes à puce; toutes les informations sur la personne sont rendues dans la carte à puce.

Mme Roy (Montarville) : En fait, il faudrait demander...

Mme Bastien (Monica) : Alors, c'est possible de tout changer ça maintenant.

Mme Roy (Montarville) : Il faudrait demander l'avis des policiers à cet égard-là, sauf que, lorsqu'il y a administration de la justice, encore une fois, pour identifier les personnes, on identifie encore les citoyens, les citoyennes par leur identité, par leur genre.

Écoutez, je vous remercie. Vous corroborez les propos de l'intervenante juste avant vous, de Mme Bouchard, qui sont similaires. Alors, je ne veux pas reprendre du temps là-dessus, je vais laisser ma collègue... Nous passons à...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Non, pas encore.

Mme Roy (Montarville) : Ah! pas encore? Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mais vous me permettrez, parce que la députée de Montarville a fait une observation juste par rapport au projet de loi n° 35 à l'effet que cette discussion-là aurait peut-être dû avoir lieu à ce moment-là. Et c'était une des rares situations où il y a eu un conflit entre le porte-parole de l'opposition officielle, que j'étais à l'époque, et le ministre de la Justice. Le reproche que je lui faisais, c'est de ne pas avoir annoncé dès le départ, dans le projet de loi n° 35, son intention d'apporter ce changement, et là nous aurions pu faire le débat dans le... Mais je ne veux pas repartir des vieilles chicanes, la plaie est guérie.

Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle. M. le vice-président de la commission, la parole est à vous.

• (16 h 50) •

M. Lisée : Merci. Bonjour. Merci beaucoup d'être là. C'est un sujet sensible, c'est un sujet important. Moi, évidemment, compte tenu de mon affiliation politique, le droit à l'autodétermination, ça me plaît, ça me plaît, évidemment.

Mme Bastien (Monica) : Parfait. Vous êtes vendu à notre cause, à ce moment-là.

M. Lisée : Et je suis content de voir la tonalité de la discussion, l'ouverture de la ministre par rapport au règlement qui est déposé, qui a déjà intégré un certain nombre de remarques que vous avez... et que les gens qui ont parlé avant vous ont élaborées. Mais je prends un peu d'avance, parce que, dans ce climat, qui est relativement consensuel, il va y avoir des voix qui vont venir pour dire des choses plus difficiles. Alors, je voudrais vous les soumettre, vous entendre.

Alors, nous allons avoir le point de vue de Pour les droits des femmes du Québec, PDF Québec, qui est très, très critique de la proposition en général, du point de vue du droit des femmes, et ils disent, entre autres : Bien, qu'est-ce qui va se passer si des hommes qui ont changé leur détermination de genre veulent faire partie d'équipes sportives féminines, veulent avoir accès à des refuges pour femmes agressées, veulent militer ou même être employés dans une organisation où on n'accepte que des femmes, pour des femmes violentées? Est-ce qu'on a vraiment pensé à ça? Est-ce que ça va avoir des répercussions, peut-être à la marge, mais quand même? Comment intégrer ces craintes-là dans la revendication que vous avancez?

Mme Bastien (Monica) : O.K. Les craintes. Bon, je suis sportive, je joue déjà dans une association de badminton, il n'y a personne qui a jamais fait de plainte de rien, donc c'est concret, pour moi. Dans les regroupements de femmes, j'ai déjà été faire des présentations, donc j'ai déjà été dans des endroits pour femmes pour, justement, démystifier, briser la barrière de la méconnaissance. C'est les peurs qui sont souvent dues à cette méconnaissance. Qu'est-ce que c'est... puis on dit souvent le «ça», qu'est-ce que c'est, «ça»?, sans insulter la personne.

Ça démontre très bien l'incompréhension, et c'est là... Une fois qu'on rencontre ces gens-là, ces femmes-là... il y a même des femmes qui m'ont demandé de faire des marches avec eux autres pour leurs droits. Et c'est là qu'on voit très bien qu'une fois que le contact est fait, que les rencontres sont faites ça change, et on rencontre l'être humain à ce moment-là, on ne rencontre pas une image préconçue ou, d'une part, préétablie avant. Le doute disparaît. Alors, c'est là que, la barrière de la méconnaissance, il faut vraiment la changer. Cette barrière-là, il faut la briser.

M. Lisée : Je vais vous citer un cas difficile, bon, il s'agit des hommes qui changent de genre sans avoir de modifications physiques, et je cite le mémoire : «Nous sommes très nombreuses à ne pas vouloir nous retrouver dans un vestiaire sportif à côté d'hommes nus sous prétexte qu'ils disent se sentir femmes.»

Mme Bastien (Monica) : O.K. Dans les vestiaires des dames, présentement, comment sont installés les vestiaires des dames? J'ai fait les deux expériences, je suis allée des deux bords : la plupart sont individuels, c'est rare que c'est ouvert à grande porte, O.K.? Donc, la personne peut très bien s'isoler, puis ça ne paraîtra pas jamais. Et c'est ce que j'ai fait. Parce que je joue au golf en plus. Donc, je suis rentrée dans les vestiaires de dames, et, concrètement, ça s'est très bien passé, puis il n'y a aucune critique. Donc, encore là, des expériences de gens qui ont fait ça dans leur transition, ça s'est très bien passé. Il y a même un «trans boy» — une fille qui est devenue un garçon — qui est allé à l'université et allait prendre sa douche... puis c'est des douches ouvertes, allait prendre sa douche dans des douches ouvertes, et il n'y a aucune critique qu'il y a eu. Alors donc, c'est possible de le vivre et de le faire.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Vous avez 45 secondes, M. le vice-président.

M. Lisée : La question des prisons revient souvent dans ce mémoire : Est-ce que des hommes ayant changé leur genre seront dans des prisons pour femmes? Et là quelles conséquences ça pourrait avoir? Vous êtes-vous posé la question?

Mme Bastien (Monica) : On est allés faire de la démystification en milieu carcéral au niveau fédéral. Au niveau provincial, les portes ne sont pas encore ouvertes. Il y a des problématiques, mais il y a du respect qui est installé, à ce moment-là. Quand les papiers sont changés au niveau légal, à ce moment-là la personne est reclassée, au niveau de ses papiers, dans l'endroit qui correspond à ses papiers.

M. Lisée : ...de personnes violentes, si elles sont condamnées et en prison.

Mme Bastien (Monica) : Au niveau fédéral? Oui, oui.

M. Lisée : Oui.

Mme Bastien (Monica) : Au niveau fédéral, oui, à ce moment-là, oui. Mais c'est des gens qui sont très appréciés et très respectés, ceux qu'on a rencontrés, qui sont... Il n'y a pas de problématiques précises à cause de ça, qui sont amplifiées à cause d'une transition. Présentement, c'est ce qu'on a perçu.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. Mme la ministre de la Justice, pour votre dernier bloc d'échange.

Mme Vallée : Merci. En fait, je pense que c'est important de soulever les éléments qui sont moins consensuels puis qui ont été portés à notre connaissance parce que ça démontre à quel point c'est important, l'exercice auquel on se livre aujourd'hui, à quel point c'est important de parler de la réalité des personnes trans parce qu'il y a des tabous, il y a des préjugés et il y a un besoin de démystification sur la place publique, pas seulement qu'en groupe ou un à un. Il y a un travail qui doit se faire de façon beaucoup plus ouverte parce que, je reviens, on recherche... en fait, tout le monde recherche la même chose, c'est d'être traité d'égal à égal et qu'il n'y ait pas de barrière en raison de notre apparence, en raison de nos croyances, en raison de qui on est comme individu, point à la ligne, et je pense que c'est important. Puis, c'est certain, il va y avoir un gros travail... puis il y a un gros travail d'éducation à faire puis il y a beaucoup, beaucoup de démystification.

Vous avez apporté un point, puis là là-dessus je me suis dit : Oups! Je suis préoccupée. Lorsque vous parliez des références, dans certains États, qu'il y avait des références au niveau de l'identité de genre, c'est-à-dire «femme, homme ou autre»... le fait d'avoir un critère «autre», moi, honnêtement, je le vois comme étant un élément discriminatoire ou un élément qui pourrait porter davantage aux préjugés, qui pourrait porter davantage à la discrimination puis aux railleries de toutes sortes, parce que déjà on sait... puis, pour avoir échangé notamment avec les jeunes, les jeunes de la communauté trans... il y a tellement de travail à faire au sein des établissements scolaires, auprès des jeunes en général, et je me dis : Bien, cet élément-là, pour moi, je le vois comme un élément de discrimination. Mais, ceci étant, ce n'est pas l'objet de notre règlement, mais je tenais tout simplement à vous partager ma perception à l'égard de tout ça.

Et vous avez abordé la question de l'accessibilité des professionnels pour les personnes en région, pour les personnes en communauté rurale, et je suis très, très sensible à ça, je vous le dis. J'habite en milieu rural et je sais à quel point... La réalité de Montréal, la réalité de Québec, c'est une chose, mais, lorsqu'on sort des milieux urbains, le travail est à faire parce que les gens sont moins en contact avec la différence, avec la diversité à tout point de vue, pas seulement au point de vue de l'identité de genre, mais à tout point de vue, et là-dessus ça peut contribuer à l'isolement d'une personne davantage, puis ce n'est pas l'objectif. En fait, l'objectif du règlement, c'était... L'objectif de la loi, c'était de venir atténuer des exigences qui ne correspondaient... ou qui portaient atteinte à l'égalité, qui portaient atteinte aux droits des personnes trans. L'objectif du règlement, c'est de permettre de faciliter cette transition-là, parce qu'on sait qu'entre l'adoption du projet de loi et maintenant il s'est quand même écoulé une certaine période de temps. Et on sait... puis je suis très consciente qu'au niveau de l'état civil il y a des dossiers qui sont un peu bloqués et ça pose problème. Puis l'objectif, c'est de passer à une autre vitesse de croisière pour permettre de procéder à ces changements-là au registre de l'état civil, de le faire d'une façon correcte et conforme. Alors, le règlement ne vise pas à créer d'autres problèmes.

Alors, je vous remercie de porter à notre attention les différents éléments qui sont problématiques. La CDPDJ nous a apporté des éléments problématiques au niveau juridique, et vous nous apportez aussi des éléments problématiques au niveau pratico-pratique...

• (17 heures) •

Une voix : ...

Mme Vallée : ...le terrain, et ça aussi, c'est important d'en être conscients, puis...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En 10 secondes, Mme la ministre.

Mme Vallée : En fait, pour toutes ces raisons, je vous remercie de vos interventions. Je pense qu'on a bien compris l'essence de vos propos et l'essence de vos préoccupations, puis merci de votre participation aux travaux de la commission.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, la...

Mme Massé : L'affaire.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Non, non, j'allais dire : Le blocage de la ministre sur votre circonscription m'affecte.

Mme Massé : C'est mon côté trans : Sainte-Marie—Saint-Jacques; Jacques, Marie, c'est mélangeant. Merci, monsieur. Trois minutes, c'est bien de cela qu'on parle?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Et voilà.

Mme Massé : Bien. Merci. Bonjour, Monica. Merci, bien sûr, d'être là, d'avoir pour la première fois pris la parole devant des parlementaire. Ça peut être un peu intimidant, mais je pense que tu as bien réussi à dépasser ça.

Mme Bastien (Monica) : Ah! je suis correcte.

Mme Massé : On parlait beaucoup d'éducation, déconstruire des préjugés...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je m'excuse. Apparemment que les...

Une voix : ...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Oui, c'est ça. Nous devons aller voter, alors je...

Mme Massé : M. le Président, vous savez comment ça prend de temps à tout le monde de se rendre. Trois minutes, d'après moi... ça va vite, trois minutes, hein?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Allons-y.

Mme Massé : Bon, qu'il en soit ainsi, surtout...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Nous n'avons pas entendu les cloches.

Mme Massé : Je n'entends rien. Rebelle que je suis, je n'entends rien. Tout ça pour vous dire que vous avez parlé beaucoup du besoin de déconstruire les préjugés, etc. Je pense, d'ailleurs, grâce à la représentation de la communauté trans, le 17 mai, cette année, on va fêter la Journée internationale de lutte à l'homophobie et à la transphobie, ce qui est déjà des signes de l'avancée de... en environnement, on appellerait ça de l'acceptabilité sociale, hein? J'envoie un certain nombre de messages.

Il y a par contre quelque chose que j'entends qui revient beaucoup, c'est le sentiment du besoin, collectivement, dans l'équilibre qu'on cherche ici à maintenir, de donner un caractère solennel à ce passage. J'ai le sentiment de... à travers... puis on cherche une mécanique, là, qui se veut bien sûr... puis je sens l'ouverture, là, facilitante, pour éliminer les irritants, et non pas en rajouter. Moi, je voulais souligner ça pour qu'on continue ensemble à réfléchir là-dessus, et, probablement la minute qui reste, j'aimerais ça, Monica, des situations spécifiques. Quand vous arrivez à l'urgence; quand vous vous faites arrêter par la police; quand l'identité de genre n'est pas la même que votre expression de genre, qu'est-ce que ça crée comme impact?

Mme Bastien (Monica) : Bien, il peut y avoir une colère intériorisée, O.K., des peurs, donc l'isolement va s'installer à l'intérieur... soit une réaction, aussi, qui est psychologiquement prouvée aussi : il y a une explosion à ce moment-là, le caractère... tu bous, donc, tu répètes automatiquement à la personne : Qu'est-ce que tu as fait là comme erreur? Voyons, je ne suis pas un gars, je suis une fille, voyons, tu te trompes — avec une confrontation. Même les gens qui ont changé d'identité que les papiers sont tous complétés vivent de la discrimination encore dans le milieu hospitalier, même si les papiers sont changés, parce que la personne, l'apparence ne correspond pas nécessairement, puis ils se doutent : Ah! sur le papier médical... ah! O.K., c'est une trans. Ça fait qu'il y a de la discrimination qui se fait. C'est important. Quand on dit «enseigner, démontrer», vraiment, là... C'est majeur, les problèmes que l'on vit. Alors, la curiosité...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Si je peux vous demander de conclure, parce que le temps est écoulé.

Mme Bastien (Monica) : ...principale aussi.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Dernier mot, Mme la députée?

Mme Massé : Non.

Mme Bastien (Monica) : On ne veut pas être considérés comme un phénomène de foire, la curiosité : C'est quoi que tu as dans les pantalons? C'est quoi? Tu as ci... Ça fait qu'on ne veut pas être ça. Merci beaucoup, tout le monde.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie pour votre présence, votre présentation fort appréciée.

La commission suspend ses travaux quelques minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 4)

(Reprise à 17 h 29)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, à vos places, tout le monde. Merci. Nous reprenons nos travaux.

Je tiens, au nom des membres de la commission, à offrir nos excuses aux personnes que nous recevons, qui ont fait preuve d'une patience exemplaire. Évidemment, les travaux parlementaires, quelquefois, il y a des aléas, et un vote fait partie de ces incidents qui, de temps en temps, agrémentent notre travail de député.

Donc, nous avons le plaisir de recevoir la Coalition Jeunesse montréalaise de lutte contre l'homophobie, avec M. Mein — c'est bien ça? — ...

M. Mein (David) : Oui.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : ...et Mme Labelle et M. Torres.

Alors, vous disposez d'une période de 10 minutes. Évidemment, et hors micro, j'ai sollicité le consentement des membres pour que nous dépassions l'heure convenue à cause du retard pour ne pas priver les personnes qui se sont déplacées pour nous faire part de leur point de vue. Il y a consentement?

Des voix : Consentement.

• (17 h 30) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Donc, M. Mein, la parole est à vous pour la présentation de votre point de vue.

Coalition Jeunesse montréalaise de lutte
contre l'homophobie (CJMLH)

M. Mein (David) : Merci beaucoup. Bonjour, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les parlementaires, merci de votre invitation de venir présenter notre avis sur le projet de réglementation. Je suis David Mein, président de la Coalition Jeunesse montréalaise de lutte à l'homophobie, avec Sophie Labelle et Esteban Torres, mes collègues, qui vont se présenter.

La CJMLH est une coalition de 17 organismes jeunesse LGBT ou organismes qui incluent dans leurs activités les services aux jeunes LGBT sur l'île de Montréal ainsi que plusieurs membres individuels et alliés et représente les jeunes âgés environ de 14 à 25 ans. Notre mission est de favoriser l'insertion sociale des jeunes lesbiennes, gais, bisexuels et trans et de créer des environnements favorables à l'épanouissement des jeunes, quelle que soit leur orientation ou identité de genre, dans une perspective de développement social et une approche globale de la santé des populations.

Pour notre exposé, Sophie récapitulera quelques recommandations du mémoire du Comité trans du Conseil québécois LGBT duquel la Coalition Jeunesse est cosignataire et la réaction de la coalition au projet de règlement qui a été déposée à la ministre de la Justice et déposée à la commission en avance de l'audience aujourd'hui. Elle souligne la façon par laquelle cette réglementation proposée touchera particulièrement la population que la coalition représente.

Pour terminer l'exposé, Esteban parlera pour donner un témoignage de sa propre vie, pour donner un exemple vrai de l'importance du changement de mention de sexe et comment chaque barrière empêche l'épanouissement d'une jeune personne trans.

Mme Labelle (Sophie) : Alors, comme cofondatrices de La Réclame, le groupe LGBTQIA de l'UQAM, nous sommes membres de la Coalition Jeunesse montréalaise de lutte contre l'homophobie. Donc, moi, Sophie, je suis enseignante au primaire. Je suis également la première personne trans à briguer le poste de députée au Québec aux dernières élections provinciales et je suis également une auteure pour la jeunesse.

Et donc, aujourd'hui et demain, ainsi que le 7 mai, je crois... que vous allez siéger à nouveau en commission parlementaire, vous aurez vraiment l'occasion d'entendre la crème de l'activisme trans au Québec et également la crème du militantisme trans, et, pour nos communautés, c'est très important. C'est la première fois qu'il y a un tel exercice qui se fait, et je voudrais souligner le front uni qui se présente à vous pour vous encourager à reconsidérer la plupart des articles du projet de règlement étant donné que la Coalition Jeunesse montréalaise de lutte contre l'homophobie est également d'avis que la plupart des points dans le projet de règlement sont à reconsidérer, comme je disais. Et donc je ne vais pas réénumérer tous les points qui ont été soulignés par Gabrielle étant donné que nous sommes du même avis, très largement. Donc, on parle vraiment de la partie sur le fait de vivre deux ans selon le genre d'identification, on parle également de la déclaration sous serment, la... en fait, les lettres de spécialistes sont également considérées problématiques par la coalition et également par La Réclame, qui est, comme je disais, le groupe LGBTQIA de l'UQAM, qui, d'ailleurs, reçoit énormément de jeunes trans. On est un groupe qui se veut très large mais dont le champ d'action est présentement surtout par rapport aux luttes internes, à La Réclame, pour que les personnes trans voient leurs droits être reconnus.

Autrement, ce projet de loi, le fait de ne plus considérer les organes génitaux comme étant un indicateur du sexe de la personne selon les critères médicolégaux qui sont acceptés socialement fait en sorte que, comme société, on a déjà fait le choix... on l'a voté, ce projet de loi là, on a fait le choix de reconnaître que moi, en tant que personne trans, nonobstant mes organes génitaux externes, parce que c'est rare qu'on va parler des organes génitaux internes, je serai reconnue comme étant une femme. Et là évidemment il y a les modalités qui viennent après. On parle évidemment des lettres d'experts comme si, par exemple, je ne pouvais pas être l'experte de ma propre identité, et il faut engager des professionnels pour être les experts à notre place.

Et donc, en tant que société, on reconnaît que je suis une femme. Ce projet de loi là est un pas en avant pour cette reconnaissance-là. Et, si on comprend le corps comme appartenant aux gens qui l'habitent, ma foi, eh bien, si mon corps m'appartient et que je suis une femme aux yeux, nécessairement, de la loi, puisque ce ne sont pas mes organes génitaux qui vont le déterminer, eh bien, mon corps est donc un corps de fille, un corps de femme, et c'était très important à considérer pour la suite des choses. C'est-à-dire que, si on considère que ce ne sont plus des prérogatives physiques qui déterminent le sexe des individus, on peut aller de l'avant dans le genre de propositions qui ont déjà été faites depuis le début des audiences, depuis ce matin.

Autrement, je voulais mentionner que, pendant qu'on discute, pendant qu'on s'adresse à vous en front uni, comme je vous disais, pour vous encourager finalement à changer ce projet de loi là, pour reconnaître le droit à l'autodétermination des personnes trans, des femmes trans... bien, surtout des femmes trans, en fait, en très grande majorité... se font assassiner. Pour l'instant, depuis le début de l'année, on parle de 28... on ne parle pas de 28 personnes trans, on parle d'une femme trans, souvent, racisée qui est assassinée aux 28 heures dans le monde. Donc, ces chiffres-là en plus ne tiennent pas compte des personnes qui ne sont jamais... Il y a des oubliés dans ces chiffres-là. Il y a des gens qu'on ne veut pas reconnaître comme étant des personnes trans qui seront assassinés également, qu'on ne va pas compter là-dedans. Il y a celles qu'on ne va même pas prendre le soin de rapporter à la police. Et donc, ces femmes-là, il y en a également au Canada — on en a entendu parler l'année passée — en Alberta par exemple et également à Toronto. Et donc c'est des choses qui arrivent chez nous. Et, en tant qu'enseignante au primaire, le sujet des enfants trans vient particulièrement me chercher. Le fait que ce projet de loi là ne s'adresse pas à eux est également à reconsidérer.

Et, dernièrement, je voudrais expliciter le fait que, lorsqu'on parle des inquiétudes relatives aux personnes trans qui iraient dans les lieux ségrégués selon le genre de leur genre d'identification, on parle très majoritairement des filles trans. Dans tous les cas dont on a parlé dans les médias, d'enfants trans au Québec, c'étaient des petites filles qui voulaient aller faire pipi. Et donc il faut vraiment se questionner sur le message que ça envoie sur le corps des femmes, puisqu'on va constamment vouloir gérer leurs droits.

Et, comme il reste deux minutes, je vais, donc, passer la parole à Esteban, qui est un jeune très impliqué dans nos communautés, et je peux vous assurer que vous avez un privilège de l'entendre aujourd'hui.

• (17 h 40) •

M. Torres (Esteban) : Merci, Sophie. Bien, bonjour. Mon nom, c'est Esteban Torres. J'ai 19 ans. Aujourd'hui, j'ai été obligé par vos lois de rentrer, pour la première fois dans ma vie, dans l'Assemblée nationale avec des pièces d'identité qui ne me représentent pas. Justement, la voici — si tu peux la passer. Je suis un homme. Je suis un ancien étudiant. Je suis un jeune trans parmi tant d'autres qui a fait une tentative de suicide dans le dernier mois. J'ai vécu des situations discriminatoires avec les personnes qui ont intervenu lors de ma tentative. Vous vous demandez sûrement pourquoi que j'ai fait ça.

J'ai passé à l'acte parce que ma transition coûte de l'argent, parce que j'ai beaucoup de risques de me faire traiter de fraudeur si je cherche un emploi à cause que je n'ai pas d'argent pour payer une demande de changement de mention de sexe ni les prérequis que vos lois nous imposent. Si je ne le fais pas d'ici trois mois, je risque de ne pas pouvoir retourner à l'école, je risque de me faire refuser des soins de santé, je risque de ne pas pouvoir avoir accès à mon compte de banque, tout ça parce que, dans quelques mois, mon corps aura changé physiquement et que mon visage ne reflétera plus la photo, ni mon prénom, ni la mention de sexe qui seront inscrits sur mes pièces d'identité puis qui le sont en ce moment.

En me demandant de vivre en tout temps, depuis deux ans, sous l'apparence du sexe pour lequel mon changement de mention de sexe... oui, c'est ça, en tout cas, je vais me ramasser à devoir me battre pendant deux ans avec toutes les institutions gouvernementales, je vais devoir me faire passer pour un genre pour lequel je ne m'identifie pas. Excusez-moi, c'est un peu beaucoup émotif pour moi, là. C'est ça, je vais devoir me faire passer pour un genre que je ne m'identifie pas pour pouvoir sortir des cigarettes, de la bière au dépanneur. Comment que je fais, moi, devant le commis du dépanneur avec, comme, des pièces d'identité qui ne reflètent même pas mon identité en ce moment? Comment je fais, moi, pour prouver à l'État civil dans deux ans que je suis un homme si mes pièces d'identité ne concordent pas avec ça? Comment je fais pour, c'est ça, pouvoir vivre ma vie de façon calme, paisible si, à chaque fois, on va regarder ma pièce d'identité puis me dire : Ah! mais ce que je vois, ici, c'est que vous êtes une femme? Comment que je fais pour prouver, moi, au gouvernement que je suis un homme si les gens qui vont voir sur mes pièces d'identité vont voir un F, vont voir le nom que vous avez vu quand j'ai passé la carte? Ça fait que comment faire pour payer ma demande de changement de mention de sexe de 134 $ alors que je dois payer un loyer de 565 $, un cellulaire, une carte Opus avec un revenu de 645 $ par mois?

Comment pensez-vous que le projet de loi n° 35 va m'aider, moi, et les plusieurs autres jeunes des communautés trans qui vivent des réalités semblables à la mienne? Voilà ma question.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. J'ai pris l'initiative de permettre aux représentants, aux témoins, de continuer malgré le fait qu'on ait dépassé le temps et je vais essayer d'ajuster ça pour permettre des échanges. Je comprends qu'il n'y aura pas de vote pour me destituer; en tout cas, pas aujourd'hui.

Mme Vallée : Je vous remercie, M. le Président, et puis...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : À vous la parole, Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, M. le Président, d'avoir permis à Esteban de terminer sa présentation.

Je pense qu'un témoignage comme celui d'Esteban, c'est un témoignage qui est difficile. Ce n'est pas facile de venir devant l'Assemblée nationale et aussi devant tout le Québec, parce que c'est ça : c'est de témoigner, devant tout le Québec, d'une situation qui est très, très difficile. On ne peut pas imaginer à quel point ce que tu vis, Esteban, est difficile, puis c'est pour ça qu'il y a eu des modifications qui ont été apportées au Code civil, puis c'est l'objectif derrière le travail que nous faisons. On a déposé un projet de règlement puis les échanges qu'on a visent justement à trouver une façon de simplifier ta vie, de simplifier la vie de Christine, qui est ici, de simplifier la vie de Sophie, la vie de tout le monde, finalement. En même temps, on comprend qu'il y a la stabilité de l'état civil, on en a parlé, mais je suis persuadée qu'on va arriver à le trouver, cet équilibre-là, parce que le drame humain qui est vécu, il est important. Et puis je comprends que l'ensemble... et, Sophie, vous l'avez mentionné, il y a une unanimité derrière les intervenants, derrière les représentations qui sont faites ici, et on ne peut pas faire autrement que d'en tenir compte et on ne pourra pas faire autrement que d'en tenir compte aussi, puis de tenir compte des différents commentaires qui sont formulés.

De quelle façon ultimement ça va s'exprimer? Je ne peux pas vous le dire aujourd'hui, mais, le projet de règlement soumis puis le projet de règlement qu'on aura, je pense qu'on va avoir cheminé beaucoup, puis ça, c'est grâce à vous, c'est grâce à tous ceux qui ont eu le courage de venir s'exprimer, puis ce n'est pas facile. Puis ça ne veut pas dire, parce qu'on va avoir un projet de règlement qui sera différent et sur lequel on aura la chance d'échanger avec les collègues de la commission, que tout va être gagné pour autant, mais je pense que c'est toujours bien un premier pas qui est important.

Ce que vous nous expliquez, en tout cas, moi, ça me touche. Alors, on pourrait entrer dans le détail du règlement, puis je pourrais vous questionner sur les éléments, mais je pense qu'on comprend le message général, qui est : N'ajoutez pas à la discrimination, s'il vous plaît — je pense que le message, il est tout simple — et reconnaissez que certaines étapes constituent un grand obstacle pour être la personne que nous sommes vraiment et réellement. C'est certain que, comme ministre de la Justice, j'ai aussi une responsabilité face au respect des institutions, mais je pense qu'on peut gagner à être novateurs, on peut gagner à être courageux aussi dans la façon dont on aborde les enjeux de société. Et je sais, Esteban, à quel point tu es impliqué au sein de ta communauté. Pour ceux et celles qui ne le savent pas, Esteban est très motivé dans un groupe qui s'implique dans un groupe, notamment au sein d'AlterHéros... excuse-moi, Astérisk, excuse-moi, et qui est une maison de jeunes destinée pour les jeunes de la communauté LGBT à Montréal, qui fait un travail extraordinaire. Je veux le souligner, parce que tu as été un petit peu un coup de coeur quand on s'est rencontrés il y a quelques semaines et ton énergie m'avait contaminée. Et puis là ce que tu nous racontes cet après-midi me jette à terre littéralement, alors j'en prends bonne note. Je vous entends, puis, encore une fois, je vous félicite. Je pourrais vous questionner, mais j'ai comme l'impression qu'on a... cet après-midi, on a tellement échangé, on a tellement parlé que le message, il passe très bien : de ne pas ajouter à la discrimination.

Donc, je comprends, lorsqu'on parle d'une apparence — puis ça, on avait déjà travaillé là-dessus avant, et je comprends à quel point c'est important — lorsqu'on parle du délai, c'est important, puis ça peut causer beaucoup plus de problèmes que ça en règle. Et je comprends qu'il y a d'autres éléments, là, les échanges qu'on a eus avec Mme Bastien un petit peu plus tôt sur les professionnels. L'obligation de recourir à un professionnel, peut-être que ça peut être un obstacle de plus qui n'est pas nécessaire. Alors, on a fait un parallèle, et notre collègue de Rosemont fait un parallèle avec le passeport et avec le formalisme du passeport, qui est un document fort important. Bon. Le passeport est émis suite au dépôt de l'acte de naissance, de l'acte d'état civil, suite à un certain formalisme. Comment on peut trouver une façon de mettre en place un système et une reconnaissance qui sera tout aussi officielle que celle qui est requise pour l'émission d'un passeport et puis qui permettra tant au Directeur de l'état civil d'avoir l'assurance, la sécurité et permettre d'éviter les motifs additionnels de discrimination? Alors, ce n'est pas facile. Et puis, tout à l'heure, notre collègue d'Hochelaga-Maisonneuve nous disait : J'ai l'impression de revivre des échanges qui ont eu lieu en 1985. Moi, je n'étais pas ici, en 1985, mais je suis persuadée qu'à chaque fois que l'Assemblée nationale doit se pencher sur un enjeu de société ça nous touche. Ceux et celles qui sont interpellés à se prononcer là-dessus sont très touchés. Moi, j'ai vécu les échanges sur les soins de fin de vie. Je dois vous dire que ça aussi, ça nous a interpellés beaucoup.

Alors, si aujourd'hui, et demain, et le 7 mai, bien, nous amènent vers un autre changement au sein de la société québécoise, bien, tant mieux. Je pense qu'on en est probablement rendus là. On en est rendus là et on doit... Et pourquoi on en est rendus là? Parce qu'on tend vers une réelle égalité, puis c'est ça qui est important. Puis, si on veut lutter contre la discrimination, si on veut lutter contre l'intimidation, on doit aussi se donner des moyens, des moyens institutionnels pour le faire.

Alors, c'est mon petit pitch, en chinois, mais je dois vous dire que votre intervention m'a beaucoup touchée. Alors, merci beaucoup, Esteban, ça a pris beaucoup de courage, et ne lâche pas. Merci.

• (17 h 50) •

M. Torres (Esteban) : Merci de m'avoir écouté.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Merci, Mme la ministre. Mme Labelle.

Mme Labelle (Sophie) : Oui. En fait, j'ai surtout eu une réflexion lorsque vous avez parlé que nous visons l'égalité. Les enjeux trans ont ceci de particulier, qu'ils réussissent à toucher tout le monde dans la société. Ce n'est pas tant une question... J'ai combien de temps?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Allez, allez. La présidence va se débrouiller avec le partage du temps.

Mme Labelle (Sophie) : Oui. Je désirais juste mentionner que je travaille énormément avec les enfants trans, je participe à plusieurs conférences sur le thème des familles et des jeunes et, comme je vous disais, je suis enseignante au primaire, et, lorsqu'on vit ceci de particulier, la transition fait voir les interactions entre les différents genres dans la société vraiment d'un autre oeil. Et ce que peuvent apporter les personnes trans actives dans la société, dans le sens où est-ce qu'on leur permet de se réaliser à leur plein potentiel avec des projets de loi qui pourraient être progressistes comme celui qu'on espère chaudement voir au Québec, va toucher nécessairement beaucoup plus de gens qu'on le pense.

Il y a une recherche britannique qui été publiée l'année passée, à l'été, à propos de l'anxiété reliée aux stéréotypes de genre dans la classe. Et ce n'est pas seulement les personnes trans qui ressentent un certain degré de dysphorie par rapport aux attentes de la société et ce que ces personnes-là ressentent, c'est tout le monde. Ce n'est pas juste certains individus, on parle de 7 % à 11 %, selon les études. C'est une très grosse fourchette de personnes, d'enfants qui s'identifient en dehors de la... mais qui ont une expression non conforme à ce qu'on attend de leur identité de genre et c'est énorme, c'est énorme. Et qu'on laisse leur place aux personnes trans dans la société fait en sorte que plus de jeunes vont pouvoir se libérer du carcan qu'on leur impose. Et, comme je vous disais, l'anxiété reliée au genre dans les salles de classe, je la vois à tous les jours dans les classes de maternelle. Ce n'est pas au secondaire qu'il faut parler des enjeux trans et des enjeux reliés au genre, c'est dès la petite enfance. C'est là qu'on apprend les codes sociaux reliés aux différentes identités de genre, aux différents rôles sociaux de genre.

En fait, certains organismes refusent de parler d'identité de genre ou d'enjeux reliés au genre dans les salles de classe du primaire étant donné qu'on considère que c'est des sujets plus complexes, plus compliqués, alors que l'identité de genre se forge très tôt dans l'enfance. On la problématise davantage pour les personnes trans, mais il faut concevoir que chaque individu a une identité de genre. Ce n'est pas juste parce que je suis trans que je me suis identifiée comme femme. Chacun, chacune d'entre vous, vous vous identifiez d'un certain genre. Et ce n'est pas quelque chose qui est disponible d'emblée comme réflexion et c'est quelque chose que les personnes trans peuvent apporter si on leur donne, justement, l'espace pour s'épanouir dans la société.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. On va maintenant entendre la députée d'Hochelaga-Maisonneuve pour un bloc d'intervention.

Mme Poirier : Je vais joindre ma voix à celle de la ministre pour vous remercier de votre franchise. C'est vraiment éclairant. Et, comme je vous ai dit tout à l'heure, Sophie, ne réagissez pas à tout ce qu'on dit, nous, on apprend. Vous, vous êtes dans une situation que vous connaissez, que vous maîtrisez, nous, on apprend, et laissez-nous le temps d'apprendre. On parlait, tout à l'heure, de méconnaissance. On est là-dedans, on est là-dedans : on est dans un état de méconnaissance des faits, des façons de vivre. Ce vous nous présentez, pour nous c'est de la nouveauté, alors laissez-nous apprendre, et vous nous apprenez beaucoup. Les témoignages comme celui d'Esteban nous apprennent beaucoup, justement.

Et, en lien avec ça, on a une commission qu'on a faite, justement avec quelques collègues qui sont ici, sur les violences sexuelles et, entre autres, on est venus parler beaucoup de cours d'éducation à la sexualité. Bien que le projet de loi dise qu'à partir de 18 ans on peut faire une demande ou une reconnaissance, vous nous parlez, Sophie, des cours... ou, du moins, de l'introduction des notions de trans auprès des jeunes. Moi, j'aimerais bénéficier de vous, là, on va bénéficier de votre expérience. Parce que dans le projet de loi on dit qu'il faut deux ans. Vous nous avez dit : Moi, à partir du moment où j'ai 18 ans, il va falloir que j'attende deux ans avant d'être reconnue. Est-ce qu'on ne pourrait pas commencer à 16 ans pour l'avoir à 18 ans? Je vous pose la question. Puis je ne veux pas savoir à partir de quand on veut faire la démarche, ce n'est pas ça qui m'intéresse. Mais, à partir du moment où, dans les écoles, que ce soit au primaire ou au secondaire, on puisse amener le sujet auprès des jeunes, comment vous le voyez, vous?

Mme Labelle (Sophie) : Eh bien, les jeunes, nécessairement, c'est différent d'une communauté scolaire à l'autre.

Toutefois, il faut comprendre que, comme je vous disais, chacun, chacune d'entre nous ici avons une identité de genre, et les enfants explorent là-dedans. Et donc, le fait de rendre ça explicite, parce que c'est des enseignements qui sont faits à l'école mais de manière implicite — on ne s'en rend pas compte — on va... Moi-même, j'ai des tics langagiers qui vont faire en sorte que je vais reproduire certains schémas qui m'ont forcée à certains stéréotypes, et je crois que c'est... D'emblée, c'est normal étant donné toute la pression sociale à se conformer à une certaine expression de genre. Et donc les enfants sont en train d'apprendre ça et sont très réceptifs, étant donné que c'est ce qu'ils vivent au quotidien, c'est des questionnements par rapport justement à : Est-ce que c'est quelque chose qui est correct pour mon genre? Est-ce que ce que je fais est conforme à ce qu'on attend de moi? Et donc l'anxiété relative à ça a des conséquences très réelles. Le rapport sur la transphobie en milieu scolaire de la Chaire de recherche sur l'homophobie de l'UQAM est très parlant, dans le sens que l'anxiété causée, justement, par le fait de devoir se conformer, de devoir vivre certaines choses qui ne devraient pas avoir lieu dans des établissements scolaires a des répercussions sur les résultats scolaires mais également sur les troubles de l'alimentation, sur la qualité du sommeil et sur...

Moi-même, pour avoir transitionné vers 13 ans, j'ai vécu et je suis passée également par tout ça. On parle également de troubles... On parlait des toilettes tout à l'heure. Moi, il a fallu que je consulte un urologue à neuf ans, parce que c'était impossible pour moi d'avoir accès à des toilettes à l'école qui seraient sécuritaires. Et, rendue au secondaire, c'était violent — je vais vous épargner les détails — mais il y a eu du sang dans les vestiaires. Et le fait de vouloir nous forcer dans certains lieux, selon justement le marqueur qu'il y a sur nos papiers, est complètement absurde, surtout dans le cas justement des enfants en milieu scolaire où est-ce que la seule présence d'un suppléant ou d'une suppléante dans la classe va venir possiblement détruire toute la qualité de vie d'un enfant, puisque les enfants qui décident de ne pas être publics à propos du fait que ces enfants-là sont trans... eh bien, leurs documents à l'école, leurs dossiers scolaires, étant donné la fermeture du ministère de l'Éducation pour changer les mentions de sexe pour les personnes mineures, vont continuer à porter le marqueur de genre, également les anciens noms si le nom n'a pas été changé.

Mais ça demeure plus compliqué justement s'il n'y a pas le changement de mention de sexe en même temps.

Et donc ça s'est vu, des suppléants, des suppléantes qui ont «outé», comme on dit — le fait de dévoiler le statut trans d'une personne — des enfants trans au reste de la classe étant donné qu'on n'avait pas barré l'ancien nom pour écrire le bon nom à côté. Et ça vient mettre la vie d'enfants en danger. On parle vraiment de questions, là, de vies d'enfants et également de vies d'adultes, il ne faut pas mettre ça sous couvert. Et également, surtout, il faut vraiment considérer le fait que ces questions-là demeurent très intersectionnelles. Plus les oppressions sont grandes par rapport, par exemple, au racisme ou à la classe, elle vient plus... cette oppression-là va être explosive. Comme je vous disais tout à l'heure, c'est aux 28 heures que les femmes trans racisées, en grande majorité, vont se faire assassiner, et ce n'est pas pour rien que ce ne sont pas elles qu'on va entendre le plus souvent dans les médias, étant donné qu'elles ont souvent un statut tellement précaire et sont souvent tellement marginalisées par la succession d'oppressions qui s'ajoutent... En particulier, évidemment, le fait d'être trans va venir jouer un rôle fondamental, justement, dans leur implication sociale.

• (18 heures) •

Mme Poirier : Vous dites que ça peut être différent selon les communautés scolaires. Je veux juste que vous m'expliquiez ce que vous voulez dire par là.

Mme Labelle (Sophie) : Oui. C'est une superbonne question, puisque je suis très impliquée justement dans les milieux scolaires.

Les commissions scolaires n'ont aucune directive claire de la part du ministère concernant les politiques dans chaque établissement scolaire, et donc il y en a qui vont se fonder sur, par exemple, la loi... l'inclusion de l'orientation sexuelle dans une politique de commission scolaire, par exemple. C'est le cas de la commission scolaire de Montréal, qui vont souvent considérer le fait des trans comme une orientation sexuelle, ce qui place les enfants trans sous la protection de cette clause-là. C'est très flou, ça varie d'une commission scolaire à l'autre. Et c'est vraiment un coup de dés qu'on lance : on inscrit un enfant à une école et, puisqu'il n'y a pas... ce n'est pas sûr et certain que l'enfant va être accepté.

J'en vois à chaque rentrée — je connais toutes sortes de familles, je pourrais vous les nommer — des personnes qui me sont très chères que leur enfant est refusé d'admission parce que cet enfant-là est trans. On va les rejeter tout simplement parce que l'identité de genre, bien, premièrement, ça fait aussi référence au projet de loi C-279, qui est présentement au Sénat, au niveau fédéral, qui cherchait à inclure l'identité de genre dans la longue liste des droits reconnus par la Constitution.

Mme Poirier : ...vous venez de dire quelque chose de gros, là : Il y a des enfants qui sont non admis à l'école à cause d'une question de trans. Expliquez-moi ça, là. Là, vous venez de me dépasser, là.

Mme Labelle (Sophie) : Eh bien, comme il n'y a pas de directive claire à ce sujet-là et que, comme je vous disais, c'est un coup de dés qu'on fait en inscrivant un enfant dans certaines écoles... c'est pour ça que je parlais, justement, de communautés scolaires, c'est-à-dire qu'il y a des milieux qui seront plus accueillants, qui vont décider par eux-mêmes... c'est vraiment des initiatives personnelles, et on voit vraiment de la volonté de l'administration des établissements scolaires un à un...

Mme Poirier : On se base sur quoi pour faire une exclusion, là?

Mme Labelle (Sophie) : On se base sur la bonne volonté de l'administration.

Mme Poirier : Ça n'existe pas, là, Je veux dire, quand on rentre à l'école... puis j'imagine que ça doit être rendu au secondaire, j'imagine, pas au primaire, là...

Mme Labelle (Sophie) : Surtout au primaire que je vois ça.

Mme Poirier : Au primaire? Bon, c'est encore pire. Au primaire, je veux dire, l'enfant qui rentre à l'école, à part son état civil, là, qui dit quelque chose, là... qu'est-ce ça fait que, cet enfant-là, ça soit écrit M ou F, puis qui a six ans, là...

Mme Labelle (Sophie) : C'est ce qu'on se demande, c'est ce qu'on se demande. Mais c'est trop souvent des motifs d'exclusion encore en 2015, et donc on doit jongler avec ça.

Mme Poirier : ...de documenter des cas comme ça?

Mme Labelle (Sophie) : C'est très délicat comme cas, évidemment. Bien, en fait, je parlais, justement, avec la mère de Bella Burgos à Winnipeg hier soir étant donné qu'ils ont décidé, justement, d'être publics avec ça pour faire avancer la cause, étant donné que les gens, beaucoup de familles ne veulent pas justement toute l'attention médiatique que ça prend pour ça et vont souvent préférer juste relancer l'idée ailleurs. Et donc la famille de Bella a décidé, justement, d'aller dans les médias avec ça et ils ont gagné leur cause.

Mme Poirier : ...quel âge, Bella?

Mme Labelle (Sophie) : Maintenant, elle a huit ans, mais les événements se sont passés lorsqu'elle avait six ans et demi, sept ans. C'était à l'admission au primaire.

Et donc elle a été expulsée de son école parce qu'elle refusait d'utiliser les toilettes des garçons, évidemment, comme l'école le lui imposait, puisqu'il n'y a aucune directive claire tant au Manitoba qu'au niveau fédéral. Et donc soit on va se baser sur les lois, sur le fait de ne pas pouvoir discriminer sur son orientation sexuelle soit on va se baser sur celles de ne pas discriminer selon le sexe, mais, encore là, on raboute des bouts de chandelles, hein, donc, on essaie de faire passer des choses sans qu'il n'y ait de directives claires nulle part. Et les commissions scolaires, comme je vous disais, c'est du cas par cas, et elles vont souvent être très nébuleuses par rapport à ces questions-là.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. On a débordé un peu le temps, parce que la discussion est très intéressante, mais vous me permettrez de passer la parole à la députée de Mirabel pour un bloc d'intervention. Mme la députée.

Mme D'Amours : Merci. Et merci du témoignage. Ça nous sort un peu de notre mode intellectuel puis on est plus avec le coeur. Ce que je vais vous poser comme question... je ne veux pas d'emblée que vous pensiez, là, que je suis contre, mais je veux juste comprendre. Tout à l'heure, la personne qui était là avant vous a parlé qu'elle ne voulait pas être obligée de se justifier toujours, qu'elle ne voulait pas être une bête de scène, on a parlé des vestiaires.

Vous savez, un député, quand on siège à l'Assemblée nationale, on représente les gens de notre circonscription. Je vais vous parler de moi. J'ai 60 000 électeurs. Quand je travaille ici, qu'on travaille sur un projet de loi ou un règlement, on doit penser à la généralité, on doit penser au Québec au complet. Et moi, je me pose comme question, là... je reviens, mettons, sur le temps, là, qu'on dit, un deux ans. Vous savez, là, vous, vous parlez pour les jeunes, il y a des jeunes en région qui vivent la même chose que vous mais qui ne peuvent pas l'avouer. Les parents, premièrement, des fois, ne l'avouent même pas. Alors, ils vivent... et aussitôt qu'ils sont capables de partir de la région, il y a de l'exode qui s'en va vers les grands centres, où, là, il y a peut-être une plus grande acceptation, mais par contre les gens, les gens qui sont alentour de leur vie depuis toujours, eux autres, là, c'est comme une coupure, tu sais, c'est tout de suite. On est un garçon, il arrive à Montréal; 15 jours après, il est une fille. Est-ce que vous ne pensez pas que le deux ans ne fait pas comme un baume au coeur des parents ou... Puis là je pose la question, je veux juste que les gens comprennent qu'est-ce que vous vivez. Puis ça, ça arrive dans la vie.

Mme Labelle (Sophie) : Je vais laisser Esteban répondre à cette question-là, mais je voudrais juste mentionner cependant, étant donné que c'est quelque chose que j'ai beaucoup entendu depuis le début des audiences et qui est vraiment un coup de poignard à chaque fois, mais je comprends évidemment que c'est des questions de langage qui sont souvent très répétées à profusion dans les médias : Avant de transitionner, je n'étais pas plus un garçon que je ne le suis présentement. J'ai eu beau avoir les cheveux courts à un moment de ma vie, j'ai eu beau porter des pantalons un peu plus slaques, ça ne faisait pas de moi davantage un garçon. J'avais beau avoir un prénom qui était plus masculin, ça ne faisait pas de moi davantage un garçon ou un homme.

Donc, on va tenter, en 2015, dans le même esprit d'autodétermination dont on parle depuis tout à l'heure, de concéder qu'en dépit de l'apparence de certaines choses l'identité va tout de même primer sur l'expression. Et donc je ne suis pas un homme devenu une femme, je suis une femme qui a été mal assignée, comme Gabrielle l'a si bien dit tout à l'heure. Et, sur ce, donc Esteban...

M. Torres (Esteban) : Oui. C'est-u possible de répéter la question? Parce que j'ai un déficit d'attention.

• (18 h 10) •

Mme D'Amours : En fait, moi, je peux vous dire que je comprends votre état parce que vous l'aviez expliqué, puis on sent le sentiment que vous avez vécu. Par contre, je voudrais comme parler des gens qui vivent alentour de vous, la société qui... Dans la société, il y a des gens qui vont l'accepter d'emblée, il y a des gens qui vont dire : Eh! je ne comprends pas, puis ça leur prend du temps avant d'accepter, puis il y en a d'autres qui n'accepteront jamais.

Alors, quel est notre rôle, comme législateurs, pour essayer d'encadrer tout ça, mais de ne pas brimer le... Si on dit oui à toutes vos demandes, de tout enlever... puis là je ne dis pas que c'est ça qu'on va faire puis je ne dis pas que ce n'est pas ça qu'on ne fera pas, là, mais quelle est la position... Quelle est votre vision sur les gens de la société en général? Est-ce qu'ils ont besoin d'un temps pour assimiler ça? Est-ce que, d'après vous, ça ne changera... Est-ce que vous, si vous avez vos papiers tout de suite... Ça serait bien, parce que vous vous faites arrêter par la police ou vous allez à l'hôpital... bien, vous ne vous ferez pas arrêter par la police à tous les jours, vous allez avoir peut-être une contravention ou deux par année. Bon, deux ans, ça fait quatre contraventions, mettons qu'on exagère. Vous allez voir les médecins, vous êtes en santé, c'est une fois par année, c'est une visite annuelle, mais, nonobstant ça, là, si on n'a pas besoin de montrer vos papiers... Là, on parle des classes, mais, si vous n'aviez pas à montrer vos papiers, est-ce que, même si vous n'aviez pas le mot F ou M sur votre papier, dans la société, vous seriez acceptés d'emblée comme ça? Est-ce qu'il n'y a pas un temps de...

M. Torres (Esteban) : Ça dépend vraiment beaucoup, là, ça dépend des gens qu'on rencontre, ça dépend... Tu sais, admettons, je ne sais pas, moi, je m'en vais à... Ça, c'est une situation qui m'est arrivée voilà pas longtemps, là, juste pour vous mettre un petit contexte. Je me suis ramassé dans une école à un moment donné, puis, c'est ça, au fond, j'ai dû comme m'obstiner avec le directeur pour lui dire que, genre, mon identité, c'est un homme et non une femme. Puis, bref, c'est ça. C'était un peu compliqué. Puis je pense qu'avoir un M pour mon cas à moi, ça va m'aider beaucoup, parce que, d'ici trois mois, comme je l'ai nommé tantôt, je risque d'avoir des gros changements physiques sur moi. Je risque de me faire mégenrer beaucoup si, admettons, je montre mes pièces d'identité à n'importe qui, peu importe que ce soit à l'école, que ce soit pour me trouver un emploi, que ce soit pour ne serait-ce qu'aller au dépanneur, aller prendre une bière avec des amis parce que ça me tente d'aller prendre une bière, parce que, tu sais, je ne fais pas juste étudier dans la vie puis je ne fais pas juste voir du monde, puis tout ça. Ça fait que, tu sais, ça a un gros impact.

Mais moi personnellement, genre, je pense que, si c'est possible d'enlever, admettons, c'est ça, la mention de sexe... en fait, pas l'enlever, mais, au fond, de pouvoir comme laisser le choix aux personnes de choisir leur genre sur leurs pièces d'identité, pour moi, ce serait un avancement. Puis je vais pouvoir, moi, en tant que personne, dire : Je suis un homme, puis ne pas avoir à m'obstiner avec quelqu'un là-dessus, tu sais?

Mme Labelle (Sophie) : Le message que ça envoie est d'une importance capitale. Comme je vous le disais, les politiques des commissions scolaires vont être ce qui va faire en sorte que, des enfants, on va leur faire une place ou non dans les écoles, et je crois que ça va de pair avec la société.

Lorsqu'on va créer l'espace où s'épanouir, à ce moment-là on va s'épanouir. On ne va pas attendre que les gens soient épanouis pour leur accorder cette place-là, et le fait de laisser une plus grande latitude par rapport au changement de mention de sexe n'aura pas juste des répercussions pour les personnes trans. Je crois que c'est facile de penser ça, mais le fait de forcer des assignations de genre à la naissance a également des répercussions très graves sur les communautés intersexes, qui seront nécessairement touchées par le besoin, on le mentionnait tout à l'heure, d'assigner un genre à la naissance après deux semaines suivant l'accouchement. Et donc, les personnes intersexes, on pratique encore, à Sainte-Justine des opérations de mutilation sur les organes génitaux pour que ces organes génitaux là apparaissent comme des organes génitaux conformes à ce qu'on attend de certains genres. Et on en parle tellement peu dans les médias en plus, que ça se fait présentement, en 2015, à Sainte-Justine, à Montréal, on n'est même pas conscient de tout ce qu'on va faire pour se créer l'illusion qu'il existe deux genres bien séparés, bien définis qui sont infranchissables, outre un passage vraiment difficile et fastidieux. Et donc il faut vraiment prendre ça en compte.

Et, pour finalement terminer, pour répondre à votre question, la société va... Moi, en fait, ce que je dis souvent, c'est que, le jour où est-ce que tout le monde va connaître une personne trans, eh bien, ce jour-là, il n'y en aura plus, de problème. Mais présentement les personnes trans, puisqu'il y a tellement de barrières à leur épanouissement, vont... Je connais des personnes qui sont juste d'un certain genre à certains endroits. Dans leur milieu familial, ils ne peuvent pas s'exprimer comme ils veulent. Et il faut que ces personnes-là endurent certains traitements. Donc, le fait qu'on donne l'exemple finalement fera en sorte de donner beaucoup plus de visibilité dans la société à des personnes trans, ce qui va permettre au plus grand nombre de gens de connaître, chacun, chacune, une personne trans.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange avec la deuxième opposition. M. le vice-président de la commission, pour trois minutes.

M. Lisée : Merci, M. le Président. M. Mein, Mme Labelle, M. Torres, merci d'être là. Sophie, on s'est rencontrés lors de la campagne électorale dans Rosemont, peut-être qu'on se rencontrera encore d'ici quelques années, hein, vous êtes bienvenue. Moi, j'y serai, en tout cas, je tiens à vous le dire.

Écoutez, la conversation que vous avez eue avec ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve sur les écoles est vraiment étonnante, parce que le droit à l'éducation, c'est non seulement un droit, mais une obligation pour les mineurs d'être en situation... Et ça pose toute la question, qui n'est pas couverte par le règlement, du traitement des mineurs trans.

Pouvez-vous nous donner, vous qui êtes dans le milieu, Sophie, des exemples de bonnes pratiques dans des écoles primaires qui font face à cette situation?

Mme Labelle (Sophie) : C'est ce que je fais dans la vie, alors ça va me faire plaisir de le faire ici.

Les bonnes pratiques, ça inclut le fait de reconnaître évidemment l'identité des personnes trans, de les reconnaître d'emblée, de ne pas faire passer de test pour savoir si une personne est bel et bien du genre qu'elle prétend être. Et d'ailleurs, à ce sujet-là, il n'y a pas personne... ça n'existe pas, des cas de gens qui se sont fait passer, pendant plusieurs jours, d'un certain genre pour avoir accès à des lieux ségrégués selon de genre, comme par exemple des vestiaires ou des toilettes. Les personnes qui ont assez d'imagination pour faire ça — on les connaît — dans la société vont passer à l'acte sans tout ce processus-là de transition sociale. C'est beaucoup trop difficile et c'est beaucoup trop gros comme oppression qu'on vit, et ces gens-là ne vont pas être capables, je vous le dis tout de suite. Autrement, les bonnes pratiques, ça signifie d'accueillir d'emblée les personnes dans les lieux ségrégués selon leur genre d'identification, comme par exemple mentionner dans les politiques de l'établissement que les personnes trans sont les bienvenues dans les toilettes de leur genre d'identification. C'est un pas qui est très simple à faire, que des écoles qui ont fait le travail... Bien, en fait, on va se le dire, c'est souvent des parents, des parents formidables que vous allez entendre d'ailleurs dans les prochains jours, qui ont fait le travail de défrichage pour aller rencontrer une à une les diverses instances dans les commissions scolaires, par exemple, et donc c'est du travail politique, oui.

Il y a également le fait d'inclure dans le curriculum certains thèmes reliés au genre, qu'on ne voit pas, et ça, c'est particulièrement flagrant dans les campagnes de lutte à l'homophobie. On est la coalition jeunesse de lutte à l'homophobie, justement. Quand je vois les publicités gouvernementales de lutte contre l'homophobie — dans les écoles primaires, ça se fait, il y en a, c'est très largement accepté maintenant socialement — qui montrent, par exemple, deux hommes qui se tiennent la main, souvent ces deux hommes-là vont être très masculins, et on va tenter de justifier le fait qu'on veuille rendre ça acceptable socialement par le fait, justement, qu'ils sont normaux, qu'ils sont des gens comme tout le monde, entre guillemets, alors qu'on sait pertinemment que les jeunes qui sont le plus victimes d'intimidation sur la base... bien, en fait, qui sont victimes de ce qu'on appelle l'homophobie le sont sur la base de leur genre. Et ça, c'est une conversation qu'on refuse d'avoir, qui n'est même pas dans le programme de formation de l'école québécoise.

• (18 h 20) •

On va parler d'orientation sexuelle, par exemple, en cinquième, sixième année, au troisième cycle, mais on ne va jamais parler de genre.

Souvent, les enseignants et les enseignantes que je connais qui sont sensibles à ces enjeux-là, souvent pour avoir eux-mêmes eu des enfants trans dans leurs classes ou ayant eux-mêmes des enfants trans... ceux qui vont être sensibles à ces enjeux-là vont plutôt passer par la bande, vont trouver des stratégies d'évitement du sujet, comme par exemple parler de différents genres dans la famille, il y a certaines personnes dans la famille qui ont un genre différent. Et donc il y a vraiment un travail d'évitement qui est fait, qui est potentiellement dangereux pour ces enseignants-là, qui prennent des risques pour éduquer les enfants à ce sujet-là. Donc, c'est des risques qu'on prend. Et, très souvent, les écoles vont considérer qu'on parle de sexualité lorsqu'on parle de genre, alors que c'est deux choses très différentes. Je suis certaine que vous en êtes tous et toutes conscients et conscientes. On va demander la permission aux parents des jeunes pour parler de stéréotypes de genre, ce qui, quant à moi, est complètement farfelu étant donné que c'est un sujet qui est encore très tabou dans la société.

Et donc d'ouvrir cette conversation-là sur les stéréotypes de genre, c'est, quant à moi... bien, c'est quelque chose qui touche tous les élèves. On ne va pas attendre d'avoir un enfant trans pour parler de stéréotypes de genre, puisque ça va toucher tout le monde dans la classe. Et d'ailleurs il y a fort à parier qu'en parlant de stéréotypes de genre ça va toucher beaucoup les jeunes garçons au secondaire, qui vivent énormément de pressions pour se conformer à une masculinité vraiment étouffante, et on va souvent chercher à ce qu'il y ait davantage de modèles masculins, ce qui est assez paradoxal, puisqu'on va préférer vanter une certaine masculinité plus... pas nécessairement plus large, c'est-à-dire que l'espace pour exprimer sa masculinité ne va pas nécessairement être plus large, va juste être plus présente. C'est souvent ça qu'on va préférer à la discussion sur les stéréotypes de genre. Et donc ça touche vraiment tout le monde.

Et, autrement, un dernier petit point justement pour répondre à votre question sur les bonnes pratiques à avoir dans les écoles, je mentionnerais peut-être... je vais choisir mes mots...

Excusez-moi. J'avais une idée, mais je l'ai oubliée. Si j'y repense, on va en discuter à la prochaine campagne électorale.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.

Mme Massé : Oui. Merci, M. le Président. Bonsoir, vous tous et toutes. C'est sûr que, voilà, on rentre dans le concret, on rentre dans l'os. D'ailleurs, Esteban, j'aimerais ça si, pour mes collègues, parce qu'on a déjà eu la chance d'en parler, toi et moi, tu pouvais raconter qu'est-ce que ça a comme impact chez les jeunes qui vivent dans les centres jeunesse.

M. Torres (Esteban) : Bon. En centre jeunesse, c'est vraiment très flou. Ça dépend de quel centre jeunesse tu tombes. En tant que jeune, il y a des centres jeunesse... c'est qu'ils vont faire en sorte que, admettons, tu sais, la personne va pouvoir, admettons, commencer une hormonothérapie, mais ils vont souvent utiliser les pronoms qui ne fittent pas avec la personne, puis aussi son nom légal, qui n'est pas le nom qu'elle désire avoir ou qu'il désire avoir. Ça arrive souvent qu'il y a des... En tout cas, moi personnellement, je connais quelqu'un qui a... c'est ça, qui doit passer 24 heures sur 24, sept jours sur sept dans un centre jeunesse à se faire dire des pronoms qui ne représentent pas son identité, à se faire dire des... Comment dire? Tu sais, il va se... en tout cas, il va se faire dire «elle», «cette fille-là», des trucs comme ça. Puis c'est constant, constant, constant. Puis cette personne-là, elle a tenté de, tu sais, dénoncer tout ça, puis, genre, le fait que la confidentialité en centre jeunesse ne permet pas à ce que ça, ça sorte dans les médias... Puis, en fait, les voix des jeunes personnes trans qui sont en centre jeunesse ont vraiment beaucoup de difficultés à sortir dans les médias.

Ça fait que, bref, c'est ça, c'est très compliqué, là. Ça peut aller jusqu'à, tu sais... Admettons, moi, si je serais en tout cas devant la situation que je devrais me ramasser en centre jeunesse, bien je me ramasserais en ce moment même, là, dans un centre jeunesse pour femmes... bien, pour filles.

Mme Labelle (Sophie) : Et, si j'ai le temps, peut-être mentionner...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En conclusion.

Mme Labelle (Sophie) : Oui, bien sûr. Il y a eu — peut-être, dans les médias, vous en avez entendu parler — l'histoire du jeune Mat, qui... je mentionne son nom parce que son nom a été discuté amplement dans les médias, puisque c'était justement un cas de fuite de centre jeunesse, et les médias ont divulgué un avis de recherche qui ne mentionnait pas du tout le fait que Mat était trans et utilisaient les mauvais pronoms, le mauvais nom, et c'est des conséquences directes du fait que c'est impossible de changer les mentions de sexe dans les papiers. Donc, il y a vraiment eu un gros brassage médiatique autour de cette histoire-là, qui est d'une violence inouïe. Lorsqu'on voit ton ancien nom, qui est souvent synonyme de beaucoup de traumatismes, beaucoup de violence qui t'est faite dans ta vie... et donc, ce nom-là, de le voir sur tous les écrans, dans tous les journaux, c'est d'une violence inouïe. Donc, c'est le genre de conséquence directe que ça a sur la vie des personnes trans.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète notre échange, très, très instructif, bouleversant même, à plusieurs égards. Alors, je vous remercie de vous être déplacés.

La commission suspend ses travaux quelques instants pour permettre à nos prochains invités de s'avancer.

(Suspension de la séance à 18 h 27)

(Reprise à 18 h 31)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : À vos places, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Nous accueillons maintenant Mme Julie-Maude Beauchesne, une personne que la commission connaît bien, que les membres de la commission ont eu l'occasion de voir à quelques reprises — alors, bienvenue à nouveau à la commission — et également Mme Caroline Trottier-Gascon. C'est bien ça? Alors, bienvenue à la Commission des institutions. Vous disposez d'une période de 10 minutes pour votre présentation, et il y aura ensuite des échanges avec les membres de la commission. À vous la parole.

AlterHéros

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Merci, M. le Président. Moi aussi, je suis très heureuse de vous revoir. Être en terrain de connaissance, c'est toujours agréable, surtout qu'on vous a déjà sensibilisés à la cause. Maintenant, on va faire la même chose avec vos collègues parlementaires aujourd'hui. Malheureusement, on aimerait ça faire la même chose avec l'ensemble de l'Assemblée nationale, avec vos caucus respectifs, peut-être que ça vous faciliterait la tâche, parce que je sais que vous prenez l'information ici, on vous sensibilise, après ça vous devez convaincre des gens qui n'ont pas entendu ce que vous avez entendu là. Bien, peut-être qu'un jour on pourrait parler à tout le monde, mais, bon, au moins on a des gens de qualité aujourd'hui autour de la table et on espère qu'on va passer une bonne heure ensemble.

Donc, on m'a présentée, je suis présidente et directrice générale, depuis peu, d'AlterHéros, qui est un organisme de démystification de la diversité sexuelle. Certains d'entre vous nous connaissent, puisqu'on a reçu des discrétionnaires, donc je n'ai pas besoin de faire les présentations plus que ça. Mais juste pour vous dire qu'à peu près 25 % des gens qui frappent à notre porte en ligne, puisqu'on offre des services en ligne, sont des personnes transsexuelles, transgenres et trans en général. Donc, on connaît bien ce dossier-là, et moi pareil, et je suis également au doctorat en sciences politiques à l'Université de Montréal, et ma collègue également est à l'Université de Montréal en histoire, à la maîtrise, et elle est porte-parole du Groupe d'action trans de l'Université de Montréal. Ça fait que vous voyez plein de connexions ici, là, mais c'est pour ça qu'on est ensemble aujourd'hui.

Donc, je vous ai dit, ça fait longtemps que je suis dans le dossier. Dans le fond, souvent, dans le milieu, on dit que c'est de ma faute si on est là, parce que ça fait au moins une dizaine d'années que ça me trotte dans la tête qu'on atteigne la pleine égalité juridique des personnes trans. Et ça veut dire quoi, la pleine égalité juridique des personnes trans? Ça veut dire de pouvoir justement vivre, sans encombre, sans problèmes légaux, le sexe auquel ces personnes-là s'identifient. Et pourquoi ça fait une dizaine d'années? Parce que, quand il y a eu en 2006 le mariage homosexuel, tout le monde s'est mis à dire : On a enfin atteint l'égalité juridique pour les personnes LGBT. C'était peut-être vrai pour les personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles, mais ça ne l'était pas pour les trans, puisque... oui, peut-être en question de mariage, si la personne est homosexuelle, même si elle était trans, et tout ça, mais pour ce qui est question de son identité, si elle n'avait pas de chirurgie, etc., ça demeurait un problème. Donc, je pourrais faire la longue histoire de tout ça, bien je vais vous épargner beaucoup de détails, mais c'est juste pour vous dire que j'étais là comme unique représentante trans au début des années 2000, quand on a travaillé au groupe de travail mixte de lutte contre l'homophobie, qu'on a produit le rapport de la Commission des droits de la personne en 2007. Dans ces périodes-là, j'amenais déjà cette question-là de changement de sexe sans chirurgie, et on me regardait comme si j'étais une extraterrestre.

10 ans plus tard, bien on est là puis on est en train d'adopter un règlement, on n'a même plus le projet de loi, parce qu'on a déjà franchi le paradigme quand même de pouvoir dire que les personnes vont pouvoir être de sexe masculin, même si elles n'ont pas les organes génitaux masculins; de sexe féminin, même si elles n'ont pas les organes génitaux féminins. On a passé ce paradigme-là, il reste maintenant à l'appliquer, et ça, j'ai vu les témoignages en partie aujourd'hui. Mais tout ça pour vous dire que j'étais... Selon toutes les étapes, après ça, il y a eu la politique de lutte contre l'homophobie, il y a eu le plan d'action, puis à chaque fois les personnes trans, on a été obligées de négocier, on a été obligées de négocier déjà à l'interne, le milieu LGBT, puis après ça avec la politique, pour finalement se retrouver toujours avec des miettes. Et, heureusement, il y a eu certaines personnes, des députés, des ministres, comme votre collègue Jean-Marc Fournier à l'époque avec qui j'avais discuté, puis il a dit : Oui, on va s'occuper du dossier trans. C'est pour ça qu'on a créé le Comité trans du Conseil québécois LGBT puis que finalement, en 2012, on a déposé au ministre de l'époque le Plan de revendications trans, qui a 32 revendications, dont une très importante, l'égalité juridique, et on est là pour en parler aujourd'hui.

Finalement, après ça, il y a eu le projet de loi n° 35, et le PQ est arrivé, il a dit : On fait notre priorité des questions trans, parfait, on prend le relais. Puis, depuis ce temps-là, ça a l'air compliqué. Pourtant, j'étais très fière, moi, quand on a adopté le projet de loi. Je disais ça à mes collègues : Je suis vraiment fière, parce que, là, notre but, là... je veux dire, on avait quand même une fierté de dire que ça va être la première législation au monde à adopter en Chambre, et non pas par la voie des tribunaux, pas après un jugement de la cour x, y, z, en Chambre, juste par la volonté politique, de changer de paradigme, comme je le disais, de permettre aux gens de changer de sexe sans chirurgie. Et ça a été fait. Pas totalement. On avait quand même les clauses pour les mineurs puis les clauses pour les personnes immigrantes, quand même des clauses importantes, mais quand même on a franchi une étape importante.

Et puis là on est arrivés à la question du règlement. Donc, j'aimerais ça que, les règlements, on puisse en être aussi fiers qu'on était fiers du projet de loi. On aimerait ça, parce qu'actuellement le projet de loi, comment il est, il est discriminant, il est assez paternaliste et également — on va en faire la démonstration aujourd'hui — il incite à la fraude. Puis je sais que c'est une de vos grandes préoccupations, mais vous ne pensez peut-être pas qu'à l'inverse ça incite à faire de la fraude par les personnes qui sont pognées avec les pièces d'identité qui sont ne pas conformes. Et pour ça on vous a remis aujourd'hui vos nouvelles pièces d'identité. En ce moment, vous avez un permis de conduire et vous avez une carte d'assurance maladie. Ça fait que, messieurs, vous êtes maintenant des madames, et, mesdames, vous êtes maintenant des messieurs, pas en apparence mais au point de vue du registre de l'état civil. Donc, si vous me permettez ceci, c'est pour vous mettre un peu dans le bain, parce qu'on en parle depuis une journée. Vous allez en parler pendant encore deux jours de commission, mais, des fois, de le vivre, ça amène sur un autre terrain, ça fait réfléchir à certaines choses.

Donc, ma collègue ici va faire un témoignage de plusieurs choses qui peuvent arriver dans une journée type avec des papiers tels que vous avez maintenant entre les mains, et je vous invite à faire l'exercice de dire : Moi, si j'avais à faire le même geste avec les papiers que vous avez entre les mains, comment je devrais vivre ça? Ça fait que, voilà, je passe la parole à ma collègue.

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Et ça pourrait répondre à la question, tout à l'heure, de la députée de Mirabel. Ces situations-là ne sont pas extraordinaires, c'est une journée typique, c'est des situations quotidiennes. Par exemple, vous allez au travail. Votre employeur, étant donné votre mention de sexe, pour justifier sa discrimination, utilise la mention de sexe pour refuser de reconnaître votre identité. Donc, il va vous empêcher de venir avec des vêtements masculins ou féminins, selon votre choix. Donc, Mmes les députées, vous devriez porter des vêtements masculins, et, MM. les députés, vous devriez porter des robes ou des vêtements féminins.

Dans certains milieux de travail, le contrôle est total sur le vêtement porté étant donné que l'uniforme est fourni par l'employeur. Donc, par exemple, moi, j'ai travaillé chez Couche-Tard à un moment donné, chez Couche-Tard, il y avait un uniforme pour les femmes et un uniforme pour les hommes, et l'employeur le fournit.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Donc, messieurs, en ce moment, si vous seriez ce cas-là, vous devriez porter le vêtement féminin, et, mesdames, le vêtement masculin, puisque, vos papiers, l'employeur se sentirait légitimé de vous habiller dans le sexe qui n'est pas conforme à celui que vous vous présentez ici en ce moment.

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Bon, vous allez au travail, c'est probablement une mauvaise journée de travail, parce que toutes les journées seraient mauvaises dans ces situations-là. Ensuite, vous revenez à la maison, vous ouvrez votre courrier. Vous avez des factures qui disent... par exemple, prenons le cas de la ministre, diraient : M. Stéphanie Vallée. Vous avez donc des lettres envoyées de la banque, ou de l'université, ou de quelque autre endroit à M. Stéphanie Vallée. En plus d'être un brin absurde et assez peu respectueux, c'est difficile d'utiliser ce genre de documents là pour établir une preuve d'adresse à d'autres fins... ou, dans certains cas, par exemple, la carte d'électeur. Donc, je ne sais pas... aux élections provinciales, mais je me souviens, aux élections pour les commissions scolaires à l'automne, ça dit «monsieur», «madame», selon la mention de sexe, donc ça peut aussi être un obstacle à l'exercice du droit de vote étant donné que les personnes vont devoir se présenter comme personnes trans et être visibles comme personnes trans, s'exposer à des situations de discrimination.

Bon. Vous ouvrez votre courrier, c'est une mauvaise journée encore. Vous voulez vous divertir, vous allez dans un bar. On vous demande, à l'accueil, de montrer vos cartes d'identité pour établir votre âge, un peu comme dans le témoignage d'Esteban. Vous montrez votre carte d'assurance maladie. Donc, remarquez, sur votre carte d'assurance maladie, si vous regardez le numéro, donc, il y a votre date de naissance, qui peut être utilisée pour établir votre âge, mais, au plein milieu, il y a une mention de sexe, on ajoute 50 pour «féminin». Donc, une personne qui ferait juste regarder l'âge pourrait déterminer que vous êtes trans même sans jeter son regard sur le M ou le F qui est en dessous.

• (18 h 40) •

Donc, dans cette situation-là, l'employé à l'accueil peut vous dire de sortir du bar pour toutes sortes de belles... sortir plein de gros mots, etc., révéler à tout le monde qui est présent que vous êtes trans publiquement, ce qui peut vous causer des cas de violence, des situations très dangereuses. Donc, oui, on pourrait dire que la discrimination viendrait de l'employé ou de l'établissement, mais elle serait permise et facilitée par les politiques du gouvernement en matière d'état civil. Et ne pas reconnaître l'identité de la personne permet à des personnes malintentionnées de commettre des actes de violence.

Donc, le projet de règlement en ce moment prévoit que les personnes trans devront, avant de changer de mention de sexe, vivre en tout temps, depuis au moins deux, ans sous l'apparence du sexe pour lequel un changement de mention est demandé. Ça, c'était une journée. Le projet de règlement prévoit 730 journées comme celle-ci à toutes les personnes trans — non négociable — sans compter les délais. C'est deux années de discrimination obligatoires inscrites dans la loi. Et ce n'est pas juste cette journée, il y a aussi des situations exceptionnelles : comme, si vous voulez prendre l'avion, on peut vous refuser d'entrer dans l'avion selon une loi, un règlement fédéral. Vous payez vos impôts, on vous demande encore la mention de sexe au Québec seulement, pas dans le reste du Canada. On a mentionné la police, on pourrait mentionner les demandes d'emploi, énormément de situations comme celles-ci. C'est ce genre de journées, ce genre de situations qui font que 40 % à 50 % des personnes trans tentent de se suicider, ce qui est dix fois plus que le reste de la population.

C'est pourquoi on vous demande de prioriser le respect de l'identité affirmée des personnes trans, parce que les procédures de changement de mention de sexe auront des conséquences directes et immédiates sur la vie des personnes trans plus que sur quiconque.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Donc, comme elle a bien dit, c'est deux ans comme ça. 700 combien de jours?

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : 730, plus les délais. Ça ne compte pas non plus... il y a un 30 jours entre la décision de l'État civil et l'émission du certificat, plein d'autres délais.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Bien, c'est ça. Donc, suite à ça, M. le Président, on est passés au travers des audiences qu'on a vécues ensemble en mai 2013 et on s'est rendu compte à quel point les questions de fraude préoccupaient les députés. Puis je me souviens, entre autres, d'une intervention de Mme St-Pierre, aujourd'hui ministre des Affaires internationales, qui disait craindre justement qu'il y ait de la fraude, et parmi ses craintes elle a dit : Vous savez, tu sais, ça me fait penser à des romans comme Millénium, tout ça. Puis, moi, ma réaction, c'est dire : Sérieux? C'est ça, vos craintes? Mmes, MM. les députés, vos références, c'est un roman scandinave? Je veux dire, ce qu'on vient de démontrer là, ce qu'on va vous démontrer aujourd'hui, là, c'est que, si quelqu'un décide de vouloir frauder en voulant changer de mention de sexe, il se met dans la m... pas à peu près pour bien longtemps. Je veux dire, il y a des façons bien moins d'impact sur la personne que vouloir changer de mention de sexe.

Ce qu'on vient de vous démontrer là, là, c'est qu'il y a des freins sociaux, des protections sociales qui sont très efficaces pour faire en sorte que, si un fraudeur, un tata, veut utiliser ce moyen-là, bien il est tata en tabarouette. Puis, moi, ça m'inquiète, parce que j'ai vu finalement avec le règlement qu'on a mis trois clôtures de barbelés, un mur de briques, une tranchée pleine de bouette pour une couple de tatas, alors que peut-être que finalement, avec toute la question sociale, qui met des freins, peut-être que juste un petit détecteur de métal à l'entrée, là, ça ferait bien l'affaire, vous comprenez? Ça fait que... voilà.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : On a dépassé le temps. Est-ce que vous aviez complété votre présentation? Parce qu'il y aura une période d'échange aussi.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Bien, retournons à la période d'échange, là. Si vous me permettez, M. le Président, je voulais juste poursuivre l'exercice un peu plus loin, parce que, justement, le fait qu'on veut donner des pièces d'identité, bien ça fait en sorte qu'en principe je devrais vous appeler Mme la Présidente, puis je devrais dire «M. le ministre», je devrais dire «Mme la vice-présidente de la commission» ou «Mme la députée de Rosemont», vous comprenez? Parce que c'est comme ça que ça se passe dans la vraie vie pour les personnes qui vont être pognées avec deux ans. Ça fait que c'est juste là-dessus que je voulais conclure, messieurs dames.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Mme la ministre, pour un premier bloc d'échange avec nos invités.

Mme Vallée : Merci. Alors, merci beaucoup, Mme Beauchesne, Mme Trottier-Gascon, pour votre présentation.

Évidemment, le dépôt du règlement... puis je tiens à vous rassurer, je redis et je me répète, mais je pense que c'est important, c'est un projet de règlement qui suscite des réactions, qui suscite des commentaires, d'accord, mais ça demeure un projet de règlement, et je pense qu'autour de la table on a des gens, des collègues qui sont à l'écoute, qui ont été énormément à l'écoute depuis le début et qui, je pense, souhaitent trouver la voie de passage pour permettre d'éviter justement de traverser des barbelés, le champ de bouette, et tout.

Alors, on vous entend. Je pense que la préoccupation, c'est d'arrimer la stabilité des registres de l'état civil et de l'arrimer avec le respect des personnes trans. Et on a certainement compris des représentations... je pense que les différents intervenants et intervenantes qui ont défilé devant nous ont été unanimes sur le fait que, dans sa forme actuelle, le règlement semble apporter d'autres motifs de discrimination puis ne va pas nécessairement être aussi aidant que l'objectif du règlement. Alors, là-dessus, je pense que tout le monde, on a un bout de chemin, on a une réflexion. Il y a des trucs qu'on va regarder, qu'on va certainement... on a certainement la possibilité de le bonifier. Alors, là-dessus, si ça peut être un peu un mot d'espoir pour vous lorsque vous allez quitter l'Assemblée nationale, c'est que c'est certain que les préoccupations des groupes ont été entendues, et puis on va travailler sur le projet. On a eu des échanges aussi très intéressants. Je pense que, d'entrée de jeu, d'avoir entendu la commission des droits de la personne et de la jeunesse nous a permis aussi d'avoir la base, c'est-à-dire l'aspect plus juridique. Et là, depuis cet après-midi, on a l'aspect plus humain de la question. Parce que, d'abord et avant tout, oui, on a des éléments importants au niveau juridique, au niveau institutionnel, mais il faut penser qu'on fait ça, d'abord et avant tout, pour des hommes et des femmes qui vivent une situation qui n'est vraiment pas facile, et on doit trouver la façon d'y arriver. Alors, je suis désolée que vous soyez déçus, mais je pense... en tout cas, j'ose espérer que vous sortirez d'ici avec une lueur d'espoir.

On a abordé différentes possibilités de bonification, d'amélioration au projet de loi. J'ai bien entendu la préoccupation à l'égard de l'exigence de la corroboration par un professionnel, peu importe qu'il s'agisse d'un médecin, d'un psychologue, d'un sexologue. Je comprends que ça peut comprendre un certain nombre d'obstacles, ça peut constituer en soi un obstacle. Entre l'absence de corroboration et une corroboration additionnelle, je pense qu'il y a quelque chose qui peut être fait. Alors, je voulais voir avec vous ce que vous pensez peut-être d'une suggestion qui a été apportée, c'est-à-dire que la déclaration de la personne qui fait sa demande au Directeur de l'état civil soit appuyée d'une corroboration, d'une déclaration sous serment d'une tierce personne et là qui serait à être déterminée.

Est-ce que cette corroboration par une tierce personne, par un proche un peu comme on voit lorsqu'on fait une demande de passeport, est-ce que c'est quelque chose qui, pour vous, serait acceptable ou est-ce que ça constitue encore un grillage, de la bouette puis une tranchée?

• (18 h 50) •

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Ça dépend de la façon dont on le fait. Et la façon qui a été trouvée dans le projet de règlement est, sous sa forme actuelle, inacceptable. Donc, la formulation du rôle du témoin est très dangereuse, il faudrait que ce soit vraiment un constat de l'identité, un peu comme pour un mariage il y a des témoins : on ne demande pas aux témoins d'approuver le mariage, mais on leur demande de constater le mariage. Ils n'ont pas un droit de dire : Ah! tu serais mieux avec l'autre gars d'à côté. Alors, ça, c'est une première chose qu'il faut vraiment voir avec ce témoin-là.

L'autre chose... parce que, bon, si on enlève le deux ans ou les autres choses qui sont prévues pour la déclaration de la personne trans, bien il faut aussi veiller à l'enlever pour ce qui qui est du rôle du témoin non seulement parce que, bon, c'est problématique, mais, notamment pour le deux ans, l'exigence que le témoin connaisse la personne trans depuis deux ans, même si c'est pour établir qu'il a une bonne connaissance, ça peut être un obstacle étant donné le vécu des personnes trans. Souvent, elles vont être rejetées par leur famille ou devoir changer d'environnement. On parlait des personnes en région. Ça fait qu'elles peuvent avoir à déménager et donc à changer de réseau social. S'il faut que la personne trans connaisse le témoin depuis au moins deux ans, il faut qu'elle pense son réseau social en fonction de ça et qu'elle garde des contacts qu'elle connaît depuis longtemps.

Donc, mettons que la seule personne qu'elle connaît depuis deux ans, c'est une relation toxique ou désagréable, parce qu'on ne peut pas compter sur les parents, on ne peut pas compter sur l'entourage qui est là depuis longtemps étant donné que souvent il y a des rejets... donc, mettons que la seule relation, c'est une personne qu'elle connaît depuis un an et demi et avec qui la relation est très toxique, on demande à cette personne-là de garder ce contact seulement afin de garder un témoin éventuellement pour faire une demande de... de son sexe.

Donc, il faut vraiment que ce soit écrit de manière à ce que ce soit, autant que possible, juste une personne qu'on connaît maintenant, pas une personne qu'on connaît depuis longtemps, donc enlever le deux ans.

Mme Vallée : C'est problématique, parce que vous abordez quelque chose... C'est problématique à ce point d'avoir quelqu'un dans l'entourage qui a une connaissance depuis un certain nombre d'années? Parce que, pour le passeport, par exemple, on demande une connaissance depuis deux ans. Donc, est-ce qu'au sein des personnes trans avec qui vous avez eu des interactions l'isolement est à ce point important? Je vous pose la question, parce qu'honnêtement, là, je ne croyais pas que c'était aussi précaire comme situation.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Oui, M. le ministre.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Oui, ça peut être très... pour certaines. Ça varie, on s'entend, là. Tu sais, le portrait des personnes trans est hypervariable, là, il y en a qui ont des transitions dans la ouate puis d'autres que c'est dans les tranchées, là, pour poursuivre l'analogie, là. Mais c'est quand même une période où est-ce que généralement les personnes trans vont perdre des gens dans leur entourage, souvent même la famille, souvent doivent refaire une vie. Puis c'est rare qu'une personne trans n'a pas à vivre ça, vivre le rejet de personnes proches, de refaire un cercle.

Puis, par la suite, de demander à une personne de se... des nouvelles connaissances, des nouveaux amis ou un nouvel entourage avec qui on se sent vraiment à l'aise, bien ça prend du temps, ça, également. Je veux dire, on ne sort pas des amis du sac comme ça ou des gens à qui on fait confiance, c'est quelque chose qui se travaille. Ça fait que c'est pour ça que, par exemple, que la personne doive certifier que, depuis deux ans, na, na, na, pour nous, ça fait juste pas de sens. Puis, même à ca, même si la personne la connaît depuis deux ans... Tu sais, par exemple, si je connais le député de Montarville, qui a quitté, mais... bon, je suis dans son comté, je vois que finalement cette personne-là se présente comme une femme, est encore députée, et tout ça, mais je la vois au quotidien, je travaille avec elle, mettons, dans son bureau, qu'est-ce qui me dit que, rendue à la maison, la personne ne s'habille pas d'une façon neutre ou d'une autre façon? Tu sais, je serais incapable de certifier ça de qui que ce soit, même les personnes proches. Puis je sais que des collègues l'ont mieux dit que moi aujourd'hui, mais ce qu'on ne souhaite pas aussi, c'est mettre les personnes en position de parjure. Parce que jurer, pour quelqu'un, dire : Bien, ça fait deux ans, puis je peux certifier avec un tampon : Hé! ça fait deux ans que cette personne-là reflète — puis on sait à quel point c'est arbitraire — une identité de genre à laquelle elle s'identifie puis qu'elle se conforme physiquement à ça... bonne chance. Tu sais, vous ne pouvez même pas le faire avec vos propres collègues, tu sais, ça fait que je ne verrais pas pourquoi que les personnes trans pourraient le faire également.

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Oui. Une autre chose : on parle des personnes très isolées, mais ça peut aussi être les personnes extrêmement bien intégrées. Une personne trans qui a fait sa transition depuis un moment, et l'entourage ne sait pas qu'elle est trans, il faut qu'elle fasse un nouveau coming out pour avoir sa personne qu'elle connaît depuis deux ans. Donc, c'est une situation de marginalisation qui découlerait uniquement, uniquement, uniquement de la réglementation. Donc, tout le monde est touché par ça.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce premier bloc d'échange avec la ministre. Mme la députée... ou M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, là, je ne sais plus trop, pour votre période d'échange avec nos témoins.

Mme Poirier : Merci, Mme la Présidente.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Poirier : Je veux poursuivre sur ce que vous venez de dire parce que, là, il y a comme un bout que, bon, je ne vous suis plus, là. Dans la transition — puis, je l'ai dit tout à l'heure, on ne veut pas la calculer en temps — mais il doit y avoir un début, il doit y avoir un durant puis il doit y avoir un après, hein? Dans la transition, ce n'est pas cinq minutes, là, que ça se passe, cette affaire-là, là. Donc, dans cette période de transition là, il y a des gens tout autour de la personne qui vont avoir vécu autour de la personne, là, qui vont avoir aussi peut-être vu ou peut-être pas vu cette transformation-là, qui peut être faite très personnellement, je peux le comprendre, mais elle peut être aussi faite plus au vu et au su des autres.

Alors, le deux ans dont on parle, que ce soit pour demander un passeport, parce qu'une personne trans pourrait aussi demander un passeport, puis ça lui prend quelqu'un qui la connaît depuis deux ans, là, en même temps... le deux ans ne m'apparaît pas une date si terrible que ça, dans le sens où la transition... je ne crois pas, en tout cas expliquez-moi, là... elle ne se fait pas comme ça du jour au lendemain, là, il y a un processus personnel. Et on comprend que la personne ne peut pas le demander avant 18 ans. Donc, si tout le processus s'est fait avant, bien il y a du monde avant qui ont connu la personne, puis là, à ses 18 ans, elle dit : Enfin, je peux déposer ma demande. Ou, si ça se fait après, bien, encore là, il y a des gens qui accompagnent la personne dans sa vie.

J'ai un peu de misère à comprendre comment ça vient brimer et combien ça vient limiter l'accès à la demande. J'ai beaucoup, beaucoup de problèmes avec ça.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Parfait. C'est une très bonne question. Je vous remercie de la poser. Dans le fond, je pourrais même vous retourner la question. À partir de quand vous vous êtes dit que vous étiez une femme ou vous étiez un...

Mme Poirier : Je n'ai jamais eu à me le demander, ils me l'ont mis.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Mais là, aujourd'hui, je viens...

Mme Poirier : Ils m'ont habillée en robe puis ils m'ont dit que j'étais une fille.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Aujourd'hui, vous, je n'ai pas vos nouvelles cartes, là, vous êtes parmi ceux qui ont été exclus, parce qu'on ne savait pas que c'était vous qui étiez là aujourd'hui. Vous vous sauvez de l'exercice, mais quand même on vous aurait donné des nouveaux papiers...

Mme Poirier : J'en ai.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Ah! vous en avez? O.K. Excusez-moi, je vous confondais avec quelqu'un d'autre. La liste était très longue, puis... Excusez-moi.

Donc, vous auriez dû vous poser la question à un moment donné, tu sais, puis c'est à partir de quand. Puis, souvent, les personnes trans, c'est : À partir de quand? Est-ce que la transition commence le jour que tu... quand tu es jeune enfant ou adolescent — ça dépend, ça varie d'une personne à l'autre — que je ne suis pas né dans le bon corps, ou quoi que ce soit? Est-ce que c'est là que ça commence, la transition, et que ça commence le moment où est-ce que tu t'habilles avec les vêtements de tes parents pour essayer de tester des affaires? Est-ce que ça commence là, la transition? Est-ce que ça commence le jour que tu oses le dire à quelqu'un? Est-ce que ça commence le jour que finalement tu t'en vas faire un suivi psychologique pour x parce que finalement tu es sur le bord du suicide? Ça commence quand, hein? Et je n'en ai pas, de réponse. On ne peut pas le déterminer. Puis donc faire un deux ans, c'est très aléatoire puis c'est très malsain, je vais vous le dire, parce que, généralement, quand la personne fait toutes ces étapes-là... ce que je vous ai dit là, ça peut être très court comme très, très long, mais elle a déjà souvent fait tout ce cheminement-là avant de dire : Bien, je vais le faire socialement à la vue de tout le monde. Donc, c'est rendu une étape plus avancée, souvent, je dirais. Tu sais, il n'y a pas de transition type, là, ça, il faut oublier ça, là, chaque individu est différent. Donc, après ça, la personne a commencé à affronter les gens, elle a perdu sa mère, qui ne veut rien savoir, elle a perdu tout ça, puis après ça le gouvernement, l'État québécois va dire : Bien, finalement, il va falloir que tu continues à vivre ça pendant deux ans.

Moi, je vous mets au défi de partir avec vos papiers, là, aujourd'hui, là, puis faire ça pendant deux ans. Aïe! C'est parce que tu vas dire : Oui, mais ça fait des années que je suis une femme... je ne sais pas quel âge vous avez, mais ça fait 52 ans, ou 32 ans, ou 28 que je suis une femme, puis il faut que je le prouve aujourd'hui, là, tu sais, pour deux ans encore. C'est un méchant trou de bouette.

• (19 heures) •

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Aussi, pour l'entourage, reconnaître l'identité rapidement peut les aider. Souvent, le fait que le... n'est pas fait incite des parents ou des proches à dire : Je vais attendre que ce soit terminé, de la même manière que les employeurs le font, ou peuvent même dire : Je vais attendre que ce soit terminé pour t'engager. Ce qui est la discrimination à l'emploi, normalement.

Pour l'employeur, pour les parents, savoir que cette démarche-là est validée peut les aider à accepter le processus. Et on ne devrait pas faire reposer sur la personne trans le poids de toutes les opinions discriminatoires de leur entourage. On en a déjà assez. Ce qu'on veut, c'est que le gouvernement soit notre allié dans cette démarche-là.

Mme Poirier : Je comprends ce que vous dites. Et je reprends quelque chose que j'ai lu dernièrement, une mention, dans une offre d'emploi, de discrimination positive vers les personnes LGBT, en tant que tel, et disant justement favoriser une personne trans pour l'emploi. C'était la première fois que je voyais ça. C'était pour moi une nouveauté, je n'avais jamais vu ça. Comment vous voyez ça? Je veux bien croire que c'est une discrimination positive, mais, d'un autre côté, ça pourrait apparaître comme une discrimination par rapport à tout le monde qui ne se dit pas LGBT. Alors, c'est un peu comme — on a eu des longs discours — des emplois favorisant les femmes, handicapés, autochtones... de couleur, etc., là, on a vu toutes ces choses-là, et ça vient toujours faire en sorte de dire que ça favorise quelqu'un, mais ça en discrimine un autre.

Est-ce que, pour vous, il y a là lieu que l'on ait ce genre d'affichage dans un emploi pour... Parce qu'à partir du moment où je l'écris, comme employeur, là, j'ai une ouverture d'esprit assez grande, là, je fais une admission assez grande, mais qu'est-ce que ça donne de plus à la personne trans d'aller déposer sa candidature là versus un autre emploi?

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Bien, d'une part, pour ce qui est de la discrimination positive à propos des personnes trans, bon, dans cette situation-là, on a au moins la garantie que l'employeur ne va pas discriminer pour d'autres raisons, étant donné qu'on n'a pas la garantie dans beaucoup d'emplois et que ça peut être un frein pour les personnes qui se cherchent un emploi. Ce serait positif, ce serait probablement bien vu, tout comme toute autre preuve ou tout indice qui montrent que l'employeur est ouvert seraient positifs.

Mais aussi, il y a une autre chose qu'il faut voir, évidemment, ça dépend du contexte, parce que généralement, quand je vois des organismes qui disent vouloir attirer des personnes trans, c'est plutôt... je le vois beaucoup dans les milieux plus communautaires ou militants. Et ce qu'il faut comprendre, c'est qu'en ce moment il y a très peu de personnes trans qui ont accès à l'emploi en général, et, dans des milieux militants ou communautaires, généralement les personnes trans font beaucoup de travail bénévole pour d'autres gens. Comme par exemple, moi, au Groupe d'action trans, je travaille très fort pour aider des gens qui font des recherches à l'Université de Montréal, bien soit des étudiants, des professeurs, peu importe. C'est toujours du travail bénévole. Engager des personnes trans, ça veut dire intégrer cette compétence, et cette connaissance, et cette expérience à ce qu'on aurait dans notre organisme ou dans notre entreprise. En ce moment, comme j'ai dit, la tendance, c'est de demander aux personnes trans de travailler gratuitement.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Puis, si je peux me permettre de compléter votre question...

Mme Poirier : Oui.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : C'est une très bonne question, c'est un sujet de discussion, mais personnellement je trouve que, par rapport au projet de règlement, ça n'a pas d'impact, parce que, je veux dire, la discrimination positive comme on l'a faite pour bien d'autres minorités, ça peut avoir sa place, ça peut avoir son effet, mais ça n'a aucun rapport, je crois, avec finalement un changement de mention de sexe.

Nous, ce qu'on parle aujourd'hui, puis que le gouvernement cherche à faire, je crois... que vous cherchez à faire, c'est de faciliter justement les transitions pour que les personnes puissent vivre une vie normale sans craindre d'attirer les gardiens de sécurité quand ils veulent ouvrir un compte à la caisse populaire, comme c'est arrivé; sans se faire saisir son permis de conduire par un policier un peu zélé parce qu'il trouvait que sa face ne lui revient pas puis qu'il a emmené sa voiture à la fourrière. Vous comprenez? C'est ça, le but de l'exercice, aujourd'hui, c'est de faire en sorte que les personnes puissent avoir des papiers conformes, de faire en sorte que vous retrouviez, sur votre carte d'assurance maladie, votre F et votre M pour avoir la paix, parce que, si vous sortez — encore, je le répète aujourd'hui, je pense que vous comprenez le but de l'exercice — vous allez avoir de la misère. Bien, c'est ça. Après ça, s'il y a des employeurs qui font de la discrimination positive pour intégrer les personnes trans puis si les personnes trans... Vu qu'on est pour l'auto-identification, si la personne est prête à dire : Moi, je suis une personne trans... Nous, on ne décide pas qui qui s'identifie comment ou quoi, je veux dire, c'est chaque personne qui va dire : L'autodétermination... Moi, je suis une personne hétérosexuelle; l'autre personne : Bien, moi, je suis lesbienne; l'autre : Bien, moi, je suis lesbienne et trans; bien, moi, non, au contraire, je suis lesbienne puis cissexuelle ou cisgenre. Vous comprenez? Vous avez tous vos propres identités, puis je n'ai pas à dire ce qu'elle est.

Par contre, légalement, on peut aider les gens à être en conformité légalement avec leurs papiers. Puis c'est ça, le but, aujourd'hui, c'est de faciliter, enlever les barbelés, enlever les trous de bouette, faire en sorte que ça ne soit pas trop compliqué, puis permettre en sorte que, finalement, l'État ait une certaine sécurité que le monde ne le font pas pour des mauvaises raisons. C'est tout, là.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Mme la députée de Mirabel.

Mme D'Amours : Oui. Merci. Bonsoir. Merci beaucoup de votre présence ici. Je vais essayer de vous expliquer... En fait, là, vous l'avez dit : Il n'y a pas une personne qui est pareille, qui n'a pas subi aussi la même chose. Vous êtes tous différents ou différentes par rapport à votre histoire. Puis moi, j'essaie toujours de comprendre pourquoi vous dites que les gens... tu sais, deux ans, c'est contraignant. Je pense que, si même le règlement était là, si, vous, ça fait deux ans que vous êtes dans cette situation de changement là, que vous l'avez assumé, vous l'auriez d'emblée, votre M ou votre F.

Par contre, au niveau des... puis là je sais que vous travaillez pour ceux qui vont venir puis qu'eux autres n'ont peut-être pas fait leurs deux ans, donc il y a quelque chose à réfléchir là-dessus. Mais moi, je voudrais vous expliquer un cas que moi, je connais personnellement. C'est une petite fille qui avait toujours, dès son jeune âge, jamais voulu porter de robe, était, dans sa tête, un petit garçon, dans sa tête, et que... très malheureuse, même si les parents acceptaient, très malheureuse, même si l'école avait accepté, très malheureuse dans son état d'être. Et elle a été suivie par des médecins. Au tout début, c'est le médecin de famille, on commence par ça. Ensuite, ça a été les psychologues, les psychiatres... bon, nommez-les tous. Et la petite fille, le... en fait, je vais dire «la petite fille», la petite fille a grandi dans un état de garçon malheureux pour un jour finir par arriver à l'adolescence et comprendre qu'elle n'était pas un garçon. C'est que, dès son jeune âge — là, je vous explique son cas — dès son jeune âge, elle avait une attirance chez les filles. Donc, elle venait de réaliser qu'elle était lesbienne. Mais, au moment où elle disait qu'elle était un petit garçon, c'était une enfant. Et, je ne sais pas, j'essaie de regarder le... de la façon dont vous voulez ne pas avoir de barbelés et de boue, cette enfant-là, si on l'avait changée de sexe puis qu'à l'adolescence elle réalise d'elle-même qu'elle était lesbienne, alors qu'est-ce... tu sais? Et c'est là où je pense que le temps fait en sorte qu'on peut vraiment approfondir si vraiment c'est son choix, est-ce que c'est réfléchi. Un adulte, je peux comprendre, on assume, on a une capacité. L'enfant? Est-ce que la personne, le parent qui aurait dit : Oui, ma fille est un garçon depuis quatre ans, alors, oui, je dis qu'on peut changer de sexe... puis, finalement, bien, avec l'exemple que je vous donne, c'est les médecins qui sont arrivés à faire dire à la petite fille que ce n'était pas un petit garçon dans sa tête, que c'était une lesbienne.

Alors, pourquoi le médical ne pourrait pas être là, même si... je comprends, adulte, mais enfant? Essayez de comprendre, là, qu'un règlement, c'est pour une personne. On ne spécifie pas que c'est un enfant, on ne spécifie pas que c'est un adulte. Alors, chaque cas est différent. Moi, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Bien, je vous remercie, M. le député de Mirabel.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : On rit un peu quand on dit ça, mais je vous dis que ce n'est pas drôle pour les personnes qui le reçoivent, en général, là. Mais, pour répondre à votre question... c'est drôle, parce qu'aujourd'hui on est revenus plusieurs fois avec les enfants, puis c'est clair que c'est une très bonne préoccupation, puisque dans nos trois recommandations pour le projet de loi c'était inclus. Malheureusement, bien, la loi n'a pas été adoptée avec les enfants. Puis on était bien conscients, je pense, tout le monde, que pour les mineurs puis pour les enfants il allait y avoir des conditions aussi particulières qui ne seraient pas les mêmes que pour les personnes adultes.

Donc, tout ce que vous me dites là, pour moi, pour le projet de loi actuel, ça n'a pas lieu d'être, puisqu'on parle de personnes de 18 ans et plus. Par contre, si jamais on fait un autre projet de loi... J'imagine qu'à un moment donné on va le faire. Puisqu'en plus demain il y a la représentante d'Enfants transgenres Canada, par exemple, qui va être là, bien ils vont pouvoir vous dire en détail, justement, à quel point c'est problématique puis à quel point les enfants subissent une très grande discrimination dans les écoles.

• (19 h 10) •

Mais, ceci étant dit, pour revenir, c'est que ce qu'il est important de prendre conscience — puis je pense que c'est le noeud de tout ça — c'est : quand une personne vient faire un changement légal... Puis là on ne parle pas d'un changement médical, on parle juste d'un changement légal, O.K.? Je sais que ce n'est pas ça que l'État veut, mais un F ou un M, comme «marié», «divorcé», ou un changement de statut à l'état civil, ça n'a pas les mêmes impacts qu'une chirurgie, par exemple. On s'entend? C'est réversible, même si ce n'est pas ça, le but de l'exercice, je veux dire, dans le sens que ce n'est pas quelque chose qui peut être mortel ou qui peut mettre en danger la vie de la personne. On a compris. Ce qui met en danger la vie, justement, c'est la non-conformité des papiers. J'imagine, vous avez saisi ce bout-là, mais changer un F, un M, ce n'est pas ça qui... Donc, ce qu'il faut comprendre, c'est que, quand la personne fait cette démarche-là, elle est vraiment décidée, généralement, à passer sa vie comme ça. Je veux dire, elle ne fait pas ça sur un coup de tête, là, ce n'est pas, genre : Moi, j'ai pris une brosse en fin de semaine, j'ai réalisé que j'étais une femme, puis je veux aller faire les changements légaux, là. Non, c'est une réflexion qui est très importante, très intéressante.

Donc, dites-vous que les gens qui vont se pointer là, à l'État civil, comme ça l'est depuis le début d'ailleurs, c'est des gens qui sont très sérieux dans leurs démarches. Puis les gens, justement, qui doutent, qui ne sont pas sûrs, comme l'exemple que vous venez de donner, oui, ça arrive, ça peut arriver même à l'âge adulte. Généralement, avant d'arriver à la question légale ou à la question chirurgicale, ils vont y penser à deux fois, justement, s'ils ne sont pas sûrs, tu sais, s'ils ne sont pas certains. Puis je comprends votre préoccupation puis j'espère pouvoir répondre à votre question en disant que ceux qui vont arriver au fil d'arrivée, c'est parce que, justement, ils ont déjà fait ce cheminement-là dans le passé pour pouvoir prendre une décision éclairée.

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Juste pour dire que ce dont vous parliez, c'était... vous parliez en termes de temps, mais ici c'est vraiment une question d'âge. Donc, bien distinguer la démarche d'âge et la démarche de temps. Et je vous invite à écouter les gens d'Enfants transgenres Canada demain.

Mme D'Amours : Est-ce que j'ai encore du temps?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Oui, encore quelques minutes, deux petites minutes.

Mme D'Amours : Je reviens, là, pour les adultes. Dans chacune des autres provinces canadiennes, là, il y a... ce que la ministre apportait tout à l'heure, il y a des modifications à l'état civil d'une personne trans avec une lettre d'un professionnel attestant. C'est dans plusieurs provinces. Comme par exemple, la Colombie-Britannique, ça fonctionne depuis 1996. Ça semble fonctionner, ça semble bien aller. Il n'y a pas de crise existentielle, là, qu'on est capable de voir sur les médias. Ça semble fonctionner. Pourquoi ça serait différent ici?

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Ce n'est pas différent, c'est juste qu'on veut essayer de faire ça encore mieux. C'est probablement la même chose.

Moi, je peux vous dire que, le 23 octobre dernier, j'ai organisé un sit-in au CLSC Côte-des-Neiges à cause des refus qui avaient eu lieu là, des refus de services. On parle de refus de services. Ça va du médecin qui pourrait ne pas accepter la démarche de la personne trans aux personnes à l'accueil qui vont appeler les gens selon ce qu'ils voient sur la carte. Dans le cas du CLSC Côte-des-Neiges, c'étaient surtout des gens à l'accueil qui refusaient de servir des personnes trans de manière respectueuse. On a des situations à l'infini. Des gens qui se font refuser les services en situation d'anxiété ou même des soins de santé, entre guillemets, normaux, pour faute d'un meilleur mot, mais... disons, on a une carte de refus de services, vous pouvez les voir en santé et ailleurs. J'ai un lien dans mon mémoire, d'ailleurs. Quelqu'un qui se faire refuser les services chez un ORL ou pour se faire traiter une pneumonie aux urgences, n'importe quoi. Donc, dans les situations où est-ce que l'identité de la personne n'est même pas... ou le statut trans de la personne n'est même pas problématisé, on a des refus de services.

Et là on va devoir aller chercher des soins auprès de personnes qui n'ont jamais reçu de formation là-dessus spécifique, qui souvent font des choses problématiques avec leurs personnes trans, même dans des suivis réguliers. Et on pourrait raconter des histoires d'horreur, comme des attouchements, des gens qui se font... le médecin regarde les organes génitaux pour voir ce qui se passe en bas. N'importe quoi. Et là on va demander aux personnes trans d'aller devant ces personnes-là pour faire authentifier leur identité? Non seulement on va avoir énormément de refus de service parce que les médecins ne sont pas formés à ça, les sexologues ne sont pas formés à ça, les psychologues ne sont pas formés à ça, les psychiatres ne sont pas formés à ça... Je le sais parce qu'à l'Université de Montréal on a des étudiants en médecine, et ce qu'on me rapporte, c'est que, si les étudiants en médecine veulent s'intéresser aux enjeux trans dans les cours de la formation de base, c'est trop spécialisé, mais, s'ils veulent se spécialiser, ce n'est pas assez spécialisé. Donc, la formation n'existe pas. Et là on va demander aux personnes trans d'utiliser ces personnes-là comme ressources? Il y a des personnes extraordinaires et magnifiques, mais c'est des formations spécialisées qui sont prises à l'extérieur du curriculum.

On ne peut pas s'attendre à ce qu'en ce moment, les personnes trans, les médecins, les sexologues, toute la liste qu'il y a dans le projet de règlement soient formés pour ça.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Rapidement en conclusion, parce qu'on a déjà dépassé le bloc de temps de cette...

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Pas de problème, je vais faire ça vite. Juste pour vous dire, vous rappeler que c'est malheureux, mais les avancées en termes de droit, c'est toujours les minorités qui demandent à la majorité d'avoir des droits, hein? Quand il était temps d'abolir l'esclavage, il n'y avait aucun esclave à l'assemblée des députés. Quand les femmes ont voulu avoir le droit de vote, il n'y avait aucune femme qui était représentée. Même chose pour les LGBT, ils ont dû... que ça soit les hétéros qui finalement disent : Na, na, na. Mais c'est la même chose avec les personnes trans. Puis, veux veux pas, quand il arrive un tel règlement, c'est un peu la négociation du moment. Probablement qu'en Colombie-Britannique c'était la négociation du moment à ce moment-là avec où est-ce que les gens étaient rendus. Est-ce que c'est le modèle à suivre pour ces raisons-là? Moi, je crois que le Québec, on est rendus bien, bien plus loin. On s'est pété les bretelles, là, qu'on était les plus hot au monde, là, en matière de lutte contre l'homophobie, puis j'aimerais ça que ça soit la même chose en matière de lutte contre la transphobie, parce que les deux vont de pair et sont inséparables.

Donc, actuellement sur la planète, là, ce qui se fait de mieux, c'est l'Argentine. Ça fait qu'au lieu de se comparer à la Colombie-Britannique comparons-nous à l'Argentine. Puis peut-être qu'on pourrait même encore faire mieux. Peut-être. Je ne le sais pas. Mais nous, on trouve que c'est ça qui se fait de mieux puis ça aurait bien, bien de l'allure. Ça fait que soyons des leaders, des innovateurs et non pas : Ah! bien, on va se calquer sur quelque chose d'autre. Vous comprenez? Parce que, de toute façon, ils sont calqués sur quelqu'un d'autre puis quelqu'un d'autre. Ça fait qu'à un moment donné, tu sais...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète. Je me retourne du côté du gouvernement. M. le député d'Ungava, je pense que vous souhaitez poser quelques questions.

M. Boucher : Oui. En fait, bon, je vais mettre la table un petit peu avant d'arriver à mes questions. Vous savez, aujourd'hui, personnellement — je ne parlerai pas pour les autres, je vais parler pour moi — je ne suis pas ici pour vous donner de la misère puis rajouter des crocodiles dans le trou de bouette, tu sais, je suis là pour essayer d'aplanir un peu le...

Une voix : ...

M. Boucher : Non, c'est parce que je n'en ai pas en stock. C'est pour ça. Non, sérieusement, c'est pour essayer d'aplanir puis de rendre les choses plus faciles pour vous, plus acceptables. Puis je regarde, bon, Esteban, je vous regarde, vous, tu sais, on a besoin de citoyens québécois en forme, souriants, de bonne humeur qui participent à la société et non pas d'une gang qu'on pousse dans le coin parce qu'ils ne correspondent pas à la norme que l'autre gang se fait.

Donc, c'est dans cet esprit-là que je suis ici aujourd'hui. Mais en même temps... tu sais, on parlait plus tôt... bon, le mariage. Tu sais, je peux me marier 20 fois dans ma vie si je veux, il n'y a pas de problème, il n'y a pas de règlement là-dessus. Mais il y a quand même un certain formalisme. Je ne peux pas arriver, puis je vais au comptoir, puis je repars, je suis marié. Moi, ça me semblait, à venir jusqu'à pas longtemps, qu'un compromis acceptable... la personne va... présente sa demande, appuyée d'un répondant qui dit : À ma connaissance, ce que Mme Beauchesne dit, c'est vrai, parce que je la connais depuis six mois, un an, deux ans. Puis peut-être qu'elle m'a menti tout ce temps-là, mais moi, je n'ai pas à vérifier ça, là. À ma connaissance, c'est vrai. On dépose ces papiers-là. Mais là vous me dites : Oui, mais, tu sais, trouver le répondant, ce n'est peut-être pas facile puis des fois, même, peut-être pas possible pour tout le monde. Ça, je dois vous avouer que, celle-là, je ne l'avais pas vue venir et je ne l'avais même pas imaginée, là. Comment on pourrait trouver le compromis entre... Tu sais, il ne faut pas que ça soit comme un simple changement d'adresse, dire : Regarde, je ne reste pas sur la rue Jean à Montréal, je vais mettre ma bonne adresse, versus une formalité avec trois palissades puis deux lacs de crocodiles.

Comment on peut trouver quelque chose, là, d'acceptable pour tout le monde, là?

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Bien, c'est une très bonne question, encore une fois. Je vous remercie de la poser. Ce qui est un peu malheureux dans l'exercice qu'on est là, c'est que vous posez des bonnes questions pour écrire un règlement qui a de l'allure, mais, en même temps, on fait juste, nous, ici témoigner. On n'est pas assis après ça autour de la table, bon, puis on dit : Bon, tel mot, telle affaire, tout ça, tu sais.

M. Boucher : Mais on va se souvenir de vous.

• (19 h 20) •

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Oui, je le sais, mais vous comprenez, nous, on a toujours souhaité qu'on soit partie prenante, mais on sait que ce n'est pas dans la façon de faire de l'Assemblée. Mais c'est juste pour rappeler que le but, c'est de faciliter la vie à tout le monde. Puis vous avez parlé du mariage. Bien, à une certaine époque, c'était interdit de divorcer. On se souvient. Puis aujourd'hui, bien... Puis probablement qu'à l'époque, quand on disait, bien : Hein? Vous pouvez vous marier deux fois? Qu'est-ce que c'est ça? La stabilité de l'état civil du Québec... Tu sais, peut-être, je ne sais pas... c'est probablement des choses qui sont venues, puis aujourd'hui, comme vous venez de le dire, on peut se marier 10 fois, puis le Québec n'est pas en révolution, puis l'état civil est très stable, puis tout ça, parce que justement il y a des normes bien simples qui sont faites. Puis je vais laisser ma collègue poursuivre, mais, vous comprenez, il y a moyen de faire ça bien simple puis que tout le monde soit heureux, là.

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : Et je pense que l'outil est déjà prévu et n'est même pas inclus dans le projet de règlement, parce qu'il est déjà dans le règlement... dont le nom m'échappe parce que c'est un nom à rallonge, le Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil. Ce règlement-là inclut déjà à l'article... je pense que c'est à l'article 1, qu'il faut faire une déclaration sous serment. Et c'est déjà ce qui en place. On a déjà une déclaration sous serment. S'il y a un problème avec la demande, si c'est une demande abusive, si c'est une demande frauduleuse, on risque 14 ans de prison. On a déjà les outils. Si on ajoute des obstacles, c'est un peu comme si le ministère de la Justice et l'État québécois nous disent : On n'a pas confiance en notre système de justice et on n'a tellement pas confiance en notre système de justice pour l'application de nos lois qu'on va faire reposer le poids de l'application de nos principes de gouvernance sur les personnes trans.

Moi, j'ai confiance en le fait que, s'il y a un problème et s'il y a des parjures, on est capables de gérer ça, on a des mesures pour ça, on a un système de justice. Je vous invite, MM., Mmes les députés, à faire confiance au système qui est déjà là plutôt que mettre des obstacles.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Parce que, si je peux me permettre de compléter... Excusez-moi, j'ai un blanc de mémoire.

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : On parle beaucoup de l'Argentine. Je vous invite aussi à considérer ce qui est fait à Malte. Il y a un une loi qui a été adoptée le 1er avril — et ce n'était pas un poisson d'avril — sur l'identité de genre et qui est aussi un très bon modèle. Je vous invite aussi à vous pencher sur le cas de Malte, parce que ce projet... bien, cette loi interdit aussi les chirurgies, les mutilations génitales sur les personnes intersexes et les traitements hormonaux non consentis. Donc, je vous invite à consulter cette loi, et à vous en inspirer, et à peut-être envoyer ça au ministère de la Santé aussi.

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Finalement, ma petite idée, ce que je voulais dire, c'est qu'un des points aussi de la démonstration d'aujourd'hui, c'est que les personnes ne voudront pas vivre ça durant deux ans, ça fait qu'elles vont essayer de camoufler ça au maximum, là. Je veux dire, quand on parlait d'incitation à la fraude, bien c'est ça. Pensez-vous que les personnes trans... comme vous qui avez un F, là, sur votre carte d'assurance maladie, pensez-vous que, quand il va être temps de remplir un formulaire, vous allez mettre F ou vous allez mettre M? Vous allez dire : Bien, je pense que je ne suis pas mal M. Ça fait je ne sais pas combien d'années que vous êtes M. Même si mon papier dit le contraire, regarde, c'est ça que je vais mettre, là, vous comprenez? Puis ça va être de même pour l'inscription... je ne sais pas moi, au club de gym, partout, là. Vous allez vouloir camoufler ça, parce que sinon, si vous dévoilez quelque chose qui ne fitte pas, ça devient très, très frustrant.

Puis, soit dit en passant, si on parle de fraude de ce genre-là, l'État civil, en ce moment, encourage ce genre de fraude là pas juste pour les personnes trans, mais pour n'importe qui qui veut changer de nom, parce que, depuis 2007, les personnes trans ont quand même un «shortcut» pour le changement de prénom, là, mais pour vous qui voulez changer de nom, là, monsieur, madame, il faut qu'il prouve, pendant cinq ans, que la personne utilise ce prénom-là. Ça veut dire que, pendant cinq ans, elle n'utilise pas le prénom légal sur lequel il est enregistré... compte d'Hydro, cartes de crédit, patati... la liste est longue. À l'époque, là, les trans passaient par là également. On leur a raccourci ça, mais c'est juste pour vous dire que l'État encourage le faux en ce moment.

Puis, avec un projet de loi comme ça, un délai de deux ans encouragerait encore le faux, la non-vérité. Et les personnes trans veulent être vraies, veulent être ce qu'elles sont. Et c'est pour ça qu'un délai de deux ans est disproportionné. Elles veulent l'être. Une fois qu'ils ont pris cette décision-là, d'aller du côté légal, bien, c'est beau, là. Je vais vivre ma vie légale avec finalement un M sur ma carte d'assurance maladie, comme... bien, comme votre carte d'assurance maladie. Voilà. Merci.

M. Boucher : Je vais quand même garder celle-là...

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : En souvenir.

M. Boucher : ...et je vous félicite.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète le bloc d'invention. M. le vice-président de la commission, la parole est à vous.

M. Lisée : Merci. Encore une fois, merci d'être là. Juste une question pour bien comprendre votre position.

La question du délai a été longuement discutée aujourd'hui, depuis ce matin, et je pense que, comme l'a dit la ministre, on est en mode écoute et on entend bien ce qui se dit. Alors, à supposer qu'on adoptait la recommandation qui nous est faite de ne pas retenir l'idée du délai, et donc autodétermination, déclaration sous serment, est-ce que d'ajouter la présence d'une seconde personne, un témoin qui déclare connaître le demandeur ou la demanderesse depuis deux ans... Simplement connaître le demandeur, est-ce que c'est une exigence qui vous semblerait correcte?

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Oui, parce que, nous, ce qu'on est en désaccord, c'est la manière qui était proposée dans le projet de règlement. Avoir un témoin, lorsque la personne est sous serment, ça va, mais il ne faut pas que ça engage le témoin à certifier, un tampon, etc., parce que personne ne peut certifier l'identité sexuelle de personne. Vous comprenez? C'est la même chose pour les professionnels. Mais juste un témoin pour dire que la personne est sérieuse dans ses démarches puis qu'elle témoigne de ça, dans le sens qu'elle n'est pas là pour... bien, oui, là.

M. Lisée : Vous qui êtes à l'Université de Montréal, en ce moment, comment est-ce que l'université réagit aux demandes de personnes trans?

Mme Trottier-Gascon (Caroline) : C'est une grosse question. On a un certain soutien sur certains aspects. On a obtenu, par exemple, récemment que toutes les toilettes individuelles, donc à une seule cabine, soient non genrées, donc qu'on dise juste «toilettes» plutôt que «toilettes des hommes» et «toilettes des femmes». Vous pouvez le faire dans votre cafétéria, d'ailleurs. C'est ça. Donc, ça, ça a avancé. On a plus de difficultés avec le nom, parce qu'on vient, à l'Université de Montréal, d'avoir un nouveau système informatique, et c'est le chaos pour des choses simples comme avoir les bons frais de scolarité. Donc, ils ne mettent pas ça comme un projet prioritaire, mais il y a une ouverture de la part de l'administration.

Par contre, juste pour revenir sur la question précédente, le témoin en tant que tel, ce n'est pas nécessairement un problème, par contre connaître depuis deux ans, c'est un problème étant donné que, plus spécifiquement pour les personnes trans, c'est quelque chose qui peut créer un obstacle, connaître quelqu'un depuis deux ans, spécifiquement à cause de leur situation, à cause des expériences de rejet. C'est ça. Donc, normalement, quand on dit «deux ans»... Justement pour le passeport, on permet les membres de la famille, parce qu'on s'attend à ce que, généralement, la majorité des personnes, des citoyens et citoyennes canadiennes, aient des parents ou aient des gens qu'ils ou elles connaissent. On ne peut pas faire cette présomption-là pour les personnes trans. J'aurais de la difficulté dans mon réseau à avoir beaucoup de personnes que je connais depuis deux ans.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc. Il reste un tout dernier bloc avec Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques. À vous la parole.

Mme Massé : Merci. C'est vrai que c'est un jeu, mais c'était vrai que c'est un jeu qui n'est pas facile. Moi, quand j'ai reçu ces papiers-là, vous m'avez ramenée dans, sans le vouloir, une expérience de ma vie que je combats encore aujourd'hui quand je vais aux toilettes de l'Assemblée nationale. Bon, j'ai un privilège, je suis un personnage public, maintenant les gens savent que je suis Mme Massé, mais il y en a encore qui ne sont pas sûrs. Allez voir sur Internet, vous allez vous en rendre compte. Puis je dis ça parce que vraiment tantôt j'ai été bouleversée de recevoir ça, là. Je veux dire, moi, je n'ai jamais été dans une perspective de... je pense que je suis née dans le sexe que je me reconnais, là, mais je me disais : Wow! C'est ça que ça veut dire. C'est touchant, c'est touchant et ce n'est malheureusement pas très drôle.

Vous avez parlé de la fraude. J'ai entendu aussi beaucoup de préoccupations à l'extérieur autour de — puis on sait qu'il y a des gens qui vont venir en représentation demain — toute la question de la police, la prison, les vestiaires, tu sais, dans le fond, des lieux qui, pour, à une certaine époque, protéger ou... En tout cas, vous comprenez. Je vois que vous faites oui, là. Allez-y. J'ai rien que trois minutes, ça fait que go.

• (19 h 30) •

Mme Beauchesne (Julie-Maude) : Ce n'est pas long. Bien, merci de votre témoignage, c'est très apprécié. Oui, parce que souvent, en coulisse, on parle : Oui, on aimerait ça voir des policiers venir témoigner, voir des gens comme ça venir dire qu'est-ce que ça va comporter.

Je vous comprends, d'une certaine façon, mais, en même temps, les policiers, pour prendre leur exemple, c'est des «applicants» de la loi, puis, peu importent les lois qui sont adoptées, que ça soit sur d'autres sujets, bien ils vont s'adapter en conséquence des lois qui sont adoptées. Puis je pense que cette loi-ci ne fait pas exception à la règle. Puis je sais qu'on a déjà parlé, dans le passé, des questions des prisons, tout ça, mais moi, je vais vous dire une chose bien simple : C'est aux prisons à s'organiser. Je veux dire, on n'est pas pour brimer la liberté des honnêtes citoyens parce qu'il y en a trois, quatre dans le lot qui vont se retrouver en prison. Vous comprenez? C'est aux prisons à s'adapter au nouveau règlement, et non pas le projet de règlement à s'adapter aux prisons. Moi, là-dessus, moi, je pense que ça devrait être comme ça qu'on doit voir la chose. Puis, après ça, les policiers, généralement... il y a eu, pendant des années, des formations pour les questions LGBT, tout ça. Ceux qui viennent travailler, par exemple, dans le village sont formés en conséquence, puis tout ça. Quand ils sont sensibilisés, ils font un bon travail... bien, ils vont faire un bon travail, je veux dire, s'ils sont bien sensibilisés.

Si c'est encore le cas comme une partie du corps policier aujourd'hui qui n'est pas sensibilisée, ça fait en sorte que tu te fais saisir ton permis de conduire, parce que le gars, il fait un abus de pouvoir, puis tout ça. Puis il sait que tu n'iras pas te plaindre au bureau de poste... pas au bureau de poste, je veux dire, au bureau de police, parce qu'il sait que tu n'étais pas en position de le faire, c'est trop gênant, c'est trop...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie pour votre présentation, vos observations, qui vont être d'une grande utilité pour notre réflexion et la suite des travaux, j'en suis convaincu. Donc, merci.

On a bien travaillé aujourd'hui. Ça complète nos travaux pour la journée. La commission ajourne ses travaux, et nous poursuivrons notre mandat demain. Bonne fin de soirée à tous.

(Fin de la séance à 19 h 32)

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