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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Wednesday, October 26, 2016 - Vol. 44 N° 146

Special consultations and public hearings on Bill 62, An Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for religious accommodation requests in certain bodies


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Table des matières

Auditions (suite)

Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée

Alliance des cadres de l'État

Organisme de communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel (COR)

Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP)

M. François Côté

Congrès maghrébin au Québec (CMQ)

Autres intervenants

M. Guy Ouellette, président

M. Richard Merlini, président suppléant

Mme Stéphanie Vallée

Mme Agnès Maltais

Mme Nathalie Roy

*          M. Guy Drudi, Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée

*          M. Hameza Othman, idem

*          Mme Anne Gosselin, Alliance des cadres de l'État

*          Mme Samira Laouni, COR

*          Mme Marie-Andrée Provencher, idem

*          M. Jean-Marc St-Jacques, FEEP

*          M. Philippe Malette, idem

*          M. Patrice Daoust, idem

*          M. Lamine Foura, CMQ

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures quarante minutes)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement.

Auditions (suite)

Le Président (M. Ouellette) : Nous entendrons, cet avant-midi, les organismes suivants : le Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée, représenté par M. Guy Drudi, le président du conseil d'administration, qui va nous présenter les gens qui l'accompagnent... Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, et après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. M. Drudi, à vous la parole.

Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée

M. Drudi (Guy) : Merci beaucoup, M Ouellette, M. le Président. Donc, le titre du mémoire s'intitule Assurer une participation à la société en tant que citoyen à part entière par la reconnaissance de la contribution sociale des immigrants et de leurs familles au Québec.

La Maisonnée a présenté des mémoires aux cinq commissions d'envergure concernant la lutte contre la discrimination et les moyens pour favoriser la participation sociale des personnes issues de l'immigration à la société québécoise. Lors des consultations précédentes, La Maisonnée a formulé de nombreuses recommandations sur le défi que représentait l'harmonisation de la réalité de nos institutions civiques, neutres et laïques avec les dimensions religieuses qui caractérisent surtout les groupes de personnes issues de l'immigration. Nous constatons que les croyances religieuses sont des variables fondamentales culturelles pour la construction de la personne qui sont enracinées profondément dans des traditions qui dépassent le vécu individuel. Elles méritent qu'on les considère avec respect à l'intérieur d'un dialogue interculturel qui favorise la cohésion sociale.

La Maisonnée considère que le Québec moderne s'est construit sur un héritage de valeurs qui sont le résultat de plus de 1 000 ans d'histoire de culture amérindienne et plus de 400 ans d'histoire et de culture majoritairement canadienne-française transformée tout au long de son parcours par l'immigration. Ces valeurs reflètent la notion d'hospitalité des cultures amérindiennes originelles, qui ont laissé une tradition d'accueil dans notre société.

La Maisonnée s'est donné pour mission de faire de tout résident, ancien, nouveau ou de naissance, un citoyen à part entière. Ses services visent à aider les nouveaux résidents et leurs familles à s'installer, à s'adapter, à s'intégrer au Québec afin de favoriser l'exercice de la citoyenneté et de la participation civique et le développement des réseaux sociaux. Vivre ensemble, définition de la convivialité, nécessite une volonté de partage fondée sur la répartition équitable des richesses de la société non seulement entre les individus, mais entre les collectivités. La convivialité se vit dans un lieu, celui du Québec. Ce n'est pas un territoire anonyme sans histoire, sans vision sur les destinées individuelles et collectives. Réussir la convivialité nécessite une volonté politique d'impliquer non seulement l'État, mais tous les acteurs sociaux pour garantir non seulement l'égalité des chances, mais surtout l'égalité des résultats dans l'intégration sociale, la mobilité sociale et la participation civique de tous les résidents de la société, anciens, nouveaux ou de naissance.

La Maisonnée constate que le projet de loi n° 62 repose sur une démarche fragmentée ciblant des mesures spécifiques pour assurer le respect de la neutralité religieuse affirmée de l'État et encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes. Il ne fait pas mention de la politique en matière d'immigration, de participation et d'inclusion, adoptée en 2015, qui suggère une vision de la société québécoise en termes derapprochement et de participation sociale des immigrants. En ce sens, il ne s'agit pas d'un projetde loi générique dont l'objet serait d'alimenter la réflexion sur l'avenir de la société québécoise.Il s'apparente au défunt projet de loi n° 94 établissant les balises encadrant les demandesd'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements,présenté en 2010.

Il sera important que le gouvernement du Québec propose des mesures accrues de soutien à l'accueil, à l'établissement et à l'employabilité des nouveaux immigrants pour assurer l'implantation de la Politique québécoise en matière d'immigration, de participation et d'inclusion. Ainsi, l'aide à la francisation des immigrants, le soutien diversifié à l'employabilité des personnes immigrantes par de véritables campagnes de publicité pour informer les entreprises sur l'apport des immigrants au Québec, le développement et le financement d'une partie des activités de jumelage professionnel et de mentorat dans les entreprises, la mise en place de passerelles permettant aux personnes détenant une profession de pratiquer leur profession au Québec et le financement de recherches pour saisir l'impact de la contribution générale des populations immigrantes à la société québécoise sont autant de mesures concrètes pour faciliter le rapprochement interculturel entre les immigrants et les membres de la société d'accueil.

En conclusion, les accommodements religieux, tels que stipulés dans le projet de loi n° 62, ne constituent pas une voie saine pour favoriser l'intégration sociale des immigrants et de leurs familles au Québec. Ainsi, à l'instar de la commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, La Maisonnée éprouve un malaise face à un projet de loi qui vise encore de façon indirecte et dans une unique disposition établissant des balises en matière d'accommodement un groupe particulier de personnes qui, pour des motifs religieux, ont le visage couvert, à savoir les femmes musulmanes portant le niqab. Ainsi, elle est préoccupée par les effets sociopolitiques néfastes qu'il pourrait avoir sur les femmes ainsi ciblées, et là-dessus nous nous référons à la lecture que la Commission des droits de la personne avait faite, à la suite du projet de loi n° 94, justement sur la même disposition. Et, ce qu'on peut dire — c'est dans le document, vous l'avez eu — ça génère et ça augmente et ça alimente ce que La Maisonnée appelle le choc discriminatoire. De plus, le principe de neutralité de l'État devrait être inscrit nommément dans la charte des droits et des libertés du Québec, tel que le recommandent certains juristes.

Je termine ici ma présentation au niveau du mémoire et j'aimerais vous présenter les deux personnes qui m'accompagnent : il s'agit de Mme Micheline Nalette, qui se trouve à être responsable des communications au niveau de La Maisonnée, et M. Hameza Othman, qui se trouve à être responsable d'accueil, établissement et intégration. Merci beaucoup.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

• (11 h 50) •

Mme Vallée : Bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation. Vous avez mentionné dans vos commentaires de fin que vous croyez que le projet de loi ne constitue pas nécessairement une voie saine pour favoriser l'intégration. Je crois que, ce projet de loi là, je le vois différemment, vous comprendrez. Je considère que c'est important dans une société qu'on établisse certains paramètres clairs, parce qu'au fil des dernières années, je vous dirais, au cours des 10 dernières années, il y a eu un tas de débats qui ont pris des proportions qui, je crois, n'ont pas contribué à la pleine intégration des personnes immigrantes dans la société québécoise. Je pense que la façon dont certains débats ont été menés, ça a plutôt eu tendance à amener une certaine polarisation des positions, polarisation de certaines parties de la population et à amener un débat qui nous a dangereusement fait glisser, du «nous contre eux».

L'objectif du projet de loi, c'est d'établir un certain nombre de balises qui vont permettre de mettre de côté un flou, un flou qui, dans le traitement notamment des accommodements pour un motif religieux, a pu amener ce type de polarisation dans le discours — discours politique, discours social, discours sur les médias sociaux — et vient, on l'espère, encadrer et donner une référence qui permettra d'éviter ces écueils. C'est le but du projet de loi. Je comprends qu'on a... et certains experts, et vous le mentionnez, certains experts considèrent que la neutralité doit être inscrite dans la charte. D'autres experts considèrent que c'est la laïcité de l'État qui doit être inscrite dans la charte.

Pour nous, il est important d'avoir cette déclaration à l'effet que la prestation de services doit être empreinte de neutralité, donc que la prestation d'un service de l'État ne soit pas teintée par l'appartenance religieuse ou la non-appartenance religieuse de la personne qui demande de recevoir le service mais aussi par celle de la personne qui s'apprête à recevoir le service.

C'est un peu la philosophie qui nous a amenés à déposer un projet de loi qui, je considère, est un juste équilibre. Certains considéreront qu'il est trop timide. Et ça, c'est le propre des projets de loi : les projets de loi sont soit trop timides ou soit trop forts, bien souvent, dans l'esprit des gens, mais là on arrive avec une position équilibrée. Lorsqu'on regarde, par exemple, les recommandations du rapport Bouchard-Taylor, le gouvernement en a mis en place plus 80 %. On s'est inspirés aussi beaucoup de ce qui ressort dans Bouchard-Taylor pour apporter ce projet de loi là.

Donc, je tenais à mettre la table puis vous expliquer de quelle façon ce projet de loi là est arrivé. Et évidemment c'est certain que ce projet de loi là, il existe, mais il y a tout un travail qui se fait par notre collègue la ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion qui vise à intégrer les nouveaux arrivants pour qu'ils puissent prendre leur juste place dans notre société et qu'ils puissent jouer un rôle important dans notre société, ça, c'est très clair, parce qu'on a tout à gagner d'enrichir et de diversifier notre société.

J'aimerais vous entendre. Vous, qui, au quotidien, travaillez auprès des nouveaux arrivants, travaillez auprès de l'immigration, comment percevez-vous ce débat qui a grandi au fil des dernières années? Est-ce que vous partagez cette préoccupation-là quant à l'instrumentalisation de certains positionnements pour peut-être des raisons que certains ont qualifiées de nationalisme frileux? Mais est-ce que ça a un impact au sein de ceux et celles à qui vous rendez service au quotidien? Est-ce que vous avez senti un impact du discours qui parfois est porté par certaines personnes sur la place publique?

M. Drudi (Guy) : Avant de passer la parole à mes collègues, qui effectivement peuvent facilement donner le son de cloche du terrain, juste mentionner que, par rapport au projet de loi, c'est ça, c'est un peu comme si votre ministère et celui du MIDI fonctionnent mais, je dirais, pas au même rythme, voyez-vous, c'est un peu en ciblant strictement une modalité, je dirais, procédurière. Et d'ailleurs, dans notre mémoire, nous l'avons mentionné dans un de nos commentaires, il s'agit, dans le fond, d'une parcelle de l'ajustement, si je peux dire, par rapport à l'inclusion, la façon de pouvoir accueillir les personnes immigrantes, la notion d'accommodements religieux. Et encore l'accommodement religieux, c'est vraiment minime par rapport à l'accommodement raisonnable.

Juste, mettons, mentionner qu'évidemment, par rapport à d'autres projets de loi, il n'est pas coercitif, si on peut dire, mais la question, dans le fond, c'est que, quand on veut développer le dialogue interculturel, il faut effectivement avoir un cadre de dialogue interculturel, et je ne pense pas que le prendre par le bout de l'accommodement soit le cadre qui nous permette, mettons, d'élargir le dialogue. Ceci étant dit, maintenant...

Mme Vallée : ...juste avant que vous abordiez l'autre aspect, tout simplement pour vous rassurer. Le projet de loi a été écrit en collaboration avec nos collègues du MIDI, ça, c'est certain. On a travaillé en étroite collaboration et nous avons justement tenté de répondre à certaines... parce qu'il y a, dans le projet de loi, des réponses à certaines recommandations du rapport Bouchard-Taylor, pas toutes, mais certaines, et le travail s'est fait en collaboration pour justement que la rédaction soit en symbiose avec les réalités, aussi en harmonie avec les réalités du terrain tout en voulant répondre à la mise en place de balises qui étaient nécessaires, puisqu'actuellement la jurisprudence sert de guide et la jurisprudence n'est pas connue de tous et de toutes.

Alors, je pense que c'était une façon de répondre à ce qui pour plusieurs était flou et amenait des réponses parfois qui n'étaient pas adaptées, et le projet de loi vient répondre en balisant, de façon législative, des principes déjà établis par la jurisprudence.

M. Drudi (Guy) : Justement. Et, dans ce sens-là, je pense que nous, on suit Bouchard-Taylor en disant que, sur la notion de laïcité, sur la notion de pouvoir... mettons, neutralité religieuse, il faut effectivement comme être en mesure d'avoir ce qu'on appelle une étude plus approfondie, ce qu'on souhaitait, dans le fond, avoir peut-être un petit peu plus lors de notre échange.

Maintenant, vous avez posé la question de la polarisation, est-ce qu'à l'intérieur de nos services on vit cette polarisation et, si jamais elle est présente, comment on l'aborde. Juste mentionner que La Maisonnée se trouve à être... parmi d'autres, mais, entre autres, des artisans de l'interculturel, du dialogue interculturel. Donc, juste donner, mettons, le cadre : La Maisonnée, en travaillant à l'intérieur d'une vision sociale inclusive qui permette, mettons, la participation en tant que citoyen à part entière, bien, je pense que ça nous donne beaucoup plus d'outils pour pouvoir justement nous ajuster par rapport à ce qu'on appellerait aujourd'hui, là, ce qui est ciblé, l'accommodement religieux. Évidemment, le principe de neutralité s'applique dans nos services, ça va de soi. Mais je vais passer la parole à M. Othman, qui est le responsable...

M. Othman (Hameza) : La question que vous avez posée est très pertinente, Mme la ministre — alors, bonjour et merci de nous permettre de nous exprimer aujourd'hui dans cette commission — par contre, vous avez parlé de nationalisme frileux, l'impact du discours nationaliste frileux sur les gens qu'on reçoit, les immigrants qui viennent dans nos organisations, si je comprends bien, si je reprends un peu vos termes.

Je dirais, les immigrants qui arrivent ont d'autres préoccupations que de voir ces problématiques au début, quand ils viennent s'installer au Québec. Par contre, on voit l'impact de cette problématique, si je peux l'appeler comme ça, entre guillemets, sur la population qui reçoit. La société d'accueil, ce n'est pas seulement les instances gouvernementales, ce n'est pas seulement le gouvernement du Québec, ce n'est pas nos organisations. Nous, on est des acteurs parmi tant d'autres. La société d'accueil, c'est plus, c'est la société civile. Et cette problématique se répercute sur cette société civile et c'est là où on voit qu'au lieu de faire... nous, on travaille énormément, comme disait M. Drudi, dans le rapprochement interculturel, et c'est notre dada, si je peux appeler ça comme ça.

Par contre, on a de la difficulté, lorsque ce genre de problématique vient, on a de la difficulté à faire du rapprochement, à travailler dans ce sens-là. Et, je pense, le manque à gagner, c'est dans la sensibilisation de la société d'accueil sur l'apport et l'accueil des immigrants au Québec. C'est là où le bât blesse, si je peux m'exprimer comme ça. Je ne sais pas si je réponds à votre question, Mme la ministre, un peu.

M. Drudi (Guy) : Autrement dit, notre intervention se fait fonctionnellement pour permettre aux personnes immigrantes d'intervenir et de participer à notre société. Cependant, on voit ce qu'on appelle, un terme qui est utilisé, le revers, ou le «backlash», ou l'effet pervers, et c'est dans ce sens-là que notre dernière recommandation, en fait, disait : Écoutez, à force de toujours cibler les accommodements religieux, bien, ça crée une méfiance indue auprès d'une population nouvellement arrivée ou d'une population qui est déjà arrivée depuis longtemps mais qui a une foi différente, autre que celle de la majorité, quoiqu'aujourd'hui, la foi de la majorité, on dit que c'est beaucoup plus l'athéisme.

Mais donc ce que je veux juste dire, c'est qu'à quelque part ça multiplie les obstacles d'intégration sociale au niveau des logements, d'intégration au niveau de l'emploi, d'intégration, quelquefois, à l'école, en d'autres termes, et peut-être d'intégration à la fonction publique. Dans les études que j'ai réalisées personnellement, on avait effectivement cette crainte, parce qu'on disait : Bien, peut-être que je ne suis pas en mesure de pouvoir tout anticiper les difficultés que ça pourrait m'apporter si j'ai quelqu'un d'origine autre qui est aussi de religion autre. Et, dans ce sens-là, je pense que l'étude de M. Eid l'avait très bien illustré, mais l'étude de M. Eid, en 2012, reprenait ce que nous, on avait vu avec la firme L'Indice en 1996. Donc, c'est juste... je veux dire, c'est que ça crée un contexte et c'est pour ça que nous, on pense qu'on doit davantage travailler au niveau du contexte global pour pouvoir harmoniser nos pratiques d'accueil avec ce qui se fait en réalité dans la société civile.

• (12 heures) •

Mme Vallée : Mais est-ce que vous ne croyez pas qu'il est important de donner des balises claires pour le traitement, l'analyse d'une demande d'accommodements religieux? Parce qu'une demande d'accommodement, par exemple, pour un motif de handicap, bien souvent, c'est un aménagement de l'environnement de travail, par exemple, ou de l'environnement physique. La réponse pour un citoyen, elle est peut-être plus facile à trouver que l'accommodement religieux, qui pour bien des gens est un concept parfois un peu plus abstrait, un peu plus difficile à gérer pour l'administrateur qui n'est pas, dans bien des cas, familier avec la demande d'accommodement qui est sollicitée.

Donc, est-ce que vous ne croyez pas que c'est important? L'objectif n'est pas de stigmatiser qui que ce soit, au contraire, mais d'outiller celui ou celle à qui une demande sera formulée afin d'analyser, de donner des paramètres qui permettront de répondre assez rapidement à la demande. Mais là je manque de temps, je suis désolée.

M. Drudi (Guy) : Mme la ministre, je suis heureux d'entendre votre propos, parce que ce n'est justement pas ce que la gestion de la diversité nous enseigne, c'est-à-dire d'avoir, mettons, une recette à appliquer pour pouvoir traiter une situation qui se présente devant nous, surtout pas lorsqu'il y a des rapports humains qui sont en jeu.

Donc, qu'est-ce que je veux dire par là, c'est que, pour avoir enseigné la gestion de la diversité à plusieurs professionnels, ce qu'on doit avoir, c'est d'avoir davantage un cadre qui permet, mettons, de créer un climat de la diversité, un climat organisationnel qui va nous permettre, mettons, de favoriser une intégration, une participation. Et, quand vous dites que c'est peut-être moins tangible — ça, je vous suis là-dedans, par exemple — un accommodement religieux qu'un accommodement relié au handicap, il n'en demeure pas moins que les principes, selon M. Pierre Bosset, anciennement de la Commission des droits de la personne, sont sensiblement les mêmes, et, dans ce sens-là, on les retrouve dans le projet de loi. Nous, dans le fond, je veux dire, on l'observe, mais on dit : Ça ne doit pas être cela. Et on ne pense pas que ça va améliorer les rapports à l'intérieur d'une organisation. Et je peux vous dire que j'ai pratiqué la gestion depuis 40 ans, et, bien, si je ne me fiais que sur mes principes directeurs, bien, le climat serait, à mon sens, négligé. Donc, c'est pour ça que je trouve que c'est important de donner des pistes qui permettent aux gestionnaires d'avoir ce qu'on appelle un éventail d'outils, et La Maisonnée travaille justement, en employabilité, à aller dans ce sens-là.

Et je terminerais juste en mentionnant qu'il est important de faire valoir ces pratiques-là et je pense que, malheureusement, que ce soit à travers les médias ou à travers nos projets de loi, on cible trop ce qui pourrait faire peur, ce qui pourrait faire craindre, et nous, dans le fond, on est dans un recadrage plus élargi.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames messieurs de La Maisonnée. Je suis très heureuse de vous accueillir. On est devant deux grandes tendances au Québec actuellement qui sont souvent représentées, on retrouve aussi ces tendances à l'intérieur des partis politiques : intervenir ou ne pas intervenir. Il y a une chose qui... des fois, je me demande si ce n'est pas pire de ne rien faire, parce que c'est ça, moi, à mon avis, qui fait que les gens se mettent à avoir peur, quand ils sentent qu'ils sont dans un univers qui n'est pas contrôlé ou qu'il n'y a pas des balises claires, et c'est là que ça s'enflamme.

Moi, je pense qu'on doit, à un moment donné, se doter, comme société, de balises, non pas de règles qui font que tu es obligé d'appliquer... pas nécessairement un cadre formatif très serré, mais de plus en plus, si certains parlent de montée d'intolérance ou de choses comme ça, c'est à cause d'une certaine incompréhension, parfois, face aux valeurs culturelles portées par les gens qui sont différents de nous qui arrivent. Ça dépend des valeurs. Et, l'autre chose, ça vient aussi, des fois, d'une non-connaissance, de l'ignorance. Ces débats-là sont sains. D'ailleurs, vous avez participé à plusieurs débats. Vous étiez là à Bouchard-Taylor, j'ai remarqué.

Vous dites d'ailleurs, dans votre mémoire, une chose qui est importante en conclusion — je vais la répéter, parce que, pour moi, elle correspond à quelque chose de fort — c'est qu'il faudrait proposer «des mesures accrues du soutien à l'accueil, à l'établissement et à l'employabilité des nouveaux immigrants». L'intégration passe par l'employabilité très, très, très souvent, ça, c'est fondamental. Puis, à mon avis, le Québec n'a pas assez donné de ce côté-là, le Québec n'a pas assez travaillé dans cette matière-là.

Maintenant, il y a quand même des choses dans votre mémoire qui sont intéressantes que je désire soulever. Un mémoire est intéressant en soi, mais chaque parlementaire y voit des choses qui l'allument. Vous avez assisté à Bouchard-Taylor, vous avez déposé un mémoire et vous en relevez deux points qui auraient dû être retenus, d'après vous : un, la laïcité, définir ce qu'est la laïcité — vous ne dites pas toutefois si elle devrait se retrouver dans cette loi, ça, j'aimerais ça que vous répondiez à ça; l'autre, c'est que vous dites : De Bouchard-Taylor, on aurait dû conserver l'interdiction de port de signes religieux par les agents de l'État — intéressant, ce n'est pas dans cette loi — mais vous ajoutez même «par les présidents et vice-présidents de l'Assemblée nationale». Alors, j'aimerais ça vous entendre jaser là-dessus.

M. Drudi (Guy) : Donc, très exactement, nous, on pense qu'il doit y avoir un débat un petit peu plus structuré non pas sur une piste qui va être plus, mettons, une modalité d'intervention, la discussion autour, je dirais, des accommodements religieux, mais sur la laïcité de l'État. Oui, je veux dire, ça, je pense que... Et d'ailleurs, dans Bouchard-Taylor, on parlait vraiment de laïcité ouverte, donc, qui faisait comme un suivi de l'historique du Québec. Remarquez que l'histoire du Québec, dans nos débats actuellement, à part de la vision un peu, là, je dirais, associée à la religion, elle n'est pas vraiment approfondie, là, je veux dire, dans nos débats en général, là, je veux dire, quelle a été la tendance. Dans le fond, est-ce qu'on va parler de laïcité ou de déconfessionnalisation? Et finalement notre société est-elle vraiment laïque? Et jusqu'à quelle mesure la Charte canadienne et la Charte des droits et libertés nous amènent à tenir compte des accommodements, des ajustements, comme vous avez dit? Et, dans ce sens-là, le débat qui est proposé par Bouchard-Taylor, ça m'apparaît important de pouvoir le faire, le développer et en faire une grande réflexion qui va nous permettre d'avancer un petit peu plus sur un terrain un petit peu plus solide que celui du sentiment et de l'opinion.

Ceci étant dit, oui, les officiers de l'État qui sont en position d'autorité, notamment lorsqu'ils portent un uniforme, je veux dire, je pense que, oui, ça, c'est quelque chose qu'on considère qui devrait être sans manifestation religieuse. Donc, dans le fond, là, il ne devrait pas y avoir de signe religieux, et, dans ce sens-là, oui, ça, on suit Bouchard-Taylor à l'intérieur de cela. Pourquoi? Parce qu'il y a une question d'autorité. Et donc les officiers en position d'autorité doivent afficher au-delà... puis ce n'est pas juste dans ce domaine-là, mais dans d'autres domaines aussi, doivent afficher au-delà ce qu'on appellerait un fondement de crédibilité, si je peux dire. Donc, je m'arrête là là-dessus. Maintenant, je vais laisser la parole...

Le Président (M. Ouellette) : M. Othman.

M. Othman (Hameza) : On parle de définition de la laïcité. On ne va pas la définir ici. On a repris quelques notions, nous, au niveau de la laïcité. Elle permet, selon la loi de 1905, en France, la liberté de conscience et la liberté de culte — il y a ça dans la laïcité française — la séparation des institutions publiques et des organismes religieux et enfin l'égalité de tous devant la loi, quelles que soient leurs croyances religieuses. Pour nous, ça, c'est indéniable.

Par contre, au Québec, ce qu'on a vu au niveau des accommodements religieux, il y a le respect de l'égalité morale des personnes, il y aussi la liberté de conscience et de religion, bien entendu, qui revient, l'autonomie réciproque de l'Église et de l'État et, bien entendu, la neutralité de l'État. Nous, on tend plus vers un Québec où il y aurait un principe d'accommodements religieux ouvert, l'accès à la pratique et l'expression à l'appartenance religieuses des personnes et non de l'État et des institutions. C'est là-dedans que nous, on voit un peu la notion de laïcité du gouvernement. C'est donc que nous, on tend vers ça, comme l'a dit M. Drudi tout à l'heure avec un peu plus de détails.

Mme Maltais : Une dernière question, parce que c'est tout le temps que j'ai, incroyablement.

Vous dites que le fait de cibler «à visage découvert» cible le niqab particulièrement et donc cible une communauté. Je comprends, mais est-ce que... D'abord, dans les mots du projet de loi, on ne dit pas «niqab». Moi, je pense qu'on aurait même dû cibler carrément puis dire «tchador» aussi, parce que c'est un vêtement qui, pour moi, est un symbole d'asservissement de la femme et on ne peut pas accepter que l'État porte cette notion. Ça va à l'encontre de l'égalité hommes-femmes.

Maintenant, vous ne trouvez pas que c'est meilleur pour le vivre-ensemble que les gens soient à visage découvert dans l'État? Je comprends que... mais le vivre-ensemble existe aussi, et c'est fondamental que cette notion de communication pour les employés de l'État, tous les employés de l'État et de rencontre avec les... entre nous. C'est la base de l'humanité que de voir son visage, alors. Puis en plus c'est un symbole d'asservissement des femmes. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, parce que vous dites que vous n'êtes pas d'accord avec ce bout-là.

• (12 h 10) •

M. Othman (Hameza) : C'est que c'est une infime minorité, et on dirait que c'est cette infime minorité qui est ciblée par rapport à cette problématique. Je ne sais pas si vous me comprenez. Moi, je travaille depuis 25 ans dans l'accueil et l'intégration des immigrants, et, je pense, c'est une fois... j'ai vu une femme avec un niqab, et il lui a demandé de se présenter à visage découvert, comme il le voulait, pour l'identifier, bien entendu. Une fois. Alors donc, une fois. Je ne peux pas me dire : Bon, bien, je vais faire un règlement spécifiquement pour cette catégorie de population. C'est pour ça, on dit : Il faut être clair, et ne pas identifier juste une infime minorité mais de rien du tout, et faire tout un débat autour de ça. Pour moi, c'est là-dedans qu'on regarde la...

Mme Maltais : Donc, en ajoutant Bouchard-Taylor, on ne ciblerait pas une minorité. C'est ça que vous voulez dire en ajoutant «des personnes en situation d'autorité»? Est-ce que c'est ça que vous voulez dire? On irait plus large?

M. Drudi (Guy) : Non, ce qu'on peut dire, c'est qu'à quelque part on donnerait le cadre de la loi de ceux qui sont en autorité, et, dans ce sens-là, on a les personnes en autorité qui représentent l'État. Et, comme nous avons dit, ça se trouve à être l'État qui doit être neutre, et les représentants, comme de raison. Donc, ça, c'est un point.

L'autre point, évidemment, le visage découvert permet une meilleure, je dirais, approche de l'autre, mais ce qui arrive, c'est qu'à force de pouvoir juste cibler et identifier... et ce n'est pas seulement nous qui le disions, ça se trouve à être également la Commission des droits de la personne, donc, on semble, je dirais, comme créer un problème qui autrement n'existerait à peu près pas. Et souvent on nous dit : Oui, mais, si on ne le cible pas de suite, on va peut-être l'affronter. C'est que, là, on est devant peut-être un phénomène de prédiction créatrice qu'il faut éviter en gestion de la diversité.

Mme Maltais : Il n'y a plus de temps?

Le Président (M. Ouellette) : Non, on n'a plus de temps. On s'en va à Montarville, Mme la députée de Taschereau. Merci de me rappeler à l'ordre.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci. Merci d'être là. Merci pour le mémoire.

J'aimerais tout de suite... les auditeurs à la page 13. Vous avez écrit quelque chose que je trouve superbe, et je vais le lire parce que ça me touche, et, pour moi, il y a une forme de nationalisme là-dedans et il ne faut pas être gêné pour parler de nos valeurs, et vous écrivez quelque chose de très beau, puis je veux vous le faire commenter parce que je veux avoir plus de précisions sur ce que ça signifie, ce passage-là. Alors, à la page 13, en haut, vous nous dites : «La Maisonnée considère que la convivialité interculturelle se vit dans un lieu, celui du Québec. Celui-ci n'est pas un territoire anonyme sans histoire et sans vision sur les destinées individuelles et collectives. Ce territoire s'est construit sur un héritage de valeurs qui sont le résultat de plus de 1 000 ans d'histoire de cultures amérindiennes et plus de 400 ans d'histoire [...] de [la] culture majoritairement canadienne-française transformée tout au long de son parcours par l'immigration.» C'est tellement beau, ce que vous avez écrit, c'est tellement juste.

Poursuivons : «Ces valeurs reflètent la notion d'hospitalité des cultures amérindiennes originelles, qui ont laissé une tradition d'accueil dans notre société. Il importe que les éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec, notamment du patrimoine culturel religieux, témoignent de ce parcours historique. Mais ce parcours doit traduire cette mémoire vivante interculturelle.» J'aime beaucoup ce que vous dites là. Il y a cette ouverture à l'immigrant là-dedans. On peut être et nationaliste et ouvert à l'immigrant. Moi, je le reçois comme ça, mais pourriez-vous élaborer sur ce que vous dites, que vous appelez une mémoire vivante interculturelle à laquelle il faut faire attention? Puis je partage votre point de vue.

M. Drudi (Guy) : Merci. Peut-être, je vais débuter, mais M. Othman va... et peut-être madame...

Ce que je veux juste mentionner, c'est qu'on parlait tantôt de dialogue interculturel, et ce dialogue interculturel, ce n'est pas simplement entre deux individus, mais c'est à l'intérieur de la société, c'est une dynamique de communication qui permet, à l'intérieur du vivre-ensemble, pour reprendre un peu l'expression, de pouvoir qualifier non seulement la mémoire virtuelle ou informelle, exemple la culture, les arts... et je vais prendre pour exemple — moi, je suis d'origine italienne — donc, Marco Micone, qui avait beaucoup, je dirais, influencé, par ses pièces de théâtre, les années 80, mais également une mémoire qu'on pourrait, mettons, observer à l'intérieur de nos lieux, dans les lieux, dans l'espace civique, et là ça veut dire, dans le fond, identifier des personnes ou des moments qui finalement...

Exemple, on a eu, toujours dans les années 80, si je me réfère encore à la communauté italienne, le centre de réadaptation Dante, donc, le Centre Leonardo Da Vinci. Bon, bien là, ça se trouve à être des éléments de ce qu'on peut dire une mémoire vivante interculturelle. Mais on peut le multiplier. Là, on est dans ce qu'on appelle les anciens résidents, quelquefois les résidents de naissance, mais actuellement pour les nouveaux résidents c'est important de pouvoir... Exemple, il y a eu l'ouverture de la maison Toussaint-Louverture à Montréal-Nord. Donc, ce que je veux dire, c'est que les jeunes se voient. Puis on sait que Toussaint Louverture, il faut vraiment identifier... il a été le premier libérateur des personnes d'origine haïtienne, donc, au niveau de l'esclavage. Écoutez, c'est une des premières républiques, là, qu'il y a eu. Mais, ça, il faut le savoir, il faut le connaître. Et donc, à ce moment-là, ça fait connaître la richesse de la culture haïtienne. Je vais passer à monsieur...

M. Othman (Hameza) : «Mémoire vivante interculturelle». C'est très bien que vous l'ayez fait ressortir. Pour moi, elle existait dès le début de l'arrivée des premiers... comment dirais-je, des premières personnes qui se sont rencontrées. Déjà, il y a eu un brassage interculturel à ce moment-là. Si on va dans l'histoire du Vieux‑Montréal, on sait très bien que c'était à l'époque un centre de traite et d'échange, et cette traite et échange, c'était de l'interculturel qui se faisait entre les gens qui sont venus de l'Europe et les gens d'ici. Et c'est ce que j'appelle, moi, entre guillemets... je vais prendre référence d'abord à un grand homme qui est M. Léopold Sédar Senghor, qui disait que lui, c'était une personne qui était métissée culturellement, mais, je pense, au-delà du métissage culturel qui a déjà existé au Québec, ici, où d'autres personnes viennent encore l'alimenter, ce métissage culturel, il y avait aussi le métissage biologique qui a existé ici, au Québec.

Alors donc, pour nous, c'est ça, c'est une mémoire interculturelle qui existait déjà, que les gens qui viennent et qui arrivent ici devraient aussi s'en imprégner. Alors, c'est cela, en fait, ça reflète un peu ça.

Le Président (M. Ouellette) : Ça nous a fait plaisir, Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Déjà?

Le Président (M. Ouellette) : Bien oui, c'est déjà terminé. M. Guy Drudi, M. Hameza Othman, Mme Micheline Nalette, représentant le Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée, merci d'être venus déposer en commission.

Je suspends quelques minutes, le temps de demander à l'Alliance des cadres de l'État de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 12 h 18)

(Reprise à 12 h 20)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant l'Alliance des cadres de l'État, qui est représentée par sa présidente-directrice générale, Mme Anne Gosselin, qui va nous présenter les personnes qui l'accompagnent. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation — je pense, vous connaissez les us et coutumes de la maison — et après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Mme Gosselin, à vous la parole.

Alliance des cadres de l'État

Mme Gosselin (Anne) : Merci beaucoup, M. le Président de la commission. Mme la ministre, mesdames et messieurs, membres de la commission, j'ai le plaisir de vous présenter les deux personnes qui m'accompagnent : à ma droite, vous avez Mme Louise Labrecque, qui est directrice de l'administration et des projets spéciaux, et, à ma gauche, Me Martine Doré, qui est conseillère en relations de travail.

Alors, nous vous remercions de nous accueillir à cette commission parlementaire. Pour votre information, je vous rappelle que l'Alliance des cadres de l'État regroupe 3 400 gestionnaires oeuvrant auprès de 75 ministères, organismes gouvernementaux et sociétés d'État répartis dans 17 régions administratives et dont 55 % sont des hommes et 45 %, des femmes, avec une moyenne de 51 ans. Tout ça pour vous dire que les cadres de l'État sont des acteurs clés de la réalisation de la mission de l'État et des services aux citoyens. Ils concrétisent les orientations, les services et les programmes gouvernementaux et ils sont les leaders qui mobilisent les équipes pour la production et la livraison de services publics de qualité.

Alors, ce projet de loi n° 62 aura certainement des impacts sur la gestion des services publics. Tout comme la population en général, les cadres de l'État, à titre de citoyens, ont des perceptions variées au regard du projet de loi. Cependant, sa mise en oeuvre les rassemble tous, et il s'agit là de leur principale préoccupation. Ainsi, considérant la préoccupation commune des cadres et les compétences des nombreux groupes invités à participer à cette commission parlementaire, l'alliance ne se prononcera uniquement que sur les précautions à prendre pour en favoriser une application la plus harmonieuse possible. L'alliance ne fera donc aucun commentaire sur les choix politiques qui ont mené à ce projet de loi ni sur son opportunité ou sa pertinence. Nos commentaires portent uniquement sur le rôle des gestionnaires au sein de l'État comme représentants de l'employeur.

En ce qui a trait aux services à visage découvert, les cadres de l'alliance sont, en grande majorité, en accord avec ce principe. L'alliance émet tout de même quelques recommandations pour enraciner l'application et la gestion des services à visage découvert. D'une part, pour un citoyen à qui est fourni un service, cette obligation doit être largement communiquée et inscrite notamment sur la déclaration des valeurs de l'administration publique québécoise et sur les déclarations de services aux citoyens des ministères et organismes. De même, elle doit être affichée dans tous les bureaux gouvernementaux dispensant des services aux citoyens. Quant au membre du personnel dans l'exercice de ses fonctions, l'obligation des services à visage découvert doit être incluse tant à la Loi sur la fonction publique qu'aux lois constitutives des organismes et sociétés d'État non soumis à la Loi sur la fonction publique. Elle doit être également clairement connue et acceptée lors de l'embauche de tout fonctionnaire. De telles mesures sont, à notre avis, un message clair susceptible d'endiguer certaines difficultés et faciliter la gestion de certaines situations particulières.

En ce qui concerne les accommodements religieux, l'alliance tient à souligner l'accent mis sur la responsabilité commune des parties impliquées, à l'article 10, dans la recherche de solutions à caractère raisonnable. Nous saluons également les dispositions prévues à l'article 7 permettant aussi à un organisme public d'exiger d'une personne ou d'une société qui conclut un contrat de services ou une entente de subvention de respecter le devoir d'accommodement.

En fait, l'enjeu du projet de loi en matière d'accommodement vise, en quelque sorte, à assurer la gouvernance d'une société démocratique dans un contexte pluraliste où les allégeances religieuses sont multiples, complexes et à géométrie variable. Or, il est souvent difficile de départager les préférences, pratiques, coutumes et choix personnels qui se sont imbriqués ou qui sont véhiculés par l'une ou l'autre des religions et qui ne reposent sur aucune prescription ou interprétation facilement objectivable. Voilà l'importante difficulté de la mise en oeuvre des dispositions sur les accommodements raisonnables.

Dans la pratique quotidienne, le travail des cadres consiste en partie à faire des ajustements au regard de la gestion du personnel. Ils sont constamment appelés à effectuer divers arrangements administratifs en jonglant avec les ressources disponibles pour assurer une prestation de services de qualité dans les délais attendus, tout en conciliant au mieux les besoins de chacun. Donc, les gestionnaires exercent déjà ce qu'on appelle leur droit de gérance. Mais, si les cadres sont en mesure de juger de l'impact de l'absence d'un employé sur la performance de leurs unités administratives, il en est toutefois autrement pour déterminer s'ils sont en présence d'une discrimination fondée sur la religion. La connaissance des différentes religions, pratiques et coutumes varie énormément d'un individu à l'autre. Les gestionnaires s'interrogent, légitimement, de la façon suivante : Quelles sont les religions reconnues et quelles en sont les obligations ou prescriptions pouvant nécessiter des accommodements? Comment peut-on distinguer un accommodement basé sur un réel fondement religieux d'une préférence personnelle? Bref, il est important de distinguer l'arrangement administratif de l'accommodement raisonnable.

Donc, l'alliance est d'avis que le projet gagnerait à définir ce qu'est un accommodement raisonnable. Et cette définition est déjà proposée par la Commission des droits de la personne, qui tire des enseignements de la jurisprudence et de ses travaux. La commission proposait la définition suivante : «L'obligation d'accommodement raisonnable peut donc être définie comme [...] une obligation juridique, applicable uniquement dans une situation de discrimination, et consistant à aménager une norme ou une pratique de portée universelle dans les limites du raisonnable en accordant un traitement différentiel à une personne qui, autrement, serait pénalisée par l'application d'une telle norme.»

Cette définition permet de distinguer les réels accommodements découlant des motifs énoncés par la charte et la loi. Elle permet également d'évacuer les situations qui relèvent davantage de la gestion de la diversité culturelle, de la préférence personnelle ou d'artifices qui ne doivent pas donner ouverture à un accommodement. À notre avis, certaines demandes formulées sous le motif de l'accommodement, que ce soit par un employé de l'État ou un citoyen, sont davantage des demandes d'arrangement administratif qui ne répondent pas aux critères d'accommodement. Il faut bien les distinguer pour pouvoir les traiter adéquatement. Ainsi, pour une application équitable et harmonieuse du projet de loi, les cadres doivent être en mesure de s'assurer d'être en présence d'une discrimination religieuse et non d'une préférence liée à une croyance qui n'est pas nécessairement prescrite par la religion.

En ce qui a trait à l'application de la loi, l'employeur doit mettre en place des processus structurants qui encadrent le traitement de ces demandes. Ceux-ci sont essentiels. Ils doivent guider les gestionnaires dans la prise des meilleures décisions possible dans l'intérêt de la qualité des services publics ou du fonctionnement de l'État.

L'alliance recommande que, dès l'entrée en vigueur de ce projet de loi, les gestionnaires disposent de moyens et de ressources nécessaires pour traiter adéquatement les demandes d'accommodement : d'abord, une formation pour les habiliter à bien cerner les situations qui constituent des demandes d'accommodement; ensuite, des outils qui permettent une analyse efficace et constructive dans l'évaluation de la demande au regard de ce qui est raisonnable et ne constitue pas une contrainte excessive. La formation et les outils gagneraient à être conçus avec la collaboration de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et de celle des cadres. Des répondants organisationnels doivent aussi être identifiés pour exercer un rôle conseil auprès des gestionnaires. Ainsi, tout en demeurant pleinement responsables de leurs unités administratives, les cadres peuvent traiter des demandes d'accommodement avec efficience en s'appuyant sur la connaissance de leurs unités, des processus de travail et des ressources disponibles.

Toutefois, dans le cas des demandes d'accommodement susceptibles d'avoir un impact organisationnel majeur, la situation est différente. La plus haute autorité de l'organisation doit être non seulement responsable de prendre les moyens nécessaires pour assurer le respect des mesures qui y sont prévues à l'article 14, mais aussi responsable et imputable des décisions rendues ayant un impact majeur.

Somme toute, il ne faut pas dessaisir les gestionnaires de leur rôle, mais simplement s'assurer d'une équité organisationnelle, voire gouvernementale. Enfin, attirons l'attention sur le fait que certaines décisions de cadre sont susceptibles de ne pas plaire aux demandeurs et même d'être contestées. Dans de telles situations, les cadres devront compter sur l'appui de leur employeur.

En terminant, retenons que l'État a le privilège de compter sur des gestionnaires dévoués et compétents au service de leurs concitoyens. Donnons-leur les moyens pertinents pour une application harmonieuse de la loi. Merci beaucoup.

• (12 h 30) •    

Le Président (M. Ouellette) : Merci beaucoup, Mme Gosselin. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci, mesdames, pour votre présentation, que j'ai trouvée fort intéressante, parce que j'imagine qu'en matière d'accommodements religieux c'est quand même une réalité à laquelle sont confrontés vos membres. Et, actuellement, j'aimerais vous entendre sur les outils qui sont mis à la disposition de vos membres et la façon dont sont traités ces dossiers-là à la lumière, j'imagine... parce que vous faites référence, dans votre mémoire, à la page 6, à l'importance, à la qualité du travail qui est fait par la commission des droits de la personne et de la jeunesse, vous faites référence au Guide virtuel.

Mais j'aimerais vous entendre sur votre réalité puis les enjeux, actuellement, auxquels vous êtes confrontés dans votre quotidien lorsqu'une demande est présentée dans l'administration publique.

Mme Gosselin (Anne) : Je vous dirais très simplement que, globalement, l'ensemble des demandes, quand il y en a, elles sont traitées à la pièce. Il y a quelques organismes qui ont tenté des politiques ou des encadrements, mais je vous dirais que, globalement, les gens ne se sentent pas très, très outillés à cet égard-là.

Nous avons eu connaissance, à l'alliance, justement du fameux Guide virtuel de la commission des droits de la personne et de la jeunesse, et je vous dirais que c'est un guide qui est fort intéressant comme outil de démarrage mais qui, à mon sens, n'est pas suffisant pour coller à la réalité, parce que bon nombre de gestionnaires gèrent des équipes qui sont des équipes de services aux citoyens, assurance maladie, assurance automobile, assurance parentale, et j'en passe, et donc, souvent, les gens ne connaissent pas vraiment... est-ce que la demande qui m'est faite constitue vraiment un élément qui est lié à une croyance religieuse? L'interprétation est parfois difficile à faire.

C'est des éléments qui ne sont pas toujours très objectivables. Et c'est là le besoin des cadres de voir des guides qui pourraient les aider à pister les éléments qui sont vraiment du ressort de la religion et non pas d'un ajustement administratif ou d'une demande purement personnelle qui n'a pas d'assise par rapport à la loi.

Mme Vallée : D'accord. Parce que le guide propose actuellement... Et savez-vous s'il est utilisé par vos membres?

Mme Gosselin (Anne) : Très honnêtement, je vous dirais qu'à ma connaissance il est très méconnu, il est peu utilisé. Il y a beaucoup de propositions intéressantes, dont un formulaire, à la toute fin, qui propose une démarche, mais je pense qu'il y a comme un tour de manivelle de plus qui devrait être fait au regard des services publics dans la fonction publique, parce que toute l'interprétation de ce qu'est une contrainte excessive est parfois difficile à évaluer.

Je prends pour exemple un centre local d'emploi, un CLE. Dans la région métropolitaine, dans la région de Québec, dans les grands centres, il pourrait y avoir des demandes d'accommodement, et on pourrait possiblement y donner suite sans que ça constitue une contrainte excessive, dépendamment de quoi il en ressort, bien entendu, parce qu'il y a du volume en termes de personnes, de ressources, mais, si on se retrouvait à Blanc-Sablon, où souvent il y a des CLE qui se limitent à deux ou trois ressources, ce n'est pas une situation qui pourrait être facilement gérée... et où, là, la contrainte pourrait effectivement être excessive.

Mme Vallée : C'est intéressant, puisqu'on a eu une discussion similaire hier avec les responsables des services de garde et même certains nous disaient : Bien, l'accommodement doit se faire à coût nul, recommandaient que l'accommodement se fasse à coût nul, puisque, pour certains, les demandes sont disproportionnées par rapport aux ressources dont dispose celui ou celle à qui est dirigée la demande d'accommodement.

Donc, pour vous, lorsqu'il est question d'analyser la contrainte excessive, il serait important de considérer les ressources à la disposition de l'organisme et d'évaluer le poids que la demande pourrait constituer pour l'équipe de travail, entre autres.

Mme Gosselin (Anne) : Effectivement, dans la pratique, c'est des balises qui devraient être utiles à définir, qu'est-ce qu'une contrainte excessive en termes de ressources humaines, ressources financières, ressources matérielles.

Vous avez dû avoir connaissance un peu du dossier de la Société de l'assurance automobile par rapport aux examens de conduite. On peut se retrouver avec une demande semblable qui pourrait être traitée dans un grand centre où le volume des ressources pourrait permettre un certain accommodement, je dis bien, un certain accommodement à évaluer selon les horaires, les disponibilités des gens, et ainsi de suite. Mais, si on se retrouvait dans une région où il y a peu de ressources, malheureusement, on ne serait pas en mesure de donner suite à l'accommodement raisonnable, parce que, là, il y aurait effectivement contrainte excessive.

Mme Vallée : Est-ce que vous avez évalué les différents éléments? Il y a un certain nombre d'éléments qui doivent être considérés par le membre du personnel qui reçoit la demande d'accommodement. Est-ce que ces éléments dont... Bon. D'abord, qu'il s'agisse effectivement d'une demande d'accommodement, donc qu'il ne s'agisse pas... et ça, vous l'avez clairement identifié, il ne faut pas que ce soit un souhait personnel d'aménager l'horaire de travail en fonction de ce qui convient le mieux à quelqu'un, il faut que ce soit fondé sur des critères objectifs.

Le fait que l'accommodement respecte le droit de l'égalité entre les femmes et les hommes et que l'accommodement ne compromette pas le principe de la neutralité religieuse de l'État, est-ce que ces éléments-là, pour vous, vous apparaissent suffisants pour guider en partie vos gestionnaires?

Mme Gosselin (Anne) : À mon sens, ce sont des éléments intéressants mais insuffisants, dans le sens où je vous manifestais le besoin de connaître exactement quelles sont les religions et les coutumes, ou rites, qui sont formellement reconnues et objectivables, parce qu'on peut se retrouver justement avec une géométrie variable et où la ligne est difficile à cerner entre ce qui appartient à la religion et ce qui ne l'est pas. Et, dans ce sens-là, on peut penser qu'il y a des individus cadres qui ont une connaissance variée des différents préceptes de religions différentes, et qui sont moins souvent en contact avec des gens qui ont des obédiences différentes, et qui peuvent être mal à l'aise, d'où l'importance d'essayer d'outiller les cadres à cet égard-là.

Mme Vallée : Et donc, à cet effet-là, vous considérez que, bien qu'intéressant, le guide de la Commission des droits de la personne aurait avantage à être bonifié.

Mme Gosselin (Anne) : Oui, effectivement.

Mme Vallée : Certains groupes nous ont aussi présenté... et je ne sais pas si, pour vous, ce serait opportun, les groupes scolaires nous ont mentionné qu'un guide adapté à la réalité scolaire serait utile. Les groupes oeuvrant dans le milieu de la petite enfance ont fait une représentation similaire. Je comprends que vous avez des membres qui oeuvrent dans des secteurs diversifiés. Alors, comment répondre, de façon utile, aux besoins de vos membres? Est-ce qu'il y a des particularités, au sein de vos membres, auxquelles on devrait être sensibilisés dans la préparation de toute forme de documentation, de moyen de diffusion, de sensibilisation?

Si d'aventure la loi devait être adoptée, est-ce qu'il y a des particularités auxquelles on devrait être sensibilisés?

• (12 h 40) •

Mme Gosselin (Anne) : Effectivement, j'ai entendu les représentations des autres organismes par rapport aux besoins d'un... compte tenu de leur clientèle qui est spécifique.

La difficulté dans la fonction publique, bien entendu, c'est qu'on est en lien avec des citoyens individus, des personnes et on est en lien aussi avec des citoyens corporatifs, mais je pense que le problème va se poser davantage auprès des citoyens individuels. Et on a une panoplie de services qui s'adresse à des personnes plus jeunes, plus âgées, plus scolarisées, moins scolarisées, et ainsi de suite. Je pense que, dans un premier temps, ne serait-ce que d'avoir une formation sur l'ensemble des religions et pratiques qui sont communément reconnues serait déjà un élément de base.

Par ailleurs, je pense qu'aussi les cadres, qu'on parle de Revenu Québec, qu'on parle de l'assurance automobile, de l'assurance maladie, de l'assurance parentale... chaque cadre connaît spécifiquement son unité administrative, ses ressources, le service qu'il doit dispenser aux citoyens. Donc, il s'agirait pour lui de l'aider, de l'outiller à une démarche systématique, commencer d'abord par identifier : Sommes-nous en présence d'un motif religieux?, si oui ou si non, et, s'il y a effectivement un motif religieux, d'essayer d'établir le dialogue avec le demandeur, parce que c'est ça, l'intérêt de ce projet de loi par rapport à l'article 10... ou 7, qui réfère à une responsabilité commune, c'est d'essayer de faire une démarche avec le demandeur où le demandeur aussi fait partie de la solution, ne se situe pas exclusivement dans une position de demandeur et qu'il est en attente de.

Donc, je pense que d'outiller les cadres à amorcer une démarche en considérant les différents aspects en termes de besoins du demandeur et contraintes de l'organisation en termes d'horaires, d'individus, et ainsi de suite, pourrait l'aider à faire la démarche. De même, si on pouvait instaurer le genre de répondant en accommodement raisonnable ou accommodements religieux, ça pourrait être intéressant. Il y a déjà des répondants en éthique, il y a déjà des répondants en accès à l'information. Ces répondants-là sont des ressources conseil, ce sont des professionnels qui soutiennent les cadres à la décision. Donc, c'est un élément de plus qui pourrait s'ajouter à la formation et aux outils que les cadres souhaiteraient recevoir pour faire adéquatement leur travail.

Mme Vallée : Parce qu'actuellement vous n'avez pas, au sein de vos équipes, une personne-ressource qui est disponible pour accompagner quelqu'un qui aurait une demande d'accommodement.

Mme Gosselin (Anne) : Non. À ma connaissance, ça se fait vraiment sur le tas ou au gré des demandes et des volumes qui sont présentés.

Mme Vallée : Je relisais le guide, parce que je pense que le guide apporte un certain nombre d'informations qui sont fort intéressantes et qui, je crois, répondent à certaines préoccupations que vous avez soulevées, parce que, lorsque, là, on procède à la deuxième étape, qui est celle de l'analyse... la première étape étant la réception de la demande, l'analyse de la demande, alors on identifie un petit peu comment cette demande-là doit être analysée. On indique que, bon, il faut s'assurer qu'il s'agisse d'une demande d'accommodement, alors on vient un peu, de façon très succincte mais en langage très clair, indiquer ce qu'est une demande d'accommodement et ce que n'est pas une demande d'accommodement, «documentez-vous», donc demande de... et suggère à l'intervenant de documenter la demande qui lui est présentée. Bon, évidemment, le professionnalisme, l'objectivité sont de mise, mais on indique aussi : Évaluer la contrainte excessive.

Alors, l'évaluation de la contrainte excessive, elle est suggérée. La recherche de solutions également est suggérée dans l'étape trois. Et l'étape quatre, la prise de décision et la communication, elle est aussi prévue, et la mise en oeuvre des accommodements. Alors, au-dessus de tout ça, là, qu'est-ce qu'on pourrait faire?

Mme Gosselin (Anne) : Je pense que les cadres, avec leur expertise, pourraient certainement contribuer à raffiner l'outil pour y mettre la couleur de la fonction publique. Parce que je voyais, par exemple, quand on parle des ressources financières, matérielles, on parle du coût réel, «le budget d'exploitation». Est-ce qu'on parle de l'unité? Est-ce qu'on parle du bureau au complet? Est-ce qu'on parle de tout le ministère? Alors, il y a vraiment un raffinement qui doit être fait. On parle de la conjoncture économique, du caractère privé ou public. Il y a beaucoup d'éléments qui sont intéressants, qui donnent un indice mais qui pourraient être raffinés avec la contribution des cadres qui oeuvrent dans le secteur public.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, mesdames. Bienvenue à cette commission parlementaire. Merci de votre rapport. Je comprends que vous ne voulez pas aller dans les déclarations sur les hypothèses genre «la laïcité aurait-elle dû être»... Est-ce qu'on devrait avoir les personnes en situation d'autorité comme dans Bouchard-Taylor?

J'aurais aimé vous entendre sur cette idée que des gens en position d'autorité puissent porter des signes religieux ostensibles. Voulez-vous commenter?

Mme Gosselin (Anne) : Je vous dirais, bien malheureusement, et en toute cordialité : Ce n'est pas le mandat qu'on m'a donné. Et je vous dirais aussi par ailleurs que, quand on a fait une consultation auprès des membres, on a travaillé sur la base du projet de loi n° 62 tel quel. Puisque cet élément-là n'était pas présent au projet de loi, donc on ne s'est pas attardés... on s'est concentrés sur les éléments qui étaient déjà présents au projet de loi.

Mme Maltais : Dommage, votre éclairage aurait été intéressant, mais enfin je respecte cela.

Un petit commentaire sur le guide de la CDPDJ, parce que ça fait deux, trois fois qu'on en parle. Je l'ai déjà dit, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a perdu beaucoup de plumes pendant l'étude du projet de loi n° 59, et le projet de loi n° 59 nous a heurtés. Et, dans ce guide, il y a quand même des éléments que j'ai... il y en a un que j'ai soulevé hier, là, celui que de refuser de se faire servir par un agent de l'État qui porte un signe religieux, c'est discriminatoire. Moi, je m'excuse, je suis de minorité non visible mais très audible qui considère que les religions l'ont ostracisé, ce qu'elle est, sa condition, pendant des années et j'ai des frissons à l'idée d'un fonctionnaire de l'État, pas n'importe qui, pas dans mes relations humaines ou de députée... de voir un fonctionnaire de l'État devant moi qui porte un signe religieux ostensible qui puisse prendre une décision concernant mon cas, j'en ai des frissons. Ça devient d'une minorité, comme je le disais, non visible mais très audible. Alors, il y a des défauts dans ce guide-là.

Ceci dit, quand on n'a pas de déclaration sur la laïcité de l'État, qui sera un guide de départ, on est obligé après ça d'envoyer effectivement un peu des messages partout pour essayer d'aider à guider. Nous, nous trouvons que la laïcité de l'État, ça aurait été un bon message. Maintenant, le guide, c'est intéressant que vous l'ameniez, parce que vous êtes les cadres. Jusqu'ici, il n'y en avait pas dans la loi, c'est vraiment juste les membres du personnel qui prennent la décision.

Si la loi n'est pas amendée, est-ce que c'est vivable pour des cadres de savoir que c'est chaque membre du personnel qui peut prendre une décision sur des accommodements religieux?

Mme Gosselin (Anne) : Bien, je vous dirais là-dessus que, justement, cet élément-là nous a interpellés, parce qu'en fait, quand on parle d'un membre du personnel, on parle d'un membre du personnel qui est interpellé dans le cas d'une demande d'accommodement. Je vous dirais que concrètement, dans les faits, il est assez rare qu'un membre du personnel de bureau, ou aux services de renseignements, ou aux services de première ligne va assumer lui-même directement la demande. Il va certainement, dans bien des cas, interpeller son supérieur, son gestionnaire, pour lui demander comment il en dispose, en tant que tel, et ce qui fait que moi, je pense que, dans bon nombre de ces demandes-là, ce n'est pas le technicien, ou le professionnel, ou l'agent de bureau qui va en disposer, ça va être vraiment le gestionnaire qui va devoir en traiter, d'où l'importance, pour nous, de s'assurer d'une formation, des outils pour accompagner les cadres à cet égard-là.

Mme Maltais : Cette idée de formation est très intéressante, en effet. C'est un bel ajout. On n'en avait pas encore entendu parler. Mais c'est comme un peu fou, c'est rendu que, alors que, normalement, on évacuait la religion de l'État, on est rendus à organiser la religion dans l'État. Pour moi, c'est toute la différence entre la laïcité et la neutralité religieuse de l'État. Il y a un débat, moi, qui est en train de virer, là... qui m'étonne beaucoup. Maintenant, je vais vous demander comment... Vous avez sûrement étudié l'article 9, sur les services à visage découvert. Il y a des gens qui nous disent... et moi, je l'ai analysé aussi puis j'ai demandé à des juristes des opinions, ils nous disent : C'est une chose et son contraire.

Comment pouvez-vous interpréter la loi qui vous dit qu'il ne peut pas y avoir de service à visage découvert, sauf exception? Et même la manière de dire l'exception, c'est : L'accommodement est possible, sauf... Donc, la demande d'accommodement, c'est : elle est possible. Ce n'est pas le service à visage découvert, les fonctionnaires de l'État doivent rendre les services à visage découvert, c'est : l'accommodement est possible d'abord, ensuite voici trois motifs de refus.

Comment on peut interpréter ça? Est-ce que c'est vivable? Parce que, je sais qu'on l'a entendu puis on va le réentendre, c'est une chose et son contraire.

• (12 h 50) •

Mme Gosselin (Anne) : Oui. Bien, je vous dirais que... je n'oserais pas me transformer en juriste au niveau de l'interprétation, mais notre compréhension, chez nous, à l'alliance, était que le principe du visage découvert était de facto le premier élément, et que l'accommodement était l'exception, et que le principe s'appuyait sur le fait que tant le membre du personnel que le citoyen devaient être à visage découvert. Et je comprenais que l'exception, c'est-à-dire la possibilité d'un accommodement, était aussi, même, extrêmement restreinte dans le sens où on prévoit et on prescrit que l'accommodement doit être refusé quand il y a un motif de sécurité, d'identification et de communication qui est mis en péril. Alors, nous, on se gouvernait dans ce sens-là et on se sentait à l'aise à cet égard-là.

Mme Maltais : Mais le principe, c'est : le service est à visage découvert. Un fonctionnaire doit travailler à visage découvert, mais, s'il demande un accommodement, il est possible, et voici les seuls trois motifs de refus. C'est ça qui donne une impression de déséquilibre dans l'accommodement.

Mme Gosselin (Anne) : Mais je vous dirais qu'en tout cas, notre connaissance pratique, là, du milieu, au niveau des services de première ligne, je n'ai pas eu connaissance d'individus, de membres du personnel qui étaient à visage couvert. Et chez nous, statistiquement, il y a 3 % de nos cadres qui s'identifient comme étant originaires d'une communauté culturelle de quelque nature que ce soit, donc la probabilité qu'on se retrouve avec une situation semblable est assez mince, à mon sens.

Mme Maltais : Oui, la probabilité est mince. Puis on s'est retrouvé... puis je le comprends, puis c'est vrai, mais on s'est retrouvé avec une dame qui a fait une assermentation... elle n'est pas fonctionnaire, et le service était rendu à cette personne qui est arrivée pour une assermentation au Canada avec un visage couvert, avec un niqab, et ça a lui a été accordé, ce qu'à mon sens... et sur les mêmes motifs qui sont ici. Donc, c'est pour ça qu'on réfléchit à ça puis à essayer de resserrer un peu cette clause-là. À mon avis, il faudrait le resserrer.

Mme Gosselin (Anne) : D'où l'importance de former, d'informer, d'outiller les gens pour qu'ils puissent rendre une décision éclairée et cohérente par rapport aux enjeux de cette loi-là.

Mme Maltais : Est-ce qu'on ne devrait pas séparer les deux, c'est-à-dire que les fonctionnaires, ceux qui rendent les services, devraient toujours être à visage découvert et puis que l'accommodement serait possible pour les personnes?

Mme Gosselin (Anne) : En tout cas, quand on regarde...

Mme Maltais : Parce que moi, je ne vois pas comment un fonctionnaire pourrait demander une exception, là.

Mme Gosselin (Anne) : Je comprendrais mal qu'on ait deux poids, deux mesures quant aux personnels et aux citoyens.

Mme Maltais : Ah! tout à fait, madame, c'est l'État. On parle de l'État et des citoyens, on peut avoir deux poids, deux mesures. Il s'agit, là, du droit pour un employeur d'avoir une espèce de droit de gérance, et, si on déclare que... moi, je trouve tout à fait pertinent, et là je vais juste avoir un... je m'excuse, là, mais, pour moi, c'est fondamental, l'État peut dire : Vous devez absolument avoir le visage découvert, sinon...

Mme Gosselin (Anne) : ...pas ce point de vue là, mais ce que je vous dis, c'est qu'on peut difficilement demander aux membres du personnel d'être à visage découvert quand on ne le demande pas aux citoyens. Je le voyais à l'inverse.

Mme Maltais : Ah oui! O.K. Bien, je vous comprends, mais je ne suis pas d'accord du tout, là.

Le Président (M. Ouellette) : On va se laisser sur ce désaccord. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci. Je vous écoutais avec beaucoup d'attention. Et vous parlez du droit de gérance. On parle des cadres ici, des cadres de l'État, qui ont à travailler justement en première ligne avec les demandes des citoyens à qui le personnel offre des services.

Et je n'ai pas pu m'empêcher... je vous écoute, et vous dites des choses extrêmement pertinentes, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser à cette étude de crédits qui a eu lieu en 2015 où j'ai questionné ici même... ou dans la salle à côté, je crois, le ministre de l'époque, des Transports relativement à une demande d'accommodement qui s'est ramassée devant les tribunaux. Ça a été jusqu'en cour. C'était l'histoire de la pastafarienne qui voulait se faire photographier habillée en pirate avec une passoire sur la tête, et ça démontrait toute la difficulté d'appliquer le guide — Mme la ministre parle d'un guide qui existe — de toute évidence — c'est une situation qui s'est passée il y a à peine quelques années — toute la difficulté, puisque cette dame-là, qui prétend qu'elle exerce sa religion en s'habillant en pirate avec une passoire sur la tête... Les pastafariens, c'est une religion qui a été créée dans une université américaine pour démontrer qu'on peut créer une religion et qu'elles se valent toutes.

Donc, cette dame-là a réussi... Elle devait faire renouveler ses cartes. Elle a réussi à se faire photographier dans un CLSC à Montréal avec son accoutrement de pastafarienne, et on le lui a interdit à la SAAQ. Alors, ça veut dire qu'il y a deux fonctionnaires qui ont pris des décisions différentes : un a accepté l'accommodement religieux, l'autre a refusé. Ça s'est quand même ramassé en cour. Le ministère a dû débourser des sous pour cette décision. Et j'imagine les pauvres fonctionnaires qui ont pris deux décisions différentes pour la même personne dans des situations similaires.

Ma question est la suivante... Vous en faites mention dans votre mémoire, de cette crainte qu'ont les cadres ou les employés de l'État qui prennent une décision. Cette crainte qu'ont les cadres de faire les frais d'une éventuelle poursuite parce qu'ils refusent un accommodement, parlez-m'en. Dans quelle mesure est-ce que c'est réel, dans quelle mesure est-ce que ça joue dans la prise de décision? Et est-ce que ça arrive? En tout cas, chose certaine, c'est arrivé dans ce cas présent, de la pastafarienne. Dans quelle mesure cette crainte de ne pas prendre la bonne décision, de se retrouver devant les tribunaux, pour les fonctionnaires, pour les gens que vous représentez, c'est un problème?

Mme Gosselin (Anne) : Bien, je vous dirais très franchement là-dessus que les gestionnaires sont vraiment à la recherche de formations et d'outils justement pour pouvoir être en mesure de rendre une décision éclairée, d'être équipés pour pouvoir vraiment distinguer les situations où le motif religieux, il est démontré et objectivé, en tant que tel. Et je vois bien la difficulté que vous énoncez, d'où l'intérêt aussi qu'on participe au développement de cette formation-là. Ça nous permettrait aussi d'avoir une compréhension commune et éviter justement deux poids, deux mesures d'une organisation à l'autre, en tant que tel.

Je pense que c'est important. Mais je vous dirais que par ailleurs les gestionnaires sont préoccupés de bien faire leur boulot, de fournir le service adéquat, mais il reste que, dans nos conditions de travail, il est prévu aussi que l'employeur doit prendre fait et cause. Donc, c'est sûr que ce ne serait pas vraiment la... C'est, techniquement, la décision qui serait contestée, mais ce serait le ministère qui aurait à... ou l'organisme à défendre la position devant les tribunaux.

Mme Roy : Donc, je comprends de votre réponse que vous manquez d'outils pour le moment, même s'il existe un guide, puisque la démonstration est faite que deux employés de deux ministères ont pris des décisions différentes pour le même sujet, la même personne qui réclamait un service.

Par ailleurs, Bouchard-Taylor, recommandations, ça date de 2008. 2008, c'est long, là. J'aimerais savoir si vos gens, les cadres, et vos employés sont de plus en plus confrontés à des demandes d'accommodements religieux depuis... et là je ne parle pas d'accommodement raisonnable de façon générale, ne serait-ce qu'une rampe pour une personne handicapée, mais d'accommodements religieux. Depuis Bouchard-Taylor, est-ce que c'est une réalité qui entre davantage dans vos fonctions ou ça n'a pas bougé, c'est similaire, et il n'y en a pas plus, il n'y en a pas moins?

Mme Gosselin (Anne) : Bien, je vous dirais qu'à cet égard-là mon impression, c'est qu'on est à peu près dans les mêmes eaux. Puis je voyais d'ailleurs que les statistiques de la Commission des droits de la personne, au fil du temps, sont assez stables à cet égard-là, ce qui fait qu'on peut penser que c'est un portrait représentatif de la réalité, c'est assez stable. Il reste que c'est sûr que la médiatisation qui en est faite quand les journalistes sont saisis de ça donne un focus ou une ampleur, des fois, qui n'est pas réel par rapport au problème, en tant que tel, mais qui contribue à rendre peut-être les gens plus inquiets ou plus craintifs à cet égard-là.

Mme Roy : Pour le bénéfice des gens qui écoutent, quand vous dites : Les chiffres de la commission sont stables, ça ressemble à combien de demandes annuellement?

Mme Gosselin (Anne) : Je vous dirais que, de mémoire, les derniers chiffres qu'on avait regardés au cours des trois dernières années, c'était environ 3 % des demandes qui portaient sur le motif religieux, et, quand on regardait ça sur un espace-temps beaucoup plus élevé, soit une quinzaine d'années, on parlait d'environ 1 %.

Mme Roy : Sur combien de demandes?

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Anne Gosselin, Me Martine Doré et Mme Louise Labrecque, représentant l'Alliance des cadres de l'État.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, où elle poursuivra son mandat.

(Suspension de la séance à 13 heures)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Merlini) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes. Nous entendons cet après-midi les organismes suivants : le COR, qui veut dire communication, ouverture et rapprochement interculturel; la Fédération des établissements d'enseignement privé; Me François Côté; et le Congrès maghrébin du Québec.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Aucun nouveau remplacement.

Le Président (M. Merlini) : Aucun remplacement. Alors, je souhaite la bienvenue maintenant aux représentants du COR, communication, ouverture et rapprochement interculturel. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé et ensuite nous procéderons à la période d'échange avec Mme la ministre ainsi que les membres des partis d'opposition. Je vous invite donc à vous présenter, ainsi qu'avec les personnes qui vous accompagnent, et à commencer votre exposé. À vous la parole, et bienvenue à la Commission des institutions.

Organisme de communication pour l'ouverture
et le rapprochement interculturel (COR)

Mme Laouni (Samira) : Merci. Bonjour, M. le Président, Mme la ministre, MM. et Mmes les députés. Samira Laouni et Marie-Andrée Provencher, enseignantes en francisation des adultes. Je vous remercie de nous écouter une fois de plus, pour le projet de loi n° 62 cette fois-ci.

Nous sommes à la croisée des chemins pour préserver l'harmonie sociale au Québec. Afin de passer du vivre-ensemble au construire-ensemble, ce projet de loi doit être non seulement adopté, mais approuvé par la majorité des élus. Le nom du COR décrit son programme : communication, ouverture et rapprochement interculturel. C'est parce que nous déplorions le manque de relations entre les communautés, cause de beaucoup d'incompréhension, que nous avons fondé le COR. Nous sentions le besoin d'agir par le dialogue pour rapprocher les anciens Québécois des nouveaux, la majorité des minorités afin de construire ensemble un Québec interculturel, pluriel et inclusif.

D'abord, affirmons haut et fort que la neutralité religieuse de l'État est une condition sine qua non d'une société juste. En effet, cette neutralité garantit l'impartialité envers les croyants et les non-croyants. En particulier, le principe de la neutralité religieuse de l'État faciliterait l'embauche du personnel partout dans la fonction publique et parapublique. Seuls les mérites de la candidate ou du candidat guideraient les décideurs pour octroyer postes, nominations, subventions, récompenses, etc. La diversité étant ainsi reflétée dans tous les domaines de la vie publique, l'État deviendrait un donneur d'exemple pour les employeurs privés qui surmonteraient peut-être plus facilement leurs réticences à embaucher une personne différente. Ainsi, dans les écoles primaires et secondaires, la pluralité sociale doit être reflétée par le personnel des écoles. En effet, et je cite : «La crédibilité du discours sur l'ouverture à la diversité ethnoculturelle et religieuse s'appuie en bonne partie sur la visibilité de cette diversité parmi le personnel scolaire.» Vous aurez peut-être reconnu ici une citation de Mme Marois, alors qu'elle était la ministre de l'Éducation.

• (15 h 10) •

Aussi, la neutralité religieuse doit s'étendre au niveau municipal quand il y a une demande d'établir un lieu de culte. D'une part, c'est tout à fait raisonnable que des règles de zonage déterminent les utilisations du territoire au bénéfice de l'ensemble des citoyens, mais, d'autre part, il y a un accroc évident au principe de neutralité quand on décide de recourir à un référendum qui permet, par définition, à la majorité de dominer une minorité. Cependant, si nous comprenons bien le champ d'application du chapitre II, troisième paragraphe, nous craignons que les municipalités ne soient pas assujetties à cette loi. Si c'est le cas, nous le regrettons vivement.

Quant aux accommodements religieux, certains ténors médiatiques réclament, à cor et à cri, des balises pour ceux-ci, croyant peut-être sincèrement qu'ils mettraient un terme à des problèmes graves et fréquents dans les écoles, les hôpitaux ou d'autres milieux de travail. Comme l'objectif du COR aujourd'hui est le renforcement de la cohésion sociale, nous convenons que certaines balises peuvent y contribuer.

D'abord, la population devrait être mieux informée sur la loi des accommodements raisonnables et surtout sur le service-conseil offert par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour l'application de l'article 10 de la charte du Québec, destiné aux gestionnaires de tout ordre. Si ceux-ci étaient mieux formés à ce sujet, ils pourraient parfois prévenir des difficultés au lieu d'attendre que les conflits éclatent. Il est surprenant qu'on ait mis autant l'accent sur les accommodements religieux, alors que la Commission des droits de la personne avait déclaré que les plaintes relatives aux demandes d'accommodements religieux n'ont représenté qu'un pourcentage minime. En effet, de 2009 à 2013, la commission avait reçu 3 582 plaintes, dont 0,69 % pour des demandes d'accommodements religieux. Selon le rapport 2015‑2016, il y aurait une légère augmentation.

D'abord, il y a des principes intangibles, en particulier l'égalité femmes-hommes, qui est déjà inscrite dans la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Nous réclamons d'ailleurs une analyse égalitaire avant toute prise de décision dans toutes les instances gouvernementales.

D'après notre expérience sur le terrain, nous pouvons dire qu'il y a un certain degré de consensus dans quelques domaines. En effet, dans le domaine du travail, nous nous demandons s'il y a lieu d'avoir des accommodements religieux. Nous n'en voyons pas. Par exemple, un travailleur peut utiliser ses pauses comme bon lui semble, que ce soit pour fumer une cigarette ou pour dire une prière. Par contre, arrêter une chaîne de production ou interrompre un quart de surveillance, que ce soit pour fumer ou pour dire une prière, c'est également inacceptable.

Cependant, il y a la question des fêtes religieuses qui pose vraiment problème, mais pour laquelle il y aurait aussi des solutions. Il faudrait que quelques jours fériés à date fixe deviennent à date variable, donc des congés mobiles. Ainsi, un travailleur ou un étudiant serait libre d'utiliser ses jours de congé personnel comme il l'entend, entre autres pour célébrer une fête religieuse. L'équité exige que tous les Québécois bénéficient d'un même nombre de jours fériés, que tous les employés d'un même organisme aient droit aux mêmes nombres de jours de congé. En appliquant une telle solution, la journée de congé supplémentaire accordée par la Cour suprême le 23 juin 1994 à des enseignants de religion juive pour célébrer le Yom Kippour n'aurait plus lieu d'être. Mais il faut prévoir des règles permettant la bonne gestion des institutions, par exemple, écoles et hôpitaux. L'employé désirant se prévaloir d'un tel congé devrait prévenir sa direction un certain laps de temps à l'avance pour que celle-ci prenne les dispositions nécessaires pour que cette absence ne cause pas de problème. Évidemment, les institutions devraient fixer un pourcentage maximum d'absences pour ne pas nuire à la qualité des services.

Examinons maintenant l'alimentation dans les institutions, au sujet de laquelle on a lu des déclarations enflammées accusant des garderies et un hôpital de fournir des aliments halals et cachers à leurs usagers. Dans les établissements où l'on doit offrir des repas, par exemple les hôpitaux, les garderies, certaines écoles, il y aurait une solution bien simple : offrir un menu végétarien.

Passons aux nouvelles mesures proposées par ce projet de loi : lors de la prestation de services publics, avoir le visage découvert pour les donneurs ou les receveurs de services. Nous sommes conscients que ces balises n'affectent que des femmes musulmanes, elles qui ont tant souffert et souffrent encore des débats concernant prétendument la laïcité pendant ces dernières années. Cependant, nous les croyons nécessaires pour des raisons d'identification, de sécurité et de communication. Entendons-nous, il s'agit des moments où il y a une interaction entre le professionnel et l'usager ou l'usagère. Par exemple, si une femme séjourne dans un hôpital, l'obligation d'avoir le visage découvert n'est pas continuelle. Quant au patrimoine culturel, nous pensons qu'il faut le conserver tel qu'il est.

En conclusion, ne nous le cachons pas, certaines de ces mesures sont proposées pour atténuer des préjugés contre des Québécois musulmans. En effet, les attentats du 11 septembre, les conflits au Moyen-Orient, les actes terroristes atroces au nom d'un prétendu islam ont marqué un tournant décisif et changé dramatiquement la perception des Québécois à l'égard de leurs concitoyens musulmans. Alors que ce sont surtout des musulmans qui sont victimes des tueries, il n'en demeure pas moins que les Québécois musulmans, environ 3,8 % de la population, en sont directement et injustement affectés. En plus, des politiciens opportunistes, dans des buts électoralistes, ont exploité des craintes identitaires en s'ingéniant à faire peur au monde, selon une expression bien de chez nous.

La neutralité religieuse de l'État, en garantissant l'équité pour toutes et tous, va certainement contribuer à l'apaisement social, donc diminuer la discrimination à l'égard de plusieurs minorités ethnoculturelles. Non seulement ce projet de loi doit être adopté, mais il doit être accompagné de mesures de formation pour les gestionnaires et de sensibilisation pour la population. Il faut d'abord faire mieux connaître les outils qui existent déjà. Il faut aussi s'assurer de la compétence des enseignants qui donnent le cours d'éthique et de culture religieuse, car ils sont les principaux responsables de l'éducation à la neutralité religieuse des futurs citoyens.

Comme le dit Micheline Milot, codirectrice du Centre d'études ethniques des universités montréalaises — et je vais donner deux citations et je termine là-dessus — «la laïcité de l'État est inhérente au processus de construction de la démocratie». Et sa deuxième citation : «Il y a entrave à la laïcité de l'État lorsqu'il ne traite pas en toute égalité les différentes croyances et qu'il prétend pouvoir interpréter la bonne façon d'être un croyant.» Je vous remercie. M. le Président, à vous la parole.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, Mme Laouni, pour votre présentation, votre mémoire. À vous maintenant, Mme la ministre et députée de Gatineau. À vous la parole.

Mme Vallée : Merci beaucoup, mesdames. Merci de votre participation aux travaux de la commission. D'abord, j'aimerais vous entendre davantage sur les outils nécessaires dans le cadre d'une éventuelle adoption du projet de loi.

On a eu plusieurs groupes de représentants syndicaux qui ont milité pour la mise en place de guides pour accompagner les enseignants, pour accompagner les éducatrices en garderie, pour accompagner les membres, les gestionnaires de la fonction publique qui sont confrontés à des demandes d'accommodements religieux, disant que le guide de la commission des droits de la personne et de la jeunesse n'était peut-être pas suffisamment connu et nécessitait évidemment d'être mis à jour et d'être mieux adapté à la réalité, être plus simple, plus digeste peut-être. J'aimerais vous entendre, parce que, dans votre mémoire, une des recommandations formulées est de mettre en place une campagne de sensibilisation et de mettre en place également des mesures de formation. Donc, j'aimerais que vous puissiez élaborer sur ces deux aspects.

• (15 h 20) •

Mme Laouni (Samira) : Merci. Merci, Mme la ministre. M. le Président, donc, pour nous, c'est sûr, comme on l'a toujours dit à plusieurs reprises dans cette enceinte même, que le COR travaille pour vraiment rapprocher tout le monde, la majorité des minorités, et pour trouver des consensus, et pour pouvoir aller de l'avant et partir du vivre-ensemble puis passer au construire-ensemble d'un vrai Québec pour tous les Québécois et Québécoises, qu'ils soient ici depuis 400 ans ou qu'ils soient là depuis quatre ans, qu'ils soient sur le même piédestal.

Maintenant, pour ce qui est de la publicité, la campagne publicitaire, nous l'avons beaucoup de fois redit, on l'a demandée, on continue à la demander, cette campagne publicitaire là, parce que nous croyons que la sensibilisation de la population manque. La population aujourd'hui est dans un stress énorme à cause du travail, de la vie quotidienne de M. et Mme Tout-le-monde et qu'en rentrant à la maison on consomme un petit peu de télévision et puis on consomme un petit peu de médias qui veulent bien nous dire ce qu'ils veulent dire, et ce n'est pas toujours la vérité qui est dite par certains médias, pas tous heureusement.

Donc, dans ce cadre-là, si le gouvernement mettait en place une publicité comme celle, par exemple, des textos au volant, une publicité-choc qui va chercher vraiment la population et va prendre son regard, elle va vraiment la conscientiser sur cet état de choses là, nous pensons que ce serait la meilleure façon de sensibiliser la population, au-delà de faire des tournées, je dirais, des rencontres de cuisine, ainsi de suite. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas ça, ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas aller vers les gens, mais une publicité mise en place par le gouvernement aurait beaucoup plus d'impact. Et on va même plus loin que ça, nous avons demandé à ce qu'elle soit sur une longue période et qu'elle soit comme mesurable, au fur et à mesure que le temps passe, pour en calculer, en déterminer, en analyser l'impact qu'elle a sur la population. Cela nous permettrait de la réorienter vers la sensibilisation qu'on veut et qu'elle soit bien comprise et bien prise.

Pour ce qui est de la formation, oui, Mme la ministre, vous le dites très, très bien, c'est vrai, on a rencontré les gens de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, et, oui, ils ont beaucoup d'outils qui sont mal connus ou même méconnus, carrément. Est-ce que ça manque de vulgarisation? Peut-être. Est-ce que ça manque de liens, ou d'outils, ou de vecteurs pour les faire connaître, ces outils-là, qu'ils ont déjà mis en place? Peut-être aussi. Je ne suis pas spécialiste pour dire qu'est-ce qu'il manquerait exactement. Ce que je sais, c'est que, oui, il y a des outils, oui, que ces outils-là ne sont pas très bien connus surtout par les gestionnaires. Donc, peut-être qu'il faudrait organiser des formations.

Et d'ailleurs, justement, le COR avait organisé un colloque dans le cadre de la Semaine d'action contre le racisme le 3 avril dernier, et on a reçu un haut responsable de la commission des droits de la personne et de la jeunesse pour nous faire une présentation là-dessus, et justement c'est ce qu'il disait, il disait qu'ils ont les outils qui ne sont pas très, très bien connus. Et une des suggestions quand j'ai discuté avec lui, c'était de vulgariser peut-être les termes, dont vulgariser l'aspect technique, peut-être, que les gens n'arrivent pas à saisir comme ça du premier coup. Donc, ça serait dans ce sens-là.

Mme Vallée : Outre les outils qui existent, outre la documentation, le matériel qui a été préparé par la commission des droits de la personne et de la jeunesse, est-ce que vous verriez nécessaires la mise en place et la diffusion d'autres types d'information et d'outil pour permettre aux gens de déboulonner certains mythes? Et quels seraient les mythes qui devraient être déboulonnés?

Mme Laouni (Samira) : Écoutez... M. le Président, je pense qu'à chaque fois il faudrait qu'on... Alors, oui, il faudrait des outils pour vraiment aller toucher le plus de monde possible, que ce soit pour les enseignants, que ce soit pour les services de garde, pour...

Une voix : ...

Mme Laouni (Samira) : Pardon?

Une voix : ...

Mme Laouni (Samira) : ...les employeurs, justement. Pour tout le monde ça prend des guides, mais surtout que ce ne soient pas des guides sur des sites Web où on irait dans un ministère... sur un site d'un ministère pour aller chercher un coin quelque part et puis cliquer puis trouver, parce que c'est rare, les personnes qui vont aller chercher de l'information là-dedans. On s'entend bien? Il y a plein d'outils, des fois, sur les sites et qu'on ne va pas chercher.

Par contre, si on prend le temps d'organiser des formations, par exemple, tout en remettant l'outil aux responsables, je pense que l'information va descendre des plus hauts gestionnaires aux moyens, aux plus petits, ainsi de suite, et ça va se faire en cascade. Mais, si on s'attend juste à ce que les gens aillent chercher ça sur un site quelconque, je ne pense pas que ce soit vraiment... oui, c'est un outil parmi d'autres, mais il n'est pas aussi efficace qu'encore le papier aujourd'hui pour aller... et la formation en tant que telle.

Mme Vallée : J'aimerais maintenant vous entendre sur l'idée, que vous avez mise de l'avant, d'accorder une banque de congés mobiles aux employés. Une des solutions, pour vous, d'éviter de créer des droits supplémentaires pour certaines catégories d'employés serait de créer cette banque de congés mobiles là.

Comment, pratico-pratique, voyez-vous cette mise en oeuvre? Avez-vous un exemple plus particulier que vous pourriez nous donner? Parce qu'il y a dans certains milieux une variété importante de croyances religieuses. Et est-ce que cette banque de congés mobiles là ne pourrait pas constituer en soi une contrainte pour l'employeur et pour le bon fonctionnement de l'organisation ou de l'entreprise?

Mme Laouni (Samira) : M. le Président. Pour répondre à votre question, Mme la ministre, je dirais que, dans tous les milieux, qu'ils soient publics, parapublics, privés, il y a toujours des banques de congés personnels d'abord pour faciliter la chose. Si on commence par ce que les gestionnaires, les responsables, les employeurs doivent faire, c'est d'établir le seuil minimal de bon fonctionnement de l'organisation, qu'elle soit une entreprise, un ministère, n'importe quoi, une école, n'importe quoi.

Maintenant, une fois que c'est établi, que le ratio est établi, le ratio minimal est établi, on laisserait aux gens, on laisserait aux travailleurs de choisir, dans leurs banques de congés personnels, deux journées. Parce que, si je prends l'exemple de l'islam — c'est la religion que je connais le plus, même si je connais les autres — il y a deux jours de congé, il y a deux journées dont on a vraiment besoin : la journée de fin du mois de ramadan, qui clôture le mois de ramadan et qui est l'équivalent de Noël, et il y a la journée du sacrifice, qui est l'équivalent de Pâques. Donc, deux journées par année. Ces deux journées-là, si, par exemple... Je sais qu'à part pour ce qui est de l'enseignement, où il y a des congés fixes et qu'on ne peut pas bouger, à part ça, on pourrait, par exemple, au lien de prendre deux jours, pour le jour de Noël, de congé et deux jours pour le jour de l'An, on pourrait prendre une journée qui est statutaire pour tout le monde, mais, l'autre journée, on pourrait l'utiliser pour notre fête, par exemple. C'est un exemple.

Un autre exemple, c'est tout simplement que j'aille piger, que j'aille prendre ça dans mes vacances personnelles. Ça ne fait pas à l'employeur de payer plus, parce que c'est ma journée, j'ai le droit à cette journée-là. Advenant que je n'aie plus de journée dans ma banque personnelle, eh bien, je la prendrais sans paie, sans solde, tout simplement. C'est comme ça que je le vois, mais avec la condition que j'ai dite tout à l'heure, c'est de prévenir l'employeur à l'avance pour qu'il s'organise, et tout en respectant le seuil minimal du bon fonctionnement de la compagnie, de l'organisation, de l'enseigne, en fait.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Est-ce qu'il reste du temps?

Le Président (M. Merlini) : Oui, quatre minutes, Mme la ministre.

Mme Vallée : D'accord. Vous vous êtes exprimés sur l'importance de reconnaître la neutralité de l'État. Nous avons eu ici bon nombre de représentations. Certains considèrent que la reconnaissance que l'on retrouve au projet de loi est trop timide. D'autres souhaiteraient que l'on aborde de façon plus claire la laïcité de l'État. Donc, j'aimerais vous entendre sur ce positionnement, parce que — je prends la page 10 de votre mémoire — vous avez mentionné : «Affirmer officiellement le principe de la neutralité religieuse de l'État, donc réaffirmer la liberté de conscience et de religion, constituerait un pas de plus vers l'édification d'un Québec égalitaire, diversifié et interculturel.»

Donc, j'aimerais vous entendre quant aux autres moyens qui ont pu être proposés ici à cette commission depuis le début de nos consultations.

• (15 h 30) •

Mme Laouni (Samira) : M. le Président, Mme la ministre, pour nous, la neutralité de l'État se confond à la laïcité de l'État en ce sens que c'est séparer le religieux du pouvoir politique, de une, mais, de deux, c'est de reconnaître la liberté de conscience et de religion aussi. C'est le principe de la neutralité et de la laïcité.

Maintenant, en séparant les institutions de la religion, en ayant une impartialité de l'État vis-à-vis du religieux ou non-religieux, tout ça aiderait à avoir une équité et une égalité entre tout le monde, pour tout le monde. Mais, plus que ça, c'est que même la neutralité de l'État ferait en sorte qu'elle ne puisse pas dire qui est bon citoyen ou mauvais citoyen et jusqu'à quand son degré de religiosité est bon ou pas bon. C'est ça qu'on dit, parce que, oui, il faut séparer les institutions du religieux, ça, c'est certain, il ne faudrait pas que l'État ait à se mêler de ce qui est bon ou pas bon, religion ou pas religion, les degrés ou d'établir une hiérarchie là-dedans, mais, mieux encore, c'est que, comme toutes les libertés qui existent, il y a une liberté d'expression, et donc les individus auraient la liberté d'expression d'exprimer leur religion quand bon leur semble. Par contre, ils sont interdits de faire du prosélytisme. Ça, c'est très clair aussi dans notre esprit.

Mme Vallée : Bien, merci beaucoup.

Le Président (M. Merlini) : 1 min 20 s, Mme la ministre.

Mme Vallée : Ah! encore?

Le Président (M. Merlini) : Oui.

Mme Vallée : C'est super. Qu'en est-il maintenant pour... Nous avons fait le choix de ne pas assujettir les personnes en autorité aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor.

Est-ce que vous avez une préoccupation à cet égard? Parce qu'évidemment nous reconnaissons qu'il existe, à l'intérieur même des lois encadrant ce type de fonction là, des dispositions très claires, et j'aimerais vous entendre sur cette question.

Le Président (M. Merlini) : Vous avez une quarantaine de secondes.

Mme Laouni (Samira) : Bon. On avait déjà intervenu lors de la commission Bouchard-Taylor, justement, et on avait établi qu'on était d'accord avec ce consensus-là, parce qu'on croit que c'est un consensus qu'on a ressenti sur le terrain de par tous les Québécois et Québécoises, donc de part et d'autre, donc. Mais nous, on surligne, si vous voulez, le fait des jobs ou des responsabilités, je dirais, à caractère coercitif. C'est très important. Ce n'est pas juste l'autorité, ce n'est pas juste en autorité, parce que les parents ont une autorité aussi sur leurs enfants jusqu'à un certain âge.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, Mme Laouni. Le temps du gouvernement étant écoulé, je me tourne maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau, la parole est à vous pour votre bloc d'échange.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, les gens du COR. Mme Provencher, Mme Laouni, bienvenue. Bien, on va continuer, ça va permettre de... J'allais justement échanger là-dessus, moi aussi. Quand vous êtes venus sur le projet de loi n° 60 du temps du gouvernement du Parti québécois, vous aviez effectivement dit que vous étiez d'accord pour l'application de Bouchard-Taylor, donc vous êtes d'accord pour les juges, gardiens de prison et policiers, personnes en situation d'autorité, pouvoir de coercition direct.

Est-ce que vous seriez d'accord pour qu'on l'inscrive dans cette loi pour que ce soit clair pour tout le monde?

Mme Laouni (Samira) : M. le Président, Mme la députée, tout à fait. On maintient notre position, puisque pour nous on cherche la cohésion sociale. Donc, on a senti sur le terrain que c'est quelque chose qui fait quasi unanimité, mais je resouligne le fait que ce soient des emplois à caractère coercitif — c'est très important — pas seulement en autorité. C'est le caractère coercitif, comme vous l'aviez bien mentionné, les juges, la police et les gardiens de prison. On est d'accord.

Mme Maltais : Donc, je dirais, vous pouvez avancer jusque-là, mais, Bouchard-Taylor, c'était ça exactement, là, ce n'était pas en dehors de ça. Il y a eu un débat ensuite sur les enseignants, enseignantes, le port du hidjab, et tout, mais je comprends qu'au moins on s'entend sur le minimum qui est là-dessus.

Mme Laouni (Samira) : Tout à fait.

Mme Maltais : Très intéressant. Merci. Il y a un autre mémoire aussi qui a été présenté, de la Fédération autonome de l'enseignement, qui disait un peu la même chose que vous. Je veux bien comprendre que c'est la même chose, c'est-à-dire que, les congés religieux, si des gens veulent prendre un congé pour une activité religieuse, qu'ils le prennent à l'intérieur de la banque déjà établie de congés et que ce soit à travers la convention collective. La Fédération autonome de l'enseignement nous disait ça. C'est un peu l'esprit que vous avez?

Mme Laouni (Samira) : M. le Président, c'est exactement ça qu'on a dit. On a dit que, si on ne peut pas... parce que, pour les enseignants et enseignantes, je l'ai bien souligné, je comprends qu'il y ait des congés bien établis, qu'on ne peut pas les rendre mobiles ou pas mobiles. Donc, ça, c'est clair et net pour nous. Mais, pour ce qui est de la banque des congés individuels, on peut puiser nos congés dans cette banque-là, et il n'y aurait pas question d'aller chercher ailleurs.

Mme Maltais : On retrouve un peu l'esprit de la FAE à ce moment-là. Il y a un autre mémoire qui nous a amené ça. Par contre, il y a quelque chose qui m'étonne : vous dites en page 7 que la façon de régler les problèmes d'alimentation religieuse, c'est... je vais le simplifier, là, mais vous dites : «Dans les établissements où l'on doit offrir des repas aux usagers, par exemple les hôpitaux, les garderies, certaines écoles, il y aurait une solution bien simple : offrir un menu végétarien.» Donc, la majorité devrait se soumettre à la minorité dans ce cas-là. Comment ça fonctionne? Parce que moi, je ne suis pas d'accord. Je veux comprendre, parce que simplifier comme ça, c'est peut-être un peu gros.

Mme Laouni (Samira) : Je laisserais la parole à Mme Marie-Andrée Provencher.

Le Président (M. Merlini) : Mme Provencher.

Mme Provencher (Marie-Andrée) : Un menu, ça veut dire... normalement, quand on offre un buffet, une cafétéria, il n'y a pas un plat exclusif. Donc, un choix parmi d'autres.

Mme Maltais : Oui. O.K. Mais, dans les centres de la petite enfance, par exemple, il y a un repas qui se fait.

Mme Provencher (Marie-Andrée) : Ah! s'il n'y a qu'un repas qui se fait, l'enfant ne prend pas tous ses repas dans le centre de la petite enfance, donc, bien, non.

Une voix : ...

Mme Provencher (Marie-Andrée) : Bien oui. Donc, ils mangeront autrement en d'autres temps. Je parle dans un milieu mixte, évidemment, dans un milieu où le problème se présenterait.

Mme Maltais : Donc, il ne s'agit pas d'accommoder la personne qui a un besoin religieux, mais de plier l'ensemble aux besoins d'une personne. Vous vous rendez compte de ce que vous êtes...

Mme Provencher (Marie-Andrée) : Je ne pense pas qu'on veuille l'imposer, je pense qu'on veut l'offrir.

Mme Maltais : Enfin, écoutez, je veux juste vous dire que ce que sont venus nous dire les centres de petite enfance, c'est que c'est beaucoup plus facile d'accommoder une personne qui a un besoin comme ils accommodent pour des aliments que d'imposer à tout le monde, là...

Mme Provencher (Marie-Andrée) : Pourquoi pas?

Mme Maltais : Ça ne semble pas facile pour les CPE et garderies. Écoutez, je vous le dis comme ça, ce n'est pas vraiment une solution qui nous semble envisagée de la part des CPE, des garderies, et tout. Ça a fait l'objet d'un débat une fois.

L'autre chose, en page 9, vous dites : «...il faudrait que, sinon toute la population, du moins les personnes en autorité connaissent les dates des fêtes incontournables des minorités largement représentées ici afin d'éviter d'organiser, par exemple, une séance de conseil municipal ce jour-là.» Écoutez, là, ça devient... Moi, je crois à l'État laïque. Le pas qu'on fait ici, dans la loi, c'est dire, bon, un minimum : Neutralité religieuse. Mais là ça devient toutes les autorités qui devraient se plier aux fêtes religieuses? Ça n'a pas de bon sens, là, dans la façon dont je le comprends.

Ceci dit, il y a quelque chose de bien dans votre mémoire, c'est que je comprends que la loi devrait soumettre les municipalités à ça.

Mme Laouni (Samira) : M. le Président, ce qu'on voulait dire, nous... on n'a rien à imposer à personne, rien du tout, c'est des propositions qu'on fait...

Mme Maltais : On jase.

Mme Laouni (Samira) : ...mais, pour ce qui est de ce que vous dites, que les responsables connaissent minimalement les autres fêtes, ça, je pense que c'est juste du bon sens, c'est juste connaître l'autre dans toute sa dimension, et cela n'enlève rien du tout à ses responsabilités. Si vous savez que les musulmans ont deux jours de fête obligatoires, ça rajoute juste une connaissance. Ça vous rajoute juste une connaissance, pas plus que ça. Pourquoi on disait qu'il fallait les connaître? C'est juste, par exemple, parce qu'il y a eu... ce problème s'est posé, il y a eu des réunions, des convocations pour des musulmans le jour de l'Aïd, le jour de la fête du sacrifice et il y a eu des conseils municipaux qui se sont tenus des journées où c'était une journée fériée pour ces personnes-là.

Donc, juste par respect, dans la mesure du possible, je redis et je reviens encore à ce que j'ai dit tout à l'heure, en maintenant un seuil de bon fonctionnement, le seuil pour un bon fonctionnement, c'est là où on pourrait établir ces choses-là, mais juste pour le bon sens.

Mme Maltais : Bien là, ça devient...

Le Président (M. Merlini) : Deux minutes, Mme la députée de Taschereau, deux minutes.

• (15 h 40) •

Mme Maltais : Deux minutes. Oh! il ne me reste plus beaucoup de temps.

Enfin, c'est que ça devient, encore une fois... on sort très loin de la neutralité religieuse, on devient une espèce d'agencement des choses. Il y a une limite qui est de passer de l'autre côté, qui est de tout agencer en fonction du religieux, qui justement est supposé être en dehors des décisions des élus. Moi, je ne suis pas supposée décider en fonction du phénomène religieux.

Mme Laouni (Samira) : M. le Président...

Mme Maltais : Je veux comprendre, là. Ça fait qu'à quel moment on traverse de l'autre bord? À accommoder... un peu d'accord, mais c'est sûr que, si je fais une assemblée où je veux parler, par exemple, du phénomène religieux, je vais m'organiser pour que ça ne tombe pas, ce soir-là, sur une date où des gens intéressés par le sujet ne puissent pas venir. Mais il faudrait que ça soit une assemblée qui concerne ces gens-là, les gens qui ont le phénomène religieux à coeur.

Mme Laouni (Samira) : M. le Président. Je comprends votre préoccupation, Mme la députée. La seule chose que je dis, c'est que c'est du bon sens. Si on veut la cohésion sociale, ça prend connaître l'autre dans toute sa dimension et l'accepter dans toute sa dimension.

Ceci étant dit, cela ne nous oblige pas à arrêter le travail, s'il y a une réunion importante, à cause de la fête d'un tel ou d'une telle, mais, quand il y a une majorité qui va être absente, je pense que le minimum, c'est de chercher... Et le Doodle existe aujourd'hui, et puis c'est comme ça qu'on fait toutes nos réunions.

Mme Maltais : J'avais une dernière question, simplement, on va être rapide. Parce qu'on a plusieurs groupes qui sont venus puis ils nous disent, en général : On représente tant de personnes, tant de personnes. Il y a combien de membres dans le COR? Parce que je suis allée sur votre site comme pour tous les autres groupes et je ne l'ai pas vu.

Mme Laouni (Samira) : On n'a pas mis le nombre de membres, parce que d'abord on ne perçoit aucun membership de nos membres. Et puis tous les gens qui viennent à nos conférences sont considérés nos membres et ils sont considérés sympathisants, et on leur envoie un courriel pour leur demander s'ils acceptent d'être membres et sympathisants du COR, et ils répondent par courriel que oui. Nous en avions une cinquantaine.

Mme Maltais : Merci.

Mme Laouni (Samira) : Avec plaisir.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Taschereau. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci. Merci pour votre présence, merci pour votre mémoire. C'est notre deuxième journée d'audiences. Vous êtes les premiers intervenants qui nous disent d'entrée de jeu : Oui, nous sommes pour le projet de loi n° 62, pour son adoption, en fait, une adoption sans réserve, telle quelle, parce qu'il n'y a pas de modification que vous nous demandez. Cependant, nous, on veut se demander si on peut bonifier ou faire des amendements.

Vous avez très bien ouvert la porte à une possibilité, en fait, à l'effet que vous ne seriez pas contre la recommandation de Bouchard-Taylor à l'effet d'interdire le port de signes religieux mais uniquement, là, aux personnes décrites en position d'autorité coercitive : juges, procureurs de la couronne, policiers et gardiens de prison, point. Ça, c'est ça que Bouchard-Taylor disait. Dans cette foulée, vous nous dites... et j'ai pris des notes pendant que vous parliez, vous avez dit : Laïcité et neutralité se confondent. Le projet de loi ne parle que de neutralité.

Moi, je me posais la question : Est-ce que vous seriez à l'aise, si vous dites que la laïcité et la neutralité se confondent, est-ce que vous seriez à l'aise avec le fait d'incorporer, dans le projet de loi n° 62, le concept également de laïcité... qui, pour d'autres, sont deux concepts différents?

Mme Provencher (Marie-Andrée) : C'est que, pour nous, notre conception de la laïcité se confond avec notre conception de la neutralité religieuse de l'État. Alors, pour nous, ça inclut la liberté de conscience et de religion, y compris la liberté d'exprimer sa croyance ou sa non-croyance, la séparation de l'État et des institutions religieuses, donc églises, etc., et l'impartialité de l'État à l'égard des croyants et des non-croyants. Mais nous croyons que c'est plus rassembleur d'utiliser le terme «neutralité religieuse de l'État», parce que je pense qu'il y a des gens qui ont une conception différente de la nôtre... de la laïcité. Et je pense que les débats sur «en quoi consiste la vraie laïcité?» ont duré pendant quelques années et ça risquerait de les ramener, tandis que, «neutralité religieuse de l'État», bien, je pense que tout le monde a la même définition.

Mme Roy : ...respectueusement qu'il y a plusieurs groupes qui n'ont pas la même définition. Alors, je comprends...

Mme Provencher (Marie-Andrée) : De la neutralité religieuse de l'État?

Mme Roy : De la neutralité et de la laïcité. Alors, ma question était : Est-ce que vous seriez pour introduire le mot «laïcité» dans ce projet de loi?, et je comprends par votre réponse que, pour vous, ce n'est pas nécessaire de mettre «la laïcité». C'est ce que je comprends.

Une voix : Exact.

Mme Roy : D'accord. Autre question. J'ai pris des notes lorsque vous parliez. Vous disiez : Il est surprenant que l'on mette autant l'accent sur les accommodements religieux. C'est ce que fait le projet de loi n° 62. À son article 10, on parle, et c'est écrit en haut de la section III, «Accommodements religieux».

Vous pensez quoi du fait qu'on ne parle plus maintenant d'accommodements raisonnables — parce que, c'est l'origine de tout ça, ce sont des accommodements raisonnables — et que, là, maintenant, le projet de loi n° 62 parle strictement d'accommodements religieux? J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Laouni (Samira) : On l'a dit, M. le Président, on l'a dit à la fin, dans notre conclusion, justement, que, oui, il y a eu une cristallisation, justement, depuis 2006.

Avec votre ancienne formation, il y a eu comme une cristallisation des accommodements raisonnables qui a abouti, par la suite, sur des accommodements religieux. Il y a une confusion sur le terrain qui est quasi présente entre ce qui est accommodement religieux versus ce qui est accommodement raisonnable, on mélange tout. Donc là, je pense qu'il est très important de définir séparément les deux, de parler séparément des deux, mais on sait très, très bien, et on l'a dit en conclusion, que ce projet de loi là vient pour rétablir une certaine cohésion sociale. Après le 11 septembre, après tout ce qui se passe, après ce qui se passe aujourd'hui au Moyen-Orient avec toute cette radicalisation menant à la violence, avec tout ce qui se passe aujourd'hui, c'est vrai que les gens, les Québécois et les Québécoises ont beaucoup plus peur. Avec ce que certains médias apportent aussi, il y a une peur de l'autre qui s'est installée, alors que les Québécois de confession musulmane ne veulent qu'une chose, c'est de vivre, parce qu'ils sont les premières victimes de toutes ces atrocités-là.

Mme Roy : En conclusion, parce que j'ai très peu de temps, je vous amène à la page 9. Vous élaborez des moyens, entre autres, si le projet de loi était adopté, bon, des outils et vous nous dites en bas de la page 9, en toute fin de paragraphe : «Il faut aussi s'assurer de la compétence professionnelle des enseignants qui dispensent [les] cours d'éthique et de culture religieuse, car ils sont les principaux responsables de l'éducation à la neutralité religieuse des futurs citoyens.»

Donc, il faut s'assurer de la compétence professionnelle des enseignants. Selon vous, est-ce qu'il y a un manque de compétence actuellement dans la prestation de services de ces cours-là?

Mme Laouni (Samira) : Marie-Andrée.

Mme Provencher (Marie-Andrée) : Nous espérons qu'ils sont compétents, et ça serait une bonne chose de s'en assurer.

Le Président (M. Ouellette) : Et, sur ces bonnes paroles — Mme Marie-Andrée Provencher, Mme Samira Laouni, représentant le COR, communication, ouverture et rapprochement interculturel, merci d'être venues déposer en commission — je suspends quelques minutes. Je demanderais à la Fédération des établissements d'enseignement privés de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 15 h 48)

(Reprise à 15 h 51)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant la Fédération des établissements d'enseignement privés et son président, M. Jean-Marc St-Jacques.

M. St-Jacques, vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, et après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. À vous la parole, M. St-Jacques.

Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP)

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Merci, M. le Président. Alors, comme vous le disiez, je suis Jean-Marc St-Jacques, président de la fédération, et, dans mes temps libres, je suis le directeur général du collège Bourget, à Rigaud. À ma droite, M. Philippe Malette, qui est directeur aux services de l'administration des écoles à la fédération, et, à ma gauche, M. Patrice Daoust, directeur des services complémentaires, aussi à la fédération, pour l'ensemble des établissements.

M. le Président, Mme la ministre, MM. et Mmes les députés de l'Assemblée nationale, nous vous remercions d'abord de l'invitation à venir témoigner à cette commission parlementaire. Juste vous rappeler que la fédération représente actuellement 192 établissements de niveaux préscolaire, primaire, secondaire, d'adaptation scolaire, autour de 110 000 élèves au Québec sur à peu près les 125 000, 130 000 qu'il y a au secteur privé.

Nos établissements sont des organismes à but non lucratif qui font partie à part entière du système d'éducation québécois. Certains reçoivent des subventions qui représentent environ 40 % de leurs revenus, et nous comprenons qu'ils soient inclus dans ce projet de loi là. Les membres de la fédération sont répartis dans différentes régions du Québec et ils représentent aussi bien la diversité québécoise. Ils accueillent des élèves qui n'ont pas de religion autant que des élèves de confessions religieuses différentes. La majorité de nos établissements sont francophones, mais certains sont anglophones, certains sont bilingues, voire trilingues.

Nous avons mené, en 2010, une enquête auprès de 44 000 jeunes des écoles secondaires membres de notre fédération, et ça nous a révélé que nos effectifs scolaires sont similaires à l'ensemble des élèves québécois en matière de croyances religieuses. La fédération, en même temps, ne peut pas faire abstraction de son histoire, marquée par les communautés religieuses, toutes confessions confondues. L'histoire de certains de nos membres remonte au début même de la colonie; l'école des Ursulines, par exemple, ici, à Québec, du régime français. Cette histoire fait non seulement partie du patrimoine architectural, mais aussi des projets éducatifs et de la gouvernance de certains établissements. Les écoles fondées par des communautés religieuses se sont adaptées à la réalité du Québec du XXIe siècle, mais elles sont fières de la tradition dont elles sont issues et tiennent à ce que les jeunes Québécois connaissent cette tradition. Mais il faut dire aussi que nous avons plusieurs établissements qui sont de tradition laïque qui ont été fondés dans la fin des années 50, des années 60... qui sont de tradition laïque et de culture laïque.

Dans le mémoire que nous avons déposé, nous avons exprimé notre appui à l'essentiel du projet de loi tout en soulevant certains aspects qui pourraient poser problème si les gestionnaires ne sont pas bien outillés pour y faire face et nous nous sommes concentrés principalement sur le chapitre III.

Nous sommes en accord avec la notion de recevoir et de donner des services à visage découvert. Toutefois, nous enjoignons la ministre à se limiter à cette expression de la foi. Il y a des élèves et parfois des membres du personnel ou de la direction qui portent le hidjab, l'habit, la kippa. Aller plus loin provoquera inévitablement dans nos maisons une onde de choc, alors que cette réalité se vit sans problème significatif.

Par ailleurs, la fédération tient à souligner qu'il pourrait surgir des difficultés dans l'application de cette disposition de la loi si le gouvernement n'offre pas des outils pratiques aux gestionnaires, des balises qui encadrent ces modalités-là. Comment doit réagir, par exemple, une direction d'école si un élève se présente en classe avec le visage couvert? Comment doit-elle réagir si un parent se présente, à une rencontre avec les enseignants, à visage couvert? Il serait important donc de fournir aux directions d'école des directives claires quant aux procédures à suivre dans de telles situations. Ces directives officielles aideraient à préserver la relation entre l'école, l'élève et le parent, essentielle à la réussite de l'élève. Et je soumettrais peut-être un exemple boiteux : prenons la loi sur l'interdiction de la cigarette sur les campus. Ça a été beaucoup plus facile pour nous quand c'était clairement indiqué c'était quoi, la loi, c'était quoi, les balises, et là, à ce moment-là, on pouvait travailler beaucoup plus facilement et la gérer. Bon, ici, c'est beaucoup plus complexe, on s'entend, que de dire : Vous ne fumez plus sur un campus.

En ce qui a trait aux accommodements raisonnables ou religieux, il est important de laisser la flexibilité nécessaire aux établissements pour qu'ils puissent prendre les bonnes décisions dans l'intérêt de l'élève. Il faut garder à l'esprit que la relation maître-élève est un élément-clé de la réussite éducative et que des absences répétées peuvent avoir des conséquences directes sur la réussite éducative. Donc, je reprendrai peut-être dans les questions ce que j'ai entendu tantôt, mais ça rejoindrait ce qu'on veut dire, et surtout que l'année scolaire est balisée : on ne peut pas la commencer avant telle date et on sait qu'à telle date les examens du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur nous arrivent.

En lien avec la charte des droits de la personne, les analyses jurisprudentielles nous démontrent la nécessité pour les organismes de s'adapter à la nouvelle réalité québécoise. Nous retrouvons, d'ailleurs, dans le projet de loi déposé par la ministre les exigences auxquelles font face nos établissements en matière d'accommodement raisonnable. Bien que ces exigences soient de plus en plus définies selon différents paramètres établis, nous souhaitons souligner à la ministre qu'en milieu scolaire il est essentiel de garder en tête que l'intérêt premier est celui de l'élève. Ainsi, lors d'une demande d'accommodement, les écoles suivent un mécanisme qui limite les possibilités afin d'assurer que l'élève et sa réussite éducative demeurent la priorité. Les directions d'école ont besoin de flexibilité pour que l'intérêt de l'élève passe en premier. Et il faut dire qu'on n'a pas de problème majeur là-dessus actuellement.

J'arrêterais là pour tout de suite. Je vous remercie de votre accueil, et nous aurons l'occasion justement d'aller plus en profondeur à partir de vos questions. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci, messieurs, de votre présentation.

Je vais aborder la question des guides et des outils pouvant être mis à la disposition des établissements et des enseignants. Vous n'êtes pas les premiers à nous indiquer le besoin de mieux outiller le personnel qui reçoit une demande d'accommodement, de mieux outiller les gestionnaires qui devront appliquer le projet de loi.

Il existe actuellement un guide qui a été publié par la commission des droits de la personne et de la jeunesse. La connaissance de ce guide-là, elle est variable. On se rend compte que, malgré, nous, notre connaissance, en tant que parlementaires, de l'existence du document, ce n'est peut-être pas tout le monde qui, sur le terrain, a eu l'occasion de se familiariser avec le guide et de l'utiliser.

Je me demandais si, au sein de vos établissements, ce guide-là était utilisé, et utile, et connu.

M. Malette (Philippe) : Le guide en lien avec la Commission des droits de la personne, je vous dirais que nous le consultons, mais nous, à l'interne, à la fédération, nous avons fait un guide pour nos établissements spécifique, en lien aux exigences qu'ils peuvent rencontrer. Le guide a été fait en 2009, aurait peut-être besoin d'un petit rafraîchissement, mais, en grandes lignes, ça couvre généralement les courants jurisprudentiels qu'on retrouve. Puis c'est un guide qu'on a essayé de rendre le plus pratique possible pour les directions de nos établissements. Aussi, en 2007, vous le savez aussi bien que moi, au ministère de l'Éducation, il y a eu des travaux qui ont été faits à cet effet-là. En tant que fédération, nous avons participé également à ces travaux-là.

Donc, je vous dirais, sans s'en tenir directement au guide de la Commission des droits de la personne, nous avons été en mesure de travailler sur différents guides également, mais on est au courant du guide de la Commission des droits de la personne. De là à dire s'il est tout le temps utilisé par nos membres, je vous dirais que probablement que non. Mais nos outils sont adaptés en fonction, également...

M. Daoust (Patrice) : ...Jusqu'où va la liberté d'expression?, pour justement être en mesure de gérer les situations qui pouvaient se présenter dans les classes ou à l'extérieur des classes.

Le Président (M. Ouellette) : Juste avant, Mme la ministre, juste pour les besoins des gens qui nous suivent... M. St-Jean, vous nous avez fait des beaux petits signes, mais c'était M. Daoust qui vient de terminer son intervention.

Mme la ministre. Le signe, c'est parce que ça ne rentre pas à l'audio, hein?

Mme Vallée : Donc, je comprends que vous avez déjà un certain nombre de formulaires, de guides qui sont mis à la disposition de vos membres.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Ce qu'on pourrait rajouter, Mme la ministre, c'est que, oui, on a ces choses, mais on pourrait travailler en concertation justement avec le ministère de l'Éducation, votre ministère, les commissions scolaires pour voir si ces guides-là répondent entièrement aux exigences de la loi, les baliser, par exemple. Ou, si on est placé dans des situations... les congés religieux pour les membres du personnel, bon, on se limite à dire : Bien, vous avez — comme on a entendu tantôt — une banque de congés, prenez-les là-dedans. Mais les écoles ne sont pas certaines, parce que chacun des établissements est autonome, chacun des établissements n'a pas un consulteur juridique pour être sûr qu'il fait bien, donc elles font référence à la fédération, mais, si on pouvait étoffer davantage ces guides-là pour qu'on puisse fonctionner... Parce qu'on ne sent pas de problème majeur, dans nos établissements, là-dessus. Il faut être honnête, là.

• (16 heures) •

Mme Vallée : D'accord. Quels sont les principaux défis auxquels... Outre les demandes de congé par les membres du personnel, est-ce qu'il y a d'autres enjeux chez vous qui constituent un défi?

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Je pourrai demander tantôt de compléter, mais, à premier abord, selon ce qu'on entend des membres de nos établissements, on... j'allais dire, les accommodements religieux ou les accommodements raisonnables ne sont pas le premier des défis actuellement, on était davantage sur les défis des élèves à besoins particuliers, de la réussite éducative, de l'amélioration de nos bâtiments pour tenir compte des exigences. Vraiment, on est centrés là-dessus. Mais il y a peut-être des éléments que je possède moins. Je vais demander à l'un ou l'autre... M. Malette, vous aviez...

Le Président (M. Ouellette) : M. Provencher. Ah! non. M. Malette. Excusez.

M. Malette (Philippe) : Il n'y a pas de problème, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : M. Provencher; là, je ne sais pas où...

M. Malette (Philippe) : ...il n'y a aucun problème.

Le Président (M. Ouellette) : Non. C'est bon.

M. Malette (Philippe) : Écoutez, pour répondre spécifiquement à votre question, la question que je pourrais dire qui nous revient le plus souvent... mais, encore là, là, je veux peser mes mots, parce que ce n'est pas une question qui vient régulièrement, là, à l'occasion, on peut avoir des questions de nos établissements à savoir qu'est-ce qu'on fait si une élève se présente avec un voile, mais je vous dirais que c'est peut-être une ou deux fois par année qu'on a cette question-là. Et nos établissements sont très bien capables de gérer cette situation. Ils veulent juste s'assurer que leur position ou la direction qu'ils vont prendre dans leur décision est convenable et correcte, mais, je vous dirais, on n'a pas une tonne de questions en lien avec ce questionnement-là.

Mme Vallée : D'accord. Vous avez...

Le Président (M. Ouellette) : M. Daoust.

Mme Vallée : Oh! d'accord.

Le Président (M. Ouellette) : Excusez. M. Daoust, en complémentaire.

M. Daoust (Patrice) : Excusez-moi. Et, naturellement, dans le projet de loi, bien, on va un petit peu plus loin, où on parle, justement, sur la question de recevoir le service, donc, forcément, pour les parents qui, eux, peuvent parfois être à visage couvert dans certains établissements. Donc, c'est ces balises-là, en quelque sorte, là, qu'on aurait peut-être besoin d'avoir un éclaircissement.

Mme Vallée : D'accord. À la recommandation 3 de votre mémoire, vous mentionnez que la fédération souhaite que «le gouvernement laisse la latitude nécessaire aux établissements d'enseignement privés pour gérer [les] demandes tout en respectant les cinq recommandations prescrites par la Loi sur l'instruction publique».

Pourriez-vous préciser à quelles recommandations vous faites référence spécifiquement? J'étais dans la loi et je tentais de les retrouver.

M. Daoust (Patrice) : C'est dans le...

Le Président (M. Ouellette) : M. Daoust.

M. Daoust (Patrice) : Oui. Vous avez ça à la page 10 du projet de loi, donc, les cinq recommandations qui y sont, alors, l'obligation de fréquentation scolaire, les régimes pédagogiques établis par le gouvernement, le projet éducatif de l'école, la mission de l'école, qui est d'instruire, socialiser et qualifier, et la capacité de l'établissement de dispenser aux élèves les services éducatifs prévus par la loi.

Mme Vallée : Ça, il s'agit des mesures, des éléments prévus à l'article 12, mais j'étais sous l'impression que votre recommandation suggérait de s'en remettre également à d'autres dispositions. Donc, vous reprenez ces dispositions-là.

M. Daoust (Patrice) : Exact.

Mme Vallée : D'accord. Donc, lorsque vous demandez une certaine latitude, à quoi faites-vous référence de façon plus précise? À partir du moment où ces cinq éléments sont prévus, sont issus et proviennent des fondements de la Loi sur l'instruction publique, vous dites : Oui, on est prêts à respecter ça, j'ai de la difficulté à comprendre la portée de votre recommandation 4, où vous nous dites : De nous laisser la latitude. Je crois que le projet de loi ne propose pas ou n'oblige pas aux établissements d'autres éléments ou d'autres critères que ceux que vous avez identifiés et qui font partie de votre mémoire. Ou ça peut être une interprétation d'un autre article. Mais je tente de comprendre la portée de votre recommandation 4.

M. Daoust (Patrice) : Oui. Elle est en lien avec... on sait qu'il pourrait y avoir des amendements possibles, ou quoi que ce soit. Donc, ça devient un peu plus contraignant. C'est certain que, comme on l'a mentionné en préambule, il pourrait y avoir une onde de choc un peu plus grande à ce niveau-là.

Mme Vallée : D'accord. Donc, votre recommandation n'est pas en lien avec le projet de loi tel que rédigé, mais quant à d'éventuels amendements qui pourraient être suggérés.

M. Daoust (Patrice) : Exact.

Mme Vallée : D'accord. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Monsieur... Pourquoi j'ai «Provencher» en tête? M. Malette. Excusez.

M. Malette (Philippe) : Il n'y a pas de problème. Si je peux juste compléter le discours de mon collègue. Dans le fond, c'est qu'on vient dire : Dans un milieu scolaire, il y a... puis M. St-Jacques en parlait tout à l'heure, dans le milieu scolaire, il y a quand même des contraintes qu'il faut prendre en considération et qu'ultimement c'est l'élève qui doit bénéficier du service, au bout de la ligne. Ça fait que, dans le fond, qu'est-ce qu'on voulait dire, c'est simplement de... les établissements, lorsqu'ils auront à prendre des décisions, ils veulent avoir la flexibilité de prendre... de dire : Au bout de la ligne, est-ce que c'est bénéfique ou non pour l'élève? Et c'est un peu ça, dans le fond, qu'on voulait souligner, là, qu'éventuellement, s'il y a des modifications, de le prendre en considération.

Mme Vallée : Puis, de toute façon, vous êtes contraints de respecter la Loi sur l'instruction publique. Donc, déjà, la Loi sur l'instruction publique impose un certain nombre de paramètres auxquels vous êtes assujettis, la fréquentation scolaire, elle est là. Donc, permettre à un élève, par exemple, de s'absenter sur une base trop régulière pourrait aller à l'encontre même des dispositions de la loi. C'est un petit peu le message que vous nous lancez.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Tout à fait, Mme la ministre. Et on a aussi... par exemple, prenons les calendriers... ou les horaires des examens du ministère de l'Éducation, qui sont très balisés : c'est le 3 juin à 9 h 30, et la durée de... Si c'est le mois du ramadan, bien, je n'ai pas d'accommodement à donner, là. L'examen est là, l'élève doit prendre les conséquences et le sommeil où il va le trouver pour se préparer adéquatement à l'examen. Je pense que l'école, quand... et on ne demande pas de souplesse sur ça, c'est beaucoup plus sur... À aller, par exemple, dans l'alimentation, on n'a pas de problème là-dessus, parce que c'est des cafétérias d'école. On sait qu'il y a toujours plus qu'un menu. De toute façon, avec la quantité d'allergies, il faut toujours prévoir une série de menus pour tenir compte de tout cela. Ça, ce n'est pas de l'accommodement raisonnable, ça, ça va de soi, là. Mais c'est plus dans... si un parent disait : Au nom, par exemple, de ma religion, je ne veux pas que mon enfant aille au cours d'éthique et culture religieuse. Désolé, c'est un cours d'obligation et... Ou : Je ne veux pas qu'il lise tel roman. Désolé. C'est : on a déjà cette souplesse-là de dire : Non, ce roman-là, c'est celui qui est prévu dans le programme que... ça va être là, là, tu sais. Ou : Je ne veux pas que mon enfant soit à la fête de l'Halloween. Bien, il n'y sera pas si vous voulez, mais, si c'est pendant les heures de l'école, il y aura une fête de l'Halloween. Tu sais, je veux dire, on a déjà ces moyens-là, dans le respect des lois, bien sûr.

Mme Vallée : Et, actuellement, ce que je comprends de votre présentation, c'est que, ces demandes qui vous sont présentées actuellement sans balise particulière, vous arrivez quand même à naviguer à travers ça. C'est certain que de vous outiller davantage serait plus pratique et certainement utile.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Ce qu'on voit actuellement, Mme la ministre... effectivement, on sent ça, mais supposons qu'il arriverait justement des personnes à visage couvert ou des gens avec le port de couteau, des éléments comme ça, bien là ça devient plus difficile si on n'a pas effectivement des balises légales d'une société qui reconnaît la neutralité de l'État puis reconnaît certaines pratiques. Alors, ça, c'est plus facile pour nous après ça de gérer et mettre des balises qui ne sont pas des accommodements, qui sont le bon sens aussi, parfois, là.

Mme Vallée : Ça va.

Une voix : C'est beau?

Mme Vallée : Oui, ça va pour moi. Merci de votre présentation. Je pense que vous avez présenté un mémoire qui était succinct, qui était propre à votre réalité mais qui était aussi assez clair quant aux besoins de votre milieu. Merci beaucoup.

Une voix : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, messieurs. MM. St-Jacques, Malette et Daoust, bienvenue. Vous avez mentionné un établissement qui est dans ma circonscription, les Ursulines de Québec, 400 ans d'histoire, en effet, que je visite régulièrement. Ça fait plaisir de vous voir. Il y en a quelques-uns aussi, des établissements privés. J'ai, évidemment, le petit séminaire, et d'autres, le collège de Laval maintenant.

Écoutez, dans votre mémoire, il y a une section sur laquelle j'ai plus de questions, c'est celle sur le visage découvert, c'est en page 7. Vous dites comme clarification : «Les établissements de confession musulmane membres de la fédération prônent déjà, auprès des membres de leur personnel et de leurs élèves, d'être à visage découvert lors de la prestation ou de la réception de services. C'est le cas même pour celles qui ne sont pas subventionnées et, de ce fait, ne seraient pas assujetties à la loi.»

Donc, comment ça se gère? Est-ce qu'il y a une directive? Comment ça fonctionne?

M. St-Jacques (Jean-Marc) : D'ailleurs, pour compléter, Mme la députée... Parce qu'on a des écoles, effectivement, laïques. On a des écoles de tradition — je dis bien «de tradition» — catholique, parce qu'on sait que, dans la tradition catholique, l'école doit être plus inclusive. On a des écoles de tradition protestante, traditions musulmane, orthodoxe, arménienne, bon, juive aussi, alors donc il y a un peu de variété.

Effectivement, on a vérifié auprès de nos établissements membres comment ils appliquaient ce règlement, et toutes les directions d'école, les établissements ont dit que, dans leurs règles de fonctionnement, la prestation de services devait être à visage découvert dans tous les établissements puis ils n'y voyaient pas de problème, ça allait, pour eux, de soi. Bon. Et, peu importe l'interprétation qui peut être faite du Coran, ou peu importe, pour eux, ça allait de soi que, dans une école, l'enseignant doit reconnaître qui est dans sa classe et l'élève doit reconnaître qui lui enseigne, y compris quand les parents s'y présentent.

Et je ne sais pas s'il y a d'autres compléments de M. Daoust, là, mais, de mémoire...

• (16 h 10) •

Le Président (M. Ouellette) : M. Daoust.

M. Daoust (Patrice) : Bien, en fait, là où il y a eu du questionnement... mais, de toute façon, ces établissements-là ne sont pas nécessairement subventionnés, donc, mais il y avait parfois des rencontres de parent avec des parents avec visage couvert, donc, d'où la demande de précision sur les balises pour la prestation de services à ce niveau-là auprès d'un parent qui serait présent à une rencontre de parent, par exemple, ou quoi que ce soit, advenant le cas de... Mais ces écoles n'étaient pas nécessairement subventionnées, donc non souscrites à la loi.

Mme Maltais : O.K. Alors, on va séparer les deux. Donc, pour vous, c'est clair au départ, il n'y a vraiment eu aucun questionnement ou aucune réticence, le personnel doit avoir le visage découvert. Ça, c'est clair. Il n'y a pas d'exception à la règle.

M. Daoust (Patrice) : Non.

Mme Maltais : Là, maintenant, comme la loi va permettre des exceptions à la règle et pour le personnel et pour les gens qui demandent des services, moi, je pense qu'il faudrait, à tout le moins, l'exception, la restreindre puis qu'elle ne soit pas pour le personnel, parce que, là, avec cette loi-là, maintenant, il pourrait y avoir des demandes de votre côté. Mais, évidemment, dans une école, c'est compliqué, parce que, la communication, ça prend un visage découvert, mais, dans le personnel, c'est plus que le personnel enseignant, là, c'est tout le personnel de l'école.

Une voix : Tout le personnel.

Mme Maltais : Tout le personnel de l'école. Il n'y a pas de raison de communication, par exemple, c'est tout le personnel de l'école. O.K.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Et j'allais dire aussi, Mme la députée, «tous les élèves», parce qu'aussi on doit savoir, effectivement, qui est dans la classe.

Mme Maltais : L'élève aussi.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Parce que, d'abord, juste la fréquentation et l'obligation scolaires, il faut bien être sûr de reconnaître l'élève qui est là et s'assurer, quand il y a un examen, que c'est bel et bien l'élève à qui on enseigne qui est en train de passer l'examen, là. Puis, comme, des examens, il n'y en a pas trois dans l'année, il peut y en avoir à toutes les semaines, donc on pense que c'est le minimum, effectivement.

Mme Maltais : Mais l'élève pourrait s'identifier et, après ça, être à visage couvert.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Non, je pense que c'est plus... De ce qu'on entend de nos membres, c'est : visage découvert en tout temps.

Mme Maltais : Complet. Ça fait que donc, quand vous dites : «Nous recommandons à la ministre de veiller à ce que les gestionnaires d'établissement soient bien outillés pour gérer des situations problématiques», votre outil à vous, c'était l'interdiction pure et simple, puis ça a réglé le problème.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Sur le visage découvert...

Mme Maltais : Sur le visage découvert, oui, oui.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : ...notre position, c'est ça, oui. Quant aux autres symboles religieux, bon, on les a déjà, parce qu'on a encore quelques écoles où c'est des religieuses avec l'uniforme, on a encore des gens qui peuvent avoir une petite croix, ou bien donc le voile, ou bien donc la kippa, là. Ça, ça ne nous cause pas trop de problèmes, là.

Mme Maltais : Ça, vous gérez, ça. Merci. Sur les guides, évidemment, s'il y a des exceptions au visage découvert, ça va prendre des balises, des guides. C'est ce que vous demandez, parce qu'on va plus générer des problèmes qu'en enlever dans votre cas. Sur les autres, sur les accommodements religieux, préférez-vous la Loi de l'instruction publique telle qu'elle est actuellement ou si on l'additionne avec ce projet de loi là et que ça vous va? Est-ce qu'on fait un guide pour la loi en plus? Parce que c'est une des questions... je suis peut-être un peu floue, excusez-moi, là, mais c'est une des questions qu'on se pose, c'est : Est-ce qu'actuellement, avec la loi qu'il y a là, il y a les balises nécessaires pour les membres du personnel? Parce que chaque membre du personnel va devoir gérer ça... les membres du personnel de gérer les demandes.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Je vais donner la parole à M. Malette dans quelques instants, mais je crois que je ne rajouterais pas un autre guide. J'adapterais nos guides actuels, s'il y a lieu, pour garantir que les guides qu'on a sur la gestion des accommodements... J'ajusterais, s'il y a lieu, mais je ne ferais pas une loi spécifique, sinon de... Et où on va avoir besoin de balises, exemple, c'est, comme je disais, les congés pour des fêtes religieuses, pour des élèves... les élèves et l'obligation de fréquentation scolaire, ça devient plus difficile, mais pour les membres du personnel pour que les directeurs ou les directrices ne se trouvent pas en situation toujours conflictuelle quand ils refusent ou qu'ils acceptent un congé. Qu'il y ait les balises, là arrive la certaine flexibilité qui peut s'ajuster dans leurs programmes, mais, en même temps, qu'il y ait des balises plus claires.

Puis, M. Malette, vous avez peut-être autre chose, parce que vous travaillez avec ces dossiers-là, vous, dans les écoles.

M. Malette (Philippe) : Bien, dans le fond, ça vient exactement à qu'est-ce que je voulais dire, c'est que... Un cas concret qu'on s'est posé la question, c'est qu'un enseignant, une enseignante qui fait face à un parent qui veut la rencontrer ou le rencontrer pour le dossier de l'élève et que la mère arrive à l'école avec le visage couvert... quels sont les outils que l'enseignant a pour... pas interagir, mais intervenir auprès de la personne si elle a à lui servir à visage découvert. C'est un peu le questionnement qu'on s'est posé.

C'est pour ça que, lorsqu'on mentionne... peut-être avoir un guide qui va venir baliser, qui va venir aider, supporter un peu l'enseignant ou la direction de l'école à ce niveau-là, bien, au moins, ça viendrait un peu clarifier un peu la situation.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Puis, je rajouterais un élément, la fédération appuie la Charte des droits et libertés, croit à cet acte fondamental de la société québécoise, donc l'égalité des personnes. Si on avait des situations, par exemple, qu'un parent, pour sa religion, ne veut pas rencontrer un enseignant mâle sans que la mère... écoutez, ils géreront leur problème, mais nous, on doit assurer les services selon... Et c'est la formation qu'on doit enseigner aussi, et d'où le cours d'éthique et culture religieuse, qui doit rappeler justement la neutralité de l'État. L'importance de la Charte des droits et libertés, l'égalité hommes-femmes, bon, toutes ces valeurs-là, je pense, ça aussi, ça fait partie de la formation. C'est pour ça qu'il faut se garantir que les balises nous permettent d'appliquer ces lois fondamentales là aussi.

Mme Maltais : Est-ce que l'exception pourrait remettre en cause votre politique? Dans la loi, il y a une possibilité d'exception maintenant.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Sur le visage découvert?

Mme Maltais : Oui.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Je vous dirais que, dans nos établissements, de ce qu'on a vu, nous, on n'est pas favorables au visage non découvert.

Mme Maltais : Une dernière...

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Parce qu'on trouve les personnes belles aussi en éducation.

Mme Maltais : Oui. C'est clair. À la page 6, vous dites : «L'employé — idéalement, là — doit démontrer que le précepte religieux est bien réel au coeur de sa religion en plus de démontrer la sincérité de ses croyances.»

Comment on fait ça? Parce que, si on commence à faire des accommodements religieux basés sur la religion, est-ce qu'on peut vraiment aller chercher la sincérité de la croyance chez l'individu? Est-ce que vous avez vécu ce genre de situation et vous y arrivez?

M. St-Jacques (Jean-Marc) : C'est sûr que, pour les congés, je pense qu'ils ont une banque de congés. Si c'est... bon, ils le prendront là. Peut-être qu'où ça peut commencer à arriver, parce qu'on a, dans nos écoles, de plus en plus de personnel de différentes confessions religieuses ou sans confession et aussi des élèves où ça pourrait arriver, c'est... je ne sais pas, on fait une fête... ou souligner Noël, par exemple, dans une école. Moi, si, dans ma religion, Noël n'existe pas... On ne l'a pas senti, le problème. Mais, non, il faudrait vraiment que ça soit une atteinte à tes droits fondamentaux, là. Je pense que cet exemple-là est un peu boiteux aussi, là. Je ne sais pas s'il y a d'autres exemples que vous avez.

Le Président (M. Ouellette) : À moins que vous en ayez vite, vite un, exemple. M. Malette.

M. Malette (Philippe) : Bien, dans le fond, c'est qu'à la lecture... les lectures qu'on a faites par rapport à tout ça, c'est que, oui, les congés du calendrier scolaire sont basés... exemple, Noël et Pâques, sont basés sur des préfets religieux, mais, aujourd'hui, c'est rendu beaucoup plus des congés civils. Donc, à ce moment-là, le calendrier scolaire n'est plus un calendrier, je vais dire, religieux, entre guillemets...

Mme Maltais : Non, c'est un calendrier civil. C'est ça, la différence.

M. Malette (Philippe) : ...mais c'est vraiment un calendrier civil. Donc, quand que je parlais, tout à l'heure, de contraintes aussi dans le milieu scolaire, ça rentre en ligne de compte également.

Mme Maltais : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Malette. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Merci. Naturellement, quand on parle d'écoles privées, je ne peux m'empêcher de penser aux institutions que j'ai également à Montarville, dans mon comté, l'académie des Sacrés-Coeurs, le collège Trinité, de belles institutions, Boucherville également, l'école primaire les Trois-Saisons. Donc, c'est tous du monde que vous connaissez, on est en pays de connaissance, on s'entend bien.

Je veux vous amener à votre mémoire, à la page 7. Je vais citer pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, vous dites : «En raison de la diversité des confessions religieuses des établissements membres de la fédération, nous recommandons à la ministre de s'en tenir à la notion de visage découvert.» Ça, on l'a bien expliqué, je pense, vous avez fait le tour, là. Vous dites : «Aller au-delà dans la démarche provoquera une rupture avec le consensus établi et les pratiques courantes au sein des établissements scolaires.»

Alors, quel est ce consensus établi? De quoi vous parlez quand vous dites ça?

• (16 h 20) •

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Bon. D'abord, Mme la députée, tous les établissements s'engagent, un, à respecter les lois fondamentales du Québec, on a une charte des valeurs qu'on fait signer, deuxièmement, suivre le curriculum prévu par le ministère de l'Éducation, donc enseigner toutes les matières selon ce qui est prescrit, selon les programmes prescrits, y compris si un établissement, par exemple, ne croyait pas à la théorie de l'évolution, pour reprendre ce qu'on entend souvent du Sud des États-Unis. Non, les établissements enseignent les programmes prescrits, suivent les programmes prescrits dans tous les domaines.

Il y a aussi les membres du personnel qui sont de confession religieuse qui portent des signes religieux, qu'on doit respecter historiquement. Il y a des établissements aussi que, dans leur projet éducatif, ils ont une tradition religieuse. Même s'il y a une tradition d'ouverture qui accueille... qu'ils sont très inclusifs, dans les écoles, aux talents variés, et aux religions variées, et aux options variées aujourd'hui, on pense qu'il ne faudrait pas provoquer... Quand on parle de rupture, c'est qu'en allant plus loin on a l'impression qu'on relancerait un débat qui serait inutile pour nos établissements, à savoir la place de la religion dans l'école. On a déjà fait ces choix-là, comme société, et les cours d'éthique et culture religieuse ne sont pas des cours qui amènent à confesser une foi, qui amènent à pratiquer une religion. Alors, ce choix-là, on l'a accepté, on l'a promu dans nos écoles, et je pense que, comme ça, on sent que le consensus est dans ce sens-là, et le climat est correct là-dessus actuellement, là.

Mme Roy : Alors, pour que vous sachiez jusqu'à quel point je comprends ce que vous dites quand vous dites : Le caractère très particulier de ces écoles, qui sont des écoles privées qui ont un historique... Entre autres, en 2013, ma formation politique et moi-même avions déposé un projet de loi, une charte de la laïcité qui ne touchait pas les écoles privées pour les motifs que vous venez de me dire là, parce que nous, ma formation politique, croyons au libre choix. Alors, je voulais que vous le sachiez puis que vous le compreniez très, très bien.

On a devant nous ce projet de loi n° 62, et vous nous dites ce que d'autres gens... c'étaient, naturellement, des syndicats hier que nous avons reçus, mais ils nous disaient un peu la même chose dans la mesure des syndicats d'enseignants : Laissez-nous la latitude nécessaire, parce que, dans les écoles, on a déjà des procédures. Vous nous dites, à la fédération : «La [fédération] souhaite que le gouvernement laisse la latitude nécessaire aux établissements d'enseignement privés pour gérer ces demandes...» Et vous dites à nouveau : «La réalité des écoles confessionnelles — parce que c'est bien de ça qu'il s'agit lorsqu'on parle d'écoles privées, et je parlais de Sacrés-Coeurs, on comprend d'où viennent ces écoles — demande une certaine flexibilité afin de répondre adéquatement aux demandes d'accommodement.» Recommandation 4 : «Laisser la latitude nécessaire aux établissements d'enseignement privés...»

Est-ce que vous craignez que ce projet de loi n° 62 là vous enlève une portion de la latitude que vous avez? Parce que vous définissez, de façon très intelligente, des critères pour accepter ou non un accommodement religieux.

M. St-Jacques (Jean-Marc) : Je vous dirais qu'au cours des dernières années on était là dans la réflexion sur la laïcisation des écoles il y a quelques années... des écoles deviennent neutres, enlever les cours d'enseignement religieux dits confessionnels. Parce que je suis un ancien prof d'enseignement religieux et je vous avoue qu'il y avait de confessionnel une heure par année. Le reste, c'était très, très général. Mais on a déjà fait ce débat-là, on a trouvé des balises de fonctionnement qui permettent aux gens d'évoluer. Alors, c'est de ça qu'on parle quand on parle de latitude. Je vais aller plus loin, dans le sens... nos écoles aussi, en offrant le cours d'éthique et culture religieuse, permettent aux gens qui veulent se questionner par rapport à c'est quoi, les religions au Québec, de le faire. Et c'était notre recommandation quand il y a eu la laïcisation des écoles, d'éviter de retirer complètement l'aspect... pas réflexion, mais étude du phénomène religieux, sans mener à une confession, pour éviter la création d'écoles qui auraient été des... j'allais dire, plus ghettoïsantes sur l'approche religieuse.

Donc, notre souci, comme fédération, c'est qu'on forme des citoyens qui sont des citoyens qui vont fonctionner au Québec ou ailleurs dans le monde, mais dans le respect des lois, dans le respect des valeurs de la société québécoise. Alors, on pense qu'actuellement, la neutralité proposée, allons jusque dans les expressions... qui est prévue dans la loi, ça nous garantirait qu'on pourrait continuer à faire cet exercice d'éducation là dans le respect de la différence, parce que nos élèves ne partagent pas, et nos enquêtes le démontrent, ne partagent pas du tout le même point de vue religieux, social et politique non plus, d'ailleurs.

Mme Roy : Je vous remercie infiniment. C'était très clair, très édifiant. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Malette, M. St-Jacques et M. Daoust, d'être venus nous voir en commission.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais à M. François Côté de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 16 h 24)

(Reprise à 16 h 26)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant Me François Côté. Vous avez 10 minutes. Me Côté, je pense, vous connaissez les us et coutumes de la commission.

M. François Côté

M. Côté (François) : J'en suis à mon deuxième passage.

Le Président (M. Ouellette) : Bon. Effectivement. Et après il va y avoir une période d'échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. À vous la parole, Me Côté.

M. Côté (François) : Merci beaucoup. Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, chers membres de la commission, bonjour. J'ai l'honneur de m'adresser à vous aujourd'hui pour vous faire part de mes observations et critiques à l'égard du projet de loi n° 62, m'exprimant ainsi, à cet égard, devant vous tant à titre personnel et citoyen qu'à titre d'avocat et juriste théoricien du droit et des libertés fondamentaux.

La délicate recherche d'un rapport sain entre la religion et le droit au sein des affaires de l'État au travers de la neutralité religieuse est une question qui colore et traverse le droit des sociétés occidentales depuis plusieurs siècles. Au Québec, en 2016, elle se trouve au coeur des préoccupations d'actualité contemporaine, notamment au travers de l'accroissement croissant et constaté des exigences d'accommodement raisonnable formulées au nom de la religion ayant pour but de mettre de côté le respect de la règle de droit applicable à tous pour le bénéfice d'un individu en particulier qui revendique le droit de refuser de s'y conformer au nom de ses pratiques religieuses. Cet état de fait cause un malaise significatif au sein de la population québécoise perçu à cet égard, à juste titre, comme une certaine forme de spoliation de ses acquis sociaux et nationaux en matière de laïcité.

Le droit à des accommodements raisonnables que le projet de loi n° 62 cherche à aborder nous provient du régime normatif de la Charte canadienne des droits et libertés et de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui en découle. Il obéit à une logique de droit anglo-saxonne, de common law ancrée dans une conception juridique du concept de neutralité religieuse de l'État qui relève du sécularisme britannique. À juste titre, cette situation est dénoncée depuis longtemps par la société civile québécoise et par de nombreux juristes comme étant décalée et incompatible avec sa réalité sociojuridique, tout particulièrement depuis la Révolution tranquille, où, au Québec, la véritable neutralité religieuse passe au travers de la laïcité. Rappelons-le, le concept de laïcité renvoie à un retrait complet de l'expression et de la croyance religieuses au sein de l'État, alors que le sécularisme considère plutôt que l'État est neutre en laissant simplement faire ce qu'elles veulent aux religions, sans en favoriser ou en défavoriser une en particulier, sous la seule réserve du respect des droits individuels des autres individus.

Il est désolant de constater à cet égard que le projet de loi n° 62 ne fait rien pour affirmer ni défendre la spécificité québécoise en matière de neutralité religieuse pour plutôt préférer lui imposer une mouture anglo-canadienne du sécularisme qui n'est pas la sienne, qui ignore la distinction entre les croyances religieuses, qui relèvent de la conviction profonde, et les pratiques religieuses, qui en sont la manifestation extérieure dans un comportement social, qui ignore que la religion, au Québec, est une affaire privée et qui ignore toute la signification passive, prosélyte et inhérente au port des symboles religieux et, plus largement, à l'expression des pratiques religieuses dans la sphère publique et civique.

• (16 h 30) •

Littéralement, en proposant une culture des accommodements raisonnables qui placerait la norme religieuse au-delà du droit, au travers de l'accommodement, le projet de loi n° 62 propose que la religion redevienne droit au Québec et même qu'elle revête un statut normatif supérieur à celui de la loi démocratiquement adoptée par l'ensemble de la population. Dans les faits, l'effet du projet de loi n° 62 sera effectivement d'interdire toute restriction au port de symboles religieux au sein des membres du personnel des organismes d'État et du réseau élargi de la santé et de l'éducation. Nous ne pouvons que nous interroger laconiquement sur les raisons qui ont amené les rédacteurs du projet de loi à ne pas plutôt l'intituler loi autorisant le port de symboles religieux et la dissimulation du visage au sein de la fonction publique. Pire, la chose est d'autant plus critiquable, et on le dira ici avec une certaine ironie, que, ce que le projet de loi n° 62 propose, il ne propose même pas de le faire à découvert.

Une lecture rapide du projet de loi n° 62 par un justiciable ordinaire semble donner à ce projet des allures certes décevantes, mais somme toute anodines, alors que la réalité juridique de son contenu est bien plus lourde qu'il n'y paraît. La plus large part juridique du projet de loi n° 62 ne se trouve pas dans ce qu'il dit, mais dans ce qu'il ne dit pas. Il fait cruellement manque de transparence intellectuelle et de redevabilité démocratique en légiférant par le silence, et par le non-dit, et par le recours implicite à l'interprétation jurisprudentielle canadienne plutôt que d'avoir la franchise de porter ouvertement et clairement le poids des normes de droit qu'il entend décréter auprès du peuple québécois.

Le projet de loi n° 62, en légiférant par l'ombre, de manière à imposer aux Québécois des règles de droit dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas, constitue, à mots pesés, un échec législatif. Ce projet doit être abandonné. On invitera la commission et l'Assemblée nationale à renoncer à son adoption. Dans l'alternative où, pour des raisons politiques et partisanes, le gouvernement déciderait d'ignorer cette recommandation pour aller de l'avant malgré tout, nous recommanderions alors, à tout le moins, une réécriture complète du projet de loi pour lui faire réellement dire ce qu'il veut dire et pour que tous les Québécois puissent savoir sans ambiguïté ce qu'il entend véritablement imposer. En effet, quelques dispositions clés du projet de loi n° 62 se relèvent beaucoup plus chargées de contenu qu'il n'y paraît. On relèvera tout particulièrement les articles 4 et 9.

À l'article 4, on parle, au second alinéa, du fait qu'un membre du personnel d'un organisme public doit veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de cette dernière à une religion. Plusieurs interrogations sont à soulever ici, dont notamment le poids normatif des mots «favoriser» ou «défavoriser». Que signifient-ils? Qu'emportent-ils comme contenu de droit et à quoi obligeront-ils nos citoyens et nos institutions? Le mot «défavoriser» signifie : Priver quelqu'un d'un avantage ou d'une condition juste, satisfaisante qu'un autre a ou qu'il aurait pu avoir. Porter atteinte à quelqu'un, à sa situation économique, porter atteinte au développement de quelque chose. Avec ces définitions, et tout compte tenu de la perspective subjective de l'évaluation des droits fondamentaux mise de l'avant par la jurisprudence de la Cour suprême, ne pourrait-on pas affirmer qu'on fonctionnaire qui, tout en obéissant scrupuleusement à une norme d'application générale, refuserait d'accorder un permis ou un privilège en lien avec une activité comportant un contenu religieux... ne pourrait-on pas dire que ce fonctionnaire se retrouve à défavoriser le justiciable en limitant sa situation économique ou son épanouissement? Il s'agit d'une hypothèse à ne pas cavalièrement rejeter, parce qu'elle a été retenue par les tribunaux canadiens, la Cour suprême du Canada, au premier chef. «Défavoriser», ainsi, ne veut plus faire référence à un refus de servir quelqu'un en raison de ses croyances religieuses, il implique dans le projet de loi tout effet ressenti, du point de vue d'un justiciable, qui limiterait l'expression de ses pratiques religieuses, même s'il provient de l'effet neutre et objectif de la loi. C'est lourd.

Ensuite, autre observation, l'article 9, un des articles piliers de ce projet de loi, qui propose, en apparence, l'interdiction du recouvrement du visage par les justifiables et les fonctionnaires dans la prestation et la réception de services de l'État. Or, toute la portée de cette prétendue obligation de donner de tels services à visage découvert est réduite à néant par l'effet du troisième alinéa de cet article, qui prévoit la possibilité de demander un accommodement à cette règle. Ni plus ni moins, il anéantit, en pratique, tout caractère véritablement obligatoire du devoir de visage découvert dans la prestation de tels services. En réalité, cette obligation n'en est plus une.

Nous en aurions encore beaucoup à dire, le temps manque, mais, en définitive, il demeure une chose : le projet de loi n° 62, s'il devient loi, imposera, avec une force autoritaire et législative, une destruction en règle de la place de la laïcité dans la sphère civique au sens large, des bureaux du gouvernement aux centres de la petite enfance en passant par les écoles et les hôpitaux. Il contribuera à un effritement du pouvoir et du rôle de représentation de l'État en... le respect de la règle de droit démocratique au respect de la pratique religieuse individuelle et, au surplus, il le fera à mots couverts, sans clairement dire ce qu'il entend réellement faire. On ne peut y voir quoi que ce soit de positif pour le droit et la société québécoise.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Côté. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. Merci, Me Côté. Alors, une autre rencontre où vous vilipendez les projets de loi présentés et les projets de loi qui se basent sur des décisions de la Cour suprême, notamment, mais ça, c'est votre droit. Moi, je le respecte. Je respecte votre droit de ne pas reconnaître ou de ne pas être en accord avec certains principes de droit.

De ne pas reconnaître certains principes de droit, c'est votre droit. Puis je vois aussi votre petit sourire, mais je pense que c'est important pour les collègues de la commission parlementaire de savoir quand même que Me Côté est l'auteur d'un article qui était fort intéressant, en juillet 2016, où, je pense, vous critiquiez le premier ministre Bouchard... non, en fait, Me Bouchard, pardon, qui condamnait les propositions de Jean-François Lisée... pardon, du chef de l'opposition sur la laïcité, dans un article, en disant que les propositions ne passeraient pas le test des tribunaux. En fait, M. Bouchard critiquait certaines propositions en disant qu'elles ne passaient pas le test des tribunaux.

Une voix : ...

Mme Vallée : En fait, j'ai trouvé sur LeHuffington Post un article de juillet 2016 et je sais que vous aviez également publié de nombreux textes pour défendre le projet de loi n° 60, notamment. C'est votre droit.

Dans l'article de juillet 2016, et c'est là que c'est intéressant, parce que j'aimerais vous entendre, vous vous exprimez ainsi, vous dites : «...l'encadrement du port de symboles religieux dans l'appareil de l'État est une mesure entièrement légitime et raisonnable, dans une société libre et démocratique, qui ne contrevient pas aux droits fondamentaux des individus dans leurs convictions profondes ni ne porte atteinte à la dignité humaine.» Ça, c'était en juillet 2016. Par contre, dans votre mémoire sur le projet de loi n° 60, vous vous êtes dit favorable à l'utilisation de la clause dérogatoire pour protéger cette légitime expression de la volonté démocratique et de la société québécoise d'une mise en censure par les tribunaux canadiens. Donc, ce que je comprends, c'est que, pour vous, il y a deux ans de cela, vous disiez : Il est possible d'utiliser la clause dérogatoire, ce qui veut dire donc que vous reconnaissez qu'il est possible de porter atteinte aux droits garantis par la charte par l'utilisation de la clause dérogatoire.

J'aimerais ça que vous nous éclairiez là-dessus, parce qu'il semble y avoir deux positions. Vous dites : On ne contrevient pas aux droits, mais, d'un autre côté, oui, utilisons la clause dérogatoire, donc il y a une contravention aux droits.

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

• (16 h 40) •

M. Côté (François) : Alors, je commencerais en remerciant la ministre de s'intéresser à mes écrits. Cependant, je ne puis être en accord avec ce que vous venez de dire.

Tout premièrement, lorsque vous affirmez que je ne reconnaîtrais pas certains principes de droit, j'aimerais vous amener à considérer l'existence de plus d'une manière de concevoir le droit, de concevoir les droits, notamment les droits fondamentaux, dont la diversité s'observe partout dans le monde et qui relèvent, de manière intime, de la réalité sociojuridique des populations. Et, c'est un fait qui n'est plus à démontrer, ici, au Québec, nous avons une réalité sociojuridique qui est intrinsèquement différente de celle du reste du Canada. Nous avons une histoire, nous avons un patrimoine, nous avons une culture et nous avons une tradition juridique différente, une manière de voir le droit différente qui part de prémisses de base différentes.

Or, à cause du contexte constitutionnel canadien, le Québec est assujetti, est soumis à la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle est interprétée de manière majoritaire et constante par des juges à Ottawa qui jugent en fonction d'une mentalité juridique de common law qui obéit à des principes différents.

Donc, lorsque vous dites que, d'une part, je ne reconnais pas certains droits, j'aimerais plutôt vous inviter à considérer que je me rattache à une conception civiliste et québécoise de ces droits et que ce n'est pas le fait de ne pas être d'accord avec la Cour suprême qui implique de ne pas reconnaître des droits fondamentaux.

De même manière, l'utilisation de la disposition dérogatoire n'est pas une manière, n'est pas un aveu de culpabilité, d'une négation des droits fondamentaux. Bien au contraire, il s'agit d'un outil extrêmement puissant au service du législateur pour avoir le droit et le pouvoir souverains — nous sommes en démocratie, ne l'oublions pas, le législateur est au sommet de la pyramide — de déclarer que, dans son interprétation et dans sa compréhension des droits fondamentaux, en fonction de la réalité sociale dans laquelle notre population évolue, nous ne la comprenons pas et nous ne la vivons pas de la même manière que ce que les juges de la Cour suprême à Ottawa nous disent. Donc, le fait d'utiliser une disposition dérogatoire pour protéger une loi d'une éventuelle invalidation par la Cour suprême en fonction d'une pensée juridique anglo-canadienne, je ne vois pas du tout en quoi il y a contradiction avec le fait de dire que, suivant une perspective de laïcité, une perspective québécoise, donc suivant la mentalité juridique traditionnelle et historique au Québec, ce serait tout à fait légal et légitime d'encadrer le port de symboles religieux.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Une perception, mais je vous dirais que la liberté de religion, la liberté de croyance, la liberté de conscience sont quand même des droits qui sont aussi ancrés et enchâssés dans la Charte des droits et libertés de la personne, notre charte québécoise. Alors, il y a, au Québec, aussi cette reconnaissance du droit de l'autre de croire, du droit de l'autre de ne pas croire. Donc, dès lors que l'on utilise le recours à la clause dérogatoire, c'est qu'il y a un accroc à ce droit, qui est protégé par nos chartes.

Puis je voulais aussi vous entendre, parce que, dans votre publication de juillet, vous faites une distinction, puis ça aussi, ça risque d'être fort intéressant, entre le concept de conviction religieuse et le concept de pratique religieuse. Et, dans votre mémoire portant sur le projet de loi n° 60, vous indiquiez que le port d'un signe religieux, c'était une pratique religieuse, donc ça fait partie des pratiques religieuses, alors que pour certaines personnes la manifestation des croyances religieuses est une composante de la dimension de la liberté de religion, et, évidemment, cette composante-là, elle est protégée par nos chartes.

J'aimerais que vous nous éclairiez sur cette distinction-là, lorsque vous faites cette distinction entre conviction religieuse et pratique religieuse, versus le port du signe religieux.

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

M. Côté (François) : Alors, petite observation préliminaire : quant à la reconnaissance de la liberté de religion dans la charte québécoise, on peut d'ailleurs se féliciter, la charte québécoise est plus ancienne que la Charte canadienne. Cependant, à cause de la supériorité hiérarchique de la Charte canadienne dans l'ordre normatif québécois et canadien, depuis les 30 dernières années, la jurisprudence de la Charte canadienne a fini par assujettir celle de la charte québécoise à de nombreux aspects. Donc, oui, notre charte québécoise, notre législation québécoise reconnaît la religion... la liberté de religion, pardon, mais elle s'est retrouvée, en pratique, assujettie, de manière interprétative, à la pensée juridique anglo-canadienne.

Maintenant, pour aller à la question que vous me posiez, la distinction entre les croyances et les pratiques, la distinction que l'on peut effectuer entre les croyances et les pratiques dépend résolument du modèle sociojuridique auquel on adhère dans la conception de la neutralité religieuse. Est-ce qu'on parle de laïcité — auquel cas on peut les distinguer — ou est-ce qu'on parle de sécularisme d'origine anglo-saxonne?, auquel cas on ne peut pas les distinguer. Et un État ne peut pas être entre deux chaises : on ne peut pas permettre que pour certains on puisse distinguer croyances et pratiques et que pour d'autres on ne permette pas cette distinction.

Or, au Québec, depuis la Révolution tranquille, voire même avant, nous avons un consensus social fort, un consensus rassembleur à l'effet que la religion est une affaire privée. Toutes nos grandes modifications sociales, tous nos grands acquis en matière de laïcité partent d'une reconnaissance que la croyance de chacun, elle est souveraine : croyez ce que vous voulez, ne croyez pas ce que vous voulez, il s'agit d'une sphère intouchable. Par contre, dès lors que ces croyances se manifestent dans le monde réel, et commencent à influencer les droits des autres, et commencent à influencer la collectivité, bref, se manifestent, elles ne sont plus de simples croyances, elles sont des comportements sociaux, et les comportements sociaux, dans une démocratie, dans un État de droit, peuvent et doivent être encadrés.

Que certaines personnes considèrent que les pratiques religieuses font partie des croyances n'efface pas cette réalité. Et on se permettra un parallèle avec la conviction politique. Le fait que vous adhériez à un dogme politique, à une idéologie politique quelconques vous autoriserait-il à faire fi des règles de droit pour exprimer vos comportements politiques en demandant des accommodements raisonnables pour des considérations politiques? Non. Pourtant, politique et religion partent toutes deux de l'adhésion à un contenu intellectuel, de l'adhésion à un ensemble de valeurs et de considérations de ce qui serait bien. Le fait de croire, c'est souverain, mais le fait d'agir, ça ne peut plus l'être, parce que ça ne concerne plus que la seule personne, ça concerne les autres, ça concerne la société, et, à ce titre, les pratiques doivent recevoir une certaine déférence, bien sûr, mais ne peuvent pas être érigées en supériorité à la règle de droit, parce que, je conclurai là-dessus, étant donné que l'on considère que la religion est une affaire privée au Québec et qu'on a un large consensus social à cet effet, le fait d'invoquer la religion, affaire privée, pour demander un accommodement aux règles de droit, qui sont une affaire collective, qui nous viennent de tous les citoyens, revient à faire passer le je, reviens à faire passer des normes de droit religieuses auxquelles on adhère par-dessus le droit démocratique, démocratiquement adopté et applicable à tous. Dans une démocratie, il y a quelque chose de discutable à cette situation.

Mme Vallée : Est-ce que vous ne croyez pas que la diversité est importante dans la démocratie? Je vois le sourire. Vous savez, on peut avoir des opinions différentes, et ça ne veut pas dire qu'on est dans le tort. J'ai des collègues de l'autre côté de la table qui ne partagent pas mon opinion, mais je les respecte. Et je vous respecte, même si vous ne partagez pas mon opinion. Alors, le non-verbal, on ne le voit pas ici, à l'écran, mais il est fort éloquent. Moi, je vous respecte, Me Côté, même si je ne partage pas votre point de vue. Je m'attends tout simplement au même respect, même si vous ne partagez pas mon point de vue.

Alors, quand je vous pose la question : La diversité, est-ce que vous ne croyez pas qu'elle a sa place dans une société démocratique comme celle du Québec?, moi, j'essaie de comprendre en quoi la présence d'un signe religieux pourrait venir entacher cette neutralité dans la prestation d'un service public, en quoi le port d'une croix par un fonctionnaire, le port, même à la limite, du hidjab par une fonctionnaire, le voile qui ne recouvre pas entièrement le visage, viendraient entacher ce devoir d'agir de façon neutre à l'égard de celui ou de celle qui sollicite un service ou sollicite une prestation de l'État. J'essaie de comprendre en quoi ce que l'on porte vient affecter cette neutralité, parce que la neutralité, elle s'exprime dans l'interaction des gens.

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

• (16 h 50) •

M. Côté (François) : Parfait. Alors, d'emblée, j'aimerais présenter mes excuses à la ministre pour le non-verbal d'il y a quelques instants. J'ai simplement été surpris par le simple fait qu'on me demande si je considérais que la diversité était importante ou non. J'ai été pris au dépourvu et je vous prierais de m'en excuser, parce que la réponse est, évidemment, oui, que la diversité est importante, mais je ne...

Je reformule. La diversité est importante, et il n'y a rien d'incohérent avec le fait de chercher à réglementer le port de symboles religieux. Le fait de demander à quelqu'un de converger vers une culture, de converger vers les valeurs communes, de respecter les règles de droit, en quoi, j'aimerais qu'on me l'explique, est-ce une négation de la diversité? Le demander à quelqu'un : Vous êtes dans notre société, adoptez votre comportement à nos valeurs, en quoi est-ce une quelconque négation de la diversité? Il s'agit, au contraire, d'une main ouverte et tendue à cette diversité pour l'inviter à venir faire partie du grand nous collectif. Donc, le Québec peut se féliciter d'ailleurs d'être la société la plus ouverte à la diversité de toute l'Amérique du Nord, et il serait une chose incroyable que cela continue au travers des années et des décennies à venir, mais il faut savoir le faire. Comment?

Maintenant, vous me posez la question de : En quoi est-ce que ça dérange, la présence d'un symbole religieux dans la fonction publique? Ce n'est pas qu'une pièce de vêtement, ce n'est pas qu'un bout de tissu ou qu'une croix. Par définition, un symbole religieux porte un message religieux intrinsèque qui est indépendant de la volonté de son porteur. Quand bien même une personne agisse de manière, même de bonne foi, neutre, fasse tous les efforts possibles pour ne volontairement favoriser ou défavoriser personne, du simple fait qu'elle porte un symbole religieux, elle envoie un message à connotation religieuse alors qu'elle se trouve dans une situation d'autorité, particulièrement, réfléchissons-y, dans les situations qui impliquent des personnes vulnérables. Je pense premièrement aux CPE et aux écoles, où nous aurions des représentants de l'autorité, des enseignantes, des directeurs d'école qui seraient face à des enfants jeunes et impressionnables qui voient en eux un modèle à suivre. Ce modèle à suivre revêt un symbole religieux et il envoie le message... en fait, il envoie deux messages. Le premier, c'est le message religieux, c'est : Je crois en cette foi. Et, par définition, toute religion prétend à être la bonne. Donc, de dire : Je crois en cette foi, ça se retrouve à dire : Cette foi est la bonne — un message qui n'a pas sa place au sein de l'appareil d'État. Deuxièmement, alors qu'il est représentant de l'État, le fonctionnaire est en train d'utiliser la plateforme que lui confère sa fonction comme véhicule de son message et fait passer son je avant le nous collectif de la société, qu'il a pour mission de servir. Lorsque vous acceptez un emploi au service de l'État, est-ce que vous le faites pour vous ou est-ce que vous le faites pour la société, pour la collectivité?

Et je conclurais, encore une fois, avec le même parallèle, avec les opinions politiques. Si vous vouliez vous présenter au comptoir de service d'un gouvernement en tant qu'employé, pourriez-vous arborer un chandail portant un slogan politique, porter un macaron avec un symbole d'un parti politique? Non, bien sûr, parce que vous vous retrouveriez à envoyer votre message politique aux justiciables que vous servez, alors que vous êtes dans une situation d'autorité où ça n'a pas lieu d'être. La même chose est entièrement vraie pour les croyances... pardon, pour les pratiques religieuses.

Donc, oui, Mme la ministre, le fait de porter un symbole religieux par un employé de l'État dans l'exercice de ses fonctions, il y a quelque chose d'intrinsèquement dérangeant pas à cause de l'employé lui-même, pas à cause de la personne, pas à cause de sa croyance, mais à cause de sa pratique et à cause de la visibilité qui lui est accordée à travers de son rang et à travers de son poste à l'endroit de la société.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Côté. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, juste quelques petites notes. J'ai assisté à ce débat intense et respectueux, je pense. D'abord, que la clause dérogatoire est constitutionnelle. Elle est dans la Constitution et elle a même été utilisée par Robert Bourassa. On peut la démoniser si on veut, mais elle est constitutionnelle, à ce que je sache, et elle a été utilisée au Québec, et on peut la réutiliser. C'est un droit qu'on a. Parlant de droit, c'est un droit, la clause dérogatoire, inscrit dans la Constitution.

L'autre, bien, écoutez, être pour la laïcité, je suis d'accord avec vous, ce n'est pas être contre la diversité. Bien au contraire, être pour la laïcité, c'est permettre aux croyances d'exister si elles sont protégées dans la charte, mais la laïcité, ce n'est pas contre la diversité. La diversité peut s'assumer, elle peut se vivre au Québec, mais c'est l'affichage, le prosélytisme, c'est les signes religieux ostentatoires dont on discute actuellement. Et, ce qui est intéressant, vous ne serez peut-être pas étonné, étant donné ce qui vient de se passer, M. Côté, d'apprendre que la ministre a dit au début des audiences que c'était un projet de loi libéral, pas un projet de loi social ou pour l'avancement de la société... oui, oui, pour l'avancement de la société, mais que c'était d'un point de vue libéral.

Donc, vous avez entendu le plaidoyer contre les symboles religieux. J'ai déjà dit moi-même... et je ne me sens pas quelqu'un qui soit contre la diversité et je dis moi-même que, venant d'une minorité invisible mais très audible, le poids du religieux a été très lourd, au fil de l'histoire, sur ma communauté et qu'en ce sens je crois beaucoup plus... Moi, je veux la laïcité et je veux que l'État soit libre de tout symbole religieux. Ça fait partie des choses dans lesquelles je crois. C'était d'ailleurs dans la charte du Parti québécois. J'y crois. Ça, c'est quelque chose de très fort chez moi aussi.

Alors, écoutez, moi, il y a deux aspects desquels je veux vous parler. Je veux vous entendre sur l'article 9. On nous dit que c'est une loi qui interdit le visage couvert dans la fonction publique pour les services rendus et pour les services donnés. Vous nous dites : En fait, cette loi-là, ce qu'elle légalise, c'est le visage couvert. C'est un peu ce que vous nous dites. C'est-à-dire, vu qu'il y a une exception, vous nous dites : Cette loi va ancrer le phénomène religieux et la possibilité de porter un visage couvert pour la fonction publique. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

M. Côté (François) : C'est exact. En fait, il y a plusieurs aspects critiquables au projet de loi n° 62. Une des principales critiques qu'on peut avoir à son encontre, c'est justement le fait que, plutôt que de dire les choses telles qu'elles sont, il passe par les voies déroutées de l'interprétation et du non-dit.

Et, justement, l'article 9, avec son obligation de visage à découvert, qui était présentée comme un minimum par le gouvernement au moment de la présentation du projet de loi et même avant, durant la précédente campagne électorale, on assurait que ça allait être un minimum, qu'à tout le moins on va avoir le visage découvert. Si on lit la facture du projet de loi, ce minimum n'est même pas atteint. Les deux premiers alinéas de l'article 9 parlent d'une obligation de visage découvert. Mais cette obligation ne veut absolument plus rien dire, parce qu'il y a une exception qui est prévue au troisième alinéa et qui dit que, face à une demande d'accommodement... pardon, «un accommodement qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles est possible mais doit être refusé si, compte tenu du contexte, des motifs portant sur la sécurité, l'identification ou le niveau de communication [...] le justifient».

Bon. Ça veut dire qu'on peut demander un accommodement et qu'on peut avoir le visage couvert dans la prestation et la réception de services. Si on prend cet élément puis on prend pour acquis le reste du projet de loi, dans sa philosophie, dans ses notes explicatives, dans son article 4, l'accommodement est la règle. Ça, ça veut dire que n'importe qui qui demande un accommodement va le recevoir et que les exceptions de motifs portant sur la sécurité, l'identification ou le niveau de communication seraient les seules possibilités où on pourrait refuser à une personne de porter tout symbole religieux, jusqu'au voilement du visage. Mais, quand on considère la jurisprudence, quand on considère l'actualité, c'est quoi, au juste, les exceptions pour la sécurité, l'identification ou le niveau de communication?

Pour la sécurité, on rappellera l'affaire Multani, de la Cour suprême, où le plus haut tribunal canadien a jugé que porter un poignard dans une école, ce n'est pas un motif de sécurité suffisant pour limiter la liberté religieuse. Donc, avoir une arme dans une école, ce n'est pas suffisant en matière de sécurité. Récemment, on a pu le voir aussi dans les équipes sportives. Ce n'est pas du judiciaire, mais c'est de l'administratif. Mais, dans les équipes sportives, le port de vêtements religieux n'était pas jugé suffisant pour restreindre la liberté religieuse. Pour ce qui est du niveau d'identification, à part peut-être les photos pour le permis de conduire ou la carte d'assurance maladie, étant donné qu'on permet la prestation de serment de citoyenneté à visage dissimulé et qu'on permet maintenant de témoigner, dans des procès criminels, à visage dissimulé, on arrive mal à voir à quel genre de situation on pourrait atteindre un degré suffisant de niveau de sécurité, d'identification ou de communication pour empêcher cet accommodement.

Donc, l'effet réel de l'article 9, c'est vraiment de dire sans le dire qu'à partir de maintenant, qu'à partir de l'entrée en vigueur de cette loi plus personne n'a le droit de s'opposer aux accommodements raisonnables, au port de symboles religieux et au voilement du visage, notamment dans la fonction publique, tant chez les fonctionnaires que chez les justiciables.

• (17 heures) •

Mme Maltais : Vous dites ça parce qu'évidemment la Cour suprême a déjà jugé qu'un témoignage pouvait se faire avec un niqab, l'assermentation pouvait se faire avec un niqab et qu'un kirpan pouvait être porté dans une école primaire. C'est à partir de la jurisprudence que vous dites : Ce que vous faites, c'est effectivement encoder la jurisprudence, qui est déjà extrêmement permissive actuellement.

C'est ce que je comprends. Non? Je me goure?

M. Côté (François) : En fait, oui, à peu de chose près, oui. Simplement que l'affaire Ishaq, c'était la Cour fédérale et pas la Cour suprême, la Cour d'appel fédérale, mais c'est, à toutes fins pratiques, la même chose.

Et, si on regarde, le projet de loi, il est calqué sur la jurisprudence. Si on regarde les critères... je n'en parle pas vraiment, mais, si on regarde les critères d'attribution des accommodements raisonnables, ils sont les deux pieds dans la mentalité juridique de la jurisprudence des accommodements raisonnables depuis l'affaire Big M Drug Mart et l'affaire Simpsons-Sears, qui sont des affaires anglo-canadiennes qui proviennent d'Alberta et d'Ontario. Donc, c'est vraiment un droit qui provient d'une mentalité juridique qui est différente de la mentalité juridique québécoise et civiliste. Mais donc la mentalité avec laquelle le projet de loi a été rédigé est une mentalité qui est calquée sur le droit jurisprudentiel anglo-canadien, et c'est pour ça qu'on peut regarder ces précédents jurisprudentiels et se dire : Ils vont interpréter, ils vont colorer l'interprétation du projet de loi. Et c'est justement au travers de la charge du non-dit de ces mots qu'on peut anticiper que le projet de loi va avoir un effet qui va être on ne peut plus restrictif sur la laïcité et qui va permettre que l'accommodement raisonnable devienne la règle qui supplante le droit et qui va permettre une mise au rencart de la laïcité québécoise pour y préférer le modèle du sécularisme anglo-canadien.

Mme Maltais : Donc, c'est pour ça que vous dites : On légalise la présence du religieux. J'ai pris une note, là, vous dites : Ce projet de loi, ça légalise la culture des accommodements religieux, on légifère de manière à ne rien changer à ce qui est dans l'ordre de la jurisprudence canadienne ou dans l'ordre de la vision canadienne des choses. C'est pour ça que vous dites des choses comme : Culture des accommodements religieux, on légalise la présence du religieux. En fait, on fait un pas de plus dans le mauvais sens.

Le Président (M. Ouellette) : Une minute, Me Côté.

M. Côté (François) : Pire, non seulement... alors, oui, non seulement non seulement notre législateur préfère se conformer à la jurisprudence anglo-canadienne plutôt que de faire preuve d'originalité, plutôt que de refléter véritablement... les intérêts et la réalité québécoise il préfère s'accoler sur la jurisprudence anglo-canadienne, mais, au surplus — puis je conclurai rapidement — le fait de parler uniquement des accommodements religieux et de laisser les autres droits fondamentaux dans ce projet de loi vient bouleverser l'équilibre des droits fondamentaux.

En reconnaissant la religion comme étant un droit qui va être particulièrement protégé par la législation, qu'est-ce qu'on est en train de dire au sujet des autres droits, qu'est-ce qu'on est en train de dire au sujet de la protection accordée en fonction de l'orientation sexuelle, du handicap, de l'origine ethnique? Qu'est-ce qu'on est en train d'envoyer comme message lorsque le législateur protège un droit fondamental et laisse les autres de côté? La question se pose.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Oui, M. le Président, avec plaisir. Me Côté, c'est un plaisir de vous recevoir, de vous lire, de vous entendre. Vous venez de l'Université de Sherbrooke, mon alma mater.

Je suis ravie d'entendre un juriste de votre trempe analyser le projet de loi n° 62, parce que les gens qu'on entend depuis deux jours nous disent : C'est compliqué, il faut être juriste pour comprendre. Et moi, depuis le début, je lis ça puis je dis : Mais, ma foi, ce n'est pas une loi sur la laïcité, ça. On parle de neutralité, mais il n'y a pas le mot «laïcité» là-dedans, puis, moi, ça me dérange. Je sais qu'actuellement vous êtes en train de faire un doctorat. Pouvez-vous nous dire, de un, sur quoi porte votre doctorat, très brièvement, puis ensuite j'aimerais que vous me disiez... Et vous avez dit : La véritable neutralité passe par la laïcité.

Le mot «laïcité» n'apparaît pas là-dedans. Qu'est-ce que ça veut dire?

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

M. Côté (François) : Alors, merci pour la question. Pour répondre rapidement, bon, le sujet de mon doctorat traite de la mentalité juridique du droit québécois, d'inspiration civiliste, et les interactions entre notre droit québécois et les droits fondamentaux dans l'environnement juridique normatif canadien et avec la Charte canadienne des droits et libertés.

Et nous avons ici un exemple patent de déviation d'un droit appliqué par rapport à ses fondements et par rapport à sa mentalité profonde. Effectivement, le projet de loi ne mentionne pas du tout le mot «laïcité», on parle de «neutralité religieuse». Il y a une chose qu'on doit savoir, c'est que la neutralité religieuse en tant que telle, c'est un concept qui ne veut rien dire tant qu'on n'a pas adhéré à l'une ou l'autre des écoles de pensée. Il y en a deux : la laïcité ou le sécularisme. La laïcité n'est pas au projet de loi, parce que, accolé sur la jurisprudence anglo-canadienne, il est les deux pieds dans le sécularisme. Ça ressort de sa facture, ça ressort des notes explicatives. Et, le sécularisme, qu'est-ce que ça dit? Ça dit, tout simplement : Laissez tout le monde faire ce qu'ils veulent. Dans la mesure où ça ne dérange pas les droits individuels et privés d'autrui, l'État ne devrait tout simplement pas légiférer. C'est ça, la conception de la neutralité religieuse suivant l'approche séculière : l'État ne fait rien, l'État laisse faire. Et, dans la conception de la laïcité, qui est véritablement le modèle québécois, pour des raisons sociologiques, pour des raisons historiques et pour des raisons culturelles, le Québec est laïque, c'est un fait. Ce n'est pas une orientation politique, c'est un fait. Et, suivant la laïcité, la véritable neutralité religieuse de l'État, donc l'absence de pression et d'exposition porteuse de pression religieuse sur les citoyens par l'État, ça passe non seulement en ne faisant pas preuve de favoritisme ou de défavoritisme, mais bien en disant : Il n'y a pas de religion dans les affaires de l'État.

Mme Roy : Sachez que je suis tout à fait d'accord avec vous, là, et je me pose la question : Avec un titre comme Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État, croyez-vous qu'il est possible que ce concept-là soit peut-être mal compris par la population ou induise les gens en erreur, croyant qu'il s'agit d'une loi sur la laïcité, alors que, bien au contraire, c'est une loi qui permet tout?

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

M. Côté (François) : Absolument. Une des principales critiques qui peut et qui doit être adressée à ce projet de loi, c'est qu'il donne l'impression de chercher à légiférer sans le dire, qu'il cherche des mots vides, qu'il cherche des termes qui font plaisir à entendre, qu'il présente une formulation, en apparence, anodine. En apparence, rien de dangereux. Mais le problème, c'est que... Vous mentionnez le fait qu'un juriste devrait étudier, devrait se pencher sur le projet de loi. Alors, je viens de le faire et j'imagine que des juges vont le faire, que des procureurs vont le faire, que des membres de la Commission des droits de la personne vont le faire et en beaucoup plus de temps que depuis que j'ai reçu ma convocation. On parle de mois à étudier la question et vous pondre des opinions juridiques de 200 pages. Ce qui va se produire, c'est que le contenu normatif va être révélé d'une manière bien autre que ce que les justiciables pensaient.

On pense être face à un projet de loi qui parle de la neutralité d'action et qui interdit le recouvrement du visage. Il en est autre. Le but de ce projet de loi, c'est de légiférer en matière d'accommodement raisonnable pour les imposer, c'est d'interdire l'interdiction du port de symboles religieux et c'est de décréter que toute demande d'accommodement en raison des pratiques religieuses doit prendre le pas sur la règle de droit. C'est loin d'être faible chose. Cette portée normative est absolument incalculable au moment où on se parle, les conséquences et les ramifications que ça peut entraîner sont imprévisibles. Et pourtant, et pourtant, le gouvernement présente un projet de loi qui s'exprime à mots couverts sans présenter réellement à la population dans des termes clairs les conséquences que ce projet de loi là aura pour effet d'apporter.

Mme Roy : Petite question : Évoquer la clause dérogatoire — et moi, je crois qu'elle existe et qu'elle est légale, cette clause-là, là — est-ce que ça signifie une négation des libertés fondamentales?

Le Président (M. Ouellette) : Me Côté.

M. Côté (François) : Mais absolument pas. En fait, une des grandes théories en matière de disposition dérogatoire, une théorie qui est même acceptée au Canada anglais, c'est ce qu'on appelle la théorie du désaccord délibératif, c'est-à-dire qu'étant donné que notre Charte canadienne est interprétée par la Cour suprême, que notre charte québécoise va se faire interpréter par la Cour suprême en fonction d'une mentalité juridique qui n'est pas forcément partagée — les occasions où les mentalités juridiques québécoise et anglo-canadienne se sont rencontrées de manière pas forcément heureuse sont, malheureusement, légion — l'utilisation de la clause dérogatoire, c'est une manière pour le législateur de dire : Nous respectons ces mêmes libertés fondamentales, mais nous ne sommes pas d'accord avec vous, MM. les juges, quant à la manière de les interpréter et de les comprendre. Et il est difficile de voir là-dedans une négation des libertés fondamentales, à moins, bien sûr, de considérer que le fait d'avoir une pensée juridique distincte de la mentalité juridique anglo-canadienne en matière de droits fondamentaux, c'est une négation des droits fondamentaux. Mais vous comprendrez qu'on ne se rattachera pas à une telle perception.

Mme Roy : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me François Côté, de votre participation à la commission parlementaire.

Je vais suspendre quelques minutes. Je vais demander aux représentants du Congrès maghrébin du Québec de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 17 h 10)

(Reprise à 17 h 12)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant le Congrès maghrébin du Québec, son secrétaire général et un bon ami, Lamine Foura. Donc, vous avez 10 minutes pour nous entretenir de votre présentation, et après il y aura échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. À vous la parole.

Congrès maghrébin au Québec (CMQ)

M. Foura (Lamine) : M. le Président, Mmes, MM. les députés, donc, bonsoir et merci de cette invitation pour participer à ce débat très important pour le Québec. Je fais la présentation au nom du Congrès maghrébin, et ma présentation va s'étaler sur trois grands points. Le premier point, on voudrait présenter quelques principes que nous considérons très importants dans ce débat pour s'assurer que cette valeur très importante qu'est la laïcité soit mise en application au Québec en harmonie avec une société sans fracture sociale. Après, je commenterai un petit peu quelques articles du projet de loi et je passerai, à la fin, à une proposition que je ferai aux membres de la commission mais aussi à tous les partis politiques au Québec.

En termes de principe, nous considérons que la laïcité est un élément non négociable au Québec, et que la société québécoise, à travers son histoire et sa Révolution tranquille, a choisi la laïcité comme un modèle qui gérait la société et qui gérait l'État, et que cette Révolution tranquille s'est caractérisée aussi par une approche progressive qui a permis une adhésion totale de l'ensemble de la société à la démarche de laïcisation de l'État mais aussi à une démarche de sécularisation de la société.

Parmi les principes qu'on considère très importants dans tout projet de loi ou dans toute démarche concernant la laïcité, c'est la cohérence, de façon à ce qu'aucun groupe ne se sente ciblé par cette laïcité, parce qu'en réalité cette laïcité servirait l'intérêt de l'ensemble de la société. Et même les religieux eux-mêmes doivent être les premiers à demander la laïcité, parce que les principes de la laïcité leur garantissent une neutralité de l'État de façon à ce que l'État ne soit pas d'un côté ou d'un bord d'un groupe religieux. À titre d'exemple, je trouve un petit peu malheureux qu'aujourd'hui au Québec on parle beaucoup sur les signes religieux, qui peuvent être un problème sur la question de la neutralité, mais on ne parle pas du financement des écoles religieuses par l'État. On ne peut parler de laïcité sans attaquer d'autres problèmes qui font... ou qui donneraient une impression que l'État n'est pas laïque à certains groupes et qui se sentent visés par certaines démarches de laïcité.

D'autres exemples que je pourrais donner dans les articles en termes d'incohérence, et on a retrouvé la même incohérence même dans le projet de loi de la charte du Parti québécois, c'est l'article 6, un concept juridique d'objection de conscience qu'on retrouve dans toutes les lois québécoises, qui permettrait à un praticien de refuser de faire un acte médical pour des convictions religieuses, personnelles, des actes pour lesquels il est payé. En termes de perception, c'est une incohérence de parler de laïcité sans débattre de ce point-là, qui, à mon avis, est aussi contraire à un principe de neutralité. Et je ne vise pas seulement ce projet de loi. Je pense que même, comme je l'ai mentionné en 2014, la même clause, en fin de compte, qui libérait les praticiens, qui sont protégés par ce concept d'objection de conscience, d'assurer une certaine neutralité...

Le deuxième principe qui est très important, c'est la sincérité. Et, sur la question de sincérité, c'est important aujourd'hui, après 10 ans qu'on tourne en rond, depuis 2007, sur cette question des accommodements et de neutralité, que les partis politiques s'engagent à s'éloigner d'une utilisation partisane et électoraliste de ce sujet. Et, quand je parle d'utilisation partisane électoraliste, elle peut être à travers des propositions de projet de loi, mais aussi elle peut être par ne rien faire. Ne rien faire est aussi une position qui engendre des problèmes dans la société, parce que, s'il y a un malaise, il faut qu'on fasse quelque chose, mais loin de l'utilisation électoraliste ou partisane.

Le dernier point qu'on considère qui est très important... l'avant-dernier point sur ce sujet, c'est très important d'aller chercher un consensus. Il n'y a pas de bonne et mauvaise solution. Aujourd'hui, on a vu un juriste qui est passé. On peut avoir, la semaine prochaine, un autre juriste qui va donner un autre point de vue. Le débat est complexe d'un point de vue légal. Ce qui est important, c'est que la classe politique, les acteurs communautaires et sociaux s'engagent à aller chercher une solution de consensus. Une solution de consensus, elle ne va pas satisfaire tout le monde, mais elle représente un trait commun. Et je dirais que, moi, qui ai rejoint la société québécoise depuis une vingtaine d'années, ce que j'aime dans le Québec, c'est cet esprit de consensus. Et, malheureusement, je sens qu'on l'a perdu depuis 10 ans à travers une bipolarisation de la société à chaque fois qu'on traite de ce sujet.

Le dernier point aussi qui est très important, c'est la notion de clarté et de précision. C'est un sujet très sensible. On ne peut pas se permettre d'avoir des projets de loi qui portent à confusion, dans lesquels on dit la chose et son contraire.

Je passerai directement à quelques commentaires sur le projet de loi, dans lequel je vois que ces éléments ne sont pas présents. Sur l'article 9, où on confirme tout simplement un élément évident pour la majorité des Québécois, que les services doivent être reçus et donnés à visage découvert mais tout de suite on dit qu'un accommodement peut exister... et en même temps, dans l'article 5... plutôt, dans l'article 10, on dit qu'un accommodement ne peut pas être donné s'il compromet le principe de la neutralité religieuse de l'État. C'est, comme on dit, la chose et son contraire. Et moi, sincèrement, je suis mal à l'aise avec cette non-clarté d'une décision claire, bien sûr, qui est... Aujourd'hui, je considère que l'article 9, dans la partie, donc, et dans la confirmation que les services doivent être offerts à visage découvert et aussi donnés, c'est un élément très... C'est très rare, les gens au Québec qui sont contraires à ce point-là. Donc, pourquoi l'affirmer et reculer à travers une possibilité d'accommodement raisonnable?

Un autre aussi élément que je considère, comme je l'avais dit, comme contradictoire sur la question de la cohérence, c'est tous les articles 4, 5 et 6, dans lesquels on affirme la neutralité mais on donne des exceptions. Et, en plus, ces exceptions ne sont pas seulement des résultats de ce projet de loi, mais elles sont même dans les autres projets de loi présentés, entre autres, par le Parti québécois et d'autres propositions qui sont sur la table par les partis politiques dans lesquels c'est comme... il y a des sacrés qu'on ne veut pas toucher. Mais l'impression que ça donne pour les personnes sur lesquelles des lois vont s'appliquer, c'est l'incohérence et qu'ils sont visés. Et c'est très important qu'on ne perde aucune personne de la société québécoise quand on parle de neutralité, quand on parle de laïcité, parce que la laïcité est faite pour le bien-être de tout le monde. Et, à titre d'exemple, l'article 5, dans lequel on nous parle que quelqu'un qui va enseigner la religion, il peut ne pas être neutre, c'est un peu fort. Si on veut envoyer un message très clair, on va éviter d'utiliser des termes que, cette neutralité, en fin de compte, il y a des dérogations dans la loi qui permettent d'aller trop loin et d'autres personnes, elles vont la subir parce qu'eux, tout simplement, on va leur interdire des choses. Donc, c'est important d'avoir une démarche globale incluant la question du financement des écoles religieuses de façon à ce que notre démarche soit acceptable et aussi consensuelle.

Comme dernier point, je ne vais pas rentrer dans aucun débat, je dirais, juridique sur la proposition, ce que je propose, et c'est un appel du coeur... Je ne représente pas la communauté maghrébine, je suis quelqu'un qui travaille au sein de plusieurs communautés culturelles, au sein de plusieurs organisations, et ce que je peux vous dire : qu'aujourd'hui la société québécoise a besoin d'un consensus. Ce que je propose... et c'est un appel du coeur à toute la classe politique, je pense que, sur la question des accommodements raisonnables, nous devons travailler sur des règles très claires et nous devons faire l'effort à les clarifier. Pour moi, les accommodements raisonnables ne doivent pas créer un système en parallèle au système juridique, qui est celui de toute la société, tout en prenant en considération notre histoire d'une révolution tranquille qui va accompagner les gens dans cette démarche.

Concernant les signes religieux, depuis 2007, nous tournons en rond. Depuis le 25 mai 2008, où le rapport Bouchard-Taylor a été mis sur la table, commandé par le Parti libéral du Québec... et on peut dire que tous les partis politiques depuis 10 ans ont adopté, à un moment ou à un autre, la position sur les signes religieux de Bouchard-Taylor, je considère et nous considérons, au Congrès maghrébin, qu'aller avec la proposition de Bouchard-Taylor sur la question des signes religieux représente une solution consensuelle, en s'engageant à ce qu'au moins dans les deux prochains mandats on évite d'utiliser ça pour des raisons politiques, et on prendra un bilan à faire après 10 ans pour voir est-ce que les messages envoyés à travers cet engagement qu'est la neutralité représentent un consensus qui va nous permettre d'envoyer un message clair mais en même temps voir si on pourra faire plus ou tout simplement considérer que le rapport Bouchard-Taylor, sur la question des signes religieux, est un consensus national. Et merci.

• (17 h 20) •

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Il y a beaucoup de contenu dans votre présentation, bien que très succincte.

Vous mentionnez qu'à la lecture de certains articles il y a un flou, qu'il y a une notion de clarté puis de précision qui n'est pas présente. Je tiens peut-être à regarder avec vous... J'essaie de comprendre votre positionnement, parce que vous faites référence notamment aux articles touchant les accommodements. Le concept d'un accommodement, c'est un concept qui est bien ancré dans la société. Il s'applique certes aux accommodements religieux, mais il peut s'appliquer également à d'autres types d'accommodement, on en a parlé ce matin, l'accommodement pour raison de handicap, un accommodement accordé à une employée qui est enceinte, en raison de sa grossesse. Il s'agit de notions qui sont présentes, qui existent actuellement et auxquelles sont confrontés bien souvent les gestionnaires, les centres de la petite enfance, les écoles.

Le projet de loi, ce qu'il se veut, c'est une mise en place de balises qui ont déjà été définies par la jurisprudence, parce que les accommodements existent. Alors, on n'arrive pas avec une proposition qui est nouvelle, en fait on arrive avec un encadrement juridique, des balises légales d'une pratique jurisprudentielle, et on le fait parce que le rapport auquel vous avez fait référence mentionnait qu'il était important de baliser, de circonscrire ces accommodements et on le fait à la lumière des paramètres qui ont été identifiés par les tribunaux. Donc, j'essaie de comprendre en quoi ce concept d'accommodement, pour vous, constitue un flou ou une contradiction avec le concept de neutralité, puisqu'ils existent déjà dans les écoles qui actuellement ne sont... Dans l'école publique, qui est neutre, il y existe, pour toutes sortes de raisons, des demandes d'accommodement présentées par et pour des élèves.

Alors, en quoi cette notion-là est-elle floue ou contraire au principe de neutralité?

M. Foura (Lamine) : C'est-à-dire que le premier commentaire, c'était par rapport à l'article 9, comparé à l'article 10, dans lequel on établit clairement que les services offerts et donnés en... donc, et, en même temps, on établit l'accommodement dans l'article, et à l'article 10, au numéro 3, on dit clairement que l'accommodement ne peut pas compromettre le principe de la neutralité. Donc, s'il ne peut pas, donc on ne peut pas avoir un accommodement sur l'article 9.

Mais mon idée sur la question d'accommodement, c'est que moi, je crois que le vivre-ensemble est aussi une valeur très importante dans notre société. Et, quand on essaie de trouver des solutions pour satisfaire des besoins particuliers et que ces besoins-là vont affecter le vivre-ensemble, j'ai un malaise avec ça. Ça fait qu'il faut qu'on trouve un équilibre entre... Et je vais donner un exemple. Bon. Je préfère un État laïque qui va garantir des lieux de culte qui respectent les règles d'urbanisme, qui respectent les lois en termes d'urbanisme et en termes d'instauration d'un lieu de culte au lieu de donner des lieux de culte dans les établissements publics. C'est que ça serait paradoxal de vouloir autoriser des lieux de culte dans les établissements de l'État et que l'État n'essaie pas de trouver des solutions à ce que toutes les religions puissent avoir des lieux de culte établis selon les lois d'urbanisme, avec la question de zonage. C'est que, des fois, souvent, si on laisse les gestionnaires prendre toutes les décisions sans leur donner plus de précisions... J'admets que le projet de loi apporte certaines précisions, mais je pense qu'il y a des cas particuliers sur lesquels le vivre-ensemble, aussi l'harmonie dans la société, éviter des fractures sociales soient aussi mis en avant.

Moi, je considère que le droit de la religion est un droit fondamental, et par contre le respect du vivre-ensemble, le respect du cadre qui est établi est aussi une valeur aussi importante que celle de la religion. Et ce n'est pas un discours d'un juriste, je ne suis pas juriste. Moi, je viens du terrain. Je considère que cet équilibre qu'on doit chercher, en tant que société, est très important et aussi qu'on envoie des messages très clairs à ceux qui demandent des accommodements, non pas en leur disant qu'on est contre vous, mais il faut qu'il y ait un système, aussi, pédagogique pour ramener les gens à créer un équilibre entre leurs droits individuels, parce que, si on met la question de la laïcité purement sur la question légale, c'est difficile d'avoir un consensus parce qu'aujourd'hui il y a une divergence chez les juristes sur la limite. Le débat qu'on a eu juste après mon intervention... il y aura d'autres personnes, donc il faudra qu'on soit conscients... Et je pense que je ne poserai pas la question des accommodements seulement sur la question de l'immigration, que toute... en tant que société, parce que quelqu'un de souche pourra aussi adopter une religion qui pourra l'amener à vouloir avoir des accommodements et il faudra qu'on soit conscients que cette société démocratique et laïque, elle fonctionne très bien parce qu'il y a aussi un vivre-ensemble qu'on doit sauvegarder. Donc, ce n'est pas contre la personne, mais c'est un équilibre, je dirais, qui est très important et que le gouvernement, que nos lois doivent envoyer, mais aussi avec une cohérence, parce que, comme j'ai mentionné, sur des questions de l'objection de conscience que je considère problématiques par rapport à la question de la neutralité, sur la question de financement des écoles religieuses... et je peux vous parler, les gens ont la perception que, derrière ces clauses-là, il y a des lobbys qu'on ne veut pas toucher et que, sur des sujets où il n'y a pas de lobby, on peut se permettre d'aller un peu plus loin.

Donc, c'est cet équilibre, parce qu'on gère aussi une perception, et on ne voudrait pas aujourd'hui qu'une nouvelle loi, quelle que soit la loi — elle peut être très bonne — crée une fraction sociale sur une partie de la société. Donc, c'est tout cet équilibre que je propose à aller chercher comme gouvernement, comme opposition et comme société.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

• (17 h 30) •

Mme Vallée : Vous abordez un élément qui est intéressant, c'est : lorsque vous parlez des accommodements, vous mentionnez à quel point il est important que l'accommodement ne crée pas un privilège. Et c'est clair que l'accommodement ne doit pas être source de privilège. Et il est prévu à l'article 10 que l'accommodement ne doit pas imposer de contraintes excessives, doit respecter le droit d'autrui et que la personne qui sollicite, qui souhaite obtenir un accommodement participe à la recherche de la solution. Donc, cette préoccupation à l'égard du vivre-ensemble et à l'égard de ne pas créer de droits supérieurs ou de créer de privilèges, elle est présente dans l'article.

Je souhaite revenir sur un élément que vous avez abordé sur la question du service à visage découvert, qui a été abordée un petit peu plus tôt avant votre prestation. Vous savez, le principe, il est là, les services sont reçus et sont offerts à visage découvert. Vous remarquerez que l'accommodement dont il est question n'est pas qu'un accommodement religieux, les accommodements sont des principes qui existent et qui sont régis. Alors, ce que l'on indique, c'est que, pour qu'il y ait un accommodement à ce principe-là, qui est un principe fondamental, on doit s'assurer qu'il n'y ait pas de contrainte, qu'il n'y ait pas de motif qui porte atteinte à la sécurité, à l'identification et au niveau de communication. Alors, ça, ça vient donner un élément additionnel à celui ou celle à qui sera formulée la demande d'accommodement, additionnel aux autres critères.

Donc, non seulement les autres critères sont considérés, parce que, si on n'avait pas ajouté cet élément-là, les autres critères auraient été le critère d'appréciation pour déterminer si, face à ce principe général, il y a lieu d'avoir un accommodement, mais on ajoute qu'il est nécessaire. Et la raison du visage découvert est là pour des raisons d'identification, de sécurité et de communication. Et donc ce sont des critères que l'on ne retrouve pas dans l'analyse d'une demande d'accommodement habituelle. Alors, on ne vient pas ouvrir la porte... on vient baliser de façon encore plus claire le pourquoi, pourquoi on souhaite que, dans la prestation de services publics, ça se fasse à visage découvert, parce qu'on veut s'assurer que la personne qui reçoit le service, c'est bel et bien la personne qui a droit au service. Alors, ça, c'est l'identification. Les enjeux de sécurité : évidemment, on veut s'assurer qu'on soit capable de bien identifier la personne.

La communication. Tout à l'heure, on a fait allusion au non-verbal. Bien, le non-verbal dans la communication est très important. Moi, lorsque je vous parle, lorsque j'échange avec vous aujourd'hui, je suis à même de voir votre réaction face à ce que je vous dis. Je peux aussi déterminer est-ce que la personne à qui j'explique un droit ou un service comprend ce que j'explique. Pour un agent, par exemple, de l'État qui est en relation avec une tierce personne, le fait d'avoir le visage découvert permet de constater : Est-ce que la personne comprend, est-ce que la personne comprend bien la nature du service que je lui livre? Bref, il y a plein d'éléments comme ça. Par contre, il pourrait y avoir, et je le mentionnais à ma collègue de Taschereau un peu plus tôt aujourd'hui, des situations où une personne a le visage couvert pour des natures tout autres aussi. Pensons à quelqu'un qui a subi une chirurgie, qui a le visage couvert par des bandeaux, des grands brûlés. On peut avoir plein de... Alors, il ne faudrait pas non plus... et on dit : Bien oui, ça va de soi. Ça va de soi, mais parfois il faut quand même encadrer le tout.

Alors, je voulais juste vous rassurer, parce que l'objectif, ce n'est pas de créer une... Ce n'est pas exact, ce qui a été véhiculé tout à l'heure, et on ne crée pas un droit de visage couvert. Au contraire, on affirme de façon claire et précise que, dans l'État québécois et dans la prestation de services, c'est à visage découvert, et on explique pourquoi en indiquant que, dans le fond, il n'y a pas d'accommodement qui est accordé lorsque ces accommodements-là pourraient venir à l'encontre de l'identification, de la sécurité et de la communication.

M. Foura (Lamine) : Mme la ministre, je voudrais réagir par rapport à ça rapidement. C'est que je vous comprends dans votre explication de la cohérence de la démarche.

Moi, je vous parle, je dirais, loin d'une description juridique de la chose, des balises qu'on peut mettre, moi, je vous parle du terrain, de ce qui se passe par rapport surtout à la communauté maghrébine, à titre d'exemple. Les gens veulent chercher un emploi. Les gens voudraient fermer ces sujets-là. Donc, si dans les lois qu'on propose ça peut porter à confusion, qu'on continue à en débattre, les conséquences sur l'insertion professionnelle des gens, c'est des conséquences très graves. C'est qu'il faudra qu'on arrive à trouver une solution de façon à ce que les choses se ferment sur ce sujet le plus tôt possible pour que les gens puissent se concentrer sur les vraies affaires.

À titre d'exemple, on fait un débat sur le tchador : au sein de la communauté, interdisez le tchador. Moi, je voudrais débattre : Est-ce que les communautés culturelles sont bien représentées à l'Assemblée? Je ne voudrais pas débattre : Est-ce qu'une femme peut le porter ou non? Aujourd'hui, tous les partis politiques, si on voit notre Assemblée nationale... n'est pas encore représentative de la diversité québécoise, au-delà de ce que les gens peuvent porter. Ils ne veulent pas le porter.

Donc, c'est, comme, ce débat-là, l'appel du coeur que j'ai fait à travers la proposition. Chaque projet de loi peut être justifié, chaque texte peut être justifié par des juristes. Je pense qu'on a tourné en rond depuis 10 ans. Il faut qu'on puisse faire un pas significatif dans lequel on envoie un message très clair : on veut cette neutralité. Et, autour de moi, j'ai des amis qui vont dire : Bouchard-Taylor, sur les signes religieux, ce n'est pas assez. J'en ai d'autres qui vont dire : Non, non, ça va trop loin. Je sais. Mais il faut aller avec une proposition qui a créé un consensus, de façon à ce qu'on puisse avancer le sujet, parce que, comme je dis, ce débat, il doit continuer dans la société. La société, les intellectuels, les médias peuvent en débattre, mais, moi, c'est surtout l'utilisation politique de ce sujet-là, qui traîne depuis 10 ans, et, par un laxisme et par une proposition, des fois, électoraliste, ces deux positions font trop mal à l'harmonie dans la société.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre, deux minutes.

Mme Vallée : Bon. Je suis d'accord avec vous qu'il est important de se concentrer sur l'intégration des communautés culturelles dans la société québécoise. D'ailleurs, des gens disaient : Ce projet de loi va permettre d'affirmer de façon claire un certain nombre de principes, un certain nombre de paramètres justement pour permettre de se concentrer davantage sur l'intégration d'une plus grande diversité au sein de l'appareil gouvernemental. Vous avez raison, on a la présence... et, je pense qu'on le mentionnait, la fédération des cadres de la fonction publique nous disait : On a à peine... je crois, c'est 3 % de nos membres qui s'identifient à une communauté culturelle à l'intérieur de l'appareil gouvernemental québécois. C'est infime, c'est famélique comme chiffre, c'est très peu.

Et vous avez raison à l'effet que notre Assemblée nationale, nos instances publiques doivent faire des efforts pour être davantage représentatives de la diversité de la réalité québécoise. Puis la diversité, elle se décline de toutes les couleurs, de toutes les formes et elle est importante, parce qu'on s'enrichit lorsqu'on a ces débats et lorsqu'on amène une perception autre des différents enjeux auxquels la société est confrontée.

Donc, l'objectif était de combler certains vides qui existent afin de reconnaître certains principes. Je comprends et j'ai mentionné : Certains collègues, certaines formations politiques souhaitent aller plus loin. Nous proposons une solution qui est, pour nous, une situation mitoyenne. Et, je suis d'accord avec vous, si d'aventure on souhaite, après une période, pousser plus loin, bien, il appartiendra à d'autres formations de le présenter, mais, pour nous, il s'agissait d'un équilibre pour, on l'espère, passer à une autre étape et cesser ces discussions qui portent sur l'apparence de l'autre.

Le Président (M. Ouellette) : ...commentaire, Mme la ministre.

Mme Vallée : Oui.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Foura, représentant le Congrès maghrébin. Merci d'être là. Merci de votre cri du coeur. J'ai bien entendu. Ce n'est pas toujours facile de se faire dire : Arrêter de faire un enjeu politique de ce que nous sommes, ou de ce qu'est la société, ou de la diversité. Mais j'accepte ce cri du coeur, je le prends et je me demande comment je peux y répondre. Alors, mon échange va être sur cela, si vous permettez, parce que je pense qu'il y a bien des juristes qui sont venus et d'autres qui viendront étudier la loi au niveau juridique et comprendre sa portée, mais ce dont vous nous avez parlé aujourd'hui, ce n'est pas de ça.

Ce dont vous nous avez parlé, c'est de l'impact de nos discussions sur la société et sur une communauté, particulièrement la communauté maghrébine, qui voudrait passer à autre chose. Nous autres aussi, on voudrait passer à autre chose, mettons. Vous avez ciblé des points qui font consensus, je vais revenir sur d'autres... mais vous avez nommé, entre autres, la laïcité. Elle n'est pas inscrite dans la loi. Est-ce que, pour vous, ce serait une avancée pour la société si ce qui est reconnu par tous, c'est-à-dire que l'État québécois est laïque, ce qui est dans notre tradition historique, devait être inscrit dans la loi? Est-ce que vous pensez que c'est fondamental, que ça aiderait ou vous dites : Écoutez, cette étape-là n'est pas fondamentale, à ce moment-ci? Je ne veux pas vous coincer, vous envoyer dans une direction, je vous demande vraiment votre position.

M. Foura (Lamine) : Ma position, pour respecter la cohérence... je pense que la question de la laïcité est un consensus. Je ne pense pas qu'il y ait personne au Québec qui serait contre que l'État est laïque, et, je dirais, surtout pour les minorités religieuses, il serait dans leur intérêt que l'État soit laïque. C'est beaucoup plus pour les minorités religieuses que pour d'autres majorités. Donc, oui, l'inscription de la laïcité fait partie, pour moi, de l'approche de consensus, qu'on soit clair que l'État est laïque, et en respectant, comme je dis, l'approche consensuelle de faire cette procédure. Parce que, vous savez, la laïcité, c'est comme la liberté, hein : on n'est pas libre, c'est tout, on se bat à être libre, c'est un combat continu. C'est la même chose, la laïcité, c'est qu'on va l'inscrire, et c'est une démarche collective d'aller vers un idéal qu'on ne peut pas atteindre dans un moment donné mais qu'on doit toujours chercher à améliorer.

Donc, moi, je trouve que l'inscription dans une loi de l'État québécois va aussi envoyer un message très clair à tout le monde, que nous voulons être laïques. Je dirais, nous voulons être... parce qu'on ne peut pas l'être, c'est une démarche collective. Et les contradictions que j'ai soulevées, par exemple l'objection de conscience, le financement des écoles religieuses, démontrent aussi que c'est une démarche qui est aussi une particularité québécoise, hein?

Je suis originaire d'Algérie, donc je connais très bien l'histoire de France, et on voit que le processus de la laïcité française, qui a été plus radical, a son histoire, a ses bienfaits. Mais aussi, quand je suis venu au Québec, ce qui m'a marqué, c'est la notion de Révolution tranquille. C'est une révolution qui avance, qui avance, qui doit faire des pas, parce que, c'est pour ça, on ne peut pas s'arrêter, il faut qu'on avance, mais à notre vitesse et à la vitesse de la société. Et je pense qu'aujourd'hui on est prêts à inscrire le mot «laïcité» dans une loi pour dire clairement que l'État québécois est un État laïque.

• (17 h 40) •

Mme Maltais : Les autres éléments de la loi que vous avez soulevés ont été soulevés par beaucoup de gens, par nous entre autres, puis je vais ici dire que ma collègue de la Coalition avenir Québec a exprimé à peu près les mêmes réserves que moi par rapport à cette loi, c'est-à-dire que ça prenait des règles claires pour les accommodements raisonnables — c'est ce que vous avez souligné — pour aider justement à mieux se comprendre, que, les signes religieux, il y a consensus autour de Bouchard-Taylor déjà. Si on disait les mots : On prend les personnes en position d'autorité, juges, policiers et gardiens de prison, on vient de régler le problème, là... c'est-à-dire, une partie du problème, on avance. Et, l'autre, que, le visage à découvert, bien, il faudrait que ce soit une règle et non pas une exception.

J'ai bien compris que ces trois éléments-là, pour vous, sont des éléments qui pourraient fonder le début de la démarche législative québécoise en cette matière.

M. Foura (Lamine) : C'est exactement ça. Je considère que ces éléments sont une étape aujourd'hui, après 10 ans de débat, après un pas en avant, deux pas en arrière, après plusieurs, je dirais, fractures sociales sur le terrain.

Le débat est légitime, il ne faut pas le remettre en cause. Une société qui a ce genre de débat, c'est une société vivante. Donc, il ne faut pas que le débat dans nos cités arrête, il faudra que nos intellectuels, nos universitaires, nos acteurs sociaux continuent à en débattre, mais, au niveau politique, à un moment donné, il faut qu'on fasse le pas qui, à mon avis, représente un consensus. Et, comme je dis, le Parti libéral du Québec, c'est lui qui a fait la commande du rapport, donc il vient de lui. Le Parti québécois aujourd'hui adhère plus proche, donc, de cette position. La CAQ aussi, à un moment donné, elle avait la position de Bouchard-Taylor, Québec solidaire aussi. Donc, il y a un certain consensus sur 10 ans, faisons ce pas-là. Il y a des gens qui ne vont pas aimer... il y a des gens qui vont considérer qu'on n'est pas allés loin, il y en a d'autres qui vont dire qu'on n'est pas assez... mais ça représente une moyenne, à mon avis, acceptable et qui serait une façon d'aller voir les autres problèmes qui sont aussi importants, comme la question de l'intégration, comme la question du vivre-ensemble.

Et, j'ajouterais un élément important, je pense que, le problème de la laïcité, pendant 10 ans, on a considéré que c'était un problème de loi. Oui, c'est un problème de loi en premier lieu, mais c'est aussi un problème de pédagogie, c'est-à-dire que, sur la question des accommodements, oui, on peut améliorer les balises, mais aussi c'est lancer des programmes éducatifs aux gestionnaires, lancer des programmes éducatifs aussi à toute la société.

Je vous donne un exemple sur la question des accommodements raisonnables. Je suis de confession, donc, musulmane, et ça arrive que des fêtes musulmanes arrivent dans des dates où j'ai un travail. Moi, je trouve que je n'ai pas à avancer mon appartenance religieuse pour avoir ma journée de congé. Par contre, si, dans l'entreprise où je travaille, il y a un système déjà qui me permet d'avoir des journées personnelles, vis-à-vis de mon responsable, je ne dois pas avancer un élément personnel, qui est la conviction religieuse, pour avoir la journée, mais je peux tout simplement prendre une journée personnelle. Donc, c'est aussi une éducation collective. Et, dans la majorité des cas, ça existe, donc les gens peuvent demander des journées personnelles. Mais je n'ai pas à ramener la motivation religieuse, parce qu'en ramenant la motivation religieuse je ramène un argument personnel qui n'est pas valable pour l'entreprise et qui n'est pas valable pour le supérieur. Donc, c'est ce genre d'éducation aussi qu'on doit tous se donner, à trouver des solutions qui... tout simplement, on va utiliser les éléments communs de loi commune pour arranger. Parce que c'est sûr que je voudrais fêter la fête familiale qui m'est personnelle, mais je dois trouver des solutions personnelles et non pas ramener un argument qui concerne une conviction purement personnelle que je ne dois pas imposer à mon environnement.

Mme Maltais : Écoutez, M. Foura, je vais répondre à votre appel, je vais dire ceci, autour de la table, aux parlementaires : Si on est prêts à s'asseoir autour des thèmes qui sont la laïcité... Et, celui-là, je n'en fais même pas quelque chose de fondamental, même si j'y crois profondément. Mais partons de la loi qu'on a devant nous, là. Moi, je crois à la laïcité. J'aimerais ça que ce soit discuté. Mais, fondamentalement, si on donne des règles claires aux accommodements raisonnables, si on introduit l'interdiction de signes religieux pour les personnes en situation d'autorité, nommée par Bouchard-Taylor, s'il n'y a pas d'exception au visage découvert pour les personnes qui donnent le service, on peut travailler ensemble et arriver à une solution qui nous permettrait d'avancer.

Maintenant, je vais vous dire, si vous avez encore d'autres arguments pour convaincre la ministre, c'est le temps, parce que c'est la première fois que je le dis comme ça, ouvertement, mais jusqu'ici je n'ai pas reçu la réponse de l'autre côté. Alors, je vous le dis. Voici, il me restait 1 min 45 s, je vous la laisse.

M. Foura (Lamine) : Merci beaucoup. Ce que je peux dire sincèrement, donc, à Mme la ministre : Je comprends très bien l'approche, je comprends qu'il y a une explication juridique à la cohérence du projet de loi. Comme j'ai dit, les incohérences, je peux les faire aussi au projet de loi présenté par le Parti québécois en 2014. Je pense qu'il faut voir les choses autrement. Il faut voir ce qui se passe sur le terrain. Il faut voir des gens qui passent des entrevues, le lendemain d'un débat autour de ce sujet, et qui ont des noms à connotation arabo-musulmane... les conséquences sont majeures, les conséquences sur des familles sont majeures. Et je pense qu'il est arrivé un moment, après 10 ans de débat, d'essayer de trouver un consensus.

J'ai fait une proposition de consensus. Je ne dis pas que c'est la meilleure, mais je pense qu'on doit toutes et tous être guidés par cet esprit de consensus et de s'éloigner d'un débat purement juridique sur la jurisprudence, sur des éléments que... oui, elles sont réelles, elles existent. Mais c'est ça, mon point, c'est : continuer à débattre sur ce sujet va représenter... Et j'appellerai aussi à un engagement collectif de la classe politique pour au moins les prochaines élections : quand on parle d'immigration, quand on parle de diversité, j'aimerais qu'on parle d'emploi, qu'on parle d'engagement, de certains chiffres comme on les avait faits dans certaines années où certains partis politiques se sont engagés à 10 % de diversité dans la fonction publique, qu'on s'engage en plus à débattre sur des sujets comme la question de la représentativité politique et administrative au lieu de débattre sur des sujets qui, en réalité — je ne veux pas remettre en cause la liberté individuelle, religieuse des gens — ne touchent pas l'intérêt collectif même des communautés, même des minorités religieuses. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Foura. Toujours un plaisir de vous entendre. J'ai pris des notes pendant que vous parliez, et, naturellement, mes propos vont rejoindre ceux de ma collègue de l'opposition officielle, parce que vous avez dit, puis je prenais des notes, là : La laïcité, c'est «un élément non négociable au Québec», ça a été choisi au Québec comme un modèle. Vous dites plus loin : La laïcité est faite pour le bienfait de tout le monde. Tout comme vous, j'ai sursauté quand j'ai lu la loi et... que j'ai vu le projet de loi, que le mot «laïcité» n'y apparaissait même pas. Tout comme vous, je souhaite que ce mot y apparaisse. Il est très important.

Vous parlez d'un consensus, des éléments qui font un consensus. Ça fait 10 ans qu'on en parle. Hérouxville, les accommodements, etc., alouette... Des projets de loi, il y en a eu quelques-uns. Bouchard-Taylor était effectivement une commission mise sur pied par le gouvernement libéral de M. Charest. Pour nous, c'est un minimum, Bouchard-Taylor, à l'égard des signes religieux. Je pense la même chose que vous. J'aimerais que Mme la ministre pense aussi la même chose. Vous dites une chose qui m'a touchée, vous dites : Il ne faut pas que ce soit un projet de loi politique. C'est sûr, on est tous des politiciens ici, mais Mme la ministre nous a clairement dit que ce n'était pas le projet de loi du PQ, c'était le projet de loi du Parti libéral. Alors, c'est clair que le nid est fait.

Moi, j'aimerais tout comme vous qu'on inclue minimalement le fait que l'État québécois est laïque, que ces mots y apparaissent, la recommandation de Bouchard-Taylor sur l'interdiction de port de signes religieux pour les personnes en position d'autorité coercitive. Et elles sont nommées, vous les connaissez. C'est clair, c'est précis. Je dis comme vous, le signal serait fort. Déjà, on aurait un bon bout de chemin à faire.

Et Mme la ministre a dit quelque chose, et j'ai pris une note parce que ça m'a fait sursauter, elle dit : Je veux «cesser ces discussions qui portent sur l'apparence de l'autre». Et là je pense que c'est là qu'on ne s'entend pas, parce que je ne crois pas que ce sont des discussions qui portent sur l'apparence de l'autre. Je crois que nous sommes ici pour travailler sur un projet de loi qui parle de la place du religieux dans l'État. Et, tout comme vous, je pense que c'est une question que la société devrait se poser.

Et, à cet égard et à la lumière de ce que Mme la ministre vient de dire, je vous poserai la même question que ma collègue de l'opposition officielle : Que faire et que lui dire — et je vais vous laisser la parole — pour la convaincre d'inclure, dans son projet de loi, la laïcité de l'État québécois, d'inclure, dans son projet de loi, la recommandation visant l'interdiction de port de signes religieux, celle qui est minimalement édictée par Bouchard-Taylor, ne serait-ce que ça pour commencer? Qu'est-ce qu'il faut lui dire? Qu'est-ce qu'il faut faire?

• (17 h 50) •

M. Foura (Lamine) : Je reviens à la même chose, c'est-à-dire que, comme je dis... Et je ne voudrais pas blâmer un parti plus qu'un autre, parce que tous les partis politiques ont participé à ce débat depuis 10 ans. Comme j'ai dit, je suis venu vous parler, avec un message du coeur, de ce que beaucoup de gens, je pense, vivent aujourd'hui au Québec, même s'ils ne sont pas concernés par les signes religieux, qu'à un moment donné il faudra qu'on puisse avancer.

Et, je considère, comme je l'ai dit précédemment, l'inscription de la laïcité dans une loi québécoise, je ne vois pas ça comme étant un problème qui va toucher le droit de quiconque au Québec, parce que tout le monde... même durant le débat en 2014, je n'ai pas vu quelqu'un qui... On peut avoir des interprétations différentes sur les détails de l'application d'un principe de laïcité, mais, je pense, c'est un principe qui va permettre de tourner la page sur ce débat-là, revenir à la recommandation Bouchard-Taylor. Ça reste un débat théorique, donc ça va permettre de calmer les esprits, de voir qu'on avance.

Et, je terminerai par un élément très important, dans ma proposition, aussi j'ai ramené un point très important, c'est qu'aussi il y ait un engagement collectif de la classe politique, qu'on éviterait, au moins en 2018, de débattre de ce sujet si le gouvernement libéral accepte d'être mis... Je pense que, vous savez, actuellement, au Québec, je suis sûr que vous en êtes conscients, au-delà du débat sur la laïcité, on a une crise de l'image du politicien, on a une crise... il y a des scandales un peu partout, il y a des problèmes. Je pense que, sur ce dossier aussi sensible, c'est une occasion à toute la classe politique de démontrer qu'à un moment donné, oui, on peut avoir des idées différentes, à un moment donné on peut avoir une divergence sur des sujets aussi sensibles, mais à un moment donné toute la classe politique est capable de se mettre autour de la table pour proposer un consensus qui va démontrer que l'intérêt de la société, c'est le premier objectif de la classe politique québécoise. Et il faut saisir cette occasion, à mon avis.

Mme Roy : Et il me reste quelques secondes. Sur l'article 9, vous avez dit, à juste titre... on parle du visage découvert, vous dites : On dit une chose et son contraire. Mme la ministre a dit : Non, on ne permettra pas le visage découvert. Mais, lorsqu'on lit l'article 9, on nous dit que les services sont donnés et rendus à visage découvert mais on va permettre un accommodement s'il est demandé. Donc, on va permettre le visage couvert, vous avez tout à fait raison. Je voulais juste spécifier ceci. Je vous remercie infiniment pour votre présentation.

M. Foura (Lamine) : Merci à vous.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Lamine Foura, représentant le Congrès maghrébin, d'être venu nous entretenir sur le projet de loi n° 62 aujourd'hui.

La commission ajourne ses travaux à demain, jeudi 27 octobre, où elle se réunira en séance de travail à 8 heures puis en séance publique, après les affaires courantes, où elle poursuivra les auditions publiques. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 52)

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