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Version finale

39th Legislature, 2nd Session
(February 23, 2011 au August 1, 2012)

Wednesday, May 25, 2011 - Vol. 42 N° 15

Étude détaillée du projet de loi n° 2, Loi concernant la construction d’un tronçon de l’autoroute 73, de Beauceville à Saint-Georges


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Table des matières

Journal des débats

(Onze heures vingt-huit minutes)

La Présidente (Mme L'Écuyer): À l'ordre, s'il vous plaît! Je déclare la séance de la Commission des transports et de l'environnement ouverte. Je demanderais à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs cellulaires.

La commission est réunie afin de procéder à l'étude détaillée du projet de loi n° 2, Loi concernant la construction d'un tronçon de l'autoroute 73, de Beauceville à Saint-Georges.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Diamond (Maskinongé) est remplacé par Mme St-Amand (Trois-Rivières); M. Huot (Vanier) est remplacé par Mme Gonthier (Mégantic-Compton); et Mme Ouellet (Vachon) est remplacée par M. Cloutier (Lac-Saint-Jean).

Remarques préliminaires

La Présidente (Mme L'Écuyer): Nous débutons sans plus tarder avec les remarques préliminaires. M. le ministre, vous disposez d'un maximum de 20 minutes pour vos remarques préliminaires. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Sam Hamad

M. Hamad: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais saluer mes collègues du côté ministériel et du côté de l'opposition. Nous avons eu pas mal de débats pendant plusieurs heures, et je pense que plusieurs collègues députés ont eu la chance de se prononcer. Et donc on est en mode de travail ce matin, et je vais inviter le... je vais plutôt... J'ai hâte qu'on commence à étudier les articles, alors je...

**(11 h 30)**

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci. J'invite maintenant le porte-parole de l'opposition officielle et député de Gouin à faire ses remarques préliminaires. Vous avez 20 minutes maximum.

M. Nicolas Girard

M. Girard: Parfait. Alors, merci. Merci, Mme la Présidente. Donc, à mon tour de faire mes remarques préliminaires dans le cadre de l'étude détaillée du projet de loi n° 2, Loi concernant la construction d'un tronçon de l'autoroute 73, de Beauceville à Saint-Georges. Alors, le projet de loi n° 2 prévoit mettre fin aux procédures judiciaires et affirme que le décret qui impose le tracé s'applique malgré toute décision d'un tribunal qui a déclaré invalide après cette date le décret qui est visé.

En somme, on se retrouve, Mme la Présidente, avec ce projet de loi là parce que le gouvernement a subi une défaite en Cour supérieure devant des citoyens qui ont simplement voulu faire valoir leurs droits. C'est tout à fait légitime parce que le tracé de l'autoroute passe sur leurs terres, et on leur enlève des biens. Ces citoyens ont préparé leur cause devant les tribunaux et ils ont gagné. La Cour supérieure a tranché; elle leur a donné raison.

Là, on se retrouve dans une situation où le gouvernement du Québec est mécontent de la décision du tribunal parce qu'il a perdu et veut court-circuiter le processus judiciaire. Le ministre des Transports a plutôt choisi de déposer un projet de loi qui va venir annuler la décision de la Cour supérieure. Pourquoi? C'est la grande question. Visiblement, le gouvernement, dans ce dossier, a commis des erreurs, a perdu la bataille judiciaire et veut renverser la décision du tribunal par la voie législative.

Par ailleurs, Mme la Présidente, je pense qu'il est important de rappeler que notre formation politique est favorable au prolongement de l'autoroute 73. Personne, personne ne peut remettre en cause notre appui. Le prolongement de l'autoroute 73, c'est un projet essentiel pour la Beauce. Il est souhaité par les Beaucerons. Il y a un consensus dans la région. Mais notre formation politique s'oppose toutefois à une loi qui aurait pour effet pour rendre caduque toute contestation du tracé.

Ce que nous dénonçons aussi, c'est l'attitude du gouvernement dans ce dossier, le rouleau compresseur du ministre des Transports. Je crois important de rappeler, Mme la Présidente, que, dès le départ, le ministre a voulu procéder très rapidement dans ce dossier, en mode accéléré, et adopter le projet de loi dans la même semaine où il l'a déposé à l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, on comprend pourquoi. Ce à quoi nous avons droit, c'est à une tentative de bâillon déguisée.

Le 3 mai dernier, on a eu une seule journée de consultations particulières. On a dû insister parce que le ministre n'en voulait pas. L'attaché politique du ministre de la Sécurité publique, Mme Nathalie Roy, a même fait parvenir des courriels à des citoyens de la région pour qu'ils écrivent à la chef de l'opposition officielle, au leader de l'opposition et à moi-même pour éviter des consultations. Vous avouerez, Mme la Présidente, que c'est assez particulier de la part du ministre responsable de la Sécurité publique et leader adjoint du gouvernement d'avoir procédé de cette façon-là.

Cette consultation-là, Mme la Présidente, elle était nécessaire et elle a permis aux différents intervenants de se faire entendre. De ce côté-ci de la Chambre, cette consultation a mis en lumière le caractère odieux de ce projet de loi qui brime des droits de citoyens qui ont voulu légitimement défendre leurs terres et leurs biens. Lors des consultations, nous avons eu aussi l'occasion d'entendre notamment la présentation chirurgicale de Mme Josée Bilodeau, l'une des propriétaires d'un boisé menacé par le tracé est que cherche à imposer le gouvernement du Québec malgré plusieurs revers judiciaires.

Il est important, Mme la Présidente, à ce stade-ci, de faire un rappel de cette saga judiciaire qui a mis en lumière les erreurs répétées du ministère des Transports du Québec. En avril 2006, avant même que les consultations du Bureau d'audiences publiques en l'environnement aient lieu et que les commissaires statuent sur le choix du tracé de moindre impact, le ministère des Transports déposait sa demande auprès de la Commission de protection du territoire agricole du Québec pour obtenir le dézonage du tracé est.

Le rapport du BAPE, qui a été rendu public le 27 mars 2007, la recommandation principale enjoignait le ministère des Transports de satisfaire à une condition sévère à la réalisation de son tracé est, et je cite: «Le ministère doit rechercher des solutions de façon à tendre vers aucune perte nette de superficies cultivées pour les exploitations touchées.» Fin de la citation.

Les citoyens ont contesté alors la décision de la CPTAQ devant le Tribunal administratif du Québec. En juin... en juillet 2008, ils l'emportent. Le Tribunal administratif du Québec a infirmé la décision de la CPTAQ autorisant le tracé est de l'autoroute 73 et lui a retourné le dossier pour qu'elle rende une décision en respect de la Loi sur la protection du territoire agricole.

La CPTAQ rendit tout de même une nouvelle décision favorable au ministère des Transports, en avril 2009, laquelle fut contestée devant le Tribunal administratif du Québec. Un mois avant les audiences fixées pour janvier 2010, le gouvernement adopta un décret en sus de la décision de la CPTAQ contestée. L'audition du recours en contestation de la seconde décision de la Commission de protection du territoire agricole du Québec est reportée jusqu'à ce que soit disposé de la validité du décret.

Or, le 3 novembre 2010, la Cour supérieure donne raison aux citoyens contestant le tracé est en déclarant la nullité du décret du gouvernement forçant le tracé est de l'autoroute 73 et ordonne la cessation des travaux. Dans son jugement, le juge Corriveau écrit, et je cite: «...le gouvernement[...], lorsqu'il a adopté le décret n° 1180-2009 [et publié le 2 décembre 2009], n'a pas respecté la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles.»

Lors des consultations particulières, Mme la Présidente, trop courtes, le Barreau du Québec a donné, je pense, un éclairage intéressant aux parlementaires. Le Barreau a dénoncé le projet de loi. Il a fait parvenir au ministre de la Justice, au ministre des Transports un lettre qui taille en pièces le projet de loi du gouvernement libéral. Je vais vous citer, Mme la Présidente, quelques extraits de cette lettre-là. Je pense qu'il nous apparaît incontournable, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent aujourd'hui, de revenir sur cette lettre qu'a fait parvenir le Barreau au ministre de la Justice et au ministre des Transports.

Dans cette lettre, le Barreau indique: «Dans un régime démocratique comme le nôtre, le respect de la règle de droit, de l'indépendance de la magistrature, du rôle de surveillance de la Cour supérieure et du droit des citoyens à l'équité procédurale sont nécessaires afin d'assurer la prévisibilité et la sécurité juridiques. Une législation rétroactive compromet la sécurité juridique en ne permettant pas aux citoyens de connaître à l'avance les règles de droit qui s'appliquent à eux. Or, les justiciables doivent normalement pouvoir connaître à l'avance les règles juridiques qui régissent leurs relations avec l'État afin de pouvoir adapter leur comportement et d'ajuster leurs expectatives en conséquence.»

Le Barreau ajoute: «L'adoption de lois rétroactives n'est justifiable que dans des circonstances exceptionnelles où un impératif d'intérêt public le commande. Le Barreau ne voit pas clairement le motif supérieur d'intérêt public qui serait de nature à justifier la législation exceptionnelle envisagée.»

Le Barreau ajoute: «Cette loi rétroactive, si elle est adoptée et mise en vigueur, privera d'effets une décision judiciaire déjà rendue par la Cour supérieure, et trouvera application malgré la procédure pendante devant la Cour d'appel.»

Le Barreau ajoute: «En matière de respect de la règle de droit et du respect de l'indépendance des tribunaux, le gouvernement doit donner l'exemple et éviter de modifier la règle de droit rétroactivement de façon à priver d'effet les jugements qui s'appliquent à lui et qui ne font pas son affaire. Cette façon de légiférer jette le discrédit sur le processus judiciaire et sème un doute sur la portée des lois d'ordre public adoptées par l'Assemblée nationale.»

Le Barreau ajoute: «Cette situation constitue une immixtion du pouvoir législatif dans un processus judiciaire afin de couvrir rétroactivement une décision illégale de l'Exécutif. À quoi sert-il d'adopter des lois et de donner des droits aux citoyens si le gouvernement utilise son pouvoir législatif pour court-circuiter les décisions judiciaires lorsque celles-ci ne font pas son affaire?»

Le Barreau du Québec ajoute: «Le Barreau a toujours dénoncé dans le passé ce type de législation rétroactive applicable aux causes pendantes. Une telle législation est de nature à discréditer le processus judiciaire et à miner la confiance des justiciables envers les tribunaux et envers les loi générales de protection de l'environnement et du territoire agricole censés protéger leurs droits.»

Je pense, Mme la Présidente, que cette lettre acheminée par le Barreau est on ne peut plus claire. Il me semble, Mme la présidente, que, suite à l'avis du Barreau, cela devrait amener le ministre à réfléchir à nouveau à son projet de loi, à prendre du recul et à prendre la seule décision responsable à ce stade-ci et retirer ce projet de loi.

**(11 h 40)**

Lors des consultations particulières, le ministre a été incapable de démontrer la nécessité d'éliminer tout recours judiciaire et d'imposer unilatéralement le décret du tracé est de décembre 2009. Nous ne sommes pas dans un contexte de circonstances exceptionnelles. Le ministre est incapable de démontrer qu'il y a un motif supérieur d'intérêt public qui justifierait le projet de loi n° 2. Le gouvernement est incapable de démontrer la notion d'urgence pour justifier la nature même de son projet de loi. Il ne peut pas se réfugier derrière l'obligation que ça fait plus de 30 ans que les Beaucerons attendent le prolongement de l'autoroute 73 pour justifier l'urgence d'adopter cette loi. Je lui rappelle que, pour l'autoroute 175 qui se rend jusqu'au Saguenay--Lac-Saint-Jean, le gouvernement n'a pas adopté une loi spéciale pour cette autoroute. Il n'a pas privé aucun citoyen de leur droit de contester le tracé. On n'a pas brimé personne, et pourtant cette autoroute était réclamée depuis des années par les gens de la région.

Rappelons, Mme la Présidente, que ce projet de loi a un caractère exceptionnel. Il vise à enlever un droit à des citoyens. Pire encore, il vise à enlever un droit de manière rétroactive. Il m'apparaît important, Mme la Présidente, de rappeler que ces citoyens ont gagné sur toute la ligne et qu'en novembre 2010 la Cour supérieure a ni plus ni moins dénoncé l'abus de pouvoir du gouvernement. Elle a déclaré nul le décret du gouvernement forçant le tracé est de l'autoroute 73. Le juge Corriveau a indiqué clairement que le décret adopté par le gouvernement pour le tracé de l'autoroute 73 n'a pas respecté la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Et le gouvernement, lui, veut imposer unilatéralement son tracé malgré la décision du tribunal et il veut passer outre une décision du tribunal et faire adopter une législation rétroactive.

Le Parti québécois ne peut pas appuyer le gouvernement dans sa tentative de bâillonner des citoyens et de leur priver de leurs droits. Clairement, dans ce débat qui entoure ce projet de loi, on se retrouve devant la situation où c'est David contre Goliath. La question qu'on se pose, c'est pourquoi le gouvernement veut-il aller de l'avant et faire fi des décisions des tribunaux? Qu'est-ce qui justifie cette décision de modification de tracé? Pourquoi être passé du tracé ouest à est en 2004? Et, à notre avis, Mme la Présidente, les raisons invoquées par le ministre pour ce changement de tracé ne sont pas, de notre point de vue, convaincantes.

Lors de la commission parlementaire, il y a des citoyens opposés au tracé est qui ont déposé les études, les plans, les analyses, les ententes et les décrets qu'ils ont découvert dans les archives et dont dispose le ministère des Transports pour la mise en chantier du tracé ouest. On découvre que l'état d'avancement du tracé ouest était nettement plus important que le tracé est. Des citoyens comme Mme Bilodeau, M. Veilleux, Mme Poulin et M. St-Hilaire ont dénoncé la volte-face du gouvernement libéral qui, en 2004, a modifié le tracé original.

Les partisans du tracé ouest ont aussi découvert, en 2008, l'existence des décrets de réalisation et d'expropriation dont le ministère dispose depuis 1981 pour la mise en chantier du tracé ouest. Le ministère n'a jamais dévoilé ni même admis ces informations essentielles lors des consultations publiques. Ce tronçon autoroutier a pourtant été présenté sous l'égide de l'urgence de sa réalisation. Pourtant, le ministre utilise le même argument pour justifier l'adoption de cette loi spéciale.

Le ministre des Transports a également évoqué la nécessité d'adopter le projet de loi n° 2 et de maintenir le tracé est par le fait qu'un changement de tracé ou une procédure judiciaire entraînerait des délais additionnels. Ce qui est étonnant, Mme la Présidente, c'est que, lorsque le gouvernement libéral a décidé de porter en appel le jugement de la Cour supérieure, le 26 novembre 2010, il a affirmé par voie de communiqué, et je cite: «L'appel du jugement ne met pas en péril l'échéancier prévu pour la réalisation du projet.» Je répète: «L'appel du jugement ne met pas en péril l'échéancier prévu pour la réalisation du projet.» Comment, d'un côté, le ministre peut plaider la nécessité d'adopter la loi n° 2 pour ne pas retarder les travaux et, de l'autre côté, soutenir, dans un communiqué, que l'appel du jugement n'a pas d'impact sur l'échéancier? Il faudrait que quelqu'un nous l'explique, Mme la Présidente, parce que, visiblement, là, si le point de vue du ministre dans le communiqué émis le 26 novembre 2010 tient toujours, le ministre n'a qu'à laisser le processus judiciaire suivre son cours.

Je rappelle aussi que le ministre tente de nous vendre son projet de loi en indiquant que c'est pour des motifs de sécurité: on est mieux avec le tracé est que le tracé ouest. Pourtant, le rapport du BAPE, à la page 57, disait ceci: «Les deux tracés répondraient de manière comparable aux objectifs de fluidité et de sécurité de la circulation.»

Le rapport du BAPE, page 43: «Pour rejoindre le centre urbain de Beauceville, le ministère des Transports prévoyait un échangeur et un raccordement dans l'axe de la route Fraser. En raison de pentes fortes dans ce secteur, qui représentaient des risques en matière de sécurité routière, et de la présence du secteur résidentiel, il a abandonné ce raccordement.»

Dans l'étude d'impact de 2005, page 338, il est question que «le raccordement dans l'axe de la route Fraser [...] a été abandonné pour des raisons de sécurité routière», sans pour autant remettre en cause le tracé ouest lui-même pour ces mêmes raisons.

En 1997, au cours de la réalisation de l'étude d'impact portant sur le tronçon entre Saint-Joseph-de-Beauce et Beauceville, le raccordement dans l'axe de la route Fraser à Beauceville a été abandonné pour des raisons de sécurité routière et d'incompatibilité d'usage.

Alors, c'est des éléments... Là, je cite des rapports très, très précis. Je veux, Mme la Présidente, aussi revenir sur un autre élément qui a entouré tout le débat sur ce projet de loi. Je suis inquiet, Mme la Présidente, moi, pour la suite des choses. Il y a des citoyens qui ont été victimes de menaces: de menaces de brûler leur ferme, de menaces de mort dans certains cas.

À l'Assemblée nationale, M. Bilodeau, une des citoyennes qui conteste le tracé du gouvernement libéral, a indiqué qu'elle a été victime de menaces. Elle a déclaré, et je cite: «J'ai eu des menaces de mort l'été dernier, en instance devant la Cour supérieure. C'est arrivé au mois de juin [...] j'en ai eu aussi une fois le jugement rendu, [...]j'en ai [...] encore dernièrement [eu], au mois de mars.»

Dans Le Devoir, on indique aussi que Mme Bilodeau, qui a porté plainte, a ajouté qu'on a aussi menacé les agriculteurs, Manon Poulin et Marc St-Hilaire, qui s'opposent au tracé est, de brûler leur ferme. Ce que Mme Bilodeau a révélé, c'est extrêmement grave. Ce qu'il y a de plus troublant, c'est qu'on a eu l'impression que le ministre des Transports a badiné avec une telle chose. Ça me trouble, Mme la Présidente, profondément.

Je pense que le ministre des Transports devrait, par rapport à cet élément-là, faire preuve de hauteur, agir en ministre responsable et reconnaître les torts que son gouvernement cause à plusieurs citoyens qui ont peur. Ces citoyens cherchent à faire respecter leurs droits. Le ministre, lui, veut leur enlever leurs droits.

Le ministre, loin de calmer le jeu, a plutôt choisi de mettre de l'huile sur le feu. Le 5 mai dernier, il a déclaré, dans le Journal de Québec, et je le cite: «En deux mots, il y a trois personnes qui prennent en otage une région complète qui est la Beauce.» Cette déclaration n'est pas à la hauteur des responsabilités d'un ministre du gouvernement du Québec.

Les citoyens qui contestent le tracé est sont des êtres humains qui défendent leurs biens, qui défendent leurs terres et qui ont gagné leur cause devant les tribunaux. Leur démarche, elle est légitime. Le ministre devrait faire preuve de respect à leur endroit. Et je vous indique donc qu'il est clair pour nous: nous demandons au ministre de retirer le projet de loi n° 2, Mme la Présidente. Nous croyons, nous croyons que ce projet de loi n'est pas nécessaire.

Je rappelle que nous sommes favorables au prolongement de l'autoroute 73, le plus vite possible sera le mieux, mais on n'en serait pas là si le gouvernement avait travaillé correctement dès le départ. Il n'a que lui-même à blâmer sur la situation que vivent les Beaucerons à l'heure actuelle.

**(11 h 50)**

La Présidente (Mme L'Écuyer): ...M. le député. Je cède maintenant la parole au député de Beauce-Nord pour une période de 20 minutes.

M. Janvier Grondin

M. Grondin: Alors, merci, Mme la Présidente. Ça ne prendra pas 20 minutes, là, mais je vais essayer d'éclaircir des choses. Parce qu'on entend toujours parler que les tracés ont été décidés en 2004, 2005, ça a changé... mais c'est le gouvernement... C'est sous le gouvernement du Parti québécois que le tracé est est devenu possible.

Parce que, quand... suite à des études, ça a été fait en 1998, que, là, ils ont regardé tout ce qui... les études qui ont été faites. Et c'est le Parti québécois, qui était au pouvoir dans ces années-là, qui a décidé que le tracé est était un meilleur tracé que le tracé ouest. Alors, je me demande aujourd'hui pourquoi qu'on fait un débat et puis qu'on essaie de rendre les choses... Il faudrait peut-être parler à vos ancêtres un petit peu, qu'est-ce qu'ils ont décidé dans ce temps-là.

Mais il reste que, pour moi et pour... je pense que, si on a une vision, si on a une vision d'avenir, c'est que l'autoroute, il faut qu'elle passe du côté est de la montagne, surtout aujourd'hui, quand on voit l'environnement qui change avec le réchauffement de la planète puis qu'on a des orages un peu extraordinaires... On l'a vécu avec la ville de Beauceville en 2004, je pense. En 2004, on a eu une pluie abondante qui a duré une journée, une journée et demie puis les infrastructures de la ville ont quasiment tout arracher dans la ville de Beauceville. Alors, il ne faut pas... Moi, je pense que, si on regarde ça intelligemment, il faut que l'autoroute, elle passe du côté est de la rivière... de la montagne.

C'est sûr que, on l'a vu dans d'autres dossiers... Ça fait huit ans que je suis ici, moi, puis, à chaque session, on a des projets de loi qui sont semblables, à un moment donné, qu'il faut passer. Je me rappelle le pipeline qu'on a décidé de passer de Québec à Montréal pour Ultramar, c'est sûr qu'on dérange des citoyens, là. On ne peut pas passer une autoroute, on ne peut pas passer un pipeline, on ne peut pas... sans aller toucher à des citoyens. Je pense qu'on l'a fait dans le passé, je pense qu'on n'a pas fini, je pense qu'à chaque année on va avoir la même décision à prendre, mais on est ici pour prendre ces décisions-là.

La 175 que vous parlez dans le parc des Laurentides, il n'y a pas eu beaucoup de contestations, mais, à ce que je sache, il y a plus d'orignaux que de maisons, alors ça ne conteste pas bien fort, des orignaux. Mais, s'ils avaient eu le pouvoir de contester, ils auraient peut-être contesté parce qu'il y en a beaucoup sur la route.

Alors, moi, je dois vous dire que, pour les Beaucerons, on a besoin de cette autoroute-là. Depuis 40 ans qu'on en parle, on a besoin, c'est une question de... La ville de Saint-Georges est un point économique, nous autres, très fort dans la Beauce, que ce soit dans le domaine de la sécurité des gens... Parce que, quand on a parlé, il y quelques années, de l'autoroute 175, c'était pourquoi? C'était pour la sécurité des gens. Il y avait des gens qui se tuaient sur ces routes-là.

On a le même phénomène sur la 173, puis l'hôpital le plus... qui a le meilleur, je vous dirais, les meilleurs spécialistes, c'est à Saint-Georges, alors il faut s'en aller là. Que ce soit l'éducation, le cégep, l'université, on s'en va... le CIMIC, à Saint-Georges, l'école entrepreneuriale qui va ouvrir, qui est présentement ouverte, c'est tout à Saint-Georges, on a besoin de ce lien routier là. Et puis c'est un lien routier qui nous amène... Comme ici, le maire... l'ex-maire de Saint-Georges disait: L'autoroute de la Beauce, elle s'en va avec... on a fait une nouvelle frontière, une nouvelle... une douane à Farnham, on s'en va là puis on a un lien avec les États-Unis, on s'en va dans une population de 300 millions d'habitants, tandis que l'autoroute des Laurentides, je n'ai rien contre, parce que je m'en sers quand je m'en vais à la pêche, je trouve ça très bien, mais elle s'en va... On s'en va dans la forêt, là.

Alors, moi, je pense que l'autoroute de la Beauce, elle est due. Ça nous prend une autoroute, ça fait tellement longtemps qu'on en parle. Et puis c'est sûr qu'il y a eu des changements, mais il y a eu tellement de changements dans ces plans-là... Moi, depuis les huit dernières années que je suis assis ici... Même quand j'étais maire, on en parlait. Alors, c'est normal qu'il y ait des changements de tracé, mais il reste que la vision que le Parti québécois avait eue, en 1998 aller jusqu'en 2002, de changer de tracé, de le mettre du côté est, c'était une très bonne vision et c'est là qu'il faut que ça passe. Alors, merci, Mme la Présidente. J'imagine qu'on va avoir beaucoup à discuter.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci, M. le député. Je cède maintenant la parole au... Pardon?

M. Hamad: Un droit de réplique?

La Présidente (Mme L'Écuyer): Non. Il n'y a pas de droit de réplique.

M. Hamad: Non? Il n'y a pas de droit de réplique?

La Présidente (Mme L'Écuyer): On est encore dans les remarques préliminaires, M. le ministre.

M. Hamad: O.K. Je n'ai pas de remarque, rien?

La Présidente (Mme L'Écuyer): Non, M. le ministre. On cède la parole maintenant...

M. Hamad: Ce n'est pas l'envie qui manque, hein, Mme la Présidente?

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: ...consentement.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Ah! Si vous voulez donner un consentement, ça va. Par consentement, tout est possible.

M. Hamad: Oui. Oui. On est parti pour longtemps, ça fait qu'on va s'amuser ici.

M. Girard: M. le ministre veut prendre la parole, il y a consentement.

La Présidente (Mme L'Écuyer): M. le ministre, consentement. Et, après, je céderai la parole au député de Sainte-Marie--Saint-Jacques. M. le ministre, la parole est à vous.

Une voix: La parole est à vous.

M. Hamad: C'est à moi?

La Présidente (Mme L'Écuyer): Oui, allez-y. Il y a consentement. Il y a consentement.

M. Sam Hamad

M. Hamad: Ah! Parfait. Alors, je veux remercier l'étroite collaboration de l'opposition pour me donner le droit. En fait, c'était une remarque. C'est une question que je poserais en partant. Quand j'ai vu l'article dans Le Soleil, le 18 mai 2011, Frictions au Parti québécois, et on voyait... On est incohérent en dénonçant d'un côté le gouvernement dans le dossier l'autoroute 73 et en faisant la même chose.

Et il y avait: «Un autre péquiste -- l'article disait -- s'estimant lui aussi "mal à l'aise", s'est attardé au fond du projet. "Je trouve qu'on pousse un peu loin avec ce projet de loi."»

Alors, si je dois comprendre, aujourd'hui, ceux qui sont en face de moi, c'est... probablement ne sont pas ceux qui ont vidé leur coeur et leur pensée au journaliste. Je veux m'assurer juste que les cinq députés qui sont là ne sont pas les mêmes cités dans l'article.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci, M. le ministre. Je cède maintenant la parole à M. le député de Sainte-Marie--Saint-Jacques pour les 20 prochaines minutes.

M. Martin Lemay

M. Lemay: Merci, Mme la Présidente, puis on... je ne sais pas, est-ce qu'il va falloir donner notre consentement à toutes les répliques du ministre? C'est ça? À toutes les fois, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme L'Écuyer): C'est selon vous. C'est selon vous.

M. Lemay: O.K., d'accord, on regardera. On verra, peut-être éventuellement. Et j'ai... Nous avons entendu le cri du coeur de notre collègue de Beauce-Nord et nous partageons ce cri du coeur avec les gens de la Beauce qui, effectivement, ont besoin de cette infrastructure routière.

La question n'est malheureusement pas à ce niveau, à l'heure actuelle, au niveau de l'infrastructure comme telle. Parce que, dans le fond, la question qu'il faut se poser... La construction d'autoroutes, à moins que je me trompe, Mme la Présidente, la construction de routes et d'autoroutes est rarement objet de débats en commission parlementaire. Il y a d'autres... Il y a le budget, il y a les crédits où, là, on discute des projets du ministère des Transports, des rénovations, où on intervient quand le ministre fait des annonces, et notre porte-parole, le député de Gouin, intervient.

Donc, la question que les gens de Beauce doivent se poser, la question que les gens qui écoutent doivent se poser: Pourquoi nous sommes en commission parlementaire aujourd'hui pour discuter d'un projet essentiel pour la Beauce? Dans le fond, c'est ça, la question. C'est une excellente question, et je vais même y répondre, Mme la Présidente. Je ne ferai pas seulement que la poser, je vais même y répondre.

Mme la Présidente, le ministère des Transports, au gré des 10, 20 ou 50 dernières années, peu importe, dans le fond, a fait des propositions pour l'autoroute tel qu'il est proposé, soit à l'est ou à l'ouest. Là, le gouvernement a fait son nid il y a quelques années. Il a dit: Voici le tracé de cette autoroute, autoroute qui est attendue, et nous le comprenons, par les gens de la Beauce. Il y a des gens... Donc, le gouvernement a fait sa proposition, mais il s'est mal assuré de ses assises juridiques, pareil comme si, Mme la Présidente, c'était la première fois dans l'histoire -- parce que, si vous voulez parler d'histoire, on va pouvoir en parler -- que quelqu'un conteste un projet du gouvernement. Ce n'est quand même pas la première fois, Mme la Présidente, ça arrive couramment, surtout lors d'expropriations. Ça arrive au gouvernement, ça arrive dans les villes où les citoyens visés par un acte d'expropriation le contestent. Donc, les gens contestent et, Mme la Présidente, ils gagnent. Qu'est-ce que vous voulez qu'on vous dise? Ils ont gagné leur contestation, donc, au préalable, le gouvernement et le ministère a mal fait ses devoirs. C'est ça, le problème. C'est la raison essentielle pour laquelle nous sommes ici: c'est que le gouvernement du Québec, malheureusement, dans ce cas-là n'a pas fait ses devoirs.

Et il y a des gens qui, légitimement, ont contesté leur expropriation et ils ont gagné, comme l'a si bien signifié notre collègue, ont gagné non pas une fois, mais à deux reprises. Ils ont même contesté un décret, ce qui est, Mme la Présidente... Je n'ai pas vu de statistiques, là, mais des contestations de décrets du gouvernement, en tout cas, je ne pense pas que ça arrive très, très souvent. D'autant plus que... Une corporation professionnelle peut contester un décret, une organisation peut contester un décret, mais que des citoyens seuls dans leur coin contestent des décrets du gouvernement et gagnent, on ne peut pas dire, Mme la Présidente, que ça arrive souvent. Je suis même convaincu qu'à un moment donné un historien va se pencher sur cette saga, malheureusement, va se pencher, va étudier, étape par étape, la saga de l'autoroute 73. Et la raison réelle pour laquelle on est ici, c'est que, malheureusement, il faut le dire, un gouvernement et un ministère n'ont pas fait leurs devoirs, donc des citoyens ont contesté légitimement la décision du gouvernement.

**(12 heures)**

Donc, la première question: C'est la faute à qui? Mme la Présidente, bien, nous sommes obligés de dire: C'est un peu, beaucoup, passionnément, je vous dirais, la faute du ministère et du gouvernement qui a mal fait ses devoirs. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, en commission parlementaire, à débattre d'un tracé d'autoroute, ce qui est, ça aussi, Mme la Présidente, il faut le dire, un événement rare.

Je l'ai dit tout à l'heure, mais je pense qu'il faut insister là-dessus: de débattre, en commission parlementaire, sur des tracés d'autoroute, ça n'arrive pas tellement souvent. Je ne sais pas si quelqu'un pourrait nous aider à cet égard-là. Moi, en tout cas, ça ne fait pas 20 ans que je siège à l'Assemblée, là, mais l'histoire et tout, ça... Donc, c'est la faute à qui? Ça, c'est la première chose.

Et ce qui est étonnant, Mme la Présidente, quand j'ai pris connaissance de ce dossier-là, je me suis dit: Il me manque des données, il y a des choses, peut-être, que je comprends mal. J'en ai parlé à quelques collègues, dont notre porte-parole. Eh non, ce qui me semblait incroyable au départ était la réalité. Soit que le gouvernement, ayant compris qu'il avait perdu, ayant compris qu'il allait peut-être... et là nous n'étions pas là lors des discussions au Conseil des ministres, mais qu'il allait fort probablement perdre, peut-être, en appel, bien, il s'est dit: La meilleure chose, c'est de littéralement, je dirais, Mme la Présidente, faire taire toutes les contestations. Donc, c'est la deuxième raison pour laquelle on est ici. C'est qu'on veut faire taire les contestations du trajet de l'autoroute tel que proposé.

Mais ce qui m'étonne, Mme la Présidente: des routes au Québec, on en fait depuis 400 ans, depuis 400 ans, on exproprie des gens, on achète des terrains, on négocie des droits, et là c'est comme si c'était la première fois qu'on décidait de faire une route potentiellement contestée, comme elle le sont toutes. C'est un peu étonnant, Mme la Présidente. Vous me permettrez de... Je vous donnerai quelques exemples de ma circonscription, parce que, chez nous, il y a ce qu'on... puis probablement que quelques de nos collègues ont aussi le Chemin du Roy, en 1600, 1600 quelque. Donc, des chemins, Mme la Présidente, on en fait, ça fait longtemps.

Et là on arrive dans une situation... et il fallait d'autant plus s'assurer du bien-fondé du décret d'expropriation qu'on savait que cette autoroute-là était attendue par les citoyens de Beauce. Ça aussi, c'est étonnant. Sachant que cette autoroute-là, cette route-là était attendue, et notre collègue de Beauce-Nord l'a très, très bien illustré, Mme la Présidente, de façon même touchante, je dirais, il faut d'autant plus faire attention, parce que ce projet de loi là était... pas ce projet de loi là, mais ce projet de route est attendu depuis des années et des années. Eh bien, non, Mme la Présidente, malheureusement, malheureusement, on n'a pas fait attention.

Probablement... Est-ce qu'on a voulu aller vite? Est-ce qu'on a voulu peut-être tourner un petit peu les coins ronds en termes de procédure. Manifestement, c'est ce que les cours nous disent. Parce que les contestataires ont gagné deux fois leur cause. Donc, manifestement, le gouvernement a voulu aller trop vite, a voulu aller trop rapidement. Donc, on peut bien pointer du doigt les contestataires, les gens qui défendent légitimement leurs droits et leurs biens, mais, Mme la Présidente, ça n'avancera pas le dossier, là. Ça n'avancera pas le dossier.

Et, surtout, ce que je trouve un peu insidieux de ces choses-là, et j'y reviendrai un petit peu plus tard, c'est que, dans le fond, on ne vise pas, en pointant du doigt des gens qui contestent le tracé et qui ont gagné deux fois, on ne pointe pas du doigt les réels -- j'ai le terme «coupables», mais ce n'est pas ça, là... non, non, non, mais ce n'est pas ça, là -- les réels... ceux qui ont fait les erreurs réelles. Ce n'est pas les contestataires qui ont fait les erreurs de droit, c'est le gouvernement et le ministère des Transports qui ont fait les erreurs.

Donc, le ministre conseille son gouvernement et dit: Devant le fait que, malheureusement, l'acte ou le décret d'expropriation n'était pas conforme, n'était pas légal, les gestes du gouvernement n'étaient pas légaux, nous devons retirer, nous devons arrêter, dans le fond... parce que c'est deux gestes, pour moi, ce projet de loi là: c'est arrêter les contestations et retirer le droit de contester. Il faut quand même le faire, Mme la Présidente! Il faut quand même le faire! Pensons-y, là. Au-delà du dossier de fond qui est très important, notre collègue l'a dit, notre collègue de Beauce-Nord l'a dit également, au-delà du dossier de fond qui est très important, qu'est-ce qu'on fait là? C'est qu'on retire à des gens qui ont gagné deux fois devant le tribunal le droit de poursuivre leurs démarches, à leurs frais, je le souligne, Mme la Présidente, hein, à leurs frais. Et ça aussi, c'est peut-être des cas relativement rares dans l'histoire législative. Bien sûr, Mme la Présidente, on pourra donner plusieurs exemples de dossiers où, pour toutes sortes de raisons de sécurité publique ou autres, le gouvernement a emprunté la même voie.

Mais une autre de mes surprises que j'ai eues en fouillant ce dossier-là: je m'attendais à ce qu'il y ait des éléments supérieurs de sécurité publique, d'intérêt public. Et, encore une fois, Mme la Présidente, et je le dis en tout respect, nous sommes tous et toutes impatients et impatientes de certains enjeux dans nos circonscriptions respectives. Je vais vous en nommer un, Mme la Présidente, chez nous: Notre-Dame. N'est-ce pas, Mme la Présidente? Notre-Dame, chez nous, les gens sont impatients également. C'est un dossier complexe, nous le reconnaissons d'entrée de jeu. Mais, si l'impatience est la justification à l'avenir pour des lois d'exception, hum, c'est étrange, Mme la Présidente! C'est étrange, parce que les gens pourront faire toutes les comparaisons qu'ils voudront, là, il reste que, dans ce dossier-là, il y a des démarches juridiques qui étaient déjà entamées, il y a des démarches juridiques qui étaient déjà gagnées, et là on empêche toute poursuite de ces démarches-là. Et ça, c'est très différent avec plusieurs autres cas, plusieurs autres cas. Alors, le gouvernement, à la place d'aller en appel, s'est probablement dit, comme je le disais tout à l'heure: Soit que ça va être trop long, l'appel va être trop long, ou soit on risque carrément de perdre. Et le gouvernement venait de perdre deux fois. Alors, il s'est dit: Le risque de perdre à nouveau devant la Cour d'appel est très élevé.

Donc, Mme la Présidente, j'ai été, comme plusieurs collègues, un peu étonné par la teneur de ce projet de loi. Et, Mme la Présidente, vous me permettrez de faire quelques commentaires. Et je le dis en tout respect pour les deux ministres concernés, parce que, au-delà de la politique, au-delà des joutes oratoires que nous avons les uns et les autres, il reste qu'on se respecte. Mais je dois vous dire que j'ai été déçu, très sincèrement, par la posture politique adoptée par les deux ministre en cause. Et je le dis en toute sincérité, j'étais triste de ça.

Parce que le ministre aurait pu convaincre les gens de Beauce, les contestataires, et nous-mêmes, comme opposition, aurait pu nous convaincre -- c'était son devoir de le faire, d'ailleurs, de nous convaincre -- que l'intérêt supérieur du Québec et de la Beauce était, si vous voulez, justifiait le dépôt de ce projet de loi. J'ai suivi ce débat-là, j'ai lu les revues de presse, et je dois vous dire que, là-dessus, je suis resté sur mon appétit, Mme la Présidente. Parce que, quand on dépose une loi de cette nature-là sans être capable d'invoquer l'intérêt supérieur, il me semble qu'il y a un manque à cet égard.

Et, pire que ça, Mme la Présidente, j'ai ici une coupure de presse, on l'a utilisée, mes collègues l'ont utilisée, je le sais, mais je trouve ça un peu triste d'utiliser cette rhétorique, et je cite le ministre des Transports qui dit: «Voter contre ce projet de loi, ça serait [...] voter contre la Beauce.» Bon, Mme la Présidente, dans le système dans lequel nous sommes, c'est notre rôle d'opposition de nous opposer contre des projets de loi qui nous semblent questionnables pour le moins. C'est notre rôle. Bon. Tant mieux, il n'y a peut-être pas de décrets qui peuvent s'opposer pour empêcher l'opposition d'intervenir, tant mieux. Peut-être qu'il aurait été utilisé, on ne le sait pas, Mme la Présidente. Mais c'est parce que...

Une voix: Question de règlement, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Oui, une question de règlement.

M. Billette: ...que vous êtes un parlementaire d'expérience, quand même, puis l'imputation de motif, je pense qu'elle est assez évidente, à ce moment-là, là.

Une voix: Article 35.

M. Billette: Article 35.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Je...

M. Lemay: Moi, je ne suis pas...

La Présidente (Mme L'Écuyer): Je vais vous demander d'être prudent.

**(12 h 10)**

M. Lemay: En tout cas, si les gens ont compris que j'avais un motif, je ne veux pas imputer...

La Présidente (Mme L'Écuyer): M. le député de Sainte-Marie--Saint-Jacques, la prudence...

M. Lemay: Oui, absolument, je ne veux pas imputer aucun motif. Je ne veux pas imputer aucun motif.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Juste être prudent.

M. Lemay: Ce n'était pas un motif... C'était au conditionnel. Ce n'était pas à l'indicatif présent, c'était au conditionnel.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Là, vous n'en faites plus.

M. Lemay: Oui.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Ça, c'est... Est-ce qu'on appelle ça étirer l'élastique un peu?

M. Lemay: D'accord. Alors, je vais faire attention, Mme la Présidente, parce que mon intention n'est pas du tout de donner...

La Présidente (Mme L'Écuyer): On continue.

M. Lemay: ...aucun motif à qui que ce soit.

Le ministre de la Sécurité publique, qui est un député évidemment de cette région, pour qui, comme le ministre des Transports, j'ai le plus grand respect, a également dit: «On a devant nous une personne qui ne veut pas que l'autoroute passe, un point à la ligne. Elle a décidé que, si nous ne changions pas le tracé, cela ne se ferait pas. L'utilité publique primera l'objection d'une personne. Elle a droit de s'y opposer, mais il y a une limite un moment donné.» Et, Mme la Présidente, permettez-moi de dire: Le ministre de la Sécurité publique est non seulement un ministre et député expérimenté, mais que le ministre de la Sécurité publique, lui qui a la responsabilité de la police, lui qui a les responsabilités de plusieurs lois très importantes au Québec, pointe du doigt une personne de cette façon-là, ça m'a... je vous le dis, ça m'a déçu. Ça m'a déçu, parce qu'encore une fois c'est le rôle du gouvernement, c'est le rôle du gouvernement de dire: Voici un projet de loi, nous sommes conscients qu'il vient bousculer les choses, et voici, selon nous, l'intérêt immédiat public pour lequel on le dépose.

Eh non, Mme la Présidente! On a pointé du doigt les gens qui contestaient, on a pointé du doigt l'opposition. Et il faut que les gens qui nous écoutent soient bien, bien, bien... comprennent bien, là: c'est notre rôle d'opposition de faire notre travail parlementaire, que les lois soient justes, équitables pour tout le monde. C'est notre travail, Mme la Présidente. Vous le savez, vous présidez vous-même depuis des années, vous siégez en cette salle depuis des années. C'est notre rôle d'opposition de faire en sorte que les lois soient les meilleures possible ou, si, dans certains cas, les lois nous semblent... je dirais, envoient un message qui n'est pas clair à la population, c'est notre rôle de le dénoncer. Et ça, Mme la Présidente, il n'y a rien, il n'y a pas une rhétorique politique d'aucune façon qui va nous empêcher de faire notre travail, mais de...

Nous, nous le faisons, Mme la Présidente. Nous faisons ce travail-là dans un environnement relativement confortable à l'Assemblée nationale, dans la sécurité. Comme je le disais tantôt, au-delà des débats rhétoriques parfois musclés que nous avons ensemble, nous le faisons dans une relative... un sentiment pas relatif, mais un sentiment de sécurité. Mais ce n'est pas le cas pour les gens qui ont contesté, Mme la Présidente. Ça, ça a été un autre phénomène qui m'a un peu éberlué, de voir les gens qui contestaient légitimement le tracé de l'autoroute menacés. On ne sait pas par qui, là, on ne sait pas... À ma connaissance, il n'y a pas eu d'accusations de déposées.

Une voix: Il y en a eu.

M. Lemay: Il y en a eu? Il y a des accusations qui ont été déposées.

M. Hamad: ...

M. Lemay: En tout cas, bon, ça restera à déterminer peut-être un petit peu plus tard dans nos travaux, là, mais il y a des gens qui ont été menacés de toutes sortes, notre collègue l'a dit tout à l'heure, et ça, ça m'a secoué un peu, Mme la Présidente, ça m'a secoué un peu. Ça m'a secoué un peu de m'apercevoir... -- et je cite ici Cyberpresse, Le Soleil, je crois que c'est le 5 mai dernier: «[Mme] Bilodeau -- une dame qui, comme vous le savez, conteste -- une des quatre propriétaires qui contestent [...] a révélé jeudi avoir reçu des menaces de mort, de voies de fait et d'intrusion sur sa propriété durant la dernière année.» Ça, c'est très triste, Mme la... et ça, il faut dénoncer ça de la façon la plus énergique possible.

Dans une société démocratique comme la nôtre, que des gens ne puissent pas faire valoir leurs droits sans encourir la menace à leur intégrité physique ou de leur propriété, Mme la Présidente, je trouve ça triste. Et je souhaite... Je ne sais pas s'il va y avoir des accusations. Je souhaite que les gens qui ont fait ces menaces puissent être retrouvés, Mme la Présidente. C'est inacceptable dans une société démocratique comme la nôtre.

Oui, Mme la Présidente, je vais revenir à ce que je disais tout à l'heure, la déception que j'avais face à l'argumentaire, à l'argumentaire politique de nos collègues du gouvernement. J'en ai retrouvé une autre ici, dans, encore une fois, Cyberpresse, Le Soleil, le 1er mai, je crois -- il y a plein de chiffres, là -- je crois que c'est le 1er mai. Non, le 9 mai, pardon, le ministre des Transports dit: «Le PQ se sert de [...] prétextes -- je ne dis pas le terme, là, parce qu'il est non parlementaire -- pour faire obstacle à la Beauce.»

Donc, Mme la Présidente, on peut être en désaccord sur des choses, on peut débattre sur des enjeux, ce projet de loi là est très important non seulement pour la Beauce, mais en termes de principe législatif. De dire que, quand on est contre le projet de loi pour des raisons très claires, bien exprimées par notre collègue, c'est être contre la Beauce, je trouve ça triste, Mme la Présidente, d'employer une telle rhétorique. Il me semble que c'est le ministre qui a le devoir, Mme la Présidente, de convaincre les gens que ce projet de loi là vient défendre ou vient asseoir un enjeu, un élément d'intérêt national pour le Québec. C'est de cette façon que l'on justifie ce projet de loi là et non pas en pointant du doigt les uns et les autres, les opposants à ce type de projet de loi. Mme la Présidente.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci, M. le député. Je cède maintenant la parole au député... Ça va? M. le député du Lac-Saint-Jean, la parole est à vous.

M. Alexandre Cloutier

M. Cloutier: Merci, Mme la Présidente. Alors, vous l'avez bien dit: député de Lac-Saint-Jean. Alors, je me retrouve à cette commission transports environnement, Mme la Présidente, alors que je suis porte-parole à l'emploi et la solidarité sociale. On peut se demander qu'est-ce qui justifie ma présence ici aujourd'hui?

La Présidente (Mme L'Écuyer): Je vous souhaite la bienvenue.

M. Cloutier: Bien, je vous remercie. Je vous retourne la pareille, Mme la Présidente, ainsi qu'à mes collègues. Merci de m'inviter à votre commission. Le ministre se réjouit de ma présence. J'imagine qu'on aura la chance éventuellement d'approfondir l'aspect constitutionnel. Mais c'est là que je veux en venir, Mme la Présidente, parce que ce qui justifie, en fait, ma présence avec vous aujourd'hui, c'est vraiment l'intérêt juridique qui est porté par le projet de loi du gouvernement du Québec. En fait, lorsqu'on m'a demandé de m'intéresser à ça, l'angle qui m'intéresse, ou du moins qui pose problème, est l'angle juridique. Parce que je me mets à la place des pauvres Beaucerons qui nous écoutent ce matin, puis qui se disent: Dans quel bourbier sommes-nous rendus, alors que toute la population réclame cette autoroute depuis, quoi, depuis 40 ans chez vous, mon collègue de Beauce-Nord?

M. Grondin: Oui, ça fait...

**(12 h 20)**

M. Cloutier: Au moins une quarantaine d'années. Alors, Mme la Présidente, on peut comprendre la colère des citoyens de la place qui se disent: Mais comment se fait-il qu'on est rendus là? Puis comment se fait-il que cette autoroute se ramasse dans cette complexité juridique, alors qu'évidemment ce que le monde veut, c'est une route, pour des raisons de sécurité, pour des raisons de rapidité, pour des raisons d'accès aux territoires. Et, avec raison, ils réclament à grands cris, depuis de nombreuses années, cette autoroute auquel, on l'espère, on pourra procéder le plus rapidement.

Le problème, Mme la Présidente, c'est que la façon dont le gouvernement du Québec s'y est pris pour imposer le tracé est, c'est là que ça pose problème. Mme la Présidente, le gouvernement du Québec peut utiliser des procédures exceptionnelles pour, par exemple, se substituer au pouvoir de la Commission pour la protection du territoire agricole. Le gouvernement du Québec a différents véhicules pour s'immiscer lorsqu'il voit, par exemple, que le tracé devrait prendre ou utiliser des terres qui pourraient être contraires à la loi sur la protection agricole. Il y a des procédures qui sont prévues pour que le gouvernement se substitue au pouvoir de la commission.

Le problème, Mme la Présidente, c'est que le gouvernement du Québec a commis une série d'erreurs juridiques puis, au lieu de se rétracter ou de suivre la voie judiciaire, s'est dit: Je m'enfonce tellement dans le processus judiciaire que la seule voie qu'il me reste pour me sortir de ce bourbier juridique, bien, c'est de procéder par une législation à l'Assemblée nationale.

Je veux bien, Mme la Présidente, à l'Assemblée nationale, nous avons les pouvoirs, les pouvoirs de légiférer évidemment. Le ministre nous a dit en Chambre: Nous sommes souverains. Bien, je veux bien, je veux bien que nous sommes souverains, mais encore est-il que nous devons respecter minimalement la charte des droits et libertés. À moins que la ministre me dise qu'on est tellement souverains qu'on peut violer la charte, non seulement on doit respecter la charte, mais on doit aussi respecter les autres principes constitutionnels qui organisent l'État.

M. le ministre ne me dira quand même pas qu'on a le pouvoir de légiférer en matière criminelle, le pouvoir de légiférer en matière d'immigration, le pouvoir de légiférer sur l'assurance chômage, quoiqu'on l'a déjà eu au début du siècle mais effectivement ça a été modifié par la suite. Le ministre ne me dira quand même pas, Mme la Présidente, que l'Assemblée nationale a tous les pouvoirs. Non, c'est pourquoi nous avons un ordre juridique qui dicte une hiérarchie des lois et, dans cette hiérarchie des lois, celle qui est en haut des autres, que ça nous plaise ou nous déplaise, c'est la Constitution.

Bon. Là, je ne ferai pas un discours sur la Constitution canadienne. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, Mme la Présidente, mais la Constitution a une valeur de préséance sur les autres droits. Pourquoi? Parce que c'est l'organisation de l'État. C'est à partir du texte constitutionnel qu'on sait qui fait quoi et qui peut faire quoi. Alors, nous sommes souverains, Mme la Présidente, mais dans les limites imposées par la Constitution canadienne et dans les limites imposées par toutes les autres dispositions législatives qui viennent restreindre les pouvoirs des députés de l'Assemblée nationale.

Alors, une fois qu'on a compris l'ordre dans lequel on peut agir puis que c'est clair entre nous les pouvoirs qu'on a puis les pouvoirs qu'on n'a pas, bien, après, le gouvernement, lui, ce qu'il doit faire, c'est se dire: Bon, bien dans le dossier qui nous occupe, dans le dossier de l'autoroute 73, il y a une contestation judiciaire, comment je peux procéder dans le respect de la loi? Et c'est là, Mme la Présidente, que malheureusement le gouvernement du Québec a failli à sa tâche parce qu'il a oublié quelques règles de base. Il y a une de ces règles-là, Mme la Présidente, qui s'appelle audi alteram partem, qui était une des expressions favorites de l'ancien premier ministre Bernard Landry, pour ceux qui s'en souviennent, audi alteram partem, qui essentiellement veut dire, Mme la Présidente, le droit d'être entendu. Et ça adonne, Mme la Présidente, que, quand le gouvernement du Québec a adopté son décret, il a oublié d'informer ceux qui contestaient le projet, a dit: Oups! désolé, on va adopter un décret pour mettre fin aux procédures de contestation, mais a oublié d'informer les gens qui étaient directement touchés et qui avaient engagé des frais juridiques, une procédure judiciaire qui coûte cher à ses opposants. Il a oublié de les informer.

Alors, grande surprise, ils se tournent vers la Cour supérieure, les opposants se tournent vers la Cour supérieure et la Cour supérieure dit quoi? Bien, elle dit, M. le ministre, au gouvernement, bon: Vous avez certains pouvoirs d'agir, mais encore faut-il que vous respectiez la procédure qui est dictée par la loi. Ah! Et c'est là que le bât blesse. C'est là que le bât blesse. Qu'est-ce que dit la Cour supérieure? Et je vais vous la citer, Mme la Présidente, ça vaut la peine. Alors, la Cour supérieure nous dit, au paragraphe 72: «En décidant de se substituer à la commission sans respect pour les procédures prévues [par] la loi -- alors, "en décidant de se substituer", on fait référence au gouvernement, alors, le gouvernement, en se substituant à la commission sans respect pour les procédures prévues dans la loi, et là je cite -- le gouvernement [du Québec] a privé les demandeurs du droit d'être entendu -- "droit d'être entendu", audi alteram partem -- et de contester les décisions qui les dépossèdent de leurs terres.»

Bon. Alors, ce n'est pas moi qui le dis là, Mme la Présidente, c'est la Cour supérieure. Le gouvernement du Québec, pas content de la décision, le gouvernement du Québec perd en Cour supérieure, perdu aussi, avant, au Tribunal administratif du Québec, perd en Cour supérieure. Alors, qu'est-ce que le gouvernement du Québec fait? Il dit: Oui, là, ça va vraiment mal au niveau judiciaire. Bon, il dit: Je vais gagner, on va aller en Cour d'appel, alors je demande qu'on fasse appel de ce jugement de la Cour supérieure, et là émet un communiqué, mon collègue l'a relu, le communiqué émis par le gouvernement du Québec, dans lequel on dit que l'appel qui est porté par le gouvernement du Québec de la décision de la Cour supérieure qui donne tort au gouvernement, bien que cet appel-là ne met pas... et je cite: «L'appel du jugement ne met pas en péril l'échéancier prévu pour la réalisation du projet.»

Alors, là, on porte appel, on est... Dans le fond, le message qu'on entend, c'est que le gouvernement est d'accord pour suivre la procédure judiciaire en cours. Là, changement, revirement, changement de situation, M. le Président. Le gouvernement... Finalement, je ne sais pas ce qui s'est passé. Il y a peut-être un conseiller politique qui a dit: M. le ministre, vous savez, si on va en appel, ça ne sera peut-être pas aussi simple que vous le pensez. Ou ça se pourrait-u qu'il y ait quelqu'un qui ait dit aussi: Les chances qu'on gagne en appel sont plutôt faibles parce que le gouvernement du Québec n'a pas respecté la procédure en cours?

Alors, voyant ça, Mme la Présidente, le ministre est coincé, perd en Cour supérieure, demande un appel à la Cour d'appel et là réalise que ses chances de succès sont plutôt faibles. Alors, là, il se tourne vers nous, les membres de l'Assemblée nationale, et nous dit: Let's go, allons de l'avant, adoptons à l'unanimité une loi rétroactive qui va venir quoi? Qui va venir suspendre les procédures judiciaires en cours. On nous demande, là, sans trop se soucier des procédures judiciaires en cours, en n'ayant aucun respect pour l'indépendance judiciaire, en n'ayant aucun respect non plus pour l'indépendance de l'exécutif... on demande au législatif de mettre fin à des procédures qui sont en appel, auxquelles le gouvernement lui-même a porté appel devant la Cour d'appel du Québec.

Bon, écoutez, on peut virer ça de tous bords tous côtés, là. Moi, Mme la Présidente, une des premières choses que j'ai apprises en droit, ça s'appelle l'indépendance du pouvoir législatif, l'indépendance du pouvoir judiciaire puis l'indépendance de l'exécutif. Bon, on pourrait discourir longtemps sur l'indépendance de l'exécutif puis du législatif, c'est de moins en moins vrai, malheureusement. Mais ce qu'il reste, ce qui est encore vrai ou, du moins, l'est de façon générale et, exceptionnellement, avec la loi que le ministre essaie de nous imposer, c'est que, dans le fond, on vient suspendre... le législatif vient suspendre le processus judiciaire. Pourquoi, Mme la Présidente, c'est si... Pourquoi c'est si important de protéger ce principe-là? Pourquoi que, pour nous, les parlementaires, on fait une opposition aussi importante, alors qu'on est pour l'autoroute? Il faut le dire, on est pour l'autoroute. Mais comment se fait-il qu'on manifeste une opposition aussi importante malgré le fait que, sur le fond, on est d'accord, puis on souhaite d'ailleurs la construction le plus rapidement possible? Bien, la raison, Mme la Présidente, c'est parce que c'est un principe de base.

Je vous donne un exemple. Qu'est-ce qui arriverait si, à chaque fois que la Cour supérieure du Québec rend un jugement ou la Cour du Québec rend un jugement, l'Assemblée nationale dit: Ça n'a pas de bon sens, cette décision-là, le juge n'a pas d'allure, hein? Ça n'a pas de maudit bon sens; on boycotte le processus d'appel puis on modifie la loi ou on modifie le jugement qui est rendu? Qu'est-ce que c'est, ça, Mme la Présidente? Bien, ça devient un Parlement qui est omnipuissant, qui est au-dessus de tout et qu'on n'a plus cet équilibre entre le législatif et le judiciaire qui donnerait un pouvoir complètement démesuré aux parlementaires où, là, on leur dirait: Vous pouvez faire n'importe quoi. Puis pire, pour le citoyen, il se dirait: Bien, pourquoi aller contester devant les tribunaux, Mme la Présidente, si, de toute façon, on sait que les parlementaires, après, vont revenir par en arrière puis modifier la loi? Pensez-vous vraiment qu'on va engager des frais judiciaires? Pensez-vous vraiment qu'on va se lancer dans un processus de contestation avec toute l'énergie que ça demande? Et Dieu sait que là, si on parle de l'accès à la justice au Québec, là, là, ça, c'est tout un autre pan sur lequel... qui pose un autre problème. Mais encore est-il qu'à ce stade-ci on a un minimum de prévisibilité.

Alors, ça adonne, Mme la Présidente, qu'on a des gardiens, des gardiens, là, de l'ordre dans lequel on s'est donné... Mais un des gardiens qu'on a, c'est le texte fondateur, le texte qui établit qui peut faire quoi. D'abord, je prédis déjà au ministre que, sa loi, il peut penser qu'elle pourrait être contestée. Bien oui, elle pourrait être contestée.

Une voix: ...

M. Cloutier: Pardon?

Une voix: ...

La Présidente (Mme L'Écuyer): S'il vous plaît, pas d'interpellation.

M. Cloutier: Mme la Présidente...

Des voix: ...

La Présidente (Mme L'Écuyer): On attendra après. Excusez, M. le ministre.

**(12 h 30)**

M. Cloutier: Le ministre... Je vais répéter au micro ce que le ministre me dit. Alors, le ministre me demande si je suis prêt à mettre en jeu mon siège... Puis là il n'a pas fini sa phrase. Est-ce que vous parliez du résultat ou de la contestation? En tout cas, on va lui laisser le choix plus tard.

Mais que ce soit sur le résultat d'un jugement de la cour ou la contestation, j'ai certainement assez d'expérience juridique pour savoir qu'en droit, Mme la Présidente, lorsqu'il y a un argument qui se plaide, bien malin celui qui va être capable de prévoir le résultat. Par contre, ce que je suis capable de lui dire, c'est qu'il y aura certainement des gens qui vont regarder ça puis qui vont dire: Ah! Violation de quoi? Violation de la «rule of law», Mme la Présidente. Qu'est-ce que c'est, ça, la «rule of law»? C'est la primauté du droit, la prévisibilité des règles. Puis ça adonne que le Barreau du Québec, une institution, quand même, qui ont des ressources... Au prix que ça me coûte, Mme la Présidente...

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Comme avocat?

M. Cloutier: ...mes cotisations annuelles, je ne doute pas de leur capacité à pouvoir engager les juristes nécessaires, compétents pour pouvoir préparer le genre de lettre qui nous a été soumise. Il y a un M. Claude Provencher, qui nous a écrit au nom du Barreau du Québec... pardon, à la commission, le 29 avril 2011. C'est assez récent, Mme la Présidente. Et qu'est-ce qu'il dit là-dedans? Il dit: «Dans un régime démocratique comme le nôtre, le respect de la règle de droit...» Alors, page 2, deuxième paragraphe, le respect de la règle de droit. Ça, Mme la Présidente, c'est la «rule of law», la règle de droit. «...de l'indépendance de la magistrature...» Indépendance de la magistrature, Mme la Présidente, ça, c'est l'autre principe, que je vous parlais tout à l'heure, c'est celui de l'indépendance du législatif par rapport au judiciaire. Et «...du rôle de surveillance de la Cour supérieure...» Le rôle de surveillance de la Cour supérieure, Mme la Présidente, c'est qu'on a prévu que ce serait la Cour supérieure qui avait un pouvoir de révision. Ce n'est pas la Cour du Québec, c'est la Cour supérieure. C'est pour ça qu'on s'est adressé, d'ailleurs, à la Cour supérieure. Et de «...l'équité procédurale sont nécessaires afin d'assurer -- quoi? -- la prévisibilité et la sécurité juridiques.»

Or, Mme la Présidente, ce que le Barreau nous dit, c'est que «les justiciables doivent normalement pouvoir connaître à l'avance les règles juridiques qui régissent leurs relations avec l'État afin de pouvoir adapter leur comportement et d'ajuster leurs expectatives en conséquence». Ça, ce que ça veut dire, ce petit paragraphe là, c'est que, quand on adopte des lois, bien, elles doivent être publiées pour que les citoyens puissent en pendre connaissance. Alors, lorsque le législateur légifère, ce qui est son rôle, il ne doit pas le faire de façon rétroactive, comme le ministre nous suggère de le faire. Pourquoi? Justement pour qu'il y ait la prévisibilité des lois.

Alors, ce qui est arrivé dans le cas qui nous occupe, comme le gouvernement a perdu en Cour supérieure, comme le gouvernement voyait aussi qu'il allait en Cour d'appel, là, il nous demande maintenant d'adopter une loi à l'Assemblée nationale qui vient, dans le fond, suspendre toutes les procédures qui sont en cours. Alors que l'erreur initiale... Bien, l'erreur initiale... Il y en a eu plusieurs, des erreurs. La première, c'est de n'a pas s'être assurés que la procédure, le tracé mis en place allait pouvoir s'insérer dans les règles existantes. Mais l'erreur, je dirais, fatale pour le gouvernement, ça a été de faire référence... ça a été d'oublier, finalement, d'informer ceux et celles qui contestaient, qui contestaient la loi. Et c'est exactement ce que le juge... Mon dieu! C'est quel juge, qui a rendu cette décision-là?

Une voix: Corriveau.

M. Cloutier: Corriveau. C'est exactement ce que le juge Corriveau mentionne dans sa décision: on a oublié d'informer, entre autres, les plaignants, puis on n'a pas suivi la procédure judiciaire existante.

Alors, Mme la Présidente, l'Assemblée nationale a l'obligation de laisser cours la procédure judiciaire qui est en cours. Laissons les gens faire valoir leurs droits devant la Cour d'appel du Québec, comme le ministre d'ailleurs s'y était engagé. Lorsque le gouvernement du Québec a décidé d'aller... de faire appel à la Cour d'appel du Québec, il avait amplement le droit. Il avait amplement le droit. Si ses fonctionnaires, les avocats qui l'entourent prétendent qu'effectivement il y avait matière à appel, chose, peut-être, qu'ils ont finalement douté en cours de route, bien, qu'ils laissent les juges de la Cour d'appel décider du litige. Et, si le gouvernement du Québec gagne, bien, tant mieux. Parce que, de l'aveu même du ministère des... pas du ministère, mais du ministre, il n'y aurait, de toute façon, pas eu de délais imposés, supplémentaires, aux Beaucerons.

Alors, Mme la Présidente, j'ai essayé d'exposer du mieux que j'ai pu le bourbier juridique dans lequel le gouvernement du Québec s'est empêtré. Et malheureusement ce flou juridique et cet enracinement dans les méandres et les dédales du processus judiciaire ont fait en sorte que ce sont les Beaucerons qui sont pris en otages d'une procédure qui est pour le moins dommageable, mais certainement déplorable.

Et nous déplorons que, malheureusement, les gens se retrouvent dans cette situation-là. Alors, on aurait souhaité que l'autoroute se fasse le plus rapidement possible, mais on ne peut pas donner notre appui en violation de n'importe quel principe, Mme la Présidente.

Alors, c'est pour que ça que, comme opposition officielle, bien, on a l'obligation de faire connaître réellement qu'est-ce qui s'est passé dans ce dossier-là et de quelle façon le gouvernement du Québec n'a malheureusement pas respecté les règles en place. Alors, la souveraineté du ministre, c'est la souveraineté mais dans les règles existantes, et on a oublié la partie «dans les règles existantes». Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci, M. le député. Et y a-t-il consentement: le ministre aurait quelques remarques? Consentement? Consentement?

Une voix: ...des remarques, des remarques...

La Présidente (Mme L'Écuyer): Brièvement, M. le ministre.

M. Sam Hamad

M. Hamad: Merci beaucoup, c'est très gentil, encore une fois, d'accepter de donner le consentement. Moi, j'aime beaucoup le député de Lac-Saint-Jean. Je le sais, c'est un homme articulé, et, quand j'ai regardé son parcours académique, il est impressionnant. Et je sais qu'il a fait une maîtrise en droit, il a commencé un doctorat, je ne sais pas s'il l'a terminé, mais je pense qu'il est capable facilement de le terminer.

Il a fini en 2004 et, en 2004... 2004, je pense, il a été dans une association; 2005, il était employé pour une association; 2006, il a commencé pour travailler pour le député de Lac-Saint-Jean. Donc, finit les études 2004, 2005... Donc, je regarde combien d'années il a pratiqué le droit constitutionnel. Je cherche. Peut-être deux ans, trois ans? Mais sa formation académique est très intéressante.

Je vais juste lui rappeler que... Deux choses. Deux choses. La première, c'est: l'Assemblée nationale a tous les pouvoirs, dans les domaines de ses compétences, dans le respect de la Constitution. Je pense que c'est l'argument de base que le député a commencé. Et évidemment la protection du territoire agricole fait partie de notre compétence. Donc, on a la juridiction d'appliquer dans ce domaine-là.

Quand il parlait de primauté, il a utilisé trois phrases tantôt: primauté de droit, rétroactivité des droits. Et, pour ses connaissances, je soumets à son information, en fait, c'est qu'il y a eu un projet de loi n° 42, de 1999 -- le verglas -- qui... Il y a eu un tribunal qui a annulé le décret. Suite à l'annulation de décret par un juge, l'Assemblée nationale, ou le Parti québécois, dans le temps, exactement devant la même situation, il est allé devant la cour et il a gagné. Puis le juge, ce qu'il disait, il disait: La primauté de droit n'est pas applicable. Il disait que... l'autre terme qu'il a utilisé, «rétroactivité des droits» n'est pas applicable.

Pourquoi? Il donnait les pouvoirs à l'Assemblée nationale de réglementer. Alors, c'est exactement l'argument contraire de ce qu'on vient d'entendre maintenant. Et c'est fait par le Parti québécois en 1999. Voilà.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci, M. le ministre.

Une voix: ...

La Présidente (Mme L'Écuyer): Consentement?

M. Hamad: Oui.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Une minute. Une minute à peine.

M. Alexandre Cloutier

M. Cloutier: Merci. Merci, M. le ministre. Alors, le ministre a étalé sur la place publique mon CV, laissant entendre que j'avais quand même peu d'expérience en droit constitutionnel. Alors, permettez-moi de... Alors, j'ai fait 10 ans...

Des voix: ...

La Présidente (Mme L'Écuyer): Excusez...

M. Cloutier: 10 ans à l'université, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Il n'y a qu'une personne qui a la parole.

M. Cloutier: Permettez-moi de juste poursuivre. Alors, j'ai effectivement une maîtrise en droit constitutionnel de l'Université de Montréal, qui a duré deux ans; une maîtrise en droit international public de l'Université de Cambridge, en Angleterre, et boursier du prince Charles pour la totalité de mes frais de scolarité. J'ai été aussi clerc à la Cour suprême du Canada, auprès du juge Charles Gonthier, et un de ses principaux conseillers, et j'ai moi-même participé à la rédaction de quelques jugements à la Cour suprême, évidemment, à titre de clerc.

J'ai aussi été dans un grand cabinet d'avocats qui s'appelle Fasken Martineau, auquel j'ai joint l'équipe, entre autres, en litiges et en droit constitutionnel. Suite à ça, j'ai aussi pratiqué le droit dans un cabinet qui s'appelle Blackstone Chambers, à Londres, qui est un cabinet prestigieux.

Tout ça pour dire que, si on veut jouer la carte de mon expertise, Mme la Présidente, je suis prêt à étaler mon expertise sur la place publique, puis ce n'est pas du tout mon intention de le faire, parce que je déteste faire ça, je n'en fais jamais mention. Mais, puisque le ministre m'a directement invité, je pourrais poursuivre ensuite avec des publications ou autre chose si le ministre souhaite que je poursuive sur mon expertise.

**(12 h 40)**

La Présidente (Mme L'Écuyer): On ne doute pas de vos talents, M. le député. Mais je cède maintenant la parole au député de Chambly pour les 20 prochaines minutes. M. le député de Chambly.

M. Bertrand St-Arnaud

M. St-Arnaud: Oui. Bonjour, Mme la Présidente. On aura sûrement l'occasion de revenir sur la règle de jurisprudence dont vient de parler le ministre. Moi, ça m'intéresse. On va sûrement avoir l'occasion de revenir là-dessus au cours des prochaines séances parce que je serais curieux d'avoir la citation du jugement, de savoir c'est quelle cour qui a rendu ce jugement parce qu'évidemment il y a des tribunaux de première instance, il y a des tribunaux d'appel et il y a la Cour suprême du Canada. Alors, je serai heureux, là, plus tard dans nos débats, de revenir sur ce jugement auquel vient de faire référence le ministre.

Alors, Mme la Présidente, à ce moment-ci cependant, je vais y aller de quelques remarques préliminaires. D'abord, c'est un plaisir, Mme la Présidente, d'être parmi vous à cette commission que, moi, également... moi aussi, je ne fréquente... je fréquente peu souvent. Mais je m'y présente aujourd'hui pour procéder à l'étude article par article du projet de loi n° 2 parce qu'effectivement c'est une loi qui m'interpelle et qui est préoccupante, et qui est préoccupante, Mme la Présidente, par ce qu'elle fait.

C'est un projet de loi qui est très court, comme vous le savez, Mme la Présidente. C'est un projet de loi, je le dis à l'intention des gens qui nous écoutent, qui n'a que deux articles -- alors, c'est un projet de loi très court -- et le deuxième, c'est l'article habituel qui prévoit la date d'entrée en vigueur de la loi. Alors, essentiellement, on peut même dire que c'est un projet de loi d'un seul article qui vient, Mme la Présidente, intervenir dans un processus judiciaire en cours afin de couvrir rétroactivement une des décisions prises par le gouvernement illégalement. On vient -- et mes collègues préalablement à moi l'ont expliqué -- valider un décret adopté en 2009 par le Conseil des ministres et déclaré nul par la Cour supérieure en 2010. C'est un cas assez extraordinaire. C'est une situation assez extraordinaire que de venir édicter une loi, de nous proposer une loi, Mme la Présidente, qui fait en sorte que le décret 1189-2009 du 11 novembre 2009 est validé. On vient, avec une loi, valider un décret en lui donnant effet depuis la date d'adoption de ce décret, donc un effet rétroactif, et on ajoute même, et je vais vous lire le deuxième paragraphe de l'article 1, Mme la Présidente, le deuxième alinéa qui se lit comme suit:

«Le premier alinéa a effet depuis le 11 novembre 2009 et s'applique malgré toute décision d'un tribunal qui a déclaré invalide, après cette date, le décret qui y est visé.»

C'est fort, Mme la Présidente, comme projet de loi, c'est extraordinaire, et c'est ce qui m'amène à venir participer à ces travaux parce que je pense qu'il y a très clairement un problème avec ce projet de loi. Et ce n'est pas pour rien si nous avons multiplié les interventions sur le projet de loi n° 2 en Chambre, lors de l'adoption du principe: c'est qu'il y a vraiment un problème avec ce projet de loi qui vient rétroactivement couvrir une décision qui a été jugée... une décision du gouvernement qui a été jugée illégale par la Cour supérieure.

Mme la Présidente, pour bien comprendre ce dont il est question ici, on peut... je pense qu'il est important, pour les gens qui nous écoutent, de rappeler un peu les faits. Tout d'abord, je pense que c'est important de le dire à l'intention des tous ceux qui nous écoutent, et notamment des gens qui nous écoutent en Beauce où dans les régions limitrophes -- je vois mon collègue de Beauce-Nord, les gens de Chaudière-Appalaches -- Mme la Présidente: tout ça part d'une intention parfaitement légitime et à laquelle on souscrit tous -- et je pense que c'est important de le dire dès le départ -- à laquelle on souscrit tous de tous les côtés de la Chambre, la nécessité de prolonger l'autoroute 73 en Beauce, l'autoroute Robert-Cliche entre Beauceville et Saint-Georges de Beauce. Ça, je pense qu'on est tous d'accord sur la nécessité de prolonger cette autoroute entre Beauceville et Saint-Georges de Beauce.

Mais le problème, Mme la Présidente, et c'est ce qui fait qu'on est ici, c'est que, oui, il faut prolonger l'autoroute 73, mais pas n'importe comment, pas en bafouant nos principes et pas en se foutant des décisions des tribunaux, et notamment d'une décision qui a été rendue par la Cour supérieure il y a à peine quelques mois. Mme la Présidente, c'est en 2004 que ce dossier a repris vie, si je puis dire, puisqu'en 2004 le ministère des Transports a annoncé qu'un nouveau tracé pour la prolongation de l'autoroute 73, le tracé est, avait été retenu. C'est un tracé qui était, à ma connaissance, assez inconnu de la population jusqu'alors mais qui... en 2004, le ministère a dit: On va de l'avant avec la prolongation de l'autoroute 73 et avec un tracé qui s'appelle le tracé est.

En avril 2006, le gouvernement, par la voie du ministère des Transports, a déposé une demande à la Commission de protection du territoire agricole pour obtenir le dézonage de cette partie du tracé est où doit passer l'autoroute 73. Cette demande, elle avait été faite en avril 2006, avant même que les consultations du BAPE aient eu lieu et que le rapport du BAPE sur ce dossier ait été déposé.

Le 13 juillet... Je vous épargne, Mme la Présidente, les péripéties mensuelles dans ce dossier pour en venir à l'essentiel. Donc, 2004, on décide d'aller de l'avant. 2006, on demande à la... le gouvernement demande à la Commission de protection le dézonage de la partie requise pour prolonger l'autoroute. Et, le 13 juillet 2007, la Commission de protection du territoire agricole du Québec autorise -- décision de première instance -- le ministère des Transports à aliéner et utiliser à des fins autres que l'agriculture les lots ou parties des lots visés par sa demande de 2006.

Même si le rapport du BAPE avait conclu que le tracé privilégié par le gouvernement aurait des impacts significatifs sur le milieu agricole et... aurait effectivement des impacts significatifs sur le milieu agricole, la Commission de protection du territoire agricole enjoignait... donnait raison au gouvernement et l'autorisait, donc, à aliéner, à utiliser à des fins autres qu'agricoles cette portion de terrain pour construire l'autoroute 73.

Alors, le gouvernement donc, en juillet 2007, gagne, Mme la Présidente, devant la Commission de protection du territoire agricole. Qu'est-ce qui arrive? Bien, évidemment, dans notre système, dans notre État de droit, comme le rappelait mon collègue du Lac-Saint-Jean tantôt, bien, il est possible d'aller en appel d'une décision de ce type et notamment, dans le cas présent, d'aller en appel de cette décision de la Commission de protection du territoire agricole qui avait été rendue, donc, en juillet 2006... 2007. Et donc il y a des citoyens qui décident d'aller en appel devant le tribunal d'appel concerné, à savoir le Tribunal administratif du Québec.

Or, qu'est-ce qui se passe en juillet 2008, devant ce tribunal d'appel? Le Tribunal administratif du Québec renverse la décision de la Commission de protection du territoire agricole qui autorisait donc le tracé est de l'autoroute 73 et lui... et renvoie le dossier à la Commission de protection du territoire agricole.

Alors, pour qu'on se comprenne bien, Mme la Présidente, ce n'est pas toujours simple à suivre: en juillet 2007, Mme la Présidente, le gouvernement gagne devant la Commission de protection du territoire agricole. Les citoyens vont en appel devant le Tribunal administratif du Québec, et le tribunal d'appel, le Tribunal administratif du Québec, donne raison aux citoyens puis dit: Non, on retourne le dossier devant la Commission de protection du territoire agricole pour une nouvelle décision.

Pour la deuxième fois, en 2009, la Commission de protection du territoire agricole rend une décision et, encore une fois, Mme la Présidente, toujours favorable au ministère des Transports. La commission maintient sa décision de 2006... de 2007, encore une fois, donne raison au ministère des Transports et autorise pour une deuxième fois le ministère des Transports à aliéner ou utiliser à des fins autres que l'agriculture les lots ou parties des lots visés par sa demande d'avril 2006. Les citoyens mécontents d'avoir à nouveau perdu devant la Commission de protection du territoire agricole font ce qu'on a le droit de faire dans une société de droit: ils décident à nouveau d'aller en appel, de porter cette décision en appel devant le Tribunal administratif du Québec.

**(12 h 50)**

Et un mois, Mme la Présidente, avant l'audition de ce deuxième recours en appel, en contestation, donc, de cette deuxième décision de la Commission de protection du territoire agricole, un mois avant l'audition du recours en appel, le gouvernement décide, le Conseil des ministres, le gouvernement libéral, décide d'adopter un décret, le décret 1180-2009 auquel je faisais référence tantôt, pour court-circuiter le processus judiciaire en mettant de côté, Mme la Présidente, la procédure prévue à la Loi sur la protection du territoire agricole et en court-circuitant pour la première fois le processus judiciaire en disant que, par décret, il autorise -- le Conseil des ministres -- le ministère des Transports à utiliser à des fins autres que l'agriculture, à lotir ou à aliéner les lots situés en zones agricoles pour le prolongement de l'autoroute 73.

Alors donc, Mme la Présidente, n'attendant même pas la décision d'appel du Tribunal administratif du Québec, le gouvernement, le 11 novembre 2009, dit: Bien là, ça suffit, on adopte un décret, et sans même, Mme la Présidente -- on y faisait référence tantôt -- sans même en parler aux personnes concernées. En fait, les citoyens qui étaient dans un processus en cours devant culminer, le mois suivant, au Tribunal administratif du Québec, les citoyens ont appris l'existence de ce décret, ce décret-bâillon qu'on pourrait ainsi nommer... Ils apprennent l'existence de ce décret par les journaux. Le gouvernement libéral avait passé son décret à l'insu des requérants de la partie adverse dans son recours qui devait culminer, comme je vous le disais, devant le Tribunal administratif du Québec.

Alors, évidemment, Mme la Présidente, là, à sa face même, là, quelqu'un qui écoute ça... On perd... On est des citoyens, on perd en première instance, on s'en va en appel puis là on pense que le Tribunal administratif du Québec va se pencher sur notre problème. Qu'est-ce qui arrive? Le gouvernement court-circuite ça, adopte un décret, puis dit: Fin des émissions, fin des émissions, voici, nous, on considère, là... on adopte un décret puis on autorise le ministère des Transports à aller de l'avant à des fins autres que l'agriculture sur les territoires concernés pour prolonger l'autoroute 73. Mme la Présidente, à sa face même, ce décret de 2009 n'a pas de bon sens.

Alors, évidemment, qu'est-ce qu'ont fait les citoyens quand ils ont vu ça, qu'ils avaient été court-circuités par un décret, sans même, comme on y faisait référence tantôt, avoir été entendus? En apprenant l'existence du décret par les journaux, qu'est-ce qu'ils font? Ils prennent un recours devant la Cour supérieure. Mon collègue y faisait référence tantôt, Mme la Présidente, la Cour supérieure, c'est le tribunal de surveillance des décisions de l'Administration, des décisions gouvernementales.

Alors, les citoyens prennent un recours devant la Cour supérieure pour invalider ce décret qui non seulement contrevient à la loi, mais, selon eux, s'immisce dans le processus judiciaire en arrêtant tout et en empêchant le recours des citoyens devant le Tribunal administratif du Québec.

Alors, les citoyens vont en appel, en fait, vont en Cour supérieure pour faire casser ce décret et effectivement, Mme la Présidente, le 3 novembre dernier, le 3 novembre 2010, la Cour supérieure se prononce. Et qu'est-ce qu'elle dit, la Cour supérieure, par la voix de l'honorable juge Paul Corriveau? La Cour supérieure donne raison aux citoyens qui contestent le tracé est en déclarant nul le décret du gouvernement libéral qui forçait le tracé est de l'autoroute 73 et ordonnait la cessation des travaux. Et le juge Corriveau, Mme la Présidente, dans son jugement du 3 novembre 2010, dit ceci... Il constate, en fait, Mme la Présidente, que le gouvernement n'a pas agi en respectant la loi en adoptant son décret du mois de novembre 2009. Alors, le gouvernement, il l'annule, Mme la Présidente, et il donne raison aux citoyens et il déclare nul le décret de 2009, et notamment, quand il dit que le gouvernement n'a pas respecté la loi, notamment parce qu'il considère que le gouvernement n'a pas suivi, comme on y faisait référence tantôt, les obligations procédurales qui sont prévues à la Loi sur la protection du territoire agricole, notamment en n'entendant pas les citoyens concernés.

Alors, ça, c'est une décision qui a eu lieu il y a à peine quelques mois, là, en... à la fin de 2010. En fait, la date exacte, c'est le 3 novembre 2010. Et effectivement, Mme la Présidente, qu'est-ce que fait le gouvernement, voyant que son décret a été annulé par la Cour supérieure? Il décide d'aller en appel. Il décide d'aller en appel, et l'appel devait être entendu, si je ne m'abuse, en juillet prochain, en juillet, là, qui s'en vient, là, dans à peine deux mois. Et, lorsque le gouvernement a décidé d'aller en appel, il a dit très clairement: On va en appel parce qu'on n'est pas d'accord avec la décision du juge de première instance. On va en appel. Puis, dans son communiqué du 26 novembre dernier, le ministère des Transports dit ceci: «L'appel du jugement ne met pas en péril l'échéancier prévu pour la réalisation du projet.» Alors, le gouvernement lui-même dit: Écoutez, on va en appel parce qu'on n'est pas d'accord. C'est fixé devant le tribunal d'appel, la Cour d'appel, pour juillet prochain. Le gouvernement nous dit même: Écoutez, soyez sans crainte, les gens de la Beauce, ça ne retardera pas l'échéancier du projet de l'autoroute 73.

Alors là, tout le monde pense que le processus va continuer à suivre son cours comme dans une société de droit, qu'on va se retrouver, le ministère des Transports, les citoyens, devant la Cour d'appel, pour discuter de la légalité du décret adopté en novembre 2009. Mais -- oh, surprise! -- Mme la Présidente, au lieu de laisser ce parcours se faire, ce parcours juridique normal dans une société démocratique se faire, qu'est-ce que fait le gouvernement? On apprend il y a quelques mois, cet hiver, que le gouvernement nous arrive avec un projet de loi, c'est celui qu'on a toujours aujourd'hui, le projet de loi n° 2, pour dire: Bien, écoutez, là, finalement, on court-circuite le processus judiciaire, on n'attend pas que la Cour d'appel du Québec se prononce là-dessus. Nous, on va décréter à nouveau, par une loi, que notre décret de 2009, il est valide, qu'il s'applique rétroactivement au 11 novembre 2009 puis qu'il s'applique malgré toute décision des tribunaux rendue depuis novembre 2009.

Écoutez, Mme la Présidente, le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est plus que problématique, là. Le gouvernement nous arrive avec un projet de loi où il... À un moment où on s'attend normalement à aller en Cour d'appel, il arrive avec un projet de loi et il vient déclarer, par un projet de loi... Il vient finalement rendre jugement, hein? Il vient rendre jugement en cours de partie et il vient dire: Bien là, nous, on va adopter un projet de loi puis il nous dit à nous, à l'Assemblée nationale, là: Bien, adoptons donc ça vite, vite, vite, là. On pourrait adopter ça peut-être en une heure ou deux et puis...

Wo! Mme la Présidente, ce n'est pas un projet de loi ordinaire, c'est un projet de loi qui vient court-circuiter le processus judiciaire au Québec et qui vient rendre valide une décision gouvernementale, le décret de 2009, qui a été jugée illégale par la Cour supérieure. Alors, on est, Mme la Présidente, face à une situation complètement inacceptable dans un État de droit ou, pour reprendre les termes utilisés par le Barreau du Québec, complètement «inopportun».

Mme la Présidente, je vois que le temps s'écoule. On aura l'occasion certainement, parce que je présume que nous allons avoir quelques séances sur ce projet de loi, nous aurons l'occasion de revenir tantôt ou lors de nos prochaines séances sur... en explicitant davantage les raisons qui font en sorte que ce projet de loi est inacceptable.

Mais, je vais vous dire, de ce côté-ci de la Chambre, on se sent en bonne compagnie, Mme la Présidente, parce que, parmi les institutions qui ont de fortes réserves, pour ne pas dire plus, sur le projet de loi, figurent le Barreau du Québec et la Protectrice du citoyen. Alors, je peux vous dire qu'on se sent en bonne compagnie pour s'interroger sur ce projet de loi qui, quant à nous, Mme la Présidente, est vraiment inacceptable dans une société de droit.

Alors, je vais arrêter ici, Mme la Présidente, mes remarques préliminaires. J'arrête ici mes remarques préliminaires. Nous aurons amplement l'occasion de revenir sur toute une série d'aspects. Je m'étais fait un plan, Mme la Présidente, mais il y a toute une série de problématiques qui ont été mises de l'avant ce matin, notamment le problème constitutionnel, qui est extrêmement intéressant, sur lequel on va avoir l'occasion de revenir au cours des prochaines séances. On aura l'occasion de revenir sur toute une série d'autres sujets relatifs au projet de loi. Je m'arrête ici, Mme la Présidente, puisqu'il est 13 heures...

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci.

M. St-Arnaud: ...mais sachez que nous allons faire notre travail dans le cadre de l'étude de ce projet de loi.

La Présidente (Mme L'Écuyer): Merci. Compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, où elle poursuivra l'étude détaillée du projet de loi n° 88 au salon Papineau.

(Fin de la séance à 13 heures)

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