(Treize heures trente minutes)
Mme David : Alors, bonjour à tout
le monde. Bienvenue à ce premier point de presse de Québec solidaire depuis
notre retour à l’Assemblée nationale hier, pour des commissions parlementaires.
Alors, je voudrais simplement commenter aujourd’hui ce qui est paru dans deux
quotidiens aujourd’hui à propos de ce qui serait la politique du gouvernement
péquiste en matière de signes religieux.
Alors, d’abord, j’aimerais dire qu’il y a
un an le gouvernement du Parti québécois nous disait : Nous aurons un
débat sur la laïcité, ce à quoi Québec solidaire souscrit tout à fait. Ça fait
longtemps qu’on le demande. Ensuite, c’est devenu un débat sur les valeurs québécoises
et, si l’on en croit la lecture du journal de ce matin, retour à la laïcité,
mais là par le petit bout, par le mauvais bout,
à notre avis.
On ne commence
pas par questionner les institutions et l’État lui-même, est-ce que, oui ou
non, nous sommes allés assez loin dans le processus de laïcisation de nos institutions
dans leur fonctionnement, etc. Non, tout de suite, on commence avec les individus.
Est-ce que les personnes qui travaillent pour l’État, ou pour l’une de ses institutions,
ou même dans le secteur très, très parapublic comme les centres à la petite
enfance, est-ce que ces personnes-là pourront porter des signes religieux? Et
c’est comme si on faisait de cette question-là la question centrale du débat
sur la laïcité. À vrai dire, c’est tout à fait ce que je craignais, et je pense
que c’est vraiment prendre la chose par le mauvais bout.
Parlant de
fonctionnement des institutions, on aurait pu, par exemple, d’entrée de jeu,
dire : On vous pose clairement la question : Doit-on continuer à
subventionner les écoles privées confessionnelles qui, en ce moment, sont
subventionnées à hauteur de 60 % par l’État? Ça, ça aurait été une vraie question,
une question d’institutions, une question de fond.
Je vous
rappellerai toujours, si l’information est exacte, qu’il y a certaines
incohérences, en plus, dans ce que le ministre s’apprêterait à faire. Donc, pas
de signes religieux dans les CPE, mais, dans les garderies en milieu familial,
y compris celles qui sont subventionnées... Vous pouvez avoir, dans la même
famille, des enfants qui vont en milieu familial ou en CPE. Alors, dans un cas,
il n’y aura pas de signe religieux, dans un autre il y en aura. Pourquoi? On ne
sait pas trop.
Les cégeps et universités
sont soumis à la loi mais peuvent s’en retirer. On se demande pourquoi. Et, le
comble, les écoles privées confessionnelles, je le rappelle, subventionnées à
60 % ne sont pas... ne seraient pas assujetties à cette nouvelle norme
d’interdiction du port des signes religieux. Tout ça sent l’improvisation, et
pourtant ça fait des mois que supposément le gouvernement se prépare. Et je
crois qu’encore une fois c’est vraiment de prendre la question de la laïcité
par le très, très petit bout.
Pour ce qui est
de Québec solidaire, nos positions sont connues depuis longtemps. D’abord, nous
proposons d’insrire le principe de laïcité dans la charte des droits et
libertés de la personne et de la jeunesse du Québec. Il n’y est pas. Et, si
l’on veut vraiment que la laïcité fait partie des valeurs québécoises, eh bien,
affirmons-le par écrit, noir sur blanc, dans la charte.
Deuxièmement,
pour Québec solidaire, la laïcité de l’État et de ses institutions, c’est un
incontournable. Ça, c’est très clair. Ça veut dire, par exemple, qu’il ne peut
y avoir d’expression, de manifestation religieuse dans les institutions, faite
par les élus qui représentent les institutions, et ça, ça veut dire, à notre
avis, pas de prière au conseil municipal, quelque prière que ce soit,
d’ailleurs.
Par contre, ce
que nous disons, nous, c’est que ça ne doit pas empêcher des employés de
l’État… mais l’État pris au sens très large, hein, je vous rappelle qu’on parle
de la fonction publique, on parle des institutions comme les écoles et les
hôpitaux puis on parle aussi des services de garde. On parle, en fait, d’un
secteur d’emploi majeur au Québec, 500 000 emplois. Alors, nous
pensons, nous, qu’il n’est pas pertinent d’exclure de la possibilité d’avoir
des emplois, dans ce très large secteur, des personnes qui, pour une raison qui
leur appartient, qui fait partie de leur identité, veulent porter un signe
religieux, croix, kippa ou voile.
Soyons très
clairs, nous l’avions déjà dit il y a deux ans lorsque nous étions venus en commission
parlementaire sur le projet de loi n° 94 qui est mort au feuilleton, nous
nous opposons à ce que les services de l’État soient donnés par des personnes
dont le visage est couvert. Alors, ça, je voudrais que ça soit très, très clair
pour tout le monde.
Donc, nous
invitons, dans ce débat, l’ensemble des actrices et acteurs à rester calmes et
sereins. C’est un débat explosif, on l’a vu il y a quelques années, c’est un
débat qui est difficile, c’est un débat, j’aimerais le rappeler, qui touche,
quand on le prend par le petit bout des signes religieux, là, qui touche d’abord
et avant tout des milliers de femmes — ça, on ne le dira jamais
assez — des femmes qu’on veut inclure dans la société québécoise,
hein? On veut avoir une nation qui se développe avec l’inclusion de tout le
monde puis là on parle d’exclure en supposant, j’imagine, que c’est pour mieux
inclure. À notre avis, il y a vraiment un problème.
Je nous invite donc à réfléchir à ces questions-là et d’aller sur le
fond des choses. Et, mon invitation, je la lance à toute la classe politique, je
la lance aussi aux médias. Je pense que nous avons tous une immense responsabilité
de faire en sorte que ce débat se passe bien et se déroule sur les bonnes
bases.
M. Salvet
(Jean-Marc) : Le gouvernement, Mme David, plaide qu’il a les Québécois
derrière lui, que les Québécois réclament des mesures élargies d’interdiction,
sur la foi des sondages.
Mme David :
Ça, c’est une chose qu’on entend régulièrement à propos de toutes sortes de questions,
et pourtant, tous gouvernements confondus, ils nous disent tous qu’ils ne
gouvernent pas par sondage, qu’ils pensent que l’on doit… En général, les gouvernements
nous disent : On doit consulter. Oui, on doit savoir ce que pense la population,
mais il y a aussi tout un travail à faire d’éducation, de réflexion commune,
d’approfondissement des questions. Et moi, j’invite le gouvernement, plutôt que
d’y aller avec : Oui, oui, les Québécois nous appuient, bien, allons les
voir, les Québécois, organisons des assemblées, faisons des consultations sous
quelque forme que ce soit. Moi, je pense que vous allez entendre des voix très
différentes les unes des autres.
M. Salvet (Jean-Marc) : Mais vous
n’étiez pas, là-dessus, en phase avec l’opinion publique majoritaire, selon
vous?
Mme David :
Peut-être que dans un portrait instantané, peut-être que dans un ou l’autre
sondage, il s’avérera que la majorité des gens, pour l’instant, croient que ce
serait une bonne idée d’exclure la possibilité, là, de porter des signes
religieux dans la fonction publique et les services publics. Mais ça, c’est un
instantané sur la base souvent d’informations qui ne sont pas exactement, comment dirais-je, approfondies. Je pense qu’il y
a une réflexion à faire sur les conséquences de ces gestes-là. Les Québécois,
les Québécoises, qui sont toutes… en général, qui sont des gens accueillants,
qui sont des gens ouverts, qui sont des gens qui veulent vivre dans une société
paisible — qui est le cas de notre société,
d’ailleurs — sont des gens qui
veulent d’abord et avant tout, je pense, une sorte de paix sociale, qui veulent
un vivre ensemble, tu sais, qui… Il y a beaucoup d’ouverture chez les Québécois,
et moi, je pense que, quand beaucoup vont réaliser l’effet pervers de ce qui va
être une exclusion — et, qui plus
est, on sait très bien de qui, hein, ça va être essentiellement de femmes
portant le voile — je pense que, là,
les Québécois et les Québécoises aussi, vont peut-être réagir et se dire :
Mais, attends, est-ce que c’est vraiment ça qu’on veut?
M. Salvet
(Jean-Marc) : Qu’est-ce que vous pensez du fait qu’au lieu de parler
de laïcité, maintenant on parle de valeurs québécoises?
Mme David :
Bien, comme je l’ai dit, au début, il y a un an, on parlait de laïcité; dans
les mois qui ont suivi, on a parlé de valeurs québécoises, je n’ai jamais compris exactement pourquoi; puis là, tout d’un coup, on revient à la
laïcité, mais par le petit bout, hein? Pas par le bout de : questionnons
l’État et ses institutions, mais par le petit bout de : justement, on va y
aller avec ce que pensent un certain nombre de gens avec qui, à mon avis, on aurait besoin de discuter, là. Alors, on va y
aller avec peut-être le plus facile, l’exclusion pure et simple d’un certain
nombre de voiles… de femmes, pardon, appartenant à des minorités, qui portent
le voile, qui veulent travailler, des femmes souvent très qualifiées, très
scolarisées. C’est par ce petit bout là qu’on le prend.
Et j’aimerais rappeler quelque chose, tiens, justement,
pour peut-être apporter un ingrédient supplémentaire à la réflexion, parce
qu’il va falloir se parler concrètement, là, hein?
Alors, imaginez, dans une école, un couple
d’enseignants. Ils sont tous les deux musulmans. Lui porte la barbe; elle porte
un voile, à visage découvert, on s’entend. Elle ne pourra plus enseigner, mais
lui, oui.
Il y a des gens qui
vont porter des tatouages, dans certains cas avec saveur religieuse très
visible. On leur dit quoi? Vous ne pouvez plus travailler nulle part dans la fonction
publique, dans le secteur public? Il y a des gens qui portent des croix. On va
se mettre à mesurer la taille des croix?
Alors, je pense que là
on s’embarque dans quelque chose qui est sans fin et qui risque fort d’être
très discriminatoire à l’égard des femmes.
M. Journet (Paul) : Juste une
précision, si vous permettez, juste être sûr de comprendre.
Mme David : Oui, allez-y.
M. Journet (Paul) : Pour le
port de signes religieux ostensibles, ce que vous proposez, c’est de les
interdire, sauf erreur, comme Bouchard-Taylor, pour juges, avocats, procureurs
de la couronne et gardiens de prison. Et, pour le reste, ce serait de les… pas
tant de les interdire que de forcer les gens qui donnent des services au nom de
l’État de le faire à visage découvert, donc d’interdire le voile intégral pour
ces gens-là, mais de permettre d’autres signes religieux comme la kippa ou le
crucifix. C’est ça?
Mme David : Écoutez, vous avez
tellement bien résumé ma pensée et celle de Québec solidaire, là. Je vais le
répéter parce que, oui, c’est vrai qu’il y a un bout que j’avais oublié. Je
vous remercie de me le rappeler.
Québec solidaire, depuis deux ans, depuis le
projet de loi n° 94, ça, c’est très clair, c’est : pas de
dispensation de services à visage couvert. Donc, ça, c’est clair. Deuxièmement,
c’est être capable de questionner nos institutions et leur fonctionnement lorsqu’il
s’agit de manifestations religieuses, lorsqu’il s’agit d’objets religieux non
patrimoniaux, parce qu’évidemment Québec
solidaire veut respecter le patrimoine, là. Tu sais, on ne fera pas des jeux de
fous ici, là. On n’est pas pour enlever la croix du Mont-Royal et les croix du
chemin, là. Personne ne parle de ça, absolument personne. Donc, ce n’est pas
ça.
Mais je rappelle qu’il
y a un crucifix au-dessus de la tête du président de l’Assemblée nationale. Est-ce
que c’est vraiment le meilleur endroit pour un signe qui a été donné, un objet
qui a été donné par l’archevêque de Québec à Maurice Duplessis pour sceller
l’alliance entre l’Église et l’État? Est-ce que ce crucifix, s’il est
patrimonial, pourrait être mis ailleurs à l’Assemblée nationale? Très visible,
les visiteurs pourraient le voir, il n’y a pas de problème. Donc, il n’y a pas
d’élimination du patrimoine religieux au Québec — au
contraire, j’en suis une grande défenseure pour des questions culturelles — mais c’est de distinguer ce qui
appartient à l’autorité de l’État, à l’exercice de l’État et puis ce qui
appartient à la culture.
Et, justement, parlant
d’autorité de l’État, oui, nous avions, en congrès, dit : Signes
religieux, c’est correct, mais il faut qu’il y ait des balises et, parmi ces
balises-là, il y a effectivement que dans… il y a certaines catégories de
personnes qui représentent directement l’autorité de l’État. Donc, à titre
d’exemples, parce qu’on n’est pas allés jusque dans les détails, mais juges,
procureurs de la couronne, policiers, gardiens de prison, ça, là, vraiment, ces
gens-là, ils ne font pas que travailler et être payés par l’État, ils
représentent l’autorité de l’État.
Il peut même y avoir
d’autres circonstances où le port d’un signe religieux est difficilement
compatible avec, par exemple, des mesures de santé-sécurité. Alors, le port du
turban sikh en dessous d’un casque de construction, ça nous paraît bien
difficile. Donc, le sens commun nous indique qu’il y a des moments où on ne
peut pas porter des signes religieux parce que c’est contraire soit à
l’autorité de l’État ou soit à la santé-sécurité, tout simplement.
Mme Plante (Caroline) : Vous
avez parlé à plusieurs reprises de gens que voudrait rallier le Parti québécois,
si je vous comprends bien, en proposant de telles mesures, en tout cas
rejoindre des gens. Vous parlez de qui?
Mme David : Reposez votre
question. Excusez-moi.
Mme Plante (Caroline) : Vous
avez semblé dire que le Parti québécois, par ce genre de mesures là, veut
rejoindre peut-être une certaine partie de la population ou, en tout cas, se
dit soutenu par une partie de la population. De qui parlez-vous?
Mme David : Moi, je pense que
tout ce que j’ai dit du gouvernement péquiste actuel, c’est que, s’il nous dit :
La majorité de la population est avec moi, les sondages le disent, je lui
soumets que les gouvernements, quels qu’ils soient, nous disent tout le temps
qu’ils ne veulent pas gouverner par sondages et qu’il y a des moments où des gouvernements
doivent se donner la responsabilité, oui, de mettre des débats sur la table,
mais de les animer de façon sérieuse, avec des arguments sérieux et de regarder
les effets de ces débats-là aussi, selon la façon dont ils sont posés.
Et ce à quoi j’appelle
le gouvernement : d’accord, qu’il le soumette, le débat, mais qu’il ose
aller jusqu’au bout de son raisonnement, si on veut parler de laïcité de l’État
et de ses institutions, et qu’il remette donc en question des choses bien plus
fondamentales que : l’employée qui nous répond au téléphone pour nos
impôts, là, est-ce qu’elle pourra, oui ou non, porter un signe religieux? Entre
vous et moi, on ne la voit même pas. Est-ce que ça, c’est primordial, ou est-ce
que ce qui est primordial, c’est de réfléchir sur le financement étatique des
écoles privées religieuses? Ça, c’est important.
Mme Marceau
(Julie) : Vous disiez un peu, Mme David, d’utiliser le gros bon sens,
je pense que vous avez dit «les valeurs communes». Mais, si visiblement vous
parlez de l’enseignante à l’école qui aurait le voile, mais M. Taylor nommait aujourd’hui
cet exemple-là pour dire que ça, ça serait une exception où il verrait, par
exemple, d’interdire quelqu’un qui a un niqab, là, parce qu’on voit seulement
les yeux, que selon lui ça peut être un obstacle à l’enseignement. Donc,
visiblement, tout le monde a une vision différente de ces bases communes.
Mme David : Bien sûr. Je vous
rappellerai encore une fois qu’à Québec solidaire, au moment où nous avons été
en commission parlementaire sur le projet de loi n° 94, nous avons appuyé
cette idée qu’on ne puisse pas enseigner, qu’on ne puisse pas être infirmière,
qu’on ne puisse pas travailler au service de la population, là, quand on est
payé par l’État, à visage couvert. Là-dessus, notre position est très claire. Il
n’y a pas de burqa, il n’y a pas de niqab qui puisse être accepté dans les
écoles. Donc, là-dessus, enfin, je n’ai pas très bien compris ce que M. Taylor
a dit, mais, quoi qu’il en soit, je vais dire ce que, nous, nous pensons, là, c’est :
pas de services donnés à visage couvert. Ça, c’est quand même une limite qu’on
ne peut pas franchir, pour des raisons pédagogiques évidentes, me semble-t-il.
Mais, après ça, je conviens tout à fait
qu’il y a un débat, j’en conviens tout à fait, et qu’on doive le faire et qu’on
va le faire, de toute évidence. Mais j’insiste, vraiment j’insiste sur le fait
que ce débat touche des milliers de personnes et surtout, surtout, à 90 % probablement, des femmes. Ça, j’insiste là-dessus
et j’insiste pour dire que, dans un Québec qui veut inclure, il faut vraiment
se demander si la meilleure façon d’inclure, c’est de commencer par exclure.
Ça, c’est le bout par lequel, moi, je vais le prendre. Donc, que l’État, que le
gouvernement du Québec, le gouvernement péquiste s’occupe de l’État et de ses institutions
puis, deuxièmement, qu’il fasse bien attention aux effets pervers des mesures
qu’il propose et au fait que ça touche des personnes, des personnes qui vivent
avec nous, qui veulent travailler avec nous, qui ne demandent pas mieux que de
contribuer à l’essor de la société québécoise.
Merci à vous.
(Fin à 13
h 47)