(Treize heures six minutes)
Mme Massé : Oui, alors,
bonjour, tout le monde. Effectivement, je suis entourée de deux soeurs autochtones
qui, aujourd'hui, sont venues sonner à la porte du gouvernement du Québec, sont
venues sonner à la porte de la solidarité des femmes élues du Parlement du Québec
pour faire une demande bien explicite que je vais les laisser vous expliquer.
De mon côté, je vais vous rappeler... et
vous le savez, depuis quelques semaines, je viens régulièrement devant vous
pour dire et redire qu'il est incontournable que le gouvernement du Québec
agisse promptement pour faire en sorte que ce qui se passe actuellement entre
les Premières Nations et les corps policiers à travers le Québec, qu'on trouve
une solution afin de redonner confiance à l'ensemble des autochtones, mais
particulièrement les femmes.
Ce matin, je déposais une motion en
demandant au gouvernement, d'une part, de reconnaître, parce que c'est un état
de fait, que, pour la première fois, les femmes élues de l'association des
premières nations du Québec et du Labrador faisaient une prise de position
publique en interpellant le gouvernement du Québec et que nous voulions aussi
honorer le fait que nous avons, entre femmes élues, qu'on soit des Premières
Nations ou allochtones, des liens, on a des défis communs et on l'a déjà
reconnu à travers une entente de solidarité qu'on a signée par le passé.
Vous comprendrez qu'à l'instar de mes
frères et soeurs autochtones je ne pouvais faire autrement que, dans la motion,
réitérer la nécessité que le gouvernement du Québec enclenche rapidement sa
commission d'enquête judiciaire sur les rapports entre les Premières Nations et
les corps policiers. J'avais l'appui des deux autres partis d'opposition. Le
gouvernement du Québec a encore cru bon de ne pas répondre favorablement à
cette demande.
Mais je vais laisser mes soeurs vous
expliquer plus précisément quelle est cette déclaration que les femmes élues de
l'Assemblée des Premières
Nations ont faite. Et je vais laisser, dans un
premier temps, à Mme Adrienne Jérôme, qui est chef du Lac-Simon et
représentante responsable des dossiers femmes à l'association des premières nations
du Québec et du Labrador... Et par la suite prendra la parole Mme Marjolaine
Étienne, qui est conseillère à Mashteuiatsh...
Mme Étienne (Marjolaine) :
Vice-chef.
Mme Massé : ...vice-chef, conseillère
vice-chef, pardon — merci Marjolaine — à la communauté de
Mashteuiatsh et qui est la présidente et donc porte-parole des femmes élues à
l'association des Premières Nations du Québec et du Labrador. Adrienne.
Mme Jérôme (Adrienne) :
Depuis le rapport du DPCP, le groupe de travail des femmes élues de l'APNQL,
dont le je suis aussi le porteur de dossier des femmes, au niveau de l'APNQL...
Parce qu'il y a plus de déjà un an, les femmes des Premières Nations du Québec
dénoncent des actes d'abus de pouvoir, de violence, d'agression sexuelle commis
par des policiers de la SQ, de la sécurité du Québec, parce que, dans son
rapport, le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec tient à
préciser que le fait qu'aucune accusation criminelle ne soit portée dans
certains dossiers ne signifie pas que les événements allégués ne se sont pas
produits, parce que l'observatrice indépendante, Mme Fannie Lafontaine,
dans son rapport, constate que l'existence d'un racisme systémique des forces
de l'ordre à l'endroit des membres des Premières Nations, nous, les femmes,
demandons aussi une enquête indépendante judiciaire au niveau du Québec.
Mme Étienne (Marjolaine) :
Kuei. Marjolaine Étienne, vice-chef pour la communauté de Mashteuiatsh, également
aussi membre du groupe de travail des femmes élues de l'Assemblée des Premières
Nations du Québec et du Labrador.
En fait, dans la continuité de ce que Mme Jérôme
a mentionné à l'effet de la situation et également de la demande d'une commission
d'enquête, vous savez qu'au sein de la nation du Québec il y a aussi des
représentations des femmes, donc des femmes élues, qui sont de plus de 90 femmes,
là, élues au sein de leurs communautés. Donc, ces femmes élues proviennent des
gouvernements de la nation au Québec, et, comme vous le savez, nous avons un
rôle et une responsabilité qui est d'oeuvrer au mieux-être et au développement
et à la sécurité de nos membres, de nos nations. Donc, à l'instar de nombreux
groupes de la société civile, nous sentons, effectivement, là, que nous sommes
interpellées, comme femmes, comme femmes élues, comme femmes de Premières
Nations au niveau du Québec, par la situation qui est survenue à Val-d'Or.
Donc, pour nous, c'est certain que nous souhaitons assurer aux femmes, aux
jeunes filles et à tous les membres de nos nations un avenir empreint de
justice, de respect des droits humains. Et c'est dans cette optique que les
femmes élues de l'Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador se
joignent à la table des chefs pour demander au gouvernement la tenue immédiate
d'une enquête judiciaire indépendante sur les aspects touchant les relations
sur les services policiers de partout du Québec et les Premières Nations.
Donc, ce matin, une motion a été déposée.
Elle n'a pas fait objet de débat, mais c'est certain qu'effectivement on vient
donner un signal clair à l'Assemblée nationale de pouvoir faire en sorte de
bien comprendre et de conscientiser l'ampleur de la situation, à l'heure
actuelle. Ce qui se passe à Val-d'Or, c'est une chose, mais il reste quand même
qu'il y a encore d'autres communautés autochtones au niveau du Québec et qu'il
y a encore des femmes et des jeunes femmes… Je vois, en avant de moi, des
jeunes femmes autochtones qui sont là, qui nous écoutent puis je veux faire en
sorte, effectivement, de leur donner une lueur d'espoir, de faire en sorte
aussi, également, qu'il est important aussi de continuer à dénoncer des choses
que personne n'a le droit de pouvoir vivre. Le geste qui a été fait par les
femmes de Val-d'Or qui ont dénoncé est un geste, effectivement, très difficile
mais elles ont passé le pas, donc ce pour quoi on souhaite que le gouvernement
puisse nous entendre et puisse agir le plus rapidement, nous donne une réponse
maintenant et urgente pour qu'on puisse effectivement faire la lumière dans cet
événement-là. Donc, là-dessus je terminerais. Merci beaucoup.
Mme Massé : Merci. Alors,
vous voyez, je pense que le consensus social à l'effet que la seule façon que
nous pourrons redonner aux femmes autochtones, aux filles autochtones, aux
hommes autochtones la conviction que les corps policiers ne sont pas là pour
les emmerder, pour les harceler, pour les abuser mais ils sont là pour les
protéger, la façon d'y arriver, c'est en s'assurant qu'une enquête soit mise au
jeu. Et ce que je veux que vous reteniez, entre autres aujourd'hui, c'est que
les femmes élues autochtones, qui sont 90 femmes dans toutes les communautés
du Québec, ces femmes-là viennent joindre leur voix. Et elles vivent sur le
terrain ce que ça veut dire, le racisme systémique dans leur communauté. Alors,
elles joignent leur voix, et la première interpellation qu'elles font, c'est
pour que cette commission d'enquête ait lieu. Merci.
Le Modérateur
: On va
prendre des questions sur le sujet de la conférence de presse uniquement. Mme Crête.
Mme Crête (Mylène) :
Mylène Crête, Radio-Canada. Avez-vous des exemples concrets de racisme
systémique?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Chaque jour, presque à tous les jours, nous autres, on le vit au Lac-Simon. On
a la SQ qui est présentement dans nos territoires de 7 heures le soir
jusqu'à 7 heures le matin. Comme, hier encore, il y a eu une situation
d'une femme que son enfant, tu sais, comme tous les adolescents, tu sais, là c'était
sa première virée, puis là la police l'a ramené à la maison et il a dit à la
femme : Arrête de boire. Moi, 60 % de ma communauté, là, ils ne
consomment pas, là. Mais cette femme-là, elle fait partie des 60 % qui n'est
pas encore... Là, là, déjà là, là, il a déjà comme fait des préjugés à la femme
sans savoir c'est qui, elle. Tu sais, c'est des choses comme ça qu'on vit. On
vit ça presque à tous les jours encore.
Tu sais, même à la ville de Val-d'Or, tu
sais, on en vit, des situations, tu sais, on en vit aussi sur notre territoire,
chez nous, là, dans la communauté. Puis il faut que ça cesse, ces préjugés-là.
Puis c'est comme... Tu sais, ça monte la tension à ma communauté. Moi, je dois,
en tant que chef, toujours calmer ma communauté. Tu sais, je suis toujours là à
faire éteindre des feux, à savoir qu'on est en train de travailler, qu'on est
là, nous autres, les chefs, qu'on fait des choses pour ces femmes-là, à nos
membres de la communauté. C'est pour ça que moi, je suis encore présente ici.
Ce n'est pas juste chez nous, c'est partout, je crois.
Mme Crête (Mylène) :
Êtes-vous au courant... Dans votre communauté, quand vous avez entendu les cas
d'agression de Val-d'Or, là, que Radio-Canada a mis au jour il y a un an, est-ce
que vous vous êtes dit : Ah! il y a la même chose chez moi? Est-ce qu'il y
a des cas comme ça aussi à Lac-Simon?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Il y a plusieurs communautés, je crois, tu sais, il y a les Attikameks, il y a
les Innus qui ont porté des plaintes. Comme vous le savez, dans le rapport, il
y a deux plaintes à Schefferville qui ont été retenues. Bien, il y a plusieurs
femmes qui ont vécu ces situations-là. Puis quand ils ont vu que, le SPVM, il
enquêtait sur la SQ, il enquêtait sur son frère SQ, il y a plusieurs femmes qui
ont reculé, elles ont juste regardé le bateau passer. Elles savaient que le
rapport, il allait sortir comme ça. Tu sais, elles ont comme tout de suite
cliqué, eux autres, ces femmes-là, là, qu'enquêter sur son frère, mais ça devait
sortir comme ça, le rapport.
Mme Crête (Mylène) : C'est
des femmes qui auraient pu porter plainte?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Oui, c'est des femmes qui auraient pu porter plainte. Il y en avait une
centaine encore, mais elles ont reculé.
Mme Crête (Mylène) : Pas
juste à Lac-Simon?
Mme Jérôme (Adrienne) :
À Lac-Simon, oui, il y en a plusieurs à Lac-Simon. Il y en a plusieurs à
Kitcisakik encore aussi parce qu'à Kitcisakik, eux autres, ils n'ont pas de
service de police à eux, c'est la SQ qui dessert la communauté. Il y a Winneway
aussi. Tu sais, on est autour de ces villes-là.
Mme Crête (Mylène) :
Donc, quand vous dites «une centaine», ça fait référence géographiquement à
quel territoire?
Mme Jérôme (Adrienne) :
C'est dans l'Abitibi-Témiscamingue, il y a plus d'une centaine, là.
Mme Crête (Mylène) : Une
centaine de cas que vous, vous connaissez?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Oui, oui.
Mme Crête (Mylène) : Ça
changerait quoi, une commission d'enquête indépendante, là, vraiment, là, sur
le fond, là? Parce que le gouvernement dit : Bien, pourquoi on n'investit
pas plus d'argent au niveau des services?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Pour nous, ça ne sert à rien d'injecter de l'argent alors que le problème, il
n'a pas été identifié. Tu sais, nous autres, on se fait passer pour des
menteuses, tu sais, à la télévision. Mais nous autres, on a le droit d'être
protégées, on a le droit, nous autres, d'être sécurisées, on a le droit d'être
écoutées puis d'être respectées en tant que femmes. Tu sais, je pense que ce
serait la même chose pour toi. Si tu avais à débattre la question des femmes du
Québec, je pense que tu serais dans la même position que moi.
Le Modérateur
:
M. Bellerose.
M. Bellerose (Patrick) :
Juste pour être clair, la centaine de cas que vous citez, c'est une centaine de
cas où des policiers auraient commis des abus quelconques envers des femmes
autochtones?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Oui, oui, c'est une centaine encore.
M. Bellerose (Patrick) :
D'accord.
Mme Jérôme (Adrienne) :
Mais, quand elles ont vu ça, il y a plusieurs femmes qui ont reculé, j'en
connais, et c'est à tous les jours comme ça.
M. Bellerose (Patrick) :
D'accord. Et cette centaine de femmes là a reculé parce qu'elles n'avaient pas
confiance dans le système de justice.
Mme Jérôme (Adrienne) :
Non. Encore là, la confiance est vraiment très minime.
M. Bellerose (Patrick) :
Vous avez évoqué le racisme systémique dont Mme Lafontaine parlait. Avez-vous
été déçue de voir que le ministre Kelley a refusé d'utiliser ces mots-là,
de «racisme systémique»?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Oui. Si je suis déçue? Je suis déçue de lui parce que, tu sais, il devait nous
consulter, là, tu sais. Lui, il devait comme nous protéger, de protéger le
dossier autochtone, tu sais, vu qu'il est ministre, de venir voir aussi. Tu
sais, il a la responsabilité du dossier autochtone puis aussi de défendre
l'intérêt des autochtones, je crois.
M. Bellerose (Patrick) :
Comment qualifieriez-vous le travail de M. Kelley depuis le début de la
crise à Val-d'Or?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Il n'était pas, comme, très présent et pas... Je crois qu'il devrait être plus
présent, plus présent. Tu sais, il y a le maire de Val-d'Or, tu sais, qui nous
appuie fortement. Il a été chercher un appui au niveau de toutes les MRC, il y
a eu un appui. C'est plus le maire de Val-d'Or, je le remercie beaucoup. Même
si c'est chez eux que ça se passe, il y a une bonne collaboration du maire.
M. Bellerose (Patrick) :
Est-ce que M. Kelley est toujours la bonne personne pour porter le dossier
au gouvernement?
Mme Jérôme (Adrienne) :
À date, on essaie d'avoir quand même un lien avec lui, d'avoir des discussions
avec lui.
M. Bellerose (Patrick) :
Quel message ça vous enverra si le gouvernement Couillard décide de vous offrir
moins qu'une commission indépendante?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Non, nous autres, on refuse, on refuserait. On veut la commission indépendante.
Je pense que c'est la demande de toutes les femmes, de toutes les communautés
du Québec. On a eu une assemblée spéciale urgente la semaine passée, puis c'est
la position des femmes.
M. Bellerose (Patrick) :
Mais ça vous enverrait le message, dans le fond, que ce n'est pas assez important
pour avoir une commission d'enquête?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Comment tu dis ça?
M. Bellerose (Patrick) :
Quel message ça vous enverrait si le gouvernement Couillard n'accepte pas de
créer une commission indépendante?
Mme Jérôme (Adrienne) :
Bien, c'est parce qu'on n'est pas importantes, nous autres, on n'est comme rien
dans la société. Moi, c'est ça, c'est le message qu'on va interpréter.
Mme Massé : Marjolaine,
tu semblais vouloir...
Mme Étienne (Marjolaine) :
Bien, peut-être juste un complément. Effectivement, si on sent qu'effectivement
il y a une réflexion qui est là... Je pense que ça fait plus d'un an, on se
rappellera, ça fait un an. À un moment donné, il faut arrêter de réfléchir et
passer à l'action. Réfléchir encore pour quelques semaines, tout ça, la situation,
elle se perdure encore. Et le fait de ne pas, effectivement, gérer cette
chose-là... Et c'est certain que les femmes élues des gouvernements des nations
de l'APNQL vont aussi de l'avant avec la table des chefs pour demander, effectivement,
cette commission d'enquête là immédiatement. Comme je le disais tantôt, ça
prend une réponse maintenant et urgente. La réflexion est terminée. Du moment
où est-ce qu'on réfléchit, les choses sur le terrain se poursuivent, puis c'est
ça qu'il faut arrêter. Il faut effectivement que le premier ministre se
positionne rapidement dans ce dossier-là et qu'on ait un signal clair. Ce n'est
ni oui ni non, mais ça prend une réponse urgente.
Mme Crête (Mylène) :
Mais, quand vous dites «passer à l'action», moi, il y a quelque chose... c'est
ça que je ne comprends pas, parce qu'il y a des ministres du gouvernement, la
semaine passée, vendredi, qui laissaient entendre que peut-être ça serait mieux
de mettre l'argent qu'on mettrait dans une commission d'enquête indépendante
pour financer soit des services ou peu importe, là. Je sais qu'il y avait la
nouvelle qui était sortie de poste de police à Val-d'Or, là, pour répondre aux
besoins des autochtones. Donc, quand vous dites «passer à l'action», ça, ça ne
convient pas comme action?
Mme Étienne (Marjolaine) :
Bien, en fait, on parle d'argent, et nous, on parle de femmes. Quand on parle
de femmes, on parle de droits, on parle de respect, on parle de faits, comme
femmes de Premières Nations, d'être aussi égales avec les autres femmes du Québec.
Il y a effectivement cet aspect-là qu'il faut considérer aussi, également, c'est
des humains, c'est des femmes qui ont vécu des situations très, très, très
difficiles. C'est une chose. Mais il faut faire en sorte, effectivement, que,
si on parle d'argent, bien, à côté, la situation n'est pas réglée, là. Moi, ce
que je veux faire sentir à mes jeunes filles, aux femmes de ma communauté puis
celles aussi des autres nations, c'est qu'on est là au mieux-être, on est là
pour assurer la sécurité, et c'est un rôle aussi également du gouvernement, et
là je fais appel à l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale, d'être
aussi avec nous. On en a besoin. Puis, s'il faut arriver à travailler sur quelque
chose, bien, il faut le travailler ensemble. C'est tout.
Mme Massé : Merci.
Le Modérateur
: Merci
beaucoup. Au revoir.
(Fin à 13 h 26)