(Treize heures quarante-huit minutes)
M. Khadir
: Aujourd'hui,
en Chambre, se tenait le vote sur la motion du mercredi présentée par l'opposition
au gouvernement demandant essentiellement à M. Couillard et aux libéraux
de faire un pas et de s'entendre sur ce qui se dégageait au cours des 10, 15 derniers
jours sur un consensus atteignable, c'est-à-dire un consensus sur les recommandations
du rapport Bouchard-Taylor. Nous avons, par souci de cohérence... Parce que
n'oublions pas, jusqu'à l'attentat meurtrier, l'attentat islamophobe meurtrier
du 29 janvier dernier, il y avait deux camps qui s'opposaient : d'un
côté, le Parti québécois et la CAQ, qui, pour diverses raisons, je ne rentrerai
pas dans les détails, instrumentalisaient toutes sortes, je dirais, de
situations en société et pointaient du doigt par obsession sur la tenue
vestimentaire des femmes musulmanes pour mener le débat sur la laïcité, sur
l'immigration, sur l'enseignement à l'école, sur bien des sujets; et, de
l'autre côté, malheureusement, le Parti libéral, au pouvoir depuis le plus clair
des 15 dernières années, qui n'a pas agi de manière convenable, notamment
qui n'a pas saisi la proposition du rapport Bouchard-Taylor quand il est sorti
en 2007 pour permettre qu'il y ait un travail social qui avance.
Et, rappelons-nous, le rapport Bouchard-Taylor
ne s'adresse pas ni aux questions d'accommodements uniquement ni même aux
questions du port des signes religieux, mais un ensemble de propositions, dont
une charte de la laïcité, dont des programmes d'intégration interculturelle et
non pas multiculturelle comme un travail réel de lutte à la discrimination. Or,
ces deux positions qui étaient opposées auraient pu se rejoindre dès 2013
alentour d'une proposition qui était formulée par Québec solidaire, qui tablait
justement sur le rapport Bouchard-Taylor pour une approche modérée, équilibrée,
qui, heureusement, est possible aujourd'hui, maintenant qu'on entend le PQ et
la CAQ convenir que leurs positions passées étaient tout à fait erronées et que
Bouchard-Taylor peut représenter un équilibre à la fois sur toutes les
questions qui touchent les accommodements et non pas uniquement des
accommodements religieux, mais également sur la question des accommodements
religieux, sur le port des signes religieux, mais bien plus sur la nécessité
d'une charte de la laïcité, sur la nécessité de programmes soutenus
d'intégration des immigrants et aussi de lutte aux discriminations.
Maintenant, j'aimerais dire aussi à M. Couillard...
J'ai eu l'occasion de lui parler aujourd'hui alentour de ces sujets-là dans une
brève rencontre, et je compte bien, disons, rappliquer là-dessus, que ce
consensus-là n'est ni un consensus définitif ni un consensus, disons, idéal sur
le plan légal ou sur le plan, disons, conceptuel.
Par contre, sur le plan politique, c'est
une formidable opportunité pour enlever les caisses de résonance politiques qui
existaient depuis au moins 10 ans pour tous ceux qui, dans notre société,
veulent carburer aux politiques de ressentiment et qui veulent, en fait,
détourner l'attention de la société des véritables problèmes de discrimination,
des véritables problèmes de profilage racial, des véritables problèmes de lutte
aux inégalités sociales pour concentrer notre attention et notre malaise
généralisé alentour de questions identitaires, puis tout ça en cassant du sucre
sur un des secteurs les plus vulnérables de notre société, c'est-à-dire les
personnes racialisées, c'est-à-dire les personnes qu'on identifie aisément dans
la société comme étant des minorités, et particulièrement des femmes musulmanes
portant le voile, qui sont regardées comme des citoyens de seconde zone et qui
sont régulièrement, depuis 10 ans, l'objet de toutes sortes de
discriminations, d'attaques et de violence. Merci de votre attention.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Alors, vous dites que vous avez eu une brève rencontre avec le premier ministre.
C'était à son initiative?
M. Khadir
: Vous
savez, dans les couloirs de l'Assemblée, on se rencontre souvent. Et j'ai voulu
l'interpeller pour, disons, l'inviter à réfléchir encore davantage à cette
unique opportunité qui s'offre au Québec, après 10 ans de tergiversations,
de faire en sorte que la polarisation alentour de ce sujet prenne fin, et
que... Bien sûr, on ne pourra pas et on ne voudra pas empêcher, en société,
toutes sortes de gens qui ont des opinions très tranchées là-dessus, et qui
veulent carburer aux politiques de ressentiment, et qui sont obsédés par le
port du voile par certaines... une minorité de femmes musulmanes. Le port du
voile par une extrême minorité de femmes musulmanes québécoises, d'accord, là,
ils sont obsédés là-dessus. Mais au moins, en s'entendant sur le consensus que
représente Bouchard-Taylor, on a l'opportunité historique d'enlever toute
caisse de résonance à ça sur le plan politique, qui a empoisonné, en quelque
sorte, notre vie parlementaire de manière régulière, et on l'a vu avec
l'épisode malheureux de la charte des valeurs du Parti québécois.
Donc, c'est le fond de ma rencontre avec
M. Couillard. Je l'invite à considérer qu'à défaut d'être, sur le plan
conceptuel, à l'abri de tout reproche, à défaut d'être à l'abri de tout recours
judiciaire possible, mais ça, les avis sont partagés... La commission
Bouchard-Taylor avait fait un travail à l'époque, avant de faire ses
recommandations et s'était assurée que, sur le plan constitutionnel, c'est
solide, d'accord? Les libéraux prétendent aujourd'hui que non, ça pourrait être
balayé. M. Taylor même a acheté cette idée, que ça pourrait être balayé
par une décision de la cour. Possible, mais à défaut d'être parfait de ces deux
côtés-là, au moins ça enverrait un message clair et ça permettrait de sceller
une entente politique entre les quatre partis à l'Assemblée nationale pour que
ceux qui veulent alimenter les politiques de haine et de ressentiment n'aient plus
de résonnance sur la scène institutionnelle.
M. Bélair-Cirino (Marco) : On
ne peut pas arriver à cet objectif-là en adoptant le projet de loi n° 62
dans sa forme actuelle, dans la mesure où il y a quand même une disposition qui
prévoit que les services de l'État doivent être offerts et reçus à visage
découvert? Donc, ça ne permettrait pas de relâcher la pression, dans la mesure
où le premier ministre le répète depuis des mois et des années, qu'il n'entend
pas interdire le port des signes religieux ostensibles ou ostentatoires chez
les employés de l'État en position de coercition?
M. Khadir : M. Couillard
semble sincèrement persuadé de cette chose, c'est-à-dire que le projet de loi
n° 62 va suffire. Je l'invite à considérer le fait que ça ne sera pas
suffisant en vertu du fait que deux partis au moins à l'Assemblée nationale
indiquent déjà que, si c'est ça, c'est-à-dire un refus de la part du
gouvernement de faire un pas, un geste d'apaisement... Puisque pourquoi M. Couillard
cherche à avancer ceci? C'est dans une volonté d'apaisement, et moi,
j'accueille cette volonté, comme tout le monde en société. Mais je lui rappelle
qu'il n'y a pas d'apaisement si ce qu'il offre sur le plan politique, c'est un
projet de loi qui refuse, je dirais, toute entente et tout compromis avec
l'opposition.
Et donc c'est pour ça que je pense que le
projet de loi qu'avait présenté Françoise, Françoise David, en 2013, sur la
laïcité et sur la clarification sur, justement, les questions du port des
signes religieux par les agents de l'État permettait un consensus qui,
aujourd'hui, est atteignable, puisque la CAQ et le PQ, qui ne voulaient rien
savoir de ça, sont prêts à faire des concessions relativement très importantes.
Donc, si M. Couillard doit arriver
aux fins respectables qu'il recherche, c'est-à-dire l'apaisement, l'apaisement
passe aussi par... c'est-à-dire par les moyens politiques qu'on déploie pour
s'assurer qu'il n'y a plus de relais dans la société pour alimenter le discours
de haine, de discrimination, d'islamophobie et le transmettre à travers des
canaux politiques, comme ça a été possible au moins entre 2007 et aujourd'hui.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Je comprends bien. Mais est-ce que le projet de loi n° 62 est mieux que le
statu quo?
M. Khadir : Toute action
dans ce sens est mieux que le statu quo, mais le projet de loi n° 62 est
trop en deçà, trop éloigné des minimaux requis par Bouchard-Taylor, qui ne
concerne pas uniquement le port des signes religieux, il y a bien d'autres
choses dedans. Il y a la proposition d'une charte de laïcité, il y a des propositions
de programmes d'intégration énergiques qui passent par des dispositifs et des programmes
financés pour la lutte à la discrimination.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Oui, ça, je comprends. Mais ça, c'est dans le projet de loi n° 98.
M. Khadir
: Donc,
c'est un petit, petit pas, mais bien...
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais est-ce que c'est mieux que rien, le 62?
M. Khadir
: Bien,
écoutez, tout est mieux que rien, hein? Dans les négociations, par exemple,
entre l'État et ses employés, toute offre de l'État qui dépasse le zéro est
mieux que rien. Mais est-ce qu'on peut se satisfaire de ça? Après 10 ans,
ça serait un échec social et politique que de se contenter de ça.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Est-ce que c'est une bonne idée de repousser encore une fois le débat sur le projet
de loi n° 62 à l'automne prochain afin de permettre à la ministre de la
Justice, Stéphanie Vallée, de concentrer ses énergies sur le projet de loi
n° 98, là, qui vise justement à faciliter l'intégration des immigrants au marché
du travail ou, selon vous, on retarde encore...
M. Khadir
:
Excusez-moi, là, mais je regarde, par exemple, un autre ministre, M. Barrette,
qui mène tambour battant d'immenses réformes dans le... en fait, dans une
partie de la fonction publique et de l'État qui constitue l'essentiel des
services de l'État, puis ça ne l'empêche pas de mener deux, trois réformes
majeures, dont je ne suis pas d'accord pour l'essentiel, mais... Autrement dit,
moi, je considère que l'un ne doit pas attendre nécessairement l'autre. Et,
comme son collègue, bien, nous sommes prêts à l'aider. On peut aller beaucoup
plus rapidement.
Et je signale que, si le gouvernement
montrait un peu de bonne volonté, le travail pourrait être excessivement
facilité et accéléré si le gouvernement fait un pas dans le sens du consensus,
qui est atteignable, qui était encore atteignable jusqu'à il y a deux jours, jusqu'à
la parution de l'avis de M. Taylor qui a renforcé le gouvernement dans son
entêtement. Et je crois que ce n'est pas une bonne chose. Il y a une différence
entre l'avis, je dirais, basé sur les stricts principes intellectuels et de
l'idéal démocratique de Charles Taylor, dont on peut discuter, mais je pense qu'il
faut au moins admettre que c'est dans sa recherche d'idéal démocratique et
conceptuel philosophique qu'il s'est dissocié de son engagement précédent.
Mais le devoir d'un premier ministre, le
devoir d'une assemblée nationale et de politiciens différents, il y a aussi de nécessaires
consensus sociaux. Et d'ailleurs la première loi de laïcité en 1905 était aussi
un consensus. C'était un âpre consensus qui ne rencontrait pas les exigences,
je dirais, idéales des laïcs de l'époque ni les demandes, je dirais, légitimes
des minorités religieuses en 1905, mais il y a eu un consensus qu'on célèbre
aujourd'hui, même si ça n'a pas été respecté dans son esprit.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Deux dernières questions sur deux autres sujets, si vous me le permettez.
Le gouvernement libéral ne semble pas
disposé à appeler le projet de loi n° 790 de votre collègue Manon Massé,
qui suspendrait l'application de Loi électorale jusqu'au mois de juin prochain
pour permettre à elle et à la communauté de Centre-Sud de Montréal de faire
leurs représentations pour dissuader le Directeur général des élections d'aller
de l'avant avec sa refonte électorale. Alors, comment vous qualifiez l'attitude
du gouvernement libéral? Et avez-vous toujours espoir d'arriver à, disons, faire
entendre raison au Directeur général des élections?
M. Khadir
: Je
pense, c'est malheureux de la part d'un parti qui... dont le système parlementaire
actuel avantage, je dirais, juste par ses mécanismes, par son système, son mode
de scrutin... avantage si immensément, hein? On le sait, il y a une prime pour
le gagnant qui est énorme. À peine 40 % des gens de 60 % de ceux qui
ont participé aux élections ont voté pour ce gouvernement, mais ce gouvernement
a une majorité absolue, énormément de moyens à sa disposition, sans même qu'on
parle de tous les millions de dollars ramassés, depuis des années, illégalement
pour remporter ses élections. Alors, un geste minimum de hauteur démocratique
et de magnanimité reconnaissant le fait que la décision qu'a prise le Directeur
général des élections, en toute légitimité, sur le plan politique, c'est
inacceptable parce que ça efface un tiers des comtés qui allaient aux plus
petits partis déjà désavantagés... Donc, ça aurait été l'occasion de montrer un
peu la hauteur démocratique. Ils ont échappé encore celle-là, cette
opportunité-là. C'est pour ça qu'on va être devant la cour demain avec une
requête d'injonction pour suspendre l'application de la carte électorale telle
que suggérée par le DGEQ.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Et, rapidement, quelles sont vos attentes, quelles sont les mesures concrètes
que vous attendez du gouvernement à la suite du Rendez-vous national sur la
main-d'oeuvre, qui commence cet après-midi à Québec?
M. Khadir
: Malheureusement,
je n'ai pas eu le temps de me pencher, je ne peux pas commenter ça encore. Je
vous reviendrai en temps opportun.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Merci.
(Fin à 14 h 3)