(Onze heures sept minutes)
M. Lisée
: Il vient de
se passer quelque chose d'assez décevant à l'Assemblée nationale. Lundi qui
vient, ce sera la 35e année d'une constitution imposée au Québec sans son
consentement. Tous les cinq ans, l'Assemblée nationale, unanimement, réitère sa
position que cette loi constitutionnelle, qui a réduit les pouvoirs du Québec,
a été faite sans le consentement du Québec et qu'on considère toujours cela
inacceptable. Ça fait partie du rapport de force du Québec aussi face à Ottawa
de régulièrement réitérer unanimement cette position-là. Ça a été fait par Jean
Charest; ça a été fait par Philippe Couillard il y a cinq ans, quand il était
chef de l'opposition libérale.
Aujourd'hui, le premier ministre Couillard
a décidé de ne pas réitérer cette condamnation. Le premier ministre Couillard a
décidé que l'Assemblée nationale n'était plus unanime à dire que la loi de 1982
avait réduit nos pouvoirs et qu'elle était inacceptable.
On sait que le gouvernement québécois
actuel est le plus fédéraliste de l'histoire du Parti libéral du Québec, mais
il ne l'avait jamais affirmé avec autant de clarté. Ce refus net de réitérer un
libellé avec lequel ils étaient d'accord il y a cinq ans est une indication
extrêmement parlante de l'affaiblissement que le Québec subit dans la
fédération à cause de l'idéologie de M. Couillard, qui finalement s'accommode
des reculs du Québec, perd toutes ses batailles avec Ottawa, que ce soient
celle sur les transferts sociaux en santé, celle sur l'investissement dans
Bombardier, celle sur une compensation pour Muskrat Falls. Il perd toutes ses
batailles et pourtant, au moment où il faut réaffirmer la position historique
du Québec, il se défile et même au sens propre puisqu'il a quitté l'Assemblée
avant que la motion ne soit déposée et il savait qu'elle allait être déposée.
Alors, nous, au Parti québécois, nous
avons toujours, dans ces moments, voulu respecter des libellés rassembleurs. Et
c'est pourquoi nous avons voulu réitérer mot à mot ce qui avait été jugé
acceptable par les chefs libéraux antérieurs. Et donc, force est de constater
que le Parti libéral est aujourd'hui dirigé par des gens qui ne défendent pas
ce que défendaient les directions précédentes du Parti libéral du Québec.
M. Salvet (Jean-Marc) : ...surpris,
c'est ce qu'il faut comprendre?
M. Lisée
: Évidemment,
M. Couillard nous habitue à être déçus, nous habitue aux reculs, nous habitue à
la mollesse, nous habitue à limer la force du Québec à l'intérieur de la
fédération, mais chaque nouveau recul est une déception supplémentaire.
M. Salvet (Jean-Marc) : Il a
pourtant déjà dit qu'il voulait aller plus loin, qu'il voulait réparer la
blessure de 1982. C'est des mots qu'il a déjà employés. Cette motion... je veux
dire, ce refus de motion ne fait pas foi de tout non plus, hein?
M. Lisée
: Bien, il faut
lui demander où est sa cohérence, hein? D'abord, ils ont essayé de proposer un
amendement, et on était prêts à regarder des amendements, mais l'amendement
qu'il voulait mettre était un amendement qui était inacceptable, parce qu'il
voulait qu'on applaudisse le fédéralisme canadien. On dit : Écoutez, on en
a un, libellé, qui faisait l'unanimité il y a cinq ans. Si vous nous proposez
quelque chose... on ne voit pas pourquoi le changer, mais c'est clair que leur
volonté de changer, c'était pour qu'il n'y ait pas d'entente. Donc, ils se sont
organisés pour ne pas avoir à réitérer leur position.
Et effectivement on peut aussi souligner
le quatrième anniversaire, cette année, de la déclaration de M. Couillard, qui,
en campagne électorale, avait déclaré que ce serait sa priorité, lorsqu'il
serait premier ministre, d'essayer de réparer le tort de 1982 et, à l'occasion
du 150e anniversaire du Canada cette année, disait-il, de renégocier la Constitution
pour pouvoir faire entrer le Québec.
Alors, est-ce que vous avez vu ce qu'il a
fait, ces trois dernières années, pour essayer de remplir cette promesse?
Évidemment, absolument rien. Donc, il est résigné à un ordre constitutionnel
imposé au Québec contre sa volonté. Et même cette semaine, on a vu, sur le
débat sur la clause dérogatoire, comment la camisole de force de cette constitution
qui nous a été imposée limite notre capacité d'agir quand on a une très grave
crise de confiance dans notre système de justice.
Mme Lajoie (Geneviève) : Mais
comment vous expliquez son changement de position? Justement, au début, il voulait
régler ça; maintenant, il ne fait plus rien?
M. Lisée
: C'est une
très bonne question à lui poser. Je pense qu'il a conclu, comme nous, que le Canada
n'est pas réformable et donc il a fait le deuil, comme beaucoup de
fédéralistes, du rêve historique d'essayer de réformer le Canada. Mais ce
deuil-là ne doit se traduire par des reculs de la place du Québec dans le Canada,
et le recul qu'il indique aujourd'hui, il est grave. Il est grave parce qu'on
est en cour en ce moment sur la loi n° 99. On maintient constamment nos
positions.
Je vais donner un contre-exemple. Hier, le
gouvernement québécois a célébré la doctrine Gérin-Lajoie. Cette doctrine n'a
jamais été reconnue par aucun premier ministre canadien, aucun ministre des
Affaires extérieures canadien, et pourtant on la réaffirme constamment parce
que c'est une façon d'affirmer notre détermination à agir. C'était la même
chose aujourd'hui. Il fallait réaffirmer ça pour dire : Il y a un problème
structurel avec le Canada. Vous n'avez pas notre consentement, vous ne l'avez
toujours pas et donc écoutez-nous quand on parle. Et là ce qu'il a dit
aujourd'hui, c'est : Bien, arrêtez de nous écouter.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Il
y a, aujourd'hui, le dépôt d'un projet de loi à Ottawa pour légaliser la
marijuana; ici, à Québec, un projet de loi pour interdire les chiens dangereux
qui a été déposé. En quoi le refus du gouvernement libéral d'appuyer une motion
pour souligner l'imposition unilatérale de la loi constitutionnelle de 1992
devrait intéresser les Québécois? Pourquoi c'est pertinent?
M. Lisée
: Bien,
écoutez, si personne ne s'intéresse à la loi fondamentale qui détermine ce
qu'on peut ou ne peut pas faire, bien, rentrons tous chez nous, hein, parce que
c'est la loi des lois et c'est la loi qui dit si le Québec peut ou non
diriger son système de justice, peut ou non voter des lois linguistiques, peut
ou non avoir le contrôle sur son éducation, si ce sont les juges qui ont le
dernier mot ou si ce sont les législateurs qui ont le dernier mot. Cette loi
structure l'ensemble de notre vie démocratique et elle a été votée sans notre
consentement.
Alors, si M. Couillard veut dire que
finalement il consent à la loi de 1982, qu'il le dise, mais il n'a pas le
mandat de le faire sans un mandat clair de la population québécoise. Alors
donc, c'est très signifiant, ce qui a été fait aujourd'hui.
M. Robitaille (Antoine) : Est-ce
que, comment dire, l'opposition à 1982, ça ne devient pas un peu comme la
contestation du jugement sur le Labrador, c'est-à-dire une vieille
revendication qui est toujours là, mais qui devient comme caduque,
tranquillement?
M. Lisée
: C'est ce que
les fédéralistes veulent, c'est ce que les trudeauistes veulent, la victoire
finale par épuisement des combattants. Alors, est-ce que c'est Philippe
Couillard qui va donner cette victoire? Il n'a pas le mandat de le faire de la
part des Québécois.
Le Modérateur
: Merci.
(Fin à 11 h 15)