(Treize heures vingt-neuf minutes)
M. Ouellet : Alors, bonjour, tout
le monde. Je suis aujourd'hui accompagné de Mme Hélène Brochu, D.G. du centre d'action
bénévolat Le Nordest et on est venu vous parler aujourd'hui d'une situation
très dramatique, pour laquelle la Manicouagan et la Haute-Côte-Nord demandent
l'aide du ministre pour y mettre fin.
Depuis 2009, le ministre Yves Bolduc nous
avait annoncé deux centres satellites d'hémodialyse, un à Sept-Îles et un à
Baie-Comeau. Celui de Sept-Îles a ouvert en 2011, mais malheureusement,
Baie-Comeau, rien n'est encore ouvert. Nous voulons, et c'est pour ça qu'Hélène
est avec moi aujourd'hui, avoir un centre satellite d'hémodialyse à
Baie-Comeau, et on ne comprend pas pourquoi qu'on ne l'a pas encore. Pourtant,
nous avons l'unité, nous avons l'endroit. Il ne nous manque que les ressources
mais surtout la volonté du ministre de faire de cet engagement un engagement
clair et réalisable pour nos citoyens.
En 2015, le commissaire aux plaintes avait
déjà dénoté qu'il manquait du financement pour faire avancer le projet. Et, on
le sait, ça manque juste de volonté. Si le ministre veut effectivement nous
donner l'hémodialyse sur la Côte-Nord, à Manicouagan et en Haute-Côte-Nord, il
peut le faire, il a les moyens de le faire. Et lorsqu'on se fait dire, et c'est
ça qui est le plus aberrant, c'est qu'on n'a pas la masse critique de gens pour
obtenir ce service, mais le problème que nous avons, c'est que, comme on
n'a pas le service en Manicouagan et en Haute-Côte-Nord, bien, les gens, ils
quittent. Ils vont ailleurs, dans d'autres centres du Québec, pour obtenir les
services et donc se rapprocher. Et, comme nous ne les avons pas, nous n'avons
pas cette masse critique pour démontrer le véritable besoin.
Et c'est ça qu'on est venus dire
aujourd'hui au ministre. 92 personnes sont en insuffisance rénale aujourd'hui
sur la Côte-Nord. Plusieurs font affaire à Sept-Îles, les chaises sont toutes
occupées et même que ça déborde. Alors, nous, on pense que, si on veut régler
le problème, c'est d'abord de démontrer cette disponibilité, et cette
disponibilité-là, ça prend les moyens, et seul le ministre Barrette peut nous
les donner.
Et la partie la plus aberrante, et c'est
là que Mme Bolduc vient intervenir, c'est que l'orientation ministérielle nous
dit que, pour quelqu'un en traitement d'hémodialyse, le maximum qu'il devrait
subir en temps de déplacement, c'est 1 h 30 min pour le voyage
d'aller et 1 h 30 min pour le voyage de retour pour un total de
trois heures, alors que nos patients, ceux de Baie-Comeau et ceux de
Forestville, qui doivent se rendre à Rimouski, doivent faire cinq heures de
route aller-retour, et ce, de deux à trois fois par semaine. Vous avez
rapidement compris que nos gens sont fatigués, sont essoufflés et qu'ils
méritent que le service des usagers soit à proximité.
Hélène est avec moi aujourd'hui pour venir
témoigner des drames vécus et de l'appel à l'aide de nos citoyens et citoyennes
qui demandent ce service le plus rapidement possible. Alors, je passe la parole
à Hélène pour vous expliquer de quelle façon ces drames humains bouleversent
des vies et bouleversent toute une collectivité.
Mme Brochu (Hélène) : Merci.
Alors, comme disait M. Ouellet, aujourd'hui, je représente M. Martial Poitras,
c'est-à-dire le conjoint de Mme Lise Allicie, qui a vécu à peu près un peu plus
de 10 années un problème, justement, d'insuffisance rénale. Et finalement on a
perdu Mme Allicie par faute de soins, par faute de possibilité de pouvoir lui
avoir ses traitements d'hémodialyse.
Alors, aujourd'hui, je vous explique le
cas de Mme Allicie. Elle a commencé à avoir des problèmes de santé rénale, ça a
commencé en 2003, et elle a été à la maison avec de la dialyse péritonéale, mais,
à partir de 2007, son état de santé s'est détérioré. Alors, elle a dû utiliser
les services d'hémodialyse, et c'est à ce moment-là qu'elle s'est rendu compte
qu'il n'y avait aucun service d'hémodialyse à Baie-Comeau. Alors, elle faisait
le trajet de Forestville jusqu'à Chicoutimi à raison de
2 h 30 min dans les meilleures conditions de route, et on
s'entend que l'hiver, ça peut représenter jusqu'à 3 h 30 min, des
fois quatre heures, tout dépendant toujours de la route.
Alors, c'est sûr que trois fois par
semaine, ce n'est pas juste deux, trois, ça brise toute une vie. Alors, M.
Poitras, son conjoint, l'a voyagée pendant quelques années, mais il est venu un
temps que même lui était essoufflé. C'est alors qu'un de nos bénévoles... Notre
centre d'action bénévole offre le service de transport accompagnement médical.
C'est alors qu'un de nos bénévoles a pris la charge de voyager Mme Allicie
pendant toutes ces années-là. Mme Allicie nous a quittés à l'automne dernier. Quand
je dis «quittés», elle est décédée, alors c'est très triste à dire.
Alors, c'est sûr qu'à travers de tout ça,
Mme Allicie a vécu d'autres problématiques de maladies associées à sa maladie.
Alors, comme disait M. Ouellet, c'est impensable de voir que quelqu'un
doit faire plus de 2 h 30 min, trois heures pour aller et retour lorsque déjà
ta santé est très, très, très diminuée. Alors, moi, on a calculé en gros, dans
une année, Mme Allicie faisait 76 000 kilomètres par année pour seulement
recevoir ses traitements, si on oublie tout le reste. Elle n'avait plus aucune
qualité de vie. Ça n'avait aucun sens.
Alors, M. Poitras et son fils ont décidé
de faire des démarches auprès de l'agence de la santé, qui était dans le temps
l'Agence de santé, ont fait des démarches auprès du président-directeur général.
Ils ont fait des entrevues à la télé, à la radio pour dire que c'était
impensable, que ça n'avait aucun sens de faire vivre ça à sa conjointe. Et
jusqu'en 2015, il est venu un temps que madame se sentait tellement... s'est
tellement détériorée qu'il a laissé tomber. Même lui était épuisé. C'est alors
que, lors d'un voyage, lorsqu'il est venu au centre, je l'ai rencontré puis je
lui ai offert mon aide. Je lui ai dit : Nous, dans notre mission, nos
champs d'action, c'est d'aider les aînés, les référer dans leurs demandes
aussi, trouver les moyens et trouver une solution.
Alors, j'ai décidé de me battre avec lui
et on a recommencé les démarches auprès du nouveau CISSS. On a toujours eu
comme réponse : On n'a pas les sous. Dans le temps, on nous avait promis
une unité satellite en 2009. Ça a été refusé par manque de financement. Finalement,
Sept-Îles a eu le leur. Parfait, mais, je veux dire, nous, dans notre coin, on
en a vraiment besoin.
Alors, on a continué de se battre. On est
allés au Protecteur du citoyen. Le Protecteur du citoyen nous a emmenés... nous
a transcris, au niveau de l'agence de la Santé, au niveau du CISSS, plusieurs recommandations.
Pour alléger les transports de Mme Allicie, on lui a offert de s'en aller à Sept-Îles
pour recevoir les traitements, ce qui était complètement impensable, parce
qu'elle était dans les derniers mois de sa vie. Elle était incapable de
s'habiller, de marcher seule, de se faire à manger. Alors, ce n'était pas la
meilleure solution pour elle.
Je trouve que toutes les solutions qu'on
nous a données n'étaient... on ne pouvait jamais accepter cette solution-là. Je
trouve ça triste de voir que, là, aujourd'hui, on se bat pour... bien, c'est-à-dire,
on ne se bat plus pour Mme Allicie, parce qu'elle n'est plus là, mais on a
décidé de prendre en charge ce dossier-là et on va continuer de se battre pour
les personnes qui sont en insuffisance rénale présentement et pour les futures.
Et ça, c'est en la mémoire de Mme Allicie. Alors, c'est pour ça que je suis aujourd'hui...
pour vous expliquer en gros.
Puis je peux juste vous dire qu'au niveau
des statistiques qu'on a de la Côte-Nord, si on regarde les autres régions, je
ne comprends pas, proportionnellement à la population, comment il se fait qu'on
n'a pas encore ces services-là.
Et un dernier point que je veux rajouter, à
toutes les fois qu'on nous disait qu'on aurait une unité satellite chez nous,
on nous disait : Ça nous prend quatre patients. Et moi, dans un été,
justement, au centre d'action bénévole, à voyager ces gens-là, j'avais les
quatre patients. Et hélas, par manque de services, ils sont tous décédés. Ce
n'est pas plaisant à dire aujourd'hui qu'on les a perdus, ces gens-là. On les a
perdus par manque de services, et ça, ça nous fait énormément de peine, mais c'est
ce qui va nous pousser à faire la bataille et à continuer.
M. Ouellet : Merci, Hélène.
Alors, il y a eu d'autres cas dans les médias qui ont été mis en lumière, et
finalement le ministre a décidé d'agir pour ce qui est du Bas-Saint-Laurent et
de la Gaspésie. Alors, il existe deux MRC, au Québec, seulement encore qui
n'ont pas de service d'hémodialyse en région, et c'est les miennes, c'est celle
de Mme Allicie, c'est celle d'Hélène Bolduc, c'est-à-dire celles de Manicouagan
et de la Haute-Côte-Nord.
Alors, j'interpelle le ministre, je lui
tends la main. On a assez vécu de drames humains sur notre territoire pour ne
pas mériter ces services. M. le ministre, ce n'est pas une question d'argent, c'est
une question de coeur. Merci.
Mme Porter (Isabelle) : Oui. Est-ce
que c'est possible de nous dire exactement combien de personnes sont en attente
d'une chaise à l'heure actuelle?
Mme Brochu (Hélène) : On
avait, dans les dernières statistiques, là, si je me souviens bien, on en a 11
personnes de notre secteur à nous qui sont à l'unité satellite de Sept-Îles, qui
est de Baie-Comeau et des alentours, mais j'ai cinq personnes présentement qui
sont en dialyse hospitalière à l'extérieur de la région.
Mme Porter (Isabelle) : Donc, Rimouski
et...
Mme Brochu (Hélène) : Qui
sont... non, probablement Chicoutimi et Québec.
Mme Porter (Isabelle) :
Québec?
Mme Brochu (Hélène) : Oui,
parce que j'ai des témoignages de clients chez nous qui ont déménagé à Québec,
qui sont déménagés à Montréal, parce qu'ils n'avaient pas les services, ils
n'avaient plus la santé pour voyager.
Donc, qu'est-ce qui arrive avec ces
gens-là? Ils quittent famille, enfants, petits-enfants. Ils quittent tout,
tout, tout ce qui les rattachait à la Côte-Nord pour aller recevoir les
traitements, parce qu'il vient un temps que tu n'as plus la force de te battre.
Alors, ils préfèrent s'exiler.
Puis, aussitôt que ces gens-là sortent de
la région, ils disparaissent de nos statistiques. Alors, on n'a jamais le
chiffre total que ça nous prend pour être capables de recevoir cette unité
satellite là, puis c'est ce qui est choquant et ce qui est enrageant. Et depuis
2009 qu'il y a le combat, et moi, depuis 2015, je suis dans le dossier, et à
toutes les réponses qu'on reçoit de notre CISSS : On est à l'étude. C'est
toujours à l'étude, mais il n'y a jamais d'avancement ou un espoir dans leurs
études. Supposément que ça fait partie de toutes leurs réunions de conseil
d'administration, puis il doit y avoir une phrase qui dit : Bien, on va
passer au point suivant. On n'a jamais eu l'espoir. Un petit espoir quelconque,
on ne l'a jamais eu.
Mme Porter (Isabelle) : Mais
ce n'est pas un peu fort de dire, quand même, qu'on les a perdus par manque de
services? Ce n'est quand même pas ça qui a causé les décès de ces personnes-là.
Mme Brochu (Hélène) : Ce n'est
pas le CISSS qui les a causés, mais, je veux dire, c'est un manque de services.
Quand tu sais que le néphrologue part de Québec puis vient deux fois par année
pour des insuffisants rénaux, ce n'est pas assez. Il devrait être là, à
l'hôpital de Baie-Comeau, une fois par mois. On ne peut pas concevoir ça, tu
sais, deux fois par année. Non, là-dessus, je ne peux pas. Par manque de
services... À l'hôpital de Baie-Comeau, si, moi, j'ai un problème avec mon
insuffisance puis que j'appelle pour avoir une information : Bien là, je
pense que je fais une infection, je pense que... Quand tu fais la dialyse
péritonéale, ils t'ont installé un tube ici, là. Je pense que je fais une
infection. Il n'y a personne à l'hôpital de Baie-Comeau qui est capable de
répondre à ces gens-là. Ils les réfèrent immédiatement à Québec.
Ça coûte cher au système de santé. Je veux
dire, je te prends à Baie-Comeau, je t'envoie à Québec. Parce que, là, on
réclame, à ce moment-là, aussi. C'est impensable. On ne peut pas accepter ces
choses-là. Ça fait que moi, j'appelle ça, exactement, un manque de services.
Mme Porter (Isabelle) : M.
Ouellet, peut-être une question concernant la Gaspésie. Comment vous expliquez
que la Gaspésie ait eu les services demandés, donc, tout récemment, mais que ce
ne soit pas le cas de la Côte-Nord? Est-ce que, peut-être, vous n'avez pas
parlé assez fort? Vous ne vous êtes pas fait assez entendre par rapport à vos
collègues de la Gaspésie?
M. Ouellet : Je pense que les
besoins du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie étaient grandioses par la
grandeur du territoire. Il y a eu, effectivement, beaucoup de cas médiatisés
qui attiraient effectivement la lumière là-dessus. Et, de notre humble avis,
même, il y a eu beaucoup plus de choses qui ont été annoncées qui étaient même
demandées. Les gens ont été surpris de voir de quelle façon le ministère a
répondu à la demande et en mettant même plus de moyens qui étaient normalement
demandés, ce qui est une bonne chose de côté-là.
Est-ce que les gens de la région ont assez
crié? Je ne le sais pas. Est-ce qu'on a besoin de crier pour se faire entendre?
Les cas que Mme Brochu nous témoigne, c'est des gens qui n'ont plus la force de
crier. Mme Allicie, ce qu'elle nous expliquait tout à l'heure, c'est
qu'elle a cessé de se battre puisqu'elle ne voulait pas avoir à déménager pour
subir ses traitements ailleurs. Elle a fait ce choix-là.
Alors, moi, j'aimerais que ma population
n'ait pas ce choix-là à faire de s'exiler de la région, de couper les ponts
avec sa famille et ses enfants pour obtenir des soins, et je pense que c'est
légitime pour ça.
Mme Porter (Isabelle) :
Est-ce que je comprends bien ou dans le fond... parce que, bon, dans le cas de
la Gaspésie, on parlait des gens qui étaient forcés de faire jusqu'à
30 heures par semaine. Là, dans votre cas, c'est peut-être 15,
20 heures. Dans le fond, le cas de la Gaspésie était peut-être encore plus
dramatique, mais ça ne veut pas dire que le vôtre ne l'est pas. C'est un peu ça
que vous dites. O.K.
M. Ouellet : Absolument.
Votre réflexion, est-ce que 30 heures, c'est beaucoup trop? La réponse est
oui. Est-ce que 15 heures en Côte-Nord, c'est beaucoup trop? La réponse
est aussi oui. Dans les orientations ministérielles, on nous dit un maximum de
1 h 30 parce qu'effectivement les gens ont des insuffisances.
Les conditions de la route de la 138, je
ne sais pas si vous avez l'opportunité de la parcourir, mais beaucoup de
courbes, très cahoteux. Ce n'est pas un transport, je vous dirais, confortable.
Alors, plus on le multiplie, plus il est difficile, et pour se rendre à
Chicoutimi, lorsqu'on prend la route vers Sacré-Coeur pour se rendre, aussi
très courbeux, beaucoup de vans, beaucoup de glace en hiver, donc c'est une
route très dangereuse. Alors, on met des gens à risque dans des conditions à
risque supplémentaire.
Alors, notre situation, elle est similaire
à celle de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. En termes de durée, je suis
convaincu que ce n'est pas la même chose, mais en termes d'intensité, je pense
qu'on est à la même place. Merci.
(Fin à 13 h 43)