(Onze heures vingt-deux minutes)
M. Khadir
: Écoutez,
chaque semaine on a, de partout dans le réseau de la santé du Québec, des cris
d'alarme. Ça ne fonctionne pas. Je ne remets pas en doute la bonne foi de M. Barrette,
d'accord? Est-ce que, tout ça, il le fait pour privatiser le système de santé,
comme certains le disent, en dépouillant les CLSC de leurs ressources pour les
donner à des cliniques privées? Vous vous rappelez le «tweet fight» qu'il avait
eu avec un groupe de médecins en 2015, où, de guerre lasse, les médecins
s'adressaient à lui pour décrire ce qui se passait dans le réseau, puis il a
fini à deux heures du matin à dire à l'une d'entre elles, d'entre eux, bien, de
s'en aller au privé. Mais là ça prend des proportions démesurées.
Et c'est pour ça que ce matin je me suis
vu obligé, en fait, d'être d'accord, pour une rare fois, avec Lucien Bouchard
puis de penser que M. Barrette n'est pas l'homme de la situation, que M. Barrette
a largement dépassé ses compétences, ses capacités, quelle que soit sa volonté,
parce que ses méthodes d'affrontement, de gestion par affrontement, de
concentration du pouvoir, de décisions erratiques à la pièce qui consistent, finalement,
à penser qu'il a la solution à tout et que cette solution se trouve uniquement
dans le ministère, ça a entraîné de graves conséquences sur le réseau de la
santé. J'en ai décrit quelques-uns.
Alors, pour le bien du réseau public de
santé, je lui ai demandé ce matin d'offrir sa démission, noblement. C'est une question
de lucidité, c'est une question de responsabilité. Personne n'a plus confiance
en M. Barrette dans le réseau de santé public québécois. Il y a des
médecins qui sont intimidés, d'autres qui se sont déjà manifestés et qui en ont
subi des conséquences, à tel point que, là, je n'ai même pas pu obtenir leur
accord pour citer leur page Facebook pour décrire les refus qu'on leur a
signifiés d'accepter que ces personnes-là puissent voir leurs patients dans les
CLSC en guise de représailles pour ce qu'ils avaient dit.
Donc, dans ces conditions-là, je pense que,
quand un Lucien Bouchard, à une extrême du spectre de l'opinion et, je dirais,
de l'analyse politique... et Québec solidaire, en passant par la CAQ, par le
PQ, par les ensembles des acteurs du réseau, sont arrivés à la même conclusion,
que les réformes ou les contre-réformes de M. Barrette sont en train de complètement
démobiliser, démoraliser, désorganiser, en fait, occasionner des découvertures
pas uniquement aux urgences, en plus de privatiser à la douce le système de
santé, bien, si M. Barrette, comme il a déjà fait des professions de foi à de
multiples reprises, il tient au réseau public de santé, bien, à ce moment-là,
la seule responsabilité, la seule manière d'assumer une responsabilité digne de
ce nom, c'est de donner sa démission.
Mme Prince (Véronique) :
Tantôt, vous avez parlé de plusieurs démissions qui étaient liées aux méthodes
de gestion de M. Barrette. À votre connaissance, il y en a combien au
total? Vous êtes capable d'en répertorier combien?
M. Khadir
: Je ne
peux pas répertorier le nombre exact, mais je vous ai parlé de la Rouge, je
vous ai parlé de Mont-Laurier, je peux vous parler... Quand j'ai lu un extrait
de la lettre du Dre Bellon, ça, c'était une interniste de LaSalle, on me
dit que c'est la même chose à Lakeshore, qu'il y a des problèmes à
Pierre-Boucher, dans mon propre hôpital, je ne peux pas vous révéler des noms,
les gens ont peur, ont peur des conséquences... Voyant l'espèce de système
concentrationnaire qu'est devenu le réseau de santé en termes de décisions puis
en termes de rapidité d'exécution de certaines choses qui viennent d'en haut,
bien, ils ont peur. Alors, il y en a qui précipitent, qui devancent simplement
des retraites. J'ai un médecin de 57 ans... Ah oui! J'ai oublié de mentionner
La Pocatière. Quand je les ai visités il y a quelques semaines, le groupe
de médecine familiale qui était juste en face de l'hôpital, bien, il y avait un
de leurs collègues qui donnait sa démission puis deux autres qui annonçaient
une démission prématurée, sans révéler explicitement... contrairement à ce que
j'ai mentionné, là, dans la région des Laurentides, mais c'était de la
désorganisation et le découragement vécu dans le réseau.
Mme Richer (Jocelyne) : Est-ce
qu'il y a un climat de terreur dans le réseau?
M. Khadir
: Il y
a un climat de terreur. Je vous dis, ce matin même je parlais à un médecin, je
ne pourrais pas nommer la région, qui... ce n'est pas un médecin, là... ce
n'est pas un ophtalmologue qui est mécontent de ne pas pouvoir facturer des
frais accessoires, c'est une personne qui travaille en omnipratique, qui
s'occupe des cas de DPJ, des cas de femmes, de mères monoparentales en difficulté
comme mères... j'en ai oublié un... ah oui, elle fait de la pédiatrie sociale, d'accord,
comme pratique en omnipratique, pour certaines raisons et parce qu'on demande
d'être à temps plein en CLSC ou en établissement, bien, elle veut venir
travailler dans le CLSC de son coin, mais on lui refuse d'accepter les
600 patients parce que la direction lui dit : Bien, écoute, si on
fait ça, là, on n'a pas le travail secrétariel puis on n'a pas le budget. Il
faut augmenter le temps de secrétaire, et la secrétaire s'occupe de
30 autres médecins. Alors, c'est dans ces conditions-là qu'elle est arrivée
à penser que c'est peut-être parce que, dans l'année et demie qui a précédé,
elle s'est levée, cette personne-là, pour dénoncer une situation en radiologie
dans sa région.
Mme Richer (Jocelyne) :
Qu'est-ce qui vous fait croire que ce malaise-là est généralisé?
M. Khadir
:
Pardon?
Mme Richer (Jocelyne) :
Qu'est-ce qui vous fait croire que c'est généralisé?
M. Khadir
: Parce
qu'on l'entend de partout. Bien, parce que je l'entends de Lakeshore, je
l'entends de ma collègue Marie-Michelle Bellon, dont j'ai lu un extrait de
lettre en Chambre, à LaSalle, on l'entend de Lakeshore, je le vois dans mon
propre hôpital, c'est généralisé partout. Et les médecins de La Pocatière
disaient exactement la même chose. Vous vous rappelez il y a deux ou trois
semaines, on est allés les voir. Qu'on prenne, donc, les Laurentides, en
Montérégie, en plein milieu de Montréal ou à La Pocatière, ça semble être
la même chose.
M. Salvet (Jean-Marc) :
À 18 mois des prochaines élections, vous n'estimez pas qu'il appartient
plutôt aux Québécois, là, de choisir si ce gouvernement doit être reporté…
M. Khadir
: Bien,
ça relève du jugement du premier ministre. Ça relève du jugement du premier
ministre, qui est encore une fois…
M. Salvet (Jean-Marc) :
Et non pas des électeurs, à 18 mois, de voir si eux sont satisfaits de la
tangente prise par le système de santé et de services sociaux à 18 mois
des prochaines élections?
M. Khadir
: Non,
non, mais je crois que ce qu'on relève dans le réseau, dans nos propres
patients qui viennent se plaindre à nous... Moi, je peux le dire, je travaille
en hôpital à temps très partiel, la population en général, si je peux dire
quelque chose, s'il y a une unanimité aujourd'hui sur le gouvernement
Couillard — j'allais dire Charest — c'est que le bilan du
réseau de santé est désastreux. Les gens ne sont pas… Il n'y a rien des
promesses du gouvernement libéral qui se sont matérialisées, là. Que ça soit
l'accessibilité, que ça soit l'accès à l'urgence, que ça soit dans nos CHSLD,
que ça soit l'accès aux salles d'opération, il n'y a rien de ces promesses qui
ont été réalisées. Alors, comment voulez-vous que les gens soient contents?
Est-ce qu'on doit attendre que le désastre s'accentue? Est-ce qu'on doit
attendre que tout le système s'écroule? Est-ce qu'on doit attendre qu'il y ait
une découverture généralisée à l'échelle de la province? Non. Il en va de la
responsabilité du premier ministre.
M. Gagnon (Marc-André) :
Mais en même temps il y a des gens qui vont dire, M. Khadir : Bien,
M. Barrette, ce n'est pas un politicien traditionnel, il n'a pas la langue
dans sa poche. Pour une fois, un ministre de la Santé réussit à faire bouger les
choses.
M. Khadir
: Mais
quelles choses? Tout ce qu'il a réussi à bouger, c'est à traiter les gens comme
des pions, à gérer par affrontement, à se mettre à dos l'ensemble du réseau. C'est
tout ce qu'il a réussi à faire. Parce que bouger, c'est une prémisse qui ne se
rencontre pas, parce qu'il n'y a rien qui a bougé dans le temps d'attente, il
n'y a rien qui a bougé dans la situation des urgences, il n'y a rien qui a
bougé réellement dans l'accessibilité aux médecins en première ligne. En fait,
ce qui a bougé, c'est que ça s'est détérioré. Il y a une démoralisation.
M. Gagnon (Marc-André) :
Bon. Et évidemment il a refusé de remettre sa démission comme vous lui avez
demandé ce matin, tout bonnement, en Chambre. Il pourrait y avoir un
remaniement. Donc, voyant que M. Barrette refuse de démissionner, est-ce
qu'à tout le moins vous demandez à M. Couillard, à ce moment-là, de le
tasser de la Santé s'il y a un remaniement en septembre, par exemple?
M. Khadir
: J'ai
demandé à M. Barrette, pour tester sa bonne foi lorsqu'il dit qu'il tient
au réseau public de santé... Il me l'a dit à moi dans des débats qu'on a eus
lorsqu'il était candidat puis on était en élection, il l'a dit à quelques
reprises, il l'a dit dans une allocution à une soirée au profit de la Fondation
de l'Hôpital Jean-Talon, pour n'en nommer que ceux que je me rappelle, d'accord,
et là je voulais, pour cet homme franc... que je crois, par ailleurs, sincère
en un tas de choses. Sauf que la sincérité ne suffit pas, et il pensait être
l'homme qui allait changer tout ça. Bien, trois ans plus tard, il faut en venir
à une conclusion. Donc, si lui ne le fait pas, j'aurais voulu que ça soit lui,
dignement, qui le fasse. Ça aurait été vraiment une manière fort différente de
faire de la politique, hein? Ça, ça aurait été vraiment génial de dire :
Je ne suis plus l'homme de la situation, je remets ma démission parce que ça ne
marche pas, mes affaires. Bien là, tout le reste dépend du jugement de M. Couillard.
En fait, si M. Couillard était là, dans mon complémentaire deux je me
serais adressé à M. Couillard, dire : Devant son refus, bien, vous
devriez, pour le bien du réseau public de santé, parce que lui aussi a déjà
fait ce genre de profession de foi, passer le flambeau à quelqu'un d'autre.
Des voix
: Merci
beaucoup.
M. Khadir
: Thank you
for your attention.
Une voix
: Thank you,
sir.
(Fin à 11 h 31)