(Dix heures trente-cinq minutes)
M. Létourneau (Julie) :
Bonjour. Je m'appelle Julie Létourneau, conseillère en communication à l'Office
québécois de la langue française, et je vous souhaite la bienvenue à cette
commémoration du 40e anniversaire de la Charte de la langue française.
Distingués invités, représentantes et représentants des médias, nous vous
remercions de vous être déplacés ce matin.
Sans plus tarder, je cède la parole au ministre
de la Culture et des Communications et ministre responsable de la Protection et
de la Promotion de la langue française, M. Luc Fortin.
M. Fortin (Sherbrooke) :Merci beaucoup. Chers
amis, distingués invités, la politique linguistique québécoise est le fruit
d'un long processus amorcé il y a une cinquantaine d'années en vue de protéger
et de promouvoir la langue française sur le territoire du Québec. Nous
célébrons demain le 40e anniversaire de la Charte de la langue française, un
moyen central de notre politique pour faire du français la langue commune de
communication entre les Québécois et les Québécoises de toutes langues et de
toutes origines. La Charte de la langue française est un projet novateur qui
permet de faire du français la langue de la communication publique, du travail,
de l'enseignement, de l'affichage, du commerce et des affaires tout en
respectant les droits de la communauté anglophone du Québec et des langues
autochtones.
Le Québec a su faire preuve d'une réelle
ingéniosité afin de créer un outil législatif orienté vers la pérennité du
français, un processus qui débute avec l'adoption de la Loi sur la langue
officielle par le gouvernement de Robert Bourassa et qui se poursuit avec la Charte
de la langue française adoptée il y a 40 ans. Le résultat est une charte qui
témoigne de la ferme volonté de conserver le visage francophone du Québec. Par
son application et grâce à l'ensemble des autres mesures gouvernementales mises
en place pour promouvoir la langue française au Québec, le visage français de
l'affichage public et de la publicité commerciale a en effet été renforcé. L'offre
de services en français aux consommateurs et aux consommatrices s'est améliorée
et l'usage du français dans les milieux de travail et dans la vie des entreprises
s'est accru.
Notre gouvernement préconise une approche
reposant sur la promotion afin de valoriser la langue française et d'en
démontrer l'utilité dans l'espace public. Personnellement, j'aime bien rappeler
que mon baptême en tant que député s'est fait par une immersion totale dans la
question linguistique. En effet, on m'a confié la tâche de mener un exercice de
consultation sur le français dans l'affichage des marques de commerce. C'était
un périple passionnant et formateur qui m'a mis au fait des problématiques fort
diverses et parfois complexes qui animent notre société. Les opinions parfois
diamétralement opposées sur ce sujet nous confortent dans la nécessité de
maintenir l'équilibre linguistique que nous avons atteint aujourd'hui.
À titre de ministre responsable de la
Protection et de la Promotion de la langue française, j'ai néanmoins
l'intention de poursuivre avec détermination la protection et la valorisation
de notre langue. Les modifications réglementaires relatives à l'affichage des
marques de commerce adoptées l'année dernière assurent une présence du français
dans l'affichage extérieur des marques de commerce dans une autre langue que le
français. Depuis 40 ans, c'est la première fois qu'un gouvernement intervenait
en ce sens dans le paysage linguistique québécois. Par ce geste, le français
sera encore plus visible partout au Québec.
Le gouvernement continue d'enrichir sa
politique linguistique grâce à la collaboration de l'Office québécois de la
langue française, du Conseil supérieur de la langue française et du Secrétariat
à la politique linguistique. Je tiens à les remercier pour leur travail
rigoureux.
Il faut aussi mentionner la nouvelle
Stratégie partenariale de promotion et de valorisation de la langue française
sous le thème Le français, notre affaire!, l'attribution d'un statut de
force identitaire à la langue française ainsi que l'affirmation du lien entre
la langue française et la culture québécoise dans le projet de politique
culturelle renouvelée que j'ai dévoilée en juin dernier.
Et finalement, je ne peux passer sous
silence la hausse, sous notre gouvernement, de 11,5 % du budget dédié à la
langue dans mon ministère. Jamais nous n'avons autant investi pour la promotion
du français.
En terminant, je tiens à saluer les
artisans de la première heure de la Charte de la langue française, dont
certains sont avec nous aujourd'hui. Merci pour votre rôle immense dans la
destinée du Québec. Avec Camille Laurin, vous avez marqué l'histoire de notre
nation. Merci infiniment. Merci à vous.
Mme Létourneau (Julie) : M.
Fortin, je vous remercie. J'invite maintenant le président-directeur général de
l'Office québécois de la langue française, M. Robert Vézina, à prendre la
parole.
M. Vézina (Robert) : M. le
ministre, Mmes, MM. les députés; Mme Marie-Claude Champoux, sous-ministre au
ministère de la Culture et des Communications; MM. Robert Filion, David Payne
et Michel Sparer, distingués invités, c'est un honneur et un bonheur d'être ici
ce matin pour souligner un moment important de notre histoire : l'adoption
de la Charte de la langue française.
Depuis 40 ans, la mise en application de
la charte a permis à la langue française de prendre une place prépondérante au
Québec, que ce soit en tant que langue d'enseignement, langue de service ou
langue du travail ou par sa présence dans l'affichage. Le français confère à la
société québécoise son originalité et sa spécificité. La maîtrise et
l'utilisation de la langue officielle du Québec permettent la pleine
participation de tous et de toutes à la vie culturelle sociale, économique et
politique.
La Charte de la langue française, on peut
la tenir dans sa main. C'est un petit objet, c'est vrai, mais qui porte tous
les espoirs et toutes les attentes de la nation québécoise quant à l'usage, au
rayonnement et à la pérennité de sa langue officielle dans l'espace public. De
ce point de vue, ce petit texte de quelque 200 articles constitue une promesse
lourde de sens, une promesse d'avenir que nous nous devons de tenir tous les
jours.
La charte a contribué à l'amélioration de
la situation linguistique depuis son adoption. Par exemple, la connaissance du
français s'est répandue au sein des différentes communautés établies au Québec,
peu importe leur langue maternelle. La proportion de personnes de langue
maternelle anglaise connaissant le français a ainsi augmenté de 37 % à
69,5 % entre 1971 et 2016. Quant à la proportion de personnes de langue
maternelle tierce connaissant le français, elle est passée de 47 % à
76,8 % au cours de la même période.
On peut penser également aux progrès
réalisés en matière de langue du travail. En effet, malgré une certaine
pénétration de l'anglais, surtout à Montréal, une étude a montré qu'en 2011 le français
était la langue la plus souvent utilisée par près de 82 % des travailleurs
et travailleuses québécois et que plus de 93 % d'entre eux l'utilisent à
divers degrés. On pourrait encore donner de nombreux autres exemples, mais que
dire de la fréquentation de l'école française par les jeunes allophones qui a
augmenté de façon fulgurante, passant de 14,6 % en 1971 à près de
90 % en 2015.
Évidemment, le Québec a bien changé depuis
40 ans. Le monde a bien changé. La mondialisation amène avec elle son lot
de défis sur le plan linguistique. Les moyens de communication ont évolué. Les
façons de faire des affaires et du commerce ne sont plus les mêmes qu'en 1977.
L'accès à des produits qui nous arrivent de partout sur la planète, la
délocalisation des entreprises et l'omniprésence des nouvelles technologies, ce
sont autant d'éléments qui témoignent de ces changements et qui font appel à
notre capacité d'évoluer et de nous adapter en fonction des circonstances
nouvelles qui constituent désormais la trame de notre quotidien.
Dans ce contexte, la charte continue
d'être un gage d'avenir pour la langue française au Québec, mais la charte ne
peut pas tout faire, tout garantir. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce
projet collectif de faire s'épanouir le français en terre d'Amérique. Il n'est
pas inutile de se rappeler que le premier moyen de promotion et de protection
de notre langue commune en 2017 comme en 1977 est d'en prendre soin et de la
chérir du mieux que nous pouvons dans toutes ses nuances et sa diversité, peu
importe qu'on l'ait apprise à la maison ou à l'école, mais aussi de la parler
avec fierté, avec plaisir et avec assurance. Merci.
Mme Létourneau (Julie) : Merci,
M. Vézina. Dans le cadre du 40e anniversaire de la Charte de la
langue française, l'Office québécois de la langue française a préparé un court
documentaire qui s'intitule Dans les coulisses de la charte et qui met
en vedette des artisans qui ont contribué à l'adoption de cette loi. Dans
les coulisses de la charte est en quelque sorte un legs que l'office fait à
la société québécoise qui pourra ainsi mieux se familiariser avec ce moment
important de son histoire.
Nous vous présentons aujourd'hui un aperçu
de ce que vous pourrez visionner au cours de l'automne au Musée de l'Amérique francophone
à Québec. M. Fortin, si vous voulez bien me rejoindre pour le
visionnement.
(Présentation audiovisuelle)
• (10 h 45
— 10 h 48)
•
Mme Létourneau (Julie) : Parmi
les invités qui sont présents avec nous aujourd'hui, nous avons justement trois
des acteurs qui figurent dans le court métrage. Chacun leur tour, ils viendront
nous raconter brièvement leur souvenir le plus cher de cette année 1977, alors
qu'ils faisaient partie de l'équipe qui a participé à la conception et à la
rédaction de la charte.
Donc, sans plus tarder, j'invite MM.
Robert Filion, conseiller aux communications de 1977 à 1984; Michel Sparer,
spécialiste de la rédaction juridique dans le cabinet du ministre d'État au
Développement culturel en 1977; et David Payne, secrétaire particulier au
Conseil exécutif et chef de cabinet adjoint au ministre d'État au Développement
culturel de 1976 à 1981, à s'avancer pour prendre la parole.
M. Filion (Robert) : Le 26
août 1977, nous étions jeunes. David passait tout juste la trentaine. Michel et
moi avions 28 ans. Le 26 août, c'était une magnifique journée, une journée de
soleil, presque la canicule, un beau 27 degrés, sec. Alors, le ministre, Dr
Laurin, a traversé du Conseil exécutif où étaient nos bureaux vers l'Assemblée
nationale pour venir adopter la loi en troisième lecture. Peu de monde en
Chambre, c'est un vendredi matin. Donc, la cloche va rassembler les députés au
moment du vote.
Moi, je n'ai pas le privilège d'aller en
Chambre, je ne suis pas un élu. Donc, j'assiste à ce débat derrière le trône,
ce qu'on appelait le petit salon du premier ministre, et, à l'époque, il n'y a
pas de télévision des débats, il n'y a pas de caméra, tout ça. On avait ce
qu'on appelait des perroquets, de petits haut-parleurs. Il y en avait un placé
sur un gros classeur métallique, et de là on pouvait entendre les discours,
notamment le discours du leader de l'opposition, M. Gérard D. Levesque, sur
l'adoption de la charte.
Et, à ma grande surprise, tout à coup, le
Dr Laurin sort de la Chambre et vient me rejoindre, à côté de moi, près du
classeur, derrière le trône. Alors, moi, je suis étonné. Je me dis... je lui ai
dit, quelques instants... au moment où tout ça est terminé, je lui dis :
Docteur, mais c'est un moment historique, c'est l'histoire. Pourquoi
n'étiez-vous pas en Chambre? Et il me dit : Je ne voulais pas qu'il s'adresse
à moi, position qu'il faut comprendre comme la position non pas du psychiatre,
du médecin, mais du psychanalyste qui, derrière le divan, veut que l'autre
s'adresse à ce qui le fonde, ce qui le structure : la langue. C'est un
souvenir qui m'est très, très cher.
Mais avec le temps, un autre souvenir
s'est imposé dans ces moments-là, et c'est celui justement que nous étions
jeunes. J'avais 28 ans et j'ai vu, avec le temps, dans ce geste, le désir de
Camille Laurin d'être auprès des générations à venir. Je pouvais représenter
les générations à venir à cet âge-là. Et aujourd'hui, s'agissant des
générations à venir, ceux qui ont 28 ans, ceux qui ont moins de 28 ans aujourd'hui,
qui nous auront tous remplacés dans cette salle dans 20 ans, dans 15 ans, qui
seront à votre place, M. le ministre, qui seront à votre place, Robert, qui
auront en charge des défis de la société québécoise, je pense que le français,
et vous l'avez tous deux très bien dit, le français sera un vecteur de fierté,
d'identité, de force, de force intellectuelle, morale, de créativité, mais
aussi un grand vecteur de solidarité.
Nous ne serons pas seuls dans le monde.
Nous serons en solidarité avec plusieurs pays, et, devant les défis qui seront
les autres, on pense au réchauffement, au dérèglement climatique, à ses effets,
pression sur l'État, avec tout ce que ça peut entraîner, les dérèglements
climatiques, mais aussi migration intérieure, migration des populations, une
certaine ubérisation du monde, pression sur nos ressources agricoles, l'eau,
tout ça, je pense que le français comme vecteur de solidarité, vecteur
d'assurance, pour reprendre vos mots, sera un vecteur puissant pour mener ces
combats auxquels auront à affronter ces nouvelles générations. Merci encore.
M. Payne (David) : Merci,
Robert. Merci, M. le ministre. Merci, le président-directeur général. Donc, quelques
minutes, vous dites une minute, deux minutes? Bien, voyons!
Avant l'adoption de la loi, reculons un
peu, six mois de préparation après les élections de 1976. Alors, c'est du
frénétique travail par les techniciens de la langue, les experts-conseils, les
syndicats, patronat, le Barreau, commissions scolaires, municipalités, la fonction
publique, de la recherche et des analyses par les juristes et légistes — Michel,
comme lui — d'autres lois linguistiques partout au monde, une
publication d'un livre blanc, dans six mois. Dans six mois, des rencontres
publiques et privées dans tous les coins du Québec, dans les hôtels de ville,
des sous-sols de l'église, et, en ce qui me concerne et le ministre, avant
l'adoption de la loi, Kuujjuaq, Povungnituk, Sugluk, là où il y avait une
petite crise de compréhension des objectifs de la charte, ils cherchaient à
tout prix d'être exclus de la charte.
Donc, avec la sagesse, les fonctionnaires
ont dit : Bien, on insère une exclusion dans la loi. Et il dit : Non,
non, ça ne marche pas dans leur culture. Si vous le mentionnez dans la loi, c'est
parce qu'on est sous l'emprise de la loi. Alors, on s'est rendu justement le
jour de l'adoption de la loi, moi-même et Michel Sparer, à ce qu'on appelle, à
ce moment-là, Fort-Chimo. La direction... comment elle s'appelle? La direction
générale du Nord-du-Québec était envahie, un peu saccagée. Il fallait à M.
Levesque d'aller au trône. Justement, au moment de l'adoption, il dit :
Payne, là, tu vas monter à Québec, choisis un bon ami. J'ai choisi Michel, je
ne sais pas pourquoi, mais on a monté. Il dit : L'avion est au bout de la
piste à L'Ancienne-Lorette, montez, et puis assurez-vous que le drapeau soit
hissé avant que vous reveniez. Ça a pris deux semaines mais on a réussi.
Une autre petite anecdote. Je me
souviens... Pour moi, l'objectif principal, en ce qui me concerne, comme petit
anglophone au sein du cabinet, c'était faire en sorte que le français devienne
la langue commune des Québécois. C'est tout. Tout est là, pour moi. À un moment
donné, on était devant... préparant ce soir-là pour aller McGill. Ah! bien là,
c'est un gros morceau parce que les esprits étaient échauffés. Je suis gonflé à
bloc lorsqu'on est arrivé au Pavillon Leacock, mais avant ça, on était en
entrevue, Dr Laurin, à Radio-Canada.
J'avais la visite de la SQ quelques jours
avant pour dire : M. Payne, vous avez monté cette affaire-là pour le
ministre responsable, pour... avant l'adoption de la loi, et il dit : Il y
aura du monde, sécurité, questions... et puis là j'ai été un peu apostrophé par
la Sûreté du Québec inquiète. Je parlais à mes collègues, je parlais au
ministre. Le ministre s'en foutait un peu, hein? Il était dans ses dossiers et
tout cela, ce n'était pas ses problèmes. À Radio-Canada, il se tourne quand
même vers moi juste avant l'entrevue, il dit : David, es-tu sûr de ton
affaire?
Alors, je sentais ça... Lorsqu'on est
arrivé à McGill quelques minutes plus tard, c'était juste une démonstration de
la démocratie mais c'était fragile. L'atmosphère était quelque chose qu'on
pouvait toucher. Eh bien, arrivé le 26 août 1977, une assemblée nationale
débordée d'invités, atmosphère fébrile, visiteurs, chefs d'entreprises,
syndicats, lobbyistes, la même chose qu'on a rencontrée et beaucoup de curieux,
et encore, on sentait la gravité de la situation, la gravité du moment. Une assemblée
nationale à son meilleur, tenue parlementaire formelle, télévision présente,
centaines de journalistes de partout au monde et une opposition excitée et
nerveuse. Vous n'étiez pas là.
Une voix
: Je n'étais
même pas né.
M. Payne (David) : Mais un jour,
on s'entend tous, inscrit dans l'histoire du Québec, dans la bonne histoire du
parlementarisme. En fin d'après-midi, la Charte de la langue française, après
de longues heures de débats, est adoptée et devient d'un seul coup un symbole
vivant qui rendait hommage à la ténacité, patience et capacité d'un peuple et
une déclaration de la souveraineté inaliénable du Québec en matière de sa
langue, de tout gouvernement. Tout le monde sentait la gravité de la situation.
Et maintenant, à mes yeux, une charte qui, à sa façon, fait partie des
conventions constitutionnelles du Québec.
Maintenant, M. le ministre, ça reste à
vous et à vos collègues d'être des plus vigilants, comme vous avez bien dit, et
prévoyant, et respectueux, si vous me permettez, devant ce symbole qui est
aussi fort que fragile, aussi durable que vulnérable. Devant l'histoire, vous
avez une grande et lourde tâche, et là on est tous ensemble. Merci.
M. Sparer (Michel) : Bonjour. Je
m'appelle Michel Sparer. Je ne répéterai pas ce qu'ont dit mes amis. Ce ne sont
pas des collègues, ce sont des amis. M. le ministre, Robert Vézina, un petit...
On nous a demandé un témoignage personnel. Alors, je me suis demandé ce que
j'allais bien pouvoir dire de personnel. J'étais l'humble rédacteur de la loi,
je n'étais pas l'auteur politique, n'est-ce-pas? Mais soyons personnels un
instant.
Mon souvenir, ça faisait... j'avais 28
ans, comme Robert, comme... Nous étions jeunes, et ça faisait trois ans que
j'étais au Québec. J'étais donc un immigrant. On parle beaucoup d'immigrants et
d'intégration en ce moment. Eh bien, je me souviens très bien de l'immense
privilège qu'un jeune fraîchement débarqué, trois ans, ce n'est pas long, se
retrouve investi de la confiance dans un cabinet politique a fortiori pour
collaborer à une oeuvre qui était l'oeuvre première d'un gouvernement
fraîchement élu.
Alors, ça, pour moi, c'était une grande
émotion et, en même temps, c'était une évidence parce que, pour moi, le Québec
c'était ça. C'était une société en plein développement, une société talentueuse
et ouverte, généreuse, une société intégratrice. C'était comme ça que j'ai vécu
cela, mais je voudrais dire simplement que le souvenir, ce qui m'avait frappé à
l'époque, c'était la détermination et la sagesse des auteurs. Moi, j'étais rédacteur,
mais il y avait des auteurs politiques de cette loi-là. Les auteurs, c'était
Camille Laurin, évidemment, c'était René Lévesque, c'était Guy Rocher, Fernand
Dumont et, je dois le dire avant tout, Henri Laberge, qui était chef de cabinet
du ministre et qui était un personnage remarquable, un grand, grand créatif qui
a joué un rôle considérable, Henri Laberge, là-dedans.
Et donc la détermination de ces gens-là
qui ont fait que, oui, le français deviendrait la langue commune du Québec
citoyen, mais la langue commune du travail et la langue commune de l'éducation.
C'étaient des cibles à la fois raisonnables mais très ambitieuses également et
structurantes, fondatrices, comme disait le Dr Laurin.
La sagesse politique, ça, c'est très, très
important. Ça m'avait frappé, la sagesse politique. Voilà un gouvernement qui
arrive le 15 novembre précédent. Nous étions en janvier, février,
quand je suis arrivé au cabinet, et c'était le grand soir, n'est-ce pas? Il
y avait une ambiance de grand, grand soir. C'était demain, le Québec, n'est-ce
pas? Je ne reviendrai pas sur les espoirs de l'époque. Eh bien, on aurait pu
s'attendre évidemment à ce que les ambitions du gouvernement soient véritablement
flamboyantes, qu'il y ait des étendards partout et ceci, cela. Eh bien, non, il
y a eu une sagesse politique qui m'a frappé. Moi, j'étais attentif à ça parce
qu'il fallait traduire en termes législatifs des choses qui étaient des
orientations politiques. Et la sagesse, ça a été, je le résumerais ainsi, mais
il y avait d'autres exemples, ça a été, pour les auteurs politiques de cette
loi, de se limiter au strict nécessaire des coercitions pour faire en sorte...
pour installer, pour imposer le français comme langue commune.
Alors, cette sagesse a été remarquable et
cela me permet de témoigner... c'est un témoignage, simplement, dire qu'à
l'époque il s'agissait de donner une langue commune pour rassembler des gens
dans le cadre d'une société que les auteurs politiques à l'époque voulaient
inclusive, inclusive. On parle beaucoup de, comment dire, d'immigration ces
temps-ci, mais je me souviens qu'à l'époque l'idée, c'était de rendre inclusive
cette société.
Et l'anecdote dans l'anecdote, si vous
permettez, c'est que, dans ce cabinet, il y avait évidemment un humble
Français, mais il y avait un éminent Anglais d'Angleterre. Nous avions et nous
avons toujours des noms qu'on nous demande toujours d'épeler à la caisse,
n'est-ce pas, quand on... par les gens qui ne savent pas trop comment écrire
nos noms. Eh bien, à l'époque, nous étions associés par les plus hauts
responsables politiques à quelque chose qui était fondamental pour le Québec, et
on ne nous a pas demandé quel était notre indice de patriotisme, n'est-ce pas,
et même comment nous nous habillons. À l'époque, on ne nous a pas demandé
comment on s'habillait. Alors donc, c'était d'une sagesse considérable.
Camille Laurin et René Lévesque — je
conclurai là-dessus — étaient de très grands démocrates. Les anecdotes
sont disponibles pour ça, et ils ont proposé une politique linguistique qui
rassemblerait les Québécois et les Québécoises de toutes origines autour d'une
langue commune qui serait le français. Alors, les espoirs sont toujours là. Les
réalisations, Robert Vézina pourra nous en parler un jour, effectivement, sur
la distance, mais je trouve tout à fait extraordinaire de voir, M. le ministre,
que vous soyez là pour commémorer, mais surtout pour porter l'avenir de cela.
C'est l'avenir qui nous importe. Merci de votre attention.
M. Létourneau (Julie) :
Messieurs, je vous remercie. C'est ce qui termine la cérémonie de ce matin.
Alors, je vous remercie toutes et tous d'avoir été avec nous ce matin et je
vous souhaite une bonne fin de journée.
(Fin à 11 h 4)