(Onze heures trois minutes)
M.
Caire
:
Bonjour. Aujourd'hui, je vous dirais que c'est avec une certaine fierté que
j'ai déposé, au nom de la Coalition avenir Québec, le projet de loi sur
l'imputabilité des sous-ministres et des hauts dirigeants. Il y a deux ans,
j'avais eu l'occasion de déposer un rapport sur l'efficacité gouvernementale
qui contenait un certain nombre de recommandations, et une de ces recommandations-là
était à l'effet qu'il fallait augmenter l'imputabilité des sous-ministres et
des hauts dirigeants d'organismes dans la fonction publique. J'avais, à ce
moment-là, annoncé qu'on déposerait un projet de loi. C'est chose faite.
Maintenant, le projet de loi édicte trois
grands principes. Le premier, c'est qu'il n'y a pas de sécurité d'emploi pour
les sous-ministres et les hauts dirigeants dans la fonction publique. On a vu,
dans les dernières années, puis j'en ai parlé en Chambre tout à l'heure, là,
des cas de mauvaise administration publique. Puis on a l'impression qu'il y a
une sécurité d'emploi, un «no fault», une amnistie totale pour les
sous-ministres et les hauts dirigeants d'organismes. Et ça, le projet de loi
vient y mettre fin de façon catégorique.
L'autre élément, bien, on dit qu'il faut qu'ils
soient imputables, mais imputables de quoi? Donc, on vient paramétrer, à
travers les plans stratégiques qui, actuellement, sont des farces, là.
J'écoutais le président du Conseil du trésor nous dire qu'il y a déjà des plans
stratégiques. Oui, mais c'est des farces. Il y a des ministères dont le plan
stratégique est échu depuis deux ans, puis il n'y en a pas de nouveau. Il y en
a une panoplie pour lesquels les objectifs, les échéanciers ne sont pas
respectés. Personne ne réagit à ça. Et, dans la fonction publique, tout le
monde va vous le dire, dans leur forme actuelle, l'idée des plans stratégiques
est excellente, mais l'application, c'est du grand n'importe quoi, c'est du
grand n'importe quoi. Et le président du Conseil du trésor fait une erreur
majeure, le Conseil du trésor n'a pas l'obligation d'approuver les plans
stratégiques, il a la possibilité de le faire, alors que nous, on en fait une
obligation. Pourquoi? Parce qu'au nom du Conseil exécutif, du Conseil des
ministres, le Conseil du trésor va s'engager à ce que ce qu'il y a dans le plan
stratégique, ça ne sera plus une possibilité, ça va être une obligation qui va
venir avec son lot de responsabilités.
Maintenant, on ne veut pas tomber dans
l'arbitraire. J'écoutais, encore là, le président du Conseil du trésor parler
de l'ère Duplessis. Il aurait eu intérêt à lire le projet de loi avant de le
commenter. Ceci étant, on demande à un tiers neutre, qui est le Vérificateur
général — puis je pense que tout le monde au Québec a confiance au
Vérificateur général — de s'assurer du respect des objectifs et des
échéanciers par les ministères et par les organismes de leur plan stratégique et,
à partir de ça, va établir une cote d'efficience : est-ce que le
ministère, est-ce que l'organisme a été efficient dans la réalisation de son
plan stratégique? Donc, atteinte des objectifs, respect des échéanciers, mais
aussi les ressources qui seront mises à disponibilité pour atteindre ces
objectifs-là. Et, sur cette base-là, il y a une cote d'efficience qui va être
émise. Et, si cette cote d'efficience là n'est pas suffisante, est
insatisfaisante, il y a une obligation, effectivement, pour l'Assemblée
nationale d'entendre les administrateurs, parce qu'on pense qu'il y a urgence.
Si ça va mal dans un ministère, je pense
que tout le monde va être d'accord pour dire que c'est urgent d'entendre les
gestionnaires sur leur gestion. Et, à partir de là, oui, effectivement, un
gestionnaire, un haut dirigeant, un sous-ministre pourrait être démis de ses
fonctions. Ce serait un motif de congédiement que de ne pas avoir atteint ses
cibles, respecté ses objectifs et/ou ne pas avoir été efficient dans son
administration. En bon français : un mauvais administrateur, bien, on ne
le déplace pas, on ne lui donne pas une promotion, on ne le met pas sur une
tablette dorée; avec ce projet de loi, on le congédie.
Maintenant, il faut s'assurer,
effectivement, de ne pas faire de promotion parallèle. Le projet de loi y
pourvoit. Donc, quelqu'un qui est à contrat, par exemple, si on le congédie,
bien, il n'est pas question qu'on l'intègre dans la fonction publique. S'il
veut devenir fonctionnaire, il y a un processus qui est connu, qui est formel,
qui est normé. Il devra passer par ce processus-là comme tout le monde. Et,
pour ceux qui avaient un emploi subalterne dans la fonction publique, bien, cet
emploi-là peut... ils peuvent retourner à leur emploi. Par contre, ils seront
payés et les avantages seront en fonction de l'emploi qu'ils occupent et non
pas en fonction du salaire qu'ils avaient comme sous-ministre. Donc, pas de
parachute doré, pas de tablette dorée. Oui, vous pouvez réintégrer vos
anciennes fonctions, mais aux conditions des anciennes fonctions seulement. Donc,
essentiellement, c'est ce que le projet de loi fait.
Maintenant, j'ai entendu la réaction du
président du Conseil du trésor, qui, lui, dit : Tout va bien dans le
meilleur des mondes, il n'y a rien à changer, nonobstant le fait qu'aucun haut
dirigeant, aucun sous-ministre n'ait perdu son emploi dans les 10 dernières
années parce que personne n'a trouvé de motif à ça. Il n'y a pas eu de fiasco
suffisamment important pour congédier des administrateurs, selon le président
du Conseil du trésor. Vous comprendrez que c'est deux visions qui s'opposent :
le changement, l'imputabilité versus le statu quo. Là-dessus, j'attends vos
questions.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Si je comprends bien, à l'heure actuelle, la sécurité d'emploi pour les gens
dont vous parlez n'existe pas, mais il n'y a pas de balises pour les congédier,
éventuellement, pour congédier les fautifs, entre guillemets.
M.
Caire
:
C'est-à-dire que la sécurité d'emploi, elle existe dans la pratique, à savoir
que, dans les 10 dernières années, vous admettrez qu'il n'y a pas eu de
congédiement. Et même je vais citer le président du Conseil du trésor, Martin
Coiteux, au moment où il était président du Conseil du trésor, qui a dit :
Si une personne qu'on engage n'a pas les compétences pour assumer les fonctions
pour lesquelles on l'a engagée, on va l'essayer dans une autre fonction jusqu'à
temps qu'on trouve un emploi pour lequel elle aura les compétences. Mais ça,
c'est de la sécurité d'emploi mur à mur. À titre comparatif, en moyenne, chez
les fonctionnaires syndiqués, là, qui, eux, bénéficient d'une sécurité d'emploi
reconnue par la loi, c'est, en moyenne, au-dessus de 200 sanctions — soit
des suspensions, soit des congédiements — par année pour des motifs
d'incompétence, alors que chez les hauts dirigeants et les sous-ministres,
aucun.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Combien de personnes sont visées par ce projet de loi, théoriquement,
actuellement?
M.
Caire
: Bien,
écoutez, tous ceux qui ont le statut d'administrateur d'État, tous ceux qui ont
le titre de sous-ministre et tous ceux qui sont les premiers dirigeants d'un
organisme du gouvernement du Québec.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Est-ce que, comment dire, ça ne va pas à l'encontre du principe de la
responsabilité ministérielle?
M.
Caire
: Pas
du tout. D'ailleurs, je vais citer Philippe Couillard, au moment où il était
ministre de la Santé, vous me permettrez, j'ai cette citation-là dans mes
papiers, puis j'ai trouvé ça tellement bon parce qu'en plus c'était en réponse
à une excellente question du député de La Peltrie de l'époque, et il
disait — et là, on est en 2007 : «La réalité, M. le Président, c'est
que ce sont les établissements qui sont imputables de ce qu'ils font avec les
immenses sommes d'argent public qui leur sont transférées et qui doivent
répondre devant le public. Bien sûr, moi, je suis imputable pour l'ensemble du
réseau — il était ministre de la Santé à ce moment-là — mais
la première réponse, elle doit venir de l'établissement ou de l'agence.» Donc,
déjà là, Philippe Couillard reconnaissait que les hauts dirigeants d'organismes
ou les sous-ministres, il y avait une forme d'imputabilité qui devait...
M. Salvet (Jean-Marc) :
En l'occurrence, un directeur d'hôpital n'est pas visé par votre projet de loi.
M.
Caire
: Non,
pas du tout. Là, on parle… On ne parle pas de hauts fonctionnaires, on parle
des sous-ministres, on parle des dirigeants, des hauts dirigeants d'organismes
et les administrateurs de...
M. Salvet (Jean-Marc) :
C'est, finalement, quelque 100 personnes?
M.
Caire
: On
parle de… Non, ça, on est plus aux alentours de 200 et quelques personnes.
M. Salvet (Jean-Marc) :
D'accord. O.K.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Avez-vous des exemples de fiascos où il aurait fallu mettre du monde dehors?
M.
Caire
: Bien,
le ministère des Transports. Personnellement, je considère que Dominique Savoie
avait amplement mérité le congédiement. Et, quand on lit les deux rapports
subséquents de la Vérificatrice générale, je pense qu'on avait matière à aller
dans cette direction-là. Pour en donner un autre, la Société des traversiers du
Québec. Vous admettrez que la gestion qu'ils ont fait des acquisitions et même
le traversier qui est actuellement en cours de construction aux chantiers de la
MIL Davie — mon collègue Donald Martel l'a décrié à de nombreuses
reprises, là — écoutez, on multiplie les coûts de façon
exponentielle. Et puis, je vous dirais…
M.
Bonnardel
:
…
M.
Caire
: Hein?
M.
Bonnardel
:
L'informatique.
M.
Caire
: Oui,
puis c'est ça que j'allais dire, le DSQ. Écoutez, là, c'était un projet de 560 millions
à l'époque. On est rendus au-dessus de 1,2 ou 1,3 milliard, quelque chose
comme ça; RENIR, qui nous a coûté trois fois le prix puis qu'on n'est pas
capables de déployer, qui ne fonctionne pas. Puis là on pourrait passer probablement
un après-midi à faire la nomenclature des nombreux projets qui ont été des
fiascos et pour lesquels il y a une immunité totale pour ceux qui en étaient
les responsables.
M. Salvet (Jean-Marc) :
L'époque de Duplessis, dit M. Moreau.
M.
Caire
: Bien,
M. Moreau, je pense qu'il doit… Je ne sais pas. Écoutez, c'est un peu
inexplicable parce qu'à l'époque de Duplessis, il faut bien comprendre qu'on
congédiait n'importe qui pour aucune raison. Or, ici, ce qu'on fait, c'est qu'on
établit quelque chose de très clair. D'abord, on dit à l'administrateur qui est
visé, que ce soit le sous-ministre, le haut dirigeant, on dit : On va
t'évaluer sur des bases objectives qu'est le plan stratégique. Et là on va
s'entendre et on amène un tiers neutre dans le processus, qui est le vérificateur
général adjoint à l'imputabilité, qui va cautionner moralement. Parce qu'encore
une fois ce que M. Moreau dit, c'est inexact. La responsabilité de l'élaboration
et de l'adoption des plans stratégiques relève exclusivement du pouvoir
exécutif, et c'est comme ça que c'est prévu dans la loi. Le tiers neutre vient
donner une caution morale pour dire : Est-ce que les objectifs sont bons? Est-ce
qu'ils sont mesurables? Est-ce qu'ils sont suffisamment ambitieux? Parce qu'on
ne veut pas se faire faire le coup d'avoir des objectifs complètement
loufoques, des échéanciers qui ne tiennent pas la route pour être sûrs qu'on va
atteindre nos objectifs et respecter nos échéanciers, et il faut que ce soit
ambitieux, quand même, il faut qu'il y ait de la viande autour de l'os, mais il
faut que ce soit réaliste. Donc, on amène un tiers neutre, qui va donner une
caution morale.
Et là on s'entend, le responsable de
l'administration du plan, que ce soit le sous-ministre ou haut dirigeant, le
Conseil du trésor va signer, en disant : Au nom du gouvernement, nous, on
s'engage, on dit que ce plan-là est bon et on s'engage à le réaliser. Et le
Vérificateur général va donner une caution morale, en disant : Oui, nous,
on pense que c'est mesurable, c'est ambitieux, c'est un bon plan. Il y a
l'exécution du plan. À la fin de l'exécution du plan, là ça relève du contrôle
parlementaire. Donc là, c'est pour ça que c'est le vérificateur général adjoint
qui va venir évaluer : Est-ce qu'on a atteint les objectifs? Est-ce qu'on
a respecté les échéanciers? Est-ce qu'on a été efficients? Parce qu'on peut
respecter les objectifs, les échéanciers, mais on a tellement mis de ressources
que...
M. Salvet (Jean-Marc) :
Mais toute cette mise en place, les cotes d'efficience, et tout ça, est-ce que
n'est pas assez lourd pour éventuellement congédier un haut dirigeant aux
trois, quatre ans?
M.
Caire
: Non,
de facto, non, parce que, d'abord, comme on le disait, il y a déjà...
l'élaboration des plans stratégiques, c'est déjà dans la loi. Donc, nous, ce
qu'on fait, on vient les formaliser, puis on vient faire en sorte qu'on ne va
plus faire cet exercice-là juste pour respecter la loi. Il va vouloir dire
quelque chose, cet exercice-là. Il va avoir un sens, cet exercice-là, et pour
tout le monde. C'est pour ça qu'on dit, dans la loi, on change le «peut
valider», le Conseil du trésor «peut valider» par «doit valider». Ça, c'est la
petite nuance qui a échappé à M. Moreau, mais ce n'est pas grave, il va le
relire à tête reposée, puis il va être meilleur la prochaine fois, compte tenu
qu'il ne peut pas être pire, de toute façon.
Et là, à partir de là, on a le tiers
neutre. Donc, on va demander au Vérificateur général, qui a déjà une expertise
en évaluation, on s'entend, mais d'aller se chercher une expertise encore plus
pointue avec le vérificateur adjoint à l'imputabilité, et là on va avoir les
critères d'évaluation, on va élaborer puis on va demander au vérificateur, et
donc avec les ressources nécessaires, de faire la vérification des plans stratégiques
à échéance et d'établir la cote, puis après ça, bien, comme on le disait, la
CAP fait déjà l'audition des administrateurs, sauf que la loi lui demande, dans
le cas où ça va vraiment mal dans un ministère... parce qu'actuellement la CAP
va faire des auditions des administrateurs, en disant : Bon, bien, lui, on
ne l'a pas entendu, ça fait longtemps; lui... Il y a toutes sortes de critères
qui sont corrects. Moi, je suis membre de la CAP, puis je ne dénigre pas ça.
Mais maintenant, ce qu'on va dire, c'est que l'Assemblée nationale pense que,
quand ça va mal dans un ministère, ça devrait être une priorité pour la CAP. Et
c'est justement parce qu'on respecte le travail de la CAP et parce qu'on croit
que la CAP fait un excellent travail qu'on veut qu'elle se penche...
M. Salvet (Jean-Marc) :
...la mise à pied, le congédiement seraient décidés par la CAP, alors?
M.
Caire
: Non,
la CAP... Non parce que ça relève du pouvoir exécutif, mais la CAP pourrait le
recommander par contre, la CAP pourrait le recommander. Et là, à partir de là,
le ministre, de toute façon, n'a pas besoin... Ce que la loi dit, là, c'est :
Le non-respect, selon la loi, du plan, c'est un motif de congédiement.
Maintenant, il appartient au ministre de le faire ou non, et il appartient à la
CAP de le recommander.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Mais vous, vous seriez au pouvoir, vous le feriez.
M.
Caire
: Bien
oui, c'est... clairement, là. Vous comprendrez que, si on édicte une loi comme
ça, c'est parce qu'on pense que quelqu'un, après avoir entendu les
recommandations de la CAP... parce qu'il peut y avoir des raisons pour
lesquelles les objectifs n'ont pas été atteints. Pensons à un verglas...
M. Salvet (Jean-Marc) : Je
comprends, mais vous vous baseriez sur la recommandation de la CAP.
M.
Caire
: On
pourrait... Bien, certainement qu'on écouterait ce que la CAP dit et on
entendrait la recommandation clairement, mais je tiens à le dire, la loi ne
fait pas obligation à l'Exécutif de mettre en application la recommandation de la
CAP. Soyons clairs. L'Exécutif demeure maître d'oeuvre si oui ou non il
l'exécute. Donc, il pourrait congédier même si la CAP ne le recommande pas ou
il pourrait décider de garder la personne même si la CAP recommande de le
faire, mais à ce moment-là il devra... il y a... tout ce débat-là se fait
publiquement, et donc tous ces acteurs-là auront à justifier publiquement leur
comportement.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Qu'est-ce qui, selon vous, a mené à un tel relâchement dans l'imputabilité à
travers les années? Ça date de quand?
M.
Caire
: Ah,
mon Dieu! Ça date d'il y a très longtemps, je pense, malheureusement, et
tellement longtemps qu'il faut bien comprendre que c'est la raison qui a amené
l'adoption de certaines lois et qui a amené aussi l'introduction de concepts comme
la gestion par résultats, mais c'est la non-application de ça. Qu'est-ce qui a
amené ça? Moi, je pense que les pouvoirs politiques n'ont qu'eux à blâmer, les
pouvoirs politiques n'ont qu'eux à blâmer. Je pense qu'au niveau des
gouvernements peut-être qu'il y avait trop de précieux collaborateurs qui
étaient nommés à des postes importants, peut-être qu'il y avait trop de gens
qui occupaient des fonctions pour d'autres raisons que leurs compétences, ce qui
a fait en sorte qu'on devait fermer les yeux ou leur trouver un emploi
ailleurs, puis c'est devenu une culture, c'est devenu une culture, là, le jeu
de la chaise musicale dans la fonction publique, c'est culturel, ce qui fait en
sorte qu'aujourd'hui il n'y a plus un haut dirigeant dans la fonction publique
qui a peur de perdre son emploi, là, ça n'arrive pas. Merci.
(Fin à 11 h 17)