(Onze heures trente-cinq minutes)
Mme David : Alors, merci
beaucoup d'être ici et de vous intéresser à ce sujet. C'est très, très
apprécié. Donc, je tiens à vous présenter les gens qui m'accompagnent pour
cette conférence de presse concernant le dépôt du projet de loi n° 55.
Donc, je commence par la présidente du réseau de l'Université du Québec, Mme
Johanne Jean; M. Simon Telles, le président de l'Union étudiante du Québec,
Simon; M. Jason St-Amour, Fédération étudiante collégiale, le tout petit Jason,
qui est juste là; Ariane Litalien et Mélanie Lemay, du Mouvement Québec contre
les violences sexuelles, Mélanie, Ariane; Caroline Aubry et Mylène Lokrou de
Sans oui, c'est non!, voilà; et Alexandre Blanchette, de Ni viande ni objet,
qui est juste là.
Alors, c'est un grand jour pour la ministre
de l'Enseignement supérieur et de la Condition féminine. C'est un grand jour, je
pense, pour les étudiants du Québec. C'est un grand jour pour le réseau
collégial et universitaire du Québec. Presque un an jour pour jour après
m'être adressée à vous, ici même, je m'en souviens comme si c'était hier, le 20
octobre 2016, pour annoncer cinq journées de réflexion sur les violences à
caractère sexuel dans les campus collégiaux et universitaires, je suis donc extrêmement
fière d'être ici à nouveau, comme ministre de l'Enseignement supérieur et de la
Condition féminine pour vous annoncer que je viens de présenter à l'Assemblée
nationale le projet de loi visant à prévenir et à combattre les violences à
caractère sexuel dans les établissements d'enseignement supérieur. Par la
présentation de ce projet de loi, nous souhaitons agir pour toutes les victimes
des dernières décennies et leurs proches, victimes le plus souvent silencieuses,
qui ont cherché de l'aide ou qui ont été laissées à elles-mêmes, qui ont dû
vivre avec une déchirure psychique qui ne guérit pas toujours.
Pour les femmes et les hommes qui, depuis
plusieurs années, luttent, s'organisent et accompagnent les
victimes — je pense aux services d'aide des collèges et des universités,
aux CALACS, aux CAVAC et à tous les organismes communautaires — pour
nos jeunes, femmes et hommes, communauté LGBT, communautés autochtones,
étudiantes et étudiants déjà vulnérables qui font face, sur leur parcours
d'études, à des traumas qui les marquent longtemps, pour nos communautés
collégiales et universitaires, leurs dirigeants, leurs enseignants, leur
personnel, toutes celles et ceux qui partagent la vision d'un avenir exempt de
violence à caractère sexuel, ce projet de loi est le fruit d'une démarche qui a
mobilisé des centaines de personnes, une démarche rigoureuse pour assurer que
nos lieux d'études et de travail soient sains et sécuritaires.
Nous avons tenu cinq journées de
consultation à Montréal, à Québec, à Sherbrooke, à Gatineau, au Saguenay. Ces
journées de réflexion nous ont permis de recevoir des propositions ainsi que de
prendre connaissance des diverses initiatives et travaux réalisés par les
milieux de l'enseignement supérieur en matière de prévention et de lutte contre
les violences à caractère sexuel. Lors de ces journées de consultation, des
voix se sont élevées pour exprimer une forte volonté de faire front commun pour
contrer ce phénomène, et nous les avons entendues.
Grâce à ces journées, nous nous sommes
donné une vision et les moyens d'agir. Nous avons élaboré la stratégie
d'intervention pour prévenir et contrer les violences à caractère sexuel en
enseignement supérieur. Lancée le 21 août dernier et à laquelle est attachée
une somme de 23 millions de dollars, cette stratégie a pavé la voie au
dépôt du projet de loi que je vous présente aujourd'hui. Nous tenons notre
promesse.
Les événements récents nous ont démontré l'importance
de parler des violences à caractère sexuel. À titre de ministre de
l'Enseignement supérieur, j'avais pris l'engagement d'agir. Nous le faisons en
dotant le Québec d'une vision d'ensemble pour s'assurer de la sécurité dans les
établissements d'enseignement supérieur. Ce projet de loi vise notamment à
concrétiser l'une des mesures contenues dans la stratégie d'intervention du
21 août. Je vous la lis : «Soutenir chaque établissement d'enseignement
pour que chacun se dote d'un code de conduite et d'une politique visant à
contrer les violences à caractère sexuel et s'adressant à l'ensemble du
personnel et des étudiantes et étudiants.»
À toutes les victimes, soyez certaines que
ce geste supplémentaire, la présentation du projet de loi, vient appuyer et
renforcer la stratégie lancée le 21 août dernier. Sont visés par la
présentation du projet de loi les universités, les collèges d'enseignement
général et professionnel, les établissements d'enseignement collégial privés.
Le projet de loi s'appliquerait également aux établissements d'enseignement supérieur
à vocation particulière : l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec,
l'Institut de technologie agroalimentaire, le Conservatoire de musique et d'art
dramatique du Québec, l'École nationale de police du Québec, l'École du
Barreau. Prévenir les violences à caractère sexuel en enseignement supérieur,
c'est aussi mettre les besoins des victimes au centre de nos préoccupations et
instaurer une culture solide de respect et de tolérance zéro face à toute forme
de violence à caractère sexuel. Voilà pourquoi je m'attends à ce que chaque établissement
affiche clairement sa volonté d'agir pour contrer les violences sexuelles par l'adoption
d'une politique institutionnelle forte. Tous les établissements d'enseignement
devraient élaborer une politique qui aura pour objectif de prévenir et
combattre les violences à caractère sexuel. Elle devrait être distincte de
toute autre politique institutionnelle.
La politique de chaque établissement d'enseignement
supérieur devrait prévoir notamment les aspects suivants : les rôles et responsabilités
de chacun par rapport aux violences à caractère sexuel : les dirigeants,
les membres du personnel, les étudiantes et étudiants représentant des associations
étudiantes; la mise en place, pour toute la communauté étudiante, de mesures de
prévention et de sensibilisation qui pourraient viser, par exemple, la notion
de consentement sexuel; des activités de formation obligatoires pour les
dirigeants, les membres du personnel et les représentants d'associations
étudiantes; des mesures de sécurité, y compris l'adaptation des infrastructures
pour rendre les lieux sécuritaires; des règles encadrant les activités sociales
ou accueil, encore appelées initiation; les modalités applicables pour formuler
une plainte, pour effectuer un signalement ou pour fournir des renseignements à
l'établissement d'enseignement; le suivi qui doit être donné aux plaintes, au
signalement et aux renseignements reçus, de même que les mesures visant à
protéger les personnes concernées et à limiter les effets sur leurs études;
l'offre de service d'accueil, de référence, de soutien psychosocial et
d'accompagnement des personnes par des ressources spécialisées et formées en
matière de violence à caractère sexuel; les actions qui doivent être prises par
les établissements d'enseignement, les dirigeants, les membres du personnel,
les représentants des associations étudiantes et les étudiants lorsqu'une
violence à caractère sexuel est portée à leur connaissance; les délais d'intervention
applicables; les mesures assurant la confidentialité des plaintes, des
signalements et des renseignements reçus; les sanctions applicables en cas de
manquement à la politique, qui tiennent compte de leur nature, de leur gravité
et de leur caractère répétitif.
La politique devrait également inclure un
code de conduite visant à encadrer notamment les relations intimes entre un
étudiant ou une étudiante et une personne ayant une influence sur le
cheminement de ses études, qu'elle soit membre du personnel ou dirigeante de l'établissement.
Dans le contexte actuel, je suis persuadée de l'importance d'un encadrement en
matière de relations intimes.
Je suis confiante face à l'avenir car, il
faut le dire, plusieurs bonnes pratiques sont déjà en place dans nos
établissements. Ce projet de loi que nous présentons et la stratégie de
prévention qui l'a précédé doivent ainsi favoriser l'instauration d'une culture
de respect et de dignité dans les établissements d'enseignement supérieur.
Les mesures contenues dans ce projet de
loi reflètent notre volonté collective de mieux soutenir les victimes de violence
à caractère sexuel. Notre gouvernement accorde une grande importance à
l'accompagnement et au soutien des victimes qui, avec ce projet de loi,
bénéficieraient de services adaptés à leurs besoins. Je le dis et le répète,
toute personne fréquentant un établissement d'enseignement doit avoir accès au
soutien nécessaire en matière de prévention et de lutte contre les violences à
caractère sexuel. Si elle souhaite dénoncer une violence dont elle aurait été
victime, elle doit pouvoir le faire en toute confiance.
L'actualité récente et notre intervention
d'urgence nous rappellent d'ailleurs à quel point cette affirmation est
importante. L'ampleur des dénonciations des dernières semaines nous rappelle la
triste réalité trop longtemps enfouie de toutes ces violences. L'ouragan social
auquel nous faisons face nous rappelle nos responsabilités morales et sociales.
Ce projet de loi vise à répondre à cette exigence. Le forum sur les violences à
caractère sexuel discutera de mesures pour aller encore plus loin comme
société, pour mieux soutenir et mieux accompagner toutes les victimes qui le
souhaitent.
Par la présentation de ce projet de loi,
notre gouvernement réitère sa volonté d'agir concrètement pour renforcer ses
actions en matière de lutte contre les violences à caractère sexuel en
enseignement supérieur. Nous pourrons ainsi mieux accompagner les victimes,
mieux les soutenir dans l'épreuve qu'elles traversent tout en contribuant à en
réduire les conséquences.
L'auteur de la série Unité 9,
Danielle Trottier, disait hier dans La
Presse : «On a libéré une parole, et
je ne pense pas qu'on puisse la contenir à nouveau. Je pleurerais de rage si on
retournait au silence.» Sachez que, comme je l'ai dit le 21 août dernier, lors
du dépôt de la stratégie, nous agissons parce que les ministres passent, mais
les lois demeurent, parce qu'il faut parler et agir, parce que les victimes ne
doivent plus jamais être laissées à elles-mêmes. Merci.
Le Modérateur
: Merci,
Mme David. On va passer à la période de questions. Mme David est disponible
pour les questions. Les intervenants vont être disponibles pour des entrevues
individuelles à la suite de la période de questions. Merci de vous identifier
avec le média que vous représentez. On va commencer avec le micro à votre
droite, s'il vous plaît.
Mme Porter (Isabelle) : Oui,
bonjour. Isabelle Porter du Devoir. Pourquoi est-ce que vous n'avez pas
pris la décision d'imposer des lignes directrices aux universités? Parce que
là, dans le fond, vous leur dites : Définissez votre code de conduite. Ça
ne serait pas plus simple pour les victimes si toutes les universités devaient
être assujetties aux mêmes règles?
Mme David : Écoutez, la politique
que nous leur demandons, qui est prévue dans la loi, qu'ils aient toutes une
politique avec énormément de balises, dans le fond, les balises vont toutes
être les mêmes pour toutes les universités et les collèges.
Mme Porter (Isabelle) : Mais je
vous donne un exemple. Un des points qui était ressorti à l'époque des
dénonciations, c'était que, dans un cas de figure où une victime, une jeune
femme, une étudiante se fait agresser par son professeur à l'extérieur des
terrains de l'université, on ne savait pas, à ce moment-là, si elle devait
porter plainte à l'université ou à la police. En quoi est-ce que le projet de
loi éclaircit cette question-là?
Mme David : Ça va l'éclaircir
énormément parce que ,dans la mesure où le projet de loi est adopté et il y a
cette mesure que l'on souhaite, et qu'on le demande, d'avoir un code de
conduite prévu — il faut connaître le milieu universitaire pour comprendre
ce que ça veut dire, là, un code de conduite qui est prévu dans une
politique — ils sont tenus à suivre ce code de conduite. Ce code de
conduite, ils vont devoir le définir, et ce n'est pas si facile que ça de
donner des cas de figure pour l'ensemble de la population. Vous avez dit déjà
vous-même hors campus, dans le campus, un étudiant...
Alors, on a défini ça de façon assez large
pour encadrer les relations intimes dans le cas où il y a une sorte d'autorité
académique. Alors, je pense que ça va être assez clair dans le libellé pour que
les universités sachent bien se comporter par rapport à ça.
Mme Porter (Isabelle) : Juste
pour être certaine d'avoir bien compris, est-ce que ça pourrait vouloir dire
que, admettons, dans une université x, le cas de figure qui est l'exemple que
j'ai cité, bien là, ça relèverait de la police, alors que dans une université
y, il faudrait aller porter plainte du côté de l'université?
Mme David : Bien, je ne suis
pas sûre que je saisis bien votre exemple, alors je ne voudrai certainement pas
dire oui ou non, police ou pas police. De toute façon, pour tout ce qui
concerne cette politique-là et pour tout ce qui se passe dans la société en ce
moment, ce n'est pas obligatoire. C'est à la victime de décider comment elle se
comporte par rapport à ce qui lui est arrivé.
Alors, ce qui est... je pense que ce à
quoi vous vous référez, c'est une partie du projet de loi, seulement une partie
du projet de loi, qui est de demander aux universités et aux collèges d'établir
un code de déontologie par rapport aux relations intimes. Les universités et
les collèges vont devoir le faire si on adopte le projet de loi tel qu'il est
donc présenté. Alors, chaque université va pouvoir décider. Ça ne veut pas dire
qu'il y a agression sexuelle, une relation intime, ça veut dire qu'on est entre
deux adultes consentants, la plupart du temps adultes, on le sait, mais ce que
ça veut dire, c'est comment gérer un code de déontologie ou d'éthique qui
dit : Dans le cas d'une relation académique avec la personne, dites-nous
comment le code devra prévoir comment les gens doivent se comporter par rapport
à ça.
M. Pilon-Larose (Hugo) :
Bonjour. Hugo Pilon-Larose de LaPresse. Sur cette
question-là, justement, juste pour bien comprendre, est-ce que le projet de loi
ou le code de déontologie, là, qui doit régir les interactions entre deux adultes
consentants, là, mais un professeur en position d'autorité et possiblement un
étudiant, on peut penser au cas de figure d'un directeur de thèse, par exemple,
est-ce que vous prévoyez, par exemple, interdire à un professeur d'université,
lui dire : Vous ne pouvez pas avoir de relations intimes avec vos
étudiants?
Mme David : Ce qui est prévu
dans le projet de loi, c'est de demander à toutes les universités de se définir
un code de déontologie écrit qui prévoit un certain nombre de situations, et,
en regard d'une situation qui pourrait être dénoncée, il y aurait un code de
conduite qui gérerait cette relation-là. C'est-à-dire que, par exemple, le prof
doit aller au moins signaler la question; que le directeur de département, le
doyen de faculté doit prendre un certain nombre de mesures par rapport à ça.
Alors, les cas de figure peuvent être très différents les uns des autres.
Alors, il faut faire attention à toutes les questions.
Je répète, on est entre adultes... entre
adultes, point, et, après ça, entre adultes consentants, dans la mesure où on
parle de relation intime ou amoureuse. On ne parle pas de violence à caractère
sexuel, là. Dans ce cas-là, on parle d'un code de déontologie qui pourrait
prévoir un mécanisme, par exemple, par lequel ces situations-là qui peuvent
exister... alors il faut faire attention à la question des adultes consentants,
je le répète, et comment les universités se comportent par rapport à cette
relation-là, qu'ils soient dans un mécanisme d'au moins révéler au directeur ou
etc.
Alors, moi, je pense que c'est important.
Je pense qu'il y a des situations, depuis des décennies, qui ont pu se produire
dans toutes sortes de situations. Vous avez donné un exemple de direction de
thèse, par exemple. Bien, je pense qu'il peut être sain, en 2017 et pour les
années à venir, qu'on puisse avoir un code de déontologie qui réfléchit à ces
questions-là et qui permet de pouvoir avoir des mesures qui sont appliquées,
j'oserais dire, au cas par cas dans les universités.
M. Pilon-Larose (Hugo) : Mais
que le minimum, ce soit que, dans le fond, ça soit connu, là, que le
département soit au courant, là.
Mme David : Bien, il va
falloir faire quelque chose par rapport à ça parce que je pense qu'il y a eu
plusieurs situations qui ont peut-être bien commencé, mais qui ont moins bien
fini.
M. Pilon-Larose (Hugo) :
Prévoyez-vous, dans le projet de loi, imposer aux universités, aux cégeps, aux
établissements qui sont visés par le projet de loi une façon de comptabiliser
les cas de violence sexuelle commune pour qu'on ait accès à des statistiques
balisées?
Mme David : Il y a tout un
volet, dans le projet de loi, qui parle de reddition de comptes. Alors, on se
comprend, il y a tout un souci d'anonymat quand on parle de ce genre de
reddition de comptes. J'ai vécu beaucoup dans le milieu universitaire. J'ai lu
beaucoup de rapports des ombudsmans, par exemple, et des rapports qui sont liés
à différentes politiques. Dans ce cas-ci, on propose que la reddition de
comptes soit obligatoire, aille jusqu'au conseil d'administration. Ça ne veut
pas dire qu'on donne les noms, les plaintes, etc. Ça veut dire qu'il y a un
suivi sur, par exemple, le nombre de plaintes et quelles mesures ont pu être
prises.
Il faut beaucoup, beaucoup penser au
respect aussi des gens qui vont consulter, qui vont dévoiler, qui vont demander
de l'aide. Ils ne vont pas là pour se retrouver dans le rapport annuel un an
après, nominativement. Mais je pense que c'est important, comme société, que
nous puissions évaluer le phénomène, suivre le phénomène et voir si les
politiques permettent justement qu'il y ait un bon suivi et qu'il y ait une
bonne prise en charge.
M. Pilon-Larose (Hugo) : Et
ces personnes-là qui portent plainte — ma dernière
question — est-ce qu'elles pourront avoir un suivi concernant la
plainte qu'elles ont déposée, à savoir si des sanctions ont été établies contre
la personne?
Mme David : C'est tout ça qui
va être regardé par rapport à ce qu'on essaie de définir et ce qui a beaucoup
été demandé, une sorte de guichet unique pour que les personnes qui veulent
dévoiler quelque chose qui s'est passé puissent avoir un suivi digne de ce nom,
puissent avoir été accompagnées. Je ne veux pas entrer dans des cas d'espèce.
Il y a plusieurs sortes de cas d'espèce et il y a plusieurs volontés de la part
des jeunes ou des moins jeunes qui vont aller rencontrer ces experts-là.
Alors, toute la question… Des fois,
souvent même, les jeunes qui vont dénoncer quelque chose qui leur est arrivé ne
veulent pas nécessairement que la personne, le nom soit connu ou le nom… Mais
si on veut qu'il y ait des mesures académiques... parce que, ça aussi, c'est quelque
chose de compliqué, que j'ai moi-même eu l'occasion de vivre et d'avoir à
prendre des positions par rapport à ça. C'est des jeunes qui peuvent dire :
Bien, moi, je ne peux plus être dans le même groupe de travail que cette autre
personne là.
Donc, dans le projet de loi, il est prévu
qu'il puisse y avoir des mesures académiques. Ce n'est pas à la tête du
directeur de département, du professeur ou du doyen. Il faut que ça soit prévu
qu'il puisse y avoir des mesures académiques, par exemple, pour... très
rapidement, parce que souvent c'est suivi d'abandon carrément du programme, du
cours, y avoir des mesures qui séparent, par exemple, les deux étudiants en
question sans que l'étudiante qui va se plaindre, dans ce cas d'espèce, demande
qu'il y ait autre chose qui se soit passé.
Mme Richer (Jocelyne) :
Bonjour, Mme David. Jocelyne Richer, La Presse canadienne.
Toujours sur la question du code de
conduite, j'aimerais savoir si… est-ce que ce n'est pas un terrain très miné,
comme législateur, d'intervenir dans la vie privée des gens, dans ce qui peut
se passer entre deux personnes? Et est-ce que ce ne sera pas le volet de votre projet
de loi le plus difficile à faire adopter et à faire appliquer?
Mme David : Bien, écoutez,
quand on dit qu'on demande un code de déontologie, ça ne veut pas dire qu'on
s'immisce justement dans des cas particuliers. Moi, comme législateur, ce que
je demande aux différentes institutions, c'est de réfléchir à cette question de
comment se comporter quand telle ou telle situation arrive. Ça ne veut pas dire
qu'on empêche la relation, ça ne veut pas dire qu'on empêche telle chose, telle
chose, mais il peut y avoir des cas de figure et il y en a eu beaucoup par le
passé, où, comme je disais, ça a pu bien commencer, ça a pu moins bien finir,
et ça peut être très compliqué quand il y a une relation académique.
Je le répète, ce n'est pas qu'on dit :
Il n'y aura plus jamais de relation, d'aucune façon, entre un membre du
personnel et un étudiant qui n'ont aucun rapport académique. On parle de
situations de relation académique où il peut y avoir, comme disait votre
prédécesseur, une relation d'autorité, entre autres une relation d'évaluation.
Alors, qu'il y ait une sorte de mise en situation où le code de déontologie
prévoit qu'au moins la situation est comme dite à quelqu'un, ça peut protéger
de ce problème qu'on pourrait dire, des fois, de conflit d'intérêts.
Mme Richer (Jocelyne) : Un
autre aspect du projet de loi : les initiations. Est-ce que, dans votre
esprit, le projet de loi sonne la fin des initiations dégradantes pour les
femmes?
Mme David : Alors, je vais
prendre l'ensemble de votre phrase, parce que je ne prendrai pas juste le
début. Ça ne signe pas la fin des initiations, ça signe la fin des initiations
dégradantes pour les femmes ou pour les hommes. Ça, depuis un an, je pense que
je l'ai assez dit.
Je pense que cette rentrée automnale a été
plus tranquille que l'an dernier. Je pense que les universités se sont... je
dis les universités parce que c'est particulièrement là où il y a eu des
problèmes, ça se passe différemment dans les collèges puisqu'il y a des
étudiants mineurs. Je pense que ça s'est bien passé et que les étudiants, les
associations étudiantes, ils sont là pour en témoigner, ont pris très au
sérieux, ainsi que les directions d'établissement aussi, comment se comporter,
avoir des contrats, avoir des scénarios prévus d'avance et faire en sorte que,
s'il se passe quelque chose, il y ait tout de suite des mécanismes prévus.
Nous allons encore plus loin avec ce projet
de loi, parce qu'il y a un rapport qui a même été soumis par Sans oui, c'est
non! le 21 août, qui donnait des pistes extrêmement intéressantes, que, ma
foi, je pense, la plupart des universités ont déjà mises en pratique. Mais nous
voulons le prévoir dans cette politique pour qu'il n'y ait plus de possibilité
de se soustraire à une sorte de rigueur et de prévisibilité de comment ça doit
se passer, des vigiles, des mesures qui sont vraiment importantes. Est-ce qu'on
va réussir tout le temps? On ne peut pas être partout tout le temps pour
regarder toutes les interactions, mais on peut faire le maximum aussi pour
prévenir ça.
Mme Richer (Jocelyne) : En
terminant, est-ce que, comme ministre de la Condition féminine, vous songez à
partir de ce projet de loi là pour l'élargir à d'autres sphères de la société?
Mme David : Bien, écoutez,
votre question est tellement pertinente qu'elle m'occupe beaucoup,
personnellement, depuis, comme par hasard, en fait, que j'ai les deux fonctions
et qu'il arrive ce qui arrive en ce moment dans la société en général. J'ai
parlé d'un ouragan social, je ne pense pas exagérer en ayant utilisé ce
terme-là.
Il y a plusieurs milieux qui vivent toutes
sortes de situations ou même nous appellent pour dire : Comment je peux
intervenir? Et les questions sont étonnamment les mêmes que celles qui m'ont
occupée depuis an pour les collèges et les universités. Les questions :
Comment on gère deux employés? Comment on gère... Parce que, là, plusieurs,
plusieurs victimes parlent à leurs employeurs ou disent : Moi, il m'est
arrivé telle chose, telle chose, telle chose. Et je pense qu'on a un travail à
faire de ce côté-là.
C'est en ce sens que j'ai annoncé un forum
avant Noël, donc demain matin, au sens large, avant Noël, parce qu'il faut
regarder l'ensemble de ces questions-là. Est-ce que j'ai un peu de pratique par
rapport à ça? Bien, écoutez, le destin a fait que oui. Je pense qu'il y a
beaucoup de points en commun. Il y a évidemment des points différents. On ne
parlera pas de mesures académiques et tout ça, mais je pense qu'on doit mettre
ensemble les milieux de prévention, sensibilisation ou les enjeux de prévention
et de sensibilisation, les enjeux d'intervention, de dévoilement et
d'accompagnement, les enjeux de la police, comment ils se font accompagner et
les enjeux judiciaires dont on dit qu'il y a vraiment peut-être des choses à
améliorer.
Alors, déjà, mettre ces milieux-là
ensemble, se préparer, se parler pour dire : Oui, on en fait, des bonnes
choses, oui, il y a eu des... Vraiment, je pense qu'en ce moment il y a une
mobilisation, un momentum qu'on n'a jamais eu auparavant. On part de ce qu'on
fait puis on dit : Qu'est-ce qu'on peut faire et qu'on doit faire de mieux
et de plus? Ça serait ça... Si je pouvais donner un titre à mon forum, ça
serait ça. On va vraiment réfléchir à quoi mettre en place pour aller plus loin
comme société, parce que je pense qu'on est très mal placés pour se fermer les
yeux devant ce phénomène-là.
M. Dutrisac (Robert) : Oui, j'aurais
une question. Robert Dutrisac, Le Devoir. La ministre de la Justice,
Stéphanie Vallée, a déjà affirmé qu'elle invitait finalement les femmes
victimes d'agression sexuelle à aller se plaindre à la police. Là, si je
comprends bien, vous, vous invitez les étudiantes qui seraient victimes de la
même chose ou ce que vous appelez la violence sexuelle d'aller se plaindre à l'université
plutôt qu'à la police.
Mme David : Attention,
là. Attention. On sait que, dans la société, il peut arriver toutes sortes de
violences à caractère sexuel qui ne sont pas toutes de l'ordre du criminel ou
du pénal, qui peuvent être de l'ordre d'un harcèlement, par exemple, qui… Et il
y a énormément de victimes qui disent : Je veux aller en parler, je veux
me faire accompagner. Je voudrais, par exemple, dans les collèges et universités,
avoir une mesure académique pour faire en sorte que je ne croise pas la
personne qui a… bon, qui a fait l'objet, là, de ce dévoilement. Ça ne veut pas
dire que la victime elle-même veut aller jusqu'au niveau de la justice et de
porter plainte à la police, ce qui ne veut pas dire que... Di elle veut porter
plainte, et si c'est vraiment sa motivation, et qu'on l'a bien informée sur
toutes les possibilités, à ce moment-là, il est clair qu'il y a des liens et
des corridors très bien établis entre... déjà, mais ils vont être encore mieux
établis, entre les universités et les collèges et tout l'accompagnement pour
aller jusqu'aux services de police.
Les corps de police étaient toujours là
dans nos journées sur les violences à caractère sexuel. Ils étaient là et ils
expliquaient justement comment faire des ponts très importants. J'étais dans un
CALACS cette semaine, je parlais avec les femmes, et il y a tout ce continuum.
Il y a de la prévention, sensibilisation, ils sont en demande beaucoup, mais il
y a aussi cet accompagnement pendant le processus judiciaire. Ça sera toujours
une victime qui va décider, là, si elle veut ou pas aller jusque là. Mais je ne
suis pas en train de dire que, parce qu'on met des mesures en place pour accompagner
les étudiantes dans... ou n'importe qui qui va porter plainte, dans une
université ou un collège, qu'on ne veut pas qu'ils aillent en justice. Pas du
tout, au contraire, mais les deux cas de figure sont tout à fait possibles.
M. Dutrisac (Robert) :
Donc, c'est une alternative, là.
Mme David : Absolument.
M. Dutrisac (Robert) : En
matière de relations intimes avec les professeurs, quelle est votre position au
juste? Est-ce qu'on devrait… Je comprends que vous ne voulez pas interdire ce
type de relation làmême quand c'est un directeur de thèse, par exemple. Vous
voulez plutôt encadrer ce type de relation là?
Mme David : Bien, je
veux… Le mot «encadrer» est probablement le meilleur mot à employer. À partir
du moment où c'est clair que ça existe, et que quelqu'un le sait, et qu'il y a
une sorte de code de déontologie, bien, écoutez, à ce moment-là, on les
laissera se comporter selon ce que le code de déontologie peut prévoir.
Mais ce qui est important, c'est, je
pense, de protéger la personne qui est en position elle-même de se faire
évaluer par l'autre personne. C'est ça, le coeur du problème, tu te fais
évaluer. Puis probablement vous avez tous en tête quelque chose, quelqu'un, une
situation qui ressemble à ce que je décris. Je pense qu'au lieu de se fermer
les yeux là-dessus, tout en respectant la question des adultes consentants, il
faut avoir une réflexion là-dessus, et je pense que les universités sont
rendues là, et j'ai bon espoir que nous allons pouvoir avoir des discussions
fort intéressantes au moment du...
M. Dutrisac (Robert) :
Donc, on pourrait donc interdire l'évaluation?
Mme David : Écoutez, je
veux que les universités réfléchissent à ça. On va en parler pendant le projet
de loi, on va en discuter, mais je ne voulais pas passer sous silence cet
aspect-là parce que, pour moi, c'est un aspect qui est important, qui est un
aspect qui existe depuis de nombreuses années, et je veux faire en sorte qu'on
ait des façons de réfléchir à ça.
M. Gagnon (Marc-André) :
Bonjour, Mme la ministre. Marc-André Gagnon du Journal de Québec.
Vous avez parlé tout à l'heure du sentiment d'urgence. On se rappelle que, bon,
vous vous êtes lancée dans ce projet de loi là après ce qui s'est passé à
l'Université Laval notamment. Est-ce que toutes les dénonciations des derniers
jours ont eu pour effet comme d'accélérer le dépôt, cette semaine, de ce projet
de loi là?
Mme David : Écoutez, non,
on était prêts. On était prêts. Ça ne se fait pas en deux jours, je peux vous
dire ça, des projets de loi comme ça. Il y a de nombreuses étapes.
Est-ce que ça tombe à un moment pertinent
pour la société? C'est clair que c'est oui, la réponse. Ça fait un an qu'on
travaille. On a fait les choses rigoureusement les unes après les autres. On se
retrouve, un an après, presque jour pour jour, on dépose le projet de loi. Arrive
en même temps, là, ces... Je peux bien penser que j'ai du pouvoir, mais pas
jusqu'au point de penser que tout ce qui est arrivé à partir de l'Ouest
américain et tout ce qui s'en est suivi... bon, c'est sûr qu'on est dans la même
thématique et ça peut donner encore plus de momentum et de pouvoir à ce projet
de loi là, ce qui n'empêche pas qu'il y a d'autres considérations dans l'ensemble
de la société aussi.
M. Gagnon (Marc-André) :
Quand vous parlez d'infrastructures, je ne peux pas faire autrement, encore une
fois, que de repenser à l'exemple de l'Université Laval où, après les événements...
Mme David : Oui, oui,
vous avez raison.
M. Gagnon (Marc-André) :
...on a installé des caméras. Or, tout ça demande de l'argent. Est-ce qu'il y
aura plus de financement pour les universités pour financer...
Mme David : On a même
annoncé, lors du dépôt de la stratégie, 23 millions de dollars. Entre
autres, ça va comprendre, et on a réfléchi à cette question, des infrastructures.
Et on a ce qu'on appelle un plan quinquennal d'immobilisation et, dans le PQI,
on peut mettre de l'argent pour sécuriser un certain nombre de lieux. Nous
avons eu — plusieurs assistaient aux journées — nous avons
eu des témoignages vraiment au niveau de la sécurité.
Par ailleurs, plusieurs vont dire :
Oui, oui, oui, mais ne mettez pas tout seulement sur la sécurité puis tout est
réglé. Puis les gens ont bien raison de dire ça, mais il y a aussi des facteurs
de sécurité qu'on ne doit pas ignorer, et l'argent est au rendez-vous.
M. Gagnon (Marc-André) : O.K.
Donc, vous dites, si je reviens à ma première question, que vous étiez prête à
procéder avec le dépôt de ce projet de loi là. Donc, je comprends qu'il a été
travaillé. Mais, s'il revient aux universités elles-mêmes de définir leur code
de déontologie, on risque de se retrouver dans une situation où il y a un peu
de cas par cas et on risque de vous reprocher de déposer un projet de loi qui,
au fond, est peut-être une coquille vide, si c'est du cas par cas.
Mme David : Bien là, c'est
parce que vous pensez que le code de déontologie, c'est 100 % du projet de
loi. C'est une partie, somme toute, assez marginale du projet de loi.
L'ensemble du projet de loi, c'est la politique où je vous ai énuméré de façon
très détaillée — je pourrais le relire, mais ça serait un peu long,
le projet de loi est à votre disposition — toutes les mesures qui
vont être exigées, si le projet de loi est accepté, dans cette politique. Et il
y en a beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Alors, c'est loin d'être juste le rapport
dit professeur-étudiant. C'est une partie, ça. L'immense partie, c'est d'avoir
une politique qui va définir les mesures, la formation, la sensibilisation, les
initiations, le guichet unique, les sanctions, etc., les mesures académiques,
la sécurité, la reddition de comptes annuelle, etc. C'est tout ça. Alors, moi,
je pense que c'est un projet de loi sans précédent pour donner et définir
comment les collèges, les universités vont pouvoir se comporter par rapport à
cette situation-là.
Le Modérateur
: Merci à
tous.
Mme David : Merci beaucoup.
(Fin à 12 h 8)