(Douze heures vingt-six minutes)
M. Khadir
: ...d'être
là. L'essentiel que j'ai retenu de notre échange de deux heures... Ah! c'est le
formulaire pour l'impôt, bien oui.
M. Leitão : ...formulaire pour
la taxe de vente.
M. Khadir
: Oui, pour
le 6 $. Très bien.
M. Leitão : Merci. Excusez-moi.
M. Khadir : Sur le chandail
de Valeri Kharlamov.
Des voix
: Ha, ha, ha!
M. Khadir
: Vous
n'êtes pas au courant de ça? Bien, pour essayer de voir comment ça marche... je
veux en parler, parce que c'est très pratique et ça va nous amener exactement
au point, à l'objection du ministre. J'ai voulu savoir comment ça marche,
recourir au commerce en ligne puis acheter à l'étranger. Bon, j'ai dit : O.K.,
je vais aller acheter quelque chose, qu'est-ce que j'ai besoin?
Bien, je me suis inscrit dans une ligue de
hockey, là, amateur, qui s'appelle le Lovely Hockey League, à Montréal. Le
dimanche soir, on joue, puis, bon, pour un clin d'oeil, je voulais un chandail
de l'équipe soviétique des années 70. D'accord? Je cherche, il n'y en a pas au Canada,
il y en a à Saint-Pétersbourg. Alors, je commande en ligne avec ma carte Visa,
le chandail arrive à peu près 10 jours plus tard, puis là on cherche à payer
l'impôt... c'est-à-dire la TVQ là-dessus, bien, il faut trouver un formulaire
qu'on n'a pas trouvé. Finalement, mon équipe a appelé le ministère des
Finances, ça a pris 24 heures pour qu'on nous fournisse le formulaire pour
payer le... Je l'ai acheté à peu près à 57 $, donc ça revient à 6 $
ou un peu moins de 6 $ de taxes.
Mais ce n'est pas là, le problème. C'est
que le ministre dit : Les cartes de crédit, ça ne peut pas marcher parce
qu'on ne peut pas savoir où ils ont acheté ça. Bien, je m'excuse, sur mon
relevé de compte de carte, de Visa, quand on retrace le paiement, là, quand on
fait des achats à l'étranger, c'est marqué. C'est marqué tel pays, telle ville,
et c'est souvent à l'extérieur ou une compagnie à numéro quelque part. C'est
très facile à identifier. Et prétendre qu'en 2017, avec tout le développement
de l'informatique, qu'une entreprise de la taille de Visa n'est pas capable de
fournir cette information au gouvernement que l'achat a été fait et dirigé,
l'argent a été dirigé vers telle destination à l'étranger, ça ne tient juste
pas la route.
Ça ne tient d'autant plus pas la route
que, le 3 octobre dernier, l'éditeur du Courrier parlementaire,que vous recevez sans doute également, parlait justement des transactions
en ligne, et l'éditeur écrit la chose suivante : «Pour freiner le recours
aux paradis fiscaux, la Commission des finances publiques proposait au gouvernement
de changer le cadre législatif pour permettre l'imposition des transactions en
ligne sur la base des cartes de crédit utilisées pour payer les achats.»
D'accord?
M. le ministre prétend que son rapport est
basé sur notre rapport, la Commission des finances publiques, et sur l'OCDE.
Bien, je lui ai rappelé exactement... l'OCDE dit plusieurs choses. D'abord, ça,
qu'à travers les cartes de crédit utilisées pour les achats de commerce en
ligne, on peut retracer l'information, tellement que Visa Canada l'a pris au
sérieux. Cette recommandation suscite l'intérêt de Visa Canada qui souhaite
présenter au gouvernement ses capacités technologiques en ce sens. Visa lui dit :
Moi, je peux, puis le ministre dit : Non, non, non, Visa ne peut pas.
Évidemment, le gouvernement critique notre
remède. On peut se questionner, pourquoi ils font obstacle à ça. Je reviendrai
là-dessus, je ne veux pas aller dans des théories qui pourraient être abordées.
Parce qu'on le sait, là, si jamais on adopte mon projet de loi, le projet de
loi dit : Toute activité sur le territoire du Québec qui dépasse
30 000 $, activité économique, fait en sorte que la définition qui
s'applique à cette entreprise, c'est que cette entreprise a un établissement
stable au Québec, sur le territoire du Québec, parce que c'est en vertu d'un
établissement stable qu'on détermine si une entreprise est taxable, au Québec ou
pas.
Ça réglerait le problème. Ça réglerait le
problème de la ministre Julie Boulet, qui me l'a dit textuellement : Amir,
je ne peux pas demander à Netflix de prélever la TVQ et la TPS parce qu'ils
n'ont pas d'établissement stable au Québec. Alors, on l'a prise au mot puis on est
allés proposer un projet de loi qui pourrait, si on l'adopte d'ici la fin des travaux,
changer ça, puis, à partir de janvier, ça pourrait s'appliquer.
Pas de moyen technologique? Bien, j'ai
rappelé au ministre que même son porte-parole, en juin dernier, dans LaPresse,
déclarait : Même la machine MEV — on n'a même pas besoin de
Visa — la machine MEV, le module d'enregistrement des ventes qu'on
utilise dans les taxis, qu'on utilise dans les restaurants, peut être utilisée
à cette fin. Donc, il n'y a pas d'obstacle. Il y a des obstacles idéologiques
ou il y a des intérêts en arrière qui empêchent de faire ça, parce que ça, là,
ce n'est pas le remède. Ça, c'est, à la limite, de l'homéopathie. On a dilué
des trucs, des plans, des idées dans un gros volume de choses, mais aucune
action concrète, parce que, pour que ça change, il faut que la loi change.
Donc, je vous prie de croire qu'on a
consulté toute l'expertise requise là-dessus, et on s'est basés aussi sur les
recommandations de l'OCDE et de la Commission des finances publiques qui a
étudié ça. Notre projet de loi tient la route. Il suffit de la bonne volonté du
gouvernement pour que le commerce électronique soit encadré.
M. Gagnon (Marc-André) : Même
si le gouvernement ne va pas de l'avant avec le projet de loi que vous avez
déposé, avez-vous l'impression que, par le dépôt de ce projet de loi là et par
l'interpellation de ce matin, vous avez quand même poussé le gouvernement à
faire un pas dans la bonne direction pour lutter contre l'évitement fiscal?
M. Khadir
: Écoutez,
je n'ai pas l'habitude d'être trop présomptueux de Québec solidaire ou de ma
personne, mais c'est sûr que le gouvernement devait se secouer, hein? Vous vous
rappelez, hier, je l'ai rappelé, il faut que le ministre se secoue un peu.
Là, je remarque que le dépôt de ça, tiens,
tiens, c'est le 10 novembre 2017. Ça fait six mois qu'on a déposé notre
rapport de la commission, qui était unanime, puis ça fait depuis au moins la
commission Godbout, où il y a des solutions qui sont proposées au gouvernement...
Ça, c'est donc 2015, mais les études là-dessus à l'OCDE, c'est depuis 2012...
M. Saint-Amans. En fait, c'est depuis 2008, quand Sarkozy avait dit qu'il
fallait que l'OCDE fasse quelque chose. Donc, ça fait à peu près 10 ans puis là
ça arrive un 10 novembre, au moment de l'interpellation.
Donc, c'est sûr que l'ensemble des
interventions de Québec solidaire, des acteurs économiques, de M. Turgeon, de l'association
du commerce de détail, de M. Simons, de ceux qui sont venus ici, Jean-Claude
Lord... La lettre, je ne sais pas si vous avez lu la lettre, Denis Villeneuve,
plusieurs artistes ont signé cette lettre-là. Il faut faire quelque chose.
M. Gagnon (Marc-André) : Il y
a quand même des mesures concrètes, là, dans le plan qui est déposé ce matin, notamment
la création d'un genre d'escouade spécialisée. Il y a aussi, bon, une mesure
qui vise à empêcher...
M. Khadir
: Pourquoi
se compliquer la vie? Pourquoi se compliquer la vie? Une escouade... Je
comprends, il y a des mesures, mais ça fait comme pansement, là, pour ne pas
faire l'essentiel. C'est comme si quelqu'un ne voulait pas traiter un cancer,
opérer, puis là il mettait tout plein de pansements, toutes sortes de choses
qui sont juste des pansements, des plasteurs. C'est sûr...
Là, permettez-moi d'aller dans les
conjectures. Nous, pour que ça marche, il faut changer la définition d'établissement
stable. D'accord? Si on fait ce changement pour le commerce électronique, bien,
on l'aura fait pour tout. Mais c'est sûr que je comprends... Si je m'appelais
Power Corporation ou Québecor, je serais très inquiet, parce que Power
Corporation, et Québecor, les banques ont toutes sortes de filiales ailleurs
avec lesquelles ils font affaire ici. Puis en vertu des mêmes trous dans une
loi archaïque qui appartient à l'autre siècle puis qui a tout plein de trous
qui permet ça, là, bien, beaucoup de filiales de Power Corporation, et de
Québecor, et de plein d'autres entreprises, malheureusement, ne paient pas
leurs taxes et leurs impôts pour des activités économiques ici. Ils utilisent
les mêmes malheureux trous dans la loi archaïque sur l'impôt.
Donc, c'est sûr que là, si le ministre
utilise des arguments aussi intenables que : Ah non! technologiquement, on
n'est pas capables, bien, je suis obligé de croire que donc il y a d'autres
raisons qu'il ne peut pas nous dire. Mais moi, je dis alors : M. le
ministre, pour qui travaillez-vous? Est-ce que vous travaillez pour Québecor,
pour Power Corporation ou les entreprises qui veulent contourner la loi par ce
genre de pratique fiscale déloyale ou vous travaillez pour les gens du Québec,
pour les commerçants du Québec, pour les Simons, pour les commerçants du détail
de la rue Mont-Royal, de la rue Saint-Denis? Pour qui travaillez-vous?
M. Dion (Mathieu) : Dans la
façon que c'est libellé, tout ça, dans ce qu'on dit dans ce plan d'action,
trouvez-vous encore qu'on dépend trop du fédéral pour aller de l'avant avec une
véritable politique, une véritable législation? Parce que souvent on fait
référence...
M. Khadir
: À
l'harmonisation.
M. Dion (Mathieu) : ...au
fédéral en disant : Il faut se coordonner avec le fédéral. Pensez-vous
que...
M. Khadir
: Bien, c'est
sûr que dans toute mesure fiscale, si on tire sur des ficelles sans faire
attention, qu'est-ce que ça défait ailleurs? C'est malavisé. Et donc il y a,
oui, un certain nombre de choses dont il faut tenir compte dans tout ça, mais
là n'est pas le propos, là. Là, on ne demande pas un chamboulement, une réforme
totale de l'ensemble de la fiscalité du Québec, là. On demande de s'appliquer à
régler un problème grave, une plaie béante qui saigne, qui est le commerce
électronique. Et ça, toutes les juridictions au Canada sont à la recherche
d'une solution. Ils seront les premiers à dire : Wow! bonne idée, on
embarque là-dedans. Le ministre n'a pas à craindre ça. Toutes les juridictions,
actuellement, cherchent des moyens de contrer l'impact néfaste de ce commerce
des multinationales qui ne paient pas leurs taxes au Canada et au Québec.
M. Dion (Mathieu) : Est-ce que
ce plan d'action là dépend encore trop du fédéral?
M. Khadir
: Bien, je
n'ai pas... Vous me permettrez de ne pas pouvoir vous répondre à ça. Je l'ai
reçu en même temps que vous, là, pendant que je débattais. Ça a été déposé lors
de notre interpellation.
Si je me fie sur ce que j'entends de M.
Leitão sur la question de la taxe, oui, il est toujours dépendant du fédéral,
alors qu'on a pleine juridiction, on a pleine souveraineté, au Québec, sur nos
taxes et nos impôts. D'accord? On peut, à chaque fois qu'il relève de nous,
décider nous-mêmes. On en informe le fédéral, il y a des ajustements à faire,
mais c'est après coup, une fois qu'on a décidé où on veut s'en aller, parce
qu'on a cette indépendance totale.
M. Dion (Mathieu) : Je peux
vous poser une question sur le revenu minimum garanti?
M. Khadir
: Just a second, because there are other questions in
English.
Mme
Montgomery (Angelica) : Yes, I do, mais vous pouvez y aller en
français, si vous voulez.
M. Dion (Mathieu) : Oui, O.K.
Il y a un comité d'experts qui a été mandaté par le gouvernement du Québec, qui
va déposer son rapport lundi. On apprenait que le revenu minimum garanti,
finalement, ça ne sera pas privilégié par ce comité-là. Et évidemment le
rapport du comité aura une influence sur la troisième politique de lutte contre
la pauvreté. C'est une bonne chose ou une mauvaise chose?
M. Khadir
: Bien, pour
qu'on ait un revenu minimum garanti, qu'on l'étudie, qu'on trouve le moyen
d'assurer un revenu minimum garanti, c'est une excellente chose. Que le groupe
d'experts retenu par le gouvernement soit incapable d'arriver avec mieux que de
nous dire : Il faut que les gens sur le bien-être social se contentent de
50 % de la mesure du panier de consommation, là, 52 %...
Des voix
: ...
M. Khadir
: 55 %.
Oui, oui, mais c'est la moitié... oui, bien, ce n'est pas ces quelques
pourcents qui vont changer quelque chose, là. Il y a quelque chose de
profondément... Je comprends, hein... ça prouve à quel point les économistes,
les actuaires peuvent être complètement déconnectés de la vie des gens, même
complètement déconnectés de ce qu'est une notion de civilisation. Aïe! ça
veut-u dire qu'au XXIe siècle, à l'époque où l'humanité n'a jamais été aussi
capable de produire des richesses et du confort, on demanderait à des centaines
de milliers de nos citoyens de se contenter d'une mesure, d'ailleurs, qui n'est
utilisée que par le patronat, là, qui est le vraiment «basic» minimum pour se
sortir de la pauvreté puis qu'on dise : Ah! on devrait se contenter de la
moitié de ça, juste de quoi survivre? C'est honteux.
Je trouve, c'est honteux et je ne pense
pas que c'était le... Ce n'était pas le but recherché par ces gens-là, mais
réalisent-ils, réalisent-elles que c'est ça que ça veut dire? Et c'est
pitoyable que des économistes patentés, qu'on a formés avec l'argent du public,
arrivent à des conclusions aussi... Bon, permettez-moi de ne pas utiliser de
gros mots.
Nous, on recommande au gouvernement de
faire comme en Ontario, de faire comme beaucoup d'autres pays, même les
États-Unis l'ont fait, l'Alaska, d'avoir un projet pilote pour voir ce que ça
donne, un revenu minimum garanti.
M. Dion (Mathieu) : Donc, vous
êtes déçu, autrement dit, qu'on rejette l'idée du revenu...
M. Khadir
: C'est
désolant. C'est insultant pour l'intelligence du monde. Et contentez-vous de la
moitié de ce qu'il faut au minimum pour vivre décemment puis de mettre un pas
en dehors de la pauvreté.
M. Dion (Mathieu) : Le revenu
minimum garanti, là, ce n'est pas une panacée, là, c'est...
M. Khadir
: Oui, ce n'est
pas une panacée, mais c'est une mesure excessivement intéressante lorsque
combinée à un État social fort qui offre un ensemble de services sociaux. Et il
y a un... je pense qu'aujourd'hui, si vous regardez les meilleures écoles d'économie
et sociales... Je me rappelle d'une excellente intervention d'un chercheur et économiste
belge, dont j'oublie le nom et qui s'exprime en français, mais qui donnait une
conférence pour un club des meilleurs élèves des meilleures universités
américaines réuni en Californie, qui avait invité ce bonhomme-là.
Je pense qu'il est très difficile de
résister aux arguments avancés qu'une société qui fait ça, c'est une société du
XXIe siècle, qui permet à tous ses citoyens de s'émanciper enfin des
contraintes économiques et de vivre comme promis par la civilisation du savoir,
du progrès, là, qu'on essaie d'arriver depuis trois siècles, la promesse des
lumières, la promesse du progrès social, la promesse du confort pour tous, la
promesse de se libérer des contraintes qui assaillent l'homme et qui le tuent
au travail.
Mme Montgomery
(Angelica) : I guess I also want to talk to
you about the guaranteed minimum revenue. What do you make of this
recommendation that people should be guarantied 55% of the cost of living?
M. Khadir
: It's just shocking that people that we have formed
with the public money, which are supposed to be the experts, don't realize or
are so disconnected from the lives of ordinary people to accept the idea that a
society which respects itself says to hundreds of thousands of its
citizens : Just, you know, take this, half of what you need to get out of
the poverty and keep on with that, survive.
This is just a disgrace
for a society with the wealth that we have. It's a disgrace, instead of coming
up with solutions saying : Hey! We have to get out of this pathetic
situation with advanced technologies and economies which accept that so many
thousands of their citizens are in deep poverty.
Mme
Montgomery (Angelica) : Merci.
(Fin à 12 h
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