(Onze heures huit minutes)
La Modératrice
:
Bonjour, tout le monde. Merci d'être là aujourd'hui. Donc, prendront la parole
pour ce point de presse, M. Jean-François Roberge, député de Chambly,
porte-parole de la CAQ en matière d'éducation; également, Mme Valérie Fournier,
qui est la maman d'Anne-Marie Dussault, ici, à côté; nous allons également
avoir Jonathan Côté, de l'autre côté, 23 ans, issu des Bois-Francs. Donc, ils
vont prendre la parole, vous expliquer leur parcours avec la formation
préparatoire au travail. Et, sans plus tarder, je vais laisser la parole à M.
Roberge.
M. Roberge : Merci beaucoup. Je
veux remercier donc tous les gens qui se sont déplacés aujourd'hui. On a aussi
Henri Brosseau, 19 ans, et on a aussi Raphaël Brissette, 17 ans. On a des gens
qui proviennent de la commission scolaire des Bois-Francs, commission scolaire
des Maskoutains, commission scolaire des Navigateurs. Mais le problème qu'on va
dénoncer aujourd'hui, c'est un problème généralisé à la grandeur du Québec,
c'est un problème qui a même fait l'objet d'une consultation l'automne dernier,
en 2016, alors que des jeunes qui participaient à une grande conférence de Coalition
Interjeunes ont dénoncé ce problème des formations préparatoires au travail
imposées aux jeunes.
Donc, je veux mentionner tous les
regroupements et les associations qui dénoncent ce problème qui fait l'objet du
point de presse aujourd'hui, donc
le Regroupement des maisons de jeunes du Québec;
le Regroupement des auberges du coeur du Québec; le Regroupement des organismes
communautaires autonomes jeunesse du Québec, le ROCAJQ; le Regroupement des
organismes communautaires québécois de lutte au décrochage; le Regroupement des
organismes communautaires québécois pour le travail de rue. On parle d'au-delà
de 345 organismes qui sont fréquentés par plus de 370 000 jeunes qui
dénoncent, depuis plus d'un an, et avec nous aujourd'hui, cette aberration.
Les jeunes de 15 ans, au Québec, qui ont
un retard scolaire sont trop souvent forcés, forcés d'être inscrits l'année
suivante dans ce qu'on appelle la formation préparatoire au travail. Grosso
modo, on leur refuse ce droit de poursuivre une scolarisation de leur rêve, ce
droit de poursuivre l'objectif d'obtenir un diplôme, et on les met sur ce qu'on
pourrait qualifier d'une voie de garage. Bien sûr, il y en a qui vont faire le
choix de cette formation-là, mais la grande majorité sont forcés. Les parents,
les adolescents ne veulent pas y aller, mais c'est le seul choix qu'on leur
laisse. J'ai Henri, tantôt, qui m'a dit : On ne m'a pas forcé, mais on ne
m'a pas laissé le choix. C'est ça qui est arrivé.
Et, une fois rendu dans cette fameuse
formation préparatoire au travail, il n'y a plus de bulletin digne de ce nom,
hein? On en parlait tout à l'heure, il n'y a plus d'évaluation digne de ce nom,
et ce n'est plus possible de réintégrer le parcours régulier. En réalité, on
veut lutter contre le décrochage, on veut favoriser la persévérance scolaire,
au Québec, mais, dans ce cas-ci, c'est le Québec qui décroche de ses jeunes, c'est
le Québec qui essaie de leur vendre du rêve en disant qu'en entrant dans ce
fameux parcours là ils vont vivre des réussites.
Mais ce que nous disent les jeunes, c'est
que ce rêve-là tourne au cauchemar, ils ne peuvent pas se qualifier à décrocher
un vrai emploi, et on leur dit, dans le fond : Fais du temps. Tu es en
taule, tu es en prison, fais du temps. Tu as 15 ans, là, puis à 18 ans, quand
tu auras perdu trois ans et plein d'acquis académiques, tu t'inscriras à la
formation des adultes. Et c'est encore plus choquant de voir ça... c'est parce
que les commissions scolaires, en faisant ça, ne respectent pas la loi, la loi
qui dit que, pour s'inscrire, il faut que les jeunes en fassent le choix, il
faut qu'ils choisissent un programme, et je cite le régime pédagogique, qui
répond à ses intérêts et ses besoins. Ce n'est pas le cas en ce moment.
Et, en faisant ça, en plus, eh bien, on
gonfle les statistiques de réussite, parce que, oui, les jeunes qui sont forcés
d'aller dans ces formations préparatoires au travail comptent comme étant
qualifiés, comptent comme étant diplômés et gonflent les statistiques de
réussite du Québec, ce qui est une aberration.
Donc, je vais maintenant laisser la parole
à, je pense, Mme Valérie Fournier, mère d'Anne-Marie, qui va venir nous
témoigner de ce qu'elle a vécu.
Mme Fournier (Valérie) :
Merci. Alors, bonjour. Moi, je suis la mère d'Anne-Marie Dussault, ici, à ma
droite, une jeune fille de 15 ans qui souffre de troubles d'apprentissage
sévères, donc plus de deux ans de retard dans son volet académique. Anne-Marie
est au centre de formation aux entreprises, au CFER de la commission scolaire
des Navigateurs cette année, et c'est un non-choix de notre part. Et là je
m'explique. On a fait des démarches auprès de notre commission scolaire des
Navigateurs, on est allés jusqu'à écrire au ministre de l'Éducation, lui
demandant à ce qu'Anne-Marie puisse poursuivre ses études dans une classe
langage avec tout le volet spécialisé. Notre ministre nous a référés à notre
commission scolaire qui s'est empressée de nous rencontrer parce qu'on avait
contacté les médias pour faire bouger les choses. Cependant, elle ne nous a laissé
aucune autre alternative que celle qu'Anne-Marie poursuive ses études dans un
centre de formation en entreprise.
Les centres de formation à l'entreprise ne
sont pas adaptés à tous les enfants qui souffrent de troubles d'apprentissage
sévères, du moins pas pour ceux qui veulent poursuivre leurs études. Ma fille,
cette année, a 150 heures de matières académiques en moins, qui est dédié au
volet d'entreprise, et l'an prochain, ça va être pire. Il faut comprendre que
ces enfants-là font des efforts surhumains, sur une base quotidienne, année
après année, afin d'assimiler et de maintenir des acquis, des notions
académiques.
On se doit, en tant que parents, en tant
que citoyens, de les encourager, de les soutenir, mais surtout de s'assurer
qu'ils aient les services adéquats pour poursuivre leurs études, si tel est
leur objectif. Le ministre, au lieu d'investir dans des projets d'école du
futur, devrait plutôt investir dans le futur de nos enfants en troubles
d'apprentissage, parce que présentement, on les incite à devenir des futurs
décrocheurs.
Aujourd'hui, je parle pour ma fille et je
parle pour les enfants qui souffrent de troubles d'apprentissage sévères, mais
je m'adresse également aux parents qui ont de jeunes enfants en troubles
d'apprentissage, parce que vous n'êtes peut-être pas au courant, mais lorsque
votre enfant aura 15 ans, s'il a cumulé beaucoup de retard, plus de deux ans de
retard, dans son volet académique, votre commission scolaire va le placer automatiquement
dans un centre de formation en entreprise sans qu'il ait un mot à dire, et ça,
c'est inacceptable.
On se doit d'obliger les commissions
scolaires à donner les services adéquats à nos enfants. Il s'agit de l'avenir
de nos enfants et présentement il est en péril.
La Modératrice
: Merci
beaucoup. On va passer la parole maintenant à M. Jonathan Roy.
M. Côté (Jonathan) : Bonjour.
Mon nom est Jonathan Côté...
La Modératrice
:
Jonathan Côté, pardon.
M. Côté (Jonathan) : Malrgé
ma grande détermination, le soutien de mes proches et de mes tentatives de
raccrochages nombreuses... ont fait que mon parcours scolaire a été un échec.
J'ai 23 ans, et on me classe en présecondaire. Le système d'éducation m'a
échappé. Les options qui m'ont été offertes durant mon parcours n'étaient pas
adaptées à mes besoins d'apprentissage.
Est-il normal de faire écouter des films à
répétition au CFER au lieu de nous apprendre à lire, écrire et compter? Ma famille
se voit dans l'obligation, par le ministère, de m'envoyer au CFER car mes lacunes
étaient trop importantes selon eux. Pourtant, j'aurais voulu continuer mon
cheminement afin de pouvoir obtenir mon diplôme d'études secondaires. Cela me
donne l'impression, quand ils jugent que l'élève a besoin davantage
d'encadrement, ils préfèrent s'en débarrasser plutôt d'offrir le soutien
adéquat.
L'éducation est la base et les outils de
chaque individu, et le ministère de l'Éducation n'a pas le droit de baisser les
bras en se servant d'excuses sur le manque de ressources. Est-il plus rentable
pour une société d'avoir un taux de diplomation plutôt que d'avoir du monde sur
le bien-être social? Ne pas avoir un diplôme reconnu a eu de grandes
répercussions sur ma vie. Il est très difficile pour moi d'avoir confiance en
mes capacités, alors que le personnel d'école me disait très souvent que
j'avais des capacités très limitées. Ma famille et mon entourage en souffrent
grandement, car ils doivent me donner un soutien constant, car j'ai des graves
lacunes.
Je veux que personne ne vive les mêmes
choses que moi. C'est pour cela que je demande du changement et une aide qui
répond à mes besoins. Afin de pouvoir être autonome dans ma vie, j'aimerais que
le gouvernement me donne la vie qu'il m'a volée. Merci.
M. Roberge : Merci beaucoup
pour ce témoignage. J'ai eu la chance, depuis ce matin, de discuter avec ces
jeunes-là, avec leurs parents, puis ce sont des jeunes, vous les avez entendus,
extrêmement articulés, brillants, qui ont des passions, qui ne veulent pas
qu'on les laisse tomber. Au Québec, on veut pousser les jeunes à raccrocher, à
aller au bout de leurs rêves, mais il faut laisser les jeunes apprendre à leur
rythme. On a ce devoir, comme société, les amener, de leur donner des
ressources.
Valérie, tout à l'heure, me disait que,
l'an dernier, elle était dans une classe langage, puis en une année, elle avait
rattrapé deux ans. C'était quelque chose qui était adapté à ses difficultés,
mais aussi à son désir de progresser. Avec des ressources, avec un enseignant
ou une enseignante qui était dédiée, ça fonctionnait. Puis, parce qu'elle a eu
15 ans, on lui a tiré ça puis on l'a envoyée de force vers un programme qui est
inadapté.
Donc, j'interpelle aujourd'hui le ministre.
Il doit faire appliquer le régime pédagogique, c'est-à-dire de laisser aux
jeunes et aux parents un vrai choix. Il doit aider les jeunes à développer leur
plein potentiel et garantir, pas par des statistiques, pas par des grandes
annonces, garantir, dans les faits, par des gestes concrets, que les ressources
professionnelles sont là pour aider chaque jeune à aller au bout de ses rêves.
C'est quelque chose qu'on veut faire dans
la formation politique. Quand on parle de l'école jusqu'à 18 ans ou diplomation,
c'est ça que ça veut dire. On ne laisse pas tomber un jeune parce qu'il a 15
ans, on ne laisse pas tomber un jeune parce qu'il a 16 ans et que l'école
serait obligatoire jusqu'à 16 ans. On les accompagne au bout de leur rêve, même
jusqu'à 18 ans, sans les laisser tomber pour une question de manque de
ressources hypothétiques ou pour une question d'âge. C'est notre devoir comme société.
J'espère que le ministre Proulx a entendu
ce message-là, qu'il va envoyer une directive claire à toutes les commissions
scolaires de respecter le résultat pédagogique et de ne forcer personne à aller
en formation préparatoire au travail sans leur donner un réel choix puis une vraie
alternative.
La Modératrice
: Merci
beaucoup. On va passer à la période de questions. Pascal Poinlane, Radio-Canada.
M. Poinlane (Pascal) :
Bonjour. M. Roberge, vous avez visiblement trouvé des familles, des cas où c'est
une aberration, comme vous l'avez dit, mais est-ce que ce programme-là n'a pas
certaines vertus pour des élèves qui ont beaucoup de difficulté en
apprentissage et qui n'iraient nulle part, qui ne veulent pas aller à l'école?
Il y a un volet pratique, ça peut les raccrocher. Donc, ce n'est peut-être pas
le cas des élèves ici, mais est-ce que ça ne sert pas à quelque chose quand
même pour beaucoup d'élèves en ce moment, cette formation-là?
M. Roberge : Je pense que le
programme de formation préparatoire au travail a sa raison d'être. Je pense
qu'il y a des jeunes, comme vous l'avez dit, qui peuvent le choisir en toute connaissance
de cause, parce qu'ils ne veulent plus faire les apprentissages dans les
matières académiques de base, parce qu'ils ne veulent pas passer encore de nombreuses
années sur des bancs d'école pour décrocher un diplôme, soit le D.E.P., soit le
D.E.S.. Je ne le nie pas. Je ne le nie pas, mais, pour avoir parlé à ces
gens-là, je vois que j'ai ici quelques jeunes, mais qui sont représentatifs de
milliers d'autres qui n'ont pas fait le choix dans la formation préparatoire au
travail, puis il est là le drame.
M. Poinlane (Pascal) : Vous
pensez que ce sont des milliers d'enfants, de jeunes concernés qui ne veulent
pas y aller?
M. Roberge : Oui. Je pense que
beaucoup, beaucoup, beaucoup, de jeunes ne veulent pas y aller. Pour parler à
ces jeunes-là, on voyait que, dans leur classe, c'était assez généralisé. Et je
pense que beaucoup de parents aussi se font placer devant un état de fait. On
leur dit : l'an prochain, votre jeune sera en formation préparatoire au
travail. On ne leur donne pas l'option en disant : Bien, l'an prochain,
ils vont continuer dans une classe de difficulté d'apprentissage ou de langage
avec des ressources pour l'amener... c'est peut-être en une année ou en deux années
de plus jusqu'au diplôme, ou alors il peut s'inscrire en formation préparatoire
au travail. Ce choix-là ne leur est pas donné, ni aux parents ni aux jeunes. On
leur annonce comme un état de fait, et c'est une erreur très, très grave. C'est
carrément nier le droit à l'éducation.
M. Poinlane (Pascal) : J'aimerais
peut-être entendre Mme Fournier. Merci, M. Roberge, mais vous, Mme Fournier, justement,
là-dessus... parce que vous avez opposé votre refus. Vous n'étiez pas d'accord.
Alors, vous avez évoqué ça à la commission scolaire et vous êtes au courant des
règles, visiblement. Alors, si c'est... le régime pédagogique prévoit que vous
pouvez choisir. Quand vous leur dites ça, à la commission scolaire, ils
n'auraient pas le choix que d'acquiescer à votre demande?
Mme Fournier (Valérie) :
Effectivement. J'ai même rencontré le président de la commission scolaire à
plusieurs reprises, qui m'a dit qu'il reviendrait pour voir s'il pouvait me
donner plus d'aide pour aider Anne-Marie à ce qu'elle puisse poursuivre le
volet académique. Mais je n'ai pas eu de nouvelles, je n'ai pas eu de suite à
ça.
Donc, oui, on est au courant, oui, j'ai
refusé qu'Anne-Marie se place dans un centre de formation en entreprise, sauf
que je n'ai eu aucune autre alternative. C'était soit le centre de formation en
entreprise ou soit je gardais Anne-Marie chez moi.
M. Poinlane (Pascal) :
Carrément. O.K. Donc là, on en est où, vu que vous avez refusé, mais...
Mme Fournier (Valérie) :
Bien, Anne-Marie est au centre de formation en entreprise, au CFER de la commission
scolaire des Navigateurs cette année, comme je disais tantôt, et elle a un
professeur qui vient à la maison gratuitement pour lui donner son aide lors des
journées pédagogiques pour combler le 150 heures de matière académique qu'elle
a en moins cette année, pour éviter qu'elle perde tous ses acquis.
M. Poinlane (Pascal) : Comme
mère, ça ne doit pas être des moments faciles à vivre. Je sais que c'est une
bataille que vous menez, mais ça vous prend des ressources personnelles
énormes, là.
Mme Fournier (Valérie) : Oui,
ça nous prend des ressources, puis l'an passé, lorsqu'Anne-Marie était en
classe langage, elle les avait, ces ressources-là, et elle avait avancé d'au
moins deux ans. Donc, c'est pour ça qu'on avait demandé à ce qu'elle puisse
poursuivre ses études en classe langage avec tous les spécialistes et tous les
outils qu'elle avait besoin. Sauf que là, cette année, bien, elle n'a plus rien
de ça.
M. Poinlane (Pascal) : Merci
beaucoup. Bon courage.
Mme Fournier (Valérie) :
Merci.
La Modératrice
: Merci
à tout le monde, merci beaucoup. Ah! Peut-être que Jean-François...
M. Roberge : Moi, je peux
ajouter quelque chose. Juste pour le redire une dernière fois, ces jeunes-là ont
des rêves. Je pense à Valérie qui veut obtenir... excusez-moi, Anne-Marie, je mélange
Valérie... à Anne-Marie qui veut décrocher son diplôme d'études secondaires. On
a un jeune homme derrière moi qui veut être programmeur informatique, faire des
jeux vidéos. On a ici un jeune qui a l'esprit d'entrepreneurship, ça lui coule
dans les veines, et je pense qu'il peut faire de grandes choses. Et puis j'ai
quelqu'un ici qui a de l'artiste dans l'âme, qui veut devenir luthier.
C'est tous des jeunes qui ont des talents
incroyables, qui veulent continuer, que ce n'est pas des décrocheurs, ce n'est
pas des jeunes qui sont tannés de l'école, c'est des jeunes qui demandent tout
simplement à ce qu'on les aide.
La Modératrice
: Merci
beaucoup.
(Fin à 11 h 23)