(Seize heures six minutes)
Mme Massé : Alors,
bonjour, tout le monde. Merci d'être là. En fait, on est très fiers, à Québec
solidaire, d'avoir invité deux de nos amies catalanes. Vous savez, ces deux
ex-députées, c'est-à-dire Anna Gabriel et Eulàlia Reguant, ont été démises de
leurs fonctions à la fin du mois de septembre dernier par le gouvernement
central de l'Espagne lorsqu'il a démis l'ensemble du Parlement catalan. Et, à Québec
solidaire, si nous les avons invitées à venir ici, au Parlement, c'est que, la
semaine dernière, nous avions fait la demande au premier ministre ainsi qu'à la
ministre des Relations internationales, Mme St-Pierre, de les rencontrer,
de les rencontrer pour les entendre, parce que ce que ces femmes ont à nous
parler, c'est surtout de ce qu'elles ont vécu comme déni de démocratie. Et donc
aujourd'hui on voulait leur offrir la possibilité de rencontrer le premier
ministre de ma nation, M. Philippe Couillard, qui s'est désisté, et Mme St-Pierre,
qui, elle, n'était pas présente.
Alors, bref, elles n'ont pas eu cette
opportunité-là, mais elles ont rencontré le caucus du Parti québécois, la chef
du Bloc québécois ainsi que le président de l'Assemblée nationale, qui est
aussi, je vous le rappelle, président de l'assemblée des parlementaires de la
francophonie, qui avait déjà, par le passé, pris une position d'appui à la démocratie
en Catalogne, en Espagne.
Alors, cet après-midi, vous sentez, vous
voyez, j'ai une grande déception. Je vais laisser mes collègues catalanes vous
exprimer... et ensuite mon collègue Gabriel Nadeau-Dubois terminera cette
présentation. Anna Gabriel.
Mme Gabriel (Anna) : Oui,
merci, Manon. Merci, tout le monde. Et surtout merci, toutes les personnes,
tous les partis, tous les syndicats, toutes les associations qui, pendant six
jours, nous ont accueillies. D'abord, il faut remercier très chaleureusement
pas seulement qu'on nous ait accueilli, mais aussi l'intérêt qu'ils nous ont
démontré, beaucoup de personnes, à savoir un peu plus sur la situation qu'on
vit en ce moment dans la Catalogne.
Aujourd'hui a été aussi un jour intensif au
niveau de rencontres, peut-être pas au niveau qu'on aurait désiré avoir, mais, quand
même, on peut constater qu'avec les personnes qu'on rencontre, ils s'inquiètent
aussi de la situation qu'il y a en ce moment, là, par rapport à la démocratie
en Catalogne et à l'État espagnol.
On veut clarifier que nous, on est là pour
faire des activités partisanes, c'est-à-dire on ne vient pas défendre nos
options au niveau de partis politiques, au niveau organique. À ce moment-là,
nous, on est beaucoup plus inquiétées à exprimer qu'est-ce qui se passe en
Catalogne du point de vue de droits civils et politiques, c'est-à-dire du point
de vue de la démocratie. Même si nous, on appartient à une formation politique
clairement indépendantiste, pour nous, le souci principal, à ce moment-là, c'est
que la démocratie en Catalogne n'est pas garantie, même si aujourd'hui on a
commencé une campagne électorale qui va se dérouler dans une situation
absolument exceptionnelle, avec des anciens ministres en prison et d'autres
encore en Belgique.
C'est pour ça qu'on veut clarifier un peu à
M. le premier ministre que nous, on n'allait essayer de le convaincre de nos
positions politiques, sinon partager avec un représentant du gouvernement du
Québec de quelle est la situation parce qu'on croit que n'importe quelle
personne qui défend la démocratie peut être intéressée à connaître la situation
d'un pays qui, en ce moment, ne l'a pas garantie. C'est pour ça que, bon, on va
rester à attendre. Si jamais quelqu'un d'autre veut nous écouter, bien, on sera
ravies de rentrer à Québec et de pouvoir expliquer. Même, on attend de célébrer
que la situation d'exceptionnalité soit finie. Mais, si ce n'est pas comme ça,
on attend de pouvoir venir à nouveau pour expliquer comment se passe
l'actualité en Catalogne.
M. Nadeau-Dubois : Merci,
Anna. Écoutez, je suis très, très déçu, Québec solidaire est très déçu de
l'absence de sensibilité du premier ministre du Québec à l'égard de la
situation en Catalogne. M. Couillard avait aujourd'hui une occasion, celle
d'entendre, de la part de deux députées, de deux parlementaires, de vive voix
un témoignage de ce qui se passe en Catalogne. Ces deux députées n'étaient pas
ici pour lui parler de l'indépendance, elles étaient ici pour lui parler de
démocratie et de respect des droits humains. Que M. Couillard et la
ministre St-Pierre n'aient même pas daigné les rencontrer, c'est profondément décevant
et je dirais même plus c'est inquiétant en ce qui a trait à leur intérêt pour
la question de la démocratie, pour la question du respect des droits politiques
et des droits humains. Québec solidaire, donc, déplore cette situation-là et
espère — et espère — que le gouvernement du Québec va se
réveiller et va réaliser que ce qui se passe actuellement en Catalogne, ça ne
concerne pas seulement les indépendantistes, ça concerne tous les démocrates.
Merci beaucoup.
Le Modérateur
: Des
questions? Oui.
Mme Lévesque (Catherine) :
Bon, bien, ça va être un «one-on-one». En fait, je voulais parler peut-être aux
députées, d'abord, là, catalanes. C'est ça, vous dites que vous n'étiez pas ici
pour convaincre le premier ministre Couillard de la nécessité de faire
l'indépendance, là, en Catalogne. Mais vous devez quand même être déçues, là,
un peu comme vos camarades de Québec solidaire, du refus de M. Couillard,
là, du premier ministre de vous rencontrer. Comment est-ce que vous avez réagi?
Mme Reguant (Eulàlia) : Effectivement,
nous sommes déçues. Ce qu'il a dit, c'était que nous sommes en campagne
électorale et que, pourtant, le gouvernement du Québec ne vient pas entrer dans
ces… Pour nous, c'est pour ça qu'on disait : Nous sommes ici pour parler
de la vulnération de droits ou même de droits civils et politiques à la
Catalogne, pour expliquer, pour exprimer à tout le monde que la situation qu'on
vit… Il y a les images le 1er octobre, mais il y a beaucoup plus de
choses. Il y a une répression aux professeurs, aux journalistes et d'autres
personnes, qui ont peur maintenant. Et c'est important de l'exprimer à tout le monde,
pour que… Parce que si ça, c'est en train de passer au coeur de l'Europe, ça
peut être un problème plus grand pour tout le monde.
C'est pour ça que c'est important d'en
parler. On ne venait pas ici parler des élections ou de la campagne électorale
que notre parti politique a commencée aujourd'hui, on venait parler des
élections qui auront lieu dans deux semaines dans une situation complètement
bizarre, avec des ministres en prison, avec des ministres en Belgique, avec des
choses interdites à dire, avec des couleurs interdites à utiliser. Ça ne peut
pas être des élections normales. Ce sont des élections sans garantie
démocratique. Et, si le président… ou le premier ministre du Québec, il ne veut
pas l'entendre… On espère qu'après les… pendant décembre, il peut voir
qu'est-ce qu'il passe. Et, s'ils veulent, après le 21 décembre, de parler
avec nous ou avec quelconque des élus de la Catalogne, on viendra et on parlera
avec eux, évidemment.
Mme Lévesque (Catherine) :
Est-ce que vous pouvez juste décrire, en fait, aux Québécois, là, à la caméra,
c'est quoi, l'ambiance, actuellement, dans les rues de Barcelone, là? Quelle
est l'ambiance? Comment est-ce que vous pouvez décrire, là, l'ambiance
politique, actuellement?
Mme Gabriel (Anna) :
C'est assez complexe parce que la Catalogne est très grande et ce n'est pas que
Barcelone. Et c'est complexe, je veux dire, parce que l'actualité et les
événements ne se déroulent pas qu'en Catalogne. Les ministres qu'on a en
prison, ils sont en prison à Madrid, déjà, à plus de 600 kilomètres de
leurs familles. On a une partie de l'ancien gouvernement, avec le président en
tête, qui est aussi dans une espèce d'exil politique. Ça, ce n'est pas la... ça
imprègne aussi la situation dans les rues en Catalogne. On a essayé de visibiliser
la solidarité avec les prisonniers politiques et avec les gens qui étaient à
l'extérieur avec le jaune. C'est pour ça qu'Eulàlia, elle disait : En ce
moment, on a des couleurs interdites. C'est vrai que le jaune, comme couleur
qui symbolisait cette solidarité, que les personnes posaient sur leurs
t-shirts, est interdit. On a interdit qu'il y ait des affiches sur les mairies,
par exemple, sur les façades des immeubles. On a interdit... On est en train de
vérifier si on nous a interdit à nous le spot électoral à la télévision, parce
qu'ils continuent... ils faisaient référence à la solidarité avec des
prisonniers politiques. On veut parler de ça.
On peut parler aussi de ces directeurs de
lycée, de ces professeurs d'école qui sont menacés d'être portés devant le
juge, accusés de délits d'instigation, d'inspiration à la haine parce qu'ils
ont parlé à ces élèves de la situation qu'on avait dans notre pays parce qu'on
a aussi des journalistes qui sont menacés, qui sont dénoncés, parce qu'il y a
trop de menaces de prison sur trop de personnes, sur des centaines de maires,
sur des journalistes, sur l'informatique, sur des travailleurs de
l'administration.
Donc, la répression est capillarisée. Elle
est arrivée à tellement de secteurs, tellement de personnes qu'on ne peut pas
dire qu'on a une quotidienneté normale. On a une quotidienneté où il y a la
peur, où il y a les prohibitions permanentes. Et le risque, c'est qu'on
commence nous-mêmes à laisser de dire certaines choses pour que... c'est normal
parce que peut-être qu'on a peur, nous aussi, de rentrer en prison. Donc, comme
on vient d'un pays où, il n'y a pas longtemps, il y avait une dictature
fasciste, on ne sait pas très bien comment se déroule la répression et jusqu'où
elle peut arriver. C'est pour ça que nous, on met l'accent sur ça. On sait très
bien ce que c'est, une dictature. On sait très bien ce que c'est quand il n'y a
pas la démocratie. Et on croit que les pays, les États qui se disent qu'ils
défendent les valeurs démocratiques, c'est normal qu'ils s'inquiètent devant la
vulnération de ce droit et de ces valeurs démocratiques. Et nous, bien sûr, on
va aller là où on nous invite. On est très remerciées quand il y a quelqu'un
qui s'intéresse dans notre situation. Mais, comme Eulàlia disait, ce n'est pas
que nous, on pense que le conflit en Catalogne est le plus important du
monde — il y en a plein, malheureusement, de conflits autour du
monde — mais c'est vrai que, si, au coeur de l'Europe, au coeur de
l'Union européenne, on permet ce système de vulnération de droits civils,
politiques, on peut imaginer ce qui va se passer dans d'autres parties du
monde. C'est pour ça que nous, on croit que c'est un litige stratégique du point
de vue de la démocratie puis que de plus en plus il y a deux côtés. Il faut se
positionner et il faut choisir : ou bien tu es du côté du parti populaire
ou bien tu es du côté des indépendantistes et pas du tout du côté de la défense
de la démocratie.
Mme Lévesque (Catherine) :
Bon, on a su aujourd'hui que le mandat d'arrêt européen avait été abandonné,
finalement. Est-ce que ça vous rassure quand même, cette nouvelle-là? Je
comprends que le mandat d'arrêt espagnol est encore là, mais, tu sais, c'est
quoi que ça fait concrètement?
Mme Gabriel (Anna) : Dès
qu'ils arrivent en territoire catalan ou espagnol, ils peuvent être détenus et
peuvent être emprisonnés, donc ça est là. Mais on imagine que, d'abord, la Cour
suprême espagnole a décidé d'être un peu protagoniste pendant la campagne, et
ils nous régalent à chaque jour une nouvelle. Mais puis après surtout, et en
terrain plus sérieux, on croit qu'ils craignaient beaucoup d'avoir une décision
du juge belge qui niait l'extradition en soutenant la décision du point de vue
de vulnération de droits humains et même démocratiques. Donc, on croit que ce n'est
pas une décision gratuite, c'est qu'ils n'étaient pas disposés à avoir un
miroir devant eux dans le système judiciaire européen qui disait : On
n'autorise pas l'extradition. Mais il faut continuer à être inquiétés parce que,
sur ces personnes, l'ordre de détention sur le territoire espagnol continue en
étant là.
Mme Lévesque (Catherine) :
Puis est-ce que vous pouvez, mesdames, parler de votre situation particulière?
Parce que je pense que, les deux, là, vous êtes accusées de rébellion, si je...
Non, pas vous? D'accord.
Mme Gabriel (Anna) : Pas
pour l'instant.
Mme Reguant (Eulàlia) :
Pas pour l'instant. On ne sait pas qu'est-ce qu'il va passer.
Mme Lévesque (Catherine) :
Bien, disons, bien, certains de vos collègues, là, sont accusés de rébellion et
pourraient faire face à 30 ans de prison. Est-ce que je me trompe?
Mme Gabriel (Anna) : Pour
l'instant, les personnes accusées sont des membres du gouvernement. Nous, on
n'était pas au gouvernement, on faisait du soutien aux parlementaires, au
gouvernement, mais on ne faisait pas partie, et aussi les deux responsables, le
président des associations civiles souverainistes. Donc, il y a ici une pièce,
dans un autre tribunal, qui menace le chef de la police catalane et une autre
police au-dessus de lui, ça, au niveau des cours espagnoles. Puis il y a
plusieurs processus en marche dans des tribunaux en Catalogne par rapport à ce
qu'on disait, journalistes, travailleurs, etc.
Mme Massé : Et il y a la
présidente de l'Assemblée nationale.
Mme Gabriel (Anna) :
Bien sûr, bien sûr. J'avais... oui.
Mme Massé : La présidente
de l'Assemblée nationale, qui elle a été interpelée et que, finalement, on l'a
laissée sortir sous caution, mais 250 000 €, c'est une grosse caution
pour une présidente élue qui assume le rôle de présidence de l'Assemblée. Voilà
un autre exemple de répression.
Mme Lévesque (Catherine) :
Puis, finalement, je pense que ça fait une semaine environ, là, que vous êtes
au Québec. Qu'est-ce que vous avez retenu de votre voyage ici, là, au final, en
rencontrant divers partis politiques indépendantistes?
Mme Massé : C'est l'heure
des bilans, mesdames.
Mme Gabriel (Anna) : Je
crois qu'ici, au Québec, c'est facile à comprendre ce que c'est, un référendum,
même si tu es du côté de personnes qui ont voté pour le oui ou pour le non.
Mais, quand il faut que tu expliques que tu as été blessée par la police parce
que tu défendais le droit à voter, quand on explique que ces délits de
rébellion s'expliquent à partir de ça, de la négative de l'État à accorder un
référendum et pourtant être le gouvernement de la Catalogne qui l'a permis, je
crois qu'ici, on puisse comprendre très bien où on se trouve. Est-ce que nous,
on se trouve dans une situation où avec le maximum de liberté, on peut exprimer
les opinions? Mais on peut voir que non. Et on dit : Nous, on défend la
démocratie même si notre option perd. Imaginez-vous ça pour un indépendantiste
de dire ça. Ce qu'on trouve, c'est que les gens qui ne sont pas pour
l'indépendance, curieusement, c'est eux qui nient la possibilité qu'il y ait
des urnes pour que les gens puissent s'exprimer. Et je trouve que ça ici, au Québec,
c'est spécialement facile, disons, que ça puisse...
Mme Lévesque (Catherine) :
Ils sont plus sensibles à ça.
Mme Gabriel (Anna) : ...comprendre
très, très vite. Oui.
(Fin à 16 h 23)