(Onze heures vingt et une minutes)
M. Nadeau-Dubois :
Bonjour, tout le monde. J'ai senti un réel malaise de la part du premier
ministre quand il est venu le temps de répondre à ma question. D'abord, un
malaise sur le rôle qu'a joué Philippe Couillard… en fait, Lucien Bouchard dans
les négociations de la fameuse entente avec les médecins spécialistes. Ma question
était pourtant simple, je lui demandais s'il trouvait ça normal qu'un ancien premier
ministre utilise le pouvoir d'influence qu'il a reçu de cette fonction-là pour
signer une entente qui dessert aussi clairement les intérêts publics au Québec,
et ça n'a pas eu l'air de le déranger du tout. J'en conclus qu'il trouve ça
normal.
J'ai senti ensuite le même malaise quand j'ai
fait un parallèle entre sa situation et la situation de M. Bouchard. Parce
que tout le monde se rappelle que M. Couillard, en 2008, avait lui aussi
utilisé sa charge publique pour favoriser des intérêts privés. Et, à cette
question-là non plus, je n'ai pas eu de réponse. J'en conclus qu'il a trouvé ça
tout à fait normal, la manière dont il a procédé à l'époque.
Pour Québec solidaire, ce n'est pas
normal. Pour Québec solidaire, ce n'est pas acceptable que des premiers
ministres ou des ministres importants utilisent leur charge publique pour
desservir le bien commun. Quand on occupe une fonction aussi honorable puis
aussi importante que celle de premier ministre du Québec, ça nous donne un
devoir moral. Et ce devoir moral là, il ne s'évanouit pas le jour où on quitte ses
fonctions. On garde un devoir moral de ne pas desservir le bien commun. Et,
selon nous, quand M. Bouchard a négocié cette entente-là en se servant de
son pouvoir d'influence d'ancien premier ministre, il a contrevenu à ce devoir
qu'il avait à titre d'ancien premier ministre du Québec. De la même manière, M. Couillard,
à l'époque, lorsqu'il a fait la transition du public vers le privé, a négocié
ses propres conditions de travail alors qu'il avait encore une charge publique.
Et d'ailleurs le code d'éthique qui a été adopté depuis ces événements-là
contient une clause qu'on a surnommée la «clause Couillard», qui vise justement
à proscrire ce genre de comportement là. C'est dire à quel point c'est des
comportements qui, éthiquement, sont discutables.
M. Dion (Mathieu) :
Êtes-vous en train de dire qu'ils ne devraient constamment négocier que pour le
secteur privé puis ne plus jamais toucher à ce qui touche le gouvernement?
M. Nadeau-Dubois : Les
anciens premiers ministres ont, bien sûr, le droit de gagner leur vie. S'ils
sont avocats, ils ont le droit de choisir leurs clients. Mais, moralement,
quand on défend de manière aussi directe des intérêts particuliers, des intérêts
privés d'un groupe d'ailleurs déjà très favorisé au sein de la société québécoise
contre les pouvoirs publics, ça pose une question d'éthique, ça pose une question
morale profonde.
M. Robitaille (Antoine) :
En même temps, il défend un syndicat. Vous, les syndicats, vous êtes pour. Pourquoi…
Si jamais M. Bouchard avait négocié pour la CSN ou pour un autre syndicat,
ça serait correct puis là ce n'est pas correct parce que c'est les médecins
spécialistes? Je ne comprends pas votre logique.
M. Nadeau-Dubois : Non, je
parle du devoir moral qui échoit à quelqu'un qui occupe une fonction aussi
importante que ça, c'est-à-dire premier ministre du Québec. Ce n'est pas banal,
ce n'est pas anodin. Ils ne sont pas 25 000, les anciens premiers
ministres du Québec, là. C'est des fonctions très importantes, ça donne un pouvoir
d'influence puis une autorité morale qu'on ne peut pas nier. Je pense qu'on ne
peut pas nier ça, et...
M. Robitaille (Antoine) :
Mais, s'il y avait une négo, mettons, dans la fonction publique, dans le
secteur public puis qu'un des anciens premiers ministres, avocat, décidait
d'aider le front commun, est-ce que ce serait inacceptable aussi?
M. Nadeau-Dubois : Moi, je
pense qu'il y a un devoir de favoriser le bien commun puis les intérêts
publics.
M. Robitaille (Antoine) :
Mais répondez à la question.
M. Nadeau-Dubois : Bien,
en effet, il y a un problème encore plus grave quand le groupe que l'on défend
en question, c'est un des groupes les plus favorisés de la société québécoise.
Quand on va défendre la veuve et l'orphelin, c'est une chose. Si M. Bouchard
était avocat pour des groupes communautaires ou pour des gens démunis, bien sûr
qu'on n'aurait pas la même réaction parce que ce n'est pas la même chose.
M. Robitaille (Antoine) :
Et les fonctionnaires de l'État, mettons?
M. Nadeau-Dubois : Ce
n'est pas la même chose défendre des gens qui sont précaires, des gens qui sont
des oubliés et défendre les gens les plus puissants du Québec, l'élite la plus
favorisée au Québec. Et je pense que de dire que c'est la même chose, ce serait
faire preuve d'un relativisme qui est de bas étage, parce que ce n'est pas la
même chose.
M. Dion (Mathieu) :
Supposons qu'il négociait pour les infirmières, est-ce que ce serait correct?
M. Nadeau-Dubois : Comme
je le dis, quand on négocie pour le groupe le plus favorisé, ça pose un problème
encore plus grave. Non, ce n'est pas la même chose, donc ce n'est pas la même
chose.
M. Robitaille (Antoine) :
Donc, ça dépend du groupe. Ça dépend du groupe.
M. Nadeau-Dubois : Il y a
une différence. Il y a une différence, oui, entre défendre les membres des
gens... les membres de l'élite, les gens les plus favorisés et défendre des
gens qui ne sont pas des membres de l'élite. Et, si on ne fait pas cette
différence-là, on fait du relativisme.
M. Robitaille (Antoine) :
Si c'étaient les fonctionnaires de l'État... Où est-ce que vous tracez la
ligne, là? Si c'étaient les fonctionnaires de l'État, est-ce que c'est des gens
défavorisés?
M. Nadeau-Dubois : On ne
va pas... Je pense que ce serait inutile aujourd'hui de faire toute la liste
des cas où ce serait acceptable puis toute la liste des cas où ce ne serait pas
acceptable. Moi, la réponse que je vous donne, c'est que, quand on défend des
gens qui sont déjà parmi les plus privilégiés, il y a un problème encore plus
grave que quand on défend des gens qui sont marginalisés ou des gens... quand
on défend la veuve et l'orphelin, ce n'est pas la même chose. Même chose quand
M. Bouchard a défendu l'Association pétrolière et gazière du Québec. Ce
n'est pas anodin qu'on choisisse de défendre les plus puissants, c'est un
choix.
M. Cormier (François) :
Que savez-vous sur le rôle de M. Bouchard dans ces négociations en ce
sens?
M. Nadeau-Dubois : Ce
qu'on nous dit, c'est qu'il était le négociateur en chef de cette entente-là.
M. Cormier (François) :
C'est peut-être lui qui leur a dit de mettre de l'eau dans leur vin. Est-ce
qu'on sait vraiment?
M. Nadeau-Dubois : Bien,
dans ce cas-là, qu'il nous informe que c'est ça qu'il a fait. Moi, je n'ai
aucune raison de croire que M. Bouchard est en désaccord avec...
M. Cormier (François) :
Vous dénoncez son rôle, mais vous ne savez pas ce qu'il a fait.
M. Nadeau-Dubois : Moi,
je n'ai aucune raison de croire que M. Bouchard est en désaccord avec
l'entente qu'il a signée. Moi, je prends pour acquis qu'il a signé une entente,
une entente qui indigne tout le Québec et qu'il est d'accord avec cette
entente-là. S'il n'est pas d'accord avec l'entente, qu'il nous le dise, mais
moi, je prends pour acquis qu'il a signé une entente qui est, aujourd'hui,
rejetée, jusqu'à preuve du contraire, par une très grande majorité de la population
québécoise et qu'il l'a fait à titre d'ancien premier ministre du Québec. Ce
n'est pas anodin, ça, ça n'arrive pas tous les jours.
M. Lecavalier (Charles) :
Bien, juste pour être bien certain de comprendre, ça ne vous dérangerait pas si
M. Bouchard négociait pour les infirmières?
M. Nadeau-Dubois : M. Bouchard,
dans les faits, n'a jamais négocié, ni pour les infirmières, ni pour les
personnes à l'aide sociale, ni pour droits de Ristigouche, la petite municipalité
qui se fait attaquer par une grande entreprise pétrolière. À ma connaissance,
les cas qu'a choisis M. Bouchard dans les dernières années, c'est les cas
semblables à ceux-là, on peut penser, donc, à l'Association pétrolière et
gazière, et là, dans ce cas-ci, les médecins spécialistes. Ça fait que, là, là,
on ne fera pas de la politique-fiction, là. Dans les faits, cet ancien premier
ministre a décidé de se mettre au service... d'être le représentant d'une des
castes sociales les plus privilégiées au Québec. Ça, c'est un fait. Le reste, c'est
de la fiction. Puis je ne me mettrai pas à éternellement dire, s'il avait
défendu les profs de primaire ou les profs de cégep, lequel aurait été pire ou
moins pire, là. M. Bouchard fait des choix à titre d'ancien premier
ministre. Nous, on ne trouve pas ça normal. On trouve que ça pose des questions
morales profondes. J'ai posé une question au premier ministre aujourd'hui, je
lui ai demandé lui qu'est-ce qu'il en pensait, puis il ne m'a pas répondu.
M. Lachance (Nicolas) :
Une question sur Hockey Canada, qui a demandé à l'annonceur maison à
PyeongChang d'angliciser les noms francophones. Qu'est-ce que vous pensez de
ça?
M. Nadeau-Dubois : Bien,
c'est un manque de respect. Puis j'ai été content de voir que le gouvernement
du Québec l'a interprété de la même manière. Hockey Canada semble l'avoir pratiquement
reconnu ou en tout cas à demi-mot. Donc, c'était un manque de respect parce
qu'à ma connaissance, là, les organisations de hockey amateur et professionnel
fonctionnent toujours de la même manière. On demande au joueur comment on veut
qu'on prononce son nom et on le prononce de cette manière-là. En tout cas, au
Canadien de Montréal, ça a toujours fonctionné comme ça. Ça fait qu'a fortiori,
dans une équipe qui représente un pays, ça serait la moindre des choses que de
prononcer le nom de la manière dont la personne veut qu'il soit prononcé. Puis
de donner une directive comme ça, du haut vers le bas, en disant : Ça va
toutes être des prononciations anglophones, c'est un manque de respect, bien
sûr, pour le français, mais aussi pour les joueurs.
M. Cormier (François) :
Sur les ratios, vous vous positionnez comment, les ratios pour les infirmières?
M. Nadeau-Dubois : Nous,
on est en faveur d'une loi qui viendrait fixer des ratios d'infirmières.
M. Cormier (François) :
Est-ce que vous avez un nombre en tête, vous?
M. Nadeau-Dubois : Non, on
n'est pas rendus là. Sinon, il faudrait peut-être poser des questions à mon
collègue Amir, mais, nous, sur le principe de dire : Il faut mettre un
plancher, là, pour éviter des situations de surcharge épouvantable, on est
pour, puis c'est ce qu'on nous dit à la Fédération des infirmières quand on
nous l'a demandé. Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 29)