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Point de presse de Mme Catherine Dorion, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de culture, de communications et de langue française

Version finale

Le mercredi 2 octobre 2019, 15 h 07

Salle Bernard-Lalonde (1.131), hôtel du Parlement

(Quinze heures sept minutes)

Mme Dorion : Bonjour, tout le monde. Je voulais réagir à l'annonce du 55 millions pour soutenir les médias écrits. On est heureux de voir qu'il va y avoir une aide immédiate aux médias écrits. Ça va sûrement faciliter la survie, la vente, l'avenir du Groupe Capitales Médias. Ce qu'on a entendu des ministres, c'est que, bon, ils ont écouté la commission puis ils ont vu que le crédit d'impôt sur la masse salariale, c'était quelque chose qui était avancé par à peu près tous les intervenants. Donc, effectivement il y a un consensus. Cependant, il y a un autre consensus, et qui était aussi fort, sinon plus fort que celui-là, c'était qu'il fallait, le plus vite possible, trouver une solution au fait que les GAFAM, donc les grandes entreprises numériques de la Silicon Valley qui sont à l'origine de la crise ne paient absolument rien, ne fourniront rien, qu'on ne travaille pas déjà à chercher comment les imposer, comment imposer leur chiffre d'affaires, etc. Comment est-ce qu'on les fait contribuer? Ça, c'est une affaire qui est pressante, pas juste au Québec, pas juste dans la commission, dans les auditions qu'on a eues, mais partout dans le monde en ce moment. Donc, est-ce que le gouvernement va être à la traîne là-dessus comme il l'est jusqu'à maintenant, encore longtemps? Ou est-ce qu'il va finalement jouer son rôle de leader là-dedans?

Après ça, il y a une question de : On va donner pendant quelques années encore de l'argent pour la transition numérique. Là, là, il y a quelque chose de... Moi, j'ai l'impression, d'après ce que j'entends, que le gouvernement ne comprend pas très bien la révolution numérique dans laquelle on se trouve puis l'effet que ça va avoir sur l'industrie des médias, mais sur plusieurs industries. En ce moment, les algorithmes des sites comme Facebook sont en train de développer, de faire en sorte qu'on ne sort plus de leur site. Ça fait que, quand on s'en va sur leur site, les articles de Radio-Canada qui vont être partagés, ils n'auront presque pas de «reach», pardonnez-moi l'expression, alors que les articles partagés à l'intérieur de Facebook via l'article de Facebook va avoir beaucoup de résonnance. Donc, là, il y a des médias qui venaient nous dire en audition : 70 % de notre trafic sur notre site vient de Facebook. Ça, là, les jours de ça sont comptés. Ça va descendre à 60 %, à 50 %, à 20 %, à 10 % à zéro. C'est le plan des GAFAM, c'est le plan d'Apple. Par exemple, on a vu qu'Apple a sorti Apple News. Ces grandes compagnies numériques là de la Silicon Valley vont être les médias de demain. Pour l'instant, c'est des plateformes. Là, ils vont se transformer en médias, et c'est eux qui vont engager directement les journalistes sur le terrain.

Qu'est-ce qu'on fait face à ça? Est-ce qu'on veut que cette industrie extrêmement importante pour la démocratie québécoise s'en aille toute à travers Facebook? En plus, on donne de l'argent pour la transition numérique, tous les médias vont se faire un beau petit site super le fun pour que plus personne n'y aille dans quelques années. Ça, c'est comme si le gouvernement n'y pensait pas. Il est tout le temps à la remorque d'une révolution qui va extrêmement vite, mais on les a au Québec, les experts de ça. On les a, toutes les personnes qui savent exactement comment évoluent ces sites-là, qui savent exactement comment on peut faire une fiscalité juste puis leur demander de nous donner ce qui nous revient finalement, à ces grosses compagnies-là qui font de l'argent comme de l'eau. On les a, les experts au Québec. Pourquoi? Moi, j'ai demandé au début de la commission, quand on était en séance de travail, j'ai dit : Il faut absolument qu'on les entende, Puis il faut absolument aussi qu'on entende les représentants des GAFAM. C'est lié, là. On ne peut pas dire : Bien, les contribuables paieront pour les pauvres victimes que sont les médias, puis tant pis, il n'y a pas de cause, puis il n'y a pas de grosses compagnies là-dedans qui a ramassé tout l'argent qui était aux médias avant. Non, les contribuables vont être capables de payer. Pourquoi? Moi, c'est une grosse question que je me pose. J'ai l'impression que le gouvernement est comme un peu... On ne le sait pas trop. On aime mieux ne pas faire face aux grosses compagnies. Faisons ça comme ça. Mais là, c'est ça, c'est les contribuables qui vont payer. C'est notre argent public, à nous, qui va payer.

À part ça, l'autre truc super important, c'est : Est-ce que ça inclut les chroniqueurs? Autre truc en audition, tout le monde disait : On n'a plus d'argent pour faire des enquêtes, on n'a plus d'argent pour faire de la recherche, on n'a plus d'argent pour aller sur le terrain. On a besoin de ça. C'est ça qui manque. Le déluge de chroniqueurs qui est arrivé dans l'information dans les dernières décennies est une réaction au fait qu'il n'y avait plus d'argent, parce que ça fait faire du clic. Ça fait que, là, est-ce qu'on va donner 25 000 $ par année d'argent public à des chroniqueurs dont certains font énormément de cash, qu'ils n'en ont vraiment pas besoin puis qui sont ceux qui, finalement, sont un peu la vache à lait des médias en difficulté? Ça serait vraiment... Puis là, on parle beaucoup d'indépendance des médias. Est-ce qu'on veut que des faiseurs d'opinion qui jouent dans la démocratie, qui ne font pas d'enquête, pas de recherche, qui ne vont pas nécessairement sur le terrain, mais qui se mettent à dire : C'est ça qu'il faut penser, ça, est-ce que c'est vraiment l'indépendance des médias si on donne de l'argent à ces gens-là qui, pour la plupart, en font déjà beaucoup, beaucoup? Puis, entre nous, de l'opinion, là, c'est gratos. Sur Internet, il y a juste ça. Ça fait qu'est-ce qu'on a vraiment besoin de donner 25 000 $ d'argent public à chaque chroniqueur qui travaille dans un média? Moi, je pense que non et je pense qu'il faut vraiment éclaircir cette question-là. Voilà.

Mme Gamache (Valérie) : Vous ne semblez pas très encouragée par le plan qui a été présenté, quand même.

Mme Dorion : Bien, je vous avoue que ma réaction est une réaction à tout le processus qui a lieu depuis un an autour de ça. Tu sais, il y a un aveuglement volontaire, voulu de la part du gouvernement face aux GAFAM, face au mouvement de la révolution numérique dans lequel on est. C'est énorme, là, puis, tu sais, ils ne réalisent pas, ils pensent qu'ils vont sauver des entreprises en difficulté. Attention. C'est la musique, c'est le film, c'est les médias télévisuels, c'est les arts, ça va tomber un après l'autre parce qu'on n'est pas capable d'être la locomotive dans ce mouvement historique là, parce qu'on est juste à la traîne, comme ça, puis surtout parce que les gouvernements, en ce moment, n'osent pas faire face aux entreprises parmi les plus puissantes du monde entier. Si les gouvernements ne sont pas capables de faire ça, qui va le faire?

Donc, on abandonne? Plus de démocratie, pas de souveraineté culturelle, pas rien? Ce n'est pas grave? Le monde suivront? Ça ne se peut pas, là. Le gouvernement, c'est notre seul outil pour faire face à ces grosses compagnies là. Puis si on n'est pas capable de dire : Bien, écoute, tu veux remplacer les médias, bien, au moins, tu vas payer pour, tu vas mettre des... tu sais, il y a la découvrabilité aussi des contenus québécois, qui est un mot que le gouvernement ne dit pas, mais c'est central. Comment tu fais pour que, quand tu ouvres Apple News, bien, tu t'assures que ce soit des médias québécois, des articles québécois, des journalistes québécois qui sont mis en valeur puis que ces gros médias là sont obligés d'acheter aux entreprises de presse québécoises? C'est fou, les médias vont se faire remplacer à la vitesse de lumière, là.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Sur les chroniqueurs, je veux bien comprendre, vous dites qu'on a qu'à aller sur les réseaux sociaux pour avoir l'opinion gratuitement, mais qu'est-ce que vous dites aux entreprises qui embauchent, par exemple, des Michel David, des Yves Boivert, des Richard Therrien?

Mme Dorion : Il y a une définition, est-ce le conseil de presse ou la Fédération professionnelle des journalistes, je ne le sais pas, mais il y a une définition entendue dans le milieu autour de qu'est-ce qu'est un chroniqueur, et je vous dirais qu'il y a très peu de chroniqueurs qui correspondent à cette...

M. Bélair-Cirino (Marco) :Mais ceux que j'ai nommés, par exemple, est-ce que ce sont...

Mme Dorion : Je ne veux pas donner d'exemple personnel, je n'irai pas là-dedans, je ne m'en sortirai pas, mais... Non, mais il y a une définition stricte de ce que devrait être un chroniqueur, qui doit respecter les faits, une analyse approfondie, nommer l'autre position. Et on s'entend que les chroniqueurs qu'on lit le plus, qu'on a le plus dans la face, depuis quelques années, ne respectent absolument pas, même pas de proche, même pas de loin, là, cette définition-là. Donc là, ça serait...

M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais ceux qui iraient correspondre à la définition pourraient bénéficier du crédit d'impôt. Par exemple, Vincent Marissal, est-ce que c'est un bon... c'est un journaliste. Michel David, Yves Boisvert...

Mme Dorion : Honnêtement, si le gouvernement disait : Nous allons faire une étude approfondie là-dessus en consultant tous les acteurs du milieu, je dirais, ah, peut-être, ça a des chances d'être intelligent comme réponse, mais là j'ai l'impression que... En fait, on ne le sait pas, là, on parle hypothétiquement. Mais, pour l'instant, les chroniqueurs, comme ce métier-là est pratiqué en ce moment, la majorité d'entre eux, même dans les médias écrits, qui ont bien du bon sens, ne respectent pas la définition de ça.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais donc tous les chroniqueurs devraient être exclus du crédit d'impôt?

Mme Dorion : Je pense, pour l'instant, ce serait sage de faire ça puis peut-être d'aller plus loin.

M. Croteau (Martin) : Vous présentez les GAFAM comme une espèce de rouleau compresseur qui, de toute façon, va annihiler l'industrie des médias. Alors, vous, votre solution, c'est quoi?

Mme Dorion : Puisque c'est des compagnies qui sont plus puissantes que plusieurs États puissants mis ensemble, puisqu'effectivement c'est un rouleau compresseur qui va écraser pas seulement le milieu de l'information mais aussi celui de la culture, et comme on l'a vu avec le taxi, et là vider les quartiers de leurs habitants avec Airbnb, c'est majeur, O.K., puisque c'est ça, il faut absolument que nos gouvernements ne soient pas dans une posture de leur licher les bottes, sinon on est foutu. Et c'est exactement ça, la position de notre gouvernement fédéral et de notre gouvernement provincial aujourd'hui. Il faut qu'ils soient capables de nous montrer qu'ils se tiennent debout, qu'ils vont aller négocier, pousser, tirer le plus qu'il peut, exiger, faire des lois qui jouent en notre faveur, pas en la faveur de la Silicon Valley. Ce n'est pas des Québécois. C'est quoi le rapport? Pourquoi est-ce qu'on les favorise tout le temps plutôt que de favoriser notre industrie du taxi, notre industrie du journalisme, notre industrie... C'est extrêmement étrange puis, honnêtement, il faut se poser la question : Pourquoi nos gouvernements font ça?

M. Croteau (Martin) : Je ne comprends pas. De quelle manière est-ce que le plan annoncé aujourd'hui favorise les GAFAM?

Mme Dorion : Le plan annoncé aujourd'hui ne favorise pas les GAFAM. Il met... c'est comme s'il allait porter une bombonne d'oxygène à un milieu au fond de l'eau puis après le laisse avec ça. Mais il va rester au fond de l'eau puis la bombonne d'oxygène, elle va durer un certain temps. Mais ça va continuer de s'en aller. L'argent va continuer de fuir le monde des médias. Puis même si la révolution numérique... excusez... même si la transition numérique de chaque journal écrit se passe bien puis qu'ils ont un beau site sur Internet, je vous le dis, dans cinq à 10 ans, il n'y a plus personne qui va aller le fréquenter, à moins qu'on ait mis sur pied une super plateforme gouvernementale payée par des fonds publics qui présente tout ça puis qui force sur la découvrabilité du contenu québécois, à moins qu'on ait des politiques extrêmement ambitieuses.

M. Croteau (Martin) : Alors, au lieu d'annoncer ce qui a été annoncé aujourd'hui, il aurait fallu...

Mme Dorion : Ils ont bien fait d'annoncer ce qu'ils ont annoncé aujourd'hui parce que le problème des médias écrits est vraiment là, là, tu sais, c'est extrêmement urgent. Donc, l'urgence commandait qu'ils annoncent ça aujourd'hui. Je le dis, comme je le répète, comme je l'ai dit au début : Moi, je suis bien contente de qu'ils aient annoncé ça aujourd'hui. Mais ils disent : C'est ce qu'on entend en commission. C'est super. On fait ce qu'ils ont entendu en commission. Attention. Ce qu'on entend en commission, c'est que c'est extrêmement gros comme transformation, la transformation, l'arrivée des GAFAM, puis c'est que c'est irréversible, puis que c'est... Ce que le gouvernement propose en ce moment, c'est un petit «plaster» temporaire. Et je ne vois pas, ni en Chambre ni dans... Vous voyez, j'ai essayé d'amener ça en commission avec les autres députés en séance de travail. Ils n'étaient pas intéressés à parler des GAFAM. C'est une question qu'ils évacuent, qu'ils évacuent. Ça fait que... Est-ce que c'est un aveuglement volontaire, voulu? Ils ne veulent pas y toucher puis ils le savent. Ça, tu sais, ça, c'est le compte rendu que je vous fais depuis l'intérieur du parlement. Ça, je le sens, je le vois, je l'ai plusieurs fois vérifié dans des questions. Qu'est-ce qu'on fait avec ça? Moi, ça m'inquiète beaucoup, puis c'est ça que j'amène aujourd'hui.

M. Cormier (François) : N'avez-vous pas l'impression que ce n'est pas plutôt une stratégie, dans le sens qu'ils connaissent l'acheteur ou les acheteurs potentiels de Capitales Médias, qu'ils leur ont demandé de faire une annonce pour être certains d'avoir l'argent au bout du compte, une fois que l'achat sera conclu? Est-ce que ce n'est pas plutôt cette théorie-là qu'il faudrait voir dans ce qui a été annoncé aujourd'hui?

Mme Dorion : Ça serait aux journalistes d'enquêter là-dessus. Je n'en ai aucune idée. Pour vrai, je ne suis pas...

Mme Gamache (Valérie) : Oui, mais vous-même, vous avez dit, d'entrée de jeu, que vous êtes assurée que ça va aider à la survie de Capitales Médias...

Mme Dorion : Bien, oui.

Mme Gamache (Valérie) : ...vous avez une opinion là-dessus?

Mme Dorion : Bien, moi, je peux vous dire que je suis de près le projet de reprise en coopérative par les employés, cadres, syndiqués et non syndiqués de tous les journaux de Capitales Médias parce que je trouve ça intéressant. Ça serait un beau projet pilote à présenter au monde entier, là, tu sais, regardez, ils se sont pris en main, puis ils l'information, ils vont réinvestir les profits dans la qualité de l'information. Même eux ne peuvent pas avancer s'ils ne savent pas, O.K., financièrement, tous les morceaux. Là, ils ont un gros morceau de plus qui va leur permettre d'avancer, mais c'est la même chose aussi pour les autres acheteurs, là, ceci dit.

Mme Lajoie (Geneviève) : Peut-être une petite précision sur les chroniqueurs... Quel risque, justement, si le gouvernement rembourse pour les chroniqueurs aussi, quel risque y a-t-il?

Mme Dorion : Le risque, c'est que... Le travail du journaliste, en quoi est-ce qu'il est si essentiel? Il est si essentiel parce qu'il va dénicher de la nouvelle information parce qu'il fait une analyse poussée, serrée de cette nouvelle information-là, parce qu'il va sur le terrain contrevérifier, sentir les choses puis rapporter une information aux gens qu'on n'aurait pas sans eux. Les chroniqueurs ont remplacé les journalistes peu à peu parce que les médias avaient trop besoin d'argent. Donc, l'information, elle est moins là. Ça coûte trop cher d'aller chercher de l'information de qualité puis ça ne coûte pas cher de dire à quelqu'un : Lis cet article-là puis jase ou écrit, là, n'importe quoi, puis on va le mettre puis on... tu sais. Ça fait que si on dit : On vous donne de l'argent, mais vous pouvez donner ça à vos chroniqueurs, bien, cette tendance-là ne va pas aider la qualité de l'information, au contraire, ça va continuer dans le même glissement vers de moins en moins d'informations de qualité puis de plus en plus d'opinions, puis de faisage d'opinions, puis d'«entertainment». En anglais, ils appellent ça «infotainment», aux États-Unis. Moi, ce que je veux, puis ce qui est essentiel, ce pourquoi il faut que de l'argent public soit mis, c'est une information de qualité fiable.

La Modératrice : Merci.

(Fin à 15 h 20)

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