(Huit heures trente-neuf minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour. Aujourd'hui
s'entame la deuxième journée de notre commission parlementaire sur les applications
pour lutter contre la COVID-19. Et la première journée, je vous dirais, a été
marquée, de la perspective de Québec solidaire, par l'inquiétude.
Hier, on a entendu des experts, des
groupes. Et, de notre côté, les inquiétudes s'accumulent en ce qui a trait aux
risques associés à une éventuelle application de traçage contre la COVID-19.
Plus on entend des experts, plus on entend des groupes, plus on se rend compte
que les belles promesses faites par les promoteurs des applications de traçage
sont purement hypothétiques, que la technologie qui est envisagée par le gouvernement
est une technologie fragile, technologie qui est peu sécuritaire et qui a un
potentiel discriminatoire.
On se rend compte également, plus on
écoute les groupes, plus on écoute les experts dans le domaine, que notre cadre
juridique, au Québec, il est absolument inapproprié à l'utilisation de technologies
comme ça puis à la recommandation de technologies comme ça par le gouvernement,
que nos lois, que nos règlements qui protègent la vie privée des citoyens, des
citoyennes, que ces lois-là datent d'une autre époque, une époque où ces
technologies-là n'existaient pas, et que, dans l'état actuel de notre cadre
juridique, ce serait très risqué de généraliser l'utilisation d'une telle
application.
Donc, de notre côté, les inquiétudes
s'accumulent, et on va néanmoins, bien sûr, continuer de se prêter à l'exercice,
aujourd'hui et demain, poursuivre notre réflexion, mais déjà la première
journée nous laisse sur un sentiment d'une inquiétude grandissante.
J'aimerais dire quelques mots sur la manière
dont se déroule cette consultation-là. Ça fait longtemps qu'on a compris que le
gouvernement de la Coalition avenir Québec a relativement peu de respect pour
le travail des parlementaires ici à l'Assemblée nationale. Mais toute la
journée, hier, on a atteint un nouveau sommet, dans la mesure où il y a actuellement
une commission parlementaire où il y a deux classes de députés : une
classe de députés qui, parce qu'elle appartient à la Coalition avenir Québec, a
entre les mains les résultats d'une consultation publique qu'on utilise,
d'ailleurs, pour poser des questions aux experts qui viennent en commission
parlementaire, et une deuxième classe de députés, les députés de l'opposition,
qui, comme la majorité des médias et comme les citoyens, n'avons pas reçu cette
consultation-là et qui sont donc obligés de déduire puis d'essayer de deviner
qu'est-ce que les Québécois ont dit au gouvernement dans cette consultation
publique qu'il a menée dans les dernières semaines.
Si le gouvernement veut qu'on prenne
l'exercice au sérieux, si le gouvernement veut qu'on s'y prête de manière
constructive, bien, il faut qu'il nous respecte dans notre travail, et ça, ça
veut dire nous donner les mêmes informations qu'il a données aux députés de son
parti. C'est un manque de respect pour les députés et pour la population que de
tenir un exercice public comme ça, de donner des informations privilégiées
seulement à une moitié des députés, ceux qui sont dans la bonne gang, et de
refuser de divulguer ces informations-là pour l'autre moitié de la commission
parlementaire. Toute la journée, hier, les députés de la Coalition avenir
Québec ont même utilisé ces données-là en formulant leurs questions à des
experts, des experts qui d'ailleurs, eux non plus, n'ont pas le sondage en
question.
Donc, on a des députés de la Coalition
avenir Québec qui posent des questions au sujet d'un sondage que les citoyens
n'ont pas, que les députés d'opposition n'ont pas et que les experts eux-mêmes
n'ont pas. C'est un problème. Et dès ce matin, dès le début de la commission
parlementaire, je vais demander aux députés de la Coalition avenir Québec de
divulguer ces informations-là à l'ensemble de la commission parlementaire, à
l'ensemble de la population. Ces informations-là doivent être publiques, dès
aujourd'hui, si le gouvernement souhaite que l'exercice de cette commission
parlementaire soit crédible. On ne peut pas mener une consultation qu'on veut
transparente si on garde l'information pour soi.
Deuxième sujet, avant de prendre vos
questions, on souhaitait réagir, à Québec solidaire, à la campagne menée par la
CORPIQ, cette grande corporation de propriétaires qui, dans les derniers jours,
a mené une campagne cynique, une campagne malhonnête, laissant entendre que les
propriétaires avaient le droit d'exiger un dépôt de garantie aux locataires
lors de la signature d'un bail. On est en pleine crise du logement au Québec,
on est encore en pleine pandémie, c'est inacceptable que la CORPIQ joue sur les
mots comme ça et essaie de faire par en arrière ce qu'ils n'ont pas le droit de
faire par en avant, c'est-à-dire exiger un dépôt de garantie aux locataires. On
est contents de voir que la Régie du logement a mis son pied à terre, mais il
faut un message plus fort.
Ce qu'on demande, ce matin, c'est, à la
ministre Laforest, de rappeler à l'ordre la CORPIQ et de rappeler qu'il y a une
loi au Québec et que cette loi-là interdit le fait de demander un dépôt de
garantie aux locataires. C'est une mesure discriminatoire, le dépôt de
garantie, c'est pour ça que c'est interdit au Québec. Et la ministre doit
rappeler à l'ordre cette minorité de propriétaires délinquants qui cherchent
toujours à tirer la couverte de leur bord. Et c'est ce que la CORPIQ est en
train de faire avec cette campagne cynique et malhonnête qui doit se terminer
maintenant. On est en pleine crise du logement, ce n'est pas le temps d'essayer
de profiter des locataires vulnérables. C'est le temps de travailler en
collaboration avec les locataires pour que tout le monde ait un toit au Québec.
Merci.
Mme Prince (Véronique) :
Je vais poser les questions en français parce que je pense que j'ai beaucoup de
collègues… du travail aujourd'hui. Cathy est là pour l'anglais. J'aurais trois
questions, deux sur le sujet du jour puis une sur un autre sujet. Ça va?
La Modératrice : Pas de
problème.
Mme Prince (Véronique) :
Premièrement, le gouvernement hier a répété... autant Éric Caire que Joëlle
Boutin, ils ont répété qu'il y avait quand même trois conditions que le
gouvernement exigeait pour une future application. Il me semble, de mémoire,
c'était : pas de géolocalisation, pas de biométrie puis pas de stockage de
données personnelles. Est-ce que, quand même, ces conditions-là sont de nature
à vous rassurer dans la réflexion que le gouvernement est en train de faire?
M. Nadeau-Dubois : Si le
gouvernement n'avait pas mis ces conditions-là, on serait vraiment dans un
contexte tout autre, là. Ces trois conditions, ce sont des conditions
minimales.
Dire, par exemple, qu'on n'utilisera pas
la biométrie, ça, là, pour que les gens comprennent, ça veut dire qu'on ne
mettra pas en circulation, dans une application, des informations biologiques. Ce
n'est pas un compromis, c'est la moindre des choses. De dire qu'on ne mettra
pas en place une technologie qui permet à l'État de savoir, en tout temps, où
sont les citoyens sur le territoire, ce n'est pas un compromis, c'est la
moindre des choses dans une société démocratique. Donc, ces trois
conditions-là, c'est des conditions que le gouvernement met pour éviter en
effet qu'on envisage des applications qui auraient littéralement un potentiel
totalitaire. Donc, il faut s'en réjouir, mais ce n'est pas un grand compromis,
c'est vraiment la moindre des choses.
D'ailleurs, c'est assez particulier, là.
On tient une commission parlementaire de trois jours, et les questions des
députés du gouvernement vont systématiquement dans la même direction, toujours,
suivent toujours la même ligne de questionnement. Et on nous dit : On n'a
pas pris de décision, sauf que, si on prend une décision, ça va marcher comme
ça, comme ça, comme ça, puis ça ne marchera pas comme ça, comme ça, comme ça.
Pour du monde qui n'a pas pris de décision, là, ils ont l'air de pas mal savoir
où ils s'en vont.
Donc, je ne sais pas s'ils ont prévu une
fin de semaine de réunion après la commission parlementaire, mais je trouve
qu'il y a des signes qu'on a un gouvernement qui en fait a pris sa décision et
qui mène un exercice de relations publiques pour laisser entendre qu'il n'a pas
pris de décision. Mais toutes les questions vont dans le même sens. On a l'air
en effet de s'être fait pas mal une tête sur la question, alors je me demande
pourquoi on entretient ce flou sur la décision qu'on a prise, alors que
beaucoup de choses pointent
dans l'autre direction.
Mme Prince (Véronique) :
Bien, justement, je vais prendre la balle au bond, là. En entrevue Éric Caire
hier nous disait qu'il est conscient qu'il y a quand même une urgence parce
qu'il y a une deuxième vague qui pointe à l'horizon. Alors, s'il y a une
décision à prendre par rapport à ce type d'application là, ça ne peut pas être
une décision qui est prise dans un an, il faut qu'elle soit prise cet automne. Puis
il nous disait que ce serait même une question de jours avant que la décision
du gouvernement soit annoncée. Est-ce que vous trouvez que c'est trop rapide?
Est-ce que vous avez l'impression que l'exercice n'est pas réellement mené?
M. Nadeau-Dubois : Bien, ça,
c'est une contradiction, là. On nous dit : La décision n'est pas prise,
mais on va l'annoncer dans les prochains jours. Elle va se prendre vite en
maudine si elle n'est pas prise, la décision, là. On a l'impression que la
décision, elle est pas mal prise et que, là, on tient un forum pour entretenir
l'impression qu'on réfléchit. Moi, je ne comprends pas pourquoi M. Caire
fait des entrevues devant l'Assemblée nationale, mais n'est pas assis avec nous
autour de la table en commission parlementaire. Parce qu'on aimerait ça
l'entendre, en tant que ministre responsable, on aurait des questions pour lui.
Malheureusement, il n'est pas là. Moi, je ne comprends pas pourquoi il n'est
pas avec nous, en train de réfléchir, et pourquoi il est en face de l'Assemblée
nationale à donner des entrevues aux médias. Je ne comprends pas ça.
Mme Prince (Véronique) : Puis
j'aurais peut-être une dernière question sur un autre sujet. Vous avez sûrement
entendu parler de cet homme de 43 ans qui est en avant de l'Assemblée
nationale dans une… il a une tente avec une cage. Il veut dénoncer le fait que
lui est comme cloîtré dans un CHSLD au lieu de recevoir des soins à domicile
puis il demande que le premier ministre et Marguerite Blais agissent tout de
suite. Est-ce qu'effectivement ça ne soulève pas toute la question du manque de
soins à domicile au Québec puis des gens — il a 43 ans,
là — de cet âge-là qui se retrouvent dans des CHSLD?
M. Nadeau-Dubois : Je suis
allé rencontrer M. Marchand, hier, on a passé presque une quinzaine de
minutes ensemble. On a eu une belle discussion. Quand des gens sont rendus à
poser des gestes d'éclat comme celui-là, c'est qu'ils ont essayé d'autres
choses avant. C'est qu'ils ont pris la parole, ils ont envoyé des messages, ils
ont eu des rencontres, ils ont pris le téléphone, ils se sont mobilisés, et là
il n'y a tellement pas d'écoute, de la part des dirigeants, qu'ils en viennent
à poser des gestes comme celui-là. Ça fait qu'hier je suis allé le
rencontrer, je lui ai donné tout l'appui de Québec solidaire dans sa démarche. Parce
qu'il a raison sur le fond. Le modèle des CHSLD, il est brisé, il faut en finir
avec ce modèle de méga-institutions dans lesquelles on met à la fois des
personnes âgées et des adultes en situation de handicap, des énormes
institutions qui nous coûtent très cher et qui ne sont pas capables de donner
la dignité aux individus qui y vivent.
Nous, à Québec solidaire, on le répète
depuis des années, ce modèle-là, il faut l'abolir, il faut le remplacer par une
énorme offensive en soins à domicile, c'est ce que demande M. Marchand, et
par la mise sur pied de nouvelles institutions d'hébergement et de soins à
échelle humaine, gérées par et pour la communauté. C'est la proposition qu'on a
faite durant la pandémie, il y a quelques mois, et la mobilisation de
M. Marchand, puis c'est ce que je lui ai dit hier, elle rejoint directement
ces propositions-là qu'on faites à Québec solidaire. Parce qu'il faut changer
de logiciel, il faut arrêter de penser que les gens qui sont en situation de
handicap ou les gens aînés, c'est un poids pour la société et que, donc, on va
tous les «parker» ensemble dans une énorme institution. Au lieu de concentrer
tout le monde dans une énorme institution puis de leur donner des soins, il
faut massivement ramener ces gens-là à la maison et amener les soins vers ces
personnes-là.
La Modératrice
: En anglais.
Mme Senay
(Cathy) : I would like to know what difference
it would have made if you would have had the results of the online consultation
saying that about 75% of Quebeckers consulted that... would be fine with the
COVID Alert or such an application, you know, a similar application than the
federal one.
M.
Nadeau-Dubois : One of the main criteria that
we are discussing in the commission is the level of social acceptability of
such an application. Well, one way to measure that is to know what the people
that contributed to that consultation online said about it. And we have two
classes of MNAs here. You have one category of MNAs that are in the good party,
they have all the information they need to take a decision, and there's the
other half of MNAs who are not in the good political party. And us, we don't
have the same information to take that decision. So it's once again a lack of
respect of the Coalition avenir Québec towards MNAs and towards the people that we represent, which is the
general population. And I want to say, also, it's also a lack of respect for
the media because they decided to leak small portions of that information to
one news organisation and they are keeping all the MNAs, all the population and
all the other medias in the dark about what is in that consultation.
Mme Senay
(Cathy) : So basically, you feel today, it's
the second day of three, that it's a PR exercise?
M.
Nadeau-Dubois : Well, let's say that the MNAs
of the Coalition avenir Québec are very coherent in the questions that they ask
to the people that are in the commission. They say: Our idea is not done yet,
but, if we go towards an application, it's going to work exactly like that and
it's not going to work exactly like that. So, they seem pretty decided for
people that claim not to have made a decision.
Mme Senay
(Cathy) : But, if the second wave is coming,
maybe they have to act quickly...
M.
Nadeau-Dubois : There is no... and I think
that can answer Mme Prince's question also, there is no urgency. There is less
than 100 cases per day in Québec right now. The pandemic is under control right
now. So, it is not true that we have to rush to judgment. It is not true that
we have to rush to a decision that involves the privacy of millions of Quebeckers in just a few days. This is not
true.
You know, before putting
a vaccine out there, we are going to do some testing, we are going to do some
clinical trials. Why shouldn't we have the same precautions when it comes to an
application that has significant risks for the privacy of Quebeckers? We should be as serious in the
way we treat this that the way we treat vaccines.
Mme Senay
(Cathy) : Jonathan Marchand, you said that you met him yesterday. I went to see him too when
Marguerite Blais was there. She didn't have concrete options for him. He
doesn't want to go back in a CHSLD. So, what are the solutions? It seems that
he's stuck there. But what are the solutions when you are in your thirties or
early forties?
M.
Nadeau-Dubois : In the current system, there is no solution. That's
why we have to change that system. The system where we put hundreds of people
in huge institutions that are unable to give to those people the dignity that
they deserve, we have to change that system and we have to move towards the
only system that is economically efficient and that gives dignity to the
people, which is massive and public at home services. That is the solution. And
that's not only Québec solidaire's opinion. A majority of European countries
have gone in that direction. And it's not best for the people, it's also best
for the public treasury. That model, that old and broken model of CHSLD is not
only inhumane, it is very costly, it is a huge waste of public money. A huge
waste of public money.
Mme Senay
(Cathy) :How embarrassing
is this scene of a man in a cage in front of the National
Assembly for Québec?
M.
Nadeau-Dubois : It is embarrassing for Québec
society. It is once again a reminder of the unbelievable work that we have to
do in the next years to give those people, you know, elderly people and people
living with a handicap, the dignity that they deserve. You know, it's an
indication of how much we have weakened our system, in the last years, with the
austerity measures that we did here in Québec.
Mme
Senay (Cathy) : Merci beaucoup.
La Modératrice
: Merci.
(Fin à 8 h 58)