(Huit heures trente-quatre minutes)
M. Lafrenière : Alors,
bonjour, tout le monde. Très, très heureux de vous retrouver en présentiel — c'est
un nouveau terme qu'on a appris dans notre dictionnaire, «en présentiel».
Je suis entouré aujourd'hui des membres du
comité directeur de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle.
Cependant, en remplacement de notre vice-présidente, Christine St-Pierre, qui a
un tout petit enjeu familial — rassurez-vous, elle se porte bien,
d'ailleurs, elle nous écoute présentement — il y a Kathleen Weil qui est
avec nous aujourd'hui, merci d'être là, Alexandre Leduc, Méganne Perry
Mélançon. Je suis très heureux de les retrouver pour ce travail qui nous anime
depuis le 14 juin dernier.
Alors, Commission spéciale sur
l'exploitation sexuelle qui a été créée. Depuis cette date… Et, en passant,
quand on a créé la commission, on a parlé d'un mandat de 18 mois. Petite
anecdote, moi, je trouvais que c'était très, très long, 18 mois, et
aujourd'hui, à la veille de remettre un rapport, je dois vous avouer que les
gens avaient bien raison, et j'avais tort, c'était de courte durée.
Alors, depuis la création, il y a eu
beaucoup de travail qui a été fait : 67 témoins ont été entendus,
59 mémoires ont été reçus, c'est plus de 41 heures d'auditions qui
ont lieu. Et aujourd'hui on vous invite parce que c'est notre dernière journée
d'auditions, ici, à l'Assemblée nationale. Le matin, ce sera public,
l'après-midi, ce sera des rencontres à huis clos. Et, pour nous, la commission,
c'est extrêmement important, le caractère confidentiel des rencontres de cet
après-midi à huis clos.
C'est une journée qui a été ajoutée à nos
travaux. Pourquoi? À la veille de la rédaction de nos recommandations, on avait
des questions très précises auxquelles on voulait des réponses. Et, on ne se
fera pas de cachettes, la COVID s'est invitée aussi dans le monde
prostitutionnel, et on voulait voir quel était l'état de la situation sur le
terrain.
Comme président, je veux d'ailleurs
remercier les 15 hommes et femmes qui participent à cette commission de
même que tout le personnel qui ont fait un travail incroyable. On a entendu
plusieurs personnes, on s'est déplacés sur le terrain, à Montréal, à Val-d'Or,
on a entendu des témoignages, ma foi, brise coeur, et je peux vous dire que les
gens qui sont dans cette commission ont tous le même but, même travail qui est
non partisan. Le Québec ne peut pas, le Québec ne doit pas avoir cette
réputation canadienne sur l'exploitation sexuelle des mineurs. On doit mieux
que ça à nos enfants. Mes filles s'attendent à mieux que ça de moi. Les gens
qui nous écoutent ont des attentes, et on doit livrer.
Ensemble, on peut changer les mentalités
face à l'exploitation sexuelle des mineurs. Il y a d'ailleurs deux groupes qui
nous ont mentionné qu'on doit avoir la même approche qu'en matière d'alcool au
volant, c'est-à-dire de rendre socialement inacceptable l'achat de services
sexuels de clients abuseurs envers des victimes qui sont mineures. Parce que,
juste pour qu'on soit très clair entre nous, on parle aujourd'hui d'achat de
services sexuels des gens, des clients abuseurs, qui paient pour avoir des
relations sexuelles avec des enfants.
Je vous remercie. Et je laisse la parole à
Mme Weil.
Mme Weil
: Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de réitérer. Moi, je voulais
mettre l'accent beaucoup sur le travail qu'on fait ensemble. C'est vraiment un
travail non partisan, et on veut refléter la lutte, la guerre qu'on doit mener
ensemble, comme société, contre l'exploitation sexuelle des mineurs, qui est
réellement devenue un fléau, un fléau planétaire, mais aussi, évidemment, un
fléau ici sur notre territoire.
Je réitère ce que le président a dit,
c'est que l'achat de services sexuels est un crime punissable dans le Code
criminel. Et il va falloir, évidemment, s'assurer que toute la population,
incluant, évidemment, les clients abuseurs, le sache.
Alors, c'est un exercice qui nous a
occupés, je pense, je parle pour tous mes collègues, tout l'été, tout l'été
parce qu'il fallait préparer des recommandations, mais on le fait avec un sens
de devoir et un sens de mission inébranlable. Et je pense que je reflète la
passion de tous mes collègues dans ce dossier.
Alors, merci de votre attention et merci
de continuer à nous suivre et relater nos messages. Merci.
M. Leduc : Bonjour, tout le
monde. Bien heureux d'être ici aujourd'hui pour la dernière journée d'audience
de la commission. La commission, évidemment, a été ralentie par la COVID, comme
pas mal tout ce qui se passe au Québec et surtout dans les travaux
parlementaires. Cependant, on a continué à se parler pendant tout le long du
confinement. On a continué à travailler, aussi, on a tenu quelques réunions, on
a continué à travailler sur certains textes pour essayer de ne quand même pas
trop ralentir dans notre calendrier.
Moi, par rapport à la COVID, je pense que
ce que je retiens, c'est que la précarité et la difficulté de la sortie de la
prostitution des mineurs s'est révélée plus forte que jamais dans le sens où un
des principaux freins de la sortie, c'est la pauvreté. Quand on se retrouve
puis on sort de la prostitution des mineurs, on ne se retrouve devant rien, on
se retrouve souvent, évidemment, pas de diplôme, pas un gros C.V., pas beaucoup
de réseaux, et la pauvreté immédiate est un facteur de retour. On se l'est fait
dire, ça, dans d'autres audiences.
Et il y avait une opportunité, évidemment,
pendant la pandémie. Vu que ça ralentissait beaucoup, les gens étaient
confinés, ils avaient un peu moins d'argent, mais on constatait qu'il y avait quand
même des manques dans le réseau, des manques dans le système, si je peux dire,
pour aider à la sortie, notamment, d'un point de vue financier. Alors, moi,
c'est quelque chose que je retiens. Puis aujourd'hui j'ai hâte d'entendre les
groupes qui vont venir nous voir. J'ai hâte d'entendre aussi des victimes pour
nous parler de leur réalité, et c'est quelque chose qui va être bien important
pour la suite.
Et j'aimerais conclure en disant que depuis
mon arrivée au Parlement, il y a bientôt deux ans, il y a toutes sortes de
réalités qui nous frappent, notamment la difficulté de la joute politique qui
est parfois acrimonieuse entre les différents partis. Mais je dois avouer que
cette expérience-ci, qui tire bientôt à sa fin, de la gestion, donc, d'une
commission avec quatre... un comité directeur de quatre partis s'est révélée
fort enthousiasmante, et les citoyens et citoyennes doivent se rassurer que
oui, parfois, les politiciens se crêpent le chignon, avec raison, mais, plus
souvent qu'autrement et puis dans cette expérience-là, travaillent franchement
ensemble à trouver des solutions. Il n'y avait pas de petite game durant tous
les travaux. On échangeait, on proposait des amendements, on proposait des
façons de fonctionner.
Là, bon, est-ce que cet esprit-là va
rester, alors qu'on s'enligne pour négocier nos réclamations, nos
recommandations? Je le souhaite. De toute façon, ça a été comme ça tout le
long. Mais ça a été une belle expérience, et je pense que ça va continuer à
l'être jusqu'à la fin. Merci beaucoup.
Mme Perry Mélançon : Alors,
bonjour à tous. J'ajouterais ce matin, en fait, que.... ce matin comme, finalement,
depuis les tout débuts de cette commission spéciale, nos pensées sont dirigées
vers les victimes et leurs familles. Je pense qu'on peut dire qu'on a eu cette
pensée-là, là, vraiment durant tout le processus, et c'est vraiment ces gens-là
qui nous motivent à faire ce travail superimportant, qu'on mentionne même
historique. Je pense qu'on peut dire qu'il ressemble à d'autres commissions qui
ont mené à de grands changements dans la société québécoise. Alors, c'est comme
ça qu'on fait notre travail présentement.
Et on a entendu plusieurs histoires
terribles et même, encore cet été, des histoires de proxénètes qui ont été
arrêtés pour une deuxième fois, qui ont encore des peines qui ne nous semblent
pas suffisantes. Donc, on partage cette colère-là avec la population et avec
les victimes, c'est bien évident.
Alors, je pense qu'on peut se dire que
oui, effectivement, on a travaillé encore très fort cet été, toujours dans
l'optique de le faire sans partisanerie, pour pouvoir aller au bout de ce
processus-là et de cette commission, qu'on espère avoir des résultats, là, qui
changeront le cours des choses tant au niveau de l'accompagnement des victimes
dans leur sortie du monde de la prostitution, mais également, comme on l'a dit,
dans la répression et dans la... disons, d'enlever la banalisation de l'achat
de services sexuels et même de dire que c'est criminel, quand on s'adresse à
des mineurs.
Alors, je veux remercier également mes collègues
pour ce travail-là qu'on fait vraiment, réellement sans partisanerie. Et on
espère assister à un moment historique. Et je pense qu'on est rendus là, on est
vraiment à la toute fin du processus et on voit déjà, là, comment ça s'oriente.
Alors, sans vous parler des recommandations comme telles, on peut vous dire que
ça chemine très bien. Merci.
M. Lafrenière : Merci beaucoup.
Mes collègues ont tous mentionné qu'on travaillait sans partisanerie. Je dois
vous avouer que cette commission a osé. Alors, vous allez voir, si vous ne
l'avez pas déjà vu, que, même dans nos périodes d'échange, on a décidé de
sortir de l'habitude qu'il y a ici à l'Assemblée nationale, donc, les questions
sont posées selon l'ordre que les gens ont des questions à poser, on a décidé
de répartir le temps autrement. Ça peut sembler un détail pour les gens qui
nous entendent, mais c'est pour vous démontrer à quel point cette commission a
décidé de travailler différemment. Alors, je suis vraiment, vraiment heureux de
vous dire qu'on a travaillé de façon non partisane.
Et en terminant, avant de passer à la
période de questions, je veux terminer en remerciant les médias, les médias qui
nous ont accompagnés tout le long de cette commission. Un des objectifs très
clairs de la commission était de parler de ce fléau, et sans vous, ça serait extrêmement
difficile. Vous nous avez suivis tout le long de la commission. Ce n'est pas terminé,
en passant, on a encore besoin de vous. Mais c'est important, important de
sensibiliser la population. Et ça a fonctionné parce que je pense qu'on a tous
été interpellés par des parents, par des gens dans nos comtés qui on dit :
Écoute, il faut qu'il se passe quelque chose, je ne savais pas ça. Puis ça a
interpellé, ça a... excusez l'expression, ça a shaké les parents, ça a shaké
les gens, au Québec, qui s'attendent à un résultat. Et on va être là pour
livrer.
Alors, maintenant, on est disponibles pour
la période de questions. Je vais vous demander de m'indiquer pour qui est votre
question. Puis on dirait que j'ai déjà fait ça, dans mon ancienne vie, alors je
vais tenter d'être bon aujourd'hui.
Mme Gamache (Valérie) :
Bonjour. Valérie Gamache, Radio-Canada. En quoi, M. Lafrenière, vraiment,
vous avez... quels échos du terrain avez-vous sur comment ça se passe dans le
milieu de la prostitution juvénile ou de l'exploitation sexuelle des mineurs,
la pandémie, les premières semaines? Comment ça s'est passé? Les échos que vous
en avez pour le moment.
M. Lafrenière : Justement, un
des nos invités, ce matin, va venir nous brosser le portrait du terrain. Puis
quand je dis brosser, c'est vraiment difficile, hein, ça va être l'écho d'une
personne ou d'un groupe. Pourquoi? Bien, écoutez, déjà, c'est un crime sur
lequel, on s'est rendu compte dans la commission, on avait très peu de données.
Ça fait qu'imaginez, en période de pandémie, comment ça peut être difficile de
savoir comment ça se passe sur le terrain.
Cependant, il y a plusieurs initiatives.
Je vais vous parler d'un cas très terrain dans mon secteur, à Longueuil, où les
gens du milieu ont décidé d'offrir de l'hébergement pour les gens qui voulaient
s'en sortir. Et on s'est rendu compte qu'il n'y avait pas tant de personnes que
ça au début. Même, pendant une petite période de temps, il y avait une période
qu'on pourrait appeler de black-out, je pense, qui a été vécu dans plusieurs
domaines, l'exploitation sexuelle, la prostitution n'y ont pas échappé, période
où il n'y a pas eu grand-chose. Et par la suite ça a recommencé, les clients
abuseurs étaient présents. Et on s'est rendu compte que les jeunes femmes, leur
premier besoin n'était pas nécessairement de l'hébergement. Elles voulaient
avoir un suivi, avoir de l'écoute, avoir des ressources, un filet autour
d'elles. Alors, c'est une des choses qu'on va sûrement entendre. Je vous dirais
qu'on a des témoins aujourd'hui qui vont nous aider à ça.
Mais plusieurs ont pu s'imaginer qu'en
période de pandémie de COVID, où une distanciation sociale… le monde
prostitutionnel aurait été mis sur pause. Je dois vous avouer que les échos du
terrain qu'on a entendus, c'est : Absolument pas. Il y a un ralentissement
à certains niveaux, et à un autre niveau, imaginez les gens qui sont
vulnérables, dans cette position-là où ils ont peur d'agressions physiques, et
tout ce que vous pouvez imaginer. En plus, on travaille avec la crainte d'être
contaminé par la COVID. Alors, ça n'a pas été facile.
M. Bergeron (Patrice) :
Mesdames, messieurs, je sais qu'il vous reste encore une journée d'audiences.
Cependant, vous avez déjà, donc, pu réfléchir cet été à tout ce que vous avez
pu entendre. Qu'est-ce que vous avez appris, sur le milieu, que vous ignoriez
et qui pourrait, donc, influencer notamment les recommandations que vous allez
faire?
M. Lafrenière : Écoutez, la
question est bonne. Je vais vous répondre quelque chose qui va avoir l'air
bizarre. On a appris qu'il y avait bien des choses qu'on ne savait pas, et je
vais vous expliquer ce que je veux dire par là. C'est que plusieurs groupes
sont venus nous voir en nous disant à quel point on avait un manque de données
probantes sur ce qui se passe sur le terrain, quelle est l'ampleur de la
situation. Souvent, on parle de jeunes victimes, puis moi-même, je fais
l'erreur, souvent je parle de jeunes victimes en parlant de femmes. Il y a des
jeunes hommes qui sont victimes. Il y a les gens des Premières Nations qui sont
victimes aussi. Et on les connaît très peu, on a très peu de données là-dessus.
Alors, je vais parler pour moi, mais je
pense qu'on a tous entendu la même chose. Je vais vous laisser la réponse à
tour de rôle, mais on a tous entendu des groupes qui sont venus nous dire à
quel point il y avait un manque d'information sur comment ça se passe sur le
terrain, sur des chiffres.
Et en terminant sur un chiffre qui est
fort, pour moi : quand la police de Montréal traite entre 300 et
500 dossiers par année, qu'ils nous disent qu'il y a une victime sur 10
qui porte plainte, si on fait une règle de trois, on peut s'imaginer qu'on a
beaucoup de victimes. Et ça, je pense qu'on l'avait sous-estimé. Méganne.
Mme Perry Mélançon : Je pense
aussi qu'on peut dire qu'on a beaucoup d'organismes sur le terrain qui luttent
contre l'exploitation sexuelle des mineurs, et je pense qu'il y a des
initiatives qu'on a apprises, justement, là, des programmes qui fonctionnent
bien. On a eu le programme Les Survivantes, qui est venu nous rencontrer, puis
on a vu que, vraiment, il y a un beau travail qui se fait. Donc, on nous a
parlé de certains enjeux de ces organismes-là dans la coordination des actions,
alors, pour que ce soit déployé sur tout le territoire. On est en train de se
poser des questions à ce sujet-là, comment mieux coordonner les actions, je
pense, gouvernementales et communautaires, tout ça. Alors, c'est certain qu'on
a entendu parler des ressources, de la coordination et aussi dans la façon de
véhiculer l'information entre les instances. Alors, je pense que c'est ça que
j'ai appris : qu'il y avait encore des lacunes à ce niveau-là sur
lesquelles on doit travailler.
Mme Weil
: Moi, il y a
un point que j'aimerais soulever, c'est la complexité de bien suivre,
monitorer, comprendre les activités sur les réseaux sociaux et que ça va nous
prendre beaucoup de ressources et des ressources très spécialisées en intelligence
artificielle, notamment, pour être capables de garder le rythme, le rythme qui
est vraiment accéléré, pour rejoindre les mineurs. Il y a des expériences aux États-Unis.
Moi, je pense, ça va prendre un groupe très spécialisé. Montréal, c'est... le
Québec... la capitale de l'intelligence artificielle, et on a besoin de ces
ressources-la pour mener cette guerre qui est comme nulle autre guerre et qui
se livre carrément sur les réseaux sociaux. Merci.
M. Leduc : Moi, il y a un
chiffre qui m'avait assommé au début. De mémoire, c'est 11 %. 11 %
des hommes au Canada avaient payé pour du sexe. C'est beaucoup de gens, ça.
C'est énormément de personnes. Donc, ça témoigne du côté massif de la demande.
Alors, si on ne réussit pas à casser la demande en amont, bien, ça va être
difficile, là, de gagner cette bataille-là. Donc, tout le volet prévention,
tout le volet éducation prend son importance à ce moment-là.
Puis la deuxième chose, moi, qui m'a
marqué, je l'ai évoqué tantôt, c'est la sortie de la prostitution, qui n'est jamais
simple. On est peut-être dans l'idée qu'une fois qu'une mineure, une femme
mineure va décider : Ça y est, moi, je suis tannée, je veux sortir, que,
bon, bien, voilà, tu sais, tu y vas. Mais les chiffres qui nous ont été
présentés, de mémoire aussi, c'était à l'entour de cinq, six ou sept fois, même
huit fois que ça pouvait prendre avant d'avoir une sortie définitive. Mais ça,
c'est tragique, là, une personne qui décide de sortir... puis ça ne
fonctionnera pas le premier coup, probablement pas le deuxième coup,
probablement pas le troisième coup, il va y avoir des retours multiples, puis
qu'à chaque fois c'est la pauvreté qui ramène.
Ça fait beaucoup réfléchir, ça aussi, sur
notre système social, notre filet social, notre filet communautaire. Comment ça
se fait qu'on échappe à de multiples reprises une jeune femme qui décide, qui a
pris la décision de sortir? Parce que ce n'est pas simple, là, que cette
femme-là prenne cette décision. Ce n'est pas simple de convaincre une jeune
femme de prendre cette décision-là. Il y a tout un aspect psychologique, mental
à l'entour de ça. Mais, une fois que la décision est prise, comment ça se fait
que c'est aussi long et aussi difficile de sortir de la prostitution juvénile?
Moi, c'est les deux choses qui m'ont le plus
marqué.
M. Lafrenière : Et, en
passant, dans notre commentaire, on l'a souligné souvent, à la commission, on
reconnaît le travail qui est fait par les organismes communautaires sur le
terrain. On a parlé souvent d'un manque de coordination, un manque de travail
ensemble, unifié. Mais le dernier des messages qu'on veut envoyer, c'est que
les gens du communautaire ne font pas leur travail sur le terrain. Il y a un
travail incroyable qui est fait, un très, très bon travail. On a rencontré des
gens qui sont venus nous voir, qui font des miracles avec pas beaucoup de
moyens. Mais on se rend compte vraiment qu'il y a un besoin de coordination. Il
y a beaucoup de belles initiatives, mais, vous voyez mes gestes, il manque un
petit peu de ciment, un peu de coordination ensemble.
M. Bergeron (Patrice) :
Il faut rappeler aux gens que vous ne pouvez pas toucher au Code criminel,
évidemment, ce n'est pas de votre responsabilité. Mais qu'est-ce que ça
pourrait donner, votre rapport? Et leurs recommandations pourraient-elles
amener des changements législatifs, par exemple? Ou qu'est-ce que ça pourrait
comprendre comme changements pour expliquer au grand public, là?
M. Lafrenière : Bien, quand on
commence — puis, en passant, c'est ma première commission spéciale — puis
je pense que c'est la même chose pour tout le monde, on ne ferme pas de portes,
hein, on se dit... Écoutez, on est là, on se rencontre, on met tout sur la
table. On a 15 hommes et femmes qui veulent... qui ont un but commun, ça
fait que c'est rassurant, puis on se dit : Écoute, ça ne peut que bien
aller. Qu'est-ce qu'on va vous donner comme recommandations? On va commencer
demain nos rencontres à ce sujet-là puis on veut vraiment laisser la porte
ouverte à toutes sortes d'idées et d'inititatives, on ne veut rien bloquer. Mais
ça peut aller dans tous les sens.
Une chose qui est claire, les collègues
l'ont dit : c'est très complexe comme problématique, il n'y aura pas une
solution. Je l'ai dit en début de commission, je pense qu'on l'a tous dit, s'il
y avait une seule solution, je pense, quelqu'un l'aurait fait voilà bien des
années. C'est très complexe, on en est conscients. Puis c'est pour ça qu'on va
se retrousser les manches puis regarder la multitude de recommandations
possibles, là-dedans, parce que c'est complexe.
Mme Gamache (Valérie) : On a
remarqué que, pendant la pandémie, parmi les facteurs qui ont fait baisser
l'espèce de demande, c'est l'annulation de grands événements comme le Grand
Prix. Est-ce que vous pourriez aller jusqu'à interpeler des grands événements
comme le Grand Prix de Montréal, le festival de jazz pour qu'ils deviennent en
quelque sorte... je dirais, avoir une norme anti prostitution juvénile?
M. Lafrenière : On ne peut pas
mettre de côté les grands événements. Mais je vais me permettre de faire un
aparté. Parce que, souvent, on regarde les grands événements... et le danger
que j'y vois pour les parents aussi, parce que comme parent moi-même, comme
père de deux jeunes filles, on a tous des mécanismes de défense. Puis un des
premiers mécanismes, c'est de se dire : Bien, écoutez, pour ma fille, il
n'y a pas de danger, elle va dans une bonne école, des bons amis.
Mais ce que j'ai entendu du milieu, c'est
de dire... Une des raisons pour laquelle la demande avait chuté, c'est que les
travailleurs n'étaient plus au rendez-vous. Les hommes et les femmes qui se
déplaçaient au quotidien pour aller travailler n'avaient plus l'excuse — excusez,
on va se dire les vraies choses, là — de dire qu'ils faisaient de l'overtime
ou qu'ils terminaient plus tard aujourd'hui et qu'ils arrêtaient pour aller
chercher un service sexuel. Ça fait que souvent on essaie de se trouver des...
je ne veux pas dire des excuses, mais des histoires très, très complexes. Alors
que ça fait partie du quotidien de plusieurs personnes qui trouvent un moment
de dire : Bien, je termine à telle heure, je vais terminer un petit peu
plus tôt. Et on a entendu pendant la commission un documentaire et, clairement,
le client abuseur disait à la jeune femme : Oui, O.K., là, c'est à
16 h 30, ça va me permettre d'être là à l'heure. Vous comprenez que
son scénario incluait qu'il devait rentrer à la maison à l'heure.
Alors, on peut se dire que c'est les
grands événements, on peut se dire que c'est des choses fortuites. Mais
attendez, là, c'est dans le quotidien. Et une des choses qu'on a entendues beaucoup
sur le terrain, c'est que, présentement, ce qui a changé la donne, c'est que
les hommes et les femmes qui voyageaient normalement au quotidien pour aller
travailler n'avaient plus cette excuse-là. Quand on est à la maison, ça devient
difficile de trouver une excuse pour aller chercher un service sexuel en pleine
journée.
Mme Senay
(Cathy) : Good morning.
M. Lafrenière : Hi.
Mme Senay (Cathy) : Hi. Basically, what was the first sign you received that the
pandemic had a real impact on sexual exploitation on minors? What were your
first signs? How did you say: Oh God! this is happening there, like, on the new
technology, like, different networks?
M. Lafrenière : But, first of all, it was the blackout. And, to be honest, numerous
resources say: We're closed. Basically, they were closed at the beginning of it. So, I'll talk for Longueil, I got different groups helping victims, and they were
closed, it was impossible to reach them. So, first of all, that was a first
impact, which was normal. Secondly, what we heard, it was a blackout in terms
of demand. Lot of those customers abusers, they weren't there. So, it was a drop
in the request of services.
But, again, you can find
out that those victims are so vulnerable because there is no more income. You
can say they've been exploited, but it was, at the very least, an income. It
was not there anymore. So, imagine, they get a lot of pressure to bring that
money back to the person exploiting them, they get no resource, no customer,
and they put their life in jeopardy because of the pandemic. Because, on top of
all those aggressions, there is a risk that you can be hit by COVID yourself
and you could spread that COVID to numerous customers. So, this is the first
sign I heard myself.
Mme Senay
(Cathy) : …clients anymore or…
M. Lafrenière :
That was the beginning, and, believe me, it was not there for that long. Customers
came back quite rapidly. And we met a victim, and she said she was so surprised
to receive phone calls by customers saying: You know what, can I see you? And
she said: You know, you haven't heard about COVID, or anything like that? And
the customer said: Yes, but can I see you? She was in a shock, saying: You know
what, it's dangerous, but, in top of that, he's not thinking of that danger.
And, next thing you can say, you would be back home with that COVID, spraying
that to the family, and everything.
So, there is a demand,
it's still there. There was a period of blackout, at the beginning, but quite
rapidly it came back.
Mme Weil
:
The other factor that I would mention, and in all the research that we've done
and we've heard, a lot of this activity happens in hotels and motels, and they
were all closed. So, it becomes difficult. It really is. Those are the spots
where it happens, pretty much. So…
Mme Senay
(Cathy) : …
Mme Weil
:
Now, police… But it was from the police, at least the first time that I'd heard
of it. Because, of course, we were all curious about it and wondering. So, I
imagine, Ian probably heard from colleagues, but I heard some comment from a
police officer mentioning that. I don't know if it's in what a read. But it
took time before that came out, that information. We didn't find out right away,
one could presume, though, because of the hotels and motels where it happens.
Mme Senay
(Cathy) : And the other thing is the big
events that where cancelled. So, that was positive, in a sense…
Mme Weil
:
Well, for sure, the Grand Prix, there's a big aura
around that, and sexual exploitation is part of that aura, unfortunately. And
that, we have learned in the expertise that has been shared with us, that has
been mentioned, these big events, but in particular le Grand Prix.
Mme Senay
(Cathy) : And teleworking is helping in this.
Mme Weil
: Well, this is what M. Lafrenière mentioned.
Mme Senay
(Cathy) : So how it's still working? It's
basically helping to reduce sexual exploitation?
M. Lafrenière : I'm not saying that is an answer. I'm not saying that as a very
positive measure, saying: You know what, télétravail is going to save a lot of
victims. Because, believe me, it took about two weeks for the blackout to be
over. People in need... I'm talking about those abusers in need of a sexual
contact, they found a way to get that contact, to get that service they were
looking for. So, yes, it helped at the beginning, but quite rapidly… And I
mentioned the victim, that she was called by someone asking for sex and she was
so surprised, because of COVID, saying: You know what, don't you listen to
medias?, there's a pandemic. But that gentleman was sticking on the services he
was looking for.
Mme Senay
(Cathy) : But she said yes?
M. Lafrenière : No, she refused. She was in shock, she was in a shock, she was
surprised, saying… For her, it was just a confirmation that those abusers,
they're looking for one thing. And she mentioned us because she's in a state of
a shock. It hasn't been very easy for her, she tried to escape that mode, she
came back. And she said: Sometimes, I deliver that service, and I'm basically
puking, and he doesn't care at all. Customer, the abuser, he's there to get
whatever he was looking for.
Mme Senay
(Cathy) : But what will you do with all of
this? Because this is the last day of the hearings, today, you'll present
recommendations. What will you do with all this if you're lacking data before,
during and after the pandemic?
M. Lafrenière : That's so interesting, what you mention. That's the reason why we
want to here groups today talking about the pandemic, what happened. And I'm
sure that having important data and real data will be important for that
commission. But, again, we'll be working on that tomorrow. And, as a group,
we'll find out recommendations. And this is really as a group.
Mme Senay (Cathy) : Will the cracking down on online services be one of your main
objectives?
M. Lafrenière : Again, you won't like my answer, but if there was one magical
answer to that problem, we would have done that years before. It is a very
complex problem. Yes, social medias, we heard about it, it's a way to recruit,
it's a way to get services as well, but this is not the only way. So, there
will be plenty of recommendations, different aspects, different topics because this is extremely complex.
And I mentioned that in
French, I want to say that in English as well, thank you for medias also. It's
been so important for us, for that commission to bring up that reality. Because
a lot of people don't know about it. They were shocked to hear that so many victims
are in Québec, there were shocked to hear that our colleagues from Canada are
talking about Montréal as a place for sexual exploitation. I've been able to
join a conference with different colleagues in Canada as well as in the United
States, and I wasn't happy to hear my colleagues from the States, from Canada
referring to Montréal as a «plaque tournante». You say: My God! No! This is my
hometown, it's impossible. And this is what's happening now. So, we've got to
face reality, and that's the reason why that commission will do some
recommendations, because, yes, we need to address the problem.
Mme Fletcher
(Raquel) : How old are your daughters?
M. Lafrenière : 10 and 12.
Mme Fletcher
(Raquel) : How do you feel, as a parent,
hearing about these victims who are trying to escape their reality and don't
seem to be getting the help and resources that they need? What does that tell
you?
M. Lafrenière : Horrible, horrible, to be honest. And as a former police officer...
and my wife, she's a police officer, so you can be sure that every time you get
back home and you hear all those tragedies... You try not to bring that home, but,
for sure, we get them. We're extra, extra careful with our kids.
But, that having been
said, without giving all details, a few weeks ago, an ex-colleague of mine
called me up, his daughter was recruited. We're talking about a police officer.
His daughter was recruited. During the hearings, we got a police officer from
Ottawa, she was a former member of the anti-trafficking unit, her daughter was
recruited within two weeks in social medias.
So, as a parent, when you
go back home, you feel horrible about that because you understand that no one,
no one is safe. These people are looking to recruit, they'll take whatever it
takes to get them. And now it's with social medias. It's not at the bus shelter,
like it used to be, it's not at dark places, it's at home, because our kids get
access to social medias whenever they want.
So, if you ask me how do
I feel as a parent: horrible. And that's the reason why as a group we want to
find out some solutions, because, believe me, they deserve better than that.
Mme Fletcher
(Raquel) : Merci.
M. Lafrenière :Thank you so much. Merci beaucoup.
(Fin à 9 h 3)