(Neuf heures dix-sept minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour.
Comme vous le savez, ça fait plus d'un mois que Québec solidaire sonne l'alarme
en matière de santé mentale. Les cris du coeur viennent de partout. Et ce
matin, bien, un autre cri du coeur, cette fois, c'est les jeunes entrepreneurs
qui disent qu'ils sont en train de craquer.
Finalement, cette semaine, enfin, le
gouvernement a fait un premier geste, et il était temps. Aujourd'hui, par
contre, le gouvernement est interpellé sur ce dossier-là, sur le dossier de la
santé mentale, et ça tombe bien parce qu'on a beaucoup de questions pour Lionel
Carmant.
Où va être investi le fameux
25 millions qu'il nous a annoncé cette semaine? Qui va être embauché
exactement avec cet argent-là? Où vont travailler les gens qui vont être
embauchés dans des CLSC ou dans un centre d'appels du 8-1-1? Aujourd'hui,
Lionel Carmant doit absolument répondre à ces questions-là. Je vais les lui
poser. Ce n'est pas normal qu'on nous annonce 25 millions et qu'on ne nous
dise pas exactement où cet argent-là va aller, qui on va embaucher et où vont
travailler les gens qu'on va embaucher.
Mais aujourd'hui on n'a pas juste des
questions, on a aussi des nouvelles demandes pour Lionel Carmant. Il est
temps de passer à la prochaine étape. On a annoncé 25 millions cette
semaine; là, il faut continuer le travail, parce que 25 millions, c'est
bien beau, mais ça ne réglera pas la crise historique de santé mentale qu'on
vit actuellement.
Et la prochaine étape, qu'est-ce que c'est,
cette prochaine étape? Bien, la prochaine étape, c'est de prendre les moyens
pour embaucher des gens dans le secteur public en matière de santé mentale et
pour les garder dans le secteur public.
Aujourd'hui, on a deux demandes
précises pour Lionel Carmant. D'abord, il faut bonifier les salaires des
psychologues et des autres professionnels de la santé mentale dans le réseau
public. Juste pour vous donner une idée, les psychologues au public en ce
moment font 30 % de moins que leurs collègues du privé. Les psychologues
du public sont actuellement en négociations, alors là, c'est le temps d'envoyer
un signal, c'est le temps de promettre qu'on va réduire significativement
l'écart entre le public et le privé. La balle est dans le camp du gouvernement.
Les conventions collectives sont ouvertes, donc les astres sont alignés pour
qu'on annonce enfin qu'on va améliorer les salaires des psychologues dans le
réseau public.
Deuxième demande. Il faut arrêter de
traiter les professionnels de la santé mentale comme des employés d'usine. Il
faut leur donner de l'autonomie professionnelle. Concrètement, c'est quoi, ça,
de l'autonomie professionnelle? Bien, c'est d'abord mettre fin au système des
quotas. Parce que, depuis les réformes libérales, les gens ne le savent peut-être
pas, mais dans plusieurs CLSC les psychologues ont des quotas de nombre de
patients. Dans certains cas, ils sont même obligés de voir 82 nouveaux
patients chaque année. Deuxième exemple. C'est quoi, de l'autonomie
professionnelle? Bien, c'est abolir les limites de séances. Dans plusieurs
CIUSSS à l'heure actuelle on impose des limites de séances aux psychologues. On
leur dit : Après 10 ou après 15 rencontres avec un patient, bien,
c'est fini, tu fermes le dossier.
Donc, ce genre de règles là sont
ridicules. Ça empêche les psychologues, les professionnels de la santé mentale
de faire leur travail et d'aider les gens. Et notre demande pour
Lionel Carmant aujourd'hui c'est de mettre fin à ces règles-là, de
s'engager à sortir de cette logique managériale, cette logique d'usine où on
met la pression sur les professionnels de santé mentale comme s'ils
travaillaient sur une chaîne de montage.
Pour régler la crise de santé mentale que
vit le Québec, il faut casser cette manière-là de travailler. Prendre soin du
monde, ce n'est pas travailler dans une usine. La santé mentale, ce n'est pas
une chaîne de montage. Il faut casser cette logique-là, redonner le pouvoir aux
gens qui s'occupent des Québécois et des Québécoises. Merci.
La Modératrice
: On va
prendre vos questions.
Mme Prince (Véronique) :
…parce que les solutions que vous proposez, ça prend quand même un certain à
mettre en place, là, je veux dire, embaucher des gens, les placer, etc.,
augmenter les conditions salariales, bon. À très, très court terme, là, vu
qu'on a des besoins immédiats et urgents, est-ce qu'il pourrait y avoir la
possibilité que le gouvernement crée un genre de passerelle avec le privé en
disant : Bien, exceptionnellement, en pandémie, on vous autorise à
rembourser les psychologues au privé pour qu'ils viennent aider le public?
M. Nadeau-Dubois : Oui.
Selon nous, ce n'est pas la solution. C'est la proposition libérale, ce que
vous évoquez là, puis ce n'est pas la bonne solution. Ce n'est pas la bonne
solution parce que ça va consacrer l'existence d'un système à deux vitesses. Et
ce n'est pas la solution parce qu'on sait très bien que les cas les plus
lourds, là, les gens qui ne vont vraiment pas bien, où ils se retrouvent?, au
public. Alors, ce qu'il faut, c'est renforcer le réseau public en matière de
santé mentale. Ça, c'est la solution de Québec solidaire. Puis on est contents
que le ministre Carmant ait suivi cette voie-là qu'on lui propose depuis
maintenant plus d'un mois. Elle est là, la solution.
Mais je suis désolé, les conventions
collectives, elles sont ouvertes en ce moment. Donc, ce n'est pas vrai que ça
prend... que ça va prendre plusieurs années pour bonifier les conditions de
travail. Il y a des psychologues qui très récemment l'ont dit, ils sont en ce
moment au privé, ils sont prêts à aller au public. On a même des histoires qui
nous sont racontées, des témoignages de psychologues qui ont appliqué durant la
première vague à Je contribue, des psychologues du privé qui ont appliqué à Je
contribue parce qu'ils veulent aller au public, ils sont prêts à y aller d'un
jour à l'autre. La seule chose qu'ils disent, c'est : Bien, on aimerait
quand même avoir des conditions de travail raisonnables, des salaires
raisonnables puis surtout une autonomie professionnelle.
Ce que les psychologues nous disent sur le
terrain, là, puis on reçoit des témoignages à chaque jour, c'est qu'on leur
dit : Après 10 séances, tu fermes le dossier, je veux dire, sans
égard à l'état du patient. Cette manière-là de traiter les gens qui travaillent
dans le public en santé mentale, ça décourage les gens du privé de faire le
saut puis d'aller donner de l'aide au public.
Donc, c'est une solution à court terme,
parce que les conventions sont ouvertes, de dire : Améliorez les salaires,
donnez de l'autonomie aux gens, arrêtez de les presser comme des citrons, et
les psychologues, à l'intérieur de quelques semaines, vont retourner au public.
Nous, on en est convaincus.
Mme Prince (Véronique) :
Est-ce qu'on pourrait aussi demander, par exemple, aux étudiants qui n'ont pas
encore nécessairement leur titre, qui ne sont pas encore docteurs, mais qui
sont... de venir contribuer, justement, si on a un manque actuellement, même
s'ils n'ont pas leur titre? Ça prend une certification, mais est-ce qu'on
pourrait enlever cette barrière-là le temps de la pandémie?
M. Nadeau-Dubois : Moi,
je trouve que c'est une piste intéressante. C'est une piste intéressante. On a
besoin de toute l'aide nécessaire dans le réseau public. Donc, oui, je pense,
c'est une avenue qui devrait être explorée. Ça me semble une proposition
intéressante, oui.
M. Larin (Vincent) :
...qui dit aux psychologues de fermer les dossiers après 10 rencontres?
M. Nadeau-Dubois : Les
gestionnaires du réseau de la santé. C'est des pratiques qui sont communes dans
le réseau de la santé à l'heure actuelle. Nous, on a des témoignages qui
proviennent de plusieurs CIUSSS. C'est des pratiques documentées et normales,
là. Après, parfois 10, parfois 15 séances, les psychologues doivent fermer
les dossiers. Parfois, il y a une possibilité de demander à leur coordonnateur
d'équipe une prolongation, mais ces prolongations-là sont accordées très, très,
très rarement. Il faut que ça soit lourdement justifié.
Alors nous, ce qu'on dit, c'est : Des
psychologues, là, c'est des gens qui ont des doctorats, je pense qu'ils sont en
mesure de prendre cette décision-là et de savoir : Est-ce que mon patient,
il va assez bien pour qu'on arrête la psychothérapie ou est-ce qu'on doit
continuer?
La vérité, c'est que cette logique-là,
elle vient d'où? Elle vient des libéraux. C'est les réformes libérales des
15 dernières années qui ont instauré ces modes de gestion là dans le
réseau de la santé, et en santé mentale, ça donne des absurdités comme ça.
C'est vraiment une logique de fast-food de la psychothérapie, c'est-à-dire on
donne un nombre de séances et après on demande aux gens de fermer les dossiers.
Donc, cette logique du fast-food de la
santé mentale, c'est l'héritage du Parti libéral. Il faut casser cette
logique-là. Parce que, si on annonce du nouvel argent, qu'on met du nouveau
monde dans les CLSC, mais qu'on ne les laisse pas faire leur travail, qu'est-ce
qui va arriver? Il va y avoir un système de portes tournantes, c'est-à-dire les
gens vont aller faire 10 séances dans le réseau public, ils n'en sortiront
pas vraiment dans un meilleur état, puis ces gens-là vont juste revenir
quelques mois plus tard dans le système en disant : Finalement, je ne vais
pas mieux.
Et alors, c'est pour ça qu'on dit :
Mettez du nouvel argent, c'est bien, embauchez du nouveau monde, c'est bien;
maintenant, comment on fait pour que ce monde-là fasse bien leur travail? Parce
que sinon, là, on va juste consacrer la logique actuelle qui est la logique
libérale où on a un réseau public qui fait de la santé mentale, mais dans des
conditions tellement pitoyables qu'on n'est pas capables d'aider les gens. Puis
les statistiques, elles ne s'amélioreront pas si on ne casse pas cette
logique-là.
M. Larin (Vincent) : Est-ce
que vous avez chiffré, à Québec solidaire, le coût des mesures que vous
proposez en santé mentale? Je sais que les Libéraux, leur plan, c'est 300 millions.
C'est clair, c'est précis.
M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est-à-dire,
nous, ce qu'on dit, c'est : En ce moment, il y a un écart de 30 % en
moyenne entre le salaire des psychologues au public puis le salaire au privé.
On n'est pas à la table des négociations, ce n'est pas à nous de dire :
Les psychologues devraient faire tant de l'heure. Ce qu'on demande, c'est de
réduire cet écart-là. Oui, ça représente des dépenses supplémentaires, mais, je
veux dire, on a un déficit de 15 milliards en ce moment, là, je pense
qu'on peut dépenser quelques dizaines de millions pour bonifier les conditions
de travail des gens qui s'occupent de la santé mentale des Québécois,
Québécoises. Honnêtement, ça me semble davantage un investissement qu'une
dépense.
M. Larin (Vincent) :
...quelques dizaines de millions?
M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est
parce que pour chiffrer la proposition il faudrait qu'on détermine le salaire.
Moi, ce matin en point de presse, je ne représente pas les psychologues, ce
n'est pas à moi de dire : On propose qu'ils fassent tant par année. Mais
ce n'est pas des coûts faramineux que de réduire un peu cet écart-là.
M. Larin (Vincent) : O.K.
La Modératrice
: Une
dernière question?
M. Nadeau-Dubois : Peut-être
sur la question des limites de séances, là, il faut savoir qu'il n'y a pas de
pratique uniforme partout dans le réseau de la santé et des services sociaux,
hein? Il y a des limites dans certains CIUSSS : parfois, il y en a moins,
parfois, elles sont plus basses, parfois, elles sont plus élevées. Nous, on a
des témoignages de beaucoup de psychologues, dans certains CIUSSS, qui nous
disent : Chez nous, c'est 10 séances, d'autres qui nous disent :
Chez nous, c'est 15 séances, puis il faut demander la permission à un
coordonnateur, qui n'est souvent pas formé en santé mentale, d'ailleurs, de
continuer à voir nos patients. Puis ça, c'est l'héritage des réformes libérales
en santé mentale, puis aux dernières nouvelles le ministre Lionel Carmant veut
les prolonger puis continuer de les appliquer partout au Québec.
Donc, nous, l'appel qu'on lance ce matin,
c'est : Vous avez mis l'argent, c'est très bien; maintenant, changez le
modèle parce que sinon on va continuer à avoir des citoyens puis des citoyennes
qui tournent dans le système et qui reviennent sans cesse parce qu'on n'a pas
pris soin d'eux. Puis d'ailleurs je pense que c'est les cas les plus lourds qui
se retrouvent dans cette situation-là, puis ces cas-là n'iront pas au privé, le
privé n'en veut pas. C'est pour ça qu'il faut miser sur le public.
Mme Prince (Véronique) : …la
réforme Barrette?
M. Nadeau-Dubois : Il y a eu plusieurs
réformes dans le réseau de la santé dans les 15 dernières années, là, mais
les réformes managériales de ce type-là, c'est dans les 15 dernières
années qu'elles ont eu lieu. Comme je vous dis, ce n'est pas uniforme partout
dans le réseau, mais dans plusieurs CIUSSS, oui, c'est 10 séances, dans
d'autres, c'est 15 séances.
Et, dans le cadre du programme lancé par
les libéraux, que M. Carmant veut prolonger, le fameux PQPTM, là, ce programme-là
est l'incarnation parfaite de la logique en question. Ça, ça a été un programme
annoncé par les libéraux juste avant la dernière campagne électorale. C'était
censé être une très bonne nouvelle. Dans les faits, sur le terrain, c'est exactement
cette logique-là qui continue, c'est-à-dire un système qui est vraiment un système
de fast-food, là, où on minute les séances, où on limite le nombre de séances.
C'est dans le cadre de ce programme-là qu'il
y a la fameuse absurdité des autosoins, là, donc on dit aux psychologues :
Commencez par voir les gens, mais les deux ou trois premières séances, là, ça
va être des autosoins, ça fait que vous donnez un petit guide à la personne
puis vous lui dites comment prendre soin d'elle. Ça, c'est la logique libérale.
Puis, aux dernières nouvelles, Lionel Carmant veut déployer ce programme-là
partout au Québec. Merci.
(Fin à 9 h 29)