(Neuf heures trente-neuf minutes)
M. Birnbaum : Bonjour,
messieurs, mesdames. Écoutez, j'ai l'opportunité, ce matin, d'interpeler le
ministre délégué à la Santé et des Services sociaux, Lionel Carmant, sur la
question de la santé mentale.
La crise de santé mentale. Écoutez, ça fait
des mois qu'on l'identifie ainsi et que le ministre et son gouvernement
n'acceptent pas cette description. Ça ne vient pas de nous. Ça vient des
experts sur le terrain, ça vient des témoignages des parents, des enfants qui
souffrent, des aînés en perte d'autonomie accélérée due à la pandémie. Ça vient
des statistiques.
Depuis le début de la pandémie, on avait
une liste d'attente, pour les services en santé mentale, aux alentours de
16 000 personnes. Malgré les gestes modestes, je dirais, du ministre et de
son gouvernement, peut-être suite au fait qu'il n'identifie pas une crise,
cette liste est maintenant rendue à 20 000 personnes. Comme je dis, ces
20 000 personnes, c'est des adolescents en crise d'anxiété, c'est des
adultes qui auraient perdu le travail, peut-être, ou qui sont en confinement,
qui sont devant la dépression majeure. Et, comme je dis, c'est une cible, entre
autres, d'aînés autonomes qui voient leur autonomie compromise davantage par
les réalités de la pandémie.
Chaque indicateur, que ce soit de la
toxicomanie, des pensées suicidaires, de la violence conjugale nous démontre
que nous sommes devant une crise. La crise sanitaire, bon, n'est pas finie,
mais il y a des vaccinations qui risquent de pallier à la souffrance. Il n'y a
pas de vaccination contre la dépression. Il n'y a pas de vaccination pour un
adolescent qui, maintenant, est en voie de décrochage parce qu'il n'était pas
accompagné autour de cette période, oui, de crise.
Donc, j'ai déjà eu, à l'Assemblée nationale,
l'opportunité, à plusieurs reprises, plus qu'une douzaine, de questionner le
ministre délégué ainsi que le ministre de la Santé sur cette crise, sur les
enjeux sur le terrain, sur le financement nécessaire. Et, si j'ai une
interpellation à faire ce matin, ça va être au nom de ces parents, de ces gens
qui souffrent, qui ont des questions sur les listes d'attente, comment ça se
fait qu'ils augmentent, ils grandissent au lieu de réduire, sur les services
sur le terrain, sur le manque d'accompagnement pour les regroupements
communautaires d'entrée qui font un travail héroïque et ils se disent délestés
par le gouvernement.
Alors, au nom de tous ces gens-là, j'aurai
des questions, ce matin, à poser surtout sur quatre volets. Le fameux 100 millions
de dollars que le ministre délégué a annoncés. Y a-t-il des résultats
mesurables? Y a-t-il un impact — de toute évidence, non — sur
les listes d'attentes? Je vais le questionner justement sur les regroupements
communautaires. Il y en a pour la prévention du suicide, d'autres qui
accompagnent des gens en dépression, d'autres qui sont sur le terrain pour
aider les gens avec des problèmes de consommation. Tous ces groupes-là me
disent, lors de mes plusieurs rencontres, que l'argent ne se rend pas, qu'ils
ne se sentent pas accompagnés, que les programmes qui sortent ne s'arriment pas
avec les nôtres... les siens, qu'ils ont des difficultés à embaucher et retenir
du monde, donc de la grande difficulté à accompagner du monde vulnérable durant
cette crise. Alors, je vais avoir des questions là-dessus.
Le ministre souvent, en réponse à mes
questions, parle d'une continuité du service, un changement de culture. C'est
intéressant, un petit peu obscur, comme réponse, pour la mère qui s'en fait
pour son enfant qui est en crise d'anxiété. Il nous parle souvent de son plan
de cinq ans qui s'en vient à l'automne. Bon, oui, les délais à cause de la
pandémie. Mais nous sommes en crise, alors c'est où, les voies? Il constate
lui-même deux choses dont j'aurais plusieurs questions, que, oui, ses propres
cibles, en termes de réduction des listes d'attente, ne seront pas rejointes.
On est à cinq fois de sa cible, en termes de personnes en détresse qui
attendent l'aide. Lui-même il constate. Deuxièmement, lui-même il constate que,
oui, les dépenses de son gouvernement, en tout ce qui a trait à la santé
mentale, ne sont probablement pas à la taille.
Écoutez, ce n'est pas moi qui est autour
du Conseil des ministres pour convaincre le premier ministre Legault que, oui,
il y a une crise, et lors des crises, comme une crise sanitaire, on confie des
ressources, on ait des plans concrets. C'est le ministre délégué qui est là. Alors,
j'admets que je commence, au nom de ces gens en détresse, à m'impatienter un
petit peu. C'est où, les réponses sur ces questions?
Finalement, finalement et très important,
le ministre, chaque fois que je note que nous avons proposé une stratégie
structurante, réaliste et, oui, ambitieuse, c'est-à-dire l'accès universel et
gratuit à la psychothérapie... Oui, il y a des gens qui ont besoin d'autres
interventions moins ambitieuses, mais c'est sûr que, parmi ces 20 000
personnes sur les listes d'attente, il y en a qui ont besoin d'interventions,
et maintenant, et l'intervention pas à deux vitesses, avec une attente de six à
24 mois au public ou au privé, s'ils ont l'argent pour aller au privé où
les listes d'attente sont trop longues aussi.
Donc, pour cette population-là, qui est un
nombre important, ils ont besoin de l'aide, et de façon structurée et réaliste,
et c'est pourquoi nous avons notre proposition qui continue de recevoir un
manque d'enthousiasme, pour dire le moins, du ministre et de son premier
ministre François Legault. Donc, nous sommes devant une crise, alors les
questions s'imposent et je compte les poser aujourd'hui, et regarder le suivi.
M. Laforest (Alain) : Est-ce
que le déconfinement qui s'enclenche dès aujourd'hui va faire baisser la
pression sur les problèmes de santé mentale, selon vous, ou c'est suffisamment
profond que ça va demeurer très longtemps?
M. Birnbaum : Je trouve la
question très pertinente. Ce n'est pas moi, mais les experts qui nous
préviennent que les impacts de cette pandémie, premièrement, sur une population
vulnérable, qui aurait déjà des difficultés de santé mentale, ces problèmes
sont sûrement aggravés par la pandémie, et ce n'est pas le déconfinement tout
seul qui va régler ces cas-là. Chacun de ces cas aurait besoin de l'aide quand
même.
Si je pense aux enfants, aux jeunes, et,
une autre fois, c'est des psychologues au sein du réseau des écoles qui le
disent, un enfant qui aurait souffert sur le plan social au moment très crucial
de sa vie, durant cette pandémie, woups! soudainement, là, la vie retourne à la
normale. Peut-être c'est un enfant déjà vulnérable qui a de la difficulté sur
le plan social. Où va être l'accompagnement, qui n'a pas été bonifié durant la
pandémie, pour lui, pendant qu'il fait, avec nous, la transition, oui, oui,
souhaitée de voir une fin de pandémie, mais comment il va être accompagné
durant cette transition qui risque d'être très difficile?
Même chose, je peux citer même ma propre
famille, et c'est une cible qui me préoccupe beaucoup, les aînés autonomes, qui
ont mangé une dure claque, durant cette pandémie-là, en étant confinés, des
fois, se sont exprimés ainsi à moi : ils se sentent infantilisés par les
contraintes, par les consignes. Là, ils vont sortir de cette isolation, mais il
y aura-t-il des séquelles, des conséquences qui exigent une réponse structurante
et claire qui n'est pas, de toute évidence, offerte par le ministre actuel?
M. Bergeron (Patrice) : Le
ministre a accepté un programme, donc, après avoir été mis au courant de
problèmes de santé mentale dans la population. Mais est-ce qu'il n'aurait pas
été possible de faire ça... d'être beaucoup plus prévoyant, c'est-à-dire,
depuis le début de la pandémie? Est-ce que vous pensez que le gouvernement a
échoué en fait de prévention de cette crise de santé mentale là?
M. Birnbaum : Mais, écoutez, il
faut dire que le mot «prévention», qui est un mot assez clé quand on parle du
bien-être mental, la santé mentale, je ne l'entends pas souvent, dans un
premier temps.
Dans un deuxième temps, j'aurai des
questions là-dessus, le même manque de rigueur de... bon, de façon de ce
gouvernement de s'adresser aux autres crises : la crise du logement, la
crise de pénurie de main-d'oeuvre, la crise sanitaire. C'est où, la rigueur, le
suivi? La question est bien placée. Est-ce qu'on sait combien de gens sont
traités, qui ont été sur la liste d'attente? Comment, est-ce que leur nom est
ajouté à la liste d'attente? Comment c'est enlevé? Est-ce que c'est suite à une
intervention sérieuse? L'argent qui a été octroyé, un modeste montant pour
aider les jeunes aux écoles, c'est quoi, la suite, c'est quoi, le suivi? Y
a-t-il la moindre évidence que ça fonctionne? Alors, on a des questions
là-dessus.
Il y a un programme formidable, si je peux
me permettre un autre exemple : le programme Sentinelle, les éclaireurs,
basés sur un programme phare qui a sauvé du monde à Mégantic. L'accompagnement,
le suivi des gens identifiés par des équipes multidisciplinaires, on parle de
faire descendre ça dans les régions. Les regroupements communautaires, qui ont
de l'expertise, me disent : Ils ne m'ont pas parlé de ça. L'argent, et on le
constate de nouveau ce matin, l'argent n'est pas au rendez-vous. On essaie
d'être partenaires et d'accompagner notre monde, mais les outils ne sont pas
là, ils ne sont pas mesurés, après, il n'y a pas de suivi. Alors, si on ne peut
pas bien identifier le problème, comment on va le régler?
M. Bergeron (Patrice) : Cette
semaine, vous avez présenté une motion concernant les attaques et les insultes
qui visent la communauté juive, dont vous êtes issu. Pourquoi vous avez jugé
bon de présenter cette motion-là? Est-ce que vous avez vous-même témoin ou des
gens autour de vous ont été témoins de ce genre d'acte là? Et pourquoi vous
trouvez que c'est important de faire ça?
M. Birnbaum : Oui, justement,
et je peux vous dire que la communauté a été très soulagée de voir qu'il y a
une validation du fait que, premièrement, ils font partie intégrante,
évidemment, de notre Québec et de voir que ma préoccupation, leur
préoccupation, a été partagée par les parlementaires de chaque formation.
Il y a un débat toujours difficile sur le
Moyen-Orient, on en convient. De manifester selon nos points de vue là-dessus
est tout à fait légitime, mais d'entendre qu'une jeune femme dans ma communauté,
qui s'affiche comme… a reçu des textos terriblement misogynes, menaçants, que
des gens dans la communauté ont vu deux personnes passer, créer des
comparaisons assez difficiles à entendre, d'entendre des menaces dans la
communauté où on vit, oui, c'est à signaler et je suis fier de mes
co-parlementaires qui l'ont signalé comme il faut.
Comme je dis, il y a une façon d'agir sur
les débats difficiles et il y a une autre façon, qui est premièrement illégale
et pour lequel il y a zéro tolérance au Québec, c'est l'antisémitisme et le
racisme.
M. Bergeron (Patrice) :
Est-ce qu'il y a plus d'antisémitisme maintenant qu'il y en avait avant le
dernier conflit, là, qui vient de survenir?
M. Birnbaum : Oui. Écoutez, c'est
toujours malheureux, je suis un ancien directeur-général du Congrès juif
canadien, région du Québec, de voir ce type de haine qui est tellement
résistant, qui perdure depuis 4 000 ans et qui est toujours présent. C'est
un problème au Québec, comme partout au Canada, comme partout au monde, et,
chaque fois qu'il y a un conflit au Moyen-Orient, il y a des retombées. Alors,
il y a en avait cette fois-ci qui étaient inacceptables, et l'Assemblée
nationale s'est prononcée là-dessus.
M. Lavallée (Hugo) :
Concernant le déconfinement, de façon plus générale, avez-vous des craintes
particulières au-delà de la santé mentale? On voit qu'il y a des
assouplissements dès aujourd'hui. Pensez-vous que les Québécois vont faire les
choses dans l'ordre, vu qu'il y a un risque, peut-être, d'être trop
enthousiaste? Comment vous voyez ça?
M. Birnbaum : Oui, c'est une
question importante parce que, de façon légitime, pour tout ce qui a trait à la
crise sanitaire, on peut, de façon systématique, j'espère, et très rigoureuse,
se calmer un petit peu, réduire les mesures contraignantes. La crise de santé
mentale qui l'accompagne est tout un autre ordre. Les gens qui souffrent des
difficultés ont besoin d'être soignés maintenant.
D'être sur une liste d'attente pour des
services psychologiques, durant la pandémie, pour six mois ou
24 mois, est inacceptable. C'est une souffrance impossible. D'être sur
cette liste d'attente, une fois que la pandémie soit finie, est aussi sérieux.
Alors, les réponses aux questions que je pose aujourd'hui sont dans un contexte
d'une pandémie qui ralentit, mais un contexte de crise qui perdurera si les
programmes, l'argent, la rigueur n'est pas au rendez-vous.
M. Lavallée (Hugo) : Mais
c'était une question plus générale. Je vous demandais par rapport à toutes les
mesures d'assouplissement, les terrasses, la fin du couvre-feu, est-ce que vous
craignez que le virus revienne, là, si les gens sont trop enthousiastes?
M. Birnbaum : Oui. Il faut
dire que les Québécois, de tout âge sont impatients. Je crois que nous étions
assez disciplinés, et on peut en être fiers. Par contre, tous les experts nous
rappellent que les risques ne sont pas absents. Et de parler d'une quatrième
vague n'est pas sans fondement possible. Donc, c'est la vigilance qui s'impose.
Je compte sur nos concitoyens et concitoyennes de se comporter responsablement.
Et je compte sur le gouvernement de la CAQ d'être très clair, transparent dans
ses consignes, dans ses conseils et dans ses suivis.
M. Lavallée (Hugo) : Est-ce
que vous estimez que c'était justifié, là, que le premier ministre publie des
publicités aujourd'hui dans les journaux pour féliciter les Québécois, dire
qu'on a mieux traversé la troisième vague que d'autres juridictions? Est-ce que
c'est justifié, là, de se payer ces publicités-là?
M. Birnbaum : Oui. Comme nous
avons souligné durant la session parlementaire, des sessions parlementaires
cette semaine, écoutez, il y a une ligne à tracer. Est-ce qu'un gouvernement a,
légitimement, à communiquer avec ses concitoyens et concitoyennes? C'est sûr.
Mais, de se permettre, comme le premier ministre a tendance de faire dans ses
communications, dans ses sondages, de poser les questions de l'ordre, pour être
poli, pas mal partisans, là, les questions peuvent se poser.
M. Lavallée (Hugo) : …dans
les journaux ce matin, le message?
M. Birnbaum : Bon, écoutez, je
crois que, comme je dis, nous avons de quoi être fiers, au Québec. Je pense à
une chose dont on ne parle pas souvent, la façon rigoureuse, créative et
formidable que nos communautés des Premières Nations et inuit ont répondu pour
se protéger durant cette pandémie...
M. Laforest (Alain) : Donc,
le premier ministre a bien fait de dire merci aux Québécois, ce matin?
M. Birnbaum : Bien, écoutez,
oui. Je me permets ma mise en garde en même temps, mais oui.
Le Modérateur
: O.K. On
va passer aux questions en anglais, maintenant.
M. Verville (Jean-Vincent) : I'll
come back on the mental issue...
M. Birnbaum : …you understand that the National Assembly's awaiting…
M. Verville
(Jean-Vincent) : …released a poll this morning
that found that just over 20 % of Francophones in Québec believe the
province should we able to amend the Constitution. What does this number
indicates to you?
M. Birnbaum : Yes. Well, listen, we're in front of a CAQ-proposed law on
language, and they've got a lot of explaining to do. We have a lot of questions
with respect to whether they offer inclusive, and smart, and productive ways to
promote the French language, a job that we all have to share. Do they do it in
a spirit of collaboration with and protection for the English-speaking
community? We've got a lot of questions. We put together our own plan. I'm not
going to defend the CAQ'S law. We'll have plenty of chances to offer our
suggestions, our criticisms of it in parliamentary commission. We put together
our own plan, which I'm very proud to defend, which finds that balance.
M. Verville
(Jean-Vincent) : If you had to summarize what
you just said this morning...
M. Birnbaum : Yes, thank you. Yes.
I have the opportunity this morning to question the Minister in a two-hour
«interpellation» on the crisis in mental health. We have a lot of questions.
I've posed them in question period, more than a dozen during this session, but
we have more.
We want to know where the
money is to meet this problem. We want to know that those in distress, which
include a majority of self-declared young people who say they've suffered
during this pandemic... There are people suffering from major depression. On
every indicator, substance abuse, conjugal violence... every indicator has gone
up. We have a crisis in mental health. The Minister Carmant, repeatedly, has
said that crisis doesn't exist. It's time for some answers. We have a very
structured proposal for universal access to psychotherapy; the Minister has
said no.
Furthermore, I want to
know... The Minister himself said that he doesn't think that his Government's expenses are up to the
challenges on mental health. Well, he sits around the Cabinet table. Why isn't
his Premier spending more? I don't sit there to get... to ask that question
directly, but I'll ask it today.
Des voix
:Thank you.
Le Modérateur
:Thank you very
much. Merci beaucoup, mesdames,
messieurs.
M. Birnbaum : Merci. Thank you.
(Fin à 9 h 59)