(Douze heures quarante minutes)
Mme
Hivon
: Oui.
Bonjour, tout le monde. Merci d'être là. Évidemment, je voulais réagir au dépôt
du projet de loi par le gouvernement sur le tribunal spécialisé.
D'abord, je veux juste souligner que, des
fois, on se questionne, en démocratie, sur le rôle de chacun, mais je pense
que, quand on voit des avancées comme celle-là, on peut constater que le rôle
des oppositions, il est fondamental, il demeure fondamental.
C'est une idée que je porte avec ma
formation politique depuis mars 2018. Donc, on a lancé cette idée-là après
avoir fait, évidemment, un travail de recherche exhaustif sur comment améliorer
le traitement des crimes de violence sexuelle et conjugale dans notre système,
de rebâtir la confiance, et ça a mené à, vraiment, de belles avancées.
Ça fait que, pour moi, aujourd'hui, c'est
important de dire qu'on est capable de travailler, dans les oppositions, de
manière vraiment constructive, productive, de tendre la main au gouvernement,
de créer des initiatives qui donnent des résultats, puis je pense qu'aujourd'hui
on a vraiment un bel exemple de ça.
Donc, comme je l'ai fait cet été, quand le
ministre a annoncé son intention, je me réjouis, bien sûr, de voir que l'idée
du tribunal spécialisé va s'incarner, là, dans un projet de loi qui est déposé
aujourd'hui. Donc, sur le principe, c'est sûr que l'on continue à se réjouir,
et puis on va collaborer, vraiment, pour en faire le meilleur projet de loi
possible, mais je vous dirais, pas juste un projet de loi, mais un changement
dans le système, le meilleur possible, et c'est là, aujourd'hui, qu'il nous
reste beaucoup de questionnements et beaucoup de recherche de détails.
Parce que c'est une chose de créer une
enveloppe, je vous dirais, une coquille, un cadre dans un projet de loi, mais
c'en est toute une autre de changer une philosophie, de faire atterrir des
manières de faire différentes. Et, là-dessus, il y a vraiment beaucoup de
choses qui vont devoir être travaillées.
Je vais vous en nommer quelques-uns, des
éléments qui auraient pu être dans le projet de loi. Et on est conscient que
tout ne peut pas être dans le projet de loi, mais ça m'aurait rassurée
d'entendre le ministre et les ministres nous les dire, au moins, et de dire :
Il va y avoir des énoncés de principe. Et ce n'est pas ce que j'ai entendu, malheureusement.
Je vous donne quelques exemples. Dans le
projet de loi, on parle de la formation qui va être donnée à tous les juges,
mais l'idée d'un tribunal spécialisé, ce n'est pas juste les juges, c'est les
corps policiers, dès le début, c'est les procureurs, c'est tout le monde qui va
graviter autour de cette instance-là, les intervenants psychosociaux. Tous ces
gens-là doivent être formés, et non seulement formés, mais spécialisés. Et là,
je ne voudrais pas que le focus ne soit que sur les juges, qui est un élément,
mais quand vous parlez à des victimes, elles vont vous parler aussi de
l'importance d'être accueillies par des gens formés et spécialisés tout le long
du processus. Donc, ça, on reste sur notre appétit, clairement, là-dessus.
L'autre chose aussi, c'est que, nous, on
est tout à fait favorables à l'idée de donner une formation générale à tous les
juges. Mais l'idée de spécialisation, c'est aussi de s'assurer qu'il va y avoir
autant des procureurs, des policiers, mais des juges qui vont être spécialisés.
Donc, ça veut dire qu'au-delà de la formation qui est prévue, de base, qu'il va
y avoir une formation continue qui va de pair avec l'idée d'être spécialisé,
pas juste sur les développements juridiques, mais sur toute la question des
traumatismes et de la psychologie des victimes, et de comment tout ça joue
quand on a un procès qui met en cause une victime.
L'autre grand absent du projet de loi,
c'est toute la question de l'accompagnement des victimes. Le tribunal
spécialisé, c'est une instance, c'est une division, et, ça, je salue ça que ce
soit noir sur blanc dans le projet de loi, mais c'est une philosophie
d'accompagnement dès les premiers pas. Et dans le rapport Rebâtir la
confiance il y a vraiment des recommandations très concrètes sur cet
accompagnement-là. Comme, par exemple, que la victime puisse avoir du conseil
juridique avant même d'aller déposer une plainte, et ça, on aurait pu retrouver
ça. On aurait pu retrouver une intention de modifier, par exemple, loi ou
réglementation en matière d'aide juridique pour consacrer ce droit-là, cette
nouveauté dans l'accompagnement. Ça, ce n'est pas là, puis je n'ai pas entendu
le ministre le dire.
D'autres exemples que je vous donne
rapidement. C'est suggéré, c'est proposé dans le rapport que toutes les
plaintes en matière de violence sexuelle et conjugale se rendent au DPCP. Ce
n'est pas, je n'ai pas rien entendu par rapport à ça, je n'ai pas entendu non
plus cette idée d'avoir une révision systématique, quand une plainte n'est pas
retenue au DPCP, par un deuxième procureur par exemple. Donc, je vous donne des
exemples de moyens très concrets qui sont mis de l'avant dans le rapport Rebâtir
la confiance, et qui ne semblent pas avoir retenu, là, à ce jour,
l'attention du gouvernement.
Puis, en terminant, je veux vraiment
insister sur le fait qu'il doit y avoir une philosophie qui découle de ça. Et
malheureusement, dans le projet de loi en lui-même, ce n'est pas présent. Donc,
il va falloir s'en assurer en améliorant le projet de loi, mais aussi en
s'assurant d'engagements de la part du gouvernement, à savoir que les victimes
vont être accompagnées de manière juridique, psychosociale par des gens formés
tout au long du processus. Et ça, c'est au coeur même de toute la philosophie
du rapport et de l'idée d'un tribunal spécialisé qui est comme l'ultime point
de la philosophie. Donc, on va vouloir vraiment travailler là-dessus avec le
gouvernement.
La Modératrice
: On va
prendre les questions.
M. Denis (Maxime) : …ils vont
suivre les formations, que ce soit les juges ou les autres intervenants? Parce
que là, on laisse ça au Conseil de la magistrature, là.
Mme
Hivon
: Oui.
Alors, ça, c'est une question vraiment fondamentale, et puis je pense qu'il va
falloir connaître le niveau, je dirais, d'intégration : Projet de loi,
ministère de la Justice, Cour du Québec. Donc, il va falloir que, ça, ça
fonctionne bien ensemble, que ça collabore bien pour que tout ça puisse
atterrir. Parce que c'est une chose de dire : Ah! j'ai donné suite à un
engagement phare ou une proposition phare du rapport, mais après, il faut que
ça atterrisse comme il faut. Puis, moi, là, je pense que, dans le projet de
loi, on n'a pas tout ce qu'il faut pour que ça atterrisse comme il faut. Ça
fait que ça, c'est un exemple.
Mais, l'autre chose qui me rend un peu
inconfortable, aujourd'hui, c'est que la formation des juges, elle est vraiment
importante, mais la formation des autres acteurs, elle est vraiment, vraiment
centrale, puis là, je n'ai pas entendu un mot aujourd'hui là-dessus. Donc,
comment on va travailler là-dessus? Avec les corps de police, avec le DPCP? Il
va falloir qu'il y ait beaucoup de travail qui se fasse aussi, là.
Mme Lajoie (Geneviève) : …le
ministre n'a pas été très clair au sujet de... Il veut réduire les délais pour
ce genre de causes, mais de quelle façon est-ce que ça peut se faire, là, avec
le tribunal spécialisé? On n'a pas bien compris de la façon dont ça peut se
réaliser.
Mme
Hivon
: Oui.
Bien, en fait, il y a un grand flou. C'est un autre, c'est un autre, c'est un
autre, je dirais, domaine de flou. C'est tout ce qui va concerner les
échéanciers dans le déploiement, puis les résultats concrets qui sont attendus,
dont la question de la réduction des délais. C'est un avantage, un tribunal
spécialisé, de pouvoir contribuer à réduire les délais. C'est une des raisons
pour lesquelles c'est une bonne idée. Pourquoi? Parce qu'en ayant un rôle
dédié, donc une chambre dédiée, qui est une division dédiée dans la Chambre, ce
qui est noir sur blanc dans le projet de loi, on peut ensuite avoir un rôle
dédié. Un rôle, là, ça, ça veut dire que c'est juste les causes qui concernent ces
sujets-là qui sont mises de l'avant pour une instance dédiée. Donc, ça, oui, ça
peut contribuer, mais effectivement on n'a pas eu beaucoup de détails sur
comment ça va s'opérationnaliser.
L'autre grande inconnue, c'est les projets
pilotes, c'est-à-dire qu'à partir du moment où le ministre n'est pas capable de
répondre à c'est quoi, son échéancier, c'est quoi, son horizon, moi, j'ai une
grande crainte qu'on fasse des projets pilotes et qu'ensuite ce soit évaluation
sur évaluation pendant des années. Puis je ne veux pas qu'on vive avec deux
classes de victimes au Québec, celles qui vont être dans des districts
judiciaires où il va y avoir un projet pilote, et tout le reste du Québec, où
on n'aura pas ça peut-être pendant des années alors que l'urgence, elle est là.
Et ça, vraiment, je suis restée sur mon appétit parce qu'il ne semble pas avoir
d'horizon temporel du ministre pour l'implantation de ça.
M. Lavallée (Hugo) : Mais au
niveau du projet de loi, parce qu'on comprend qu'il y a beaucoup d'autres aspects
qui doivent être réglés, le ministre lui-même le reconnaît, le projet de loi,
c'est un élément parmi d'autres. Est-ce que vous estimez qu'à l'intérieur même
du projet de loi il faut apporter des changements pour inclure les ajouts que
vous spécifiez, ou ça doit se faire à part?
Mme
Hivon
: Il y
a les deux, mais, dans le projet de loi, je pense que ça va prendre absolument
quelque chose sur l'accompagnement, c'est-à-dire que, ça, ça fait partie de la
philosophie aussi de la réalité du tribunal très concrètement, là, de savoir
que, quand elles vont être au tribunal, les victimes, elles vont avoir un
accompagnateur, un intervenant psychosocial dédié formé dans ce type de crime
là. Ça, ça fait partie… C'est au coeur même de l'idée d'un tribunal spécialisé,
c'est qu'on intègre davantage le psychosocial et le judiciaire. Donc, ça, ça va
être important.
Donc, tous les mécanismes
d'accompagnement, qu'ils soient prévus dans le moindre détail ou que le
ministre se donne le pouvoir de vraiment les déployer, pour moi, ça, c'est
fondamental. Même chose aussi, je vous dirais, sur tout l'encadrement du
tribunal spécialisé, c'est-à-dire les salles dédiées, les moyens de protéger la
victime, bon, tout ça, est-ce qu'on ne peut pas aller plus loin dans le projet
de loi?
Puis, pour les autres intervenants, toute
la question de la formation et de la spécialisation, j'insiste là-dessus, là,
parce que c'est une chose, c'est comme si vous dites : Tout le monde fait
sa médecine, puis on va donner toute la formation à tout le monde, ça ne fait
pas… c'est la base et c'est nécessaire, mais ça ne fait pas qu'après tout le
monde peut être spécialisé dans une matière. Donc, ça, c'est un élément qui est,
selon nous, manquant aussi. Merci beaucoup.
La Modératrice
: Merci
beaucoup. Bonne journée!
(Fin à 12 h 51)