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Version finale

15e législature, 1re session
(10 décembre 1919 au 14 février 1920)

Le mardi 3 février 1920

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable J.-N. Francoeur

La séance est ouverte à 3 heures.

M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!

 

Rapports de comités:

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le quinzième rapport du comité permanent des bills publics en général. Voici le rapport:

Votre comité a décidé de rapporter, sans amendement, le bill suivant:

- bill 164 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux cadavres qui peuvent servir à l'étude de l'anatomie;

Et, avec amendements, le bill suivant:

- bill 151 amendant les statuts refondus, 1909, relativement au Collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec;

Le bill 166 amendant les statuts refondus, 1909, relativement à l'instruction publique a été rejeté.

Produits laitiers

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) demande la permission de présenter le bill 241 amendant les statuts refondus 1909, relativement à la fabrication des produits laitiers.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Ingénieurs civils

M. Beaudry (Verchères) demande la permission de présenter le bill 167 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux ingénieurs civils.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Élections municipales

M. Létourneau (Québec-Est) demande la permission de présenter le bill 168 amendant le Code municipal de Québec relativement aux élections municipales.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Énergie hydraulique, expropriation de terrains

L'honorable M. Mercier fils (Châteauguay) demande la permission de présenter le bill 240 amendant les statuts refondus, 1909, relativement à l'expropriation des terrains pour l'exploitation des forces hydrauliques.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Sociétés coopératives agricoles

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) demande la permission de présenter le bill 32 amendant les statuts refondus, 1909, concernant les sociétés coopératives agricoles.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Directeur médical des hôpitaux d'aliénés et d'assistance publique

L'honorable M. David (Terrebonne) demande la permission de présenter le bill 38 amendant les statuts refondus, 1909, relativement au directeur médical des hôpitaux d'aliénés et d'assistance publique.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Terres publiques et bois et forêts

L'honorable M. Mercier fils (Châteauguay) demande la permission de présenter le bill 29 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux terres publiques et aux bois et forêts.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Canton Bourdages, comtés de L'Islet et de Montmagny

L'honorable M. Perrault (Arthabaska) demande la permission de présenter le bill 14 relatif au canton Bourdages situé partie dans le comté de L'Islet et partie dans le comté de Montmagny.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Officiers publics

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) demande la permission de présenter le bill 47 amendant la loi concernant certains officiers publics.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Drainage des terres par les municipalités

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) demande la permission de présenter le bill 35 relatif à certains emprunts, par les municipalités, pour aider à la construction de travaux de drainage des terres.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Tribunaux civils

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) demande la permission de présenter le bill 242 relatif à l'organisation et à la compétence des tribunaux de juridiction civile et à la procédure, en certains cas.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Directeur médical des hôpitaux d'aliénés et d'assistance publique

L'honorable M. David (Terrebonne) propose, appuyé par le représentant d'Arthabaska (l'honorable M. Perrault), qu'à la prochaine séance la Chambre se forme en comité plénier pour prendre en considération un projet de résolutions relatives au bill 38 concernant le directeur médical des hôpitaux d'aliénés et d'assistance publique.

Adopté.

Terres publiques et bois et forêts

L'honorable M. Mercier fils (Châteauguay) propose, appuyé par le représentant de Trois-Rivières (l'honorable M. Tessier), qu'à la prochaine séance la Chambre se forme en comité plénier pour prendre en considération un projet de résolutions relatives au bill 29 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux terres publiques et aux bois et forêts.

Adopté.

Témoins de la couronne

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Trois-Rivières (l'honorable M. Tessier), qu'à la prochaine séance la Chambre se forme en comité plénier pour prendre en considération un projet de résolution relative au paiement des témoins de la couronne.

Adopté.

Officiers de justice, traitement

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Trois-Rivières (l'honorable M. Tessier), qu'à la prochaine séance la Chambre se forme en comité plénier pour prendre en considération un projet de résolution relative au traitement de certains officiers de justice.

Adopté.

Président de la Commission des services publics

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Trois-Rivières (l'honorable M. Tessier), qu'à la prochaine séance la Chambre se forme en comité plénier pour prendre en considération un projet de résolution relative à la pension du président de la Commission des services publics de Québec.

Adopté.

Charte de Joliette

M. Robert (Rouville) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour étudier le bill 88 amendant la charte de la cité de Joliette.

Adopté.

 

En comité:

M. Dufresne (Joliette) propose un amendement. L'objet de mon amendement, dit-il, est de faire de la liste provinciale des électeurs la liste électorale pour les élections municipales, autrement dit de faire voter les électeurs sur les listes municipales quand il s'agit d'élire un échevin ou un député.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): Cet amendement a-t-il été proposé au comité des bills privés?

M. Dufresne (Joliette): Oui, il a été proposé.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): A-t-il été rejeté?

M. Dufresne (Joliette): Le comité ne l'a pas accepté.

M. le président (M. Beaudry, Verchères) donne lecture de l'amendement. La proposition du député de Joliette (M. Dufresne) sera-t-elle adoptée?

Les honorables M. Gouin (Portneuf) et M. Taschereau (Montmorency): Non, non.

M. le président (M. Beaudry, Verchères): Rejeté sur division.

L'amendement est rejeté sur division.

Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Robert (Rouville) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Succession John Pratt

M. Beaudry (Verchères) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 71 amendant la loi concernant la succession de John Pratt1.

Adopté.

 

En comité:

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) fait remarquer que, par le passé, la Législature a peut-être été trop libérale en ce qui concerne les dernières volontés et les testaments. Il croit que les dernières volontés des testateurs devraient être plus respectées qu'elles ne l'ont peut-être été par le passé et il ne devrait pas y avoir de changement permis à un testament, à moins qu'il n'y ait des raisons sérieuses de le faire. La Législature n'est pas une usine à testaments.

M. le président, des journaux nous reprochent souvent de faire et défaire des testaments. Il y a quelque chose de vrai là-dedans, et je crois que nous mériterions ce reproche si nous adoptions ce bill. Nous n'avons pas le droit de changer la volonté d'un testateur et je m'oppose énergiquement à ce bill.

M. Beaudry (Verchères): Durant cette session-ci, on a adopté des bills de testaments, bien plus importants, dans lesquels on était loin de respecter la volonté du testataire, tandis que dans le bill Pratt, on a au moins la décence de ne pas changer la volonté de cet heureux grand-père qui a laissé des millions à ses non moins heureux petits-enfants. Nous ne changeons pas la volonté du testateur. La fortune de M. Pratt a augmenté considérablement et il s'agit tout simplement de distribuer le surplus.

La volonté du testateur était que tous les revenus provenant de la fortune qu'il laissait fussent divisés entre ses héritiers dans la proportion de 25 % aux enfants, 50 % aux petits-enfants, le reste devant être capitalisé. Il y a 13 souches d'héritiers, chez les petits-enfants du testateur, et il y en a 12 qui sont d'accord pour demander l'adoption de ce bill.

M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis): L'avocat de la treizième souche a changé d'opinion et est prêt à accepter le bill.

M. Beaudry (Verchères): Ce n'est pas la première fois que la Chambre fait un changement dans un testament. Même dans le testament de M. Pratt, la Législature a fait déjà plusieurs changements. Je ne vois pas pourquoi on ne se rendrait pas à la demande des héritiers.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) insiste de nouveau pour que le bill fût rejeté.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) félicite le ministre.

M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis) prend la parole.

M. Beaudry (Verchères) propose que l'on vote.

Le projet de loi est rejeté sur division2.

Charte de Saint-Jean

M. Bouthillier (Saint-Jean) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 148 amendant la charte de la cité de Saint-Jean.

Adopté. Le comité étudie le bill et fait rapport qu'il n'en a pas terminé l'examen.

Ville de Saint-Michel

M. Ashby (Jacques-Cartier) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 200 amendant la charte de la ville de Saint-Michel soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills privés en général.

Z.-Armour Côté

M. Monet (Napierville) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 203 autorisant le Collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec à admettre Z.-Armour Côté à l'exercice de l'art dentaire soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills publics en général.

Agent général au Royaume-Uni

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour prendre en considération un projet de résolutions relatives au bill 33 amendant les statuts refondus, 1909, relativement à l'agent général de la province dans le Royaume-Uni.

Adopté.

Il informe alors la Chambre qu'il est autorisé par Son Honneur le lieutenant-gouverneur à soumettre ledit projet de résolutions et que Son Honneur en recommande la prise en considération.

 

En comité:

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose de nouveau: 1. Que l'agent général de la province dans le Royaume-Uni ait droit à la même pension que celle qui est accordée aux personnes mentionnées dans l'article 689 des statuts refondus, 1909.

Adopté.

2. Qu'en sus des personnes mentionnées dans le second alinéa de la section 6 de la loi 7 George V, chapitre 16, l'agent général de la province dans le Royaume-Uni soit régi, pour l'avenir comme pour le passé, par les dispositions applicables à la pension des officiers publics avant l'entrée en vigueur de ladite loi 7 George V, chapitre 16.

Adopté.

3. Que l'agent général de la province dans le Royaume-Uni doive payer, avec intérêt composé, au trésorier de la province, par versements mensuels échelonnés sur une période de dix années à compter du 1er juillet 1920, une somme égale au total des retenues qui auraient été faites sur son traitement si la loi qui accompagne les présentes résolutions était entrée en vigueur le 7 août 1911; et que, si cet officier, auquel s'applique la présente résolution, meurt ou est mis à la retraite avant d'avoir payé intégralement, en principal et intérêt, la somme ci-dessus mentionnée, l'article 702 des statuts refondus, 1909, devienne applicable.

Adopté.

4. Que l'agent général reçoive un traitement de huit mille piastres par année.

Adopté.

5. Que le total de son traitement et des dépenses que l'agent général pourra encourir dans l'accomplissement de ses devoirs, soit pour l'entretien de son bureau, soit pour toute autre cause légitime, ne doive pas dépasser vingt-trois mille piastres et soit payé par mandat du lieutenant-gouverneur à même le fonds consolidé du revenu de la province.

Adopté.

 

Résolutions à rapporter:

Le comité fait rapport qu'il a adopté plusieurs résolutions, lesquelles sont lues deux fois et adoptées.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) demande la permission de présenter le bill 33 concernant l'agent général de la province dans le Royaume-Uni.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose que le bill soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Emprunt pour la colonisation

L'honorable M. Mitchell (Richmond) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour prendre en considération un projet de résolutions relatives au bill 37 autorisant un emprunt pour aider à la colonisation.

Adopté.

Il informe alors la Chambre qu'il est autorisé par Son Honneur le lieutenant-gouverneur à soumettre ledit projet de résolutions et que Son Honneur en recommande la prise en considération.

 

En comité:

L'honorable M. Mitchell (Richmond) propose: 1. Que, pour aider à la colonisation dans la province, le lieutenant-gouverneur en conseil puisse autoriser le trésorier de la province à contracter, de temps à autre, tous les emprunts qu'il jugera nécessaires à cette fin, mais le ou les emprunts ainsi contractés ne pourront excéder, en totalité, la somme de cinq millions de piastres.

2. Que le trésorier de la province puisse effectuer ce ou ces emprunts au moyen d'obligations ou de rentes inscrites, émises pour un terme n'excédant pas quarante ans; que ces obligations ou rentes inscrites soient faites dans la forme, pour un taux n'excédant pas six pour cent par année, et pour le montant que le lieutenant-gouverneur en conseil déterminera, et soient payables, intérêt et principal, aux époques et à l'endroit qu'il indiquera; et que les obligations ou rentes inscrites émises en vertu de la loi basée sur les présentes résolutions ne soient pas sujettes aux droits imposés par la loi de Québec relative aux droits sur les successions.

3. Que le ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, au fur et à mesure que des deniers seront requis pour des fins de colonisation, transmette au trésorier de la province une demande, approuvée par le lieutenant-gouverneur en conseil, énonçant le montant requis et les fins spéciales de colonisation auxquelles les deniers sont destinés; et que le trésorier de la province soit autorisé à payer, à même les deniers provenant des emprunts autorisés par la loi basée sur les présentes résolutions, les montants ainsi autorisés.

Il (l'honorable M. Mitchell) dit qu'il demande à la Chambre, dans une résolution, le droit de contracter un emprunt de $5,000,000 pour mettre cette somme à la disposition de son collègue le ministre de la Colonisation (l'honorable M. Perrault).

Je laisse à mon honorable collègue la tâche de vous expliquer comment il entend dépenser cette somme.

L'honorable M. Perrault (Arthabaska)3: M. le président, le projet de loi qui est présenté à cette Chambre est le commencement de l'exécution d'une promesse.

Au cours de la dernière campagne électorale, le premier ministre de cette province a plus d'une fois ramené l'attention des électeurs sur le problème de la colonisation. Après en avoir marqué l'importance, dans son manifeste du 23 mai 1919, dans ses discours prononcés à Québec et à Montréal, il déclarait, le 11 juin, à Sherbrooke, que son gouvernement avait "l'intention de dépenser cinq millions pour aider l'oeuvre de la colonisation". Le premier ministre et ses collègues tiennent parole et vous demandent l'autorisation d'emprunter ce montant qui servira à cette entreprise, si étroitement liée au progrès de notre province.

Ceux qui ont suivi les efforts du premier ministre depuis 15 ans, et de ses collaborateurs, ne sont pas surpris de les voir placer ce sujet au premier rang de leurs préoccupations, dans le programme de reconstruction. L'historien du régime politique de cette période reconnaîtra que le mérite de Sir Lomer Gouin aura été d'avoir compris les exigences de l'heure, de s'être clairement rendu compte des nécessités les plus pressantes auxquelles notre province devait faire face, d'avoir eu ensuite le courage de réaliser des réformes qui pouvaient y satisfaire.

Relisez le programme qu'il formulait à l'école Montcalm, à Montréal, le 5 avril 1905, au lendemain du jour où il commença de présider aux destinées de cette province. Ce qui s'en dégage, c'est l'attention portée à quatre sujets demeurés essentiels: l'équilibre du budget, l'instruction publique, la classe ouvrière, la population agricole et colonisatrice.

Il a su persévérer dans cette voie qu'il s'était tracée. Pas un instant il n'a oublié l'objet propre de tout vrai gouvernement qui est de diriger pour l'ensemble de toute la nation, mais il s'est souvenu également que, si les chefs, dignes de ce nom, ne doivent pas concentrer en un point leur attention et négliger le reste de l'organisme, il leur faut parfois tourner toute leur énergie à développer telle ou telle partie de l'administration.

Avec le coup d'oeil qui en fait un homme d'État, le premier ministre a compris que, tout en continuant le développement des diverses branches de l'organisation publique, l'heure était venue d'intensifier davantage l'action colonisatrice.

Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui que le sujet de la colonisation préoccupe les dirigeants de cette province. Depuis 1897, depuis que le Parti libéral conduit avec tant de succès les affaires publiques, il peut se rendre le témoignage de lui avoir consacré une large part de ses travaux. D'importants progrès ont été réalisés sous mon prédécesseur immédiat au ministère de la Colonisation, l'honorable M. Honoré Mercier, ministre des Terres et Forêts.

D'année en année, il amena cette Chambre à augmenter les sommes qu'elle affecte à ce service et il a su en faire bon emploi. Je n'en veux citer qu'un splendide exemple, celui que nous fournit l'Abitibi. Cette région vit arriver ses premiers habitants vers 1912. En moins de sept ans, seize paroisses s'y sont fondées, seize conseils municipaux s'y sont organisés, 4,700 lots ont été concédés, soit 470,000 acres, 40,000 à 50,000 acres de terrain sont en abattis, en défrichement ou en culture.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): L'honorable ministre (l'honorable M. Perrault) a-t-il un rapport de la récolte dans l'Abitibi?

L'honorable M. Perrault (Arthabaska): J'ai reçu un rapport général de l'agent des terres. Il me dit que les perspectives sont belles et que la récolte des légumes sera surtout bonne.

Une population de près de 12,000 âmes y vit, avec sans doute le souvenir des efforts, des sacrifices même, consentis à l'agrandissement de leur province, mais aussi avec la joie d'avoir donné à leurs compatriotes l'une des meilleures preuves de patriotisme. C'est leur exemple qui nous incite aujourd'hui à faire davantage pour la colonisation, oeuvre essentielle.

L'heure est propice pour cette préoccupation. À aucune autre époque de l'histoire de cette province il a paru plus nécessaire de tourner les regards de tous vers les plaines qui attendent les bras vigoureux qui voudront y jeter les blés et y faire germer les moissons futures.

Quand les peuples, au sortir de la Grande Guerre, se sont soulevés, quand certains d'entre eux, par le fer et le sang, ont renversé les dynasties régnantes, quand l'ordre établi a, en maints pays, vacillé sous les assauts et que le progrès a paru pour longtemps arrêté, à quelles causes a-t-on attribué ces malaises? Et quel est le contrepoids qui a semblé nécessaire?

La tuerie effroyable des dernières années n'avait pas peu contribué à un tel état de choses.

Les douleurs sont de mauvaises conseillères. Sortant des tranchées, humides de sang, recherchant leur foyer, écrasés sous le feu des batailles, combien ont senti leur esprit se révolter, leur coeur se gonfler de haine contre une société qui leur apparaissait responsable de tant de maux?

D'autres causes pourtant peuvent être assignées à ces désordres. L'industrie, en accumulant près de l'usine des familles nombreuses, a multiplié les raisons de plaintes. Et l'on a compris que, pour l'ordre social, il n'était pas bon de placer tous les travailleurs derrière le comptoir ou la machine, mais qu'il était nécessaire à un pays de posséder nombreux les paysans, aux moeurs calmes, aux vertus simples et fortes.

Avez-vous réfléchi aux louanges qu'en ces derniers temps maintes gens ont adressées à la province de Québec?

On s'est étonné. Notre province était, il est vrai, plus habituée à recevoir des critiques que des éloges. Ce qui, en fin de compte, a frappé certaines gens du dehors, ce furent sans doute l'esprit religieux, le souci de la justice, le sens des traditions qui animent la grande majorité des habitants du Québec, mais est-il exagéré d'affirmer que c'est en poursuivant leur enquête chez notre population rurale que ces vertus leur apparurent sous un jour plus lumineux, et que c'est en partie à nos paysans, à leurs qualités d'ordre et de travail, que nous devons les hommages qui nous furent récemment prodigués?

À cet appui que la classe agricole fournit à l'ordre social s'ajoute la richesse qu'elle procure à la société. Le merveilleux développement, qui, depuis le XVIIIe siècle, a transformé le commerce et l'industrie, n'a pourtant pas réussi à contenter les économistes.

Chez tous les peuples, on est forcé de reconnaître, surtout aujourd'hui, la justesse du principe posé au début du XVIIe siècle par Sully, le ministre d'Henri IV: "Labourage et pâturage sont les deux mamelles de tout le pays." C'est de ce principe que s'inspirent les appels vivants qui poussent nos gens au labeur de la terre et les veulent détourner de l'abandon des campagnes. On sent partout les effets désastreux qu'entraîne la rupture de l'équilibre entre la production et la consommation, et il n'est pas besoin de longs arguments pour comprendre qu'à diminuer le nombre de ceux qui font sortir du sol les choses nécessaires à l'existence, celle-ci en devient tout de suite gênée, difficile, pleine d'angoisses.

On a drainé hommes et femmes de la ferme à l'usine. Il y a malaise. Il faut essayer de faire un retour en arrière et ramener vers les champs aux sillons abandonnés ou aux plaines encore neuves les bras qui ensemencent.

Conserver au sol ceux qui le mettent en valeur, diriger sur des terres neuves l'excédent de notre population rurale qui ne trouve pas de place dans la vieille paroisse, ramener vers la terre ceux qui l'ont quittée pour les villes, c'est à ce mouvement que le gouvernement veut s'associer, et c'est à ce patriotique et si vital effort qu'il veut joindre ses efficaces initiatives.

Nécessité morale, nécessité économique nous engagent à entrer dans cette voie et à accélérer le mouvement vers la terre.

L'on peut diviser en deux classes les moyens qu'il convient d'adopter pour retenir nos gens dans les hameaux ou y diriger les familles qui ne trouvent plus dans les villes un travail rémunérateur: ceux qui s'appliquent aux vieilles paroisses, aux centres ruraux depuis longtemps ouverts à la culture, et ceux qui tendent à élargir l'aire des champs ensemencés, à reculer la forêt, à coloniser, à rendre productrices des terres demeurées jusqu'à présent incultes.

Le législateur doit non seulement s'efforcer de maintenir l'importance de la population rurale, mais il doit encore l'augmenter.

Nous connaissons tous le travail accompli chaque jour par l'honorable ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) pour venir efficacement en aide à la culture du sol et pour adapter aux nécessités nouvelles l'existence des habitants de nos paroisses afin d'en accroître la richesse. Nous savons aussi les succès qui couronnent ses efforts.

Mais, si florissantes que soient ces paroisses, devons-nous y concentrer tous les efforts voués chez nous à la culture du sol? Non, nous devons doubler leur importance en augmentant précisément le nombre de ces paroisses, et accélérer notre marche en avant en poussant davantage nos valeureux pionniers à la conquête de la forêt.

Où placera-t-on le trop-plein de nos paroisses les plus riches, les plus prospères? Quand les foyers se sont multipliés, que les enfants nombreux cherchent à s'établir, quel domaine offrirez-vous à leurs activités et quels espoirs à leurs ambitions?

Les mouvements de population existent amenés par la nécessité, parfois aussi par un simple sentiment de migration auquel les habitants de cette province ne sont pas étrangers. S'il y a le besoin du changement causé par les circonstances - le patrimoine paternel trop exigu force le fils à quitter la maison familiale pour fonder ailleurs un foyer - il y a aussi les développements nés du goût de l'aventure.

À ces mouvements de migration intérieure s'ajoute le courant de l'immigration qui nous apporte parfois des éléments venus de l'extérieur et qu'il nous est possible d'utiliser. Pouvons-nous abandonner au hasard ces mouvements de population et nous refuser à les méthodiquement diriger? Pourquoi ne pas profiter de toutes ces forces pour élargir le champ d'action de notre province, nous emparer de tout son sol, obtenir enfin de ses ressources leur plein rendement? En agissant de la sorte, non seulement nous continuerons la tradition, mais nous assurerons le développement normal de cette province, nous maintiendrons l'équilibre nécessaire entre les activités commerciales et industrielles et l'activité agricole.

J'ai dit que nous continuerions la tradition: notre province en est une agricole. Depuis trois siècles, ses habitants, refusant de se cantonner en un coin, ont cherché, avec des progrès plus ou moins rapides, des succès plus ou moins grands, à répandre la vie civilisatrice sur cette partie du nord de l'Amérique. Ils se sont étendus à toutes les portions de la province et même à plusieurs portions du pays.

Et c'est nous mieux préparer à poursuivre l'oeuvre des ancêtres que de bien connaître ce qu'elle fut dans le passé.

La situation physique, les conditions d'existence, le nombre des habitants empêchèrent le mouvement colonisateur de prendre, sous la domination française, l'ampleur qu'on a su lui donner depuis un demi-siècle environ. Ce fut le mérite très grand des Canadiens français de disputer pouce par pouce cette terre à la forêt et, durant les trois cents dernières années, de n'avoir pas cessé leur marche admirable à travers monts et vallées. Pendant longtemps cependant le Saint-Laurent, la plus importante de leurs voies de communication, les retint sur ses bords. Si, avant 1760, les Français explorèrent toute l'Amérique du Nord, de la baie d'Hudson à la Nouvelle-Orléans, si, par héroïsme, leurs missionnaires et gouverneurs, capitaines et explorateurs, attachèrent des noms français aux arbres qui se balançaient à la tête des monts ou sur les rives des rivières et des lacs, si lointains qu'ils fussent, ils ne colonisèrent pourtant qu'une bande étroite le long du Saint-Laurent, la rivière Chaudière et le Richelieu.

L'on peut s'en étonner, l'on peut même blâmer les politiques de leur parcimonie dans le peuplement de la Nouvelle-France, de n'avoir pas prévu qu'une heure viendrait où l'immensité des territoires occupés nominalement par les Français ne suffirait point à les défendre contre les Anglo-Saxons, cantonnés, eux, sur la petite bande côtière où commençaient de se fonder les treize colonies entre la mer et les Alleghanys.

Les regrets étant vains, trouvons plutôt des excuses à cette lenteur dans l'établissement des premiers habitants de la colonie et surtout reconnaissons que leur initiative mérite toute notre admiration, que nous devons voir en elle la base, petite si l'on veut, mais solide et durable, du progrès dont nous nous flattons aujourd'hui.

Commençant en 1617, quand, de sa bêche, Louis Hébert remue, en un coin de la haute-ville, à Québec, la terre d'où sortent "ces beaux bleds" qui enchantent l'âme de Champlain, continuant avec la concession accordée le 15 janvier 1634 à Robert Giffard, qui reçoit "une lieue de terre à prendre le long de la côte du fleuve Saint-Laurent sur une lieue et demie de profondeur", à l'endroit où la rivière est appelée Notre-Dame de Beauport, la colonisation va se poursuivre durant 150 ans près des rives du grand fleuve et prendre pour base d'opérations Québec, les Trois-Rivières et Montréal. En 1683, 25 curés et missionnaires ont sous leur juridiction un territoire qui va du haut de l'Île-de-Montréal à la baie Saint-Paul, de l'Île-aux-Oies à Chambly4. 82 paroisses existent en 1722. Elles vont de Sainte-Anne de la Pocatière à Châteauguay5. Bientôt les anciennes seigneuries ne suffisent plus et il faut en ouvrir d'autres dans la profondeur des terres.

De 1733 à 1739, on distribue en grand nombre des fiefs sur le Richelieu; on accorde des concessions sur la rivière Chaudière et c'est le commencement du peuplement de la vallée de la Beauce6.

La tourmente de 1760, qui modifia si profondément la situation politique et sociale des habitants de la Nouvelle-France, leur laissa du moins leur caractère de laboureurs. Et c'est à leur sujet que l'on pourrait écrire ce qu'un écrivain français notait naguère à propos des paysans de France.

"Le capital pour eux, c'est, avant tout, la terre, cette terre où se rejoignent le passé et l'avenir de la race et dont tant d'hommes sentent l'attraction mystérieuse et forte; c'est le produit du labeur persévérant et patient de toute une vie ajouté au labeur d'autres vies des âges précédents; c'est tout un ensemble qui se tient, maison, jardin, champs, pâturages, agrandis, amendés, soignés avec amour7." L'épreuve affermit chez nos ancêtres leur vocation paysanne. Les groupant autour de leurs églises, elle leur fait mieux comprendre quelle urgence il y a pour eux de s'enraciner au sol. Depuis la Conquête, ils ont gardé vivace ce dessein et n'ont fait que développer leur caractère d'agriculteurs. M. William Moore leur en rendait naguère le témoignage.

Dans The Clash, ce livre empreint de tant de loyauté et de courage, dans sa conférence, prononcée à Montréal le 20 novembre 1919 sous les auspices du Young Men's Canadian Club, il a bien voulu déclarer que, de tous les citoyens du Canada, les Canadiens français étaient ceux dont l'amour de la terre était le plus réel et qui apportaient à la culture du sol le meilleur appoint. M. Moore voudrait même que des Canadiens français aillent s'établir en grand nombre dans les provinces anglaises afin d'y accroître la richesse que produit l'agriculture. Il nous permettra bien, tout en le remerciant, de vouloir commencer par nous-mêmes et de chercher à retenir chez nous nos compatriotes dont on se plaît à reconnaître la bienfaisante aptitude à la profession d'agriculteur.

Il semble bien que le conquérant anglais pensait en 1760 tout comme le fait M. Moore en 1919. Les lords du commerce, chargés, le 5 mai 1763, par le comté d'Egremont, d'étudier le traité de Paris et d'indiquer quels profits l'Angleterre en pourra retirer, mentionnent, au chapitre des avantages, celui qui "consiste dans la colonisation assurée de toute la côte de l'Amérique du Nord aussi avantageuse, disent-ils, par ses produits que par les facilités d'installation, depuis l'embouchure du Mississippi jusqu'aux frontières des établissements de la Baie d'Hudson8". Aussi, les premiers gouverneurs anglais obtiennent le droit de faire des concessions. En 1783, Haldimand reçoit instructions de concéder des terres aux loyalistes, notamment dans la seigneurie de Sorel9. C'est alors que commence le mouvement qui va tendre à peupler la région des Cantons de l'Est.

Des sujets anglais, ne pouvant souffrir que le drapeau étoilé remplace le drapeau de l'Angleterre au-dessus des treize colonies, nous arrivent et s'établissent sur la bande étroite qui sépare la rive sud du fleuve Saint-Laurent de la frontière américaine. Leur arrivée ne rencontra pas l'approbation générale. Sir James Craig écrivait même, le premier mai 1810, à Liverpool, au secrétaire pour les colonies:

"Le grand sujet de leur jalousie (aux Canadiens) à l'heure actuelle est le progrès des townships, ou, en d'autres termes, l'introduction de colons de toute nationalité excepté de colons canadiens que ces derniers considèrent comme des éléments - et c'est ce qu'ils ne craignent pas d'affirmer à l'égard de toutes les autres races - qui tendent à entraver l'établissement complet de la nation canadienne.

"Ces townships sont généralement colonisés par les Américains dont une partie se compose de loyalistes qui ont dû quitter leur pays lors de la paix de 1784, mais la très grande partie se compose d'Américains qui sont venus s'établir sur ces terres depuis cet événement. Jusqu'à quel point il est de bonne politique d'admettre des colons de toutes sortes, c'est une autre question. En tout cas, les Canadiens protestent énergiquement contre cet état de choses10."

Par bonheur, nous avons eu moins à souffrir que ces protestations, ces craintes ou ces doutes ne le laissaient entendre.

Cette partie de la province s'est développée, elle a considérablement augmenté ses richesses et elle est habitée par des centaines et des centaines de citoyens dont le Canada entier a le droit d'être fier. Au début de la colonisation des Cantons de l'Est, il y eut de regrettables abus et cette région a connu, dans son histoire, des difficultés dont furent heureusement exemptes nos autres régions de colonisation. Vers le milieu du XIXe siècle, plus de justice commença de présider à la distribution des terres dans cette partie de la province et cette riche contrée fut enfin ouverte à tous les braves et honnêtes citoyens, de quelque race, de quelque religion qu'ils fussent.

C'est vers 1850 aussi qu'un premier courant de colonisation s'établit du côté du Lac-Saint-Jean pour gagner peu après d'autres régions. Combien fécondes furent les initiatives de ces générations d'hommes qui, après avoir peuplé toutes les seigneuries militaires, débordèrent de toutes parts, élevant églises et écoles, bâtissant les fermes et les villages, dans les Cantons de l'Est et dans la Gaspésie, dans le cirque du Lac-Saint-Jean et sur les bords de l'Ottawa, dans la vallée de la Matapédia et sur l'autre versant des Laurentides, dans la vallée qui de l'Abitibi court vers la Baie d'Hudson. Comme les avantages de la colonisation apparaissent évidents quand l'on songe que des centres florissants datent de 50 ans à peine.

L'histoire d'Arthabaska remonte à 1835, celle de Roberval à 1870, celle de Ville-Marie à 1877, Sainte-Florence, dans la Matapédia, à 1898. Les progrès n'ont pas cessé depuis 1867. Grâce à l'intéressant ouvrage de Stanislas Drapeau, publié en 1863, l'on peut se rendre aisément compte de l'état de la colonisation en notre province, à la veille de la Confédération.

Dans ses Études sur les développements de la colonisation du Bas-Canada de 1851 à 1861 et où il a fait tenir l'inventaire complet de nos richesses agricoles, industrielles et commerciales, cet écrivain a montré à quel point en était arrivé le peuplement de notre territoire au dernier jour du régime de l'Union. Prenant, selon la coutume, le fleuve Saint-Laurent comme centre, il divise en quatre régions les terres placées au sud: Région de la Gaspésie, Région Est du Saint-Laurent (de Rimouski à Lévis), Région centrale du Saint-Laurent (de la Beauce à Richmond), Région Ouest du Saint-Laurent (de Sorel à Huntingdon) et il divise en trois régions les terres situées au Nord: Région de l'Outaouais et du Nord de Montréal (de Vaudreuil à Berthier, comprenant Pontiac et Deux-Montagnes), Région du Saint-Maurice, Région du Saguenay et du Labrador. Au sud du fleuve, l'on comptait 37 comtés et au nord 23. Sur 1,110,664 âmes habitant alors le Bas-Canada, 951,203 formaient la population rurale. En comprenant les terrains des seigneuries non concédées, on évaluait à 17,375,500 les acres possédés, dont 4,804,235 en culture.

Les pouvoirs publics avaient été forcés, une dizaine d'années auparavant, de prendre la direction de la colonisation, laissée jusque-là aux soins des individus. C'était aux jours où tant de familles quittaient notre province pour les centres manufacturiers des États-Unis.

Faute d'avoir eu la prévoyance d'ouvrir à la classe agricole de nouvelles régions, le trop-plein des vieilles paroisses du Québec ne savait où se déverser. Et ce fut alors cette procession regrettable des nôtres vers les villes américaines. Ce n'étaient partout que lamentations provoquées par ces départs nombreux. Les comités que le Parlement-Uni chargeait d'étudier la situation ne parvenaient pas à trouver une solution. À la pénurie de régions nouvelles s'ajoutait la méfiance des paysans à l'égard de la forme donnée aux concessions de terres consenties par la couronne. Plusieurs préféraient la tenure en censive au système de tenure inauguré peu de temps après la Conquête. À la division en fiefs et seigneuries, conservée sous la domination française, avait succédé, après 1760, la division en cantons ou townships; au lieu de recevoir une concession du seigneur, à charge de certains droits et rentes, l'habitant la recevait du gouvernement en pleine propriété.

Les deux systèmes eurent leurs avantages, mais il vint un temps où, sous l'évolution pacifique des moeurs, le second supplanta le premier et obtint la préférence de tous les Canadiens11. Si ce changement de régime terrien se fit sans bouleversement social, l'on peut attribuer ce résultat en grande partie à un organisme qui s'est si heureusement développé dans la province de Québec, la paroisse. Unité incomparable d'organisation, la paroisse a été chez nous le moyen dont se servirent les habitants pour s'adapter sans heurt et avec succès à toutes les transformations politiques et sociales que connut notre pays.

M. Émile Salone, critiquant l'arrêt du 21 mars 1663 par lequel l'intendant Talon, au nom du roi de France, ordonnait que la population fût désormais groupée dans les bourgs et des bourgades, écrit qu'il n'y a jamais eu au Canada l'équivalent du village de France, parce que, l'habitant voulant l'accès direct au fleuve ou à quelque rivière, les maisons s'alignent le long des rives et qu'en conséquence l'unité géographique naturelle est la côte. Il ajoute même que "la seigneurie et la paroisse n'ont jamais été que des divisions artificielles12". L'éminent historien a-t-il bien compris le rôle qu'a joué chez nous la paroisse?

Faut-il qu'il y ait division réelle, efficace, que les maisons soient placées en un sens plutôt qu'en un autre? N'est-il pas plus exact de reconnaître que, loin d'être artificielle, la paroisse a été, avant comme après la Conquête, l'unité la plus réelle, la plus féconde de toute notre organisation publique et qu'elle fut la cause du développement continu de cette contrée? C'est par elle que nos ancêtres corrigèrent ce que les seigneuries avaient de trop ample, qu'ils consentirent à user de la nouvelle tenure des terres et à peupler les cantons aussi bien que les fiefs; c'est par elle qu'ils se préparèrent à tirer si bon parti de l'organisation scolaire et municipale. Il en est aujourd'hui comme autrefois: le mouvement de la colonisation est facilité par le développement de l'organisation paroissiale. Le missionnaire accompagne quand il ne précède pas le défricheur; une chapelle rustique est construite; le groupe augmente et, un jour, tout le rouage de notre administration locale est en fonction, fabrique, commission scolaire, conseil municipal.

Ce n'est pas sans doute par pur hasard que la colonisation a commencé sérieusement au milieu du XIXe siècle, à l'heure où précisément s'organisait notre système scolaire et municipal. C'est en effet en 1854, avec l'arrivée de l'honorable M. Morin au ministère des Terres de la couronne, que fut organisé le service de la Colonisation; $120,000 furent mises à sa disposition. Sous l'Union, MM. Cauchon, Évanturel, Letellier de Saint-Just et Chapais continuèrent l'oeuvre commencée avec toutefois des subsides diminués, les subventions aux chemins de fer prenant une si large part du Trésor public13. Mais c'est sous la Confédération, surtout après 1888, que la colonisation devait prendre son plein essor.

Et vous auriez raison de me blâmer si je ne mentionnais ici un homme qui s'est dévoué à cette oeuvre plus que personne, Mgr Labelle. Appelé, en 1888, à prendre la direction officielle de la Colonisation, il continua les efforts accomplis lorsqu'il était curé de Saint-Jérôme. "Démolir, c'est aisé, répétait-il souvent, mais on rencontre rarement ceux qui fondent et qui édifient14." Il eut le mérite d'être du nombre de ceux qui fondent et qui édifient, et d'avoir, par son labeur incessant, son patriotisme éclairé, ses sacrifices, contribué à l'avancement de cette question, inséparable de tout vrai progrès en notre province.

Ce n'est que justice d'associer au nom de Mgr Labelle celui de tous nos missionnaires agricoles qui mirent et qui mettent encore à seconder les efforts de notre classe colonisatrice tant de zèle et de dévouement.

C'est à bon droit que M. André Siegfred a écrit en 1898, dans la Quinzaine coloniale, que "les prêtres restent les vrais chefs, en tout cas le véritable centre, de l'oeuvre de colonisation15".

Ce sont donc tous ces efforts que nous voulons continuer, c'est cette entreprise que nous tenons à développer et augmenter ainsi la richesse de notre province. Mais, à l'heure où la colonisation nous apparaît sous un jour plus engageant, comment ferons-nous progresser cette branche de notre administration publique?

Je suis de ceux qui pensent que les meilleures réformes ne proviennent pas nécessairement d'un bouleversement total, et qu'il est possible d'atteindre au progrès à moindres frais et à moindres risques.

Que d'améliorations l'on obtient parfois, simplement, en corrigeant, en modifiant telle ou telle façon de procéder, en encourageant des initiatives demeurées jusque-là méconnues. C'est là l'esprit dont je veux m'animer en m'associant à l'oeuvre colonisatrice.

L'on peut classer sous deux chefs toutes les idées, tous les projets, tous les travaux relatifs à la colonisation: le colon et le sol ou, pour employer les termes chers aux économistes, le capital humain et le capital foncier.

1. Quels colons devrons-nous recruter?

2. Quelles terres leur demanderons-nous de défricher et d'ensemencer, et comment faciliterons-nous à ces braves l'accomplissement d'une tâche si rude et réellement si persévérante d'énergie?

Le colon.

Notre propagande ne doit s'adresser qu'à ceux qui ont l'amour de la terre et qui veulent employer leur vie à la cultiver. Ce sera le cultivateur qui, lassé de retourner un sol improductif, veut s'établir sur une terre neuve et plus vaste qui lui offrira l'occasion de fixer autour de lui ses enfants devenus adultes; ce sera le fils du cultivateur qui, ne pouvant demeurer sous le toit paternel, se sent la vigueur de se gagner un patrimoine; ce sera parfois le journalier, ou l'artisan des villes, qu'a déçu la vie urbaine et qui veut retourner vers les champs où les jours pèsent moins à son âme.

Notre recrutement doit enrégimenter deux catégories de colons: des bûcherons et des cultivateurs qui nous viendront principalement, les premiers des chantiers de bois, les seconds de nos vieilles paroisses.

"Le voisinage des chantiers du Haut-Saint-Maurice a valu à l'Abitibi la moitié de sa population", écrit dans son dernier rapport M. Hector Authier, notre si dévoué agent, fixé à Amos.

Il faudra y joindre les cultivateurs. Peut-être pourrions-nous trouver dans certains États des États-Unis d'anciens Québécois qui seraient heureux de reprendre la route du pays. Pourquoi n'essaierait-on pas de créer dans l'Est canadien un mouvement similaire à celui qui s'est établi entre la région de Saint-Paul et Winnipeg et qui a valu aux prairies de l'Ouest tant de vaillants agriculteurs?

S'il existe un peu partout des hommes désireux d'aller du côté des terres non défrichées, la difficulté est de les connaître, de nous mettre dès le premier jour en communication avec eux, afin de les orienter à leur bénéfice et à celui de la province, afin de leur épargner maints soucis, maintes déceptions. Je voudrais que le département de la Colonisation devînt vraiment le centre de ce recrutement.

Je me propose de faire appel aux autorités sociales de chaque centre, au curé, au maire, aux sociétés de colonisation, aux cercles de colonisation, ou autres, aux députés, et de les prier d'être les agents principaux de cette propagande, de nous prévenir dès qu'ils apprennent qu'un citoyen doit quitter leur paroisse pour s'établir ailleurs. Par cette collaboration, nous aurions moins de départs de la campagne vers la ville, et plus de migrations des campagnes vers les régions nouvellement ouvertes à la colonisation. Connaissant tout de suite la situation du nouveau colon, ses ressources, sa famille, ses projets, nous serions plus à même de lui indiquer un endroit propice.

Nous voulons que le peuple soit instruit sur la colonisation comme sur les questions agricoles. Des personnes expertes pourraient visiter régulièrement les vieux comtés afin de faire connaître la géographie tant physique qu'économique de nos régions de colonisation, et exposer ce que l'on peut faire dans nos terres neuves, organiser des visites de délégués, des fondations de paroisse nouvelles, décourager les faux colons.

Et c'est ici qu'apparaît la deuxième donnée du problème: le sol que nous pouvons offrir aux colons et l'aide que nous devons leur donner.

La bonne terre abonde; nous en avons des millions d'acres dans toutes les parties de la province. Selon les rapports officiels, 20 millions d'acres de terre propres à la culture attendent encore des défricheurs.

Seuls les lots absolument propres à la culture seront mis en vente. Nous procédons présentement à faire un relevé des terres propres à la culture appartenant à la couronne dans les paroisses anciennes et nouvelles et dans chacune de nos régions de colonisation où nous voulons accélérer et augmenter le développement agricole.

Afin que toutes ces régions soient davantage étudiées et connues pour qu'elles soient colonisées en toute connaissance de cause, nous publierons des tracts, des feuilles, des petites brochures donnant la géographie physique et économique de chacune et les avantages qui leur sont propres.

D'abord, nous voulons terminer les paroisses et missions en voie d'établissement et ouvrir des régions nouvelles avoisinant celles déjà établies.

Le gouvernement veut dépenser cette somme de cinq millions à la mise en valeur des cantons déjà ouverts et de nouveaux cantons en y faisant des travaux qui faciliteront l'accès et le développement.

Parmi ces travaux, je mentionnerai au premier rang l'ouverture et la construction de nouveaux chemins faits à travers des terrains propres à la culture, la construction de ponts partout où nécessaire et la construction d'écoles dans les régions de colonisation.

Chemins, ponts, écoles sont des choses nécessaires et essentielles au succès de la colonisation.

Dans mes voyages au Lac-Saint-Jean et dans l'Abitibi, j'ai interrogé les colons, les nouveaux arrivés, ceux qui commençaient à défricher leur lot, de même que les plus anciens colons établis depuis plusieurs années en ces endroits. Tous m'ont dit d'un commun accord: "Donnez-nous des chemins, des écoles, et le reste ira bien."

L'enquête que j'ai poursuivie ailleurs m'a également convaincu que nous devions tendre nos efforts vers la construction de nouveaux chemins.

Les chemins de fer et les bonnes routes déterminent le mouvement colonisateur. Les bonnes routes sont nécessaires afin de mettre les régions nouvelles en communication avec les centres d'approvisionnement, et les gares de chemin de fer, afin de faire communiquer entre eux les cantons et les rangs voisins, et permettre au colon de se rendre sur son lot. Aussi nous proposons-nous d'affecter la plus grande partie de ce subside à la construction de bons chemins dans les endroits de colonisation. Ils seront construits dans les missions, établissements, et paroisses en voie de développement et dont une partie reste encore à coloniser. Nous avons environ 150 de ces établissements, dont 60 environ ouverts depuis moins de 20 ans, et les autres depuis au-delà de 20 ans. Ils sont disséminés dans toutes les régions de colonisation.

Des chemins de pénétration dans la forêt seront aussi faits à travers de nouveaux cantons propres à la culture et avoisinant ceux déjà établis, et ce, dans toutes les régions de colonisation. Vous connaissez ces régions de la Gaspésie: comtés de Gaspé et de Bonaventure.

La péninsule gaspésienne est sans contredit l'une des plus belles parties de la province. Le long de la baie des Chaleurs se trouve une large zone dont la richesse du sol et de la forêt est incomparable. Ajoutez cette autre richesse que constituent déjà ses pêcheries, et les mines qui y abondent.

La vallée de la Matapédia, partie sud-ouest du comté de Matane et partie ouest du comté de Bonaventure.

Régions de Rimouski et Témiscouata: au sud de ces deux comtés, il existe une étendue de terre propre à la culture d'environ un million d'acres. Un fort courant de colonisation se dirige vers les lacs Squateck, dans Témiscouata.

Régions sud-est et sud-ouest de Québec: elles comprennent l'arrière partie des comtés de Kamouraska, L'Islet, Montmagny, Bellechasse, Dorchester et certaines parties des comtés de Beauce, Mégantic, Nicolet, Lotbinière.

Régions du Lac-Saint-Jean et de Chicoutimi: nous nous proposons de faire des travaux dans plusieurs cantons. Cette région est l'une des plus intéressantes de la province au point de vue industriel et de colonisation. L'oeuvre de la colonisation s'y poursuit activement. La Société de colonisation de Chicoutimi a présentement 1,200 demandes de lots.

Ce qu'il m'a fait plaisir de constater lors de la récente visite que j'y ai faite, et j'en puis dire autant de l'Abitibi, c'est le travail, l'amour de la terre, chez toute cette population, le courage, l'élan et la foi en l'oeuvre de la colonisation. Cette région est sans contredit appelée à un très grand développement.

Région de l'Abitibi, je vous en ai déjà dit un mot. C'est une grande zone de glaise de 400 milles de longueur sur 100 milles de largeur, les deux tiers appartiennent à Ontario, et l'autre tiers à Québec. Elle contient autant de bonnes terres que le Manitoba.

Elle était déserte, il y a sept ans; elle compte aujourd'hui 16 paroisses organisées et, dans quelques mois, 9 autres le seront. Elle contient déjà des centres d'activité agricoles et industriels très importants. La dernière année agricole a été bonne; l'industrie forestière prime cependant encore l'agriculture car l'on est en pleine période de déboisement. La production forestière a atteint en 1919, 50 millions de pieds de bois, les colons ont aussi vendu de 80,000 à 100,000 cordes de bois de pulpe, et tout ce bois a rapporté, d'après les rapports que je viens de recevoir, environ $2,000,000. Cette industrie vient puissamment aider les colons. Joignez-y les mines, la chasse et la pêche qui ont rapporté l'an dernier $100,000. Nous y continuerons les travaux de chemins commencés et nous pénétrerons dans de nouveaux cantons.

La Mattavinie: elle s'étend sur l'arrière partie des comtés de Joliette, Berthier et Maskinongé.

La région Labelle ou le nord-ouest de Montréal.

La vallée de la Gatineau, et enfin le Témiscamingue qui a la réputation d'être l'une des riches parties de notre province. Avant qu'il ne soit bien longtemps, un chemin de fer sillonnera cette contrée de Kipawa au lac des Quinze, assurant ainsi le développement des cantons qu'il traversera et les cantons voisins et livrant à la colonisation les fertiles cantons qui avoisinent le lac des Quinze et le lac Expanse. Ces lacs constituent d'excellentes voies de communication car ils sont navigables.

Nous construirons des chemins dans toutes ces régions. L'on comprend facilement qu'il serait trop long de donner ici tous les détails quant aux endroits où nous avons l'intention de les construire. Ces travaux seront exécutés en vertu d'un plan que les ingénieurs du département de la Colonisation sont actuellement occupés à préparer.

Au printemps, chaque territoire où des travaux doivent être faits sera visité par l'ingénieur qui jugera et modifiera son plan sur les lieux.

Des inspecteurs employés par le département dirigeront et surveilleront les travaux.

Si nous voulons créer un mouvement de colonisation de quelque envergure, qui ait quelque succès, il faut que les colons soient assurés que leurs enfants pourront recevoir dans les nouveaux établissements les bienfaits de l'instruction. Aussi nous proposons-nous d'y aider à la construction des écoles.

Le département de la Colonisation viendra au secours des colons de diverses autres façons. Autant que possible, nous verrons à ce que les colons soient groupés afin de centraliser nos travaux et empêcher l'isolement des défricheurs. Nous nous tiendrons en contact avec les groupes de colons par des visites régulières que leur feront les officiers du département. Le groupement rendra plus facile et plus rapide l'organisation paroissiale, municipale et scolaire et favorisera la formation de sociétés coopératives. De concert avec le département de l'Agriculture, nous pourrons mettre des agronomes à la disposition des colons afin de les instruire chez eux, de leur apprendre à économiser leurs peines, à activer la production agricole et obtenir du sol nouvellement défriché meilleur rendement. La situation du colon deviendrait plus tôt moins précaire, et en peu d'années sa terre lui fournirait sa subsistance et celle de sa famille. Entre-temps, il pourrait continuer de retirer de l'industrie forestière un revenu qui de nos jours aide beaucoup aux colons.

Un colon actif et travailleur peut, aujourd'hui mieux qu'autrefois, se créer en peu d'années une convenable situation. C'est à l'améliorer davantage, c'est à solidifier cet établissement, en diminuer les difficultés qui y sont inhérentes que nous voulons travailler, accomplissant ainsi, il nous semble, l'une des tâches les plus fécondes dont puisse bénéficier notre province.

Mon ministère a mis précisément à l'étude d'autres moyens encore afin d'aider les recrues des terres neuves et les municipalités en voie de formation.

Jetez les yeux sur une carte du Québec. Relisez son histoire, comptez notamment les progrès obtenus depuis 1867: quel champ ouvert à nos activités que ce territoire de 703,653 mille milles carrés et où tiendraient à l'aise la France, l'Allemagne et l'Espagne réunies. Il s'étend des solitudes du Labrador aux rives du lac Témiscamingue, de la chaîne des Alleghanys aux terres que dominent les Laurentides. Quand, en 1867, les hommes d'État canadiens voulurent donner aux possessions britanniques du nord de l'Amérique un régime politique plus stable et qui fût propre à sauver leur harmonieux développement, ils comprirent qu'un gouvernement unique, central, aurait peine à bien administrer chacune des parties de cet immense pays. Occupant la moitié septentrionale de l'Amérique du Nord, couvrant plus de trois millions de milles carrés - deux fois l'étendue de l'Inde - baigné par trois océans, avec des régions nettement divisées - terres découpées de l'Atlantique, bassin du Saint-Laurent, plaines centrales, versant des Rocheuses, littoral du Pacifique - avec un climat aussi varié, des races aussi différentes, le Canada pouvait-il atteindre à son plein développement sans des pouvoirs locaux appliqués dans leur sphère respective à hâter la venue du progrès général?

Après 50 ans de ce régime, Québec peut se rendre le témoignage d'avoir compris l'esprit de la Confédération, de s'être conformé à ses exigences; ceux qui parlaient et écrivaient contre elle hier sont maintenant forcés d'admettre que notre province n'a rien fait qui pût ralentir le fonctionnement de nos institutions, qu'elle a fait fructifier le territoire qui lui a été assigné, et ils la saluent comme le dernier refuge du droit, de la justice, du respect des minorités, comme le meilleur soutien en Canada des idées d'ordre et de liberté, de paix religieuse et sociale.

De toutes les sentinelles que les fondateurs de la Confédération ont placées le long du territoire canadien, la nôtre, celle du Québec, est celle qui a fait meilleure garde et à laquelle vont aujourd'hui les éloges. C'est à continuer de les mériter que doivent tendre nos efforts. Et, pour revenir à la sphère d'action qui m'est dévolue, il faut persister à coloniser les terres incultes de notre province, augmenter ses moyens de production agricole. Sa population qui a passé de 1871 à 1918 de 1,191,516 à 2,432,251 possédait en 1918 8,740,853 acres de terre en culture et dont les moissons étaient évaluées à $271,750,900, et des animaux domestiques évalués à $251,445,000. C'est cette richesse qu'il faut accroître.

Profitons de notre incomparable avantage de ne pas avoir à résoudre le problème agraire qui a causé en certains pays de l'Europe tant de malaises, qui a même contribué en partie chez les Russes à la récente tourmente. Ici, la terre est libre. Elle appartient à quiconque l'acquiert par les voies que reconnaissent nos lois, et, débarrassée de toute entrave, elle est prête à donner à son propriétaire la richesse que saura lui demander le labeur intelligemment exécuté et persévéramment poursuivi.

Unissons nos initiatives. Laissez-moi souhaiter qu'une entente parfaite règne entre tous ceux qui consentiront à donner de leur talent, de leur énergie, de leurs ressources à cette oeuvre de colonisation: le gouvernement, les individus, les sociétés patriotiques, de colonisation ou autres.

La meilleure manière d'agir est sans doute de combiner l'action des pouvoirs publics avec celle des particuliers, surtout des associations d'intérêt général, et, pour ma part, je désire notamment faire appel à ces dernières pour obtenir leur concours à la réalisation de nos projets de colonisation.

Que l'opinion publique ne reste pas étrangère à cette question. C'est elle souvent qui crée l'atmosphère bienfaisante, qui encourage ceux qui luttent et peinent.

Notre histoire nous apprend que la colonisation a déjà profité de l'attention que le public lui a parfois donnée; en 1853, par exemple, quand parut une brochure signée par 12 missionnaires des Cantons de l'Est demandant la suppression du monopole des terres, quand l'abbé Trudelle publia l'histoire de cette région, quand des écrivains mirent au service de cette question leur plume, Chauveau, avec son Charles Guérin, Gérin Lajoie, avec son Jean Rivard, Arthur Buies, avec les livres où il a magnifiquement décrit certaines parties de notre province.

La presse, qui se donne la mission de tout comprendre, de tout voir et surtout de tout dire, peut rendre d'utiles services en aidant à la diffusion des idées, des projets, des travaux de toutes sortes qui se rattachent à l'oeuvre de la colonisation.

Envisageons cette oeuvre avec ampleur, sans rivalités déprimantes, sans étroitesse. Elle demande d'être exécutée dans la lumière et la générosité.

Vers 1916, parut à Paris un livre dont l'auteur, se préoccupant des lendemains de la guerre, recherchait les moyens de faire, selon le titre qu'il donna à son ouvrage, La plus grande France.

On a cru percer le pseudonyme dont il s'était couvert et lire dans son nom de Probus celui d'un universitaire et d'un historien, Ernest Lavisse.

Après avoir assigné à chacun sa tâche, aux politiques et aux ouvriers, aux artistes et aux paysans, il indique l'arme commune dont chacun pourra user.

Et il nomme la volonté, dont la puissance permettra d'utiliser la victoire comme elle permit de la remporter.

Sortie souveraine des batailles, c'est elle qui, plus que jamais, mettra des différences entre les peuples tout comme entre les individus.

Pas de marche en avant, dans les affaires privées ou les affaires publiques, si l'on ne sait pas déployer la volonté nécessaire, dût-elle aller jusqu'à l'audace. Tous ceux qui travaillent pour l'avenir doivent donc déterminer l'essor des volontés individuelles et de la volonté collective.

Et, comme le rappelle l'auteur dont je viens de parler, l'éducation des volontés individuelles relève de la morale, mais la volonté collective ressort de la politique au sens que l'on donnait autrefois à ce mot: l'art de bien administrer la cité, de bien gouverner la patrie.

Pour remuer la volonté collective, la politique doit pouvoir formuler sur les points essentiels, des principes, des réformes que tous les groupements puissent admettre. Il faut que les questions vitales ne soient livrées ni aux factions, ni aux querelles intestines, ni à l'égoïsme des ambitions. Et les questions vitales, ajoute Probus, ce sont celles qui concernent la grandeur nationale, la valeur morale d'une population, la justice sociale, la liberté des âmes, la prospérité matérielle. C'est là le domaine de la haute politique, la politique du premier ordre. Pour amener la volonté collective à s'attacher à ces questions, il faut que la politique fasse agir sur elle les sentiments et les intérêts - ces durables mobiles d'action chez les peuples comme chez les individus - les sentiments de générosité, de justice, de courage, les intérêts d'ordre économique et social. Visant ce but, usant de ces moyens, quelles oeuvres la volonté collective, éveillée, stimulée, guidée par la politique ne peut-elle pas accomplir?

C'est cette pensée, M. l'orateur, qui m'incite à me livrer de tout coeur à la tâche qui vient de m'être confiée.

Permettez-moi de vous dire que je voudrais placer dans le domaine de la politique telle que je viens de la préciser la branche de l'administration publique dont je suis chargé: la colonisation.

À l'aide de l'appui que le patriotisme portera individus et associations à donner à cette oeuvre, j'ai confiance que mes efforts ne seront pas perdus, mais qu'ils s'ajouteront efficacement à tous ceux que l'on prodigue pour l'accroissement des richesses de notre province, de quelque nature qu'elles soient, matérielles, intellectuelles et morales.

Aimons la terre! Ne craignons pas de la travailler avec courage, avec foi et avec dévouement. Car, s'il est un travail vrai, utile, nécessaire, qui ne trompe point, qui n'humilie pas et dont l'homme ne doit jamais rougir, c'est assurément le travail de la terre, le travail du champ, le travail du laboureur et de l'agriculteur. C'est le travail vraiment honorable. C'est le travail moral par excellence.

À la première heure de la colonisation du Canada, quand tout était à faire, nos pères travaillaient par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Leur femme, robuste et fière, partageait leurs travaux, leurs soucis, leurs peines, leurs espérances et leurs joies.

Leurs enfants, élevés dans l'amour du travail et de la simplicité, ne se croyant point vaillants sans oeuvres, n'avaient aucun des vices de la civilisation, du luxe et de la vanité.

Et c'est au champ, à la terre, avec la pioche, la charrue et l'outil du charpentier ou du bûcheron, que tout ce monde-là travaillait.

Personne ne s'en sentait humilié. On y trouvait l'honneur et la santé. Mais tout cela est quelque peu changé. Nous avons subi d'autres moeurs. Le travail, un certain jour, au jour de la jouissance et de la richesse, a cessé d'être une vertu et, de là, une gloire. Les fils des aïeux l'ont considéré comme un opprobre et comme une honte. Seules, à partir de cette heure mauvaise, les professions dites libérales ont passé pour honorables.

La terre est bien notre mère et nous devons l'aimer, l'honorer et la servir avec toute la dévotion d'un fils. La terre est vraiment la seule chose qui ne trompe pas. C'est elle qui nous fait riches et libres, heureux et fiers. Nous lui devons tout, depuis le pain que nous mangeons jusqu'à l'habit qui nous couvre et nous enorgueillit.

Aussi, au nom de la pioche et de la charrue, au nom de la terre et du champ, au nom de la liberté et de la dignité humaine, trouvons-nous souverainement absurde le préjugé qui cherche à ravaler l'homme de la pioche, de la charrue et du champ, car cet homme-là n'est pas le second dans la vie sociale et politique, mais le premier. Tous les autres doivent passer après lui, et la femme qui a le sentiment du vrai, la suprême délicatesse du devoir, ne saurait refuser son respect et sa tendresse à l'homme des champs qui bâtit sa maison sur le sol du laboureur et qui met sa famille et son foyer sous la protection de la ferme.

L'éclat des villes, avec leur faux luxe et leurs misères réelles, est un mirage. Il nous trompe, il nous entraîne tous hors de la voie, hors de la sagesse et hors de la vertu. C'est plutôt aux citadins à quitter la ville, où l'air est infect, où les petits métiers ont de grandes souffrances, où la famille pousse et grandit mal, où l'on paie souvent terriblement cher l'honneur d'être un bourgeois, de porter des gants, tout en mangeant quelquefois du pain sec.

Aimons donc la terre, le travail honorable des champs.
Ah! que le déserteur s'arrête et qu'il revienne
Vers la ferme à l'endroit où ses pères sont morts!
Du métier désappris que l'absent se souvienne!
C'est le travail des champs qui nous rendra les forts.

Paul Harel

Méditons, clamons bien haut dans toutes nos comices agricoles ces paroles d'un de nos plus grands hommes canadiens, Sir George Étienne Cartier, pour les graver dans toutes les mémoires des Canadiens français.

"Canadiens français, s'écriait-il au cimetière de la Côte-des-Neiges, le 21 octobre 1885, lors de la translation des restes mortels de Ludger Duvernay, Canadiens français, n'oublions pas que, si nous voulons assurer notre existence nationale, il faut nous cramponner à la terre. Il faut que chacun de nous fasse tout en son pouvoir pour conserver son patrimoine territorial. Celui qui n'en a point doit employer le fruit de son travail à l'acquisition d'une partie de notre sol, si minime qu'elle soit. Car il faut laisser à nos enfants non seulement le sang et la langue de nos ancêtres, mais encore la propriété du sol. Si plus tard on voulait s'attaquer à notre nationalité, quelle force le Canadien français ne trouvera-t-il pas pour la lutte dans son enracinement au sol? Le géant Antée puisait une vigueur nouvelle chaque fois qu'il touchait la terre: il en sera ainsi de vous.

"Voilà un siècle, nous étions à peine mille Canadiens français disséminés sur les rives de notre beau Saint-Laurent, et aujourd'hui nous sommes au-delà de six cent mille propriétaires d'au moins les trois quarts de nos fertiles campagnes. Je ne vois pas d'éventualité possible qui puisse donner le coup de mort à notre nationalité tant que nous aurons la pleine possession du sol. Compatriotes, souvenons-nous toujours que notre nationalité ne peut se maintenir qu'à cette condition.

"Il faut nous cramponner à la terre... Avant tout, soyons Canadiens!"

L'histoire rapporte que l'empereur Frédéric Barberousse, allant guerroyer contre notre Saint Père le pape, parcourait, à la suite d'une grande armée, les plaines de la Lombardie. Les populations se courbaient sur le passage du grand empereur qui, entouré d'un brillant état-major, recevait avec hauteur leurs hommages.

Tous se prosternaient, moins cependant un vieillard qui, debout, sous un chêne, les bras croisés et tenant haut le regard, refusait l'hommage à Barberousse.

Informé du fait, ce dernier, irrité, se dirigea vers le vieillard et lui demande d'une voix terrible:

- Qui es-tu, toi qui me refuses la foi?

- Un franc homme, répond fièrement le vieillard.

- De qui relèves-tu?

- De Dieu et de ma terre.

Passons, dit l'empereur, cet homme est plus grand que moi.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): Très bien! (Applaudissements)

M. Moreau (Lac-Saint-Jean): M. le président, ce n'est jamais sans une émotion profonde ni un sentiment de crainte bien légitime qu'un député élève pour la première fois la voix dans une enceinte parlementaire. Ces sentiments ont existé, j'en suis certain, chez tous ceux qui ont eu cette tâche honorable et délicate.

Inutile d'ajouter que j'étais certain qu'ils existeraient chez soi, cependant j'ai cru qu'il était de mon devoir de profiter de l'occasion qui m'était offerte de défendre les intérêts de ceux que je représente. J'ai escompté la sympathie de cette Chambre, sympathie qui s'est manifestée tant de fois pour ceux qui font leur début sur la scène politique. La manière avec laquelle elle m'a salué il y a un instant, avant même que j'aie parlé, me permet d'espérer que je ne serai point déçu.

M. le président, nous avons accueilli avec plaisir cette partie du discours du trône, qui disait qu'une somme de cinq millions serait votée pour la colonisation. Il a été aussi dit que des mesures seraient prises pour assurer la construction d'un chemin de fer dans le Témiscamingue. Nous avons été si heureux d'entendre ces bonnes paroles. J'espère et je suis certain que notre distingué chef ainsi que ses collègues ne se borneront pas là, il y a d'autres régions qui ont absolument besoin de ces voies ferrées. Le comté que j'ai l'honneur de représenter est une de ces belles régions de colonisation, le comté qui a été un jour appelé, baptisé sous le nom de "Le grenier de la province de Québec" par un ancien député de Saint-Hyacinthe, malheureusement trop tôt disparu, je veux parler de feu l'honorable Honoré Mercier.

Il a qualifié notre comté d'un juste titre. Et pour vous en convaincre, je vous dirai en peu de mots ce que nous avons expédié durant la dernière saison. Nous avons vendu et expédié pour près de $2,100,000 en fromage, nous avons expédié plus de 400 chars d'animaux vivants et plus de 75 chars d'animaux abattus. Cela suffit pour vous donner une idée de la région de Maria Chapdelaine, pays des gourganes, comme le disait un jour un de nos jeunes mais déjà avocat et écrivain distingué, M. Léon Mercier-Gouin.

Nos prédécesseurs un peu, peut-être, mais surtout le gouvernement actuel de notre province, le gouvernement de notre distingué chef qui a mis notre province à la tête de toutes les provinces du dominion, a fait beaucoup, admettons-le, mais dans sa sagesse il s'est dit: "Nous pouvons faire plus." Oui, M. l'orateur, il y a encore beaucoup à faire. Personne n'a besoin de demander où et dans quelle partie de la province, vous le savez tous: dans le sud-est de la province. Oui, mais surtout dans le nord de notre province. Quels beaux territoires nous y avons encore: le Témiscamingue, l'Abitibi, et sans oublier surtout le Lac-Saint-Jean. Je ne crois pas me tromper, M. l'orateur, en disant que cette région du nord, cette région de Chicoutimi et du Lac-Saint-Jean sera un jour, et ce jour n'est pas très éloigné, le plus grand centre industriel de la province de Québec, centre industriel parce que nous avons les matières premières, le bois et les pouvoirs d'eau pour alimenter et faire fonctionner notre grande industrie nationale, la pulpe et le papier. Je vous parle de pulpe et de papier, vous savez tous que nos industries de chez nous, bien entendu, produisent quotidiennement 500 tonnes de pulpe mécanique et près de 500 tonnes de papier et de pulpe chimique.

C'est déjà quelque chose en fait de production. Mais je dois vous dire, M. l'orateur, qu'avec les nouvelles voies de communication dont nous entrevoyons la réalisation, cette production sera dans très peu d'années doublée, triplée et même plus. N'ai-je pas raison alors de vous dire que cette région sera le plus grand centre manufacturier de papier non seulement de la province, non seulement du Canada, mais de tout le continent américain?

Il ne faut pas croire qu'avec toutes ces grandes industries que nous avons, et qui sont appelées à devenir bien plus grandes encore, nous négligerons l'agriculture et la colonisation.

Non nous arrêterons là, nous produirons aussi encore plus en agriculture, les preuves en sont données par la fertilité de notre sol et par les bras de nos vaillants défricheurs.

Pas une semaine ne se passe sans qu'un journal de cette province parle des avantages que Chicoutimi et le Lac-Saint-Jean offriront à l'agriculture dès que l'on y aura établi des voies de communication plus commodes et plus faciles.

Je ne saurais trop préciser mes désirs. Ce qu'il faut immédiatement à la colonisation, ce sont des voies de communication: chemins de fer et chemins de roulage. C'est reconnu aujourd'hui que la colonisation ne se fait pas comme autrefois, avec la hache et un pain sur le dos du colon; il faut des chemins pour conduire ces bons colons sur leurs lots; il faut qu'ils y trouvent non seulement de la misère et un travail très pénible (j'en connais quelque chose), mais il faut et il faudra leur donner des avantages. Plus de colons à travers le bois sans chemin, mais des chemins en avant du colon. Oui, donnons des avantages à ce brave colon, aidons-le dans toute la mesure de nos forces, aidons ce successeur de Louis Hébert, qui nous a fait ce que nous sommes, et qui doit faire notre pays, notre province, ce que nous sommes appelés à devenir.

La hache du bûcheron et du colon fut la grande ouvrière de notre histoire. Elle doit continuer de l'être, pour que notre province devienne encore plus la province agricole par excellence du dominion.

Le temps est-il opportun, M. l'orateur, de soumettre à cette Chambre quelques modifications que je crois qu'il serait bon de faire? Je crois, à mon humble opinion, que le département de la Colonisation devrait avoir en sa possession les cantons, les lots qui sont destinés aux colons, afin d'éviter certains troubles qui sont survenus parfois entre le colon et le marchand de bois; heureusement que cela s'est produit très rarement chez nous, mais je sais très bien que cela est arrivé malheureusement ailleurs. Ne serait-il pas bon aussi de faire des modifications, des amendements aux lois existantes? Je crois qu'il serait bon de faire un amendement dans ce sens que tout colon qui se trouverait sur un lot qui est en brûlé pourrait obtenir sa patente dès qu'il aurait fait des améliorations, ensemencé sur la dixième partie de son lot, y avoir construit une habitation convenable avec certaines dépendances et y avoir fait un an d'habitation.

Il faudrait avoir pitié un peu de ces colons qui ont peiné de longues années. Et je crois qu'il serait humainement possible d'avoir égard à ces pauvres veuves de colons dont les obligations sur leurs lots ne sont pas tout à fait remplies; je crois qu'un délai raisonnable devrait leur être accordé. Je me croirais ingrat, M. l'orateur, si je ne profitais pas de cette circonstance pour faire un peu l'éloge des premiers colons du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, qui, à force de peine et de travail, ont ouvert cette vaste région.

Tout le monde reconnaît que le Saguenay, sauf quelques paroisses, a été colonisé par des gens venus directement de Charlevoix ou descendants de colons originaires de Charlevoix.

Soixante-dix ans d'expérience ont démontré que ces hommes s'y connaissaient dans le défrichement des terres et qu'ils avaient toute la force morale, toute la vigueur physique nécessaire pour jouer le rôle d'héroïques bâtisseurs de pays. Une chose que je crois aussi être de mon devoir, M. l'orateur, c'est de féliciter l'honorable premier ministre de cette province d'avoir su choisir, à l'époque actuelle de notre histoire, puisqu'il a voulu changer de département l'ancien et dévoué ministre de la Colonisation, un homme de la qualité de l'honorable représentant d'Arthabaska pour en faire le ministre d'un département qui est appelé à jouer un grand rôle. L'honorable ministre en a donné la preuve puisque aussitôt nommé à ce poste important, il a voulu se renseigner par lui-même, il a voulu voir de ses yeux, il a voulu constater sur place les besoins de chaque région de colonisation.

Nous avons eu le plaisir et l'honneur d'avoir les premiers sa visite dans notre région, je l'en remercie bien sincèrement. Je crois avoir eu raison de dire ce que je viens de dire car je me rappelle très bien ses paroles qu'il a dites dans un de ses discours chez nous. Monsieur le ministre disait dans ma paroisse même les paroles suivantes bien encourageantes et consolantes: "Le succès de la colonisation dépendra toujours et en premier lieu du courage de nos défricheurs. Toute conquête repose en ce monde, sur un acte de volonté. Mais combien nécessaire est ce ressort intérieur pour qui veut s'adonner à la vie difficile du colon, que du moins ses actions utiles, loin d'être contrariées, soient toujours soutenues et secondées."

Et il a ajouté: "Que l'intelligente sympathie du public, que l'aide active et généreuse des pouvoirs publics s'allient à l'infatigable bravoure des pionniers de la forêt et enrichissent ainsi le domaine de la province de Québec."

M. Simard (Témiscamingue) félicite le député d'Arthabaska (l'honorable M. Perrault) de son excellent discours et fait aussi des compliments à son collègue de Lac-Saint-Jean (M. Moreau).

Il attire d'abord l'attention de la Chambre sur le beau comté de colonisation qu'il représente. Il donne une description topographique de cette vaste région. "Témiscamingue" vient d'un mot sauvage qui veut dire "eau profonde".

Il fait l'éloge de son sol d'une richesse incroyable au point de vue de l'industrie du bois et de l'agriculture. Ce comté, dit-il, mérite assurément une mention toute spéciale à cause de son étendue et des richesses qu'il recèle, ce qui comprend une superficie totale de 505,918 acres de terre organisées en municipalité avec une population globale de 11,034 pour les deux divisions.

Il parle de l'origine du Témiscamingue et ses débuts pénibles. Il passe ensuite en revue ses progrès rapides malgré le défaut de communications, ce qui prouve la richesse de son sol et de ses ressources naturelles.

Il rappelle la date de 1884, alors que s'organisa la Société de colonisation du Témiscamingue sous le patronage des évêques d'Ottawa et de Pontiac; cette société fit de la propagande et attira un bon nombre de colons dans cette région. L'élan était donné et on vit bientôt arriver en grand nombre les colons dans les cantons voisins. Les pouvoirs publics commencèrent alors à s'intéresser à cette région dont on disait tant de bien. Mais c'est surtout depuis une vingtaine d'années que le gouvernement de cette province a aidé d'une façon vraiment efficace la région du Témiscamingue. Dans les 10 dernières années, le gouvernement a dépensé plus d'un demi-million dans cette région; aussi l'on a vu surgir plusieurs nouvelles paroisses.

Il donne des statistiques sur les produits des champs fournis en 1919 par ce comté. Il donne aussi des statistiques sur les produits forestiers du Témiscamingue et de l'Abitibi qui se sont élevés à une valeur de $1,928,589.

Mais ces produits agricoles et forestiers seraient beaucoup plus considérables si une voie ferrée avait relié cette fertile région aux chemins de fer qui sillonnent la vallée du Saint-Laurent. Aussi, c'est un devoir sacré pour tout bon patriote de travailler présentement à la réalisation de ce projet qui fera la prospérité et, partant, à la grandeur de notre pays.

Il est du devoir de chacun dans la province de faire tout en son pouvoir pour aider à ouvrir de nouveaux districts et les coloniser avec de robustes cultivateurs.

Il faut que notre nationalité grandisse dans ces régions du nord. Au reste, c'est à cette oeuvre toute nationale que le gouvernement a consacré le meilleur de ses énergies depuis bientôt 25 ans. Et tout fait présager une ère nouvelle qui sera marquée par un développement extraordinaire du domaine arable dans notre province et ces promesses d'avenir réjouissent les députés qui ont l'honneur de représenter les régions de colonisation. La colonisation et l'agriculture, qui sont au fond la même chose, jouent le rôle principal dans l'augmentation de la richesse et de la prospérité de notre province.

La colonisation, c'est l'oeuvre de toute la nation et elle sera l'avenir de notre province. L'équilibre entre la production et la consommation est rompu et il ne sera rétabli que par le travail de la terre. L'augmentation de la production réduira le coût de la vie.

C'est du reste ce que le premier ministre a compris en inscrivant la colonisation à la première page du programme de cette session.

Il exprime le souhait que le nouveau chemin de fer du Témiscamingue débute cette année avec l'aide du gouvernement.

M. Daniel (Montcalm) a eu maintes fois l'occasion de rencontrer les colons du nord de ce comté surtout depuis qu'il les représente à la Législature, ils lui ont raconté leurs pénibles débuts. Et c'est alors qu'il a compris combien les anciens gouvernements avaient été coupables de ne pas avoir porté plus d'attention aux choses de la colonisation, surtout de ne pas avoir fait un choix judicieux des réserves propres à la culture. Combien d'énergies ont été perdues pour le pays. Il rappelle certains cas très pénibles où des colons, après avoir peiné pendant plusieurs années, sur un lot, ont été obligés de vendre ces lots pour s'en aller aux États-Unis, faute de l'aide nécessaire. Il cite le cas d'un pauvre colon qui a été obligé de vendre son lot pour $50.

Ces défricheurs auraient fait de bons cultivateurs de leurs fils s'ils avaient pu les établir ici. Il faut donc faire un choix judicieux des terres à donner aux colons. Il considère qu'il est aussi d'une importance vitale de choisir soigneusement les colons.

Il est bien beau de faire d'éloquents discours parsemés de fleurs de rhétorique en parlant de colonisation, de voir de belles maisonnettes à l'orée des bois ou sur le penchant des collines ou sur le bord d'un lac aux contours enchanteurs; ce qu'il importe, c'est d'entrer dans ces maisonnettes et d'interroger leurs habitants. Ils vous répondront qu'ils n'ont pas peur du travail, du froid et de la faim, et qu'ils ont l'espérance d'établir leurs enfants près d'eux; mais ils ajouteront:

Que l'on nous donne de bons chemins pour communiquer facilement avec la grande route, pour charroyer nos produits et pour transporter ce dont nous avons besoin à nos demeures. C'est ce que nous entendons de la bouche de tous les colons. Ce qu'il faut, c'est la reconstruction en gravier des grandes routes qui font communiquer les paroisses les unes aux autres.

S'il est vrai de dire que la politique des bons chemins inaugurée par le gouvernement dans les vieilles paroisses a été cause de la prospérité de ces paroisses, pourquoi en serait-il autrement pour les centres de colonisation qui en ont encore plus besoin?

J'appuie avec toute l'énergie dont je suis capable sur ces deux points, de bonnes terres et de bons chemins aux colons. Je suis convaincu que ces deux facteurs seront les puissants leviers qui contribueront au succès qui attend la politique de colonisation intensive que veut inaugurer ce gouvernement.

M. Robert (Rouville) félicite le ministre (l'honorable M. Perrault) de son projet. Bien qu'il approuve l'ouverture de nouvelles paroisses, il se réjouit que le gouvernement n'ait pas oublié les vieilles paroisses, dont plusieurs pourraient très bien être développées en communautés prospères.

Il demande de l'encouragement sous la forme d'octrois pour aider les cultivateurs des anciennes paroisses. Il est important de favoriser le développement des vieilles paroisses afin de retenir les fils de cultivateurs près de leurs parents et de les sauver de l'attirance des villes. Dans le comté de Rouville, il y a des fermes superbes, qui, si elles étaient égouttées par exemple, produiraient de magnifiques récoltes.

Il a parlé en faveur du développement de la politique de colonisation telle que tracée par le gouvernement. Il entrevoit dans la réalisation de cette politique une prospérité sans égal pour notre province. La colonisation est la grande factrice de l'agriculture et, si l'on veut que notre province continue d'être la province agricole par excellence dans ce dominion, il faut aider de toute façon à la colonisation.

Pour aider le colon, il faut surtout lui donner les moyens de communiquer le plus vite possible avec les grands centres et lui permettre de pouvoir transporter le plus facilement possible ses premiers produits de même que les choses nécessaires à l'exploitation de son lot.

Il fait l'éloge du gouvernement qui a inscrit sur son programme cette question si importante de la colonisation.

M. Grégoire (Frontenac) est de l'opinion du député de Rouville (M. Robert): il faut encourager les colons dans les vieilles paroisses. Il fait l'éloge de la colonisation, cause première de notre prospérité et de la survivance de notre nationalité sur cette terre d'Amérique. Il loue le patriotisme du gouvernement de cette province qui a compris que le développement de la colonisation était la garantie de notre grandeur.

Il fait aussi l'éloge du Canadien français colonisateur. Il le montre s'enracinant dans le sol des Cantons de l'Est, y prenant définitivement pied et acquérant, pacifiquement, les belles terres des montagnards écossais qui désertent la terre.

Il a confiance au ministre de la Colonisation et il croit qu'il dépensera judicieusement l'argent qu'on lui donne pour aider la colonisation. Notre province n'a pas connu, pendant les cinq longues années de guerre, aucune des souffrances qu'ont endurées les pays d'Europe. Pourquoi? Parce que nous avons un bon gouvernement, une bonne et saine population.

Le gouvernement a bien conduit la barque de l'État. Mais on nous dit que le pilote doit nous quitter? Je ne puis pas le croire, M. l'orateur. Il n'en a pas le droit, au moins, sans consulter cette députation.

Il espère que les rumeurs au sujet de ce départ ne sont pas vraies. Il souhaite que notre navire marche toujours sous la gouverne du pilote expérimenté et habile qu'est le premier ministre.

Il parle des prédictions de la mère Marie de l'Incarnation au sujet de l'avenir du Canada. Le premier ministre n'a pas le droit de s'en aller pour que se réalise le bel avenir prédit pour nous par la Bienheureuse.

M. Achim (Labelle) propose l'ajournement du débat.

Adopté.

Le comité étudie les résolutions et fait rapport qu'il n'en a pas terminé l'examen.

Congrès agricole

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) invite les membres de la Chambre à assister à la séance du Congrès agricole, qui a lieu ce soir.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je remercie le ministre de son invitation. Il aurait plus de monde ce soir, si on avait écouté ma suggestion, ce matin, au comité des bills privés, de ne pas avoir de séance ce soir, afin de permettre aux députés d'assister au Congrès agricole. Mais il est entendu que, du moment que je fais une proposition, on la refuse. Alors, on a refusé de m'écouter, et pourtant je pensais rencontrer les vues du ministre de l'Agriculture.

La séance est levée.

__________

NOTES

 

1. Selon le Montreal Star, ce bill prévoit qu'en plus de certains montants consentis aux enfants et petits-enfants de feu M. Pratt, ils reçoivent une rente additionnelle égale à 6¼ % du revenu net, en surplus de la propriété.

L'Événement souligne que John Pratt est mort depuis longtemps et qu'il a laissé "un petit magot de $600,000 qui est devenu une modeste fortune de quatre millions de dollars par son testament." La Presse quant à elle indique: "La fortune devait être divisée entre les enfants du défunt puis, à la mort du dernier des héritiers directs, entre les petits-enfants."

L'Événement poursuit: "Le père Pratt voulait que ses petits-enfants eussent un revenu de tant, équivalant à tant pour cent de son capital. Or, le capital ayant augmenté, et en même temps les revenus, les petits-enfants ont demandé à plusieurs reprises à la Législature de Québec d'augmenter le chiffre de leurs revenus, que le testateur avait fixé à $3,000. Cette année, ils reviennent encore, les revenus n'ayant pas oublié de monter de nouveau... comme le prix des vivres. Leur bill a été soumis au comité de législation qui l'a adopté, malgré les protestations de l'honorable M. Taschereau, le président du comité de législation. Le vote avait été au comité de 7 à 4 pour le bill, qui était défendu par son parrain, M. Adrien Beaudry, orateur suppléant de la Chambre des députés. L'honorable M. Taschereau entendait bien prendre sa revanche, évidemment, car, hier après-midi, lorsque le bill a été soumis à la Chambre, il l'a dénoncé avec énergie et a demandé aux députés de le tuer."

2. Le chef de l'opposition, M. Arthur Sauvé, vote avec le gouvernement. Voici ce qu'ajoute L'Événement au sujet de ce projet de loi: L'affaire ne restera pas là, paraît-il, et M. Beaudry, à la demande de ses amis, ramènera la question devant la Chambre. Une des raisons pour lesquelles les amis du vice-président insistent pour qu'il soumette la question aux députés une deuxième fois, c'est que l'intervention de l'honorable M. Taschereau est, selon eux, extraordinaire et que le fait que la Chambre ait rejeté le rapport de son comité de législation constitue un vote de non-confiance au comité que la Chambre a nommé elle-même. On peut s'attendre à des émotions si les amis du bill Pratt ont le courage de le ramener en Chambre.

3. Les parties de ce discours qui ne proviennent pas des journaux sont extraites de Les Bois-Francs, de l'abbé Charles-Édouard Méthot, Arthabaska, L'Imprimerie d'Artabaska, 1921, p. 61-95.

4. Émile Salone, La Colonisation de la Nouvelle France, p. 273 et 274.

5. Ivanhoé Caron, La colonisation du Canada, Dom. Fr., p. 51.

6. Caron, p. 61 et 62; Salone, p. 363.

7. Pour la plus grande France, par Probus, p. 169.

8. Documents constitutionnels par Doughty et Short, 1759 et 1791, p. 76.

9. Même volume, p. 89 et sq. et p. 474.

10. Documents constitutionnels, vol. II (de 1791 à 1818), p. 397.

11. Voir deux articles de Bouffard sur les origines de la propriété privée dans Québec, Le Canada français, livraison d'octobre et de novembre 1919.

12. Émile Salone, ouvrage cité, p. 191 et 192.

13. Voir discours de Siméon Lesage, au congrès de la colonisation en 1898, à Montréal.

14. Voir éloge de Mgr Labelle par l'abbé Rouleau, au congrès de la colonisation en 1898, à Montréal.

15. Cité dans le rapport du congrès de la colonisation 1898, p. 237.