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Version finale

15e législature, 3e session
(10 janvier 1922 au 21 mars 1922)

Le mercredi 1 mars 1922

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable J.-N. Francoeur

La séance est ouverte à 3 heures.

M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!

 

Rapports de comités:

M. Tessier (Rimouski): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le dix-huitième rapport du comité permanent des bills privés en général. Voici le rapport:

Votre comité a décidé de rapporter, avec des amendements, le bill suivant:

- bill 100 amendant la charte de la cité de Montréal.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le quatorzième rapport du comité permanent des bills publics en général. Voici le rapport:

Votre comité a décidé de rapporter, avec des amendements, le bill suivant:

- bill 161 amendant les statuts refondus, 1909, relativement au Collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec;

Bill rejeté:

- bill 155 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux chirurgiens dentistes de la province de Québec;

Et, sans amendement, le bill suivant:

- bill 158 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux ingénieurs civils;

- bill 165 relatif à l'entretien du chemin connu sous le nom de Chemin de Saint-Jean à l'Acadie, dans le comté de Saint-Jean;

Et, avec des amendements, les bills suivants:

- bill 181 amendant l'article 833 du Code de procédure civile;

- bill 49 amendant le Code civil relativement aux enregistrements.

Syndicat financier de l'Université Laval

M. Leclerc (Québec-Comté) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 59 révisant et refondant la loi constituant en corporation le Syndicat financier de l'Université Laval à Québec.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Leclerc (Québec-Comté) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Succession de M. Tétreau

M. Laferté (Drummond) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 96 concernant les curé et marguilliers de l'Oeuvre et Fabrique de la paroisse de Saint-Frédéric-de-Drummondville et la succession de feu Messire Frédéric Tétreau.

Adopté.

Le comité, ayant étudié le bill, fait rapport qu'il l'a adopté avec certains amendements. Les amendements sont lus deux fois et adoptés.

M. Laferté (Drummond) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Union des municipalités

M. Thériault (L'Islet) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 91 constituant en corporation l'Union des municipalités de la province de Québec.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Thériault (L'Islet) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Heures de travail des pompiers

M. Laurendeau (Maisonneuve) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 160 concernant les heures de travail des employés du département des incendies dans certaines cités et villes soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills publics en général.

Pensions des coroners

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour prendre en considération un projet de résolution relative au bill 176 concernant la pension de certains coroners.

Adopté.

Il informe alors la Chambre qu'il est autorisé par Son Honneur le lieutenant-gouverneur à soumettre ledit projet de résolution et que Son Honneur en recommande la prise en considération.

 

En comité:

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose: 1. Que les dispositions des articles 3278, 3279, 3280, 3280a, et 3281 des statuts refondus, 1909, concernant la retraite et la pension des juges des sessions, s'appliqueront, mutatis mutandis, aux coroners qui reçoivent un traitement fixe en vertu des dispositions des articles 3487kk, 3487ll et 3487nn desdits statuts.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Quel est le but de cet amendement?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Le but est de permettre au gouvernement de payer une pension de retraite aux coroners de Montréal et Québec.

Les coroners de ces deux villes ont rendu de grands services à la province et la loi, si elle est amendée, permettra au gouvernement de les mettre à leur retraite et de leur payer leurs salaires.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Comme pour les magistrats. Le premier ministre ne croit-il pas que l'on grève le budget de charges un peu onéreuses en adoptant cet amendement?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): La province a les moyens de récompenser ses bons serviteurs, de reconnaître leurs services.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) croit qu'il y a trop de pensionnaires et il dit que des fonctionnaires se font, une fois mis à la pension, des revenus considérables. Si la mise à la pension des coroners est facultative, dit-il, c'est dangereux à cause du favoritisme.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dit que la pension est une bonne chose et une chose nécessaire dans certaines branches du service. Les pensions, du reste, sont établies partout. On ne peut pas reprocher au gouvernement d'avoir mis mal à propos des fonctionnaires à leur pension. Il est possible que certains pensionnaires puissent se faire des revenus à part leur pension, mais c'est difficile à empêcher.

Il faut établir une certaine limite où un fonctionnaire doit être mis à la retraite. En parlant de ces pensionnaires capables encore de se faire de gros revenus, il n'existe rien dans la loi pour les en empêcher.

Le chef de l'opposition, dit-il, a sans doute voulu faire allusion au juge Doherty qui, après avoir été mis à sa retraite comme juge, a encore été capable d'être ministre de la Justice pendant plusieurs années. Quant aux coroners, il est juste de leur fixer une pension de juges de session; ils sont de véritables magistrats.

Il (M. Taschereau) ne croit pas que les coroners qui sont employés régulièrement et qui reçoivent un salaire exercent leur profession. Au reste, dit-il, la loi n'atteint que deux coroners, celui de Montréal et celui de Québec qui n'ont pas présentement d'autres fonctions1.

La résolution est adoptée.

 

Résolutions à rapporter:

Le comité fait rapport qu'il a adopté une résolution, laquelle est lue deux fois et adoptée par la Chambre.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) demande la permission de présenter le bill 176 concernant la pension des coroners.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose que le bill soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Subventions pour achat de graines de semence

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 186 relatif à l'aide que pourront accorder certaines municipalités pour l'achat de graines ou de grains de semence soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté. Le bill est renvoyé au comité général.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) propose que la Chambre se forme immédiatement en ledit comité.

Adopté.

 

En comité2:

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): La mesure a pour but de permettre aux municipalités qui le désirent d'acheter des grains de semence, afin de rendre service aux cultivateurs qui peuvent difficilement emprunter l'argent nécessaire pour faire l'achat de ces grains.

Par suite de circonstances tout à fait imprévisibles, un grand nombre de cultivateurs ont vu, ces dernières années surtout, leur commerce diminuer considérablement, et nombre d'entre eux sont même à deux doigts de la ruine.

Par contre, un grand nombre de jeunes colons qui désireraient s'établir sur de nouvelles fermes ou qui l'ont déjà fait, se voient eux aussi acculés à de nombreuses difficultés surtout financières, et la plupart d'entre eux sont obligés, dans certains cas, d'abandonner tout, parce qu'ils n'ont pas les moyens pécuniaires pour continuer leurs opérations. S'il n'est pas pris de mesures convenables, plus d'un d'entre eux n'auront pas les graines nécessaires pour semer cette année.

Il (l'honorable M. Caron) cite plusieurs cas et fait comprendre combien il est malheureux, surtout à une époque où partout on prêche le retour à la terre, que des cultivateurs et des colons se voient dans d'aussi tristes situations. Le gouvernement a donc voulu venir en aide à ces derniers, dit-il, et c'est en vertu de ce bill que les municipalités pourront à l'avenir disposer de certains fonds qu'ils avanceront aux cultivateurs, moyennant des garanties fournies par ces derniers.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) s'objecte à cette mesure, mais se défend de vouloir s'opposer aux moyens de venir en aide aux cultivateurs. D'après lui, la mesure telle que présentée constitue la municipalisation de la vente des grains.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) réplique que le chef de l'opposition n'a pas très bien saisi le sens de son bill, et il explique de nouveau que ce dernier n'avait pour but que d'aider les cultivateurs en leur fournissant, par l'entremise des municipalités, une somme n'excédant pas $100 pour chacun pour l'achat de graines de semences. Les municipalités rurales, dit-il, où ces gens vivent pourront, selon la loi nouvelle, emprunter de l'argent pour le prêter à ces cultivateurs moyennant certaines formalités, ou puiser à même le trésor municipal pour leur aider à franchir la crise et à rester sur la terre.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): C'est le crédit agricole qui s'en vient.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): La loi ne comporte pas que les prêts seront faits par le gouvernement. Le gouvernement autorise seulement les municipalités à emprunter l'argent nécessaire pour acheter des grains de semence qu'elles vendront aux cultivateurs qui en auront besoin. Au reste, la loi que nous étudions présentement existe déjà dans nos statuts, elle a été passée en 1915, mais pour un an seulement. Nous voulons la rendre permanente.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Ce serait de nature à nuire aux cercles agricoles. Ils pourraient faire cet achat pour les cultivateurs. La politique du gouvernement qui tendait à encourager les cultivateurs à produire eux-mêmes leurs graines de semence, a (donc) fait faillite. On pourrait plus sensément fonder des cercles agricoles avec subvention particulière pour venir en aide à l'organisation agricole dans nos régions de terres neuves. Il (M. Sauvé) reconnaît la nécessité immédiate de protéger le colon et le cultivateur éprouvés par un moyen efficace, mais non pas en grevant davantage nos municipalités. Combien de municipalités se sont prévalues de la loi de 1915?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Il n'y a pas de rapport sur les résultats de la loi de 1915. Il se peut qu'il y ait eu peu de municipalités qui aient alors voulu profiter de la loi parce que cette dernière ne leur donnait pas de garantie, ni aucun moyen de recouvrement. Mais dans la loi d'aujourd'hui, nous assimilons ces recouvrements à des taxes municipales. Ce sont des garanties. Quant aux cercles agricoles, les craintes du chef de l'opposition ne sont pas justifiées.

Tous les cultivateurs d'une paroisse n'appartiennent pas, loin de là, au cercle agricole quand il y en a un. Et puis, ces cercles ne peuvent pas prêter de l'argent aux cultivateurs plus que ceux-ci en fournissent par leurs contributions. Le conseil municipal, pouvant fournir des garanties, peut emprunter plus facilement qu'un individu, d'une banque, chose qu'un cercle agricole ne peut pas faire, parce qu'il ne peut pas fournir les garanties qu'offre la municipalité.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Les cultivateurs peuvent emprunter des caisses populaires. Il (M. Sauvé) fait l'éloge des caisses rurales qui rendent et peuvent rendre de très grands services à la classe agricole là où elles sont établies.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Ces caisses populaires n'existent pas dans toutes les paroisses. Ainsi, dans l'Abitibi, il n'y a pas de caisses populaires. Le seul moyen que l'on puisse employer actuellement pour fournir aux cultivateurs l'occasion d'acheter les grains de semence dont ils auront besoin au printemps, c'est d'autoriser les municipalités à emprunter l'argent nécessaire à acheter ces grains et à les vendre aux cultivateurs aux conditions stipulées dans le bill.

M. Gault (Montréal-Saint-Georges) demande si ces emprunts seront sujets au contrôle du trésorier provincial.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Non, vu que ce sont des emprunts spéciaux. Il n'y aura pas de limite dans les montants que les municipalités pourront emprunter pour atteindre le but du bill. Il y a bien une limite de $100 dans le prêt d'une municipalité à un contribuable, mais en tant que seulement un montant de $100 soit compté comme taxes.

M. Smart (Westmount): C'est là une très dangereuse législation de laisser les municipalités agir à l'instar des banques, même dans le cas où ces municipalités ne prêteraient que l'argent mis à leur disposition à cet effet par le gouvernement. Il (M. Smart) donne comme exemple une institution de cette nature qui existe dans le North Dakota où les prêts de l'État à l'agriculture n'ont pas donné de bons résultats.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Il s'agit là d'un crédit agricole. Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit que d'un achat de grains pour un montant de $100 seulement. Dans un temps prospère, cette mesure ne serait peut-être pas nécessaire. Aujourd'hui, quand l'argent est difficile, que la récolte a été mauvaise et que le grain est rare, elle est nécessaire et urgente. Les circonstances sont exceptionnelles. Le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la ruine d'un grand nombre de cultivateurs. Si quelque chose n'est pas fait, des cultivateurs ne feront pas de récoltes cette année, et ils n'en ont fait que de petites l'an dernier.

M. Renaud (Laval) prétend que les prêts par les municipalités aux contribuables équivalent à des réclamations privilégiées au détriment des détenteurs d'hypothèques. Il (M. Renaud) demande si les prêts en question affecteraient les hypothèques qui pourraient déjà grever les propriétés mises en garantie par les cultivateurs pour les mêmes prêts faits par le gouvernement.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Non. Cette somme assimilable aux taxes municipales passe avant toute autre hypothèque.

M. Smart (Westmount): Où y a-t-il des garanties pour la municipalité, alors que le fermier n'est qu'un locataire sur la terre qu'il occupe? Le gouvernement ne prend pas de risques comme l'a déclaré le ministre, mais les municipalités en courront.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Il est très rare que les cultivateurs ne soient pas propriétaires de leurs terres. Les conseils municipaux useront de discrétion, j'en suis certain, et sauront à qui ils peuvent avoir confiance. Si certains cultivateurs qui n'ont eu que de petites récoltes l'an dernier ne reçoivent pas d'aide cette année, ce sera pour eux la banqueroute.

Il (l'honorable M. Caron) fait remarquer que le système qu'il suggère ne peut qu'être excellent, puisque mieux que toute organisation, la municipalité, par son conseil, pourra prêter ou avancer les fonds mis à sa disposition par le gouvernement qu'à ceux de ses contribuables qui, en échange, pourront offrir des garanties valables. Les cultivateurs, dit-il, peuvent très difficilement s'adresser aux banques pour obtenir des prêts d'argent. Et encore, quand ils en obtiennent, ce ne peut être pour plus de trois mois et souvent, ne pouvant se rendre à la dite banque pour renouveler leur billet, ils souffrent de frais considérables occasionnés par des protêts et une foule de procédures du même genre.

M. Smart (Westmount): Les banques perdent chaque année de fortes sommes sur les prêts et le ministre ne prétendra pas que les conseils ruraux sont plus capables de faire des prêts que des banquiers d'expérience que nous avons à la tête de nos grandes corporations financières et qui n'agissent pas par sentiment. C'est un principe dangereux que de permettre à des municipalités de prêter de l'argent. Quelle fin y aura-t-il? Les municipalités perdront de l'argent tout comme les banquiers. Le ministre déclare que cette loi est nécessaire pour les nouvelles régions où il n'y a pas de facilités de banques, aussi pourquoi ne pas décréter que la loi ne s'appliquera que seulement dans ces nouvelles régions?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Pour le gouvernement, ce n'est pas tout principalement une question ou une entreprise financière, mais bien un moyen le plus efficace possible de venir en aide aux cultivateurs. Si les banques avaient les mêmes garanties que les municipalités auront pour leurs prêts, les banques ne perdraient pas leur argent. N'est-ce pas mieux de perdre quelques centaines de dollars, s'il faut admettre que nous ferons quelques pertes, que de laisser des centaines de fermes stériles, alors que nous pouvons d'une façon si considérable faire augmenter la production des produits agricoles?

Devons-nous oublier que les récoltes annuelles dans la province sont évaluées à plus de $300,000,000 et qu'en laissant un grand nombre de cultivateurs déserter leurs champs, faute d'argent pour continuer leurs opérations, nous risquons ainsi de perdre une grande partie de cette richesse que constitue pour nous l'agriculture?

(Applaudissements de la droite)

Des députés de l'opposition font de nouvelles remarques.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Il s'agit surtout d'aider les jeunes colons de même que les cultivateurs qui, par suite de circonstances imprévues, ont vu leurs récentes récoltes détruites et se verront prochainement dans l'obligation de tout abandonner pour déserter ensuite la campagne. Au reste, il ne s'agit pas d'une telle somme qu'elle puisse être mise en ligne de compte en face des avantages qu'elle donnera, puisqu'elle permettra l'ensemencement d'une ferme. Dans l'Abitibi, les colons sont particulièrement affectés par la crise financière et à eux, comme aux cultivateurs pauvres, il faut que le gouvernement vienne en aide le plus tôt possible. Ils manquent de graines de semence. Si rien n'est fait, il faudra les nourrir et cela coûtera encore plus cher.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Mais c'est par là que le ministre de l'Agriculture aurait dû commencer! Que n'a-t-il pas dit immédiatement que le but de la loi est d'aider les jeunes colons pauvres de l'Abitibi...

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Je soulève un point d'ordre pour rectifier une fausse assertion du chef de l'opposition qui me fait dire des choses que je n'ai pas dites. Le chef de l'opposition doit cesser ces tactiques.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): (D'une voix forte) Le ministre de l'Agriculture aura tout le temps voulu pour me répondre, et il peut me laisser terminer mon argumentation.

(Murmures de la droite)

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Je soulève un point d'ordre. Quand le chef de l'opposition déclare que j'ai dit que le but du bill est d'aider les colons de l'Abitibi, il n'est pas exact dans son assertion. Je n'ai pas dit cela. Le bill est présenté pour toute la province, j'ai donné l'Abitibi comme exemple du bien que procurerait la loi dans les régions pauvres.

M. Grégoire (Frontenac) fait quelques remarques.

Des députés encouragent le représentant de Frontenac.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) lui demande s'il veut discuter le point d'ordre.

M. Grégoire (Frontenac): J'ai quelques remarques à faire sur la question...

M. Sauvé (Deux-Montagnes) rappelle à l'ordre le député de Frontenac3.

(Rires de la Chambre)

M. le président intervient.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Ah! Les points d'ordre! On veut nous bâillonner avec cela, mais on ne réussira pas... Je vais parler sur le point d'ordre. Le gouvernement veut-il employer sa grande majorité pour abuser de ses forces?

Des députés ministériels: À l'ordre! À l'ordre!

M. Sauvé (Deux-Montagnes): J'entends les cris des loups, ils courent en troupes!

L'honorable M. Galipeault (Bellechasse) suggère que le chef de l'opposition n'emploie pas un tel langage et ne fasse pas tant de bruit pour une petite chose.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Le ministre des Travaux publics et du Travail ferait mieux de s'occuper de son propre département et d'essayer à régler les grèves au lieu de laisser les autres, comme le maire de Montréal, le faire4.

Quand le gouvernement, au lieu de discuter ses mesures au mérite, passe son temps à chercher des points d'ordre pour éluder la question, il abuse de son pouvoir.

(Désordre dans la Chambre)

Des députés ministériels: À l'ordre!

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Le ministre de l'Agriculture fait un appel aux députés des campagnes pour appuyer ses déclarations. Il a bien fait, car si les députés ne discutent pas ici les affaires, il est inutile d'avoir des sessions. S'il nous faut seulement approuver sans discussion tout ce que les ministres proposent, pourquoi avoir des sessions? Il y a des députés de l'autre côté qui souffrent du système qui les force à courber leurs têtes, mais je ne me courberai pas.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Je fais appel à toute la Chambre pour qu'elle décide si le chef de l'opposition n'a pas dit que j'ai déclaré que le but de la loi est d'aider les colons de l'Abitibi.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) insiste pour avoir une décision.

M. le président: Le ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) est dans l'ordre, car le chef de l'opposition n'avait pas le droit de lui attribuer des mots qu'il ne s'est pas servi. Je maintiens le point d'ordre.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je n'ai jamais dit cela! Il dit (M. Sauvé) que c'est une injustice à son égard que de maintenir ce point d'ordre.

Des députés ministériels: À l'ordre! À l'ordre!

M. Sauvé (Deux-Montagnes): C'est le nouveau libéralisme!

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): C'est vraiment disgracieux de voir qu'un député, surtout le chef de l'opposition, ne se conforme pas aux règlements de la Chambre et s'insurge d'une façon aussi cavalière contre la décision du président. Le chef de l'opposition a tort de s'insurger, c'est une grande marque d'indélicatesse et un grave manque aux règles de la Chambre, il doit se soumettre à la décision du président.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je m'insurge et je m'insurgerai encore dans les mêmes circonstances.

Des députés ministériels: Honte! Order! Order!

M. Cannon (Québec-Centre): Honte!

M. Sauvé (Deux-Montagnes) (Bondissant jusqu'à la table du greffier) Allez chercher vos chaînes pour m'empêcher de parler!

M. Cannon (Québec-Centre): Honte5!

M. Sauvé (Deux-Montagnes) fait une remarque personnelle au sujet du député de Québec-Centre.

(Désordre dans la Chambre)6

M. le président rétablit l'ordre.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) regrette fort que le ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) profite de la majorité de la Chambre pour se faire applaudir, écraser le chef de l'opposition et l'empêcher de parler. Il (M. Sauvé) est en faveur d'aider les cultivateurs pauvres dans ces régions et la province, mais la mesure du ministre de l'Agriculture est défectueuse et intempestive.

M. Grégoire (Frontenac) dit que c'est une loi d'urgence, que les colons de différentes régions ont vécu un hiver difficile à cause des mauvaises récoltes de 1921, dans certains cas sont découragés et ont certainement besoin d'aide à se procurer des grains de semence.

Il (M. Grégoire) parle de tous les fermiers qui ont sacrifié leur bétail l'année dernière à cause du manque de fourrage. L'objet de la loi, dit-il, est un des grands moyens de parer à la situation présente. Il faut absolument que nous prenions des mesures pour faire produire la terre; nous ne vivrons certainement pas de bois de pulpe l'automne prochain.

M. Ouellet (Dorchester) appuie la mesure proposée par le ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) et fait l'éloge des caisses rurales. Il se dit sûr qu'une foule de municipalités voudront profiter des avantages de la loi qu'il qualifie d'excellente.

L'honorable M. Moreau (Lac-Saint-Jean) dit qu'en tant que représentant d'un district de colonisation, il ne voit pas le grand danger que les députés de Westmount (M. Smart) et Laval (M. Renaud) prévoient dans cette loi. Bien au contraire, il la considère comme très avantageuse pour les colons de la région du Lac-Saint-Jean.

Il souhaite que ces députés soient plus au courant des besoins des colons. Il connaît les régions de colonisation et assure qu'elle sera des plus utiles aux colons et aux jeunes cultivateurs. Partout, actuellement, dit-il, l'on se demande comment au printemps l'on se procurera des grains de semences.

M. Hamel (Portneuf): Depuis six ou sept ans, il s'est fait un drainage d'argent irraisonnable dans les campagnes grâce aux bons de la Victoire et aux agents de débenture. On a trop soutiré l'argent des cultivateurs qui ne peuvent plus s'en procurer. La mesure que l'on présente peut même s'appliquer dans les paroisses où, comme dans mon comté, plusieurs banques ont établi des succursales.

Ces banques dans les campagnes ne répondent pas à ce qu'on attendait d'elles. Elles ont de l'argent dans les campagnes et elles n'ont d'argent, dirait-on, que pour des projets industriels risqués. Elles ne prêtent aux cultivateurs qu'à des conditions très difficiles. Ce bill aidera beaucoup les fermiers.

M. Bugeaud (Bonaventure) affirme, qu'au printemps, un grand nombre de cultivateurs de son comté auront besoin d'emprunter certaines sommes d'argent pour faire l'achat des grains de semence. On sera heureux, dit-il, d'avoir un aussi sûr et aussi facile moyen de se procurer des grains de semence. Il (M. Bugeaud) dit que le bill est d'autant plus nécessaire qu'une banque ne prêtera pas au meilleur agriculteur de la province qui lui présentera un billet signé de sa main, même si ce billet est endossé par Sa Sainteté le pape. Il ne voit pas en quoi une telle loi, que le gouvernement présente comme un encouragement aux cultivateurs, peut être préjudiciable à la province. C'est une excellente loi qui aura d'heureux résultats.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) constate que les députés qui viennent de parler ont contredit le premier ministre et le trésorier, alors que ces derniers annonçaient que la province était dans une situation florissante et que le peuple était si heureux. Les députés ont dit en effet que dans leur comté les cultivateurs étaient dans une situation misérable et qu'il faudrait le concours des municipalités et du gouvernement pour leur aider à faire l'achat des graines de semence.

Il (M. Sauvé) est content qu'on ait convaincu quelques députés libéraux de s'intéresser à cette mesure. Nous avons enfin gagné quelque chose, dit-il. Il se demande pourquoi le ministre de l'Agriculture n'attend pas que le député de Saint-Maurice (M. Ricard) présente sa motion pour la production de la correspondance se rapportant à l'établissement des crédits ruraux et des autres façons d'encourager l'agriculture et le retour à la terre. C'est peut-être, dit-il, que le député de Saint-Maurice aurait d'excellentes idées à soumettre au gouvernement, parce que c'est bien connu qu'il est un homme qui possède de l'indépendance de caractère et de la profondeur d'idées7.

Il (M. Sauvé) parle de l'établissement du crédit agricole dans cette province et demande au gouvernement de passer cette mesure le plut tôt possible. Nous avons provoqué ce débat dans l'espoir de recueillir toute l'information possible ainsi que des suggestions, et ceci a causé le petit incident dont vous vous souvenez probablement et que, j'espère, vous aurez oublié demain.

Il (M. Sauvé) demande si l'on ne pourrait pas retarder la présentation de cette loi.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) répond qu'elle est urgente et que sa sanction, pour avoir des effets dès le printemps, ne peut pas être retardée. Il déclare qu'il y aura une sanction des lois passées avant la fin de la session et il veut faire sanctionner la présente loi en premier lieu.

Le comité ayant étudié le bill en fait rapport sans amendement.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Travaux de la Chambre

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) déclare que les séances du soir de cette assemblée commenceront probablement demain soir, afin de permettre la prorogation dans deux semaines, si les députés le désirent. Durant la dernière semaine, il y aura trois séances par jour.

La séance est levée.

__________

NOTES

 

1. L'Événement du 2 mars 1922, à la page 3, précise le but de ce projet de loi: "Tout le monde sait que ce projet a pour but d'assurer de douces retraites aux deux principaux coroners de la province, le coroner MacMahon, de Montréal, et le docteur Jolicoeur, de Québec. Grâce à la loi adoptée hier, ils pourront se retirer et toucher leur plein salaire. Et le gouvernement n'aura pas d'embarras pour les remplacer, car tous deux ont des conjoints, qui sont prêts à chausser leurs bottes. M. MacMahon, cédera sa place à son assistant, M. Lorenzo Prince, ancien journaliste, qui a toutes les qualifications voulues pour cette importante magistrature, et M. le coroner Jolicoeur a été souvent remplacé, depuis quelques mois, par M. le Dr P.-H. Bédard, échevin de la cité de Québec. M. Bédard, en acceptant la succession du coroner Jolicoeur, dira sans doute adieu au conseil de ville, où il représente le quartier St-Jean-Baptiste depuis quelques années."

2. Le comité se réunit sous la présidence de M. Lemieux (Gaspé).

3. La Presse du 2 mars 1922, à la page 23, mentionne que M. Grégoire "ne paraissait pas s'apercevoir qu'il s'agissait alors d'un point d'ordre." Le Devoir du 3 mars 1922, à la page 2, confirme cette version en ajoutant que M. Grégoire a dit vouloir parler sur ce rappel à l'ordre, mais qu'il parle d'autre chose, provoquant ainsi le rappel à l'ordre de la part du chef de l'opposition. Par ailleurs, The Montreal Gazette du 2 mars 1922, à la page 12 rapporte que des députés, sachant que M. Grégoire était hors d'ordre, "continuaient à encourager le Dr Grégoire à poursuivre et à parler de l'Abitibi et de la colonisation."

4. M. Sauvé fait allusion au rôle qu'occupa le maire de Montréal Médéric Martin dans le règlement de la grève des typographes qui affecta le travail de la Législature la semaine précédente. À ce sujet, voir la séance du 23 février 1922.

5. The Gazette du 2 mars 1922, à la page 12, note que: "Arthur Cannon de Québec-Centre crie à la honte avec encore plus de vigueur". Le journaliste ajoute que M. Sauvé remarque l'ardeur de M. Cannon.

6. Le Canada du 2 mars 1922, à la page 5, rapporte que "l'émotion était intense et il fallut plusieurs minutes avant que le calme soit rétabli".

7. The Gazette du 2 mars 1922, à la page 12, apporte une précision sur cette allusion de M. Sauvé: "Cette dernière référence faisait apparemment allusion au fait que M. Ricard, même s'il était de bonne foi, a été élu en l'emportant sur le candidat libéral officiel". Ce dernier était Alphonse-Edgar Guillemette, que M. Ricard battit par 74 voix à l'élection partielle du 19 octobre 1920. M. Guillemette sera finalement élu dans Saint-Maurice à l'élection partielle du 5 novembre 1924, rendue nécessaire en raison du décès de M. Ricard le 20 juin 1924.