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Introduction historique

16e législature, 3e session
(7 janvier 1926 au 24 mars 1926)

Par Chantal Charron

Le Québec, le Canada et le monde en 1926

Tandis que le Québec commence à se remettre des derniers soubresauts économiques qui ont suivi la fin de la Première Guerre mondiale, les « années folles » battent leur plein sur le monde occidental, encore inconscient de la tourmente des décennies à venir.

Le 1er mai 1925, Adolf Hitler, nouveau chef du Parti national-socialiste allemand (NSDAP) autorisé depuis peu à reprendre ses activités, procède à la création des Schutzstaffel (SS), les gardes chargés d’assurer la police du Parti. Le 18 juillet, Hitler publie son ouvrage intitulé Mein Kampf, dans lequel il expose sa doctrine. Aux États-Unis, le premier congrès du Ku Klux Klan1 a lieu le 8 août à Washington. Un contingent de 40 000 militants racistes défile devant la Maison-Blanche. Les États-Unis vivent alors une période d’isolationnisme économique et de conservatisme idéologique.

La conférence de Locarno, qui se déroule du 5 au 16 octobre 1925, réunit Aristide Briand (président du Conseil sous la IIIe République française), Gustav Stresemann (ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne sous la République de Weimar), Austen Chamberlain (ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni), Émile Vandervelde (ministre des Affaires étrangères de Belgique) et Benito Mussolini (Président du Conseil du Royaume d’Italie). Le pacte de Locarno, par lequel l’Allemagne reconnaît ses frontières occidentales, est ratifié le 16 octobre.

Briand et Stresemann recevront le prix Nobel de la paix en 1926, récompensant ainsi les efforts qu’ils ont consacrés à l’établissement d’une paix durable. En Iran, c’est le 31 octobre qu’est officiellement déposé le dernier des Kadjars, Ahmad Shah. Le 12 décembre, Reza Pahlavi accède au pouvoir suprême avec le titre de shah. Sa dynastie ne sera renversée qu’en janvier 1979 par le régime théocratique islamiste de l’ayatollah Khomeyni. La veille de Noël, l’Italien Benito Mussolini entérine une loi qui crée la fonction de chef du gouvernement, et qui permet au Duce2 de disposer de l’ensemble des pouvoirs exécutifs, tout en n’étant responsable que devant le roi.

Le 21 juin, le pape Pie XI  procède à la béatification des huit martyrs dont sept jésuites de la Nouvelle-France qui ont été tués au cours des guerres opposant les Hurons et les Iroquois au XVIIe siècle. Jean de Brébeuf, Gabriel Lalemant, Noël Chabanel, Antoine Daniel, Jean de La Lande, Charles Garnier, René Goupil et Isaac Jogues porteront désormais le nom de saints Martyrs canadiens. C’est le ministre Honoré Mercier fils qui représente le gouvernement du Québec auprès du Saint-Siège pour cette insigne célébration.

Mais l’Église du Québec est bientôt frappée par le deuil : le cardinal Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec depuis plus d’un quart de siècle, s’éteint le 18 juillet 1925; deux jours plus tard, Mgr Joseph-Alfred Langlois prend la relève en tant qu’administrateur du diocèse de Québec. Hospitalisé depuis 1923 pour soigner un cancer, ce n’est que le 10 janvier 1926 que Mgr Paul-Eugène Roy est désigné pour succéder au cardinal Bégin et qu’il reçoit officiellement le pallium3 de l’archevêque. Il succombe à son tour le 20 février. Le cardinal Raymond-Marie Rouleau lui succède le 9 juillet.

La monarchie britannique connaît elle aussi ses heures de tristesse lorsque, le 20 novembre 1925, survient le décès de la reine Alexandra, veuve du roi Édouard VII et mère du roi George V.

Sur les plans économique et sociale, le Québec poursuit dans la voie empruntée au tournant de la décennie. Le 24 juillet, la construction d’une usine d’aluminium débute pour le compte de la compagnie Alcoa et de son président, Arthur Vining Davis; huit mois plus tard, la municipalité d’Arvida voit le jour sur les rives du Saguenay4. L’Asbestos Corporation, détentrice de plusieurs mines d’amiante situées dans la région des Bois-Francs, est officiellement créée le 18 décembre. Une grève éclate le 16 novembre dans l’industrie de la chaussure à Québec. Trois mille ouvriers employés dans 14 manufactures sont en arrêt de travail jusqu’au 30 novembre. C’est Mgr Joseph-Alfred Langlois qui intervient à titre d’arbitre dans le conflit5.

Le 16 septembre, l’ancien premier ministre libéral Lomer Gouin, devenu ministre à Ottawa en 1921, annonce qu’il quitte définitivement la vie politique et qu’il ne se présentera pas aux élections du 29 octobre 1925. Réélu ce jour-là avec seulement 99 sièges contre 116 pour le Parti conservateur d’Arthur Meighen, le Parti libéral de William Lyon Mackenzie King est néanmoins appelé à former un gouvernement minoritaire, puisqu’il bénéficie de l’appui des 24 députés du Parti progressiste. Au Québec, le Parti libéral fédéral fait élire 59 députés, contre seulement 4 conservateurs, et le candidat indépendant Henri Bourassa dans le comté de Labelle.

Le 8 septembre, le sénateur Raoul Dandurand est élu président de l’Assemblée de la Société des Nations. C’est aussi en septembre 1925 qu’une première femme, Marthe Pellan, est admise à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, non sans que les autorités de l’université aient tenté à plusieurs reprises de l’en dissuader. Elle recevra son diplôme six ans plus tard, après avoir terminé au premier rang de sa promotion6.

Quelques tragédies surviennent aussi : le 26 août, un incendie détruit l’entrepôt de la brasserie Molson à Montréal, tandis que le 28 novembre, le gardien de but Georges Vézina s’effondre sur la glace pendant une partie opposant le Canadien de Montréal aux Pirates de Pittsburgh. Atteint de la tuberculose, le brillant hockeyeur est contraint de mettre un terme à sa carrière. Il décède le 27 mars 1926. Une semaine après l’ouverture de la session de 1926, une partie du Château Frontenac est détruite par un incendie; les dégâts sont évalués à deux millions de dollars. L’homme d’affaires Joseph-Dominique Guay, fondateur, avec Julien-Édouard-Alfred Dubuc, de la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi, meurt le 18 septembre dans sa ville natale, dont il a été maire à deux reprises.

D’importantes avancées technologiques sont à signaler au cours de cette année, annonciatrices des progrès à venir : le système téléphonique automatique est inauguré à Montréal le 5 avril par la compagnie Bell Canada et, le 16 mars 1926, Robert Goddard lance la première fusée à carburant liquide à Auburn, au Massachusetts. À Berlin, une des premières compagnies aériennes de l’histoire, la Lufthansa, avait été créée le 6 janvier.

Le 15 février, tandis que Montréal inaugure son nouvel hôtel de ville reconstruit après l’incendie de 1922, Valmont Martin est élu maire de Québec. Il remporte les élections avec 600 voix de majorité sur son adversaire Joseph-Octave Samson. C’est dans ce contexte que s’ouvre la 3e session de la 16e Législature.

 

Les parlementaires

De nouvelles figures font leur entrée en Chambre à la session de 1926, mais la composition de la Chambre demeure presque la même : sur les 85 sièges du Parlement, 63 sont occupés par des libéraux et 20 par des conservateurs. L’Assemblée compte également un député ouvrier, Pierre Bertrand (Saint-Sauveur), ainsi qu’un député libéral indépendant, Ernest Tétreau (Montréal-Dorion).

Le 30 novembre 1925, quatre nouveaux députés sont élus lors de la tenue d’élections partielles dans les circonscriptions d’Argenteuil, de Jacques-Cartier, de Berthier et de Champlain. Seul le comté d’Argenteuil est remporté par un conservateur, Joseph-Léon Saint-Jacques, qui occupe désormais le siège laissé vacant par le libéral John Hay, décédé en fonction le 16 janvier 1925. Le libéral Amédée Sylvestre est élu dans Berthier, en remplacement de Siméon Lafrenière, nommé registrateur de ce même comté; dans Champlain, c’est le libéral William-Pierre Grant qui succède à Bruno Bordeleau, lui aussi nommé registrateur de son comté, tandis que le libéral Victor Marchand prend la relève du conservateur Ésioff-Léon Patenaude dans Jacques-Cartier. Le 8 octobre 1925, Patenaude avait démissionné de son fauteuil de député, qu’il occupait depuis 1923, afin de poser sa candidature aux élections fédérales dans cette même circonscription; il est cependant défait, et le sera également lors des élections de 1926. Il s’était d’ailleurs fait octroyer le poste de ministre de la Justice dans le Cabinet d’Arthur Meighen du 13 juillet au 25 septembre 1926. Néanmoins, au cours de la session de l’Assemblée législative de 1926, Patenaude reçoit les hommages de ses anciens collègues tant conservateurs que libéraux.

Bien que depuis 1921 la majorité de la population de la province de Québec soit recensée dans les villes, seulement 29 sièges de l’Assemblée sont occupés par des représentants des circonscriptions urbaines, comparativement à 56 pour les circonscriptions rurales7. Cela tient en grande partie au mode de scrutin en vigueur, lequel provoque une distorsion de la carte électorale.

On ne signale aucun changement au Conseil exécutif par rapport à la session précédente. Louis-Alexandre Taschereau cumule les fonctions de premier ministre, de procureur général et de ministre des Affaires municipales; Athanase David et Jacob Nicol sont respectivement secrétaire et trésorier de la province. Joseph-Édouard Caron occupe le poste de ministre de l’Agriculture, Honoré Mercier fils est toujours titulaire du ministère des Terres et Forêts, et Joseph-Édouard Perrault, dirige celui de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries; Antonin Galipeault demeure ministre des Travaux publics et du Travail, et Joseph-Léonide Perron, ministre de la Voirie. Émile Moreau, Martin Madden et Lauréat Lapierre, ministres sans portefeuille, viennent compléter le cabinet. Sinon, au cours de l’année 1925, c’est le juge en chef de la Cour supérieure, sir François Lemieux, qui s’acquitte des fonctions du lieutenant-gouverneur Narcisse Pérodeau pendant le séjour de ce dernier en Europe.

Les changements sont peu nombreux du côté du Conseil législatif. Le 31 janvier 1926, le conseiller législatif de la division de Kennebec depuis 1921, Paul Tourigny, meurt en fonction. Il fut aussi député libéral du comté d’Arthabaska de 1900 à 1916. Le libéral Clément Robillard, conseiller de la division de Lanaudière, décède subitement le 20 mars. Quant au siège de la division de Salaberry, il est toujours vacant depuis le départ de Lomer Gouin en 1921, situation que dénonce d’ailleurs le député Arthur Plante (Beauharnois), en invitant ses collègues des circonscriptions comprises dans cette division à se joindre à lui pour presser le gouvernement de nommer un représentant. (13 janvier)

 

Louis-Alexandre Taschereau et les libéraux : un programme conservateur?

Le 12 décembre 1925, un grand banquet est organisé en l’honneur de Louis-Alexandre Taschereau à l’occasion du 25e anniversaire de son entrée en politique active8. Cinq ans se sont écoulés depuis son accession au poste de premier ministre de la province, au cours desquels son gouvernement a été appelé à mettre en œuvre des mesures qui, en certains cas, ont été jugées trop progressistes, notamment par les milieux cléricaux.

Pourtant, le gouvernement Taschereau est accusé à de nombreuses reprises de pratiquer une politique conservatrice par ses opposants. Henri Bourassa, dans son journal Le Devoir et député indépendant à la Chambre des communes, qualifie l’embargo sur l’énergie électrique de « politique tory9 ».

Au Parlement de Québec, les conservateurs eux-mêmes reviennent régulièrement à la charge, sans que les libéraux ne s’en offusquent trop. Par exemple, le député conservateur de Montréal-Laurier, Alfred Duranleau, affirme, quant à la politique la protection de nos ressources naturelles, qu’elle « est littéralement copiée d’un article du programme du Parti conservateur. […] D’ailleurs, est-ce pour cela qu’un journal a dit déjà que le premier ministre actuel était "le plus tory des tories en cette province"? », demande-t-il. (22 mars)

Les débats de la session de 1926 illustrent de façon éloquente les grandes lignes du gouvernement Taschereau : prudence, voire réticences à favoriser les travailleurs au risque de désavantager les industriels, protectionnisme en ce qui concerne les ressources naturelles, ouverture aux capitaux étrangers, tolérance des trusts. Le journaliste Laurent Laplante dira de Taschereau qu’" on le considère, même parmi ses partisans, comme un conservateur égaré chez les libéraux10 ».

La discipline de parti chez les libéraux soulève également des questionnements du côté de certains députés conservateurs :

M. Langlais (Témiscouata): Dans le discours du premier ministre, il y a surtout de l’ironie. Il y a des disciples bien-aimés de l’autre côté, mais ils n’ont pas le droit de dire ce qu’ils pensent, ils sont obligés d’obéir à la discipline de parti et de fouler aux pieds leurs opinions et les intérêts de leurs électeurs. (13 janvier)

 

Ce que vient contredire le député Jean-Hugues Fortier, député de Beauce, le 20 janvier, lorsqu’il affirme que lui et ses collègues libéraux sont « fiers d’approuver le gouvernement non pas servilement, mais dans toute la liberté de notre intelligence ».

Effectivement, comme par les sessions précédentes, les projets de loi présentés ne font pas tous l’unanimité au sein de la députation libérale. Des personnalités au fort tempérament, comme Télesphore-Damien Bouchard, député de Saint-Hyacinthe, ne se gênent pas pour différer d’opinions avec ses collègues. Le chef de l’opposition ira même jusqu’à dire que « [l]’honorable premier ministre sait bien que ses plus dangereux ennemis ne sont pas de ce côté-ci de la Chambre ». (9 février)

 

Arthur Sauvé, le Parti conservateur et son programme

C’est Alfred Duranleau plutôt qu’Arthur Plante qui succède à Ésioff-Léon Patenaude11 comme premier lieutenant d’Arthur Sauvé. Cela suscite l’étonnement chez les libéraux, car Duranleau est l’associé de Rodolphe Monty, l’ancien candidat conservateur de Laurier-Outremont aux élections fédérales de 1925, celui-là même qui s’est opposé à Patenaude pour le poste de lieutenant des conservateurs fédéraux au Québec et qui n’éprouvait guère d’amitié envers ce dernier12. Le départ de Patenaude aurait amenuisé les espoirs d’Arthur Sauvé de constituer une solide opposition au gouvernement Taschereau13.

Malgré cela, les conservateurs demeurent à l’affût tout au long de la session, persuadés, du moins en apparence, que le gouvernement Taschereau n’en a plus pour longtemps et que le jour n’est pas loin où ils auront enfin la chance de traverser du côté droit de la Chambre. Des commentaires à cet effet sont régulièrement émis. Les conservateurs espèrent visiblement que le nombre d’années passées au pouvoir par les libéraux depuis 1897 incitera bientôt la population à opter pour un changement de garde.

Le parti au pouvoir ne voit pas les choses du même œil : selon le député de Beauce, Joseph-Hugues Fortier, le gouvernement libéral est un jeune parti. « S’il faut chercher la décrépitude, ajoute-t-il, c’est du côté de l’opposition qu’il faut regarder. » (20 janvier) Car, d’après l’historien Bernard Vigod, « [s]’il est une image que les conservateurs ont projetée de façon constante tout au long de 1926 et de 1927, c’est celle d’un parti qui rejetait l’industrialisation14 », contrairement aux libéraux. Même les milieux de la finance, qui sont traditionnellement conservateurs, appuient les libéraux, jugeant trop radicales les « théories de progrès social » d’Arthur Sauvé, dont la position au sein du parti manque par ailleurs de lustre15.

Mais le reproche le plus fréquent qu’adressent les libéraux aux conservateurs au cours de la session est sans aucun doute celui de ne pas avoir de programme :

L’honorable M. Perrault (Arthabaska): Le chef de l’opposition dit toujours, en cette Chambre et un peu partout dans la province, qu’il a un programme, mais je me demande si le peuple sera bien convaincu. Il n’a d’ailleurs fait que répéter ce qu’il avait déjà dit souvent sans que le peuple le prenne au sérieux. Je l’encourage à proclamer qu’il a un programme, mais peut-on croire qu’il sera pris au sérieux? Mais je souhaite quand même à mon honorable ami de persévérer et de finir par avoir un programme. (14 janvier)

 

Ce que les libéraux considèrent comme une absence de programme donne souvent lieu à des railleries en Chambre lors des échanges, car les conservateurs accusent leurs adversaires de leur avoir volé leur programme.

Bref, le chef de l’opposition sait ce que veut son parti pour la province et ce qu’il ne veut pas :

Nous ne voulons pas d’un pouvoir qui dirige les citoyens par la force, la violence, la contrainte. Nous ne voulons pas confondre le peuple avec l’État, nous ne voulons pas de conflit entre l’État-pouvoir et l’État-société. Nous voulons la protection du capital canadien d’abord, en vue de développer, d’exploiter et d’utiliser nos richesses naturelles à l’avantage de toutes les classes de notre population. Nous voulons le respect intégral de notre système d’instruction publique […]. Nous voulons encore plus de protection pour l’agriculture; que les deniers votés pour l’agriculture soient dépensés à l’avantage des cultivateurs plutôt qu’aux budgétivores; une réorganisation complète des cercles agricoles, chez les agronomes et dans l’orientation des écoles d’agriculture qui ont coûté trop cher à la province pour les résultats qu’elles ont produits. (12 janvier)

 

Tandis que Sauvé considère que le rôle de son parti en Chambre consiste « à examiner chacune des demandes du gouvernement et des propositions qui lui sont soumises, de les critiquer et de les discuter librement s’il y a lieu » (12 janvier), les libéraux prétendent que leur façon de faire ressemble davantage à un « programme de démolition ». (Caron, 20 janvier) L’assertion de Sauvé témoigne assez bien du problème des conservateurs, tant décrié par les libéraux : d’abord préoccupés de se livrer à une critique systématique des propositions libérales, ils semblent oublier d’élaborer et de proposer leurs propres solutions de rechange; et, quand ils le font, leurs arguments résistent mal aux contre-attaques des libéraux, beaucoup plus aguerris.

Néanmoins, le député de Montréal-Sainte-Marie, Camillien Houde, apparaît comme un solide opposant. Mais, malgré leur pertinence et leur force argumentative, ses interventions ne reçoivent pas l’accueil escompté. Ses discours le rapprochent davantage de l’idéologie ouvrière et témoignent très peu des aspirations soi-disant conservatrices. Ses arguments mettent certainement en évidence le manque de cohésion au sein du parti, voire l’absence d’une réelle vision politique chez les conservateurs. Certains députés ne sont pas moins satisfaits de leur chef :

M. Plante (Beauharnois): L’opposition, admirablement dirigée par son chef, a fait de grands progrès depuis quelques années. Le Parti conservateur n’a pas raison de se décourager, dans notre province. Et ces succès seront encore plus éclatants quand le peuple sera mieux formé. Il y a seulement quatre ans de cela, le chef de l’opposition n’avait que quatre membres de son côté; maintenant un solide groupe l’entoure. (13 janvier)

 

D’autres vont reprocher à Sauvé « de ne pas mieux besogner avec vingt députés qu’autrefois avec cinq16 ». Selon le député libéral Télesphore-Damien Bouchard, « il n’y a jamais eu de cohésion ni de bonne entente » au sein du Parti conservateur. (19 janvier) À la fin de la session, l’opposition est d’ailleurs si mal en point que Taschereau lui-même s’en inquiète en coulisse17.

 

Le discours du trône

Le 7 janvier, après les traditionnelles formules d’usage, le lieutenant-gouverneur de la province, Narcisse Pérodeau, livre un bref discours du trône. Il annonce d’abord que trois importantes commissions ont complété leurs travaux : la commission du service civil, la commission chargée d’étudier les lois des accidents du travail, et la commission de la refonte des statuts. Le gouvernement, précise-t-il, a donné suite au rapport présenté par la commission du service civil en augmentant de façon substantielle les traitements accordés aux fonctionnaires et les nouveaux statuts refondus de 1925 sont entrés en vigueur le 31 décembre. Quant à la nouvelle loi des accidents du travail, elle sera soumise à l’Assemblée au cours de la session.

D’autres projets seront également portés à l’attention des députés. Pérodeau les invite notamment à édicter des dispositions législatives permanentes visant à conserver dans la province les ressources naturelles, en particulier les forces hydrauliques. Dans la mesure où le développement minier connaît un essor considérable, il estime que les députés devraient aussi réévaluer la loi des mines. Il est d’ailleurs heureux d’annoncer que la construction du chemin de fer devant relier les mines de Rouyn, en Abitibi, au réseau national, progresse rapidement.

Le domaine de l’instruction publique demeure un important fer de lance du gouvernement et de nouvelles sources de revenus devront être créées afin de rendre effectifs les octrois supplémentaires qu’il destine tant aux écoles primaires qu’à l’enseignement universitaire. Il souhaite également revoir les lois relatives aux écoles techniques, afin d’en augmenter l’efficacité.

Enfin, le lieutenant-gouverneur annonce aux parlementaires qu’ils devront se pencher sur les difficultés soulevées par les dispositions de la loi relative aux enquêtes sur les affaires municipales, et sur les moyens à mettre en œuvre pour y remédier. La détermination d’une réglementation devant régir les autobus affectés au service public de même que la participation financière du gouvernement à la construction d’un pont entre Longueuil et Montréal feront l’objet de discussions au cours de la session. Enfin, la réorganisation de l’agence gouvernementale de Londres est également à prévoir, car les relations commerciales avec la Grande-Bretagne prennent de plus en plus d’expansion.

L’adresse en réponse au discours du trône est présentée par William-Pierre Grant, député de Champlain, appuyé du représentant du comté de Shefford, William Stephen Bullock.

M. Grant (Champlain): Dans tous les domaines, l’administration libérale a imprimé un essor tellement vigoureux que les progrès ne se comptent plus. Nous avons été les témoins d’un progrès ininterrompu pendant 27 ans. Les crises, la guerre même n’ont pu empêcher la province de Québec de poursuivre sa marche vers la conquête de tous les biens économiques, éducationnels et sociaux. (8 janvier)

 

Quant au député Bullock (Shefford), il ne tarit pas d’éloges sur la province, sa population, et le gouvernement qui la dirige; car cet état d’esprit exceptionnel qui la caractérise, elle le doit, entre autres, aux mesures mises en œuvre par les libéraux, qui se succèdent à sa tête depuis 1897, et qui savent faire preuve de sagesse.

Quelques jours plus tard, le chef de l’opposition livre un témoignage passablement différent. Année après année, Arthur Sauvé persiste et signe : « [c]’est le Parti conservateur qui a fait de la province ce qu’elle est aujourd’hui et qui lui a permis de tenir tête aux innovations que certains ont tenté d’implanter ici ». (12 janvier) Qu’a proposé le gouvernement Taschereau lors du discours inaugural? Rien, répond lui-même Sauvé :

Rien pour l’agriculture. Rien qui dénote que le gouvernement a pris en considération les nombreuses résolutions adoptées par le congrès de l’Union des cultivateurs. Pas un mot pour la colonisation, pas un mot d’encouragement aux colons qui se découragent comme ceux que j’ai vus à Senneterre; pas un mot sur l’émigration et sur l’immigration, problèmes qui intéressent les vrais Canadiens, questions d’actualité qui doivent préoccuper les membres de cette Chambre. Pas un mot de la voirie pour rassurer les cultivateurs qui s’alarment des poursuites du gouvernement. Pas un mot sur la grève qui sévit en plein Québec. Pas un mot aux chômeurs qui démontrent que la situation de l’ouvrier, ici même, au cœur de la province, aux portes de ce parlement est plus pénible que jamais, d’après la déclaration des chefs ouvriers les plus autorisés. (12 janvier)

 

Plusieurs sujets font l’objet de discussions au cours des sept séances consacrées à l’adresse en réponse au discours du trône. La question des monopoles des grandes compagnies est soulevée le 12 janvier par le député conservateur de Témiscouata, Jules Langlais, qui reproche au gouvernement libéral de favoriser les grandes entreprises au détriment de la population18 :

On parle des grandes industries qui se sont établies dans notre province. N’est-il pas vrai qu’à cause de cela nous nous sentons moins maîtres chez nous? […] Le premier ministre déclare qu’il y a moins de faillites aujourd’hui dans la province de Québec, mais il ne dit pas combien de commerçants sont disparus. Le petit commerçant de détail disparaît de nos campagnes pour faire place dans les villes aux grosses compagnies, contrôlées elles-mêmes par des monopoles. Demain, le commerce local ne sera plus entre les mains des petits détaillants mais entre celles de ces puissants monopoles. […]

 

Le lendemain, le député Langlais y va d’une mise en garde : « Vous verrez dans quelques années, dit-il, les effets de cette politique qui ouvre les portes aux mœurs étrangères, à l’américanisme. » Le discours du trône est finalement adopté à la séance du 21 janvier.

 

Les finances publiques

Le trésorier de la province, Jacob Nicol, annonce le 27 janvier que la dette de la province s’élève à 82 millions de dollars. Nicol dévoile un surplus de 1 391 938,81 $ pour l’année fiscale ayant pris fin le 30 juin 1925, soit 1 133 636,84 $ de plus que la prévision qui avait été estimée à 258 301,97 $, et une augmentation de 6 339 700 $ de la dette consolidée par rapport à juin 1924, laquelle se chiffre maintenant à 81 944 926,27 $.

Pour l’année budgétaire 1925-1926, le trésorier de la province estime les revenus ordinaires à 26 368 229,48 $ et les dépenses ordinaires à 23 121 389,53 $, ce qui correspond à un surplus probable de 246 839,95 $. Les six postes de dépenses les plus importants sont : le remboursement de la dette publique, auquel Nicol prévoit affecter 21,2 % du budget total de la province, et la Voirie, avec 15,8 %; 10,9 % iront à l’Instruction publique, 6,8 % au Gouvernement civil, 6,5 % à l’Administration de la justice, 6,3 % à la Colonisation, aux Mines et aux Pêcheries, 5,6 % aux Asiles d’aliénés, et 5,6 % à l’Agriculture.

En comparaison avec le dernier budget produit par l’administration Taschereau, on constate que les crédits alloués à l’agriculture, à l’administration de la justice, à l’instruction publique, à la voirie, aux terres et forêts et aux asiles d’aliénés ont quelque peu diminué. Ceux affectés au remboursement de la dette, au gouvernement civil, ainsi qu’à la colonisation, aux mines et aux pêcheries ont, quant à eux, grimpé.

L’essentiel du discours du trésorier se résume à un constat qui traduit bien le soulagement général devant un renouveau économique qui a tardé à se manifester, tant dans le secteur industriel que dans le secteur agricole.

Mais la réponse des députés conservateurs s’avère cinglante. Le député de Beauharnois, Arthur Plante, considère que la province est « encore en temps de crise [et qu’elle subit] encore le contrecoup de la prospérité factice de la guerre », conséquence de la surtaxation imposée par les trois paliers de gouvernement. Il est formel à ce sujet : « Il y a tout de même sept ans que la guerre est finie et les choses auraient dû reprendre leur cours normal. » (4 février)

Tandis que les députés et les ministres libéraux s’encensent mutuellement tout au long des séances qui suivent, les députés conservateurs ne ménagent pas le gouvernement Taschereau. Charles Ernest Gault, député de Montréal-Saint-Georges, l’accuse non seulement d’augmenter le fardeau de la taxation, mais aussi « d’avoir dépensé de forts montants par mandats spéciaux et ordres en conseil » (2 février). Déplorant que depuis la dernière session, le cabinet Taschereau a tenu 39 réunions au cours desquelles ont été adoptés 1 729 arrêtés ministériels, Arthur Plante, député de Beauharnois, considère que « [c]ette politique est contraire aux principes démocratiques, à l’esprit du pouvoir représentatif et aux intérêts du peuple ". (4 février) Charles Allan Smart, député de Westmount, exprime lui aussi son indignation.

Les députés conservateurs reviennent régulièrement à la charge avec la question de la taxation, qu’ils persistent à considérer comme étant exagérément élevée, malgré les tentatives de justifications de la droite. Le libéral Joseph Henry Dillon, député de Montréal-Saint-Anne, explique que le gouvernement Taschereau a toujours préféré réclamer certains impôts au commerce et aux grandes industries plutôt qu’aux masses ouvrières et rurales, que la province de Québec a les taxes les plus basses, et que « [s]i nous avons augmenté la dette publique, c’est que les conditions de la vie moderne, qui sont les mêmes dans le monde entier, nous imposaient ce devoir d’assurer le confort, le bien-être et la prospérité des classes rurales ». (2 février)

La litanie des conservateurs se poursuit pendant les quatre jours suivants, au cours desquels ils énumèrent les nombreuses lacunes de la province, en la comparant défavorablement avec l’Ontario. Exaspéré d’entendre les conservateurs dénigrer l’état dans lequel se trouve la province, le premier ministre Taschereau intervient :

Le député de Westmount (M. Smart), dans son discours, a comparé sans cesse Ontario, où il trouve tout bien, et Québec, où il trouve tout mal. Était-il nécessaire de rabaisser et salir ainsi notre province? Tous nos services publics, tous les domaines de notre administration, selon lui, vont mal. La colonisation est ratée, la forêt est dilapidée, la justice est une plaisanterie, l’agriculture est une farce et les finances sont dans le marasme. Dans Ontario, au contraire, tout est pour le mieux.

Au nom de notre province, et au nom des Canadiens français qui ont une mission à remplir sur ce coin du continent, je demande à l’opposition, tout en nous critiquant, de cesser de dire aux ouvriers et aux cultivateurs qu’ils sont malheureux, que tout va mal chez nous et que l’avenir est beaucoup plus riant dans d’autres pays, tandis qu’il est si facile de réaliser que les conditions d’existence sont plus heureuses ici que dans la plupart des autres pays affectés par la crise. (10 février)

 

Le budget présenté par le trésorier Jacob Nicol est finalement adopté par l’Assemblée le 10 février.

 

Les faits marquants de la session

La 3e session de la 16e Législature à Québec coïncide avec les travaux de la Chambre des communes à Ottawa, un fait plutôt rare. Sur les 149 projets de loi présentés devant l’Assemblée législative pendant cette session, 134 recevront la sanction royale du lieutenant-gouverneur Pérodeau.

Dans l’ensemble, la session parlementaire de l’hiver 1926 offre un intéressant témoignage du Québec au moment où il entre de plain-pied dans une profonde période de transition. Les débats les plus importants soulevés en Chambre sont relatifs aux problèmes urbains et au développement industriel, derrière lesquels s’efface peu à peu le monde agricole.

 

La Commission métropolitaine de Montréal

Mise sur pied par le gouvernement Taschereau en 1921, la Commission métropolitaine de Montréal regroupe la ville de Montréal et 15 municipalités de banlieue. Son rôle consiste principalement à assainir la situation financière des municipalités qui éprouvent des difficultés « en répartissant le fardeau de leur dette sur l’ensemble des membres19 ». Or, le gouvernement réclame que des pouvoirs plus étendus lui soient accordés, dans le but de rendre son action plus efficace. Les députés de l’opposition s’y objectent, considérant que la Commission représente « un empiétement sur l’autonomie des municipalités de l’île de Montréal » (Duranleau, 24 février) et un fardeau qui coûte 100 000 $ par année. (Bray, 24 février) Cette Commission, de dire Arthur Sauvé, « a outrageusement fait sentir son contrôle sur les finances des municipalités, […] pressuré les contribuables [et] mécontenté tout le monde » (24 février), tout en ne rapportant rien de valable. Bref, c’est une entité qui devrait être abolie. Les conservateurs dénoncent ce qu’ils considèrent être des pouvoirs arbitraires et abusifs; ils s’insurgent contre le fait que le gouvernement propose d’y ajouter celui d’intenter des poursuites en justice, au nom et aux frais de toute municipalité aidée par celle-ci, sans être obligée d’en obtenir le consentement, même si en principe, cette disposition concerne « des municipalités aidées ou banqueroutières et dont les obligations sont remplies par les autres municipalités ». (Taschereau, 24 février)

En tant que ministre des Affaires municipales, Louis-Alexandre Taschereau rappelle que la Commission métropolitaine ne sert que d’intermédiaire entre « le régime actuel et le régime qui vient » (24 février), et qu’elle a réussi à relever le crédit des municipalités situées dans la banlieue immédiate de Montréal, qui sont maintenant en mesure de payer leurs intérêts. Il considère que l’on doit lui permettre de terminer le travail qu’elle a commencé en lui accordant les pouvoirs qui lui sont nécessaires, et soutient qu’il ne saurait être question d’abolir la Commission avant la prochaine session. Le bill 107 est adopté sur division le 24 février.

 

La pollution industrielle à Montréal

En 1926, l’industrialisation et ses conséquences en milieu urbain commencent déjà à préoccuper les élus. Le futur maire de Montréal Camillien Houde, alors député conservateur de Montréal-Sainte-Marie, signale le problème engendré par la cour à charbon de la Montreal Light, Heat & Power, située en plein cœur d’un quartier ouvrier de la ville :

M. l’Orateur, de novembre 1925 à février 1926, pendant 3 mois, un immense amas de charbon appartenant à la compagnie Montreal Light, Heat & Power Consolidated, situé dans un district populeux de Montréal, a été en combustion [,…] rendant la situation intenable pour les résidents du district par la grande quantité de gaz délétère qui s’en dégageait, un comité de citoyens se formait pour faire signer des requêtes, protestant contre cet état de choses auprès des autorités de Montréal. (26 février)

 

Pour Houde, cette affaire concerne la santé publique et le droit des citoyens de vivre à l’aise. C’est pourquoi le 26 février, il demande copie de toute correspondance, télégrammes, etc., entre ce groupe de citoyens des quartiers de Saint-Eusèbe et Sainte-Marie ou toute personne et le gouvernement ou aucun de ses membres au sujet de la cour à charbon de la Montreal Light, Heat & Power Consolidated, située près des rues Bercy et Ontario.

Le 4 mars, c’est au tour de la pétrolière Imperial Oil, située à Montréal-Est, de faire les frais de commentaires désobligeants en Chambre. Le même député en témoigne :

L’Imperial Oil a fait plus de tort que de bien à Montréal-Est, avec ses émanations pestilentielles. Si cette ville n’a pas progressé davantage, c’est la faute de l’Imperial Oil Company qui a éloigné par ses déchets et par la senteur qui se dégage de ses huiles les gens qui auraient pu s’établir dans ses limites. Des propriétés d’une valeur de $15,000 à $20,000 sur lesquelles les propriétaires paient de fortes taxes sont inoccupées en raison de ce fait.

 

En même temps, la compagnie pétrolière souhaite se voir accorder une commutation de taxes, qu’elle versera à la ville de Montréal-Est plutôt qu’au gouvernement provincial (bill 98), ce qu’ont approuvé les contribuables de la municipalité. Déjà à l’époque, les industries menacent de s’installer en Ontario plutôt qu’au Québec, si le gouvernement ne leur accorde pas ce genre de privilège. Montréal-Est retirera 40 000 $ de taxes de l’Imperial Oil, qui emploie 600 résidents de l’endroit. Bien que le gouvernement soit réticent à procéder, il n’entend pas se déjuger de la promesse faite un an plus tôt; cette commutation ne s’appliquera cependant pas aux taxes scolaires.

 

Un pont entre Montréal et Longueuil

 

À l’étude depuis 50 ans, le projet d’un pont reliant Montréal à Longueuil connaît son aboutissement au cours de la session de 1926, alors que le gouvernement souhaite entériner une loi afin de participer financièrement à la construction de ce pont20. Le député libéral de Verchères, Jean-Marie Richard, en est d’ailleurs fort heureux, convaincu que cela aura pour effet « d’intensifier l’industrie agricole, déjà prospère, et de développer le commerce et l’industrie sur la rive sud du Saint-Laurent ». (19 janvier)

Car Montréal se développe et la circulation automobile ne cesse d’augmenter. Le gouvernement conclut une entente avec la commission du port de Montréal et la ville de Montréal, chacune des administrations devant assumer un tiers des coûts, qui sont évalués à 10 millions de dollars.

Le projet fait l’unanimité des deux côtés de la Chambre, du moins sur le fond. Une exception cependant, le député conservateur de Montréal-Saint-Georges, Charles Ernest Gault. Sa brève intervention, à laquelle réplique le premier ministre, n’est pas sans mettre en évidence les fondements de leurs allégeances politiques respectives :

M. Gault (Montréal-Saint-Georges): Je ne crois pas que ce soit le moment opportun pour la construction d’un pont aussi dispendieux. Il faudrait penser davantage à économiser et à bien dépenser les fonds publics. Le pont Victoria et le vieux pont du C. P. R. peuvent faire l’affaire, pour moins de la moitié du coût du nouveau pont.

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Il faut prévoir pour l’avenir. Montréal grandit prodigieusement et sera appelée à se développer très rapidement dans le futur. Le pont ne sera prêt que dans trois ans et le trafic aura augmenté alors beaucoup, plus encore qu’aujourd’hui. Il serait malavisé d’attendre que cette augmentation soit à son maximum avant de fournir les ressources nécessaires pour qu’elle continue de croître. Rien ne devrait entraver le développement de Montréal. Je suis certain que le pont Victoria ne suffit pas au trafic. (5 mars)

 

Le bill 27 reçoit la sanction royale du lieutenant-gouverneur le 24 mars et la construction du pont commence quelques mois plus tard21.

 

Un chemin de voitures sur le pont de Québec

Le nombre grandissant d’automobiles se fait également sentir à Québec, qui ne dispose que d’un seul pont pour la relier à sa rive sud, lequel est réservé au passage du trafic ferroviaire. Un traversier fait la navette entre Québec et Lévis, mais il ne saurait suffire à la tâche encore longtemps. Une autre motion présentée le 10 mars par le député de Verchères, Jean-Marie Richard, invite donc le gouvernement à établir une voie carrossable au centre du tablier du pont de Québec : « Mais la cité de Québec et le gouvernement d’Ottawa n’ont pas montré beaucoup d’empressement », d’annoncer le premier ministre lors de la séance de clôture de la session le 24 mars. Ni la Ville de Québec ni le gouvernement fédéral ne semblent disposés à assumer chacun un tiers des frais, estimés à 400 000 $. Le projet ne franchit donc pas l’étape de la discussion pendant la session de 192622.

 

Les autobus et la Commission des services publics

Dans la mesure où les moyens de transport automobile connaissent une expansion sans précédent, le premier ministre Taschereau entreprend de réglementer un nouveau mode de transport collectif : l’autobus. L’application de la réglementation sera confiée à la commission des services publics, « qui [aura] pour devoir premier d’assurer [le] public contre un mauvais service et des coûts de service exorbitants » (15 mars) ainsi que d’assurer la protection du public voyageur puisque, à l’époque, les compagnies d’autobus n’offrent aucune garantie quant à la sécurité de leurs usagers en cas d’accident. Il faudra désormais s’adresser à la commission pour établir une ligne d’autobus, car c’est elle qui sera chargée d’organiser « tous les détails d’un service d’autobus ». Il importe de contrôler les autobus, de dire le premier ministre : ils seront, « en plusieurs endroits, le grand moyen de locomotion de l’avenir ». Le bill 22 est adopté le 15 mars.

 

La loi des accidents du travail

D’abord votée en 1909 à l’instigation de Louis-Alexandre Taschereau, alors ministre des Travaux publics et du Travail, la loi des accidents du travail permet aux ouvriers d’être indemnisés en cas d’accident, indépendamment de leur degré de responsabilité. L’employeur doit assumer le paiement des primes d’assurance.

En 1925, une commission composée de cinq membres – deux patrons et deux ouvriers – et présidée par le juge Ernest Roy, de la Cour supérieure, a été chargée de réviser la loi. La nouvelle loi tient compte non seulement des conclusions de son rapport, mais également des décisions du Conseil international ouvrier à Genève et des lois françaises. Les conditions de travail n’étant plus les mêmes qu’au moment de l’entrée en vigueur de la loi en 1909, il s’avérait impératif de procéder à certaines réformes. Le but est de simplifier les procédures, dont on déplore la longueur et le coût pour les ouvriers. La nouvelle loi en assurera la gratuité, puisqu’un ouvrier pourra se présenter devant le juge ou un magistrat sans qu’il ait à débourser quoi que ce soit pour loger sa plainte.

Bien qu’ouvriers et patrons se soient entendus sur plusieurs points, leurs opinions divergent sur la question du tribunal à qui doit être confiée la tâche d’appliquer la loi. Tandis que les ouvriers souhaitent l’établissement d’une commission, les patrons préfèrent qu’elle soit confiée aux tribunaux, ce à quoi consent le gouvernement.

Le ministre des Travaux publics et du Travail, Antonin Galipeault, présente la nouvelle loi, qui stipule désormais que les patrons devront assurer tous les ouvriers ou « fournir une police de garantie suffisante pour le nombre d’ouvriers qu’ils emploient » (23 février); ils auront à leur charge tous les frais de médecin, de décès, d’hospitalisation. Le salaire annuel rendant éligible l’ouvrier à cette protection devra être d’au moins 1 000 $, et d’au plus 2 000 $, celui qui gagne davantage devant assumer lui-même sa protection. Il avoue cependant que la loi impose des charges un peu lourdes aux industriels qui comprennent bien qu’il est de leur intérêt comme de l’intérêt de la communauté en général qu’il n’y ait pas trop de miséreux à la charge du public; mais, ajoute-t-il, « les patrons sont bien disposés et […] reconnaissent qu’il faut faire un pas en avant ». (23 février) Quant aux tribunaux, ils lui apparaissent plus avantageux que l’établissement d’une commission permanente : ils simplifient la procédure et permettent même aux ouvriers de se dispenser des services d’un avocat : il y a, dit-il, des tribunaux partout dans la province et, compte tenu de leurs qualifications et de leur expérience, les juges s’avèrent parfaitement qualifiés pour rendre un jugement rapide et satisfaisant pour les deux parties.

Mais l’opposition réclame une commission, au même titre que les ouvriers, ce que refusent catégoriquement Taschereau et son gouvernement qui doutent fort de sa pertinence et de son éventuelle efficacité. Les raisons qu’invoque le ministre Galipeault sont les suivantes : la mise sur pied d’une commission impliquerait des frais de déplacement, puisque celle-ci devrait se rendre dans les endroits où les causes devront être entendues; par ailleurs, si elle est fixe, elle occasionnera des lenteurs dans le traitement des causes concernant des requérants domiciliés dans les régions éloignées. Il cite l’exemple de l’Ontario, à qui la commission coûte environ 250 000 $ par année « et qui exige une nuée de fonctionnaires avec toutes les lenteurs auxquelles cela peut donner lieu » (23 février), jugeant qu’il est préférable d’économiser ce capital au profit du patron et de l’ouvrier.

Les séances consacrées à l’étude du nouveau projet de loi donnent l’occasion aux députés de la gauche et de la droite de débattre abondamment de la question, même si chacun des camps demeure fermement sur ses positions. Néanmoins, le député libéral Télesphore-Damien Bouchard est plutôt d’avis qu’il vaudrait mieux reporter l’entrée en vigueur de la loi à la prochaine session, afin de permettre aux compagnies d’assurances de « faire connaître leur taux » (2 mars), lesquels risquent d’augmenter pour les patrons. Le premier ministre accepte le report de l’entrée en vigueur de la loi au 1er avril 1927, mais demeure formellement opposé à la mise sur pied d’une commission. Le bill 17 est adopté le 9 mars.

 

La Commission du salaire minimum des femmes

Instituée en 1925, la Commission du salaire minimum des femmes, que dirige le syndicaliste Gustave Francq, a pour mandat de " s’enquérir des conditions du travail des femmes dans les établissements industriels et des salaires qui leur sont payés23 ». Le 27 janvier 1926, le ministre des Travaux publics et du Travail, Antonin Galipeault, demande la possibilité de nommer un quatrième membre à cette Commission. La désignation d’un quatrième membre vise à assurer la représentation des industries mineures, qui n’en bénéficient peut-être pas à ce moment-là, au dire du ministre. Cette décision ne fait pas l’unanimité : les conseils ont habituellement un nombre impair de membres, avancent les députés de l’opposition, afin d’éviter que l’égalité des voix ne paralyse leurs travaux; dans ce cas-ci, c’est l’application de la loi qui risquerait d’être compromise. Mais le ministre ne peut souscrire à la demande : un représentant de plus d’un seul côté causerait un déséquilibre des forces en présence, tandis qu’un représentant du gouvernement pourrait se voir accusé de partialité.

Au chef de l’opposition qui lui demande s’il permettra à une femme de siéger à la Commission, le ministre Galipeault répond qu’il ne sera pas question de nommer une femme commissaire; il n’en voit pas la nécessité, puisque les salaires des femmes, dans les industries, sont établis par des hommes. Il se défend aussi d’opérer une manœuvre électoraliste en voulant donner l’impression que son gouvernement s’intéresse à la classe ouvrière. Il avoue qu’il ne s’agit pas d’une mesure d’envergure, mais que « les patrons et les ouvriers, les principaux intéressés, n’exigent pas davantage ». (27 janvier)

Le Conseil des métiers et du travail a proposé que les dispositions de la loi s’étendent à toutes les travailleuses, incluant les employées de magasin et de bureau. Mais, dans l’immédiat, le ministre ne prévoit pas augmenter les pouvoirs de la Commission, qu’il souhaite limiter aux industries, même si le député libéral indépendant de Montréal-Dorion, Ernest Tétreau, invoque le fait que les travailleuses de ces catégories reçoivent « des salaires de famine ». La prudence du gouvernement Taschereau se manifeste ici de manière éloquente :

L’honorable M. Galipeault (Bellechasse): J’ai pensé qu’il n’était pas recommandé d’agir trop rapidement, car, bien que la loi ait été dans les statuts depuis 1919, elle commence tout juste à être appliquée, donc il est préférable de voir l’effet qu’elle aura sur les industries avant d’étendre sa portée. On verra plus tard s’il est désirable de l’étendre aux autres catégories d’ouvrières. Il est possible que, l’an prochain ou quand le besoin se fera sentir, le champ d’application de la loi soit élargi, mais, pour le moment, il est préférable de la laisser telle quelle. (27 janvier)

 

Le bill 13 est néanmoins adopté sur division en troisième lecture le 27 janvier, et porté au Conseil législatif.

 

L’assistance publique

En 1926, l’urbanisation croissante continue d’engendrer son lot de problèmes. Pauvreté, entassement de la population, insalubrité des logements et des rues contribuent au développement de diverses pathologies, qu’elles soient physiques ou morales; plusieurs individus sont également privés du support de leur famille élargie, demeurée à la campagne. Dans ce contexte, les malheurs de l’existence signifient bien souvent la nécessité de recourir aux ressources mises en place par les communautés religieuses, comme les hôpitaux ou les asiles. Soutenues financièrement par l’État depuis l’adoption de la loi de l’assistance publique en 1921, ces dernières se voient plus que jamais contraintes de réclamer de nouveaux subsides.

Confronté à l’urgence des demandes provenant non seulement des hôpitaux eux-mêmes, mais également de la population, le gouvernement Taschereau n’a d’autre choix que de fournir les fonds supplémentaires. Des requêtes comportant environ 100 000 signatures de citoyens ont été envoyées au gouvernement, l’enjoignant de prélever des taxes sur les produits de luxe et de demi-luxe. Ne pouvant obtempérer à certaines demandes, comme celle de taxer de 1 $ les automobiles étrangères qui entrent dans la province de Québec, et devant la complexité de l’exercice, le gouvernement Taschereau choisit d’imposer une nouvelle taxe de 5 % sur les repas de plus de 1 $ pris dans les restaurants. La question provoque un débat intéressant, car si l’opposition est d’accord sur le fait qu’il faille soutenir les hôpitaux, elle ne l’est pas sur les moyens préconisés par le gouvernement pour parvenir à ses fins, insistant pour qu’il puise dans le surplus budgétaire de 750 000 $ annoncé en début de session.

Le 19 mars, le débat prend une tournure particulière quand le député conservateur de Montréal-Saint-Georges, Charles Ernest Gault, fait état de la situation difficile vécue dans les hôpitaux montréalais de langue anglaise : « il ne faut pas en accuser les protestants de langue anglaise, dit-il, vu que seulement 50 % des patients à l’Hôpital général de Montréal sont des anglophones et que les autres sont des étrangers canadiens français, Juifs et autres », ce à quoi le député libéral de L’Islet, Élisée Thériault, répond que « [l]es Juifs n’ont pas à être classés comme des étrangers ». Athanase David intervient brièvement : « Il n’y a pas d’étrangers dans les hôpitaux, dit-il, il n’y a que des malades. » Le bill 21 est finalement adopté le 22 mars.

 

La loi de l’hygiène publique et les unités sanitaires de comtés

Le bill 10 amendant la loi de l’hygiène publique exhorte le directeur du bureau d’hygiène provincial à procéder à la mise sur pied des districts d’hygiène par comtés ou par groupes de municipalités. Athanase David, le secrétaire de la province, avoue qu’il « avait des doutes sur le pouvoir des conseils de comté de se réunir pour créer des centres comprenant plusieurs comtés [mais qu’il] suffira que l’on consente à accepter les capitaux étrangers et fournir sa quote-part. Le Service provincial d’hygiène viendra à leur aide pour créer le premier établissement ». (16 février)

L’idée est d’abord développée par le Dr Alphonse Lessard, directeur du Service provincial d’hygiène depuis 1922. En 1925, il se rend aux États-Unis sur invitation de la fondation Rockefeller. Il y visite les structures sanitaires et la fondation offre sa coopération financière au gouvernement de la province de Québec advenant qu’une organisation sanitaire de comté prenne corps sur son territoire24. Des organisations montréalaises souhaitent également agir de concert avec les municipalités afin d’enrayer la tuberculose et la mortalité infantile, qui sont à l’époque des fléaux d’envergure.

Les unités sanitaires de comté devront maintenir sur place un médecin hygiéniste qui aura sous ses ordres deux infirmières, un inspecteur sanitaire et, dans certains cas, des dentistes et des hommes de laboratoires. Leur travail consistera à surveiller activement tout le comté qui les concerne et à lutter contre les maladies les plus ravageuses. Ils auront à leur disposition un dispensaire et le médecin sera chargé de superviser les cliniques de puériculture et les cliniques antituberculeuses, de même que de donner des conférences à la population. Les dispensaires seront fréquemment visités par les inspecteurs du Service d’hygiène. Le secrétaire de la province vise d’abord à mettre sur pied quatre unités sanitaires de comté.

Le bill 10 est adopté le 16 février. La première unité sanitaire de comté ouvre ses portes à Beauceville le 1er mai 1926.

 

Les écoles techniques

Le projet de création d’un organisme unique visant à uniformiser l’administration de certaines écoles techniques ou professionnelles est présenté la première fois devant la Chambre le 1er mars. Des conservateurs s’insurgent contre ce qu’ils considèrent être une « intrusion de l’État dans l’enseignement ». Joseph-Léon Saint-Jacques, député d’Argenteuil, (18 mars), craint le nouveau système. Le député de Témiscouata, Jules Langlais, se montre encore plus catégorique :

Non seulement on étatise l’enseignement, mais encore le gouvernement veut tout centraliser pour mieux contrôler. Que peut-on attendre de bon de ces écoles où toutes les races, toutes les religions sont admises? Cette nouvelle loi illustre bien ce qu’est l’enseignement d’État. (18 mars)

 

Mais le secrétaire de la province s’objecte radicalement à ce genre d’insinuation, s’évertuant à expliquer en quoi consiste son projet : " Il ne s’agit pas de laïcisation, mais de la réorganisation d’écoles fondées par l’État. Il s’agit de centraliser l’administration afin de mieux contrôler les dépenses et les besoins de ces écoles. » (18 mars)

La méfiance devant la possibilité que le projet débouche sur l’étatisation de l’enseignement trouve écho à l’extérieur de la Chambre. La création d’une corporation des écoles techniques, qui vient d’être adoptée à l’Assemblée législative, « suscite les alarmes d’ecclésiastiques intransigeants et de laïques réactionnaires », au dire de l’historien Antonin Dupont25. La Semaine religieuse, organe officiel de l’archevêché de Québec, manifeste ouvertement ses craintes pour le futur, tout en saluant au passage la réserve dont fait preuve le gouvernement Taschereau :

En effet, une fois l’enseignement d’État consacré par la législation, ne fût-ce que pour quelques rares écoles techniques ou autres, la brèche est faite et par cette brèche des hommes publics moins bien intentionnés que ceux qui nous gouvernent aujourd’hui pourraient plus facilement faire entrer, un jour, l’école populaire neutre.

À ce sujet, il est donc permis de regretter l’existence chez nous d’écoles gouvernementales qui ouvrent chaque année la voie de plus en plus large à l’État pédagogue. La solution du problème, ne serait-ce pas l’affiliation de toutes les écoles créées par l’État à nos différentes universités, qui ont pour mission de donner un enseignement confessionnel?26 

Par ailleurs, un journal d’allégeance libérale comme Le Canada tente de se faire rassurant en écrivant que les écoles qui tombent sous la juridiction du gouvernement sont l’École des hautes études commerciales, l’École technique et les écoles des beaux-arts : « Ce sont là des écoles où les enfants de toutes les dénominations religieuses, appartenant à toutes les races sont admis : peut-on raisonnablement placer ces écoles sous le contrôle exclusif du clergé catholique27? "

 

L’inspection des écoles rurales

Les problèmes relatifs à l’inspection des écoles rurales sont soulevés par le chef de l’opposition. Ce n’est pas la première fois qu’Arthur Sauvé présente une motion devant la Chambre à ce sujet; dès la session de 1919-192028, il dénonce l’insuffisance des ressources mises à la disposition des écoles rurales, notamment en ce qui a trait aux salaires des professeurs et à la lourdeur de la tâche imposée aux inspecteurs.

Même si David approuve Sauvé quand ce dernier insiste sur le fait que les inspecteurs devraient effectuer plus de deux visites par année dans les écoles situées sur leur territoire, il admet qu’il faudrait pour cela que le gouvernement trouve de nouvelles sources de revenus. Il est également d’accord sur le fait que de nombreux enfants commencent l’école alors qu’ils sont encore beaucoup trop jeunes et que leur cerveau n’est pas prêt à assimiler de telles matières. Ses réflexions l’ont aussi amené à considérer le fait qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’insister autant sur l’ampleur des connaissances qui doivent être acquises au niveau élémentaire :

L’honorable M. David (Terrebonne): Tous les enfants ne peuvent aspirer à la supériorité intellectuelle. Ce qu’il faut enseigner d’abord, c’est un minimum de connaissances. Après la quatrième ou la cinquième année, instituteurs et institutrices devraient être capables de faire une sélection parmi les élèves pour diriger vers les écoles complémentaires seulement ceux qui peuvent en bénéficier. Quant aux autres, il importe de leur apprendre la lecture, l’écriture, le calcul, suffisamment d’histoire de notre pays, la géographie, et surtout le catéchisme. Cette somme de connaissances est suffisante pour les besoins d’une vie modeste et heureuse. (25 février)

 

Concernant le salaire des instituteurs, David soulève un problème épineux : les commissions scolaires sont maintenant confrontées à la réalité du nombre croissant de congrégations religieuses enseignantes qui ne demandent qu’entre 1 500 $ et 3 000 $ pour trois instituteurs, alors qu’il en coûte entre 4 000 $ et 6 000 $ pour trois instituteurs laïques :

Je n’ai aucun reproche à adresser aux institutions religieuses qui, dans nos campagnes, rendent les bienfaits de l’instruction. J’admire leur œuvre, mais il est incontestable que le bon marché de leur enseignement a produit un effet sur le salaire des instituteurs auxquels elles font concurrence. Elles sont sans doute une des causes de l’exode de l’instituteur de nos campagnes. La concurrence faite par les institutions religieuses est en train de faire décroître la profession chez les laïques. (25 février)

 

La motion présentée par le chef de l’opposition ne connaîtra pas les suites escomptées. Le 23 mars, le député Télesphore-Damien Bouchard y assène le coup final :

Bien que les considérations contenues dans la motion soient en partie justifiables, serait-il opportun d’accorder les réformes demandées? On sait que l’instruction publique, en cette province, n’est pas sous le contrôle du gouvernement, mais sous la direction du Conseil de l’instruction publique. C’est à lui qu’il appartient de tracer son programme et de demander les changements désirés à la Législature. Or, il n’a rien demandé. […] Mais nous avons un système dont toute la province de Québec est fière et nous ne voulons pas changer. Le gouvernement, en ces années, a amélioré le sort des inspecteurs.

 

Il propose donc un amendement à la motion, lequel admet qu’il y a possibilité d’améliorer le système d’inspection des écoles, tout en reconnaissant le travail accompli par le gouvernement, et en assurant les autorités scolaires de l’entière collaboration de ce dernier. Mis aux voix, l’amendement est adopté le 23 mars, consacrant ainsi le statu quo en matière d’inspection scolaire.

 

Le fonds des écoles élémentaires

Le secrétaire de la province, Athanase David, propose quant à lui d’augmenter les subsides destinés au fond des écoles élémentaires. La contribution du gouvernement passera de 275 000 $ à 325 000 $ et servira principalement à venir en aide à la construction d’écoles ne disposant que de pauvres moyens, le but étant de construire des écoles qui conviennent mieux aux nouvelles normes d’hygiène. Le bill 15 est adopté le 9 mars.

 

La création d’un fonds éducationnel

Le projet de création d’un fonds éducationnel vise à subventionner les écoles élémentaires et les universités à même les ressources naturelles de la province. Athanase David explique son projet :

Les besoins de nos universités et de nos écoles élémentaires de la province augmentent sans cesse et rapidement. […] Par ce projet, nous demandons aux capitalistes qui ont des concessions forestières ou autres, aux gens qui font des fortunes dans l’industrie, dans l’exploitation de nos richesses du sol, les grandes compagnies et les autres qui, par le biais de concessions forestières ou hydroélectriques accordées par la couronne, ont pu faire fortune, de contribuer au développement de l’enseignement, à la cause de l’éducation et au développement intellectuel. Ceux qui ont de la fortune doivent en mettre une petite partie à la disposition de nos universités et de notre enseignement primaire, et à la disposition de ceux qui n’en ont pas mais qui n’en désirent pas moins atteindre la culture. (19 mars)

 

Le député Camillien Houde (Montréal-Sainte-Marie) s’inquiète quant à lui de la situation des écoles situées en milieu urbain et demande « si la loi va aider aussi à soulager le fardeau des commissions scolaires des villes », invoquant le fait que plusieurs d’entre elles « sont dans une position difficile, [que] les citoyens des villes paient les taxes comme ceux des campagnes, [et qu’] ils ont droit à une égale considération de la part du gouvernement ». (19 mars) Mais le premier ministre se montre intraitable :

Nous avons cru qu’il fallait aider largement et généreusement l’enseignement primaire dans nos campagnes et nos universités. Nous ne voulons pas aider les commissions scolaires dans les villes. La loi n’est pas faite pour les petites écoles des grandes villes comme Montréal ou Québec qui ont toutes les ressources nécessaires pour développer l’enseignement et pour entretenir les écoles. (19 mars)

 

Le bill 155 est adopté le 19 mars.

 

La loi des mines

Le développement minier, qui prend de l’ampleur et qui s’étend maintenant à plusieurs régions de la province, exige l’intervention du gouvernement Taschereau en matière d’encadrement réglementaire. Les camps miniers, dont la population s’élève à plus de 2 000 habitants, sont situés en régions éloignées des réseaux de communications et sont souvent le lieu de pratiques illégales comme le trafic des liqueurs.

Un projet de résolutions visant à modifier la loi des mines est présenté en Chambre, le 23 février, par le ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, Joseph-Édouard Perrault. Ce projet autorise le lieutenant-gouverneur en conseil à nommer un officier qui portera le titre de « commissaire des mines ». Il devra s’agir d’un avocat cumulant au moins dix ans de pratique comme membre du Barreau de la province de Québec. Il sera chargé d’intervenir dans toute cause se rapportant à des titres, droits, privilèges ou intérêts conférés par autorité de la loi des mines de la province et il jugera des litiges à l’exclusion de tout autre tribunal. Le commissaire siégera à Amos, en Abitibi, ainsi qu’à Ville-Marie, au Témiscamingue, deux régions minières.

Une nouvelle clause relative aux limites forestières refuse aux propriétaires tout recours en dommages contre la compagnie qui établira des « smelters » (fonderies) et des usines minières. Comme à l’époque il s’agit d’une région où il n’y a rien d’autre que des camps miniers, le ministre Perrault dit qu’« il vaut mieux poser cette loi tout de suite, car, de cette façon, ceux qui s’établiront là sauront à quoi s’en tenir » (23 février); en ce qui concerne les entreprises forestières, « les dommages aux arbres par les fumées et les gaz ne se feront que graduellement » et, par conséquent, les locataires de limites auront « tout le temps voulu pour enlever leur bois ». (23 février) Cette clause évitera que la compagnie qui établira un « smelter » à quatre millions de dollars soit constamment exposée à payer des dommages ou encore contrainte d’arrêter ses opérations. Malgré les critiques formulées par l’opposition, le bill 34 est adopté le 24 février.

 

Ville de Noranda

L’avènement dans le canton de Rouyn, en Abitibi, de la compagnie minière Noranda Mines Limited débouche, en 1926, sur la création d’une nouvelle ville qui sera incorporée sous le nom de la compagnie29.

L’opération donne lieu à un débat acrimonieux entre libéraux et conservateurs. Le chef de l’opposition insinue que si le gouvernement accorde soudainement autant d’attention aux mines de Rouyn, c’est sans doute parce que des députés et des ministres y ont des intérêts; il va même jusqu’à accuser le premier ministre de faire preuve d’ « autocratie, comme d’habitude ». (3 février) Taschereau réplique en disant qu’il s’agit là d’une fausseté.

Tandis qu’il est bien connu que le secrétaire David est directeur d’une compagnie minière, et que le ministre des Travaux publics et du Travail, Antonin Galipeault, avoue avoir des intérêts légitimes dans une telle entreprise, aucune loi n’interdit ce genre de pratique à l’époque30. Mais le chef de l’opposition ne se satisfait pas d’une telle réponse : « [q]uand les libéraux, dit-il, croient que c’est le temps de prôner les grands principes du parti, ils vont, répétant qu’il ne convient pas qu’un ministre ait des intérêts dans une entreprise qui, directement ou indirectement, peut recevoir des avantages du gouvernement. » (3 février) Le député conservateur de Montréal-Laurier, Alfred Duranleau, doute quant à lui qu’un ministre puisse « remplir aussi bien son devoir lorsqu’il est intéressé dans une compagnie qui fournit, par exemple, des matériaux à la province ». (3 février)

Pour finir, l’exemption de taxes que veut accorder le gouvernement à la compagnie ne fait pas l’unanimité au sein même de la députation libérale. Télesphore-Damien Bouchard, député de Saint-Hyacinthe, juge que « l’exemption des taxes accordée par les petites municipalités aux grandes compagnies est devenue un fléau dans cette province ». (3 février) Il estime que ce n’est pas parce que la Noranda ne bénéficiera pas de ce privilège qu’elle choisira d’aller s’installer ailleurs. En outre, ajoute-t-il, « [s]oit la mine est très rentable et, en conséquence, le paiement des taxes n’est rien en comparaison avec les profits, soit elle ne l’est pas et alors pourquoi s’en préoccuper de toute façon »? (3 février) L’article 17 stipulant l’exemption de taxes est cependant adopté par 27 voix contre 18. Le bill 81 constituant en corporation la ville de Noranda est porté au Conseil législatif le 3 février.

 

L’exportation de la force hydroélectrique

 

Ce n’est qu’à la toute fin de la session que le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau présente son projet de loi visant à prohiber l’exportation de l’énergie hydroélectrique produite dans la province. Bien qu’il ne soit pas dans ses habitudes de livrer de grands discours, il se montre éloquent à ce sujet :

C’est une politique essentiellement canadienne, nationale et bien québécoise, et c’est le prolongement de la politique du gouvernement en ce qui concerne l’exportation du bois de pulpe coupé sur les terres de la couronne. C’est la politique du gouvernement d’interdire l’exportation des ressources naturelles de la province quand c’est possible. Nous continuerons à développer nos pouvoirs d’eau au bénéfice de notre pays. […]

L’heure est arrivée de faire connaître à nos amis du Sud, les Américains, que nos forces hydrauliques ne sont plus exportables, et qu’il vaut mieux pour eux de venir établir ici de grandes industries que de compter sur nos ressources hydrauliques utilisées dans leur pays. Nous croyons que c’est le temps d’avertir nos voisins que nous entendons garder notre énergie électrique pour développer notre pays. (22 mars)

 

Le premier ministre, qui est à préparer une entente avec son homologue ontarien George Howard Ferguson au sujet de l’aménagement des chutes de Carillon sur l’Outaouais, a convenu avec lui de développer cette source d’énergie hydroélectrique au profit des provinces canadiennes, tout en posant comme condition que l’électricité ainsi produite ne soit pas exportée aux États-Unis. Le bill est adopté en troisième lecture et porté au Conseil législatif la journée même. Ce qu’Henri Bourassa qualifie de « politique tory » est, au contraire, salué par La Presse : « Voilà ce qui s’appelle régler une question! S’affirmer, c’est gouverner31! »

Or, en 1933, au creux de la crise économique, le gouvernement libéral reviendra sur cette politique en permettant l’exportation de l’électricité aux États-Unis32.

 

Agriculture et colonisation

Bien qu’ils soient moins fréquents que par les sessions passées, les débats concernant l’agriculture et la colonisation occupent néanmoins une certaine part des séances. Si le ministre de l’Agriculture avoue ne pas avoir « de projets nouveaux quant à la législation agricole, [il] entend continuer le développement des programmes déjà préconisés ». Il justifie ce choix de ne pas élaborer de projets importants par le fait « que tout va bien, maintenant, dans l’agriculture ». (Caron, 20 janvier) D’autre part, le ministre ne peut que constater et tenter de convaincre les conservateurs que l’exode rural s’est produit partout dans le monde. Quant à la colonisation, la demande de document formulée par l’opposition est éloquente à cet égard : « [S]ans les données que je demande, il est impossible de savoir où nous en sommes au point de vue de la colonisation », de dire Sauvé. (8 février) Le ministre Perrault ne doute pas que la réponse « sera intéressante et qu’elle fera voir que, malgré les temps difficiles, la colonisation a réalisé de grands progrès dans la province et qu’il a été fait beaucoup ». (8 février)

 

Un débat sur la langue française

Le 11 février, le député conservateur de Montréal-Dorion, Ernest Tétreau, présente devant la Chambre le texte d’une lettre qu’il a lui-même adressée au trésorier de la province, Jacob Nicol. En tant que président de la Ligue de la survivance française, il y dénonce le fait que ce dernier ait émis des chèques rédigés en anglais à des bénéficiaires de langue française. Or, le débat prend une ampleur inattendue, s’élargissant aux destinées mêmes du peuple canadien-français car, dit-il, la langue est « la meilleure conservatrice de la race [et un] peuple qui perd sa langue perd, avec le temps, sa personnalité ». Tétreau invoque le fait qu’ « [o]n se défend trop mollement contre l’invasion du français par l’anglicisme, et [qu’]on ne se met pas suffisamment en garde contre les infiltrations étrangères qui menacent d’altérer notre esprit national « :

Évidemment, ceux dont l’utilitarisme est le seul idéal regretteront les instants employés à cette discussion linguistique. Pourtant, si nous voulons être dans ce pays les « hommes de la continuité française », nous ne devons pas nous dérober à la tâche d’élever la voix, de temps à autre, dans ce temple où s’élaborent insensiblement nos destinées, pour mettre les nôtres en garde contre les périls qui les entourent.

 

Les attaques directes qu’il adresse au trésorier Jacob Nicol33 sont cependant moins bien reçues, en particulier lorsqu’il invite ce dernier à « faire sentir, comme il convient, à ceux qui persécutent notre langue, dans le département du Trésor, que leur place n’est pas parmi nous ». Malgré tout, il ne perd pas tout espoir de voir son plus grand souhait se réaliser : « J’espère que le temps n’est pas éloigné où l’on pourra offrir au monde l’exemple d’un Canada où les deux langues officielles seront également respectées. Ce jour-là, la formation d’un esprit national canadien sera assurée34. »

 

Faits divers, faits cocasses…

Où sont passés Édouard et Victoria?

Le 26 janvier, les journalistes de la Tribune de la presse, du haut de leur galerie, remarquent que les deux statues qui ornaient les niches de chaque côté du fauteuil de l’Orateur ont disparu. Les statues de plâtre de la reine Victoria et de son fils Edward VII, réalisées par le peintre Joseph Saint-Charles, décoraient le Salon vert depuis 1911. Les chroniqueurs parlementaires ne se gênaient pas pour décrier leur esthétique qu’ils jugeaient d’un goût douteux :

[Le statuaire] les avait ornées d’un embonpoint formidable et leur avait donné une physionomie d’abrutis prospères […] Qui l’eût cru? La reine Victoria travestie en matrone poissarde! Le roi transformé en vieux rentier, ancien commis de bar en retraite et engraissé à la bière35!

Remplacées par « de chétifs palmiers, empruntés au Café du Parlement, et qui achèvent de mourir en des jardinières de mauvais goût36 », non seulement les statues et leur disparition seront passées sous silence à l’Assemblée, mais elles ne seront jamais retrouvées. Encore aujourd’hui, le mystère continue de planer!

 

« Cachez ce sein…. »

Des statues d’un tout autre genre font cependant l’objet de discussions à deux reprises au cours de la session. En tant que secrétaire de la province, Athanase David est en charge des dossiers relatifs à la culture. Il se doit donc de répondre aux inquiétudes des députés conservateurs qui craignent que les statues de l’École des beaux-arts soient inconvenantes :

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Parmi les garanties que vous exigez, monsieur le ministre, de vos élèves de l’École des beaux-arts, exigez-vous celle de draper et de voiler les statues qui leur servent de modèles?

L’honorable M. David (Terrebonne): […] Au sujet des modèles que le chef de l’opposition appelle des nudités, je lui dirai que tout dépend des sentiments de la personne qui regarde ces nudités. Tout est pur à celui qui a le cœur pur. On peut sortir du Vatican, à Rome, profondément scandalisé des nudités de Michel-Ange, de Raphaël et de tant d’autres. Cependant, je ne sache pas qu’aucun pape se soit scandalisé de contempler des nudités qui font l’orgueil de la peinture et de la sculpture de toutes les époques. Le chef de l’opposition conservatrice de Québec serait-il plus pudique que le plus chaste des papes? (16 février)

 

Critique des sources

Par Chantal Charron

Les membres de la Tribune de la presse en 1926

Edmond Chassé, de L’Événement, est président; Jean-Charles Harvey, du Soleil, et William R. O’Farrell, du Chronicle Telegraph, sont vice-présidents; Damase Potvin, également du Soleil, est secrétaire-trésorier, tandis qu’Émile Benoist, du Devoir, agit à titre de bibliothécaire. Les autres membres connus de la Tribune de la presse sont : Louis-Philippe Desjardins et Louis Francoeur, de La Patrie; Ewart E. Donovan, du Daily Telegraph; Auguste Galibois, du Canada; Gilbert W.G. Hewey, du Montreal Daily Star; Irénée Masson, de L’Action catholique; J. Stanton, du Chronicle Telegraph; et Abel Vineberg, de la Montreal Gazette. C’est vraisemblablement Damase Potvin qui agit déjà à titre de correspondant de La Presse, dans laquelle il publie chaque jour une « Lettre de Québec » sous le pseudonyme de « Sainte-Foy »37.

 

Les hebdomadaires et autres documents d’archives

En plus des grands titres connus, la reconstitution des débats pour la session 1926 s’appuie parfois sur des informations trouvées dans les chroniques parlementaires des journaux et hebdomadaires suivants : L’Action populaire, L’Autorité, Le Bien Public, Le Bulletin des Agriculteurs, Le Canada Français, Le Canadien de Thetford, Le Clairon de Saint-Hyacinthe, Le Colon, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, Le Droit, Le Journal de Waterloo, Le Messager de Verdun, Le Monde Ouvrier, Le Nationaliste, Le Pays, Le Peuple, Le Progrès de Valleyfield, Le Progrès du Golfe, Le Progrès du Saguenay, Le Quotidien, Le Saint-Laurent, Le Trifluvien, L’Écho du Saint-Maurice, L’Étoile du Nord, L’Union des Cantons-de-l’Est, Sherbrooke Daily Record, The Canadian Labor Press, The St.Maurice Valley Chronicle, The Standard, The Stanstead Journal.

 

Les journaux et la mine Abana

Une publicité parue dans le journal Le Soleil de Québec vante les mérites de la mine Abana. Elle prétend que le ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, l’honorable Joseph-Édouard Perrault, y a lui-même souscrit 1 200 actions et que la mine produit un rendement de 75 $ par tonne de minerai traité. Irrité, le ministre se lève sur une question de privilège :

[J]e dois déclarer que cette annonce constitue une tentative d’un genre rare pour exploiter le public. Je tiens à opposer un démenti formel et catégorique à cette affirmation. Je n’ai jamais souscrit et ne souscrirai jamais d’actions dans cette mine, ni directement ni indirectement. Je dois même ajouter que les rapports faits à mon département ne justifient aucun des avancés qui sont tellement exagérés qu’à leur face même ils paraissent faux. Un rendement de $75 par tonne de minerai traité, c’est fantastique. Il n’y a rien dans les rapports qui fasse voir que cette mine soit aussi riche qu’on dit. Je crois qu’il est temps de mettre le public en garde contre ces annonces alléchantes qui induisent le public en erreur. Il ne faut pas que le public se laisse tromper par l’appât de fortunes qui n’existent pas. (3 mars)

 

La déclaration du ministre en Chambre ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd… mais dans celles des journalistes présents ce jour-là à la Tribune de la presse. L’affaire se retrouve dès le lendemain non seulement dans The Montreal Gazette, mais aussi dans le Herald, le Canadian Mining Journal et le Financial Post, pour ne nommer que ceux-là. Cette fois, c’est au tour du député libéral Hector Authier (Abitibi) d’exprimer son indignation devant ce qu’il considère comme étant des propos mensongers :

C’est le privilège des membres de cette Assemblée, je crois, d’exiger que les rapports des journaux sur leur conduite ou leurs discours ne contiennent pas d’injustices graves. Les journaux ont mal rapporté les paroles du ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries (l’honorable M. Perrault).

Or, depuis une quinzaine de jours, certains journaux ont publié des articles qui laissent planer des soupçons injurieux et même des accusations injustes contre un corps dont je fais partie, le bureau de direction de la compagnie Abana Mines. […] Des journaux ont pris occasion de la déclaration de l’honorable ministre pour déprécier cette mine et les directeurs de la compagnie en ont souffert un préjudice. Je n’ai pas entendu la protestation de M. le ministre. Aussitôt qu’on m’en eût donné connaissance, je demandai aux journaux de publier en même temps une déclaration dégageant la responsabilité de la compagnie Abana, qu’il n’était nullement responsable de cette annonce. Plusieurs journaux acceptèrent de publier la version de la compagnie, mais d’autres refusèrent et publièrent même de la protestation de l’honorable ministre des Mines un rapport que je crois inexact et qui fut dénoncé depuis comme tel par le ministre lui-même. Les journaux n’ont pas publié une rectification qu’il leur a transmise au lendemain de la déclaration de l’honorable ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries (l’honorable M. Perrault). (18 mars)

 

Authier dit avoir été « extrêmement surpris de lire dans la Gazette de Montréal que l’honorable ministre des Mines avait dénoncé toute vente d’actions de la compagnie Abana comme une tentative de tromper ou de frauder le public ». Il déplore le fait que cet article ait été reproduit dans plusieurs journaux, créant « dans l’opinion publique l’affaire de l’Abana ». C’est pourquoi il souhaite rétablir les faits : dans ce but, il a fait parvenir une déclaration aux journaux, mais, dit-il, certains ne l’ont pas encore publiée.

Authier ajoute qu’il ne croit pas que le ministre « se soit servi du langage qu’on lui prête dans la Gazette et d’autres journaux » et que cela s’avérerait contradictoire avec le message qu’il avait fait paraître en janvier dans le Mail and Empire de Toronto concernant la minière Abana, dans lequel il vantait les récentes découvertes de la Canadian Explorations Co., propriété de la compagnie Abana. D’ailleurs, poursuit Authier, des échantillons recueillis et analysés par des ingénieurs au laboratoire du département des Mines de la province ont révélé une valeur de 75,06 $ la tonne. Par conséquent, dit-il :

Je ne crois pas que le ministre ait dit que la vente d’actions de la compagnie Abana constitue une tentative de tromper ou de frauder le public. Il a d’ailleurs nié dans Le Soleil et La Presse les propos qu’on lui prêtait à ce sujet, et il a déclaré reconnaître la parfaite honorabilité des directeurs de la compagnie Abana et la légitimité de l’entreprise qu’elle poursuit.

Je demande donc aux journaux dont les articles contenaient des imputations injurieuses et injustes à mon égard, à l’égard de mes codirecteurs et à l’égard des directeurs de l’Abana de prendre note de la rectification que l’honorable ministre a faite et des déclarations que je viens de soumettre à cette Chambre. Je compte sur leur loyauté pour réparer le tort qu’ils ont pu nous causer. (18 mars)

 

Le chef de l’opposition et le député conservateur de Beauharnois, Arthur Plante, contestent l’intervention du député Authier, jugeant qu’il s’agit là d’une réclame publicitaire pour une entreprise et que cela ne concerne pas la Chambre. Mais l’Orateur soutient que le député est parfaitement dans l’ordre. Invoquant le fait qu’il souhaitait tout simplement faire une mise au point, Authier « dit espérer que la presse saura à l’avenir faire plus attention ».

Cette saga, qui met en scène les journaux et un député ministériel membre de la direction d’une compagnie minière, n’est pas sans rappeler le débat provoqué en Chambre le 3 février 1926, lequel impliquait le ministre des Travaux publics et du Travail, Antonin Galipeault, qui avait avoué détenir des intérêts dans une minière abitibienne. Ce double emploi, qu’aucune loi n’interdit à l’époque, amène certains députés à vouloir non seulement surveiller et rectifier les propos journalistiques rapportés sur leur travail en Chambre, mais également ceux qui risquent de menacer leurs propres intérêts financiers.

 

Note de l’introduction historique et de la critique des sources

1. Le KKK est une organisation raciste et violente fondée en 1865 à Pulaski, dans le Tennessee, la même année au cours de laquelle le Congrès proclame l’abolition de l’esclavage. Dans le contexte où une immigration massive déferle sur l’Amérique dans les premières décennies du XXe siècle et où la crainte du communisme est omniprésente, « le KKK incarne le nationalisme américain et son rejet des races, des croyances et des idéaux sociaux étrangers ». Pour plus d’information à ce sujet, voir : Jean-Michel Lacroix, Histoire des États-Unis, Paris, Presses Universitaires de France, 2009 (1996), p. 261 et 355.

2. Duce : du latin dux, qui signifie conducteur, guide.

3. « Le pallium est une bande de laine blanche, en forme d’étole, décorée de six croix. […] Les archevêques portent ce pallium dans les liturgies eucharistiques qu’ils célèbrent dans leur diocèse ou dans les diocèses de la province ecclésiastique qu’ils président ». http://news.catholique.org Site consulté le 15 septembre 2009.

4. Le nom d’ « Arvida » emprunte aux premières syllabes de celui du président de la compagnie Alcoa, Arthur Vining Davis. La construction de la ville commence en juin 1926. En septembre 1928, l’Alcoa décide de constituer sa filiale canadienne en entité autonome sous le nom d’Alcan. José E. Igartua, Arvida au Saguenay : naissance d’une ville industrielle, Montréal/Toronto, Mc Gill/Queen’s University Press, 1996, p. 5 et 35.

5. Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois, Montréal, Boréal, 1989, p. 151. Dans l’esprit de la doctrine sociale de l’Église, on sollicitait parfois l’évêque pour arbitrer un conflit ouvrier. Mgr Bégin avait déjà été appelé pour négocier des règlements à certains conflits de travail.

6. « Admission d’une première femme à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal », Bilan du siècle, Université de Sherbrooke, www.bilan.usherb.ca Site consulté le 15 septembre 2009.

7. « Globalement, en 1926, comme le note Angell, les circonscriptions urbaines ne contrôlent que 29 sièges à l’Assemblée législative contre 56 pour les circonscriptions rurales ». René Durocher, Paul-André Linteau et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain : De la Confédération à la crise, Montréal, Boréal, tome 1, p. 571.

8. D’allégeance libérale, le journal La Presse, de Montréal, a célébré l’événement  « dans un panégyrique de 20 colonnes ». Bernard L. Vigod, Taschereau, Sillery, Septentrion, 1996, p. 185.

9. Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XXVIII, "La rue Saint-Jacques", Montréal et Paris, Fides, 1950, p. 149.

10. Laurent Laplante, « Louis-Alexandre Taschereau », Portraits des premiers ministres du Québec, Montréal, Société Radio-Canada, 1982, p. 5.

11. « Avocat et homme d’affaires crédible et apprécié, il avait su donner un nouveau souffle à l’aile provinciale conservatrice lors de son passage à la législature de Québec ». Nelson Michaud, « L’alliance conservatrice-nationaliste : mariage de raison ou nécessité politique? » dans Michel Sarra-Bournet (dir.), Les nationalismes au Québec du XIXe au XXIe siècle, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 81.

12. R. Rumilly, Histoire de la province de Québec…, p. 143.

13. B. Vigod, Taschereau …, p. 185.

14. « Peu de députés conservateurs étaient aussi réactionnaires, mais leur critique des excès et des abus était filtrée à travers les partis pris des seuls quotidiens à s’opposer encore à Taschereau : Le Devoir et L’Action catholique ». Ibid., p. 187.

15. Marc LaTerreur, Les tribulations des conservateurs au Québec de Bennett à Diefenbaker, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1973, p. 8.

16. R. Rumilly ajoute : « À défaut de distinction, d’élévation, Sauvé ne manquait ni d’expérience, ni d’intelligence, ni même d’une finesse matoise, à la paysanne », Histoire de la province de Québec…, p. 151.

17. Taschereau à Gouin, 25 mars 1926, dans B. Vigod, Taschereau …, p. 185 et 356.

18. En 1934, à Ottawa, la commission royale d'enquête sur les écarts de prix, présidée par le ministre du Commerce et député de Vancouver, Henry Herbert Stevens, mettra le gouvernement conservateur dans l’embarras. En 1934, Stevens réclame l’intervention de l’État pour mieux réglementer les pratiques des grands détaillants « qui achètent en masse, trichent sur le poids ou sur la qualité, versent des dividendes princiers et des salaires de famine ». Il part en croisade contre ces monopoles, démissionne du Cabinet et fonde, en 1935, le Parti de la reconstruction. Cette commission Stevens interpellera le chef de l’opposition conservatrice, Maurice Duplessis, qui cherchera à associer le premier ministre Taschereau à ce type d’exploitation financière. Voir : débats de l’Assemblée législative, 4e session de la 18e Législature.

19. Paul-André Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération, Montréal, Boréal, 2000, p. 353.

20. Le 24 juillet 1773, une demande apparentée avait été faite au Conseil de Québec, alors que la pétition suivante avait été enregistrée : « Read Petition of Divers Citizens of Montreal praying for a fixed Ferry from that City to Longueuil, on the Opposite Shore, and to ascertain reasonable Rates of Passage at the same. »

21. L’inauguration du pont du Havre (qui prendra plus tard le nom de pont Jacques-Cartier) a lieu le 24 mai 1930. Les travaux auront duré quatre ans, soit 18 mois de moins que le temps prévu. Les coûts seront cependant un peu plus élevés que ceux estimés au départ, puisqu’ils vont se chiffrer à 12 800 000 $. René Binette et Martin Gendron, Un fleuve, un quartier, une ville, Montréal, Maison de la culture Frontenac/Écomusée de la maison du fier monde, 1992, p. 20-21.

22. Ce n’est que le 15 novembre 1928 qu’intervient une entente entre le ministère des Chemins de fer et Canaux du Canada et le ministère des Travaux publics et du Travail du Québec concernant l’établissement d’une voie carrossable sur le pont de Québec. La loi est sanctionnée le 4 avril 1929 et la voie est ouverte à la circulation automobile le 22 septembre de la même année. Michel L’Hébreux, Le Pont de Québec, Québec, Septentrion, 2008, p. 175-186.

23. Cette commission est en quelque sorte « l’embryon de la future Commission du salaire minimum dont il sera le premier président en 1940 ». Béatrice Chiasson et al., Histoire du mouvement ouvrier au Québec (1825-1976), Montréal, CSN/CEQ, 1979, p. 61. Voir aussi : Le Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Les Quinze, 1982, p. 272.

24. Georges Desrosiers, Benoît Gaumer et Othmar Keel, La santé publique au Québec : histoire des unités sanitaires de comté : 1926-1975, Montréal, Université de Montréal, Département de médecine sociale et préventive/Département d’histoire, 1998, p. 13 et 34.

25. Antonin Dupont, « Louis-Alexandre Taschereau et la législation sociale au Québec, 1920-1936 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 26, no 3 (décembre 1972), p. 421.

26. La Direction, « Les Écoles d’État », La Semaine religieuse de Québec, 39 (mars 1926), p. 466. Ibid, p. 421.

27. Le Canada, 26 avril 1926. Cité dans A. Dupont, « Louis-Alexandre Taschereau et la législation sociale…, p. 422.

28. Voir l’introduction historique des débats reconstitués de la 1re session de la 15e Législature (1919-1920).

29. La ville sera administrée par la compagnie jusqu’en 1949. Son président, James Murdoch, en a été le premier maire. Il dirigeait le conseil municipal depuis son bureau de Toronto, et c’est le gérant de la mine qui administrait la ville. Une centaine de compagnies et de syndicats ont des intérêts dans le district en 1926 et la ville compte environ 1500 habitants. Nicole Berthiaume, Rouyn-Noranda. Le développement d’une agglomération minière au cœur de l’Abitibi-Témiscamingue, Rouyn, Cahiers du département d’histoire et de géographie, Collège du Nord-Ouest, 1981, p. 22-23 et 27.

30. Le premier ministre Maurice Duplessis mettra un terme à ce genre de pratique en 1936, avec le bill 11. Voir : débats de l’Assemblée législative, 1re session de la 20e Législature.

31. Cité dans R. Rumilly, Histoire de la province de Québec…, p. 149.

32. Voir : bill 250, débats de l’Assemblée législative, 2e session de la 18e Législature.

33. Le poste de trésorier de la province est traditionnellement attribué à un anglophone depuis 1867. Ronald Rudin, Histoire du Québec anglophone 1759-1980, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986, p. 292. Voir aussi : Louis Massicotte, Le Parlement de Québec de 1867 à aujourd’hui, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 71.

34. La loi sur les langues officielles est adoptée à Ottawa en 1969 par le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. Elle proclame l’anglais et le français en tant que langues officielles du Canada et prévoit que les citoyens canadiens sont en droit de recevoir des services des administrations fédérales dans la langue officielle de leur choix. http://www.parl.gc.ca Site consulté le 15 septembre 2009.

35. Benjamin Doré, Le Soleil, 27 janvier 1926. Cité dans Gaston Deschênes, Le Parlement de Québec. Histoire, anecdotes et légendes, Québec, Éditions MultiMondes, 2005, p. 261.

36. Le Devoir, 27 janvier 1926. Cité dans G. Deschênes, Le Parlement de Québec…, p. 261.

37. En 1937, les Biographies canadiennes-françaises mentionnent que Damase Potvin est correspondant de La Presse à Québec depuis 11 ans et qu’il y publie quotidiennement une "Lettre de Québec" sous le pseudonyme de "Sainte-Foy". Raphaël Ouimet, éd., Biographies canadiennes-françaises, treizième édition, Montréal, 1937, p. 92. Source utilisée par le Site Internet du Marianopolis College de Montréal, Quebec History. L’Encyclopédie de l’histoire du Québec/The Quebec History Encyclopedia, pour l’article intitulé « Damase Potvin – Journaliste ». http://faculty.marianopolis.edu Site consulté le 15 septembre 2009.