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Version finale

32e législature, 1re session
(19 mai 1981 au 18 juin 1981)

Le mardi 2 juin 1981 - Vol. 24 N° 7

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures dix minutes)

Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

Un moment de recueillement, s'il vous plaît:

Veuillez vous asseoir.

Affaires courantes.

Déclarations ministérielles.

Dépôt de documents.

M. le ministre de l'Environnement.

Rapport annuel du ministère de l'Environnement

M. Léger: M. le Président, il me fait plaisir de déposer le rapport annuel du ministère de l'Environnement pour l'année 1979-1980.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Rapport déposé. M. le ministre des Communications.

Rapport annuel de la Société de radiotélévision du Québec

M. Bertrand: M. le Président, il me fait plaisir de déposer le rapport annuel pour 1979-1980 de la Société de radiotélévision du Québec.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Rapport déposé. Au nom de M. le ministre de l'Énergie et des Ressources, M. le leader du gouvernement.

Décret concernant la SNA et les Industries 3R Inc.

M. Charron: M. le Président, au nom de mon collègue de l'Énergie et des Ressources, j'aimerais déposer deux décrets du gouvernement: celui qui porte le no 669-81 concernant une entente d'association entre la Société nationale de l'amiante et les Industries 3R Inc.

Décret sur un paiement pour des actions de la SNA

De même que le décret qui porte le no 1103 et qui concerne un paiement par le ministre des Finances pour des actions de la Société nationale de l'amiante.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Décrets déposés.

Dépôt de rapports de commissions élues.

Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi privés.

M. le leader du gouvernement.

Rapport sur le projet de loi no 254

M. Charron: M. le Président, j'en aurais deux. D'abord, un projet de loi qui portera le no 254 qui concerne Les Prévoyants du Canada et La Laurentienne, Compagnie mutuelle d'Assurance. Le projet est conforme à l'avis, à ce que m'indique le greffier en loi. Toutefois, trois avis restent à paraître dans la Gazette officielle et deux avis restent à paraître dans les journaux. Il y aurait donc lieu de suspendre les règles de pratique à cet égard. J'en fais motion, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que cette motion est adoptée? M. le leader de l'Opposition.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je présume qu'on va continuer la publication des avis.

M. Charron: Oui, bien sûr.

M. Levesque (Bonaventure): Adopté.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté.

Rapport sur le projet de loi no 202

M. Charron: Également le projet de loi qui portera le no - un instant, je vais regarder la loi - 202, Loi concernant le Crédit Lyonnais Canada Limitée. Le projet est conforme à l'avis. Les avis ont été toutefois publiés après le dépôt du projet de loi au secrétariat des commissions. Les avis dans la Gazette officielle du Québec restent à paraître et deux avis restent à paraître dans les journaux. Il y a donc lieu de suspendre les règles à cet égard. Évidemment, la même réponse se donne comme sur l'autre projet de loi pour ce projet-ci.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l'Opposition.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, est-ce qu'on peut s'attendre que la publication aura eu lieu lorsque le projet sera étudié?

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.

M. Charron: Peut-être pas en totalité, s'il en reste deux à publier, mais il y en aura au moins une des deux d'ici la convocation de la commission pour étudier ce projet de loi.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté? Adopté. Donc, le dépôt des rapports concernant la loi 254 et la loi 202 est adopté.

Projets de loi au nom du gouvernement.

Présentation de projets de loi au nom des députés.

M. Charron: Article a) du feuilleton, M. le Président.

Projet de loi no 254 Première lecture

Le Vice-Président (M. Jolivet): Le député de Taschereau propose la première lecture du projet de loi privé no 254, Loi concernant Les Prévoyants du Canada et La Laurentienne, Compagnie mutuelle d'Assurance. Adopté? Adopté.

Le Secrétaire adjoint: Première lecture de ce projet de loi. M. le leader.

M. Charron: Article b), s'il vous plaît.

Projet de loi no 202 Première lecture

Le Vice-Président (M. Jolivet): Le député de Vachon propose la première lecture du projet de loi privé no 202, Loi concernant Crédit Lyonnais Canada Limitée. Est-ce que cette motion est adoptée? Adopté.

Le Secrétaire adjoint: Première lecture de ce projet de loi.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement, déférence de ces projets de loi?

Renvoi à la commission des

coopératives et institutions

financières

M. Charron: Oui, je voudrais proposer de les déférer à la commission des coopératives et institutions financières, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle adoptée? Adopté. Questions orales des députés. M. le chef de l'Opposition.

QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS

La situation des caisses d'entraide économique

M. Ryan: M. le Président, le ministre des Finances héritait, récemment, de la responsabilité d'une partie des tâches qui incombaient naguère au ministère des Institutions financières. On se demandait quelle était la raison de ce transfert de responsabilités. Il semble bien qu'il aura des tâches assez lourdes de ce côté-là aussi au cours des prochains jours.

Je voudrais l'interroger aujourd'hui plus particulièrement au sujet des caisses d'entraide économique dont on parle beaucoup depuis quelques jours. Une série de reportages télévisés a fait état de problèmes qui se poseraient de ce côté et ces reportages ont entraîné des conséquences assez sérieuses sur les mouvements de capitaux à l'intérieur des caisses d'entraide économique. Je pense très important que nous obtenions du gouvernement a la fois des renseignements précis et des gages quant à la stabilité de cette institution très importante au cours des prochaines semaines.

Dans cette perspective, pensant surtout à la sécurité des épargnes des milliers de citoyens qui ont confié une partie de leurs avoirs aux caisses d'entraide économique et au rôle très important qu'ont joué les caisses d'entraide économique dans notre économie et, en particulier, dans le développement de nos économies régionales au cours des dernières années, je voudrais poser au ministre des Finances une question à plusieurs volets, mais je pense qu'il me pardonnera d'être peut-être un peu plus abondant que d'ordinaire dans la formulation des questions. Ce sont toutes des questions qui vont permettre au ministre des Finances de nous donner un tableau de nature à rassurer la population ou à nous indiquer des voies de solution de certains problèmes qui peuvent se poser.

Premièrement, les reportages qu'on a entendus à la télévision sont-ils exacts et véridiques? Et, s'ils sont exacts dans une proportion qui peut être variable - je pense que le ministre est peut-être mieux placé que moi pour en parler - quels problèmes se posent au sein de cette institution économique? Depuis quand le gouvernement en est-il informé? Et qu'est-ce qu'il a fait jusqu'à maintenant pour les résoudre?

Deuxième volet de la question: Quels ont été les effets des reportages parus ces derniers jours sur la situation économique des caisses d'entraide économique à travers le Québec et sur la situation de la fédération également? On parle de mouvement de retraite de capitaux de l'ordre de plusieurs millions de dollars seulement dans la journée d'hier. Il paraît que cela se continue dans

certaines caisses aujourd'hui. On nous dit que d'autres caisses n'ont pratiquement pas été affectées par ces mouvements. Je sais que nous, dans Argenteuil, nous avons la Caisse d'entraide économique de Lachute qui n'a pratiquement pas été affectée. Ce qui est arrivé, c'est que c'est une caisse solide évidemment, comme tout ce qui se passe dans Argenteuil.

Troisième volet: Je voudrais demander au gouvernement s'il a reçu une demande d'aide de la part de la Fédération des caisses d'entraide économique et sous quelle forme. Est-ce que le gouvernement se propose de fournir une aide quelconque aux caisses d'entraide économique et sous quelle forme, encore une fois?

Finalement, quelles garanties le ministre est-il en mesure de fournir à cette Chambre et au public du Québec quant à la sécurité des épargnes qui ont été confiées aux caisses d'entraide économique et quant au rôle que les caisses vont continuer de jouer au cours des semaines et des années à venir? Tout le monde tient à ce que ce mouvement qui a été très vivant ces dernières années continue de favoriser, par tous les moyens raisonnables, l'expansion de l'économie régionale en particulier. Le ministre peut-il nous donner la garantie, grâce à l'action du gouvernement et des intéressés, évidemment, que ce rôle va continuer de s'exercer au cours des prochains mois?

Le Président: M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: M. le Président, comme il s'agit d'une question à quatre volets, je demande l'indulgence de cette Chambre pour être un petit peu plus long qu'on ne l'est normalement en répondant à une question, mais je pense que le chef de l'Opposition officielle sera d'accord avec moi qu'étant donné l'importance du sujet, il faut prendre le temps voulu pour passer à travers cette question.

Il est exact, bien sûr, que des reportages depuis quelques jours semblent vouloir mettre en cause la situation présente et l'avenir des caisses d'entraide. Dans ce qui a été présenté, je pense, à la télévision, comme d'habitude dans ce genre de choses, il y a des éléments qui sont exacts, d'autres qui le sont moins et d'autres qui ne le sont pas du tout. Je pense qu'il est inévitable, encore une fois, qu'il en soit ainsi. Il y a un élément qui n'est pas suffisamment ressorti, qui n'est pas ressorti du tout, qui a même été mis en doute, sauf erreur, à l'occasion de la première émission, c'est que les caisses d'entraide sont des organismes rentables. Nous ne nous trouvons pas placés devant un mouvement qui perd de l'argent, mais qui en fait. Bien sûr, on peut se poser la question de savoir s'il en fait autant qu'il devrait en faire ou s'il en fait moins qu'on s'attend qu'il en fasse, mais enfin! ce n'est pas un mouvement déficitaire. Il faut bien s'en rendre compte. (15 h 20)

II n'en reste pas moins que ce mouvement a un certain nombre de problèmes, comme d'autres institutions financières, d'ailleurs, depuis quelque temps. Pendant des années, les caisses d'entraide ont proposé à ceux qui souscrivaient leurs parts sociales un rendement de 10% sur le capital social. Il y a trois ans encore, 10%, c'était supérieur à tout ce qu'on pouvait obtenir ailleurs dans les banques, dans les certificats de dépôt, etc. C'était un rendement très intéressant. Il n'y a pas de doute que depuis un an ou un an et demi, 10%, ce n'est pas considérable par rapport à ce qu'on peut obtenir, par exemple, dans les certificats de dépôt des caisses populaires, des banques ou des compagnies de fiducie. D'autre part, les caisses d'entraide, selon le rôle qu'elles se sont donné depuis déjà passablement d'années, ont fait des prêts à terme, non pas à deux mois ou à trois, mais sur des périodes un peu plus longues, à des taux d'intérêt qui sont souvent inférieurs à ceux qu'on connaît sur le marché à l'heure actuelle. Il n'est donc pas particulièrement étonnant qu'ayant un rendement un peu inférieur a ce qu'elles auraient si elles prêtaient aujourd'hui, elles fournissent sur leurs parts sociales, d'autre part, un rendement inférieur à ce qu'on pourrait obtenir sur des dépôts à terme dans d'autres institutions financières ou même dans leurs propres dépôts à terme comme caisses d'entraide. Cela les place dans la situation suivante: ou, parce que leurs parts sociales sont moins attrayantes qu'elles l'étaient par rapport au marché. Elles vont chercher moins d'argent que d'habitude et, d'autre part, elles ont des engagements à terme à des taux d'intérêt qui sont inférieurs au taux du marché. Cela pose aux caisses d'entraide un problème indiscutable, je pense, de liquidités qu'elles ont reconnu et dont nous venons de voir les premiers effets, hier.

Ces effets sont - et je pense qu'il est important de le souligner - mixtes, dans le sens suivant: c'est que le 31 mai est la fin de leur année financière et, d'autre part, le 1er juin est le moment où leurs dépôts à terme viennent à échéance; donc, il est intéressant pour tout le monde d'attendre la fin de l'année pour ramasser ses intérêts. Une partie des sorties de fonds hier veut simplement dire que les gens avaient attendu a la fin de l'année pour récolter leurs intérêts. Donc, dans les 30 000 000 $, il y a quelque chose qui est normal. Et puis, d'autre part, il y a indiscutablement quelque chose qui vient des reportages dont on parlait tout à l'heure.

J'ai eu l'occasion de discuter, depuis maintenant quinze jours ou trois semaines, avec les caisses d'entraide de leur situation. Elles savaient très bien que l'échéance du 31 mai ou du 1er juin s'en venait. Je pense que nous reconnaissons, de part et d'autre, que le mouvement a besoin, à certains égards, d'être réorienté. Je pense que devant l'expansion prodigieuse que les caisses d'entraide ont connue depuis une dizaine d'années, le rôle très important qu'elles ont joué dans le développement des économies régionales au Québec, une sorte d'enthousiasme a peut-être été un peu loin à certains moments. Je pense que les caisses sont les premières à reconnaître qu'elles doivent maintenant consolider leur action.

J'ai eu l'occasion de leur poser un certain nombre de conditions assez astreignantes, je pense, sur le plan d'une prudence élémentaire, au cours des semaines qui ont précédé aujourd'hui, moyennant quoi le gouvernement du Québec, lui, sait très bien qu'il doit, à l'égard de tous les mouvements financiers, de tous les groupes financiers qui existent au Québec et qui relèvent de lui, jouer le même rôle que la Banque du Canada joue normalement à l'égard des institutions financières qui relèvent du gouvernement fédéral.

Depuis 1935, la Banque du Canada joue à l'égard des banques à charte, par exemple, un rôle d'appui systématique. Nous avons vu, à certaines époques, des banques avoir de sérieux problèmes de liquidités. Je pense, par exemple, à la Banque d'épargne, il y a quelques années, à Montréal, à l'occasion d'un rush un peu irrationnel, un peu ridicule même en un certain sens quand on y pense quelques années plus tard, sur les dépôts. La Banque du Canada avait, à ce moment-là, assuré essentiellement les liquidités dont l'institution en question avait besoin et, au bout de trois ou quatre jours, ça s'était calmé et c'était revenu à la normale.

Le gouvernement du Québec doit, à l'égard des institutions qui relèvent de lui, jouer exactement le même rôle. Nous n'avons pas eu souvent, par le passé, à le jouer, encore que nos lois nous le permettent parfaitement. C'est ainsi, par exemple, que la Régie de l'assurance-dépôts du Québec permet au gouvernement du Québec de faire des avances de liquidités à ses propres institutions financières, sans problème particulier; c'est prévu depuis douze ans. De la même façon, ces lois qui ont été adoptées il y a une douzaine d'années permettent au gouvernement du Québec d'obtenir même du gouvernement fédéral, de la Société de l'assurance-dépôts du gouvernement fédéral, des avances en échange. Je dois dire, M. le Président, que je connais particulièrement ces négociations pour des raisons un peu privilégiées: j'ai eu l'occasion de les négocier moi-même il y a douze ans, alors ça m'embêterait un peu aujourd'hui de ne pas les utiliser.

Donc, nous nous sommes entendus pour faire en sorte que, de la même façon qu'au gouvernement fédéral on peut appuyer les banques à charte, nous soyons en mesure, nous, d'appuyer, sur le plan des liquidités, les caisses d'entraide pour leur permettre de passer à travers ces quelques journées un peu difficiles.

Je voudrais, et c'est le quatrième volet de la question posée par le chef de l'Opposition officielle, simplement dire ceci: Encore une fois, les caisses d'entraide sont rentables. Deuxièmement, elles ont, comme beaucoup d'autres mouvements financiers, à l'occasion, des taux d'intérêts très élevés que nous connaissons, un certain nombre de problèmes passagers. Troisièmement, contre l'assurance d'une certaine rectification de leur orientation pour les années à venir, le gouvernement du Québec joue son rôle de les appuyer sur le plan de leur fournir les liquidités nécessaires.

Il me reste tout simplement, en terminant, à souhaiter que ce mouvement qui a joué un tel rôle dans le développement de la petite et de la moyenne entreprise, surtout dans ce qu'on appelle les régions du Québec, puisse, une fois ce cap un peu difficile passé, continuer de jouer le rôle tout à fait essentiel qu'il a joué depuis quelques années. Merci, M. le Président.

Le Président: M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Tout d'abord, M. le Président, je voudrais rappeler au ministre un aspect de la question auquel il n'a pas répondu, me semble-t-il. On a évoqué des documents, des rapports d'étude qui remontent déjà à quelques années. Par conséquent, les problèmes de fond qu'a évoqués le ministre ne sont pas nés d'aujourd'hui, ce ne sont pas des problèmes immédiats. Comment se fait-il que le gouvernement, selon toute apparence, n'ait rien fait jusqu'à maintenant, pour rectifier ces situations qui devaient conduire à des problèmes urgents et graves comme ceux qu'on a connus ces derniers jours?

Deuxièmement, le ministre dit que le gouvernement serait disposé à fournir des liquidités au mouvement des caisses d'entraide pour les aider à traverser la période actuelle. Il a mentionné la possibilité d'un recours à l'aide fédérale, à cette fin. Je ne sais pas si j'ai bien compris ce qu'il a dit tantôt, mais j'ai cru qu'il nous avait parlé de certaines dispositions de la Loi de la Régie de l'assurance-dépôts qui prévoient des ententes ou des modes de collaboration, de ce côté.

Troisièmement, il a été un peu sibyllin quand il a parlé des conditions qu'il aurait posées au mouvement des caisses d'entraide

économique afin de rendre cette aide disponible. Il nous a dit: Je leur ai posé une série de conditions très exigeantes. Il ne nous a pratiquement rien dit à ce sujet. Est-ce qu'on pourrait lui demander aussi de quel ordre de grandeur seraient ces liquidités que le gouvernement serait prêt à fournir aux caisses d'entraide économique?

Le Président: M. le ministre des Finances. (15 h 30)

M. Parizeau: M. le Président, quant à savoir pourquoi, non pas le gouvernement actuel, mais les gouvernements, depuis que ce ministère a été créé, c'est-à-dire 1968, n'ont pas vu venir des phénomènes comme ceux auxquels nous assistons à l'heure actuelle, c'est peut-être plus de l'histoire qu'autre chose. Mais si on me demandait personnellement à quoi l'orientation du ministère des Institutions financières tient depuis 13 ans qu'il est fondé, je répondrais peut-être: À travers trois gouvernements, nous avons eu onze titulaires. Peut-être avons-nous tous à en tirer certaines leçons et à considérer que dans la gestion des institutions financières, ici comme partout ailleurs, la continuité a un certain sens.

Le problème, je pense, que nous avons dans ce monde financier incertain qu'on connaît à l'heure actuelle, c'est d'en arriver... Comme gouvernement de province, c'est difficile pour nous parce que nous n'avons jamais été en contact avec ces problèmes de banques centrales qui connaissent bien la chose dont nous parlons et qui savent fort bien, elles, ces banques centrales de pays souverains, que, quand on est garant, jusqu'à un certain point, de la santé financière d'un système, être garant, cela veut dire être garant non pas tous les ans, mais tous les mois et toutes les semaines. Il arrive que des institutions financières aient des problèmes de cet ordre, souvent, c'est fréquent. Le problème en est un d'encadrement, d'observation stricte de certains ratios de liquidité et de suivi extraordinairement précis dans la façon dont les institutions financières s'ingèrent ou s'inscrivent dans ce cadre. Peut-être qu'effectivement, si nous avons tous une leçon à tirer sur le plan gouvernemental -nous n'avons pas encore à prendre la responsabilité tous ensemble de tout ce qui se passe - s'il y a peut-être une leçon à tirer, c'est d'établir une certaine stabilité sur le suivi des institutions par ces ministères. Il y a des ministères qui ont une très grande stabilité, au fond, au Québec. Il y en a d'autres qui en ont une qui est moindre et peut-être que cela a des conséquences.

Je n'irai pas plus loin là-dessus, sauf noter - pour revenir aux questions que me posait le chef de l'Opposition - que, si nous parlons de montants, nous disons essentiellement ceci: sur le plan des liquidités, s'il faut quelques dizaines de millions de dollars, cela ne présente pas de problème. S'il faut plusieurs dizaines de millions de dollars, cela ne présente pas de problème. Le gouvernement de Québec, après avoir examiné le dossier, croit que la situation est suffisamment saine et que les correctifs sont suffisamment importants pour que cela puisse se régler sans difficultés particulières.

Quant à la nature des correctifs, par exemple - là, je ne veux pas entrer dans trop de détails à cet égard parce qu'on rentre vraiment dans la gestion des institutions elles-mêmes, mais enfin on peut quand même en dire un certain nombre de choses - je crois qu'il est important que les caisses d'entraide les plus rentables - il y en a de remarquablement rentables, il y en a qui sont vraiment extraordinairement "performantes" comme institutions - donnent un coup de main à celles qui battent un peu de l'aile et que ce mouvement des caisses d'entraide ait la cohésion qu'il doit avoir. J'ai eu à poser un certain nombre d'exigences à cet égard.

Deuxièmement, je pense qu'il est important que les banques à charte, à l'égard des caisses d'entraide - après tout, ce sont leurs prêteurs - jouent un rôle minimal, et j'ai eu un certain nombre d'exiqences à cet égard. Je pense qu'il est important que, dans leur politique de prêts à court terme, ces caisses d'entraide suivent un certain cheminement prudent pendant quelques mois, plus prudent que d'habitude pour se refaire une liquidité. C'est le genre de dispositions sur lesquelles j'ai eu à insister depuis quelques jours. Je suis très reconnaissant à la Fédération des caisses d'entraide - et à toutes les caisses d'entraide, d'ailleurs -d'avoir senti qu'il fallait là-dessus une collaboration aussi étroite que possible pour faire en sorte que quelque chose de temporaire puisse disparaître très rapidement. Merci, M. le Président.

Le Président: Dernière question additionnelle.

M. Ryan: II y a juste un aspect sur lequel le ministre n'a pas répondu, c'est sur la collaboration possible avec le gouvernement fédéral pour trouver ou fournir ces liquidités dont le mouvement aurait besoin. Je pense que ce serait intéressant.

Le Président: M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Lorsqu'on a créé la Régie de l'assurance-dépôts et le ministère des Institutions financières, j'ai eu l'occasion de négocier au nom du gouvernement de Québec

je n'avais pas la fonction que j'ai maintenant, mais j'en avais une autre - un accord en vertu duquel les avances de la Régie de l'assurance-dépôts du Québec à des institutions financières pourraient être appuyées sur des avances de la Régie de l'assurance-dépôts du Canada.

Ceci est important pour la raison suivante, c'est qu'il faut noter qu'il n'y a aucune régie provinciale d'assurance-dépôts où que ce soit au Canada. Donc, si des institutions financières, dans d'autres provinces, ont des problèmes du même genre, elles peuvent s'appuyer directement sur la Société d'assurance-dépôts du Canada et elles le font d'ailleurs. Il y a de multiples exemples. Puisque nous avons une Régie québécoise de l'assurance-dépôts, je ne vois pas pourquoi on devrait renoncer à ces appuis financiers du gouvernement fédéral qui sont fournis dans toutes les autres provinces directement aux institutions.

Donc, l'accord a été signé il y a 12 ans. En vertu de cet accord la Régie de l'assurance-dépôts du Québec fonctionne, appuie les institutions financières qu'elle doit appuyer et, d'autre part, reçoit l'aide financière nécessaire d'Ottawa, aide qu'Ottawa fournit directement de toute façon aux institutions financières dans toutes les autres provinces. Cela me paraît être une expression - comment dire? - de justice distributive.

Le Président: Question principale, M. le député de Nelligan.

Travaux à l'île Rochon

M. Lincoln: Je voudrais poser une question au ministre de l'Environnement. L'autre jour, dans sa réponse du 27 mai à une question que je posais sur l'île Rochon, le ministre disait ceci et je cite: "Ce n'est qu'hier, contrairement à l'affirmation du député, qu'il y a eu cet empiétement ou ce geste non conforme aux normes de l'environnement. Dès que ce geste a été posé, etc.."

Pourtant, ce geste dont parle le ministre était de la même nature que celui qui se posait continuellement depuis déjà plusieurs jours et, selon les témoins de l'endroit, depuis peut-être un mois. Même M. Poirier, fonctionnaire du ministère, semble contredire le ministre à ce sujet dans la Presse du 28 mai quand il confirme que le travail durait depuis plusieurs jours. Le travail de remblayage qui se fait est un travail de grande envergure impliquant du gros équipement et jusqu'à 25 ou 30 camions "dompeuses".

En fait, ce travail intensif a débuté l'été dernier et, en passant, 300 arbres et plus ont été abattus dans cette région. Ma question est celle-ci: Le ministre peut-il nous dire pourquoi, surtout à cause de toute la publicité faite à cet effet, ce travail sans permis du ministère dans une zone inondable et avant que soit complétée l'étude d'impact, a pu s'effectuer au vu et au su de tout le monde sans une intervention beaucoup plus rapide du ministère?

Deuxièmement, le ministre pourrait-il aussi nous expliquer pourquoi il a fait croire à la Chambre que ce travail venait de commencer et que son intervention était donc immédiate alors que les faits démontrent clairement le contraire?

Une voix: Patronage!

Le Président: M. le ministre de l'Environnement.

M. Léger: Je dois rappeler au député que la question qu'il me posait provenait justement d'une déclaration qui a paru la journée même sur un remblayage nouveau. C'est sur ce remblayage nouveau que je lui ai répondu que nous avions immédiatement émis un télégramme pour aviser les intéressés d'arrêter de faire un remblayage sans permis. (15 h 40)

La question qu'il m'avait posée avait amené aussi cette partie de réponse: C'est sûr que ça faisait plusieurs mois - je pense que c'est sept ou huit mois - que les promoteurs avaient demandé un permis à la municipalité de Montréal, pour faire les travaux qu'ils voulaient faire. Pour tout ce qui touche la partie environnementale, nous avions obligé les promoteurs à nous préparer une étude d'impact et nous avons toujours surveillé les travaux au cas où une portion constituerait du remblayage illégal. Quand il y avait lieu, comme ce fut le cas la semaine dernière, nous les avons avisés de ne pas faire un travail qui était contraire à la protection de l'environnement.

En ce qui concerne l'étude d'impact, nous venons, je pense, de la recevoir vendredi ou hier, lundi, et nous allons aviser, en regardant le contenu de l'étude, s'il y a des demandes particulières supplémentaires à faire pour s'assurer la protection du milieu.

Le Président: M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: Question supplémentaire. Est-ce que le ministre pourrait me dire comment il décide de ce qui est un nouveau remblayage et ce qui est un ancien remblayage? Dans un terrain où du remblayage se fait tous les jours, où des dompeuses amènent la terre dans une région inondable sans permis du ministère, contrairement à la Loi sur la qualité de l'environnement, comment peut-on décider qu'hier, c'était un nouveau remblayage et

qu'avant-hier, c'était un ancien remblayage? C'est la même chose qui s'est produite pendant plusieurs jours cette année, peut-être un mois.

Une voix: Patronage.

Le Président: M. le ministre de l'Environnement.

M. Léger: M. le Président, je pense que le député de Nelligan aura l'occasion, lors de l'étude des crédits qui commence demain soir, d'aller dans le détail des définitions de tous les types de remblayage. Tout ce que je peux lui dire, c'est que, depuis le début des activités, il y a des travaux qui peuvent se faire sans permis, d'autres avec permis. C'est entendu que le remblayage n'est pas acceptable s'il se fait sur les eaux et que ça peut en contaminer la qualité. Je ne dis pas qu'il y a du nouveau remblayage, mais il y a eu plusieurs fois des essais de remblayage que nous avons arrêtés à ce moment-là.

La semaine dernière, quand le député m'en a parlé, il venait d'y avoir une opération nouvelle de remblayage parce que, dans les travaux de construction, tous les types de travaux peuvent se faire et, parfois, ce sont des travaux qui demandent un permis, parfois ce n'en sont pas. Je pense qu'on pourra en discuter plus en détail au moment des crédits et répondre à toutes les questions du député là-dessus.

Le Président: Question principale, M. le député d'Outremont.

Gaz naturel et isolant toxique

M. Fortier: M. le Président, j'aurais une question à poser au ministre de l'Énergie et des Ressources. Je voudrais lui poser une question relativement à une déclaration assez intéressante qui a été faite par son sous-ministre, vendredi soir dernier, qui déclarait qu'il faut éviter de précipiter la conversion des systèmes de chauffage.

M. le Président, c'est une déclaration assez surprenante puisque les politiques mises de l'avant par le prédécesseur du ministre actuel étaient qu'il était urgent de faire une conversion pour réduire notre dépendance vis-à-vis du pétrole. Par ailleurs, il a indiqué qu'il n'y a pas de politique au gouvernement à savoir si l'on devrait choisir une forme d'énergie ou l'autre, c'est-à-dire entre l'électricité et le gaz naturel. J'aurais trois questions à poser au ministre.

La première est celle-ci: Est-ce que réellement il y a une politique en faveur du gaz naturel pour les fins du chauffage domestique? Est-il vrai, comme l'a indiqué son sous-ministre, que le gouvernement n'a pas de politique en faveur du chauffage domestique? S'il n'y en a pas, alors, je comprends le temps qu'il met pour réaliser les projets concernant le gaz naturel, pour donner les approbations qu'il faut ou pour intervenir dans ce dossier.

Deuxièmement, j'aimerais savoir quand le gouvernement, à l'instar de Gaz Métropolitain, aura une politique favorisant la conversion à l'électricité. Je sais, bien sûr, qu'au mois de mars dernier le programme existant a été arrêté, que le tout a été remis entre les mains d'Hydro-Québec et que, malheureusement, à cause du délai trop court que lui avait donné le ministre, il ne sera pas prêt avant l'automne. Mais je crois qu'il est urgent que le ministre nous indique quelle sorte de programme sera mis de l'avant par Hydro-Québec ou par le gouvernement du Québec dans ce dossier. Si les politiques énoncées par le sous-ministre sont fausses, est-ce qu'il a l'intention de désavouer son sous-ministre dans ce domaine?

Le Président: M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Duhaime: M. le Président, si la déclaration du député d'Outremont aujourd'hui au sujet de ce qu'aurait pu dire ou ne pas dire mon sous-ministre en titre dans ce dossier est aussi précise que son affirmation concernant les émissions d'actions de Gaz Métro qu'il faisait la semaine dernière, j'aurai beaucoup de réserve. Je vais d'abord prendre connaissance de la déclaration de mon sous-ministre et vérifier avec lui si les dires du député d'Outremont concordent. Ce que je peux dire cependant, M. le Président...

Des voix: ...

M. Duhaime: Ce que je voudrais dire, M. le Président, c'est que c'est assurément l'intention du gouvernement de privilégier la pénétration du gaz naturel au Québec et je pense que nous avons déjà dans le passé posé les grands jalons d'une telle politique de pénétration.

Il y a beaucoup d'éléments dans la question du député d'Outremont, mais, sur l'essentiel de ce que je crois pouvoir comprendre, nous comptons toujours pouvoir mettre en application pour le premier octobre le programme d'efficacité énergétique que nous confierions à HydroQuébec. Les discussions avec Hydro-Québec sont toujours en cours quant aux modalités et je puis dire à l'Assemblée, M. le Président, que je serai en mesure de saisir le Conseil des ministres - si ce n'est pas demain, ce sera le 10 juin - d'une décision dans ce dossier.

Je dois ajouter un volet important pour l'information de l'Assemblée, c'est que j'ai eu une première série d'échanges avec M. Lalonde, le ministre fédéral de l'Énergie, et

nous tentons très honnêtement d'arrimer la problématique fédérale d'économie d'énergie avec ce que nous, de notre côté, avons planifié depuis déjà un bon bout de temps sur la problématique d'économie d'énergie. Il est bien certain, que ce soit sur le plan de la pénétration du gaz naturel au Québec ou encore que ce soit sur le plan de l'application d'une politique énerqique sur le plan de l'économie d'énergie, que cela implique nécessairement au bout du compte une harmonisation de l'ensemble des formes d'énergie.

Je voudrais rassurer le député d'Outremont en lui disant que pour autant que je suis concerné, je serai le premier heureux d'apprendre que le conflit entre les travailleurs du local 144 - si ma mémoire est bonne - est réglé avec leur employeur et que nous pourrons aller de l'avant de façon concrète et sur le terrain pour accélérer et faire avancer le gazoduc en provenance de l'Ouest.

M. Fortier: M. le Président...

Le Président: M. le député d'Outremont.

M. Fortier: ...je suis heureux d'apprendre que le ministre privilégiera la pénétration du gaz, ce qui est en contradiction avec son sous-ministre, mais ce que j'aimerais savoir, c'est ceci: Dans le programme qui sera soumis au Conseil des ministres et qui, j'imagine, couvrira, comme il le dit si bien, l'isolation, les économies d'énergie et également les conversions à d'autres formes d'énergie, est-ce qu'il peut nous dire s'il y aura des provisions pour aider les familles qui ont eu le malheur d'utiliser la formaldéhyde d'urée? Comme vous le savez, la mousse formaldéhyde d'urée était un produit recommandé par le Bureau des économies d'énergie.

Une voix: ...

M. Fortier: On nous dit qu'il y a de 20,000 à 50,000 familles qui sont aux prises avec des problèmes très importants dans ce domaine. Je sais que le ministre pourra nous répondre...

Le Président: Question, s'il vous plaît!

M. Fortier: ...que ce genre de problème relève du gouvernement fédéral, mais la question que je lui pose est la suivante: Dans ce programme qui sera soumis au Conseil des ministres, y aura-t-il une aide pour les familles éprouvées par ce genre de produit?

Le Président: M. le ministre. M. Duhaime: M. le Président...

Une voix: Cela relève du fédéral.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Duhaime: ...je vois mal comment on peut faire le lien entre la question additionnelle qui m'est posée et la question principale, mais, puisque vous avez permis qu'elle me soit posée, je voudrais dire, au départ, que j'éprouve énormément de sympathie pour toutes les familles du Québec qui sont aux prises avec ce problème.

Je voudrais rappeler au député d'Outremont que la question qui m'est posée aujourd'hui aurait peut-être dû être soulevée dans un autre Parlement outre-Outaouais, parce que, si mes informations sont exactes, ce programme ou cette permission d'utiliser la formaldéhyde d'urée a été accordée par le gouvernement fédéral par le biais de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Je pense que le gouvernement fédéral a déjà donné des indications selon lesquelles il était disposé à faire quelque chose, mais, quand une déclaration comme celle-là vient du gouvernement fédéral, cela peut vouloir dire zéro comme des millions de dollars, M. le Président, si on se fie à l'expérience du passé.

Pour autant que je suis concerné, je pense que le gouvernement fédéral devrait en porter toute la responsabilité et j'ai demandé à mes fonctionnaires de me fournir un examen complet de tout ce dossier. Ce que je vais dire est très bref. Si, à tout hasard, la responsabilité du gouvernement du Québec était engagée dans l'utilisation de ce produit isolant qui affecte et qui risque d'affecter la santé des Québécois et des Québécoises, particulièrement les enfants en bas âge, je n'aurai aucune espèce d'hésitation à recommander au gouvernement du Québec de prendre toutes ses responsabilités dans ce dossier. Jusqu'à présent, ça relève exclusivement et essentiellement du gouvernement fédéral, par le biais de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. (15 h 50)

M. Fortier: Question de règlement, M. le Président.

Le ministre induit la Chambre en erreur lorsqu'il dit que ce produit est recommandé uniquement par le gouvernement fédéral. Je voudrais faire part ici d'un document publié par le gouvernement du Québec, Bureau des économies d'énergie, programme d'isolation des maisons, où il est dit ceci: "Quel isolant utiliser? Vous devez tout d'abord vous assurer que les matériaux que vous utilisez sont jugés acceptables par le Bureau des économies d'énergie." Il s'agit là, que je sache, M. le ministre, d'un organisme du gouvernement provincial et qui inclut, à l'article 5, la mousse formaldéhyde d'urée. J'aimerais bien que le ministre

prenne ses responsabilités.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît. M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président, je pense que cette Chambre a déjà été saisie d'un projet de loi quant à l'isolation des maisons. Ce que j'entends cet après-midi ne ressemble pas beaucoup aux propos que tient actuellement le député d'Outremont. Je répète essentiellement ce que je disais tout à l'heure, M. le Président. L'utilisation de ce produit qui, malheureusement, s'est avéré toxique, relève d'abord et avant tout d'une décision des autorités fédérales et, en conséquence, elles devraient en assumer toute la responsabilité.

M. Ciaccia: M. le Président...

Le Président: M. le député de Mont-Royal.

Édifices convertis en condominiums

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. En l'absence du ministre délégué à l'Habitation et à la Protection du consommateur, je poserai ma question au premier ministre. M. le Président, la loi 107 prévoit la possibilité de convertir des édifices résidentiels déjà construits en condominiums, sujets cependant à des critères qui doivent être prescrits par règlement. On peut se demander pourquoi, la loi prévoyant ces règlements ayant été adoptée en 1979, la régie n'a pas encore promulgué de règlement à cet effet. Cependant, dans un cas particulier, les personnes intéressées n'ont pas attendu les règlements et ont trouvé un trou dans la loi. Elles ont effectivement converti un édifice existant par le moyen du concept d'une propriété indivise, au grand chagrin des locataires qui se sont trouvés sans protection face à cette manoeuvre des entrepreneurs et des propriétaires de l'édifice.

Qu'est-ce que le gouvernement a fait ou entend faire dans ce cas précis, qui, pour l'information du premier ministre, a été porté à l'attention du ministre délégué à l'Habitation et à la Protection du consommateur, pour protéger les locataires affectés par cette façon de contourner la loi?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): Tout ce que je peux dire c'est... Est-ce qu'il s'agit d'édifices à Montréal?

M. Ciaccia: Oui.

M. Lévesque (Taillon): Outremont?

M. Ciaccia: Non, non...

M. Lévesque (Taillon): Est-ce que c'est un cas a Outremont?

M. Ciaccia: Le cas précis, c'est à Montréal.

M. Lévesque (Taillon): J'avoue que je vais être obligé de prendre avis de la question pour mon collègue le ministre délégué à l'Habitation et à la Protection du consommateur. J'ai entendu parler du cas, mais je ne commencerai pas à me lancer sur une pelure de banane, techniquement, tant que je n'aurai pas eu la chance de vérifier avec M. Tardif qui, normalement, devrait être de retour demain. Il a été obligé d'être à Ottawa aujourd'hui pour une conférence fédérale-provinciale. Je pense que nos amis d'en face et le député de Mont-Royal en particulier ne s'opposent pas à ce que nous assistions à des conférences fédérales-provinciales. Il devrait être de retour demain, normalement.

M. Ciaccia: M. le Président, question additionnelle.

Le Président: M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Je comprends, M. le Président, que le premier ministre veuille prendre avis de ce cas particulier.

M. Lévesque (Taillon): On dit "plusieurs" et ensuite on dit "un cas en particulier".

M. Ciaccia: Cependant, le cas particulier que j'ai mentionné et qui a été porté à l'attention du ministre se situe à Montréal.

M. Lévesque (Taillon): D'accord.

M. Ciaccia: J'avais demandé ce que le gouvernement entendait faire dans ce cas particulier. Cependant, parce qu'il y a eu ce cas particulier de contournement de la loi, il arrive maintenant que pour plusieurs autres édifices, les propriétaires procèdent de la même façon: ils contournent la loi. Le président de la régie a admis que c'est un trou dans la loi. Alors, voici la question que je pose au premier ministre: Est-ce que vous êtes prêt à prendre les mesures nécessaires afin que cette pratique cesse? Même, cela peut être une loi ou un moratoire. Est-ce que vous êtes prêt à donner instruction, à recommander, à parler au ministre délégué à l'Habitation afin que les mesures nécessaires soient prises, parce que, dans ces cas, il y a plusieurs retraités et des gens qui ne peuvent pas, qui n'ont pas les moyens d'acheter ces édifices et que la situation est assez

urgente? Alors, êtes-vous prêt à prendre les mesures nécessaires dès maintenant pour que ce trou dans la loi soit rectifié et que les locataires qui ont droit à la protection que la loi voulait leur donner puissent en toute sécurité avoir cette protection?

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, je pense que le député de Mont-Royal n'y verra pas d'objection - c'est parce qu'il emploie des mots assez lourds, quand même: contourner la loi, etc., en l'absence du ministre qui pourrait rectifier certaines choses ou, en tout cas, atténuer un peu la pesanteur extrême des propos du député de Mont-Royal - mais l'adjoint parlementaire du ministre délégué à l'Habitation et à la Protection du consommateur, le député de Taschereau, pourrait peut-être - et je pense que ce serait dans l'intérêt public - donner au moins certaines précisions sur l'ensemble de la question.

Le Président: M. le député de Taschereau et adjoint parlementaire.

M. Guay: M. le Président, je dois vous dire, d'abord, que je suis un peu étonné de voir que nos amis d'en face soulèvent une question comme celle de la copropriété indivise, eux qui, si ma mémoire est bonne, en commission parlementaire sur la loi 107, voulaient que nous allions de l'avant avec la copropriété divise, c'est-à-dire la transformation des immeubles locatifs en condominiums, ce que nous interdisons à l'heure actuelle, ce que nous ne permettons pas. Ce n'est pas un détournement de la loi que de faire de la copropriété indivise. Ce n'est pas la même chose; c'est une pratique courante depuis plusieurs années dans le centre-ville de Québec, dans le centre-ville de Montréal pour des familles, pour des couples, pour des individus d'acheter des immeubles en copropriété indivise et d'occuper les logements. Ce n'est pas du tout la même chose que la transformation en condominiums. La transformation en condominiums implique que chaque appartement d'un immeuble une fois modifié est taxé comme étant un immeuble au rôle d'évaluation de la municipalité, ce qui augmente considérablement les frais d'administration de la propriété. La copropriété indivise ne permet pas cela. L'immeuble en entier est taxé comme un seul immeuble; seulement, il se trouve qu'il y a un certain nombre de propriétaires, trois, s'il y a trois logements, cinq, s'il y a cinq logements, et que chacun habite les logements ainsi répartis. Ce n'est pas un contournement de la loi, pas du tout.

Le problème qui se pose à Montréal, à Outremont, c'est que cela se fait sur une échelle beaucoup plus grande que cela n'a été le cas jusqu'à maintenant à Montréal ou à Québec et que certains courtiers en immeuble en profitent pour faire une passe financière qui, elle, est certainement condamnable. Avec l'utilisation de plus en plus répandue de la copropriété indivise, qui est très différente du condominium, peut-être qu'effectivement il y a lieu de préciser les règles du jeu dans le Code civil parce qu'elles sont assez vagues à l'heure actuelle. Mais il est inexact de dire, comme le député de Mont-Royal le dit, qu'il s'agit d'un contournement de la loi, bien au contraire.

Le Président: Fin de la période des questions. M. le député de Taschereau, j'allais m'adresser à vous, justement, pour vous dire que j'ai remarqué que vous vous êtes levé à plusieurs reprises au cours de la période de questions; je m'engage à vous reconnaître demain matin. Alors, fin de la période des questions.

Motions non annoncées.

Enregistrement des noms sur les votes en suspens.

Avis à la Chambre.

M. le leader du gouvernement. (16 heures)

Avis à la Chambre

M. Charron: M. le Président, avant de donner le menu du jour pour l'Assemblée, je voudrais indiquer tout de suite que le projet de loi sur le fonds minier, qui a été déféré à la commission parlementaire de l'énergie et des ressources doit faire l'objet de consultations, comme nous nous sommes entendus à ce sujet. C'est-à-dire que des organismes que nous avions sollicités ont manifesté l'intention de venir donner leur avis sur ce projet de loi. L'Opposition nous a fourni des noms supplémentaires, nous les avons inclus. J'indique tout de suite que nous entendrons à cette occasion les représentants de la Fédération des travailleurs du Québec (Métallos), la CSN, secteur des mines, l'Association des mines et métaux, le Conseil du patronat du Québec, la Chambre de commerce du Québec, l'Association des manufacturiers canadiens, l'Association des compagnies d'assurance sur la personne, l'Association des compagnies de fiducie, la CSD, et les Mines Noranda Limitée qui ont aussi demandé à être entendues.

Tous ces organismes ont été convoqués - et c'est l'avis que je donne à l'Assemblée - pour mardi prochain, le 9 juin, à compter de 11 h 30, c'est-à-dire à peu près à la fin de la période des questions que nous aurons à ce moment-là. Si jamais la période des questions devait être dans l'après-midi mardi, j'en donnerai avis cette semaine et la séance de la commission parlementaire débutera régulièrement à dix heures. Mais je voudrais que les membres de cette commission prennent note qu'ils auront cette journée de

travail à faire, le mardi 9 juin prochain.

C'est aujourd'hui que doit normalement débuter l'étude des crédits, M. le Président. Pour faire suite à une entente survenue en fin de semaine dernière, qui a prolongé jusqu'à ce jour le débat sur le discours inaugural, il me faudrait, pour ne pas enfreindre le règlement et permettre le début des travaux des commissions parlementaires des affaires municipales et de l'énergie et des ressources dès cet après-midi, faire motion pour qu'une dérogation à l'article 128.2 de notre règlement soit permise, afin qu'avant même la fin du débat sur le discours inaugural ces deux commissions puissent commencer à siéger tout à l'heure.

Le Président: Cette motion du leader du gouvernement sera-t-elle adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Adopté.

Le Président: Adopté. M. le leader.

M. Charron: Je me suis trouvé à indiquer le menu par le fait même, M. le Président. Il reste deux intervenants dans le débat sur le discours inaugural, un de l'Opposition et moi-même qui, au nom du gouvernement, ferai la réplique tout à l'heure. Lorsque ce débat sera terminé, nous ajournerons jusqu'à 19 h 30 ou 20 heures ce soir; à ce moment-là, nous entamerons ici, à l'Assemblée, le débat sur le projet de loi no 10 au nom du ministre d'État au Développement social sur la protection de la jeunesse.

Ceci devrait nous occuper jusque vers minuit, après quoi nous ajournerons, si le débat n'est pas terminé, jusqu'à demain soir. Demain matin et demain après-midi, ce sera le discours sur le budget.

Je fais motion pour que, pendant que la Chambre s'adonnera au travail que je viens d'indiquer, se réunissent au salon rouge, jusqu'à 18 heures et de 20 heures à minuit, ce soir, la commission des affaires municipales, pour l'étude des crédits de ce ministère, et, à la salle 81-A, la commission de l'énergie et des ressources pour l'étude des crédits de ce ministère.

Le Président: Est-ce que cette double motion sera adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Un instant, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'Opposition.

M. Levesque (Bonaventure): Simplement une précision au leader parlementaire du gouvernement. Est-ce que j'ai bien compris qu'une fois les deux discours prononcés, celui de mon collègue le député de Jean-Talon et celui du leader, il y aura ajournement de la Chambre?

M. Charron: Oui, parce que probablement qu'il ne sera pas loin de 17 heures, 17 h 15, 17 h 30... On verra. Laissons le suspense durer.

M. Levesque (Bonaventure): Oui, d'accord. C'est mieux comme cela, je pense.

Le Président: Est-ce que cette double motion sera adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Adopté.

Le Président: Adopté.

M. Lalonde: M. le Président.

Le Président: M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

Recours a l'article 34

M. Lalonde: Jeudi dernier, le premier ministre et le ministre de l'Éducation, ainsi que les leaders, ont concouru pour la tenue d'une commission parlementaire, semble-t-il, pour entendre les intéressés concernant les coupures dans les ministères de l'Éducation et des Affaires sociales.

Est-ce que le leader est en mesure d'informer la Chambre, et la population aussi, quand cette commission parlementaire sera tenue, qui sera invité ou aura le loisir de venir s'adresser à la commission parlementaire et quel genre prendra l'invitation qui leur sera faite?

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, il est beaucoup trop tôt pour ce faire. Le député de Marguerite-Bourgeoys sait peut-être que les représentants des centrales syndicales ont demandé un débat avec le gouvernement sur sa politique budgétaire. Ce débat, semble-t-il, sera - je ne dis pas qu'il exclut la partie parlementaire - d'abord un débat public à l'extérieur de cette enceinte. Nous verrons. Ceux qui ont demandé ce débat les premiers d'ailleurs verront, à la suite de ce débat, à quel moment, de quelle façon et sous quelle forme le prolongement parlementaire de ce débat, qui aura d'abord lieu à l'extérieur d'ici, pourra se faire.

Le Vice-Président (M. Jolivet): En vertu de l'article 34.

M. Lalonde: En vertu de l'article 34 encore, le ministre peut-il confirmer ce qui

a été dit ici jeudi dernier et ce qui a été publié après dans les journaux, à savoir qu'il y aura une commission parlementaire dans les meilleurs délais, c'est-à-dire avant l'ajournement de la Chambre sur cette question?

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.

M. Charron: Je ne crois pas, M. le Président, qu'il ait été dit, en aucun temps, que c'était à envisager dans les meilleurs délais, avant l'ajournement de la Chambre. Le député n'a qu'à regarder le calendrier des travaux des commissions, étude des crédits et étude article par article des projets de loi que nous allons nous mettre à adopter aujourd'hui, pour savoir qu'il y a vraisemblablement très peu de place pour un débat de cette importance avant l'ajournement. Si jamais cela devenait possible, la décision ferme et l'arrangement de cette convocation de commission parlementaire, si elle a lieu, ne se feront qu'après le débat public qui est annoncé pour les prochains jours.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Encore en vertu de l'article 34. Les deux réponses du leader semblent laisser en suspens la possibilité qu'il n'y ait pas de commission parlementaire, selon un débat public - la forme que cela prendrait est assez vague - est-ce que le leader peut confirmer qu'il y aura une commission parlementaire? Je comprends qu'elle n'aura pas lieu avant la fin de nos travaux. Elle peut avoir lieu en juillet ou en août. Est-ce qu'il y aura une commission parlementaire où les députés et les intervenants - non seulement les centrales syndicales - seront invités à faire la lumière sur les effets des coupures?

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.

M. Charron: J'ai répondu du mieux que je pouvais au député. Je vais répondre encore plus clairement s'il le faut. Il n'y aura confirmation de cette commission parlementaire qu'à l'issue du débat public qui est déjà prévu.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Gatineau, en vertu de l'article 34.

M. Gratton: M. le Président, tantôt le leader du gouvernement a indiqué quels étaient les organismes qui comparaîtraient mardi prochain relativement au projet de loi sur le fonds minier. Peut-il nous dire à quel moment les mémoires de ces organismes parviendront à l'Opposition?

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement.

M. Charron: Je vais m'en informer, M. le Président. J'aurais cru que c'était déjà fait. Si ce ne l'est pas, ceux que nous avons en tout cas, s'ils n'ont pas été communiqués à l'Opposition, le seront dès aujourd'hui.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci. M. le député de Mont-Royal, en vertu de l'article 34.

M. Ciaccia: Est-ce que le leader parlementaire pourrait nous dire à quelle date précise les détails du programme de l'accessibilité à la propriété seront rendus publics?

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement.

M. Charron: Je n'ai pas la réponse que souhaite le député à ce moment-ci. Toutefois, je vais lui dire que, probablement avant la fin de cette semaine, je serai en mesure de répondre à sa question quant à la date précise de publication de ce document.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci. Les affaires du jour, M. le leader du gouvernement.

M. Charron: Je vous prierais d'appeler la fin du débat sur le discours inaugural, l'article 1 du feuilleton.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Reprise du débat sur le message inaugural. M. le député de Jean-Talon.

M. Jean-Claude Rivest

M. Rivest: M. le Président, c'est avec plaisir, au début de ces remarques, que je me rends à cette tradition qui veut qu'un député à l'Assemblée nationale vous dise tout le respect qu'il porte à la présidence, à vous-même, M. le Vice-Président, ainsi qu'au président de l'Assemblée et au nouveau vice-président.

Me connaissant tout de même un peu, je sais bien que, au cours de la présente session comme dans les sessions qui viennent, je mettrai à épreuve le règlement et votre patience, mais je voudrais que vous y voyiez ma manière à moi de vous inciter à présider nos travaux avec la plus grande vigilance. (16 h 10)

Je voudrais saluer et dire toute mon amitié et ma disponibilité aux électeurs de Jean-Talon qui m'ont renouvelé leur confiance le 13 avril dernier et dire également à la population de Québec, en

particulier de l'agglomération québécoise que nous entendons bien, dans les prochains mois et les prochaines années, porter une très grande attention à tous et chacun des grands dossiers qui confrontent notre région. La région de Québec, comme on l'a dit au cours de la campagne électorale, sera affectée en raison des limites qui s'annoncent du côté du secteur public; tout le monde sait que dans la région de Québec une forte partie du développement économique est axé sur le secteur public. Nous avons, au cours de la campagne électorale, mes collègues candidats libéraux et moi-même, insisté pour amener le gouvernement à se préoccuper davantage du développement économique de la région de Québec, en particulier en ce qui a trait à la faveur que l'on doit accorder aux investissements privés. D'une façon traditionnelle, M. le Président, dès lors qu'il s'agit d'un investissement privé ou qu'il y a un projet dans l'air, très rarement dans le passé la région de Québec a été mentionnée comme un endroit naturel ou privilégié. Nous voudrions bien, compte tenu, comme je le disais, de la limite du secteur public et des personnes qui vivent dans la région de Québec, que nous puissions, comme région, avoir notre part à cet égard.

M. le Président, je voudrais également dire que de notre côté, nous comptons volontiers nous associer aux efforts annoncés par le gouvernement au titre de la revalorisation du travail de l'Assemblée nationale, en particulier des députés. Je pense que nous avons tout de même la chance de vivre ici et d'avoir au Québec un régime parlementaire qui compte sans doute parmi l'un des plus modernes et des plus évolués. Souvent, les parlementaires ont l'occasion de rencontrer des collègues étrangers dans nos associations internationales et ils sont finalement toujours très impressionnés par l'ensemble des services qui sont rattachés a l'Assemblée nationale et par la nature, les méthodes, ainsi que par les procédures du déroulement de nos travaux.

On conçoit volontiers - et le premier ministre l'a évoqué en donnant un mandat particulier au député de Trois-Rivières - qu'il y a encore beaucoup d'amélioration à apporter de ce côté. Comme d'autres collègues de notre côté l'ont signalé, le leader du gouvernement, ainsi que le député de Trois-Rivières peuvent être assurés de notre collaboration sur ce plan.

Nous aurions aimé, M. le Président, qu'en ce qui concerne tout le domaine de la réforme électorale le premier ministre confie ce dossier à un ministre moins chargé étant donné que c'est le ministre de la Justice, et l'on sait combien les responsabilités du ministre de la Justice sont lourdes, au Québec comme ailleurs. Nous aurions aimé que sur le plan de la réforme de notre droit électoral, en particulier en vue d'assurer, au niveau de l'Assemblée nationale, une représentation plus concrète des groupes minoritaires de notre société, ce dossier soit traité par une personne qui pourrait s'y donner à temps quasiment plein. Non pas que nous doutions de la bonne volonté ou de la disponibilité du ministre de la Justice, mais je pense qu'il y va d'une règle de bon sens et d'un énoncé pratique.

M. le Président, il y a eu, bien sûr, le 13 avril 1981, où le Parti libéral du Québec a connu un échec qui est, à bien des égards, extrêmement cruel pour l'ensemble des militants libéraux qui ont tellement travaillé au cours des dernières années à renouveler et à rebâtir le Parti libéral du Québec. Je pense bien que les efforts qu'ils ont faits alors ne sont pas perdus, parce que, de toute évidence, le Parti libéral du Québec demeure, au lendemain de cet échec du 13 avril, l'une des deux grandes forces politiques du Québec. Le Parti libéral du Québec demeure donc cette force politique et c'est une force politique qui exprime, avec ses faiblesses et ses points forts, un courant profond de notre histoire. Ce courant, dans notre histoire québécoise, est davantage axé sur l'ouverture, sur la confiance que nous avons de pouvoir concurrencer, de pouvoir "performer", si vous me permettez l'expression, dans une aire ou un espace politique plus large qui est celui du Canada.

Le Parti libéral du Québec - je pense que son passé en témoigne - est là également pour témoigner de cette fierté que nous avons tous d'être des Québécois. Le Parti libéral du Québec voudrait également témoigner de cette foi que nous avons dans les valeurs premières et fondamentales, les valeurs de réforme, de liberté et de justice qui ont été au cours des quelque vingt dernières années les grandes lignes de fond du Parti libéral du Québec. Comme je le disais, nous voulons, comme libéraux, témoigner, a l'échelle du Québec et à l'échelle du Canada, de cette conviction que nous avons dans la capacité des Québécois et du Québec, en particulier à assumer et à relever dans toute sa plénitude le défi canadien.

Cette conviction dans cette capacité des Québécois nous permettra, j'en ai la certitude, de soutenir l'ensemble des exigences que comporte notre appartenance au régime fédéral canadien. C'est là, en quelque sorte, le fondement des perspectives qui caractérisent le Parti libéral du Québec et dans lequel le Parti libéral du Québec s'est depuis toujours affirmé. Le chef du parti, M. Ryan, et mes collègues, au cours du présent débat, ont tous, à leur manière, rappelé ces orientations de fond du Parti libéral du Québec.

Nous croyons autant que quiconque dans cette chance unique que nous avons tous

d'être du Québec et nous croyons surtout dans les possibilités d'avenir du Québec. C'est dans ce sens que nous entendons continuer de travailler. Accepter l'échec du 13 avril comme nous l'avons fait et comme je pense que tous les libéraux l'ont fait, c'est une chose, mais il faut quand même se rendre compte que cela comporte des exigences encore plus profondes que simplement respecter la décision majoritaire des Québécois, décision qu'ils ont prise d'une façon démocratique. Ces exigences comportent pour tous les libéraux une volonté et une détermination indéfectible de continuer le combat qui a toujours été celui du Parti libéral du Québec, de le continuer en cherchant, comme l'a indiqué le chef du parti dans son discours au début du présent débat, à approfondir encore davantage les idéaux et les valeurs qui depuis toujours ont été ceux des libéraux du Québec. C'est donc l'idée même que nous nous faisons de la société québécoise et du Canada qu'il nous faut approfondir ensemble et je sais que tous les libéraux entendent bien y associer l'ensemble de nos concitoyens.

Un des aspects peut-être majeurs du changement profond qu'a connu la société québécoise, s'est exprimé au cours de la campagne électorale. Nous avions une chanson thème qui commençait par ces mots "Un Québec pour tout le monde". Je pense que c'est la évoquer un changement profond qui s'est produit dans notre société en ce qui a trait aux rapports entre la majorité des citoyens québécois de langue et de culture française et nos concitoyens, tout aussi québécois que nous, qui sont de langue autre que le français ou l'anglais, et ceux aussi qui nous sont venus des pays étrangers. Je pense que bien des retards que le Québec a pris dans le passé s'expliquaient par cette méconnaissance de la réalité humaine concrète du Québec. Nous avons subi des retards considérables à peu près sur tous les plans parce que cette méconnaissance entre les deux grandes communautés culturelles du Québec, inscrite même au Québec, a entraîné des débats très durs, des débats souvent stériles entre ce que l'on a appelé de part et d'autre les droits de la majorité et les droits de la minorité.

Je pense que l'un des changements du contenu de nos discours et de nos engagements politiques depuis quelques années au Québec, c'est que l'on accepte de plus en plus dans tous les milieux, fussent-ils les milieux même les plus nationalistes, d'abandonner cette dynamique dans laquelle nous étions inscrits, peut-être forcément, compte tenu des conditions historiques qui ont prévalu au Québec, cette dynamique où l'un et l'autre groupe, le groupe majoritaire et le groupe minoritaire, s'engageaient dans une lutte pour le pouvoir. Je pense que, maintenant, nous avons gagné collectivement, que la société québécoise a gagné une chose qui, à mon avis, est une des plus belles choses, une des plus belles promesses d'avenir, elle a gagné de part et d'autre une volonté et une capacité, cette volonté que nous avons et cette détermination que nous avons, tous les Québécois, quelle que soit notre dénomination linguistique et culturelle, de travailler ensemble et de nous percevoir -cela est très important - de nous dire librement et d'être reconnus comme tels, comme d'authentiques québécois. (16 h 20)

M. le Président, je me réjouis d'appartenir à une formation politique qui, depuis toujours, a plaidé, dans son sein même, dans la vie même du Parti libéral du Québec, cette réalité. J'invite le gouvernement à accélérer le processus, à tenir peut-être pour acquis, à mettre dans le concret des choses les intentions que le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration évoque à plusieurs reprises. Il faudra que cette volonté convainque l'ensemble du gouvernement et qu'elle rejoigne l'ensemble des ministres, en particulier le ministre d'État au Développement culturel et scientifique et le ministre de l'Éducation qui, par leurs publications et leurs discours, contredisent dans la réalité et le vécu quotidien les aspirations qui ont été évoquées par le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Une voix: C'est vrai!

M. Rivest: M. le Président, nous entendons, nous de notre côté - le député de Chomedey l'a indiqué au ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration - poursuivre dans cette voie. S'il est un acquis fondamental de cette présente Législature, nous sommes fiers qu'encore une fois ce soit le Parti libéral qui témoigne que la représentativité de notre groupe de parlementaires - je sais que M. Ryan en tire une fierté personnelle tout à fait légitime -sur ce plan-là, est quelque chose de formidable, de nouveau et qui annonce la conception et la définition d'une nouvelle société québécoise où tous les Québécois pourront, au même titre, se dire Québécois.

M. le Président, les engagements du Parti libéral du Québec, de notre équipe parlementaire, ont toujours été axés, je pense, sur l'idée de développement, de modernisation et d'humanisation du Québec. Le Parti libéral du Québec, au lendemain de cet échec électoral, en voulant dessiner ou esquisser les perspectives d'avenir, comme le chef du parti l'a fait au cours du présent débat, ne part pas de rien. Bien sûr, nos adversaires politiques, hélas - est-ce là le jeu ou enfin les inconvénients du système politique ou des batailles électorales? - ne

cessent de littéralement caricaturer le Parti libéral du Québec face à ce que le parti comme tel représente pour la société québécoise.

Dans ces perspectives d'avenir que nous sommes décidés à travailler et à concrétiser pour le plus grand avantage du Québec, le Parti libéral du Québec a un héritage, il a une tradition indiscutable et il a une loyauté aux intérêts supérieurs du Québec qui ne se démentent pas. Qu'on pense simplement, M. le Président, au niveau des libertés publiques dans l'histoire politique des 20 ou 25 dernières années. N'est-ce pas le Parti libéral du Québec qui, dans les années cinquante, a mené à l'échelle du Québec le combat véritable des libertés? Cette tradition, ces batailles que des hommes comme M. Lapalme ont menées ont trouvé d'une façon tellement significative leur concrétisation dans l'adoption par cette Assemblée d'une Charte des droits et libertés de la personnel Encore aujourd'hui, le Parti libéral du Québec est celui qui se bat dans l'ordre constitutionnel contre nos adversaires du Parti québécois pour affirmer, dans la nouvelle constitution canadienne, la reconnaissance de la primauté des droits et libertés du citoyen contre l'État, fusse-t-il l'État provincial ou l'État fédéral. Sur le plan des libertés, le Parti libéral du Québec a quelque chose à dire et il entend bien, j'en suis convaincu, continuer de le dire.

De la même manière, je pense bien que, sans vouloir être chauvin, lorsque l'on regarde toute l'évolution qu'a connue le Québec au cours des 20 ou 25 dernières années, la construction d'un État moderne, de cet État moderne du Québec, de cette société qui est devenue et qui fait, autant pour les gens du Parti québécois que pour les libéraux, notre fierté commune d'appartenir à la société québécoise, contrairement à ce qu'on dit à certaines occasions dans les débats parlementaires ou sur les tribunes électorales, le Parti libéral du Québec a fait à ce titre sa large part et plus que sa large part. Je pense qu'il a été l'artisan privilégié et l'artisan premier de la construction du Québec moderne et, là-dessus, nous n'avons pas de leçon à recevoir des gens du Parti québécois.

C'est la même chose, M. le Président, quand on regarde les ressources humaines. C'est une valeur fondamentale pour le Parti libéral du Québec, non seulement au plan de la protection des libertés, mais au plan de la valorisation des personnes, pour les aider à assumer la plénitude de leur existence, à s'épanouir. N'est-ce pas le Parti libéral du Québec qui, au détour, encore une fois, des années cinquante, a mis l'accent sur les ressources humaines du Québec? L'avenir du Québec se bâtit bien davantage par ses ressources humaines et les deux grandes réformes qui ont été faites: la réforme de l'éducation ainsi que la réforme sociale; l'accès aux services d'éducation et aux services sociaux, cela a aussi été une réalisation et une grande ligne de forces du Parti libéral du Québec.

Aujourd'hui, on constate et on lit dans les journaux que, par exemple, dans l'ordre économique, dans l'ordre social ou dans n'importe quel type d'activité humaine, on constate avec fierté que les Québécois occupent de plus en plus la place qui leur revient dans la société québécoise comme dans la société canadienne. Quand j'entends ou que je lis certains commentaires reliant cela à la loi 101, je pense que, d'une façon beaucoup plus fondamentale, ce qui amène véritablement la promotion des Québécois, c'est bien davantage la réforme de l'éducation et l'insistance qu'on a mise sur la formation de nos ressources humaines.

M. le Président, le Parti libéral du Québec a été également associé à la croissance économique. Point n'est besoin d'insister. Je pense qu'il a toujours affirmé que la base du progrès social et du progrès culturel, c'est la croissance économique, et c'est là, encore une fois, la perspective dans laquelle nous allons nous situer. Cette perspective, le chef du Parti libéral, M. Ryan, en a parlé le soir des élections du 13 avril, comme ici en cette Chambre. Sur le plan des libertés individuelles, je pense que nous allons continuer d'affirmer la primauté des libertés individuelles un peu à la manière dont notre collègue, le député de Nelligan, l'a fait d'une façon tellement magnifique lors de son discours en affirmant - et c'est une valeur proprement libérale .- que cette valeur est une valeur personnaliste et une valeur humaniste.

Nous ne sommes pas sans nous rendre compte qu'en raison même de la complexité de notre société, on ne peut simplement affirmer les libertés individuelles sans, à certains moments, leur donner leur prolongement naturel par l'organisation des libertés collectives. Le député de Chomedey donnait comme exemple, et avec combien de raison, que c'est une chose de reconnaître le droit au travail, mais que ce droit au travail que nous reconnaîtrions à chaque travailleur, à chaque femme et à chaque homme qui travaille au Québec serait à bien des égards illusoire si nous n'y ajoutions pas des lois et des programmes qui protègent les libertés collectives, qui reconnaissent aux travailleurs le droit de s'associer et le droit de négocier librement leurs conditions de travail. C'est la philosophie du Parti libéral du Québec sur le plan des libertés et c'est cette philosophie que nous allons continuer d'approfondir pour la traduire et lui donner une signification concrète pour l'ensemble de nos citoyens.

De la même manière, autant le Parti libéral du Québec a été celui qui a construit le secteur public au Québec, autant,

aujourd'hui, nous sommes parfaitement conscients et le gouvernement donne des signes, en ce moment, d'être conscient que le secteur public ne peut pas maintenir le rythme de croissance qu'il a connu dans le passé. Cela a des significations très concrètes, cela implique que nous devrions et que nous allons devoir très prochainement nous tourner vers l'initiative privée non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social pour compléter et pour donner peut-être, à certaines occasions, beaucoup plus d'efficacité aux actions qui devront être menées.

J'évoquais tantôt la région de Québec. Je regarde les jeunes diplômés qui sortent de la région de Québec. Dans ma génération, les gens qui sont sortis des universités ont pu se trouver des emplois dans la fonction publique, dans tout le réseau des affaires sociales et des services de santé comme dans le domaine de l'éducation, dans l'ensemble des services. Mais aujourd'hui, aux jeunes diplômés qui sortent des universités, allez voir combien le gouvernement du Québec offre d'emplois par rapport à ce que nous avions. D'où vont venir les emplois pour nos jeunes ingénieurs, nos jeunes techniciens, nos jeunes spécialistes en informatique, nos jeunes scientifiques? D'où vont venir ces emplois si ce n'est par le développement d'un secteur privé dynamique? Cela aussi, c'est une valeur profondément libérale. (16 h 30)

C'est la même chose dans le domaine social, sur le plan du principe de l'universalité des programmes dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la santé et des services sociaux. Les grandes lois-cadres, les grandes lois comme le bill 60 et tout ça qui ont jalonné l'histoire politique du Québecl

Aujourd'hui, pour le gouvernement même si son langage et son discours refusent toujours de l'admettre - chaque fois qu'il y a un problème administratif quelconque, on dirait que c'est la nation qui est en péril. Je pense que le gouvernement et le milieu politique, le milieu de la fonction publique devront désormais abandonner les grandes lois qui encadrent tout un secteur pour se rendre, dans le concret des programmes, mesurer l'efficacité réelle de l'argent qui est investi pour améliorer ça et surtout introduire le principe de la sélectivité dans nos dépenses sociales, parce que le secteur public ne pourra pas indéfiniment absorber les dépenses générales qu'on a faites il y a dix ou quinze ou vingt ans. Cette sélectivité impose des choix, mais j'espère et je suis convaincu que le Parti libéral du Québec va voir à ce que les plus démunis de la société bénéficient de ce genre de programmes.

Il y a aussi dans notre société - et c'est une valeur qu'on va devoir promouvoir et dont on devra parler davantage - tous ces succès passés des quinze ou vingt dernières années du Québec sur le strict plan de la justice. Prenez, par exemple, la réforme de l'éducation. Bien sûr, on peut parler de l'accessibilité générale qui a été donnée à tout le monde mais on sait très bien, et ces chiffres ont été cités, que le taux de passage des niveaux élémentaire au secondaire, secondaire au collégial et collégial à l'université suit encore, après vingt ans de réforme scolaire, la structure des revenus et des conditions socio-économiques des familles. Sur le plan de la justice, on a dit: On va permettre à tout le monde d'avoir accès à l'éducation. Mais le fils ou la fille d'un col bleu, aujourd'hui, a moins de chances que la fille d'un professionnel d'accéder à l'université. Cela, c'est un problème de société et un problème fondamental auquel on va devoir trouver la solution.

C'est la même chose au niveau des entreprises. Combien de fois, je suis sûr que c'est également arrivé aux députés d'en face, un chef d'entreprise nous dit: Moi, j'investirais peut-être 10 000 $, 20 000 $, 100 000 $ additionnels dans mon entreprise; je créerais cinq, dix, quinze, vingt emplois additionnels mais je n'ai plus de motivation parce que, si je fais ça, la fiscalité va venir me chercher les profits ou le petit profit que je vais faire. Cela aussi c'est un problème. On va parler des petites et moyennes entreprises. C'est un problème qui coûte très cher en termes de développement actuellement au Québec, le poids de la fiscalité, sans parler de la bureaucratie et de la réglementation excesssive sur le dynamisme de nos entrepreneurs, surtout, M. le Président, qu'en ce moment au Québec nous avons des entrepreneurs, dans le domaine des affaires, vraiment dynamiques. Ce choix-là à l'air d'un choix de libre entreprise, etc.

Au Québec actuellement, il y a 40% de tous les étudiants en administration dans les facultés qui sont des jeunes Québécois. Déjà notre jeunesse a compris que c'était du côté du secteur privé que la croissance et le développement d'une société devaient se faire. Et ce choix-là, j'espère bien que le milieu politique et les partis politiques et le gouvernement vont le comprendre et vont le traduire par des politiques et des programmes qui font confiance à l'entreprise et surtout qui libèrent l'entreprise de l'ensemble des fardeaux qui l'accablent.

La même chose, M. le Président, sur le plan de la condition féminine: permettre à l'ensemble des femmes du Québec de participer activement; enlever tous les blocages qui ont historiquement existé au Québec pour permettre aux femmes du Québec d'assumer, dans toute sa plénitude, leur condition de citoyennes du Québec et de

participer au progrès du Québec.

Sur le plan des régions, M. le Président, également, cette idée qui avait circulé et qui a perdu sa route quelque part dans les années soixante-dix, cette idée qui était très forte dans les années soixante, avec l'expérience qui avait été faite dans l'est du Québec, quelle est la politique du gouvernement en ce qui concerne l'Abitibi comme région, son développement sur les plans économique et social, pour lui donner un plan de développement intégré? On a fait des sommets économiques dans la région de Montréal. On a annoncé pour la région de Québec un sommet. Sans cloute qu'il y a là, et je le dis très franchement, un moyen de remettre la dimension régionale dans l'ensemble de nos préoccupations politiques. Cela aussi c'est une perspective d'avenir qui intéresse tous les libéraux et le Parti libéral du Québec et l'Opposition.

M. le Président, je voudrais dire juste un mot, en terminant, sur l'économie. On a au Québec un ensemble de programmes qui distribuent la richesse bien que - il ne faut pas se faire d'illusion, M. le Président -toutes les études, autant au Canada qu'au Québec, ont démontré que sur ce plan de la richesse collective, l'écart entre les riches et les pauvres ne cessait de s'agrandir. Cela aussi, M. le Président, c'est un problème social dont il va falloir s'occuper dans l'avenir pour trouver les solutions qui s'y appliquent. Néanmoins, il reste que, pour simplement financer l'ensemble de nos programmes sociaux, si on ne se préoccupe pas de créer la richesse, de mettre pour le vrai, mais vraiment pour le vrai, l'accent sur le développement économique et de faire confiance au dynamisme de nos entreprises, je pense qu'on risque de manquer le bateau. À cet égard, sans doute que la prise de position fondamentale du Parti libéral du Québec de dire: Nous allons rester à l'intérieur du régime fédéral, nous allons, sur le plan économique... Qu'on pense simplement à la question énergétique, avec toutes les difficultés constitutionnelles ou juridictionnelles qu'elle comporte, difficultés sérieuses dont on doit se préoccuper. On se dit, finalement, en regardant toutes les ressources et les moyens économiques dont dispose le Canada, pays immensément riche sur ce plan, non seulement en termes de richesses naturelles, mais pays riche en termes de ressources humaines, d'expertises dans le domaine économique et riche de par sa présence sur l'ensemble des marchés internationaux: Pourquoi irions-nous, comme Québécois, renoncer à cette part que nous avons dans les dynamismes, les moyens et les ressources au plan économique du Canada? Pourquoi irions-nous renoncer à cela en nous lançant dans la voie de la souveraineté? Parce que c'est le développement même de notre économie qui s'en trouverait affecté, parce que ces moyens auxquels nous renoncerions, nous ne les aurions pas pour bâtir ici une économie plus forte et élargir les programmes de distribution de la richesse qu'on évoque.

Cela m'amène, M. le Président, à dire un mot de la question constitutionnelle, des rapports entre le Québec et le Canada. Je me rappelle avoir lu, au cours du référendum, et avoir entendu les gens du Parti québécois affirmer qu'ils se situent dans la continuité historique de la révolution tranquille, avec leur conception ou leur perception de la souveraineté politique du Québec. Chose assez curieuse, M. le Président, le premier ministre n'a parlé dans son discours inaugural que de mettre le cap sur l'avenir. Tous les "back-benchers", honorables à bien des égards, se sont fait un devoir d'évoquer et de parler, de dire à cette Assemblée, comme l'ancien député de Chauveau était le seul à l'époque à le dire: Nous sommes favorables à la souveraineté politique du Québec. Seul le chef du gouvernement du Québec, le chef du Parti québécois n'a pas eu ce courage, à l'Assemblée nationale, de dire que l'orientation profonde qu'il évoquait par sa périphrase de la fin de son discours en parlant de mettre le cap sur l'avenir, cela était la souveraineté politique du Québec. Pourquoi ne pas le dire?

Moi, je ne conçois pas, honnêtement, que le Parti libéral du Québec pourrait un jour mettre entre parenthèses ce qui, pour nous, est l'essentiel de notre démarche, c'est-à-dire notre appartenance et notre fierté d'appartenir au Québec et d'appartenir au Canada. J'espère ne jamais voir le jour où le Parti libéral du Québec mettrait entre parenthèses la raison d'être de son existence même et de son orientation.

J'entends encore M. Lesage au moment du référendum, l'ancien premier ministre, qui a dit - et c'est cela, au fond, le sens de la démarche - que le sens de la révolution tranquille n'a jamais été celui de se diriger dans la voie de l'indépendance ou de la séparation politique du Québec. Il a dit: Tout ce que nous avons fait alors, cela n'a été que pour permettre aux Québécois d'assumer et de contrôler dans toute sa plénitude leur société et d'occuper leur place à l'intérieur du Canada. C'est cela, le sens profond des efforts qui ont été faits dans le passé et, que vous aimiez cela ou non, le Parti libéral du Québec va continuer dans cette voie. Là-dessus, il peut y avoir eu le 13 avril mais, il y a eu le 20 mai et le 13 avril n'a rien enlevé au 20 mai. Les Québécois vont continuer de donner leur plénitude d'adhésion au Québec et leur plénitude d'adhésion à une réalité beaucoup plus vaste qui s'appelle le Canada et qui est notre pays. Merci. (16 h 40)

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement.

M. Claude Charron

M. Charron: M. le Président, je ne vous surprendrai pas en m'adressant d'abord à vous et en ne manquant pas à l'usage qu'à peu près l'ensemble de mes collègues ont respecté jusqu'à ce jour. Je ne pense pas être prétentieux en disant que, de toutes les promesses de collaboration que vous avez reçues tout au cours de ce débat, une de celles que vous attendez le plus, sans aucun doute, est celle de celui qui vous parle puisque nous avons, plus souvent qu'autrement, l'occasion d'être appelés à collaborer ensemble. Je vous prie, M. le Président, de laisser surgir de vous le mouvement de confiance que vous éprouvez envers moi; je ne vous inviterai pas à être aussi généreux à l'égard du député de Bonaventure, qui a été muet comme une carpe au cours de ce débat, mais je sais aussi que son parlementarisme très éprouvé est tel que vous devez envisager cette Législature, avec vos deux vis-à-vis, avec beaucoup de confiance.

Je crois, M. le Président, que vous pouvez être assuré, du côté ministériel, en tout cas, comme vous l'avez été, non seulement de notre respect, mais aussi de ce que j'ai pu sentir déjà dans les propos de mes collègues, et j'en suis fier. Nous abordons ce deuxième mandat du gouvernement du Parti québécois avec, au-delà du respect que nous vous devons, un sens des responsabilités qui vient très directement du mandat de confiance que nous avons reçu de la population le 13 avril dernier. Ce sens des responsabilités doit croître, dit-on, avec la majorité. Nous sommes plus nombreux ici que nous ne l'étions lorsque vous avez vous-même annoncé la dissolution de cette Assemblée. En ce sens, nous devons nous sentir plus responsables, et je crois que l'équipe qui en est à ses deux premiers mois déjà est bien partie sous ce signe des responsabilités.

Parlant de confiance, M. le Président, vous me permettrez aussi de ne pas échapper à cet usage et, de ce fauteuil, de cette place que j'occupe à l'Assemblée, de remercier les citoyens du quartier Saint-Jacques à Montréal qui m'ont donné, pour une quatrième fois et avant même que j'aie 35 ans, un mandat de confiance qui m'honore grandement. Il n'y a pas de recette spéciale dans le comté de Saint-Jacques. Il n'y a pas de mythe. Il n'y a pas de tout fait. Nous avons fonctionné chez nous, M. le Président, avec la même carte maîtresse qui, je crois, a été la meilleure carte de chacun de mes collègues qui sont aujourd'hui des députés du Parti québécois comme moi. Notre carte maîtresse, au cours de cette campagne électorale, a sans aucun doute été la personne du premier ministre. Je lui dois déjà quatre victoires dans le comté de Saint-Jacques et la dernière n'a pas fait exception.

M. le Président, je crois pouvoir dire, après ces années, que si j'éprouve beaucoup de joie à être connu comme député de Saint-Jacques à l'Assemblée nationale du Québec, c'est pour une raison bien simple. Je suis très profondément attaché aux citoyennes et aux citoyens de ce quartier, à leur mentalité, à leur lutte, à leur confiance. C'est dans ce quartier de Montréal, au milieu d'eux, avec mon bureau ouvert à chacun d'eux, en plein centre du quartier, que j'aime vivre. C'est dans les contacts et les amitiés que nous avons tracés depuis maintenant onze ans que j'ai accepté et que j'ai même aimé voir vieillir ma jeunesse. Ils m'ont fait confiance à un âge où je le méritais à peine. Je leur ai offert de mettre l'influence et les connaissances qu'ils m'ont permis d'acquérir au cours de ces années au service du quartier pour un autre mandat. Ils l'ont accepté plus nombreux que les trois fois précédentes.

Notre quartier, ce coeur de Montréal, M. le Président, est devenu le centre d'une grande ville. À ceux qui n'y voient et qui, malheureusement, n'y verront toujours que du béton ou de l'argent à faire j'ai témoigné, depuis plusieurs années maintenant, et je témoignerai tout au cours de ce mandat, au milieu de l'Assemblée nationale comme au centre du gouvernement, qu'il y a, contrairement à ce qu'on pense, dans ce centre-ville, la chaleur comme le talent, la créativité comme le souvenir, le goût de vivre et l'impatience d'une société qui a confiance en elle.

Saint-Jacques est connu depuis maintenant onze ans. C'est ce coin de ville qui d'élection en référendum et en élection n'a jamais trahi sa fidélité au Québec. Je suis très fier d'être le député de Saint-Jacques dans cette Assemblée. Centre d'une grande ville, mais aussi centre d'une île où ont choisi de vivre près de 40% de la population du Québec. Lorsque dans cette Assemblée nous invoquons les Québécois ou les Québécoises, deux sur cinq de ceux dont nous parlons se trouvent - et même plus si on compte la population de la ville de Laval - dans cet archipel, au milieu de notre fleuve. Ce n'est pas un indice mineur que de penser que plus de la moitié de la population du Québec est formée maintenant d'urbains, de citadins.

Centre d'une grande île, j'ai eu l'occasion, au cours de cette campagne de mars et avril 1981, d'assumer avec beaucoup de plaisir et de facilité, je dois dire, la direction d'une équipe de candidates et de candidats partout sur l'île de Montréal. Cette équipe de Montréal - je le dis de cette Assemblée parce que je l'ai dit tout au

cours de la campagne et j'en étais très fermement convaincu - nous avions dans ces 33 candidates et candidats de l'île de Montréal autant de qualité humaine en expérience et en disponibilité que la fameuse brochette de candidats qui nous avait été promise de l'autre côté pour l'ensemble du Québec et qui n'est jamais arrivée.

Nous avions rassemblé, sur la seule île de Montréal, des hommes et des femmes qui étaient prêts et disponibles à venir travailler ici pour représenter ces 40% de Québécois et de Québécoises. Ils ne sont pas tous ici, bien sûr, nous sommes treize comme équipe de la région métropolitaine ici. Tout le monde sait pourquoi nous ne sommes pas plus nombreux: Nos amis d'en face, les premiers, et nous aussi, nous le savons très bien, mais il y a une consolation à cela. Treize pour représenter autant de citoyennes et de citoyens sur toute l'île? Tant pis! Nous allons faire notre travail parce que nous avons cette conviction: Si nous sommes ici, c'est que toutes les militantes et tous les militants de l'île de Montréal, toutes les candidates et candidats de l'île de Montréal méritaient autant que nous de venir ici. En conséquence, nous devons travailler pour eux, aussi bien que nous allons travailler pour les citoyens et citoyennes qui nous ont élus.

Consolation. Si nous ne sommes que treize - encore une fois, la raison pour laquelle nous ne sommes que treize n'échappe à personne - nous avons cette consolation importante, qui peut écorcher certaines légendes qui existent et qui peuvent vous toucher de près, M. le Président, je m'en excuse, mais nous représentons ici 68% des francophones de l'île de Montréal, ce qui fait de l'île de Montréal la meilleure région du Parti québécois chez les francophones du Québec. Ce succès, auprès des citoyens qui ont comme langue maternelle celle dans laquelle nous nous comprenons cet après-midi, nous le devons sans aucun doute au fait que nous avons travaillé en équipe, que cette équipe est encore à l'oeuvre, mais aussi, parce que nous avions su, je crois, contrairement au vide immense contre lequel nous étions, par la force des choses, appelés à lutter, dresser un programme régional pour ces 40% de Québécoises et de Québécois qui a eu tout l'heur de rencontrer les objectifs et les souhaits de cette population métropolitaine, dans le domaine social, dans le domaine culturel et dans le domaine économique. (16 h 50)

Nous avions comme tableau de fond l'immense succès qu'ont remporté les années de concertation clôturées par le sommet économique de Montréal juste avant l'élection. Nous avions cette capacité de présenter à nos concitoyens de l'île de Montréal un programme concret; c'était un programme, c'est devenu aujourd'hui un calendrier de travail. Je veux dire aux citoyennes et aux citoyens de Montréal et à cette immense majorité des citoyens francophones de Montréal qui nous ont fait confiance et que nous représentons aujourd'hui que tous et chacun de ces engagements que nous avons véhiculés à leur bon plaisir, semble-t-il, et nous en sommes honorés, au cours de la campagne électorale, nous sommes d'emblée à travailler à les réaliser. Je dis, sans embages, mais pour que tout le monde le comprenne, à les réaliser avec les contraintes et à travers les contraintes que le contexte budgétaire implique à Montréal comme partout ailleurs dans le Québec.

Un mot, M. le Président, mais un mot que j'espère clair sur ce contexte budgétaire. Il était impossible de tenir des engagements électoraux comme l'histoire ou le folklore électoral du Québec en a laissé de si tristes souvenirs. Les gens à qui nous nous adressions au cours de cette campagne - ce n'est pas seulement vrai à Montréal, c'est vrai pour chacun de mes collègues candidates et candidats qui ont été des représentants du Parti québécois où que ce soit sur le territoire - les citoyens, où que ce soit sur le territoire québécois, auxquels nous nous adressions dans cette campagne électorale étaient, M. le Président, si vous me permettez cette expression, des citoyens échaudés. Nous venions de présenter ce budget difficile présentement en discussion dans cette Assemblée, qui venait tout juste d'être déposé ici et qui ne cachait pas la vérité difficile des années qui pointent à l'horizon; on n'avait pas camouflé. C'était même, a-t-on dit, faire preuve de témérité ou à tout le moins de courage - on choisira ce qu'on voudra - que d'avoir donné cette indication avant même d'aller en élection. Certains nous avaient dit que ce serait suicidaire de donner l'heure juste aux citoyens québécois avant même d'aller leur demander un renouvellement de confiance.

Cela n'a pas été notre opinion. Nous ne nous sentions pas moralement capables de nous lancer dans cette campagne sans donner cette heure précise et sans la décrire au cours de la campagne électorale. Il n'y a pas une région du Québec où je suis passé, en ce qui me concerne, et j'ai voyagé au cours de cette campagne... Je sais que mes collègues, là où ils étaient, parce que j'ai fait des assemblées avec plusieurs de ceux qui sont ici aujourd'hui, ne cachaient pas non plus à nos concitoyens québécois que, si nous leur demandions de nous faire confiance et de nous donner la gouverne, ce n'est pas parce que nous les amenions au paradis terrestre impossible et fictif; c'est au contraire parce que ce qui nous pendait au bout du nez allait être des années difficiles et qu'en conséquence il fallait une équipe ferme, une équipe stable avec un pilote d'expérience et

dont la fidélité au Québec ne s'est jamais trahie, pour traverser ces années. Cela a été le langage de notre campagne électorale et c'est avec ce langage que nous sommes aujourd'hui 80 députés du Parti québécois.

M. le Président, quand je me suis permis de dire tout à l'heure que les citoyennes et les citoyens auxquels nous nous adressions et qui nous ont fait confiance n'étaient pas nés de la dernière pluie, que j'ai même dit qu'ils étaient des citoyens échaudés, voici ce que je voulais dire. Celles et ceux que nous avions dans les salles, qui nous faisaient l'honneur de venir à nos réunions, ceux et celles à qui nous nous adressions par la télévision, ce sont des gens qui en 1970, M. le Président, l'année où je suis entré dans cette Assemblée, vivaient dans une société où le baril de pétrole à Montréal coûtait 0,70 $. Ce sont des gens qui vivent dans une société où, onze ans plus tard, le même baril de pétrole dont nous avons toujours besoin et dont nous aurons toujours besoin nous coûte collectivement et individuellement, dépendant de sa source, 35 $. Ce sont des gens qui ont vécu ces années, qui les ont traversées et qui, lorsqu'on parle d'un contexte budgétaire difficile, comprennent ce langage, parce que eux-mêmes, au cours de cette dizaine d'années, et même au cours des quatre années de notre premier mandat, ont vécu ce que veulent dire compressions budgétaires, rajustements, retard de certaines priorités, abandon de certains luxes qu'on croyait pouvoir s'offrir, obligation de repenser sa vie individuelle, sa vie de couple, sa vie de famille, abandon de certains projets, en faire surgir d'autres plus modestes, mais à la mesure du portefeuille. Les gens à qui nous parlions savaient bien ce qu'ils vivaient individuellement, ou en couple ou en famille depuis dix ans et que, un jour ou l'autre, l'État québécois connaîtrait la même heure de vérité. Le prix du baril de pétrole, ses conséquences sur la vie économique ont bouleversé la vie des citoyennes et des citoyens qui nous entendent. Il était bien normal qu'à un moment, ce temps arrive pour les finances publiques aussi.

Ce temps est arrivé. C'est ce que nous avons dit aux citoyens du Québec et personne ne peut dire le contraire. On peut développer des programmes dans des cahiers rouges ou des cahiers jaunes qui pourraient faire miroiter tout en même temps et pour toujours. Lorsque nos amis d'en face ont publié ce document factice, ces propos sont tombés dans l'oreille de sourds, parce que les citoyennes et les citoyens du Québec savaient bien que le cahier rouge avec lequel on se promenait de comité d'étude en comité d'étude était un cahier irréalisable et qu'en conséquence, il valait mieux entendre une équipe d'expérience, qui indiquait les priorités et qui disait d'avance ou à peu près aussi clairement que possible les choix qu'elle allait faire.

M. le Président, pour prendre une image que toutes les Québécoises et tous les Québécois peuvent comprendre, nous sommes collectivement, à ce moment-ci, le bateau québécois, nous sommes cette société qui vit ensemble et qui est appelée à vivre ensemble sur ce territoire que nous ne voulons pas quitter et sur lequel nous avons choisi de vivre. Nous sommes un peu comme un bateau qui, sur notre fleuve, ferait maintenant dos à l'estuaire de jadis ou à la beauté du golfe qui apparaît maintenant comme un temps qui ne reviendra plus. Si c'est vrai que le mot Québec veut dire ce que nos concitoyens amérindiens nous ont laissé comme vocabulaire, c'est-à-dire passage rétréci, nous sommes exactement à Québec, c'est-à-dire que la société québécoise, le paquebot sur lequel nous vivons tous pour le meilleur et pour le pire, n'est plus à une époque où tout pouvait lui être permis.

Tout va se rétrécir en avant de nous et, en ce sens, la qualité de l'équipage, la qualité du pilote était l'enjeu du 13 avril dernier, comme nos concitoyens l'ont compris. Mais si cela se rétrécit, si, avant longtemps, M. le Président, les récifs, les îles, les rives mêmes vont avoir tendance à se rapprocher de notre société pour l'obliger à faire des choix encore plus serrés et encore plus dramatiques même, à certaines occasions, cette société n'est pas exempte de problèmes, loin de là, par définition. Quand on s'engage dans un passage rétréci, à notre tour, comme toutes les autres sociétés, je veux vous indiquer un certain nombre de récifs qui nous attendent. Si l'instinct des citoyens du Québec n'avait pas été aussi sûr qu'il l'a été le 13 avril dernier et si l'équipage avait été autre que celui qui assume maintenant la direction des affaires du Québec pour quatre ans, je ne suis pas sûr que nous aurions évité ces récifs, et je vous dirai pourquoi tout à l'heure.

Je vais vous parler d'abord d'un récif qui s'en vient, M. le Président, et ce n'est pas de la science-fiction politique que je suis en train d'évoquer dans cette Assemblée. C'est une réalité qui nous pend au bout du nez. Nous vivons des compressions budgétaires. On véhicule l'ensemble des mots "coupures", même si on veut dire par là, dans les faits, des dépenses qui augmentent moins vite qu'on ne l'aurait souhaité, mais qui augmentent quand même. À l'horizon, M. le Président, - et l'horizon est tout proche, c'est avant le printemps 1982 - on va nous indiquer qu'une partie de nos taxes et de nos impôts que nous envoyons chaque année à Ottawa et qui, traditionnellement, nous revient d'Ottawa sous forme de partage de programmes dans l'assurance-maladie, dans l'habitation, dans le développement agricole.

C'est une partie de nos taxes et de nos impôts que nous sommes habitués de recevoir, que nous entendons légitimement recevoir, sur lesquels il y a eu une entente signée pour que nous les recevions, mais l'heure est déjà indiquée que ces taxes et ces impôts vont nous revenir moins nombreux qu'auparavant et qu'aujourd'hui encore. (17 heures)

Autrement dit, ce récif qui nous attend, c'est bien simple, M. le Président. Pour cette société qui, déjà, du mieux qu'elle peut, dans la moitié des taxes et des impôts qu'elle administre, est déjà en train de se soumettre elle-même à des compressions budgétaires, il y a de mauvaises nouvelles qui s'en viennent. Le retour de taxes et des impôts que nous attendions de l'autre côté sera moins élevé et viendra forcément avec plus de difficultés qu'auparavant. Cela s'appelle - ça va remplir les journaux, nos concitoyens auront l'occasion de le lire - les négociations financières avec le gouvernement central tel qu'il s'engage actuellement. L'heure est indiquée non pas à un surplus, bien au contraire.

Je vous prédis une chose, M. le Président, c'est que nous allons vivre dans cette négociation d'argent, c'est-à-dire combien d'impôts et de taxes vont revenir au Québec de ce que nous envoyons chaque année, comme citoyens, à Ottawa, le même scénario que celui que nous avons vécu sur le plan constitutionnel. Il y aura des pseudonégociations, il y aura des semblants d'ouverture; on viendra, ministre des Finances, ministre des Affaires intergouvernementales, premier ministre, parader à tour de rôle, à dix ou à la pièce, devant le gouvernement central pour réclamer, invoquer au nom des Québécois que cet argent doit nous revenir parce qu'il nous permet de maintenir des services essentiels aux citoyens du Québec. Et puis après, M. le Président, lorsque le "show" aura eu lieu unilatéralement, sans consultation plus grande que celle qui aura été fictivement menée et sans même concertation avec les provinces, on tranchera et on dira: Voici, des taxes et des impôts que les Québécois paient à Ottawa, il y a cela qui retourne au gouvernement du Québec, et pas plus.

Ce qui veut dire, M. le Président, que si j'étais en mesure de vous sortir aujourd'hui un mémoire Pitfield ou un mémoire Kirby qui vous décrirait machiavéliquement comment la négociation constitutionnelle avait été truquée depuis le début, celle qui va s'engager sur les ressources financières du Québec, ce récif qui nous guette, est faite de la même façon; c'est la même texture, la même farine, parce qu'elle est faite par les mêmes hommes à Ottawa qui éprouvent à l'égard du Québec comme, semble-t-il, pour l'ensemble des provinces, le plus souverain des mépris, actuellement, comme administration locale.

Parlons non seulement de ce récif qui nous attend et qui s'avance vers les finances publiques québécoises, mais aussi de celui qui déjà nous préoccupe et que notre navire québécois tente de contourner depuis bientôt un an, celui qui s'attaque à la coque même de notre navire, celui des droits de cette Assemblée à légiférer. Je veux parler du coup de force constitutionnel dont on attend, même après un an de palabres, de savoir -question prioritaire, m'auriez-vous dit au début, mais il a fallu le réclamer pendant des mois - s'il est même légal ou illégal. Dans le cas où il ne le serait pas, il semble bien que la conclusion sera facile à tirer. Dans le cas où il le sera, ce sera à cette Assemblée de réagir. Ce récif qui nous guette, M. le Président, c'est celui de dire à cette Assemblée qu'elle n'a plus le droit, que les élus du peuple québécois n'ont plus le droit, n'ont plus la juridiction reconnue de légiférer sur des sujets sur lesquels cette Assemblée légifère depuis qu'elle existe.

C'est-à-dire, par exemple, que nous avons toujours tenu, et nos ancêtres n'auraient jamais conclu ce pacte si on n'avait écrit noir sur blanc la question des écoles françaises et des écoles anglaises du Québec. Qui va à l'école anglaise et qui va à l'école française au Québec, c'est ici que ça se décide. C'est selon le climat de la société, tel que la société l'indique lors des élections générales du peuple québécois, que ça se décide. C'est une juridiction exclusivement et totalement québécoise. Pourquoi, M. le Président? Parce que, c'est simple, c'est notre santé sociale qui est en jeu. Qu'un gouvernement ici fasse une mauvaise loi en matière linguistique et vous avez des tensions raciales, ethniques, sur le territoire de Montréal, que j'évoquais tantôt, encore plus qu'ailleurs. Que le gouvernement fasse un bon coup et réagisse comme le peuple québécois souhaite qu'il réagisse à un moment, et nous vivons dans une période d'accalmie.

Cette juridiction est un baromètre de la santé démocratique du Québec. Aucun gouvernement qui s'est adressé à vous de ce côté-ci de la Chambre depuis qu'elle existe n'aurait même envisagé de concéder une parcelle de cette juridiction, tellement c'est la santé du Québec qui est en cause. Mais voilà, M. le Président, que, si le coup de force obtient son blanc-seing du côté légal et qu'il demeure toujours aussi illégitime, voilà ce qui nous arrive. Voilà que cette Assemblée sera dépourvue de ce droit-là.

De même, cette Assemblée a toujours tenu comme à la prunelle de ses yeux à décider entre Québécois de la protection de nos travailleurs, de leur mobilité, de leur droit de gagner leur vie dans leur langue, ici au Québec, de leur réserver des chantiers, de

permettre la croissance économique du Québec par les Québécois. Il n'y a pas un gouvernement qui a été de ce côté-ci de la Chambre qui a accepté de céder une partie de ça. Voilà que ça nous serait enlevé aussi, parce que la charte ferait que nous serions soumis à une grande aventure, qui plaît beaucoup, semble-t-il, à certains de nos amis d'en face, mais qui plairait moins aux travailleurs québécois s'ils devaient en subir les conséquences.

Ce récif qui s'attaque à notre Assemblée, M. le Président, nous nous efforçons politiquement, en faisant même appel au peuple le 13 avril dernier, aussi bien que juridiquement, en allant jusqu'au tribunal suprême de ce pays, tous les recours ont été essayés, nous essayons de le contourner. Mais, il est toujours là. C'est parce que je l'évoque, M. le Président, et que j'ai souvenir d'avoir saisi cette Assemblée de ce danger, au mois de novembre dernier, que j'en viendrai à parler de nos amis de l'Opposition.

Je vous dis ce qui est dit déjà par les tribunaux; la Cour d'appel du Québec: cinq juges sur cinq ont confirmé que, si le coup de force fédéral connaissait son aboutissement, il est clair au yeux des magistrats que la juridiction du Québec serait diminuée; le tribunal de Terre-Neuve: trois juges sur trois ont évoqué l'opinion que oui, effectivement, si le coup de force était réalisé, le Québec aurait moins de pouvoirs qu'il n'en a actuellement; au Manitoba: quatre juges sur cinq, déjà, avant même l'avis du tribunal suprême, ont dit oui, si le coup de force était réalisé, ceux qui sont élus à l'Assemblée nationale du Québec seraient les membres d'une assemblée diminuée, rétrécie, plus petite qu'elle ne l'était même lorsque le Québec, en 1867, comptait à peine un million et demi d'habitants.

Croyez-le ou non, M. le Président, après avoir vu le comportement du Parti libéral du Québec l'automne dernier, après avoir entendu ces gens naviguer de gauche à droite, à bâbord et à tribord, au cours de la campagne électorale, et après avoir entendu ce qu'ils ont dit au cours de ce débat, comme si pour certains la leçon du 13 avril n'était pas encore entrée - au point que je ferai un effort pour leur expliquer ce qui leur est arrivé le 13 avril dernier - ils n'ont pas encore compris. M. le Président, laissez-moi vous dire une chose: il y a à votre gauche, j'en suis convaincu, des gens qui, il n'y a même pas deux mois, ont sollicité des citoyens du Québec de devenir des membres de l'Assemblée nationale du Québec et qui acceptent que l'Assemblée nationale du Québec diminue pendant qu'ils sont là. Il y a des gens qui ont sollicité l'honneur de représenter les Québécois dans une Assemblée dont les pouvoirs sont protégés depuis 1867 et qui, ici, à leur première intervention à l'Assemblée, se lèvent et, après, bien sûr, avoir affirmé leur fierté d'usage d'être Québécois, se lancent dans les louanges de la charte des droits et les hommages au souverain chef à Ottawa, en oubliant celui qu'ils traînent encore. (17 h 10)

M. le Président, il y a, à votre gauche, des gens qui ont affirmé carrément qu'ils acceptent que le Québec devienne plus petit qu'il ne l'est dans le Canada. Revenons un moment au 13 avril. Le revirement, annoncé par le député de Jean-Talon tout à l'heure dans la conclusion pour son parti, auquel nos amis libéraux sont maintenant appelés - je n'ai pas de conseil à leur donner, bien sûr, et je suis probablement le dernier duquel ils accepteraient d'en recevoir, je le sais aussi, c'est mon droit de livrer ici une analyse, telle que je la vois, comme militant du Parti québécois et comme des milliers de citoyennes et de citoyens - après que le peuple se soit prononcé le 13 avril dernier, est beaucoup plus profond que vous ne le pensez.

Je les soupçonne, M. le Président, parce que je les connais, de tenter de régler le bilan du 13 avril de la façon expéditive avec laquelle ils ont l'habitude de le faire. Depuis 30 ans, M. le Président, dans ce parti, on a l'habitude, au lendemain d'une défaite, d'éteindre tout de suite l'examen en profondeur; on change de chef. Nommez-moi un chef, dans votre parti, depuis 30 ans, qui a résisté à une défaite. Vous les basculez par-dessus bord un an, six mois, deux ans après et puis voilà, c'est fait. L'opération renouveau recommence, on relance une nouvelle organisation, on est tout à fait tout nouveau tout beau, et on continue à véhiculer les mêmes affaires.

Ce que j'ai su, M. le Président, c'est que cette opération délicate est déjà en train de se tramer chez nos amis d'en face. Je vais vous dire clairement que le Québec de 1981 ne vous a pas simplement donné l'avis de changer de chef - j'estime, effectivement, qu'il ne le voulait pas comme premier ministre - il ne vous a pas signalé seulement de vous relancer dans une nouvelle opération de maquillage, il ne vous a pas dit non plus que votre défaut était d'avoir une mauvaise organisation. C'est votre problème, M. le Président, et c'est leur problème si le grand stratège des élections partielles dans D'Arcy McGee et Notre-Dame-de-Grâce, ces victoires éclaboussantes, a été à la fois celui qui devait conduire le parti à la victoire chez les francophones.

M. le Président, cette analyse est à eux. Ils ont des structures démocratiques à l'occasion. Ils ont des structures qu'ils peuvent utiliser et c'est à eux de faire cette analyse. Ce que je veux vous dire, c'est ce pourquoi vous avez été défaits le 13 avril

dernier. Malgré toute la certitude - elle était belle à voir, je le dis aux nouveaux de la députation libérale qui sont ici; n'ayez pas de crainte là-dessus, ils étaient fiers et ils vous représentaient bien, ceux qui étaient ici l'automne dernier, dans votre formation politique - que vous aviez de reprendre possession de ce que vous considérez, chaque fois que vous mettez la main dessus, comme votre propriété exclusive, cette certitude ne s'est pas réalisée pour l'excellente raison qu'à compter de novembre dernier, il est devenu plus clair que jamais - et cela c'est ce que j'appelle être plus important que de changer de chef ou changer d'organisateur en chef - qu'on ne sait pas pour qui vous êtes. On ne sait pas sur quel pied vous allez danser demain. Vous aimez vous pavaner dans le Québec avec ce merveilleux slogan qui vous a donné des heures de gloire, j'en suis convaincu, et des succès relatifs dans certains comtés lors des élections partielles. Vous dites: "Nous choisissons le Québec et le Canada", ce qui vous permet de courtiser deux clientèles à la fois, bien sûr. Quand vous êtes devant une clientèle dont la tendance est plutôt Canada, vous mettez en évidence le deuxième aspect de la chose et, quand vous avez une clientèle un peu plus récalcitrante et, je dirais, un peu plus tentée de donner une poussée au côté québécois, alors vous faisiez - je dis vous faisiez -miroiter l'autre aspect.

Très bien, vous avez le droit de choisir le Québec et le Canada; nous aussi, dans un sens. Nous avions choisi le Canada sur une base d'égalité, associés entre pays souverains. Vous, vous choisissez le Canada comme -votre livre beige l'écrit en toutes lettres -une province parmi dix avec rien de plus que les autres. Bien, c'est votre choix et c'est notre choix.

Mais il y a une question à laquelle vous n'avez jamais répondu ou plutôt si. On ne sait jamais comment vous allez répondre parce que vous répondez de façon contradictoire. Quand le Québec et le Canada ont des intérêts divergents, lequel des deux choisissez-vous? Quand cela ne va pas nécessairement ensemble, le choix, à cause des priorités de l'un et des priorités de l'autre, vous ne pouvez pas dire que vous choisissez les deux à la fois. Moi, je vous ai vus dans cette Assemblée, par exemple, lorsque le gouvernement fédéral, votre parti au niveau fédéral, s'est lancé dans le vol de la taxe de vente des Québécois. À ce moment-là, on a présenté une motion ici et vous l'avez endossée. Je crois que, ce jour-là, vous avez choisi le Québec. Cela ne vous coûtait pas cher. Ce n'était pas une bataille à finir. Le calme était relatif dans le parti. Vous n'aviez pas à calmer les plus chauds partisans de Trudeau qui vous entourent. En ce sens-là, c'était vivable comme crise à l'intérieur du Parti libéral.

Mais quand on vous a demandé de choisir le Québec quand les pouvoirs de l'Assemblée nationale étaient menacés à l'automne dernier, on vous a attendus pendant des semaines. Vous avez multiplié les caucus à n'en plus finir. Cela a donc l'air difficile dans le Parti libéral du Québec, quand les intérêts du Canada et du Québec ne sont pas convergents, de replâtrer les ailes nationalistes, fédéralistes, trudeauistes! Pendant que le chef de l'Opposition se lamentait sur le coup de force fédéral, le député de Verdun était rendu au premier rang du banquet de Trudeau et l'applaudissait à tout rompre. Pendant que quelques-uns des députés libéraux et, à ce qu'on a pu savoir par ses révélations mêmes, Mme l'ex-députée de Prévost étaient remplis d'émotion à l'idée de devoir voter contre le Québec avec leurs collègues et se plier à la majorité de leur caucus, il y avait Larry Wilson, le président de ce parti, qui endossait le coup de force fédéral. Comment allez-vous replâtrer cela à un moment donné? Quand le Québec et le Canada ne sont pas ensemble, comment faites-vous le choix et quelle est votre priorité? Tant qu'on ne le saura pas... M. le Président, je le dis à n'importe quel pseudoaspirant à n'importe quel poste dans le Parti libéral: Ce qui vous a coûté la victoire ce n'est pas le marketing, ce n'est pas l'organisateur en chef, ce n'est pas parce que vous aviez "canné" toute votre publicité sous la bande référendaire ou que vous pensiez l'emporter aussi aisément que cela. Ce qui vous a coûté la victoire, c'est que, quand on regarde le Parti libéral du Québec, on ne sait pas si, un jour, il est avec le Québec et si, le lendemain, il va abandonner le Québec.

M. le Président, quand Pierre Elliott Trudeau dit, au cours d'une campagne électorale: Je veux négocier avec M. Ryan, je m'entendrais mieux et cela irait mieux si je négociais avec le Parti libéral du Québec plutôt qu'avec le Parti québécois, cela veut dire quoi, vous pensez? C'est bien sûr, M. le Président, que Pierre Elliott Trudeau aimerait mieux négocier avec le Parti libéral du Québec. Avez-vous déjà vu une balayeuse qui n'aime pas un tapis, M. le Président?

Des voix: Ah!

(17 h 20)

M. Charron: Avez-vous la certitude que Pierre Elliott Trudeau ne saurait pas faire de nos amis d'en face des silencieux compagnons parce que Pierre Elliott a donné son opinion sur le Parti libéral du Québec. Il a dit, dans un télégramme qu'il a adressé au premier ministre pour nous féliciter - je n'oserais pas dire sincèrement - de la victoire du 13 avril: "M. le premier ministre du Québec, permettez-moi de vous offrir à vous et au Parti québécois mes plus sincères félicitations à l'occasion de votre victoire

électorale d'hier." Le texte ne dit pas combien de temps a été mis entre chaque mot pour l'écrire.

Je lis le deuxième paragraphe. Vous voyez ce bon vieux Canadien français qui nous représente à Ottawa: "À vrai dire, dit le premier ministre fédéral, les résultats de cette élection n'étonneront vraiment que ceux qui ignorent la prudence légendaire des Québécois qui ont toujours refusé de mettre tous leurs oeufs dans le même panier." Il est encore un tantinet rural, notre excellent ami, le premier ministre du Canada: Le même panier! Ce que votre allié vient de dire, ce que votre allié que vous adorez, pour lequel vous travaillez lorsqu'il y a des élections fédérales, pour lequel la structure de votre parti devient une bouffée dans la machine lorsqu'il y a des élections fédérales, dit c'est que vous êtes le même panier, qu'il vous a dans sa poche, qu'il fait de vous ce qu'il veut, que vous êtes attachés et que quand il voudra que vous choisissiez le Canada plutôt que le Québec, vous allez faire ce que vous avez fait au mois de novembre, vous allez abandonner le Québec et vous allez choisir le Canada. Il dit que vous êtes à sa main, à sa merci. Les Québécois l'ont vu, ils l'ont senti.

Je ne sais pas si c'est la "prudence légendaire", mais j'aime mieux la phrase du chef de l'Opposition dans sa réplique au discours inaugural: Je crois que le peuple, dans sa sagesse historique, disait-il, si je ne me trompe pas, a reconnu ceux qui travaillaient dans la trame de son histoire. C'est ça. Vous avez tout abandonné, vous nous avez accusés de nous être approprié les symboles du Québec. Oh scandale! des députés libéraux dénoncent en pleine Assemblée notre appropriation des symboles du Québec! Qu'est-ce que vous vouliez que nous prenions? Nous sommes à ce point confiants dans le Québec que nous souhaiterions même... Nous sommes convaincus que si la totalité de nos taxes et de nos impôts, nos lois et nos relations extérieures étaient totalement entre nos mains, nous nous débrouillerions aussi bien que n'importe quel autre peuple du monde, alors, nous avons pris le drapeau du Québec et nous le sortons. Lequel vouliez-vous qu'on ait? Celui de L'Acadie pour nous faire mal? Celui de la Louisiane pour nous faire peur? Nous avons pris celui qui nous honore, qui flotte au-dessus de cette Assemblée et qui est celui dans lequel l'immense majorité des Québécois, lorsqu'ils le voient à l'étranger, se ressentent et se reconnaissent.

Mais plutôt que de nous attaquer parce que nous l'avons utilisé, puis-je vous retourner la question: Pourquoi l'avez-vous caché? Qu'est-ce qui vous a obligés, parce que vous étiez fédéralistes, à arborer l'unifolié sans le drapeau du Québec? Pourquoi en est-on rendu que dans vos assemblées c'est devenu gênant? On est péquiste suspect si on arbore le drapeau fleurdelisé. Comment se fait-il que dans vos congrès dès que quelqu'un a une phrase, au micro, qui revendique des pouvoirs pour le Québec il se sente obligé, s'il ne veut pas se faire huer, s'il ne veut pas avoir des comptes à rendre, de terminer par une sérénade fédéraliste qui lui permet de rendre hommages aux montagnes Rocheuses, en passant? Comment se fait-il que dans un parti qui nous a donné la fierté d'être Québécois, lors de la révolution tranquille de 1960, ce sont aujourd'hui presque des symboles à l'index? C'est votre faute. Personne ne vous a obligés à abandonner le drapeau québécois. Personne ne vous a obligés à le faire, mais c'est parce que vous étiez dans le même panier et parce que dans le panier où vous vous trouvez, il n'y a qu'un drapeau, il n'y a qu'un gouvernement qui compte; les autres sont des administrations locales.

Et tant que vous allez travailler... Peut-être pas vous, les membres de cette Asssemblée, jamais je n'oserai le croire, même si les indices se multiplient pour ébranler ma plus féroce crédibilité, mais il ne faut pas aller loin dans la structure qui vous a fait élire pour que vous sentiez vous-mêmes que cette structure appartient d'abord à la machine fédérale et qu'elle vous est prêtée lors des élections provinciales, mais le coeur du Parti libéral, le "hard core" du Parti libéral, c'est d'abord et avant tout la machine fédérale fédéraliste.

En conséquence, ce que vous avez mis en veilleuse, et ce qui vous a coûté l'élection, c'est votre attachement au Québec. Comprenez que quelque parti que ce soit, et nous ne sommes pas éternels ici, je suis même sûr que nous allons commettre un jour suffisamment d'erreurs pour que les gens souhaitent changer de gouvernement et c'est tout à fait légitime... mais une chose dont je suis certain à partir de 1981, c'est qu'il n'y a pas un parti politique qui va venir ici sans que son allégeance au Québec, sa fidélité au Québec soit indubitable et qu'elle soit sans question, parce que le Québec est rendu là au moins.

M. le Président, il me reste la grosse question à poser, ce défi profond que les électeurs et électrices québécois ont lancé au Parti libéral. Ce défi profond d'aller plus loin que la traditionnelle recette du changement de chef qu'hier, tout le monde vantait et qu'aujourd'hui, tout le monde poignarde dans le dos.

M. le Président, je vais leur dire que maintenant que votre faiblesse est si profondément et si publiquement étalée, est-ce que vous êtes capables de vous ramasser comme Québécois? Est-ce que vous êtes capables même dans le même panier d'avoir suffisamment d'audace pour sortir la tête à l'occasion?

M. le Président, ils sont tous convaincus que c'est le coup de force constitutionnel, que c'est l'arrogance de Trudeau qui leur a coûté la victoire. Ils seraient tous ici, ils se voyaient déjà ici, comme dit la chanson, il y a à peine quelque temps. Y a-t-il quelqu'un de votre côté - ça va commencer par là - qui va le dire un jour? Est-il si fort et si grand que ça sur vous pour que vous acceptiez l'humiliation dans laquelle il vous traîne depuis le 20 mai? Depuis le 20 mai, vous avez l'air de matelots en goguette et vous n'avez été consultés en rien sur la réforme constitutionnelle. Le calendrier s'est fait sur votre tête. Vous aviez l'air du dindon de la farce, à un moment donné, au vu et au su de tout le monde. Je ne m'en cache pas, j'étais un des ministres qui recommandaient au premier ministre de retarder l'élection au printemps. J'étais sûr qu'à la longue votre jupon dépasserait; il a non seulement dépassé, mais il était à ce point peu invitant que vous êtes dans l'Opposition pour un autre quatre ans.

M. le Président, la question qu'il me reste à leur poser: Le pouvez-vous? Est-ce que le Parti libéral du Québec peut travailler, peut choisir le Québec dans le Canada, si vous le voulez, mais choisir le Québec d'une manière indubitable, le pouvez-vous avec la structure que vous avez, avec l'alliance que vous avez, avec les amis embarrassants et encombrants que vous avez? Est-ce que je vais vivre assez longtemps dans cette Assemblée, j'ai bien la moitié de mon temps de passé dans cette Assemblée sans aucun doute - je ne cours pas après le record du député de Bonaventure - pour voir une fois dans ma vie, avant de partir d'ici, un député du Parti libéral du Québec qui se lève et qui parle dans les intérêts du Québec, même si cela doit heurter la machine fédérale? Est-ce que cela se peut d'espérer du Parti libéral québécois que cet attachement au Québec qui devrait être, à mes yeux, la condition première qu'un jour dans sa vie professionnelle on en vienne à solliciter d'être un membre de cette Assemblée, un député du Québec, sans être obligé de mettre les sourdines, la caution morale, le salut de circonstance à l'unifolié ou à celui qui l'incarne à Ottawa, du coeur québécois intervienne dans cette Assemblée et dise: Je n'accepte pas que ce que mes ancêtres avaient accepté en 1867 et exigé en 1867 nous soit enlevé. (17 h 30)

Peut-être que l'histoire toute prochaine nous fournira l'occasion d'entendre ce discours historique s'il est appelé à survenir, mais je dois dire que les signes avant-coureurs que nous a laissés le débat sur le discours inaugural ne nous promettent rien de bon à cet égard, M. le Président. Non. Attention! Ce dont vous avez besoin, ce n'est pas un nouveau mirage de renouveau, parce que vous avez vu vous-même au cours de la campagne électorale que le renouveau a sauté assez vite. Vers la fin de la campagne, on voyait rebondir Bourassa -toujours de service, pour ne pas se faire oublier - Saint-Pierre, Castonguay, Toupin et...

Une voix: Camil Samson.

M. Charron: Samson, bien sûr, et comme crémage sur le gâteau, M. le Président - mais cela, vraiment, on aurait pu s'en passer - Louis-Philippe Lacroix. Je pense que le renouveau venait d'en prendre un sérieux coup à ce moment-là. Quand on a vu tous ces anciens de l'ancien régime réapparaître au cours de la campagne, je me souviens d'une remarque qu'un citoyen m'a faite à Shawinigan, dans le comté de mon collègue de l'Énergie et des Ressources; il m'a dit, en parlant de tous ces revenants, dans le cadre du renouveau: C'est bien pour dire, c'est la première année que je vois arriver les corneilles avant les outardes!

Des voix: Ah! Ah!

M. Charron: M. le Président, le renouveau à faire est plus en profondeur que cela et laissez-moi vous raconter cet incident, avant de conclure. Incidemment, l'autre jour, par hasard, dans les couloirs de cette Assemblée, j'ai rencontré un député -on m'a dit qu'ils étaient plusieurs, mais j'en ai vu un - du Parti libéral, qui arborait comme moi le symbole de la fête nationale du Québec. J'ai dit: II y en a un au moins qui a "poigné" la leçon du 13 avril. C'est nouveau. Mais je veux vous dire, M. le Président, au cas où vous croiriez que mon analyse s'arrête là, que je trouve cela très superficiel également comme vous et vous auriez peut-être meilleure grâce à dire à votre collègue qu'il ne suffit pas d'arborer un bouton pour qu'on croie que votre attachement au Québec est revenu. J'ai ici -je pourrais vous le citer, je l'avais apporté au cas où mon discours m'y entraînerait -des citations de votre collègue, le député de Saint-Laurent, le 8 juin 1978 où il nous dénonçait de faire du 24 juin la fête nationale du Québec et où il nous traitait de tous les noms. Les temps ont changé. Je crois qu'il faudrait peut-être raccommoder les esprits.

Une autre aile quelconque est peut-être en train de naître dans le Parti libéral, M. le Président. Vous avez raison, madame, il s'agit d'un geste purement superficiel que posent vos collègues actuellement et j'espère bien qu'à l'intérieur du caucus, si vous y avez encore quelque influence, vous saurez lui faire remarquer que le renouveau qui est demandé maintenant va beaucoup plus loin

que le vocabulaire ou le bouton. Je croirai la sincérité du député qui arbore le bouton et son attachement au Québec, pas s'il arbore le bouton, mais lorsqu'on lui demandera s'il accepte la diminution des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec. Qu'il me dise clairement, aussi clairement et profondément qu'il puisse le ressentir, qu'il ne l'accepte pas, qu'il n'est pas homme à avoir sollicité d'être élu le 13 avril pour accepter, deux mois après, que cette Assemblée perde des pouvoirs pour lesquels il a été élu.

Quant à nous, M. le Président, quant aux militants et aux militantes du Parti québécois, j'endosse l'affirmation qui était la conclusion du député de Jean-Talon. Bien sûr qu'il ne nous faut pas, nous aussi, penser que le vote que notre parti a reçu est un vote en faveur du projet fondamental pour le Québec que nous véhiculons depuis que nous existons. Pas du tout. Mais personne ne peut nier, toutefois, que c'est sur cette base que les militants et les militantes du parti devraient maintenant travailler, à mon avis. Il s'est agi d'un vote de confiance dans le Québec, sans aucun doute et en ce sens un vote de confiance dans le Québec, développé pour le Québec par les Québécois, c'est un vote qui nous permet d'envisager l'avenir avec sérénité. Oui, c'est vrai, mais si vous me permettez, M. le Président, dans les toutes dernières minutes qu'il me reste, je m'adresse à mes propres collègues, cette fois, je ne veux pas ajouter à ce que j'ai cru très sincèrement devoir dire à mes collègues membres du Parti libéral, en m'adressant plus particulièrement à mes collègues et à celles et ceux qui, dans tous les comtés du Québec, ont fait que nous avons tous l'honneur aujourd'hui d'être des députés du Parti québécois, à celles et ceux qui font le Parti québécois depuis douze ans, à celles et ceux qui nous ont donné cette magnifique victoire.

J'ai retrouvé ce qui me manquait, M. le Président, en allant relire cet extraordinaire écrivain et ce grand militant qu'est Pierre Vadeboncoeur. Chaque fois que ma confiance a soif, je retourne m'abreuver chez Vadeboncoeur. Il fallait, M. le Président, que je retrouve des pages qui s'adressent exactement à nous en ce temps-ci.

Nous, les militants et les militantes du Parti québécois et de la souveraineté du Québec, il nous faut désormais plus que jamais insister sur la constance, parce que notre pire travers national, c'est probablement la fragilité. Je suis persuadé que nos adversaires le calculent comme un de leurs atouts et ils n'ont pas tort. Je crois qu'il faut établir clairement, pour les années qui viennent, qu'il y a une contradiction entre un nationalisme impatient, ultranerveux, qui voit les réalités dans une optique de compétition olympique, on gagne, on perd et c'est tout, et, d'autre part -c'est ce que j'ai découvert, M. le Président, depuis le 13 avril, je vous fais cette réflexion - j'ai découvert que j'étais à bord, et les citoyens ont voulu que j'aie une place privilégiée à bord d'un nationalisme permanent, inébranlable, qu'il nous reste encore à solidifier. Je crois que le nationalisme québécois chez certains de nos meilleurs militants, qui me permettront de leur faire ce reproche, n'est pas encore à la mesure de l'histoire qui nous attend. On est hanté par le court terme, le référendum n'a pas aidé en ce sens - je suis prêt à le reconnaître - mais c'était un rendez-vous qu'il fallait avoir. Tout se passe comme s'il fallait une victoire rapide, même facile. Cette conception se rapproche d'une autre conception, d'une opération, comme si c'était un simple détail à franchir. Ce qu'il faut arriver à créer au cours de ce mandat - et notre congrès de décembre prochain devrait être chez nous l'occasion de cimenter cela -ce n'est pas tant un état d'esprit momentané, une simple conjonction plus ou moins fortuite de l'opinion publique qui nous dirait un jour: Nous avons gagné. Je sais que le rendez-vous de l'année dernière était un rendez-vous important, mais il nous a amenés à fixer sur lui d'une façon presque morbide, en tout cas, exclusive, et l'esprit et l'émotivité de notre mouvement.

Si je le dis aussi clairement que cela ce soir, M. le Président, c'est que je m'en accuse; j'en ai moi aussi subi les contrecoups. Le calcul - et nous sommes les héritiers d'un vaste mouvement - risque de s'étrangler dans un passage aussi étroit. Il faut préparer autre chose, il faut tout préparer. Si le coup de force réussit, le Québec en a peut-être pour des années de résistance et de fortunes diverses. Il faut nous occuper, au cours de ce mandat, non pas à faire la souveraineté du Québec, nous n'en avons pas le mandat; l'élection du 13 avril ne nous l'a pas donné non plus. Une chose claire que les citoyens nous ont signalée quand ils manifestaient leur désir de rester forts, c'est que l'équipe qui est ici devrait s'appliquer avec l'Opposition, si celle-ci décide d'y concourir, à rendre le Québec imprenable. Le temps! Il n'y a qu'une chose à laquelle l'adversaire ne peut rien, et cela aussi il le sait: le temps, la continuité d'une politique de fond, toujours la même, appuyée sur une force démocratique encore plus nombreuse et qui ne bascule pas selon les aléas d'une victoire ou d'une défaite dans les élections partielles. Il y aura d'autres élections partielles; les mines que je vois les annoncent déjà. Il est possible, dans les circonscriptions où elles auront lieu, que nous les perdions encore, Soit! C'était onze à zéro, c'est maintenant onze à un, et c'est la dernière qui a compté.

(17 h 40)

II est capital pour nous, au cours de ces quatre ans, de parvenir à cette constance, à cette solidité. C'est l'adversaire qui va faire les faux pas; il en a déjà fait beaucoup: semblant d'ouverture, refus, coup de force, intimidation, mystification. Rien, jusqu'ici, n'a prévalu. Si nous sommes ici avec la confiance toute fraîche des citoyens du Québec, il n'y a pas là découragement. Rien n'a prévalu dans les tactiques utilisées par l'adversaire. Quand je parle de l'adversaire, tout le monde sait bien que par eux, en face, je m'adresse à ceux qu'ils représentent ici dans cette Assemblée, c'est-à-dire la vraie tête, le vrai coeur et le vrai leadership de leur parti politique dont ils sont ici la branche provinciale qui fait ce qu'elle peut, lorsqu'elle le peut, dans le même panier. Lorsque la liberté lui est laissée d'agir, elle le fait; lorsqu'elle doit prendre son rang, elle le prend, mais ce que je souhaite, en tout cas, quels que soient les calculs que nous puissions faire, M. le Président - et je le dis avec confiance -c'est que ce soit fait avec confiance.

En ce qui me concerne, si vous le demandiez à des citoyens de Saint-Jacques que j'évoquais au tout début de mon intervention, presque deux sur trois m'ont dit le 13 avril que, quant à eux, ils n'hésitaient pas à répondre à l'invitation du premier ministre de mettre le cap sur l'avenir.

Merci, M. le Président.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît. Fin du débat sur le message inaugural. M. le leader du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, est-ce qu'on permettrait de suspendre jusqu'à 19 h 30, alors qu'on veut entamer l'intervention du ministre d'État au Développement social. Je suis prêt à me rendre...

M. Levesque (Bonaventure): Non. On va continuer.

M. Charron: On peut continuer? Si jamais, par contre, le discours du ministre d'État devait se poursuivre jusqu'à 18 h 05 est-ce qu'il y aurait consentement? On m'a dit que c'était pour quelques minutes à peine.

Le Président: Oui.

M. Charron: Bien, M. le Président. Je vous prierais d'appeler l'article 5 du feuilleton, s'il vous plaît.

Projet de loi no 10 Deuxième lecture

Le Président: J'appelle donc la deuxième lecture du projet de loi no 10, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse.

M. le ministre d'État au Développement social.

M. Denis Lazure

M. Lazure: M. le Président, la Loi sur la protection de la jeunesse a fait l'objet, depuis quelque temps, d'un certain nombre de critiques dont plusieurs fondées et un certain nombre, d'autre part, qui résistent mal à l'examen et qui découlent plutôt d'un certain préjugé que plusieurs sociétés peuvent entretenir à l'égard du jeune délinquant aussi bien qu'à l'égard d'autres groupes de la société, qu'il s'agisse de malades mentaux ou qu'il s'agisse d'ex-prisonniers.

Je voudrais d'abord rappeler que cette loi no 24 a été adoptée à l'unanimité par cette Assemblée, ce qui est quand même un fait assez rare, et elle a été adoptée à l'unanimité par tous les partis politiques de cette Assemblée, après de longues discussions en commission parlementaire. Elle remplaçait une loi datant de 1950. Toutes et tous étaient d'accord pour revoir cette loi qui accusait un retard d'environ 27 ou 28 ans. Au-delà de 70 amendements furent apportés par le gouvernement du Parti québécois, au moment où le projet de loi franchissait les différentes étapes. Cette loi entrait en vigueur en janvier 1979.

M. le Président, je pense qu'il peut être utile de nous rafraîchir la mémoire et de lire rapidement un paragraphe des notes explicatives du projet de loi no 24. Nous remontons à 1977. "Ce projet vise essentiellement à assurer la protection et la réinsertion familiale et sociale de tout enfant dont la sécurité ou le développement est compromis ou qui a commis un acte contraire à une loi ou un règlement du Québec. À ces fins, le projet prévoit notamment que les décisions prises à l'égard d'un jeune doivent tendre à le maintenir dans son milieu naturel."

Je me permets de citer, M. le Président, une partie d'une lettre envoyée au journal La Presse, le 19 mai, donc tout récemment, par un M. Bernard Desjardins de l'équipe locale du comité de la protection de la jeunesse à Saint-Jérôme. Parce que je pense que les quelques paragraphes que je vais citer résument très bien les objectifs de cette loi no 24 et les difficultés d'application d'une nouvelle philosophie qui est véhiculée, qui est transmise par cette loi no 24.

Alors, je cite sa conclusion: "Cette loi ouvre la voie à la création d'approches diversifiées pour aider un jeune à vivre plus adéquatement dans son milieu. En effet, cette loi reconnaît aux jeunes et aux parents concernés le droit et la possibilité de

résoudre leurs difficultés. Elle reconnaît l'importance pour le milieu de se prendre en charge. Elle demande aux intervenants et à la communauté de s'impliquer. Elle doit être améliorée, mais elle doit être aussi comprise. C'est une loi d'avant-garde, exigeante qui demande un engagement de tous. C'est le défi à relever, c'est toujours le défi qui nous attend."

Donc, je disais que cette loi entrait en vigueur un an environ après son adoption unanime dans cette Assemblée. Pourquoi un an? Parce que, précisément, nous avons voulu - par ce que nous avons appelé une mission d'implantation, des représentants des affaires sociales, des représentants de la justice -aller partout dans les régions du Québec expliquer cette loi. C'est à ce moment-là que nous avons rencontré au-delà de 5000 personnes, aussi bien des policiers dans toutes les régions du Québec que des enseignants dans le réseau scolaire, que des travailleurs sociaux, des psychologues dans le réseau des affaires sociales.

Un des éléments fondamentaux de la loi fait en sorte que toute infraction commise par un jeune est soumise au directeur du Comité de la protection de la jeunesse. C'est un mécanisme entièrement nouveau. On va se rappeler qu'autrefois le jeune, dans bien des cas, lorsqu'il commettait une infraction, était amené au poste de police et, selon la discrétion du policier, pouvait être relâché au soin de ses parents, avec certaines recommandations, ou être déféré, ce qui arrivait très souvent, à la Cour du bien-être social qu'on appelait autrefois la Cour juvénile. Un des aspects fondamentaux de la loi no 24 dit que tout enfant qui a commis une infraction ou dont le développement est menacé - là, c'est l'aspect protection de la jeunesse - doit être signalé à un directeur du Comité de la protection de la jeunesse, qui existe et qu'on retrouve dans chacun des quatorze centres de services sociaux du Québec. Le directeur du Comité de la protection de la jeunesse, de concert avec une personne désignée par le ministère de la Justice, doit décider si l'infraction commise ou le besoin de protection est tel que l'enfant doit être déféré au Tribunal de la jeunesse. Au contraire, si certaines mesures volontaires - des mesures qu'on dit volontaires, c'est-à-dire discutées avec la famille, avec le travailleur social ou avec l'école - peuvent être convenues de part et d'autre sous forme d'une espèce de contrat, l'enfant n'a pas besoin d'aller devant le Tribunal de la jeunesse. C'est ce qu'on appelle la primauté de l'intervention sociale par rapport à l'intervention judiciaire. Cela veut dire que la société veut relever le défi, en rapport avec la grande majorité des cas signalés de jeunes qui ont des problèmes de comportement, qu'une approche sociale pédagogique peut suffire non seulement pour contrôler le comportement du jeune, mais aussi pour prévenir l'aggravation de tels comportements. (17 h 50)

Alors, cette période qui s'est écoulée depuis la mise en vigueur de la loi, un peu plus de deux ans, nous a permis de dépister, évidemment, certaines corrections qu'il fallait apporter. Le projet de loi que nous avons déposé ces jours derniers, le projet de loi no 10, vise essentiellement à améliorer le fonctionnement de cette loi tout en maintenant, en gardant cette philosophie fondamentale sur laquelle, d'ailleurs, tous les partis politiques en cette Chambre ont été d'accord.

J'ai parlé tantôt de certains préjugés ou même de certaines exagérations qui ont été placés, si vous voulez, sur le dos de la loi no 24. La loi no 24, à bien des égards, est devenue un peu le bouc émissaire. Je veux m'arrêter un petit moment à cette croyance populaire qui a été véhiculée par des représentants autant du réseau social que du réseau de la justice, réseau policier, à savoir que la loi no 24 était responsable de l'augmentation du taux de délinquance. Or, M. le Président, je viens de recevoir a l'instant les chiffres les plus récents pour le Québec et je vais citer d'autres chiffres tantôt. Pour le Québec, nous avons les chiffres complets pour deux années: l'année 1979-1980, l'année où la nouvelle loi est entrée en vigueur, et l'année 1980-1981. Le nombre total de cas d'enfants signalés à travers tout le Québec en 1979-1980 était de 54,291. Et, tenez-vous bien, M. le Président, pour l'année 1980-1981, il est de 54,146, contrairement à cette croyance populaire qui est devenue un gros ballon. Et Dieu sait que ce ballon a été utilisé aussi durant la campagne électorale; je pourrais citer un article du journal La Presse où, justement, un travailleur social de Montréal, après la campagne électorale, a dénoncé "le charriage qui a été véhiculé dans les médias par rapport à toutes sortes de calamités, toutes sortes de problèmes sociaux qu'on attribuait à la loi 24." C'est un exemple d'exagération grossière et souvent les gens prennent pour acquis qu'il y a eu une augmentation de la délinquance depuis la loi 24 et c'est faux.

Dans ces 54,000 cas, il y en a un certain pourcentage qui se sont rendus au niveau du tribunal. C'est une autre fausseté qu'on a véhiculée. Souvent, les gens ont dit: Depuis la loi 24, le jeune s'en tire sans aucune discipline, sans aucune comparution devant le tribunal et c'est le manque de contrôle total. Faux. Il y a deux ans, pour la région de Montréal seulement et la population francophone, les jeunes qui relèvent du Centre des services sociaux du Montréal métropolitain, donc, francophones, par opposition à Ville-Marie ou au CSS juif, de tous les enfants qui ont été signalés au

directeur de la protection de la jeunesse, 39% ont été traduits devant le Tribunal de la jeunesse. 39%, ce n'est pas rien. L'an passé, 51% ont été traduits; donc, une augmentation et non pas une diminution du nombre de jeunes qui doivent, à cause de leur comportement "criminel, délinquant", comparaître devant un juge du Tribunal de la jeunesse.

Dans le magazine Maclean du mois de mai, sous le titre Statistics that's scared society, il y a un reportage-entrevue du sénateur Florence Bird. Le sénateur Bird a présidé un comité fédéral qui a étudié pendant plusieurs mois la délinquance au Canada. Ce qu'elle a à dire vient confirmer ce que je disais tantôt: L'augmentation de la délinquance juvénile qu'on n'a pas ressentie particulièrement depuis deux ans au Québec, où ça s'est stabilisé, mais cette augmentation, elle est survenue dans l'ensemble du Canada de 1974 à 1978, rien à faire avec la loi 24; cette augmentation, d'après le sénateur Bird, était de 60% de 1974 à 1978. Je pense, personnellement, que ces chiffres sont à peu près conformes à une réalité, non seulement au Canada, mais en Amérique du Nord et probablement au Québec aussi.

M. le Président, bien avant que la loi 24 entre en vigueur, c'est-à-dire janvier 1979, on a assisté à une augmentation assez impressionnante du taux de délinquance au Canada, y compris au Québec. Depuis l'entrée en vigueur de la loi 24, on se rend compte qu'il y a, à toutes fins utiles, stabilité, qu'il y a un plafonnement et que le nombre de jeunes, qui ont été signalés, non seulement n'a pas augmenté, mais a diminué d'une centaine sur 54 000, ce qui évidemment n'est pas tellement significatif.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que je peux poser une question au ministre?

M. Lazure: Pardon?

Le Vice-Président (M. Rancourt): Si le ministre veut bien vous donner la parole.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais simplement vous demander si vous avez des statistiques pour les années antérieures et si vous pourriez nous les donner?

M. Lazure: Oui, la seule année antérieure que j'ai ici dans le même tableau qu'on vient de me remettre, il y a quelques minutes, c'est l'année 1977. Le nombre d'enfants signalés alors était de 42 000, mais il faut bien comprendre qu'il s'est écoulé deux ans entre cette statistique et les deux autres que je viens de mentionner. C'était 42 000 enfants signalés dont 8400 cas de protection et 3800 cas de délinquance.

M. le Président, on me permettra de citer encore quelques remarques qui paraissent dans un journal, récemment, Le Journal de Montréal du 10 avril 1981. Le titre de cet article: La loi 24, une loi critiquée qui ne commence qu'a grandir. Je pense que l'article en entier est fort intéressant, mais à cause du temps, je vais en citer seulement quelques paragraphes. Il s'agit de déclarations des deux directeurs de la protection de la jeunesse à Montréal, M. Laurier Boucher, qui est directeur de la protection pour le Centre des services sociaux Ville-Marie, anglophone, et M. Perreault, directeur de la protection du côté francophone. Ces deux messieurs disent: "Le taux d'augmentation de la délinquance est un phénomène social et ne doit pas être relié nécessairement à loi 24. Il est malheureux de voir que beaucoup de gens pensent ainsi." Ces deux personnes se disent très choquées par des critiques qui ont complètement passé à côté des données réelles, des données statistiques que j'ai mentionnées tantôt. Ces deux personnes, ces deux directeurs de la protection de la jeunesse continuent en disant: "II est vraiment malheureux d'entendre de telles choses. Il va sans dire que le système, à l'heure actuelle, n'est pas parfait, mais les résultats sont encourageants. Il ne fallait pas s'attendre que l'ensemble des intervenants, tels que les policiers, les travailleurs sociaux, n'aient pas de divergences sur l'application de cette loi. Les idéologies de base ne sont pas les mêmes." Ce sont les paroles de MM. Boucher et Perreault. "On peut dire que dans les premiers mois, on s'est plutôt écrit que parlé. Toutefois, lors de récentes réunions -c'est en avril 1981 - avec les policiers, nous avons conclu de discuter des cas beaucoup plus directement. À notre avis, une difficulté importante, autant pour les administrateurs que pour les intervenants, est reliée à la méconnaissance de la loi. Cela peut sembler étrange, mais, à la pratique, nous nous sommes aperçus que chaque établissement du réseau des Affaires sociales, pour ne pas dire chaque intervenant, concevait différemment l'application de la loi. Nous en sommes maintenant à élaborer une même ligne de pensée", de souligner M. Perreault. (18 heures)

Et enfin, dernière citation: "Cette loi amène aux jeunes un grand réconfort." On conclut en disant qu'à toutes fins utiles, "il s'agit d'une loi qui voulait changer de façon très radicale une approche qu'adopte une société vis-à-vis des jeunes qui viennent ou bien enfreindre une loi ou un règlement ou encore des jeunes qui ont besoin de protection."

Devant les travaux que nous avons pu suivre l'an passé à l'occasion du colloque qui a été organisé par les ministères de la Justice, des Affaires sociales et du Développement social et auquel ont participé

tous les gens concernés dans le milieu. Nous avons recueilli à ce moment-là plusieurs recommandations, plusieurs suggestions.

Le projet de loi qui est devant nous aujourd'hui pour étude en deuxième lecture, je le répète, a pour but de maintenir la philosophie essentielle sur laquelle tout le monde est d'accord. Ce projet de loi a déjà été cité comme un modèle de législation sociale dans d'autres pays. Ce projet de loi a été cité au Canada, que ce soit au Parlement fédéral ou dans d'autres Parlements provinciaux, comme une législation qu'il fallait imiter.

M. le Président, nous disons: À la lumière de l'expérience, améliorons le fonctionnement et nous verrons, à l'occasion de l'étude article par article, qu'il y a plusieurs articles qui viennent encadrer de façon un peu plus serrée, un peu plus rigide l'application de la loi. J'en donne un exemple. La loi 24 permet au tribunal de décréter un hébergement obligatoire, l'équivalent d'une cure fermée, d'un internement, à un jeune de 14 à 18 ans, d'une durée de trois mois, avec renouvellement, toujours par un juge du Tribunal de la jeunesse, pour un total de six mois. Cette fois-ci, le projet de loi suggère d'étendre cette période de trois mois à six mois dans un premier temps, renouvelable une fois, donc, pour un total de douze mois. Nous passons d'un total de six mois, dans la loi 24, à un total de douze mois d'hébergement obligatoire parce qu'on nous a fait comprendre que, pour bien des jeunes, il était nécessaire d'allonger le séjour en centre d'accueil pour que les méthodes de réadaptation puissent porter fruit.

Or, M. le Président, je vous le dis tout de suite, je le dis tout de suite à cette Assemblée, plusieurs des intervenants, dans le réseau social autant que dans le réseau de la justice, pensent que nous devrions allonger encore plus, que nous devrions aller jusqu'à vingt-quatre mois d'hébergement obligatoire. En d'autres termes, passer de six mois à vingt-quatre mois. Nous pensons qu'une telle augmentation du séjour obligatoire est exagérée, et nous proposons de doubler la durée actuelle de ce séjour obligatoire.

Dernier exemple, si vous voulez, dans l'état actuel de la loi 24, un jeune qui enfreint un règlement du Code de la route -vitesse excessive, ou encore, un règlement municipal de stationnement - doit être signalé au directeur de la protection de la jeunesse et passer à travers toutes les procédures qui sont assez compliquées et assez longues. Devant l'avalanche de centaines de ces jeunes, qui, chaque année, enfreignent un règlement municipal de stationnement ou encore le Code de la route pour infractions mineures, nous avons décidé, pour alléger la situation et ne pas nuire aux autres vrais cas de protection ou de délinquance, d'exclure ces cas de la loi 24 et ceux-ci iront directement au Tribunal de la jeunesse, sauf dans le cas de deux types d'infractions graves, c'est-à-dire la conduite dangereuse et le délit de fuite.

Ceci aura pour effet, dans plusieurs régions, d'accélérer le cheminement des autres jeunes qui ont véritablement besoin de protection ou encore doivent être impliqués à cause d'une infraction à un règlement ou à une loi.

M. le Président, nous déposons ce projet parce qu'on sait qu'en décembre l'Assemblée nationale n'avait pas eu le temps d'adopter le projet de loi no 22, qui est essentiellement repris dans ce projet de loi no 10. Le projet de loi no 22, qui avait été justement rédigé à la suite de nombreuses consultations, est légèrement modifié et, nous le pensons, amélioré, pour devenir le projet de loi no 10 et nous sommes à l'avance convaincus que l'Opposition va collaborer à l'étude minutieuse de ce projet de loi. Nous n'avons pas de position dogmatique quoi qu'on en pense vis-à-vis de ce projet de loi. Notre souci majeur est de maintenir la philosophie sociale qui a présidé à l'élaboration de la Loi sur la protection de la jeunesse. Nous pensons que l'expérience, qui est très courte à ce jour, est convaincante, puisque le pourcentage de délinquance n'a certainement augmenté depuis que la loi est en vigueur, d'une part, et que, d'autre part, pratiquement tous les jeunes ont pu être signalés aux différents centres de services sociaux, ce qui n'était pas le cas avant l'adoption de la loi 24.

Alors, M. le Président, nous serons très attentifs en commission parlementaire à toutes les suggestions qui pourront nous être offertes par l'Opposition. Je compte bien que nous pourrons adopter ce projet de loi avant l'ajournement de l'été, afin que nous puissions avoir un meilleur fonctionnement de la Loi sur la protection de la jeunesse. Merci.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, j'aimerais demander l'ajournement du débat, s'il vous plaît.

M. Lazure: La suspension.

Mme Lavoie-Roux: La suspension, pardon.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Nos travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 8)

(Reprise de la séance à 20 h 10)

Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

Veuillez vous asseoir.

Reprise de la deuxième lecture du projet de loi no 10, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse. La parole est à Mme la députée de L'Acadie.

Mme Thérèse Lavoie-Roux

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de participer au débat sur le projet de loi no 10 qui modifie des dispositions de la loi no 24, intitulée Loi sur la protection de la jeunesse.

Comme le faisait remarquer le ministre d'État au Développement social, cette loi fut adoptée en décembre 1977 à l'unanimité de la Chambre. Ce fut là une des occasions où, d'un côté comme de l'autre de la Chambre, je crois, nous avons tenté par tous les moyens possibles d'améliorer cette loi parce qu'elle devait servir, au bout de la ligne, les jeunes de la société québécoise. Je pense que, sur un sujet aussi délicat que celui-là, c'était vraiment une occasion d'aller au-delà des liqnes du parti et c'est dans le même esprit que je voudrais le faire ce soir. Si je devrai critiquer certaines négligences du gouvernement, il reste que c'est quand même avec l'objectif que, peut-être ensemble, nous puissions améliorer le projet de loi no 10. Même si les propos du leader du gouvernement, qui ont été assez démagogiquement partisans avant le souper, pourraient m'inspirer aussi des propos partisans, je m'en abstiendrai et m'en tiendrai uniquement à ce projet de loi no 10 qui, encore une fois, vient modifier la Loi sur la protection de la jeunesse.

Je pense qu'il est peut-être bon de rappeler que le travail qui a conduit à l'adoption de la loi no 24 a été une entreprise de réforme qui s'est échelonnée sur environ six ans. En décembre 1972, il y avait eu un projet déposé à l'Assemblée nationale qui a rencontré passablement de difficultés, de remarques et de contestation. C'était, quand même, un effort dans le but de rajeunir la loi qui remontait à 1950 et qui touchait les jeunes. En 1974, l'Assemblée nationale adoptait une loi concernant les enfants soumis à des mauvais traitements. À ce moment-là, on assistait à la création du Comité de la protection de la jeunesse. Il faut dire que cette loi, en l'absence d'une loi plus globale, a rendu des services très considérables aux jeunes du Québec. En 1975, l'ancien ministre des Affaires sociales, mon collègue de Saint-Laurent, avait présenté un avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse qui avait d'ailleurs subi l'épreuve de la commission parlementaire et, finalement, l'élection étant déclenchée, en 1976, le gouvernement actuel présenta un nouveau projet qui fut adopté en 1977.

Ce que je veux dire, c'est que cette longue marche ne fut pas une démarche inutile. Chaque projet de loi a fait évoluer et progresser la réflexion sur ce problème très complexe de la protection de la jeunesse. Je pense qu'il faut, à cette occasion, remercier tous les organismes, tous les citoyens intéressés, tous les professionnels et les individus qui, constamment, ont suivi cette démarche des différents gouvernements pour aboutir à la loi 24. Aujourd'hui, je pense qu'ils continuent de suivre la démarche que nous faisons présentement par la loi 10. J'aurai l'occasion d'y revenir.

Il est peut-être bon de rappeler ce qui me paraît être les deux principes les plus importants qui étaient le fondement de la loi 24, soit, d'une part, reconnaître l'enfant comme sujet de droit, c'est-à-dire reconnaître l'enfant comme membre à part entière de la société, avec des droits et des libertés fondamentales, malgré sa situation de dépendance. Les adultes avaient déjà, lorsqu'ils avaient besoin d'aide ou de protection ou qu'ils étaient reconnus comme délinquants, des dispositions qui assuraient leurs droits et libertés. Justement parce qu'on considérait que les enfants étaient très dépendants de leurs parents, on avait omis, jusqu'à ce moment-là, de leur reconnaître devant la société - dans la justice en particulier - ces mêmes droits qu'on reconnaît aux adultes. Ces droits, entre autres, étaient le droit de demeurer dans le milieu familial le plus possible, et ceci venait contrer une tendance malheureusement fort répandue chez nous, pour une foule de raisons que je ne développerai pas, de très facilement placer des enfants en institution.

Il ne faut pas oublier que, culturellement, c'est le cas de le dire, et historiquement, pour plusieurs d'entre nous, et pour des raisons plus ou moins diverses -peut-être pas les plus jeunes, mais les aînés l'institution faisait presque partie de l'éducation des enfants. Il y avait déjà ce modèle chez nous qu'on a continué d'appliquer mais, un peu plus tard, on l'a appliqué davantage aux enfants qui présentaient des problèmes ou dont les situations familiales étaient difficiles. De même, on faisait appel d'une façon très importante au placement en familles d'accueil, ce qu'on appelait, à l'époque, les foyers nourriciers. Le Québec détenait le championnat, si je ne m'abuse; en tout cas il était presque le champion du placement des enfants en institutions et en foyers nourriciers. La loi prévoyait aussi comme droits à l'enfant le droit d'être informé, le droit d'être consulté et le droit de consulter et d'être représenté par un avocat au Tribunal de la jeunesse. Je ne m'étendrai pas davantage sur ces droits. Ce sont simplement des exemples pour indiquer que ce que la

population a parfois tendance à interpréter comme une sorte de laxisme vis-à-vis des jeunes est en fait le résultat d'une évolution heureuse, je pense, des mentalités à l'égard de la reconnaissance des droits des enfants et des jeunes comme des individus à part entière.

Le deuxième principe est celui de la déjudiciarisation, c'est-à-dire limiter au minimum l'intervention judiciaire compte tenu de l'importance de la dimension sociale des problèmes des jeunes, compte tenu de la très grande difficulté à faire la distinction entre les cas où il faut protéger les jeunes contre eux-mêmes ou encore les jeunes contre certaines interventions. C'est d'ailleurs ici que se situe le noeud du problème quand on vient dans l'application de ce principe de déjudiciarisation, M. le Président. Il y avait d'autres principes, mais je n'y reviens pas. Ces deux-là m'apparaissent les plus importants.

Le ministre d'État au Développement social avait raison de rappeler que la loi 24 a été et est encore l'objet de nombreuses critiques. Je voudrais immédiatement faire valoir quand même les résultats très positifs que l'application de la loi a eus du moins en partie. Je reviendrai un peu plus tard sur les aspects négatifs. Au point de vue de la prévention, je pense que la loi 24 avec les mécanismes et les dispositions qu'elle contenait a permis une prévention beaucoup plus hâtive par le truchement des signalements et c'est comme ça qu'on a assisté à une augmentation considérable de signalements puisque dans la loi on fait l'obligation à certaines personnes, à certains organismes de signaler les cas. On a également, comme je le disais tout à l'heure, permis la reconnaissance des droits de l'enfant. On a établi des mécanismes de révision plus adéquats qui ont contré ces séjours trop longs et souvent inopportuns d'enfants en institution ou dans des familles d'accueil et on a également, je pense, trouvé des procédures, là où des procédures judiciaires devaient être utilisées, beaucoup plus appropriées aux besoins des jeunes.

Quand cette loi fut adoptée à l'unanimité, je pense que ce fut avec enthousiasme par l'ensemble de l'Assemblée nationale, mais c'est aussi avec beaucoup de modestie et de prudence qu'elle fut mise en application; il s'est écoulé probablement deux ans, en fait, avant qu'elle n'entre en vigueur. Elle n'est entrée en vigueur qu'en janvier 1979 et il y a eu cette mission d'implantation à laquelle le ministre a fait allusion tout à l'heure. (20 h 20)

Ceci étant dit, comme le ministre semblait l'indiquer, bien qu'il ait reconnu qu'il y ait certains problèmes de fonctionnement, tout est-il aussi positif qu'il a voulu le laisser entendre? Je reconnaissais un peu l'ancien ministre des Affaires sociales quand on soulevait un problème dans cette Chambre. Finalement, c'était un peu l'imagination de tout le monde et les choses allaient généralement bien. Je ne lui répéterai pas certains incidents pour ne pas soulever de polémique. Je pense que son approche, qui se voulait positive à l'égard de la loi 24, a fait déborder son enthousiasme et il n'a peut-être pas souligné suffisamment les carences que l'on retrouve dans l'application de la loi 24.

Si la loi 24, à l'heure actuelle, est l'objet de critiques, pas toujours fondées, c'est exact, je pense qu'il faudrait peut-être que le gouvernement fasse son examen de conscience. D'une part, dès avril 1979, cette mission qui devait voir à l'implantation de la loi 24 avait signalé au gouvernement une série d'amendements et de points particuliers qui auraient dû faire immédiatement l'objet d'amendements. On peut se demander, à ce moment-ci, pourquoi le gouvernement a tant tardé à agir, contribuant par le fait même à augmenter certains problèmes d'application et, ce qui est encore plus grave, je pense, à inquiéter davantage les citoyens sur la nature ou l'application de cette loi.

On peut également reprocher au gouvernement, et en particulier au ministre de la Justice qu'en dépit du fait qu'une réglementation extrêmement importante était prévue à l'article 132, entre autres sur la déjudiciarisation, la loi a été adoptée en décembre 1977; il y a eu la période d'implantation qui aurait quand même pu aussi permettre l'élaboration de règlements au moins dans certains domaines où on avait les données nécessaires. Nous nous retrouvons à ce moment-ci, en juin 1981, presque trois ans et demi plus tard, toujours devant l'absence de toute réglementation. Je pense qu'il faut le dire: Le ministre de la Justice, du moins en ce qui touche les critères de déjudiciarisation qui n'ont jamais été établis, à mon point de vue, a manqué à ses responsabilités.

Je voudrais simplement vous citer non pas ma propre opinion, mais celle du Comité de la protection de la jeunesse qui se prononçait, je pense, en décembre 1980 et qui affirmait: "Le comité considère donc comme prioritaire la clarification de la notion de déjudiciarisation et l'établissement de critères précis pour son application." Je pense qu'on a là une partie du noeud du problème. Vous vous souviendrez que, dans l'application de cette loi, de nombreux intervenants - je m'excuse de la redondance - interviennent. On se trouvait vis-à-vis, entre autres, des professionnels qui ne partageaient pas toujours les mêmes points de vue, les uns se réclamant toujours d'une expérience clinique alors que les autres se réclamaient d'une expérience juridique, si bien qu'en plus des heurts qu'on devait

normalement ressentir on se trouvait devant une absence totale de critères qui auraient permis, au moins en grande partie, de diminuer les conflits et les critiques dont la loi a été l'objet. C'est dans ce sens, je pense, que la responsabilité du gouvernement a été assez importante.

On n'a pas, non plus, défini les règlements touchant les modalités selon lesquelles l'enfant et ses parents peuvent donner leur consentement pour ce qu'on appelle les mesures volontaires dans la loi. On ne sait pas de quelle façon l'enfant est protégé quand il dit oui aux mesures volontaires. Est-ce que vraiment on lui donne le temps d'exercer sa liberté complètement ou si c'est sur le champ ou dans quelques heures que l'enfant doit se prononcer dans un sens ou dans l'autre? Est-ce une approbation verbale? une approbation écrite? est-ce qu'il peut la révoquer? Enfin, une foule de détails. Mais ce qui demeure le plus important, M. le Président, dans cette question de consentement à l'application de mesures volontaires par l'enfant, c'est que vraiment sa liberté et ses droits soient respectés. C'est pour ça qu'il aurait été extrêmement important que les règlements soient énoncés d'une façon très claire de telle sorte qu'on soit sûr que cette liberté et ces droits de l'enfant sont respectés en totalité et qu'il ne donne pas son consentement sous l'influence de pressions indues ou même, dans certains cas, d'un certain chantage, que ceci provienne des intervenants sociaux ou juridiques ou même de ses parents. Là-dessus, je dois dire que le gouvernement n'a pas montré non plus beaucoup d'imagination.

Il faut également déplorer qu'aujourd'hui, devant la loi qui nous est présentée, la loi 10, qui sans doute améliore certains points sur lesquels je reviendrai, le gouvernement, après quand même deux ans d'application de la loi, alors qu'on a acquis une certaine expérience, qu'on a un vécu de la loi avec ses problèmes, ses bons points et ses moins bons points, nous arrive strictement avec la loi 10 qui est une réplique de la loi 22, comme le ministre lui-même l'a signalé, et qui vient somme toute ne corriger que des points mineurs, sauf un en particulier qui d'ailleurs soulève beaucoup de débats. Pourtant, quand vous regardez les protestations ou les représentations qui nous ont été faites et qui ont dû être faites au gouvernement également, on s'étonne que le gouvernement dise: Nous allons de l'avant et nous adoptons la loi 10.

Je ne sais pas si l'ouverture que le leader du gouvernement avait faite, quand je lui ai demandé s'il y aurait une commission parlementaire, disant: On n'est pas complètement fermé, ce serait possible... Comme c'est peut-être ici la seule occasion que j'aurai de faire valoir les points de vue des personnes qui peut-être seront ou ne seront pas entendues dans une commission parlementaire qui pourrait être appelée après le discours de deuxième lecture, comme on en a fait l'expérience au sujet d'autres lois, je vais au moins vous les lire rapidement, M. le Président, afin qu'on réalise bien qu'il y a eu des demandes dans ce sens-là.

Je vous lis ici le télégramme qui a été adressé par la présidente du Conseil provincial des associations de femmes diplômées des universités de Montréal qui, m'a-t-on dit, ont un comité qui, actuellement, travaille à une révision en profondeur de la loi 24.

Je les cite. "Les amendements proposés à la Loi sur la protection de la jeunesse ne touchant pas les problèmes fondamentaux de cette loi, nous espérons et réclamons qu'une commission parlementaire soit convoquée pour discuter le fond de la loi dont dépend l'avenir de nos enfants et pas seulement les modalités de mise en vigueur."

Vous avez également l'opinion de la Commission des services juridiques qui, elle, a donné une opinion vers la mi-mars, si ma mémoire est bonne, et qui dit au sujet de la loi 24, la loi 10 étant une réplique de la loi 24: "La Commission des services juridiques est très déçue de ce projet de loi. En effet, comme beaucoup d'autres intervenants oeuvrant en matière de jeunesse, la Commission des services juridiques avait fait connaître aux autorités gouvernementales les problèmes qu'engendrait l'application de la loi 24. De plus, la Commission des services juridiques a préparé à l'intention du législateur un mémoire faisant état des modifications législatives nécessaires pour faire de la loi 24 une loi opérationnelle et qui, en même temps, respecte les droits de l'enfant".

Vous avez également le Barreau. Si on se réfère à un article du Barreau, une étude qui a paru dans la Revue du Barreau de novembre - décembre 1980, on y retrouve également un grand nombre de suggestions extrêmement importantes. On réexamine la loi 24 sous de nombreux angles. On demande au gouvernement de réexaminer la loi 24 en profondeur. (20 h 30)

II ne s'agit pas, et certainement pas dans l'esprit de l'Opposition, de remettre en cause le fondement même de la loi 24 qui, comme nous l'avons dit tout à l'heure, est d'assurer une meilleure protection, le respect des enfants, la déjudiciarisation, etc., mais vraiment, quant à s'attabler pour amender la loi 24, que nous le fassions en profondeur.

M. le Président, au sujet de la loi 10, si je m'en tiens à la loi 10, je voudrais également vous faire part de plusieurs représentations qui nous ont été faites. Je suis sûre que le ministre en a copie. Par exemple, au sujet de l'article 22 de la loi 10 qui vient modifier l'article 91. C'est celui

auquel le ministre, tout à l'heure, a fait allusion assez brièvement disant qu'on avait allongé le délai pour le placement obligatoire en centre d'accueil sécuritaire de trois mois à six mois et qu'il pouvait être renouvelé à un an.

M. le Président, j'aimerais que le ministre, dans ses réponses, nous donne la raison pour avoir maintenu ce délai d'un an alors que différents groupes, en passant des centres d'accueil aux familles d'accueil, à la table centrale de consultation et de concertation qui, j'imagine, doit être un interlocuteur privilégié du gouvernement -c'est une table centrale de consultation et de concertation sur la Loi sur la protection de la jeunesse - toutes ces personnes s'entendent, sans compter d'autres témoignages dont ceux qui viennent du Barreau d'ailleurs, pour dire qu'il est irréaliste et qu'il n'est pas sage de mettre une limite de temps.

Je veux quand même dire au ministre, M. le Président, par votre entremise, que je suis sensible à certaines inquiétudes que le ministre a probablement, à savoir que, si on impose, par exemple, deux ans comme certains l'ont suggéré, il y a là danger de retomber dans les problèmes qu'on a voulu corriger avec la loi no 24. Mais j'aimerais que le ministre examine la possibilité d'inclure, soit dans les règlements, soit dans le projet de loi lui-même, la possibilité d'un mécanisme de révision automatique qui ne ramènerait pas l'enfant devant le tribunal, mais qui, d'un autre côté, ne permettrait pas qu'on oublie l'enfant ou qu'on lui impose inutilement une sentence trop sévère.

Quoi qu'il en soit, ce sont là des personnes qui travaillent quotidiennement. Il semble y avoir une telle unanimité à l'idée de ne pas inclure de maximum dans le projet de loi, compte tenu qu'en vertu de l'article 95, le jeune peut toujours adresser une demande au tribunal, que le Comité de la protection de la jeunesse peut intervenir pour faire réviser des décisions, qu'il y a quand même là certaines garanties que les droits de l'enfant sont respectés. Mais cela n'est peut-être pas suffisant. Je pense que tous ensemble, on devrait être assez imaginatif pour trouver un mécanisme de révision qui, comme je le disais, permettrait d'éviter les abus, si jamais quelqu'un tentait d'abuser des jeunes dans ces circonstances.

L'Association des centres d'accueil et l'Association des centres de services sociaux du Québec sont en désaccord complet là-dessus, et je cite le télégramme qu'elles ont envoyé au ministre: "Avec l'adoption de l'article 22 du projet de loi no 10 - elles demandent aussi certains autres amendements, mais qui sont plus mineurs -vous avez cette table de concertation qui suggère également ces amendements et qui déplore que ne soit pas amorcée une réforme sur les points fondamentaux concernant la délinquance, notamment relativement aux sujets suivants: le cas des jeunes de douze et treize ans, certaines infractions statutaires, le mécanisme d'orientation en matière de délinquance, etc."

M. le Président, il y a beaucoup d'autres points faibles que nous pourrions signaler et qui auraient mérité, à l'occasion de la présentation d'un projet de loi amendant la loi no 24, d'être discutés. Par exemple, la révision du rôle du délégué du ministre de la Justice. À l'expérience, on réalise que son rôle est à peu près inutile, pour la bonne raison que celui qui a l'information privilégiée au point de départ, par la force des choses, puisque tous les cas sont d'abord signalés au DPJ qui, lui, délègue, par exemple, l'évaluation du cas à un professionnel qui peut se retrouver à l'intérieur d'un CSS. Le représentant ou le délégué du ministère de la Justice se trouve très dépourvu - et ceci a été signalé - face à l'autre interlocuteur dont il doit être capable soit d'appuyer la proposition ou encore de la contrecarrer. Mais dans les conditions où on fonctionne, il semble bien que ceci soit tout à fait inadéquat et que, finalement, c'est le directeur de la protection de la jeunesse, le DPJ, ou la personne déléguée qui a le gros bout du bâton, comme on dit, dans les décisions. Je ne dis pas que c'est mal en soi, mais je pense que la loi avait prévu justement cet équilibre pour assurer davantage les droits des enfants et on voit maintenant qu'il est compromis.

Un autre reproche qu'on pourrait certainement faire au gouvernement est celui de ne pas avoir mis en place les ressources nécessaires pour l'application de la loi 24, ce qui a contribué à causer le chaos que l'application de la loi a connu au début. Ceci s'est corrigé par la suite, du moins au plan des intervenants comme dans les CSS. On sait que les coupures budgétaires, apparemment, seraient de l'ordre de 14 000 000 $ pour les centres de services sociaux, alors que la somme qu'on a mise à la disposition des centres de services sociaux justement pour permettre l'application de la loi 24 était de 14 000 000 $. Je ne veux pas dire que les coupures se feront nécessairement dans ce secteur, mais on peut se demander s'il n'y a pas des risques que ce qu'on a connu comme ressources supplémentaires soit, à ce moment-ci, diminué considérablement.

C'est peut-être davantage sur l'absence des ressources en hébergement qu'il faut revenir et qu'il faut vraiment déplorer l'inaction, pour ne pas parler de l'irresponsabilité du gouvernement. Il existe présentement une carence de ressources institutionnelles très forte, dans la région sud de Montréal, pour les jeunes anglophones de

l'ensemble du Québec, pour les jeunes filles ayant besoin de mesures sécuritaires dans tout le Québec. On pourrait également parler de l'absence de ressources psychiatriques adéquates, particulièrement dans certaines régions, pour les adolescentes et les adolescents. On sait fort bien que ces cas de protection sont souvent reliés à des problèmes socio-affectifs ou que ces problèmes socio-affectifs conduisent à des troubles de comportement sérieux qui ne trouvent pas de solution par manque de ressources.

Le ministre d'État au Développement social, qui était ministre des Affaires sociales il n'y a pas longtemps, aime beaucoup se vanter de ce que son gouvernement a fait dans différents domaines. Il aimait surtout dénoncer ce qu'il appelait l'incurie du gouvernement qui a précédé. J'ai devant moi un rapport du comité sur l'engorgement du réseau sécuritaire, daté de janvier 1981 auquel a participé M. Robert Lavoie - qui n'est pas mon cousin - directeur de la réadaptation au ministère des Affaires sociales. C'est donc un projet d'étude qui a dû recevoir l'approbation du ministère des Affaires sociales. On peut lire, dans ce rapport, que la volonté politique s'était manifestée en 1975 et 1976 quant à la mise en place et à l'amélioration de la situation d'ensemble du réseau sécuritaire. Pour la première fois en près de quinze ans, des moyens valables étaient pris pour rationaliser, organiser, planifier et qualifier ce réseau de ressources; depuis 1977, c'est-à-dire depuis l'arrivée du gouvernement du Parti québécois, une volonté politique nouvelle se manifeste par des objectifs quasi contradictoires. La planification en cours de réalisation est arrêtée. Il y a peut-être un de mes collègues qui reviendra sur ce manque de ressources. D'ailleurs, même si la loi 24 ne permet pas la détention en prison, on a retrouvé certains jeunes qui ont dû être détenus en prison pour de courtes périodes, si vous voulez, parce que justement il y avait ce manque de ressources. (20 h 40)

Je suis certaine aussi que la population se souviendra des articles qui ont paru selon lesquels les ressources sont tellement limitées et peu abondantes que dans des cas d'urgence on a été obligé de placer des enfants qui requièrent de l'hébergement en motels ou dans des centres d'hébergement vraiment de fortune. Là-dessus, je m'explique mal l'inertie du gouvernement. J'entendais le leader du gouvernement tout à l'heure préparer toute la dialectique que le gouvernement utilisera probablement dans quelque temps pour nous dire que si au plan budgétaire il a des difficultés, ce sera le résultat des mauvaises négociations avec le fédéral. Or, dans le cas particulier qui nous occupe, il ne peut pas inculper le fédéral, c'est vraiment le gouvernement actuel du Québec qui n'a pas pris ses responsabilités.

M. le Président, si on continue de parler de ce manque de ressources, je pense qu'il faut aussi parler de l'inaction du gouvernement dans le domaine de la prévention. Je voudrais simplement très brièvement faire allusion aux coupures budgétaires dans le domaine social et dans le domaine scolaire. On sait que dans le domaine social, ce sont les CSS qui ont la responsabilité première de faire la prévention auprès des familles. Si le gouvernement maintient les coupures qu'il a annoncées, quoique ce ne soit pas encore officiel, on réduira le travail de prévention auprès des familles et on risquera probablement l'augmentation d'institutionnalisation ou encore les services sociaux ne pourront intervenir auprès des familles que dans les cas de crise, que dans les cas où la détérioration aura été faite et, dans ce sens, probablement précipiter et multiplier l'institutionnalisation des enfants.

Je voudrais également parler, puisque je parle des responsabilités du gouvernement, de l'inertie du gouvernement vis-à-vis de l'exploitation des mineurs. Les lois existent, mais elles ne sont pas appliquées. J'aimerais ici me référer, si vous me permettez, au colloque qui a été tenu par la Fédération des femmes du Québec pas plus tard que vendredi dernier, colloque qui était intitulé: "Volonté politique et pornographie - c'est le temps d'agir au moins pour protéger les mineurs." On retrouve dans les conférences qui ont été données à cette occasion une analyse par Me André Ruffot-Mondor sur les lois existantes qui pourraient protéger les jeunes, mais qui ne les protègent pas parce que le ministère de la Justice ou le ministre de la Justice ne prend pas les moyens pour que ces lois soient appliquées et protègent d'une façon efficace nos jeunes. Par exemple, elle dit que de nombreuses dispositions législatives existent pour intervenir au niveau des enfants exploités. Elles ne sont pas ou peu utilisées à ce jour. Elle rappelle la Loi sur les bureaux de placement où il semble clair que toutes les agences de placement s'occupant de trouver des contrats aux jeunes dansant nus n'ont pas le permis requis par la loi et agissent illégalement.

Pourtant ces agences continuent toujours de fonctionner impunément. Dans la Loi des établissements industriels et commerciaux il y aurait également des articles qui s'appliquent, mais ils ne sont pas respectés. Quant à la Loi sur les permis d'alcool, on se souviendra que lors de l'adoption d'un amendement à cette loi, mon collègue de Saint-Laurent avait proposé qu'on soit plus sévère là où on faisait l'exploitation des mineurs, particulièrement des jeunes

filles, et qu'un détenteur s'expose à perdre son permis. Jusqu'à maintenant, il semble que les poursuites en vertu de ces articles sont à toutes fins utiles inopérantes et qu'on peut continuer de contrevenir à la loi sans qu'on soit importuné. Le nombre des jeunes filles mineures qui sont exploitées dans ces cabarets ou dans ces débits n'a pas diminué. Non seulement elles s'exposent à bien des points de vue, mais surtout elles peuvent devenir une proie facile pour la prostitution et pour la délinquance.

Ce ne sont que quelques exemples, M. le Président. On peut avoir une bonne loi. On peut l'améliorer, mais encore faut-il qu'on la fasse appliquer et particulièrement dans toutes ces lois qui touchent à la protection des jeunes. On peut avoir la loi 24, mais si à côté on a une série de lois dont certains des articles ou certaines dispositions s'intéressent directement à la protection des mineurs et qu'on ne les fasse pas appliquer, on pourra parler bien longtemps de la loi 24 ou d'une loi sur la protection de la jeunesse, alors qu'à côté il y a des lois qui sont, à toutes fins utiles, inopérantes.

M. le Président, je voudrais simplement vous dire, en terminant ces remarques, notre volonté de faire valoir les représentations qui ont été faites de nombreuses sources qui sont indirectement impliquées auprès des jeunes, de faire valoir très fortement leur point de vue en commission parlementaire. J'espère toujours que peut-être on aura une commission parlementaire réduite comme certaines personnes et organismes l'ont fait valoir. Je peux vous dire que nous voterons pour la loi 10, parce qu'il s'y trouve quelques amendements positifs, ne serait-ce que pour montrer... En dépit des modifications extrêmement mineures qu'on apporte à la loi 24 et qui ne corrigent pas les problèmes de fond, nous allons quand même voter pour la loi 10 parce qu'entre autres je pense qu'elle inclut certaines dispositions comme, par exemple, les institutions d'enseiqnement dans les organismes visés dans la loi - cela m'apparaît très bon - pour que les institutions d'enseignement prennent aussi leurs responsabilités à l'égard de la protection des jeunes, que ce soit établi plus clairement. Il y a également une meilleure définition des unités sécuritaires. Il y a également la soustraction à la loi 24 des infractions au Code de la route et règlements municipaux relatifs à la circulation et au stationnement.

On peut s'interroger, par contre, sur le fait qu'on se soit limité à ces infractions spécifiques et qu'on n'y ait pas inclus des infractions statutaires telles celles reliées à la Loi sur la protection de la faune, ce qu'on appelle communément le braconnage, la fréquentation des débits de boisson. Je pense que ces infractions qui, souvent, mobilisent des énergies considérables de tous les intervenants de la Loi sur la protection de la jeunesse allégeraient largement la tâche qui leur est confiée et leur permettraient d'être plus efficaces auprès des cas qui en ont besoin. Cela pourrait peut-être être discuté en commission parlementaire.

Il y a d'autres points qui, je pense, sont importants comme, par exemple, certaines mesures d'urgence, mais un fait demeure. Parce que le gouvernement refuse d'examiner plus en profondeur la loi particulièrement en ce qui touche la délinquance des jeunes à la lumière de l'expérience vécue et à la demande de la population, des principaux intervenants de la table de concertation et de consultation de la Loi sur la protection de la jeunesse, il risque - et c'est ce qui est grave - de discréditer ou de miner une loi qui est le résultat d'une longue concertation et de nombreux efforts et qui, comme le disait le ministre tout à l'heure, nous place au Québec à l'avant-garde dans le domaine de la protection de la jeunesse. Il est exact qu'à l'heure actuelle la population se pose des questions sérieuses, ce qui ne veut pas dire que les principes fondamentaux de la loi soient mauvais, mais ceci indique clairement qu'il faut qu'il y ait une révision en profondeur de la loi, qu'on en réexamine tous les mécanismes et que, le plus rapidement possible, on nous fasse part de la réglementation que le ministre ou les ministres veulent appliquer. Je pense que, si on ne le fait pas, ce préjugé qui n'est pas totalement sans fondement, en dépit des statistiques que le ministre des Affaires sociales nous a présentées tout à l'heure... Cela me rappelle d'autres statistiques où on a eu certains échanges vigoureux dans le passé. Pour rassurer la population, le ministre des Affaires sociales nous dit: En 1979-1980, il y a eu 54,291 signalements. En 1980-1981, il y a eu une diminution de 100, c'est insignifiant; nous sommes encore à 54 146. Par contre, il reconnaît bien qu'en 1977, il y avait eu 42 000 signalements. (20 h 50)

C'est vrai que, la première année, l'augmentation des signalements est causée par l'application de la loi, par une meilleure protection des jeunes en besoin de protections de toutes sortes, mais il reste qu'on croyait que le nombre de signalements se résorberait, et on reste toujours avec un nombre de signalements aussi élevé. Je ne veux pas, à mon tour, faire l'interprétation de statistiques, M. le Président, mais je trouve peut-être un peu hasardeux de la part du ministre de tenter, à partir de ces chiffres, de rassurer la population. Je pense que ce qui rassurerait vraiment la population, ce serait d'abord une information plus exacte de la loi dans l'ensemble de la population; ce

serait aussi une volonté politique de réexaminer en profondeur les écueils que, maintenant, on connaît dans la loi, et je pense que ce serait vraiment malheureux que le gouvernement n'accepte pas de le faire.

Je souhaiterais que le gouvernement accepte - c'est une proposition que nous lui faisons - la possibilité de créer un comité conjoint non partisan auquel seraient associés les intervenants afin de réexaminer vraiment en profondeur la loi 24. Depuis longtemps, les membres de cette Chambre, tant du côté ministériel que du côté de l'Opposition officielle, s'interrogent sur un rôle plus significatif que pourraient jouer les députés au plan législatif. Je pense qu'avec la loi 24, nous avons une loi qui, justement, pourrait se prêter à ce travail conjoint, sans partisanerie. Je suis certaine que tous et toutes, de ce côté-ci de la Chambre comme de l'autre, nous ne voudrions pas entrer ou faire jouer la politique partisane en ce qui touche l'avenir de nos jeunes. Je pense que, s'il est un terrain où les divergences politiques pourraient s'estomper, où on pourrait sans hésitation établir un front commun, c'est celui de la protection de nos jeunes.

Je vois le ministre rétorquer dans sa réplique: Vous nous reprochez de ne pas aller assez vite et, maintenant, vous nous proposez de tenir une commission parlementaire qui va réexaminer toute la loi 24 en profondeur. Je dis au ministre: Nous serions prêts à lui donner dans la loi 10 ce qui peut en améliorer le fonctionnement temporairement rapidement. Mais il reste que ce n'est pas un changement réel à la loi 24 que le ministre d'État au Développement social nous propose et même les petits changements qu'il propose sont loin de faire l'unanimité. Or, dans un domaine comme celui-là, il faut au point de départ s'assurer la collaboration des principaux intervenants. Je pense que j'ai fait la démonstration à ce moment-ci que tel ne sera pas le cas. Alors, même cet amendement plus important va créer davantage de difficultés qu'il va en aplanir.

M. le Président, encore une fois, nous voterons pour la loi 10. Nous collaborerons en commission parlementaire si ceci entre dans les plans du gouvernement, mais je refais cette proposition et ceci d'une façon non partisane, sincèrement et foncièrement dans l'intérêt des jeunes du Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Nicolet.

M. Yves Beaumier

M. Beaumier: Vous me permettrez sans doute, M. le Président, étant donné que c'est la première fois que je prends la parole dans cette Chambre, de saluer très chaleureusement les gens de mon comté, tous les citoyens et les citoyennes de Nicolet et de Yamaska qui m'ont accordé toute leur confiance le 13 avril dernier. J'aimerais leur dire tout simplement que j'entends les représenter dignement dans cette Chambre et défendre, chaque fois que ce sera nécessaire et leurs convictions et leurs intérêts.

Ceci dit, M. le Président, j'aimerais faire à mon tour quelques remarques sur le projet de loi no 10 et sur la loi qu'il modifie, c'est-à-dire la Loi sur la protection de la jeunesse. Pour bien comprendre ces amendements, il faut se replacer, au fond, dans le contexte de la loi 24. D'une part, on est porté à oublier - et c'est un peu la nature humaine qui est faite comme ça -que cette loi fut à l'époque considérée pratiquement comme historique en ce qu'elle reconnaissait et établissait une fois pour toutes des droits fondamentaux à l'enfant. Ce dernier était considéré, enfin, comme une personne humaine à part entière.

Plus caché, mais non moins évident, cette loi avait comme objectif d'impliquer davantage et directement la responsabilité de l'ensemble de la société, pas nécessairement pour se porter elle-même responsable des maux de ses propres enfants, mais certainement comme volonté de résoudre, avec les meilleures chances possibles, les problèmes vécus par nos jeunes. Chacun trouvait depuis longtemps que l'attitude de notre société devant ce problème de notre jeunesse en était une d'absence, de solution simpliste, quand ce n'était pas une attitude d'autruche.

M. le Président, on est porté aussi à oublier que cette loi s'inspirait d'une vision qui était doublement positive. D'une part, elle se voulait avant tout une protection contre les préjudices subis par ce groupe de citoyens qui sont à leur façon plus démunis que d'autres. J'aimerais rappeler ici que dans son premier rapport annuel, le président du Comité de la protection de la jeunesse signalait que dans la première année d'application, sur 50 000 cas qui avaient été portés à l'attention du comité, 30 000 étaient des cas d'enfants en besoin de protection. Ce seul argument de la majorité des cas de protection sur les cas de délinquance justifiait et justifie encore pleinement le bien-fondé de la loi et l'orientation qu'elle avait prise.

Elle a été également positive parce qu'elle avait comme objectif, dans le jargon administratif, de déjudiciariser le comportement des jeunes, ce qui impliquait -et là, il faut bien s'entendre - non pas d'éviter à tout prix le recours au tribunal quand c'était nécessaire, mais bien de permettre un choix dans les différents types d'interventions auprès de ceux qui étaient temporairement en difficulté et en privilégiant, bien sûr, et dans l'intensité et

dans le temps, l'intervention sociale plutôt que l'intervention judiciaire.

Ainsi, cette loi avait deux volets tout aussi importants l'un que l'autre, la protection des jeunes contre les abus de toutes sortes et la participation, sans accablement judiciaire inutile, du délinquant à sa propre réinsertion sociale. À ce sujet, j'aimerais noter, M. le Président, que pour les cas où nos jeunes avaient participé à la réhabilitation volontaire, il y avait environ 5% de récidives.

Ceci établi, ce que propose en somme le projet de loi no 10, c'est d'améliorer encore cette loi en la bonifiant et en permettant encore avec plus de sécurité d'atteindre les objectifs qui sont pour tous la protection de notre jeunesse.

D'une part, ce projet de loi propose l'intégration du milieu scolaire, des niveaux primaire, secondaire, collégial, aux organismes impliqués dans la défense des droits, la promotion des intérêts et l'amélioration des conditions de vie de nos enfants. L'école devient ainsi un milieu de ressources humaines et sociales qui s'ajoute aux organismes déjà existants et prévus par la loi. (21 heures)

D'autre part, dans l'optique de faciliter la réhabilitation de l'adolescent, trois principales mesures sont mises de l'avant. D'une part, le directeur général du centre d'accueil pourra désormais limiter le droit d'un enfant à communiquer avec certaines personnes, avec droit d'appel évidemment de la part du jeune, si ces personnes ne peuvent que nuire à sa réhabilitation. Ceci aura pour avantage et comme effet de couper certains liens qui sont nuisibles lors des étapes de réhabilitation.

De même, dans les cas d'hébergement volontaire dans une famille d'accueil ou un centre d'accueil, la période d'hébergement pourra passer de six mois à un an s'il y a consentement des parents ou de l'enfant quand il a 14 ans et plus. Également, et toujours dans le même esprit, dans les cas d'hébergement obligatoire dans une unité de sécurité, la période maximale d'hébergement passera de trois à six mois et pourra même être prolongée d'une autre période maximale également de six mois.

Tout ceci a comme objectif d'assurer à l'enfant, à celui qui veut s'en sortir, non seulement le meilleur milieu de réhabilitation, mais aussi le temps nécessaire et suffisant à sa réhabilitation, sans pour autant en faire une incarcération à l'ancienne mode déguisée.

Voilà mon point de vue, M. le Président, et pour l'essentiel, ce qu'ajoute et améliore le projet de loi no 10. Je mets également cette Chambre en garde - on en a vu des articles dans les journaux - contre ceux qui, par préjugé, par mythe ou par nostalgie d'une certaine société, voudraient revenir en arrière prétextant un lien entre ce projet de loi et une pseudo-augmentation du taux de criminalité, un lien qui est non fondé ni ici ni ailleurs. Certains aimeraient reprendre une ligne un peu plus dure, un peu plus accablante pour nos jeunes et un peu plus contraignante.

Nous, M. le Président, notre nid est fait. Nous tenons, les amendements proposés vont dans ce sens, à continuer à protéger nos jeunes tout en leur donnant la meilleure chance de veiller eux-mêmes à leur propre réinsertion sociale. C'est un défi, c'est un beau défi.

En terminant, M. le Président, et plus profondément, je ne saurais, quand il s'agit de difficultés rencontrées par notre jeunesse, distinguer toujours la part de responsabilités qui lui revient et la part de responsabilités qui revient à la société. C'est pour cette raison et peut-être pour d'autres qu'il importe avant tout de faire en sorte que notre société qui n'est pas sans défauts continue à être généreuse et aidante. C'est pour cette raison et avec peut-être moins de torture que semble en avoir Mme la députée de L'Acadie que je voterai avec plaisir et sans réticence pour le projet de loi no 10.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Laurier.

M. Christos Sirros

M. Sirros: Merci, M. le Président. Je veux, à mon tour, parler du projet de loi no 10 et des modifications qu'il apporte à la loi no 24, Loi sur la protection de la jeunesse. Avant d'aborder le projet de loi, j'aimerais dire quelques mots sur la loi no 24 elle-même.

Cette loi qui a d'ailleurs été adoptée à l'unanimité par cette Chambre, il y a au-delà de trois ans, disait, dans son ensemble, de mettre, d'une part, de l'ordre en matière de protection de l'enfance dans ce domaine et d'assurer la reconnaissance de certains droits aux mineurs, par exemple, le droit à la réinsertion familiale et sociale des enfants dont la sécurité et le développement étaient compromis. Dans son ensemble, c'est une loi avec un fondement humain, une loi de première importance étant donné qu'il s'agit de notre première ressource, notre jeunesse, et tout le monde qui travaille auprès des jeunes qui ont besoin de protection est d'accord pour dire que c'est une excellente loi, une loi qui innove, une loi qui fait, en quelque sorte, l'envie d'autres gouvernements ou d'autres provinces, comme le soulignait tout à l'heure le ministre lui-même.

Je souligne pourtant que la loi no 24 est venue changer, de façon radicale, les méthodes de travail dans le domaine de la protection de la jeunesse et a nécessité,

d'une part, un apprentissage dans le réseau des affaires sociales et judiciaires qui travaille avec les jeunes et, d'autre part, la loi a exigé surtout un changement d'attitude de la part de la société par rapport à la jeunesse.

Donc, trois ans après son adoption et deux ans après son application, on a devant nous, aujourd'hui, un projet de loi qui modifie certains aspects de la loi no 24, Loi sur la protection de la jeunesse. J'ai parlé tantôt de l'aspect de la protection de la jeunesse qui touche la majorité des 50 000 cas signalés au DPJ, le directeur de la protection de la jeunesse. Il y a pourtant un aspect du problème dont la loi 24 traite, c'est celui du phénomène de la délinquance. Il faut quand même faire une distinction entre les cas de protection - il s'agit là des cas d'enfants maltraités, abandonnés, qui ont des problèmes clairement sociaux - et aussi les cas de délinquance qui sont des délits ou des infractions au Code criminel ou aux règlements municipaux, etc.

Je crains simplement qu'en voulant peut-être aller trop de l'avant dans ce domaine, les auteurs de la loi aient peut-être brûlé certaines étapes telle, par exemple, la mise sur pied des ressources appropriées et adéquates en même temps qu'on disait qu'il fallait signaler tous les cas. On a vu, dans une période d'un an et demi à peu près avant l'adoption de la loi, qu'il y avait à peu près 42 000 cas de signalés; le total des cas signalés a augmenté à 50 000 après l'adoption de la loi. Ce n'est pas pour dire que la loi est responsable des actes de délinquance ou quoi que ce soit, c'est simplement parce qu'on a maintenant un meilleur système de signalement de ces cas et on a vu une augmentation des cas signalés.

Par contre, on n'avait pas prévu les ressources adéquates et on a vu, dans les journaux, toutes sortes de choses comme, par exemple, des enfants hébergés dans un motel avec un gardien de sécurité au lieu d'un centre d'accueil proprement dit, etc.

Je rappellerai également à la Chambre qu'au moment de l'application de la loi 24, il y avait toute une publicité qui était axée à l'époque presque uniquement sur les droits de l'enfant. Je me rappelle une belle photo d'un garçon et d'une fille tout souriants avec un slogan qui disait: Maintenant, j'ai ma loi. Il n'y avait pourtant pas assez d'emphase mise sur le parallèle ou le complément des droits que sont, évidemment, les responsabilités. Cette publicité a été tranquillement retirée du marché, si on peut parler ainsi, quelques mois plus tard. Le problème de la délinquance comme telle n'est pas un problème strictement québécois et on constate, à travers tous les pays industrialisés de l'Occident, une augmentation de ce phénomène. Il ne s'agit donc pas de dire que la loi 24 est responsable d'une augmentation de la délinquance, loin de là. Il s'agit pourtant de s'assurer que nous faisons de notre mieux, soucieux de l'impact que peut avoir l'adoption à l'Assemblée nationale de lois de fond comme la loi 24, des lois qui sont en avant de l'attitude générale, des lois qui se veulent avant-gardistes. Il faut avoir le souci de s'assurer qu'on est bien conscient des problèmes qui peuvent en découler.

Le travail peut-être le plus intéressant auquel peut participer un député ou un législateur est celui de prendre part à des projets de loi, à des prises de décision qui tracent effectivement un chemin pour l'avenir, comme l'a fait la loi 24. À mon point de vue, pourtant, la loi 24 est une loi avant-gardiste. L'Assemblée nationale ayant voté à l'unanimité pour cette loi, nous nous retrouvons aujourd'hui, trois ans plus tard, avec l'occasion de revoir non pas le fond de la loi 24, mais de revoir la loi 24, comme le soulignait le ministre, pour l'améliorer d'une façon réelle et substantielle. Le gouvernement nous propose aujourd'hui de modifier certains aspects de la loi 24. Trois ans après l'adoption de cette mesure, c'est effectivement le temps d'examiner l'application de cette loi et de la modifier. Il est pourtant encore plus le temps, à mon point de vue, d'examiner à la lumière du vécu de ces trois dernières années les effets de cette orientation fondamentale qu'on a entreprise avec la loi 24. Ce serait là, je crois, un geste concret du législateur qui démontrerait de façon directe son souci pour l'amélioration de la qualité de la vie dans notre société moderne par rapport à un problème très réel, celui de la délinquance juvénile. Or, en examinant le projet de loi no 10, on constate qu'il n'est pas question vraiment de quelque modification de fond que ce soit. Il s'agit de changements mineurs, cosmétiques même dans certains cas et techniques surtout. Ce sont en qénéral des changements qui permettent une certaine amélioration de certains aspects de la loi 24.

Ainsi, le gouvernement a choisi de ne pas se soucier du besoin de revoir après un certain vécu des lois qui ont une si grande importance que la loi 24. J'aimerais juste parler un peu du pourquoi de cette nécessité que je vois d'examiner en profondeur la loi 24. Le projet de loi no 10 n'est qu'une série minime de changements mineurs, à mon point de vue. Encore une fois, je répète que ce sont des changements avec lesquels on est d'accord. On ne voit pas d'objection. Il y en a certains qui vont faire pas mal pour faciliter un peu la débureaucratisation, si vous voulez, de la DPJ, en particulier la référence directe au Tribunal de la jeunesse des infractions aux règlements municipaux et au Code de la route, mais ce n'est pas assez. (21 h 10)

Je veux juste souligner - pas pour faire des discours psychologiques, etc - qu'à mon point de vue l'adolescence est une période de transition dans le cycle de la vie de la personne. La fin de l'adolescence signifie la fin de la période d'apprentissage qu'est l'enfance, effectivement, et le début d'une vie comme adulte, c'est-à-dire une personne qui est totalement responsable de ses actes, une personne qui ne peut plus se permettre l'innocence gui caractérise peut-être la jeunesse, et c'est normal. Le temps en soi, d'une part, mais beaucoup plus les expériences qu'on vit dans cette période d'adolescence, d'autre part, nous amènent à réussir plus ou moins cette transition ou à l'échouer totalement. La société, elle, à mon point de vue, a la responsabilité d'aider autant qu'elle peut la réussite de cette transition et elle le fait en soutenant des valeurs positives qui munissent les jeunes d'un bagage personnel qui leur permet d'apprendre comment s'aimer eux-mêmes, comment aimer les autres, comment se respecter et respecter les autres, vivre en société finalement.

La loi 24, effectivement, véhicule plusieurs de ces valeurs positives envers la jeunesse. Nous sommes pourtant rendus aujourd'hui a un moment où nous devons nous arrêter, regarder de près cette loi pour laquelle nous avons tous voté il y a trois ans, écouter attentivement les personnes et les organismes qui vivent avec le quotidien de la loi 24 et apporter les ajustements, les correctifs et les vraies modifications qui s'imposent.

Le projet de loi 10, même si ses propositions sont, en général, acceptables, mangue le bateau dans ce sens parce qu'il ne réorganise pas en profondeur la loi 24. Ce ne sont que des ajustements mineurs, valables en soi, mais qui ne font rien pour permettre une vraie analyse et une rectification de la situation en matière de traitement de la délinquance. Je vous donne seulement un petit exemple. Un des changements proposés augmente la période maximale de la cure fermée, du traitement clinique de trois à six mois avec une prolongation d'un autre six mois. Cela veut dire un total de douze mois. À mon point de vue, c'est une présomption importante de prétendre qu'un délinquant peut être aidé exclusivement à l'intérieur d'un an et qu'après un an il n'y a plus rien à faire, on le remet en liberté. Cela surtout avec quelques cas - c'est une minorité - de délinquants qui sont des délinquants bien structurés, des délinquants qui ont récidivé plusieurs fois et se retrouvent, de temps à autre, devant la Cour de la jeunesse.

Il serait plus souhaitable, à mon point de vue, de ne pas imposer de maximum, mais de prévoir peut-être un mécanisme de révision et de justification rigoureuse de la part des intervenants sociaux, automatiguement, après un certain délai, si jamais ils voulaient prolonger cette période maximale, parce que autrement, c'est comme si on se disait d'avance: Vous avez un an pour régler le problème. Souvent, ce qui arrive dans des cas particuliers avec des jeunes délinquants, c'est qu'ils se disent: Bon; Parfait! J'ai simplement un an à attendre. Après cela, je suis libéré et effectivement...

Je crois en terminant, M. le Président, qu'un vrai service serait rendu à la loi 24 et que ce serait opportun si le gouvernement optait pour un débat public par le biais d'une commission parlementaire, comme le soulignait la députée de L'Acadie, plutôt que s'attarder seulement sur des corrections mineures qui sont proposées par la loi 10. Je veux aussi, à mon tour, assurer le ministre que nous, de ce côté-ci de la Chambre, n'avons aucun désir de retarder ou de bloquer des modifications qui amélioreront le traitement de la délinquance juvénile et toute la problématique de la protection de la jeunesse. Nous désirons pourtant voir le plus de gens intéressés possible s'impliquer dans cette démarche, parce que nous croyons que la problématique en question est d'envergure et que les praticiens, tant les praticiens du service social, de la justice que les gens ordinaires et que les établissements pourraient beaucoup plus mettre de l'avant des propositions qui arriveraient à faire en sorte qu'on aurait une loi beaucoup plus complète encore que la loi 24. Merci beaucoup, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Chauveau.

M. Raymond Brouillet

M. Brouillet: M. le Président, la Loi sur la protection de la jeunesse, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale et sanctionnée le 1er décembre 1977, révèle l'évolution des mentalités dans notre société québécoise. Elle incarne un nouvel esprit dans la perception des responsabilités de la collectivité à l'égard de notre jeunesse et en particulier de notre jeunesse en difficulté d'adaptation sociale.

Le titre même de la loi, Loi sur la protection de la jeunesse, révèle bien l'intention du législateur et l'esprit gui anime cette loi. Il s'agit bien, en effet, de protéger notre jeunesse en difficulté et de lui aider, par des moyens appropriés, à assurer son plein développement et son insertion sociale positive. Les jeunes visés avant tout par cette loi se trouvent principalement dans deux catégories: ceux dont le développement physique et mental est mis en péril par les conditions de vie familiales et sociales dans lesquelles ils sont placés et, l'autre catégorie, ceux gui ont commis guelques délits.

Dans le premier cas, M. le Président, le souci premier de protéger les jeunes a recueilli et recueille encore spontanément l'unanimité de la population. À cet égard, la loi 24 a reçu très peu de critiques. Dans le cas des jeunes qui ont commis quelques délits, nous rencontrons dans certains milieux la tendance à ne prendre en considération que la protection de la société, pour ne pas dire une illusoire tranquillité, et à adopter à l'égard de ces jeunes des mesures proprement judiciaires. Certains voudraient que cette catégorie de jeunes relève dans tous les cas et immédiatement de l'intervention judiciaire qui, au terme, aboutirait à des sanctions de caractère punitif et imposées d'autorité, voire à l'incarcération pure et simple.

M. le Président, une telle façon de penser repose sur des postulats qui révèlent une méconnaissance des conditions réelles de vie des jeunes. Elle repose en partie sur l'idée que les jeunes délinquants sont les premiers, sinon les seuls responsables de leurs attitudes, de leurs comportements et de leurs actes délictueux vis-à-vis de la société. Elle repose aussi sur cette idée que la meilleure façon de prévenir le délit, c'est la menace de sanctions, et celle de prévenir la récidive, c'est l'imposition de sanctions. C'est, je crois, M. le Président, cette idée bien ancrée dans la mentalité de beaucoup de gens qui explique le fait que certains observateurs superficiels établissent un rapport de cause à effet entre ce que, en jargon, on a appelé la déjudiciarisation, c'est-à-dire entre la préséance accordée à l'intervention sociale sur l'intervention judiciaire, et l'accroissement du taux de criminalité chez les jeunes, particulièrement durant les dernières années.

Durant la récente campagne électorale, certains adversaires de la loi, pour ne pas dire du gouvernement actuel, sont allés jusqu'à présenter cette Loi sur la protection de la jeunesse comme une loi qui incite les jeunes au crime. M. le Président, je ne reviendrai pas sur cette interprétation fallacieuse des statistiques, le ministre d'État au Développement social l'a suffisamment réfutée lors de son intervention cet après-midi. J'ai voulu ici seulement indiquer l'idée fausse qui, à mon avis, conduit à une telle interprétation. (21 h 20)

La façon de penser de ceux qui privilégient l'intervention judiciaire repose aussi sur une idée étriquée de la justice, l'idée qui s'exprime dans cette réflexion que nous entendons bien souvent: II faut que justice se fasse, entendue en ce sens: il a commis une faute envers la société, il doit maintenant payer sa dette envers elle. Mais, M. le Président, la question que nous devrions d'abord nous poser ne concernerait-elle pas plutôt la dette de la société que nous tous, collectivement, avons contractée à l'égard de ces jeunes qui sont en difficulté d'adaptation sociale?

Les conditions familiales désastreuses qui sont souvent le lot de ces jeunes; les conditions sociales où fusent de toutes parts la violence et le recel dans le monde des adultes; les conditions économiques de chômage chronique, qui plongent la majorité de ces jeunes dans le désoeuvrement et l'écoeurement moral, ces conditions de vie que ces jeunes n'ont pas choisies, que la société leur a créées les incitent à adopter à son égard des comportements de délinquants et des attitudes agressives.

Nous pourrions comparer leur situation à celle d'un homme que nous placerions au bord d'un précipice en lui ordonnant de prendre bien garde de ne pas y tomber, mais en fonçant sur lui avec un bulldozer. Oui, M. le Président, la société a une dette envers ces jeunes: celle de corriger la situation dans laquelle ils ont été plus ou moins contraints de vivre, celle de leur fournir les meilleures conditions pour favoriser leur réadaptation, pour leur permettre d'assumer progressivement leurs responsabilités sociales.

Toute réaction violente à leur égard de la part de la société ne ferait que s'ajouter à la violence qu'ils ont déjà à y subir. Toute mesure coercitive et punitive hâtivement appliquée ne ferait qu'accroître leur agressivité. C'est pour cet ensemble de raisons, M. le Président, que l'intervention sociale, telle qu'elle est reconnue par la loi 24, doit continuer à avoir préséance sur l'intervention judiciaire.

La réadaptation sociale de jeunes délinquants ne passe pas d'abord par des mesures coercitives, lesquelles tendent à traiter les jeunes comme s'ils avaient perdu tous droits alors que la société seule jouirait de tous les droits à leur égard. La réadaptation sociale suppose avant tout une attitude compréhensive et généreuse de la société envers ces jeunes. Il faut leur fournir l'occasion de participer activement à leur réinsertion sociale, leur fournir les conditions sociales et juridiques leur permettant de participer de plein gré à leur réadaptation, leur permettant d'assumer conjointement, avec les différents agents sociaux, la responsabilité de leur avenir.

Voilà, M. le Président, comment je perçois l'esprit et les principes qui animent la loi 24. C'est cet esprit qui doit demeurer le guide de tout amendement proposé à cette loi. Je crois vraiment que le projet de loi 10, qui est actuellement devant cette Assemblée, respecte, dans ses amendements, cet esprit présenté dans mon allocution. Les amendements proposés concernent surtout les modalités d'application des mesures de réadaptation et de protection des jeunes en vue d'en assurer une plus grande efficacité.

En intégrant dans les organismes intervenant dans le cadre de cette loi les

institutions d'enseignement des niveaux primaire, secondaire et collégial, le projet de loi élargit le cadre social des principaux responsables de la protection des jeunes en difficulté. En reconnaissant au directeur général d'un centre d'accueil le pouvoir de limiter le droit d'un enfant de communiguer avec certaines personnes susceptibles de nuire à sa réadaptation, en prolongeant la durée de l'hébergement volontaire, en renforçant le caractère confidentiel des dossiers du Tribunal de la jeunesse, pour ne mentionner que ces quelques amendements, le projet de loi no 10 améliore considérablement les conditions favorables à la réinsertion sociale des jeunes.

Je terminerai ma brève intervention en lançant un appel à tous les principaux responsables auprès des jeunes pour qu'ils continuent à utiliser, dans un véritable esprit de collaboration, tous les moyens que leur offre la loi 24 et le projet la modifiant afin de venir en aide à tous ces jeunes en difficulté, afin de favoriser chez eux la prise en charge volontaire de leur avenir. À tous les citoyens du Québec, M. le Président, je tiens à rappeler que l'avenir de notre jeunesse, c'est notre responsabilité individuelle et collective et que l'avenir de notre jeunesse, c'est l'avenir de notre pays.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Mont-Royal.

M. John Ciaccia

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais toucher à deux aspects du projet de loi qui se trouvent non seulement dans le projet de loi no 10 qui est devant nous pour amender la loi 24, mais qui sous-tendent aussi la loi 24 qui a été adoptée à cette Assemblée nationale.

Premièrement, comme les représentants de l'Opposition l'ont déjà déclaré, nous sommes d'accord sur le principe et les objectifs du projet de loi no 10. C'est une claire amélioration de la situation qui existait auparavant alors que tous les jeunes étaient obligés de comparaître devant la Cour du bien-être social et où il n'y avait pas les moyens qui se trouvent dans le présent projet de loi pour la protection des jeunes, soit dans le cas où ils avaient commis un délit ou soit dans le cas où ils avaient besoin de la protection, de l'aide et de la possibilité d'avoir cette aide dans leur milieu naturel.

Alors, nous sommes d'accord avec ces objectifs et avec ce principe du projet de loi. Cependant, il y a deux problèmes que je voudrais porter à l'attention de cette Assemblée nationale. Premièrement, c'est le problème constitutionnel. Comme vous le savez, M. le Président, la question du Code criminel, du droit pénal, c'est de juridiction fédérale. La loi fédérale concernant les jeunes délinquants, par exemple, à l'article 8, prévoit que l'enfant doit être traduit devant la cour pour jeunes délinquants. Alors, un enfant qui commet un délit peut être obligé de comparaître devant les tribunaux. Cependant, à l'article 40 de la Loi sur la protection de la jeunesse, on énonce que, si une personne a un motif raisonnable de croire qu'un enfant a commis une infraction à une loi ou à un règlement en vigueur au Québec, le directeur de la protection de la jeunesse est saisi du cas avant qu'une poursuite soit engagée.

Autrement dit, nous avons dans la loi fédérale l'obligation d'un enfant de comparaître devant les tribunaux et nous avons dans la loi du Québec la discrétion de la part du directeur de la protection de la jeunesse de décider si l'enfant doit comparaître devant les tribunaux ou non. Alors, clairement il y a un conflit et il y a même une ou plusieurs décisions qui ont déjà déclaré inconstitutionnel cet aspect de la Loi sur la protection de la jeunesse. Cependant, M. le Président, il est évident que, dans tout système fédéral, il peut arriver que certains projets de loi viennent en conflit d'une juridiction à l'autre. Alors, nous devons nous demander que faire dans le présent cas. (21 h 30)

Le principe de ne pas obliger catégoriquement le jeune à comparaître devant les tribunaux, sans exception, je crois que nous l'acceptons. Nous acceptons ce principe. Nous acceptons le principe énoncé dans la Loi sur la protection de la jeunesse avec certaines réserves que je discuterai plus tard, mais c'est un bon principe. Il vient en conflit avec la loi fédérale. Alors, que faire? Je crois, M. le Président, qu'il est possible, comme c'est arrivé dans d'autres cas, de négocier, de discuter avec le gouvernement fédéral afin que la loi du Québec ait préséance sur la loi fédérale, que le gouvernement fédéral amende sa loi et donne le droit au Comité de la protection de la jeunesse de décider si un enfant, un jeune doit comparaître devant les tribunaux ou non. C'est une formule semblable, par exemple, à la formule Saint-Laurent dans le cas des transports. C'est vrai que le fédéral avait juridiction, mais on a trouvé un moyen pratique de résoudre le problème pour donner la décision au Québec. C'est un processus, une suggestion d'ordre pratique. Je ne pense pas qu'il y ait des principes fondamentaux qui soient en conflit. Je pense même que les fédéralistes qui veulent renouveler le fédéralisme acceptent que le droit pénal doive être le même dans tout le pays. C'est une nécessité, si on veut être de bonne foi, si on veut vraiment trouver une solution pour les jeunes, d'adopter cette approche. Je crois, M. le Président, que ce sera vraiment dans l'intérêt de la loi du Québec, dans

l'intérêt des jeunes qu'on n'ait pas ce conflit parce que, à tout moment, une victime d'un délit peut se plaindre et obliger le jeune à comparaître devant les tribunaux. Ce ne sera pas nécessairement dans l'intérêt de ce jeune. Dans les circonstances actuelles, je recommanderais au ministre d'entamer des discussions avec le gouvernement fédéral non pas pour avoir deux lois sur la protection de la jeunesse qui sont en contradiction, mais, puisque tous les représentants dans les milieux concernés acceptent le principe qui est énoncé dans la loi du Québec, pour qu'on donne la permission au Québec d'avoir préséance sur cet aspect pour les jeunes et que le gouvernement fédéral amende sa loi en conséquence. Je pense que c'est une approche, une recommandation pratique...

M. Lazure: Est-ce que le député me permet une question...

M. Ciaccia: Oui.

M. Lazure: ...très brève? J'apprécie beaucoup les commentaires du député de Mont-Royal et je me demande s'il irait aussi loin que de nous assurer de l'appui de l'Opposition dans une telle démarche qui donnerait préséance, à toutes fins utiles, aux décisions du DPJ, le directeur de la protection de la jeunesse, donc de la loi no 24, par rapport à la loi fédérale. Est-ce qu'on pourrait compter sur l'appui de...

M. Ciaccia: Absolument, M. le Président.

M. Lazure: Oui.

M. Ciaccia: Je peux assurer le ministre de lui accorder cet appui. C'est moi qui fais la recommandation. Je ne vais pas faire une recommandation aujourd'hui sur ce processus-là et, ensuite, vous dire non...

M. Lazure: Mais je voulais être sûr que vous aviez l'accord du caucus aussi.

M. Ciaccia: Écoutez! Soyons un peu raisonnables et responsables.

Une voix: Vous avez été, depuis quatre ans, contre tellement de choses.

M. Ciaccia: J'essaie d'éviter de faire de la politicaillerie. Je vous fais des recommandations de bonne foi, des recommandations qui peuvent assurer la bonne marche du projet de loi. M. le Président, c'est sans hésitation que je peux assurer le ministre de mon entière collaboration sur cet aspect du projet de loi.

Cependant, M. le Président, je voudrais donner une qualification à cette démarche parce que, pour que le gouvernement fédéral donne au DPJ, le directeur de la protection de la jeunesse, cette discrétion, il faut amender l'actuel le projet de loi no 10 pour définir certains critères. La façon dont vous avez rédigé le projet de loi est absolument arbitraire. Il n'y a aucun critère pour décider de quelle façon ou dans quelles circonstances un jeune doit aller devant les tribunaux. Si vous avez des critères, c'est autant pour la protection du jeune. Combien de directeurs de la protection de la jeunesse, combien d'agents appliquent la loi? Vous pouvez avoir, dans un cas, la décision d'aller devant les tribunaux et, dans un autre cas, la décision de ne pas y aller. Si un jeune en voit un autre qui, peut-être dans les mêmes circonstances, a un traitement différent, je ne pense pas que cela encourage le respect des lois. Je ne suggère pas de dire arbitrairement que tous les jeunes qui ont commis un délit doivent aller devant les tribunaux. Je pourrais me référer à certaines recommandations qui ont été faites par les gens du milieu parce qu'eux aussi voient la difficulté que le projet de loi actuel présente quand il n'y a aucun critère, quand il n'y a aucun moyen de déterminer dans quelles circonstances on doit procéder devant les tribunaux. Le ministre a donné certains chiffres, 51% des cas signalés vont devant les tribunaux; l'année précédente, c'était 30%. Maintenant, c'est 50%, 51%.

Il ne faut pas oublier une chose. On parle de la protection des jeunes et je suis entièrement d'accord, mais il y a aussi l'augmentation de l'incidence de la violence. Il y a une augmentation, dans certains milieux, de la délinquance juvénile. Je ne veux pas faire le lien entre la loi 24 et cette augmentation parce que je suis persuadé que cela n'a rien à voir; s'il y a une augmentation dans certains milieux, cela n'a rien à voir avec la loi 24 actuelle, mais le fait demeure qu'il y a certaines critiques. Dans certains secteurs, par exemple, dans Mont-Royal, que ce soit dans le secteur de la ville de Mont-Royal ou dans le secteur de Côte-des-Neiges, il y a eu une augmentation de la violence. J'ai assisté à des funérailles dernièrement alors qu'une personne âgée s'est fait tuer pour 5 $. Cela ne sécurise pas les gens des environs quand ils voient de tels incidents. Je crois qu'il y a une responsabilité de la part du gouvernement non seulement de parler de protection, mais aussi de parler d'obligation et de renforcer cet aspect d'obligation en incluant dans la loi certains critères qui obligeraient ou qui donneraient les normes par lesquelles le directeur de la protection de la jeunesse enverrait les jeunes devant les tribunaux dans certains cas, toujours sujets à une discrétion, mais tout en ayant certaines normes, certains critères. Cela éliminerait les critiques actuelles, les critiques parfois mal fondées. Par exemple, la critique des corps

policiers, la critique qui suggère de limiter à 16 ans ceux qui peuvent bénéficier des avantages de la loi; autrement dit, que tous les jeunes de 16 ans et plus soient traités comme des adultes. Je ne crois pas que ce soit la réponse. Je pense qu'on doit maintenir à 18 ans la limite d'âge de ceux qui peuvent se prévaloir de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Une autre recommandation suggère que dans le cas de délit, quel qu'il soit, dès l'instant où un délit est commis, automatiquement, cela devrait aller devant les tribunaux. Je ne suis pas d'accord pour qu'on soit si arbitraire. Je pourrais peut-être vous donner la liste de certaines recommandations contenues dans un article de la Revue du Barreau et qui citait les gens qui sont dans le milieu, qui administrent la loi, qui font certaines recommandations au gouvernement. Si je peux trouver mon document...

On dit: Nous avons recueilli toutes sortes d'anecdotes de déjudiciarisation dans le cas de récidive, dans le cas de vol qualifié, dans le cas d'abus sexuel, etc. Je cite la Revue du Barreau: "Tout le monde s'accorde à dire qu'il est important de mettre de l'ordre dans toute cette question." Mais qu'entend-on vraiment par cette assertion? Cela ne veut pas dire automatiquement d'envoyer aux tribunaux tous ceux qui commettent des délits. Les recommandations qui ont été faites - je vais les citer ici - par des membres du Comité de la protection de la jeunesse sont que des cas soient judiciarisés, c'est-à-dire que, dans les cas suivants, les jeunes devraient comparaître devant les tribunaux. (21 h 40)

Premièrement, le jeune qui nie la totalité ou une partie des accusations qui lui sont reprochées. Dans ce cas-là, un des directeurs de la protection de la jeunesse dans la région de Québec suggère qu'on envoie le jeune devant le Tribunal de la jeunesse. Un autre cas, c'est celui où le jeune est déjà confié au directeur de la protection de la jeunesse ou aux centres de services sociaux à la suite d'une ordonnance du tribunal et il est soupçonné d'avoir commis de nouveaux délits. Autrement dit, si une personne récidive, le directeur enverrait le cas devant le tribunal. Un autre cas, c'est celui où le jeune est soupçonné d'avoir commis un vol qualifié. D'autres cas, c'est ceux où le jeune est accusé d'homicide, où le jeune est soupçonné de tentative de meurtre, où le jeune est soupçonné de voies de fait sur des personnes et, finalement, où le jeune a accepté des mesures volontaires et, dans les trois mois qui suivent cette acceptation, ne s'y est pas conformé, bien que ces mesures volontaires apparaissent adéquates et nécessaires. Ce ne sont pas nécessairement les critères finals, mais le principe d'avoir des critères, je crois que cela s'impose dans la loi.

Si le ministre avec le comité conjoint que la députée de L'Acadie a suggéré peuvent en arriver à une série de critères qui vont enlever la décision complètement arbitraire, sans critère, qui est maintenant confiée au directeur de la protection de la jeunesse, je crois que cela irait loin pour améliorer l'application de la loi, enlever les critiques qui parfois sont mal fondées et permettre non seulement la protection pour les jeunes, mais aussi la protection pour toute la société.

M. le Président, je crois qu'en conclusion, je voudrais dire qu'on ne doit pas, et c'est un danger, brutaliser notre société. Il y a deux façons de le faire. On peut brutaliser notre société par des lois qui sont trop restrictives, où les gens se rebellent parce que la loi est vraiment trop sévère. Mais l'autre façon d'aider à brutaliser la société, c'est d'avoir des lois qui sont trop permissives, qui n'ont pas vraiment de moyens d'application et qui laissent les agents et l'administration qui sont responsables de l'application de ces lois dans une situation où ils disent: Cela ne me sert à rien d'essayer d'appliquer la loi, elle n'est pas applicable parce que cela dépend strictement des décisions arbitraires d'autres personnes.

Les suggestions que je fais ce soir, M. le Président, en cette Assemblée, sont dans le but d'essayer d'améliorer l'application de la loi no 24 en mettant de l'ordre dans la question constitutionnelle, en satisfaisant à cet aspect pour que la loi ne soit pas contestée, pour qu'un jeune ne soit pas obligé d'aller devant les tribunaux quand ce n'est pas nécessaire. Deuxièmement, c'est pour la bonifier en instituant des critères pour décider dans quelle situation un jeune doit comparaître devant le Tribunal de la jeunesse.

J'espère, M. le Président, que le ministre va accepter ces recommandations, qu'il va les étudier et qu'il va sincèrement les mettre en application, parce que je suis persuadé que, si ces changements sont faits, si ces améliorations sont faites, qu'elles seront appuyées par ceux qui sont dans le milieu et elles vont aider à sécuriser toute la population afin que non seulement on ait la protection pour les jeunes, mais qu'il y ait aussi un esprit. Dans la loi, il y a certaines obligations que tout le monde doit respecter et, dans ce cas, si on en arrive à ces objectifs, nous allons protéger les jeunes et nous allons protéger toute notre société. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Sainte-Marie.

M. Guy Bisaillon

M. Bisaillon: M. le Président, vous me permettrez, au niveau du débat de la deuxième lecture qui normalement se fait sur les principes d'un projet de loi, de rappeler les principes de la loi no 24 puisque, fondamentalement, le projet de loi no 10 ne fait qu'apporter des corrections à une loi déjà existante, sans pour autant en changer les principes moteurs, les principes directeurs.

On a souvent parlé, depuis le début de ce débat de deuxième lecture, de l'unanimité de la Chambre au moment de l'adoption de la loi 24. On a, à certains moments, oublié, M. le Président, de signaler l'unanimité aussi du milieu face à la loi 24 à l'époque, l'unanimité des intervenants. Qu'ils proviennent du milieu judiciaire ou du réseau des affaires sociales, tous les intervenants étaient aussi d'accord avec les principes directeurs de la loi 24. On pourrait se surprendre, M. le Président, et se servir de ce phénomène pour critiquer aujourd'hui la loi 24 et la loi 10, que, par la suite, des critiques aient été formulées. Quant à moi, M. le Président, je trouve que c'est un peu démagogique de se surprendre que, malgré l'unanimité au moment où on a voté une loi, des critiques surgissent. D'abord, il faudrait analyser la nature même, le fondement de ces critiques et vérifier quelles dimensions elles prennent dans le milieu, appliquées aux jeunes qu'on vise dans cette loi, parce que fondamentalement, M. le Président, la loi 10 sur laquelle nous sommes appelés aujourd'hui à voter et la loi 24 autrefois nous forcent, nous, comme adultes, à nous remettre d'abord en question, nous obligent à réviser un certain nombre de positions qu'on pouvait avoir, à prendre conscience aussi de notre responsabilité sociale devant la jeunesse en difficulté. C'est à la lumière de ces principes qui doivent nous guider qu'on doit, par la suite, analyser les critiques qui ont été formulées face à la loi 24.

Il est assez étonnant, M. le Président, de constater que, malgré le fait qu'on souligne à chaque intervention les critiques qu'on entend dans le milieu depuis deux ans, jamais on n'a remis en cause les principes mêmes de ce projet de loi. Ces principes sont doubles: premièrement, un objectif de protection de la jeunesse et, deuxièmement, un objectif qui vise à traiter le phénomène de la délinquance. Dans certains pays, M. le Président, on se rappellera que lorsque le Parlement vote des lois - et je pense, entre autres, à certains pays nordiques - ce n'est que deux ou trois ans après que la loi a été votée par le Parlement qu'elle est finalement appliquée de façon définitive. Pendant les deux premières années, on se préoccupe davantage de vérifier dans le quotidien, dans le concret, dans l'application de tous les jours si la loi correspond effectivement ou sert effectivement à régler l'ensemble des problèmes qu'on prévoyait devoir régler. Lorsqu'on a appliqué la loi dans le milieu sans qu'elle ait une valeur coercitive, mais plutôt une valeur incitative; après deux ou trois ans, le Parlement reconfirme cette loi. Dans le fond, M. le Président, c'est à peu près l'exercice qu'on fait aujourd'hui. On a voté des principes, il y a bientôt quatre ans. On les a appliqués deux ans plus tard, c'est-à-dire depuis 1979 et, après un an et demi d'application, on revient à la fois pour reconfirmer les principes qu'on avait votés en 1977 et pour apporter des améliorations, pour bonifier la loi dans le sens des outils nécessaires au milieu pour l'appliquer de façon plus adéquate.

Comme l'ensemble de mes collègues, M. le Président, j'ai rencontré des policiers, des agents de probation, des psychologues ou des travailleurs sociaux qui, depuis trois ans, m'ont parlé de la loi 24. Je voudrais, cependant, faire une distinction à l'intérieur des critiques que j'ai entendues. D'une part, les critiques s'adressaient à l'aspect protection de la jeunesse et ces critiques étaient loin d'être négatives. Ces critiques visaient plutôt à dire: C'est un aspect important de la loi. Malheureusement, l'éclairage n'est pas mis assez souvent sur cet aspect important de la loi, de sorte qu'on manque d'outils de travail. On n'a pas le temps nécessaire pour s'attaquer au problème de la protection, de la prévention. L'autre aspect des critiques s'adresse au traitement de la délinquance. Quant à moi, M. le Président, et avec bien d'autres, je m'imagine que ce n'est pas parce qu'un texte de loi existe qu'il est automatiquement compris. Ce n'est pas, non plus, parce qu'on s'entend sur les principes de fond que, dans l'application de tous les jours, on les applique en fonction de l'idée qu'on avait lorsqu'on a adopté la loi. (21 h 50)

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, le deuxième aspect de la loi 24, celui qui traite de ce qu'on appelle la déjudiciarisation, autrement dit, sortir les cas du tribunal, ce n'est pas cela, la loi ne prévoit pas cela de cette façon. J'ai pourtant rencontré un certain nombre de policiers qui m'expliquaient la loi 24 de cette façon en disant: On ne peut plus rien faire, on n'est plus capable d'aller devant le tribunal. Ce n'est pas vrai. Le principe qui existe dans la loi 24, c'est de traiter chaque enfant selon le cas propre à chaque enfant. Ce n'est pas d'attendre trois ou quatre méfaits avant de s'adresser au tribunal. Un intervenant peut s'adresser au tribunal dès le premier délit s'il juge, dans les circonstances, devant l'enfant qu'il a devant lui, que c'est la procédure à suivre. Autrement dit, ce que la loi 24 a fait, c'est de laisser à l'intervenant local le choix, en

fonction de l'enfant, des moyens à prendre. Mais ce n'est pas, comme on le prétend, de façon automatique sortir l'enfant du tribunal. C'est sortir l'enfant du tribunal si ce n'est pas le bon moyen et utiliser tous les autres moyens mis à notre disposition, et placer l'enfant devant le tribunal si c'est le moyen ou si on juge localement que c'est le seul moyen mis à notre disposition dans les circonstances.

Dans ce sens, M. le Président, je pense qu'il faut s'opposer à la mise sur pied de tout critère, de toute norme qui ferait qu'on reviendrait à la situation qu'on connaissait dans le passé. C'était quoi, la situation du passé? Un cadre et tout le monde dans le même cadre. Tu commets un délit, tu passes dans le casier qui dit que quand tu as commis un délit, c'est là qu'il faut que tu ailles. C'est clair pour nous, les adultes, mais ça ne tient pas compte de l'enfant, de ses différences ni des événements de sa vie qui l'ont amené à commettre une bêtise ou un méfait. C'est donc personnalisé; c'est ça le principe qui est important et qu'il faut retenir. Dans ce sens, un certain nombre de critiques qu'on a entendues prennent une allure tout à fait différente. Il me semble qu'il faut aujourd'hui rappeler que c'est de cette façon qu'il faut envisaqer la loi 24 amendée aujourd'hui par la loi 10.

Je ne voudrais pas, M. le Président, perdre l'occasion de vous parler d'une expérience personnelle que j'ai vécue face à la loi 24. II y a bientôt un an maintenant, alors que je me préparais à me rendre à Québec, passant à mon bureau de Montréal, j'ai laissé mon automobile stationnée devant mon bureau de comté, moteur en marche et ce qui devait arriver est arrivé: deux minutes plus tard, mon auto était disparue. Les policiers sont intervenus et, à peine trois quarts d'heure plus tard, on retrouvait mon automobile avec, à l'intérieur, trois adolescents: 15 ans, 16 ans, 14 ans.

Une voix: C'est votre faute!

M. Bisaillon: La loi 24, justement, M. le Président, a permis de faire la distinction parmi ces trois adolescents. L'intervenant dans le dossier, le travailleur social, m'a aussi fourni la possibilité de les rencontrer. Autrement dit, on a utilisé un des moyens qu'on utilise régulièrement, mettre en présence les adolescents, les jeunes qui ont commis un méfait et la personne qui a été touchée par ce méfait. J'ai trouvé cela formateur non seulement pour les jeunes à qui ça m'a permis d'expliquer non pas que c'était grave, j'ai une voiture 1969, ça n'avait pas une très grande valeur et, d'ailleurs, elle ne m'appartenait pas...

Une voix: C'était une voiture volée.

M. Bisaillon: ... mais ça m'a permis d'expliquer aux jeunes les inconvénients que ça m'avait créé et les inconvénients que ça aurait pu créer à d'autres pendant qu'ils conduisaient mon véhicule. Pour eux, ce procédé a été efficace; pour moi, ç'a aussi été efficace. C'est à double sens, ce n'est pas à sens unique. Cela permet aussi aux adultes de prendre conscience que plusieurs fois un certain nombre de méfaits sont commis, dans le fond, parce qu'ils les ont suscités, ils sont à la base d'un certain nombre de méfaits. Si cette procédure n'avait pas été possible, si on avait été dans l'ancien système, automatiquement, c'est à la Cour de bien-être social que les jeunes auraient été dirigés. De façon automatique, j'aurais été absent, j'aurais été un demandeur devant la loi et pas autre chose. Cela m'a permis d'être impliqué dans le dossier et c'est ça que vise essentiellement la loi 24.

Cette loi M. le Président, amène des corrections qui viennent du milieu, qui ont été demandées. Bien sûr, l'ensemble des corrections demandées n'est pas encore dans la loi. Cela me permet de penser, M. le Président, que, comme la situation évolue, comme la société évolue et comme les jeunes changent d'année en année, peut-être que dans deux ans, ou avant, on reviendra devant cette Chambre pour apporter d'autres modifications à la loi 24. Pourquoi s'en scandaliser? N'est-ce pas là le meilleur moyen d'avoir une législation des plus adaptées aux besoins des citoyens et de la société?

Si on était forcés, M. le Président, obligés par notre procédure parlementaire de revenir à tous les deux ans devant le Parlement et de lui soumettre toutes les lois, si on était obligés de soumettre en commission parlementaire tous les programmes gouvernementaux, est-on sûrs que toutes nos lois resteraient telles qu'elles sont écrites actuellement et que tous les programmes continueraient de fonctionner comme ils fonctionnent actuellement? Il me semble que c'est un exercice sain de se représenter régulièrement pour améliorer, bonifier, se servir de l'expérience du milieu et c'est la démarche qu'on fait aujourd'hui.

Je suis particulièrement heureux de constater que l'inclusion du milieu scolaire va ajouter dans l'application de la loi 24 un volet qui était négligé au moment où on l'a votée, de la même façon que l'exclusion d'un certain nombre de délits va permettre aux intervenants: travailleurs sociaux, psychologues, de donner plus de temps au traitement des cas de protection. Moins on aura de temps à dépenser sur des questions de règlements municipaux ou de feux de circulation, plus ce temps pourra être consacré à des enfants maltraités, à des enfants en difficulté, dont la santé est en danger, dont le fonctionnement personnel,

dont l'intégrité sont en danger. Les mauvaises langues prétendent que la meilleure preuve que la loi 24 était mauvaise, c'est qu'on se retrouve aujourd'hui à y apporter des amendements. On ajoute même que c'est à cause de la loi 24 que la criminalité a augmenté.

On pourrait souligner, M. le Président, que le meilleur moyen d'être certains que la criminalité va continuer d'augmenter, c'est de laisser de côté les problèmes lorsqu'ils se présentent à la base, c'est de continuer à ne pas traiter les cas d'enfants maltraités, de situations familiales difficiles. Si on ne traite pas ces cas-là, M. le Président, là on aura une délinquance qui ira en augmentant.

Il me semble que le projet de loi 24 avait vu ce problème et donnait autant d'importance à l'aspect protection qu'il en accordait à l'aspect délinquance. Je regrette, M. le Président, que les parlementaires et que dans le milieu les intervenants professionnels ne mettent pas plus d'accent ou d'éclairage sur la question de la protection que sur la question de la délinquance. Bien sûr la question de la délinquance, M. le Président, ça suscite beaucoup plus d'intérêt et de passion. Mais, si on pense à moyen et à long termes, pour une société, la question de protection de l'individu et, à moyen terme, de la société, il me semble que c'est tout aussi important.

En terminant, M. le Président, je voudrais souligner que peu importe de quelle façon on rédigera les lois, peu importe comment nos lois seront faites, conçues, bâties, jamais elles ne pourront répondre à l'ensemble des questions qui se posent à des humains qui vivent des situations. Le principe de la loi 24 permettait à des intervenants spécialisés de faire cette distinction et il me semble que c'est dans ce sens qu'on doit continuer. Continuer en impliquant davantage le milieu dans l'application de la loi 24 corrigée, en en faisant la promotion, en y apportant l'éclairage que cette loi mérite d'obtenir. (22 heures)

Pour ce qui est de la suggestion qui a été faite par Mme la députée de L'Acadie, je dois vous dire que je suis un de ceux qui favoriseraient grandement le genre de comité qu'elle propose. Il me semble que si, à l'avenir, on devait effectivement se pencher sérieusement sur ces questions, il me semblerait normal que des députés, comme députés et sans appartenance nécessairement à un parti plutôt qu'à un autre dans cette Chambre, puissent vérifier avec les intervenants du milieu les modifications que l'avenir pourrait nous voir apporter à cette loi, dans les prochaines années.

Pour l'instant, le ministre a été placé comme nous tous devant un certain nombre de difficultés d'application; cette loi vise à améliorer au moins en grande partie l'ensemble des revendications qui avaient été présentées. C'est dans ce sens, je pense, qu'il faut qu'on se regroupe pour voter le projet de loi no 10, comme on a voté la loi 24 en 1977, en ne perdant pas de vue qu'il ne serait pas inutile qu'on se revoie, ici à l'Assemblée nationale, dans une période de temps d'un an ou de deux ans, pour y apporter d'autres modifications souhaitées par le milieu et aussi nécessaires aux personnes qu'on vise dans ce projet de loi, la jeunesse québécoise. Merci.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Neliigan.

M. Clifford Lincoln

M. Lincoln: M. le Président, je réalise que, dans nos fonctions comme députés, nous avons chacun des attitudes partisanes sur certains sujets. On regarde les choses différemment, on a des attitudes politiques différentes, on approche des positions fondamentales différemment. Mais, s'il y a une question qui nous rejoint tous, s'il y a une préoccupation par-dessus tout qui nous rejoint des deux côtés de la Chambre, c'est vraiment la grande préoccupation de la justice sociale, les grandes préoccupations d'ordre social.

Comme le disait l'autre jour, je pense, le député de Vachon, dans son premier discours à la Chambre, la langue que parle un chômeur, pour lui, n'a pas d'importance. Si on pense aux malades, la langue importe peu, la couleur politique importe peu, c'est la même chose pour les indigents, les handicapés, les vieillards. Une plus grande préoccupation pour nous tous demeure encore la jeunesse, parce que la jeunesse, ce sont vos enfants, nos enfants, ce sont les enfants de tous; pour ceux d'entre nous qui n'ont pas d'enfant, c'est en fait l'avenir, les gens de demain, le Québec de demain.

Donc, on devrait être spécialement non partisan quand il s'agit de la grande préoccupation sociale que sont les jeunes parmi nous. De ce côté-ci, comme l'a souligné la députée de L'Acadie, qui est responsable de notre groupe d'affaires sociales, de ce côté-ci de la Chambre, nous sommes 100% d'accord sur le principe et de la loi 24 et du projet de loi no 10 qui va amender la loi 24. Il n'y aura aucune querelle sur les principes de ces deux lois. Au contraire, nous les appuyons d'emblée. Si nous avons quelques suggestions à faire, ce sont des critiques et des suggestions très constructives qui veulent, au contraire, apporter des idées d'ensemble, dire qu'on aurait peut-être dû revoir la chose après une période de rodage de deux ou trois ans en profondeur et peut-être même aller un peu plus loin. Ce n'est certainement pas une critique négative.

Par exemple, nous avons des suggestions à faire. Je suis tout à fait d'accord avec la députée de L'Acadie que la période d'hébergement volontaire devrait peut-être se prolonger au-delà d'un an; peut-être qu'un maximum d'un an, ce n'est pas assez, peut-être qu'on pourrait laisser cela plus flexible. J'appuie son projet ou son idée d'une révision automatique qui serait prévue dans la loi pour des cas semblables. J'appuie aussi à 100% et je suis très content de voir que le député de Sainte-Marie l'a appuyée cette proposition d'un comité non partisan - je ne dis pas bipartite parce qu'il devrait être non partisan - des deux côtés de la Chambre, de personnes qui sont intéressées, avec des intervenants intéressés à la question, pour justement étudier, dans la plus grande profondeur, comment on pourrait peut-être améliorer, si possible, parce que toute chose doit être améliorée, la loi no 24 et les amendements qui sont apportés par le projet de loi no 10.

On n'aura jamais assez d'unités sécuritaires. On n'aura jamais assez de centres d'accueil. Dans mon comté, par exemple, il manque d'unités sécuritaires, il manque de soins psychiatriques pour les jeunes. Au Québec, la délinquance augmente - je ne fais aucun lien, excusez-moi, entre la loi no 24 et la délinquance - mais le nombre de lits dans les centres d'accueil et les unités sécuritaires a été réduit, en proportion, d'environ 2500. À Montréal, c'est d'à peu près la moitié. Le nombre de lits est réduit par rapport à la délinquance qui augmente. C'est un problème de fond qui ne cessera jamais. On n'aura jamais assez de centres d'accueil, on n'aura jamais assez d'unités sécuritaires, on n'aura jamais assez de travailleurs sociaux.

J'aurais voulu parler d'un autre aspect qui, il me semble, se rapproche très près de ce projet de loi, qui est vraiment la base de toute la loi. On parle de protection et la protection, c'est essentiel. Je suis tout à fait d'accord avec le député de Sainte-Marie qu'on devrait mettre l'accent sur la protection, mais en même temps on devrait peut-être parler beaucoup encore de prévention parce que ce qui amène la protection, c'est justement le manque de prévention. De ce point de vue, je suis tout à fait d'accord et je suis très content, très à l'aise de voir qu'on a introduit dans les amendements à la loi la question des centres d'enseignement et des collèges parce que justement il faut apporter une politique de collaboration très étroite avec le système éducatif pour que, justement - on n'éliminera jamais la délinquance - on puisse réduire la délinquance et peut-être prévenir certains cas. Au lieu que ce soit 54,000, même si on diminuait de 4000, ce serait encore mieux. Si on diminuait de 14,000, ce serait encore bien mieux. Je pense qu'on peut le faire parce que la délinquance ne commence pas à quatorze ans. La loi prévoit 14 ans à 18 ans. Cela commence peut-être à cinq, six ou sept ans. Ces cas, si on le demande aux éducateurs, on les voit de très près quand les enfants sont très jeunes.

Par exemple, je pense qu'on peut faire une comparaison entre les écoles où on a des activités qui continuent après la période d'instruction à l'école, des activités pour les sportifs et les non-sportifs, des écoles où les professeurs et les conseillers continuent à s'impliquer après les heures normales de cours. Dans ces endroits, on remarque certainement moins d'usage de la drogue, moins de délinquance et moins de violence. J'ai travaillé au sein d'un comité d'école pendant plusieurs années où nous avons pu faire cette constatation très profonde. C'est une constatation qui s'impose parce que justement elle est très importante. Je pense que nos écoles ferment beaucoup trop tôt, que nos jeunes ne sont pas assez occupés et ne sont pas assez impliqués. On peut les protéger, mais il faut d'abord les intéresser. Il faut d'abord les impliquer dans des activités qui vont les intéresser: activités sportives pour ceux qui peuvent faire du sport, activités non sportives pour ceux qui ne peuvent pas en faire. Il y en a tellement auxquelles on peut penser. Maintenant, on renvoie le problème, on renvoie la balle aux municipalités qui ont justement à faire des programmes de loisirs. Il faudrait qu'il y ait une concertation entre les loisirs, les municipalités, les écoles et tous ces ministères qui sont impliqués dans la jeunesse même.

Les étés sont une autre source de problèmes. L'école finie, les enfants sont laissés pendant parfois trois mois tout à fait à eux seuls. Bien souvent, les parents travaillent. Comment ne pas penser alors qu'un jour ou l'autre cela va conduire à la délinquance? Il faut justement qu'il y ait là aussi des programmes d'été beaucoup plus soutenus, pas un petit programme qui est fait au pied levé par une municipalité ou une autre, sans orientation définie, sans planification étudiée. Il faudra justement qu'on fasse une concertation au niveau de la prévention en profondeur, des projets communautaires où, par exemple, les familles seront impliquées. (22 h 10)

Je voyais une statistique que m'a montrée ma collègue, la députée de Jacques-Cartier, qui a été dans le milieu de l'éducation pendant plusieurs années, démontrant justement que dans nos écoles il y a un conseiller pour 400 étudiants. C'est tellement pénible, cette statistique! Comment, après cela, peut-on prévenir les cas qui vont justement devenir des cas de protection?

Tout à l'heure, je demandais à un de

mes amis quelle était la contrepartie, dans le milieu francophone, du YMCA. Il m'a dit: La seule chose à laquelle je puisse penser, c'est la Palestre nationale. Même là, dans une grande province comme le Québec, dans une grande région comme Montréal, nous avons peut-être deux organismes, dans certains centres, qui s'occupent justement des loisirs sportifs et non sportifs pour toute notre population de jeunes, pour tous nos jeunes adultes. Ce serait intéressant de savoir combien coûtent les YMCA et la Palestre nationale en comparaison de toutes nos unités sécuritaires, nos travailleurs sociaux, toute cette administration immense qu'on est obligé de créer pour la protection. On aurait peut-être pu mettre un peu plus d'arqent dans la prévention.

On parle, par exemple, du chômage chez les jeunes; 17 jeunes sur 100 sont en chômage. Là aussi il y a une relation avec la délinquance parce que si des jeunes sont en chômage, il vont traîner sur les routes. Là aussi, il faut qu'on ait des programmes établis avec les municipalités pour donner du travail aux jeunes, pour leur donner au moins du travail à temps partiel pour les aider à s'occuper, à s'occuper de plus jeunes qu'eux-mêmes, peut-être.

Je suggérerais l'idée d'un comité, qui a l'air de recevoir une bonne acceptation des deux côtés de la Chambre, soit élargi pour rejoindre le ministère des Affaires sociales, le ministère de la Justice, le ministère de l'Éducation, le ministère du Loisir et celui des Affaires municipales parce qu'ils sont tous impliqués dans la protection de la jeunesse. Je suggère qu'on pense peut-être un peu plus loin que la loi 24, qu'on pense à un genre de charte de la jeunesse qui irait beaucoup plus loin qu'une loi de la protection, que ce soit une loi de protection, une loi qui rejoigne la protection, l'aspect judiciaire et les grandes lignes d'une politique de priorités et de planification pour la jeunesse et de prévention de la délinquance juvénile. Je pense qu'il faut que ça aille aussi loin que ça; même si ça prend plusieurs années, il faut essayer. Je suggérerais cela au ministre avec tout le respect que je lui dois et dans un esprit constructif. Peut-être qu'on pourrait y songer pour l'avenir. Merci.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Verchères.

M. Pierre Charbonneau

M. Charbonneau: Après un certain nombre d'années d'existence de la loi 24 et après un peu moins d'années d'application de cette loi, après des discussions depuis un certain nombre de mois à l'extérieur de cette Chambre, après quelques heures de discussion ici, à l'Assemblée nationale, je pense qu'un diagnostic général peut être posé sur la loi 24 qui fait à peu près l'unanimité de tout le monde. En fait, c'est une bonne loi qui a soulevé et qui soulève encore des problèmes d'application, mais c'est une loi qui, fondamentalement, mérite d'être conservée dans son essence même et à laquelle il importe d'apporter des modifications dans un esprit le plus constructif et le moins démagogique possible.

Malheureusement, dans les discussions ou les débats qui ont eu cours à l'extérieur de cette Chambre depuis quelques mois, on a parfois entendu des pointes de démagogie qui dénaturaient la compréhension qu'on pouvait avoir de la loi 24 et de sa portée. Heureusement, depuis quelques heures on assiste ici... En tout cas, moi, personnellement, depuis quatre ans et demi comme député à l'Assemblée nationale, j'assiste à un des débats les plus intéressants, les moins partisans et les plus élevés qu'il m'a été donné d'entendre dans cette Assemblée nationale. Je dois rendre hommage autant à mes collègues de l'Opposition qu'à mes collègues du côté ministériel; je pense que, depuis quelques heures, on a mis le maximum d'efforts de chaque côté de la Chambre pour faire en sorte que ce débat se situe au niveau où il doit se situer en rapport avec le problème qui nous concerne tous. Mon intervention se voudrait plutôt, M. le Président, une espèce de résumé qui permette aux gens qui, à l'extérieur de cette Chambre, écoutent les débats et sont intéressés par la question de situer un peu la problématique de l'ensemble de la loi 24 et de la loi 10 qui est devant nous. Je pense qu'il y a deux types de problèmes d'application qui ressortent de la loi 24, en particulier en ce qui concerne la délinquance juvénile. Il y a d'abord les problèmes techniques et, reliés aux problèmes techniques, les problèmes de ressources que plusieurs députés de chaque côté de cette Chambre ont mentionnés.

Les problèmes techniques, dont certains trouvent leur solution dans le projet de loi no 10, M. le Président, on peut en mentionner quelques-uns. Les périodes d'hébergement volontaire obligatoires pas assez longues. L'engorgement dans les centres d'accueil et dans les comités de protection de la jeunesse. Les communications trop permissives dans certains cas qui ont facilité la manipulation de jeunes par des éléments de l'extérieur. L'absence aussi de certains intervenants importants comme les gens dans le milieu scolaire. On pourrait ajouter d'autres problèmes techniques qui sont reliés à la rédaction même du projet de loi no 24 et à son contenu. Ces problèmes, comme je le soulignais, trouvent en partie leur solution dans le projet de loi no 10 et d'autres problèmes techniques ne trouvent pas encore

malheureusement leur solution dans le projet de loi qui est devant nous actuellement.

Il y a également reliée à ces problèmes techniques qui soulèvent des problèmes d'application toute la question des ressources humaines, ressources physiques et, bien sûr, ressources financières. Je ne pense pas qu'on doive imputer la responsabilité fondamentale du problème des ressources uniquement au gouvernement, à un gouvernement quel qu'il soit. Le député de Nelligan et d'autres avant lui ont, je pense à bon droit, fait ressortir qu'il y a un problème de société global. Il y a des choix globaux. Je pense que le député de Nelligan avait raison de dire qu'on n'aura jamais assez de centres d'accueil, qu'on n'aura jamais assez de services psychiatriques, qu'on n'aura jamais assez de travailleurs sociaux. En fait, les problèmes sociaux qui sont engendrés par le type de société dans lequel on vit, société qui elle-même crée ces problèmes en bonne partie, exigent des ressources physiques, humaines, financières telles qu'il y a beaucoup de place pour l'amélioration. Il va peut-être falloir, a un moment donné, qu'on cesse d'entendre dans cette Chambre et à l'extérieur l'argumentation suivante qui est souvent invoquée lorsqu'on parle de problèmes sociaux: On met trop d'argent dans le social et pas assez dans l'économique.

Si, autour de questions comme la protection de la jeunesse, on en arrive de chaque côté de cette Chambre à s'entendre sur l'importance des problèmes sociaux dans notre société, sur l'importance qu'il faut y consacrer des sommes considérables, qu'il faut y consacrer des énergies physiques, humaines et financières importantes, on va peut-être pouvoir finalement trouver des solutions plus facilement qu'on peut les trouver actuellement parce que c'est un problème politique et quelque gouvernement que ce soit qui est appelé à la tête de l'État a à faire face à ces problèmes politiques de choix. Est-ce qu'on met plus d'argent dans le social? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour engager des travailleurs sociaux? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour construire des centres d'accueil? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour se doter de soins psychiatriques? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent dans la prévention, dans des animateurs, dans des maisons pour les jeunes? Ou est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour aider aux entreprises, pour développer certains secteurs économiques? Est-ce qu'on va continuer à opposer ces choix les uns aux autres continuellement comme on le fait depuis des années, sinon peut-être des générations? (22 h 20)

Autour, M. le Président, de ces problèmes techniques, de ces problèmes de ressources, il y a aussi reliés à la loi 24 tous les problèmes de perception et de mentalité. On a dit à juste titre, je pense, qu'on a beaucoup mis en relief les droits des jeunes en rapport avec la loi 24 et peu mis en relief, en fait, presque passé sous silence les responsabilités que les jeunes ont en regard de cette loi, mais en général dans la société. Cela a amené un certain nombre de problèmes de perception et, entre autres, ces problèmes ont été mentionnés par le président du Comité de protection de la jeunesse du Québec, Me Jacques Tellier, dans une communication qui date déjà d'il y a presque un an. Il disait: "Une telle compréhension de la part des jeunes qui sont concernés par des problèmes de délinquance, entre autres, engendre le climat que connaissent certains centres d'accueil où le jeune refuse d'entrer activement dans un processus de rééducation et fait son temps en attendant de pouvoir exercer son droit à faire réviser sa situation. On connaît les conséquences d'une telle attitude: effets d'entraînement chez les autres jeunes, abus des procédures de révision, délais interminables et stériles, démobilisation des éducateurs et, finalement, inefficacité complète du séjour en centre d'accueil. Il n'y a pas uniquement les jeunes qui ont une mauvaise perception de la loi, une mauvaise perception de leurs responsabilités." Me Tellier soulignait qu'en bonne partie, la population en général a aussi, malheureusement, une mauvaise perception de cette loi et cette perception négative, mauvaise dans bien des milieux s'est aggravée par ce que j'appelais tantôt certaines pointes de démagogie qui ont eu cours pendant les derniers mois à l'extérieur de cette Chambre, lorsqu'on faisait état de la loi 24 et de ses problèmes d'application.

La députée de L'Acadie avait raison, je pense, plus tôt dans cette soirée, de réclamer une meilleure information. Je pense que le débat qui a cours depuis quelques heures est peut-être un des éléments moteurs ou un des éléments qui vont peut-être déclencher, à partir de maintenant, une information plus adéquate. Heureusement, l'Assemblée nationale a maintenant l'avantage d'être le point de mire de milliers de Québécois et de Québécoises à travers la télévision. J'ai l'impression qu'on pourrait faire encore oeuvre utile si on continuait de poursuivre ce débat dans le même ton que celui où il a commencé, parce que cela va permettre à beaucoup de gens de comprendre la portée véritable de la loi 24, d'abandonner un certain nombre de préjugés, de mieux comprendre où se situent les problèmes d'application en regard de cette loi et ce qu'on doit faire pour corriger ces problèmes d'application à court terme, à moyen terme et dans un processus de plus long terme.

Il y a aussi un certain nombre de problèmes de mentalité qui ont été soulevés

par différentes personnes. Par exemple, il y a plusieurs mois, un an et demi à peu près, le directeur de la protection de la jeunesse de la région de Trois-Rivières soulignait, entre autres: "Ce qui est le plus difficile à changer en regard de cette loi, de la loi 24, ce sont les mentalités. Il faut compter au moins sur cinq ans pour que ces mentalités, disait-il, changent d'une façon positive, mais néanmoins la loi 24, ajoutait-il, a permis de bonnes interventions, a permis d'identifier certaines de nos limites qui demandent l'intensification de nos efforts..." Et il continuait dans ce sens.

Un criminologue du nom de Jean Lajoie disait, pour sa part: "La loi 24 exigeait et continuera d'exiger des changements profonds et consistants dans les mentalités, dans les comportements et dans les pratiques professionnelles; en bref, une transparence à tous les niveaux qui n'a pas encore été unanimement acceptée par les milliers d'intervenants impliqués par la loi quotidiennement. Le problème essentiel de la loi 24, disait le criminologue Jean Lajoie, c'est ça et rien d'autre, c'est-à-dire un problème de mentalités et en particulier un problème de mentalités auprès des gens qui ont la première responsabilité d'appliquer la loi, de travailler quotidiennement avec les jeunes à différents niveaux."

On pourrait aussi donner l'exemple qui a été donné par le directeur de la protection de la jeunesse de la région de Trois-Rivières où, par exemple, des avocats de la défense défendent les jeunes dans une optique traditionnelle à tout prix sans s'interroger sur la portée exacte de leur approche traditionnelle de juristes et sans se demander si, comme avocats, ils ne pourraient pas rendre un plus grand service à leurs clients s'ils adoptaient une attitude moins traditionnaliste, moins avocassière.

À ces problèmes de mentalité, d'application et de perception de la loi de la part des professionnels qui ont à l'appliquer se greffe toute la question des critères précis de judiciarisation ou de déjudiciarisation qui ont été abordés tantôt, notamment par le député de Mont-Royal. Ces problèmes de critères de judiciarisation ou de déjudiciarisation ont été notamment soulignés lors de différents colloques régionaux organisés par la Société de criminologie du Québec, mais il n'est pas certain, quand on analyse les interventions lors de ces colloques régionaux, qu'il faille maintenant s'engager dans la voie de définir très précisément les critères. Peut-être faut-il encore un temps de réflexion pour faire en sorte qu'un consensus plus véritable se dégage de la part des intervenants qui ont à ppliquer la loi quotidiennement pour qu'éventuellement les critères - dans certains cas, on souligne qu'il serait utile d'avoir certains critères précis - soient adaptés aux réalités auxquelles sont confrontés les gens dans le milieu. Le gouvernement, je pense, doit présenter - et il l'a fait jusqu'à maintenant -ce projet de loi avec humilité, sans prétendre que c'est la panacée au problème de la délinquance juvénile ou même aux problèmes d'application qui sont engendrés par la loi 24.

Personnellement, j'aurais préféré et souhaité un examen plus en profondeur de toute la problématique de la délinquance juvénile dans la société. Je ne crois pas, cependant, qu'il était possible avant aujourd'hui et qu'il est encore possible à court terme de faire ce débat global, cette discussion en profondeur sans menacer, d'autre part, si on n'agit pas à court terme, l'application de la loi et la façon dont elle est reçue par beaucoup de gens dans notre société. Il fallait peut-être agir à court terme et, dans ce sens, je crois qu'il faut accueillir favorablement le projet de loi no 10. Il ne répond pas à toutes les attentes, encore que là il faut être conscient que ces attentes sont souvent contradictoires. Quand on analyse les demandes ou les critiques qui sont formulées par les gens dans le milieu, par ceux qui ont appliqué la loi 24, par ceux qui travaillent quotidiennement avec les jeunes, en particulier les jeunes délinquants, on se rend compte qu'il n'y a pas unanimité et que ce ne serait peut-être pas une bonne approche que de vouloir se précipiter et bousculer les choses.

Le député de Sainte-Marie avait raison de dire tantôt qu'un processus de révision permanente d'un certain nombre de lois fondamentales devrait être engagé c'en est une loi fondamentale, la Loi sur la protection de la jeunesse. On a fait un certain rodage. Quand on achète une automobile, on rode le moteur et, par la suite, on fait des ajustements, et périodiquement on doit faire des ajustements si on veut garder le moteur en bonne condition. J'ai l'impression que c'est le genre de loi qui va se retrouver périodiquement devant l'Assemblée nationale. Dans le fond, c'est une bonne chose.

J'avais préparé mon intervention avant même que mon collègue de Sainte-Marie fasse la sienne. Moi aussi, je pense que je me dois d'accueillir favorablement la suggestion de la députée de L'Acadie. Je pourrais même ajouter que j'espère que cette suggestion sera concrétisée le plus rapidement possible et qu'on franchira une étape rapidement. Immédiatement après l'adoption du projet de loi no 10, je pense qu'il y aurait avantage à ce qu'un certain nombre de personnes de chaque côté de cette Chambre se réunissent, peut-être même d'une façon informelle, et que dès maintenant ou prochainement, avant même qu'on parte, de chaque côté de la Chambre, pour les vacances d'été, il y ail un certain

calendrier ou un certain échéancier d'organisé pour embrayer cette réflexion permanente qui doit être faite plus en profondeur à la fois de la loi 24 et de l'ensemble des problèmes reliés à la délinquance juvénile dans notre société.

D'une certaine façon, quand on analyse le problème de la délinquance juvénile - ç'a été ma démarche personnelle, j'ai été étudiant en criminologie, c'est à travers des problèmes de criminalité que je me suis personnellement politisé et sensibilisé à une multitude de problèmes dans notre société, et cela m'a amené finalement à faire de la politique - ou même le problème de la criminalité en général dans notre société ou dans n'importe quelle société, on en arrive inévitablement à faire de grandes discussions, des choix fondamentaux et peut-être des examens de conscience qui nous amènent parfois à modifier de façon complète nos perceptions souvent traditionnelles, souvent acquises, sans même qu'on sache pourquoi, sur une multitude de problèmes structurels dans notre société.

M. le Président, je termine ici mon intervention. Je pense que, de chaque côté de la Chambre, on doit voter pour le projet de loi no 10, mais on doit aussi poursuivre la réflexion. Les gens qui nous écoutent, les gens qui sont dans le milieu et qui attendent de l'Assemblée nationale une intervention rapide pour corriger un certain nombre de problèmes d'application attendent que s'engage un processus de réflexion plus en profondeur à la fois sur cette loi et sur l'ensemble du problème, entre autres, de la délinquance juvénile dans notre société. Merci. (22 h 30)

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Marquette.

M. Claude Dauphin

M. Dauphin: M. le Président, je tiendrais d'abord à vous dire que je souscris également au principe du projet no 10 et qu'effectivement, si nous voulons débattre le projet de loi no 10, il nous faut parler plutôt de la loi 24.

En guise de préambule, M. le Président, il va de soi que, pour nos jeunes et surtout notre jeunesse québécoise, d'avoir une loi particulière traitant de ces jeunes comparativement à la loi d'application générale. Car, même parmi les membres de cette Chambre, je suis persuadé que presque nous tous, dans notre jeunesse, nous avons commis certaines erreurs ou que nous avons eu un problème de comportement à un moment donné, ce qui peut nécessiter un traitement spécial ou particulier pour nos jeunes dans ce domaine.

J'aimerais - je note, pour rassurer le député de Verchères, que j'ai une note positive sur le projet de loi - attirer l'attention du ministre d'État au Développement social, qui parraine ledit projet de loi no 10, sur les témoignages qu'on entend souvent de la part des forces constabulaires ou de certains policiers qui, a tort ou à raison, nous disent souvent qu'ils n'ont plus à arrêter les jeunes délinquants car, aussitôt qu'on les arrête, le lendemain, on les retrouve sur la rue encore une fois, et peut-être en train de commettre les mêmes larcins. J'aimerais attirer l'attention du ministre ainsi que du ministre de la Justice sur l'éventualité de peut-être mieux expliquer aux forces constabulaires et aux policiers comment ils doivent appliquer cette loi 24. II va de soi que ce sont les premiers à voir à l'application de cette loi et je pense qu'il serait impérieux, dans l'intérêt du Québec et de notre jeunesse québécoise, que les policiers puissent appliquer la loi et comprennent mieux le rôle qu'ils auraient à jouer.

Brièvement, j'aimerais également, vous donner un témoignage personnel, en tant qu'avocat, sur un fait survenu et avant que je siège à cette Chambre. Je pratiquais le droit et j'ai eu l'occasion de défendre de jeunes délinquants dans des procès au Tribunal de la jeunesse, plus particulièrement à Kirkland, là où il y a un Tribunal de la jeunesse. J'aimerais vous dire, premièrement, que des avocats de pratique privée, il n'y en a plus dans cette région qui vont au Tribunal de la jeunesse. Les travailleurs sociaux nous appellent régulièrement pour nous demander et nous supplier d'agir pour des enfants, des jeunes, dans des cas de procès de délinquance car tous ceux qui s'y trouvent sont des avocats de l'aide juridique. Je ne veux pas dire que les avocats de l'aide juridique sont moins bons que les avocats de pratique privée, mais ceux-ci sont débordés, M. le Président. J'ai été à même de constater à plusieurs reprises qu'un avocat de l'aide juridique avait vingt procès dans la même journée parce que les avocats de la pratique privée ne sont plus intéressés à y aller, et pour différentes raisons. Premièrement, c'est que c'est remis constamment. Non seulement c'est remis constamment, mais si, à l'occasion, il n'y a pas de sténographe français, c'est remis à une semaine. On se rend la semaine subséquente, c'est encore une fois remis pour une raison ou pour une autre, alors que vous savez que, dans le secteur privé, il y a toujours une question de rentabilité dans un bureau d'avocat. C'est la raison, à mon sens, pour laquelle on ne les y retrouve plus.

Je pense que, pour attirer encore une fois l'attention du ministre d'État au Développement social, il y aurait lieu en ce qui concerne l'administration du Tribunal de la jeunesse, d'y apporter certains correctifs.

Tous mes collègues qui m'ont précédé

ont parlé de l'essentiel du projet de loi no 10. En terminant, M. le Président, je tiens tout simplement à vous dire que, pour la jeunesse québécoise, il y va de l'intérêt supérieur de toute la collectivité et de nos jeunes de voir à améliorer la situation. J'envisage, au même titre que la députée de L'Acadie, éventuellement une commission parlementaire ou un comité mixte non partisan afin de réviser en profondeur ladite loi 24 pour y apporter tous les correctifs nécessaires.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Viau.

M. William Cusano

M. Cusano: Merci, M. le Président. Lorsqu'on parle de la protection de la jeunesse, nous avons tous une obligation non seulement envers un système punitif humanitaire ou un système de réhabilitation, mais nous avons tous une obligation ultime envers un système de prévention. Je suis d'accord sur la plupart des changements mineurs proposés par le projet de loi no 10 devant nous. Je souhaitais un examen plus profond de la loi 24. Je souhaite également que le ministre de l'Éducation nous fasse des propositions touchant la prévention dans le milieu scolaire, particulièrement en ce qui a trait à l'abandon scolaire qui, dans un contexte d'emploi extrêmement difficile pour les jeunes, risque souvent de les mener à des comportements de délinquants. Y a-t-il un moyen de prédire, de corriger, de prévenir et de diminuer la délinquance auprès des jeunes adolescents par le biais de l'école? Le milieu des décrocheurs est-il le milieu favorable à la délinquance? Qui, dans l'école, va s'occuper de faire de la prévention? Il y a plusieurs projets qui ont été pilotés à travers le Canada, dans la province de Québec et j'aimerais présenter ici particulièrement le projet qui a été piloté dans une école polyvalente de Granby, ici dans la province de Québec.

Tout le monde à peu près dans l'école a accepté de s'impliquer dans ce processus, et surtout les professeurs. D'abord, l'école s'est donnée une formule d'encadrement d'élèves où la majorité des professeurs acceptent une tâche de tuteur. Dans ce rôle, chaque professeur doit établir et entretenir des relations de compréhension et d'encouragement avec les élèves dont il devient le conseiller. C'est donc à l'intérieur de cette formule facilitante et très peu coûteuse que s'est développée la stratégie d'intervention et de prévention. Le projet se poursuit depuis trois ans et les résultats observés sont intéressants. Il y a eu une baisse de taux d'abandon et même on peut dire une baisse de délinquance juvénile. Mais comment le ministère de l'Éducation du

Québec réagit-il à tout cela? Des progrès ont été marqués - il faut l'admettre - depuis quelques années et le plus important est peut-être l'entente conclue entre l'État et les enseiqnants lors des négociations menant à la signature de la convention de 1976. Cette entente assure un accroissement du rôle de l'enseignant en prolongeant son action bien au-delà de l'enseignement proprement dit.

Ainsi, 10% de sa charge de travail ont été consacrés à des activités d'encadrement de récupération de vie étudiante et de surveillance. Il faudrait dans les ententes à venir s'assurer que cette participation soit augmentée au-delà de 10%. Mais, nous pourrions aussi, en même temps employé du personnel additionnel. On nous a dit l'autre jour qu'un grand nombre de professeurs seront en disponibilité au mois de septembre prochain. On parle d'environ 5000 à 6000 professeurs qui seront en disponibilité et qu'on pourrait utiliser, à l'exemple de la polyvalente de Granby.

J'ose souhaiter que le gouvernement soit en mesure d'utiliser davantage par le biais de la nouvelle négociation le potentiel professoral qui se meurt en demeurant en disponibilité, pour apporter des corrections radicales et une prévention réelle à la délinquance potentielle de nos écoles.

Merci beaucoup.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Rousseau.

M. René Blouin

M. Blouin: Merci, M. le Président. J'ai tenu très brièvement à participer à ce débat, principalement parce que j'ai oeuvré pendant au-delà de huit ans auprès de jeunes en difficulté d'adaptation dans une institution de rééducation. Je crois que le sujet que nous touchons aujourd'hui est d'une très grande importance. Je suis d'ailleurs très heureux que ce sujet soit abordé sans partisanerie politique et qu'il soit traité avec tous les égards qu'il mérite.

Si je peux formuler un souhait, M. le Président, je n'espère qu'une chose, c'est que si nous avons, dans les semaines qui viennent, certains débats fondamentaux à tenir, ils se tiennent dans le même esprit d'absence de partisanerie politique dans les meilleurs intérêts du Québec et de ses citoyens. (22 h 40)

Ces modifications à la loi 24, M. le Président, s'inscrivent dans une démarche qui veut que les interventions auprès des jeunes collent à la réalité. Ce que je veux dire par là, M. le Président, c'est que non seulement nous sommes appelés maintenant à modifier la loi 24, mais j'espère que nous aurons à nous pencher à nouveau sur ce sujet dans les

mois et dans les années qui viennent, car c'est un sujet qui méritera toujours d'être suivi et qui méritera toujours d'être amélioré et d'être amendé pour coller davantage à la réalité et pour aider les intervenants et les jeunes qui en bénéficient à pouvoir progresser et se réadapter à la vie normale.

Évidemment, ce n'est pas le projet de loi no 10 qui réglera les problèmes affectifs et sociaux des enfants. Mais je crois que les éléments qui sont modifiés par ce projet de loi permettront aux intervenants sociaux, en les utilisant avec beaucoup de parcimonie, d'agir avec plus d'efficacité dans certains cas spécifiques.

J'énumérerai, M. le Président, très rapidement cinq aspects du projet de loi no 10 qui, je crois, pourront aider les intervenants sociaux à agir plus efficacement auprès de la jeunesse en difficulté.

D'abord, le projet de loi permettra au directeur général de certaines institutions de limiter le droit d'un enfant à entrer en contact avec certaines personnes. Puisqu'il est vrai que, dans certains cas spécifiques, certaines personnes ont été à l'origine des problèmes que vivent les enfants, il est vrai également que, dans certains cas, l'élimination de contacts pour un temps donné avec cesdites personnes peut favoriser la rééducation de ces enfants.

J'espère - et je n'entretiens pas de crainte à cet égard, mais je veux le souligner - que cette disposition de la loi sera utilisée avec beaucoup de précaution et qu'elle ne permettra pas à certains éducateurs de pouvoir éviter de reprendre contact avec certains milieux qui ont parfois engendré des difficultés d'adaptation chez des jeunes, mais que cela ne sera utilisé que dans les cas où on sera certain qu'un contact spécifique peut nuire à l'évolution de l'enfant. Je répète qu'on ne s'en servira pas, surtout pas pour éviter, dans certains cas, d'entrer en contact, par exemple, avec les milieux naturels de l'enfant.

Deuxièmement, et je rejoins la première idée que j'ai exprimée, il est heureux que cette loi permette au Tribunal de la jeunesse de trancher directement certains cas qui ne touchent pas la délinquance profonde. Je suis assez porté aussi à être d'accord avec Mme la députée de L'Acadie qui souhaiterait que ces dispositions législatives soient étendues à d'autres sujets qui ne sont pas non plus de la délinquance profonde et auxquels il est inutile d'accorder trop d'importance, ce qui peut même, dans certains cas, créer une situation qui, pour l'enfant, prend une importance démesurée par rapport au geste qu'il a posé et peut ne pas l'aider à se situer justement par rapport au comportement qu'il a utilisé.

Dans le même esprit, je crois aussi que la prolongation de l'hébergement volontaire peut, dans certains cas, être très utile pour aider l'enfant à se rétablir de façon plus définitive avant d'être réintégré dans son milieu, afin qu'il ait acquis des forces plus grandes qui lui permettent souvent de tenir le coup et de poursuivre son évolution.

Je n'insisterai pas longtemps non plus pour donner mon accord sur le fait que les dossiers du Tribunal de la jeunesse doivent conserver un caractère de stricte confidentialité. Je crois que cela permet d'éviter que certains enfants soient marqués à vie lorsque les dossiers commencent à s'étendre trop. Le fait que les dossiers demeurent très confidentiels permet dans beaucoup de cas aux enfants de s'en tirer plus facilement lorsqu'ils sont dirigés vers des attitudes plus positives.

Le dernier élément sur lequel j'interviendrai très brièvement est la disposition législative qui permettra, dans certains cas encore une fois, comme on fait passer la limite de six mois à un an, de prolonger l'hébergement en institution sécuritaire. Cette mesure peut être indiquée dans certains cas, mais il faut éviter aussi d'en abuser. Dans la mesure où un enfant fait partie d'un système sécuritaire, et qu'on le fait de façon prolongée, il est dangereux d'hypothéquer son évolution et de faire en sorte qu'il se conditionne à ce genre de vie et qu'ensuite il ait beaucoup de difficultés à s'en sortir. Je crois qu'à cet égard la limite d'un an fixée dans la loi fait preuve de prudence, et je suis tout à fait d'accord avec cette limite. Au-delà de cette période, il pourrait y avoir des conséquences sur lesquelles on pourrait difficilement revenir par rapport à l'évolution de l'enfant, à l'encadrement qu'on lui aurait fourni, et qui l'aurait habitué à vivre dans un milieu sécuritaire et à développer des habitudes qui font qu'à un moment donné il a de la difficulté à s'en sortir et à réintégrer les milieux normaux.

Je conclurai très rapidement en rappelant que je souhaite que les dispositions de la loi ne soient utilisées que dans des cas exceptionnels et que la ligne de conduite, la philosophie même de la rééducation des jeunes délinquants s'oriente davantage en termes de contacts avec les milieux naturels et les enfants. Le rôle des éducateurs doit se concentrer sur le contact avec les milieux naturels pour que ces milieux qui, de toute façon, ont le plus d'influence sur l'enfant, soient amenés, eux aussi, à évoluer avec l'enfant afin que quand on donne un coup de pouce à un enfant ce ne soit pas comme une jambe de bois inutile quand il retourne dans son milieu naturel. L'évolution de l'enfant devrait être suivie en parallèle avec l'évolution de la famille et du milieu naturel qui lui permettra ainsi de réintégrer ce dernier de façon harmonieuse.

Je crois - et je termine là-dessus - que

c'est en pénétrant les milieux naturels et en les comprenant mieux - ce n'est pas toujours facile de part et d'autre, ce n'est pas toujours facile pour les éducateurs qui ont souvent des préjugés à l'égard des milieux naturels des enfants et ce n'est pas toujours facile non plus pour les milieux naturels qui ont souvent des réticences à l'égard des éducateurs - qu'on arrivera à axer le travail de rééducation en ce sens pour que ce travail de rééducation puisse se baser sur les milieux naturels de l'enfant. Je crois que c'est la seule façon d'améliorer de façon solide et de la façon la plus définitive possible la situation de l'enfant en lui permettant de réintégrer la vie normale et de vivre en harmonie avec les autres. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Saint-Laurent. (22 h 50)

M. Claude Forget

M. Forget: Lorsque le ministre du Développement social, M. Marois à l'époque, a présenté la deuxième lecture de ce projet de loi il y a près de quatre ans, il s'est félicité de présenter une loi qui était -j'utilise presque ses propres mots - le fruit de la volonté de collaboration de ses deux collèques, le ministre de la Justice et le ministre des Affaires sociales, qui, selon lui, aurait permis, pour la première fois d'atteindre à un consensus véritable dans la formulation d'un projet de loi et dans sa présentation à l'Assemblée nationale. Le ministre, à l'époque, avait fait un tableau des difficultés nombreuses et soutenues qu'avaient connues les efforts antérieurs de légiférer dans un domaine aussi complexe et aussi délicat. Il présentait la solution qui est dans le fond indirectement débattue aujourd'hui comme étant la réponse à la recherche d'un équilibre. Tout le monde, je crois, est sensible au fait que deux préoccupations sont en présence dans la législation relative à la protection de la jeunesse, deux préoccupations également légitimes qui, en plus de représenter des orientations en quelque sorte philosophiques, sont en quelque sorte aussi incorporées par deux groupes de professionnels dont les formations et les attitudes divergent.

L'une de ces attitudes vise à assurer à la société une mesure adéquate de protection et Dieu sait que l'évolution que l'on observe aujourd'hui du côté de ce qu'on appelle communément la délinquance juvénile montre que la société a besoin de protection puisque des jeunes menacent la sécurité des citoyens tout autant ou presque du moins que le font les adultes eux-mêmes. Lorsque les rues de nos villes deviennent un endroit de danger, une menace pour les citoyens et citoyennes, particulièrement les gens âgés, mais pas exclusivement ceux-là, je crois que la société que nous représentons ici a le droit de s'interroger à savoir si cette préoccupation de protection de la société, de maintien d'un certain ordre, d'une certaine sécurité a suffisamment de poids dans l'ensemble du processus. Mais, à tout événement, il s'agit d'une préoccupation légitime.

L'autre préoccupation est également légitime, mais elle est orientée tout à fait différemment. Il s'agit, pour ceux qui s'en font les avocats, d'insister sur le caractère particulier des circonstances qui entourent la vie du jeune, de l'adolescent, circonstances diverses qui font, par exemple, que, dans un grand nombre de cas, il vit encore sous l'autorité parentale. Il est donc susceptible d'être influencé par son milieu familial qui, la plupart du temps, pour ne pas dire toujours, ne partage pas, bien sûr, les orientations délictuelles ou déliquantes du jeune et est tout disposé à participer par son éducation à sa réorientation.

Ces préoccupations sont aussi animées par le sentiment que la société face aux jeunes a un devoir particulier de veiller à sa rééducation, à son orientation parce que, ne serait-ce qu'en termes d'intérêt collectif, le jeune a un avenir beaucoup plus long devant lui et s'il n'est pas effectivement réformé dans son comportement, la menace qu'il représente pour la sécurité de notre société, pour ses concitoyens, est d'autant plus importante, d'autant plus prolongée. Il y a donc certainement des préoccupations qui jouent: la présence d'un milieu familial, le caractère particulièrement influençable de l'enfant, le potentiel qu'on devine en lui de rééducation et de réorientation qui fait que ceux qui veulent développer une approche dite sociale ont une très bonne cause à défendre et la défendent effectivement avec beaucoup de persuasion et beaucoup de force de conviction.

Le secret dans ceci comme dans bien d'autres choses, c'est d'assurer un équilibre et, pour me rapporter encore une fois aux propos du ministre, les félicitations qu'il adressait au gouvernement à l'époque en disant: Voici enfin une solution qui est équilibrée, c'est un jugement qu'il nous faut peut-être aujourd'hui réviser un peu à la lumière de l'expérience acquise depuis quatre ans.

Il me semble effectivement que l'équilibre qui a été obtenu au sein du Conseil des ministres et au sein du gouvernement était peut-être beaucoup plus un équilibre des institutions, des groupes professionnels et des hiérarchies administratives en présence qu'un véritable équilibre dans le concret des décisions qui sont prises face aux jeunes qui se présentent devant le directeur de la protection de la jeunesse. C'est un équilibre qui, je pense, est central dans l'ensemble de la loi et qu'il

faut assurer à tout prix.

J'aimerais, à ce sujet, revenir sur les propos que j'ai tenus à l'époque, parce que, même si nous avons, à l'époque, endossé en quelque sorte ce projet de loi, nous ne l'avons fait qu'avec une certaine réserve vis-à-vis des orientations que le gouvernement et le ministre du Développement social de l'époque avaient prises quant à cette question d'établir justement un équilibre entre les préoccupations de protection de la société et les préoccupations sociales pour utiliser l'expression que tout le monde connaît.

Je relis la citation, elle est brève, M. le Président. Je disais: "Je m'interroge personnellement à savoir si, en voulant placer sous le chapeau du directeur des services sociaux ou, plus correctement, du directeur de la protection de la jeunesse dans les centres de services sociaux toutes les responsabilités qu'un projet antérieur attribuait aux comités locaux d'orientation, on ne les place pas dans une situation difficile, en quelque sorte, de conflit, - j'ose à peine dire de conflit d'intérêts, à cause des connotations du terme - en les faisant juge et partie dans l'orientation qu'on doit faire assumer à un jeune entre la voie judiciaire et la voie de réadaptation sociale. "Le centre de services sociaux est, malgré tout, juge et partie dans cette version de la loi qui est devenue la loi 24. Il se peut que la participation d'un délégué du ministre de la Justice suffise à rétablir l'équilibre des considérations, mais il faut bien avouer que nous partons d'une situation de fait où bien des gens se posent des questions quant à la capacité des services sociaux d'assumer complètement toute la responsabilité qui leur est propre. Combien plus de questions et d'interrogations soulève ce défi qui leur est lancé d'agir en plus comme arbitres entre eux-mêmes et le système judiciaire. "Je ne fais - pour continuer la citation - que poser la question, parce que je ne crois pas que personne ait actuellement, c'est-à-dire en 1977, la réponse à cette question. Ce qu'il est important de souligner, c'est que le gouvernement, par une telle attitude, fait un peu un saut dans l'inconnu, qu'il prend un pari quant à la capacité des centres de services sociaux, des directeurs de la protection de la jeunesse d'assumer sans reproches graves une telle responsabilité. L'avenir seul pourra nous dire si ce pari est justifié. J'ai quelques doutes personnellement. Le danger que l'on court, ce n'est pas seulement que l'on porte un jugement défavorable sur les centres de services sociaux, c'est qu'on porte un jugement défavorable sur la loi ou l'esprit même qui a présidé à l'élaboration de cette loi, etc."

Je crois, M. le Président, que l'on peut effectivement aujourd'hui tirer une leçon de l'expérience. Je pense que cette leçon vise précisément cette innovation de dernière heure qui a été introduite dans la loi 24 et qui a mis de côté une formule qui avait fait l'objet d'une consultation fort complète et je dois dire également, dans tous les milieux intéressés de l'époque, d'un certain consensus et qui visait à situer ailleurs que dans les mains du directeur de la protection de la jeunesse la décision capitale, à savoir si, face à un délit commis par un mineur, on allait ou non judiciariser, pour employer ce jargon, c'est-à-dire si on allait référer ce mineur devant les tribunaux, de manière qu'ils procèdent normalement selon leurs règles ou si on allait éviter le processus judiciaire parce qu'il apparaissait inapproprié et abusif, étant données toutes les circonstances qu'on connaissait, il apparaissait inefficace, étant données, encore une fois, des possibilités autres qui semblaient apparentes ou évidentes à ceux qui devaient prendre la décision. Si cette décision est prise par un groupe de personnes qui n'ont pas d'intérêt professionnel immédiat à justifier un point de vue ou un autre, il était apparu à bien des gens à l'époque que cette décision serait prise plus sainement, qu'elle refléterait mieux les préoccupations d'équilibre auxquelles je faisais allusion plus tôt, c'est-à-dire non seulement des préoccupations de démontrer jusqu'à la limite même les possibilités d'une certaine approche de réadaptation sociale, mais la nécessité également de tenir compte des intérêts plus larges de la société qui, parfois, est dans une situation d'avoir à imposer des normes de comportement dans le but de maintenir un certain ordre, une certaine sécurité publique. (23 heures)

Or, ce n'est pas ce que le gouvernement a créé à l'époque, il a créé plutôt un comité informel composé de deux personnes, dont le partenaire senior semble toujours avoir été le directeur de la protection de la jeunesse ou son délégué, et le partenaire junior, moins expérimenté, moins capable d'affirmer son orientation et le point de vue qu'il était nommé pour défendre puisqu'il était, de façon beaucoup plus occasionnelle, beaucoup plus accidentelle, impliqué dans ce processus d'avoir à défendre l'autre point de vue sans expertise à sa disposition, contrairement au premier, et sans, non plus, l'appui d'une politique ou d'une orientation claire qui aurait pu venir du ministère de la Justice, mais qui, semble-t-il, n'en est jamais venu. On a nommé des délégués du ministre de la Justice, on les a laissés dans la nature, en quelque sorte, sans appui et sans aide, de sorte qu'ils en étaient réduits, semble-t-il du moins, à prendre des décisions selon leur bon jugement face à des professionnels dont c'était beaucoup plus évidemment le pain et

le beurre quotidiens.

Les décisions qui en ont résulté, on les connaît un peu, malgré tout, à travers certaines statistiques que d'autres, probablement, ont citées avant moi, à travers également des dossiers qui se sont perdus en route, des signalements qui ont résulté, selon les statistiques qui sont contenues dans un article de la Revue du Barreau de décembre dernier, des signalements qui sont restés lettre morte dans à peu près la moitié des cas et devant une situation où il semble bien que tout un pan de l'équilibre a été complètement perdu de vue.

Je pense, M. le Président, que ce projet de loi, comme mes collègues l'ont souligné avant moi, répond à certaines préoccupations de caractère technique, administratif ou autre. Il est probable que, dans une certaine mesure, certains aspects mineurs de l'application de la Loi sur la protection de la jeunesse vont trouver quelques solutions modestes à travers ces amendements. Mais il est clair que, tant qu'on ne se résoudra pas à réviser, à revoir ce que l'on appelle l"'intake", c'est-à-dire la décision d'orienter l'enfant d'une façon ou d'une autre vers le processus judiciaire ou vers un processus non judiciaire, tant que cette décision ne sera pas autrement située qu'elle ne l'est dans le moment, on va revivre presque éternellement, malgré les meilleurs efforts des uns et des autres, les difficultés, le déséquilibre que nous remarquons actuellement.

Je voudrais en terminant, M. le Président, souligner qu'il me semble que toute cette discussion sur, d'une part, l'approche sociale et, d'autre part, l'approche judiciaire, qui est une distinction tout à fait valable, nous fait parfois déborder - est-ce par négligence de langage ou par confusion de l'esprit? je ne sais pas - sur une absence de distinction qui devrait être présente à tous les esprits. Il me semble que, très souvent, lorsqu'on parle de déjudiciarisation, on assimile cela à la réhabilitation. C'est-à-dire qu'il semble y avoir dans l'esprit des gens une identité entre la déjudiciarisation, c'est-à-dire la non-utilisation des tribunaux judiciaires, du processus judiciaire, et une tentative de réhabilitation. Je crois qu'il s'agit là d'une distinction que l'on manque totalement entre deux aspects fondamentalement différents.

En somme, je pense que, lorsqu'il s'agit de criminalité ou de délinquance, quelle que soit la voie qui est utilisée - ceci vaut autant pour les adultes que pour les adolescents ou pour les jeunes - la réhabilitation du sujet, si vous voulez, est dans tous les cas l'objectif poursuivi. Qu'on le fasse par la voie judiciaire ou qu'on le fasse par la voie d'une intervention dite sociale, il reste que l'objectif ne peut être autre chose que la réhabilitation.

Assimiler la réhabilitation à l'approche sociale, à la déjudiciarisation, c'est un abus de langage, c'est une confusion qui est regrettable parce qu'elle simplifie à l'excès un problème qui est beaucoup plus complexe que celui-là. Parfois, il est évident, et les recherches les plus récentes en criminologie tendent à le démontrer, que la meilleure voie, le meilleur chemin vers la réhabilitation consiste justement dans la judiciarisation d'un délit puisque, et cela a été démontré à plusieurs reprises, dans bien des circonstances, c'est la quasi-certitude d'une punition appropriée et proportionnelle au délit qui constitue la meilleure garantie que ce comportement délictuel ne se répétera pas. Au-delà de toutes les théories que l'on peut avancer, et qui d'ailleurs, fort malheureusement, ont bien peu d'appui dans des faits et des études contrôlés, on est forcé de constater que dans un grand nombre de cas, particulièrement lorsqu'on se trouve en face d'offenses graves, en face d'un comportement délinquant très caractérisé, il n'y a pas d'autre voie pour assurer précisément la réhabilitation que de laisser la justice suivre son cours normal.

Dans les cas où la déjudiciarisation s'impose, M. le Président, je pense qu'il faut chercher sa valeur non pas dans l'application de quelque théorie de réadaptation ou de rééducation on a souvent bien peu de preuves sur l'efficacité de leur fonctionnement - mais dans simplement la simplification d'une situation concrète qui n'appelle pas d'autres complications qu'une intervention auprès de la famille, que la surveillance, l'approbation, etc., qui peut être exercée par d'autres moyens que le mécanisme judiciaire. Je pense que nous avons tous eu connaissance, de la part d'adolescents, de jeunes, de comportements qu'il est convenu de caractériser comme étant beaucoup plus des bêtises de jeunesse que de véritables délits.

Le véritable sens de la déjudiciarisation, ce n'est pas de donner leur chance à des théories plus ou moins fumeuses sur la capacité d'une éducation spécialisée à modifier les comportements, mais tout simplement, la déjudiciarisation est basée sur la réalisation que chez les jeunes, il y a une distinction réelle à faire, qui demande cependant l'exercice d'un jugement très sûr, entre des comportements qui sont véritablement délictuels et qui devraient, dans ce cas-là, sans hésitation emprunter la voie de la judiciarisation, et les comportements disons aberrants non calculés, qui n'ont pas, de par leur nature et de par les caractéristiques du délinquant, la probabilité d'être répétitifs. Ils appartiennent à un certain comportement que, bien sûr, personne dans cette Chambre n'osera avouer avoir eu à l'époque de leur vie où ces

remarques s'appliquaient à eux, mais que dans notre for intérieur, on doit bien reconnaître que la jeunesse s'accompagne parfois de certains comportements, disons moins faciles à contrôler et à prévoir.

C'est dans cet esprit que la judiciarisation doit être interprétée, M. le Président, et je pense que si l'on évite de simplifier trop le problème en mettant de côté les bons qui vont faire l'éducation et la rééducation des enfants en dehors du processus judiciaire, et les mauvais qui cherchent à le punir en utilisant la voie normale du recours judiciaire pour les délits caractérisés, on pourra faire un pas immense pour solutionner un problème qui demande et demandera toujours au-delà des textes de loi, et ceci, je pense, trop de gens dans la critique des textes de loi sont portés à l'oublier, un jugement, une attention et un dévouement absolument sans égal et qui ne peuvent pas être remplacés par les textes aussi bien rédigés qu'ils soient.

Je vous remercie.

M. Boucher: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Rivière-du-Loup. (23 h 10)

M. Jules Boucher

M. Boucher: M. le Président, je suis très heureux d'intervenir brièvement dans le présent débat sur un sujet me tenant à coeur particulièrement, celui de la protection de la jeunesse. En effet, ayant eu à travailler pendant 16 ans pour le centre de services sociaux de ma région, auprès des jeunes, mon expérience me permet d'évaluer l'importance que revêt le présent projet de loi que nous avons à discuter, car il s'agit d'une loi qui touche la jeunesse québécoise. De nos jours, on ne saurait trop insister sur la nécessité de donner à nos jeunes en difficulté les meilleurs outils possible pour résoudre les problèmes auxquels ils doivent faire face dans notre société moderne où l'éclatement de la famille traditionnelle a provoqué des remous et des changements dont les enfants sont les premiers à ressentir les difficultés d'adaptation.

Avant de commenter le projet de loi no 10, qu'il me soit permis d'apporter certains commentaires sur la loi 24, celle de la protection de la jeunesse. J'aimerais, M. le Président, souligner l'importance de cette loi. Rappelons tout simplement que cette loi fut adoptée le 19 décembre 1977 à l'unanimité des membres de cette Chambre, remplaçant ainsi une loi vieille de 27 ans. Cette loi fut mise en application le 15 janvier 1979; donc, elle a déjà deux ans d'existence. Cette loi veut déjudiciariser la protection de la jeunesse, humaniser le processus judiciaire pour les jeunes.

Durant l'année se terminant le 31 mars 1980, 55 000 signalements ont été reçus par les 14 directions de la protection de la jeunesse au Québec et plus de 33 000 cas concernaient des enfants perçus comme en besoin de protection, c'est-à-dire des enfants négligés, abandonnés, privés, maltraités, battus, exploités, etc. Donc, la loi 24 a permis un plus grand engagement social. Plusieurs de ces signalements venaient soit de la parenté, soit des voisins. Il est certain que, pour diminuer ce nombre de jeunes en difficulté, cela demande la participation de tous les citoyens. On peut donc dire que, sans cette loi, un nombre imposant d'enfants seraient demeurés sans secours dans le genre de difficultés que j'ai mentionnées.

On parle beaucoup de la délinquance chez les jeunes et on oublie un aspect majeur de la loi, celle des enfants maltraités. Oui, M. le Président, il s'agit bien d'une loi qui favorise la réhabilitation des enfants en difficulté et non pas qui aide l'enfant à commettre de nouveaux délits. La criminalité chez les jeunes au Québec a augmenté, dit-on. Elle a augmenté chez les adultes aussi. Elle a augmenté en Amérique du Nord aussi. Est-ce la faute de la loi 24 si la criminalité augmente chez les adultes et, forcément, chez les jeunes? L'exemple entraîne, comme dirait ma grand-mère. Donc, à mon avis, il serait injuste d'accuser une loi d'avant-garde et aussi efficace que la loi 24. C'est tout simplement de la démagogie.

Il est certain que, dans chaque loi, il y a des améliorations à apporter et c'est à l'application des lois que l'on peut le mieux dépister ces manquements. C'est pourquoi le gouvernement, après deux ans d'application de la loi 24, a jugé bon d'y apporter certaines modifications. Ces modifications ne changent pas l'objectif de la loi, mais tout simplement en modifient certains aspects, qui se sont avérés à la pratique, inadéquats, tout en y ajoutant des amendements rendant la pratique plus efficace.

Le projet de loi no 10 veut impliquer le milieu scolaire dans la protection de la jeunesse. Cette initiative est souhaitable, car le milieu scolaire est près de l'enfant et peut mieux cerner les besoins de ce dernier. Un des articles de ce projet de loi mentionne que le directeur général d'un centre d'accueil peut limiter le droit d'un enfant de communiquer avec certaines personnes, ce que la loi no 24 ne permet pas actuellement. Le directeur général rencontrant, tous les jours ou presque, les enfants qui lui sont référés est en mesure de mieux cerner leurs besoins et de remarquer si telle personne nuit à leur réadaptation. Donc, cet amendement améliore les moyens pour réadapter l'enfant et, d'autre part, l'enfant peut aller en appel de cette décision devant le Tribunal de la jeunesse.

Le projet de loi no 10 veut faciliter le fonctionnement du Comité de la protection de la jeunesse principalement en ce qui a trait au Code de la route. La majorité des infractions au Code de la route et des infractions aux règlements municipaux relatifs au stationnement ou à la circulation causées par un jeune seront soumises immédiatement au Tribunal de la jeunesse. Il est évident, M. le Président, que le Comité de la protection de la jeunesse ne peut traiter en même temps ce genre d'infractions et les cas d'enfants maltraités. Le comité doit traiter, chaque semaine, un nombre extraordinaire de cas. Donc, en le déchargeant des infractions au Code de la route, cela lui permet de s'occuper plus activement des cas d'enfants maltraités. Nous croyons que cet amendement démontre la volonté du gouvernement de mieux servir la jeune population du Québec en lui donnant les moyens de se défendre.

Mentionnons, toutefois, que le délit de fuite et la conduite dangereuse devront passer par le Comité de la protection de la jeunesse.

Pour rendre la loi no 24 encore plus efficace, on apporte, dans le projet de loi no 10, un amendement qui permet au Comité de la protection de la jeunesse de déléguer une partie de ses pouvoirs, soit celui de réexamen, enquête et arbitrage, à un sous-comité, ce qui, naturellement, a pour effet de décharger le Comité de la protection de la jeunesse et de faciliter l'application de la loi no 24.

En conclusion, M. le Président, nous sommes certains que le projet de loi no 10 ne fait qu'améliorer l'application d'une loi qui est, à notre avis, d'une nécessité primordiale dans toute société qui se respecte et surtout qui respecte l'enfant.

En terminant, j'émets le souhait que la population du Québec participe plus activement aux objectifs de la loi no 24 qui sont ceux de viser au bien-être des enfants. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Sainte-Anne.

M. Maximilien Polak

M. Polak: M. le Président, depuis que je suis ici, je n'ai jamais vu tant d'unité en cette Assemblée. Je dois vous dire que je me sens un peu comme un travailleur au sein d'une équipe de nuit, parce qu'il est déjà 23 h 15. J'ai fait un comptage rapidement. Je pourrais peut-être présenter une motion de blâme et on pourrait peut-être même réussir parce qu'il n'y a pas trop de gens qui sont prêts à écouter mon petit discours.

Il n'y a pas de doute que personne n'a l'intention de discréditer la loi no 24 et le projet de loi no 10. Tout de même, on dit que le projet de loi no 10 n'est pas allé assez loin. Il y a une expression dans le pays d'où je viens - c'est un très beau pays qui s'appelle la Hollande, les Pays-Bas; pas de chicane de langue, on parle français, hollandais, allemand et anglais - qui est la suivante: "Ik hoop miet dot de minister geboote heeft gegeven aan een dode muis." Je vais traduire pour ceux qui ne comprennent pas. Je n'espère pas que le ministre a donné naissance à une souris morte.

J'ai étudié le projet de loi no 10 et, pour ce qui me concerne, je crois que les changements sont plutôt de nature cosmétique. D'ailleurs, le ministre a parlé, cet après-midi, d'amélioration de fonctionnement de la loi. Au nom de mes électeurs du comté de Sainte-Anne, j'ai un message à livrer à cette Assemblée. On m'a demandé de soulever, devant le ministre qu'on respecte beaucoup, le point suivant qui suscite tout de même beaucoup d'intérêt: le vandalisme dans les écoles. (23 h 20)

Vous savez, j'étais, jusqu'à l'élection du 13 avril, membre de l'exécutif du Conseil scolaire de l'île de Montréal qui est en charge de toutes les commissions scolaires de l'île de Montréal. Je pense avoir une connaissance personnelle du vandalisme dans les écoles. Dans beaucoup de commissions scolaires, dans les écoles francophones et anqlophones, il y a des cas où des jeunes entrent, font du vandalisme et terrorisent les autres jeunes pour ensuite revenir le lendemain. Ils n'ont rien fait, ils ne sont pas punis, ils n'ont rien parce que les policiers ont peur de leur toucher. Il y a le problème qu'ils reviennent et c'est un problème grave qui a été constaté. Je pense que le ministre est au courant de cela.

On m'a demandé de faire mention, par exemple, de l'opinion d'un corps policier. De temps en temps, on considère les corps policiers d'une manière dérisoire parce que les policiers sont des gars qui contrôlent avec un bâton, etc. Tout de même, je connais aussi des policiers individuellement, dans la ville de Montréal, qui s'occupent des jeunes, qui sont très intéressés à protéger et les jeunes et les autres membres de la société. Ils se sont spécialisés dans la protection des jeunes et ils travaillent à cela; mais ils n'ont pas toujours les outils nécessaires pour le faire en vertu de la loi.

Ensuite, il y a le problème de la sécurité dans nos villes, dans nos rues, dans le métro; tout le monde est au courant. Le député de Mont-Royal en a fait mention, je n'ai pas besoin de répéter ses arguments.

Il y a le problème des personnes âgées qui, de temps en temps, subissent de graves préjudices à cause des attaques, etc. Il y a le problème des parents aussi. Je suis avocat à Montréal et je connais le cas d'un parent,

par exemple, dont le fils, à West Island - je n'ai évidemment pas besoin de donner le nom - avait fait un vol par effraction. Le père le savait parce qu'il avait constaté que le petit gars, à un moment donné, avait une grande boîte pleine de bijoux. C'était la récolte de deux semaines de travail. Le père a voulu éviter que son fils sorte de la maison. Il y a eu une petite bataille parce que le fils disait: Je pars à minuit. Le père disait: S'il vous plaît, ne pars pas, reste ici, je ne veux pas que tu sortes parce que je sais ce que tu vas faire, encore un autre vol par effraction. Il y a eu une petite bataille entre les deux et le père a déchiré la chemise du fils. Le fils a dit: Là, je vais t'avoir. Il est allé avec sa chemise devant le juge de la cour de protection des enfants, la Cour de bien-être social auparavant, et on a dit au père: Attention, cela peut devenir une affaire de voies de fait. C'est vrai, ça existe.

Donc, dans ces droits, après deux ans, je pense qu'il faut évaluer la situation; qu'est-ce qui existe, quelle expérience a-t-on vécue, nous tous? Depuis que j'ai été élu, je suis ici, je suis toujours à l'Assemblée parce que je veux comprendre vos sages décisions; j'ai écouté le ministre et tous les autres députés pour apprendre le plus rapidement possible. J'étais ici à 18 heures et j'ai écouté le ministre. Il a mentionné que la loi était en vigueur depuis 1979 et qu'il y a eu un laps de temps entre l'adoption de la loi et sa mise en vigueur parce que le ministre et ses officiers ont consulté 500,000 personnes par des rencontres.

Des voix: 5000.

M. Polak: Parfait. Excusez-moi, M. le ministre. 5000 personnes pour expliquer exactement les implications de la loi 24. Il a dit que les problèmes, on règle ça dans la loi 24 parce qu'il y a une espèce de contrat, une intervention sociale. Exactement comme le député de Sainte-Marie l'avait dit quand son automobile a été volée par trois jeunes. J'étais très impressionné par l'expérience parce qu'on a fait une espèce de contrat. Il m'a expliqué pourquoi ils l'ont volée, il a accepté cela, etc. Cela, je le comprends, il y a des avantages, mais, de temps en temps, ça ne va pas assez loin.

Le ministre a dit qu'il y avait des corrections à apporter, c'est pour ça qu'on a déposé le projet de loi no 10. Le ministre a mentionné des chiffres, il a mentionné qu'il y avait 54,000 cas d'enfants signalés. J'espère ne pas faire d'erreur cette fois et que c'est bien 54,000. Mais il n'a pas parlé des cas des enfants qui ne sont pas signalés à cause du fait que très souvent les corps policiers disent: On ne peut rien faire, laissez cela, peut-être qu'ils ne reviendront pas demain. Soyez calme et cela va s'arranger. Cela existe, il y a beaucoup de cas, à part les 54,000, qui n'ont pas été signalés, qui n'ont pas été rapportés.

Ensuite le ministre a dit qu'il y avait le colloque. Je suis tout à fait en faveur d'un colloque ou l'avis de deux directeurs de la protection de la jeunesse. On a fait un rapport, il y a eu un colloque de ceux qui ont de l'expérience dans le domaine pour ensuite arriver à une certaine conclusion qui a eu comme résultat le projet de loi no 10. Mais comme la députée de L'Acadie m'a dit tout à l'heure, on demande un peu plus que cela. On demande maintenant soit un comité non partisan ou parlementaire, indépendamment de l'orientation politique, pour justement demander aux gens du milieu de nous dire quelle est leur expérience. Ce n'est pas toujours le directeur de la protection de la jeunesse qui a le plus d'expérience dans ce domaine. Je respecte beaucoup son opinion. Je pense qu'il y a d'autres opinions. Il y a l'opinion des parents, de la commission scolaire, des corps policiers, de toutes sortes de groupements qui veulent peut-être expliquer ce qu'ils ont vécu avec cette loi depuis deux ans.

Donc, pour revenir à l'exemple que je donnais ou le proverbe des Pays - Bas, je n'espère pas que le ministre a donné naissance à une souris morte. Je voudrais dire qu'après avoir entendu les interventions de tous ces corps, pas dans un colloque, mais devant une commission parlementaire ou devant un groupement neutre, où on peut poser des questions, pas entre nous autres, mais vraiment avoir un échange d'opinions, honnêtement et objectivement, peut-être qu'on va recevoir des opinions un peu différentes de ce qui a été dit jusqu'à maintenant. Peut-être qu'on en viendra à la conclusion que le ministre devra, même si c'est pénible et douloureux, donner naissance à une souris vivante avec un peu de dents, de sorte que la souris, de temps en temps, puisse mordre si besoin en est. Merci beaucoup, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Avant de donner la parole à M. le ministre, comme vous avez fait mention de la sagesse de la présidence, je tiendrais à vous mentionner, M. le député de Sainte-Anne, que le quorum en cette Chambre, au moment où il y a deux commissions parlementaires qui siègent, est de 20. Il y avait 35 personnes au début de l'intervention. Simplement pour la sagesse... M. le ministre d'État au Développement social.

M. Denis Lazure

M. Lazure: M. le Président, comme plusieurs des deux côtés de cette Assemblée, je me réjouis de l'atmosphère qui a accompagné, qui a sous-tendu nos débats

depuis plus de trois heures ce soir. Je veux remercier mes collègues de ce côté-ci de la Chambre, les députés du parti ministériel, et aussi les députés du parti de l'Opposition. J'ai remarqué que plusieurs ont parlé en partant d'expériences personnelles, que ce soit dans la pratique du droit, dans la pratique de l'éducation spécialisée, dans la pratique du service social. Dans cette veine de confidences, M. le Président, je me dois de faire quelques révélations aussi sur l'intérêt tout à fait personnel que j'ai eu à piloter ce projet de loi comme j'avais eu aussi le plaisir, le privilège, en 1977, de seconder mon collègue, qui était au Développement social à l'époque, qui est maintenant au Travail, ainsi que mon collègue de la Justice qui est toujours à la Justice.

Cet effort depuis 1977 pour moi, M. le Président, c'est une continuation d'un vieil intérêt qui remonte non pas à 1977, mais à 1957, Hôpital Sainte-Justine, psychiatrie infantile. Je le dis en abandonnant pour de bon toute coquetterie devant cette Assemblée. Donc, il y a plus de 20 ans, M. le Président, j'ai eu le privilège, le plaisir de travailler - à certains moments, avec la députée de L'Acadie aussi; je m'excuse, mais elle était beaucoup plus jeune que moi, M. le Président, à cette époque - auprès de jeunes délinquants, auprès de jeunes mésadaptés. J'ai même travaillé pendant cinq ou six ans à la Cour du bien-être social, à la clinique de la Cour du bien-être social. Inutile de vous dire, M. le Président, que c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai suivi chacune des paroles qui ont été prononcées ce soir, autant par les députés du côté ministériel que par les députés de l'Opposition. (23 h 30)

Je veux rendre hommage aussi à mon prédécesseur au Développement social qui est maintenant ministre du Travail, pour avoir piloté cette loi tout à fait innovatrice, cette loi complexe, et à mon collègue qui est encore à la Justice, qui y était à l'époque. Je veux dire tout de suite à cette Assemblée que la suggestion de la députée de L'Acadie est extrêmement valable. Je me suis empressé d'en discuter avec le leader de l'Assemblée et nous avons convenu de réagir au nom du gouvernement en acceptant cette proposition, c'est-à-dire en acceptant de former un comité parlementaire non partisan qui, de façon à peu près permanente, se penchera sur la loi 24 telle qu'amendée par la loi 10 et proposera fera des suggestions au gouvernement, à la suite de rencontres qui se feront avec les gens des deux réseaux ou des trois réseaux, devrais-je dire. En effet, c'est une amélioration apportée par la loi 10 que certains ont mentionnée, mais pas suffisamment à mon goût, à savoir l'introduction de l'éducation, du réseau scolaire, plus précisément, comme un troisième réseau dans l'application de cette loi et surtout dans la prévention de toute délinquance.

Donc, nous acceptons - les modalités pourront être discutées avec le parti de l'Opposition par les voies normales - de former un tel comité et nous acceptons aussi la proposition du député de Mont-Royal. C'est vraiment beaucoup, M. le Président; non seulement un climat serein et positif, mais le parti de l'Opposition qui présente deux propositions valables dans la même soirée, je pense que c'est un record.

Sérieusement, M. le Président, nous acceptons aussi de reprendre les discussions avec le gouvernement fédéral. Il y a déjà eu, mais elles remontent à quatre ans, des représentations par écrit au gouvernement fédéral qui faisaient état, justement, de l'incohérence et des contradictions entre les deux lois, la vieille loi - j'allais dire libérale, je m'excuse - fédérale qui date d'au-delà de 50 ans...

Une voix: C'est la même chose.

M. Lazure: On me dit que c'est la même chose, non. En toute honnêteté, ce n'est pas tout à fait la même chose. Cette loi date de plusieurs années, M. le Président. Je vous donne un exemple de son caractère complètement dépassé. Cette loi, qui a été évoquée par le député de Mont-Royal et qu'il connaît bien, établit à sept ans l'âge de la responsabilité criminelle. Notre loi a établi à quatorze ans l'âge de la responsabilité criminelle. L'âge de raison.

M. le Président, je vais traiter rapidement trois ou quatre aspects des interventions, avec la permission de la députée de L'Acadie. Je suis sûr qu'elle va me l'accorder. Quelques remarques sur les ressources. On a critiqué l'incurie du gouvernement quant aux ressources. Je pense que c'est injuste. Nous avions prévu, dès la première année de l'application de la loi, la dépense d'au-delà de 5 000 000 $ pour embaucher du personnel dans les centres de services sociaux. Dans l'espace de deux ans, M. le Président, nous avons consacré 14 000 000 $ à l'embauche de plus de 500 personnes dans les différents centres de services sociaux du Québec, et dans les directions de la protection de la jeunesse, soit au-delà de 500 professionnels. Je n'appelle pas cela de l'imprévoyance. Au contraire, je pense qu'aucun projet de loi, en tout cas dans le domaine social, à ma connaissance, n'a été accompagné d'autant de préparation - j'ai parlé de la tournée qui a duré un an, tantôt, la tournée d'information et d'autant de prévisions financières. Nos prévisions ont dû être rajustées à la hausse, j'en conviens. J'ajouterai aussi que, dans le domaine de la prévention, notre gouvernement a commencé, M. le Président,

depuis deux ans, à financer un réseau de maisons de jeunes au Québec. Le ministère des Affaires sociales finance actuellement une quinzaine de maisons de jeunes et a l'intention de continuer à développer un réseau de maisons de jeunes parce que nous sommes convaincus que ces maisons peuvent avoir une influence heureuse quant à la prévention de la délinquance.

Les ressources en lits. Quelques députés de l'Opposition ont parlé, en particulier, de l'insuffisance du nombre de lits dans la région de Montréal. Mais, M. le Président, sans aucune partisanerie, je dirais qu'un des facteurs qui expliquent la diminution du nombre de lits surtout chez les anglophones dans la communauté anglophone de Montréal, c'était le rapport Batshau. On se souviendra que le rapport Batshau, découlant d'une commission qui avait été commandée par le gouvernement Bourassa à l'époque, a dit en toutes lettres - je mets qui que ce soit au défi de prouver le contraire - qu'il y avait trop de lits, ou de centres d'accueil de jeunes dans la région de Montréal. Le rapport Batshau se trompait quand il disait cela. Il avait raison cependant quand il disait: II faut développer d'autres ressources que les lits. Il y a eu une amorce pour développer d'autres ressources que des lits, des ressources alternatives où on peut traiter le jeune délinquant non seulement en le gardant 24 heures par jour, mais en le voyant quelques heures par jour, comme on traite un malade dans une clinique externe d'hôpital ou comme on traite un malade en chirurgie ou en médecine, comme patient de jour.

Deuxième remarque, M. le Président: des mesures volontaires, on en a parlé très peu. Je pense qu'un des succès les plus réconfortants de la loi 24 à ce jour a été précisément de s'assurer - parfois, c'est seulement le directeur de la protection de la jeunesse, parfois, c'est de concert avec la personne nommée par le ministère de la Justice - que les mesures volontaires qui sont acceptées par le jeune, sa famille et le voisinage se déroulent comme prévu. Dans la région de Montréal, on a constaté que seulement 5% de tous les jeunes - c'est plus que la moitié des jeunes qui ont été signalés qui bénéficient de mesures volontaires - ont récidivé, ont de nouveau été signalés, si vous voulez, à la direction de la protection de la jeunesse. Quant à nous, ce succès des mesures volontaires nous apparaît probablement l'avenue la plus prometteuse et je souhaiterais, pour ma part, que, lorsque les gens du réseau des affaires sociales ou du réseau de la justice parlent de la loi 24 de ses insuccès ou de ses succès, on parle plus de ces mesures volontaires de façon que la population en devienne mieux informée.

Troisièmement, M. le Président, l'hébergement obligatoire. Je termine avec cet avant-dernier point en faisant un appel à tous nos collègues du réseau des affaires sociales, du réseau de la justice et à la population en général pour qu'on continue de faire confiance à cette amélioration de la loi 24. La, je m'adresse plus particulièrement aux travailleurs du réseau des affaires sociales et à ceux de la justice qui, encore aujourd'hui, nous faisaient une représentation assez catégorique en disant: II faut absolument que vous allongiez la durée de l'hébergement obligatoire pour le jeune, de six mois qu'il est maintenant, à 24 mois. Nous proposons douze mois dans notre projet de loi. C'est un compromis que nous proposons, mais pas un compromis de faiblesse, un compromis qui part de la conviction, nonobstant l'éloge de la punition qui vient d'être fait par le député de Saint-Laurent - je regrette qu'il soit parti - notre conviction, comme la conviction de la plupart de ceux et de celles qui ont parlé ce soir - je suis sûr que c'est aussi la conviction de l'ensemble des travailleurs du réseau - c'est que la très vaste majorité des jeunes peut être réhabilitée non seulement en hébergement obligatoire, qu'il aille jusqu'à douze mois ou vingt-quatre mois, mais surtout dans leur milieu naturel que ce soit à l'école, dans le voisinage ou encore dans un service externe d'un centre d'accueil.

À ce sujet-là peut-être faut-il s'auto-blâmer, nous le gouvernement actuel, pour ne pas avoir stimulé encore plus qu'on ne l'a fait, les centres d'accueil de jeunes à développer des services de jour. Nous avons essayé, mais je dois avouer que cela a été un succès mitigé. Moi, je fais appel surtout aux travailleurs du réseau social. Au lieu de miser de façon un peu magique sur ces fameux vingt-quatre mois d'hébergement obligatoire, qui deviennent une condition sine qua non pour le traitement de certains délinquants, selon eux, j'espère qu'on va plutôt accepter cette formule des douze mois, qui est quand même deux fois plus que le séjour actuel, et qu'en même temps on va ouvrir des services de jour, des services externes pour traiter un plus grand nombre de jeunes sur une base non obligatoire et sur une base externe.

La deuxième revendication majeure des groupes qui nous ont envoyé des messages ces jours-ci, nous ne pouvons pas M. le Président, l'accepter; parce qu'elle voudrait que nous baissions l'âge de la responsabilité criminelle du jeune de 14 ans qu'il est actuellement, à 12 ans. Nous sommes convaincus que ce serait un retour en arrière, justement un retour dans la direction qu'a eue durant 40 ans la loi fédérale qui établit à sept ans l'âge de la responsabilité criminelle. Dans la plupart des pays d'Europe, y compris le beau pays de la Hollande, patrie du député de Sainte-Anne, l'âge de la responsabilité criminelle du jeune

est de 14 ans, sinon 15 ans, sinon 16 ans. Alors, moi, je dis, M. le Président, au nom du gouvernement aux collègues du réseau: De grâce, acceptez de continuer un essai honnête de cette loi 24 avec toutes les améliorations que nous apportons aujourd'hui. Nous allons mettre sur pied ce comité permanent parlementaire qui va continuer...

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, question de privilège ou de règlement. Je n'ai jamais parlé d'un comité permanent, j'ai parlé d'un comité conjoint pour réexaminer en profondeur la loi.

Une voix: II n'y a pas de privilège dans cela.

Mme Lavoie-Roux: II y a une différence.

M. Lazure: Vous vouliez avoir le privilège de m'interrompre.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Allez-y.

M. Lazure: M. le Président, je m'excuse auprès de la députée de L'Acadie si j'ai légèrement faussé sa pensée. Nous voulons tout simplement donner une suite favorable à sa suggestion. Que le comité soit temporaire, semi-permanent ou semi-temporaire, peu importe; l'essentiel, c'est de continer à l'intérieur de ce comité ce travail de réflexion de façon non partisane, comme nous l'avons fait ce soir. En terminant, M. le Président, je veux de nouveau remercier tous les membres de cette Assemblée et je veux souhaiter comme eux et comme elles que cette amélioration apportée à la Loi sur la protection de la jeunesse contribuera à diminuer de façon importante le taux de délinquance au Québec. Merci.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre.

Cette deuxième lecture du projet de loi no 10, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse est-elle adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le député de Joliette.

Renvoi à la commission des affaires sociales

M. Chevrette: Avec le consentement du leader de l'Opposition, je voudrais proposer que ce projet de loi soit déféré à la commission des affaires sociales, en assurant l'Opposition que le ministre de la Justice participera à cette commission.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que cette motion est adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Adopté.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté.

M. Chevrette: C'est ce qu'on dit.

Le Vice-Président (M. Jolivet): C'est cela.

M. Chevrette: Oui, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): J'ai bien compris commission conjointe des affaires sociales...

M. Chevrette: De par le leader, je tiens l'engagement de déférer ce projet de loi à la commission des affaires sociales, en assurant la commission que le ministre de la Justice y participera de plein droit. C'est ce que le leader me demande de vous transmettre.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Cela va? Adopté? C'est bien cela? Adopté.

M. Levesque (Bonaventure): Adopté.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Nous ajournons désormais les travaux.

M. le député de Joliette, vous faites la motion d'ajournement.

M. Chevrette: M. le Président, je propose l'ajournement à demain 10 heures en rappelant que les travaux de l'Assemblée seront les suivants: le budget jusqu'à 18 heures demain soir et à 20 heures, projet de loi sur le Palais des congrès.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion d'ajournement est-elle adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. Ajournement des travaux à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 23 h 46)

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