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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le jeudi 12 décembre 1996 - Vol. 35 N° 68

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Table des matières

Affaires courantes

Affaires du jour


Journal des débats


(Dix heures cinq minutes)

Le Président: Mesdames et messieurs, nous allons d'abord nous recueillir quelques instants.

Très bien. Si vous voulez vous asseoir.


Affaires courantes


Déclarations ministérielles

Alors, aux affaires courantes, d'abord, déclarations ministérielles. M. le vice-premier ministre et ministre d'État de l'Économie et des Finances.

M. Landry (Verchères): M. le Président, lors du Sommet sur l'économie et l'emploi, le gouvernement...

Le Président: M. le vice-premier ministre.


Réduction de la taxe sur les carburants à l'égard de l'éthanol


M. Bernard Landry

M. Landry (Verchères): M. le Président, lors du Sommet sur l'économie et l'emploi, le gouvernement et le secteur privé se sont engagés à faire tous les efforts possibles pour créer des emplois au Québec. Aujourd'hui, il me fait donc plaisir d'annoncer une mesure fiscale qui permettra l'implantation d'une usine d'éthanol au Québec, ce qui montre une fois de plus que notre gouvernement fait preuve de dynamisme et de flexibilité dans sa politique afin d'accélérer le développement économique et la création d'emplois.

À compter du 1er janvier 1999, la taxe sur les carburants applicable à un mélange composé d'essence et d'éthanol sera réduite. Cette réduction pourra atteindre 130 % de la taxe attribuable à la composante éthanol lorsque cette composante représentera 10 % du mélange. De plus, le gouvernement est prêt à garantir le maintien à long terme de cette réduction de taxe ou son équivalent, pour autant qu'il en vienne à une entente avec les producteurs d'éthanol relativement au partage des profits découlant de l'exploitation de l'usine.

Avec cette annonce, toutes les conditions seront en place pour que le développement du marché de l'éthanol puisse se faire à partir d'une production locale plutôt que d'une production importée. Cette annonce est faite aujourd'hui étant donné les délais qu'occasionne la planification des travaux de construction d'une usine d'éthanol d'envergure. En effet, les producteurs d'éthanol pourront faire dès maintenant les démarches nécessaires à la construction d'une usine au Québec en sachant qu'ils bénéficieront d'un cadre fiscal leur permettant d'être compétitifs.

L'établissement d'une usine d'éthanol au Québec générera des retombées économiques importantes. D'abord, des emplois temporaires reliés à la construction de l'usine et des emplois permanents reliés à son exploitation seront créés. De plus, toutes les opérations en amont et en aval auront des effets directs et indirects positifs sur l'économie et l'emploi. Aussi, la production locale d'éthanol assurera notamment aux céréaliculteurs québécois un débouché important pour leur maïs-grain, en plus de générer des produits dérivés pouvant être commercialisés. Enfin, des retombées économiques positives seront associées à l'exportation d'éthanol pour usage industriel.

Le dossier de l'éthanol, M. le Président, a été totalement ignoré par le précédent gouvernement, bien qu'il en ait été informé dès 1992. À notre arrivée au pouvoir, nous avons examiné sérieusement ce dossier et nous croyons que le Québec ne peut se priver d'une politique favorable au développement de cette industrie. Je suis convaincu que le signal que nous envoyons aujourd'hui aux producteurs d'éthanol sera déterminant et que nous pourrons en venir à une entente avec eux afin qu'une usine soit construite au Québec dans des délais que nous souhaitons les plus courts possible.

Des voix: Bravo!

Le Président: Merci, M. le vice-premier ministre. M. le député de Laporte, pour votre réplique ou vos commentaires.


M. André Bourbeau

M. Bourbeau: M. le Président, on ne peut pas dire que l'opposition est prise par surprise ce matin après le préavis de 24 heures que nous a donné le ministre des Finances qui, hier, se proposait de nous faire l'annonce d'aujourd'hui. Manifestement, l'annonce d'hier avait été improvisée et préparée dans le cafouillage, puisque le ministre l'a retirée et, pour ne pas perdre la face, a rajouté un petit pourcentage de détaxation pour que ce ne soit pas exactement le même texte qu'hier.

M. le Président, le ministre fait allusion au sommet socioéconomique et pourtant le projet dont on parle n'a même pas été discuté au sommet. Le directeur général de l'Union des municipalités régionales de comté, d'ailleurs, s'offusquait qu'il n'y en avait même pas été question. Alors, depuis un mois, il semble que le projet ait cheminé rapidement.

(10 h 10)

Le ministre des Finances n'a pas pu résister à la tentation d'y mettre une petite allusion partisane à l'endroit de l'opposition. Il nous dit essentiellement: Vous étiez là en 1992, le projet vous avait été soumis, pourquoi ne l'avez-vous pas annoncé? M. le Président, nous aurions bien aimé annoncer le projet en 1994 lorsque nous étions là, mais, malheureusement, à cette époque-là, il y avait de sérieuses objections au gouvernement même quant à ce projet-là, ce qui nous a évidemment empêchés de prendre la décision.

Ces objections-là, j'espère qu'elles ne sont plus là et que le ministre va nous rassurer quant aux objections très sérieuses de quatre ministères sur cinq qui avaient été consultés par le gouvernement sur ce projet-là. Et j'aimerais simplement... M. le Président, ce n'est pas moi qui devrait répliquer ce matin, c'est le ministre de l'Environnement, par exemple – je ne sais pas s'il est là. Il est là, oui, bon. J'espère qu'il n'a pas trop applaudi tantôt parce que son propre ministère s'objectait d'une façon énergique à ce projet-là, ce qui nous empêchait d'aller plus loin.

Et, dans un article publié dans Le Devoir , il y a un mois, par le journaliste Louis Francoeur, le journaliste nous rappelle que «le projet de cette usine-là, dans la région de Lanaudière, qui est parrainé par le ministre des Ressources naturelles» disait-il... Je ne sais pas si c'est le prix qu'on a dû payer pour garder à Québec le ministre, M. le Président.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bourbeau: À moins que ça soit pour s'en débarrasser. C'est ça, M. le Président? «Le projet, dit le journaliste, avait été jugé non rentable un an plus tôt aux plans environnemental, économique, fiscal et commercial par quatre des cinq ministères québécois invités à l'évaluer. Ce verdict impitoyable, dit-il, apparaît dans la synthèse des cinq rapports sur laquelle Le Devoir a mis la main. Ce document a été réalisé par la Direction générale des industries chimiques et des matériaux du ministère de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie.»

M. le Président, le ministère de l'Environnement et de la Faune déclare dans la synthèse que l'argument «essence verte» appliqué au maïs-éthanol constitue de la fausse représentation auprès de la population. Le ministère des Ressources naturelles, dirigé par le parrain du projet, y précise qu'une essence contenant 10 % d'éthanol, ce qui est le cas, a donc un contenu énergétique inférieur, jusqu'à 5 %, par rapport à une essence conventionnelle. Ce sont des objections. On parle d'une culture polluante. Pour le ministère de l'Environnement et de la Faune, on dit que l'utilisation de cette fausse «essence verte» apporterait des gains marginaux et même négatifs. On continue plus loin en nous disant que le ministère des Finances, le ministère de l'Industrie et du Commerce, et le ministère des Ressources naturelles estiment que le projet risque de déplacer des emplois du secteur pétrolier vers la nouvelle usine, plutôt que d'en créer de nouveaux, tout en fragilisant la pétrochimie métropolitaine. Finalement, on nous dit que les Finances sont d'avis que le trésor public perdrait 30 000 000 $ par an dans ce projet qui ne serait pas rentable, à moins que le Québec détaxe totalement, incluant la TVQ, la proportion de l'essence constituée d'éthanol.

M. le Président, comme je le disais tout à l'heure, nous aurions aimé annoncer ce projet-là. Si le ministre veut nous rassurer, pas seulement nous, mais également la Commission nationale sur l'écologie et l'environnement du Parti québécois, qui a réclamé hier – et ça date du 19 novembre, il y a un mois, moins d'un mois – la publication des cinq études effectuées par les cinq ministères du Parti québécois. Ce sont des comités du Parti québécois. Si le ministre veut publier les cinq études et rassurer la population quant aux problèmes environnementaux sérieux sur la culture du maïs, problèmes énergétiques, problèmes de finances publiques, nous ne ferons pas mieux que d'applaudir, mais, tant que nous ne serons pas rassurés, les mêmes objections que nous avions en 1994 devraient être là, à moins que le ministre rassure la population, son propre parti et l'ensemble de la population. Merci.

Le Président: M. le vice-premier ministre et ministre d'État de l'Économie et des Finances, pour votre réplique.


M. Bernard Landry (réplique)

M. Landry (Verchères): Je vois, M. le Président, que, même avec 24 heures d'avis, l'opposition n'est pas plus cohérente et je me demande si on ne devrait pas faire une tradition de ce 24 heures, ce qui aiderait puissamment le gouvernement.

Il est vrai qu'il y a, dans la déclaration ministérielle, un rappel de l'inaction de l'ancien gouvernement. Bon. Comme le député de Laporte vient de le faire brillamment, si j'avais su d'avance ce qu'il dirait, je m'en serais abstenu. Il a illustré largement ce qui s'appelle la tergiversation, et la remise à demain, et l'incapacité de décider, ce qui explique largement l'état dans lequel nous avons trouvé et les finances publiques et l'économie. Mais, si je l'ai faite, cette allusion, sans savoir que le député de Laporte passerait aux aveux de la partie adverse, c'est parce que, en mon absence, l'opposition nous a reproché de bloquer le dossier et de ne pas agir. Et, aujourd'hui, ils nous donnent toutes les raisons qu'ils vont chercher dans leur passé douteux pour nous donner des raisons de ne pas agir. Il faudrait savoir ce que vous voulez. Vous ne pouvez pas me reprocher, en mon absence, de ne pas agir et me reprocher d'agir quand je suis ici.

Quant au léger changement qui est survenu au cours des dernières 24 heures, qui est intéressant quand même puisque le pourcentage de détaxe est plus élevé, l'opposition veut y voir de mystérieuses et obscures raisons. Encore là, elle se trompe. C'est tout simplement parce que, en dernière minute, le 11 décembre, et j'ai la lettre le confirmant, nous avons négocié avec les producteurs une bonification par partage des profits qui nous permet d'avoir une détaxe plus haute qu'elle ne l'était. Si ça dérange l'opposition que l'on détaxe plus qu'on était pour le faire hier, qu'ils le disent clairement à la population.


Présentation de projets de loi

Le Président: Nous en arrivons maintenant à l'étape de présentation de projets de loi. M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Article a de notre feuilleton, M. le Président.


Projet de loi n° 86

Le Président: À l'article a du feuilleton, M. le ministre de l'Environnement et de la Faune présente le projet de loi n° 86, Loi sur le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. M. le ministre de l'Environnement et de la Faune.


M. David Cliche

M. Cliche: Oui, M. le Président. Ce projet de loi prévoit la création, sur les terres publiques du Québec, du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, et il donne suite à une entente intervenue le 6 avril 1990 entre le gouvernement du Québec et celui du Canada.

Ce projet de loi indique notamment quelles sont les limites de ce parc et de quelle façon elles pourront être modifiées. Concernant l'administration du parc, le projet de loi prévoit, entre autres, le dépôt d'un plan directeur, la nomination d'un directeur par le ministre et la constitution d'un comité de gestion et d'un comité de coordination.

Le projet de loi contient également des dispositions relatives aux pouvoirs réglementaires, des dispositions de nature pénale, ainsi que des dispositions diverses, notamment de concordance et transitoires.


Mise aux voix

Le Président: Est-ce que l'Assemblée accepte d'être saisie de ce projet de loi? Adopté.


Dépôt de documents

Au dépôt de documents, M. le vice-premier ministre et ministre d'État de l'Économie et des Finances.

M. Landry (Verchères): M. le Président, un message du lieutenant-gouverneur de la province de Québec, signé de sa main.


Message du lieutenant-gouverneur

Le Président: Alors, Mmes, MM. les députés, si vous voulez bien vous lever.

L'honorable lieutenant-gouverneur de la province de Québec transmet à l'Assemblée nationale les crédits supplémentaires 1, pour l'année financière se terminant le 31 mars 1997, conformément aux dispositions de l'article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867, et recommande ces crédits à la considération de l'Assemblée.

Alors, si vous voulez bien vous asseoir, maintenant.

M. le vice-premier ministre et ministre d'État de l'Économie et des Finances.


Crédits supplémentaires n° 1 pour l'année financière 1996-1997

M. Landry (Verchères): M. le Président, pour donner suite au message de Son Honneur le lieutenant-gouverneur de la province de Québec, qu'il me soit permis de déposer les crédits supplémentaires 1 pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 1997.

Le Président: Ces documents sont déposés. M. le leader du gouvernement.


Renvoi à la commission plénière

M. Bélanger: M. le Président, je fais motion pour déférer lesdits crédits supplémentaires 1996-1997 en commission plénière, afin que l'Assemblée les étudie et les adopte, conformément à l'article 289 du règlement.

(10 h 20)

Le Président: Est-ce que cette motion est adoptée? Adopté. M. le ministre des Relations internationales, maintenant.


Rapports annuels de l'Office franco-québécois pour la jeunesse et du ministère des Affaires internationales, de l'Immigration et des Communautés culturelles, volet affaires internationales

M. Simard: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le rapport annuel 1995 de l'Office franco-québécois pour la jeunesse et le rapport 1995-1996 du ministère des Affaires internationales, de l'Immigration et des Communautés culturelles, volet Affaires internationales.

Le Président: Alors, ces documents sont déposés. M. le ministre de la Sécurité publique.


Rapports annuels du Commissaire à la déontologie policière et de la Régie des alcools, des courses et des jeux

M. Perreault: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le rapport annuel 1995-1996 du Commissaire à la déontologie policière et le rapport annuel 1995-1996 de la Régie des alcools, des courses et des jeux.

Le Président: Alors, ces documents sont également déposés. M. le leader du gouvernement.


Réponses à des questions inscrites au feuilleton

M. Bélanger: M. le Président, je dépose la réponse à la question 20 inscrite au feuilleton du 19 novembre 1996 par le député de Beauce-Nord et la réponse à la question 26 inscrite au feuilleton du 10 décembre 1996 par le député de l'Acadie.

Le Président: Ces documents et réponses sont déposés.


Dépôt de rapports de commissions

Au dépôt de rapports de commissions maintenant, Mme la présidente de la commission de l'aménagement et des équipements et députée de Mégantic-Compton.


Consultations particulières sur le projet de loi n° 43

Mme Bélanger: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission de l'aménagement et des équipements qui a siégé le 10 décembre 1996 afin de procéder à des consultations particulières et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 43, Loi sur les véhicules hors route.

Le Président: Votre rapport est déposé.


Dépôt de pétitions

Au dépôt de pétitions, M. le député de Sainte-Marie–Saint-Jacques.


Renoncer au projet d'implantation d'une école de raccrocheurs dans les locaux de l'école de la Rabastalière à Saint-Bruno

M. Boulerice: M. le Président, je dépose l'extrait d'une pétition adressée à cette Assemblée nationale par 372 pétitionnaires, citoyens et citoyennes du comté de Chambly.

«Les faits invoqués sont les suivants:

«Attendu que la commission scolaire Mont-Fort entend modifier le statut primaire de l'école de la Rabastalière à Saint-Bruno pour en faire une école de raccrocheurs 16-18;

«Attendu qu'il y a présentement 330 élèves du niveau préscolaire et primaire fréquentant l'école de la Rabastalière et que 60 % de ceux-ci s'y rendent à pied;

«Attendu que l'implication de la direction, des enseignants, des parents et des élèves assure une bonne qualité d'éducation et de vie à l'école – démarche d'autoévaluation et projet éducatif;

«Attendu l'importance de l'école primaire dans la vie du quartier et du choix de celui-ci par les parents;

«Attendu que la clientèle potentielle visée pour la fréquentation d'une telle école de raccrocheurs est de l'ordre de 50 élèves, que cette clientèle reçoit déjà des services à la commission scolaire Jacques-Cartier à Longueuil et que le fait de rapatrier celle-ci sur le territoire de la commission scolaire Mont-Fort à Saint-Bruno pourrait affaiblir la qualité des services disponibles à Longueuil;

«Attendu que la création d'un service 16-18 – je présume que c'est 16-18 ans – occasionne le changement de statut primaire pour l'école de la Rabastalière et le déploiement de ses 330 élèves dans les trois autres écoles de Saint-Bruno;

«Attendu que l'annonce par le ministère de l'Éducation de l'implantation des maternelles temps plein pour 1997-1998 aura pour effet l'utilisation de toutes les places-élèves disponibles à Saint-Bruno pour la scolarisation de sa population;

«Attendu que la commission scolaire Mont-Fort entend donner un statut primaire-secondaire à l'école de la Rabastalière et qu'une telle cohabitation comporte des contraintes et des risques réels pour les deux clientèles;

«L'intervention réclamée se résume ainsi:

«Nous, soussignés, demandons à l'Assemblée nationale du Québec d'intervenir auprès des dirigeants de la commission scolaire Mont-Fort pour qu'ils renoncent au projet d'implantation d'une école de raccrocheurs dans les locaux de l'école de la Rabastalière, au changement de son statut d'enseignement primaire et préscolaire, ainsi qu'à toute cohabitation de ces deux clientèles.

«Nous demandons, de plus, que l'école de la Rabastalière soit consacrée exclusivement à la scolarisation de la clientèle primaire et préscolaire de Saint-Bruno.»

Et je certifie, M. le Président, que cet extrait est conforme au règlement et à l'original de la pétition. Je vous remercie.

Des voix: Bravo!

Le Président: Cette pétition est déposée.

Il n'y a pas, aujourd'hui, d'interventions portant sur une violation de droit ou de privilège.


Questions et réponses orales

Ce qui nous amène à la période des questions et des réponses orales. M. le député de Westmount–Saint-Louis, en principale.


Contre-proposition du gouvernement concernant la réduction de la masse salariale dans la fonction publique

M. Chagnon: M. le Président, hier, le premier ministre négociateur en chef a rencontré les dirigeants des principales centrales syndicales. Va-t-il nous dire aujourd'hui s'il est exact que la proposition qu'il leur a faite comprend incidemment l'abolition de 15 000 postes pour le 1er juillet et aussi l'abolition, en tout ou en partie, de l'augmentation salariale de 1 % que l'ensemble des employés des secteurs public et parapublic devaient avoir au 1er janvier et qui leur avait été accordée avant le référendum?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, je sollicite le consentement de la Chambre pour déposer la proposition du gouvernement.


Document déposé

Le Président: Alors, il y a consentement. M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, vous constaterez que, contrairement à ce qu'a laissé entendre le député, il n'y a pas de suppression de l'augmentation prévue, que les augmentations qui ont été accordées l'an dernier seront respectées et que la proposition, que nous considérons comme tout à fait raisonnable, a le mérite de prendre en compte à la fois les impératifs du gouvernement par rapport au respect des cadres financiers et les préoccupations qui ont été exprimées du côté syndical.

Elle comporte, en particulier, le départ de 15 000 personnes, sans remplacement, avec une bonification des régimes de retraite et des départs assistés qui va être assurée et financée par un fonds constitué moitié-moitié par le surplus actuariel de 800 000 000 $ pour les personnels concernés et d'une somme au moins équivalente de la part du gouvernement. C'est un investissement que le gouvernement fait, un investissement qui va lui rapporter 100 % par année jusqu'à la fin des temps. Donc, c'est une façon extrêmement, je crois, heureuse d'apporter une mesure structurante qui va nous permettre de respecter intégralement les cadres financiers pour atteindre, d'abord, le budget de cette année.

Pour cette année, nous savons que le gouvernement a un problème de l'ordre de 200 000 000 $ pour boucler le budget dans le cadre et dans le respect des engagements contractés. Nous avons proposé à la partie syndicale d'assumer la moitié de cette somme par une réduction réalisée à même des mesures de différentes natures qui devront être négociées à compter du 1er janvier, et même convenues, je crois, avant le 15 décembre dans ce cas-là. Et, pour ce qui est des programmes de départs assistés, ils doivent être négociés au plus tard dans les deux mois qui suivront le 1er janvier, de façon telle que les 15 000 postes en question soient supprimés à compter du 1er juillet.

La réaction des regroupements syndicaux nous a paru encourageante. Bien sûr, nous apportons la réserve requise, puisque les décisions ne sont pas prises par la base et par des instances intermédiaires. Mais j'ai parlé, tard cette nuit, avec cinq des présidents de ces groupes, les cinq présidents de cinq groupes, qui m'ont dit, dans un cas, qu'ils allaient recommander, dans les autres cas, qu'ils allaient soumettre correctement ou positivement la proposition du gouvernement à des instances qui se réunissent aujourd'hui ou dans les journées qui suivent. Quant à la sixième centrale, la CSN, j'ai parlé ce matin, tôt, avec son président. Elle continue ses travaux avec les équipes qui sont en place, maintenant, à Québec, pour analyser la proposition et déterminer de quelle façon elle sera traitée par la suite.

Autrement dit, M. le Président, nous avons espérance – évidemment, la décision appartient aux syndiqués, aux membres des centrales – que nous puissions traverser dans l'harmonie, dans des ententes respectueuses et négociées, une période qui aurait pu être autrement difficile, puisque, de toute façon maintenant, si les choses sont acceptées, comme nous l'espérons, nous pouvons assurer la population que tout va se faire sans heurt et que nous aurons un règlement négocié, un règlement accepté par toutes les parties.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Westmount– Saint-Louis.

(10 h 30)

M. Chagnon: En additionnelle, M. le Président: Est-ce que le premier ministre, M. le Président, a donné un échéancier aux représentants des centrales syndicales et, deuxièmement, comment la proposition que le premier ministre a faite hier viendra bonifier le projet de loi n° 66 que nous avons déjà adopté en commission parlementaire au début de la semaine et qui venait faire en sorte de diminuer de 2 000 le nombre de postes dans la fonction publique pour 161 000 000 $?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, je vais demander, bien sûr, au président du Conseil du trésor de répondre à la question. Nous ne préjugeons pas de la réponse, nous espérons. Nous avons confiance dans les gestes de solidarité qui seront posés.

Et je voudrais en profiter, cependant, quoi qu'il arrive, pour remercier et féliciter le président du Conseil du trésor du travail remarquable qu'il a abattu de même que la ministre de l'Éducation, le ministre de la Santé et le vice-premier ministre en particulier.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le président du Conseil du trésor.

M. Léonard: Oui. M. le Président, la loi n° 66 concernait notre programme de départs assistés qui s'est appliqué du 1er juillet au 30 septembre dernier. Donc, il s'agit d'avaliser législativement une mesure qui a amené 2 489 fonctionnaires à prendre leur retraite. C'est un programme qui, à mon avis, a connu un succès, puisque nous visions 2 500 postes à réduire.

Quant à l'avenir, nous ne pouvons dire, à ce stade-ci, si cette loi pourra être utilisée pour opérer des ponctions de postes de l'ordre de 15 000 ou bien si nous devrons utiliser un autre moyen législatif pour le faire. Nous pensons que nous devrons avoir besoin d'une loi pour faire cette diminution de postes de 15 000 employés dans la fonction publique et parapublique. Mais, à ce stade-ci, il est trop tôt pour dire si nous utiliserons la loi n° 66.

Par ailleurs, vous savez que, ce qui vient d'être dit, il y aura des négociations sur ce sujet du 1er janvier au 28 février. Donc, c'est après que nous pourrons savoir comment nous procéderons.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le député.

M. Chagnon: Est-ce que le premier ministre peut nous indiquer, M. le Président, dans quels secteurs et dans quels réseaux il entend faire cette ponction de 15 000 emplois?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, la proposition comporte deux échéanciers, pour répondre à une question déjà posée: un premier échéancier, c'est jusqu'à lundi le 15 prochain, lundi prochain, pour statuer sur les mesures qui seront mises en place pour réaliser une économie de 100 000 000 $ d'ici le 31 mars pour nous permettre d'entrer dans le budget cette année; et il y a un autre échéancier qui, lui, commence le 1er janvier. Enfin, il y aura le jour de l'An, mais très tôt après devront s'amorcer des négociations intensives, qui ne devront pas durer plus de 60 jours, afin de permettre d'identifier exactement les postes qui seront supprimés sans remplacement. Parce que, effectivement, d'un secteur à l'autre les réalités varient et il faut donc tenir compte de ces situations spécifiques. Il y aura des secteurs, sans doute, où il y aura peut-être un peu plus de postes et d'autres moins. Mais ce sera volontaire. C'est la générosité du programme qui va permettre à ceux qui ont des régimes de retraite assez mûrs de s'en prévaloir. Et les estimations réalistes que nous avons faites nous permettent de croire, en effet, que 15 000 personnes, c'est réaliste.

J'ajouterai que la proposition comporte également la nécessité de négocier des mesures de réorganisation du travail pour faire en sorte que, dans la santé par exemple, on puisse assurer une qualité de travail et de services pour le personnel qui restera après les départs.

Enfin, tout cela va se faire par négociations. Le cadre est fixé, l'échéancier aussi. Et, si c'est accepté, comme nous l'espérons, je crois que nous arriverons rapidement à une solution.

Une voix: Bravo!

Le Président: M. le chef de l'opposition officielle.

M. Johnson: Est-ce que le premier ministre se souvient que l'encre n'est pas encore sèche sur la Déclaration pour l'emploi qu'il a signée le 1er novembre et qui prévoit notamment que, comme employeur, le gouvernement doit chercher des moyens concrets qui permettent de préserver l'emploi et de favoriser l'entrée des jeunes dans le secteur public et parapublic? Est-ce qu'il peut nous expliquer comment il pouvait signer ça et s'attendre à ce que 15 000 personnes soient mises à la porte d'ici six mois?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, vous aurez constaté comme tout le monde qu'il ne s'agit pas de licenciement, qu'il ne s'agit pas d'une mise en chômage. Ce sont des gens qui vont volontairement décider si, oui ou non, ils prennent leur retraite prématurément ou pas. Premièrement. Donc, les gens qui vont prendre cette retraite seront nantis des moyens pour assurer le niveau de vie qu'ils escomptent à même leur régime de pension.

Et, deuxièmement, M. le Président, si nous réussissons ce programme, nous pensons que nous pouvons dépasser même l'objectif de 15 000, parce qu'on a vu que le gouvernement fédéral a employé quelque chose comme cela, et, vous savez, les gens se battaient dans les portillons pour se prévaloir du programme. Il y a même des gens qui ont fait des griefs pour pouvoir en profiter. Il se pourrait – je crois qu'on va réussir à faire cela – que ça provoque un tel engouement que nous puissions dépasser le plafond des 15 000 et profiter de ces places disponibles pour mettre en place un programme qui va permettre de renouveler notre fonction publique avec des jeunes qui pourront rentrer.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le chef de l'opposition.

M. Johnson: Est-ce que le premier ministre peut nous expliquer, autrement que par le recours à la rhétorique, comment les services ne sont pas affectés lorsqu'il manque 15 000 personnes aujourd'hui? Ou est-ce qu'on doit en conclure qu'il y a 15 000 personnes de trop qui donnent les services qui sont coupés partout déjà?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, nous pensons en effet qu'à la faveur d'une réorganisation il est possible de maintenir et d'améliorer, même avec une diminution d'effectif, en certains cas, les services rendus. Il y a des endroits où, en effet, on peut diminuer l'effectif. Je crois que nos amis d'en face le savent très bien. De toute façon, ça va se faire par négociations. Ça va se faire de façon volontaire. Mais nous sommes convaincus, parce que les expériences et les précédents sont nombreux, que nous pourrons le faire d'autant plus que c'est sur cette piste que nous a invités la partie syndicale au cours de la contre-proposition qu'elle nous a faite lundi dernier.

Le Président: M. le chef de l'opposition.

M. Johnson: Est-ce que le premier ministre pourrait nous indiquer, malgré tout, qu'à l'occasion de ces négociations il a des priorités et que les services aux enfants, dans les écoles, et aux malades, dans les hôpitaux et dans les établissements de santé, ne seront aucunement affectés?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: Je pense que le chef de l'opposition aura vu que l'une des conditions qui assortissent la proposition, c'est que le retrait des personnes concernées n'affectera pas la qualité des services non plus que la qualité du travail de ceux qui resteront en fonction. C'est un critère qui apparaît au coeur même de la proposition. Il y en a un autre aussi, c'est que, comme les parties syndicales nous l'avaient laissé entendre, même nous l'avaient offert lors des rencontres récentes, elles vont nous permettre de verser au fonds de mise à la retraite assistée et bonifiée le surplus actuariel constaté conjointement. On pense que c'est de l'ordre de 800 000 000 $ uniquement pour ces personnels-là; c'est donc 800 000 000 $ qui sera versé là sous forme de congés de cotisations.

Mais une des conditions qui apparaît, c'est que le congé de cotisations ne devra, en aucune façon, affecter l'intégrité des régimes de retraite, intégrité que le gouvernement garantit par ailleurs.

Le Président: En principale, M. le député de Chomedey.


Réforme de l'aide juridique et des tribunaux administratifs

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Permettez-moi d'abord de saluer la présence aujourd'hui dans les galeries d'une importante délégation du Barreau du Québec.

M. le Président, depuis l'arrivée du premier ministre seulement, on a pu voir, dans le domaine de la justice au Québec, un juge en chef, ami du ministre et nommé par lui, forcé de démissionner pour avoir, entre autres, dépensé 40 000 $ en frais de limousine, un ex-avocat des Hell's, nommé comme sous-ministre et qui décide si, oui ou non, on poursuit les criminels et dont on apprend ce matin...

(10 h 40)

Le Président: M. le député de Chomedey. M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. On a vu, donc, un ex-avocat des Hell's nommé sous-ministre à la Justice et qui décide si, oui ou non, on poursuit les criminels, et dont on apprend ce matin qu'il a son propre régime d'aide juridique, lui qui a touché près de 500 000 $ de frais d'honoraires à l'enquête du coroner. On a vu une personne déjà condamnée dans le cas de l'enlèvement et du meurtre d'un ministre en 1970 nommée comme juge. On a aussi vu, M. le Président, une réforme tellement ratée de l'aide juridique que ça provoque maintenant une grève chez les avocats. Et, finalement, on a une soi-disant réforme des tribunaux administratifs qui a provoqué hier une lettre du président du Barreau du Québec dans laquelle on peut notamment lire: «De tels propos démagogiques et indélicats tenus, par surcroît, par un ministre de la Justice jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.»

M. le Président, il est évident que le Barreau n'a plus confiance dans le ministre de la Justice. C'est de plus en plus évident que le public n'a pas confiance en nos institutions d'administration de la justice. Dans certains de ces cas, c'est trop tard pour agir.

Le Président: M. le leader du gouvernement. S'il vous plaît! M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, M. le Président. Je comprends que le député de Chomedey est en question principale. Cependant, l'article 76 dit: «Les questions doivent être brèves. Un court préambule est permis pour les situer dans leur contexte.» Je pense que le court préambule, tel que défini par notre règlement, est largement excédé par le député de Chomedey.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: M. le Président, nous nous retrouvons dans le contexte d'un bâillon sur le projet de loi comme tel. On ne voudrait pas être bâillonnés également à la période des questions.

Le Président: Alors, M. le député de Chomedey, avant ça, je vous avais fait signe de conclure. Alors, maintenant, votre question, s'il vous plaît.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Dans certains de ces dossiers, c'est trop tard pour réparer les dégâts. Dans d'autres, notamment dans le domaine de l'aide juridique et de la réforme des tribunaux administratifs, le ministre peut agir.

Est-ce que le ministre de la Justice va poser des gestes concrets dans le dossier de l'aide juridique et de la réforme des tribunaux administratifs pour restaurer la confiance du public dans la justice au Québec?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, je suis membre du Barreau et fier de l'être. Il m'arrive parfois de désirer y retourner assez rapidement...

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: Bien sûr, la présence de nos amis d'en face me manquerait tellement si je quittais la politique que je fais des efforts pour continuer.

Mais, M. le Président, parlant de la fierté d'appartenir au Barreau, je suis convaincu – et je prends à témoin les membres du Conseil général du Barreau qui sont ici – qu'ils n'apprécient pas, en aucune façon, cette façon qu'a le député de reprocher à un membre éminent du Barreau d'avoir permis à des citoyens et à des justiciables d'assurer leur droit à la défense dans le passé. C'est une façon totalement inacceptable, dont jugera le Barreau lui-même qui est ici présent par ses représentants les plus éminents, de qualifier le travail d'un avocat.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le chef de l'opposition officielle.

M. Johnson: Est-ce que le premier ministre se rend compte que c'est du ministre de la Justice que le bâtonnier parle? C'est de lui qu'il s'agit lorsque le bâtonnier écrit que des propos démagogiques et indélicats ont été tenus et qui trahissent un sens peu développé des institutions? Le Barreau ne parle de personne d'autre que du ministre de la Justice. Est-ce que le premier ministre peut nous dire si, dans sa vaste expérience parlementaire et de respect des institutions, il a déjà vu un ministre de la Justice se comporter comme son collègue?

Deuxièmement, est-ce qu'il entend maintenir en poste son collègue? Et, s'il entend le maintenir en poste, est-ce qu'il va au moins lui demander d'apporter les correctifs requis à la loi n° 130 et à la réforme de l'aide juridique afin qu'on évite, le moins qu'on puisse dire, la démagogie et l'indélicatesse dont il se rend responsable?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, point n'est besoin pour moi de réitérer la confiance illimitée que je nourris pour le travail du ministre de la Justice.

Des voix: Bravo!

M. Bouchard: Nous savons tous, au Québec, qu'on soit un salarié de l'État ou du secteur parapublic, ou qu'on soit un avocat ou qu'on soit n'importe qui qui traite dans la société actuellement que le Québec est engagé dans une grande démarche pour se sortir du pétrin où l'ont enlisé des années d'irresponsabilité financière. De sorte que le gouvernement est obligé de faire d'une pierre deux coups: de maintenir la protection sociale et de l'améliorer dans tous les cas où il peut le faire, mais, en même temps, de rationaliser ses dépenses.

Le cas de l'aide juridique est un beau cas, puisque, en même temps que nous avons étendu la couverture à plus de personnes que celles qui y avaient droit jusqu'à maintenant, nous avons réalisé certaines économies. Je comprends très bien que nos confrères, au Barreau, en subissent certains contrecoups, mais je leur demande... Je comprends qu'ils portent un jugement objectif aussi, parce qu'ils ont, en premier lieu, le rôle de protéger l'intérêt public et ils connaissent bien les institutions. Ils participent à la mise en place des programmes des services d'aide juridique, ils sont donc bien placés pour porter des jugements que nous recevons avec beaucoup de respect. Mais ils savent bien aussi que, comme citoyens, ils ont, eux aussi, un effort à faire pour contribuer à l'effort collectif que nous devons nous répartir équitablement. De toute façon, j'anticipe le plaisir que j'aurai, mardi prochain, de rencontrer, en compagnie du ministre de la Justice, les autorités du Barreau dans une réunion qui sera certainement conviviale et qui sera très franche.

Le Président: M. le chef de l'opposition officielle.

M. Johnson: En rappelant au premier ministre que la lettre du Barreau m'apparaît assez franche et directe, merci, est-ce que de réitérer sa confiance illimitée dans le ministre de la Justice signifie que, pour le premier ministre, il n'y a aucune limite à la démagogie et au mépris des institutions que manifeste son ministre de la Justice? C'est ça que ça veut dire?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, bien sûr, il y a les excès de la politique et ce jeu auquel se livre chaque jour l'opposition à la période des questions, mais je crois que le Barreau lui-même n'apprécie pas que l'un de ses confrères éminents, un grand praticien du droit, respecté par ses confrères, comme l'est le ministre de la Justice, soit ainsi traité par le chef de l'opposition.

Le Président: M. le chef de l'opposition.

M. Johnson: Est-ce que le premier ministre lit son courrier? Première des choses. Et, deuxièmement, s'il le lit, est-ce qu'il comprend que le bâtonnier du Québec trouve que les propos, l'attitude, le comportement du ministre de la Justice dépassent les bornes, et manifestent du mépris pour les institutions, et sont d'une facture démagogique inacceptable chez le ministre de la Justice du Québec?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, ce qu'il y a surtout, c'est une façon de voir différente qui est celle du ministre de la Justice et du gouvernement, du ministre et du gouvernement, par rapport à celle du Barreau concernant la réforme de l'aide juridique. Je crois qu'il est parfaitement possible, dans une société civilisée, surtout entre confrères au Barreau, de discuter courtoisement et correctement d'une question qui intéresse aussi directement des enjeux fondamentaux.

(10 h 50)

Le Président: En principale, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.


Réforme de la sécurité du revenu

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Hier, en cette Chambre, je dénonçais la désintégration sociale qui s'installe au Québec... Je préfère porter un béret blanc, madame, qu'être la marionnette du président du Conseil du trésor et du ministre des Finances.

Des voix: Bravo!

Le Président: Mme la députée.

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Hier, en cette Chambre, je dénonçais la désintégration sociale qui s'installe au Québec. Depuis l'arrivée du Parti québécois au pouvoir, jamais un gouvernement ne s'est acharné autant à appauvrir les plus démunis. En première page du Soleil ce matin, l'archevêque de Québec, Mgr Maurice Couture, dénonce l'apartheid social qui frappe les plus démunis de la société québécoise.

Que répond le premier ministre du Québec, M. le Président, aux propos troublants de l'archevêque de Québec, Mgr Couture?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, je me garderai bien d'engager un débat avec l'archevêque de Québec que je respecte au plus haut point et dont je ne mettrai certainement pas en suspicion les motifs, certainement très généreux, qui ont inspiré cette déclaration.

Ceci étant dit, peut-être, au plan de la sémantique, oserais-je suggérer qu'il y a un peu d'inflation verbale dans le recours à l'expression «apartheid social». Quand on sait ce qu'est l'apartheid et qu'on l'applique aux politiques sociales de la société québécoise, je crois qu'il y a un excès, M. le Président, je le dis en toute déférence et en tout respect. Parce que nous sommes une société qui n'est pas l'Afrique du Sud par rapport à l'allégorie de ce qui a été fait vis-à-vis d'une race qui était considérée comme inférieure et exclue de la société, privée de ses droits fondamentaux, privée du droit de vote; nous sommes une société qui consacre 4 000 000 000 $ par année aux programmes sociaux, nous sommes une société et un gouvernement qui vient d'annoncer une politique sociale extrêmement généreuse, qui annonce une politique d'aide sociale qui va ramener les gens au travail, qui annonce l'équité salariale – et qui le fait, il ne fait pas uniquement annoncer – qui, en même temps, a mis en place – et je le dis à l'intention également de mes confrères du Barreau qui sont ici dans les galeries et sur le parquet – une réforme d'aide juridique qui veut étendre davantage le filet de protection en faisant en sorte que plus de monde contribue, bien sûr, à son maintien.

Alors, M. le Président, nous vivons une période difficile au Québec, c'est entendu, mais nous voyons partout naître des gestes de solidarité. Je suis en train de penser et de voir poindre l'espoir d'un succès négocié avec nos partenaires syndicaux à qui on demande beaucoup, M. le Président, à qui on demande énormément à l'intérieur d'une convention qui est déjà signée. Je crois que nous avons besoin, en tout cas, de peser nos mots dans ces circonstances. Nous avons besoin de reconnaître que voici un gouvernement qui est en train de demander à la population de préserver l'État, de maintenir solide l'assise financière de l'État pour que l'État puisse maintenir la protection sociale. Et ce que nous faisons, c'est pour les démunis que nous le faisons, M. le Président. Le jour où l'État du Québec sombrera sous le poids des dettes accumulées par l'opposition lorsqu'elle était au pouvoir, il n'y aura plus de programmes sociaux, M. le Président.

Le Président: Mme la députée.

Mme Loiselle: M. le Président, le premier ministre vient de nous démontrer qu'il a encore un blanc de mémoire bien orchestré.

Le Président: Je voudrais juste vous rappeler, Mme la députée, que vous êtes en complémentaire et que vous ne jouissez pas des mêmes privilèges traditionnels que le chef de l'opposition.

Mme Loiselle: Pourquoi le premier ministre ne se vante-t-il pas des coupures qu'il a faites à l'aide sociale, le projet de loi n° 115, 145 000 000 $ de coupures sur la tête des plus démunis? Pourquoi ne se vante-t-il pas des coupures qu'il a faites dans l'allocation aux logements? Pourquoi ne se vante-t-il pas de l'assurance-médicaments qui appauvrit les plus démunis, les bénéficiaires de l'aide sociale et les personnes âgées à revenus modestes? Et pourquoi ne se vante-t-il pas que, dans sa réforme de l'aide sociale qui a été déposée cette semaine, il vient de briser le filet de sécurité sociale qu'il avait toujours promis de protéger, M. le Président?

Le Président: Mme la ministre d'État de l'Emploi et de la Solidarité.

Mme Harel: M. le Président, d'abord une remarque très rapidement pour vous dire que ça a certainement surpris le président du Conseil du trésor de penser que cette docilité qu'on m'attribue du côté de l'opposition...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Harel: Ceci dit... Alors, ce que la réforme intitulée «Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi» à l'aide sociale fait, c'est qu'elle met fin à l'exclusion – j'emploie, je pense, avec nuance le mot «exclusion» plutôt qu'«apartheid» – des chômeurs prestataires de l'aide sociale de l'ensemble des politiques de la main-d'oeuvre au Québec, exclusion introduite par une loi votée en 1987 au moment où l'opposition était au gouvernement.

Je signale ceci, non seulement qu'il faut s'occuper des problèmes – dans une société, il est important, bien évidemment, de les identifier – mais il faut aussi s'occuper des solutions. Et, en lisant Le Soleil ce matin, j'ai pensé immédiatement prendre contact avec Mgr Couture pour le rencontrer, justement, et partager avec lui non seulement son inquiétude à l'égard de la pauvreté qui résulte de l'exclusion, mais aussi la réflexion sur les solutions qu'il faut apporter en matière de politique familiale, avec une caisse de congés de maternité et de congés parentaux, en matière de services de garde, comme ma collègue la ministre de l'Éducation entend implanter, en matière également d'allocations pour enfants pour, justement, les sortir du système dans lequel on les maintient avec l'aide sociale. Alors, il y a là, sur la table...

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, M. le Président. Vous avez cru bon d'interrompre la ministre d'État de l'Emploi et de la Solidarité. Je voudrais juste vous faire remarquer qu'à partir du moment où on permet que six questions complémentaires soient posées d'un seul coup, à ce moment-là, il faut permettre, je pense, à la ministre de pouvoir répondre aux différents volets contenus dans les préambules ou dans les six questions qui ont été posées.

Le Président: Je regrette de ne pouvoir, M. le leader du gouvernement, vous suivre sur ce terrain, parce que, s'il fallait le faire, je pense que les périodes de questions ne seraient plus gérables. C'est clair que l'opposition officielle, dans la mesure où elle le fait dans le temps qui lui est imparti, à partir du moment où c'est de façon complémentaire et en forme de question, peut formuler ses questions avec un ou plusieurs volets, comme souvent les réponses sont aussi en plusieurs volets et pas nécessairement toutes orientées sur le sujet principal.

Ceci étant dit, je voudrais dire, avec tout le respect que j'ai pour les membres de l'Assemblée, que ce serait plus simple – en fait, c'est plus un conseil que je donne – dans la mesure où le président essaie de ne pas interrompre, en particulier les gens qui ont la parole, soit d'un côté ou de l'autre, de faire des signes. Je vous demanderais, de part et d'autre, de vous adresser à la présidence. Comme ça, vous allez voir les signes que je fais. Ça va éviter à tout le monde d'avoir l'impression que je vous interromps.

Par ailleurs, je peux vous dire qu'à ce moment-ci, et vous le savez très bien, Mme la ministre, vous aviez largement utilisé le temps qui est imparti à une réponse, généralement, et ça faisait déjà un bon moment que j'essayais de vous faire signe sans vouloir vous interrompre. Alors, à ce moment-ci, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne. M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: M. le Président, le but de mon propos n'était pas de remettre en question l'appréciation que vous avez faite au niveau de la complémentaire. Vous avez permis la complémentaire, et c'était votre droit de le faire. Mais, à partir du moment où vous permettez que des complémentaires contiennent six questions, pas nécessairement des volets, mais six questions distinctes, à ce moment-là, le but de mon propos est de permettre à la ministre de répondre correctement aux questions en rafale que vous avez permises.

(11 heures)

Le Président: M. le leader du gouvernement, rassurez-vous. Je n'avais pas pensé que vous mettiez en question la décision que j'avais prise. Je tiens encore une fois à rappeler que, dans la mesure où l'opposition est maîtresse de ses questions et de la façon dont elle doit les formuler, si elle formule ses questions ou sa question avec différents volets, on peut toujours dire que c'est des questions différentes. Mais, dans le temps qui est normalement imparti à une question complémentaire, je dois appliquer la même règle pour la réponse qui est adressée à la question complémentaire, sinon on va se retrouver avec la situation où une question à plusieurs volets serait posée dans le temps réglementaire et on prendrait six fois plus de temps que normalement on devrait le faire pour accorder à un membre du gouvernement la possibilité de répondre à l'ensemble des volets.

M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: M. le Président, simplement une mise au point, là. Plus on s'éloigne de l'application du règlement comme telle, plus on s'aperçoit que le temps de la période de questions est occupé par quelqu'un d'autre que les députés en cette Chambre.

Mais, M. le Président, les statistiques que vous avez distribuées dernièrement indiquent qu'un fort pourcentage de la période de questions est constitué d'absence de parlementaires et du côté de l'opposition et du côté ministériel. Ça commence à déborder légèrement. Je vous le souligne très respectueusement, M. le Président.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, M. le Président. Vous me permettrez d'être d'accord avec le leader de l'opposition, et, à ce moment-là, je pense que...

Une voix: C'est lui qui parle le plus. C'est lui.

M. Bélanger: Tout à fait, M. le Président.

Le Président: Alors, écoutez, c'est très simple. Je vous suggère à ce moment-ci, comme je l'ai déjà fait, je pense, la semaine dernière ou l'autre semaine, d'imiter nos collègues fédéraux et de faire en sorte que, à la période des questions et des réponses orales, il n'y ait pas de questions de règlement et que le président ait à apprécier seulement le règlement, à ce moment-ci. À ce moment-là, on sera en capacité de faire un échange plus vif et plus vigoureux sans nécessairement qu'on passe une partie du temps à faire en sorte qu'on fasse des questions de règlement.

Mme la députée de Saint-Henri–Saint-Anne.

Mme Loiselle: M. le Président, est-ce que le premier ministre maintient toujours qu'il n'a pas brisé sa promesse de maintenir le filet de sécurité sociale en sachant que les mesures punitives qu'on retrouve dans la réforme de l'aide sociale vont faire que des mères de famille, que des jeunes vont se retrouver à vivre avec 200 $ en poche, 350 $ en poche? Est-ce que c'est ça, le filet de sécurité sociale, M. le Président? Ça ne paie même pas le loyer, ça.

Le Président: Mme la ministre.

Mme Harel: M. le Président, j'invite Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne à avoir suffisamment le sens des responsabilités pour ne pas inventer le pire dans les propos qu'elle tient ici, à l'Assemblée nationale.

La révision, c'est une révision en profondeur, oui; c'est une nouvelle philosophie, oui. Et c'est une révision en profondeur qui n'est pas inédite, là, pour le Québec seulement. Je comprends que la très grande majorité des pays industrialisés avec lesquels on peut se comparer, y compris parmi les pays les plus progressistes et les pays sociaux-démocrates, notamment ceux qui sont cités dans la réforme et où l'expérience est menée depuis quelques années, nous permettent de nous inspirer de ce qui se fait notamment au Danemark, notamment en Suède, où cette révision en profondeur s'impose et s'est imposée, comme ici, à cause de la montée du chômage de longue durée et à cause de l'importance des sommes consacrées au remplacement du revenu de travail. C'est une révision en profondeur pour renforcer l'efficacité des politiques du marché du travail et – c'est, finalement, l'objectif, vous savez lequel il est – conduire les chômeurs sur l'aide sociale à un véritable statut d'apprenti, d'étudiant ou de travailleur et travailleuse.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le chef de l'opposition officielle, en complémentaire.

M. Johnson: Oui. Est-ce que le premier ministre, qui a dit que les propos de Mgr Couture sont exagérés – je crois que c'est ce qu'il a dit – a l'intention de dire la même chose à Mgr Turcotte, qui, il y a quelques minutes, a repris exactement les mêmes propos? Est-ce que le premier ministre, dont on ne peut pas dire qu'il est étranger à l'inflation verbale, ne devrait pas plutôt se rendre compte que c'est la perte de 60 000 emplois qui est responsable de la pauvreté, que c'est ni Mgr Couture ni Mgr Turcotte qui sont responsables de la perte de 200 emplois par jour ici, au Québec?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, je suis bien convaincu que Son Éminence le cardinal Turcotte n'a pas employé l'expression «apartheid» pour décrire un groupe au Québec, dans notre société.

Ceci étant dit, M. le Président, je veux revenir à la réforme sociale. On a parlé des jeunes qui seraient pénalisés. Il faut quand même revenir aux choses fondamentales. La société a des responsabilités et des obligations envers les plus démunis, y compris, bien sûr, envers les jeunes qui sont chômeurs et qui n'ont pas de revenus. Mais toute personne humaine dans la société, si elle est apte au travail, a également des responsabilités envers elle-même, envers son propre destin. Et cette philosophie dont parlait la ministre de l'Emploi et de la Solidarité tout à l'heure s'inspire, en effet, de l'obligation pour chacun d'assumer sa part de responsabilité. Quelqu'un qui est jeune et qui décroche de l'école, qui atteint l'âge de 18 ans et qui se trouve à bénéficier de l'aide sociale peut avoir l'obligation de faire un effort pour se qualifier pour l'emploi, et il est tout à fait normal que la société demande à quelqu'un qui touche une prestation d'aide sociale de poser des gestes de participation à des programmes qui vont l'amener sur le chemin de l'emploi, de sorte que les gens qui refusent d'assumer cette obligation se trouvent, à ce moment-là, à accepter la conséquence. Quelqu'un qui travaille, par exemple, à salaire doit fournir du travail. S'il ne fournit pas le travail, il ne sera pas payé.

Il y a des allégories qu'il faut faire de ce genre-là et qui s'inspirent de la justice et de l'équité: équité entre les jeunes qui vont à l'école et les jeunes qui sont à l'aide sociale, équité entre les travailleurs à faibles revenus et les gens à l'aide sociale, équité entre les familles monoparentales et les familles où il y a un chef de famille qui travaille. Il y a de l'équité à mettre dans la société.

Le Président: M. le chef de l'opposition officielle.

M. Johnson: Oui. Est-ce que le premier ministre, qui vient de nous faire un discours, ne serait pas un peu plus impressionnant si les décisions qu'il prend, ou qu'il devrait prendre, comme chef du gouvernement amenaient véritablement une baisse du chômage chez les jeunes, feraient en sorte que sa propre région, qui est particulièrement frappée, ne connaîtrait pas le taux de chômage et d'appauvrissement collectif qu'on lui connaît? Et, au lieu de se gargariser de ses grands principes, au lieu de corriger le tir que Mgr Couture et Mgr Turcotte ont fait porter sur les politiques du gouvernement en matière d'appauvrissement, est-ce que le gouvernement ne devrait pas prendre des décisions concrètes qui feraient en sorte qu'il se passerait autre chose au Québec que 200 pertes d'emplois par jour depuis son assermentation?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bouchard: M. le Président, je respecte au plus haut point les préoccupations que manifestent les évêques du Québec, tous les organismes charitables envers les démunis, chez nous. Ceci étant dit, quand on parle des jeunes et du chômage, le chef de l'opposition sait très bien que les jeunes sont en train de payer le prix de nos propres irresponsabilités, nous, de notre génération. Nous avons dépensé sans compter, nous avons emprunté pour payer l'épicerie. Il y a même des gens qui ont eu l'audace de faire 5 700 000 000 $ de déficit dans une année, comme par exemple le gouvernement qu'a présidé le chef de l'opposition, qui aurait été de 6 000 000 000 $ et plus si le gouvernement actuel n'était pas intervenu pour corriger les choses. M. le Président, ce que nous devons aux jeunes, justement, c'est un peu de courage politique, un peu de réalisme, pour redresser les choses.

Des voix: Bravo!

Le Président: À ce moment-ci, je vais reconnaître le député de Saguenay pour une question principale.


Entreposage de BPC dans la région de Baie-Comeau

M. Gagnon: Merci, M. le Président. Le 16 août 1989, contre la volonté de la population de la région de Manicouagan, le gouvernement du Québec imposait la présence des BPC à Manic 2, près de Baie-Comeau. On nous avait dit que, 10 mois plus tard, le problème allait être réglé. En 1992, la technologie Vesta-200 avait été validée. Dans les derniers mois, il y a eu la technologie de Ogden qui a été examinée. Aujourd'hui, 88 mois plus tard, quel est l'état de la situation dans ce dossier?

Le Président: M. le ministre de l'Environnement et de la Faune.

M. Cliche: Oui. M. le Président, j'ai, je pense, le plaisir de pouvoir dire qu'on est en voie de tourner une page sur une saga peu glorieuse dans notre histoire politique, M. le Président, dans la mesure où, au moment où on se parle, plus de 90 % des 877 t de BPC qui avaient été entreposés dans les circonstances qu'a bien décrites le député sont, au moment où on se parle, détruits à 99,9999 %.

J'ai également le plaisir d'annoncer que l'appel solennel que j'avais prononcé au mois de mai, sur la Côte-Nord, où j'avais officiellement et solennellement invité les propriétaires de BPC dans cette région à profiter du passage de cet équipement dans la région pour y faire détruire les BPC... J'ai le plaisir d'annoncer que les propriétaires de ces 1 000 t de BPC ont répondu à l'appel solennel et vont profiter du passage de cet incinérateur pour détruire correctement les BPC. Ceci a été fait avec la collaboration et avec la vigilance des citoyens de Baie-Comeau. Et, contrairement à l'opposition officielle, qui les avait écrasés sous la matraque, nous les avons associés à cette opération qui va nous permettre de débarrasser le Québec des BPC, M. le Président.

(11 h 10)

Des voix: Bravo!

Le Président: Une dernière complémentaire, M. le député d'Orford.


Réglementation concernant l'implantation de porcheries

M. Benoit: Oui, en complémentaire, M. le Président. Le ministre de l'Environnement, quand il aura fini de s'encenser, peut-il nous dire quel est l'état de la situation des porcheries au Québec, M. le Président?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président: Écoutez, je pense que... Ce n'était certainement pas une question complémentaire, mais, puisqu'elle a été posée, on va la considérer comme une question principale et je vais permettre au ministre de répondre. Mais ce n'est pas une question complémentaire.

M. Cliche: Merci, M. le Président. Nous nous occupons de ce problème-là comme nous nous occupons des autres, M. le Président.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cliche: Au moment où on se parle, il y a des choses importantes qui sont maintenant du domaine de l'acquis. L'ensemble des producteurs agricoles du Québec devront, dans un proche avenir, se doter d'un plan de fertilisation qui va faire en sorte que les fertilisants qu'ils vont déposer sur les sols et sur les plantes qui y poussent vont être en équilibre avec les besoins en sols et en plantes, de sorte que les surplus de fertilisants ne s'en iront pas dans les cours d'eau.

Deuxièmement, M. le Président, les quatre ministères concernés se sont entendus sur un nouveau document d'orientation qui sera bientôt déposé en commission parlementaire pour y être discuté et qui porte sur les nuisances qui souvent sont notées par les citoyens, soit les bruits, les odeurs et la poussière.

Donc, nous nous occupons de ce dossier. Nous allons encadrer correctement l'industrie agricole du Québec pour qu'elle puisse continuer à se développer dans le respect de l'environnement, et on parle à la fois de l'environnement physique et de l'environnement social.

Des voix: Bravo!

Le Président: Alors, cet échange met fin à la période des questions et des réponses orales pour aujourd'hui.

Il n'y a pas de réponses différées.

Il n'y a pas non plus de votes reportés.


Motions sans préavis

Nous en arrivons à l'étape des motions sans préavis. M. le leader du gouvernement.


Motion proposant que la commission du budget et de l'administration procède à des consultations particulières sur le projet de loi n° 69

M. Bélanger: Oui. M. le Président, je sollicite le consentement des membres de cette Assemblée afin de présenter la motion suivante:

«Que la commission du budget et de l'administration procède à des consultations particulières et tienne des auditions publiques sur le projet de loi n° 69, Loi modifiant la Loi sur les caisses d'épargne et de crédit, aujourd'hui, de 15 heures à 17 heures, et, à cette fin, entende les organismes suivants: la Fédération des caisses d'économie Desjardins du Québec et La Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec;

«Que la durée maximale de l'exposé de chaque organisme soit de 20 minutes et l'échange avec les membres de la commission soit d'une durée maximale de 40 minutes, partagées également entre les membres du groupe parlementaire formant le gouvernement et les députés formant l'opposition;

«Que le ministre d'État de l'Économie et des Finances soit membre de ladite commission pour la durée du mandat.»

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Oui. M. le Président, compte tenu de la nature du projet de loi et de son contenu comme tel, ne serait-il pas préférable – et je le fais à titre de suggestion au leader du gouvernement – que la Fédération des caisses d'économie Desjardins du Québec, qui sont ceux qui s'opposent à quelques articles, soit entendue par la commission postérieurement à La Confédération des caisses populaires et d'économie, qui, en quelque sorte, propose – et j'extrapole – le contenu du projet de loi comme tel? Autrement dit, que ceux qui ont des objections puissent entendre en premier lieu les gens qui supportent, comme tel – d'après la compréhension que nous avons du dossier – le projet de loi, que ceux qui ont des objections puissent le faire par la suite, M. le Président.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Quant à moi, M. le Président, je n'ai aucune objection à la proposition qui est faite par le leader de l'opposition. À ce moment-là, je pense que les modifications appropriées pourraient être faites. Quant à moi, je n'ai aucune objection à cette proposition.

Le Président: Alors, si je comprends bien, il y a consentement pour procéder de cette façon. Est-ce qu'il y a consentement également pour déroger aux règles relatives aux étapes du processus législatif? Alors, il y a consentement. Très bien.


Mise aux voix

Alors, la motion est adoptée. Est-ce qu'il y a d'autres motions sans préavis? M. le chef de l'opposition officielle.

M. Johnson: Oui. M. le Président, je sollicite le consentement des membres de cette Assemblée pour que nous discutions et adoptions, le cas échéant, la motion suivante:

«Que cette Assemblée signifie qu'elle se réjouit de la nomination de Mme Lise Thibault au poste de lieutenant-gouverneur du Québec.»

Des voix: Bravo!

Le Président: Est-ce qu'il y a consentement pour débattre de cette motion? M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Non, M. le Président. Je suis un peu étonné, tout simplement, de la motion qui est présentée, parce que normalement – le leader de l'opposition le sait très bien, et je m'étonne qu'il ne l'ait pas dit au chef de l'opposition – quand il y a des motions sans préavis, on en discute au préalable et on peut, à ce moment-là, envisager et regarder l'éventualité de donner un consentement.

Alors, pour ce motif, M. le Président, puisque la tradition n'a pas été respectée, je ne peux donner mon consentement, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Oui, M. le Président. M. le Président, là je veux qu'on se comprenne...

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Simplement pour que les choses soient claires entre au moins les leaders et les parlementaires en cette Chambre, l'annonce vient d'être faite. Il s'agit d'une motion non annoncée, nous venons de l'apprendre. Nous ne pouvions donc pas le dire ou l'annoncer à la Chambre ou présenter une motion avant de le savoir.

Compte tenu que nous venons de l'apprendre, compte tenu qu'il s'agit d'un poste très important sur le plan des institutions – et ça a été souligné par le premier ministre dernièrement, à une autre occasion – on sollicite à ce moment-ci le consentement pour que, de part et d'autre, on puisse accueillir une femme au poste de lieutenant-gouverneur, qui va, de par sa qualité intrinsèque, grandir le poste de lieutenant-gouverneur au Québec.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui. M. le Président, je comprends que l'opposition officielle a peut-être des communications privilégiées avec le gouvernement fédéral, mais, moi, je ne peux pas donner de consentement, M. le Président.

Le Président: M. le leader de...

M. Johnson: Le premier ministre le sait depuis hier.

Le Président: M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: M. le Président, j'invite le leader du gouvernement à se procurer un poste de télévision. Ça a été annoncé sur le réseau RDI.

Le Président: Alors, puisqu'il n'y a pas consentement pour débattre de cette motion, la motion ne sera pas débattue. Est-ce qu'il y a d'autres motions sans préavis?


Avis touchant les travaux des commissions

Alors, nous en arrivons aux avis touchant les travaux des commissions. M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui. M. le Président, j'avise cette Assemblée qu'aujourd'hui la commission de l'économie et du travail procédera à l'étude détaillée du projet de loi n° 50, Loi sur la Régie de l'énergie, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle du Conseil législatif;

Que la commission de l'aménagement et des équipements poursuivra l'étude détaillée du projet de loi n° 43, Loi sur les véhicules hors route, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle Louis-Hippolyte-LaFontaine;

Que la commission du budget et de l'administration poursuivra l'étude détaillée du projet de loi n° 3, Loi sur l'élimination du déficit et l'équilibre budgétaire, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau;

Que la commission du budget et de l'administration procédera aux consultations particulières sur le projet de loi n° 69, Loi modifiant la Loi sur les caisses d'épargne et de crédit, de 15 heures à 17 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau.


Renseignements sur les travaux de l'Assemblée

Le Président: Bien. Alors, s'il n'y a pas d'autres avis touchant les travaux des commissions, renseignements sur les travaux de l'Assemblée. M. le leader adjoint de l'opposition officielle.

M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je pourrais savoir du leader du gouvernement pour quelle raison la commission des institutions ne siégera pas aujourd'hui pour étudier le projet de loi n° 77, ce qui m'aurait permis de vérifier si les députés ministériels ont reçu copie de la lettre qui est adressée par Mme Simard aux maires de l'UMRCQ, demandant très clairement de dire aux députés ministériels de voter contre le projet de loi n° 77, qui en est un essentiellement qui vise à pomper 48 000 000 $ de taxes, M. le Président, au Québec?

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui. M. le Président, je pense que le leader adjoint a été assez longtemps en cette Chambre pour savoir qu'on a des règles qui nous limitent quant au nombre de commissions qui peuvent siéger. On a des choix à faire, M. le Président. Mais, qu'il se rassure, elle va être appelée, cette loi, M. le Président.

Le Président: Sur les renseignements sur les travaux de l'Assemblée, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Oui. M. le Président, pour la troisième fois, je demande le dépôt de l'entente intervenue entre le gouvernement et la Banque Nationale en ce qui concerne le partage des frais relatifs aux conseillers commerciaux du Québec à l'étranger, considérant que le ministre d'État de l'Économie et des Finances s'est engagé devant cette Assemblée le 10 juin dernier, c'est-à-dire il y a six mois, à la déposer, M. le Président.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Je prends note, M. le Président, de la demande de la députée de La Pinière.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Sur la même question, quand ça fait plus de six mois, quand ça fait trois fois que Mme la députée se lève et qu'on a l'occasion d'avoir en cette Chambre le ministre, je pense qu'on mérite une réponse. En tout cas, on est en droit de s'attendre à une réponse un petit peu plus spécifique et un petit peu plus claire. Le ministre avait pris un engagement au mois de juin, nous sommes six mois plus tard, nous demandons très poliment le respect de l'engagement, M. le Président.

(11 h 20)

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, M. le Président. Le leader de l'opposition, je crois, va avoir les souvenirs du temps où il était leader du gouvernement. Il va se souvenir que certaines des questions qui étaient posées à ce moment-là, par l'opposition, ç'a pris jusqu'à trois ans avant d'avoir les réponses. Alors, je pense, tant qu'à faire, là, qu'on n'a pas à... Je dis bien amicalement à mon bon ami le leader de l'opposition qu'on n'a pas de leçon à recevoir. Maintenant, on va, le plus rapidement possible, faire en sorte que les réponses soient apportées aux questions demandées, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Est-ce qu'on peut avoir une indication... Est-ce que ça va être d'ici la fin de la présente session parlementaire? Ça donne encore au ministre des Finances, malgré ses nombreuses occupations, 10 jours pour nous répondre.

M. Bélanger: Dès que possible, M. le Président.

Mme Houda-Pepin: M. le Président, est-ce que je peux demander au leader du gouvernement de voir également au dépôt du document que j'ai inscrit au feuilleton en date du 29 mai, pour que le ministre des Relations internationales dépose les documents qui ont été préparés par son ministère sur les scénarios relatifs à la représentation du Québec à l'étranger?

M. Bélanger: Oui, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Dans son cas, M. le Président, là, ça fait plus de sept mois, et on ne lui connaît pas beaucoup d'autres occupations.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président: M. le député de Rivière-du-Loup.

M. Dumont: Oui, M. le Président. Dans le cadre d'une motion du mercredi, lors de la dernière session parlementaire, le leader du gouvernement... C'était une motion du mercredi qui visait à revoir le mode de nomination dans la haute fonction publique pour éviter les nominations partisanes. Je me souviens que le leader de l'opposition avait amendé la motion en question pour inclure ou limiter ces éléments-là à la réforme parlementaire. Et, devant mon scepticisme de l'époque, il me disait que c'était une question de quelques semaines, que ce serait imminent, que des choses seraient entreprises dans ce sens-là et que les résultats seraient mesurables rapidement. On est rendu à la fin de la session suivante et on n'entend toujours parler de rien. Je voudrais savoir du leader du gouvernement s'il a des intentions en cette matière-là.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, M. le Président, je voudrais répondre au député de Rivière-du-Loup. Premièrement, ce n'est pas le leader de l'opposition qui l'a amendée, c'est le leader du gouvernement. Parce qu'il a dit: «le leader de l'opposition avait amendé», alors je voudrais juste peut-être le corriger. Il pourra vérifier dans ses fiches si j'ai raison.

Deuxièmement, je voudrais lui annoncer – peut-être qu'il n'est pas au courant, je pensais qu'il suivait peut-être un peu nos travaux – que la réforme parlementaire est engagée, que la commission de l'Assemblée nationale a été convoquée, sous la présidence ou la direction du président, que les leaders y participent et que, comme je l'ai mentionné déjà au député de Rivière-du-Loup, c'est un élément qui est important quant à moi, celui qui avait été soulevé par la motion du mercredi.

Et je comprends que le député de Rivière-du-Loup est impatient de voir cette question réglée ou abordée, mais je peux lui dire que la réforme parlementaire est engagée. Les leaders la travaillent, le président la préside. Et nous sommes confiants, M. le Président, que nous allons arriver dans les meilleurs délais à des résultats qui vont, je crois, être vraiment favorables et être profitables pour notre vie parlementaire.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Oui, M. le Président. À l'article 60 du feuilleton de l'Assemblée nationale apparaît une motion au nom du ministre délégué à l'Administration et à la Fonction publique et président du Conseil du trésor, motion qui se lit comme suit:

«Que l'Assemblée nationale appuie – une motion qui n'a jamais été appelée, là, comme telle, par le leader du gouvernement – la proposition faite par le gouvernement aux salariés de l'État qui vise à préserver l'emploi, en évitant le licenciement de quelque 25 000 personnes; à sauvegarder la qualité des services publics et éliminer le déficit en 1999-2000; à verser les augmentations salariales de 1 % prévues au 1er janvier prochain et de 1 % prévues au 1er janvier 1998, tout en retirant la loi 102; à garantir un congé de cotisation aux régimes de retraite en en maintenant les avantages; à réduire sensiblement, dans la plupart des cas, le temps de travail des employés; à maintenir intégralement le revenu net des employés de l'État pendant toute la période de leur convention collective; et à négocier avec les organisations syndicales, avant la fin des conventions collectives en juin 1998, des solutions à plus long terme et qu'elle invite les organisations syndicales à négocier ces propositions d'ici le 9 décembre prochain.»

Moi, j'aimerais savoir du gouvernement si cette motion, qui était urgente à l'époque, est devenue caduque, et quelles dispositions il entend prendre pour régler le cas de cette caducité.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Je voudrais féliciter le leader de l'opposition pour sa bonne lecture, M. le Président. Je crois qu'il lit très bien. Maintenant, il sait très bien aussi que c'est au gouvernement et au leader du gouvernement, à ce moment-là, de décider s'il doit appeler ou pas une motion, si on décide de la débattre ou pas. Maintenant, cette motion est au feuilleton. Alors, le règlement s'applique, M. le Président, et le règlement sera appliqué en temps et lieu, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: Oui, M. le Président, la question n'était pas tellement compliquée, là: Est-ce qu'elle est devenue caduque et, si oui, quel remède allez-vous y apporter?

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: M. le Président, j'ai donné ma réponse. Elle est encore au feuilleton et en temps et lieu nous déciderons de ce qu'il adviendra de cette motion. Mais, à ce moment-ci, je n'ai pas à donner plus de précision que ça, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'opposition officielle.

M. Paradis: M. le Président, je vais tenter de simplifier encore une fois, ça semble bien compliqué pour le leader du gouvernement. On a une motion qui parle d'éviter la mise à pied d'employés de l'État. Le premier ministre a déposé une proposition qui vise la mise à pied d'employés de l'État. Il y a une nette contradiction. Est-ce que c'est le feuilleton qui prévaut ou le dépôt du document par le premier ministre?

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: M. le Président, même réponse.

M. Paradis: M. le Président, je vous ferai juste remarquer que ce n'était pas la même question.

Des voix: Ha, ha, ha!


Affaires du jour

Le Président: Très bien. Alors, cet échange étant terminé, nous en arrivons maintenant aux affaires du jour, M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, M. le Président. Je vous demanderais de prendre en considération l'article 38 de notre feuilleton.


Projet de loi n° 130


Reprise du débat sur la prise en considération du rapport de la commission qui en a fait l'étude détaillée et des amendements transmis

Le Président: À l'article 38 du feuilleton, l'Assemblée reprend le débat sur la prise en considération du rapport de la commission des institutions sur le projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative, ainsi que des amendements transmis par M. le ministre de la Justice et des amendements transmis également par M. le député de Chomedey en vertu de l'article 252 du règlement.

Est-ce qu'il y a des interventions additionnelles à ce moment-ci? M. le député de Jacques-Cartier.


M. Geoffrey Kelley

M. Kelley: Merci, M. le Président. C'est avec tristesse que je dois intervenir à ce moment-ci sur la prise en considération du projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative. Tristesse parce que, encore une fois, l'opposition est devant un bâillon sur un projet de loi qui traite de la justice. Je pense que mon collègue, le député de Chomedey, durant la période des questions, a fait état de la situation lamentable où se trouve la justice au Québec à ce temps-ci. On a tout intérêt à s'assurer que les projets de loi sont faits, préparés comme il faut.

Encore une fois ce matin – la dernière fois qu'on était devant le bâillon, c'était au mois de juin, avec le projet de loi n° 20, le projet sur l'aide juridique – dans La Presse de ce matin, Mme Lise Ferland a indiqué que la réforme de l'aide juridique dont se vante ce gouvernement, «ça ne marche pas». C'est une citation de Mme Ferland, qui est porte-parole de la coalition qui travaille aux Services juridiques communautaires de Pointe Saint-Charles et Petite Bourgogne – alors, la clientèle ciblée, les personnes pour lesquelles nous avons essayé de faire une réforme de l'aide juridique pour les aider. C'est catégorique, ça ne marche pas. Mme Ferland parle aussi des effets pervers.

Alors, je pense qu'on ne peut pas être plus clair que ça. La dernière fois que ce gouvernement a fait un bâillon dans un projet de loi qui traitait de la justice, ça ne marchait pas. Alors, je pense qu'on a tout avantage à apprendre les leçons du passé avant de procéder à un autre bâillon. Mais on ne veut pas faire ça. Le ministre, encore une fois, avec son entêtement qu'on connaît très bien, est allé de l'avant avec un autre bâillon, cette fois-ci sur le projet de loi n° 130, le projet de loi dont je dis que c'est le projet de loi «triple A», parce qu'il y a des problèmes à la fois avec l'autonomie, l'arbitraire et les amis. Alors, je pense qu'on va parler des trois «A» de ce projet de loi.

Le premier, c'est l'autonomie des juges. Nous avons discuté longuement en commission des institutions, nous avons essayé de faire comprendre que, pour ces personnes, ces juges, il faut avoir une certaine autonomie de l'administration pour prendre des décisions indépendantes. Et nous avons beaucoup insisté. Nous avons dit que les mandats qui sont prévus dans la loi, nous avons dit que les conditions de travail fixées par règlement par le gouvernement ne sont pas suffisamment éloignées de l'administration pour s'assurer de l'indépendance du nouveau tribunal de justice administrative. Nous avons eu des débats qui ont continué, continué: le ministre n'a pas compris.

Et ce n'est pas uniquement l'opposition qui a fait de l'objection: le Barreau du Québec et beaucoup d'autres intervenants sont venus pour dire qu'il faut garder cette autonomie entre les juges du nouveau tribunal de justice administrative et l'administration publique. Le ministre ne veut rien savoir. Ça demeure une faille très importante dans le projet de loi. Alors, je pense qu'on a tout intérêt à le corriger avant le bâillon.

(11 h 30)

Mais, encore une fois, le ministre ne veut rien savoir des modifications que nous avons essayées. Et même quelques modifications qu'il a acceptées, les ententes qu'il a faites avec le député de Chomedey, ne sont pas respectées. Dans la pile des amendements qui ont été déposés hier, il y avait des ententes brisées entre le porte-parole de l'opposition officielle et le ministre, quant à des modifications au projet de loi. Alors, premier volet, le premier A, où il y a énormément de problèmes et on a tout intérêt à les corriger, c'est au niveau de l'autonomie.

Le deuxième, M. le Président, c'est au niveau de l'arbitraire. Je pense qu'on a tout intérêt à ce que les citoyens et citoyennes du Québec sentent qu'ils ont accès à la justice, sentent que, s'il y a une décision de prise au niveau d'un tribunal administratif et qu'ils pensent que la cause pourrait aller plus loin, qu'ils peuvent pousser leur cause plus loin, devant la Cour du Québec ou la Cour d'appel, il y aura une mécanique d'appel des décisions prises par le tribunal de justice administratif.

Qu'est-ce que le ministre a fait? Au lieu de refuser catégoriquement tout appel, il a encore compliqué davantage la situation parce qu'il accepte des appels dans certaines catégories, selon sa discrétion. Alors, c'est encore plus grave qu'avant. Alors, au lieu de bonifier le projet de loi, je pense que le ministre est allé dans la mauvaise direction. Sur ça, je veux citer la lettre du Barreau du Québec adressée au premier ministre, datée du 11 décembre, c'est-à-dire hier: «L'appel partiel et sur permission en matière d'expropriation, d'évaluation foncière et de protection du territoire agricole proposé par le ministre est insuffisant.»

Alors, je pense qu'on a tout intérêt, encore une fois, à regarder le projet de loi, à essayer de s'assurer que, quant au niveau de l'arbitraire, on peut protéger nos commettants, les citoyens et citoyennes de nos comtés. Parce qu'ils vont venir nous voir. Le député est toujours le recours de dernier appel. En fin de compte, quand on n'est pas satisfait des décisions prises par la fonction publique, par l'administration publique, on va cogner à la porte des députés. C'est ça, la tradition. Alors, je pense que, comme députés, on a tout intérêt à s'assurer que nos citoyens ont accès à une justice qui n'est pas arbitraire, qu'ils sentent que, si vraiment quelqu'un pense que ses droits sont lésés, ses droits ne sont pas respectés, il aura l'occasion de porter en appel des décisions du tribunal de justice administratif. Alors, ça, c'est le deuxième volet, le deuxième A, où ça ne marche pas, l'arbitraire.

Et le troisième, on revient toujours à la question des amis et aux déclarations, semble-t-il, que le ministre a faites quant à l'effet qu'on va nommer, que ça va être des nominations partisanes. Le député de Rivière-du-Loup a soulevé un débat, que nous avons eu dans notre dernière session, quant à la mise en place d'un processus de nomination qui serait moins partisan, moins à la discrétion du gouvernement. On n'a pas de nouveau! Alors, encore une fois, ça va être la création de nombre de positions, des nominations importantes que le ministre et le gouvernement vont être capables de faire.

Alors, c'est ça, les objections que nous avons essayé de faire comprendre en commission. Mon grand ami le député de Chomedey a essayé, à maintes reprises, de bonifier, de modifier, de corriger la loi, surtout sur les trois A. Sur ça, il est revenu à la charge à maintes reprises, pour corriger le projet de loi. Sans succès. Alors, au lieu d'entendre... Pour éviter ce que nous avons vu aujourd'hui avec le dernier bâillon, l'aide juridique, où on dit, comme je dis, M. le Président: Ça ne marche pas, c'est catégorique, alors, au lieu d'avoir les mêmes manchettes dans six mois, dans 12 mois, dès qu'il y aura la création d'un tribunal de justice administratif et que d'autres intervenants, soit le Barreau, soit les avocats, plaideront devant ce tribunal, peut-être qu'on pourrait prendre le temps qu'il faut maintenant pour retourner à la commission des institutions et faire les corrections nécessaires à ce projet de loi pour éviter un autre projet de loi raté par ce gouvernement en matière d'administration de la justice au Québec.

Parce que les propos, dans la lettre du bâtonnier du Québec, Claude Masse, sont... On ne peut pas en ajouter, la rupture entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec est complète quand on lit des propos comme, en commentant le discours du ministre: «De tels propos démagogiques et indélicats tenus, par surcroît, par un ministre de la Justice jettent un discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.» C'est grave, ça, M. le Président. C'est vraiment la rupture totale entre les personnes qui ont la responsabilité de faire fonctionner notre système de justice. Également, on voit plus loin, quand le Barreau a expliqué pourquoi il doit s'adresser au premier ministre: «Si nous nous adressons à vous, M. le premier ministre, c'est que nous connaissons votre sens profond des institutions et votre respect des divers intervenants, ce qui, malheureusement, ne semble pas être le cas pour le ministre de la Justice.»

Je pense que c'est assez clair que dans la réforme sur l'aide juridique, il y a des ratés très importants, et je pense que le temps est venu, peut-être, de voir un autre ministre piloter ces changements, de revoir ces deux projets de loi, de s'asseoir encore une fois avec les divers intervenants pour arriver avec un meilleur système à la fois pour l'aide juridique, à la fois dans la réforme de la justice administrative, parce que c'est important. Comme je dis, au niveau des trois A, il demeure toujours des problèmes très importants avec le projet de loi n° 130. Et, tant et aussi longtemps qu'on ne peut pas les corriger, comme je dis, l'opposition doit se plier devant un bâillon, mais je trouve que c'est une mauvaise nouvelle pour mes commettants, c'est une mauvaise nouvelle pour les citoyens et citoyennes du Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Jacques-Cartier. Nous cédons maintenant la parole au député de Hull. M. le député.


M. Robert LeSage

M. LeSage: Merci, M. le Président. Je ne sais pas si ça me fait réellement plaisir, moi, d'intervenir sur ce projet de loi là, le projet de loi n° 130 sur la justice administrative. Il a toujours été de coutume et normal, je pense, que le gouvernement se dote d'un ministre de la Justice, un ministère de la Justice, d'un responsable pour la justice, et qu'on prenne un avocat. Là où j'ai de la misère à concilier ça – et le député de Jacques-Cartier l'a mentionné un peu tantôt, le député de Chomedey à plusieurs reprises – comment se fait-il que l'ordre des avocats, le Barreau du Québec... Le ministre de la Justice en fait partie, le premier ministre qui est avocat, il l'a mentionné également encore ce matin, est encore membre du Barreau, il en fait partie. Comment se fait-il que leur ordre n'est pas d'accord avec leur projet de loi et qu'ils sont insensibles aux revendications du Barreau? Il y a d'autres avocats également comme députés ministériels. Comment se fait-il qu'ils ne se lèvent pas dans cette Chambre pour dénoncer le projet de loi proposé par le ministre de la Justice?

Le député de Jacques-Cartier, il y a quelques instants, vous a fait mention de quelques extraits d'une lettre du Barreau. M. le Président, je pense qu'il est important, au cas où les ministériels l'auraient reçue, cette lettre, et qu'ils ne veuillent pas la lire, que je vous en fasse la lecture. C'est une lettre du Barreau datée du 11 décembre 1996, c'est tout récent, et elle est adressée à M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec. Je vais sauter l'adresse, M. le Président.

«M. le premier ministre, le ministre de la Justice a tenu, le 9 décembre dernier, à l'Assemblée nationale, des propos qui tendent publiquement à remettre en question la bonne foi du Barreau dans le dossier de la réforme de la justice administrative. En somme, de l'avis du ministre, le Barreau s'opposerait à la réforme pour des motifs étrangers à son mandat de protection du public. Le ministre a déclaré en Chambre à cet effet – et je cite la citation: "On pourrait peut-être penser que l'opposition manifestée par le Barreau a d'autres motifs que ceux que nous connaissons et qui ont été énoncés. Le Barreau n'est pas prêt à cette réforme parce qu'elle a peut-être pour lui des implications au niveau de ses membres, au niveau des mandats qu'ils peuvent avoir, et je pense que c'est beaucoup plus ça qui le motive que des questions de fond du projet."»

(11 h 40)

Et je continue la lecture de la lettre. «De tels propos démagogiques et indélicats tenus, par surcroît, par un ministre de la Justice jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions. Initialement, le Barreau du Québec s'opposait à la réforme sur la justice administrative, principalement pour trois raisons: l'atteinte aux droits fondamentaux prévus à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, le processus de renouvellement du mandat des membres du tribunal administratif proposé et l'appel des décision du tribunal.

«Grâce, notamment, aux vigoureuses interventions du Barreau formulées dans l'intérêt des citoyens et citoyennes du Québec, le ministre de la Justice a dû retirer son projet d'amendement à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui, s'il avait été adopté, aurait compromis le droit fondamental des citoyens de se faire entendre devant un tribunal impartial et indépendant face à l'administration.

«Au chapitre du renouvellement des mandats des membres des tribunaux administratifs, la problématique n'est pas nouvelle et a été maintes fois dénoncée. L'indépendance passe notamment par un processus transparent de renouvellement des mandats. Il est inadmissible, selon le Barreau, que le renouvellement des mandats des membres d'un tribunal dépende de la discrétion du gouvernement, d'autant plus qu'en matière administrative le citoyen se retrouve à chaque fois confronté à l'État. Le gouvernement possède encore à ce sujet, selon nous, une discrétion trop étendue. Les dispositions du projet de loi n° 130 doivent donc être revues et bonifiées.

«Par ailleurs, dans l'intérêt des justiciables, le Barreau ne peut accepter qu'aucune décision du tribunal proposé ne puisse faire l'objet d'un appel de plein droit à une cour de justice, d'autant plus qu'il n'est pas assuré que le statut des membres du tribunal offrira toutes les garanties nécessaires.

«L'appel partiel et sur permission en matière d'expropriation, d'évaluation foncière et de protection du territoire agricole proposé par le ministre est insuffisant. Comment le ministre justifie-t-il un appel exclusif dans ces secteurs et non dans d'autres? Les citoyens perdraient une trentaine de recours en appel devant les juges de la Cour du Québec, qui offre des garanties d'indépendance et d'impartialité supérieures à celles prévues pour les membres du tribunal administratif proposé.

«S'il est vrai que de très nombreuses heures ont été consacrées en commission parlementaire à la réforme sur la justice administrative, il est aussi vrai que des intervenants ont été appelés à se prononcer sur une cible mouvante, sur des parties de réforme sans vision d'ensemble. Cette approche législative compartimentée, pour le moins peu transparente, permettait difficilement à l'ensemble des intervenants de se faire une idée claire et précise du projet gouvernemental.

«Si nous nous adressons à vous, M. le premier ministre, c'est que nous connaissons votre sens profond des institutions et votre respect des divers intervenants, ce qui, malheureusement, ne semble pas être le cas pour le ministre de la Justice.

«Veuillez agréer, M. le premier ministre, l'expression de nos sentiments les meilleurs.»

Le bâtonnier du Québec, Claude Masse.

M. le Président, on ne peut être plus clair que la lettre de Me Masse. Là où j'ai de la misère – c'est ce que je vous mentionnais au début de mon intervention – c'est qu'il me semble qu'il y a deux sortes d'avocats. Tout le monde a toujours pensé qu'il y en avait des bons puis des moins bons. Mais je pense que ce n'est pas ça, M. le Président, parce qu'on retrouve ces qualités-là dans d'autres professions également, mais il y a des avocats qui veulent le bien-être des Québécois et des Québécoises puis il y en a d'autres qui s'en foutent.

Nous avons devant nous certains avocats qui sont au Parlement, qui sont dans le gouvernement et qui se foutent de ce que leur bâtonnier leur dit. Comment se fait-il que, dans certains cas, on les écoute – je vous l'ai mentionné pour certaines propositions – et, dans d'autres cas, on ne veut pas les écouter? Comment se fait... Puis je n'ai vu personne qui m'a dit: M. le député, dépêchez-vous de faire adopter le projet de loi n° 130, c'est bon. Personne ne m'a dit que c'était bon, M. le Président.

Par contre, je lisais une autre lettre, puis là je ne vous en ferai pas la lecture parce que je n'aurai pas le temps. Le maire L'Allier mentionnait que, dans le domaine municipal, il y voyait des objections graves: il y voyait une lacune en ce qui concerne les évaluations foncières déposées par les communautés urbaines et les plaintes qui peuvent être déposées par des citoyens ou des corporations pour aller en révision d'évaluation.

On indique au ministre, de plusieurs sources: Votre projet de loi ne répond pas aux besoins et à la réalité que vivent les Québécois et les Québécoises. S'il est sur une autre planète, le ministre de la Justice, qu'il nous dise sur laquelle. On va peut-être pouvoir communiquer d'une façon autre que celle par laquelle on communique avec lui aujourd'hui.

Le député de Chomedey s'acharne à lui faire comprendre. Lui aussi, c'est un avocat. Il est membre également du Barreau, comme le ministre de la Justice. Il s'acharne à lui expliquer que leur corporation n'est pas d'accord avec son projet de loi. Qu'est-ce que c'est, le problème de s'asseoir avec la corporation, avec le Barreau, et de dire: O.K., on s'assoit, on le réétudie et on va le bonifier, et on va faire en sorte qu'il réponde aux aspirations des Québécois et des Québécoises afin qu'on ait une justice qui s'appliquera à tout le monde plutôt qu'à certaines catégories, qu'on n'enlève pas des droits déjà acquis par des Québécois et des Québécoises? C'est un projet de loi, M. le Président, qui n'aurait jamais dû être présenté ici.

Alors, vous m'indiquez que mon temps est écoulé. J'aimerais, M. le Président, indiquer aux Québécois et aux Québécoises que, moi, ce projet de loi là, je vais voter contre parce que ça va à l'encontre de leurs intérêts. Et ce que je souhaite, M. le Président, c'est que chacun des députés ministériels, surtout les avocats, qu'ils communiquent donc avec leur comté, qu'ils fassent un petit sondage vite fait au téléphone et qu'ils leur demandent: Pensez-vous que c'est bon, le projet de loi n° 130? Et, s'il y en a quatre ou cinq qui leur disent, sur quatre ou cinq personnes, que ce n'est pas bon, peut-être qu'ils pourraient revenir en Chambre et faire un petit discours vite fait de 10 minutes pour nous dire: On s'est trompés. On ne lancera pas de balles, on ne lancera pas de balles de neige, là; qu'ils nous le disent et on va comprendre. Amende honorable, ça se fait en cette Chambre, M. le Président. Je vous remercie.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Hull. Nous cédons maintenant la parole au député de Notre-Dame-de-Grâce. M. le député.


M. Russell Copeman

M. Copeman: Merci, M. le Président. Comme d'ailleurs l'a souligné mon collègue le député de Hull, ce n'est pas nécessairement un plaisir pour moi d'intervenir sur la prise en considération du rapport de la commission des institutions sur le projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative. Moi, je le dis tout de suite, M. le Président, je ne suis pas avocat. Comme je pense le public le sait, souvent les parlementaires, les législateurs sont des généralistes. On a des spécialistes parmi nous, on a tous nos spécialités, un domaine qu'on connaît mieux qu'un autre, mais nous sommes, pour la plupart du temps, je pense, généralement à l'image de la population. Dans ce sens-là, je ne suis pas un spécialiste en droit et je ne suis pas avocat.

Dans ces types de cas, M. le Président, un législateur, quand il est appelé à voter sur un projet de loi dont sa connaissance n'est pas aussi vaste que, par exemple, celle de notre critique en matière de justice, le député de Chomedey, on se fie souvent aux opinions d'autres groupes dans la société. C'est normal, c'est tout à fait courant dans notre pratique ici, en cette Chambre.

En parlant de la justice administrative, M. le Président, je pense qu'un groupe sur lequel on peut se fier, comme parlementaires et comme membres du public, c'est le Barreau du Québec. Je pense qu'on peut se fier à leur opinion. Mon collègue le député de Chomedey, ce matin, a confirmé quelque chose que je pensais. Le Code des professions du Québec indique que le principal devoir de n'importe quel regroupement de professions au Québec, comme le Barreau, leur principal devoir et objectif, c'est la protection du public. Le ministre de la Justice, lui-même, avait indiqué en cette Chambre que le principal objectif et devoir d'une profession, c'est de protéger le public. Alors, M. le Président, je me fie très largement, en ce qui concerne le projet sur la justice administrative, au Barreau du Québec, aux opinions du Barreau du Québec.

(11 h 50)

M. le Président, le 4 décembre, le Barreau, qui avait antérieurement écrit directement au ministre de la Justice, le 4 décembre, le Barreau, dans la personne du bâtonnier du Québec, Claude Masse, a écrit au premier ministre du Québec et député de Jonquière. Je cite trois petits extraits de la lettre, M. le Président, du bâtonnier du Québec: «C'est avec stupéfaction que nous apprenions le dépôt à l'Assemblée nationale, le 28 novembre dernier, d'une motion de clôture concernant les travaux de la commission parlementaire sur le projet de loi n° 130 portant sur la justice administrative. Le Barreau du Québec juge inconcevable que le gouvernement force l'adoption d'une telle pièce législative qui constitue une réforme majeure de certaines de nos institutions.»

Et la lettre conclut, M. le Président: «En conséquence, nous prions instamment le gouvernement de ne pas donner suite à la motion de clôture et de permettre à la commission des institutions de continuer ses travaux sur le projet de loi n° 130.»

On sait aujourd'hui, M. le Président, que le gouvernement du Québec, le gouvernement péquiste n'a pas accédé aux demandes du bâtonnier du Québec. Ils ont mis fin précipitamment et prématurément aux travaux d'une commission parlementaire, ceux de la commission des institutions qui faisait une étude détaillée du projet de loi. Si ma mémoire est bonne, M. le Président, cette commission a passé largement... a adopté un certain nombre d'articles. Le progrès se réalisait. Je pense que le projet de loi a été complété, l'étude a été complétée à un pourcentage de tout près de 80 %. Alors, les quatre cinquièmes du projet de loi ont été étudiés en détail en commission parlementaire.

C'est peut-être pénible pour le ministre de la Justice. Les commentaires de notre collègue le député de Chomedey sont souvent pénibles pour le ministre de la Justice, mais c'est la vie. C'est la vie, hein! Le ministre de la Justice doit avoir une certaine patience. Les commentaires d'autre monde sont souvent pénibles pour le ministre de la Justice. Les commentaires du Barreau sont très certainement pénibles pour lui. Il y a une expression en anglais, M. le Président, «too bad». Pénibles pour lui, «too bad». Comme l'ex-premier ministre l'a déjà dit en cette Chambre: «So what!» «So what?»

Il y a eu des invectives, il y a eu des commentaires très pénibles à l'égard du projet, à son égard. J'imagine que c'est un grand garçon, M. le Président, il faut qu'il les supporte. Il ne faut pas nécessairement qu'à chaque fois qu'il y a des commentaires négatifs et pénibles le gouvernement recoure à une motion de clôture parce que ça commence à faire mal. S'il faisait ça, il y aurait des motions de clôture quotidiennement en cette Chambre, quotidiennement, sur toutes sortes de projets de loi.

M. le Président, le gouvernement a mis fin aux travaux prématurément. Mais pire, M. le Président, je pense, et la lettre du Barreau du Québec, du bâtonnier encore, M. Claude Masse, du 11 décembre, répond d'une certaine façon aux commentaires du ministre de la Justice tenus en cette Chambre. Le ministre de la Justice avait indiqué en cette même Chambre que l'opposition du Barreau pourrait être basée sur autre chose que la protection du public. Il a dit, le ministre de la Justice: «Le Barreau n'est pas prêt à cette réforme parce qu'elle a peut-être pour lui des implications au niveau de ses membres, au niveau des mandats qu'ils peuvent avoir, et je pense que c'est beaucoup plus ça qui le motive que des questions de fond du projet.»

M. le Président, la réaction du Barreau a été très vite, très vite. Il indique dans une lettre au premier ministre – encore une fois, il faut qu'il écrive au premier ministre parce que ça ne marche pas avec le ministre de la Justice – le Barreau interprète les commentaires du ministre de la Justice comme quoi le ministre de la Justice remet en question la bonne foi du Barreau dans le dossier de la réforme, tout en rappelant, M. le Président, que le rôle du Barreau, c'est de protéger le public. Le Barreau qualifie les propos du ministre de la Justice, et je cite la lettre au texte, M. le Président: «De tels propos démagogiques et indélicats tenus, par surcroît, par un ministre de la Justice – imaginez-vous – jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.»

Des propos indélicats du ministre de la Justice, M. le Président, c'est devenu la norme. On se rappelle des commentaires absolument grossiers que le ministre de la Justice a tenus en ondes, à la télévision, en ondes, sur le projet de loi. C'était honteux pour un ministre de la Justice, M. le Président, honteux.

M. le Président, la lettre du Barreau porte un jugement très sévère à l'endroit du ministre de la Justice. Personnellement, je pense que, dans ces circonstances, le ministre de la Justice n'a pas beaucoup d'autres choix que de démissionner. Il devrait démissionner. Il fait honte à ses fonctions, quant à moi, M. le Président. La lettre du Barreau conclut, au premier ministre toujours, parce que ça ne marche plus avec le ministre de la Justice: «Si nous nous adressons à vous, M. le premier ministre, c'est que nous connaissons votre sens profond des institutions et votre respect des divers intervenants, ce qui malheureusement ne semble pas être le cas pour le ministre de la Justice.»

M. le Président, le ministre de la Justice ne comprend pas les objections du Barreau, qui sont fondées sur la protection du public, protéger le public. Il ne comprend pas, il s'entête à adopter son projet de loi pour des motifs obscurs. Il y a d'autres députés ici, en cette Chambre, et moi-même, on a fait référence à quelques-uns de ces motifs potentiels, soit des nominations partisanes au niveau des tribunaux administratifs, des motifs cachés. Mais, M. le Président, il est clair que ce projet de loi ne devrait pas être adopté. Le Barreau est férocement contre et porte des jugements très sévères. Et c'est pour ça que je vais voter contre le projet de loi n° 130. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce. Nous cédons maintenant la parole au député de Shefford. M. le député.


M. Bernard Brodeur

M. Brodeur: Merci, M. le Président. Comme l'ont dit la plupart de mes collègues qui m'ont précédé, ça ne nous fait pas vraiment plaisir de parler du projet de loi n° 130. M. le Président, vous vous souvenez, on en a parlé à plusieurs reprises cette semaine, la semaine dernière. J'ai eu l'occasion d'intervenir à quelques reprises sur le projet de loi n° 130. Le gouvernement le rappelle et le rappelle, et il sait pertinemment bien que c'est un projet de loi qui est considéré comme tout croche et méprisant pour la plupart des intervenants.

On cite depuis tantôt la lettre du Barreau. On cite, en fin de compte, la façon dont le Barreau traite le ministre de démagogique et indélicat. M. le Président, de mon siège ici, j'ai entendu des choses ce matin dans le même ordre d'idées et je pense qu'il serait important de le souligner, parce qu'il nous arrive de plus en plus souvent d'entendre des choses de ce type-là, de ce même acabit, de ce gouvernement-là.

Ce matin, le chef de l'opposition s'est levé pour déposer une motion concernant Mme Lise Thibault, sa nomination comme lieutenant-gouverneur du Québec, et nous avons entendu ici... Et je suis certain que les députés ministériels de même que les députés ici ont bien entendu les propos de la députée de Rimouski. À cette annonce, elle nous a dit de façon que je qualifierais de méchante, malicieuse et méprisante...

Mme Caron: Question de règlement.

Le Vice-Président (M. Pinard): Oui, Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: Oui, M. le Président. Alors, à l'article 35.5°, on ne peut attaquer la conduite d'un député. Alors, s'il désire attaquer la conduite d'un député, il sait comment il doit le faire.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Shefford, vous connaissez bien votre règlement. Alors, nous sommes assurés que vous allez poursuivre votre allocution tout en respectant les règles édictées par l'article 35. Alors, M. le député.

M. Brodeur: Oui, M. le Président, je connais bien le règlement. Au même titre, on peut aussi bien dire qu'on attaque la conduite du député de Louis-Hébert, dans ce cas-là. Donc, M. le Président, il n'est pas question d'attaquer la conduite d'un député, mais tout simplement de relater quelle est la façon de penser de ce gouvernement-là. Et, quand on entend la députée de Rimouski dire, de façon malicieuse...

Mme Caron: Question de règlement.

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: M. le Président, vous savez très bien qu'en cette Chambre, lorsqu'il y a des propos qui sont tenus au cours de la période des questions et que le président ne les a pas entendus, ces propos-là sont comme non entendus, et aucun parlementaire ne peut se lever en cette Chambre et reprendre des propos qui n'ont pas été entendus. Or, M. le Président, s'il désire attaquer la conduite d'un député, qu'il le fasse selon notre règlement, c'est-à-dire par une motion mettant sa conduite en question.

(12 heures)

M. le Président, nous ne sommes pas à la période des questions. Ces propos-là, à la période des questions, n'ont pas été relevés par qui que ce soit. Donc, qu'on respecte le règlement et aussi l'article sur la pertinence, n'est-ce-pas, hein, l'article 211. Nous sommes sur le projet de loi n° 130. Je veux bien croire que la plupart des intervenants ont très peu de choses à dire sur le projet de loi n° 130... D'ailleurs, ils nous lisent tous un après l'autre la même lettre – heureusement qu'elle est là. Donc, ils reviennent au sujet. Il peut toujours nous lire la lettre.

Une voix: C'est ça.

Mme Caron: C'est un cinq minutes, à peu près, la lecture de la lettre.

Une voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, merci, madame. Alors, M. le député de Shefford.

M. Brodeur: Question de directive. M. le Président, est-ce que c'est un bâillon qu'on nous passe présentement?

Une voix: C'est ça, un autre bâillon.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, je vous écoute.

M. Copeman: Sur l'article 37. Je viens d'entendre des propos clairement antiparlementaires de la bouche du député de Vachon, et vous l'avez entendu, nous avons tous entendu. Sa voix porte. S'il a quelque chose d'intelligent à dire, qu'il prenne la parole.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, je regrette. Je n'avais absolument pas entendu les propos qui ont été exprimés par le député de Vachon. Je m'en excuse.

Maintenant, la journée peut s'annoncer très longue, et je pense que c'est immédiatement qu'on se doit de baliser un peu l'orientation que nous allons prendre dans le courant de la journée. Donc, en ce qui me concerne, j'apprécierais beaucoup que la teneur de vos allocutions se fasse dans le respect de notre règlement. Je pense que nous ne sommes pas là pour imputer des propos, ou des idées, ou peu importe, là, attaquer qui que ce soit en cette Chambre. Nous sommes là pour, de part et d'autre, exprimer notre opinion. Alors, M. le député de Shefford, je vous rappelle que, pour votre allocution, il vous reste 5 min 22 s.

M. Payne: Question de règlement.

Le Vice-Président (M. Pinard): Et, actuellement, le député de Vachon a une question de règlement.

M. Payne: Oui, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député.

M. Payne: Lorsque nous sommes quasiment aux questions de règlement, je voudrais que vous rappeliez au député de Notre-Dame-de-Grâce qu'il n'est pas permis, selon le règlement, de m'appeler par mon nom, mais plutôt par mon comté.

Le Vice-Président (M. Pinard): Bon, alors, si tous et chacun ici connaissent les principes de base de notre règlement, alors je vous rappelle tout simplement de vous y tenir et de vous en inspirer.

Et, maintenant, M. le député de Shefford, malheureusement, il ne vous reste plus que 3 min 53 s. Alors, je vous invite à terminer votre allocution.

M. Brodeur: Merci, M. le Président. Et, lorsque ça fait mal, je vous rappelle qu'on a émietté environ sept, huit minutes de mon temps tout simplement pour empêcher, pour bâillonner, en fin de compte, l'opposition.

M. le Président, je veux situer seulement un petit bout de la lettre du Barreau pour faire une certaine analogie avec le cas que je voulais vous présenter. Le bâtonnier déclare, en parlant du ministre de la Justice: «De tels propos démagogiques et indélicats, tenus par surcroît par un ministre de la Justice, jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.»

Donc, M. le Président, lorsqu'on entend la députée de Rimouski dire de façon méchante: «Une femme, mais pas n'importe qui», en parlant de...

Mme Caron: Question de règlement!

Le Vice-Président (M. Pinard): Vous exigez que votre Président soit vraiment en forme et se lève rapidement.

Alors, M. le député de Shefford, vous qui êtes un homme de droit et vous qui avez une expérience certaine, pour ne point dire une certaine expérience, vous savez très bien que vous ne pouvez revenir sur des propos que vous avez entendus, mais qui ne sont pas reproduits dans les galées.

Donc, à ce stade-ci, M. le député, pour la troisième fois, je vous invite maintenant à conclure votre allocution, puisqu'il ne vous reste maintenant que 2 min 7 s.

M. Brodeur: M. le Président, comme je peux le constater, il n'y a pas seulement des bâillons sur les projets de loi qui sont débattus ici, mais d'autres bâillons sur lesquels le sens commun nous dit que c'est contraire à la démocratie.

Donc, M. le Président, nous parlions du projet de loi n° 130, que nous avions qualifié de tout croche, que le Barreau qualifie dans le même sens. Donc, M. le Président, c'est pourquoi je dois m'élever contre ce projet de loi et contre toutes les autres déclarations des ministres et des députés en cette Chambre. Vous m'avez empêché, tout simplement, de citer des mots qui ont été dits ici, qui ont choqué autant les collègues... Je suis certain qu'aujourd'hui, ici, les collègues du parti ministériel sont gênés des propos de la députée de Rimouski.

Mme Caron: Question de règlement.

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: M. le Président, je pense que vous avez été très clair tantôt à l'égard du député de Shefford. Je trouve ça inconcevable qu'il revienne constamment là-dessus. De toute façon, je pense qu'il nous a vraiment prouvé, tout au long de son discours sur le projet de loi n° 130, qu'il n'avait aucun argument.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: M. le Président, à deux ou trois reprises depuis une quinzaine de minutes, Mme la députée de Terrebonne est intervenue pour couper l'intervention du député de Shefford. Si les députés ministériels, de l'autre côté, n'ont absolument rien à dire, comme c'est le cas depuis trois semaines, M. le Président, qu'ils laissent parler ceux qui ont des choses à dire et, surtout, qu'ils laissent parler les lettres, la correspondance du Barreau du Québec, qui dit, en deux ou trois phrases: On n'a jamais eu, depuis 125 ans, un tel ministre de la Justice.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, merci, M. le leader adjoint de l'opposition. En conclusion, M. le député de Shefford. Il vous reste 15 secondes.

M. Brodeur: En 15 secondes, M. le Président. Quand on entend: «Une femme, mais pas n'importe qui», parlant de Lise Thibault, je pense qu'il y a des propos répréhensibles qui devraient être dénoncés, autant par les députés de votre côté que les députés de notre côté, puis surtout par les femmes du Québec, M. le Président. Merci.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci beaucoup. Merci, M. le député de Shefford. Nous cédons maintenant la parole au député de LaFontaine. M. le député.


M. Jean-Claude Gobé

M. Gobé: Merci, M. le Président. Alors, M. le Président, ce projet de loi n° 130 que nous discutons maintenant depuis un certain temps, on ne l'a jamais assez répété, est un projet de loi qui ne devrait pas passer, qui ne devrait pas être adopté en cette Assemblée nationale. Et les raisons qui plaident pour ça, entre parenthèses, M. le Président, après les commissions parlementaires et après les mesures du gouvernement pour forcer son adoption, sont toujours les mêmes.

M. le Président, lorsqu'on fait une réforme des tribunaux administratifs, on s'organise et on fait en sorte pour qu'elle corresponde à la réalité pour laquelle elle est faite. Mais on ne s'organise pas, on ne fait pas en sorte de la faire pour qu'elle crée un certain nombre d'iniquités ou de situations problématiques qui ne manqueront pas de surgir. En particulier, enlever le droit d'appel à des citoyens devant les tribunaux administratifs, c'est quelque chose de totalement inadmissible. Car, en effet, lorsqu'on n'est pas satisfait d'une décision d'un tribunal administratif dans notre société, il y a un droit qui est fondamental, c'est celui d'aller en appel. Alors, là, on garde l'appel pour trois secteurs: l'évaluation foncière, le territoire agricole et l'expropriation. C'est là, M. le Président, des droits d'appel pour des gens qui, généralement, sont propriétaires ou ont des biens et qui se retrouvent parmi les citoyens peut-être les plus aptes à se défendre. Alors que, pour le petit citoyen, le citoyen ordinaire qui, lui, doit aller composer devant une instance administrative parce qu'il n'est pas satisfait ou parce qu'il a été mal traité par l'administration, eh bien, on lui enlève ce droit. On laisse le dernier mot au gouvernement, à la machine. Et là, moi, je ne peux pas l'accepter.

(12 h 10)

M. le Président, j'ai vu ça dans un autre projet de loi qui a été appelé ici, le projet de loi n° 79, qui concerne la Commission des lésions professionnelles. On voit que le gouvernement va remplacer la CALP, qui dépendait du ministre de la Justice, par une instance qui va dépendre du ministre du Travail. Donc, la CSST, elle aussi, dépend du ministre du Travail. Et on va se rendre compte que les gens qui vont être plaignants contre la CSST vont pouvoir aller contester devant un organisme qui, lui, va dépendre aussi du même patron, du même employeur. Force est de constater – on peut poser la question – qu'il peut y avoir là une espèce de situation sujette à conflit d'intérêts. Et d'ailleurs le Barreau l'a fait valoir, comme il a fait valoir certaines remarques dans ce projet de loi.

Alors, on se rend compte que le gouvernement semble vouloir court-circuiter les recours des citoyens envers l'administration et envers les injustices dont ils peuvent être victimes. Est-ce que c'est fait pour couper de l'argent, pour faire en sorte d'économiser? Moi, je ne le sais pas, M. le Président, mais, une chose est certaine, que je sais, c'est qu'on va là brimer les droits et les attentes de nos concitoyens québécois qui peuvent avoir des difficultés ou des litiges avec l'administration.

M. le Président, il y a un autre secteur, un autre point que je trouve totalement inadmissible – et là je dis bien «inadmissible» – c'est le suivant. C'est que, pour siéger sur les nouveaux tribunaux, les nouveaux organismes qui vont être créés par le projet de loi, bien, que va-t-on faire? Ce qu'on va faire, c'est qu'on va nommer des juges pour cinq ans, des commissaires. Appelons-les de la manière dont on le voudra bien. Pour cinq ans. Tout le monde sait ici, en cette Chambre, que généralement les juges sont nommés à vie. Ce pourquoi ils sont nommés à vie ou jusqu'à l'âge de 75 ans, si c'est exact, c'est parce que ça garantit leur indépendance, ça garantit leur indépendance dans les décisions qu'ils ont à rendre.

Parce que, lorsqu'un juge écoute un citoyen ou une citoyenne, au Québec, se plaindre ou faire valoir ses réclamations, il doit pouvoir juger en toute impartialité. Il ne faut pas que les citoyens, les Québécois et Québécoises puissent penser un instant que le juge puisse être influencé par des facteurs extérieurs, autre chose que le bien-fondé de leur demande. C'est bon pour les deux parties, ça aussi, M. le Président, et c'est pour ça que, dans notre société québécoise, on a fait en sorte que les juges soient nommés juges une fois pour toutes et que par la suite, à moins d'incidents de carrière, le Conseil de la magistrature seulement puisse leur demander de se retirer. On a vu un cas qui s'est produit dernièrement.

Pourquoi faire différent dans ce projet de loi là? Bien, simplement parce que c'est plus facile de nommer à ces postes-là des amis, des gens qui pourraient être influencés par le renouvellement du mandat. Parce que, en effet, si c'est le ministre qui nomme les commissaires, qui nomme les juges, bien, que pensez-vous qu'il va arriver au bout de cinq ans? Bien, au bout de cinq ans, si vous n'avez pas fait plaisir à l'administration, vous pouvez très bien ne pas être renommé. On va avoir le même principe de base que dans d'autres organismes, où des avocats, où des médecins peuvent avoir des mandats du gouvernement pour...

Prenons le cas du Bureau d'évaluation médicale, au niveau de la CSST. On a vu, tout le monde, à Radio-Canada, une émission, l'émission Enjeux , où des médecins qui étaient employés par cet organisme ont déclaré publiquement, visage découvert, devant les caméras, que, s'ils ne donnaient pas un certain nombre de décisions complaisantes vis-à-vis des directives qu'ils reçoivent de leur organisme qui les paie, soit la CSST, ils ne pourraient plus avoir le même nombre de mandats, donc leurs revenus baisseraient. On voit là l'assujettissement de l'employeur-payeur vis-à-vis de celui qui doit rendre une décision.

Et je crains que, dans ce cas-là, nous nous retrouvions dans une situation qui soit semblable. Et c'est là le problème, c'est là que le bât blesse. Et je ne comprends pas que le gouvernement et les députés en face puissent adopter et accepter un projet de loi qui comporte un tel mécanisme de nomination. Je ne le pense pas. Moi, je défie n'importe lequel des députés en face d'aller devant ces tribunaux plus tard et d'être assuré que le juge ou que le commissaire qui sera nommé – je ne sais pas comment on l'appellera à ce moment-là – va agir en totale impartialité, alors qu'il sait que le plaignant se plaint contre son patron et que son mandat est renouvelable peut-être dans six mois ou deux, trois mois plus tard. Il y a là quelque chose de totalement inadmissible en ce qui concerne l'indépendance de la justice. La justice doit être indépendante des pressions politiques, économiques. La justice est là pour rendre justice, pour tenir compte des faits, et ne pas être influencée par des considérations extérieures.

Alors, on nous oblige à l'adopter. C'est la marque de commerce du ministre, semble-t-il, de foncer et puis de «bulldozer» les parlementaires. À l'occasion, on peut comprendre que dans des projets de loi les parlementaires puissent aller profondément dans l'étude article par article, parce que, bien souvent, et je citerai le chef de l'opposition lorsqu'il était premier ministre, qui disait: «C'est peut-être là que le diable se cache.» Car, en effet, lorsque l'on prend un projet de loi, on regarde les articles et on dit: Ah! Bien, ce n'est pas si mal. Mais, lorsqu'on commence à fouiller à l'intérieur, à analyser, à discuter avec des gens, avec des groupes, avec des citoyens, très souvent on découvre le diable là-dedans. Et là il est du rôle des députés de le faire savoir et de faire changer le projet de loi à ce moment-là dans l'intérêt des citoyens.

C'est ce que nous demandons, c'est ce que le Barreau du Québec demande. On ne demande pas autre chose. On est d'accord qu'il y ait une réforme, des réformes, que le gouvernement améliore l'administration de la justice et d'autres organismes. C'est tout à fait normal. Nous l'avons fait et nous le referons un jour encore. Mais encore cela doit-il se faire dans le meilleur intérêt de l'administration, et de la justice surtout. Et, dans ce cas-là, force est de constater que ça ne se fait pas dans le meilleur intérêt de l'administration et de la justice.

Alors, comment pourrions-nous convaincre encore plus le ministre? Je ne le sais pas. Je ne le sais pas. M. le Président, nous allons créer une situation qui va être une situation probablement inéquitable, qui sera empreinte de doutes de la part des gens qui ne seront pas satisfaits, d'autant plus qu'ils n'auront plus le droit d'appel. Non seulement le gouvernement va nommer la personne qui va le juger lui-même, il va le payer lui-même, il va lui dire: Si tu veux que ton mandat soit renouvelé dans cinq ans, bien, fais attention à ce que tu vas faire, mais, en plus de ça, on enlève le droit d'appel. Est-ce qu'il y en a parmi nous ici qui aimeraient être jugés et dire: Nous n'avons plus le droit d'appel; on est jugés par des juges qui sont peut-être enclins d'intérêts de renomination puis, en plus, on sait que, quelle que soit leur décision, on ne pourra pas aller en appel? Bien, M. le Président, il n'y a pas un député en cette Chambre, il n'y a pas un employé en cette Assemblée nationale qui peut être d'accord puis admettre ça. Je ne pense pas.

Et, à cet effet-là, moi, je dis que, dans ce domaine particulier, on ne peut pas être d'accord avec le projet de loi du ministre parce que ce n'est pas un projet de loi qui est positif. C'est un projet de loi qui a des iniquités et qui ne correspond pas à une condition de justice et d'indépendance de la justice et de meilleurs services aux citoyens du Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de LaFontaine. Nous cédons maintenant la parole au député de Bourassa. M. le député.


M. Yvon Charbonneau

M. Charbonneau (Bourassa): M. le Président, à moins qu'un député de la majorité puisse parler à ce moment-ci, on ne tient pas à monopoliser le temps de parole. C'est un débat en principe ici, à l'Assemblée nationale, et je suis bien prêt à attendre 10, 15 minutes, le temps qu'un député de la majorité s'exprime s'il y a lieu.

M. le Président, il y en a qui sont meilleurs pour parler assis que pour se lever puis dire leur opinion de l'autre côté, en face de nous. Là, ils sont très, très braves.

M. Mulcair: Ça, c'est vrai.

M. Charbonneau (Bourassa): Alors, moi, je les défie de prendre le temps de se préparer, de faire comme nous, de regarder les dossiers, puis de venir dire leur opinion, s'ils en ont une, ou bien d'essayer de refléter l'opinion des justiciables et des personnes qui ont affaire, ou qui auront affaire avec le Tribunal administratif, ou qui ont affaire actuellement avec l'ensemble des instances qui sont en train d'être restructurées. M. le Président, chacun son tour.

Ce projet de loi a été étudié pendant presque 50 heures en commission parlementaire. C'est un projet de loi volumineux et...

Une voix: ...

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, mais disons que l'étude détaillée a duré à elle seule une cinquantaine d'heures et qu'il y a eu plusieurs dizaines d'heures et centaines d'heures passées à écouter des parties. Ça fait plusieurs mois qu'on est en marche là-dessus. C'est pour dire quel est l'intérêt apporté par les personnes concernées, les organismes concernés à ce projet de loi. L'étude allait bon train, 80 % du travail a été fait. Il restait à dénouer quelques discussions, quelques écheveaux, quelques points plus délicats, et le ministre a décidé de suspendre, d'interrompre les débats en commission et de déposer ici le rapport de la commission, directement, sans que le travail ait pu être terminé.

(12 h 20)

Nous nous opposons contre cette procédure, cette manière de faire parce que c'est un acte qui interrompt la discussion, qui interrompt les échanges de manière brutale, qui met fin en quelque sorte à des échanges qui auraient pu être fructueux sans doute s'ils avaient été portés à terme. On doit donc s'interroger sur les intentions, les motifs qui peuvent animer le ministre et l'amener, ainsi que son gouvernement, à procéder ainsi. Et il y a nous qui nous posons des questions et il y en a d'autres aussi, à l'extérieur de cette Assemblée, qui se posent des questions, et non seulement qui se posent des questions, mais qui portent des jugements sur cette manière de faire de la part du ministre.

Nous avons pris bonne note du point de vue du Barreau du Québec. Je sais que les députés de la majorité sont quelque peu fatigués d'entendre citer les propos du Barreau. Mais il y a 17 000 personnes qui sont inscrites au Barreau, qui sont les avocats. C'est les gens, demain, qui auront les deux mains plongées dans la mise en oeuvre, la mise en application de cette loi et des règlements qui vont l'accompagner, et de la loi sur l'application de la présente loi, qui est une loi qui est à l'état d'avant-projet et qui, dans sa forme actuelle, comporte quelque 650 articles, M. le Président. Est-ce qu'on doit, nous, faire semblant qu'il n'y a pas de problème?

Les praticiens du droit, ceux qui auront à intervenir au nom des 250 000 personnes ou organismes qui ont affaire avec les tribunaux administratifs, par année – 250 000 litiges, ça commence à faire du monde, ça... Dans la plupart de ces dossiers-là, il y a des avocats qui interviennent, M. le Président. Ces praticiens du droit montent aux barricades contre le projet de loi, contre la manière de travailler du ministre de la Justice sur ce projet de loi, M. le Président. C'est quelque chose d'important. Ce n'est pas un petit comité anonyme d'une région éloignée qui a passé une veillée trop difficile, M. le Président, qui s'insurge. C'est 17 000 praticiens, le Barreau. C'est quelque chose d'important. Le ministre de la Justice devrait prêter attention à cela, devrait se dire: Bien, ce sont mes collaborateurs, à travers l'administration du droit. Que peut faire un ministre de la Justice si 17 000 avocats pensent du mal de lui et pensent du mal du projet de loi qui réforme le Tribunal administratif?

Qu'est-ce qui va se passer dans la vraie vie? Comment ça va fonctionner? Il me semble qu'on devrait se réveiller, à ce moment-là, et le ministre de la Justice devrait... C'est vrai qu'il jouit d'une confiance illimitée de la part de son premier ministre depuis ce matin. Ce n'est pas trop rassurant, M. le Président, pour l'avenir de la justice et du Tribunal administratif qui va être mis en place pour regrouper toutes les autres instances, ou à peu près, qui existent jusqu'à maintenant.

Quelles sont les intentions de ce gouvernement et de ce ministre? On a soulevé la question de l'indépendance, qui n'est pas assurée du tout dans les nominations et les remplacements des commissaires, des membres de ces tribunaux. On a soulevé, comme d'autres, la perte de nombreux recours de la part des citoyens, de nombreux recours; cette perte, elle sera irrécupérable, M. le Président. C'est déjà assez pénible, pour des gens qui ont à porter des plaintes dans différents domaines couverts par cette loi, de le faire une fois et, s'ils ont l'impression que leur droit n'a pas été pris en considération, que le fond de leur litige n'a pas été pris en considération... Auparavant, il y avait des possibilités de recours; cette fois-ci, on en supprime plusieurs dizaines de ces recours, M. le Président.

Le Barreau s'insurge à bon droit. Dans sa lettre du 4 décembre et dans sa lettre du 11 décembre, il le fait de manière vive. Et, dans l'intérêt des justiciables, il dénonce le manque de transparence et il dénonce la perte de ces recours aussi. Et il souligne qu'on a fait face, dans cette discussion, à une cible mouvante. Le Barreau fait état de sa participation à des consultations antérieures sur ce projet de loi, mais il dit: Voici la difficulté, c'est que la cible se déplace. On est en train de parler du document qu'on nous a soumis, que déjà ce n'est plus tout à fait ça et que ce sera bientôt autre chose. On ne sait plus exactement où c'en est. Manque de transparence dans une matière extrêmement sensible: la justice, M. le Président.

Cette cible mouvante, bien, elle bouge d'étrange façon. On voit, par exemple, que le ministre, dans la commission parlementaire, avait accepté un amendement présenté par le député de Chomedey à l'article 5 du projet de loi, où il est dit que «l'autorité administrative ne peut prendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire une décision ou une décision défavorable, mais sous réserve – l'amendement – des autres règles du droit qui lui sont applicables». Cet amendement proposé par mon collègue le député de Chomedey, qui est très fort en ces matières, prévoyait justement de préserver d'autres droits, c'est-à-dire tradition britannique, etc., le droit non écrit, parce que ça fait partie, ça, de notre patrimoine des institutions au Québec, de pouvoir prendre ces précautions-là.

D'ailleurs, le ministre de la Justice dit: Bien, relisez-le donc, votre amendement, excusez-moi. Alors, le président de la commission relit l'amendement, et le ministre dit: C'est beau – il dit ça à l'endroit de l'amendement. Alors, le président de la commission dit: Alors, le projet de loi n° 130 est modifié par l'insertion de tel amendement, et le ministre dit: Adopté, en commission parlementaire. Quand il dépose le rapport de la commission parlementaire à l'Assemblée nationale, M. le Président, cet amendement-là vient de disparaître. Comment ça fonctionne? Est-ce que c'est normal, ça, M. le Président, un amendement qui est soustrait, comme ça, par le ministre lui-même, après qu'il l'a adopté? Je n'ai jamais vu ça, moi. Je ne sais pas si, vous, vous avez déjà vu une affaire comme ça. Vous êtes notaire de profession et puis vous êtes très, très savant dans les choses de droit, est-ce que c'est une chose normale, ça, M. le Président?

Une voix: Jamais vu.

M. Charbonneau (Bourassa): Jamais vu. Alors, hier, en discussion, le ministre a dit: C'est une affaire de 100 000 000 $, M. le Président. Depuis quand est-ce que le ministre de la Justice fait des études d'impact? C'est la première fois qu'on entend parler de ça.

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Charbonneau (Bourassa): Et, si c'est vrai que c'est une affaire de 100 000 000 $, ce petit bout de phrase là, comment il se fait qu'il ne le savait pas la veille? 100 000 000 $, c'est important. Et, s'il y a une étude d'impact, tout à coup, qui a été faite dans la nuit, pour établir que ça vaut 100 000 000 $, est-ce qu'il pourrait déposer son étude d'impact, M. le Président? C'est un engagement que le premier ministre a pris au Sommet, il y a deux mois, à Montréal, qu'à l'avenir il y aurait des études d'impact pour savoir la portée économique, le coût financier des lois et des règlements qui allaient être adoptés. Alors, si cet amendement a un impact de 100 000 000 $, que le ministre de la Justice a découvert, qu'il dépose son étude d'impact en conformité avec celui qui lui prête une confiance illimitée, M. le Président, mais non justifiée, à notre avis et à celui des gens du Barreau, M. le Président.

Une voix: Bravo! C'était du «guessage».

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Bourassa. Alors, nous cédons maintenant la parole au député de Frontenac et leader adjoint de l'opposition. M. le député.


M. Roger Lefebvre

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. M. le Président, lorsqu'on a à discuter d'un projet de loi et qu'on veut en connaître le contenu, évidemment on s'en réfère aux notes explicatives. Il y a cependant une très abondante jurisprudence qui nous rappelle que les notes explicatives, ce n'est pas, évidemment, la législation comme telle. C'est évidemment à l'intérieur des articles du projet de loi que l'on retrouve l'intention du gouvernement. Les notes explicatives, ce n'est qu'un guide, qu'une façon rapide d'essayer de comprendre globalement quel est l'objectif du gouvernement.

(12 h 30)

Ceci étant dit, c'est ce que j'ai souvent rappelé, j'ai eu souvent l'occasion de le rappeler en commission parlementaire, à mes collègues, particulièrement mes collègues ministériels, que c'est à l'article 1, M. le Président, c'est à l'article 1 que l'on peut comprendre quel est l'objectif recherché par le ministre de la Justice, qui, par le projet de loi, veut regrouper sous une seule entité, le Tribunal administratif du Québec, les différentes instances éparpillées un petit peu dans toutes sortes de structures, au niveau de ce qu'on appelle aujourd'hui les tribunaux administratifs.

L'article 1, M. le Président, il se lit très facilement. Il est révélateur de ce que veut faire le ministre, mais encore faut-il que ce qui apparaît comme intention se retrouve dans la suite de l'article 1. Et décidément, M. le Président, ce n'est pas le cas. Il y a eu un nombre considérable d'interventions de mes collègues qui ont démontré très clairement que, lorsque le ministre dit, à l'article 1: «La présente loi a pour objet d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité, la célérité et l'accessibilité aux citoyens...» Est-ce que, M. le Président, le ministre de la Justice, par son projet de loi n° 130, va améliorer la qualité de la justice administrative? Du côté de l'opposition, on a fait plein de représentations pour tenter de démontrer au ministre et à ses collègues que, non, la qualité, malheureusement, l'objectif recherché ne sera pas atteint par le projet de loi n° 130, et entre autres à cause de la faille qui tient au processus de nomination des membres des tribunaux administratifs.

M. le Président, lorsque le ministre de la Justice tente de faire croire à l'opposition, tente de faire croire aux membres du Barreau du Québec, à tous ceux et celles qui sont directement concernés par la justice, que la mise en place d'un comité de sélection va changer bien des choses au niveau de l'indépendance des membres du TAQ, bien, je regrette – et ça a été mentionné à plusieurs reprises en commission parlementaire avant qu'on impose la motion de clôture, avant qu'on impose le bâillon – ça a été à plusieurs reprises développé, ce raisonnement-là que le comité de sélection est mis en place, que les membres du comité de sélection sont nommés par le ministre de la Justice. Ceci étant dit, si on contrôle les membres du comité de sélection de façon presque directe, j'oserais dire, on contrôlera le processus de nomination des membres du Tribunal administratif du Québec. Autrement dit, on a fait croire à plein de monde qu'on voulait changer le processus de nomination, qu'on voulait améliorer la qualité de la justice administrative en modifiant le processus de nomination des membres du Tribunal, mais, dans les faits, on ne changera rien.

M. le Président, j'entendais tout à l'heure Mme la députée de Terrebonne qui se limite, comme tous ses autres collègues quant à leurs interventions sur le projet de loi n° 130, qui se limite, elle comme les autres, à strictement essayer de débattre des questions de règlement lorsque l'opposition soulève des arguments qui font trop mal. Et vous savez, ça a été dit par mes collègues avant moi, une lettre aussi sévère que celle signée par le bâtonnier du Québec, on ne peut pas ne pas en parler à chacune de nos interventions.

Ce qu'on souhaiterait, M. le Président, c'est que du côté des ministériels il y en ait un ou une qui ait un minimum de courage pour se lever puis dire: M. le Président, le bâtonnier du Québec, qui parle au nom de plus ou moins 17 000 ou 18 000 avocats et avocates, se trompe. Je trouve ça humiliant de la part des ministériels qu'ils ne viennent pas au secours de leur ministre. Aucun ministériel n'a osé se lever pour contredire le bâtonnier du Québec. Aucun des ministériels ne se lève pour venir au secours du ministre de la Justice. Dans la structure de l'exécutif d'un gouvernement comme le gouvernement du Québec, ce n'est pas le dernier des ministres, ça, le ministre de la Justice!

Quand le Barreau du Québec attaque le ministre en indiquant au premier ministre du Québec que «de tels propos démagogiques et indélicats tenus par surcroît par un ministre de la Justice jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions». M. le Président, quand le bâtonnier du Québec, dans un écrit, dans une lettre publiée, adressée au premier ministre, tient des propos aussi sévères à l'encontre du ministre de la Justice puis qu'aucun de ses collègues ne se lève pour le défendre, c'est que j'arrive à la conclusion qu'ils sont d'accord, les collègues du ministre de la Justice.

Le vieil adage «Qui ne dit mot consent», ça tient surtout lorsqu'on parle de justice. C'est un principe, une espèce de règle de droit, ça, plus ou moins authentique, plus ou moins rigoureuse, mais je peux vous dire une chose: une preuve non contredite devant la Cour, c'est fatal. Alors, on a devant nous une condamnation extrêmement sévère du bâtonnier du Québec qui n'est pas contredite sinon confirmée.

M. le Président, imaginez-vous, le premier ministre du Québec, ce matin, la seule façon dont il a défendu son ministre, ça a été de dire: Je continue à lui faire confiance d'une façon absolue. Autrement dit, ce que le premier ministre a dit: M. le bâtonnier, là, mêlez-vous de vos affaires, ça ne vous regarde pas. Ça se «peut-u»? Le bâtonnier du Québec, c'est celui qui a la responsabilité de surveiller, au nom des membres du Barreau, à peu près entre 17 000 et 18 000 membres. C'est l'organisme qui, quant à moi, M. le Président, a au premier chef cette responsabilité de surveiller les législations au gouvernement du Québec, particulièrement celles, évidemment, qui touchent directement la justice. Et le Barreau du Québec a aussi, M. le Président, la responsabilité de surveiller celui qui est le porteur des dossiers en matière de justice, en l'occurrence le ministre de la Justice et Procureur général.

Alors, M. le Président, moi, je trouve ça désolant, je trouve ça également inquiétant de réaliser également que le projet de loi n° 130 aura été adopté... Parce qu'il faudra se rendre à l'évidence. Vous savez, à défaut d'avoir la force de l'argument et de l'argumentation, on se dit, du côté des ministériels: On a la force du nombre. L'opposition aura beau dire, l'opposition aura beau faire, on va bulldozer l'opposition, on va bulldozer, à travers l'opposition, le Barreau du Québec.

Le bâtonnier du Québec, M. le Président, ça n'a aucune espèce d'importance, ce qu'il pense. Les milliers d'avocats qui sont, au moment où on se parle, de façon plus ou moins sporadique, en débrayage pour contester l'attaque incroyable que l'on fait au système d'aide juridique. Ça aussi, ça n'a aucune espèce d'importance ni pour le ministre de la Justice ni pour les autres membres de l'exécutif, le ministre de la Sécurité publique, à titre d'exemple, ni non plus pour le premier ministre et tous ses collègues à l'exécutif, et surtout pas pour les députés ministériels qui se font tirer à l'abattoir par le ministre de la Justice sans prendre le temps d'évaluer ce qui se passe et surtout de nous manifester, à nous de l'opposition, qu'ils comprennent au moins ce qui se passe. Et la seule façon de le faire, c'est de s'exprimer.

Alors, moi, j'ai fini mon intervention. Je demande, entre autres, au député de Dubuc – on l'entend dire toutes sortes de petites choses mais on ne comprend pas – de se lever et de s'exprimer, M. le Président.

Des voix: Bravo!

Mme Caron: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: Simplement pour préciser qu'effectivement le leader adjoint de l'opposition n'avait pas le droit de s'adresser directement à un autre député, en vertu de 35.4.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Frontenac.

Nous cédons maintenant la parole au député de Laurier-Dorion. M. le député.


M. Christos Sirros

M. Sirros: Merci, M. le Président. La démocratie parlementaire repose essentiellement sur deux choses: la parole donnée et la véracité de ce qu'on dit, et dans le cas qui nous préoccupe ici, la responsabilité ministérielle. Ces deux choses-là sont sacrées dans notre régime parlementaire, qui est la pierre d'assise de notre démocratie. Et j'interviens aujourd'hui à titre de député de l'opposition, certainement, mais également comme président d'une commission parlementaire.

Nous sommes devant un bâillon qui a mis fin à des travaux d'une commission parlementaire et nous sommes à l'étape de la prise en considération du rapport de cette commission parlementaire. Mais là il y a quelque chose d'assez inusité qui attaque directement et la parole donnée et la responsabilité ministérielle. Puis, dans les deux cas, c'est le ministre de la Justice qui n'a pas respecté sa parole donnée et qui a fui sa responsabilité ministérielle. Et je le dis – parce que c'est la première fois que j'ai pris connaissance du fait, depuis 15 ans que je siège ici – un ministre adopte quelque chose en commission parlementaire, un amendement, en l'occurrence proposé par l'opposition; et on doit présumer que le ministre est un adulte consentant qui a consenti à un amendement précis qui avait été fait par l'opposition, M. le Président.

(12 h 40)

Et je vais vous lire les galées, parce que c'est assez inusité que le ministre dise une chose un jour et se lève sans gêne, sans excuse, même, un autre jour pour dire le contraire et faire le contraire, au Parlement, à l'Assemblée nationale, reniant ainsi la responsabilité ministérielle qui doit le lier par rapport à la parole qu'il a donnée, M. le Président.

Une voix: Dans son cas, ce n'est pas surprenant.

M. Sirros: M. le Président, le 30 octobre, il y a à peine un mois et demi, le président de la commission, qui est d'ailleurs présent dans cette Chambre, le député de Bonaventure, il a dit ceci: «Alors, le député de Chomedey propose de modifier, par l'insertion, au début de l'article 5, des mots suivants, et je cite: "sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables".» Bon, ça, c'est l'amendement. M. le Président, l'amendement qui avait été proposé, c'était de s'assurer que tous les droits qui régissent les tribunaux administratifs seraient protégés pour les justiciables et les citoyens. Alors, on suit, M. le Président: M. Bégin – je fais la lecture des galées – le député de...

Une voix: Louis-Hébert.

M. Sirros: ...Louis-Hébert. Il dit: «Relisez-le donc, excusez-moi.» Alors, M. le député de Bonaventure relit: «Sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables.» Après ça, ça continue: «l'autorité administrative». Le député de Louis-Hébert et ministre de la Justice, il dit, et je cite: «C'est beau.» Le Président, alors, il dit: «Le projet de loi est modifié par l'insertion, au début de l'article 5, des mots suivants...» Le ministre de la Justice, il dit: «Adopté.» On doit présumer que le ministre, qui a une certaine responsabilité ministérielle, sait de quoi il parle quand il dit «Adopté» à un amendement qui est proposé dans l'étude article par article en commission parlementaire, à moins qu'il ait l'habitude de parler sans rien dire, à moins de dire des choses qui sont complètement déconnectées de la réalité. Normalement, le mot «adopté», M. le Président, quand c'est prononcé par un ministre, veut dire qu'on a pris en considération ce qui a été proposé, on a évalué puis on a consenti, on a donné notre consentement d'adulte mature, généralement et normalement, je dirais, responsable, et qu'on se lie, par contre, en conséquence, à ce qu'on vient de consentir.

Mais, M. le Président, quelle était ma stupéfaction d'apprendre qu'au moment où le ministre a mis fin, par l'entremise du leader parlementaire, au processus d'étude article par article et a ainsi ordonné par un bâillon, qui est l'antithèse du processus démocratique...

Une voix: Le ministre de la Justice.

M. Sirros: Le ministre de la Justice, par l'entremise de son leader, a ordonné, donc, à la commission parlementaire de faire rapport de l'état de ses travaux et a accompagné ce rapport avec des amendements en vrac, en quelque sorte, parce que le projet de loi n'avait pas été adopté dans son ensemble, M. le Président. Quelle stupéfaction, surprise, de trouver que le ministre de la Justice avait renié sa parole. En d'autres mots, M. le Président, il a pris un artifice, qui est le dépôt des amendements en liasse, pour annuler le consentement à l'amendement qu'il avait donné.

Une voix: Ça se «peut-u»!

M. Sirros: Il n'a même pas rougi, M. le Président.

Une voix: Ça se «peut-u»!

M. Sirros: C'est peut-être pour ça, d'ailleurs, que le Barreau le cible comme le ministre le plus irresponsable que le Québec ait jamais connu, en disant, M. le Président, et je les cite – dans un autre contexte, peut-être, mais c'est exactement le même genre de comportement qui les a amenés à dire que de tels propos de la part du ministre, qui parlait des intentions du Barreau: «De tels propos démagogiques et indélicats tenus par surcroît par un ministre de la Justice jettent le discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent – le mot n'est pas anodin – un sens peu développé des institutions.»

C'est exactement ce sens peu développé des institutions que je veux dénoncer dans les termes les plus vifs que je peux, M. le Président, et je suis heureux que le ministre de la Justice soit ici pour entendre.

M. Jolivet: Il est toujours ici.

M. Sirros: Il est toujours ici, mais il feint de ne pas comprendre, M. le député de Laviolette, et il feint de ne pas comprendre, parce que, s'il osait dire qu'il a compris ce qu'il a fait, il devrait demander des excuses clairement, à visière levée, en disant: J'ai fait une erreur, je m'en excuse, je ne savais pas de quoi je parlais quand j'ai dit «Adopté». Et ce faisant, M. le Président, il faudrait qu'il reconnaisse à ce moment-là que, comme ministre de la Justice, il a pris très à la légère le rôle qui lui était attribué comme pivot central dans l'étude article par article d'un projet de loi et qu'il a ainsi procédé à une déformation du processus démocratique.

Semble-t-il qu'il aurait dit hier, dans une intervention ici, que ça aurait coûté 100 000 000 $ de procéder au maintien de l'amendement auquel, lui, il avait consenti. Alors, ce ministre consent à des choses sans faire son travail, sans vraiment examiner correctement ces choses qui sont proposées, et il dit n'importe quoi en disant «Adopté» quand, en fait...

Une voix: Irresponsable.

M. Sirros: ...il ne voulait pas les adopter. Ça, c'est la définition même de l'irresponsabilité ministérielle dans ce cas-ci, M. le Président, il cache des faits. S'il y a une étude qui démontre que ça coûte 100 000 000 $, ce que le député de Chomedey avait proposé, qu'il la dépose, qu'il ait l'honnêteté de déposer et de dire: Voilà, je n'avais pas soupçonné que ça aurait pu coûter 100 000 000 $. Voici une étude qui m'a été démontrée par la suite, et c'est pour ça que, tout en m'excusant, j'ai dû annuler le consentement que j'avais irresponsablement donné.

Alors, est-ce qu'il y a une étude, oui ou non, ou est-ce qu'il s'en fout, M. le Président, du processus et des institutions, comme le dit clairement le Barreau? Comment il se peut que le ministre de la Justice dise: Peu importe qu'ils déchirent leur chemise, les membres de l'opposition, de toute façon, on a la majorité. Puis regardez l'attitude du premier ministre tous les jours durant la période des questions: L'État, c'est nous, quoi! Louis XIV n'aurait pas pu faire mieux, M. le Président. Alors, on a la majorité, on va gagner le vote. Et pourquoi reconnaître que nous sommes des députés dans un processus démocratique, M. le Président? Pourquoi prendre au sérieux l'Assemblée nationale? Comment on peut dire qu'on est d'accord avec un amendement pour dire par la suite qu'on l'annule, pour dire comme raison que peut-être ça coûterait des sous, sans avoir le courage, la délicatesse par rapport au respect des institutions, de déposer l'analyse, l'étude.

Je ne sais pas quelle forme ça aurait pris, est-ce que c'est une conversation de corridor avec un attaché politique quelconque qui lui a rappelé que ça coûterait des sous? Combien? Je ne sais pas, ça pourrait aller jusqu'à 100 000 000 $. Est-ce que c'est ça, la substance de l'analyse, ou est-ce que c'est une analyse en bonne et due forme qui démontre noir sur blanc, par écrit, que, pour telle et telle raison, voici les conséquences de tel geste et que, si on fait ça, ça va avoir tant de possibilités de conséquences financières ici, dans ce domaine ou dans l'autre? Si c'est le cas, qu'il le dépose. Il pourrait se racheter par rapport à son manque de responsabilité la plus totale depuis qu'il occupe ce poste, M. le Président. Merci beaucoup.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Laurier-Dorion. Alors, M. le ministre de la Justice, vous avez droit à une réplique de cinq minutes.


M. Paul Bégin

M. Bégin: Alors, M. le Président, comme j'ai déjà fourni la réponse à cette question hier en cette Chambre et que j'avais déjà parlé aux leaders parlementaires lorsque les deux leaders se sont rencontrés pour préparer nos débats, je pense que le rappel simple des faits sera suffisant.

Alors, M. le Président, j'ai mentionné qu'effectivement, lors d'une séance de la commission des institutions, il y avait eu une suggestion qui avait été faite par l'opposition, que nous avions regardé cette suggestion, que nous en avions discuté de notre côté avant de donner notre accord et que nous croyions effectivement qu'il s'agissait là d'une proposition correcte. C'est pourquoi, effectivement, nous avons dit que nous étions d'accord avec la proposition.

M. le Président, nous sommes placés devant l'hypothèse suivante par l'opposition. Ou il aurait fallu faire une longue étude et, en conséquence, ne pas adopter cette proposition de l'opposition en disant: Nous ne sommes pas suffisamment informés, nous n'avons pas fait d'étude d'impact, nous n'avons pas eu le temps de consulter et, en conséquence, comme vous nous proposez ça sur-le-champ, nous ne pouvons pas agréer à cet amendement. On comprend très bien, M. le Président, que, si je donnais une telle réponse en commission, les députés de l'opposition trouveraient que c'est une réponse inadéquate et je serais d'accord avec eux.

(12 h 50)

Alors, j'ai fait l'autre alternative, c'est que j'ai dit effectivement que ça m'apparaissait intéressant et je l'ai mentionné même si les conseillers me disaient que ça pourrait représenter des sommes d'argent importantes. Je vous avoue que, dans mon esprit, c'était une somme qui pouvait être importante mais que j'étais prêt à assumer. Cependant, et je l'ai dit hier en cette Chambre, après avoir fait une analyse complète de la situation, les différents organismes nous ont fait valoir qu'il y aurait des coûts importants, et ces coûts importants ont été déchiffrés entre 80 000 000 $ et 100 000 000 $ par année.

M. le Président, vous comprendrez qu'une phraséologie qui nous apparaît intéressante mais qui représente un coût de 100 000 000 $ c'est une phraséologie sur laquelle on doit s'interroger. C'est ce que j'ai fait. J'ai présenté une nouvelle proposition qui fait en sorte qu'on atteint l'objectif que nous avions dans nos débats: s'assurer, dans le cas d'une personne qui a fait une demande et où l'agent de l'administration est pour rendre une décision négative, que cet agent s'assure que la personne, que le requérant ou le demandeur ait été bien informé de tous les droits qu'il avait, entres autres de pouvoir communiquer avec l'administration, et que, d'autre part, s'il y a des documents qui étaient essentiels pour la décision mais qui ne se trouvaient pas au dossier, à ce moment-là, il y ait communication avec le citoyen et qu'on lui dise ce qu'il doit faire. Et je pense que c'était exactement le sens de la démarche que nous faisons ensemble. Le texte de l'amendement déposé va exactement dans ce sens-là, et je pense qu'il était tout à fait correct de le refaire. Merci, M. le Président.

M. Mulcair: M. le Président, question de règlement...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: ...en vertu de l'article 214. Le ministre vient de nous citer une étude qu'il dit détaillée, après consultation avec les organismes. C'est son obligation maintenant de la déposer, parce que ça y va de l'intérêt du public. C'est son obligation, comme ministre, de déposer cette étude ici pour que tout le monde puisse voir s'il dit vrai ou pas dans ce dossier.

M. Bégin: M. le Président...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le ministre de la Justice.

M. Bégin: ...la règle est à l'effet que lorsque l'on cite un document on doit le déposer en cette Chambre. Je vous réfère à ce que j'ai dit. J'ai dit que j'avais été informé que les coûts seraient entre 80 000 000 $ et 100 000 000 $. Je n'ai fait référence à aucun document et je dis qu'il n'est pas requis, en vertu de nos règlements, de déposer quelque document que ce soit que je n'ai pas cité.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: ...vous avez sûrement sous les yeux l'article 214 auquel a fait référence mon collègue: «Lorsqu'un ministre cite, même en partie, un document, tout député peut lui demander de le déposer immédiatement. Le ministre doit s'exécuter...» Doit. Doit. La seule défense pour le ministre, c'est de démontrer qu'il juge que cela serait contraire à l'intérêt public.

M. le Président, le ministre a fait référence à un document, à une étude détaillée. Mon collègue, se prévalant de l'article 214, qui est une règle absolue, demande au ministre de s'exécuter et de déposer le document. Que le ministre le fasse ou on comprendra qu'encore une fois on s'est fait berner puis conter des histoires.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le ministre de la Justice.

M. Bégin: Je réitère que je n'ai pas cité le document et que si jamais, par inadvertance, j'avais pu le faire, je dis qu'il n'est pas nécessairement dans l'intérêt public que ce document soit déposé.

Mme Caron: M. le Président...

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: ...question de règlement. Oui, M. le Président. Je voudrais préciser qu'effectivement le ministre de la Justice n'a pas cité de document. Il a fait référence à un document qui existait, mais il n'avait pas de document dans les mains et il n'a pas cité de document. Donc, il n'a absolument pas à déposer.

M. Sirros: Une question, M. le Président, en vertu de l'article 213.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Ah! je m'excuse. Il y a encore une question de règlement.

M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse avant, et mon collègue a raison. Il peut questionner en vertu de 213, mais on n'a pas encore...

Le Vice-Président (M. Pinard): Excusez-moi.

M. Lefebvre: Oui.

Le Vice-Président (M. Pinard): Vous vous retirez sur 214, M. le député...

M. Lefebvre: ...sur 214. Et vous avez très bien entendu, puis il me semble que c'est tellement évident. Le ministre...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader adjoint...

M. Lefebvre: Si le whip veut intervenir après mon intervention, M. le Président...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: Bon, voilà. M. le Président, le ministre a fait référence... il a cité une étude détaillée. Une étude détaillée, c'est un document. Une étude détaillée, ça ne porte pas dans le vide. C'est un document. Alors, il a décidé d'y faire référence. Il est sous serment ici. Puis on le croit, nous autres. On le croit. On veut le croire. Il faut faire un effort. Il a cité... Il a fait référence et il a cité un document, un document, une étude détaillée. Vous devez, en vertu de 214, lui demander s'il considère que le déposer serait contraire à l'intérêt public. C'est là-dessus que vous devez fouiller le ministre, M. le Président. Sinon, il doit, pas il peut, il doit le déposer. L'article 214, M. le Président, est incontournable.

Le Vice-Président (M. Pinard): S'il vous plaît. À ce stade-ci, M. le leader adjoint de l'opposition, je fais référence à une décision de Richard Guay, le 30 mai 1985, concernant une citation de document. Le contexte était à l'effet qu'un ministre, en répondant à une question, indique que sa réponse est inspirée d'un document de son ministère. L'opposition officielle exige le dépôt de ce document en vertu de l'article 214 du règlement.

Est-ce qu'un ministre est tenu de déposer un document dont il s'est inspiré pour répondre à une question? La décision de M. Guay: Le ministre n'est pas tenu de déposer le document dont il s'est inspiré pour répondre à une question puisqu'il n'a pas cité le document. Il n'y a même pas eu de référence à un document précis. De toute façon, le ministre ne serait pas tenu de déposer un document auquel il s'est référé, compte tenu des précédents qui font la distinction entre la référence à un document et la citation d'un document.

Alors, à ce stade-ci, nous allons poursuivre nos... M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: Est-ce qu'on pourrait savoir du ministre, M. le Président, qui, encore une fois, là, se cache en arrière d'une interprétation très étirée du règlement...

Mme Caron: Question de règlement.

M. Lefebvre: Est-ce que, oui ou non, le document existe, M. le Président?

Mme Caron: Question de règlement.

M. Lefebvre: Si oui, pourquoi est-ce qu'il refuse...

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: M. le Président, vous avez bel et bien rendu votre décision. On se doit de la respecter.

Le Vice-Président (M. Pinard): Messieurs, nous allons revenir maintenant à la demande du député de Laurier-Dorion qui veut se prévaloir de l'article 213. Est-ce que vous acceptez de répondre à une question du député de Laurier-Dorion?

Bon. Maintenant... Messieurs! Messieurs! Messieurs, j'ai très bien... Messieurs! Non, non. Que ce soit en français ou en anglais, j'ai très bien entendu. Alors, respectons en tout point l'article 35.

Maintenant, il est 12 h 58. Est-ce que nous poursuivons avec l'allocution... Le député de Laval-des-Rapides s'était levé. M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: Dans ce sens-là, je vous soumets une question de directive: Est-ce que, M. le Président, il n'est pas coutume pour la présidence de rappeler à tous le membres de l'Assemblée, et particulièrement à ceux et celles qui sont à votre droite, de leur expliquer qu'est-ce que ça veut dire, la règle de l'alternance, M. le Président, de leur rappeler qu'ils ont le droit de parler?

Des voix: ...

M. Lefebvre: Ils ont le droit, M. le Président, ils ont le droit.

Mme Caron: Question de règlement.

Le Vice-Président (M. Pinard): S'il vous plaît! M. le leader adjoint de l'opposition, j'allais reconnaître, j'allais le reconnaître, le ministre d'État à la Métropole et député de Laval-des-Rapides. Mais, comme il est maintenant 12 h 59, alors, à ce stade-ci, plutôt que de débuter une intervention avec le ministre d'État à la Métropole, nous allons tout simplement suspendre nos travaux jusqu'à cet après-midi, 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 59)

(Reprise à 15 h 6)

Le Vice-Président (M. Brouillet): Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.

Nous allons reprendre le débat sur la prise en considération du rapport de la commission des institutions. Alors, je vais céder la parole à M. le ministre d'État à la Métropole et député de Laval-des-Rapides. M. le ministre.


M. Serge Ménard

M. Ménard: M. le Président, j'assiste, comme vous avez pu le constater, à une partie des débats depuis un certain temps et je réalise ce qui se passe: l'opposition prend essentiellement tout le temps qu'elle peut prendre sur chaque proposition qui lui est soumise. C'est un petit peu la technique de l'entonnoir: plus on a de difficulté à passer les projets de loi avant la fin de la session, plus l'opposition pourra choisir parmi ces projets ceux auxquels elle consentira.

Mais justement, à parler pour parler simplement, on ne peut pas s'empêcher de dire parfois des choses qui blessent profondément, inutilement et qui, je pense, donnent une très mauvaise opinion à la population qui pourrait regarder ces débats, à supposer – ha, ha, ha! – qu'elle les trouve assez intéressants pour le faire pendant un certain temps. Notamment, j'ai décidé d'intervenir de façon courte à cause des attaques absolument injustifiées et fielleuses qui sont continuellement portées contre mon collègue de la Justice.

Je voudrais bien que, s'il y a des gens qui suivent ces débats et qui entendent ces attaques absolument gratuites, continuelles auxquelles nous ne répondons pas parce que nous savons qu'au fond le but c'est de passer le plus de temps en Chambre pour qu'on ait le plus de difficulté à passer des projets de loi... Et puis, plutôt que de présenter des arguments, alors on improvise, on dit ce que l'on...

M. Paradis: M. le Président, question de règlement.

M. Ménard: Mais, si c'est...

M. Paradis: M. le Président, question de règlement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition, question de règlement.

M. Paradis: Oui. M. le Président, simplement rappeler au ministre supposément responsable de la Métropole les dispositions de l'article 35.5° de notre règlement. Il utilise, et ce, sans doute par mégarde, exactement le vocabulaire qu'il est interdit d'utiliser par le dispositif de l'article 35.5°, qui dit: Paroles interdites et propos non parlementaires. «Le député qui a la parole ne peut attaquer – et il parle d'attaque – la conduite d'un député, si ce n'est par une motion mettant sa conduite en question.» Vous avez déjà eu l'occasion de vous pencher sur la question, M. le Président. S'il désire le faire, il est le bienvenu.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, je crois que... M. le leader, si vous voulez, quelques minutes.

M. Bélanger: Oui, M. le Président. J'ai écouté le leader de l'opposition et j'ai écouté aussi avec beaucoup d'attention ce que le ministre d'État à la Métropole a déclaré, et il ne fait que constater. Il ne porte aucune accusation, il ne fait que constater des choses et, après ça, il dit tout simplement ce que la population pourrait constater aussi en écoutant les mêmes choses. Alors, M. le Président, je ne pense pas que la population peut faire une motion en cette Chambre contre le travail des députés. Alors, tout simplement, c'est ça que le député de Laval-des-Rapides est en train de dire. Il ne contrevient en rien à notre règlement. Et je demanderais au leader de l'opposition de peut-être avoir le cuir un peu plus épais. Je crois qu'on n'attaque personne en cette Chambre. Et le ministre de la Métropole fait tout simplement état de constatations.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Rapidement, M. le leader de l'opposition.

(15 h 10)

M. Paradis: Les propos du leader du gouvernement me surprennent et m'atteignent, M. le Président. Quand on parle qu'on ne veut pas faire de motion contre le travail des députés, c'est lui qui est le parrain de la motion de clôture qui tente de bâillonner les parlementaires à ce moment-ci.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, moi, je suis ici pour faire respecter le règlement et de part et d'autre, d'une façon équilibrée et ordonnée, et je n'ai rien vu dans les propos du ministre qui pouvait, au-dessus du règlement, demander, si vous voulez, une interdiction, et ainsi de suite. Alors, M. le ministre de la Métropole.

M. Ménard: Il est vraiment paradoxal, M. le Président, qu'on m'accuse d'attaquer des députés quand justement ce que je désire corriger... et utiliser mon pouvoir de persuasion pour espérer le corriger, c'est que l'on porte des attaques gratuites contre un ministre personnellement...

M. Paradis: M. le Président, question de règlement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Si des attaques avaient été portées contre un membre de l'Assemblée nationale, la présidence ou le leader du gouvernement se serait levé et aurait interpellé le député qui portait des attaques. On ne peut pas faire indirectement ce que le règlement nous défend de faire directement. Lorsqu'on dit qu'il y a eu des attaques de portées, c'est qu'on accuse le leader du gouvernement et la présidence de ne pas avoir fait leur travail, ce qui n'est pas le cas dans les circonstances, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, tout dépend de la nature des attaques, parce qu'on s'attaque de part et d'autre, je dirais quasiment dans chaque phrase. Vous venez d'attaquer, M. le leader, en faisant appel au règlement sur ce point-là. Tout dépend de la nature des attaques. Et c'est là qu'on doit intervenir. Et il ne faudrait pas intervenir dès qu'une parole va à l'encontre de ce qu'un autre a pu dire de l'autre côté. On serait toujours, si vous voulez, en état d'attaque. Alors, M. le ministre d'État à la Métropole.

M. Ménard: Sur les arguments de procédure, je pense que ça donne une idée aux gens qui nous regardent certainement, mon Dieu! du niveau de débat auquel l'opposition, actuellement, veut tenir les débats, et c'est ce que je conteste et c'est ce que je n'aime pas. C'est ce à quoi je ne participerai jamais en tant que parlementaire et c'est ce dont je voudrais bien convaincre mes collègues, qu'ils soient de l'opposition ou du pouvoir, c'est le genre de chose qui nous discrédite tous. Ce serait tellement mieux si nous avions le souci de préparer nos arguments pour les exposer succinctement et de façon compréhensible plutôt que de se laisser aller à des périodes d'improvisation dans lesquelles, finalement, les propos qui commencent à faire de la basse politique finissent par se déverser dans des attaques injustifiées.

Mais, pour donner... D'ailleurs, j'ai entendu dire, à combien de reprises et avec combien d'exemples, comment le ministre de la Justice ne respectait pas les principes fondamentaux de notre droit, et ainsi de suite, et de nombreux exemples, alors que... D'abord, je suis non seulement convaincu du contraire, mais, en plus, je voudrais donner une image, expliquer à cette population qui pourrait peut-être nous regarder comment ceux qui portent ces attaques respectent ces principes fondamentaux en en expliquant un qui est difficile à comprendre, mais qui, quand on l'a compris, on est d'accord avec.

Ce matin encore, lorsque le critique de l'opposition commençait à poser ce qui devait être une question au ministre de la Justice, il a commencé par parler de la nomination qu'il avait faite d'un sous-ministre qui avait défendu les Hell's Angels. Comme si un avocat devait être jugé par les clients qu'il défend. Si tel était le cas, j'espère que la population comprend que, dans l'éventualité où on serait accusé injustement, on ne retrouverait pour se défendre que des gens qui auraient accepté de pratiquer ce métier en acceptant que leur réputation soit ternie par les gens qu'ils doivent défendre.

Et pourtant, je sais bien que... Et j'espère que notre système judiciaire général n'accuse que des coupables. D'ailleurs, je peux vous dire que j'ai pratiqué le droit criminel assez longtemps pour savoir que, dans au-delà de 85 % des cas, nous plaidons coupables, et nous plaidons sur sentence, et puis, dans l'autre 15 %, c'est à peu près la moitié qui est acquittée, des chefs qui sont acquittés, et les gens sont trouvés coupables partiellement de ce dont ils sont accusés. Donc, nous plaidons surtout des sentences.

Mais, s'il fallait que les gens qui sont soucieux d'avoir une bonne réputation sachent que l'on va juger de leur réputation à cause de leurs clients, bien il n'y aurait que des avocats qui acceptent de passer pour des fraudeurs pour défendre des fraudeurs, pour des terroristes pour défendre des terroristes. Alors, je pense que l'on voit bien que, si on veut avoir des avocats compétents et intègres, pour être défendu si jamais on est accusé injustement devant un tribunal – et ça, c'est une des garanties fondamentales que nous avons – il faut que ces avocats, leur réputation soit jugée en fonction de leur intégrité personnelle et de leur compétence personnelle et non pas en fonction des clients qu'ils ont défendus.

Alors, le député de Chomedey, critique de l'opposition officielle, ne cesse de rappeler cela comme un exemple de ce qu'aurait fait de scandaleux le ministre de la Justice. Puis-je rappeler d'ailleurs – et évidemment il fait semblant de l'ignorer, il feint de l'ignorer...

M. Mulcair: M. le Président, question de règlement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le député de Chomedey, là, je ne vois pas a priori... J'ai bien hâte de voir l'article que vous allez mentionner, là. Il ne faut pas faire un abus non plus des appels au règlement. Alors, citez l'article, s'il vous plaît.

M. Mulcair: M. le Président, je trouve très surprenant que vous préjugiez du fait que j'ai ou non un article de règlement. Ce sont les articles 211, 212 et 213: l'article 211 pour la pertinence, le ministre est en train de parler de la période des questions et non pas du projet de loi n° 130 qui est sous étude; l'article 212 parce que je tiens, dès qu'il aura fini son intervention, à utiliser mon pouvoir de rectifier les propos mal compris – je présume, de bonne foi – ou déformés; et 213 parce que, s'il accepte, j'aurai une petite question pour le député de Laval-des-Rapides, après son intervention.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, justement, vous êtes hors propos parce que 212, 213, c'est une fois que l'intervention est terminée qu'on se lève pour poser la question. L'article 211, ce à quoi monsieur fait référence, ce sont des contenus de discours que j'entends dans cette Chambre depuis des journées et des journées. J'ai entendu ces choses-là répétées dans le cadre de la prise en considération du rapport et dans le cadre aussi de l'adoption du principe du projet de loi. Et je suis convaincu que je vais les réentendre encore quand on sera en troisième lecture. Alors, écoutez, là, c'est pour ça qu'il ne faut pas faire un usage abusif de l'appel au règlement. M. le ministre d'État à la Métropole.

M. Ménard: Oui, je m'aperçois bien que j'aurai de la difficulté à convaincre l'opposition d'avoir une attitude qu'apprécierait plus la population, une façon de mener nos débats. Parce que, au fond, on m'a interrompu au moment où j'allais dire ce que le député de Chomedey feint d'ignorer, que le même avocat a aussi défendu la Sûreté du Québec. Et il semble que les gens de la Sûreté du Québec aient mieux compris que lui l'essence de la profession d'avocat, et les principes qui doivent l'animer, et la nécessité, donc, que chacun qui est accusé devant un tribunal et qui est présumé innocent puisse bénéficier d'un avocat non seulement compétent et intègre, mais qui est soucieux de garder cette réputation. Et c'est comme ça qu'ils vont être assurés d'avoir des avocats compétents et intègres si jamais ils sont accusés.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Votre temps est terminé.

M. Ménard: Cultiver ce préjugé pour des raisons politiques démontre à quel genre d'arguments on en est rendu. De plus, je voudrais dire que les attaques sont... Bon, voyons!

M. Paradis: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Oui. Encore une fois, on a imputé des motifs indignes à l'honorable député de Chomedey. On l'accuse de tenir des propos pour des fins strictement politiques, alors que c'était pour les fins d'une saine administration de la justice.

M. Bélanger: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui. Alors, là, permettez-moi d'être complètement sidéré par l'intervention de mon bon ami d'en face, qui dit que maintenant on est accusé d'avoir tenu des propos politiques en cette Chambre. C'est exactement – il pourra lire ses galées – ce qu'il a dit. Alors, si on n'a pas le droit de tenir des propos politiques – il pourra se relire, des fois c'est intéressant de se relire – si on est accusé de tenir des propos politiques en cette Chambre, où est-ce qu'on est, hein?

M. Paradis: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition, rapidement.

M. Paradis: Je n'ai pas d'objection avec la mise au point de mon bon ami le leader du gouvernement, qui devrait là porter attention aux propos qui sont tenus. C'est vrai que, des deux côtés de la Chambre, il se tient des propos qui sont de nature politique, mais on ne peut accuser un député qui s'occupe de la saine administration de la justice de le faire pour des fins politiques, et c'est ce qui a été dit. Dans les circonstances, je sais qu'il va concourir avec moi qu'on ne peut imputer ce genre de motif, suivant le règlement, à aucun député de l'Assemblée nationale.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Écoutez, les fins politiques, j'ai vraiment beaucoup de difficultés à ne pas voir que les hommes d'ici poursuivent des fins politiques. Vraiment, j'ai beaucoup de difficultés à trancher dans cette question-là. Alors, M. le ministre d'État à la Métropole, je vous demanderais de conclure, s'il vous plaît, votre temps est terminé.

M. Paradis: M. le Président, sur la question de règlement.

(15 h 20)

Le Vice-Président (M. Brouillet): Question de règlement, M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Oui, je pense que, lorsque vous traitez d'un sujet avec un ministre sectoriel qui est autre que le ministre de la Justice, qui est une institution en soi, vous avez complètement raison. Mais, lorsqu'on parle du ministre de la Justice, qui constitue, au sein de nos institutions, l'institution qui représente la justice, vouloir traiter le ministre de la Justice comme un autre ministre, c'est exactement l'erreur que l'on commet trop souvent. Le député qui avait la parole pourra vous le souligner; le leader du gouvernement va être d'accord. Le seul problème, c'est que le ministre de la Justice ne l'a pas encore compris.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Bien, écoutez, ça ne change rien à mon intervention. Je crois que les motifs en question, ce n'était pas au ministre de la Justice qu'on les attribuait, mais au député de Chomedey.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, M. le ministre d'État à la Métropole, je vous inviterais à terminer, parce que votre temps est...

M. Ménard: Oui, mais je voudrais bien comprendre, M. le Président. Si je comprends bien, pendant qu'il soulève des objections, mon temps s'écoule?

Une voix: Oui.

M. Ménard: Alors, le truc, c'est de nous interrompre le plus souvent possible pour nous empêcher de parler.

M. Paradis: M. le Président. M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): S'il vous plaît, là, on va... Oui, M. le leader de l'opposition, pour une dernière intervention sur ça.

M. Paradis: Oui, M. le Président. Quand on ne commet pas d'infraction au règlement, la possibilité de soulever le règlement existe. Maintenant, si le ministre veut avoir plus de droit de parole, il n'a qu'à demander à son gouvernement d'enlever le bâillon.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Bien, écoutez, là... Oui. Rapidement. Rapidement.

M. Bélanger: Oui. M. le Président, je voulais juste souligner à mon bon ami le leader de l'opposition qu'aucune des questions de règlement qui a été soulevée n'a été jugée, comme de fait, pertinente.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, écoutez, j'ai tenu compte un peu de la nature des questions, et tout, et j'ai accordé au ministre quelques minutes de plus. C'est à la discrétion du président, et j'ai tenu compte de ça. Vous savez, 10 minutes, ça passe quand même très vite, M. le ministre d'État à la Métropole.

M. Ménard: ...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Non. Enfin, ce n'est pas nécessairement pleinement 10 minutes parce que ça ne veut pas dire que, dès qu'il y a des questions de règlement, on les soustrait. La règle: on ne soustrait pas les questions de règlement à l'intérieur d'une période de temps qui est dévolue au député, sauf que, selon la nature des questions et le temps qu'on y accorde, je peux accorder un certain temps supplémentaire. Mais ce n'est pas mathématique, si vous voulez. Alors, c'est comme ça. Je vous ai accordé quand même un certain nombre de minutes. Je vous demanderais de prendre une minute pour conclure, s'il vous plaît.

M. Ménard: Bon. Alors, je pense que, d'abord, les propos m'ont rappelé cette phrase de l'Évangile: que la poutre qui est dans votre oeil ne vous empêche pas de voir la paille qui est dans l'oeil de l'autre, n'est-ce pas?

Deuxièmement, il me semble que les efforts que j'ai faits, que cet échange de procédures que nous avons eu démontre clairement à la population à quel niveau nous voulons garder les discussions et à quel niveau désire les garder l'opposition.

Et je terminerai en rappelant une chose: le ministre de la Justice est probablement l'un des hommes les plus déchirés du gouvernement parce que, comme les autres, il doit faire des choix qui sont déchirants, comme le ministre de la Santé, comme la ministre de l'Éducation, comme la ministre de l'Emploi, parce que nous avons perdu au Québec la capacité d'intervenir parce que la dette est trop grosse. Rappelons juste quelques gros chiffres. Nous dépensons 6 000 000 000 $ par année... Vous m'avez donné une minute? Je la prends. Bon.

Une voix: Hé!

M. Ménard: La... Est-ce que je peux prendre...

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le ministre d'État à la Métropole, je sais que vous êtes survolté, je vous comprends, mais cependant... Écoutez, non, non. Non, non, mais ça fait trois fois, là... À mon intervention... Une minute, ça passe vite. Je vous ai donné une minute, il reste quelques secondes, et je vous demande de conclure.

M. Ménard: Alors, je rappellerai ici ces quelques gros chiffres. Nous dépensons 6 000 000 000 $ par année pour payer les intérêts sur la dette. Notre déficit actuellement est de 3 200 000 000 $. Au cours des six dernières années, la dette a doublé. Alors qu'il y avait une période de prospérité économique, au lieu de rembourser, on a continué à emprunter. Si la dette était de moitié, nous paierions donc la moitié des intérêts, probablement moins, parce que notre cote serait meilleure et que les intérêts seraient moins élevés. Nous serions donc au déficit zéro et nous pourrions, à ce moment-là, soit baisser les taxes pour stimuler l'économie et en retirer les profits, soit maintenir les programmes que nous avons voulu maintenir.

Mais ce qui nous force à prendre les décisions déchirantes à la Justice, à la Santé, à l'Éducation et partout, c'est cette situation dont nous avons hérité. C'est pourquoi la priorité des priorités de ce gouvernement, ce doit être de mettre de l'ordre dans les finances publiques.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le ministre d'État à la Métropole. Le prochain intervenant...

Une voix: ...poser une question de règlement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Question de règlement?

M. Mulcair: Oui.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Très bien. M. le député de Chomedey. Très bien.

M. Mulcair: Je l'avais soulevée tantôt. Je désire intervenir en vertu de l'article 212 pour faire des remarques brèves pour restituer quelque chose qu'a mal compris le ministre de la Métropole. Le ministre de la Métropole nous fait dire qu'un avocat qui a défendu des criminels est comme un criminel. M. le Président, nous n'avons jamais dit quelque chose de la sorte. Et moi et le leader de l'opposition, le chef de l'opposition, M. Johnson, on a tout fait pour essayer de faire comprendre que ce qu'on était en train de dire, c'est que, contrairement, par exemple, à un avocat criminaliste qui devient juge, mais qui ne se permettrait jamais d'entendre une cause concernant ses anciens clients, le sous-ministre en question, malheureusement, n'a jamais su éviter ce genre de conflit d'intérêts là. C'est lui qui a défendu les Hell's Angels et c'est lui qui décide si, oui ou non, il va y avoir des poursuites contre des Hell's Angels. Puis il y en a une pile comme ça, des affaires de Carcajou qui sont bloquées sur son bureau, au moment où on se parle. C'est ça, le problème de perception dans la population.

Les gens disent: Ça n'a pas de bon sens qu'un ex-avocat des Hell's soit celui qui décide si on stoppe les procédures et soit le patron des procureurs de la couronne. C'est ça, le problème. On n'est pas en train de dire qu'il n'a pas le droit de gagner sa vie, mais il n'a pas le droit d'avoir cette job-là, ce n'est pas bon pour l'image de l'administration de la justice, pour la confiance du public dans nos institutions. Merci, M. le Président.

Des voix: Bravo!

Une voix: Ça, c'est cultiver des préjugés.

Le Vice-Président (M. Brouillet): S'il vous plaît! Il faut attendre son temps. L'autre... M. le député.

M. Mulcair: Oui, mon autre question de règlement, comme je vous l'annonçais tantôt, et ça va donner l'occasion sans doute à mon collègue le député de Laval-des-Rapides d'intervenir à nouveau, s'il accepte: Est-ce que le député de Laval-des-Rapides accepte de répondre à une question, en vertu de l'article 213?

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le ministre.

Alors, M. le ministre accepte.

M. Mulcair: Merci, M. le Président, et je tiens à remercier mon collègue et voisin de comté, le député de Laval-des-Rapides. Est-ce que le député de Laval-des-Rapides ne peut pas nous confirmer s'il est exact que lui-même était le président de la commission juridique du Parti québécois qui a présidé à l'élaboration de leur programme pour les dernières élections, programme dans lequel – et ça, c'est pertinent pour le projet de loi n° 130, M. le Président – on dit, à la page 13, qu'«en matière administrative une loi cadre couvrant l'ensemble des organismes ou personnes exerçant des fonctions quasi judiciaires sera adoptée pour assurer aux administrés des décisions rendues par une personne ou un organisme impartial et indépendant» et que «cette loi prévoira des règles de procédure permettant un appel des décisions rendues par ces organismes ou personnes devant la chambre administrative de la Cour du Québec et de la Cour supérieure»?

Et, si c'est vrai qu'il a participé à l'élaboration de ce programme-là, comment se fait-il qu'il ne se lève pas dans cette Chambre pour dénoncer le fait que le projet de loi n° 130 ne permet ni l'appel ni la nomination de gens d'une manière impartiale et indépendante, alors que c'est dans leur programme politique pour 1994?

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, M. le ministre d'État à la Métropole.

M. Ménard: Mais j'ai donné la réponse à tout le monde. Nous sommes obligés de faire des choix déchirants, pour deux raisons, pour que, d'abord, les citoyens bénéficient de la décision le plus rapidement possible et puis aussi que nous sommes obligés de ne pas donner la pleine mesure des programmes que nous envisagions faire, à cause de la situation économique désastreuse dans laquelle nous trouvons les finances de la province.

Il faut réaliser qu'en matière de justice aujourd'hui nous sommes obligés de décider. La justice est devenue trop coûteuse, au Québec, au point que les gens n'y vont plus. Alors, il faut trouver des moyens où ils vont l'obtenir d'une façon économique parce qu'une justice trop coûteuse ce n'est plus de justice.

Dans cela, nous devons réaliser des équilibres qui peuvent être différents de ce que nous avions envisagé il y a plusieurs années. Et c'est ce que je dis. Il faut avoir sur ces sujets des opinions nuancées, alors que vous ne cessez de voir des extrêmes, de faire des sophismes, comme vous en avez fait sur la question de Me Bilodeau, encore une fois, qui est...

Une voix: Ce n'est pas un sophisme.

(15 h 30)

M. Ménard: Oui, c'est un sophisme. D'abord, quand Me Bilodeau, il y a 15 ans, a défendu les Hell's Angels... justement ça lui permet d'apprécier une preuve qui concerne les Hell's Angels. Et je peux vous dire qu'il y en a eu des poursuites qui ont été prises par les Hell's, et la plupart ont été gagnées, parce que le rôle, c'est justement de voir à ce que, quand les poursuites sont prises, nous ayons suffisamment de preuves pour obtenir une condamnation.

Et puis pourquoi la Sûreté du Québec aurait-elle été le voir, si elle avait pensé comme vous, question d'apparence? Vous cultivez les préjugés quand vous... Enfin, le député de Chomedey cultive les préjugés quand il parle de ces apparences de... Ce n'est pas des apparences, c'est une tendance naturelle, c'est vrai, mais c'est un préjugé.

Une autre apparence, aussi, c'est: il n'y a pas de fumée sans feu. Si quelqu'un est accusé, il est probablement coupable; c'est un préjugé populaire. Et c'est pourquoi on a besoin d'un principe de droit pour le contredire, qui est le droit d'être présumé innocent. Et c'est la même chose dans ce que vous dites ici. Un avocat qui a pratiqué le droit, qui a défendu un type de client, et, justement, s'il est compétent et intègre, capable le mieux d'exercer avec compétence...

M. Paradis: M. le Président...

M. Ménard: ...les choix durs qu'il doit faire.

M. Paradis: ...règlement, rappel au règlement. Là, ça va. C'était assez.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, je vous remercie, M. le ministre d'État à la Métropole. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Marquette. M. le député.


M. François Ouimet

M. Ouimet: M. le Président, j'ai beaucoup de respect pour le député de Laval-des-Rapides et ministre d'État à la Métropole, mais, malgré tout le respect que je peux avoir pour lui, je pense qu'il est à côté de la coche. Tantôt, il disait que l'opposition parle pour parler, qu'on blesse, qu'on multiplie les attaques injustifiées, gratuites et continuelles sur la personne du ministre de la Justice. Pourtant, le ministre d'État à la Métropole, député de Laval-des-Rapides, était à mes côtés vers les 0 h 45, il prenait connaissance de la lettre du Barreau du Québec, et j'ai été très surpris que, dans son intervention, il ne parle pas de la lettre du Barreau du Québec, surtout comme ancien bâtonnier. Il a été un bâtonnier.

Je vais lui rappeler les propos du Barreau du Québec, un organisme, une institution qu'il connaît fort bien. Il va comprendre pourquoi l'opposition est très inquiète par rapport au projet de loi et par rapport au fait que le gouvernement impose le bâillon. M. le Président, le bâtonnier disait, le 4 décembre dernier: «C'est avec stupéfaction que nous apprenions le dépôt à l'Assemblée nationale d'une motion de clôture – nous sommes sous l'effet d'une motion de clôture – sur le projet de loi n° 130. Le Barreau du Québec – et j'attire l'attention du député de Laval-des-Rapides sur les propos suivants – juge inconcevable que le gouvernement force l'adoption d'une telle pièce législative en l'absence de consensus des milieux intéressés sur des éléments fondamentaux de la réforme proposée. Nous considérons prématurée et inappropriée l'adoption de cette réforme.»

Ce n'est pas surprenant que l'opposition utilise tous les droits qui sont à sa disposition pour tenter de passer un message et pour, elle aussi, se servir de son pouvoir de persuasion et du pouvoir de persuasion du Barreau du Québec pour avertir le gouvernement que, malgré le fait que le gouvernement souhaite se diriger vers cette réforme qui est attendue au Québec, le projet de loi qu'a déposé le ministre de la Justice est un affreux gâchis.

M. le Président, le député de Laval-des-Rapides prenait également connaissance de la lettre du bâtonnier du Québec en date du 11 décembre – nous sommes le 12 décembre – donc en date d'hier. Le bâtonnier adressait sa lettre au premier ministre de la province en disant: «De tels propos...» En citant les propos du ministre de la Justice, le bâtonnier disait: «De tels propos démagogiques et indélicats, tenus par surcroît par un ministre de la Justice, jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.» Et je pourrais continuer. Les arguments de l'opposition s'appuient sur le Barreau du Québec pour donner le message au gouvernement que c'est une mauvaise loi. Malgré de bonnes intentions, ce n'est pas une bonne loi.

Le fondement de la réforme, c'est d'assurer une justice ou d'assurer la nomination de membres indépendants et qu'on ne fasse pas, qu'on ne soit pas témoin de nominations arbitraires et partisanes. L'indépendance de la magistrature, l'impartialité de la magistrature, c'est l'objet de la réforme proposée par le gouvernement. Mais les dispositions contenues dans le projet de loi vont à l'encontre de l'objet de la réforme, parce qu'on sait que le ministre de la Justice... Et je ne reviendrai pas sur les affirmations du député de Chomedey, mais on connaît les intentions du ministre de la Justice et on sait qu'il propose de faire adopter l'article 25 du règlement concernant le processus de renouvellement des mandats qui pourraient ne pas être renouvelés si, de l'avis du gouvernement, il est opportun de favoriser la nomination de nouveaux membres.

M. le Président, un journaliste du Devoir disait ceci au sujet de ce pouvoir-là que veut se donner le ministre de la Justice, et je cite Mario Cloutier, dans le journal Le Devoir , qui disait: «Mais, dans le domaine de la justice administrative, cela veut bien souvent dire "nominations partisanes". Ce que le ministre de la Justice semble vouloir faire présentement, lui qui refuse depuis deux mois de rencontrer des représentants de l'Association des commissaires en matière de lésions professionnelles, est de se garder une porte ouverte pour utiliser la fameuse prérogative ministérielle, du moins dans le cas du renouvellement des mandats des juges administratifs.» M. Cloutier disait ceci: «En français, cela s'appelle favoritisme.»

Les gens qui nous écoutent comprennent bien pourquoi l'opposition s'objecte à plusieurs dispositions de la présente loi et que l'opposition a bâti ses arguments sur les prétentions du Barreau du Québec. Et je suis étonné, comme ancien bâtonnier, que le député de Laval-des-Rapides, malgré le fait qu'il a pris connaissance de cette lettre du Barreau du Québec, n'en ait pas dit un seul mot. Personne ne va contester les prétentions et les dires du député de Laval-des-Rapides, qui disait: Il faut remettre de l'ordre dans nos finances publiques. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous. D'ailleurs, entre 1976 et 1985, deux mandats sous la gouverne du Parti québécois, la dette a plus que quintuplé. La dette a plus que quintuplé, et aujourd'hui ces gens-là viennent nous faire la morale, M. le Président.

Je rappelle également au député de Laval-des-Rapides: comment peut-il prendre la défense de son collègue le député de Louis-Hébert, ministre de la Justice, alors que celui-ci, en commission parlementaire, donnait sa parole au député de Chomedey par rapport à l'adoption de l'amendement, et puis, par la suite, lorsque le rapport de la commission revient devant l'Assemblée nationale, on se rend compte que le ministre de la Justice n'a pas tenu parole, M. le Président?

Alors, vous comprendrez pourquoi l'opposition s'objecte au projet de loi tel qu'il est libellé présentement. Et, lorsqu'on nous accuse de parler pour parler, je pense que l'opposition est en train de faire son devoir. Et ce n'est pas pour rien aujourd'hui, ce matin, que les instances du Barreau du Québec étaient dans les tribunes. Et ce n'est pas pour rien que le Barreau du Québec, par le biais du bâtonnier, écrit directement au premier ministre lui-même. Et nous étions fort étonnés de voir le premier ministre commettre une erreur ce matin en disant qu'il avait une confiance illimitée dans le ministre de la Justice. Je ne sais pas si le premier ministre est au courant de l'aveu qu'a fait le ministre de la Justice à mon collègue le député de Chomedey concernant ses intentions de nommer certaines personnes à la magistrature.

(15 h 40)

Le Vice-Président (M. Brouillet): On a décidé de ne pas faire allusion à ce que le ministre aurait dit au député de Chomedey, ni directement ou indirectement, à propos de vous savez quel sujet, à propos de nominations. Pourtant, c'était très clair, il me semble que tout le monde a compris. Et je crois que vous passez outre à cette décision que nous avons prise. Alors, je vous inviterais, s'il vous plaît, à ne pas faire référence et allusion à ce que nous avons déclaré comme étant propos interdits dans cette Chambre, dans le cadre de nos débats ici. M. le député de Marquette.

M. Ouimet: M. le Président, je vais me rendre à votre décision, mais je me permets de vous indiquer que je suis fort étonné que je ne puisse pas faire référence à un élément factuel qui vient vicier le processus législatif, la loi que le gouvernement tente d'imposer par sa majorité, alors que nous savons, même si je ne peux pas y faire référence, ce qui risque de se passer une fois que le projet de loi sera adopté. Je suis étonné, M. le Président. Comme je vous dis, je vais me rendre à votre décision, mais, dans les circonstances, il y a deux versions contradictoires...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Excusez. Je veux être très clair. Que vous analysiez le contenu du projet de loi et les conséquences que vous y voyez, c'est une chose. Mais vous étiez en train de faire référence à des propos que le ministre aurait dits à... et c'est sur ce point-là que je vous ai rappelé à l'ordre, s'il vous plaît, et non pas sur l'analyse du projet de loi et les conséquences que vous y voyez, je pense que ça fait partie du débat. Alors, je vous donne la parole, M. le député.

M. Ouimet: Alors, je disais, M. le Président, que nous étions étonnés ce matin d'entendre le premier ministre indiquer qu'il avait une confiance illimitée en son ministre de la Justice, malgré les informations...

Des voix: Bravo!

M. Ouimet: Oui, c'est ça. Belle démocratie! Voilà comment on protège quelqu'un. Voilà comment on protège quelqu'un qui fait l'objet de tant de critiques, quelqu'un, je vous le rappelle, qui avait déposé un projet de loi qui allait à l'encontre de la Charte des droits et libertés de la province de Québec. Je me demande si c'est à ça que le député de Sainte-Marie–Saint-Jacques fait allusion. C'est à ce genre de chose là qu'il applaudit. On connaît son comportement, et je pense qu'on n'a pas besoin d'aller plus loin sur lui.

M. le Président, le Barreau du Québec s'oppose avec véhémence, avec beaucoup de vigueur au projet de loi que le gouvernement tente de faire adopter. Et il n'y a personne qui va faire taire l'opposition. C'est un mauvais projet de loi, et nous allons voter contre.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Marquette. Je vais maintenant céder la parole à Mme la députée de Mégantic-Compton. Mme la députée.


Mme Madeleine Bélanger

Mme Bélanger: Merci, M. le Président. J'interviens aujourd'hui dans le cadre de la prise en considération du rapport de la commission parlementaire ayant étudié la Loi sur la justice administrative.

Étant donné que cette prise en considération survient après un bâillon, il nous est loisible de dire qu'il s'agit en quelque sorte d'une prise en considération forcée. Autrement dit, nous sommes ici en présence d'une procédure du gouvernement qui a consisté à bulldozer l'Assemblée nationale concernant l'étude du projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative.

À cet égard, il m'apparaît impossible, à moi en tant que parlementaire et au nom des électeurs et électrices que je représente ici, à l'Assemblée nationale, de passer sous silence cette procédure inacceptable et inappropriée, qui d'ailleurs était très décriée par le gouvernement actuel lorsqu'il était dans l'opposition.

Pour ce faire, je rappellerai une lettre du 4 décembre 1996 écrite au premier ministre lui-même par le bâtonnier du Québec, M. Claude Masse, qui dit, et je cite: «C'est avec stupéfaction que nous apprenions le dépôt à l'Assemblée nationale, le 28 novembre dernier, d'une motion de clôture concernant les travaux de la commission parlementaire sur le projet de loi n° 130 portant sur la justice administrative.» Stupéfaction, dit le bâtonnier. Les commettants et les commettantes dans mon comté sont tout aussi stupéfaits que le bâtonnier lui-même devant la procédure du bâillon imposée par le ministre de la Justice et dont se fait complice le leader du gouvernement. Stupéfaction aussi devant le silence du premier ministre dont on ne sait même pas s'il a pris connaissance de cette lettre – de toute façon, durant la période des questions, le chef de l'opposition lui en a lu une partie – et pour laquelle nous ne connaissons pas la réponse, si réponse il y a.

En fait, il y en a une réponse à cette stupéfaction du Barreau du Québec. Cette réponse, nous l'avons aujourd'hui, puisque le gouvernement continue, poursuit dans cette procédure du bâillon et, après avoir imposé une motion de clôture à la commission parlementaire, il force aujourd'hui la prise en considération du rapport de la commission parlementaire. M. le Président, quelle est la valeur, aujourd'hui, de cette prise en considération du rapport? Je me le demande, puisque cette prise en considération, elle a été forcée et, surtout, elle a été précipitée, car la commission des institutions n'avait pas fini son travail d'étude du projet de loi article par article étant donné que le gouvernement y a mis fin unilatéralement par la force et à l'aide de sa majorité ministérielle par laquelle il peut écraser l'opposition.

Ce que le gouvernement devrait comprendre ici, tout comme le ministre de la Justice, c'est qu'avec cette procédure de bulldozer non seulement écrase-t-il l'opposition officielle, il écrase ni plus ni moins le Barreau du Québec. Pas une quelconque association regroupant quelques dizaines de personnes, pas un groupuscule de gens opposés à la réforme, pas un éminent professeur d'université qui est d'avis, à tort ou à raison, que la réforme n'est pas bien ficelée, le Barreau du Québec, qui compte près de 18 000 membres, avocats et avocates. C'est notre élite qui est bâillonnée, M. le Président. Les propos du bâtonnier sont extrêmement durs à l'endroit du ministre de la Justice. Le Barreau du Québec, dans sa lettre du 4 décembre, dit qu'il juge inconcevable que le gouvernement force l'adoption d'une telle pièce législative. «En l'absence de consensus des milieux intéressés sur les éléments fondamentaux de la réforme proposée, nous considérons, M. le Président, prématurée...» Ce n'est pas l'opposition qui parle, ce n'est pas les députés qui parlent, c'est le Barreau du Québec. C'est 18 000 avocats et avocates qui parlent et qui disent: Nous considérons prématurée et inappropriée l'adoption de cette réforme.

Où est l'urgence d'adopter avant les Fêtes le projet de loi n° 130, s'interroge le bâtonnier du Québec. Il semblerait que, en dépit des beaux discours et des belles paroles du ministre et de son fidèle serviteur, le leader du gouvernement, qu'en dépit, dis-je, de ses paroles... Oh! Je pense que je vais passer par-dessus. Avec votre directive de tout à l'heure, je vais passer un petit bout. J'ai trop de respect, ici, M. le Président, pour reprendre un débat qui nous a déchirés et pour lequel vous avez rendu une décision que je me dois de respecter, mais vous savez très bien qu'il semblerait que, dans les réunions à huis-clos, là où il n'y a pas de micro, là où il n'y a pas de galées, le ministre de la Justice, pour une fois dans sa vie, ait été un peu plus transparent quant à l'urgence d'adopter avant les Fêtes le projet de loi n° 130. Oui, c'est ça. Point.

Tout le monde a compris. Nous avons aussi compris, les ministériels aussi ont compris, et c'est pour cela qu'ils n'interviennent pas sur le projet de loi n° 130. Ils savent trop bien quelles sont les intentions réelles du gouvernement dans le projet de loi n° 130 et pourquoi ils forcent de toute urgence l'adoption avant les Fêtes de ce projet de loi. Le projet de loi n° 130, M. le Président, ne mettra pas fin au favoritisme et aux nominations partisanes devant les tribunaux quasi judiciaires. Non. Il semblerait que ça n'en soit que le début. Quand le bâtonnier du Québec écrit directement au premier ministre, le bâtonnier du Québec démontre qu'il a très bien compris: Il ne faut plus passer par le ministre de la Justice, il faut aller voir le patron directement. Quand le bâtonnier dit dans sa lettre: «En l'absence de consensus des milieux intéressés sur les éléments fondamentaux de la réforme proposée...», à quoi le bâtonnier du Québec fait-il référence, M. le Président? Il fait référence à cette lacune majeure quant au projet de loi, cette lacune qui fait en sorte que ce projet de loi permettra ni plus ni moins au ministre de mettre en place ses amis, et ce, comme un beau cadeau avant Noël.

(15 h 50)

C'est sûr que c'est réjouissant pour ce gouvernement incapable de créer des emplois, un gouvernement qui a présidé, depuis janvier dernier, à la perte de 60 000 emplois au Québec. Bien là, M. le Président, avant les Fêtes, juste à temps pour Noël, un beau cadeau pour quelques amis du régime, des jobs, des nominations devant les tribunaux quasi judiciaires, c'est là l'urgence. L'urgence, c'est de s'empresser de faire un cadeau juste à temps pour Noël, un beau cadeau, des jobs dans les tribunaux quasi judiciaires, et c'est pour ça que la réforme est inacceptable. La réforme du ministre de la Justice, encore une fois, est une réforme bâclée, comme dans le cas de l'aide juridique. Dans le cas de l'aide juridique, l'opposition avait mis en garde le gouvernement. L'opposition s'était battue jusqu'à la dernière minute pour empêcher l'adoption d'une réforme bâclée aux effets désastreux. Eh bien, ça se passe exactement comme ça aujourd'hui; le gouvernement a préféré bâillonner l'opposition.

Alors, M. le Président, six mois plus tard, six mois après le bâillon du mois de juin sur la Loi sur l'aide juridique, devant le gâchis du ministre en matière d'aide juridique, gâchis que l'on peut constater aisément à la lecture de n'importe quel journal, qui avait raison? Ceux qui se sont opposés à la réforme ou ceux qui en ont forcé l'adoption par un bâillon? La réponse, vous la connaissez tout aussi bien que moi, M. le Président, mais, dans votre fonction, vous ne pouvez intervenir. Et c'est heureux qu'il en soit ainsi, ça vous conserve une certaine neutralité. Mais, au fond de vous, je suis certaine que vous la connaissez, la réponse. La réponse, c'est que, dans le projet de loi n° 130 tout comme dans l'aide juridique, la réforme du ministre, ce ne sont pas les bâillonnés qui ont tort, mais le bâillonneur. Merci.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, Mme la députée de Mégantic-Compton. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Nelligan. M. le député.


M. Russell Williams

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Je me lève aujourd'hui, profondément déçu comme démocrate par le comportement de ce gouvernement. Je vais expliquer, dans le court temps que j'ai pour discuter de ce bâillon, pourquoi je pense ça. Mais, avant de dire quelques commentaires sur le projet de loi ou particulièrement le bâillon sur le projet de loi n° 130, je voudrais prendre cette opportunité en public de féliciter mon collègue le député de Chomedey, qui a fait un travail extraordinaire comme critique de l'opposition en matière de justice. Il est un ami de longue date, mais je suis de plus en plus fier de ses interventions. Et l'image que j'ai expliquée à mes enfants, c'est que, quand il y a le député de Chomedey et le ministre de la Justice seuls dans la salle, juste deux personnes, je suis au moins confiant qu'il y en a un qui comprend la loi, qui lit nos lois et aussi qui défend la justice pour la population québécoise, et je suis certain que cette personne c'est le député de Chomedey et non pas le ministre de la Justice. Et je pense que c'est important de le dire, parce que, de plus en plus, la population perd confiance dans le gouvernement, certainement envers le ministre de la Justice et le système lui-même, pas à cause des travailleurs et travailleuses dans le système, mais à cause de l'incompétence de ce gouvernement.

Je trouve ça aussi intéressant, M. le Président, que, depuis le débat sur le projet de loi n° 130 et le bâillon sur le projet de loi n° 130, il y a eu, selon mon information, juste un ministre, le ministre de la Métropole, le député de Laval-des-Rapides, qui s'est levé pour défendre son collègue. Ce n'est pas surprenant que les députés ne prennent pas la parole. Il me semble qu'ils sont embarrassés de ce qui se passe parce qu'ils sont... Et je connais plusieurs des députés de l'autre côté, ils ont parlé avec moi, et ce n'est pas la façon dont ils veulent gouverner. Si, et je lance un défi à tous les ministres ici, dans la salle, et à tous les députés de l'arrière-banc et à tous les adjoints parlementaires, s'ils sont fiers de ce bâillon, qu'ils se lèvent aujourd'hui pour défendre le bâillon, défendre que vous êtes en train de mettre la démocratie de côté. Et je suis certain, par leur comportement jusqu'à maintenant, qu'ils ont honte de cette action, ils sont embarrassés. Et j'espère qu'ils vont avoir le courage de se lever quand il y aura une opinion contre ce gouvernement et de dire effectivement qu'ils sont contre le bâillon. Ils sont pour la démocratie et ils sont pour une bonne façon de nommer les juges dans les tribunaux quasi judiciaires. Mais ce n'est pas ça qu'ils ont trouvé dans le projet de loi. Je lance le défi aux députés du côté ministériel de se lever, prendre la parole avec nous, défendre la population québécoise, défendre les intérêts des Québécois et Québécoises, s'assurer qu'il y ait la transparence dans notre système, sinon je vais commencer à les mettre tous dans le même jugement que j'ai déjà décidé sur le ministre de la Justice.

Hier, M. le Président, j'ai compris qu'il y a certains mots que je ne peux pas utiliser. J'ai compris qu'il y a certains mots que je ne peux pas utiliser, et ça rend ma tâche, aujourd'hui, difficile, parce que, si je voulais dire vraiment ce que je pense, si je voulais dire vraiment ce que j'ai entendu en dehors de cette Chambre, j'utiliserais des mots qui ne sont pas parlementaires. Avec ça, M. le Président, je vais choisir mes mots prudemment. Mais je voudrais dire aussi que ce qui se passe ici, dans cette Chambre, est complètement inacceptable et va mettre, je pense, en doute la confiance et l'avenir même de notre système judiciaire, parce que le ministre est en train de faire des choses incorrectes. Il est en train de mettre toutes les questions d'indépendance, transparence, à côté. J'ai dit que je vais choisir mes mots comme il faut, mais il me semble que ça n'est pas la place, dans notre système judiciaire, pour placer les amis du gouvernement, ce n'est pas la place pour placer les amis du Parti québécois, ce n'est pas une place pour placer les amis du ministre. M. le Président, j'espère que vous êtes mal à l'aise avec ça aussi, parce que nous sommes en train de mettre tout le système en péril.

M. le Président, j'espère que vous allez trouver les moyens, avec votre pouvoir comme président, de convaincre le gouvernement que ce n'est pas une façon de gouverner. Il est en train de nous bâillonner avant la troisième lecture de ce projet de loi. Ils ont arrêté... Je voudrais m'assurer que les personnes qui nous écoutent comprennent ça. Nous étions en commission – et je vais expliquer ce qui s'est passé en commission – à étudier ce projet de loi, et, selon ma mémoire, presque 80 % du projet était adopté. Mais non, il veut bâillonner l'opposition avant même que le rapport ait été déposé ici, à l'Assemblée nationale. Bâillonner avant la fin des travaux de la commission, c'est quelque chose. C'est quoi, l'urgence? Vous savez, il n'y a aucune urgence, sauf de nommer les amis du gouvernement.

(16 heures)

Mr. Speaker, as I said before, in the justice system, we should not be making patronage appointments, we should not be using the system to place the friends of the Government, the friends of the party or the friends of the Minister in nice posts. It should be decided on competence. We should not have a line-up at a trough of the friends of the Minister. The Minister of Justice, of all people, should be above all partisan nominations. He should not in any way whatsoever allow patronage to slip in to his decision-making process. It is unacceptable and it is not surprising that the «Barreau» has come out against this «projet de loi» – certainly come out against the «bâillon», but come out against this «projet de loi». That is not the way you are going to protect the confidence in our justice system. And you know that justice must be seen to be independent and transparent, otherwise it won't work. The Minister, with Bill 130, is putting the whole fundamental premises of the system in doubt. Mr. Speaker, I find that fundamentally wrong.

C'est pourquoi j'ai dit quand j'ai commencé mon intervention, M. le Président, que je suis profondément déçu du comportement de ce gouvernement. Il y a plusieurs avocats et avocates comme députés; ils connaissent les règles mieux que ça. Il me semble que, comme le Barreau a dit, c'est un projet de loi prématuré et inapproprié. Ils ont dit qu'on doit protéger le droit d'appel et aussi l'indépendance de notre système. Je peux citer cette lettre un peu plus tard.

Mais il y a une autre chose qui m'a tellement frappé quand j'ai entendu le contenu du bâillon, et c'est une chose que je n'ai jamais entendue depuis ma première élection il y a sept ans passés, M. le Président. Je voudrais expliquer comme il faut ce qui s'est passé pendant l'étude détaillée de ce projet de loi en commission. Le député de Chomedey, toujours avec le bien-être de la population comme objectif, a proposé à l'article 5 l'amendement, et je pense que j'ai les bons mots pour ça, il a ajouté, dans des mots juridiques, «sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables». C'est les mots juridiques qu'il a prononcés.

Selon ma compréhension, la façon dont le député de Chomedey a défendu ça, il a dit que c'était pour protéger les droits des citoyens. Maintenant, le ministre a accepté ça; il a accepté l'amendement pour protéger... En cachant... Il est arrivé avec un amendement et maintenant il est en train de briser sa parole, de ne pas respecter sa parole. Il est en train, actuellement, de passer un amendement qui contredit cet amendement, en cachant... en bâillonnant. Avec ça, c'est clair, le ministre est en train d'enlever les droits de la population québécoise. C'est inacceptable, M. le Président; c'est inacceptable comme façon de travailler.

J'ai déjà entendu ce matin ici, à Québec, des personnes qui commencent à questionner le rôle de la commission. Si le ministre peut arriver à la toute dernière minute avec un bâillon, et il ne respecte pas sa propre parole, et il est en train d'amender l'amendement qu'il a déjà accepté, il me semble que maintenant on doit... Le gouvernement est en train de mettre toute la démocratie en doute. J'espère que vous tenez compte de ça, M. le Président, quand vous êtes en train d'étudier ce projet de loi. Et on doit arrêter le comportement non démocratique de ce gouvernement et de ce ministre. Merci beaucoup.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Nelligan. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Montmagny-L'Islet. M. le député.


M. Réal Gauvin

M. Gauvin: Merci, M. le Président. La prise en considération du rapport de la commission sur le projet de loi n° 130, c'est une situation un peu particulière parce que, normalement, à l'occasion de la prise en considération, on peut vous expliquer, on peut vous décrire les travaux qui ont été faits en commission parlementaire, les amendements qui ont été apportés et la collaboration de l'opposition dans des situations semblables. Mais là c'est une situation tout à fait différente. Un projet de loi important, un projet de loi que le député de Chomedey a pris des heures et des heures à expliquer, à tenter d'expliquer d'abord au ministre de la Justice, ministre responsable de ce projet de loi là, aux députés formant le gouvernement d'une part et à l'Assemblée nationale dans son ensemble.

Ça fait plusieurs mois, ça a commencé dès les mois d'avril et mai, où la population a été sensibilisée. Les intervenants, les avocats, le Barreau ont commencé à sensibiliser la population d'abord mais aussi les élus, ceux qui siègent ici, à l'Assemblée nationale, au sujet d'un projet de loi d'importance. Plusieurs de mes collègues l'ont mentionné ici à plusieurs reprises que le projet de loi n° 130, c'est un projet de loi... Et on se doit de le répéter, M. le Président, à ce moment-ci parce que la population nous écoute. Et c'est peut-être la première fois que certaines personnes, chez elles, écoutent les députés ou entendent les députés débattre sur un projet de loi qui a une très grande importance pour elles, et elles se demandent ce que comporte ce projet de loi parce que c'est la première fois qu'elles entendent ce débat-là à l'Assemblée nationale, bien que ça fasse plusieurs heures que le projet de loi est débattu ici, dans cette enceinte.

Ce projet de loi institue le Tribunal administratif du Québec. Il détermine ses pouvoirs, énumère les recours qui sont de sa compétence. Tout le monde reconnaît que c'est un projet de loi qui va jouer un rôle d'importance. Une autre partie du projet de loi, c'est qu'il traite également des devoirs et pouvoirs généraux des membres de ce Tribunal, plus particulièrement des conflits d'intérêts, des activités incompatibles et de l'exclusivité de fonctions. Ce projet de loi là aussi traite d'un autre point, c'est-à-dire du fonctionnement de ce Tribunal, particulièrement des fonctions administratives du président et des vice-présidents, des séances du Tribunal, de son personnel et de ses ressources.

M. le Président, je pense qu'on va tous reconnaître, et vous le premier parce que vous avez eu la chance d'apprécier les commentaires qui ont été faits par plusieurs parlementaires... Mais ce qui est plus important, c'est de pouvoir continuer à sensibiliser la population. On comprend très bien que vous l'êtes et on est très surpris que le ministre de la Justice et ses collègues n'aient pas cru bon d'écouter davantage et de reporter ce projet de loi là à plus tard pour pouvoir entendre davantage les revendications de tous ceux et celles... les revendications qui s'intensifient jour après jour, parce que nous avons...

Justement, hier le Barreau du Québec a fait une nouvelle tentative pour tenter de faire réfléchir le ministre de la Justice sur l'impact, l'importance et les conséquences du projet de loi n° 130. Il lui a dit – comme vous le savez, pour en avoir beaucoup entendu parler, surtout dans les milieux chargés de la défense des plus démunis de la société... Il a tenté de le sensibiliser: La réforme de l'aide juridique, telle que mise de l'avant par le ministre de la Justice, a déjà commencé à faire ressentir ses effets. Donc, je pense que c'était pertinent hier que le Barreau du Québec porte à l'attention de l'Assemblée nationale, des députés ici, à l'Assemblée nationale, et surtout du ministre de la Justice les effets que déjà le projet de loi peut avoir, les conséquences.

Un nombre considérable de personnes qui y avaient droit auparavant ne sont plus couvertes par ce régime. Malgré l'affirmation du ministre que 650 000 personnes de plus y sont admissibles, le nombre de clients acceptés accuse une diminution de l'ordre de 50 % dans certaines régions. Qui plus est, l'entrée en vigueur du volet contributif le 1er janvier prochain ne fera qu'accentuer cette tendance. Enfin, la base même de ce régime est sérieusement menacée. En effet, M. le ministre a pratiquement forcé les avocats de pratique privée de s'en retirer en imposant unilatéralement une rémunération ne leur permettant même pas de couvrir leurs frais. Pourtant, en 25 ans, le Québec avait pu mettre en place le régime d'aide juridique le plus performant aux coûts les plus bas au Canada.

Et le Barreau du Québec continue, et ça, c'était hier, M. le Président. Je pourrais vous lire toute la lettre, mais je pense que c'était la partie essentielle. En même temps, le Barreau du Québec écrit au premier ministre pour tenter, par les moyens qu'il a – et je pense que c'est par les voies normales, naturelles... écrit aux députés ici, de l'Assemblée nationale, à tous les députés. Le Barreau du Québec écrit au premier ministre du Québec pour tenter de le sensibiliser à nouveau, et ça, c'était hier, et je pense que la population est en mesure d'apprécier les efforts qui sont faits par ceux et celles, les professionnels de la justice qui sont là pour les défendre. C'est ce qu'ils ont fait dans le passé et c'est ce qu'ils souhaitent continuer de faire, si on leur en donne les moyens. On ne vient pas tout chambarder le système des tribunaux administratifs.

«On pourrait peut-être – et il s'adresse au premier ministre – penser que l'opposition manifestée par le Barreau a d'autres motifs que ceux que nous connaissons et qui ont été énoncés, que le Barreau n'est pas prêt à cette réforme parce qu'il y a peut-être pour lui des implications au niveau de ses membres, au niveau des mandataires qu'ils peuvent avoir – et je pense que c'est beaucoup plus que ça – et qui motive des questions de fond du projet.» Donc, ils viennent sensibiliser le premier ministre sur les questions de fond, M. le Président.

(16 h 10)

M. le maire de la ville de Québec, M. L'Allier, écrivait justement au premier ministre, d'une part, et lui demandait, M. le maire, d'apporter un amendement à l'article 116. L'amendement se lisait comme suit, et je pense que c'est tout à fait pertinent: «Les municipalités ainsi que les communautés urbaines ne sont pas soumises à cette obligation.» Le maire de la ville de Québec aurait souhaité que les municipalités ne soient pas soumises à cette mesure, et il a décrit tout l'impact qu'elle pouvait avoir pour les municipalités. Et je pense que, M. le Président, le maire de la ville de Québec est tout à fait bien placé pour expliquer, justement, au nom d'autres maires, surtout de villes-centres, l'impact que pourrait avoir le projet de loi.

Donc, M. le Président, il est difficile de comprendre, et encore davantage pour la population, pourquoi le ministre de la Justice s'entête, pourquoi le gouvernement du Québec s'entête à vouloir faire adopter ce projet de loi, ce qu'il est en train de réussir, dans quelques heures, s'il n'a pas, à un moment donné, j'allais dire, un nouveau remord de conscience pour l'amener à reporter à plus tard et à prendre en considération les revendications de tous ceux et celles que nous avons mentionnés ici.

J'aimerais tout simplement vous rappeler, M. le Président – et je l'ai mentionné tantôt – que ce n'est pas d'hier. On a parlé qu'on a commencé aux mois d'avril, mai et juin à décrire tous les problèmes que pouvait poser cette réorganisation. Ça s'est continué en septembre, octobre, la documentation qui est entrée, de professionnels, comme on le mentionnait à nouveau, et ils ont décrit, ils nous ont donné des exemples très pertinents. À tout ça, M. le Président, le ministre de la Justice a fait la sourde oreille. À certaines occasions, plusieurs ont remarqué que ça avait même été jusqu'à l'arrogance, pour en arriver à ne pouvoir... à mettre de côté les arguments présentés et à faire fi de ceux d'abord du Barreau, de ceux de plusieurs autres groupes et surtout, M. le Président, de la population québécoise, qui est en cause dans ce projet de loi. Donc, encore une fois, on insiste, et on va devoir voter contre ce projet de loi là et expliquer à la population du Québec, continuer d'expliquer à la population du Québec pourquoi on était contre ce projet de loi là. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Montmagny-L'Islet. Je vais maintenant céder à parole à M. le député d'Orford. M. le député.


M. Robert Benoit

M. Benoit: Oui. Merci, M. le Président. Pour la deuxième fois, je vais prendre la parole sur le projet de loi n° 130, M. le Président. Je dois avouer qu'on est complètement abasourdis, de ce côté-ci de la Chambre. Après les avis que le ministre a eus, deux avis du Barreau du Québec, après le fait que l'opposition a travaillé avec le ministre pour faire passer 78 % des articles de ce projet de loi là, après cette volonté que nous avions d'arriver, effectivement, à une amélioration du système de justice du Québec, on se voit, M. le Président, devant un bâillon, et on a l'impression qu'ici on parle plus de structures que des besoins des citoyens.

Je pense que, dans les quelques minutes qui me sont données, on doit, d'abord les gens qui nous écoutent ici, réaliser que la social-démocratie telle qu'on la pratique au Québec, c'est une social-démocratie de structures, M. le Président. Et, à chaque fois qu'il y a un problème, on a l'impression qu'en créant une nouvelle patente quelque part ça va aider la situation. On s'aperçoit que ce n'est pas ça qui est la solution. Les démocraties qui fonctionnent alentour de nous, celle du Nouveau-Brunswick ou ailleurs, sont après éliminer les structures, M. le Président, elles ne sont pas après en créer de nouvelles. Alors, nous, on a essayé de faire valoir ces points de vue là au ministre et on est bâillonnés.

Pour les gens qui nous écoutent ici, cet après-midi, bâillonner, ça veut dire, dans le dictionnaire, empêcher la liberté d'expression, réduire au silence; bâillonner l'opposition, bâillonner la presse. Alors, le Parti libéral, qui fait un job d'opposition, qui essaie de faire valoir les points de vue des gens qui étaient avec nous aujourd'hui, les avocats du Québec, le bâtonnier du Québec, le maire de Québec, des gens qui nous ont fait valoir des points de vue importants, on ne veut plus l'écouter. Il faut réaliser que, quand on est rendu à bâillonner les députés, probablement qu'on a aussi pilé sur d'autres libertés fondamentales de la démocratie.

Et je veux rappeler aux gens qui nous écoutent que, quand on est rendu à empêcher le droit de parole à la députation de l'opposition, il ne faut pas se leurrer si d'autres libertés dans notre société peuvent être mises à épreuve. Vous savez, nos libertés fondamentales, celle de se réunir, celle de manifester, celle de pétitionner, celle d'écrire des lettres ouvertes, celle d'élire des citoyens, il n'y en pas une qui est plus haute que l'autre. La liberté, c'est quelque chose de large. Ici, ce qu'on a, c'est un député de l'opposition qui devra voir qu'on ne veut plus l'entendre, et on va passer.

S'il y avait juste l'opposition qui n'était pas d'accord avec le ministre, on pourrait toujours dire: Bien oui, mais c'est parce que eux, c'est l'opposition; ils ne font que s'opposer. Nous recevons des fax de toutes les parties du Québec. Nous avions ici des centaines de citoyens qui ont assisté à la période de questions et qui nous disaient: Ne lâchez pas, c'est vous qui avez raison. Vous avez été élus pour faire valoir ces points-là de la démocratie. Et c'est en leur nom que nous nous exprimons ici aujourd'hui et que nous allons continuer à le faire pour dire que des centaines de gens au Québec ne sont pas d'accord avec le projet de loi n° 130. Et, pour n'en nommer que deux: le bâtonnier du Québec, que le ministre a ridiculisé à moult occasions, et le bâtonnier a été obligé d'aller très loin dans ses propos... Dans les dernières heures, le maire de Québec, les gens de l'aide juridique, les avocats de pratique privée, plein de gens qui nous appellent dans nos bureaux et qui nous disent: Ne laissez pas passer ça; le ministre, encore une fois, est après commettre une erreur.

C'est le deuxième bâillon que ce ministre fait, M. le Président. Ça veut dire quoi, ça, pour les gens qui nous écoutent? Ça veut dire que ce ministre-là n'a pas la compétence, l'autorité morale, le pouvoir au Conseil des ministres de faire avancer ses affaires. La seule façon dont il peut arriver à les faire avancer, c'est en empêchant l'opposition de parler, en limitant une des plus grandes forces de la démocratie, celle de permettre à ceux qui n'ont pas eu la majorité dans cette Chambre de faire valoir le point de vue des plus démunis, des gens qui sont moins écoutés, des gens qui sont moins organisés dans la société.

Vous savez, M. le Président, ce projet de loi là aussi, en démocratie, il faut le dire, ce n'est pas un projet de loi où on est après réglementer la grandeur des carrés de sable dans les garderies, ce n'est pas le projet de loi où on est après décider de la couleur de la margarine; c'est un projet de loi qui va au plus profond de la démocratie, soit sur les tribunaux administratifs. Il n'y a pas un citoyen au Québec qui n'a pas été pris dans les dernières années avec en quelque part un tribunal administratif, que ce soit la régie des terres agricoles, que ce soit un tribunal de la santé, que ce soit... Ah, il y en a une trentaine au Québec. Alors, les citoyens, ça a une implication directe sur leur vécu à tous les jours ou à peu près. Il n'y a pas un jour, quand on est dans nos bureaux de comté, qu'on n'a pas un citoyen qui est pris avec un de ces tribunaux-là.

Et là on est après, je dirais, comme le disait si bien le Barreau du Québec, dépolitiser. C'est ça qu'on voudrait, nous. Mais non. On veut nommer des gens pour cinq ans pour les garder attachés, hein, pour pouvoir ensuite les renommer ou ne pas les renommer, et le Barreau s'oppose à ça. Alors, on n'est pas d'accord. On n'est pas d'accord jusqu'à la dernière limite. Avec notre porte-parole, on va se battre parce qu'on ne veut pas que ce projet n° 130 passe.

Et je finirai en disant, comme à peu près tous mes confrères, mais dans d'autres mots: C'est une triste journée pour la démocratie. C'est une noire journée pour la démocratie, M. le Président. Vous savez, la semaine passée – ce n'est pas juste une sombre journée pour la démocratie, c'est un sombre mois pour la démocratie – on n'a jamais eu tant de manifestants dans la ville de Québec. Il y a plus de manifestants dans la ville de Québec qu'il y a de touristes dans la ville de Québec.

(16 h 20)

Quand ce ne sont pas les agriculteurs, ce sont les avocats. Quand ce ne sont pas les avocats, ce sont les enseignants. Quand ce ne sont pas... À tous les jours, il y a des gens qui se disent pas écoutés par ce gouvernement. Il y a des ministres qui sont assis devant moi et qui ont même fait l'effort d'aller les rencontrer dans des bureaux, et puis là les gens ont dit: On ne veut plus vous rencontrer. Je pense au ministre de l'Environnement. Ils ont dit: Écoutez, on ne veut plus parler. Ça ne donne plus rien, vous ne nous écoutez pas. Alors, les gens se sont levés puis ils ont sacré leur camp. Ce n'est pas des farces, c'est là qu'on est rendu en démocratie. Le ministre va les rencontrer. Il disent: On ne veut plus te parler, ça ne donne rien. Alors, nous, c'est l'impression qu'on a. Un peu comme ces gens qui se sont levés dans le bureau du ministre, qui ont sacré leur camp, c'est un peu l'impression qu'on a. C'est un peu l'impression... C'est qu'ils sont là comme des statues de l'île de Pâques à écouter, mais il n'y a rien qui passe. Il n'y a rien qui passe.

Alors, malheureusement, on est bâillonné. On est bâillonné, et, s'il y avait juste les députés de l'opposition qui étaient bâillonnés, ce ne serait pas si tant pire, mais c'est pire que ça, c'est le peuple qui est bâillonné. C'est le peuple qui est bâillonné, M. le Président. Ils peuvent bien rire de l'autre bord, ce même ministre que les citoyens se sont levés puis à qui ils ont dit: Reste tout seul dans ton bureau. Des environnementalistes qui lui ont fait ça. On a la même impression ici, qu'on n'est pas écouté. Mais c'est le peuple qui n'est pas écouté. Nous, on a été élus par le peuple, ici, et on n'est pas écoutés. Alors, c'est un grave jour pour la démocratie, c'est une grave semaine pour la démocratie et c'est une page noire dans l'histoire du parti péquiste, et ça, il faut le comprendre. Merci.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député d'Orford. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Westmount–Saint-Louis. M. le député.


M. Jacques Chagnon

M. Chagnon: Merci, M. le Président. Le député d'Orford faisait allusion – et je trouvais l'allégorie quand même assez jolie – aux statues de l'île de Pâques. On a l'impression que les parlementaires devant nous, les parlementaires ministériels, sont comme les statues de l'île de Pâques. Ils sont les premiers bâillonnés sur un sujet aussi important que le projet de loi n° 130 qui vient réformer les tribunaux administratifs. Les statues de l'île de Pâques qui sont devant nous ont la bouche grande ouverte, mais elles ne font aucun bruit. On a devant nous un parti ministériel littéralement sidéré, un parti ministériel qui est à toutes fins pratiques presque inaudible sur une question aussi importante que les tribunaux administratifs.

M. le Président, si nous revenons au fond de la question, le ministre de la Justice nous a indiqué en Chambre – et vous en avez été témoin – qu'il avait un blanc de mémoire. Le ministre de la Justice, il a plus qu'un blanc de mémoire. C'est un blanc qui fait en sorte d'oublier les concitoyens. Les citoyens du Québec ont aujourd'hui des droits de recours officiels qu'ils vont perdre si jamais nous adoptons le projet de loi n° 130. Ils ont des droits d'appel qu'ils ne retrouveront jamais si nous adoptons le projet de loi n° 130. Et chacun des membres de ce Parlement doit, à mon avis, voir comme importants les droits des concitoyennes et concitoyens du Québec. Les droits de recours des citoyennes et des citoyens du Québec sont, à mon avis – encore une fois, à mon humble avis – quelque chose qui devrait être protégé comme la prunelle de nos yeux de parlementaires, quel que soit le côté où nous siégeons. Mais il est évident que le parti ministériel a fermé les yeux sur les droits de recours des citoyennes et des citoyens du Québec, leur droit d'appel eu égard à des décisions qui pourront être prises ultérieurement par des tribunaux administratifs pour lesquelles ils n'auront absolument aucun... finalement, où ils verront leurs droits s'amenuiser.

C'est la raison pour laquelle le 11 décembre dernier – on est le 12, pas plus vieux qu'hier – une intervention majeure du Barreau et du bâtonnier, qui nous dit très clairement en page 2: «Comment le ministre justifie-t-il un appel exclusif dans ces secteurs et non dans l'autre? – parlant des dossiers qui vont toucher des garanties de protection nécessaires. L'appel partiel et sur permission en matière d'expropriation, d'évaluation foncière ou de protection du territoire agricole proposé par le ministre est insuffisant.» C'est un jugement du Barreau, là. Ce n'est pas les derniers venus puis ce n'est pas l'opposition officielle, c'est le Barreau, spécialiste dans ces matières, qui vient nous dire que l'approche privilégiée par le ministre n'a pas de sens.

Je continue, M. le Président: «Les citoyens perdraient une trentaine de recours en appel devant les juges de la Cour du Québec qui offrent des garanties d'indépendance et d'impartialité supérieures à celles prévues pour les membres du Tribunal administratif proposé.» M. le Président, quiconque a fait affaire avec la Cour du Québec, actuellement, sait qu'il y a des spécialistes à la Cour du Québec qui sont des spécialistes particulièrement doués en matière de dossiers qui touchent les évaluations, l'expropriation, des choses comme celles-là. On sait qu'il y a des droits d'appel qui sont existants actuellement en ce qui concerne la protection du territoire agricole et aussi les dossiers d'évaluation foncière. C'est assez important, dans une société, des droits comme ceux-là, qui touchent des droits réels et qui sont susceptibles dorénavant de voir à l'ensemble... de faire en sorte que l'ensemble de la population du Québec perde ses droits d'appel dans des dossiers aussi cruciaux, pour une bonne partie d'entre nous.

Et c'est là ce qui me fait dire que, oui, le ministre de la Justice a eu un blanc de mémoire en ce qui concerne la protection des droits d'appel de ses concitoyennes et de ses concitoyens du Québec, et ça, M. le Président, c'est majeur. Le ministre de la Justice a aussi un blanc de mémoire, un autre blanc de mémoire, en ce qui concerne son propre programme de parti, l'autre façon de gouverner. L'autre façon de gouverner devait faire en sorte, en page 13 du programme, «Des idées pour mon pays»... Bien, des idées pour mon pays puis des idées pour mon parti, c'est des idées parties, parties à pied.

L'article 1.4: «La justice et la sécurité des personnes. En matière administrative, une loi-cadre couvrant l'ensemble des organismes ou personnes exerçant des fonctions quasi judiciaires – ce qui ne sera pas le cas – sera adoptée pour assurer aux administrés des décisions rendues par une personne ou un organisme impartial et indépendant.»

Entrez, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: Merci, mon collègue.

M. Chagnon: «Cette loi prévoira des règles de procédure permettant un appel des décisions rendues par ces organismes ou personnes devant la chambre administrative de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure.» Or, c'est exactement le contraire que fait le ministre, avec la loi n° 130. Blanc de mémoire en ce qui concerne la protection des droits d'appel des citoyennes et des citoyens du Québec. Blanc de mémoire en ce qui concerne le programme électoral de son propre parti. Blanc de mémoire en ce qui concerne l'oubli, dans le sens profond, du caractère presque sacramentel – comme dirait le premier ministre – de nos institutions.

Il est vrai que, dans nos institutions... Et le Barreau le reprend à la première page de son texte, de la lettre qu'il nous envoie. Après avoir cité une citation de huit lignes du ministre, le Barreau nous écrit ceci: «De tels propos – parlant des propos du ministre – démagogiques et indélicats tenus par surcroît par un ministre de la Justice jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.»

Mais c'est vrai que ça trahit un sens peu développé des institutions, le projet de loi n° 130. D'une part, l'institution qu'est le droit d'appel des citoyennes et des citoyens, dans une société démocratique, est extraordinairement forte, puissante, élaborée dans notre histoire, et qu'on va venir troquer pour faire en sorte d'accélérer le processus d'adoption de ce projet de loi...

Projet de loi adopté par bâillon, encore un accroc à nos institutions. Le projet de loi a été déposé en décembre 1995. Il comporte 188 articles. Ce n'est pas un projet de loi de six articles, puis on en finit. C'est 188 articles. Une consultation a eu lieu au mois de mars. On a eu une étude détaillée, en commission parlementaire, de 47 heures. L'opposition officielle a réussi à amender avec succès des articles, cinq articles. On a eu une opposition systématique du ministre, qui refusait d'amender plusieurs articles. Sur les 188 articles que contient le projet de loi, il y en a 146 qui sont adoptés, au moment où on se parle, 80 % du projet de loi a été adopté, et le ministre nous impose le bâillon. Ça encore, c'est un accroc aux institutions. On est au deuxième bâillon par le même ministre, dans le même genre de projet de loi. Ça aussi, c'est un troisième accroc aux institutions.

(16 h 30)

Et j'ajouterai, comme accroc aux institutions, le fait de virer cavalièrement des propos et des demandes aussi sensées que celle du maire de Québec, à l'article 116, qui demande que les municipalités, particulièrement les municipalités centrales, les grandes municipalités, ne soient pas soumises à cet article de ce projet de loi. Reviré cavalièrement. Allez vous faire voir, M. le maire! Voilà l'opinion du ministre de la Justice à l'égard des gens qui voudraient, de façon sensée, améliorer son projet. Ils ne savent pas de quoi ils parlent, selon lui.

M. le Président, le ministre de la Justice a eu un blanc de mémoire qui va coûter cher comme oubli en termes de perte des droits d'appel de ses concitoyennes et de ses concitoyens. Le ministre de la Justice a eu un blanc de mémoire en ce qui concerne son propre programme électoral. Le ministre de la Justice a eu une perte de mémoire, et un oubli, et un blanc de mémoire énorme en ce qui concerne le sens de l'institution, qu'il a carrément perdu, ce qui est extrêmement pénible à voir pour un ministre de la Justice, vu même de notre côté. Le premier ministre devrait acquiescer à la demande de l'opposition et, suite au blanc de mémoire du ministre de la Justice, le premier ministre devrait donner son bleu au ministre de la Justice. Merci beaucoup.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Westmount–Saint-Louis. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Beauharnois-Huntingdon. M. le député.


M. André Chenail

M. Chenail: Merci, M. le Président. J'interviens dans le cadre de la prise en considération du rapport de la commission des institutions ayant étudié la controverse du projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative. Je ne peux passer sous silence que cette prise en considération survient après qu'un bâillon a été imposé quant à cette étude en commission parlementaire. Cette façon de procéder avec un bâillon m'amène à faire mes premiers commentaires afin de rappeler la lettre du Barreau du Québec, du 4 décembre 1996, abondamment citée par mes collègues mais dont la sévérité des propos mérite qu'on les répète encore une fois afin de bien faire comprendre, surtout à nos collègues d'en face, que le ministre de la Justice est en chute libre quant à sa crédibilité, je dirais même quant à sa compétence.

Dans cette lettre, donc, M. le Président, le bâtonnier du Québec écrit au premier ministre en lui exprimant sa stupéfaction devant la motion de bâillon. Le Barreau du Québec «juge inconcevable que le gouvernement force l'adoption d'une telle pièce législative qui constitue une réforme majeure de certaines de nos institutions. En l'absence de consensus des milieux intéressés sur des éléments fondamentaux de la réforme proposée, nous considérons prématurée et inappropriée l'adoption de cette réforme.» Le bâtonnier poursuit en disant: «Où est l'urgence à adopter, avant les Fêtes, le projet de loi n° 130...» Cette question du bâtonnier est une question sans réponse, M. le Président. Vous l'aurez bien compris, jamais encore les députés ministériels ne nous ont expliqué quelle est l'urgence d'adopter avant les Fêtes le projet de loi n° 130, où aucun motif valable, basé sur l'intérêt des citoyens, de protection de leurs droits, ne nous a été exprimé. C'est donc une lettre très grave du bâtonnier du Québec qui dénonce en bonne et due forme le bâillon imposé quant au projet de loi n° 130.

Cette façon de procéder, cette façon de légiférer est considérée totalement inappropriée, pour reprendre les propos du bâtonnier. Quant à l'étude d'adoption d'un projet de loi, pourtant, M. le Président, le ministre de la Justice, celui-là même qui impose un bâillon quant au projet de loi n° 130, n'en est pas à une première. En effet, on se souviendra que, dans le cas de la réforme de l'aide juridique, c'est aussi avec un bâillon qu'il a imposé sa loi. Un bâillon. C'est par bâillon que le ministre de la Justice légifère. En fait, il n'y a à son actif que deux réformes: la première, l'aide juridique, la deuxième, le projet de loi n° 130. Deux réformes, deux seules réformes du ministre de la Justice, deux bâillons: un en juin 1996, on s'en souviendra, l'autre présentement.

Il semblerait donc, M. le Président, que le ministre de la Justice soit incapable de mener à terme une réforme sans utiliser des procédures de bâillon. Il semblerait que ça veut dire concrètement que le ministre est incapable de créer des consensus minimums quant à ses réformes et que cela l'oblige à bâillonner ses détracteurs. Dans le cas de l'aide juridique, c'est encore plus intéressant, car le projet de loi n° 20, qui a fait appel à un bâillon, avait été précédé par le défunt projet de loi 87 qui, grâce, il faut bien le dire, à l'excellent travail de l'opposition, avait été écarté et était mort au feuilleton.

Donc, je répète: Deux réformes. La première, sur l'aide juridique, a nécessité de la part du ministre deux tentatives. Il a été obligé de s'y prendre par deux fois avant de mener à terme sa réforme et, en bout de ligne, il a dû utiliser le bâillon. Sa deuxième réforme, sa seule autre réforme, parrainer les tribunaux administratifs: bâillon aussi. Alors, on est forcé de se demander, comme des milliers de Québécoises et de Québécois: Est-ce que le ministre de la Justice est capable de faire une réforme, a-t-il les compétences pour faire une réforme, est-il capable de susciter le moindre consensus? À cette question, je répondrai immédiatement: Oui, le ministre de la Justice est capable de créer des consensus: les consensus qu'il réussit à établir sont ceux autour de sa personne. Il semblerait qu'à peu près tout le monde soit en train de se demander si le ministre est bien à sa place. C'est le seul consensus qu'il est capable de créer. Un espace, M. le Président: l'unanimité autour de l'incompétence de sa personne, de son oeuvre et de sa façon de gouverner et de gérer la justice au Québec.

Certains de mes collègues ont parlé de la lettre du 4 décembre, du bâtonnier du Québec, laquelle a été suivie d'une lettre du 11 décembre 1996, encore plus explosive, si j'ose m'exprimer encore une fois, encore plus dérangeante pour le ministre de la Justice. Cette lettre signée par le bâtonnier lui-même dit du ministre, et je cite: «De tels propos démagogiques et indélicats, tenus par surcroît par un ministre de la Justice, jettent un discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.» «Un sens peu développé des institutions», M. le Président, ce n'est pas l'opposition qui le dit, mais c'est le Barreau du Québec. Le Barreau du Québec, dans sa lettre du 4 décembre tout comme dans celle du 11 décembre, disait au ministre de la Justice: On ne peut réformer certaines de nos institutions en l'absence d'un consensus minimum. Ça, c'est dans la lettre du 4 décembre.

Dans la lettre du 11 décembre, je viens de le dire, le Barreau dit du ministre qu'il a un sens peu développé des institutions. Et il conclut sa lettre en disant: Si nous nous adressons à vous, M. le premier ministre... Je fais ici un aparté, la lettre du 11 décembre n'a pas été adressée au ministre de la Justice mais adressée directement au premier ministre. Le Barreau semble comprendre qu'il est inutile de discuter directement avec le ministre de la Justice. Il faut plutôt sauter par-dessus et aller voir directement le patron. C'est là que ça se règle, les dossiers importants, c'est là que les vraies décisions se prennent. Le ministre de la Justice est une figure ou une marionnette. Le vrai boss de la justice, il semblerait que ce soit le premier ministre, parce que le Barreau du Québec n'écrit pas au ministre de la Justice, il lui saute par-dessus et il écrit directement au premier ministre.

Ce qu'il dit au premier ministre, je m'apprêtais à le dire tout à l'heure: «Si nous nous adressons à vous, M. le premier ministre, c'est que nous connaissons votre profond sens des institutions et votre respect de divers intervenants, ce qui malheureusement ne semble pas être le cas pour le ministre de la Justice.» M. le Président, quand le Barreau dit des choses semblables de son ministre, c'est l'équivalent d'une claque en pleine face...

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Chenail: ...c'est l'équivalent d'une demande de démission.

Une voix: Oh!

M. Chenail: Quand le Barreau du Québec, par la voix de son bâtonnier au nom des 18 000 avocates et avocats, dit: Le ministre n'a aucun respect des institutions, il apparaît clairement qu'il a perdu toute confiance dans son ministre, il apparaît clairement qu'il juge que ce dernier n'est pas à sa place. C'est extrêmement grave.

(16 h 40)

Par ailleurs, M. le Président, je me permettrais de souligner que l'irrespect des institutions – la caractéristique du ministre de la Justice – nous a été démontrée encore une fois de façon, j'oserais dire, magistrale, non équivoque, en effet dans le cadre de la prise en considération du rapport. Le ministre nous transmet un amendement visant l'article 5 du projet de loi n° 130. Or, M. le Président, cet amendement a dû abroger un amendement que l'opposition avait réussi à faire adopter en commission parlementaire. L'opposition avait présenté en commission un amendement modifiant l'article 5. Le ministre de la Justice a dit, après les débats et les discussions: J'accepte votre amendement, messieurs, mesdames, à l'opposition. Je l'accepte, je le fais adopter et je demande à mes collègues ministériels de l'adopter ainsi. C'est le travail des législateurs dans sa splendeur, bonifier un projet de loi avec les débats, des discussions et des amendements. Donc, en commission, j'accepte l'amendement. Il a dit: Oui, sur la foi de ma parole, j'accepte. Je trouve que c'est un bon amendement, je l'intègre à mon projet de loi.

En conclusion, M. le Président, une fois que la commission parlementaire est terminée, le ministre revient sur sa parole. Avant de dire que c'est... M. le Président, il dit quelque chose en commission et accepte ensuite de le changer. Donc, le flagrant irrespect de nos institutions caractérise le ministre de la Justice, ce qui nous est exposé encore une fois de façon tristement éloquente à l'occasion du débat du rapport de prise en considération.

M. le Président, pour l'ensemble de ces raisons, vous comprendrez que je joins ma voix à celle de mes collègues qui s'opposent à cette réforme, tout au moins dans sa forme actuelle, qui s'opposent aussi à la façon de procéder du ministre qui démontre un irrespect des institutions, un irrespect du législateur. Et je me questionne sur l'ouverture, au nom des mes commettants et mes commettantes et au nom des électeurs et électrices que je représente ici, à l'Assemblée nationale, je me questionne si le ministre de la Justice peut toujours valider de façon crédible, diriger le ministère de la Justice, et je le crois. M. le Président, merci.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Beauharnois-Huntingdon. Nous cédons maintenant la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys. Mme la députée.

Mme Frulla: Merci, M. le Président. Oups! Bâillonnée.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: Une question de directive en vertu de l'article 34, M. le Président. M. le Président, je voudrais savoir de la présidence si la décision d'un ancien président de l'Assemblée, M. Clément Richard, président de la formation qui est au gouvernement aujourd'hui, rendue en 1979, est toujours valable et toujours de mise. Et voici ce que disait le président Richard à l'époque. Ça portait, cette décision-là, sur l'intervention du député, et M. le président Richard s'exprimait de la façon suivante: Dans quel ordre le président doit-il accorder la parole aux députés? C'est la question qui lui était soumise. Il disait ceci par la suite – je saute quelques lignes – «Selon une tradition maintenant établie, le principe de l'alternance entre en jeu: un opinant pour, un opinant contre. Cette pratique n'est toutefois pas absolue et ne lie pas le président.» Est-ce que, M. le Président, cette coutume de l'alternance est toujours en vigueur? J'aimerais que vous l'indiquiez aux députés ministériels, en leur rappelant que le bâillon s'adresse aux députés de l'opposition, qui ne sont pas bâillonnés. Ils ont le droit de s'exprimer, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): J'ai compris votre intervention, M. le député de Frontenac, et je tiens à vous faire remarquer que, ce matin, je présidais les débats et, effectivement, il y a eu des interventions davantage du côté de l'opposition que du côté ministériel. Toutefois, M. le ministre, en vertu de l'article 253, s'est prévalu d'interventions de cinq minutes qu'il avait droit de faire, et également je tiens à vous mentionner que, notamment, le député de Laval-des-Rapides et ministre de la Métropole s'est aussi levé en cette Chambre pour faire une allocution.

Alors, concernant la décision du président Richard émise en 1979, il est bien entendu que la règle de l'alternance s'installe à partir du moment où deux députés en cette Chambre, un du côté de l'opposition, un du côté ministériel, se lèvent et demandent le droit de parole. À ce moment-là, j'irai, dans le futur, par l'alternance, à savoir, notamment, s'il y avait à ce stade-ci deux députés qui se lèvent, un de l'opposition et un de la partie ministérielle. Comme le député de Beauharnois-Huntingdon a été le dernier intervenant, il est bien entendu que ce serait un intervenant du côté ministériel à qui j'accorderais le droit de parole. Dans les circonstances, à ce stade-ci, je demande tout simplement: Est-ce qu'il y a d'autres intervenants sur la motion qui est actuellement discutée? Alors, Mme... M. le député.

M. Lefebvre: M. le Président, l'alternance, lorsqu'on comprend bien ce que veut dire le mot – le député de Beauharnois-Huntingdon a parlé contre la motion – c'est de maintenant vérifier s'il y a un député qui est pour la motion. Est-ce qu'il y a un député en cette Chambre qui est prêt à soutenir son ministre de la Justice? Il semble que non. Il y a eu des interventions sur des questions de règlement. Il n'y a personne qui vient soutenir le ministre de la Justice, du côté des ministériels.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui. Je comprends le dilemme du député de Frontenac qui veut savoir s'il y a des député ministériels qui sont en faveur de la motion. Alors, est-ce que je peux lui suggérer qu'on appelle immédiatement le vote, M. le Président?

Des voix: Oui.

M. Bélanger: Alors, à ce moment-là, on pourrait voir immédiatement. Je pense que ça va exactement dans le sens du député de Frontenac. On va appeler le vote immédiatement, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: M. le Président, le leader du gouvernement sait très bien qu'un vote est un geste purement mécanique et que...

Des voix: Ah!

M. Lefebvre: Oui, oui, oui. Laissez-moi terminer.

M. Bélanger: Question de privilège.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: M. le Président, il est en train d'attaquer le droit de vote des députés en cette Chambre, comme quoi c'est mécanique, un droit de vote. Ce n'est pas mécanique, un droit de vote. Ce sont des membres élus en cette Chambre qui...

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, ayant écouté de part et d'autre vos interventions... Sur une question de règlement, M. le... Alors, on vous écoute sur une question de règlement.

M. Lefebvre: M. le Président, les fausses colères du leader... Il me regarde, là, la caméra n'est plus sur lui puis il a envie de rire. Alors, il a très bien compris ce que j'ai dit: Le vote, c'est un geste qui s'inscrit dans une démarche automatique. On vient ici puis on vote, et souvent des collègues, particulièrement les ministériels, ont voté sur une motion sans en avoir pris connaissance dans le détail. Ce qu'on voudrait savoir, au-delà du vote, c'est: Est-ce que des députés ministériels sont d'accord avec la position du ministre de la Justice, et surtout telle que condamnée par le Barreau du Québec?

Ce qu'on questionne, du côté – je m'arrête là-dessus, M. le Président – de l'opposition, c'est le silence des députés et des ministres, également, qui entourent le ministre de la Justice. Il y a le ministre de la Métropole qui est intervenu. Tous les autres... Je vois ici Mme la ministre de la Culture. Qu'est-ce qu'elle pense du projet de loi n° 130? Le ministre de l'Environnement, M. le Président?

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, M. le député de Frontenac, j'ai entendu votre plaidoirie sur l'alternance, j'ai rendu mon jugement concernant l'alternance, je maintiens l'opinion de Clément Richard. Et, à ce stade-ci, on va inviter Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys à bien vouloir nous entretenir. Mme la députée.


Mme Liza Frulla

Mme Frulla: M. le Président, le projet de loi n° 130, qui appelle une réforme en profondeur des tribunaux administratifs, il me semble, pose deux problèmes. J'écoutais, ce matin, le premier ministre devant les membres du Barreau et qui disait: Moi, je suis un membre du Barreau. Et d'autres répondaient: Moi aussi, je suis un membre du Barreau. Bon. Alors, ils faisaient partie de la même confrérie, ici, des deux côtés de la Chambre, et le fait est que, pour nous qui ne faisons pas partie de cet éloquent groupe, on regarde certaines de ces lois et on essaie d'y voir clair et d'y voir clair probablement avec la vision du peuple, c'est-à-dire la vision du gros bon sens. Et ce qui me... Enfin, à force d'entendre les gens parler, à force de lire aussi certaines... d'abord le projet de loi même, la définition ou, enfin, l'explication de certains articles, certains articles de journaux qui sont apparus, là, sporadiquement au cours des mois, on s'aperçoit qu'il y a probablement dans ce projet de loi là un problème fondamental qui appelle à une solution qui semble, à nos yeux de profanes, relativement simple.

(16 h 50)

D'un côté, si on veut avoir recours à des nominations ministérielles qui après cinq ans ne sont pas automatiquement renouvelables... Mais, comme ça a été dit dans le projet de loi qu'il était opportun de favoriser la nomination de nouveaux membres, oui, mais selon la discrétion du Conseil des ministres, alors, à ce moment-là, le citoyen, pour se protéger, devrait avoir droit à l'appel, tout simplement, c'est-à-dire que, au moins, si une instance quasi judiciaire ou judiciaire ne lui rend pas justice tel qu'il le croit, alors, à ce moment-là, il passe à une autre instance.

Si on veut abolir l'appel, pour toutes sortes de raisons, alors la nomination des juges, ce devrait d'être à vie ou encore avec des critères extrêmement précis, de telle sorte que le citoyen se sente en confiance face à son dernier recours et face au juge qu'il affronte, sachant que celui-ci applique la justice dans le meilleur de ses connaissances légales. C'est comme ça que je le vois, M. le Président, encore une fois, comme profane, le projet de loi, mais il me semble que, si on enlève toutes ces virgules juridiques, considérations aussi, encore une fois, légales qui souvent, bien souvent, dans nos lois, malheureusement, dépassent le simple bon sens. Juste le simple bon sens, il me semble que ce n'est pas trop difficile, en tout cas, à mettre dans un projet de loi. Ou tu gardes tes nominations partisanes, puis à ce moment-là, oui, il y a de l'appel, ou bien tu n'en as pas, de nominations, c'est-à-dire que tu n'as pas d'appel, mais tu as des nominations qui ne sont pas partisanes. Dans l'ensemble de ce projet de loi, quand on l'étudie, on s'aperçoit que tel n'est pas le cas. On enlève l'appel et on continue avec des nominations qui peuvent être partisanes. Et c'est probablement la source première de l'inconfort face à ce projet de loi là.

Je regardais, comme je disais tantôt, l'ensemble des articles, celui d'André Bellemare, qui parlait d'un projet de loi, à l'époque, qui était contesté. «Le pouvoir discrétionnaire de nomination des ministres suscite toujours la grogne», Gilbert Lavoie, du Soleil , au niveau de la réforme des tribunaux administratifs. Ça, ça date du mois de février. Gilles Lesage en a fait aussi mention dans un article. Tout le monde conteste ça, et ça me surprend qu'un ministre qui, lui, a la responsabilité suprême, comme ministre de la Justice, de protéger le citoyen reste insensible par rapport à l'appel de l'ensemble de la communauté et aussi des observateurs, entre autres, que sont les journalistes, qui se doivent, eux, de diffuser l'information, et aussi de l'opposition. Pas seulement de l'opposition, c'est que l'ensemble des gens disent: Il y a un risque pour le citoyen.

M. le Président, il y a une chose. Dans nos bureaux de comté, nous autres qui ne sommes pas avocats mais qui recevons les gens, quand une personne arrive et a un problème de bien-être social, a un problème et que la personne, entre autres... Et je dis bien «entre autres», parce qu'on parle d'une quarantaine de tribunaux administratifs qui vont être regroupés ou, enfin, qui sont abolis pour être regroupés autour d'une nouvelle structure. Alors, quand ces gens-là viennent nous voir et qu'ils sentent qu'ils ont des droits de recours, ils ont encore de l'espoir. Mais, quand on ne leur donne plus cette source d'espoir là, bien, c'est là qu'ils tombent dans le désespoir.

Comment voulez-vous que quelqu'un qui est face à la justice, qui comprend, enfin, qui se sent... – on comprend à peine, nous autres – les vrais citoyens ordinaires, le vrai citoyen ordinaire, puis qui se sent un peu démuni face à tout ce gros système là qui fait peur, en somme... S'il sent au moins qu'il a un appui puis qu'il peut aller plaider une fois puis qu'il peut aller plaider devant des juges, ensuite, qui sont impartiaux, ou changer de juge, à ce moment-là, au moins, le citoyen se sent en confiance et, encore une fois, je vous le dis, a de l'espoir. Et on est là pour ça, M. le Président, pour donner de l'espoir aux gens, pour essayer d'améliorer la société. C'est pour ça qu'on est élu, c'est pour ça qu'on est ici et c'est pour ça que la société nous paie.

Ce qui me fascine, c'est que, malgré toutes les interventions, on maintient le principe de l'article 25, on maintient l'essence même du projet de loi malgré que tout le monde ait dit: Est-ce qu'on peut attendre? Est-ce qu'on peut le revoir en février? Est-ce qu'on peut avoir la loi-cadre – qui, il semblerait, n'est pas déposée encore, la loi-cadre, puisqu'on la demande – pour ensuite en arriver à des applications? Et c'est ça, M. le Président qui... Ce n'est pas la réforme en tant que telle et ce n'est pas la volonté de faire une réforme et d'améliorer le système. Au contraire, c'est tout à l'honneur du ministre d'avoir cette volonté-là. Excepté que, M. le Président, il y a des problèmes majeurs.

Quand le bâtonnier du Québec et le Barreau du Québec jugent inconcevable que le gouvernement force l'adoption d'une telle pièce législative qui constitue une réforme majeure de certaines de nos institutions, surtout en l'absence de consensus des milieux intéressés sur les éléments de la réforme, et qu'eux-mêmes considèrent prématurée et inappropriée l'adoption de la réforme, on est obligé de se poser des questions, M. le Président.

Les citoyens ordinaires qu'on représente, là, les non-avocats, sont obligés de se poser des questions. Quand on dit: Où est l'urgence d'adopter avant les Fêtes le projet de loi n° 130, compte tenu des interactions très étroites entre le projet de loi n° 130, comme je disais tantôt, et l'avant-projet de loi d'application, et qu'on nous dit qu'il conviendrait d'attendre d'avoir une idée plus précise de la loi d'application avant d'adopter la loi-cadre, on est obligé de se poser des questions.

Maintenant, M. le Président, on se dit: Est-ce que ce sont des impératifs économiques? Parce que, de ce temps-là, c'est ça qui guide, enfin, l'ensemble des choix de la société, tel qu'on lisait ce matin dans Le Soleil . Alors, est-ce que ce sont des impératifs économiques? Encore faut-il être sûrs que les impératifs économiques ne viennent pas en conflit et briser ce que notre société a bâti ces 30, 40, 50 dernières années et plus. On a une société qui est équilibrée, au moment où on se parle, entre la protection du citoyen, la protection du filet social et les qualités fondamentales qui font qu'une société est riche et développée. Je comprends qu'il y a des impératifs économiques. Moi, je veux bien, là, mais...

D'un côté, il y a ça et, de l'autre côté, il y a évidemment le contrôle des dépenses. Mais, quand le contrôle des dépenses devient un moyen unique en soi et qu'on ne voit plus clair, bien, il va falloir se poser des questions comme société: Qu'est-ce qu'on veut, M. le Président, comme société? Et, encore une fois, je pense que c'est de notre devoir d'avoir le citoyen devant nous, là, d'abord et avant tout, et de penser à ce citoyen-là qui, devant un système énorme, se doit d'avoir des protections.

Alors, M. le Président, encore une fois, c'est... Honnêtement, là, c'est surprenant, et je vous le dis, là, pour quelqu'un qui le regarde de l'extérieur, on a souvent un oeil neuf, un oeil complètement, je dirais, éclairé. Pourquoi? Parce qu'on n'est pas dedans depuis six mois. Donc, il est objectif de regarder ça de l'extérieur. Et on se surprend de voir cet empressement, cet empressement à adopter un projet de loi qui finalement est décrié par tous.

Encore une fois, on aurait voulu que notre ministre de la Justice, celui qui nous représente et celui qui représente la loi au sein du gouvernement, M. le Président, soit plus sensible à nos besoins comme citoyens. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys. Nous cédons maintenant la parole au député de Verdun. M. le Député.


M. Henri-François Gautrin

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Il y a un document qui est intéressant à lire et dans lequel, en général, il y avait de bonnes idées, quelques bonnes idées. C'était le programme du Parti québécois: «Des idées pour mon pays». J'imagine que vous le connaissez? Bon.

Alors, on va commencer. Non, non. C'est intéressant. M. le Président, c'est intéressant pour voir si ces gens, leurs militants... Moi, je pense souvent aux militants qui votent des programmes politiques et des éléments à l'intérieur des programmes politiques, qui, de bonne foi, se sont prononcés ici en faveur d'un article du programme. Et ce serait peut-être bon, M. le Président, que je vous le remémore. Je suis sûr que vous le connaissez par coeur, mais je vous le remémore: «En matière administrative – ça, c'est le programme du Parti québécois – une loi-cadre couvrant l'ensemble des organismes ou personnes exerçant des fonctions quasi judiciaires sera adoptée – c'est ce qu'on est en train d'essayer de faire – pour assurer aux administrés des décisions rendues par une personne ou un organisme – et voici les mots qui sont importants – impartial et indépendant...»

(17 heures)

Alors, je vais continuer à geler sur ces deux mots-là pour démontrer que, dans le projet de loi n° 130, on n'a justement pas un organisme impartial et indépendant. Et je poursuis: «Cette loi prévoira – et ça, c'est ce qui est le plus beau – des règles de procédure permettant un appel des décisions rendues par ces organismes ou personnes devant la chambre administrative de la Cour du Québec et de la Cour supérieure.»

Alors, M. le Président, la loi n° 130 est absolument limpide. D'une part, la manière de nommer les gens – et ça peut être le rôle choisi actuellement par le gouvernement – fait que ces nouveaux tribunaux n'ont pas, disons, le caractère d'indépendance qu'on aurait pu souhaiter à l'intérieur de ces tribunaux administratifs, en contradiction avec l'article 1.4 du programme du Parti québécois. Mais, de surcroît – et c'est ça qui est magnifique – l'article 153 du projet de loi ici empêche tout appel des décisions des tribunaux administratifs. Et je pense à vos militants, M. le Président, comme je pense aux militants d'une partie des gens d'en face, qui, de bonne foi, ont voté ce programme politique. Ils l'ont voté de bonne foi. Et on est obligé de leur rappeler que, lorsqu'ils se sont prononcés, ils pensaient voir une réforme de tribunaux administratifs qui incluait à l'intérieur un mécanisme d'appel. Or, le projet de loi – et je voulais vous le rappeler – ici, à l'article 153, brise cette structure d'appel.

Sur ces deux points-là, M. le Président, l'indépendance des gens qui sont nommés, d'une part, et la possibilité d'appel, ça, vous avez eu toutes les personnes qui sont ferrées, spécialistes de la justice, le Barreau... Alors, on en parle beaucoup, mais le Barreau, ce n'est pas n'importe quoi, ça, le Barreau. Le Barreau du Québec, c'est les gens qui regroupent l'ensemble des avocats qui oeuvrent dans le domaine de la justice. Le Barreau s'est prononcé clairement contre le projet de loi n° 130 sur sa forme actuelle, non pas parce qu'il est contre le fait qu'il y ait une réforme des tribunaux administratifs, mais parce que, dans cette réforme-là, et l'indépendance des juges et la possibilité d'appel sont oubliées à l'intérieur du projet de loi n° 130. C'est essentiellement l'argument du Barreau. Si on avait pu leur garantir une manière non partisane, une manière de faire en sorte que les personnes qui vont siéger sur ces tribunaux administratifs soient des gens ayant l'indépendance nécessaire, et si, de plus, on avait pu garantir, à l'intérieur du projet de loi n° 130, les possibilités de porter des décisions de ces tribunaux de première instance en appel, le cas échéant, devant la section de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure, le Barreau aurait probablement été d'accord avec le projet de loi n° 130, j'imagine.

Mais ce n'est pas le cas. Et, M. le Président, je vais vous dire, le Barreau de Québec – parce qu'il faut distinguer, bien sûr, vous savez ça, entre le Barreau du Québec, qui regroupe l'ensemble des barreaux, et le Barreau de Québec, qui est le Barreau de la ville de Québec – M. le ministre de la Justice, est assez sévère, disons, avec vous, je signalerai, dans une lettre qui a été écrite le 9 décembre au ministre de la Justice par M. Denis Jacques, qui est bâtonnier du Barreau de Québec, le Barreau dont fait partie d'ailleurs le ministre de la Justice.

Alors, il écrit sa lettre dans le cadre de la question de la réforme de l'aide juridique, mais il ajoute: «Je n'aborde même pas ici vos positions – et le mot qui vient après – inacceptables sur la réforme de la justice administrative», c'est-à-dire que je pense que le Barreau de Québec considère que les positions du ministre de la Justice, dans ce cadre-ci, sont absolument inacceptables. Et ça a été unanime, hein, dans les professionnels de la justice. Ce n'est pas pour des raisons d'intérêt personnel que les professionnels de la justice sont contre la loi n° 130. C'est parce que, pour toute personne qui oeuvre dans ce domaine-là, toute personne qui doit être amenée à plaider devant un tribunal, il y a deux questions qui sont fondamentales. La première, c'est que la personne devant qui vous plaidez ait un certain caractère d'indépendance, qu'elle ne soit liée à aucune faction, à aucune nomination qui pourrait avoir un certain caractère partisan. C'est un principe de fond dans notre droit. La deuxième, c'est que les tribunaux qui jugent en première instance, leur décision puisse être portée en appel.

M. le Président, il y a réellement, à l'intérieur de cette loi, des positions inacceptables en principe, et c'est pour ça que l'opposition fait actuellement la bataille qu'elle fait, parce qu'il y a des principes de justice, ici, qui sont bafoués à l'intérieur de ce projet de loi. Bien sûr, il était nécessaire de réviser les tribunaux administratifs, bien sûr ça pouvait être nécessaire, mais il fallait le faire comme d'ailleurs votre programme, M. le Président, lorsque vous vous êtes fait élire, le demandait. Dans votre programme, vous promettiez une réforme des tribunaux administratifs, mais en respectant deux points: d'une part, l'indépendance des juges qui allaient siéger dans les tribunaux administratifs et, d'autre part, la possibilité de faire appel devant la Cour du Québec, deux points fondamentaux qui ont été omis à l'intérieur du projet de loi n° 130.

Vous comprenez bien, M. le Président – et ça a été la remarque tout à l'heure du député de Frontenac – et on comprend que les députés ministériels ne s'expriment pas sur ce projet de loi qui va à l'encontre de leur propre programme politique. Je sais que, la majorité d'entre vous, vous respectez en général votre programme politique, mais le projet de loi ne respecte pas votre programme politique. Et je comprends le malaise que vous avez, M. le Président. Vous avez voté de bonne foi un programme politique et vous êtes amené aujourd'hui, comme parlementaire, vous qui représentez vos militants, à devoir déposer un projet de loi et à voter sur un projet de loi qui est en contradiction avec votre programme politique, et ça, je comprends à quel point ça peut vous gêner.


Motion d'ajournement du débat

Dans ce cadre-là et pour permettre à mes amis ministériels, ici, de pouvoir réfléchir, de pouvoir se rappeler quel était leur programme politique, pour leur permettre de relire ce sur quoi ils se sont faits élire, je vais faire motion en fonction de l'article 100 pour que nous ajournions le débat sur ce projet de loi pour leur permettre de relire leur programme politique.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Vous faites une motion d'ajournement en vertu de l'article 100. Alors, je tiens à préciser les règles de la motion d'ajournement: l'auteur de la motion a un droit de parole de 10 minutes et chacun des groupes parlementaires a un droit de parole de 10 minutes, suivi d'une réplique de cinq minutes de la part de l'auteur de la motion. Alors, M. l'auteur de la motion, si vous voulez bien débuter, vous avez un droit de parole de 10 minutes. M. le député de Verdun.


M. Henri-François Gautrin

M. Gautrin: Merci, M. le Président. J'ai rappelé tout à l'heure, avant de faire la motion, que ce projet de loi était en contradiction, ne respectait pas des principes fondamentaux que nos collègues du Parti québécois avaient votés lorsqu'ils avaient voté leur programme. Je l'ai rappelé. Un des avantages de voter en faveur de l'ajournement, c'est de permettre à des militants de pouvoir reconsulter leur programme, de pouvoir s'asseoir et de regarder si ce projet de loi n° 130 correspond réellement à ce pour quoi ils se sont prononcés en congrès. Et je me permettrai, pour aider leur réflexion, de leur rappeler qu'ils se sont prononcés pour avoir des organismes impartiaux et indépendants et que toutes les sections du début du projet de loi vont justement pouvoir entacher, en quelque sorte, l'indépendance de la nomination des personnes qui vont siéger sur ces tribunaux administratifs.

De surcroît, il est important que nos amis d'en face puissent relire leur programme et qu'ils puissent remarquer que leur programme parle de procédure d'appel. Alors, l'article 153 de ce projet de loi est très clair et va vous dire la chose suivante: «Sauf sur une question de compétence, aucun – vous entendez, M. le Président, aucun – des recours prévus par les articles 33 et 834 à 846 du Code de procédure civile ne peut être exercé – aucun des recours ne peut être exercé, on s'entend bien, là – ni aucune injonction accordée contre le Tribunal ou un de ses membres – le Tribunal, on s'entend bien, c'est le Tribunal administratif – agissant en sa qualité officielle.»

(17 h 10)

Il y a dans cet article 153, M. le Président, un élément qui va complètement en contradiction avec l'article 1.4 du programme sur lequel vous vous êtes fait élire, à savoir le programme qui s'intitulait «Des idées pour mon pays», qui disait spécifiquement que cette loi prévoira des règles de procédure permettant un appel – un appel, M. le Président – des décisions rendues par ces organismes ou personnes devant la chambre administrative de la Cour du Québec et de la Cour supérieure.

On parle des tribunaux administratifs, peut-être que les gens n'ont pas l'impression de savoir que ce n'est peut-être pas quelque chose d'extrêmement important. Les tribunaux administratifs qui sont couverts par cette loi, M. le Président, ça en couvre large, ça en couvre immensément large. Je vais vous le dire, ces tribunaux administratifs, si vous regardez à l'article 16, il y a, dans cet article, cinq sections dans le Tribunal administratif: la section des affaires sociales, la section des lésions professionnelles, la section de l'évaluation foncière, la section du territoire et de l'environnement et la section des affaires économiques.

Il est intéressant de regarder ce qu'elles couvrent, ces sections-là. Alors, ça, c'est à la fin du projet de loi. Il faut savoir que tout ce qui est couvert... La section des affaires économiques, par exemple, M. le Président, elle aura pour effet de connaître les recours sur la Loi sur les agents de voyages, la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires, la Loi sur l'assurance-récolte – ça, c'est couvert – la Loi sur les assurances, la Charte de la langue française, la Loi sur le cinéma, les recours qui sont prévus au Code de la sécurité routière, M. le Président, les recours qui sont prévus à la Loi sur les compagnies, les recours qui sont prévus à la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, les recours qui sont prévus à la Loi sur les établissements touristiques, les recours qui sont prévus à la Loi sur les intermédiaires de marché, et vous savez à quel point cette loi est débattue actuellement – entre nous, ça couvre l'ensemble du domaine de l'assurance – les recours qui sont prévus à la Loi sur les matériaux de rembourrage. Et je continue, M. le Président, toujours une section: la Loi sur les mesureurs de bois, les recours qui sont prévus à la Loi sur les producteurs agricoles, les recours qui sont prévus à la Loi sur les produits laitiers, les recours qui sont prévus à la Loi sur la protection du consommateur, Ça, c'était une des sections.

Une autre section, la section qui va porter sur tout ce qui touche les questions du territoire et de l'environnement: les recours prévus contre les décisions ou ordonnances de la Communauté urbaine de Montréal ou, en cas de délégation, du comité exécutif, les recours contre les décisions ou ordonnances de la Commission de protection du territoire agricole, les recours prévus en fonction de la Loi sur la publicité.

Vous avez un tribunal qui a une énormité, à l'heure actuelle, de champs d'application. Et ce Tribunal, ce n'est pas parce qu'on est contre le fait qu'on ait une révision à l'heure actuelle des mécanismes dans les tribunaux administratifs, mais ces tribunaux auraient, devraient avoir – et je viens rappeler encore ce pour quoi vous vous étiez prononcés au début – deux principes fondamentaux, à savoir, un, que les gens qui vont juger sur toutes ces causes – je pourrais encore vous en lire, il y en a encore quatre pages à ce niveau-là d'application des tribunaux administratifs – les gens qui vont se prononcer sur ces questions-là soient des gens qui ont un caractère d'indépendance, pour faire en sorte que les gens qui jugent soient non pas des personnes dont la nomination peut être entachée de nomination partisane ou de partisanerie, mais soient réellement des gens qui soient réellement à caractère d'indépendance, ce que nous ne trouvons pas à l'heure actuelle à l'intérieur du projet de loi n° 130.

Deuxième élément, il est important – et ça a été toute la base de l'argumentation aujourd'hui – il est important que sur ces questions – et vous êtes notaire, M. le Président, vous savez à quel point on est en train de faire perdre aux citoyens des moyens de recours – il puisse y avoir possibilité pour les citoyens de faire appel de la décision devant un juge. La base même de notre système démocratique, qui est basé sur l'indépendance entre le système judiciaire, le système législatif et l'exécutif, l'indépendance entre ces trois systèmes, et sur lesquels nous devons respecter et l'indépendance des juges et la possibilité, lorsqu'il y a litige, de faire appel éventuellement devant une cour, que ce soit la Cour du Québec ou que ce soit la Cour supérieure, suivant les cas qu'on débat.

Ce projet de loi retire aux citoyens cette possibilité de faire appel, par son article 53, des décisions des tribunaux administratifs. C'est essentiellement pourquoi je crois que cette Assemblée devrait voter en faveur de la motion d'ajournement du débat. Voter en fonction de l'ajournement du débat, pourquoi? Parce que la loi a un champ d'application beaucoup plus grand que nous ne pourrions l'imaginer. Et ce n'est pas mauvais qu'on réforme actuellement les tribunaux administratifs. La loi a un énorme champ d'application. Mais, dans ce cadre-là, il serait utile et important que l'on puisse garantir, dans les mécanismes de nomination des gens qui doivent siéger sur ces tribunaux, une indépendance dans le mécanisme de nomination, un mécanisme qui exclut toute partisanerie dans la nomination des personnes qui auront à se prononcer.

Ce qui me semble le plus important, M. le Président, c'est qu'on puisse être en mesure de dire, et ce serait au ministre de dire: Aujourd'hui, j'abolis l'article 153, comme le demande le Barreau, etc., je permettrai la possibilité d'appel – déjà, il a présenté des amendements qui permettraient en partie une possibilité d'appel dans certaines décisions des tribunaux administratifs – réellement la possibilité de faire appel devant une cour supérieure, que ça soit la Cour du Québec ou que ça soit la Cour supérieure.

C'était dans l'esprit de votre programme. Je rappelle bien, c'était et dans la lettre et dans l'esprit de votre programme. C'est là-dessus que vous vous êtes fait élire. Vous vous êtes fait élire à la fois sur trois choses: une réforme des tribunaux administratifs, oui, mais une réforme des tribunaux administratifs qui garantissait l'indépendance des juges, deuxièmement, et, troisièmement, qui prévoyait un mécanisme d'appel. Malheureusement, et j'en réfère au programme, actuellement, à tous mes collègues ministériels, à l'heure actuelle, le projet de loi n° 130 ne contient ni les garanties quant à l'indépendance des nominations des juges qui auront à siéger sur ces tribunaux administratifs et ne garantit pas non plus, ne permet pas, n'inclut pas ces mécanismes d'appel qui étaient réellement à la base de tout ce qui est le fondement de notre système juridique.

Alors, M. le Président, nous ne pouvons pas, à l'heure actuelle, ne pas demander instamment à nos collègues ministériels: Votez en faveur de l'ajournement des débats, retournez voir votre programme, regardez votre programme, relisez votre programme, relisez la loi n° 130 et, lorsque vous aurez compris qu'il n'y a pas coïncidence entre les deux, avec nous, vous serez d'accord pour demander au ministre de refaire ses devoirs sur le projet de loi n° 130. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Verdun. Alors, considérant maintenant que les deux groupes parlementaires ont chacun un droit de parole de 10 minutes, et on termine avec une réplique de l'auteur de la motion d'ajournement, à ce stade-ci... Oui, M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: Est-ce que je dois comprendre, M. le Président, que, même sur la motion d'ajournement, on n'aura pas droit à l'opinion des ministériels?

Le Vice-Président (M. Pinard): Je m'excuse, M. le leader adjoint de l'opposition, vous m'avez mal suivi. J'ai mentionné que l'auteur de la motion avait un 10 minutes. Et, comme les deux groupes parlementaires ont un droit de 10 minutes et que la réplique finale appartient à l'auteur de la motion, je trouverais ça tout à fait normal qu'on procède d'abord avec le groupe de l'opposition officielle pour un 10 minutes, ensuite du côté ministériel et terminer avec le député de Verdun. Alors, M. le député de Chomedey.


M. Thomas J. Mulcair

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Tout comme mon collègue le député de Verdun, je suis d'avis que les membres du gouvernement devraient profiter de cette motion, qui vise à surseoir à nos débats pour un certain temps sur ce projet de loi, et réfléchir autant sur leur propre programme de leur propre parti politique, sur lequel ils se font élire, que sur les très intéressants aveux du ministre délégué de la Métropole, député de Laval-des-Rapides, ici, en Chambre, cet après-midi.

(17 h 20)

Pour ce qui est du programme du Parti québécois, comme mon collègue le député de Verdun vient de dire, il y avait deux promesses à l'égard de la création du Tribunal administratif du Québec. On a promis d'abord qu'on allait avoir un droit d'appel et on a promis aussi qu'on allait avoir des gens qui étaient impartiaux et indépendants. On a entendu le ministre de la Métropole dire: Écoutez, il n'y a personne qui soit plus déchiré que le ministre de la Justice du fait de ne pas être capable de suivre notre programme politique, notre plateforme, ce qu'on a promis qu'on allait faire une fois qu'on serait élu, mais, qu'est-ce que vous voulez, c'est une question d'argent.

Ça, c'est la première fois que le gouvernement avoue que le seul et unique but de cette réforme-là, c'est de sauver de l'argent. Mon collègue le député de Frontenac, qui est lui-même ancien ministre de la Justice, l'avait dit en commission parlementaire que la seule et unique raison qui pouvait justifier ce qu'ils étaient en train de faire, c'était de vouloir sauver de l'argent. On a eu un aveu cet après-midi que c'est vraiment ça qui est en cause.

Mais la deuxième chose, M. le Président – et ça, c'est très intéressant – c'est qu'ils sont en train de le faire en coupant les droits des citoyens. On enlève une trentaine d'appels à la Cour du Québec. Encore une fois, je me réfère au ministre de la Métropole. Il dit: Oui, mais vous savez, question d'argent, c'est des coûts. On réduit les droits des citoyens, mais c'est pour réduire les coûts. Acceptons pour un instant de le suivre sur ce terrain qui, sur le plan de la morale et de l'éthique, est extrêmement glissant. Acceptons, pour les fins du débat, de suivre le député de Laval-des-Rapides. Il est en train de dire qu'ils ne peuvent pas remplir une des deux promesses pour une question d'argent. Mais ma collègue la députée de Marguerite-Bourgeoys l'a très bien dit tantôt: On ne peut pas enlever le droit d'appel et faire en sorte que tous se présentent devant une personne qui ne présente pas les garanties d'indépendance. En clair, on ne peut pas avoir les appels enlevés si on n'est pas entendu par des gens qui sont des vrais juges. Ou on garde l'appel vers un vrai juge de la Cour du Québec, par exemple, ou on s'assure que les gens qu'on nomme offrent les garanties d'indépendance.

Alors, suivons cette logique pour les fins de la discussion, M. le Président. Le député de Laval-des-Rapides, le ministre de la Métropole, il nous dit: Ça coûte de l'argent, des appels. On retire le droit des citoyens d'avoir un appel, d'avoir la décision révisée. On le suit jusque-là. Il dit qu'il a une raison. Au moins, c'est logique même si on n'est pas d'accord avec ça. Mais le problème avec sa logique, c'est que ça laisse entière l'autre question: Comment ça se fait que le ministre de la Justice refuse de corriger le projet de loi n° 130 pour mettre en place une disposition qui assure l'autonomie et l'indépendance et qui ne coûte rien? Ça ne coûte pas une cent aux contribuables, ça ne coûte pas une cent au trésor public de faire en sorte que les gens qu'on va nommer décideurs à ce nouveau Tribunal administratif du Québec, les juges, soient autonomes et exercent leur rôle d'une manière impartiale et indépendante du gouvernement.

Rappelons, M. le Président, que c'est le citoyen qui vient demander quelque chose face à l'État. C'est pour ça que leur programme politique a promis de le faire, et ils sont en train de le retirer. Mais le deuxième bout ne se maintient pas face à la logique du gouvernement et du ministre de la Métropole. Ça ne coûte rien, sauf au gouvernement en termes politiques. C'est là où ça coûterait quelque chose, parce que, si on devait accepter les gens qui étaient en place et ne pas les sortir de là pour n'importe quel prétexte – et c'est le pouvoir que le ministre est en train de se donner en vertu de l'article 25 de son règlement, il les sort quand il veut – s'il était vraiment sérieux, si son projet de loi visait à avoir des gens autonomes et indépendants, il changerait son règlement.

Mais le règlement lui-même et l'intervention du ministre de la Métropole et député de Laval-des-Rapides démontrent à quel point le projet de loi n° 130 est d'abord et avant tout une machine construite pour permettre au gouvernement du Parti québécois de nommer ses amis, de faire des nominations partisanes. C'est ce à quoi sert la loi, et quel meilleur témoignage on pourrait trouver que les propos du ministre des régions, celui qui a décidé d'épargner sa présence au Bloc québécois à Ottawa aujourd'hui, qui a dit ceci: Si la Régie avait demandé – il parlait d'une régie qui devrait rendre une décision en matière agricole, et c'est dans le journal La terre de chez nous de la semaine du 12 au 18 septembre, M. le Président – pour ceux qui s'y intéressent, c'est à la page 2: «Si la Régie avait rendu un autre jugement, aurait-on parlé d'ingérence politique? a demandé le ministre, applaudi par les participants.» Et ça, c'est formidable. Il faut le connaître; c'est le genre de propos qu'il tient. «Si la Régie a un comportement politique, dites-le-nous, et on va changer les régisseurs.» Ça, c'est la bonne attitude du gouvernement du Parti québécois, tel qu'en témoignent les propos exacts, que je viens de citer, d'un de leurs ministres, dans La Terre de chez nous , page 2, semaine du 12 au 18 septembre 1996.

Typique? Oui. C'est tout à fait typique de ce gouvernement, et les masques commencent peu à peu à tomber. Les aveux du ministre de la Métropole, les déclarations du ministre des Régions, on commence à voir ce à quoi ça sert, parce que ça ne coûte pas une cenne, M. le Président, autrement que le prix politique que ça coûte au gouvernement vis-à-vis de ses amis qu'il veut nommer. Ça coûte seulement politiquement au gouvernement.

Mais, M. le Président, il y a plus. Plusieurs de mes collègues ont fait référence au fait que le bâtonnier du Québec, celui qui est le président de l'ordre professionnel régissant les 17 000 avocats du Québec, avait écrit deux lettres importantes, au cours de la dernière semaine, au premier ministre. Je me permets de lire une phrase de sa lettre d'hier, parlant de ce ministre de la Justice: «De tels propos démagogiques et indélicats, tenus par surcroît par un ministre de la Justice, jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.»

M. le Président, une des plus importantes institutions de notre société, c'est le Parlement. Le Parlement fait son travail d'adoption des lois avec des commissions parlementaires. On ne peut pas tous être ici à étudier en même temps la santé, les finances, etc. Il y a différentes commissions parlementaires. Le ministre a présenté ce projet de loi n° 130 dans la commission qui s'appelle la commission des institutions. Plusieurs observateurs sont très inquiets de constater que le ministre a brisé une tradition qui dure depuis 125 ans en adoptant en commission parlementaire – c'est là où on adopte les changements aux projets de loi, puis c'est ramené ici... Avec le rapport qu'il a fait hier, il a osé enlever, en utilisant le bâillon, une phrase qu'il avait lui-même acceptée. Il a voté dessus le 30 octobre; c'est dans les galées. Il a accepté de... À la suggestion de l'opposition, il a ajouté une phrase qui visait à vraiment s'assurer qu'on protégeait les droits des citoyens.

M. le Président, aussi incroyable que ça puisse paraître, parce qu'avec plusieurs parlementaires – et j'ai fait le tour – j'ai parlé avec les gens qui avaient le plus d'expérience en cette Chambre, plusieurs personnes disaient: Mais on ne peut pas faire ça. J'ai dit: Bien, c'est ce qu'il a fait. Il a enlevé l'acceptation, le vote en commission parlementaire; il a enlevé la parole de son gouvernement. C'est à l'article 5 que ça se trouve, puis maintenant tout le monde le sait. C'est ce à quoi le bâtonnier réfère quand il dit que ce ministre de la Justice, il trahit – c'est le mot du bâtonnier – un sens peu développé des institutions.

Comme parlementaires, on vient de le voir, on vient de le vivre. On est en train de constater, comme tout le monde qui nous regarde et qui nous écoute est capable de le constater, que ce gouvernement, le gouvernement du Parti québécois, n'a qu'une idée dans la tête lorsqu'il fait semblant de faire des réformes qui visent les tribunaux administratifs, c'est d'enlever les recours à la population. Comme d'habitude, c'est un gouvernement qui privilégie les structures, la machine bureaucratique. Ils construisent tout un nouveau tribunal administratif et ils enlèvent des droits et des recours aux citoyens. C'est ça que le gouvernement du Parti québécois est en train de faire, c'est ça que le ministre de la Métropole était en train de confirmer pour nous cet après-midi et c'est ça que le ministre est en train de prouver lorsqu'il vient lui-même enlever les modifications sur lesquelles il avait voté favorablement en commission parlementaire. Encore une fois, ça va carrément à l'encontre de l'intérêt du public et du respect de nos institutions. Merci, M. le Président.

Des voix: Bravo!

(17 h 30)

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Chomedey. Alors, nous cédons maintenant la parole au député de Saint-Jean. M. le député.


M. Roger Paquin

M. Paquin: M. le Président, nous avons devant nous actuellement une motion d'ajournement de nos débats sur la question qui est en débat. Et la question qui est en débat, c'est la loi n° 130, la Loi sur la justice administrative. M. le Président, ça fait 25 ans que, de rapport en rapport, d'attente en attente, les gens du Québec désirent, souhaitent et appellent une législation qui va faire en sorte de raccourcir les délais au niveau de la justice administrative, et de les rendre disponibles, et de les rendre moins coûteux, et de les rendre plus accessibles, et de faire en sorte que les recours puissent s'exercer. On dit qu'un délai de justice est un déni de justice, et je pense qu'il est important de faire en sorte que les recours soient disponibles dans les faits, et réellement.

Alors, à ce moment-ci, donc, qui sont ces gens du Québec qui vont bénéficier de la législation actuelle? Toutes les décisions qui sont prises dans un nombre important de secteurs de notre société pourront être révisées en appel au niveau du Tribunal administratif. Il faut bien qu'on comprenne que lorsqu'on est rendu au Tribunal administratif, c'est qu'on est un citoyen, par exemple, qui a été pris devant une décision avec laquelle il était en désaccord, une décision qui a été prise par une entité gouvernementale. Et, devant son désaccord, il veut porter en appel, et c'est là qu'il va devant ce tribunal, qui est à la fois compétent sur le plan technique et au niveau du droit pour rendre justice au justiciable, et ça, dans des délais raisonnables et à l'intérieur de coûts raisonnables.

Alors, il s'agira de dossiers de la sécurité du revenu, d'allocations sociales, de l'aide aux familles, de l'exercice des droits des personnes handicapées, des chasseurs et piégeurs, de la santé et des services sociaux, des autochtones, en particulier les Cris, de la protection du malade mental, certaines dispositions qui viennent... par exemple des recours formés devant une commission d'examen en vertu de certains articles du Code criminel, les fabricants et les grossistes de médicaments, l'assurance-maladie, l'exercice du droit des personnes handicapées, la Loi sur la protection de la santé publique, la garde à l'enfance, les lois des services de santé et des services sociaux et les recours formés par les pharmaciens, le régime de rentes, le régime de retraite des élus municipaux, l'indemnisation des victimes d'actes criminels, la Loi visant à favoriser le civisme, les recours sur l'immigration. Et là je n'ai couvert qu'une section, M. le Président, il y en a d'autres. Et je pense que tous ces gens du Québec attendent, et ils ont droit à un recours devant un lieu où ils peuvent en appeler des décisions administratives dont ils se croient victimes ou par lesquelles ils se croient lésés.

Et là on nous demande d'ajourner, d'atermoyer, de faire de la procrastination, de ne pas trancher, de ne pas décider. M. le Président, certains principes qui étaient en jeu dans cette loi-là ont été éclairés à ce moment-ci par les nombreuses heures durant lesquelles nous avons entendu des gens témoigner et aussi à travers tous les mémoires qui nous ont été présentés en commission et toutes les discussions que nous avons pu avoir ici, dans cette enceinte. On nous disait tantôt... J'ai entendu le député de Chomedey dire que lorsqu'il y a des décisions politiques qui seraient prises par des régisseurs, il faudrait laisser aller. M. le Président, le député de Joliette a indiqué – et ça a été reproduit dans La Terre de chez nous – que si jamais des régisseurs prenaient des décisions politiques au lieu d'appliquer le droit, le bon droit des citoyens, au lieu de leur donner droit à leurs recours justes et raisonnables, eh bien, que si, donc, des régisseurs allaient prendre des décisions politiques, on allait les destituer.

M. le Président, s'il fallait que mon gouvernement ne prenne aucune mesure contre un régisseur qui prend des décisions politiques, je serais le premier à me lever dans cette enceinte. Je l'ai déjà dit et je le répète, M. le Président, les gens qui sont là pour appliquer la justice doivent appliquer la justice, et s'ils posent des gestes politiques, on doit être en mesure de les retirer de leur fonction.

Enfin, M. le Président, un principe fondamental demeure l'indépendance des juges. Et, à cet égard, il semble que la contrepartie à la possibilité d'aller en appel, c'est la qualité de la nomination des juges, et que la nomination des juges, si elle est fondée, suffisamment indépendante, que l'inamovibilité est suffisante, ça a comme effet de donner le droit et l'apparence de droit, notamment sur la qualité des appels qui sont disponibles. Je voudrais porter à votre attention que la loi continue de laisser disponibles des appels au niveau du bureau de l'évaluation foncière, au Bureau de révision, le BREF, au Tribunal d'expropriation et également à la CPTAQ, et que, de plus, les recours par évocation demeurent possibles.

Quant à la nomination des juges, un jugement de la Cour suprême, qui justement a été obtenu suite à une procédure d'évocation... Il faut bien qu'on se le dise, c'est possible, ça existe, et il s'agit du cas du bistro-bar La Petite Maison. Dans ce jugement, on précise que la nomination de juges nommés pour une période de cinq ans récurrente, avec une renomination ou un renouvellement possible au bout de chacune de ces périodes-là, et même dans les cas où il n'y a pas d'appel, c'est quelque chose de correct. C'est reconnu par la Cour suprême du Canada. Donc, sur les questions de fond, le projet de loi est clair de noeuds, comme on dit.

Deuxièmement, sur les questions techniques, tous les aspects ont pu être scrutés à la loupe, méticuleusement évalués et sont portés dans une géométrie qui est tout à fait satisfaisante. La justice qui va être rendue à travers ce tribunal-là va permettre aux citoyens non seulement d'y avoir accès dans un délai raisonnable, mais également dans des conditions tout à fait adéquates. Et la qualité du jugement est reconnue par la Cour suprême comme étant adéquate dans toutes ces conditions.

Ce n'est plus le temps, à ce moment-ci, d'ajourner, d'atermoyer ou de remettre à demain. C'est le temps de trancher et de décider. On est complètement décidé à permettre à chacun de s'exprimer sur ce projet-là. Loin de nous l'idée de prendre une mesure qui va interrompre les discussions. On peut les poursuivre. On attend de l'opposition, notamment, qu'elle continue à nous donner son point de vue sur la question. Mais, lorsqu'on aura fini de la discuter à fond, lorsque nous aurons bien compris tous les enjeux, lorsqu'ils auront été exposés adéquatement et aussi complètement que possible par les parlementaires dans cette enceinte, nous allons trancher et nous allons doter le Québec d'une pièce législative majeure, d'une pièce législative qui contribue à faire du ministre de la Justice actuel – et je reprendrai ici les propos du député de Frontenac ce matin – un ministre comme on n'en a jamais vu depuis 125 ans. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Saint-Jean. Alors, M. le député de Verdun, vous avez droit à votre réplique de cinq minutes. Alors, M. le député.


M. Henri-François Gautrin (réplique)

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Quand j'écoutais le député de Saint-Jean, j'en concluais qu'il allait voter en faveur de la motion d'ajournement, et il a conclu pas comme je l'espérais. Il a reconnu, et c'est un fait, que les mécanismes d'appel à l'intérieur du projet de loi n° 130 sont à toutes fins pratiques inexistants – on s'entend là-dessus, sauf pour deux ou trois qui existent encore – en contradiction complète avec l'engagement que lui-même avait pris lorsqu'il était candidat du Parti québécois, avant de se faire élire, en contradiction complète avec son programme. Qu'il soit important, à l'heure actuelle, de faire une réforme des tribunaux administratifs, nous sommes d'accord. Ça n'a pas été le travail... Pendant des heures innombrables, le député de Chomedey a travaillé ici à la réforme des tribunaux administratifs et il n'a pas fait du tout d'obstruction.

La question de fond à l'heure actuelle, et c'est important de bien le rappeler, c'est et les mécanismes d'appel et les mécanismes de nomination des juges sur les tribunaux administratifs. On ne parle pas du reste des articles qui vont essayer de modifier un fonctionnement, de rendre quelque chose plus moderne, bien sûr. On parle sur deux choses fondamentales, des questions de principe. Les nominations des juges qui vont siéger sur ces tribunaux administratifs doivent, de notre point de vue et de leur point de vue, avant qu'ils se fassent élire, si j'en crois leur programme, avoir un caractère total d'indépendance, ce qui n'est pas prévu à l'intérieur du projet de loi n° 130, les juges étant soumis à des mécanismes de renouvellement qui peuvent être entachés de partisanerie politique.

(17 h 40)

Deuxième élément, il était important, à l'intérieur du projet de loi, de faire en sorte que les décisions qui auraient pu être rendues par les tribunaux administratifs... Et on est tout à fait d'accord, il s'agit d'accélérer les mécanismes pour rendre des décisions, dans le cas des tribunaux administratifs, nous en sommes partisans, mais que ces décisions puissent être appelables devant une cour de justice. Il suffirait d'un geste du ministre actuellement...

M. Gobé: Un trait de crayon.

M. Gautrin: ...de retirer d'un trait de crayon, comme dit le député de LaFontaine, l'article 153 du projet de loi, qui limite et virtuellement abolit les mécanismes d'appel. Il suffirait d'un geste pour rendre son projet de loi beaucoup plus acceptable et au Barreau, et aux différents intervenants dans le monde de la justice, et à l'opposition. L'article 153 est celui qui pose problème. On n'est pas en train de dire que tout le projet de loi ne vaut pas grand-chose, etc. L'article 153, c'est celui qui limite, à l'heure actuelle, les mécanismes d'appel.

Le député de Saint-Jean l'a reconnu, il existe deux ou trois mécanismes d'appel, mais, dans l'ensemble, les mécanismes d'appel sont complètement supprimés, ce qui bafoue un des principes fondamentaux, je pense, de notre système de justice dans lequel on peut en appeler à ce qu'on appelle des tribunaux supérieurs. Alors, pour deux raisons – pour leur permettre de suivre leur programme – pour deux raisons, c'est-à-dire pour à la fois garantir l'indépendance des juges sur les tribunaux administratifs et, deuxièmement, pour leur permettre de modifier deux petites choses dans le projet de loi: la question des droits d'appel... M. le Président, il est normal, à l'heure actuelle, à ce stade de ce débat, avant qu'on finisse l'adoption finale du projet de loi n° 130, de dire: Écoutez! Un trait de crayon va permettre de rendre tellement meilleur votre projet de loi. Permettez donc les mécanismes d'appel, garantissez donc actuellement l'indépendance des juges, et après on pourra en discuter.

On ajourne le débat, M. le Président. Ils peuvent revenir après avoir fait ces corrections mineures, mais qui ont tellement d'importance sur le plan des principes, et à ce moment-là on pourra rediscuter du projet de loi important pour la vie de la société québécoise. Merci.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Verdun. Nous allons maintenant mettre aux voix la motion d'ajournement présentée par le député de Verdun. Que les députés qui sont en faveur de la motion d'ajournement veuillent bien se lever.

Des voix: Adopté.

Des voix: Rejeté.

M. Lefebvre: Vote nominal.

Le Vice-Président (M. Pinard): Veuillez appeler les députés, s'il vous plaît.

(17 h 44 – 17 h 52)

Le Vice-Président (M. Pinard): À l'ordre, s'il vous plaît. Mmes, MM. les députés, veuillez prendre place. Mmes, MM. les députés, veuillez vous asseoir.


Mise aux voix

Merci. Nous allons maintenant mettre aux voix la motion d'ajournement... Je disais donc que nous allons maintenant mettre aux voix la motion d'ajournement – du député de Verdun – du débat sur la prise en considération du rapport de la commission des institutions sur le projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative, ainsi que les amendements transmis par M. le ministre de la Justice et les amendements transmis par M. le député de Chomedey en vertu de l'article 252 de notre règlement.

Alors, que les députés qui sont en faveur de cette motion veuillent bien se lever.

Le Secrétaire adjoint: M. Paradis (Brome-Missisquoi), Mme Gagnon-Tremblay (Saint-François), M. Middlemiss (Pontiac), M. Gauvin (Montmagny-L'Islet), M. Vallières (Richmond), Mme Frulla (Marguerite-Bourgeoys), M. Cusano (Viau), M. Maciocia (Viger), M. Gobé (LaFontaine), M. Parent (Sauvé), Mme Bélanger (Mégantic-Compton), M. Bissonnet (Jeanne-Mance), M. Brodeur (Shefford), M. Benoit (Orford), M. Williams (Nelligan), M. Gautrin (Verdun), M. Marsan (Robert-Baldwin), M. Chagnon (Westmount–Saint-Louis), M. Lefebvre (Frontenac), M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine), M. Sirros (Laurier-Dorion), Mme Delisle (Jean-Talon), M. Bordeleau (Acadie), M. Beaudet (Argenteuil), M. LeSage (Hull), M. Poulin (Beauce-Nord), M. Chenail (Beauharnois-Huntingdon), M. Bergman (D'Arcy-McGee), M. Ouimet (Marquette), Mme Loiselle (Saint-Henri–Sainte-Anne), M. Fournier (Châteauguay), M. Cherry (Saint-Laurent), M. Charbonneau (Bourassa), M. Mulcair (Chomedey), Mme Vaive (Chapleau).

Le Vice-Président (M. Pinard): Que les députés qui sont contre cette motion veuillent bien se lever.

Le Secrétaire adjoint: M. Bélanger (Anjou), M. Chevrette (Joliette), M. Ménard (Laval-des-Rapides), Mme Marois (Taillon), M. Bégin (Louis-Hébert), M. Trudel (Rouyn-Noranda–Témiscamingue), M. Gendron (Abitibi-Ouest), M. Perron (Duplessis), Mme Doyer (Matapédia), M. Boucher (Johnson), M. Julien (Trois-Rivières), M. Cliche (Vimont), M. Perreault (Mercier), Mme Beaudoin (Chambly), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Jolivet (Laviolette), M. Rioux (Matane), M. Payne (Vachon), M. Blais (Masson), Mme Malavoy (Sherbrooke), M. Baril (Berthier), M. Facal (Fabre), Mme Caron (Terrebonne), M. Paré (Lotbinière), M. Bertrand (Charlevoix), Mme Vermette (Marie-Victorin), M. Pelletier (Abitibi-Est), Mme Leduc (Mille-Îles), M. Morin (Dubuc), M. Boulerice (Sainte-Marie–Saint-Jacques), M. Landry (Bonaventure), M. Paquin (Saint-Jean), Mme Simard (La Prairie), M. Baril (Arthabaska), M. Laurin (Bourget), M. Rivard (Limoilou), M. Côté (La Peltrie), M. Deslières (Salaberry-Soulanges), Mme Signori (Blainville), M. Beaulne (Marguerite-D'Youville), M. Beaumier (Champlain), Mme Barbeau (Vanier), M. St-André (L'Assomption), M. Lachance (Bellechasse), M. Laprise (Roberval), M. Morin (Nicolet-Yamaska), M. Létourneau (Ungava), M. Lelièvre (Gaspé), M. Gaulin (Taschereau), M. Gagnon (Saguenay), Mme Charest (Rimouski), M. Dion (Saint-Hyacinthe), M. Brien (Rousseau), M. Désilets (Maskinongé) M. Filion (Montmorency).

Le Vice-Président (M. Pinard): Y a-t-il des députés qui s'abstiennent? M. le secrétaire général.

Le Secrétaire: Pour:35

Contre:55

Abstentions:0

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, je déclare la motion d'ajournement rejetée.

Comme nous en sommes maintenant à 17 h 58, nous allons suspendre nos travaux jusqu'à ce soir, 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 58)

(Reprise à 20 h 5)


Reprise du débat sur la prise en considération du rapport et des amendements transmis

Le Vice-Président (M. Brouillet): Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît! Nous allons poursuivre le débat sur la prise en considération du rapport de la commission des institutions. Alors, je suis prêt à reconnaître... non pas à reconnaître mais à céder la parole à la prochaine intervenante. Mme la députée de Saint-Henri– Sainte-Anne, je vous cède la parole.


Mme Nicole Loiselle

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Je tenais, vous comprendrez, à intervenir dans le cadre de la prise en considération du rapport du projet de loi n° 130, le projet de loi qui touche la réforme de la justice administrative. Je n'ai pas à vous rappeler que ce projet de loi est sous la guillotine, et on a essayé de bâillonner, de retirer le droit de parole des députés de l'opposition. Et je me rends compte que, même si on a essayé de nous enlever notre droit de parole, on a quand même la chance de s'exprimer aujourd'hui. Mais je me rends compte que ceux qui ont été le plus bâillonnés dans cette Chambre, ce sont les députés ministériels, les députés du Parti québécois, qui, pour la grande majorité, à part un, M. le Président... Je dois attirer votre attention à cet égard. C'est le courageux député de Saint-Jean qui aujourd'hui s'est levé et a parlé, en faveur du projet de loi malheureusement, mais il a quand même eu le courage de parler, tandis que tous ses collègues du gouvernement, tous les députés ministériels sont muets depuis le début du projet de loi n° 130. On ne sait pas s'ils sont pour; on ne sait pas non plus s'ils sont contre. Ils ont peut-être honte! Oui, vous avez raison, M. le député de Frontenac.

M. le Président, je ne comprends pas l'attitude fermée du ministre de la Justice. Quand ses partenaires les plus importants, les avocates et les avocats au Barreau du Québec, qui représente 17 000 avocats au Barreau du Québec, les partenaires les plus importants du ministre, quand, depuis des semaines, ces gens-là disent au ministre qu'il va dans la mauvaise direction, qu'avec sa réforme de la justice administrative le ministre de la Justice est sur la mauvaise voie, quand le ministre de la Justice constate jour après jour que son projet de loi, aussi majeur et aussi considérable que la réforme des tribunaux administratifs... il n'y a aucun consensus autour de sa réforme, aucun consensus, quand même, le ministre, lui, il va de l'avant.

Il me semble que, quand le ministre reçoit des avis des experts, comme le professeur Macdonald, qui est l'auteur du rapport de 1991 sur l'accès à la justice, ainsi qu'un autre expert, le professeur Yves Ouellette, auteur du rapport sur la justice administrative de l'année 1987, quand ces experts disent au ministre de la Justice que son projet de loi s'attarde davantage aux structures et à la procédure qu'aux besoins des citoyens, il me semble que le ministre de la Justice devrait réfléchir, M. le Président. Quand l'ensemble des intéressés dans le dossier, quand même le Conseil de la justice administrative dit au ministre – et j'inclus, M. le Président, il va de soi, le Barreau du Québec – que son projet de loi ne réussit pas à répondre adéquatement au seul problème auquel une réforme doit s'attaquer, soit l'indépendance et l'impartialité des membres des tribunaux administratifs, il me semble que le ministre devrait y réfléchir. Mais non, le ministre, lui, dit que sa réponse, c'est: On met le bâillon. Tout le monde a tort parce que, moi, j'ai raison.

Mais, M. le Président, quand un ministre qui s'est présenté sous la bannière du Parti québécois, quand un ministre a fait la campagne électorale en brandissant les éloges de son programme électoral, le ministre de la Justice devrait être gêné, parce que, dans le programme du Parti québécois, qu'est-ce qu'on retrouve? On dit que si le gouvernement du Parti québécois prenait le pouvoir il y aurait une réforme des tribunaux administratifs qui assurerait l'indépendance et l'impartialité des membres et inclurait des règles et procédures permettant un appel des décisions rendues. Ce que fait le ministre de la Justice, c'est tout à fait le contraire de son propre programme électoral, du propre programme politique de son parti.

Il me semble, M. le Président, quand on a des responsabilités aussi importantes qu'être le ministre de la Justice, qu'il faut être capable de démontrer qu'on a un peu de modestie, de démontrer qu'on a un peu de jugement, admettre son erreur et retourner faire ses devoirs. Mais non, le ministre, lui, il s'entête. Il nous a démontré, de toute façon, à plusieurs reprises qu'il était très têtu. En moins d'une semaine, le bâtonnier du Québec a été obligé d'écrire à deux reprises. Dans l'intervalle de sept jours, il a été obligé d'écrire à deux reprises au premier ministre du Québec pour dénoncer le travail bâclé, le travail mal fait du ministre de la Justice, pour dénoncer l'attitude méprisante du ministre de la Justice envers le Barreau du Québec et pour, finalement, dénoncer le manque de respect du ministre de la Justice envers ses partenaires.

(20 h 10)

J'aimerais vous rappeler, M. le Président, les commentaires du bâtonnier, qu'il adressait au premier ministre du Québec dans sa lettre du 4 décembre. Alors, le bâtonnier s'exprime ainsi au niveau de la motion. Quand je parlais du bâillon et de la guillotine, ça, ça s'est passé la semaine dernière. Alors, quand ils ont su ça, dans la même journée, ils ont fait parvenir une lettre au premier ministre du Québec, et le bâtonnier dit: «C'est avec stupéfaction que nous apprenions le dépôt à l'Assemblée nationale, le 28 novembre dernier, d'une motion de clôture concernant les travaux de la commission sur le projet de loi portant sur la justice administrative.» Les ministres ont l'air de s'amuser, M. le Président. Peut-être que, s'ils s'amusaient moins, il y aurait un projet de loi de réforme beaucoup plus intéressant. Le Barreau du Québec...

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: M. le Président, c'est celui ou celle qui parle, évidemment, qui considère s'il est dérangé ou pas. La règle de l'article 32... Je vois le ministre de la Justice qui continue à faire des pitreries pendant que je parle, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): On ne répare pas une erreur en en commettant une autre, M. le leader adjoint de l'opposition. Alors, je vous inviterais, s'il vous plaît, à respecter le droit de parole de Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne. Alors, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Dans la lettre du bâtonnier au premier ministre, on indique: «Le Barreau du Québec juge inconcevable que le gouvernement force l'adoption d'une telle pièce législative, qui constitue une réforme majeure.» On revient au consensus de tantôt, M. le Président, et je vous disais qu'il n'y en avait pas. Le bâtonnier dit: «En l'absence de consensus des milieux intéressés sur des éléments fondamentaux de la réforme proposée, nous considérons prématurée et inappropriée l'adoption de cette réforme.»

Mais le bâtonnier pose la question: «Où est l'urgence d'adopter avant les Fêtes le projet de loi n° 130?» M. le Président, je vais vous dire où est l'urgence. On vous l'a dit la semaine dernière, mais je le répète au ministre. L'urgence, c'est que le ministre, il a besoin d'avoir en poche son projet de loi n° 130 adopté parce que le ministre de la Justice, ce qu'il veut, c'est d'avoir le contrôle quant au processus des nominations partisanes qu'il veut faire.

Je vous rappelle, M. le Président, qu'actuellement il y a une cinquantaine de membres, dans les tribunaux administratifs, qui attendent des renouvellements de mandat. Et il est clair que ce que le ministre veut faire, au fond, ce n'est pas une réforme de la justice, ce qu'il veut faire, c'est se donner les moyens de contrôle sur les nominations partisanes. C'est ça qu'il veut faire puis il veut le faire avant la fin de la session de Noël.

Moi, je ne suis pas tellement surprise. Je vais vous dire, là, je ne suis pas tellement surprise de ce qui se passe. Parce que je vous rappelle, M. le Président, que ce gouvernement-là a été capable, tout récemment, de tasser de façon grossière et insolente une régisseure qui était en poste depuis des années. On a tassé, sans donner de bonnes explications, une femme qui travaillait depuis une quinzaine d'années. Pourquoi? Pour placer un ex-député péquiste, Richard Holden. Mais on a fait aussi pire, parce que le gouvernement a même osé mettre à la porte une femme de valeur exceptionnelle, un exemple de détermination et de courage. On a mis à la porte Mme Lise Thibault...

Une voix: Bien oui.

Mme Loiselle: ...qui était présidente de l'Office des personnes handicapées du Québec. Pourquoi? Pour nommer un député péquiste qui quittait la politique, M. Denis Lazure. Mais, aujourd'hui, moi, je suis très heureuse, j'ai une grande joie, parce que aujourd'hui Mme Lise Thibault a été nommée lieutenant-gouverneur du Québec.

Des voix: Bravo!

Mme Loiselle: Et j'ose espérer que la députée de Rimouski, qui a eu des paroles peu élogieuses envers cette nomination cet après-midi, j'ose espérer que la députée de Rimouski...

Mme Caron: Question de règlement.

Mme Loiselle: ...va s'excuser.

Mme Caron: Question de règlement!

Le Vice-Président (M. Brouillet): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: Oui, M. le Président. Nous avons été très clairs ce matin, au moment où le député de Shefford a voulu aborder ce sujet: à la période de questions, la présidence n'a entendu aucune parole de la part de la députée de Rimouski, aucune parole n'a été relevée, donc aucun propos n'a été entendu et ne doit être rapporté en cette Chambre.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): S'il vous plaît! S'il vous plaît! Pas trop d'intervenants, là. M. le leader adjoint de l'opposition.

M. Lefebvre: Qu'est-ce qu'il y a d'irrégulier aux propos tenus par ma collègue, à savoir qu'un député, en l'occurrence la députée de Rimouski, aurait prononcé des mots ou des paroles peu élogieuses? On sait tous à quoi fait référence ma collègue, mais elle ne l'a pas dit. Il n'y a rien d'irrégulier là-dedans...

Une voix: C'est parce qu'ils se sentent coupables.

M. Lefebvre: ...absolument rien d'irrégulier là-dedans.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Écoutez, je n'ai pas assisté à ces propos ce matin, alors je vous inviterais à ne pas répéter les propos, à ce moment-là – vous ne l'avez pas fait à date – à ne pas répéter le propos... que j'ignore, finalement.

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Alors, je continue sur ce projet de réforme bâclé du ministre de la Justice. Si le ministre considère vraiment que c'est une réforme majeure qu'il veut mettre en place, il me semble qu'on se serait attendu à ce que les députés ministériels se lèvent et nous fassent connaître leur opinion.

M. Lefebvre: Écrasés.

Mme Loiselle: Oui, vous avez raison, M. le député de Frontenac, ils sont écrasés. Il faut se demander s'ils sont écrasés par le silence de la solidarité ou bien écrasés par le silence de la honte.

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Honte.

Mme Loiselle: Et j'aimerais bien entendre quelques députés ministériels au cours de la soirée nous dire vraiment ce qu'ils pensent de leur ministre, au moins qu'ils aient le courage de se lever pour le défendre, parce qu'il me semble que, si le leader voulait défendre son ministre, pourquoi lui faire subir finalement un bâillon à trois étapes? Il faudrait se poser la question. Le ministre de la Justice, je l'invite à se poser la question.

Deux minutes? Alors, M. le Président, vu qu'il me reste très peu de temps, et pour les gens qui nous écoutent ce soir et qui n'ont pas eu la chance d'entendre nos travaux cet après-midi, j'aimerais relever quelques passages de la lettre du bâtonnier du Barreau du Québec qui, comme je vous disais tantôt, une semaine plus tard, soit le 11, doit écrire une deuxième fois au premier ministre Bouchard, le premier ministre du Québec, au sujet du mécontentement, du désaccord complet envers le ministre de la Justice.

Alors, le bâtonnier y va comme suit: «Le ministre de la Justice a tenu, le 9 décembre dernier, à l'Assemblée nationale des propos qui tendent publiquement à remettre en question la bonne foi du Barreau dans le dossier de la réforme de la justice administrative.» Je vous rappelle, M. le Président, que c'est le même ministre qui a cette habitude de porter des jugements et qui nous avait dit, d'un ton très méprisant, que les femmes enceintes ont souvent tendance à faire des vols. Alors, c'est le même ministre qui a des propos aussi méprisants envers le Barreau du Québec.

Le bâtonnier continue, M. le Président, en terminant: «De tels propos démagogiques et indélicats, tenus par surcroît par un ministre de la Justice, jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent – ça c'est un mot... – un sens peu développé des institutions.»

En terminant, M. le Président, moi, je dis au ministre de la Justice qu'il doit reconnaître que les principes de la justice sont bafoués dans sa réforme et que les citoyens sont perdants. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne. Je vais maintenant céder la parole à M. le député d'Argenteuil. M. le député.


M. Régent L. Beaudet

M. Beaudet: Merci, M. le Président. Moi aussi, à mon tour, il me fait plaisir de me lever au sujet de la prise en considération du projet de loi n° 130. Je dois manifester mon regret, tout comme ma consoeur vient de le faire, au sujet de l'inactivité, de l'inaction... Je ne sais pas si c'est la honte ou la fatigue qui finit par avoir le dessus sur nos confrères du parti ministériel, mais ils sont grandement muets dans leurs remarques quant au projet de loi n° 130. Il me semble, avec toutes les attaques que l'opposition y a apportées, moi, si j'étais du parti ministériel, je me lèverais pour aller à la défense du ministre de la Justice. Mais, loin de là, ils sont tous cois, ils sont muets, sauf le député de Saint-Jean qui s'est manifesté cet après-midi d'une façon relativement faible, mais, quand même, il l'a fait. Alors, c'est un homme courageux, et on doit le féliciter. Au moins il a manifesté le courage de prendre son droit de parole et il a manifesté son droit tout à fait démocratique, au moins, de manifester l'opinion des gens qu'il représente, ce qui n'est pas nécessairement le fait de tous les autres députés.

(20 h 20)

Et, malgré cette situation, cet après-midi, je discutais avec la députée de Blainville, et elle me disait l'importance de ce projet, que chacun se manifeste activement avec ses opinions. Mais, pourtant, le silence, le silence, M. le Président.

Une voix: Le silence des agneaux.

M. Beaudet: On a l'impression qu'on leur a enlevé le droit de parole, et pourtant ils devraient se manifester clairement dans ce projet de loi.

Ce matin, nous avions la visite dans les tribunes d'une délégation d'avocats et d'avocates, et il me semble que le ministre devrait comprendre. Il devrait comprendre le rôle que ces gens-là jouent dans l'administration de la justice et que lui se doit d'être à leur écoute. Ce sont ses confrères et ses consoeurs, des compétences en justice. Si on parle, à moi, comme compétence en justice, bien, j'en conviens... Mais, lorsque l'on voit que ses consoeurs et ses confrères se manifestent aussi ouvertement contre ce projet de loi, je pense que le ministre a l'obligation au moins de les écouter, d'échanger avec eux et non pas de nous imposer à nous aussi, de ce côté-ci de la Chambre, le bâillon, comme il semble l'avoir imposé à ses confrères et consoeurs de son propre côté. Et le bâtonnier écrivait une lettre à La Tribune , M. le Président, où il disait toute l'importance de ce projet de loi pour la réforme. Mais il disait en même temps qu'il doit pour cela donner aux justiciables québécois qui présentent des réclamations contre lui toutes les garanties nécessaires au bon fonctionnement de la justice et au respect de leurs droits.

M. le Président, lorsqu'on se retrouve dans un tribunal administratif et que la personne devant qui on doit se prononcer a été nommée pour des fins partisanes, non pas pour sa compétence, non pas pour son passé, son vécu, sa formation, mais parce que c'est un ami du parti, parce qu'il a bien évolué dans le milieu politique, bien là on perd la notion de la mise en place d'un processus démocratique respectueux. Et je pense que le ministre de la Justice, dans sa compétence et dans ses connaissances, devrait reconnaître le bien-fondé de cette situation et la corriger, la corriger dans son projet de loi. Mais, là encore, la justice va se retrouver bafouée.

Et le bâtonnier du Québec de continuer, M. le Président: «...que la pierre angulaire de toute réforme en matière de justice administrative doit reposer sur l'indépendance des personnes exerçant des pouvoirs judiciaires.» M. le Président, ce n'est pas n'importe qui. Ce n'est pas le dernier venu des avocats, il n'est pas à la retraite, c'est le bâtonnier. C'est le bâtonnier du Québec qui lui dit qu'il doit y avoir une indépendance des personnes exerçant des pouvoirs judiciaires. Mais tout ce que l'on retrouve dans son projet de loi, c'est des nominations partisanes. Comment voulez-vous que la justice puisse s'exercer d'une façon compétente, impartiale et juste? Alors, vous allez comprendre que, devant des situations comme ça, les phrases que l'on peut attribuer au ministre de la Justice, où il disait: «Il faut que je mette mes gars en place, comme vous le ferez quand vous reviendrez au pouvoir», bien, ça nous laisse un goût amer.

Mme Caron: Question de règlement. M. le Président...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Oui, Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: ...le député d'Argenteuil vient justement de répéter des paroles sur lesquelles vous avez vous-même rendu jugement à l'effet que vous ne vouliez plus en cette Chambre entendre répéter des propos que le ministre a lui-même niés. Alors, M. le Président, s'il vous plaît.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Bien, écoutez, j'étais occupé à vérifier certains textes quand il a parlé, mais je vais revenir sur ce point-là. Alors, vous le savez très bien, ça a été très clair, la décision que j'ai rendue, et je crois que personne ne peut l'ignorer. Ça a été suffisamment répandu et affirmé. Alors, j'ai pris ma décision, que c'était interdit dans le cadre de nos débats, ici, de revenir sur des propos qu'aurait tenus le ministre de la Justice – vous savez lesquels – et que le député de Chomedey aurait rapportés en cette Chambre. Alors, on s'est entendu pour que ces propos-là soient exclus, bannis, si vous voulez, de nos débats actuellement dans cette Chambre, et j'ai expliqué pourquoi. Alors, c'est une décision. Écoutez, je ne comprends pas, là. Ça fait deux fois aujourd'hui que je reviens dans des textes où ces choses-là arrivent. Essayez de ne pas revenir, d'ici la fin de nos débats, sur cette question-là. Ça a été décidé, argumenté. Alors, M. le député d'Argenteuil, vous avez la parole.

M. Beaudet: Oui, M. le Président. Je n'argumenterai pas le bien-fondé de votre décision. Je la respecte et je retire ce que j'ai dit précédemment. Malheureusement, j'étais absent de la Chambre, je devais être en commission lorsque vous avez prononcé ces paroles. Alors, je les retire.

Mais il n'en reste pas moins que le bâtonnier continue dans sa lancée contre ce projet de loi et qu'il nous dit: «De façon générale, nous devons malheureusement conclure que la réforme proposée est inacceptable dans son état actuel.» M. le Président, qu'on ait prononcé des paroles ou qu'on ne les ait pas prononcées, ça, c'est écrit, et c'est le bâtonnier qui l'a écrit. Il me semble que le ministre devrait l'écouter. Peut-être qu'il ne réalise pas, des fois, ce qu'il dit, mais peut-être qu'il peut lire ce que les autres ont écrit. Ça pourrait l'éclairer, ça pourrait lui donner des idées pour modifier sa loi. Ça pourrait aider les citoyens à avoir accès à un tribunal impartial, juste, équitable. C'est tout ce qu'on demande, en fin de compte, c'est tout ce qu'on demande. On ne demande pas des choses aberrantes, on essaie d'aller dans la ligne de pensée des gens compétents dans ce secteur d'activité qu'est la justice. Et qui est plus compétent que le bâtonnier? Il me semble que c'est la personne qu'on devrait respecter dans le milieu de la justice, des avocats et des avocates. Alors, quand il nous dit ça, on devrait l'écouter.

Il mentionne même que l'indépendance des membres du Tribunal, la reconnaissance d'un droit d'appel et de cohérence du nouveau Tribunal administratif qui doit englober les questions relatives aux lésions professionnelles constituent des motifs fondamentaux et incontournables à la remise en question du bien-fondé de la réforme. Qu'est-ce qu'il veut de plus, le ministre de la Justice? Je ne le sais pas. Je peux bien me mettre à genoux, s'il veut. Mais, s'il ne me regarde pas, il ne pourra pas me voir, je ne pourrai pas le convaincre. Il veut que je me garde de me mettre à genoux, alors je vais rester debout; mais qu'il m'écoute, mais qu'il écoute et qu'il lise les lettres et les articles qui ont été écrits par le bâtonnier. Peut-être qu'il va finir par comprendre.

Puis, si ce n'est pas suffisant, ce que le bâtonnier a pu écrire et a pu écrire au premier ministre lui-même, bien, il devrait lire le programme de son parti, à moins que, lui aussi, il se trouve mal à l'aise à l'intérieur de son parti; bien, là, on pourrait comprendre. Mais pourtant c'est bien dit à l'intérieur de son programme qu'en matière administrative une loi-cadre couvrant l'ensemble des organismes ou personnes exerçant des fonctions quasi judiciaires sera adoptée pour assurer aux administrés les décisions rendues par une personne ou un organisme impartial et indépendant. C'est ça qu'on cherche, M. le Président, et c'est ça que le ministre de la Justice doit se soumettre à donner à la population, parce que c'est ça que la population réclame et c'est ça que l'opposition a demandé dans le suivi et dans la foulée de tous les gens qu'on représente.

Alors, M. le Président, il est évident que, devant une telle démarche du ministre, qui veut nous passer le bâillon pour la loi n° 130, bien, il bafouera la justice encore une fois, et le droit démocratique des citoyens du Québec et des citoyennes de se faire entendre sera encore une fois bafoué. Merci.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député d'Argenteuil. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de... Jeanne-Mance. C'est bien ça.


M. Michel Bissonnet

M. Bissonnet: Merci, M. le Président. Ma journée a tellement bien commencé aujourd'hui. Ça a été une journée extraordinaire quand j'ai appris ce matin ici la nomination d'une femme exceptionnelle, mais exceptionnelle, Lise Thibault, qui était la présidente de l'Office des personnes handicapées, qui va être notre lieutenant-gouverneur. Tous les gens à qui j'en ai parlé, ils étaient tous de bonne humeur, et vive cette nomination!

Une voix: Bravo!

(20 h 30)

M. Bissonnet: M. le Président, pourriez-vous demander au député de Sainte-Marie–Saint-Jacques, s'il veut parler, qu'il se lève.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Il n'est pas debout, alors j'en conclus qu'il ne veut pas parler. Je vous invite, s'il vous plaît, M. le député de Jeanne-Mance... Alors, je vous cède la parole. Et j'inviterais tous les autres à respecter son droit de parole.

M. Bissonnet: Très important, monsieur. Alors, nous sommes sur le projet de loi n° 130 et nous sommes à la prise en considération du rapport. Je ne sais pas combien il y a de députés de la formation gouvernementale qui ont consulté le rapport de la commission des institutions. M. le ministre, est-ce que vous avez le rapport avec vous? M. le Président, je demanderais au député, n'est-ce pas, du comté de Vachon, s'il veut vous adresser la parole, qu'il se lève.

M. Payne: ...c'est plutôt que le député de Jeanne-Mance a très peu de choses à dire. Donc, c'est lui qui devrait s'asseoir.

Le Vice-Président (M. Brouillet): S'il vous plaît! Alors, c'est M. le député de Jeanne-Mance qui a le droit de parole, j'ai hâte de l'entendre. J'espère que les autres, vous allez vous taire le plus rapidement possible. M. le leader adjoint, rapidement.

M. Lefebvre: M. le Président, à deux reprises depuis le début de son intervention – ça fait à peine trois ou quatre minutes – le député de Jeanne-Mance a été obligé de ramener deux députés ministériels à l'ordre en invoquant, sans le dire textuellement, en citant l'article, le décorum, à savoir qu'on le laisse parler. Et les interpellations, lorsqu'on n'a pas la parole, vous le savez et vous l'avez à plusieurs reprises indiqué aux députés, c'est interdit, en vertu de l'article 32, paragraphe 2 particulièrement, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, vous connaissez tous l'article, et je l'a rappelé tantôt, quand j'offrais à M. le député de Jeanne-Mance de reprendre son droit de parole. Et j'espère qu'à l'avenir tous vont respecter ce droit de parole. M. le député de Jeanne-Mance.

M. Bissonnet: Merci, M. le Président. Alors, nous en sommes, comme je le mentionnais, sur la prise en considération du rapport. La commission des institutions, qui a siégé sur cet important projet de loi, Loi sur la justice administrative, n'a siégé que 47 heures, et ça a bien été. Ça a été vraiment un travail productif, parce que, lorsqu'on voit le rapport, il y a eu plusieurs amendements qui ont été apportés par le député de Chomedey qui ont été acceptés par les membres de la commission. Je vous rappelle, M. le Président, qu'à cette commission-là il y a plusieurs députés qui sont membres. Il y a le député de... Vachon. Non, pas Vachon.

Une voix: Ah non?

M. Bissonnet: Non, non, pas Vachon, je m'excuse. C'est parce que j'ai des noms de famille, M. le Président, il faut que... Alors, il y a le député de Gaspé, le député de Saint-Jean, le député de Sainte-Marie–Saint-Jacques, le député de L'Assomption, le député de Lotbinière. Alors, ces députés, j'aimerais qu'ils puissent intervenir sur le rapport de la commission pour nous informer. Parce que, vous savez, le Barreau du Québec, ça fait deux lettres qu'il écrit au ministre. Ils ont écrit une première lettre le 4 décembre 1996 et une autre lettre le 11 décembre, et ces lettres sont très significatives. Alors, je pense que le ministre de la Justice, qui a reçu ces lettres-là, devrait... Premièrement, je suis convaincu qu'il les a lues. Les deux ont été adressées au premier ministre, mais je suis convaincu qu'on a transmis les copies au ministre de la Justice.

Dans la deuxième lettre, et je vais en citer quelques paragraphes: «Le ministre de la Justice a tenu, le 9 décembre dernier, à l'Assemblée nationale – et je me réfère à la lettre du Barreau, signée par le bâtonnier, M. Masse – des propos qui tendent publiquement à remettre en question la bonne foi du Barreau dans le dossier de la réforme de la justice administrative.» En somme, de l'avis du ministre, le Barreau s'opposerait à la réforme pour des motifs étrangers à son mandat de protection du public. Le ministre a déclaré en Chambre à cet effet, et je le cite: «On pourrait peut-être penser, M. le Président, que l'opposition manifestée par le Barreau a d'autres motifs que ceux que nous connaissons et qui ont été énoncés. Le Barreau n'est pas prêt à cette réforme parce qu'elle a peut-être pour lui des implications au niveau de ses membres, au niveau des mandats qu'ils peuvent avoir, et je pense que c'est beaucoup plus ça qui le motive que des questions de fond du projet.»

Et, lors de l'audition de la commission, le 10 juin, le professeur de droit Gilles Pépin, qui est très spécialisé dans les tribunaux administratifs, est quand même intervenu à cette commission. Et aujourd'hui on se demande pourquoi le ministre n'aurait pas attendu le rapport qui a été présenté. Il l'a été après 40 heures, et c'est un dossier qui est très important, la réforme des tribunaux administratifs. Et je suis convaincu, M. le Président, que si on va, avec un projet de loi comme ça, de l'avant sur les bases du droit administratif... Et nous, dans les bureaux de comté, on a des gens qui viennent nous voir pour la Régie de l'assurance-maladie, la Régie de l'assurance automobile, la Régie des rentes, les accidents de travail, ce sont toujours des personnes qui doivent se diriger vers les tribunaux administratifs.

Alors, je pense, M. le Président, que le ministre devrait continuer les travaux en commission parlementaire pour arriver avec un projet de loi qui soit bonifié et entendre de nouveau le Barreau, qui a des revendications importantes dans ce dossier-là. Alors, je voterai contre, et je trouve ça malheureux que le ministre de la Justice ne donne pas suite à l'organisme qu'est le Barreau du Québec, qui veut, lui, protéger les citoyens. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, je vous remercie, M. le député de Jeanne-Mance. Je vais maintenant céder la parole à Mme la députée de Saint-François.


Mme Monique Gagnon-Tremblay

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Lorsqu'un projet de loi est déposé, le rôle de l'opposition officielle est de le scruter à la loupe, de consulter les parties concernées et d'apporter des améliorations s'il y a lieu. Tout projet de loi doit être adopté en fonction des besoins d'une collectivité, dans le but d'améliorer des processus et, dans le cas qui nous préoccupe, de s'assurer, entre autres, que le mode de nomination et de renouvellement des juges administratifs visé par la réforme soit le plus transparent possible.

Ce projet de loi, qui a pour but de créer le Tribunal administratif du Québec, doit regrouper la plupart des tribunaux administratifs du Québec, revoir le mode de nomination des juges administratifs, créer le Conseil de la justice administrative et préciser les règles applicables aux décisions administratives versus celles applicables aux décisions quasi judiciaires. Ce projet de loi, loin de faire unanimité, mérite d'être encore bonifié. Lors des consultations générales tenues l'hiver dernier et portant sur ce projet de loi, il est apparu très tôt et très clairement qu'il était incomplet et ne correspondait qu'au squelette de la réforme.

Le ministre s'était engagé à déposer au printemps 1996 un projet de loi d'application. Il s'était aussi engagé à consulter à nouveau les divers intéressés avant de procéder à l'étude et à l'adoption du projet de loi n° 130 et de la loi d'application de façon concomitante. Le ministre n'avait pas d'autre choix, car une vaste majorité des intervenants avait clairement exprimé que le projet de loi n° 130 ne devenait intelligible qu'à la lumière de sa loi d'application.

M. le Président, contre toute attente, le ministre rappelle quand même, le 3 septembre dernier, le projet de loi n° 130 en commission parlementaire. L'étude détaillée du projet de loi a permis, grâce à la vigilance de l'opposition officielle, d'amender plusieurs articles, mais nous nous sommes butés à une obstruction systématique du ministre, qui refusait d'amender les articles 13 et 17 dudit projet de loi. Sur 188 articles, au-delà de 47 heures en commission parlementaire, 146 articles ont été adoptés, soit 78 % du projet de loi. Mais le ministre de la Justice, pressé de faire taire ses détracteurs, a décidé, avec la complicité de ses collègues, d'imposer le bâillon à l'opposition, de passer outre à toutes les recommandations du Barreau et des experts et de faire adopter son projet de loi avant Noël. Ça dénote, M. le Président, de la part du ministre de la Justice, le peu de respect pour les institutions. Malgré les nombreuses interventions de l'opposition officielle et des experts, le ministre nous signifie qu'il est le seul à avoir le pas.

(20 h 40)

Pourtant, le ministre devrait être attentif à toutes ces revendications, puisque, à plusieurs occasions, il a dû retourner à sa table de travail et refaire ses devoirs. Rarement aura-t-on vu un ministre de la Justice aussi entêté, un ministre de la Justice qui a le don de se mettre tous ses principaux partenaires à dos. Rarement aura-t-on vu un ministre faire fi de toutes les recommandations de sa propre corporation professionnelle. Rarement aura-t-on vu un ministre de la Justice incapable de mener à terme une réforme sans utiliser la mesure du bâillon pour faire taire ses détracteurs.

M. le Président, ce projet, il en est un d'importance puisqu'il a pour but de regrouper une quarantaine de tribunaux administratifs au sein d'une seule superstructure qu'on appellera le Tribunal administratif du Québec, dont le siège sera à Québec. Cette superstructure est considérée par les experts comme étant plus importante que les cours municipales, voire même que la Cour du Québec. Je pense qu'il vaut la peine de prendre tout le temps nécessaire pour s'assurer que cette superstructure fonctionne bien et que la nomination des juges soit faite en toute indépendance et en toute impartialité, d'où l'importance d'être à l'écoute des experts qui, réunis en colloque le 18 octobre dernier, ont déclaré que le projet de loi s'attardait davantage aux structures et à la procédure qu'aux besoins des citoyens. Ces experts, le Barreau du Québec de même que plusieurs intervenants, dont le Conseil de la justice administrative, ont mis en relief que le projet de loi ne réussissait pas à répondre adéquatement aux seuls problèmes auquel une réforme devait s'attaquer, soit l'indépendance et l'impartialité des membres des tribunaux administratifs.

Principalement, c'est l'article 25 du règlement concernant le processus de renouvellement qui fait problème, en exprimant noir sur blanc que les mandats de cinq ans pourraient ne pas être renouvelés si, de l'avis du gouvernement, il est opportun de favoriser la nomination de nouveaux membres. Ceci constitue une caution législative aux nominations arbitraires et partisanes qui mine l'indépendance et l'impartialité des membres. Elle permet de faire légalement ce que le ministre de la Justice a fait à l'automne 1995, lorsqu'il a refusé de renouveler le mandat de membres compétents de la CALP afin de faire une place, on se souviendra, à Richard Holden et aux autres amis du pouvoir.

D'ailleurs, c'est l'autre façon de gouverner du gouvernement péquiste: retarder les nominations de nombreuses personnes dont les mandats sont à renouveler, dans plusieurs organismes ou régies, afin de mieux les contrôler. Pensons à toutes les nominations à faire à la Régie des alcools, à la Commission des affaires sociales, à la Régie du logement. Donc, comment réagit un fonctionnaire qui attend toujours que son poste soit renouvelé lorsqu'il reçoit une commande du cabinet d'un ministre? C'est une autre façon – une nouvelle façon, devrais-je dire – de tenir quelqu'un en otage: retarder le plus longtemps possible le renouvellement de son poste afin de lui faire passer les commandes qu'on veut bien lui faire passer et qu'il devra exécuter pour que son mandat soit renouvelé.

M. le Président, devant cette grave lacune quant à l'indépendance et à l'impartialité des membres du Tribunal administratif, le Barreau et les experts ont fait valoir qu'un droit d'appel devant les juges impartiaux et indépendants de la Cour du Québec était nécessaire. L'opposition a identifié une quarantaine de recours pour lesquels, à cause de la réforme, les citoyens perdent le droit à un appel devant les juges impartiaux et indépendants de la Cour du Québec au profit d'un droit d'appel devant les juges non impartiaux et non indépendants du Tribunal administratif du Québec.

Il me semble pourtant que le programme du Parti québécois faisait la promesse, en page 13, de voir à ce que – et je cite – les «règles de procédure permettant un appel des décisions rendues par ces organismes ou personnes devant [...] la Cour du Québec». Fin de la citation. Il faut admettre que le programme du Parti québécois ne veut plus dire grand-chose. Le Parti québécois s'est fait élire avec un programme, avec un chef; le chef est disparu un an après l'élection, et les militants sont estomaqués de constater que leur gouvernement applique un tout autre programme. Ils ne se reconnaissent plus avec le programme, ils ont de la difficulté à suivre leur chef. C'est la politique de faire, de défaire, c'est la politique d'oser, de reculer. C'est ça, l'autre façon de gouverner.

Une voix: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Le gouvernement, avec sa motion de clôture, bâillonne non seulement l'opposition, mais il bâillonne également le Barreau du Québec, les experts, tous les intervenants qui ont remis en cause l'indépendance et l'impartialité des membres du Tribunal administratif du Québec. De plus, à la veille de l'adoption de ce projet, aucune étude d'impact ni étude d'économies versus les coûts n'a été faite. Où est l'urgence de forcer l'adoption de ce projet? L'opposition officielle, qui a déjà permis l'adoption, comme je le mentionnais, de 78 % dudit projet de loi, serait prête à poursuivre son travail sur un projet aussi important qui modifiera en profondeur nos tribunaux administratifs. Pourquoi cette guillotine? Pourquoi adopter ce que les journalistes appellent l'affreux gâchis du ministre de la Justice? Je ne peux pas comprendre comment le premier ministre peut encore avoir une confiance illimitée en son ministre de la Justice, comme il l'a mentionné ce matin à la période des questions, alors que les gestes qu'il a posés à ce titre jusqu'à maintenant ont été décriés, les projets de loi qu'il a déposés ont dû être retournés sur le métier; et j'évite, bien sûr, de parler de certaines nominations.

M. le Président, un projet de loi qui introduit une telle superstructure aura des répercussions pour des années à venir. On parle de justice pour les contribuables, de nominations de juges qui doivent se faire en toute indépendance et en toute impartialité, de juges qui auront à statuer sur des litiges qui touchent les contribuables. Pourquoi le ministre s'entête-t-il à vouloir bâcler à ce moment-ci un tel projet sinon afin d'empêcher ses détracteurs de le contester? Vous comprendrez que l'opposition officielle ne peut être partie prenante à un tel gâchis, et nous prendrons tout le temps qui est mis à notre disposition pour le dénoncer. Merci, M. le Président.

Une voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, Mme la députée de Saint-François. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Richmond. M. le député.


M. Yvon Vallières

M. Vallières: Merci, M. le Président. Je pourrais peut-être me rasseoir quelques minutes si quelqu'un de l'autre côté voulait prendre la parole pour alterner avec les gens de ce côté-ci de la Chambre. Est-ce que je comprends, M. le Président, que je suis...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Vous connaissez le règlement: tant qu'il n'y a personne debout, moi, je ne bouge pas. Alors, vous êtes debout, je vous cède la parole.

M. Vallières: Merci, M. le Président. Honnêtement, je dois vous indiquer que j'ai déjà indiqué lors de l'étude du principe ce que je pensais de ce projet de loi n° 130, et j'ai également eu l'occasion, à une autre reprise, d'intervenir en cette Chambre pour insister sur le fait qu'on ne devrait pas se presser pour adopter à la vapeur un projet de loi aussi déterminant et qui touche l'être humain dans toutes ses dimensions et qui vient... Il suffit d'être dans un comté comme le mien pour voir, à chaque semaine, quand nous rencontrons des électeurs dans nos comtés, jusqu'à quel point la justice administrative affecte les contribuables, les électeurs de nos comtés. Et, honnêtement, je dois vous indiquer que je croyais vraiment que le gouvernement agirait de bonne foi dans ce dossier et accepterait de revoir sa position, et je ne pensais pas qu'on nous amènerait jusqu'à la limite à l'intérieur du processus que nous avons à peine amorcé, à ce qu'on m'indique, et qui devrait nous conduire, je pense, de force à l'adoption de ce projet de loi, le projet de loi n° 130, où, très probablement, ce que des fois on se contente de dire de ce côté-ci, la majorité servile permettra au gouvernement, finalement, de donner l'aval à un projet de loi qui ne mériterait pas, dans sa forme actuelle, d'être adopté en cette Chambre.

Malgré, donc, tous les efforts qui ont été faits par l'opposition officielle pour tenter de raisonner le ministre de la Justice, rien n'y fait, il s'entête à vouloir faire adopter son projet de loi, en refusant d'ailleurs d'apporter les amendements qui s'imposent. Un ministre dur d'oreille, un gouvernement dur d'oreille. Mon grand-père m'aurait dit qu'il s'agissait d'un gouvernement «dur de comprenure», après tout ce qui a été dit, et qui refuse de bouger dans la bonne direction. Ces amendements auraient pourtant permis de donner à cette loi son sens véritable, soit garantir aux citoyens du Québec qu'ils auront à leur disposition un système de justice dans lequel ils pourront avoir confiance, qu'ils seront à l'abri de tout geste arbitraire de la part du gouvernement, qu'en tout temps ils auront accès à un tribunal vraiment impartial et indépendant pour faire valoir leurs droits.

(20 h 50)

Or, nous voici rendus à l'étape de prendre en considération le rapport de la commission, rapport que nous ne pouvons pas entériner puisqu'on nous a retiré notre droit de parole durant les travaux de la commission. De plus, le ministre pousse l'insolence jusqu'à défaire en Chambre ce qui a été conclu en commission parlementaire. Il abroge un amendement proposé par l'opposition officielle et qu'il avait accepté et adopté. En plus de revenir sur une de ses décisions, il renie la promesse qu'il nous avait faite d'introduire certains amendements à l'article 166 du projet de loi en échange de notre retrait de proposition d'amendement aux articles 3.1 et 8.

Je dois donc malheureusement me rendre à l'évidence, comme plusieurs autres en cette Chambre, l'étude du projet de loi article par article en commission parlementaire, malgré la bonne volonté de l'opposition officielle, n'aura été qu'un simulacre d'étude. Et pourtant ce projet de loi propose une réforme majeure de nos institutions. Lorsque je suis intervenu sur la motion de clôture des débats de la commission parlementaire, j'ai mentionné combien était importante la justice administrative dans notre société, et permettez-moi, M. le Président, de le répéter encore aujourd'hui pour que le ministre saisisse bien la portée réelle de ce projet de loi n° 130.

Donc, en 1993, la quarantaine de tribunaux administratifs du Québec ont tranché 250 000 litiges, tandis que les tribunaux judiciaires, pour leur part, ont rendu 5 670 verdicts. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. Et ce recours à la justice administrative doit absolument être à l'abri de toute ingérence de quelque nature soit-elle et devra toujours pouvoir s'exercer librement. Le Barreau du Québec s'est adressé directement au premier ministre le 11 décembre pour le supplier d'empêcher l'adoption de cette loi. Elle est trop imparfaite et causera un énorme préjudice aux citoyens.

Le mode de nomination des membres du Tribunal administratif du Québec, entre autres, constitue à sa face même une insulte à notre intelligence. Comment ne pas y voir, à l'article 25 du règlement qui donne toute la latitude au gouvernement de renouveler ou pas le mandat des membres du Tribunal, une porte ouverte aux amis du régime, aux amis de ce gouvernement afin de les faire accéder à des postes stratégiques? D'ailleurs, ce gouvernement ne se gêne pas pour dire que les hauts fonctionnaires ou nos représentants à l'étranger doivent partager la philosophie politique du gouvernement, la philosophie séparatiste du gouvernement, la philosophie souverainiste de ce gouvernement, sinon, rien à faire pour eux au gouvernement du Québec. Ces juges nommés par le gouvernement pour une période donnée seront sous l'emprise du gouvernement, surtout de ce gouvernement qui, plus souvent qu'autrement, exige une profession de foi péquiste, souverainiste comme critère de base dans le choix des postes clés de l'État.

Comment peut-on imaginer qu'un simple citoyen qui se voit lésé dans ses droits, lorsqu'il fera face à des juges non impartiaux et non indépendants du Tribunal administratif du Québec, pourra être assuré que la justice sera rendue dans son cas? Lorsqu'une des règles du jeu est faussée dès le départ, on peut facilement en conclure que la décision risque d'être entachée.

Autre sujet d'inquiétude dans ce projet de loi, c'est l'absence du droit d'appel. Et nous avons certainement raison de nous en inquiéter, étant donné ce que viens de dire... Même un député ministériel, dans un sursaut de bon sens, a joint sa voix à celle de l'opposition et a plaidé en faveur de la création d'un droit d'appel. L'existence du droit d'appel fait partie de notre justice administrative, et il n'y a aucun motif valable pour l'interdire ou l'entraver. Il faut que les citoyens puissent exercer ce recours et s'adresser à des juges de la Cour du Québec, eux qui offrent des garanties d'indépendance et d'impartialité supérieures à celles prévues pour les membres du Tribunal administratif tel que proposé.

J'indiquais tantôt tous ces cas de comté qui, au fil du temps, s'adressent à nos bureaux pour obtenir justice. Ils sont très fréquents, que ce soit des cas de CSST, Commission de la santé et de la sécurité du travail, de la Société de l'assurance auto, de la Régie des rentes du Québec, de la Régie du logement et combien d'autres, tout ce qui touche le droit, qui concerne la personne, l'individu, ceux qui ont droit de faire des appels présentement.

Comme on peut le constater, le ministre de la Justice n'a aucun respect pour notre tradition en matière d'administration de la justice et il n'hésite pas à sacrifier sur l'autel des principes qui font que notre système de justice remplit adéquatement son rôle, soit d'assurer pleinement et entièrement les droits des citoyens. Il faut que les citoyens puissent exercer ce recours, M. le Président, je le répète, et s'adresser aux juges de la Cour du Québec, eux qui, à mon avis, garantissent un niveau d'impartialité supérieur à ce qui nous est proposé.

M. le Président, il faut également indiquer... Et j'en parlais cet après-midi avec des gens qui venaient de terminer leur droit, qui ont regardé le projet de loi, puis ils me disaient... Ils n'en revenaient pas de voir l'approche de ce gouvernement, à la lecture de la loi. On disait même que c'était le contraire des principes qu'on leur enseignait quand ils sont passés à l'université. On nous disait: C'est incroyable de voir jusqu'à quel point le gouvernement, qui devrait prêcher par l'exemple, se retrouve dans un contexte, dans une situation où il contribue à créer, même chez les gens qui sont des étudiants en droit, des doutes sérieux sur la façon dont le gouvernement se comporte.

Et, M. le Président – vous m'indiquez que mon temps va se terminer – je terminerai en vous indiquant jusqu'à quel point il peut paraître paradoxal aux électeurs du Québec de constater que nous prenions autant de temps à faire valoir notre point de vue sur un projet de loi qui est mal bâti, qui est mal conçu, alors qu'autant de problèmes sérieux mériteraient que, comme parlementaires, nous nous adressions à une problématique, par exemple, qui concerne toute la question de la création d'emplois. On avait l'occasion d'en parler aujourd'hui, jusqu'à quel point ce gouvernement néglige les emplois: 460 000 chômeurs au Québec, plus de 800 000 assistés sociaux, des jeunes qui quittent les régions, des investissements qui sont en manque dans l'immense majorité de nos régions, 60 000 chômeurs, 60 000 pertes d'emplois depuis l'arrivée de ce nouveau premier ministre à la gouverne.

M. le Président, pendant tout ce temps-là – et je termine là-dessus – la Chambre s'évertue à combattre des projets de loi qui, à mon humble avis, éviteraient une grande perte de temps si, avec plus de sérieux, le gouvernement actuel considérait les représentations qui lui parviennent de toutes les couches de la société actuellement pour refaire ses devoirs ou carrément nous éviter l'adoption de ce projet de loi n° 130.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Richmond. Y a-t-il d'autres intervenants? Alors, nous allons mettre aux voix le... C'est un intervenant. Ah bon! Excusez-moi, je croyais que vous vous leviez sur la demande du vote, là. Alors, vous intervenez sur le rapport, hein? Je vous cède la parole pour votre intervention.


M. Pierre Paradis

M. Paradis: Merci, M. le Président. Je voulais tout simplement, là, donner la chance à un parlementaire de l'autre côté de pouvoir s'exprimer, mais je dois constater que c'est le silence des agneaux. On laisse tondre le ministre sans se porter à sa défense.

M. le Président, comme le député de Richmond vient de le mentionner, avec les problèmes qui s'accumulent dans la société québécoise en matière de pertes d'emplois... On perd 200 emplois par jour, à chaque jour, sept jours par semaine, et, à tous les mois, c'est 6 000 emplois de moins. Et, depuis que le nouveau premier ministre est arrivé, il y a 10 mois, c'est 60 000 emplois de moins. Ça, ça cause de la pauvreté. Ça fait en sorte que cette pauvreté-là, qui se répand dans chacune de nos circonscriptions puis dans chacune de nos municipalités, comme tel, ça s'aggrave à un point tel qu'aujourd'hui deux personnages du monde ecclésiastique québécois ont décidé de sortir sur la place publique et faire appel un petit peu, là, au bon sens du gouvernement. M. le Président, on a vu le premier ministre répondre en Chambre, là. Le monde ecclésiastique n'est pas plus écouté que l'opposition officielle. Le monde ecclésiastique n'est pas plus écouté que ni l'opposition officielle ni le Barreau du Québec, dans le cadre d'un projet de loi sur la justice administrative.

Mais, M. le Président, le fait, là, que cette pauvreté-là se répande, ça met de la pression sur nos bureaux de comté. Les gens qui viennent nous voir aux bureaux de comté ont des problèmes de relations avec le gouvernement, puis ses organismes, puis ses offices. Puis, lorsqu'en même temps on coupe les ressources dans ces organismes puis dans ces offices, lorsqu'on fait en sorte que les gens qui ont à rendre des décisions aient des statuts précaires et dépendent du gouvernement, bien les gens ont l'impression d'avoir affaire à une immense machine politiquement dirigée qui est là pour les écraser.

(21 heures)

M. le Président, ce ne sont pas des propos, là, du député de Brome-Missisquoi; ce sont des propos du Protecteur du citoyen. Moi, je ne sais pas combien de députés de l'autre côté ont pris la peine de lire le dernier rapport du Protecteur du citoyen. Puis ce qu'on fait présentement, là, on est en train, pour des fins serviles et partisanes, d'enlever le dernier rempart de protection aux plus démunis. Ce n'est pas, généralement, les grosses compagnies puis les banques qu'on retrouve devant les tribunaux administratifs; ce sont des gens qui sont victimes d'accidents de travail, ce sont des gens à qui on a dit non quant à l'aide sociale, ce sont des gens qui sont des victimes d'accidents d'automobile, ce sont des gens aux prises avec des problèmes profondément humains, sociaux et économiques. Puis ce que le ministre de la Justice tente de faire présentement, c'est d'enlever à ces citoyens-là l'opportunité de pouvoir aller en appel d'une décision devant un tribunal libre, indépendant et impartial. M. le Président, est-ce qu'on peut, dans une période où on enlève des droits, où on enlève des services, où le citoyen a l'impression que l'État est en train de l'écraser au rouleau compresseur, lui donner au moins la chance d'avoir accès à un tribunal pour avoir une décision juste, honnête et impartiale?

Si on ne veut pas croire l'opposition, qu'on croie au moins le Protecteur du citoyen. Ces gens-là, qui vont se retrouver dans leur comté tantôt, vont avoir quoi à répondre à leurs concitoyens? Ils vont avoir à répondre qu'ils ont supporté silencieusement et discrètement, je dois l'avouer, leur ministre de la Justice parce qu'il avait des jobs à créer. Il s'en perd 200 par jour, là, mais on a des petits amis à nommer d'un autre côté, M. le Président. On a supporté silencieusement le ministre de la Justice parce qu'on ne voulait pas que le citoyen ait une possibilité d'aller en appel d'une décision d'un gouvernement. Ça ne sera pas facile à expliquer à vos concitoyens. Puis vous vous rappellerez, à ce moment-là – peut-être pas les propos des députés libéraux – la mise en garde du Protecteur du citoyen. Vous vous rappellerez la mise en garde, en fin de session, du monde ecclésiastique qui vous a dit que cette pauvreté se répandait au Québec et vous vous rappellerez l'inaction de votre gouvernement en matière de création d'emplois.

M. le Président, on touche, avec ce projet de loi, à des principes fondamentaux dans notre société. Moi, j'ai lu et relu, comme tout le monde, la lettre du Barreau du Québec. Je me suis dit: Pourquoi utiliser des propos aussi durs? Mais le Barreau est très clair, s'explique très clairement. Je vais vous en citer un passage que vous devez peut-être maintenant connaître par coeur et qui aurait avantage à être répété au ministre de la Justice qui fait semblant d'écouter. «De tels propos démagogiques – en parlant du ministre de la Justice, qui a tenu ces propos-là; c'est le Barreau du Québec qui parle – et indélicats, tenus par surcroît par un ministre de la Justice, jettent du discrédit sur l'institution du Barreau et trahissent un sens peu développé des institutions.» On parle comme ça du ministre de la Justice du Québec. Quelle sorte de pays veut-on bâtir, M. le Président?

Initialement, le Barreau du Québec s'opposait à la réforme de la justice administrative principalement pour trois raisons. Pas pour des motifs cachés, pas pour des motifs hypocrites, pour trois raisons. Et c'est affirmé sur la place publique, et le ministre de la Justice n'a pas été capable de les nier, M. le Président. Les trois raisons sont les suivantes: l'atteinte aux droits fondamentaux prévus à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne; deuxièmement, le processus de renouvellement du mandat des membres du Tribunal administratif – le côté, là, plus ou moins nominations partisanes, pour qu'on se comprenne bien – et l'appel des décisions du Tribunal, le côté accès au droit d'appel qui était reconnu, jusqu'au moment où le ministre adoptera cette loi, au simple citoyen.

Ça, c'est le Barreau de la province de Québec. Mais on n'est jamais si bien connu que par les gens de notre milieu, M. le Président. Là-dessus, il faut reconnaître au bâtonnier du Barreau de Québec... Pas du Québec, là, de la ville de Québec. J'insiste là-dessus parce que le ministre de la Justice est membre de cette section-là, puis on a l'avantage, dans ces sections du Barreau, de tous se connaître personnellement, les avocats qui pratiquent. Qu'est-ce que les collègues du ministre de la Justice à Québec, qui l'ont vu pratiquer, qui le connaissent bien, pensent maintenant de lui? Moi, j'oserais même dire que, lorsqu'il a accédé à ce poste de ministre de la Justice, le Barreau du Québec était fier – le Barreau de Québec particulièrement – de voir un de ses membres accéder à cette fonction.

Voici ce qu'ils en pensent, M. le Président, en date du 9 décembre dernier. Ça ne fait pas longtemps. Je cite au texte, c'est une lettre qui lui est adressée par Denis Jacques, qui est le bâtonnier de sa section de Barreau, qui le connaît personnellement. Écoutez ça, de l'autre côté; peut-être que vous ne le connaissez pas suffisamment, votre ministre de la Justice, vous venez d'arriver, vous autres, là, mais les gens qui l'ont connu disent ceci de lui: «M. le ministre, le message que nous avons reçu des membres est clair. Vos consoeurs et confrères de votre propre section du Barreau sont outrés par votre attitude, par les propos que vous tenez à leur égard, qui traduisent un manque de considération flagrant, ainsi que par votre absence de vision de notre système de justice qu'ils entendent défendre, et ce, malgré vous.» Ça, ce sont les collègues qui le connaissent le mieux.

Pour continuer, un autre passage. «Le Barreau du Québec, qui a pour mission première la protection du public, ne pouvant rester insensible à vos actions qui mettent en danger notre système judiciaire...» Ce n'est pas facile, ça, pour des collègues qui ont pratiqué avec, qui ont travaillé avec, qui ont plaidé avec, de dire qu'il est en train de mettre le système judiciaire du Québec en péril. Ces mêmes collègues, qui le connaissent bien, citent, et je continue, je lis au texte: «L'éditorial du Soleil du 26 octobre dernier portait le titre suivant...» Je peux le lire, puis je ne peux pas le lire, M. le Président, je serais obligé de substituer «Bégin» pour le ministre de la Justice «traite ses pairs en dindons». «Vous conviendrez que cela traduit un malaise sans pareil dans le domaine de la justice au Québec.»

Et il continue, le bâtonnier de sa section, celui qui le connaît le mieux: «Devant autant de démonstrations évidentes que vous faites fausse route, il est légitime de se poser la question suivante.» Et j'inviterais les parlementaires, tous ensemble, à se la poser, la question que le Barreau de Québec, qui le connaît bien, se pose très poliment: «Est-ce possible que vous soyez le seul à avoir le pas?» Est-ce que c'est possible que ce soit seulement le ministre de la Justice qui ait le pas? Ses collègues de sa propre section du Barreau lui demandent de réfléchir avant de procéder davantage à l'adoption de ce projet de loi.

M. le Président, vous m'indiquez qu'il me reste à peine une minute. Moi, j'aurais aimé vous parler de quelques députés vire-capot en commission, etc., sur le rapport, qui ont changé d'idée. On les avait ramenés au bon sens, mais le ministre leur a fait changer d'idée comme des toupies; c'est incroyable. En termes parlementaires, je pense que c'est du jamais vu. Une motion votée en commission parlementaire unanimement; là, le ministre se revire de bord puis les députés, en même temps, le député de Saint-Jean... En tout cas, M. le Président, ils vont se reconnaître, je n'ai pas le temps de tous les nommer.

Une voix: Des yoyos.

M. Paradis: Quand on est obligé de passer le bâillon, une motion de clôture – moi, je ne sais pas ça fait combien d'années qu'il n'y en avait pas eu en cette Chambre – pour adopter un tel projet de loi, on se rend compte – puis on n'est pas en fin, fin de session, là – que le ministre est en train d'utiliser le bâillon... Moi, je lui dirai simplement que, dans le cas d'un ministre de la Justice, utiliser un bâillon – il faut se placer dans sa situation – c'est l'arme des faibles. Quand on utilise l'arme des faibles contre les plus démunis de la société pour placer ses petits copains dans un régime et pour nier un droit d'appel à des citoyens qui en ont toujours eu, il ne reste plus de sentiment de justice que le titre, au ministre de la Justice. Il ne lui reste plus que son nom de ministre de la Justice, parce qu'il est devenu le symbole de l'injustice pour l'ensemble du Québec.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition, j'aurais aimé que vous ne prononciez pas les deux derniers mots. Je dois vous le dire tel que je le pense. Je crois que c'étaient des mots de trop. Vous comprendrez avec moi...

M. Paradis: Je vais les retirer, mais je n'en pense pas moins.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Ah, ça, comme on dit, on n'est pas maître de la pensée des autres. Vous pouvez penser ce que vous voulez, je n'ai rien à dire sur ça. Mais c'est sur le dire que je dois intervenir. Alors, M. le ministre de la Justice, pour un temps de parole de cinq minutes pour intervenir.


M. Paul Bégin

M. Bégin: Oui. Merci, M. le Président. Je dois avouer que j'aurais aimé pouvoir lire un peu plus en détail le document que j'ai entre mes mains. Je l'ai reçu pendant que le leader de l'opposition parlait et j'ai dû lire en diagonale un document, comme vous le voyez, qui est assez volumineux. Cependant, je dois vous dire que c'est un document extrêmement important, qui est daté du 11 décembre 1996 et qui est un jugement de la Cour d'appel du Québec portant le nom des parties, Léon Montambault contre Pierre Brazeau et Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et Procureur général du Québec et Commission de la santé et de la sécurité du travail.

(21 h 10)

M. le Président, dans ce jugement, les questions qui sont posées sont extrêmement pertinentes au débat qui est en cours, particulièrement sur le mode de nomination et sur l'indépendance que le Tribunal doit avoir. Alors, ça peut être un petit peu décousu, mais j'aimerais lire quelques passages des notes du juge Rousseau-Houle: «Indépendance des commissaires. L'appelant pose la deuxième question en litige comme suit: Les articles – untel, untel – qui créent l'intimé et le statut de commissaire contiennent-ils les garanties suffisantes pour assurer leur indépendance dans le respect de l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne?» Ces deux articles créent la Commission d'appel, et cette Commission est composée de tant de membres.

Page 8, on parle de l'inamovibilité.

Une voix: Cour d'appel.

M. Bégin: «Il est exact que l'AMTMP n'exige pas que la destitution d'un commissaire ne puisse être faite qu'après une instruction devant un arbitre indépendant à qui le commissaire peut faire valoir des motifs contre la destitution.» Alors, on pose la question à cette page. À la page 10, un titre: «Procédure de sélection et de nomination des commissaires». Page 11: «Absence de normes pour le renouvellement des mandats». Absence de normes. Et là on cite la loi actuelle, la loi de la CALP.

On s'en va maintenant, donc, à la page 19: «Le juge de première instance fut d'avis que les clauses du mandat permettant au gouvernement de déplacer Mme Godin vers la CAS ou de la destituer sans lui offrir un forum de contestations étaient illégales comme violant l'article 368 cité plus haut. Cependant, le juge s'est exprimé comme suit: "Le tribunal en vient donc à la conclusion que le statut de Mme Godin, tel qu'établi par son décret de nomination et ses conditions d'emploi...

Une voix: Cour d'appel.

M. Bégin: ...n'est pas suffisamment menacé pour que son indépendance en soit compromise."» Alors, M. le Président, on va à la page...

Une voix: La Cour d'appel.

M. Bégin: ...10. Je reviens à la page 10, mais du jugement, de l'autre: «Il y aurait donc, comme le mentionne le professeur Garant, une différence essentielle entre la situation des cours de justice et celle des tribunaux quasi judiciaires. Dans le cas des cours de justice, les exigences posées par l'arrêt Valente concernent directement le statut personnel et institutionnel, et elles ont un caractère minimal, mais fixe. Dans le cas des tribunaux quasi judiciaires, ce qui compte essentiellement, c'est l'indépendance et l'impartialité d'adjudications, mais celles-ci peuvent être compromises si ne sont pas réalisées certaines exigences reliées aux caractéristiques fonctionnelles et institutionnelles de l'adjudicateur.»

M. le Président, on va à la page 20 à nouveau, où on peut lire: «L'absence d'une procédure de nomination des commissaires et de renouvellement des mandats de ces derniers soulèverait également, selon l'appelant, des points très sérieux en ce qui concerne l'inamovibilité. Les craintes de l'appelant ne sont pas justifiées.» Je pourrais le lire, mais, comme j'ai peu de temps et que j'ai dû le faire très rapidement, je vais aller directement à la conclusion de la juge majoritaire en Cour d'appel: «Le système en place à la CALP ne garantit pas l'inamovibilité idéale, mais il offre, à mon avis, des garanties objectives suffisantes d'indépendance et d'impartialité.»

M. le Président, la Cour d'appel du Québec, en date d'hier, s'est prononcée sur un mode de nomination qui est tout à fait conforme à la situation actuelle et a dit qu'elle était suffisante en ce qui concerne l'indépendance et l'impartialité. Nous avons ajouté tout un mode de sélection et de renouvellement, avec des avis de concours, un comité de sélection, une recommandation. Nous avons là toutes les garanties requises, et je dis que ce jugement cite l'arrêt de la Régie des alcools, c'est-à-dire bistro-bar Petite Maison, et confirme exactement l'interprétation que j'ai donnée ici, en cette Chambre, à l'effet que, oui, il y avait suffisamment d'indépendance et d'impartialité avec le mode de nomination pour une période fixe. M. le Président, l'opposition avait un mauvais cheval; il est mort.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Ceci met fin au débat.

M. Mulcair: M. le Président...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Quel article? 213?

M. Mulcair: Article 213.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, vous pouvez demander au ministre de la Justice s'il accepte une question de votre part.

Des voix: Non.

M. Mulcair: «Please», M. le Président, on aimerait savoir si le ministre de la Justice serait prêt à répondre à...

Des voix: Non.

Le Vice-Président (M. Brouillet): C'est correct.

M. Bégin: ...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, le ministre n'accepte pas qu'on lui pose une question. Donc, le débat sur la prise en considération du rapport est terminé. Nous allons maintenant mettre aux voix le rapport de la commission. D'abord, nous devons commencer par les amendements, et tout, là. À la suite... Oui, M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Oui, M. le Président, pour qu'on se comprenne bien, parce que c'est un projet de loi qui contient 188 articles, il y a eu 120 amendements comme tels qui ont été produits, est-ce qu'on peut procéder à la renumérotation pour qu'on sache sur quoi on vote?

Le Vice-Président (M. Brouillet): Oui, oui. Écoutez, j'allais justement lire un peu l'entente qu'il y a eu entre nous quant à la façon d'organiser le vote sur les amendements, et c'est évident que nous allons mentionner le numéro de chaque amendement avant de demander le vote sur ces amendements. Oui, M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Est-ce que je dois comprendre que le secrétariat de la présidence a déjà procédé à la renumérotation comme telle des articles et que nous allons savoir sur quoi nous votons?

Le Vice-Président (M. Brouillet): Bon. Enfin, il y a, comme vous allez voir, une motion pour procéder à une renumérotation à la suite de l'adoption des amendements que nous allons avoir aujourd'hui. M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: M. le Président, moi, je veux simplement que ce soit des votes éclairés qui soient rendus par l'ensemble des parlementaires et qu'on se place dans une situation où on sache sur quoi on vote. Que l'on procède à la renumérotation et, à partir de ce moment-là, lorsqu'on aura renuméroté les amendements comme tels et les articles, on pourra appeler les amendements puis, à ce moment-là, les voter. Mais essayer de faire ça dans le désordre, ça peut être compliqué.

Une voix: Ce n'est pas n'importe quoi qu'on vote, là.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Afin d'aider peut-être à éclairer ici les parlementaires, M. le Président, on avait eu une réunion des leaders relativement au classement, à comment se fait le classement des amendements relativement au vote. On avait convenu, à ce moment-là, que les amendements du ministre de la Justice pour lesquels l'opposition est en faveur seraient mis en bloc...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vais vous dire tout ça.

M. Bélanger: ...les amendements du ministre de la Justice pour lesquels l'opposition n'est pas en faveur seraient mis en bloc, et on procédait par blocs. Il y avait quatre blocs; c'était, il me semble, déjà entendu. Je ne comprends pas pourquoi on voudrait changer ça présentement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Je confirme, M. le Président, les propos du leader du gouvernement, que nous avions décidé, de façon à faciliter la prise du vote, qu'on procéderait par quatre votes. Maintenant, de façon à savoir comment les placer puis ce sur quoi on vote, il faut renuméroter parce qu'on a un projet de loi qui a subi 120 amendements et une cinquantaine d'autres ont été ajoutés aujourd'hui. Pour faire, comme on pourrait les appeler pour faciliter notre travail, les piles d'amendements comme tels, avec les bons numéros, si on a une renumérotation comme telle du projet de loi, on pourra faire nos piles en fonction des ententes qu'on a eues sur les quatre votes qu'on s'est entendu de prendre devant cette Chambre.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Écoutez, moi, je n'ai pas participé à la numérotation précise, mais les numérotations que nous avons, que je vais soumettre ici – et je demanderais à la table de me corriger, de venir me voir s'il y a quelques... – correspondent au texte que vous avez entre les mains, au projet de loi que vous avez entre les mains. Alors, vous n'avez qu'à vous référer au numéro du projet de loi que vous avez entre les mains actuellement. Si je dis: À l'article 1, il y a tel amendement, bien, c'est l'article 1 du projet de loi tel que vous l'avez entre les mains présentement.

Oui, M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: À ce moment-là, on va se retrouver dans une situation où on ne pourra pas fonctionner suivant l'entente qui avait été prise. Si vous êtes prêt à procéder de cette façon-là, article par article, ça va nous donner, oui, la possibilité de suivre, mais ça risque d'être long, par exemple.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: À ma connaissance, M. le Président, à moins qu'on me corrige, on n'a jamais renuméroté avant de voter. La renumérotation se fait toujours après la votation. Et, maintenant, j'aimerais juste laisser à votre considération le fait que vous avez tous les pouvoirs de faire en sorte d'organiser le vote des amendements et des articles selon votre volonté. Ce sont des pouvoirs que vous avez en vertu de notre règlement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Je suis complètement d'accord avec le leader du gouvernement. Mais la base de ces pouvoirs-là qui vous appartiennent, c'est de s'assurer que le geste le plus important d'un parlementaire, qui est celui de voter, puisse s'exercer en toute connaissance de cause. Moi, j'essaye juste qu'on tente de procéder en logique, qu'on renumérote, qu'on mette les affaires au clair, et, suite à la renumérotation ou une fois que ça sera clair quels sont les articles qui sont amendés, etc., on va savoir sur quoi on vote, on va pouvoir faire nos blocs comme tels, sur lesquels on s'est entendu à la conférence des leaders, et voter à quatre reprises.

Maintenant, si la présidence préfère défaire l'entente qui est survenue entre les leaders et qu'on procède article par article, et qu'on puisse suivre, de ce côté-ci, minutieusement, on va le savoir et on va procéder de cette façon-là, mais ça peut être beaucoup plus long, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader du gouvernement.

(21 h 20)

M. Bélanger: Peut-être, afin de dénouer l'impasse, moi, je peux faire une proposition au leader de l'opposition. Moi, je peux m'engager à reporter le vote à demain. À ce moment-là, ça donnera... Moi, ça ne me dérange pas que le vote soit reporté à demain, sur l'ensemble des articles et sur la prise en considération du rapport.

M. Paradis: Oui. Moi, M. le Président, je serais prêt à souscrire à l'offre du leader du gouvernement, mais en indiquant immédiatement que, lorsque, demain, on arrivera à cette étape-ci, on puisse avoir cette renumérotation. Et la façon de s'assurer qu'on l'ait, c'est peut-être de présenter la motion...

Une voix: Il n'y a pas de motion...

M. Paradis: M. le Président, on tente de... Si on procède à la renumérotation immédiatement, les gens vont pouvoir préparer les blocs et, à ce moment-là, demain, on pourra voter nos quatre blocs. Moi, je n'ai pas de...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Bon, écoutez, selon la compréhension que j'ai de la chose, je ne vois absolument pas en quoi la renumérotation avant l'adoption des amendements va permettre d'avoir une idée plus claire de ce sur quoi l'on vote. Vous avez entre les mains un projet de loi qui est numéroté déjà. Les amendements qu'on vous a fait parvenir sont en référence aux numéros du texte que vous avez déjà. Alors, vous avez tout ce qu'il faut pour savoir exactement ce sur quoi vous votez. Alors, ce n'est pas une raison. Si vous voulez qu'on reporte à demain, si M. le leader maintient sa décision... Mais je ne m'engage pas actuellement à accéder à ce que vous dites parce que je n'en vois pas l'utilité, et ça irait contre les pratiques, si vous voulez, depuis le début. Alors, je ne m'engage pas du tout à suivre votre désir, à moins que... La compréhension que j'ai présentement, et ce qu'on me dit... Alors, est-ce que, M. le leader, vous voulez reporter le vote?

M. Bélanger: M. le Président, on reporterait le vote à la période des affaires courantes, demain. Je pense qu'à ce moment-là ça donnerait l'opportunité à tous les parlementaires en cette Chambre de bien faire les vérifications qui s'imposent pour être certains des articles sur quoi on vote. Moi, je ne comprends pas pourquoi le leader de l'opposition, maintenant, semble vouloir ne plus voter.

M. Paradis: M. le Président, moi, je veux juste être en mesure que, lorsqu'un vote va être pris, on soit certain de l'élément sur lequel on vote. C'est aussi simple que ça. Si vous maintenez votre décision à l'effet qu'on ne procède pas à la renumérotation immédiatement, on va prendre le temps nécessaire pour s'assurer que chaque amendement va bien avec chaque article, fait partie de la bonne pile et on va vous demander la suspension, le temps nécessaire pour mettre tout ça ensemble de notre côté.

Une voix: On veut savoir sur quoi on vote.

M. Paradis: Nous autres, on veut le savoir. De l'autre côté, s'ils ne veulent pas le savoir, moi, ça ne me perturbe pas comme tel. Maintenant, si on reporte le vote à demain, il est sûr que ça va nous donner plus de temps pour mieux faire notre travail, M. le Président.


Vote reporté

Le Vice-Président (M. Brouillet): Bon, alors, écoutez! Est-ce que, M. le leader, vous demandez le report du vote à demain?

M. Bélanger: Le report du vote à demain, à la période des affaires courantes, à la période des votes reportés. Cependant, moi, il n'y a pas de condition, là. Je ne voudrais...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Non, ça, les conditions, c'est...

M. Bélanger: ...pas qu'on s'embarque et qu'on crée un précédent avec l'affaire de la renumérotation.

Le Vice-Président (M. Brouillet): M. le leader, je l'ai dit tantôt, c'est le...

M. Bélanger: Moi, tout simplement, c'est un vote reporté sans condition, mais un vote reporté à la période des affaires courantes.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, j'ai donné mon point de vue tantôt.

M. Lefebvre: Ça ne peut pas être autrement.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Oui, M. le leader.

M. Paradis: M. le Président, à partir du moment où le vote est reporté, il est évident que le vote est reporté. Et, s'il y a des questions à soulever, elles seront soulevées à ce moment-là.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, ce que je comprends, c'est que vous avez quand même entre les mains le texte de loi sur lequel vous avez travaillé en commission. Vous avez entre les mains les amendements qui ont été proposés, en référence exactement au texte que vous avez entre les mains et aux numéros que vous avez entre les mains. Vous avez donc entre les mains tout ce qu'il faut pour vérifier, cette nuit, si les amendements font votre affaire, en correspondance, si vous voulez, au texte que vous avez entre les mains. Alors, le vote est reporté à demain dans le cadre des affaires courantes. Ceci met fin, pour ce soir, au débat sur la prise en considération du rapport.

Oui, M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Il n'y a, d'aucune façon, de ce côté-ci, renonciation à une possibilité d'appel de vote nominal.

M. Bélanger: Demain, on va vouloir voter au niveau du vote nominal. Je comprends ça, là. Ça se fait comme ça, normalement, un vote reporté, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Non, je pense qu'il faut clarifier. Vous demandez le vote par appel nominal? Bon, très bien! Alors, le vote sera par appel nominal et reporté à demain, tel que prévu, dans le cadre des affaires courantes. Très bien. Alors, M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: M. le Président, je vous demanderais de prendre en considération l'article 3 de notre feuilleton.


Projet de loi n° 40


Adoption du principe

Le Vice-Président (M. Brouillet): À l'article 3, Mme la ministre de la Culture et des Communications et ministre responsable de la Charte de la langue française propose l'adoption du principe du projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française. Alors, Mme la ministre de la Culture et des Communications, je vous cède la parole.


Mme Louise Beaudoin

Mme Beaudoin: Oui, M. le Président. Le projet de loi dont je propose aujourd'hui, au nom du gouvernement, l'adoption de principe n'est que l'une des manifestations, certes d'une importance toute particulière, de la volonté du gouvernement d'agir avec vigueur et détermination pour assurer la promotion du statut et de la qualité de la langue française, langue officielle et langue commune du Québec. Langue commune du Québec, ce n'est pas une idée nouvelle, ce n'est pas un concept nouveau, puisque, dès la commission Gendron, dans les années soixante-dix, a été mise sur la table cette idée de langue commune, et nous la reprenons. Il y a eu aussi, dans un document du ministère de l'Immigration, au début des années quatre-vingt-dix, cette notion aussi qui a été définie. Donc, langue officielle depuis 1974 et langue commune du Québec définie depuis la commission Gendron.

En juin 1995, le premier ministre M. Jacques Parizeau annonçait l'intention du gouvernement de confier aux organismes responsables de la Charte le mandat de réaliser un bilan global de la situation de la langue française au Québec. Ce bilan devait permettre de déterminer les orientations à prendre pour que la Charte de la langue française réponde toujours davantage aux besoins et aux aspirations des Québécoises et des Québécois. Ce bilan a été réalisé par un comité interministériel dont faisaient partie le Conseil et l'Office de la langue française. Il a d'ailleurs été présidé par la présidente de l'Office de la langue française. Il a été rendu public en mars dernier sous le titre «Le français, langue commune: enjeu de la société québécoise».

Le bilan démontre que des progrès réels ont été réalisés depuis l'adoption de la Charte de la langue française en 1977 – Charte de la langue française d'ailleurs à laquelle s'est opposé en son temps le Parti libéral; le Parti libéral était opposé à la loi 101 – mais il met aussi en évidence le fait que le français n'est pas encore la langue commune des Québécoises et des Québécois, particulièrement à Montréal. Le bilan fait ressortir la faible priorité accordée aux objectifs de la Charte par le gouvernement précédent, tout spécialement au chapitre de la francisation des entreprises et de la langue de l'administration, celle-ci, selon le bilan, ne remplissant pas suffisamment le rôle exemplaire et moteur qui lui incombe.

Un coup de barre s'imposait; nous nous y sommes attachés et résolument dès le mois d'avril. Le 3 avril, en effet, avec mes collègues de l'Éducation et des Relations avec les citoyens, j'ai annoncé un ensemble de mesures visant à faire respecter partout le droit des Québécoises et des Québécois de travailler en français, d'être servis en français, d'acheter des produits étiquetés en français. Ces mesures devaient être soumises à la consultation publique. Quelques jours plus tard, en conférence de presse, le premier ministre, M. Bouchard, affirmait clairement la volonté du gouvernement de donner priorité à l'objectif de faire du français la langue commune au Québec et il faisait part de l'intention du gouvernement de proposer à l'Assemblée nationale le rétablissement de la Commission de protection de la langue française, abolie par le gouvernement libéral en 1993, pour donner ainsi une nette visibilité à l'engagement du présent gouvernement à assurer le respect de la loi.

En mai, le gouvernement nommait un sous-ministre associé responsable de l'application de la politique linguistique et, dans le discours du budget, il annonçait des crédits additionnels de 5 000 000 $ pour permettre la réalisation des nouvelles mesures dans le dossier linguistique, notamment concernant la protection des consommateurs et l'intégration des immigrants. Grâce aux nouveaux crédits, nous avons pu, en particulier, ajouter 25 nouveaux postes à l'Office de la langue française: 15 pour lui permettre de mieux répondre aux exigences du traitement des plaintes qui ont réaugmenté cette année de façon considérable et aussi 10 nouveaux postes pour lui permettre d'intensifier le rythme du processus de francisation des entreprises. Je rappelle, M. le Président, qu'il y a encore 900 entreprises, au Québec, de plus de 50 employés qui n'ont pas obtenu leur certificat de francisation, dont 300 depuis plus de 10 ans.

(21 h 30)

Le 10 juin, je déposais à l'Assemblée nationale le projet de loi n° 40 qui prévoit le rétablissement de la Commission de protection de la langue française et qui fait aussi en sorte que les droits du consommateur seront mieux protégés, notamment dans le contexte des nouvelles technologies de l'information. Le même jour, je rendais publique en la déposant devant l'Assemblée nationale la proposition d'une nouvelle politique linguistique soumise à une consultation générale dans le cadre de la commission permanente de la culture. Cette politique s'articule autour de cinq principes que je crois utile de rappeler au moment où s'engage le présent débat.

Le premier principe, M. le Président, c'est que la langue française est au coeur de l'identité québécoise. Comme le dit la politique, dans un sens dynamique qui convient à la société québécoise depuis la Révolution tranquille, l'idée d'identité renvoie à une culture en mutation et en action, à l'idée d'un présent lié au passé, certes, mais ouvert sur l'avenir, qui se façonne lentement au gré de l'évolution du monde. Il désigne alors l'intention légitime d'évoluer en continuité avec les lignes de force de la culture québécoise, tout en y intégrant, à sa façon, les apports des autres cultures dans un esprit d'ouverture et de fraternité.

Le deuxième principe de la politique: la langue française est le fondement de la cohésion de la société québécoise. Et je cite à nouveau la politique, M. le Président: «Quand plusieurs ensembles linguistiques coexistent sur le même territoire, la langue commune à tous au Québec, le français comme langue officielle, sert à la cohésion sociale de tous les citoyens, par delà les différences de langue maternelle.»

Enfin, comme troisième principe, les apports de toutes les minorités à la société québécoise sont une richesse et un avantage. Et je rappelle, M. le Président, ce que dit la politique: «L'avenir de la communauté de langue anglaise est garanti comme composante historique de la société québécoise et comme partenaire de la création du Québec moderne. La connaissance d'autres langues est un enrichissement personnel et social.»

Et enfin, dernier principe, l'approche législative doit être complétée par une approche sociale et une approche de concertation internationale. Dès le départ, M. le Président, dans la Charte de la langue française, il est bien indiqué que la loi ne peut pas tout faire, que cette approche législative, qui demeure au centre, au coeur même de la politique linguistique, doit être additionnée d'une approche donc sociale et d'une approche de concertation internationale, de concertation internationale dans le sens du plurilinguisme, dans le sens d'une volonté d'agir avec les hispanophones, les germanophones et toutes les autres communautés linguistiques par rapport, bien sûr, à la présence de l'anglais.

En juin également, j'ai annoncé la mise en place d'un comité ministériel de coordination chargé de veiller à ce que l'administration publique joue un rôle exemplaire en matière de promotion de la langue française. Présidé par le sous-ministre responsable de l'application de la politique, ce comité comprend, outre la présidente de l'Office de la langue française, un représentant de 13 ministères et les sous-ministres en titre de plusieurs autres ministères. M. le Président, pourquoi avoir créé ce comité? Je retourne encore au bilan et à la politique.

Il y a eu, en 1993, donc au moment où le Parti libéral était au pouvoir et formait le gouvernement, un document de travail d'un comité interministériel, qui a constaté, et je cite, «l'absence d'uniformité dans la politique et la pratique quotidienne des ministères dans les communications avec les Québécois issus de communautés culturelles». Et ce comité interministériel, en 1993, concluait que, le français étant la langue officielle du Québec – et je cite à nouveau le document – «tout doit être mis en oeuvre pour éviter que le français soit perçu comme un choix linguistique parmi d'autres». Fin de la citation. Ce rapport d'un comité interministériel de 1993 n'a pas connu de suite. Le problème restait donc entier, et c'est pourquoi, M. le Président, j'ai donc créé ce comité ministériel de coordination.

En juin a été créé aussi un groupe de travail tripartite: gouvernement, centrales syndicales, patronat, sur la francisation des entreprises de moins de 50 employés. Le groupe de travail, présidé par le professeur Michel Grant, est à mettre la dernière main à son rapport. Celui-ci pourra vraisemblablement être rendu public dès la mi-janvier. Le mandat du groupe de travail est le suivant: définir les orientations et moyens susceptibles de généraliser l'usage du français et d'améliorer sa qualité dans ce segment d'entreprise, donc les entreprises de moins de 50 employés, tout particulièrement dans la région de Montréal. Le groupe de travail a aussi comme mandat d'examiner trois autres points: la manière de faire respecter le droit des employés à travailler en français, la possibilité d'effectuer en milieu de travail la formation linguistique en langue française des immigrants et la stratégie la meilleure pour implanter la terminologie française dans la vie réelle de l'entreprise.

Le 28 juin, à titre de ministre responsable du Secrétariat de l'autoroute de l'information, mais aussi en liaison avec les objectifs de la politique linguistique, j'ai fait connaître les modalités du nouveau Fonds de l'autoroute de l'information.

Axé sur le développement de produits culturels de source québécoise en français, le Fonds est doté d'un montant de 60 000 000 $ sur trois ans. À l'invitation de soumettre des projets pour l'affectation de la première tranche de 20 000 000 $ – c'était le 31 octobre que le concours se terminait – la réponse des milieux intéressés a été plus qu'enthousiaste, puisque 320 projets ont été déposés. Il s'agit, M. le Président, à la fois d'une politique industrielle et d'une politique culturelle pour entrer de plain-pied dans la société de l'information. Les résultats de cette opération seront annoncés au plus tard à la fin de l'année.

C'est là une initiative dont je suis particulièrement fière parce qu'elle va contribuer à faire en sorte que le Québec puisse être présent en français dans le cyberespace en voie de se constituer. Il faut rappeler, M. le Président, qu'à l'heure actuelle tout ce qui circule sur la seule autoroute de l'information existante, c'est-à-dire sur l'Internet, il y a 90 % de tout ce qui circule qui est en langue anglaise. La langue française arrive en second lieu avec 3 % ou 4 %, 5 %, et, ensuite, il y a l'espagnol, le russe, l'allemand, etc. Donc, c'est une situation qui est quand même, sinon préoccupante, tout au moins à laquelle il fallait s'attaquer, et la manière de s'y attaquer, nous avons décidé d'agir sur l'offre, M. le Président, de faire en sorte que nous produisions au Québec le plus possible de sites de langue française. Et, d'ailleurs, il y a à peu près 5 000 sites Web à l'heure actuelle sur l'inforoute qui originent du Québec, plus, d'ailleurs, à ce que je sache, qu'il y en a qui originent de France. Mais, enfin, puisqu'ils sont 60 000 000 d'habitants en France, je présume que, relativement rapidement, il y aura davantage de produits de langue française originant de l'ensemble de la francophonie pour faire en sorte qu'il puisse y avoir, donc, pour les francophones du monde entier, un intérêt stratégique pour se brancher à l'inforoute.

Entre le 28 août et le 5 septembre, la commission permanente de la culture s'est réunie et a tenu cinq jours d'auditions consacrées à la proposition de politique linguistique et au projet de loi n° 40. La commission de la culture a reçu 42 mémoires et entendu la presque totalité des organismes ou individus auteurs de ces mémoires. Comme je l'ai souligné, M. le Président, au terme des travaux de la commission le 5 septembre, celle-ci a été l'occasion d'un débat instructif et intéressant, et les délibérations ont été courtoises et empreintes de sérénité.

À la fin du mois de septembre, le ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration annonçait une nouvelle grille de sélection des immigrants que le Québec peut choisir, c'est-à-dire environ 40 % depuis les dernières années, donnant ainsi plus de poids à la connaissance du français, donc, pour ces immigrants que le Québec peut choisir. Je rappelle donc qu'il y a environ 60 % des immigrants qui ne sont pas choisis par le Québec à l'heure actuelle, mais par le gouvernement fédéral. Plus récemment, en novembre, le même collègue a annoncé un effort supplémentaire de 1 200 000 $ pour divers programmes de francisation des immigrants, en milieu de travail notamment.

Lors du Sommet sur l'économie et l'emploi, fin octobre, M. Brian Levitt et M. Henri-Paul Rousseau ont communiqué aux participants les résultats de leur étude menée auprès de dirigeants d'entreprises. La question de la langue tient une place importante dans leur rapport. Le rapport insiste, M. le Président, sur la mauvaise perception qu'on a dans les milieux d'affaires de la politique linguistique du Québec. On nous invite à mieux la faire connaître et à appliquer nos lois et règlements en matière de langue avec souplesse, ce que nous ferons, M. le Président, avec la collaboration acquise du milieu des affaires, de M. Levitt et de M. Rousseau.

(21 h 40)

Mais je le souligne fortement, parce qu'il s'agit d'un message capital, et je cite le rapport, «les dirigeants d'entreprises interviewés reconnaissent la légitimité d'un cadre législatif visant à promouvoir le français au Québec». Fin de la citation. Les recommandations du rapport Levitt ne suggèrent, M. le Président, et c'est un point important, aucune modification à ce cadre législatif. D'entrée de jeu, ce rapport note parmi les quelques remarques préliminaires qui lui paraissent s'imposer, et je cite à nouveau le rapport, «que la promotion et la protection du caractère français de Montréal sont des objectifs tout à fait légitimes que nous appuyons sans réserve». Fin de la citation.

Le 21 novembre dernier, le Conseil et l'Office de la langue française faisaient part à La Presse des résultats d'une nouvelle enquête sur l'affichage commercial à Montréal réalisée à ma demande. Le gouvernement tenait à faire le point sur l'évolution du statut du français dans l'affichage sur l'île de Montréal depuis l'enquête menée à la fin de 1995. La constatation principale qui se dégage de l'enquête réalisée en 1996 est que le paysage linguistique montréalais est resté stable depuis un an, c'est-à-dire, en 1996 comme en 1995, on trouve du français sur la devanture de presque tous les commerces de l'île de Montréal, 94 %; l'unilinguisme français dans les messages n'a pas varié d'une année à l'autre; la proportion des commerces en infraction est demeurée la même, à quelque 42 %, ce qui, de toute évidence, est inacceptable et justifie une action plus ferme pour assurer le respect de la loi en matière d'affichage commercial.

Au terme de la conférence de presse qu'elles avaient convoquée pour communiquer les résultats de l'enquête, les présidentes du Conseil et de l'Office de la langue française concluaient, et je cite: «À la lumière de ces résultats, il n'y a pas lieu de modifier le régime actuel de l'affichage. En revanche, il faut continuer de suivre de près l'évolution de la situation.» Fin de la citation.

À l'occasion de la même conférence de presse, la présidente de l'Office de la langue française a fait état d'une opération éclair sur l'affichage menée au cours des deux mois précédents dans le centre-ville de Montréal. Durant cette période, des membres du personnel de l'Office ont vérifié la conformité ou la non-conformité à la Charte de l'affichage commercial des 1 215 commerces situés sur la rue Sainte-Catherine, entre les rues Berri et Guy, et sur la rue Saint-Laurent, entre le boulevard René-Lévesque et la rue Sherbrooke, et dans les centres commerciaux suivants: Place Ville Marie, Place Desjardins, Centre Eaton, les Promenades de la Cathédrale, Le Faubourg et la Place Montréal Trust. Le taux observé de non-conformité a été du même ordre de grandeur que celui obtenu dans l'enquête sur l'ensemble de l'île de Montréal.

L'Office de la langue française fera, par conséquent, une campagne d'information pertinente que l'Office mènera auprès des milieux du commerce et des affaires sur le thème «Le français s'affiche» en partenariat avec Le Conseil québécois du commerce de détail, et je crois que c'est une action qui sera fort bienvenue dans les circonstances.

À la mi-novembre, j'étais particulièrement heureuse de rendre publique la politique gouvernementale relative à l'emploi et à la qualité de la langue française dans l'administration. Concernant la qualité de la langue française, j'ai annoncé, M. le Président, samedi soir dernier, lors de la remise des Prix du Québec, qu'il y aurait un nouveau Prix du Québec concernant la qualité de la langue française en hommage à Georges-Émile Lapalme, qui a été le premier ministre de la culture du Québec au tout début des années 1960, et donc un prix qui portera son nom.

Cette politique, M. le Président, relative à l'emploi et à la qualité de la langue française dans l'administration vise à inscrire le français au coeur des préoccupations de l'ensemble des ministères et organismes gouvernementaux dans le but de renforcer le statut du français langue officielle du Québec depuis 1974, d'en promouvoir la qualité et d'en répandre l'usage à titre de langue commune de tous les Québécoises et Québécois. La politique a été élaborée par le Comité interministériel de coordination de la politique linguistique dont j'ai parlé, M. le Président, tout à l'heure et qui réunit les sous-ministres de plusieurs ministères.

Depuis l'adoption d'une première politique consignée en 1977 dans ce qu'on a appelé le mémoire Laurin, on s'était progressivement éloigné, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, dans plusieurs ministères et organismes des règles alors définies. Chaque ministère ou organisme en était venu à se donner à sa convenance une règle d'usage du français, ce qui a conduit à un large éventail d'attitudes et de comportements différents. Le glissement dans les pratiques de l'administration a eu pour effet de créer de la confusion notamment chez les immigrants quant à la langue de l'État au Québec. La nouvelle politique vise à redresser la situation et à faire en sorte que l'administration puisse dorénavant jouer un rôle exemplaire dans l'application de la Charte en se dotant de pratiques convergentes et conformes à l'esprit de la Charte dans le respect des droits de la communauté d'expression anglaise et des communautés autochtones et compte tenu des conditions particulières liées à l'établissement des personnes qui immigrent au Québec.

Selon la politique – et ce point me paraît extrêmement significatif, c'est l'article 22, M. le Président, de cette politique – les ministères et organismes ne pourront accorder de contrat ou de subvention à une entreprise assujettie à la certification et qui ne se conforme pas aux prescriptions de la Charte en matière de francisation. Ils exigeront, par ailleurs, des personnes morales et des sociétés que soient rédigés en français les documents présentés en vue de l'obtention d'un contrat ou d'une subvention, par exemple. On pourrait imaginer, M. le Président, que ça se fait naturellement, que c'est une évidence que j'énonce, mais, malheureusement, ce n'est pas le cas. Il faut donc statuer. Ces mesures illustrent bien la volonté gouvernementale d'agir avec une fermeté renouvelée dans le sens des objectifs de la Charte de la langue française.

L'administration publique québécoise constitue un formidable levier, car elle entretient des relations constantes avec les citoyens et génère des milliers de contrats à chaque année. Nous croyons que son attitude et ses pratiques nouvelles créeront une force d'entraînement dynamique et positive pour la promotion du français au Québec.

M. le Président, nous en arrivons aujourd'hui à l'adoption du principe du projet de loi n° 40. La Commission de protection de la langue française sera donc recréée. C'est ce que nous proposons. La Commission alors existante, de si mauvaise réputation, M. le Président – j'ai peine à le croire puisque le député d'Outremont en a été le président; le connaissant depuis peu, mais je ne peux imaginer, quand on me dit maintenant que cette Commission avait une si mauvaise réputation alors qu'il en a été le président pendant quelques années, alors, je ne comprends pas qu'on nous apporte ce type d'argument... La Commission existante en 1993 a été abolie par le gouvernement libéral et le gouvernement a confié à ce moment-là le mandat de la Commission à l'Office de la langue française. Mais, cependant, M. le Président, il n'a transféré à l'Office que trois des 38 postes de la Commission, ce qui illustre le peu de souci que le gouvernement attachait au respect de la Charte de la langue française. Nous tenons à rétablir la Commission de protection de la langue française pour que soit bien visible, bien affirmée dans une structure bien identifiée la volonté du gouvernement de veiller au respect de la Charte de la langue française.

Quant au pouvoir conféré à la Commission, je répète ce que je disais en commission parlementaire: la Commission de protection de la langue française a toujours eu le pouvoir de faire des inspections ou des vérifications de sa propre initiative. Cette disposition existait dans la Charte de 1977 à l'article 171. Cet article existait toujours dans le texte de 1984 à l'article 171. Il existe encore dans la loi 86 du gouvernement libéral, article 118.2. Le projet de loi n° 40 le maintient également aux articles 166 et 167. Il me semble que c'est surprenant qu'une disposition aussi stable à travers les multiples modifications au texte initial de la Charte ait échappé à l'opposition.

Les pouvoirs qui sont accordés à la Commission par le projet de loi n° 40 sont en tous points identiques à ceux accordés à des organismes analogues par d'autres lois, entre autres, la Loi sur la protection du consommateur, et dans d'autres lois, M. le Président, fédérales, d'ailleurs, ou québécoises.

Alors donc, M. le Président, c'est cette volonté de veiller au respect de la Charte de la langue française qui nous anime. Notre Charte de la langue française, nous devons la faire respecter. C'est une loi que je considère et que le gouvernement dans son entier considère nécessaire. Le Québec n'est pas, tant s'en faut, le seul État à s'être doté d'une législation linguistique, mais la nécessité d'une telle législation y est plus qu'ailleurs indispensable. Il faut redire pourquoi nous avons besoin au Québec d'une loi axée sur la protection et surtout la promotion de la langue française.

(21 h 50)

M. le Président, à moins de renoncer à garantir le maintien de l'identité du Québec, nous n'avons pas le choix d'agir compte tenu de notre environnement. Nous sommes au Québec 6 000 000 de francophones dans un univers comptant quelque 270 000 000 d'anglophones. Ne pas agir, ne pas agir avec vigueur pour atteindre les objectifs de la Charte de la langue française risquerait de condamner la collectivité québécoise de langue française au sort qu'ont connu et que connaissent encore nos compatriotes qui se sont exilés aux États-Unis ou qui ont essaimé ailleurs au Canada. Dans le premier cas, l'assimilation a été, vous le savez, à toutes fins utiles totale.

Dans le second cas, sauf en Acadie, l'assimilation est depuis longtemps à l'oeuvre et elle se poursuit encore à un rythme très marqué, tous les recensements le prouvent de 10 ans en 10 ans. Chez les francophones de langue maternelle française hors Québec, seulement 65 % parlent encore aujourd'hui le français à la maison. On connaît les raisons historiques du phénomène: sans moyens de protection, encore moins de promotion de leur langue, les minorités de langue française ailleurs au Canada, sauf encore une fois en Acadie, n'ont pu offrir aucune résistance si peu efficace que ce soit à l'assimilation.

Il faut donc situer dans une large perspective que je viens d'évoquer la volonté de veiller à ce que la Charte de la langue française, notre loi linguistique fondamentale, soit appliquée et respectée. Et je suis convaincue, M. le Président, de répondre au voeu des Québécois, qui sont inquiets pour l'avenir du français – tous les sondages le prouvent – le français qui est dans une situation de fragilité, qui est dans une situation précaire, particulièrement à Montréal et dans l'Outaouais; les Québécois qui croient aussi que les lois sur la langue française ne sont pas suffisamment appliquées. Et je vous rappelle, M. le Président, le sondage SOM publié dans La Presse du vendredi 13 septembre. À la question: Selon vous, le Québec a-t-il besoin d'une Commission de protection de la langue française?, la réponse, M. le Président: 63 % de Québécois répondent oui; 29 %, non; et 8 % ne le savent pas. Donc, les Québécois croient aussi que les lois sur la langue française ne sont pas suffisamment appliquées, qu'il faut le faire. Ils sont d'accord avec le rétablissement de la Commission.

En terminant, je crois que c'est un devoir à l'égard du peuple que nous formons aujourd'hui de veiller à ce respect de la langue française, à renforcer la Charte de la langue française, à l'actualiser, à la moderniser. C'est un devoir à l'égard du peuple que nous formons aujourd'hui, mais surtout c'est un devoir pour assurer notre avenir. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, Mme la ministre de la Culture et des Communications. Je vais maintenant céder la parole à M. le député d'Outremont. M. le député.


M. Pierre-Étienne Laporte

M. Laporte: M. le Président, la ministre de la Culture et des Communications déposait il y a quelques mois une proposition de politique linguistique et un projet de loi modifiant la Charte de la langue française, le projet de loi n° 40. C'était, M. le Président, le contenu de ce que la ministre appelait son bouquet de mesures. La ministre ne savait peut-être pas, lorsqu'elle choisissait d'utiliser le mot «bouquet», qu'elle prenait le risque d'être trahie par les subtilités de notre belle langue française. Dans le vieux français, celui de nos ancêtres de la Nouvelle-France, un bouquet voulait bien signifier ce que la ministre avait en tête, mais le mot «bouquet» vient également de «bouc», désignant un petit bouc, mâle de la chèvre et réputé pour ses cornes agressives. Nous verrons que dans ce que la ministre dépose aujourd'hui pour l'adoption de principe du projet de loi n° 40 il y a bel et bien un petit bouc, la Commission de la langue française, et que l'animal, somme toute, est assez agressif.

Mais, avant de passer à la critique du projet de loi n° 40, M. le Président, il faut, comme préalable essentiel et en vue de dissiper dès le départ toute ambiguïté, afficher de façon claire et nette nos couleurs. L'opposition officielle appuie de tout son coeur, l'a toujours fait et le fera toujours, tout effort, toute politique, toute mesure législative, tout travail d'État dont c'est l'intention, la finalité de protéger et de promouvoir le français.

Sur ce terrain de l'adhésion à l'objectif ultime de la politique linguistique québécoise, M. le Président, l'opposition officielle et le Parti libéral du Québec n'ont de leçon à recevoir de personne. Nous avons été, aux beaux jours de la Révolution tranquille, la formation politique qui s'est faite le champion de la protection et de la promotion du français, de son rayonnement sur le territoire du Québec, de son déploiement à l'échelle mondiale, du renforcement de son statut légal et réel, mais également de l'amélioration de sa qualité d'expression et de son enrichissement à la fois comme véhicule de la pensée commune et aussi de la science et de la technologie.

Est-il nécessaire de rappeler les faits historiques, M. le Président? Quelle formation politique fut à l'origine de l'Office de la langue française? Le Parti libéral du Québec, qui fut, au début des années soixante – je l'ai mentionné tantôt – le grand champion de la reconnaissance du français comme langue d'usage normale et habituelle de la vie sociale au Québec.

Georges-Émile Lapalme, cet éminent parlementaire, ce visionnaire, ce libéral exemplaire qui, avec la complicité de son ami et collègue André Malraux, grand écrivain et partenaire français, dont on célébrait d'ailleurs la mémoire récemment à l'occasion du 20e anniversaire de son décès, Georges-Émile Lapalme, dis-je, fut l'inspirateur et l'initiateur de tout ce qui se fait encore aujourd'hui en matière de protection et de promotion du français québécois, ne serait-ce que l'Office de la langue française, cet organisme majeur parmi nos institutions de la Charte de la langue française.

Quel premier ministre, chef de quelle formation politique, fut le premier à instituer, à établir et à ériger le français langue officielle du Québec, M. le Président? Le regretté Robert Bourassa. J'ajoute, M. le Président, que c'est encore le premier ministre Bourassa qui, dans la foulée de ses prédécesseurs, sut donner l'élan et l'envergure que l'on connaît aux grandes ententes de coopération entre la France et le Québec, ententes qui furent et sont toujours si essentielles au soutien du français, en particulier du français comme langue internationale.

Enfin, M. le Président, quelle formation politique l'histoire reconnaîtra-t-elle comme ayant été, dans un esprit de fidélité à l'identité du Québec et de respect de nos valeurs libérales, celle, cette formation politique, qui aura fait adopter la législation linguistique la plus équitable que nous ayons connue, je parle de la loi 86? Quelle est cette formation politique, M. le Président? Le Parti libéral du Québec. Nous n'avons donc de leçon à recevoir de personne, M. le Président. Nous pourrions même nous sentir justifiés d'en donner, mais nous savons trop bien qu'en politique le mieux, c'est de résister à la tentation de la vanité, tentation à laquelle nos adversaires, eux, ne résistent jamais, puisqu'on les entend sans cesse se proclamer comme les seuls vrais champions de la cause de notre langue.

J'ai bien dit «notre langue», M. le Président, parce qu'ici non plus il ne doit pas y avoir d'ambiguïté. L'opposition officielle adhère à l'objectif de faire du français la langue commune du Québec. Les gens d'en face applaudissent un peu vite, M. le Président.

Des voix: Ah!

(22 heures)

M. Laporte: Sauf que nous n'entendons pas, par cette expression, le charabia de la ministre dans sa proposition de politique, mais un objectif pratique, concret, évaluable, et qui requiert pour être atteint tous autres moyens que ceux que propose la ministre, et prioritairement la construction d'une véritable loyauté linguistique chez tous les locuteurs et toutes les locutrices du Québec, loyalisme qui ne saurait être créé, comme le veut le projet de loi n° 40, par un renforcement de la coercition légale et surtout par l'institution d'un dispositif administratif rébarbatif comme celui qui est prévu par le projet dont nous débattons maintenant l'adoption du principe.

Avant de passer au stade de la critique, M. le Président, j'aimerais faire état de la satisfaction, je devrais dire, du soulagement de l'opposition d'avoir vu le gouvernement finalement, et après d'interminables tergiversations, de déchirants tiraillements au sein de son parti, rallier le camp du bon sens, du consensus social, pour une fois, en faisant siennes les dispositions de la loi 86 en matière de statut des langues dans l'affichage commercial.

Quel déplaisir ce gouvernement aurait-il pu nous éviter de subir collectivement? Quel chamaillage social aurions-nous pu éviter? Combien aurions-nous pu ne pas démériter aux yeux de l'opinion des gens qui nous regardent à distance si ce gouvernement, M. le Président, avait pu contrôler sa crise d'urticaire linguistique de l'été dernier, s'il avait su dissimuler l'amère déconvenue de sa gestion des affaires économiques autrement qu'en inventant de toutes pièces une crise linguistique? Oui, M. le Président, combien ce gouvernement aurait pu nous éviter de peine si, plutôt que de vouloir retourner aux bons vieux jours de la loi 101, purs et durs, ce gouvernement avait su reconnaître que la loi 86 marquait un progrès et qu'il fallait l'accepter en toute humilité?

Il aura fallu des tirailleries pour que le gouvernement retrouve le goût de la mesure et pour que le Parti québécois gratifie son chef de la satisfaction de pouvoir se lever le matin, se voir dans le miroir en sachant qu'il n'a pas suspendu l'application des droits fondamentaux, que lui et son parti puissent se voir dans le miroir sans baisser les yeux. Mais, M. le Président, est-il si certain, garanti que le chef et son parti peuvent, pourront dorénavant se regarder dans le miroir le matin avec un tel sentiment de fierté? Le chef et son parti pourront-ils se voir dans le miroir et s'aimer franchement? Si ce miroir, M. le Président, est le projet de loi n° 40, nous pouvons en douter. Le jeu des miroirs est trompeur, et on peut d'ores et déjà anticiper que Narcisse y verra de lui-même une image qui lui fera baisser les yeux.

Nous passons maintenant, M. le Président, si vous me le permettez, au stade de la critique du projet de loi n° 40. D'entrée de jeu, j'aimerais dire à l'intention des gens qui nous écoutent – pas à l'intention des gens d'en face ni à l'intention de la ministre qui, eux, ont fait abondamment la preuve que, de toute façon, ils n'écoutent pas et que, s'ils écoutent, ils n'entendent rien: Le projet de loi n° 40 dont nous débattons ici ce soir est un projet de loi petit, sept pages et 40 articles, mais, M. le Président, contrairement à ce que dit l'adage, ce n'est pas dans les petits pots qu'on trouve les meilleurs onguents. Dans ce cas-ci, le pot est petit, mais l'onguent est mauvais.

Premièrement, le projet de loi crée une commission de protection de la langue française qui l'investit de pouvoirs excessifs. Des personnes éclairées, des personnes dont on n'aurait pas a priori cru qu'elles viendraient dire des choses sur ces pouvoirs excessifs, sont venues l'affirmer en commission parlementaire: Les pouvoirs confiés à la Commission menacent sérieusement le principe de la liberté des individus.

Les inspecteurs de la Commission seront investis de plus de pouvoirs que les policiers. Selon le projet de loi, un inspecteur pourra examiner tout produit, tout document, tirer des copies et exiger tout renseignement pertinent. Il s'agit donc là, M. le Président, de pouvoirs excessifs; pouvoirs qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans nos lois. Et j'insiste là-dessus parce que la ministre, depuis la commission parlementaire, nous répète que ces pouvoirs sont calqués sur ceux de l'Office de la protection du consommateur. Eh bien, je vous prie, M. le Président, de lire attentivement la section de cette loi qui se rapporte aux pouvoirs de l'Office pour y constater qu'il n'y a rien dans cette loi qui soit comparable aux pouvoirs qui sont attribués aux inspecteurs de la Commission.

Ces pouvoirs, M. le Président, seront immanquablement contestés devant les tribunaux, et nous nous retrouverons encore une fois enfermés dans des procédures judiciaires coûteuses et dans des rapports sociaux d'acrimonie.

Je le répète, la ministre essaie de nous faire croire que le dispositif de contrôle et de surveillance qu'est la Commission de protection de la langue française est un calque de ce qu'on retrouve dans la Loi sur la protection du consommateur. C'est un euphémisme parce que l'article 174 du projet de loi n° 40, je le répète, investit les fonctionnaires de la Commission de pouvoirs d'enquête beaucoup plus durs, beaucoup plus coercitifs, beaucoup plus raides, beaucoup plus sujets à entraîner l'arbitraire que tout ce qu'on retrouve de pouvoirs d'enquête remis entre les mains des employés de l'Office de la protection du consommateur.

Nous sommes en présence d'un organisme de contrôle et de surveillance dont l'esprit frise le caporalisme. Potentiellement, les pouvoirs d'enquête de la Commission pourraient mener, dans leur exercice concret, même par des personnes les mieux intentionnées du monde, à une forme larvée d'autoritarisme, pour ne pas dire de mesquinerie. L'article 174 précise que les inspecteurs peuvent pénétrer à toute heure raisonnable dans un établissement. Souhaitons que les inspecteurs de la Commission soient habitués à des heures de sommeil normales. En effet, dussions-nous y retrouver un pourcentage élevé d'insomniaques que nos commerçants seraient condamnés à de longues heures de veille.

La ministre a voulu nous rassurer en commission parlementaire en prétendant que ce qu'elle avait choisi de ressusciter n'était rien d'autre que l'ancienne Commission qu'avait abolie la loi 86 en transférant à l'Office de la langue française les fonctions normales de contrôle prévues par la loi 101. Or, M. le Président, il n'en est rien. Avec la résurrection de la Commission de protection de la langue française, ce qui sort du tombeau ce n'est pas Lazare, mais nul autre que Frankenstein. Et, pour ceux et celles d'entre nous qui s'amusent à lire la bande dessinée qui circule à Montréal et dans laquelle sont décrits les combats héroïques d'Angloman et de Putinette, grands défenseurs de la défense de l'apostrophe s contre les attaques de la police de la langue, eh bien, nous assisterons désormais, j'en suis sûr, au combat mortel entre, cette fois, Angloman, Putinette et Frankenstein.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: C'est à ce genre de comédie, de farce macabre que nous convie le dispositif coercitif du projet de loi n° 40. M. le Président, si, comme le souhaite la ministre, l'objectif est de protéger et de promouvoir le français, d'élargir l'espace de loyauté à notre langue, de faire en sorte que toutes les Québécoises et tous les Québécois, quelles que soient leurs origines linguistiques et leur langue maternelle, épousent la cause du français, respectent son statut de langue officielle, l'utilisent comme témoignage de leur solidarité et en en faisant l'emblème qui en assure le maximum de visibilité publique, eh bien, M. le Président, ce n'est pas de plus de coercition légale dont nous avons besoin, de plus de fonctionnaires qui pénètrent, examinent, tirent des copies et prennent des photographies, mais de plus d'information, d'aide et d'aide technique, et, pour tout dire, d'invitations bienveillantes, et, dans une minorité de cas, la coercition légale.

(22 h 10)

Toutes les études le démontrent, les commerçants et surtout les petits commerçants, dans la très grande majorité des cas, ne demandent pas mieux que de se conformer à la loi, souhaitant qu'on leur dise quoi faire et comment faire, et pas qu'on les surveille pour les punir. Ce ne sont pas des criminels qui contreviennent à la loi, mais des gens qui ont besoin d'être informés, aidés et encouragés. Quant aux «galganoviens» de ce monde, M. le Président, ils sont peu nombreux et ils devront tôt ou tard se réveiller et admettre que, conformément au jugement de notre Cour suprême, la loi 86 en matière d'affichage commercial est une loi juste qui accorde au français un statut légitime et nécessaire.

Et je voudrais ouvrir ici une courte parenthèse pour commenter ce que vient de dire la ministre sur le sondage du Conseil, qui nous aurait appris que 42 % des commerces sont en infraction. Soit, M. le Président, mais ce sondage, on ne le sait pas, nous fournit des mesures de ce qu'on appelle la prévalence des infractions et non de leur gravité. En d'autres mots, qu'un petit commerce ou qu'un commerce ait décidé ou ait choisi ou ait pu, par manque d'information ou autrement, se prévaloir d'une petite affiche, n'est-ce pas, d'une toute petite affiche, fût-elle saisonnière, ce commerce est maintenant classé, selon la mesure du Conseil, comme étant en dérogation. Donc, nous avons bien sûr des dérogations comme la ministre le mentionne, mais de quelles dérogations s'agit-il et de quelle gravité de dérogations s'agit-il? Et cette nuance n'est jamais faite dans les propos qui sont tenus publiquement sur l'application de la Charte.

Deuxièmement, M. le ministre, et encore là en nous appuyant sur des études récentes, nous savons que l'opinion maintes fois entendue dans la bouche des gens d'en face voulant que le statut du français dans l'affichage commercial à Montréal soit en voie de dégradation est un mythe. Aucune évidence scientifique n'accrédite cette opinion. Il en découle, M. le Président, que l'application actuelle de la loi 86 est efficace et qu'ainsi que l'ont affirmé les présidentes de l'Office de la langue française et du Conseil de la langue française il serait inopportun de renforcer le dispositif de coercition légale ainsi que le veut la loi n° 40; que nos minces ressources financières seraient beaucoup mieux utilisées à soutenir les organismes en place qu'à en créer un nouveau; que l'Office de la langue française, un organisme possédant une solide expérience d'application et une longue tradition de qualité de services, peut très bien continuer à faire son travail; et que, pour toutes ces raisons, l'administration de la loi doit être poursuivie dans le cadre législatif actuel.

M. le Président, depuis trois ans, 6 167 dossiers ont été ouverts à l'Office de la langue française, touchant les infractions aux divers articles de la Charte de la langue française. Sur ces 6 167 plaintes, 2 545 se rapportent à l'article 58 sur l'affichage public et la publicité commerciale, soit 41,3 % des dossiers ouverts. M. le Président, compte tenu du personnel de l'Office et de ses ressources financières, le nombre des plaintes en matière d'affichage ne paraît pas exagéré. Le personnel de l'Office qui traite des dossiers serait-il enseveli de plaintes, rendu incapable de poursuivre efficacement son travail que nous en aurions entendu parler. En termes de jours ouvrables, c'est environ huit plaintes par jour que l'Office aurait à traiter, M. le Président.

M. le Président, j'ai personnellement administré les organismes d'application de la Charte à une époque où, à tous les points de vue, les tâches opérationnelles de la Commission et de l'Office étaient autrement plus lourdes qu'elles le sont aujourd'hui, compte tenu, entre autres choses, de l'état moins avancé des moyens informatiques dont nous disposions. C'est donc à dire, M. le Président, qu'il n'y a pas de preuve de quoi l'administration de la Charte soit inefficace. Peut-être faut-il même voir comme une preuve de l'efficacité d'application de la loi que, lors de leur conférence conjointe du 20 novembre dernier, les présidentes des organismes ont affirmé qu'il n'était pas nécessaire d'amender la loi 86.

L'opinion voulant que le statut du français dans l'affichage commercial à Montréal se dégrade et que nous serions confrontés à une situation d'urgence, je le répète, M. le Président, est un mythe. Un mythe, d'ailleurs, qui a été de façon convaincante illustré par la dernière enquête du Conseil sur la stabilité, le maintien du statut des langues et la forte prévalence de l'unilinguisme français dans l'affichage commercial à Montréal. Un mythe politique mobilisateur, puisque nous savons fort bien que son rôle inavoué est d'intensifier l'insécurité linguistique et d'apporter de l'eau au moulin des ayatollahs de la langue. Sauf que, en plus d'être un mythe, cette opinion est devenue une espèce de pétard mouillé, puisque, les sondages le démontrent encore une fois, l'opinion publique – pas celle des gens d'en face – continue de soutenir la loi 86, et, qui plus est, des sondages récents ont montré que l'insécurité linguistique à Montréal et ailleurs au Québec est en déclin.

La ministre nous mentionnait tantôt que dans un sondage récent un fort pourcentage de personnes interrogées se prononçaient en faveur du rétablissement de la Commission de protection de la langue française, mais le sondage ne disait pas de quelle commission il s'agissait. Et, lorsqu'on regarde le texte de la loi là-dessus et si les gens avaient été informés de ce qu'est cet appareil, de ce que sera cet animal, je doute fort que, compte tenu de nos traditions libérales, les Québécois et les Québécoises aient souscrit avec autant, disons, de spontanéité au genre de questions, au genre de propositions que nous font maintenant les gens d'en face.

Il n'est pas étonnant, de toute façon, comme je l'ai mentionné tantôt, et les sondages, de nombreux sondages l'ont montré, que l'insécurité linguistique soit en déclin, puisque son usage réel ainsi que son statut n'ont jamais été plus solides, plus répandus, et plus soutenus qu'en cette fin d'année 1996. Quiconque entreprendrait – et certains s'y sont essayés – de nier cette évidence est ou bien un illuminé ou un prophète de malheur.

Alors, M. le Président, pourquoi cet empressement à vouloir ressusciter un vieil épouvantail? Pourquoi cet acharnement à vouloir faire croire au monde qu'il faut remettre en marche la troupe des fonctionnaires munie de pouvoirs d'enquête accrus et animée par le besoin irrésistible de pénétrer, d'examiner, de tirer des copies et de prendre des photographies? On a beau essayer de se creuser les méninges – et je dirais de se torturer les méninges – pour trouver une explication raisonnable à la résurrection de la Commission, qu'on est réduit au triste sort de l'ignorance. Bien sûr, ainsi que le disait Pascal, il y a des raisons que la raison ne peut comprendre, mais peut-être que notre grand ancêtre philosophique avait une piètre compréhension de la politique, de la politique partisane, des avatars de la partisanerie. Il y a des ayatollahs, ceux qui font commerce des mythes du marché politique, ceux et celles du sérail dont la marchandise est l'insécurité linguistique et culturelle et auxquels la ministre devra tôt ou tard donner à boire et à manger, surtout depuis la fatidique soirée du 23 novembre dernier, alors que son chef décidait de les mettre à la diète.

(22 h 20)

Enfin, M. le Président, vous en conviendrez, ce n'est pas ce à quoi devraient nous convier les hauteurs du devoir d'État dont le chef du gouvernement nous rappelle les grandeurs et les misères à chaque jour à l'Assemblée nationale. Les servitudes de la politique étant ce qu'elles sont, nous sommes donc condamnés aux entourloupettes de la ministre dans son projet de loi n° 40. Finalement, il y a pire que ce que j'ai pu vous dire jusqu'ici. Au sommet de Montréal, d'éminents gens d'affaires sont venus dire au gouvernement qu'il fallait soustraire aux yeux des gens qui nous regardent à distance les mesures de nos politiques linguistiques qui leur apparaissent comme des irritants. La belle affaire, M. le Président! Le gouvernement s'apprête à leur donner en pâture ce qui, de toutes les mesures linguistiques adoptées par le Parti québécois, a été la plus décriée, la plus ridiculisée. Quelle tristesse de voir un gouvernement, en toute connaissance de cause d'ailleurs, nous faire subir encore une fois les foudres de l'Angloman, de Putinette et de biens d'autres malfaiteurs de notre identité. Ce n'est pas de ces signes d'identité, M. le Président, de reconnaissance dont nous avons besoin, mais, bien au contraire, de ceux qui nous soutiennent pleinement dans notre quête d'une identité positive de fierté, de confiance et de solidarité.

En conclusion, M. le Président, je le répète, toute cette affaire est une triste affaire parce que, enfin, il faut le dire, M. le Président, et la ministre en a fait abondamment état dans sa proposition de politique linguistique qu'elle déposait en août dernier... La ministre de la Culture et des Communications incluait plein de beaux élans, plein de perspectives généreuses, plein d'intentions et de mesures louables. Il y a même dans son projet de loi n° 40 une mesure de renforcement du français dans les nouvelles technologies de l'information dont nous avons besoin à l'heure de la grande mutation technologique que nous traversons.

Je le répète, M. le Président, la proposition de politique que nous soumet la ministre reconnaissait des enjeux fondamentaux pour la protection et la promotion de notre langue et de son avenir. Mais ce n'est absolument pas, mais absolument pas, ce dont il est question dans la partie de la Charte, au chapitre III qui traite des enquêtes et des enquêteurs de la Commission. La ministre en a fait état, de toutes ces belles intentions, de tous ces généreux élans, au cours de l'allocution qu'elle vient de faire, et il ne fait aucun doute que, sur ses suggestions, le Parti libéral se ralliera dans bon nombre de cas et aura aussi, dans certains cas, des suggestions utiles à faire.

Mais, sur la résurrection de la Commission de protection de la langue française, M. le Président, nous ne pouvons pas souscrire aux vues de la ministre, parce que, en plus d'être inspirée par des intentions étroitement partisanes, la mesure dont j'ai parlé nous entraînerait inéluctablement sur la voie de l'erreur, de la discorde, de la zizanie et de tout ce qui est contraire aux meilleurs intérêts de notre commune identité. Merci, M. le Président.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, merci, M. le député d'Outremont. Nous cédons maintenant la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys. Alors, Mme la députée.

Mme Frulla: Merci.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion, sur une question de règlement.

M. Sirros: Juste pour rappeler qu'il y a une règle d'alternance, pour les projets de loi importants surtout, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, M. le député de Laurier-Dorion, j'ai répondu au député de Frontenac à l'effet de l'alternance cet après-midi. Je regrette que vous étiez absent. Alors, vous savez très bien que l'alternance a lieu lorsque deux députés se lèvent de part et d'autre. Si un député de l'opposition s'est déjà levé et qu'il y a un député de l'autre côté qui se lève, je reconnaîtrai le député du parti ministériel. Mais, dans le cas qui nous occupe, j'ai déjà reconnu Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys. Mme la députée.

M. Sirros: ...

Le Vice-Président (M. Pinard): En vertu de quel numéro, M. le député de Laurier-Dorion?

M. Sirros: En vertu du fait que, normalement, on n'indique pas l'absence des personnes, parce que je n'étais pas absent de l'Assemblée nationale, M. le Président, j'étais en commission. Alors, je vous prierais de clarifier, quand vous faites une intervention, qu'il ne s'agit pas d'une absence de ma part, mais que j'étais bien occupé à d'autres vocations parlementaires, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Très bien. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.


Mme Liza Frulla

Mme Frulla: Merci, M. le Président. M. le Président, il me fait plaisir de poursuivre la discussion aujourd'hui sur le projet de loi n° 40, projet de loi modifiant la Charte de la langue française.

On dit bien «poursuivre la discussion», M. le Président, et entamer le débat, car, en août dernier, nous procédions à des consultations générales sur le projet de loi et une proposition de politique. À ce moment, nous avons eu l'occasion d'écouter plusieurs groupes, de questionner la ministre et, bien sûr, de tenter de mieux comprendre pourquoi nous en étions à nouveau à discuter de la langue et de la nécessité de modifier la Charte de la langue française.

Tout d'abord, M. le Président, vous me permettrez de rappeler brièvement à l'ensemble de nos collègues que la promotion de la langue française et sa protection n'est pas l'apanage exclusif du Parti québécois. Il faut mentionner que d'autres aussi ont fait preuve de détermination et de vision en regard de la langue française au Québec.

Le Parti libéral du Québec a fait adopter, en 1974, la loi 22, qui faisait du français la langue officielle du Québec. C'est aussi ce même parti, notre parti, qui entreprit de nombreuses actions dans le but d'élargir le rôle du français à l'échelle internationale. Et n'oublions pas, M. le Président, que la priorité de la Charte de la langue française de faire du français la langue de travail est issue aussi d'un gouvernement libéral.

De même il faut se rappeler que c'est notre gouvernement qui, par l'adoption de la loi 86, a réussi à ramener la paix linguistique, une loi qui affirme la place prépondérante du français et qui évite tout risque d'exclusion. Et, à ce sujet, M. le Président, on se rappelle, à l'époque, lorsque nous avions déposé la loi 86, que l'opposition, qui est maintenant le gouvernement actuel, certains membres de l'opposition disaient qu'ils étaient pour scraper la loi 86, qu'ils étaient pour la bannir. Et, quelques années plus tard, on s'aperçoit effectivement que cette loi et les principes de cette loi sont toujours comme c'était à l'époque quand nous l'avions adoptée, des principes qui prévalent, c'est-à-dire, encore une fois, d'éviter tout risque d'exclusion tout en protégeant le fait français.

M. le Président, je vais débuter mon intervention de façon plus spécifique sur le projet de loi en mentionnant qu'en suite logique à nos actions nous souscrivons pleinement à l'objectif ultime de la proposition de politique déposée en juin dernier, qui est la promotion du français comme langue d'usage au Québec et comme langue internationale. Nous croyons que l'État peut jouer un rôle efficace d'encouragement en matière de qualité de la langue et nous souhaitons vivement qu'il le fasse. D'ailleurs, la promotion d'un français de qualité, comme c'est écrit dans la proposition de politique, est une condition nécessaire à l'extension de son usage social.

Il en va de même des stratégies visant à assurer au français le rôle qui lui revient pleinement comme langue internationale, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies de communication et de l'information. Or, comme je le mentionnais, sur les objectifs ultimes de la proposition gouvernementale, nous sommes d'accord, et nous souscrivons à ces perspectives, puisqu'elles sont aussi les nôtres.

Par contre, nous sommes en total désaccord avec la décision du gouvernement du Parti québécois de rétablir la Commission de protection de la langue française, comme le disait mon collègue le député d'Outremont. Nous sommes d'avis que ce choix entraînera des effets contraires à l'objectif ultime de promouvoir le français et d'en faire la langue commune. La décision de rétablir la Commission de protection de la langue française est une décision, à notre avis, inopportune et injustifiée.

(22 h 30)

D'ailleurs, M. le Président, nous nous sommes questionnés sur les motifs qui ont incité la ministre à rétablir la Commission. Mentionnons qu'en mars dernier un comité interministériel désigné par le gouvernement déposait un rapport qui faisait état du fait que la situation du français avait fait des gains importants dans presque tous les domaines. Le Conseil des ministres estimait, à la lumière des constats du Comité interministériel, qu'il n'était pas opportun de modifier la Charte de la langue française. C'est d'ailleurs ce que soutenait aussi la ministre de la Culture et des Communications dans un communiqué de presse paru le 3 avril dernier.

La ministre nous annonçait un bouquet d'une quarantaine de mesures, et il n'était nullement question de rétablir la Commission de protection de la langue française. Or, voilà que, deux mois et sept jours plus tard, nous apprenions, lors du dépôt du projet de loi le 10 juin dernier, que la Commission serait non seulement rétablie, mais qu'elle aurait aussi des pouvoirs coercitifs accrus. Nous nous objectons, M. le Président, aux modalités légales visant à renforcer le dispositif de contrôle et de surveillance prévu dans le projet de loi n° 40.

Que s'est-il passé? Pourquoi ce changement d'attitude? Tout nous laisse croire que cette décision est tributaire d'une pression importante d'un grand nombre de militants du Parti québécois et de l'ambivalence aussi marquée jusqu'à tout récemment par le gouvernement envers la loi 86. Il n'en demeure pas moins qu'à notre avis et à celui de plusieurs intervenants entendus lors des consultations générales le rétablissement de la Commission de protection ne repose sur aucun justificatif rationnel. Pourquoi ne pas utiliser avec plus de rigueur et de vigueur aussi l'Office de la langue française, l'Office de la langue française qui est un organisme de bonne réputation, possédant une solide tradition de qualité dans les services qu'il dispense et une vaste expérience en matière de promotion du français? Il serait préférable de lui donner les ressources dont il a besoin au lieu de l'amputer d'une part importante de son budget depuis deux ans, plutôt que de créer une nouvelle structure qui se voit et se sent déjà irritante.

M. le Président, les mémoires entendus lors de la consultation générale nous ont permis de constater le besoin d'une stratégie générale du français au Québec. Il a été clairement mentionné qu'il était primordial d'assurer la sécurité du français et que le gouvernement avait la responsabilité de s'assurer qu'il n'y avait pas de retour en arrière. Ce sont les moyens utilisés qui sont incohérents et qui sont décriés aussi, et le gouvernement doit éviter à tout prix de creuser un fossé entre des composantes de la société qui se sont maintenant réconciliées.

D'ailleurs, des personnes compétentes, raisonnables et dont le respect envers la Charte est indiscutable sont venues témoigner devant nous de leur opposition à la décision annoncée dans le projet de loi n° 40. Malgré cela, M. le Président, le gouvernement s'entête à maintenir sa décision et, de ce fait, il nous confirme ce que nous avons déjà affirmé, à savoir que le motif qui explique son choix relève d'un autre ordre de considérations que celui de la responsabilité politique, que ce motif ressemble beaucoup plus à une astuce d'un parti politique qui doit se tirer d'embarras.

D'autre part, permettez-moi aussi de m'interroger sur cette façon de faire du gouvernement qui est d'instaurer des structures. En cette période de restrictions budgétaires où tous les citoyens de notre société doivent être mis à contribution, selon nos dires, selon les dires du gouvernement, selon, je dirais même, le consensus de la société, je trouve qu'il est particulièrement osé de financer une nouvelle structure sur fond de crise linguistique créée de toutes pièces par le gouvernement du Parti québécois et par son premier ministre. M. le Président, il n'y en a pas, de crise linguistique au Québec, il n'y a pas de crise du statut et de l'usage du français au Québec non plus. Le français, tant au chapitre de son statut, de son usage que de sa qualité, a réalisé des progrès énormes depuis 25 ans et largement sous l'impulsion bénéfique d'une série de mesures et de lois, telle la loi 101 à l'époque. À preuve, le Comité interministériel désigné par le gouvernement écrivait dans son rapport, et je cite: «Le français a fait des gains importants dans presque tous les domaines.»

Je me rappelle, M. le Président, les tergiversations du premier ministre en regard du dossier de la langue. J'ai, comme première image, le discours du premier ministre devant la communauté anglophone – on se rappelle, au théâtre Centaur – alors qu'il parlait de rebâtir les ponts. Je revois aussi le premier ministre faire des compromis devant les instances de son parti, afin de sauver la chèvre et le chou, en démontrant qu'il voulait respecter intégralement la loi 101, mais, d'un autre côté, éviter de déplaire à la communauté anglophone, puisqu'il l'avait promis quelques mois plus tôt.

M. le Président, j'ai de la difficulté à m'expliquer la réinstauration de la Commission de protection de la langue française, de rétablir des irritants qui demeurent injustifiés et qui auraient pour conséquence de nuire à notre économie, qui n'a visiblement pas besoin de barrières supplémentaires.

Il faut aussi retenir que c'est la métropole qui souffrira le plus de cette nouvelle mesure, car c'est à Montréal que l'on retrouve principalement la diversité linguistique. À ce titre, je dois dire que, pour une fois, je suis d'accord avec mon collègue le ministre d'État à la Métropole qui disait au sujet du débat linguistique, et je le cite: «On ne doit pas se payer le luxe d'une lutte linguistique à Montréal, c'est la position du gouvernement.»

Je pense que le ministre s'est placé, encore une fois, en contradiction avec un collègue, car, si c'est la position du gouvernement, n'est-il pas juste de prétendre que la Commission devient un élément déclencheur d'une tension linguistique à prévoir?

D'ailleurs, à mon humble avis, l'étude sur l'évolution du statut des langues dans l'affichage à Montréal, 1995 et 1996, rendue publique par la présidente du Conseil de la langue française, Mme Nadia Assimopoulos, et par la présidente de l'Office de la langue française, Mme Nicole René, le 21 novembre dernier, jetait une douche froide sur la proposition gouvernementale. L'étude démontre que le paysage linguistique montréalais est resté stable en comparaison de l'an dernier. D'ailleurs, pour Mmes Assimopoulos et René, il n'y a pas lieu de modifier le régime actuel de la loi 86. Elles disent, et je les cite: «Compte tenu du résultat de cette enquête, nous n'estimons pas nécessaire de proposer des amendements à la loi 86.» De plus, ce qui est intéressant, selon la présidente de l'Office de la langue française, c'est que la non-conformité des commerces qui étaient en infraction portait essentiellement sur une méconnaissance de la loi 86.

Donc, voilà une autre preuve que ce qu'il faut, ce sont des explications, et non des contraventions. Ce rapport démontre que le gouvernement n'a plus aucun motif logique pour remettre sur pied cette Commission de protection de la langue française.

D'autre part, je rappellerai au gouvernement que le Sommet sur l'emploi et l'économie de la fin du mois d'octobre aura été une autre occasion de démontrer les risques que peut occasionner la brisure de la paix linguistique. Le Groupe de travail sur la relance de Montréal, présidé par M. André Bérard, avait formé, on se souvient, un comité, sous la présidence de M. Levitt et aussi de M. Rousseau, qui a reçu les propositions de 36 dirigeants d'entreprise et de chasseurs de tête sur les attraits et les faiblesses de Montréal. Le rapport a fait état des forces d'attraction de la métropole et des facteurs qui nuisent à son attractivité. Avec une grande franchise – et je dirais aussi avec courage – les représentants du Groupe de travail ont notamment fait état des effets de l'incertitude politique et de la nécessité pour le Québec de gérer une interface linguistique avec l'Amérique du Nord.

Pour le groupe de travail, la force de l'économie québécoise est largement tributaire de son appartenance à un espace économique qui dépasse largement les frontières nationales, de même que sa participation active à la mondialisation des marchés qui a cours depuis quelques années. Or, pour les membres de ce comité, il faut davantage de souplesse dans l'application des règles linguistiques en vigueur. D'ailleurs, selon eux, l'expérience démontre en effet que la coexistence des deux communautés linguistiques entraîne très peu de friction dans le quotidien et a accru de façon substantielle le bilinguisme croissant des Montréalais.

L'enquête a aussi permis de constater par ailleurs, et je cite, «que les dirigeants d'entreprises interviewés reconnaissent la légitimité d'un cadre législatif visant à promouvoir le français au Québec. Tous ont toutefois souligné que cette promotion ne doit pas avoir comme conséquence de handicaper les Québécois sur la scène internationale. Cette protection doit s'harmoniser avec la nouvelle réalité».

M. le Président, je désire rappeler au premier ministre que ce rapport a fait consensus, qu'il l'a lui-même accueilli favorablement et que, dans ce contexte, il se doit, à cette étape du projet de loi, de repenser la pertinence de réinstaurer la Commission de protection de la langue française. D'autant plus, M. le Président, on se souvient, que, lorsque le premier ministre, au Sommet, a reçu ce rapport, il a fait état du consensus qui disait que, oui, il fallait avoir des mesures qui font en sorte que le français soit respecté puisque nous sommes une province francophone. Mais, d'autre part, il avait aussi promis, M. le Président, d'effacer les irritants pour que les deux communautés linguistiques vivent dans cette paix linguistique, qui est rare, M. le Président, et je dirais même qui est unique, à nous, au Québec. Autre chose aussi, il avait aussi, M. le Président, dit qu'il réalisait, il réalisait qu'il y avait un problème de perception, et, encore une fois, promettait d'aplanir les irritants.

(22 h 40)

Donc, M. le Président, le gouvernement doit absolument comprendre que les choix faits et les moyens utilisés sont contre-productifs et contraires aux objectifs mêmes de la loi, et contraires, M. le Président, aux objectifs mêmes du premier ministre, émis de sa bouche, lui-même, au Sommet. De plus, ces mesures sont mal perçues et risquent d'être néfastes pour l'image du Québec, comme on le disait dans le rapport Levitt-Rousseau, et d'avoir aussi, M. le Président, comme effet pervers de dissuader les gens de s'établir au Québec.

Voilà une réalité, on le disait tantôt, qui relève peut-être d'une perception, mais, M. le Président, la perception y est et la perception négative d'une coercition en matière linguistique nous nuit, M. le Président, et nous croyons fermement que nous n'en avons pas besoin. Nous avons tous les outils nécessaires pour faire respecter la loi et, s'il faut renforcer encore une fois l'Office de la langue française dans son application de la loi, eh bien, qu'on le fasse au niveau financier, en ajoutant, si on veut, des commissaires, mais non pas en réinstaurant un moyen, M. le Président, qui a été perçu tellement négativement dans le passé.

Donc, M. le Président, en conclusion, je rappelle simplement que ce n'est pas sur l'objectif ultime que l'opposition officielle se démarque du gouvernement mais sur les moyens de l'atteindre, et, je le répète, pas sur tous les moyens. Parce que la proposition linguistique du gouvernement témoigne d'un certain nombre de perspectives et d'initiatives qui sont acceptables et intéressantes. Par ailleurs, sur certains moyens, telle la réinstauration, comme je disais tantôt, des inspecteurs de la langue, nous croyons toujours que le gouvernement fait fausse route, qu'il n'a pas su considérer les recommandations entendues lors de la consultation et que le prix de ces erreurs pourrait être élevé dans un contexte ou rien ne justifie pareille décision. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys. Alors, nous céderons maintenant la parole à la députée de Sherbrooke. Mme la députée.


Mme Marie Malavoy

Mme Malavoy: Merci, M. le Président. J'espère que tout le monde appréciera que nous ayons, nous aussi, envie de parler de cet important dossier. C'est un dossier qui est vital, vous le comprenez bien, c'est un dossier qui fera l'objet probablement d'un débat éternel dans la société du Québec, un débat constant parce que l'enjeu est crucial. La ministre l'a bien rappelé tout à l'heure, effectivement, quand on parle de la langue, il y va de notre identité et il y va de l'existence même d'un peuple francophone en Amérique du Nord.

La langue, nous le savons, est l'assise d'une société, et, si on n'avait pas la volonté ferme de défendre et de promouvoir cette langue, je pense que c'est l'ensemble de notre société qui s'affaiblirait de cette richesse que nous partageons depuis nos origines. Nous avons, d'autre part, un contexte géopolitique qui nous oblige à beaucoup de vigilance. Si on existait en un autre lieu de la planète, peut-être que nos efforts pour défendre la langue française de façon aussi ferme seraient moins importants et moins utiles. Mais nous sommes dans un contexte géopolitique où nous savons bien que nous sommes 2 %, 2 petits pour cent de francophones en terre d'Amérique. Nous sommes, en plus, concentrés dans un espace géographique qui est celui du Québec. Même s'il y a d'autres francophones ailleurs, là où il y en a le plus, c'est au Québec. Et c'est au Québec, donc, que depuis des siècles, on se bat pour vivre et pour se développer en langue française.

C'est donc un dossier, on le comprend bien, qui soulevera toujours les passions, et je suis certaine que cette nuit – puisque semble-t-il nous allons parler de la langue toute la nuit, mais ma foi, M. le Président, c'est une fort belle chose que de passer quelques nuits dans sa vie à parler de la langue française – ça soulèvera les passions, cette nuit comme en d'autres jours. Je pense qu'il y a moyen, aussi, d'aborder cette question avec un minimum de raison, et c'est ce que je voudrais faire dans les quelques minutes qui me sont imparties.

Que nous offre la ministre de la langue française, responsable de la Charte? Elle nous offre d'abord une politique linguistique. Nous avions besoin d'une politique qui soit large, qui ne se résumera jamais à quelques mesures que nous avons à décrire cette nuit ou ces jours-ci. Une politique de la langue française, c'est quelque chose de beaucoup plus vaste, ce n'est pas simplement des mesures et des règlements stricts. Une politique de la langue française, quand elle s'appelle Politique pour un français langue commune, ce qu'elle veut d'abord dire dans son titre même, une chose très simple, elle veut dire que le français, ça doit être notre langue courante, ça doit être la langue visible, la langue que l'on voit quand on se promène chez nous, quand on arrive chez nous, quand on circule dans nos rues, dans nos campagnes, partout. Ça doit être la langue officielle, la langue que le gouvernement parle, la langue que l'administration parle, et c'est la langue, bien évidemment, de la majorité de la population. Parler d'une langue commune, publique ne veut pas dire en aucune manière que, dans leurs affaires privées, les gens ne peuvent pas parler d'autres langues. Il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'on va essayer de nous faire croire, d'imaginer que nous essayons d'empêcher les gens, par exemple, de parler anglais ou de parler d'autres langues dans leur maison. Il ne s'agit pas de ça, il s'agit d'une langue commune qui est la langue publique, des affaires publiques, des affaires de la société québécoise et des affaires qui sont visibles dans tous les dossiers officiels de cette société.

La politique nous offre de travailler sur trois plans, et je vais peut-être commencer par le plan social, parce que très souvent c'est un plan auquel on ne s'attarde pas suffisamment. On va parler abondamment de nos interventions au plan législatif, qui sont importantes, mais nos interventions au plan social, elles sont, je dirais, fondamentales parce que la vie en société, elle est définie par un certain nombre de règles du jeu, et, en cette matière comme en d'autres, on veut que la langue française soit bien protégée et se développe de façon harmonieuse. Au plan social, par exemple, la politique prévoit qu'on intensifie les services de formation linguistique. Il y a des gens qui arrivent chez nous qui ne parlent pas notre langue, qui ont besoin de services, et une politique du français langue commune doit s'assurer que ces gens-là aient tous les instruments qu'il faut pour maîtriser la langue de la majorité. Également, au plan social, par exemple – je n'en donne que quelques exemples – on va s'attarder à avoir une politique institutionnelle du français dans les établissements. C'est important que, dans des établissements comme les écoles, notamment, on voie que le français est la langue commune, on voie que le français peut être aussi la langue que l'on entend sur les ondes et dans les lieux où il y a des radios qui circulent. Ce sera important que ce soit la langue qui soit véhiculée à l'intérieur des établissements.

Politique, donc, au plan social. Politique aussi au plan international. La grande force d'une société comme celle du Québec, c'est bien évidemment d'être, malgré son isolement, un peu, en Amérique du Nord, reliée à l'ensemble de la francophonie à travers le monde entier, et pour cela nous avons à développer une politique qui soit vigoureuse en cette matière. J'en donne deux exemples. On a besoin de développer des contenus sur Internet, puisque maintenant beaucoup de gens se promènent sur Internet. On a besoin de s'assurer que, sur Internet, où actuellement 90 % des contenus sont anglophones, il y ait des contenus intéressants en langue française, et nous avons une contribution à faire en cette matière. Il faut s'assurer également que nous fassions des alliances au plan international avec d'autres pays dans le secteur des industries de la langue qui, pour les prochaines années, vont très certainement se développer avec beaucoup de vigueur. Là encore, nous avons une expertise qui peut être partagée avec d'autres pays et faire que la langue française, qui est une des belles, grandes et nobles langues du monde, soit assurée de circuler avec tous les nouveaux moyens de la technologie.

Plan social, plan international, bien évidemment aussi – et c'est un choix de la société québécoise depuis l'adoption de la loi 101 – plan législatif. On ne peut pas avoir que des intentions, il faut aussi avoir des lois, il faut aussi avoir des règlements, il faut aussi définir à un moment donné que les choses doivent se faire d'une manière et que, si elles ne se font pas de cette manière-là, on aura les moyens de corriger la situation. Et, après avoir analysé cette situation, la ministre a choisi – et le Conseil des ministres l'a appuyée – de remettre sur pied la Commission de protection de la langue française dont le député d'Outremont, d'ailleurs peut-être légèrement amnésique, oublie qu'il en a été le président. Et, ma foi, lorsqu'il en était le président, je pense qu'il trouvait que c'était tout à fait important, et tout à fait noble, et tout à fait justifié d'avoir une commission de protection de la langue française.

(22 h 50)

Cette Commission a deux objectifs relativement simples. Elle a un premier objectif qui est de vérifier que la loi s'applique. Une loi qui ne s'applique pas, évidemment, n'est que du papier, n'a pas d'impact dans la société. Donc, cette Commission aura à circuler, à se promener, à vérifier que cette loi s'applique et je ne vois pas pourquoi, contrairement aux appréhensions du député d'Outremont, on devrait penser que ces fonctionnaires-là seraient moins sensés que tous les fonctionnaires que nous avons dans d'autres systèmes, et je ne vois pas pourquoi il faudrait craindre que, de façon intempestive, ils entrent dans des commerces ou ils entrent dans différents endroits pour aller vérifier la grosseur des lettres en pleine nuit avec des lampes de poche. Je ne pense pas, M. le Président, qu'il y a à craindre que les fonctionnaires de la Commission de protection de la langue française soient conduits à de tels abus.

Vérifier l'application de la loi donc, mais aussi prendre les moyens pour apporter des corrections si on se rend compte qu'il y a des choses qui sont mal faites ou qui ont besoin d'être corrigées. Je pense que c'est une commission qui aura donc un mandat relativement simple et qui devrait nous permettre d'augmenter la qualité de la présence du français dans un certain nombre de lieux de notre société.

Cette politique du français langue commune a été complétée récemment – et je pense que c'était fort à propos – par une politique relative à l'emploi et à la qualité de la langue française dans l'administration. Pourquoi l'administration? Je pense simplement parce que, en cette matière comme en d'autres, l'administration publique doit servir de modèle. On ne peut pas demander aux écoles, on ne peut pas demander aux personnes, on ne peut pas demander aux sociétés de parler français de façon convenable et le mieux possible si on ne commence pas par s'appliquer la même exigence. Donc, on demande à l'administration publique d'avoir une qualité de français qui soit des plus honorables possible.

Je relèverai simplement deux principes qui sont dans cette politique. Il y en a bien d'autres qui sont importants, mais le premier, il faut le répéter sans aucune crainte. On nous fera passer probablement pour des extrémistes ou pour des gens étroits d'esprit. Nous ne sommes pas étroits d'esprit quand nous disons que le Québec est une société unilingue francophone. Nous avons une langue officielle. Le principe de cet unilinguisme doit être redit et répété et nous allons rédiger, nous allons communiquer, nous allons diffuser nos documents en langue française parce que c'est notre langue officielle. Il n'y a absolument aucune crainte à y avoir, il n'y a aucune honte à ça, c'est ce que font toutes les grandes démocraties du monde: elles ont une langue officielle.

Autre principe sur lequel j'aimerais rapidement insister, c'est le principe de la qualité de la langue dans l'administration. Il faut que notre langue soit bien parlée, il faut qu'elle soit bien rédigée, il faut qu'il y ait des mesures pour encourager la qualité de la langue et pour que l'on sache que, de façon absolument répandue, dans notre administration, on travaille en français, on écrit en français, on communique en français.

Bien évidemment, il y aura des exceptions qui sont déjà prévues, parce qu'il se pourrait que d'autres personnes ou même nous, comme députés, nous ayons, à l'occasion, à nous adresser à un auditoire qui est ailleurs. Et, si je vais me promener dans une autre partie du Canada, je peux avoir, éventuellement, à prononcer une conférence en langue anglaise. Ou, si je vais à Washington, peut-être que j'aurai à le faire aussi. Donc, il y a des exceptions qui sont prévues. Mais, quand nous sommes chez nous, quand nous recevons des gens, quand nous diffusons des documents, nous devons le faire en français.

Et j'ajouterai, en ce qui concerne les communications et la diffusion, j'ajouterai – parce que je pense que la question se pose de plus en plus – qu'on doit aussi, au Québec, naviguer en français. Et nous pouvons être d'une grande contribution en permettant à tous les gens qui maîtrisent bien les industries de la langue et qui maîtrisent bien la langue française de nous fournir de très bons instruments de travail, de très bons outils pour nous repérer sur le réseau Internet, entre autres, en utilisant le mieux possible la langue française.

Je ne veux pas prendre beaucoup de temps, M. le Président, mais je tiens quand même à insister sur ces choses parce que, si nous étions simplement des gens un peu mous, nous pourrions simplement nous imaginer que les choses vont aller en s'améliorant d'elles-mêmes, que la langue française, petit à petit, va être la langue de travail sans problème, que les immigrants et les immigrantes qui viennent chez nous vont, avec facilité, se mettre à la parler. On pourrait croire que les problèmes de l'affichage vont d'eux-mêmes se résoudre et se résorber parce que les gens vont comprendre que la langue française est la langue commune au Québec. Malheureusement, nous savons fort bien par expérience qu'il faut plus que de la bonne volonté, qu'il faut plus que des déclarations, qu'il faut plus que des bonnes intentions et qu'il est nécessaire à certains moments d'avoir une politique qui soit un petit peu plus encadrante, qui donne des lignes et des orientations de façon un peu plus claire que simplement des belles paroles.

Mais j'aimerais terminer, M. le Président, parce que le député d'Outremont m'a inspirée tout à l'heure quand il a commencé en jouant avec le mot «bouquet», puisque la ministre avait annoncé un bouquet de mesures. Alors, si vous permettez, puisque la langue française a beaucoup de nuances et permet d'utiliser les mots dans bien des sens, effectivement le sens de «petit bouc» que le député d'Outremont a utilisé tout à l'heure est réel, mais je me suis permis d'en chercher et, de fait, j'en ai trouvé un autre et je voudrais l'offrir à la ministre, parce que je pense que ça s'appliquerait très bien à ce qu'elle nous offre ce soir. Si vous me le permettez, je vous dirai, Mme la ministre, que votre loi, comme on le dit d'un bon vin, elle a du bouquet. Merci.

Une voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Nous céderons maintenant la parole au député de Châteauguay. M. le député.


M. Jean-Marc Fournier

M. Fournier: Merci, M. le Président. Nous allons, si j'ai bien compris ma collègue de Sherbrooke, débattre de la question linguistique toute la nuit. Les Québécois vont sans doute trouver la chose heureuse que le gouvernement, de ce sujet si important, décide d'y choisir ses meilleurs moments: la nuit. C'est justement dans les zones d'ombre qu'on peut passer, des fois, les irritants qui menacent le climat social de notre société.

M. le Président, il y a différentes approches qu'on peut utiliser lorsqu'on intervient sur un projet de loi; quant à moi, je voudrais dresser, si vous me le permettez, un portrait de la situation actuelle. Puisque le gouvernement entend déposer, entend faire adopter des mesures de coercition, moi, j'aimerais qu'on regarde ensemble, dans les quelques minutes qui vont suivre, quel est l'état de la situation au Québec dans le domaine de la langue. Puisque j'entends convaincre les gens d'en face, je vais utiliser leurs propres outils, leurs propres allégués, la preuve qu'ils ont eux-mêmes mise au dossier, et j'espère qu'à la fin de l'exposé ils auront compris comme moi que la preuve qui est au dossier est à l'effet qu'il est juste que nous soyons, au Québec, une société confiante, confiante parce que nous avons connu de nombreux progrès et notamment dans le domaine linguistique.

Je vais donc m'inspirer du rapport du Comité interministériel sur la situation de la langue française dont on aurait pu dire, puisque c'était au tout début de l'année, que ce rapport aurait justifié le virage du gouvernement en passant de sa position que l'on connaissait – de dureté – à une position de respect. Assez étonnamment, les premiers signaux qu'on a eus au début de l'année, c'était que ce virage se ferait. On se souvient du discours au Centaur, un des premiers monuments de ce que nous lègue ce premier ministre en termes de double langage, parce que, par la suite, nous sommes allés de virage en épingle en détour, à se demander toujours comment il se faisait que le gouvernement changeait son approche parfois conciliante mais le plus souvent agressive, cherchant à harceler certaines composantes de notre société.

Et toujours le dénominateur commun, c'était qu'il y avait à un moment donné un conseil national du Parti québécois, à un autre moment donné il y avait un bureau, il y avait toujours ces rendez-vous auxquels la base même du parti se réunit avec son fondement, un fondement d'exclusion, un fondement où on n'est pas capable de voir que la force de notre société est dans l'harmonie entre ses diverses composantes.

(23 heures)

Je veux donc, d'entrée de jeu, parler de la situation générale, m'inspirer de certaines parties donc de ce rapport qui appartient au gouvernement. Donc, sans doute, il trouvera très justes les parties que je vais révéler. On dit ceci notamment à la page 48 – et vous allez me permettre de citer durant les quelques minutes que j'ai – je lis: «Une très forte majorité de la population, soit 93,5 %, affirme connaître le français, c'est-à-dire être capable de soutenir une conversation en français.» Là, je n'ai pas dit 23 %, je n'ai pas dit 63 %, je n'ai pas dit 73 %, je n'ai pas dit 83 %; j'ai dit 93,5 %. C'est une chose.

Je vais prendre un autre passage, à la page 55, un passage un peu plus long: «Quand on veut connaître l'évolution linguistique d'une population, il faut examiner de près un autre facteur qui est celui des transferts linguistiques, même si leur nombre n'est pas très élevé par rapport à l'ensemble de la population. Dans le groupe de langue maternelle française, 58 000 personnes ont abandonné leur langue pour adopter l'anglais, ce qui représente une diminution de 17 000 personnes par rapport à 1981.» Néanmoins, M. le Président, même s'il y a un progrès par rapport à 1981, on peut quand même noter qu'il y a eu un transfert.

«Ces pertes ont cependant été largement compensées par les personnes de langue maternelle anglaise, 54 300, et de langue maternelle autre, 69 400, qui ont adopté le français comme langue le plus souvent parlée à la maison. Notons qu'en 1981 le total des transferts linguistiques vers le français arrivait tout juste à combler les pertes francophones.» Dans ce cas-ci, M. le Président, 10 ans plus tard, et on part d'un stade à peu près d'équilibre en termes de transferts, on parle maintenant d'un gain net de transferts linguistiques vers le français de 65 000.

Je suis rendu à deux citations de ce texte, qui démontrent le progrès, qui démontrent la direction. Je pourrais arrêter là, mais je vais en citer d'autres. Le point que je veux faire, et c'est ce que je veux partager avec vous et avec les collègues, M. le Président, et avec ceux qui nous écoutent: le progrès que l'on décèle ne devrait pas nous amener à adopter de nouvelles mesures contre-productives. Il devrait nous encourager à poursuivre notre chemin qui est si bien déjà enligné.

Un autre passage, aux pages 96 et 97: «Selon les résultats de l'étude – et là on est dans le domaine de l'affichage – on peut donc estimer qu'un étranger qui déambule dans les rues de Montréal retient de l'image linguistique de l'affichage la place majoritaire occupée par le français.» Je pense qu'il est bon de lire et de relire ce passage, bien que, simplement à déambuler dans les rues, on s'en aperçoive, nous aussi, très facilement. Pourtant, lorsqu'on entend autant la ministre que certains de ses collègues – certains, entre autres, qui vont très rarement à Montréal, soit dit en passant – on a l'impression que, par la description qu'ils font, c'est une autre planète.

Mais je m'inspire... Et je sais qu'il y a des collègues, de l'autre côté, qui aiment croire certains de leurs ministres qui leur font une description incroyable, qui ne colle pas à la réalité. Ils aiment ça, croire ça, parce que c'est utile – et j'y reviendrai à la fin, M. le Président – c'est très utile pour essayer d'animer, d'alimenter, le climat revanchard, colonisé. On n'est pas prêt à l'ouverture, on n'a pas confiance, on est frileux. Pourtant, les gens de l'autre côté devraient regarder leurs propres documents produits par leur propre gouvernement, par leurs propres gens.

Oh, je sais bien qu'il y a eu une période de tripotage, on se souvient de ça. Mais néanmoins la ministre était très fière de déposer ce rapport. Et on y dit là-dedans, et je le répète: «On peut estimer qu'un étranger qui déambule dans les rues de Montréal retient de l'image linguistique de l'affichage la place majoritaire occupée par le français.» Et là on fait le 9-1-1, on appelle la police: Vite, la police, au secours, ça va mal! Mais pas quand on regarde les allégués mêmes du gouvernement.

M. le Président, je voudrais continuer ce petit travail qui cherche à alimenter ma réflexion à partir des données du gouvernement. Je lis ceci à la page 50 et là je voudrais qu'on passe quelques instants sur le français au travail. «Les travailleurs de langue maternelle française occupent une place de plus en plus importante sur le marché du travail québécois. En 20 ans, de 1971 à 1991, le pourcentage des travailleurs de langue maternelle française dans la population active du Québec à l'extérieur de la région métropolitaine est passé de 92 % à 94 %.» On me dira que ce n'est qu'une augmentation de 2 %, mais, quand on est si près du 100 %, M. le Président, c'est déjà quelque chose.

«L'augmentation est encore plus sensible dans la région métropolitaine où ce pourcentage est passé de 63 % à 70 %, soit un gain de 7 %. Cela dépasse l'accroissement du pourcentage de francophones dans la population, qui est passé de 66 % à 68 %, soit un gain de deux points. Toujours à Montréal, la part des travailleurs de langue maternelle anglaise a diminué de façon notable, de 23 % à 14 %, et est inférieure aujourd'hui à celle des travailleurs de langue maternelle autre, qui a augmenté de 14 % à 16 %.» Dans cette situation et dans ce progrès, M. le Président, il n'y a pas de menace, il n'y a pas de danger, il n'y a pas lieu d'être frileux.

Un autre passage; à la page 64 – et je suis toujours dans un document qui vient du gouvernement et qui appelle la police, tellement ça va mal – on nous dit: «Entre 1971 et 1991, dans la région de Montréal, le pourcentage de francophones chez les administrateurs est passé de 41 % à 67 %; il est passé de 45 % à 67 % chez les professionnels et de 53 % à 69 % chez les techniciens. Si on additionne les effectifs des trois secteurs d'activité économique, le secteur financier, le service aux entreprises et les industries de pointe, les francophones ont affiché une nette augmentation de leur présence, 55 % à 68 %, par rapport aux anglophones dont la représentation a diminué de 34 % à 18 % et par rapport à une augmentation plus faible chez les allophones, de 11 % à 14 %.

«La percée – et je cite toujours le document – des francophones dans ces secteurs porteurs d'avenir, traditionnellement dominés par l'anglais, revêt beaucoup d'importance. Elle met en échec la perception très répandue dans les années soixante-dix – il faudrait en sortir, cependant, mais très répandue dans les années soixante-dix – que seul l'anglais est la langue de la finance et des affaires. Elle signifie aussi, pour les francophones présents dans ces secteurs d'activité prestigieux, un accroissement de statut pour eux et pour la langue.»

Je suis sûr que je commence à étonner mes collègues d'en face. Je suis sûr qu'ils ne sont pas au courant que leur propre gouvernement a produit un document qui établit ce progrès. Parce que, nous, de ce côté-ci, lorsque nous faisons des discours, M. le Président, et que nous rappelons la fierté que nous avons d'être québécois et d'être canadiens, cette fierté s'établit non pas sur le simple fait de parler français et d'avoir survécu à la conquête...

Soit, cela fait partie de notre fierté, mais il y a plus dans notre fierté, M. le Président. Il y a les réalisations, les progrès accomplis au long des années par ceux qui nous ont précédés. Et nous voulons continuer dans cette lignée. Il n'y a rien de revanchard dans notre attitude. Cette fierté bâtie sur des réels progrès et non sur une perception du passé, M. le Président, cette fierté nous interpelle, fait de nous cette société libre, confiante et ouverte que nous voyons au Québec, alors que ceux d'en face voient une société frileuse, demandent qu'elle se replie de plus en plus et invoquent, pour sa protection, la police de la langue. Comme si tout ça, M. le Président, allait nous amener du progrès. Comme si tout ça était la voie qui nous était tracée lorsqu'on regarde d'où l'on vient. Petit aparté.

(23 h 10)

Je reviens néanmoins à mon texte, M. le Président, qui est toujours le texte que le gouvernement a produit. «Le 31 mars 1995, 26,5 % des grandes entreprises, 100 personnes ou plus, et 18,5 % des petites et moyennes entreprises, 50 à 99 personnes, n'avaient pas encore obtenu leur certificat de francisation. Il y a donc 73,5 % des grandes et 81,5 % des petites et moyennes entreprises qui détiennent actuellement un certificat qu'elles ont obtenu, soit après avoir mis en oeuvre un programme de francisation, soit sans avoir été tenues de le faire.»

Ici, M. le Président, on voit donc des chiffres, 73,5 et 81,5, qui sont des chiffres où on satisfait à la francisation. Et, à constater ces chiffres, on se dirait: Il y a encore place au progrès. Souvenons-nous néanmoins de la façon dont ces progrès ont été obtenus. Il y a place au progrès. Il n'est pas si grand qu'on peut le penser, le chemin qu'il nous reste à parcourir, cependant. On peut s'imaginer que, de 73 à 100, il y a beaucoup d'espace et, de 81 à 100, il y a encore beaucoup d'espace. Pourtant, une toute petite note en bas de la page qui suit nous dit que le point d'arrivée n'est pas 100, mais 90, parce que le taux de certification maximum est d'environ 90 %, M. le Président, puisque, à chaque année, il y a quelque 10 % de nouvelles entreprises. Alors, vous voyez, même dans ce domaine de la francisation des entreprises, beaucoup de succès, beaucoup de réussites, et il ne faut pas avoir peur de le dire. Au fond, le débat est ailleurs probablement.

Je voudrais vous citer un passage; en fait, deux passages et, ensuite, tirer ma conclusion. Le passage suivant, à la page 51: «Le phénomène de l'étalement urbain dans les grandes agglomérations urbaines est caractérisé par le fait que le noyau de l'agglomération se dépeuple au profit des banlieues. Dans le cas de la région métropolitaine de Montréal, selon les données du recensement de 1991, on constate facilement que la propension des francophones à quitter l'île s'établit à un niveau largement plus élevé que celui des autres groupes, soit 16 %. Dans le cas des anglophones, cette propension est de 5,3 %, et des allophones, de 4,9 %.» Après cela, M. le Président, on viendra nous dire qu'il faut appeler la police pour régler ce problème. Il ne s'agit pas d'un problème de police; il s'agit d'un problème d'étalement urbain. Des politiques appropriées devraient être trouvées, et non pas d'appeler au secours les policiers.

Un autre passage, et ce sera le dernier: «Même si la Charte de la langue française ne dit pas un mot de l'immigration, il est bien évident qu'il s'agit là d'un élément capital de la politique linguistique du Québec. Les responsables publics doivent en être conscients, tout en tenant compte des effets combinés de la concentration allophone à Montréal et de l'exode francophone vers les banlieues. Cette problématique interpelle la politique linguistique et sous-tend les décisions du gouvernement et des instances régionales en matière de famille, d'immigration, d'habitat, de régionalisation de l'immigration et de développement régional.» Toutes des choses, M. le Président, dont le projet de loi n° 40 ne parle pas. Toutes ces choses sont absentes dans le projet de loi n° 40, parce que le projet de loi n° 40 ne vise pas à pousser plus loin; il vise à exclure, il vise à créer une division au sein de la société québécoise.

Je vous ai dressé un bilan sur le ton le plus neutre possible, M. le Président. Vous savez que nous pouvons parfois nous emporter, nous pouvons parfois partir dans des débats houleux, essayer de plaider notre cause avec la dernière énergie. Dans ce cas-ci, j'ai voulu présenter au gouvernement la preuve que ce gouvernement a lui-même déposée au dossier: le Québec va bien au niveau de la langue. Ce n'est pas moi qui le dis; c'est le gouvernement qui l'a dit. Et on a parlé du bouquet; moi, je parlerais plutôt de toupet, M. le Président. Ça prend beaucoup de toupet, mais beaucoup de toupet!

N'est-ce pas plutôt le nouveau procédé, la nouvelle façon de gouverner: dire une chose et faire le contraire? Dans ce cas-ci, on a dit dans ce volume, qui est le rapport de ce gouvernement, que la langue française se portait bien, et, pour ceux qui n'ont pas souvent l'occasion de visiter Montréal, même à Montréal ça va bien. Mais on fait le contraire, M. le Président, et on décide de se comporter, peut-être parce que c'est dans la peau de ceux qui forment ce parti au pouvoir, comme s'il y avait un grand danger, un grand péril, M. le Président.

On fait référence à ce petit 2 % que nous sommes. Nous ne sommes pas petits, M. le Président. Nous sommes debout dans le monde. Nous sommes fiers et confiants parce que nous savons d'où nous venons. Et, de ce côté-ci, M. le Président, nous savons où nous allons. Nous allons vers l'ouverture sur le monde, nous allons vers des liens de plus en plus nombreux avec le monde. Nous n'allons pas adopter le repli et le frisson; nous allons nous animer de notre fierté de nos réalisations, de la chaleur que cela représente et nous allons continuer de rayonner partout. Il n'y a pas de petit 2 %; il y a ici, au Québec, une société libre, confiante qui veut s'ouvrir et qui s'affirme, et nous allons le faire, quoi qu'en pense ce gouvernement petit et qui veut nous condamner au repli. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Châteauguay. Nous céderons maintenant la parole au député de Nelligan. M. le député.


M. Russell Williams

M. Williams: Merci, M. le Président. Félicitations à mon collègue pour sa dernière intervention. Je pense qu'on peut être tous fiers de notre perspective et j'espère que le gouvernement va nous écouter ce soir malgré que la ministre ne nous écoute pas.

Je trouvais surprenant, M. le Président, que nous soyons ici tard le soir. Si le gouvernement est aussi fier de ce projet de loi, pourquoi appeler ça aussi tard que maintenant? Pourquoi pas faire un débat pendant la journée quand les Québécois et Québécoises peuvent nous écouter? C'est un gouvernement qui démontre ce soir un manque de vision, une ministre qui manque de vision, et ils démontrent clairement qu'ils étaient dépassés par le temps. Ils n'ont pas vu le changement d'attitude des Québécois et des Québécoises, des Français et des Anglais, de tout le monde.

C'est clair que le train est déjà parti, mais le Parti québécois est resté à la gare. C'est une étape en arrière, M. le Président, ce projet de loi. C'est encore un exemple des politiques de division et des politiques de coercition. Et, je pense, nous avons tous compris que la façon de protéger et de promouvoir la langue française, c'est avec l'appui des 7 000 000 de Québécois ici, en «partnership», en harmonie et pas avec les mesures aussi coercitives que nous avons trouvées dans le projet de loi n° 40. C'est une solution qui date des années soixante, qui, dans mon opinion, n'était pas efficace en ce temps-là, mais ce n'est certainement pas efficace maintenant. Et c'est clair que la ministre est la marionnette des extrémistes de son parti, «the morally corrupt party, as we see in front of us tonight, morally corrupt, Mr. Speaker».

Nous avons plusieurs personnes qui ont déjà fait des commentaires contre ce projet de loi. Gérald Larose qui dit: «Lorsque le principal instrument d'application d'une politique linguistique est un ruban à mesurer, cela nous pose des difficultés; c'est humiliant, ridicule, honteux et risible.» Serge Turgeon a même fait des commentaires. Ghislain Dufour a fait des commentaires. Je peux en nommer plusieurs autres et, peut-être plus tard, je vais citer quelques autres commentaires pour essayer de convaincre ce gouvernement qu'il est en train de faire une erreur.

(23 h 20)

But I would like to also quote my son, Michael, who said: This is one of the craziest thing he has ever heard. To force businesses to be subjected to the kinds of power that you see in this law, to make them subject to these tongue troopers, to not allow the market to decide, to not allow people to decide what is the best language to advertise their business, is not the way to proceed. I am very proud of his efforts. He studies in French. He studies completely in French. He took his elementary school in French, and he is much more bilingual than I am. But, Mr. Speaker, he says, it is very clear, to let the people of Québec work this out. Don't come with all these language polices.

Il me semble que c'est tellement important de mentionner ça ce soir, que c'est une loi qui ne respecte pas la volonté de la population québécoise, du peuple. Je pense qu'ensemble on peut protéger et promouvoir la langue française. Nous n'avons pas besoin d'un corps de police pour faire ça. M. le Président, il y a deux grands thèmes qu'on peut trouver dans ce projet de loi: un, c'est une autre attaque et un harcèlement à la communauté d'expression anglaise, et nous avons une longue série d'attaques à ma communauté par ce gouvernement; et aussi un deuxième volet que je vais expliquer, c'est un manque de vision d'une stratégie de fierté, de comment on peut protéger et promouvoir la langue française. Et j'espère qu'il n'y a aucune personne en cette Chambre qui ne veut pas protéger et promouvoir la langue française. Certainement, il n'y en a pas une de notre côté, mais ce n'est pas la façon de protéger la langue française. Je vais expliquer ça plus tard.

But clearly, Mr. Speaker, this is another betrayal by the Premier of the English-speaking community. C'est une trahison claire et nette. C'est un autre exemple du double langage que nous avons vu par ce gouvernement. C'est un gouvernement qui ne veut pas gouverner pour tous les Québécois et Québécoises.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader du gouvernement.

M. Bélanger: Oui, vous savez, M. le Président, en cette Chambre, on a déjà mentionné le mot «trahison» qui est un terme, je crois, qui est proscrit du langage qui devrait être utilisé en cette Chambre. Et je connais le député de Nelligan qui, normalement, est un gentleman, et je suis certain que, quand il utilise ces propos, ça va un peu plus loin que sa pensée.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Oui, M. le Président, il me semble que, très récemment, la présidence a statué sur l'utilisation justement du mot «trahison», que c'était tout à fait légitime de l'utiliser en autant qu'on ne disait pas que quelqu'un était un traître, dans le sens de lui attribuer les attributs de ce mot. Mais, quand – et je pense que c'est ce que la présidence a dit – quelqu'un annonce une chose et fait le contraire, on peut utiliser le mot «trahison» pour le décrire.

Le Vice-Président (M. Pinard): Je crois qu'il faut toujours interpréter le sens général. Alors, je vous inviterais à la plus grande prudence, M. le député de Nelligan. Si vous voulez poursuivre, s'il vous plaît.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. C'est clair que c'est un gouvernement qui ne veut pas gouverner pour tous les Québécois et Québécoises. Since the Centaur Theater... And I think we can be very clear right now, tonight, that the English-speaking community and all Québec society has put a big X on this speech at the Centaur. The double language that we have seen since that time is so clear we might as well put this speech in the garbage where it belongs. Since the Centaur Theater, Mr. Speaker, this Government has closed our hospitals, this Government has made cuts in our education system, this Government doesn't allow English bilingual signs in hospitals that are giving health and social services to the English-speaking community. It doesn't allow signs.

They have discriminatory practices for admission in the English schools. They treat – and I don't know if you are aware of this, Mr. Speaker – people from biological parents, or adopted parents, or blended families differently. They treat children differently, based on the family status. Unacceptable, Mr. Speaker! They're threatening to have higher rates of admission fees for students from outside the province. The Minister of Education promised to fix access for temporary stays. Has that promise been fulfilled? No, I am not allowed to say certain words here tonight and I won't, Mr. Speaker, but it is very clear, when you make a promise and you don't complete it, you know what that is called, and that's what the Minister has done.

And now, tonight, another gesture from this Government as part of their attack, their continued harassment of the English-speaking community. It is clear that the charade of the Centaur Theater is over. It is very clear about that as tonight they're introducing, this Péquiste Government, a Commission with tongue troopers, ayatollahs, as the deputy for Outremont talked about, ayatollahs of language, or as some people called: the vocabulary constabulary. They are creating a bank of police to monitor how people communicate with each other. It's unacceptable, Mr. Speaker.

But the most horrendous thing I've heard, the most horrendous and despicable thing and frankly the one that has been ridiculized the most is this policy of the Minister that she is going to make her civil servants check in and get permission whether they can speak English. I don't think any society, any civilized society, any democratic society that I know of has ever passed a law or a policy that tries to influence how people speak together. But that's what we see here tonight, Mr. Speaker. We also see a law that has so much power, power for inquiry, power to almost search and seizure that we have never seen... Clearly you're going to see the courts completely jammed by this.

Et je voudrais maintenant, M. le Président, faire une comparaison entre ce que j'ai juste décrit et la paix linguistique que nous avons eue avec la loi 86, où nous avons, avec beaucoup de travail et beaucoup d'énergie, trouvé le consensus avec les francophones, les anglophones et les allophones. Mais voilà la grosse différence: le Parti libéral du Québec veut avoir un consensus; le Parti québécois veut avoir juste la division.

M. le Président, la communauté d'affaires a demandé l'assouplissement, le respect, un peu d'air frais. Mais qu'est-ce qu'ils ont vu, qu'est-ce qu'ils ont reçu? Une crise artificielle. C'est un autre irritant, pas juste pour les anglophones, pas juste pour les membres de la communauté d'expression anglaise, mais ça l'est aussi pour les francophones, ça l'est aussi pour tous les propriétaires des petits magasins. C'est un autre irritant et c'est une loi interventionniste qui donne le pouvoir de vérifier le nombre de pouces, qui «checks» les apostrophes. Ce n'est pas défendable en public, M. le Président; c'est ridicule. Effectivement, de plus en plus de monde dit que c'est ridicule. Et je pense que, si les députés d'arrière-ban peuvent en avoir le courage, ils vont dire la même chose.

M. le Président, la façon de protéger et de promouvoir la langue française, ce n'est pas par des cohésions. Je vais toujours supporter chaque geste positif pour protéger la langue française, mais jamais sur le dos d'une autre communauté, jamais sur son dos. Et ce pouvoir qu'on peut trouver dans ce projet de loi, comme j'ai déjà mentionné, dans mon opinion, ce n'est même pas constitutionnel et, certainement, c'est un pouvoir exagéré.

M. le Président, une des façons de protéger et de promouvoir la langue française, c'est par notre système d'éducation. Mais «check» ce qui se passe, vérifiez ce qui se passe avec ce gouvernement. Dans mon comté et quand j'étais député durant mon premier mandat, j'ai travaillé avec fierté, avec toute mon énergie pour assurer qu'il y ait un cégep pour les francophones de l'Ouest-de-l'Île de Montréal, pour la première fois. Et j'étais fier que, dans le mois de juin, avec le chef et le ministre de l'Éducation, dans ce temps-là, nous avions, le Parti libéral du Québec, annoncé un projet, qui coûte 4 600 000 $, qui donne un noyau pour les francophones de l'Ouest-de-l'Île de Montréal. J'étais tellement fier de ça. Le premier geste de ce gouvernement, ça a été d'empêcher le développement de ce cégep francophone de l'Ouest-de-l'Île de Montréal.

Ce soir, j'ai entendu que ce projet de loi coûte plus ou moins 5 000 000 $. Si la ministre veut protéger la langue française, qu'elle prenne le 5 000 000 $ qu'elle va gaspiller dans ce projet de loi et qu'elle mette ça dans le cégep francophone de l'Ouest-de-l'Île de Montréal, tout de suite. Ça va être la façon dont on peut protéger la langue française, à l'aide de notre éducation; ce n'est pas avec une cour de police. On doit assurer que les francophones de l'Ouest-de-l'Île de Montréal puissent avoir accès à leur cégep.

Il y a un autre exemple que j'ai vu, qui est complètement non défendable. Ce gouvernement est en train de couper l'éducation du français langue seconde dans les cégeps anglais. Si on veut assurer que les anglophones parlent plus en français, la meilleure façon, c'est d'assurer qu'ils aient accès au meilleur système d'éducation de langue seconde dans le monde. Mais voilà la contradiction, le double langage de ce gouvernement: il est en train de couper, dans les cégeps anglophones, le plus haut cours de langue française et le plus bas. Complètement inacceptable comme façon de penser.

(23 h 30)

Et là, M. le Président, la ministre essaye de créer une image qui n'a pas l'appui de tous les Québécois et Québécoises pour la protection de la langue française. C'est faux.

Je voudrais juste mentionner un exemple: plus de 60 personnes, des élèves dans la commission scolaire Lakeshore, qui sont dans le volet français, pas en immersion française, ont leur certificat pour aller dans le volet anglais s'ils veulent, mais, par choix, dans un acte volontaire, parce que nous avons décidé, comme parents, que c'était mieux, que c'était plus positif que nos enfants soient bilingues, ils ont décidé d'aller dans des écoles françaises. C'est une façon de protéger avec fierté la langue française, par notre système d'éducation, pas avec les gestes aussi coercitifs que nous avons trouvés ce soir.

M. le Président, il y a des exemples aussi ridicules dans ce projet de loi. L'article pour les logiciels, on doit avoir des nuances comme ça parce que, sans avoir une meilleure connaissance de la réalité québécoise, la ministre va être en train de fermer tous nos magasins d'ordinateurs par ce simple geste. Elle doit trouver une façon pour travailler ensemble, en partnership, avec toutes les communautés, pour s'assurer que, pas avec des mesures coercitives, mais plus avec une meilleure connaissance et un grand respect pour la réalité française d'ici, au Québec, on puisse avancer les causes dans les secteurs industriels comme ça.

Moi, M. le Président, c'est «ridiculous» comme... et c'est de la provocation pure, ce projet de loi. Et, moi, j'ai toujours eu un plus grand respect pour la population québécoise que la ministre le démontre ce soir. Je pense à toutes nos responsabilités de protéger et de promouvoir la langue française. Je pense que chaque citoyen a cette responsabilité, quotidiennement, dans la famille, avec les amis, au travail. Mais c'est par un geste volontaire. Nous n'avons pas besoin d'un corps de police tel que nous avons trouvé dans ce projet de loi. Comme le député l'a déjà mentionné, ça va bien dans la protection de la langue française ici, au Québec et on peut être fiers de ce que nous avons fait ensemble.

Je trouve ça insultant de recevoir le message que la communauté d'expression anglaise est une part du problème. Nous ne sommes pas ça. Actuellement, on encourage ça. Nous sommes les meilleurs supporters de ça, dans tout le Canada. Nous sommes les vendeurs du Québec, nous sommes fiers d'être Québécois aussi, nous sommes fiers d'être Canadiens en même temps. Avec ça, le fait français, ici, est de plus en plus solide. Je ne mets pas en doute qu'on doit continuer de protéger ce fait français, mais pas avec les vieilles visions d'une menace qui n'est pas là. On doit s'assurer que tout le monde travaille ensemble pour cette question. On trouve les irritants qui, de mon opinion, sont là juste pour irriter la communauté d'expression anglaise.

The community, Mr. Speaker, deserves much better than this. There is linguistic stability here. The English-speaking community is very interested and has been active, and has been proudly supporting the promotion and protection of the French language, but it also proudly and passionately wants to protect its own community. You don't do that, like you see in Bill 40. What you have to do is move away from these coercive measures. You have to move away from the ignorance that you find in the thinking behind this law. What you have to do with pride, is say: This Government will, along with all 7 000 000 Quebeckers, work to protect and promote the French language, but we'll do it with partnership, and at the same time we'll assure that the English-speaking community is also promoted and protected. I believe this is an attack on all Quebeckers. This is an attack on all Quebeckers' pride and their ability to govern their own future.

M. le Président, comme je l'ai mentionné, je vais toujours appuyer tous les gestes progressifs et positifs qui peuvent protéger la langue française. Ici, dans ce projet de loi, nous ne les trouvons pas; nous ne trouvons pas de gestes aussi positifs que ça. On trouve des mesures, M. le Président, qui ajoutent une longue liste d'irritants qui, dans mon opinion, sont complètement inacceptables.

M. le Président, je voudrais terminer mes commentaires avec encore quelques citations de M. Gagné: «C'est l'organisme le plus détesté au Québec. Au lieu de servir la langue, il va la desservir.» M. le Président, il y a aussi M. Julius Grey, qui dit que ça va être une loi tellement contestée. Il questionne la constitutionnalité de ce projet de loi. Je pense, M. le Président, que, pour être respectueux de la population québécoise, elle doit refaire ce projet de loi, le refaire avec un grand respect pour tous les Québécois et Québécoises.

M. le Président, on doit promouvoir la langue française. On ne doit pas punir la population québécoise. On doit s'assurer que le pouvoir de nos fonctionnaires est bien limité. On doit s'assurer que nous avons un gouvernement qui gouverne toute la population. Selon moi, M. le Président, ce gouvernement est en train de créer une fausse crise, une crise artificielle, de faire une diversion parce qu'il n'est pas capable de faire de la création d'emplois. Nous avons perdu 60 000 jobs depuis l'entrée du premier ministre actuel. C'est inacceptable! C'est un gouvernement incompétent qui a perdu la confiance de la population.

Nous sommes fiers d'être Québécois, nous sommes fiers de la langue française et de notre capacité de protéger ça, mais nous sommes fiers aussi de la communauté d'expression anglaise. Nous n'allons jamais supporter quelque chose qui va faire quelque chose contre une communauté pour avancer l'autre communauté.

Dernier commentaire, M. le Président. Je trouve ça dégueulasse pour une loi aussi importante que ça que le ministre ne soit pas resté ici en Chambre. Merci beaucoup.

Le Vice-Président (M. Pinard): Vous savez très bien, M. le député de Nelligan, que vous n'avez point le droit de souligner l'absence d'un des membres de cette Assemblée. Alors, nous céderons maintenant la parole à la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne. Mme la députée.


Mme Nicole Loiselle

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de prendre la parole sur le projet de loi n° 40, cette loi qui modifie la Charte de la langue française. Avant...

M. Bélanger: M. le Président, article 32. Je pense que tous les députés doivent être assis à leur siège.

Une voix: Pour parler.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, à ce compte-là, je demanderais également aux députés ministériels de reprendre leur siège. Mme la ministre, s'il vous plaît.

Alors, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne, nous vous entendons.

Mme Loiselle: Oui, M. le Président, maintenant que le jeu de la garderie est terminé, je vais débuter.

Il me fait donc plaisir de prendre la parole...

M. Jolivet: M. le Président, le règlement, il est clair... M. le Président, le règlement, il est clair: toute personne ici en cette Chambre doit prendre la parole de son siège. Et ce n'est pas une garderie, c'est l'Assemblée nationale. Si elle veut la juger comme garderie, c'est son droit, mais on est ici à l'Assemblée nationale, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: M. le Président, le whip du gouvernement a raison, le règlement est clair quant à ça, mais le règlement est également clair que la députée a le droit de juger le comportement pas très intelligent de l'autre côté, M. le Président.

(23 h 40)

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion, vous savez très bien, avec l'expérience que vous avez, que vous suscitez des débats. Vous n'avez point le droit de tenir des propos semblables, qui suscitent un débat. Alors, au moment où on se... à l'heure où on en est rendu dans le débat...

Une voix: ...

Le Vice-Président (M. Pinard): Bon, il y a un point de règlement qui a été soulevé par le parti ministériel, le point se trouvait judicieux, madame a retrouvé son siège, j'ai fait également retrouver les sièges des députés ministériels qui n'étaient pas assis à leur banquette. Donc, à partir de ce moment-là, nous en sommes rendus à l'attaque de l'allocution de Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne, que nous allons écouter religieusement. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Mais, avant de l'écouter religieusement, M. le Président, si j'insistais, c'était tout simplement pour protéger le droit de la députée, justement, qui avait commencé son allocution, de proférer exactement ce qu'elle avait tout le droit de proférer, selon le règlement, et le député de Laviolette...

Le Vice-Président (M. Pinard): Excusez-moi, M. le député de Laurier-Dorion, j'aimerais savoir en vertu de quel règlement vous intervenez, là, parce que, vous savez, on peut se promener ce soir, on peut s'amuser à discourir, mais en vertu de quoi?

M. Sirros: M. le Président, je ne m'amuse pas, je le fais en fonction du règlement. Si je n'ai pas le numéro, c'est celui qui prévoit qu'un député a 20 minutes de temps de parole et qu'à partir de ce moment il ne doit pas être interrompu inutilement par rapport à des questions inutiles de règlement, parce que...

Le Vice-Président (M. Pinard): Bon, alors, M. le whip...

M. Sirros: Bien, je n'ai pas terminé.

Le Vice-Président (M. Pinard): ...en chef du gouvernement, M. le leader de l'opposition pour ce soir, dès qu'il y a un point de règlement en cette Chambre, la présidence se lève, l'écoute et porte un jugement; c'est ce que j'ai fait. Maintenant, je pense qu'on doit se reposer un peu et entendre avec beaucoup de sympathie l'allocution de Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne. Mme la députée.

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Je disais donc qu'il me faisait plaisir de prendre la parole sur le projet de loi n° 40, cette loi qui modifie la Charte de la langue française. Avant de m'attarder plus spécifiquement au projet de loi n° 40, il faut bien le dire, tout débat au niveau de la langue française aiguise les passions et fait monter la tension dans une société, et c'est normal parce que, dans toutes les sociétés, la langue est un élément central de l'identité culturelle, et cette langue exprime cette identité. Au Québec, c'est encore plus vrai, puisque c'est avant tout dans le fait français qu'on situe la langue de la majorité qui nous donne à nous notre caractère distinct, nous, les Québécois.

Au Québec, depuis les 25 dernières années, nous avons su développer et su mettre en oeuvre nos propres instruments pour assurer à la société québécoise l'épanouissement de la langue française et consolider notre identité culturelle francophone. Il est également important de mentionner qu'au Québec c'est le gouvernement du Parti libéral du Québec qui a réussi à instaurer la paix linguistique tout en respectant les membres, tous les membres, tous les membres de notre communauté.

Tout à l'heure, je vous mentionnais que les débats sur la langue aiguisaient les passions et provoquaient des tensions, et nous en avons eu un bel exemple dernièrement, lors du dernier congrès du Parti québécois, qui s'est tenu en novembre dernier, congrès dont les militants péquistes ont été extrêmement déçus et particulièrement déçus envers leur premier ministre du Québec. Pourquoi ils ont été tant déçus de leur chef? Parce que je vous rappelle que le Parti québécois avait pris l'engagement, lors de la dernière campagne électorale, de rétablir la loi 101.

D'ailleurs, je vous rappelle également que le premier ministre actuel avait fait, dès son arrivée au pouvoir, miroiter aux militants du Parti québécois que le rétablissement de la loi 101 était indispensable. Et permettez-moi de démontrer encore une fois le double langage du premier ministre du Québec, pour ne pas dire sa tromperie. Les militants du Parti québécois auraient dû avoir la sagesse de retourner un peu en arrière...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le leader du gouvernement.

Mme Loiselle: Qu'est-ce qu'il y a encore?

M. Bélanger: Le terme «tromperie», M. le Président, est complètement antiparlementaire, et la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne le sait très bien.

Le Vice-Président (M. Pinard): Madame... Écoutez, je pense qu'on n'établira pas un dialogue, vous allez vous adresser à la présidence. Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne, si vous voulez bien recommencer le paragraphe en question en modifiant vos propos qui ne feront pas en sorte de susciter un débat qui va interrompre inutilement votre allocution. Mme la députée.

Mme Loiselle: Permettez-moi, M. le Président, de démontrer encore une fois le double langage du premier ministre du Québec, pour ne pas dire son astuce déguisée. Les militants du Parti québécois auraient dû avoir la sagesse de retourner un peu en arrière, de vérifier la position du premier ministre sur le sujet de la langue, notamment sur celle de la loi 101.

M. le Président, on pouvait lire dans Le Journal de Québec daté du 17 mai 1993, et je cite: «Selon M. Bouchard, la loi 101 est mauvaise pour la réputation du Québec.»

Mais je cite un journal! Écoutez là, allez vous coucher, vous êtes nerveux.

Une voix: Oh!

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la députée, je tiens tout simplement à vous rappeler que, depuis déjà une semaine ou deux, il s'est installée une règle à l'effet que, même lorsqu'un journal cite le nom d'un député ou d'un chef ou d'un ministre, à ce moment-là, on le transpose toujours soit par «le premier ministre», soit par «le député de Jonquière». D'accord? Alors, madame, on vous écoute.

Mme Loiselle: Selon le chef du Parti québécois actuel, la loi 101 est mauvaise pour la réputation du Québec. On peut comprendre maintenant pourquoi le premier ministre, lors de son dernier congrès en novembre dernier, a voté le rejet d'une proposition demandant le retrait de la loi 86 afin de la remplacer par la loi 101. Le premier ministre a été victime des tensions et des passions qui peuvent soulever le débat sur la langue française. La volte-face qu'il a faite à ses militants, volte-face pour ne pas dire bouderie, qu'il leur a servie pour leur faire prendre le virage n'a pas été très appréciée dans son propre parti, et vous conviendrez avec moi que cette réaction ne démontrait pas une très grande maturité, réaction pour le moins inattendue de la part d'un premier ministre, M. le Président. Vous savez, on ne devrait pas brandir les talents de négociateur du premier ministre du Québec, mais bien brandir ses talents de manipulateur. C'est bon «manipulateur»?

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la députée, je dois vous avouer une chose, je n'ai pas à entendre l'argumentation du leader du gouvernement. Effectivement, il faut être délicat, parce que l'article 35, c'est que vous suscitez un débat, vous prêtez des intentions. Alors, «le premier ministre est manipulateur», vous allez comprendre que, effectivement, ce n'est pas des propos trop, trop parlementaires. Alors, s'il vous plaît, je suis persuadé, connaissant votre habileté, que vous allez être capable de poursuivre votre allocution et de la rendre en tout point conforme à notre règlement. Madame.

Mme Loiselle: Dans le fond, M. le Président, il faut bien le dire, le premier ministre du Québec a compris que la paix linguistique que le gouvernement du Parti libéral a instaurée au Québec était sacrée et qu'il fallait la conserver à tout prix. De plus, le premier ministre du Québec réalise que la majorité des Québécoises et Québécois regardent le premier ministre du Nouveau-Brunswick, qui utilise la force du bilinguisme, une force économique dans sa province. Je lisais d'ailleurs dans les journaux, M. le Président, que le premier ministre du Nouveau-Brunswick a non seulement atteint son déficit zéro, mais a même réussi à avoir des surplus.

Si nous voulons la prospérité pour le Québec, il faut arrêter de provoquer comme le fait le Parti québécois, arrêter de rouvrir les combats linguistiques qui nuisent aux investisseurs étrangers. Nous sommes dans un contexte de mondialisation, il faut donner au Québec la possibilité d'être dans la première locomotive du train et non pas sur le bord de la route à regarder le train passer.

La population du Québec ne veut plus que les fonds publics soient dépensés aux fins de discussions et de chicanes interminables sur la langue, mais elle désire que le gouvernement s'attaque aux vrais problèmes: le chômage, l'emploi, la pauvreté. Mais, malheureusement, M. le Président, ce gouvernement ne l'a pas encore compris parce qu'on se retrouve encore une fois à discuter sur le dossier de la langue avec le projet de loi n° 40. Je rappelle à ce gouvernement qu'il y a 800 000 personnes à l'aide sociale, qu'il y a 400 000 chômeurs. Le taux de pauvreté de Montréal est désolant et désastreux. Et, malgré ça, ce gouvernement du Parti québécois met encore sur le tapis le débat de la langue. Quand ces discussions vont-elles arrêter une fois pour toutes, afin que ce gouvernement remette les Québécois au travail afin de leur assurer une meilleure prospérité?

(23 h 50)

Mais pourquoi le gouvernement du Parti québécois veut-il à tout prix créer une nouvelle crise linguistique au Québec? Est-ce que c'est pour masquer son échec en matières économique et de création d'emplois? Parce que, vous le savez, M. le Président, le débat linguistique est néfaste pour l'économie du Québec, un débat, d'ailleurs, qui est stérile, puisque le français est en progression au Québec, plus particulièrement à Montréal, comme l'a démontré le rapport interministériel. Alors, pourquoi ce gouvernement veut-il nous faire tourner en rond sur les mêmes questions?

Par ailleurs, M. le Président, le Parti québécois doit changer, et ce n'est pas moi qui le dis, c'est le président du Parti québécois, premier ministre du Québec. Le Parti québécois doit changer parce que le Québec doit faire preuve d'ouverture afin d'attirer et faciliter les investissements étrangers afin de faciliter l'entrée d'immigrants investisseurs et faire de la province de Québec une terre d'accueil où chacun sera bien chez soi. Et c'est seulement là, M. le Président, que le Québec connaîtra la prospérité économique que toutes les Québécoises, que tous les Québécois ont le droit d'avoir. Pourquoi ce gouvernement ne permet-il pas aux Québécoises et aux Québécois d'atteindre cette prospérité? Nous le méritons pourtant.

Le premier ministre n'est pas tout seul à tenir un double langage, il y a aussi la ministre de la Culture qui doit prendre exemple probablement sur son chef. La ministre de la Culture, députée de Chambly, on se rappellera, quand elle a été nommée responsable du ministère de la Culture, la première chose qu'elle a proclamée, M. le Président, c'est le retour de la loi 101. Lors du dernier congrès, en novembre dernier, la ministre de la Culture reniait la loi 101 et demandait aux militants d'appuyer la loi 86 que nous avions, nous, du Parti libéral du Québec, adoptée. Même le père de la loi 101, M. le Président, qui est présentement député de Bourget, a fait volte-face à son bébé, si je peux m'exprimer ainsi. D'ailleurs, il a été chahuté, et avec raison. Les Québécois ne sont pas dupes. Ils s'aperçoivent quand on tient un double langage et quand on les trompe.

M. le Président, le projet de loi n° 40 contient 20 articles et vient modifier la Charte de la langue française afin d'instaurer la Commission de protection de la langue française. Évidemment, si on regarde les notes explicatives, cette Commission sera composée de trois membres, dont un président, et sera chargée d'assurer le respect de la Charte. Cette Commission aura le pouvoir d'effectuer des inspections et des enquêtes et pourra transmettre les dossiers au Procureur général pour que ce dernier intente les poursuites pénales appropriées. Ce gouvernement, il fait tout pour troubler la paix linguistique au Québec.

Concernant la création de cette Commission, j'aimerais vous informer que M. Gérald Larose partage notre avis. Comme il le déclarait en commission parlementaire, et je le cite: «La Commission de protection de la langue française agresserait inutilement le milieu des affaires et de la communauté anglophone.» Clément Godbout de renchérir en disant: «Nous ne croyons pas que la Commission de protection de la langue française constitue la meilleure option. Ce n'est pas notre premier choix.» M. Serge Turgeon, le président de l'Union des artistes, met en doute la création de cette Commission et il mentionne ceci: «Rien ne nous a prouvé que l'Office de la langue française ne pourrait pas remplir le rôle de la Commission de protection de la langue française.»

M. le Président, pourquoi encore une nouvelle structure, une nouvelle institution quand on sait qu'il y a des compressions douloureuses que ce gouvernement fait vivre aux plus démunis de notre société et fait vivre aux travailleurs à faibles revenus au Québec? Pourquoi dépenser des fonds publics en créant une commission? Et, comme le disait Serge Turgeon, l'Office de la langue française, qui existe déjà, peut très bien remplir le rôle de protecteur de la langue française. Pourquoi créer une police de la langue au Québec, M. le Président? Ça me rappelle, et j'aimerais le faire partager avec les députés présents en cette Chambre, les années 1991 – et ça prouve encore une fois comment les débats sur la langue peuvent susciter des tensions, de l'émotivité – et je vous rappelle les faits, M. le Président.

C'était aux environs de novembre 1991; le Parti québécois était dans l'opposition. On avait découvert que six députés péquistes, notamment l'ex-premier ministre du Québec, M. Jacques Parizeau, et la députée actuelle de Chicoutimi avaient utilisé les fonds publics afin de créer un genre de «SWAT Team» de la langue qui parcourait, appareil photo et calepin en main, la ville de Montréal afin de dépister les violations au niveau de la langue d'affichage. Cette opération avait, comme vous pouvez le constater, provoqué des tensions, pour ne pas dire de la violence, entre les anglophones et les francophones, des Québécois et des Québécoises qui vivent au Québec.

Alors, je le répète, pourquoi toujours ressasser les mêmes problèmes? Et pourquoi ne pas s'attaquer, comme je vous le disais tout à l'heure, à la création d'emplois, à la lutte à la pauvreté et au chômage, ces fléaux qui sévissent présentement au Québec? Le Québec, M. le Président, je n'ai pas à vous le rappeler, a le plus haut taux de pauvreté au Canada. Il y a 315 000 enfants qui sont très pauvres, au Québec.

M. le Président, permettez-moi encore une fois de donner un autre exemple de double langage. Autant ce gouvernement démontre de l'intransigeance envers la communauté anglophone qui vit à Montréal, autant il fait preuve de souplesse envers les anglophones des autres provinces. Le 10 décembre dernier, le gouvernement du Parti québécois signait une entente avec la province de l'Ontario, entente par laquelle le gouvernement s'engageait à fournir aux entrepreneurs et aux travailleurs ontariens des formulaires en anglais et à leur offrir sans frais une ligne téléphonique en anglais et en français. Pourquoi ce gouvernement démontre-t-il autant de souplesse et d'ouverture envers la communauté anglophone d'une autre province et pourquoi une telle raideur vis-à-vis les anglophones du Québec?

Vous avez bien compris, M. le Président, étant donné que mon temps est terminé, que, moi et mes collègues de l'opposition officielle, nous ne pouvons accepter le projet de loi n° 40, qui, je le répète et je le rappelle, va ressusciter les tensions, va ressusciter l'agressivité et viendra troubler la paix linguistique que nous connaissons au Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne. Nous cédons maintenant la parole au député de Champlain. M. le député.


M. Yves Beaumier

M. Beaumier: Oui. Merci, M. le Président. C'est avec beaucoup de fierté, de conviction et aussi de continuité que je tenais à prendre la parole sur le projet de loi n° 40 d'une façon sereine, parlementaire et sans insulte aucune. Je crois que ça se prête à ça, cet endroit où nous sommes.

Sur le fond, M. le Président, je crois que ce n'est pas tromper les gens que de dire que les Québécois tiennent à deux choses fondamentales, deux choses qui sont des assises auxquelles ils sont attachés profondément. D'une part, la Charte des droits et libertés de la personne, qui est notre loi fondamentale, qui dicte ce que nous voulons que nous soyons comme société. On y retrouve des valeurs qui sont celles de nos ancêtres, les nôtres, des valeurs de démocratie, de liberté, de non-discrimination, de droit juridique, de droit politique. Les Québécois et les Québécoises tiennent beaucoup à cette Charte des droits et libertés de la personne.

D'autre part, tout aussi vraie, tout aussi fondamentale, c'est la Charte de la langue française, une loi fondamentale qui exprime non pas ce que nous sommes, ce que nous voulons être comme société, mais ce que nous sommes comme Québécois et comme Québécoises. C'est une loi qui est extrêmement articulée, qui est respectueuse de ce que nous avons été, de ce que nous sommes, de ce que nous devons devenir. C'est une loi qui fait un large consensus de par sa justice, de par sa légitimité aussi. C'est, au fond, tout un encadrement législatif qui établit à la fois le français comme langue officielle et langue commune au Québec et, on l'a signalé tantôt avec justesse, les droits de la communauté anglophone, ses droits historiques, les droits à ses institutions, les droits à sa langue aussi, auxquels on tient.

(minuit)

Dans cette architecture, qui est linguistique ou législative, il manque quelque chose qui était déjà, qui est disparu en 1993, je crois, et qui doit revenir, c'est la Commission de protection de la langue française. Pourquoi, M. le Président? Et je ne vois pas pourquoi on devrait être apeuré de la mise sur pied de la Commission de protection de la langue française. Parce que, tout simplement, c'est la conséquence logique. Quand on a une charte, quand on a une loi, qu'est-ce qui est plus logique que de s'assurer qu'elle soit appliquée? Et beaucoup des problèmes qui ont été soulevés dans les dernières années ont été dus au fait justement que, dans les faits et dans la perception, les gens croyaient, des fois à juste titre, que cette charte n'était pas adéquatement respectée. Malgré toutes les personnes qui sont intervenues du côté de l'opposition, je suis encore incapable, malgré les efforts que je fais, de voir en quoi ceci est inquiétant que nous ayons une commission qui s'assure simplement de l'application de la Charte.

À cet égard, M. le Président, je partage, bien sûr, l'idée qu'il faudra toujours, dans un environnement comme le nôtre, avoir une loi qui se porte à la défense de notre langue. D'autre part, et je n'en disconviens pas, il y a un autre volet aussi de la Charte, un autre volet aussi des actions gouvernementales, qui n'est pas, comme tel, la défense de la langue française, mais qui en est la promotion. Et c'est vrai que nous avons comme société de grands défis de ce côté-là. Nous avons aussi, déjà, des pas qui ont été faits. Mais, dans cet environnement quotidien géographique et cet environnement mondial, il est tout à fait important que nous ayons les moyens de répondre à ces deux grands défis.

À cet égard, M. le Président, c'est important, et j'aimerais le faire ressortir, dans l'aspect promotion, il y a deux grandes offensives sur lesquelles on doit absolument insister. D'abord, d'une part, la qualité de la langue française. À cet égard, je voyais tantôt la ministre de l'Éducation qui, suite aux états généraux et dans ce qu'elle a retenu dans les grandes orientations, les sept grandes orientations du ministère, a établi au coeur de l'enseignement, primaire et secondaire notamment, la maîtrise de la langue française comme étant le pilier, la voie royale, l'accès à la maîtrise et à la culture. En ce sens-là, la langue française, ou la langue tout simplement, qu'elle soit française ou autre, mais elle est française parce que c'est la nôtre, n'est pas seulement un moyen de communication, mais c'est avant tout un moyen de construction. La langue devient pour les jeunes et tout au long de notre vie le moyen de structurer notre capacité de nous comprendre soi-même, la capacité de comprendre les autres et la capacité de comprendre le monde dans lequel on vit. Cette langue, cette maîtrise de la langue nous permet de mettre à la fois de l'ordre dans les mots, de l'ordre dans les idées.

Deuxième défi qui nous arrive aussi, toujours dans ce cadre de la protection et de la promotion de la langue française, c'est l'arrivée des nouvelles technologies informatiques de communication et d'information. À cet égard, je trouvais très justifié et très inspiré que la ministre de la Culture et des Communications ait inscrit dans le projet de loi n° 40 un article qui ouvre et qui confirme toute l'importance qu'il faut accorder à toutes ces nouvelles technologies afin que nous puissions nous les approprier, afin que nous puissions, par tous les efforts que nous ferons tant au niveau du contenu qu'au niveau des systèmes d'exploitation, afin que le Québec, rapidement, avec beaucoup d'agressivité et d'intensité, en arrive à se situer, à se placer et à prendre la maîtrise du développement des nouvelles technologies.

J'ai l'honneur, avec un certain nombre de mes collègues, du côté gouvernemental comme de l'opposition au niveau de la commission de la culture, de terminer une réflexion sur toute la question du réseau de l'inforoute, l'Internet plus particulièrement, et de voir jusqu'à quel point... Si on se posait au début – du moins, je parle pour moi – si on posait la question au début, si l'autoroute de l'information était plus une opportunité qu'elle était une menace pour le français, et la réflexion se termine en ce qui me concerne, peu à peu on peut bien s'assurer qu'effectivement si on rentre de plain-pied dans tout le secteur de l'informatique, de l'inforoute, effectivement, c'est un apport extrêmement important en ce qui concerne la promotion, la protection et le développement de la langue française, surtout si on y ajoute, par les techniques qui y sont, si on y ajoute tout l'accès à l'universalité et au monde.

Dans cette optique-là, j'aimerais référer, pour ceux que ça intéresse, à la proposition de politique linguistique qui a été rendue publique par la ministre de la Culture et des Communications, où on a, à la page 73 notamment, tout un développement à partir notamment de la possibilité que nous donne le Fonds de l'autoroute de l'information, la possibilité, la nécessité et l'urgence, dans un certain sens, pour le Québec de se bien situer par rapport à la production de contenus de logiciels qui puissent être aussi exportables.

Je sais que le temps achève. J'aimerais peut-être dire une chose bien simple et j'espère que ça pourrait rallier un peu tout le monde. Nous avons été, nous sommes et nous serons toujours, au Québec, dans une situation où nous aurons à défendre à la fois la langue française et à la fois à en faire la promotion, et ceux qui croiraient et ceux qui pensent que nous pouvons nous en tenir uniquement et sans loi à la promotion de la langue française, je crois qu'ils se trompent, parce qu'il y aura toujours, par la pression inévitable de nos voisins, même au niveau mondial, cette pression normale, vécue, vivable aussi de se protéger contre l'envahissement nécessaire, non voulu de la langue anglaise.

À cet égard, il faut toujours maintenir un équilibre entre la défense et en même temps la promotion de la langue, et en ce sens-là ça me rappelle le syndrome qu'on appelle de Pénélope. Vous savez que Pénélope défaisait la nuit ce qu'elle faisait le jour, pour des fins qui étaient nobles, mais il ne faudrait pas, au niveau de la langue, qu'on oublie la protection nécessaire et qu'on oublie la promotion aussi nécessaire, parce qu'à ce moment-là ce serait défaire par l'un ce que l'on fait par l'autre. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Champlain. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Laurier-Dorion. M. le député.


M. Christos Sirros

M. Sirros: Merci beaucoup, M. le Président. Étant donné qu'on parle de Pénélope... Par où commencer?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Sirros: Je commencerai en disant que c'est une pilule empoisonnée qu'on est en train de nous faire avaler. Justement, faisant suite aux propos du député de Champlain qui m'a précédé, qui insistait sur la nécessité de défendre et de faire la promotion, les deux choses, comme s'il n'y avait aucune... Et c'est là – comment je puis dire – la façon dont on manipule ce débat pour amener les gens à croire des choses qui ne sont pas vraies, parce qu'il y a justement déjà dans la loi actuelle l'élément de défense qui est là. Si nous sommes arrivés, après beaucoup d'années et avec beaucoup de peine et de misère, à avoir une paix linguistique qui régnait jusqu'à ce que ce gouvernement arrive au pouvoir, c'est justement parce qu'on a pu correctement faire l'équilibre entre les deux objectifs de défense et de promotion.

(0 h 10)

Peut-être qu'un petit recul historique vaudrait la peine. Et, si je prends la parole, c'est parce que ces débats autour de la langue ont toujours été très centraux, hein, des choses qui m'ont toujours intéressé ici, à l'Assemblée nationale, en tant que membre de l'Assemblée et issu d'une communauté qui n'est ni francophone ni anglophone. J'ai moi-même personnellement pris des positions qui allaient toujours dans le sens du rapprochement de ma communauté d'origine avec la langue française et la communauté majoritaire au Québec. Ce qui me choque avec ce qui est en train d'arriver, c'est que justement tous ces efforts de faire émerger une loyauté linguistique librement sont en train d'être balayés, et on est en train justement de défaire, comme Pénélope le faisait – mais elle, pour un objectif noble – ce qu'on a réussi à faire, M. le Président. Et ce qu'on avait réussi à faire – et je prendrai mon exemple, l'exemple de ma communauté – c'est de justement passer cette période de transition, parce qu'on est toujours issu d'une histoire, M. le Président. Il y avait justement une période difficile que plusieurs communautés ont vécue ici, au Québec, avec l'arrivée en 1976 d'un premier gouvernement péquiste et même avant ça avec l'adoption de la première loi qui faisait du français la langue officielle, objectif tout à fait normal, raisonnable, acceptable, correct.

Mais il fallait comprendre aussi qu'il y avait des gens qui vivaient des réalités différentes parce qu'ils avaient reçu des messages différents non pas par un méchant gouvernement fédéral, mais par la réalité ici, au Québec, qu'ils ont vue de leurs propres yeux, M. le Président. Réalité qu'il fallait changer. Réalité, par exemple, qui se manifestait dans les faits par des énormes écarts au niveau, par exemple, des revenus entre les francophones et les anglophones – les parlant français et les parlant anglais – les postes de direction qui étaient concentrés dans les mains et occupés très majoritairement par les parlant anglais. Alors, oui, il fallait changer ça. Mais ça avait quand même donné un certain message, entre autres, renforcé par une décision consciente de la majorité francophone d'exclure des écoles francophones les immigrants qui arrivaient ici. Alors, tous ces gens ont commencé justement leur périple à travers l'évolution de la société québécoise avec des données qu'ils ont reçues en arrivant ici. Des données qui ont commencé à changer en 1973 avec l'adoption du français comme langue officielle, en 1977 avec l'adoption de la loi 101, de façon radicale, où on a balayé les sensibilités que toute société démocratique doit avoir au fondement de liberté individuelle que constitue la Charte des droits et libertés. Réalité qui a été cassée par les tribunaux, comme les tribunaux doivent le faire quand une loi contrevient à la charte la plus fondamentale qu'on ait dans notre société qui est la Charte des droits et libertés, M. le Président, et en l'occurrence la Charte québécoise des droits et libertés.

En dépit de ça, les membres de ce gouvernement – plusieurs d'entre eux sont encore ici – insistaient pour qu'on revienne à la loi 101 en adoptant des clauses «nonobstant». D'ailleurs, à un moment donné, le député qui parlait du respect qu'il sentait pour la Charte des droits et libertés individuelles avait quand même adopté de façon systématique l'adoption de la clause «nonobstant» à un moment donné. Mais, ceci étant dit, on nous disait à ce moment-là que, indépendamment de ces chartes des libertés individuelles, il fallait revenir à cette obligation d'abolir en public l'utilisation – sur les affiches, par exemple – d'une langue autre que le français.

Nous avons de notre côté... Et nous sommes arrivés au pouvoir en 1985, M. le Président, et c'est à ce moment-là que nous avons entrepris le chemin de la réconciliation et des retrouvailles avec l'équilibre linguistique. Ça n'a pas été facile. On se rappellera tous de la loi 178 qui a causé le départ de trois ministres du gouvernement libéral. Pourquoi? Parce qu'une clause «nonobstant» avait été utilisée et parce qu'une formule nouvelle avait été tentée pour trouver une façon de permettre l'expression de la présence d'une communauté anglophone également au Québec. Une fois que cette clause «nonobstant» a été expirée, cinq ans plus tard – parce qu'on ne peut l'utiliser que pour cinq ans – le gouvernement libéral a choisi consciemment de ne pas remettre la clause «nonobstant», chose que réclamait l'opposition du temps, le présent gouvernement, qui disait... La loi 86 était le compromis qu'on avait trouvé pour l'adopter sans clause «nonobstant», M. le Président, dans le respect des deux chartes, mais l'opposition du temps, le Parti québécois et actuel gouvernement, réclamait toujours le retour à la loi 101, intégrale, clause «nonobstant», et tout s'il le fallait. Ce sont d'ailleurs ces mêmes personnes qui, aujourd'hui, ont découvert les vertus des chartes québécoises, ce qui permet peut-être à certains d'entre nous d'avoir un petit brin de cynisme et de scepticisme par rapport à leur sincérité sur cette question-là.

D'ailleurs, je pense que, si on lit bien le discours de leur premier ministre quand il semonçait ses troupes au congrès en leur disant: Apprenez donc finalement à être tolérants, ce n'était pas pour leur dire: C'est parce que c'est comme ça qu'on doit être dans une société démocratique, c'était pour leur dire: Parce que c'est une meilleure façon d'atteindre notre objectif, M. le Président. C'était une position stratégique qu'il mettait en avant, ce n'était pas une position de fond qui disait: J'ai toujours trouvé ça inacceptable, je trouve ça incorrect que pendant des années, vous, comme députés, vous avez agi de cette manière-là et je trouve ça inconcevable que vous insistiez toujours pour faire ça. Mais il leur vendait en leur disant: Bien, écoutez, si vous me suivez comme il faut, je suis fin tacticien, si vous apprenez à faire la démonstration publique tout au moins que vous êtes ouverts aux autres, les autres vont peut-être vouloir embarquer avec nous dans notre projet de séparation et de sécession et de vente de partenariat illusoire, M. le Président. C'est en fait ce qu'il disait, le premier ministre, au congrès, où il boudait et faisait ce petit jeu de: Aimez-moi, sinon je m'en vais. N'est-ce pas?

Alors, M. le Président, avec ça comme arrière-scène, comment ne pas être déçu de voir la réémergence de la Commission de protection de la langue française? Non pas sa résurrection dans son mandat, parce que le mandat n'avait jamais disparu, le mandat avait été fusionné à l'intérieur, je pense, de l'Office de la langue française, et l'Office avait justement le mandat de défense dont parlait le député, mais on avait justement choisi de mettre beaucoup plus l'accent sur la promotion, parce que, ultimement, qu'est-ce qui est important? Qu'est-ce qui est important ici au Québec et pour une société? Qu'est-ce qui est important, si ce n'est le fait que la langue française, dans le contexte nord-américain, si elle est pour véritablement avoir des assises solides et s'épanouir, elle doit s'épanouir avec la participation de l'ensemble des composantes qui constituent la société, et ce, de façon libre, par l'émergence de ce qu'on peut appeler une loyauté linguistique?

Oui, une commission de protection peut assurer une plus grande conformité, M. le Président, on peut forcer les gens à se conformer, mais, croyez-moi, j'ai le sentiment très net que tous les efforts que j'ai faits et que d'autres de mes collègues ont faits ici pour dire à nos concitoyens d'autres origines: Il faut qu'on évolue ensemble, parce que c'est une réalité, donc nos destins sont liés en quelque sorte... Et c'est un fait qui n'est que normal. Et la loyauté linguistique dans le sens non seulement de pouvoir parler la langue, mais trouver que c'est normal qu'on puisse évoluer en français au Québec, bien, ce message, vous venez tout simplement de dire à ces gens-là: Ce n'est pas ça qui est important, conformez-vous, sinon la police va venir. Conformez-vous... Mais oui! Mais, c'est ça, M. le Président. Je sais pertinemment, par les appels que j'ai à mon bureau de comté... et ça fait des années que je n'ai pas eu ça, et, si la ministre le veut, je lui donnerai des cas en particulier. Ça fait des années que je n'ai pas eu ça, des appels qui me disent: Mais qu'est-ce qu'ils veulent? Qu'est-ce qu'on fait depuis des années? Qu'est-ce que vous nous disiez tout ce temps-là? Qu'est-ce qu'ils veulent? Pourquoi cet acharnement sur des petits commerces ici et là? Dans un cas précis, c'est parce que la pauvre madame avait affiché, dans une agence de voyages, peut-être plus d'affiches en anglais, qui lui venaient de la publicité, qui venaient en anglais et en français, et elle avait mis en évidence un peu plus en anglais parce qu'elle a une clientèle plus anglophone. Mais horreur! Là, elle a une mise en demeure, elle a des visites de l'inspecteur, elle a les photos qui sont prises – et ça, je vous raconte un cas très vrai – et elle a aussi le député au bout du fil à qui elle dit: Qu'est-ce qu'ils veulent? Pourquoi tout ça? Je pensais qu'on avait fait tous les efforts. Moi, j'ai changé ci, j'ai changé ça. Je comprends. J'ai dit à mes enfants qu'il faut parler français, je les envoie... même si c'est parce qu'on doit le faire, mais je le fais de bon gré, apprendre le français, etc. Et il y a la réémergence d'un sentiment, M. le Président, qu'encore une fois on tourne la vis. Je ne sais pas si c'est comme ça dans d'autres communautés, mais je sais que c'est comme ça dans la mienne, et je suis certain qu'on n'est pas très différents des autres. Chaque fois qu'on nous dit: Vous allez faire ça. La première réaction, c'est de dire: Ah, oui? On tient à notre liberté. Tous, n'est-ce pas? Puis on réagit tous beaucoup mieux quand on nous accueille avec des messages d'inclusion et non pas des messages d'exclusion, quand on nous accueille avec des messages qui disent: On compte sur vous aussi pour notre épanouissement. Plutôt que de dire: Il faut que vous vous conformiez, il faut que vous vous intégriez à la majorité. Il faut que vous appreniez ci, il faut que vous appreniez ça.

(0 h 20)

La réaction normale de la plupart des gens – et j'imagine que, si les rôles étaient renversés, ce serait la même chose chez les gens qui sont ici, M. le Président – c'est de dire: D'accord, tant que je dois le subir, je vais le subir, mais, à la première occasion que j'aurai de changer mon sort, je vais le changer. Et c'est peut-être pour ça qu'il y a un exode aussi, si ça ne dérange pas les gens qu'il y ait un exode, parce qu'il y en a qui, encore, font un calcul stratégique. Ça devrait les déranger au niveau du développement économique, ça devrait les déranger au niveau du gaspillage qu'on subit par rapport aux fonds qu'on a investis pour éduquer, prendre soin de ces gens-là qui tranquillement s'en vont.

Et je trouve ça dommage, pour ne pas utiliser d'autres mots, M. le Président, qu'on soit encore ici, l'Assemblée nationale, à discuter de quoi? De la constitution d'une langue de police, la Commission de protection de la langue française, comme si la langue française était en train de mourir, disparaître, comme si, horreur des horreurs!, il y avait une attaque en règle contre la langue française. Mais, franchement, le gouvernement lui-même a pris la peine de nous dire que ça va bien. Ça va bien. La ministre prenait la peine de nous dire qu'on n'avait pas besoin d'une commission de protection de la langue française, mais ça, c'était avant qu'on réalise au Parti québécois qu'on avait besoin d'un dossier pour ramener des troupes. Et ça, c'était avant qu'on ait réalisé que peut-être on est allé trop loin puis on a dû revenir à un moment donné où le premier ministre a dû utiliser toutes sortes d'astuces, de jeux et de manipulations des sentiments pour justement revenir où? À dire: Vous savez, la loi 86 n'était pas si mauvaise.

Mais on va quand même faire quelque chose, parce qu'on est obligé, on a quand même dit toutes sortes de choses sur la langue. Alors, on va se replier derrière non pas ça ici, qui dit qu'on n'avait pas besoin d'une commission de protection de la langue française et que ça allait bien, on va se replier derrière la nécessité de défendre et on va se créer une commission de protection de la langue française, ça va nous permettre de faire quelques discours pour démontrer qu'on tient à notre langue. Nous aussi, on tient à la langue française, c'est notre langue commune, effectivement, et je le dis comme quelqu'un qui n'est pas né francophone.

Mais, moi, je trouve inexplicable pour des gens qui, normalement, sont intelligents – pas tous, remarquez bien, M. le Président – de vouloir agir de la sorte, de vouloir à la fois donner le message qui dit «nous tenons à notre langue» tout en reniant la réalité qui est que, si la langue française au Québec va survivre, elle ne doit pas le faire sur le dos, dirais-je, ou à contre-coeur avec les gens non francophones qui vivent ici, au Québec. La société doit pouvoir le faire, assurer la survie et l'épanouissement de la langue française avec la libre adhésion, de façon loyale, à la langue française de tous ceux qui, comme moi, ne sont pas nés francophones, M. le Président.

Il y en a qui font l'effort de façon particulière parce qu'ils ont voulu venir à l'Assemblée nationale, et ils disent... Oui. Mais nous sommes justement ceux qui peuvent donner le message à ceux qui passent leur temps à gagner leur vie, hein, il y en a qui font ça de façon plus réelle que nous, dans le sens réel du terme, voulant dire qu'ils se lèvent le matin, à 6 heures du matin, pour certains, ils vont à l'usine, ils travaillent.

M. le Président, si on nous permettait réellement – et c'est ce qu'on a essayé de faire pendant les neuf ans qu'on était au gouvernement – avec le temps d'amener tout le monde à réaliser un certain nombre de choses par rapport à la nécessité d'adhérer loyalement et librement à la langue française! Mais, comme le disait si bien le député de Champlain, Pénélope, elle, défaisait ce qu'elle faisait le jour. Le Parti québécois, en deux ans de retour au pouvoir, a retourné la situation linguistique, et je le dis dans mon comté par rapport à mes commettants avec lesquels, pendant des années, on avait avec peine et misère... Parce que ce n'était pas facile de leur expliquer la loi 178 qui avait été adoptée avec une clause «nonobstant», M. le Président. Mais on l'a fait, plusieurs d'entre nous de ce côté-ci. Je l'ai fait.

Alors, M. le Président, ce n'est pas facile de voir que, après deux ans seulement de ce gouvernement, après des paroles qui sont allées dans le sens de la plus grande ouverture en anglais au théâtre Centaur jusqu'à l'adoption d'aujourd'hui avec des gestes qui vont tout à fait dans l'autre sens, les gens retrouvent les sentiments de frustration par rapport à ce qui est en train de passer, c'est-à-dire la destruction de l'équilibre linguistique qu'on avait trouvé, l'éloignement de la loyauté linguistique qui commençait à émerger et le retour à des mesures de coercition pour lesquelles toutes les études dans des domaines qui nous concernent nous disent très clairement: Ça ne marche pas. Si tout ce qui nous intéresse, c'est de pouvoir faire un bilan théorique, administratif où on va juste mesurer les choses au niveau du nombre de plaintes sur les vitrines, bien, c'est peut-être le choix que ce gouvernement a fait, mais ce qui nous intéresse vraiment en tant que personnes qui tenons à coeur l'avenir du Québec et de notre société, M. le Président, ça serait peut-être intelligent de penser un peu plus à l'émotion qui doit accompagner ça et à la nécessaire création de cette loyauté linguistique plutôt que la conformité par la coercition qui est le choix de ce gouvernement, un choix que je regrette profondément, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Laurier-Dorion. Je vais maintenant céder la parole à Mme la députée de Saint-François. Mme la députée.


Mme Monique Gagnon-Tremblay

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Avant d'aborder le fond du projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française, je voudrais apporter une précision. La ministre a fait allusion dans son intervention au tout début, ce soir... Elle a fait une mention à l'effet que le Québec sélectionnait environ 40 % de son immigration. J'ai entendu la ministre dire la même chose aussi lors de la campagne référendaire et, à chaque fois, je sursautais. Je me disais: Il est facile de parler du verre à moitié plein ou à moitié vide en même temps. Et je pense que ça mérite une explication parce que, pour moi, il s'agit d'une fausseté non pas de façon, possiblement, voulue de la part de la ministre, mais peut-être d'une incompréhension des mécanismes de l'immigration. Et je pense que c'est important pour la bonne compréhension de l'immigration qu'on puisse, une fois pour toutes, éclairer la ministre à ce sujet.

M. le Président, vous vous souviendrez que le Québec a signé, entre autres, une entente sur l'immigration, et j'ai eu l'occasion de négocier cette entente avec Barbara McDougall. Et cette entente, bien sûr, accordait au Québec la maîtrise d'oeuvre de l'intégration des immigrants et permettait aussi de sélectionner la catégorie des immigrants. Donc, le Québec, en vertu de cette entente, a le droit de sélectionner jusqu'à concurrence de 25 % de l'immigration canadienne et peut y ajouter un 5 % en cas, bien sûr, de nécessité.

Donc, M. le Président, le Québec ayant cette possibilité... Et je rappelle aussi à la ministre que cette entente a été signée après l'échec de Meech. Alors, on se souviendra que dans Meech on prévoyait la signature de cette entente, et, bien qu'on ait connu l'échec de Meech, cette entente a quand même été signée à la satisfaction, bien sûr, des parties. Alors, c'est un exemple que même sans... C'est une espèce de partenariat. C'est qu'on peut faire ce partenariat, on peut signer ces ententes administratives même si on est à l'intérieur du Canada.

(0 h 30)

Donc, à partir de cette sélection, M. le Président, il y a trois catégories d'immigrants qu'on peut sélectionner. Bien sûr, il y a la catégorie des indépendants. Cette catégorie, le Québec a le plein contrôle. Il y a la catégorie, bien sûr, de la réunification de familles. Il y a également les réfugiés, et je m'attarderai très peu sur les revendicateurs du statut de réfugié, puisque les revendicateurs du statut de réfugié arrivent au Québec comme au Canada et ils sont traités en vertu de la convention de Genève. Alors, quel que soit le pays, que le Québec soit séparé, que le Québec fasse partie du Canada, il ne peut pas faire autrement, puisqu'il doit signer cette convention de Genève, au niveau des revendicateurs de statut de réfugié.

Quant à la sélection des indépendants, bien sûr que le pourcentage dépend du niveau d'immigration. Comme actuellement le gouvernement canadien permet la sélection de 250 000 immigrants au Canada, le Québec peut sélectionner jusqu'à concurrence de 30 %, donc peut sélectionner 75 000 immigrants. Si le Québec sélectionne 75 000 immigrants, il peut sélectionner jusqu'à concurrence de 60 %, peut-être 75 % de la catégorie des indépendants. Mais, si le Québec sélectionne seulement 30 000 immigrants, bien sûr que la catégorie des familles de même que celle des réfugiés prennent le dessus. Pourquoi? Parce que, dans les années antérieures, au cours des neuf dernières années, je dirais peut-être des cinq dernières années, le Québec a sélectionné environ 50 000 immigrants par année.

Donc, bien sûr que, par la suite, nous devrons accueillir les familles. Alors, quel que soit le gouvernement en place ou que le Québec soit à l'intérieur du Canada ou soit un Québec indépendant, il ne peut pas être contre la réunification de familles. Donc, si vous êtes pour la réunification de familles, bien sûr qu'il va arriver, si votre niveau d'immigration n'est pas supérieur à ce 30 %, que vous n'ayez pas le plein contrôle, c'est-à-dire que vous ne sélectionniez pas le 60 % ou le 75 % de la catégorie des indépendants. Mais tout dépend de votre niveau. Alors donc, vous sélectionnez les indépendants en fonction du niveau que vous voulez bien vous donner, l'objectif que vous voulez bien vous donner.

La réunification de familles, elle est tout à fait normale. Une autre année, il est possible que la réunification de familles soit en diminution, comme c'est le cas présentement. Donc, automatiquement la catégorie des indépendants va augmenter. Et, quant à la catégorie des réfugiés, elle est quand même minime maintenant, puisqu'on est en train de fermer à peu près tous les camps de réfugiés dans les pays.

Donc, M. le Président, il est faux de prétendre, de dire que le Québec ne sélectionne que 40 % de son immigration. Peut-être que oui, cette année, le Québec ne sélectionne que 40 % de son immigration, parce que c'est un choix que le Québec fait. Si le Québec sélectionnait plus d'immigrants, à ce moment-là il pourrait sélectionner 60 % ou 70 % de son immigration.

Alors, cela étant dit, M. le Président, mise au point étant faite, je pense que, par la suite, on pourrait passer justement à la question du fait français au niveau de l'immigration. Parce que, dans la politique de l'immigration que j'ai élaborée en 1990, bien sûr qu'on avait axé ou on axait notre action sur la pérennité du fait français. Je vais vous lire certains passages, parce que c'est important de rappeler ces choses, parce qu'on a l'impression qu'on laisse aller ou qu'on avait encore laissé les choses aller et que le français n'était pas une priorité pour l'intégration des immigrants.

Alors, je vous cite, M. le Président, à la page 12 de cette politique de l'immigration: «Seule collectivité majoritaire francophone en Amérique du Nord, la société québécoise attache la plus haute importance à la pérennité du fait français, car, s'il ne résume pas à lui seul le caractère distinct du Québec moderne, le fait français n'en demeure pas moins l'élément le plus significatif.

«Or, comme on l'a vu [...], l'incidence de l'immigration sur la situation linguistique au Québec n'a pas toujours été favorable au fait français. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, des craintes subsistent à cet égard au sein de la population. Pourtant, le bilan d'ensemble des efforts accomplis pour associer plus étroitement l'immigration au développement du fait français au Québec se révèle suffisamment positif pour permettre d'envisager l'avenir avec confiance.»

Sans décrire ici tous les acquis et les faiblesses dans ce domaine, qui seront traités un petit peu plus loin dans le document, bien sûr qu'on signale l'apport significatif du point de vue du volume, la progression de la connaissance du français, le renversement, entre autres, après 1971, de la tendance traditionnelle au transfert linguistique vers l'anglais chez la population immigrée qui, depuis 1971, tend désormais à adopter le français comme langue d'usage à la maison.

«C'est pourquoi le gouvernement est convaincu que l'immigration peut et doit renforcer le fait français au Québec. De plus, dans le contexte de décroissance démographique appréhendée et de ses conséquences prévisibles sur les plans politique, économique et culturel, le Québec est confronté à un choix crucial. S'il privilégie à court terme le repli sur soi et une sécurité linguistique frileuse, il glissera à moyen terme sur la pente du déclin démographique. Il risquera alors de mettre en péril son dynamisme économique et culturel qui constitue précisément un des facteurs de développement d'une société distincte en Amérique du Nord. Le gouvernement opte donc résolument pour le second choix et entend relever aujourd'hui le défi du redressement démographique et de l'intégration des immigrants afin d'assurer demain le développement du fait français au Québec. En effet, il considère que l'apport, à court terme, d'immigrants francophones et, à plus long terme, celui des immigrants allophones qui s'intégreront de plus en plus à la majorité francophone s'avéreront des atouts de première importance en faveur de cet objectif.

«Cet impératif d'augmenter la contribution de l'immigration à la vitalité du fait français exigera cependant des efforts accrus, et ce, tant sur le plan de la sélection des immigrants que du soutien à leur intégration.

«C'est pourquoi la progression soutenue de la proportion de l'immigration francophone dans le volume total, l'intensification des services d'apprentissage du français, la promotion du français comme langue d'usage et l'ouverture de la collectivité francophone à la pleine participation des personnes d'origines diverses constituent des actes d'intervention majeurs de la présente politique.

«Cette orientation fondamentale – cependant – n'exclut pas la reconnaissance du fait que l'immigration continuera à contribuer à moyen et à long terme à la vitalité de la communauté anglophone. En effet, l'importance de l'anglais comme langue première ou seconde dans le monde est telle qu'une proportion certaine des immigrants sera encore de langue anglaise ou de tradition anglo-saxonne. Pour concrétiser la contribution de l'immigration à la pérennité du fait français, le gouvernement s'assurera que les immigrants de langue anglaise aient accès, à l'instar de tous les nouveaux arrivants non francophones, aux services d'apprentissage du français et soient sensibilisés à son statut comme langue commune de la vie publique québécoise.»

Donc, M. le Président, on y mentionnait aussi qu'«il est probable, et somme toute compréhensible, que certains des immigrants continueront à privilégier l'intégration à la communauté anglophone, surtout à la première génération». Et je pense qu'il ne faut pas s'arrêter à la première génération. «Par la suite, l'impact de la fréquentation de l'école française par leurs enfants devrait favoriser leur intégration progressive à la communauté francophone. Le gouvernement reconnaît donc le rôle qu'ont à jouer certaines institutions anglophones, notamment celles du réseau de la santé et des services sociaux, dans l'intégration d'une partie des nouveaux arrivants ainsi que dans le soutien à la pleine participation des Québécois des communautés culturelles plus anciennes qu'elles ont accueillis dans le passé.»

M. le Président, on parlait également de cette notion de langue commune de la vie publique. Ce n'est pas nouveau! Également, on retrouve cette langue commune de la vie publique dans la politique d'immigration de 1990. Mais encore faut-il qu'elle soit bien interprétée. Je pense qu'il est important que cette langue commune publique soit bien interprétée. Et je mentionne: «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant: faire du français la langue commune de la vie publique grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.

«La Charte de la langue française l'affirme solennellement: "Langue distinctive d'un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité." Elle doit donc être "la langue de l'État et de la loi, aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, du gouvernement, des communications, du commerce et des affaires".

(0 h 40)

«C'est pourquoi, aux yeux du gouvernement comme de ceux de la vaste majorité du peuple québécois, l'apprentissage du français et son adoption comme langue commune de la vie publique constituent des conditions nécessaires à l'intégration. En effet, la langue est non seulement l'instrument essentiel qui permet la participation, la communication et l'interaction avec les autres Québécois, mais elle est également un symbole d'identification. Pour l'immigrant, l'apprentissage du français vient appuyer le développement de son sentiment d'appartenance à la communauté québécoise, et, parmi les membres de la société d'accueil, le partage d'une langue commune avec les immigrants facilite l'ouverture à l'altérité.» Donc, M. le Président, déjà on retrouvait dans cette politique de 1990 cette langue commune publique que, bien sûr, nous devons surtout souhaiter.

Mais, M. le Président, pourquoi, le 13 décembre 1996, je dirais, à 20 h 45, à peu près, 20 h 40, sommes-nous en train de discuter du dossier de la langue? N'avons-nous pas d'autres dossiers, je dirais, importants? Et pourquoi sommes-nous en train de discuter de ce dossier de la langue qui, finalement, divise la population? On croyait qu'on avait atteint cette paix linguistique, cet équilibre. Et pourquoi aujourd'hui on se retrouve à discuter de ce dossier de la langue? Bien, je pense que c'est très simple. C'est qu'on retrouve, justement, dans le programme du Parti québécois, édition 1994, un engagement qui était celui-ci: abolir la loi 86. Parce qu'on se souviendra d'ailleurs que le Parti québécois, à l'époque, avait voté contre la loi 86, s'était élevé contre la loi 86. Donc, dans le programme du Parti québécois, on mentionnait qu'on voulait abolir la loi 86 et rétablir tant les dispositions initiales de la Charte de la langue française que la poursuite de ses objectifs fondamentaux, plus particulièrement au sujet de l'affichage commercial, de l'accès à l'école anglaise, et s'abstenir de promettre aux groupes de pression des allégements à la Charte de la langue française en vue de l'indépendance.

Bien sûr qu'il y avait plusieurs amendements, M. le Président. Il y en avait, entre autres, je dirais, une dizaine, mais je vais vous faire mention des plus importants: modifier les dispositions de la Charte concernant la fréquentation obligatoire de l'école française pour qu'elles s'appliquent également au cégep; imposer l'affichage unilingue français, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de tout établissement privé ou public, afin de doter le Québec d'un visage essentiellement français. Donc, pourquoi sommes-nous en train de discuter du dossier de la langue ce soir? Tout simplement parce que le Parti québécois, le gouvernement actuel, avait pris cet engagement. Et, bien sûr que, pour faire plaisir, maintenant, aux commettants et commettantes, je dirais plutôt aux militants et militantes, le parti essaie de donner suite à son engagement, mais essaie d'y donner suite tout en, bon, ne sachant pas trop comment s'y prendre.

Alors, on connaît les nombreux débats qui ont eu cours depuis les dernières semaines. On se souviendra du dernier congrès du Parti québécois, on se souviendra, entre autres, de la sortie même du premier ministre qui a failli démissionner suite à une intervention ou à des interventions des membres du Parti québécois, parce que, finalement, il n'était pas question pour lui de modifier la loi 86, c'est-à-dire de revenir à la loi 101.

Donc, j'ai même ici certaines citations de La Presse où on dit que le premier ministre sûrement faisait mention que: «Le Parti québécois devait changer, devait mettre fin aux débats acrimonieux sur les droits des anglophones, a prévenu hier le premier ministre Lucien Bouchard, après avoir dû mettre son poste en jeu pour convaincre ses militants de renoncer au retour de l'unilinguisme français dans l'affichage. Dans une intervention dramatique en plénière, M. Bouchard a mis tout son poids pour stopper cette résolution sur le retour à la loi 101. Un nouveau recours à la clause dérogatoire pour prohiber l'utilisation de l'anglais est, pour lui, impensable.»

Donc, M. le Président, on revient à cette obligation de créer une commission de la langue française, c'est-à-dire une police pour vérifier, bien sûr, entre autres, les affiches. On a connu, je dirais, on a eu l'expérience du cafouillage, récemment, en Estrie. De bonne foi, suite à la transformation d'un hôpital, la région, après un consensus, avait décidé d'afficher dans les deux langues – bien sûr, pas d'afficher partout, intégralement dans l'hôpital, mais d'afficher surtout au rez-de-chaussée dans les deux langues – pour permettre à la communauté anglophone, surtout aux plus âgés... Parce que je pense que, dans la région de l'Estrie... Non seulement je pense, mais je sais que les plus jeunes sont capables de s'exprimer dans les deux langues. D'ailleurs, ils sont tellement capables de s'exprimer dans les deux langues qu'aujourd'hui les jeunes anglophones s'en vont, s'exodent, quittent le Québec pour aller travailler ailleurs, puisqu'ils en ont la chance, puisqu'ils sont parfaitement bilingues.

Mais, par contre, les personnes les plus vieillissantes, les personnes âgées n'ont pas eu cette chance d'apprendre le français, comme nos personnes âgées n'ont pas eu la chance d'apprendre l'anglais. Alors donc, on avait de bonne foi accepté l'affichage dans les deux langues. Mais, M. le Président, suite à une plainte, puisque le dossier était encore à la surface, on a dû remettre en question cette belle harmonie qui régnait en Estrie et en arriver à une solution qui, finalement, ne satisfait ni les anglophones ni les francophones.

Donc, il aurait été très facile d'apporter tout simplement un amendement non pas à la loi, mais à la réglementation pour satisfaire à ces demandes. On n'a pas osé le faire parce que, justement, on ne voulait pas jeter de l'huile sur le feu, entre autres, au niveau des militants et militantes du Parti québécois.

M. le Président, pourquoi devons-nous parler ce soir du dossier de la langue? Je pense que c'est tout simplement pour masquer la piètre performance du gouvernement en matière économique. C'est dommage. Mais il faut bien admettre que j'aurais préféré que le gouvernement nous fasse connaître son plan d'intervention, son plan stratégique en matière économique, de relance de l'économie, de création d'emplois. Au contraire, depuis le dernier budget, ce qu'on voit, c'est des mises en chantier en diminution, on constate des faillites qui vont en augmentant, des investissements à la baisse par rapport à 1994.

Donc, M. le Président, je trouve ça inapproprié, à ce moment-ci, de parler du dossier de la langue alors qu'il y a tant de gens qui, actuellement, sont à la recherche d'emplois. Il eût été tellement préférable de parler d'un dossier, d'une stratégie de relance économique de même que d'emploi.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, Mme la députée de Saint-François. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Johnson. C'est bien ça? M. le député.


M. Claude Boucher

M. Boucher: M. le Président, très brièvement parce que, comme l'a dit ma collègue la députée de Saint-François, la discussion stérile dans laquelle nous engagent les libéraux ce soir, évidemment, mérite qu'on réponde à certains arguments, à certaines affirmations de la députée de Saint-François qui sont complètement en dehors de la réalité, qui ne correspondent pas du tout à ce qui se passe notamment dans ma région.

La députée de Saint-François a indiqué que le règlement qu'a préconisé notamment le premier ministre du Québec quant à la situation linguistique dans l'Estrie et au CUSE était un règlement qui ne satisfaisait ni les tenants de la langue française ni les tenants de la langue anglaise, comme affichage.

Alors, Mme la députée de Saint-François vit certainement dans un autre monde, puisqu'elle ne réalise pas jusqu'à quel point cette décision qui a été prise par le conseil d'administration du CUSE correspond exactement à la volonté exprimée par les Estriens, qui souhaitaient qu'on fasse une certaine place à l'anglais mais une place qui corresponde aux impératifs du fait français au Québec. Cette décision du CUSE a été acceptée par toute la population de l'Estrie, ce ne sont que quelques anglophones plus radicaux et quelques francophones plus radicaux qui l'ont rejetée.

Ce qui m'étonne – et je ne vais pas prendre plus de temps – c'est que les libéraux ont rejeté cette position, alors que la loi 86 qu'ils ont fait voter ne prévoyait justement pas le règlement de l'affichage bilingue au CUSE. C'est leur propre loi qu'ils ont eux-mêmes dénoncée. Imaginez-vous que les cinq députés libéraux de ma région se sont offusqués que le conseil d'administration prenne une décision qui retire l'affichage bilingue, alors qu'ils ont tout simplement appliqué la loi 86 votée par les libéraux.

Comment la députée de Saint-François peut aujourd'hui revêtir ce vêtement de la pureté linguistique, de la pureté de la paix sociale en Estrie – je me demande si elle vit encore en Estrie d'ailleurs – et prétendre que ce règlement-là ne correspond pas aux intérêts des Estriens. Alors, je veux simplement vous dire que, moi qui vis dans cette région, qui y suis né, qui ai plein d'amis anglophones, le règlement qui a été adopté au CUSE correspond à la volonté de la population. C'est un excellent règlement, il est surtout conforme à la loi que les libéraux ont votée eux-mêmes. Merci, M. le Président.

(0 h 50)

Une voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Johnson. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Westmount–Saint-Louis. M. le député.


M. Jacques Chagnon

M. Chagnon: M. le Président, je suis heureux de m'exprimer sur le projet de loi n° 40. Malgré le fait qu'il soit 1 heure du matin et que le projet de loi n° 40 soit la Loi modifiant la Charte de la langue française, je trouve un peu particulier que le gouvernement attende la nuit pour discuter de questions linguistiques. C'est assez particulier et ça démontre le sens des priorités du gouvernement. Ça démontre jusqu'à quel point, pour le gouvernement, la question de la langue française, ce qui donne le caractère distinct au Québec, se discute de nuit, se discute après les heures normales. Parce que c'est un dossier qui est considéré par le gouvernement peut-être comme étant anormal, mais, pour nous, la façon dont le gouvernement s'en sert, la façon dont le gouvernement le regarde, la façon dont le gouvernement le comprend, c'est anormal.

Bref rappel historique. Le 7 septembre 1995, la ministre...

Une voix: Le.

M. Chagnon: ...le ministre annonce la création d'un comité interministériel sur la situation de la langue française. Le 22 mars 1996, le Comité interministériel dont on vient de parler rend public le bilan de la situation de la langue française au Québec intitulé «Le français, langue commune: enjeu de la société québécoise». Le 3 avril, quelques semaines plus tard, la ministre annonce un bouquet d'une quarantaine de mesures pour renforcer la place du français comme langue commune au Québec. Mais, dans ce document, M. le Président, je tiens à le préciser, il n'est nullement question de rétablir la Commission de protection de la langue française. On précise même que le Conseil des ministres reçoit favorablement le rapport du Comité, où il est dit clairement qu'il n'est pas opportun de modifier la Charte de la langue française.

Souvenons-nous que, quelques semaines plus tard, la ministre, les membres du cabinet, les collègues députés en assemblée générale au Conseil national ont eu à négocier leur profession de foi sur leur programme, qui disait ceci: qu'ils voulaient abolir la loi 86. Dans ce conseil général ou ce Conseil national, les ayatollahs de la langue de Montréal-Centre, de Montréal-Ouest, peut-être quelques-uns comme le député de Johnson, ont voulu remettre en question certaines propositions que le ministre avait déjà annoncées. Ils ont fait en sorte de faire un coup de force contre leur chef, contre certains membres du gouvernement pour faire en sorte qu'on revienne à l'esprit initial du programme du Parti québécois, et évidemment l'autre façon de gouverner voulait abolir la loi 86 qui, elle, avait institué la paix sociale, politique et linguistique au Québec.

Le 10 juin 1996, M. le Président, souvenez-vous-en, la ministre dépose le projet de loi n° 40 qui, oh surprise! fait ressurgir la Commission de protection de la langue française et modifie évidemment, par ce fait même, la Charte. Le 10 juin 1996, j'ai eu l'insigne honneur de répondre à la déclaration ministérielle de la ministre et d'annoncer plusieurs heures à l'avance l'élection du nouveau député d'Outremont, que je ne peux pas nommer mais qui a été élu et qui est devenu – je l'avais annoncé à ce même moment – critique de la ministre en matière linguistique.

Et qu'est-ce qu'on retrouvait dans le projet de loi n° 40 qu'on étudie ce soir? Eh bien, la résurrection de la Commission de la protection de la langue française, malgré les conclusions du Comité interministériel, malgré les conclusions de la majorité des gens qui s'étaient penchés sur cette question, malgré la vision relativement généreuse et tolérante que nous avons dans la société québécoise. Mais on retrouvait ce projet de reprise et de résurrection de la Commission de la protection de la langue pour faire suite, pour tenter de donner un bonbon encore une fois aux «ayotallahs», aux «ayotallahs»...

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Ayatollahs. Les ayatollahs.

M. Chagnon: M. le Président, vous excuserez le lapsus. Encore une fois, 1 heure du matin, et j'ai rarement l'occasion de parler dans une mosquée. J'ai l'impression d'être dans la mosquée où les ayatollahs sont en face de moi.

Fin août, début septembre 1996, la commission de la culture tient une consultation générale sur le projet de loi n° 40; au-delà de 50 groupes sont entendus. Les conclusions, on les retrouve en novembre 1996, et aussi, en novembre 1996, on a le dépôt du rapport sur l'évolution de la situation de l'affichage à Montréal 1995-1996 par le Conseil de la langue française et l'Office de la langue française présidé par Mme Nadia Assimopoulos, qui est reconnue pour avoir un esprit...

Une voix: Ouvert.

M. Chagnon: ...ouvert et qui comprend la question linguistique. L'épithète qui m'est suggérée est appropriée.

Il est nécessaire de modifier la Charte de la langue française, selon elle, elle qui est une ancienne militante du parti gouvernemental et qui a dû regarder ces questions-là avec sûrement un oeil qui, je peux l'apprécier, était sûrement susceptible de chercher à éviter tout problème au gouvernement. Mais, en fin de compte, congrès national du PQ, 23, 24 novembre 1996, et la langue, encore une fois, au lieu de l'économie, au lieu de la création d'emplois, est au coeur des discussions. La résolution demandant d'abolir la loi 86 est battue, et tout le monde s'en réjouit, en avant. Le premier ministre est obligé de faire un appel à la tolérance aux membres de son propre parti après avoir subi lui-même quelques avatars. Le premier ministre est obligé de faire un appel à la tolérance dans son propre parti. Jamais vu ça dans le mien. Dans le mien, c'est naturel d'être ouvert, tolérant, regardant...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Chagnon: ...d'être capable de faire la différence entre la culture, les événements... J'entends le poulailler en avant s'exciter un peu, M. le Président. Peut-être est-ce l'heure, mais une chose est certaine: dans mon parti, jamais eu de chef qui a fait un appel...

M. Sirros: À la tolérance.

M. Chagnon: ...à genoux devant ses membres, demandant d'être tolérant, jamais vu ça. Jamais vu non plus... Et la conclusion de ce congrès-là, ça a été de voir le député de Jonquière annoncer qu'il aurait honte de se voir dans le miroir si on adoptait le programme du Parti québécois sur lequel il s'était fait élire et non seulement qui condamnait, mais qui voulait abolir la loi 86. Il aurait eu honte de se regarder dans le miroir, disait-il, le matin en s'imaginant que son parti aurait pu abolir la loi 86.

Je le soupçonne d'avoir regardé, le lendemain matin, le lundi matin, le 25 novembre 1996, en se faisant la barbe... Je soupçonne que M. le député de Jonquière, quand il a regardé son miroir, a dû voir le portrait de Claude Ryan.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Chagnon: Je soupçonne que, inspiré par le portrait de Claude Ryan...

Une voix: Pauvre Claude! Ha, ha, ha!

(1 heure)

M. Chagnon: Non. Je soupçonne que, inspiré par le portrait de Claude Ryan, il est revenu au Conseil des ministres et il a simplement annoncé à son Conseil que, après que son parti eut vu la lumière, après que son parti eut compris le modèle de fonctionnement, l'équilibre que l'on retrouvait dans le projet de loi 86... Il a suggéré à son parti, il a suggéré à son cabinet, il a suggéré à son caucus de l'accepter. Malgré tout, M. le Président, on se retrouve à 1 heure, 1 h 3, le matin, en train de discuter de nuit de ce qui, encore une fois, rend le Québec distinct de tout autre espace géopolitique en Amérique du Nord, à cause de sa langue. À 1 heure le matin du 13, un vendredi 13, M. le Président, jour de malchance en plus, nous sommes en train de discuter de la résurrection de la Commission de la langue française. Cette résurrection, M. le Président, ne s'apparente – et mon collègue d'Outremont l'a aussi dit, j'ai pu le lire – en rien à la résurrection du Christ ni de Lazare, mais, comme le disait le député d'Outremont, ça ressemble plutôt à la résurrection de Frankenstein, M. le Président.

Quand on lit le projet de loi et qu'on regarde certains de ses articles – je pense que plusieurs de mes collègues l'ont fait; je les invite à le faire – quand on dit, à l'article 171: «La Commission peut désigner, généralement ou spécialement, toute personne pour effectuer une enquête ou une inspection», ce n'est pas pour nous rassurer. On ne sait pas qui sera cette personne choisie par la Commission. La ministre nous dit que, elle, elle le sait. Mais qu'elle le dise, qu'elle nous annonce quelles seront les personnes choisies par la Commission pour effectuer des enquêtes ou des inspections. «La Commission peut désigner, généralement ou spécialement, toute personne pour effectuer une enquête ou une inspection.» C'est un peu court, M. le Président. C'est un peu court.

Article 172, M. le Président, l'article suivant: «La Commission a les pouvoirs et l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf le pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.» L'étape suivante, M. le Président, c'est l'Inquisition. L'Inquisition. On se retrouve dans l'Espagne du XIVe ou du XVe siècle. «Dans les cas qui le requièrent, la Commission peut conférer ces pouvoirs et cette immunité à toute personne qu'elle désigne.» Ce n'est pas rassurant, ça, M. le Président. Ce n'est pas rassurant quand on regarde certaines des nominations qui ont été faites par le gouvernement.

Article 173, M. le Président: «Un inspecteur ou un enquêteur ne peut être poursuivi en justice pour une omission ou un acte fait de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions.» On retrouve ça de temps en temps, mais, évidemment, ça a une portée générale à partir du moment où... Et très justement dans notre législation, M. le Président, la bonne foi se présume. La bonne foi se présume avant qu'un inspecteur ou un enquêteur puisse être poursuivi en justice pour une omission ou un acte fait de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions. Les poules auront des dents avant qu'on puisse voir cela se voir traduire en justice, M. le Président.

Et l'article 174: «La personne qui effectue une inspection pour l'application de la présente loi peut pénétrer – M. le Président, "peut pénétrer" – à toute heure raisonnable dans un établissement.» M. le Président, si, nous, les parlementaires qui adoptons cette loi, nous travaillons à une heure que le gouvernement juge raisonnable, je dois présumer que ces fonctionnaires, ces inspecteurs pourront entrer et pénétrer de jour ou de nuit dans n'importe quel commerce. Si le gouvernement juge raisonnable qu'à 1 h 5 le matin, un vendredi 13, nous soyons à étudier le projet de loi qui doit améliorer le statut de la langue française, je dois présumer, donc, que la personne qui effectue une inspection pour l'application de la présente loi, qui peut pénétrer à toute heure raisonnable dans un établissement, eh bien, il y a des grandes chances que les inspecteurs ou les personnes qui effectuent une inspection décident que 1 h 5 le matin, c'est raisonnable. Si c'est raisonnable pour siéger, si c'est raisonnable pour adopter le projet de loi, pourquoi serait-ce déraisonnable pour son application?

Une voix: Surtout qu'elles voudront faire du temps supplémentaire.

Une voix: C'est une très bonne question.

M. Chagnon: Ah! Question qui touche évidemment directement le président du Conseil du trésor. Il est bien entendu que, à 1 h 5 le matin, les gens qui seront nommés par la ministre, les inspecteurs qui verront à l'application de la présente loi et qui iront faire des perquisitions de nuit, M. le Président, eh bien, ils devront être payés à temps supplémentaire, et c'est le président du Conseil du trésor qui devra écoper pour payer le temps supplémentaire de ces inspecteurs.

«Elle peut notamment examiner – encore le gros horloge, M. le Président – tout produit ou tout document, tirer des copies, prendre des photographies.» Ah, que voilà la nouvelle fonction d'un inspecteur! «Elle peut notamment examiner tout produit ou tout document, tirer des copies, prendre des photographies. Elle peut à cette occasion exiger tout renseignement pertinent.» C'est quoi, la pertinence d'un renseignement pris à 1 h 5 du matin? C'est quoi, la pertinence d'un renseignement ou d'une photographie? Vaut mieux peut-être pas toutes les voir, ces photographies prises à 1 h 5 du matin. Je marque! Ah!

Des voix: ...

Le Vice-Président (M. Brouillet): Excusez-moi, M. le député, s'il vous plaît. J'ai été très tolérant, en même temps, je sais bien qu'il faut savoir rire un peu, mais je vous inviterais, s'il vous plaît, à ne pas trop intervenir. Il y a trop d'intervenants en même temps qui interviennent, là, et puis je voudrais revenir aux règles habituelles. Alors, M. le député de Westmount–Saint-Louis, pour poursuivre votre présentation.

M. Chagnon: Un député qu'on ne voit pas souvent – on a même oublié le nom de son comté – indique que ce n'est pas vrai, que la personne... Et je l'invite à lire l'article 174, M. le Président: «La personne qui effectue une inspection pour l'application de la présente loi peut pénétrer à toute heure raisonnable dans un établissement.» Alors, le député ne comprend pas que, quand j'évoque l'hypothèse qu'à 1 h 10 le matin un fonctionnaire puisse effectuer une inspection, prétextant que c'est une heure raisonnable, si c'est une heure assez raisonnable pour adopter le projet de loi, je devrais être bon pour penser que c'est une heure assez raisonnable pour l'appliquer.

Une voix: Bien oui! Très, très bonne logique.

M. Chagnon: Je ne vois pas en quoi ma logique souffre d'incohérence.

Une voix: Aucunement.

M. Chagnon: M. le Président, ce fonctionnaire pourrait examiner tout produit ou tout document, de jour ou de nuit, tirer des copies, prendre des photographies et peut-être, à cette occasion, exiger tout renseignement pertinent, une espèce de gestapo de la langue, hein? D'ailleurs, je vois, par cette affirmation, des gens du gouvernement commencer à trouver que, finalement, il y a une exagération notoire dans ce projet de loi. Et, contrairement à ce que les ayatollahs de la langue du Parti québécois peuvent penser... Ayatollahs, ayatollahs. Vous avez encore mal compris, les ayatollahs. Évitez, madame, les liaisons dangereuses, M. le Président.

(1 h 10)

Le Frankenstein que la ministre de la langue a ressuscité est finalement un objet inutile, coûteux. Quelque 5 000 000 $ seront affectés à cette entreprise, qui auraient pu être affectés comme la ministre l'a fait récemment, cette semaine, lorsqu'elle ajoutait 3 000 000 $ aux dépenses des arts de la scène hors Montréal, hors Québec – je pense, en tout cas – en province. Je trouve que c'était là une excellente initiative de la part de la ministre de la Culture. Mais mettre 5 000 000 $, mettre des millions pour repartir et relancer – ne serait-ce que 500 000 $, M. le Président – la Commission de protection de la langue, travail qui était déjà effectué par l'Office de la langue française, travail qui était bien fait par l'Office de la langue française, travail que la présidente de l'Office de la langue française estimait être capable de faire...

Pourquoi avoir réintroduit, ressuscité cette police de la langue, qu'on ne veut pas qualifier de gestapo malgré l'espèce d'élargissement de pouvoirs normaux pour des inspecteurs et des enquêteurs – c'est les termes utilisés par le projet de loi – malgré l'élargissement de pouvoirs normaux qui ne donneront, M. le Président, dans le fond, non seulement aucun appui supplémentaire à l'utilisation de la langue française, mais verront, au contraire, miner sa crédibilité non seulement à Montréal, non seulement au Québec, mais aussi à l'extérieur du Québec? C'est le projet de loi, M. le Président, et ce sont les parties du projet de loi. Je ne conteste pas certaines autres parties du projet de loi. Mais la mise en place de la Commission de protection de la langue française, M. le Président, est la meilleure nouvelle que le Nouveau-Brunswick ait pu recevoir depuis longtemps, parce qu'elle lui permet de pouvoir recevoir et lancer, rapatrier, aller chercher des sociétés qui opéraient à Montréal ou qui opéraient au Québec et les amener travailler au Nouveau-Brunswick où le climat de vie entre les langues que sont le français et l'anglais est beaucoup plus positif que celui voulu et visé par la ministre pour l'avenir de Montréal et du Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Westmount–Saint-Louis. Mme la ministre...

Mme Beaudoin: Oui, merci...

Le Vice-Président (M. Brouillet): À quel titre, excusez, voulez-vous présentement, là...

Mme Beaudoin: À quel titre? À titre de députée de Chambly, M. le Président.

Une voix: Vous avez déjà parlé.

Mme Beaudoin: On ne peut pas répondre, là? Ah non?

Une voix: Non, non, non.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Non, pas immédiatement, non. Excusez-moi. S'il vous plaît, laissez le président régler ces questions. Alors, il y a un droit de réplique de 20 minutes à la fin, très bien. Alors, je vais céder la parole à...

M. Chagnon: Question de règlement, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Quel règlement? Quel article?

M. Chagnon: En fait, une question de pertinence. Je voudrais tout simplement signaler que je suis fort honoré de voir la ministre vouloir me répliquer.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, ça viendra à la fin. Elle aura un bon 20 minutes pour répliquer à tout le monde, finalement.

Nous allons céder la parole maintenant à M. le député de Saint-Hyacinthe. M. le député.


M. Léandre Dion

M. Dion: M. le Président, quel spectacle pitoyable et attristant que celui du discours du député de Westmount–Saint-Louis qui n'a pas pu faire autre chose que de décharger un certain nombre de plaisanteries faciles destinées à susciter le manque de respect le plus élémentaire pour ce qui fait la vie, l'âme d'un peuple, M. le Président, sa langue. Et tout ce que ça a suscité, c'est des sourires benêts de ses collègues et des applaudissements factices. Parce que, en fin de compte, la langue, c'est quelque chose de très important. C'est par là qu'on exprime ce qu'on est, c'est par la langue qu'on éprouve les sentiments les plus profonds et les plus nobles, M. le Président. Je pense qu'il faut en parler avec un peu plus de respect et un peu plus de retenue.

Et plutôt que de s'attaquer à un tas de petites choses ou à un tas de petits détails, on devrait aller voir quel est le coeur de cette loi qui est présentée par Mme la ministre de la Culture responsable de la langue française. Le coeur de cette loi, M. le Président, c'est de lancer à toute la population, à la majorité francophone qui n'a pas d'autre patrie en Amérique que le Québec mais aussi aux minorités qui arrivent au Québec, c'est de lancer ce message qu'au Québec c'est en français que ça se passe. Au Québec, M. le Président, le français est incontournable, il faut que tout le monde le sache. Et bienvenue à tous les immigrants qui voudront bien venir se joindre à nous, mais ils sauront, avant de partir de chez eux, qu'au Québec c'est en français que ça se passe.

M. le Président, je comprends que, pour des Anglo-Saxons, des anglophones, bon, c'est peut-être possible de vivre en anglais au Québec, puis sans même savoir un mot de français, mais il y a une condition: c'est de vouloir vivre dans un ghetto, refermé sur soi-même, dans l'ignorance la plus totale – et on sait que l'ignorance, c'est parfois très voisin du mépris – de la majorité de langue française. Autrement, ce n'est pas possible. Et il me semble que, si j'étais anglo, je saurais au moins une chose, c'est que le français, c'est une des premières langues du monde entier, c'est la langue de la diplomatie et la langue juridique du monde. Et connaître le français, bien, il me semble que c'est une question de culture. Être capable de s'exprimer dans cette langue-là ou au moins de la comprendre, c'est avoir accès à une des plus belles cultures, une des cultures qui ont rayonné le plus parmi toutes les cultures du monde.

Alors, je pense qu'ils peuvent avoir intérêt à apprendre le français. En plus de ça, c'est une ouverture à tout le monde latin, parce que le français, c'est une langue latine, et le peuple du Québec, c'est un peuple latin. Et avoir accès à sa culture et à ses traditions, c'est avoir accès à cette immense majorité d'habitants d'Amérique du Nord et du Sud que sont les Latins. Je pense, M. le Président, qu'ils ont intérêt.

Mais passons maintenant aux néo-Québécois, aux immigrants que nous avons la chance de recevoir chez nous. Oui, je dis bien «la chance», M. le Président, parce que ça nous fait plaisir d'accueillir des immigrants chez nous. Mais il y a une condition, c'est qu'ils reconnaissent qu'ils s'en viennent dans un pays français et que, s'ils veulent vivre ici, ils doivent vivre en français; autrement, ils vivront dans des ghettos, ils seront toujours étrangers et ils risqueront de transmettre à leurs enfants ce sentiment d'étrangers.

Et, moi, M. le Président, je sais de quoi je parle quand je parle de cela, parce que je l'ai été, immigrant, pendant quelques années dans un autre pays. J'ai eu la chance de vivre pendant quelques années au Pérou et j'ai appris ce que c'est qu'être, mois après mois, année après année, étranger dans un milieu. Ça comporte des difficultés, M. le Président. Ça comporte des difficultés, ça comporte des risques, ça comporte des sentiments qui sont parfois difficiles à supporter, mais ça comporte aussi une richesse tellement grande.

Tout le temps que j'ai été là, jamais, mais jamais il ne m'est venu à l'esprit que les Péruviens devaient abandonner leur langue pour apprendre la mienne. Mais voyons! Ça ne m'est jamais passé par l'esprit. Et, si je vous disais le contraire, vous diriez: Bien, il est sonné. Il est sonné. Et pourtant, au Québec, c'est le contraire qu'on fait. On fait accroire aux immigrants qu'ils peuvent vivre au Québec dans n'importe quelle langue sauf le français. Mais c'est quoi, cette chose-là, M. le Président? Il me semble que le respect le plus élémentaire d'un peuple quand on va vivre chez lui, c'est d'apprendre sa langue et de vivre selon sa culture.

On nous demande d'être accueillants. On nous demande d'être accueillants et on a raison. Vous savez, cette belle chanson de Gilles Vigneault qui dit qu'il faut accueillir le voyageur parce que le voyageur est à la merci du coeur. Eh bien, il faut accueillir les immigrants parce qu'ils sont à la merci du coeur. Il faut les accueillir les bras ouverts, mais, en retour, on leur demande de nous accueillir aussi dans ce que nous sommes et de s'intégrer à ce que nous sommes comme peuple. Ils verront que dans ce peuple il y a des trésors d'accueil, des trésors de compréhension et des trésors de tolérance. Si nous avons survécu en terre du Québec pendant 300 ans, 400 ans, c'est parce qu'il y a dans ce peuple une ouverture aux autres. D'abord, ça a été une ouverture aux autochtones. Et la plupart d'entre nous, nous pouvons nous vanter d'avoir eu parmi nos ancêtres quelqu'un qui a partagé sa vie avec un ou une autochtone et dont nous sommes les descendants. Mais il y a aussi dans ce peuple une ténacité qui ne périra pas, M. le Président!

Des voix: Bravo!

M. Dion: M. le Président, on nous dit qu'il faut faire attention à la paix linguistique. C'est vrai. C'est vrai qu'il faut aborder toutes ces choses-là avec une ouverture d'esprit et une capacité d'accueil. La paix, oui, mais l'abdication, jamais. La soumission, jamais. L'assimilation, jamais, M. le Président!

Des voix: Bravo!

(1 h 20)

M. Dion: M. le Président, nous n'avons pas d'autre patrie que le Québec. Et le Québec, c'est le Québec français. Mais il y a un obstacle. Parce qu'une langue qui ne fait pas vivre ses enfants ne peut pas vivre elle-même. Donc, le travail, la capacité et la possibilité de travailler en français, c'est une nécessité absolument inéluctable. Sans cela, il n'y a rien d'autre qui peut résister.

Alors, donc, il faut pouvoir travailler en français dans les entreprises. Il faut que les entreprises aient des programmes de francisation et qu'elles respectent la majorité francophone du Québec. Alors, comment est-ce que ça se passe, quand on donne des signaux comme ils ont été donnés pendant les 10 dernières années où tout est pareil, vous savez? Oh! c'est bon, oui, il faudrait bien vous franciser, mais, si vous ne le faites pas, ça fait pareil. Des signaux comme ceux qui ont été lancés par le gouvernement du Parti libéral et qui font que même les employés de l'Office, les officiers de l'Office de la langue française en étaient venus à être complètement découragés parce que ce gouvernement qui nous a précédés envoyait des signaux négatifs à l'effet que ce n'était pas nécessaire, dans le fond, que ça passerait quand même, qu'il y avait toutes sortes de moyens pour que les enfants n'aillent pas à l'école française et que, de toute façon, à la longue, les francophones finiraient par s'avouer vaincus et par plier l'échine. C'est pour ça qu'il n'y a pas eu de progrès pendant les 10 dernières années.

Mais, Mme la ministre de la Culture et responsable de la langue française et ce gouvernement ont lancé un message clair. Et cette loi, c'est la loi qui lance le message clair qu'au Québec dorénavant ça se passe en français. C'est ça, le sens de cette loi-là. Et c'est pour ça que c'est important que, dans les quelques cas où les entreprises méprisent les lois du Québec, méprisent en particulier la Charte de la langue française, dans ces cas qui sont rares malgré tout – on dit environ 3 % ou 4 % – on puisse l'imposer. Parce que, si on ne l'impose pas, on lance un message que, de toute façon, tout est égal. Alors, dans les cas extrêmes, il faudra l'imposer. Mais on sait très bien que la plupart, 96 %, 97 % des entreprises acceptent les invitations qui leur sont faites de mettre en place un programme de francisation, mais elles l'acceptent si on leur demande et si on l'exige. Si on leur envoie des signaux contradictoires, elles ne peuvent pas l'accepter. Et la même chose pour les néo-Québécois, si on leur envoie des signaux contradictoires, ils vont aller là où ça convient au moment où ils arrivent.

Alors, je pense que cette loi-là, elle est indispensable. Elle est indispensable parce que, au Québec, la seule façon pour le peuple québécois d'assurer sa survie, d'assurer qu'il pourra transmettre à ses enfants la langue qu'il a apprise, la langue qui lui a appris les valeurs, les valeurs de respect, les valeurs de tolérance, les valeurs d'accueil, c'est cette loi, c'est la langue française. Et c'est pour ça que, nous, du Parti québécois, nous nous battons. Nous nous battons pour l'âme du peuple québécois, nous nous battons pour sa culture. Et c'est pour ça que nous nous battons pour sa langue. Et nous n'avons pas peur de le faire en pleine nuit. Ce n'est pas quelque chose pour rire, c'est quelque chose pour vivre, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, je vous remercie, M. le député de Saint-Hyacinthe. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de LaFontaine. M. le député.


M. Jean-Claude Gobé

M. Gobé: Merci, M. le Président. Après ce discours enflammé du député de Saint-Hyacinthe, il me fait plaisir, moi aussi, d'intervenir sur ce projet de loi n° 40, qui, comme beaucoup de projets de loi depuis que, moi, comme immigrant, je suis arrivé en ce pays, en cette province – appelons-le comme certains voudront l'appeler pour, ce soir, ne pas faire cette polémique – je suis arrivé en 1972, fait en sorte que, depuis 25 ans, comme jeune homme qui arrivait dans un nouveau pays, plein d'espoir, plein d'envie de s'y intégrer, d'y participer, de s'y fondre et d'y créer famille, d'y élire son domicile, d'y faire sa vie, j'ai connu, depuis 25 ans, dis-je, cet éternel débat linguistique.

Le discours que le député de Saint-Hyacinthe faisait, certainement avec son coeur, me rappelle ces discours que j'entendais à l'époque, lorsque je suis arrivé, à ma grande surprise, soit dit en passant. Car, arrivant d'un pays francophone comme la France, je ne m'attendais point, certes, à trouver dans cette terre d'Amérique ce débat aussi émotif et aussi prenant que celui que j'ai connu. Et il est vrai qu'à l'époque, lorsque je suis arrivé, M. le Président, nous pouvions comprendre ce discours, car, en effet, moi-même, avec mes illusions de jeune Français qui débarquait – et j'emploie le mot «débarquer» à bon escient, M. le Président, afin de décrire la manière dont nous arrivions ici – je méconnaissais les règles, méconnaissais la langue, la culture en ce pays français au Canada. Aujourd'hui, cela a beaucoup évolué. À l'époque, pour trouver un emploi au Québec, il fallait connaître la langue anglaise obligatoirement. Je me souviens très bien dans les premières applications ou les premières entrevues que je faisais pour dénicher un emploi au Québec, à Montréal, eh bien, ma méconnaissance ou mon peu de connaissance de la langue anglaise faisait que je ne pouvais trouver ces emplois. Alors, comme bien d'autres, j'ai dû faire en sorte non seulement de l'apprendre, mais de me couler dans le système afin de pouvoir m'établir et gagner ma vie.

Mais, M. le Président, 25 ans plus tard, 25 ans après, force est de constater que ce n'est plus la même situation. Ça a changé. Non seulement ça a changé en termes de langue, mais, à l'époque, une des raisons principales qui faisait que la langue anglaise... Et j'entendais le député de Saint-Hyacinthe qui disait: Il faut qu'une entreprise se conforme, on doit les obliger, on doit faire en sorte qu'elles n'ont pas d'autre choix. C'est un discours qui, peut-être, était justifié à cette époque, mais aujourd'hui il ne l'est plus. Aujourd'hui, la grande majorité des entrepreneurs, des petites entreprises québécoises, des petits artisans et même des grandes entreprises sont des Québécois et des Québécoises. Et je ne vois pas dans ces entreprises-là de dirigeants québécois et québécoises, qui sont nés ici, qui sont des gens qui sont des francophones au même titre que le député de Saint-Hyacinthe ou que la ministre de la Culture, aient intérêt à faire en sorte que leurs compatriotes, les Québécois, les francophones que nous sommes, soient obligés de parler l'anglais pour fonctionner dans les entreprises, à moins, bien sûr, que les entreprises fonctionnent avec le marché international et, un peu comme ça se fait à travers le monde, pour faire des affaires, bien, que nous devions employer une autre langue, qu'elle soit la langue anglaise qui...

Je le rappellerai pour les députés qui sont en face: on peut très bien faire preuve de nombrilisme et puis se gargariser de grandes déclarations et de grandes émotions, certes, c'est très intéressant. J'en suis. J'aime ça, je suis un latin, je suis un francophone, et ça me fait plaisir moi aussi. Mais la réalité est tout autre. La vraie réalité, c'est que nous sommes en Amérique du Nord et que, pour faire des affaires en Amérique du Nord, il faut parler la langue de l'Amérique du Nord, il faut être capable de communiquer à l'extérieur, un peu comme les Français – à qui nous nous référons très souvent – qui sont obligés, pour faire des affaires à l'extérieur, de parler d'autres langues que la langue française.

(1 h 30)

M. le Président, la situation a changé. Nous ne sommes plus il y a 25 ans. Le Québec a évolué, n'en déplaise à certaines personnes qui, pour des raisons politiques ou émotives, aiment sans cesse ressasser ce vieux démon qu'est le débat de la langue française. Regardons un peu ce qui s'est passé. Nous avons mis des lois sur l'affichage. Nous avons fait en sorte que l'affichage soit français au Québec et à Montréal, en particulier – parce qu'on parle surtout de la région de Montréal – l'anglais étant banni. Ce qui n'a pas empêché d'avoir d'autres langues: le chinois, l'italien, l'espagnol et autres. Nous avons ciblé l'anglais. Certes, il y avait là, peut-être, à l'époque, au regard de certains, une nécessité. Mais qu'est-ce que nous avons fait comme autre effort pour faire la promotion de la langue française, à part de mettre l'affichage obligatoire en français? Est-ce que nous avons fait l'effort pour que, dans nos collèges, dans nos écoles primaires, nos écoles secondaires, nos universités, la qualité du français soit rehaussée?

M. le Président, je lisais dernièrement des statistiques du ministère de l'Éducation du Québec, de l'enseignement supérieur, secondaire, on disait que 40 % des élèves, des jeunes Québécois qui se présentent à l'université pour passer le concours pour être admis comme étudiant pour être professeur étaient recalés. M. le Président, à quoi sert-il, si, à l'intérieur de notre système d'éducation et d'enseignement, nos jeunes, nos candidats pour être professeurs ne sont pas capables de passer, en majorité, l'examen pour être qualifiés en français, à quoi sert-il d'obliger le monde à afficher en français?

C'est du cosmétique, M. le Président. Il faut, si vraiment on croit, en cette Chambre, à la qualité du français, à la langue française, à la culture française, redonner la langue française, l'enseignement du français dans les écoles, et c'est là, la base, que ça se passe. Et ce n'est pas là ce que nous avons fait depuis 20 ans, M. le Président. Et je mets quiconque au défi ici, dans cette Chambre, de nous dire le contraire, car nous savons tous, malheureusement, qu'une grande partie de nos compatriotes et concitoyens ne possèdent que très mal cette langue, à cause d'une carence au système d'éducation. C'est là le drame, M. le Président. Quand on veut garder une langue, une culture, on commence par l'apprendre aux gens, on commence par la leur inculquer lorsqu'ils sont jeunes. Première des choses.

Deuxième des choses, M. le Président. Lorsqu'on se réclame d'une culture francophone, comme l'a fait le député de Saint-Hyacinthe, à juste titre, parce que lui fait partie des élites du système, on s'arrange pour qu'elle soit la plus vaste possible dans toutes les classes de la société. Et pour ce faire, M. le Président, on commence non seulement à l'enseigner, comme je le disais, mais à faire en sorte que dans tous les endroits de la société où elle est parlée elle le soit bien, que ce soit dans les radios, les télévisions, par les gens qui le parlent publiquement, y compris dans cette Chambre. C'est là, M. le Président, la leçon que nous devons retenir, c'est ce que nous n'avons pas fait.

Nous avons fait en sorte, M. le Président, parce que nous croyions à la sécurité de lois, comme la loi 101 qui nous disait: L'affichage est maintenant obligatoire en français à Montréal... une fausse sécurité. Nous avons fait preuve de laxisme. Et aujourd'hui, je le dis, et je ne suis malheureusement pas le seul à le dire et à le penser, la langue française au Québec, c'est vrai qu'elle est parlée partout, mais, malheureusement, sa qualité a baissé. Elle n'a plus une qualité de langue internationale, à un tel point que, bien souvent, lorsque nos Québécois, nos créateurs artistiques font des films, des séries télévisées de très bonne qualité au niveau de la création, nos cousins français, de l'autre côté, les traduisent en français international pour pouvoir non seulement les diffuser sur leurs réseaux de télévision, leurs réseaux de cinéma en France, mais dans toute la francophonie, parce que, nous disent-ils, ils ne nous comprennent pas. Est-ce là, M. le Président, l'évolution d'une langue internationale française, comme en parlait le député? Non, ce n'est pas ça, M. le Président, et c'est ça qu'on doit déplorer.

Alors, je crois qu'il est temps, au Québec, qu'on prenne conscience de cette réalité. Est-ce que nous voulons, oui ou non, que la langue française continue à être parlée au Québec? Si c'est oui, M. le Président, notre action ne doit pas se faire sur des projets cosmétiques, des projets de commission de langue, de surveillance d'affichage. Elle doit se faire sur la qualité de la langue, sur la qualité de l'enseignement, sur l'harmonisation de notre langue, notre vocabulaire, avec la mère de toute la langue française, qui est celle qui est parlée internationalement, parce que sans ça, M. le Président, nous serions condamnés à parler une langue française, certes, mais qui serait décalée par rapport à celle qui est parlée à travers le monde. Est-ce que c'est ça que nous voulons?

Les députés en cette Chambre ont parlé de l'accès à une culture mondiale, la langue de la diplomatie. Que je sache, M. le Président, ça correspond à un critère de langue internationale française, et ce n'est pas ce que nous avons. Alors, moi, je déplore que l'on mette de la poudre aux yeux à nos concitoyens, à nos compatriotes québécois. En ce pays, nous n'avons pas le luxe, nous ne pouvons pas nous payer le luxe, M. le Président, de ce genre de fausse politique.

Ce dont nous avons besoin, M. le Président, c'est de renforcer l'apprentissage de la langue française à la maternelle, à l'école primaire, à l'école secondaire, au niveau du cégep, à l'université, de faire en sorte que nos étudiants qui sortent des écoles aient une connaissance non seulement de la langue parlée, mais la compréhension de la langue, de la littérature. Ce n'est plus le cas. Et les gens qui nous écoutent ce soir et qui sont dans l'enseignement ne sauront dire le contraire de ce que je dis, parce que c'est ce qu'ils nous disent lorsque nous les rencontrons. Et c'est là qu'est le problème, c'est là qu'est le malheur de cette langue. Et si nous n'y prenons garde, M. le Président, qu'importent les lois cosmétiques que nous passons pour des raisons politiques, qu'importe, parce que, tôt ou tard, elle va tellement s'affaiblir, elle va tellement s'édulcorer, elle ne correspondra tellement plus à un critère international sur lequel s'appuyait une base importante qu'elle va à présent se marginaliser dans cette Amérique du Nord qui est majoritairement anglophone. Et c'est là le drame. Enfin, là où, moi, j'en suis, où mes collègues députés libéraux en sont, nous sommes en faveur de la langue française, nous sommes des francophones, nous y croyons, nous le voulons, nous le vivons, mais pas pour des raisons politiques, des raisons cosmétiques.

M. le Président, le premier ministre du Québec, lors du dernier conseil ou congrès général du Parti québécois, a dû faire une lutte importante contre son parti – ou certains éléments, pardon, dans son parti, car tous n'en sont pas, et tant mieux pour le Québec et tant mieux pour nous – afin de faire en sorte que des éléments plus drastiques, plus extrémistes de ce parti ne viennent pas gâcher ou remettre en question aussi cette paix linguistique qui s'établit au Québec. Car, M. le Président, si nous sommes francophones et si nous voulons la francité au Québec, si nous voulons améliorer cette langue, si nous voulons la rendre internationale et nous coller sur cette grande francophonie, nous sommes aussi conscients que ce pays a été créé par deux nations, par les Français d'origine qui ont immigré ici et aussi par les Anglais qui sont venus par la suite. Et qu'importe l'histoire, s'ils ont gagné la guerre, c'est de l'histoire et nous n'avons pas à être responsables de l'histoire. C'est l'histoire, mais la réalité historique est là aujourd'hui. Et le Québec s'est enrichi aussi de cet apport culturel qu'est la langue anglaise. Et c'est le premier ministre qui l'a déjà dit: Il s'enrichit de cela. M. le Président, nous ne pouvons le nier, et le nier, c'est refuser l'histoire et c'est refuser le poids de la civilisation québécoise, parce que nous sommes fortement imbus de cette biculturalité qui est la communauté française, qui est la culture française et qui est aussi l'influence anglaise qui nous a été transmise par les gens qui ont été ici, qui ont fait ce pays avec nous autres.

M. le Président, le premier ministre disait et faisait en sorte, lors de son congrès, de modérer les éléments les plus agressifs ou les plus extrêmes de son parti afin, disait-il, d'assurer la paix linguistique. Et pourquoi le faisait-il, M. le Président? Certainement parce qu'il était conscient que c'était important pour l'unité du Québec, pour son développement harmonieux, pour la paix sociale. Qu'on n'utilise pas des vieilles rengaines, des vieilles émotions pour essayer de gagner avec ceci des points politiques que l'on perd par une mauvaise administration. Et c'est tout à l'honneur du premier ministre à ce moment-là.

Sauf, M. le Président, que la loi que présente la ministre est une loi qui va faire en sorte de raviver les tensions. C'est une loi qui envoie un message négatif; elle n'envoie pas un message positif. Dans la loi de la ministre, le seul message positif qu'on peut voir, c'est qu'elle dit qu'il faut faire la promotion de la langue française. Certes, mais tout le monde dit ça depuis 25 ans que je suis ici, M. le Président. Qu'est-ce qu'il y a de nouveau sous le soleil pour être ici à 1 h 40, pour que le seul point positif d'une loi nous dise: Il faut faire la promotion de la langue française? Le reste, c'est une loi coercitive qui dit: On va faire une commission qui va faire en sorte de regarder si vraiment on applique une loi, pour voir si on affiche un peu plus gros ou un peu plus bas en français ou en anglais. Qu'est-ce que ça apporte de positif au Québec? Ça va amener, M. le Président, simplement des confrontations, un désenchantement, alors que, aujourd'hui, ce dont nous avons besoin, nous avons besoin de cohésion sociale, nous avons besoin d'harmonie. Ça peut déplaire à certaines personnes qui font leurs choux gras politiques avec ça, mais l'ensemble des citoyens du Québec n'aspirent qu'à une paix sociale propice à un développement économique, et le développement économique, c'est bon pour la langue française, c'est-à-dire que, quand le Québec se développe, quand ça va bien, eh bien, c'est bon pour nous parce que nous nous développons comme société francophone et non pas à cause de lois ou à coup de lois coercitives qui ne font qu'envenimer les situations.

(1 h 40)

Alors, M. le Président, moi qui viens d'un pays francophone, qui viens de France, qui ai épousé ce pays de tout mon coeur, avec mes tripes, qui ai fait ma vie – je le disais au début – qui ai créé maison, qui ai fait famille, ce pays que je défendrai au fond de mes tripes, M. le Président, je ne le comprends pas lorsque je vois la ministre apporter des lois comme celle-là. Ce n'est pas ça, le Québec que je veux, ce n'est pas ça, le Québec que j'espère et ce n'est pas le Québec dans lequel je veux que mes enfants soient élevés, M. le Président, un Québec resserré sur lui-même.

Ce que je veux, M. le Président, c'est un Québec ouvert, un Québec français, francophone, qui parle une langue comprise à travers le monde francophone, non pas une langue de plus en plus, je le disais, qui devient régionale. Un Québec ouvert sur ses voisins, un Québec qui est capable de comprendre qu'il a eu un destin à cause de l'histoire qui a fait qu'il n'est pas tout seul francophone. Et c'est ça, l'histoire.

Alors, à quoi sert de nier l'histoire et de vouloir l'occulter, M. le Président? Elle est là, elle est présente dans notre culture, dans nos habitudes, qu'elles soient vestimentaires, culturelles, qu'elles soient de construction de vie. Nous sommes liés à cette histoire qui a fait que les Québécois francophones, que les Français, l'ancienne colonie de Québec territoire de la France est devenue à un moment donné anglaise, comme bien d'autres pays à travers le monde, à l'inverse aussi. Et nous devons l'assumer, nous devons être fiers et tirer parti de cet ensemble, de cette conjoncture qui fait de nous, en Amérique du Nord et dans le monde, un endroit particulier.

Lorsqu'on parle de société distincte, c'est vrai que nous sommes distincts, M. le Président, parce que nous avons la chance d'avoir cette double influence culturelle. Alors, pourquoi ces chasses aux sorcières? Pourquoi ces lois à l'accent revanchard, alors que les lois du gouvernement devraient tendre à rapprocher les gens, à former la cohésion de la société? On divise le Québec, on divise les citoyens, les uns d'un côté, les autres de l'autre. Et qu'est-ce que ça nous donne? Est-ce que c'est propice à notre bonheur collectif? Est-ce que c'est propice à l'amélioration de notre langue? Certes non, parce que la qualité de la langue française se dégrade. Et elle ne se dégrade pas chez les immigrants ou chez les anglophones, comme on aimerait à le faire croire, elle se dégrade bien souvent chez nos compatriotes francophones qui ne savent plus parler un français correct; ils ne sont plus capables de faire une phrase avec des mots, des compléments et des adjectifs. C'est ça, M. le Président, et ça dérange, et c'est malheureux.

M. le Président, le voilà, le grand malheur de notre société. Et je pense que la ministre, si vraiment elle voulait le bien de la langue française, si elle voulait le bien des Québécois, si elle voulait la pérennité de cette culture française, son projet de loi, il ne serait pas un projet de loi coercitif, il serait un projet de loi positif qui verrait à faire en sorte de sensibiliser les Québécois, de faire en sorte que les Québécois, tous ensemble, nous pensions que nous avons une responsabilité collective à tous les niveaux: dans les radios, dans les télévisions, dans les journaux, les professeurs dans les écoles pour bien l'apprendre, pour bien l'enseigner, pour bien la parler et faire en sorte que nos enfants s'expriment bien puis connaissent cette langue qui est celle, comme vous l'avez dit à juste titre, M. le député de Saint-Hyacinthe, et vous, Mme la ministre, celle de nos ancêtres et qu'il nous appartient à nous de faire perdurer à travers les temps et dans le meilleur intérêt de nos concitoyens et de nos compatriotes. Et ce n'est pas la manière dont vous vous y prenez. Et je ne peux pas en être, Mme la ministre. Donc, je ne peux pas être pour votre projet de loi, je vais voter contre. Merci beaucoup.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de LaFontaine. Le prochain intervenant, M. le député de Jeanne-Mance. Je vous cède la parole, M. le député.


M. Michel Bissonnet

M. Bissonnet: Merci, M. le Président. Je voudrais féliciter le député de LaFontaine pour les propos qu'il vient de tenir à cette Assemblée. Le président de l'Assemblée nationale, il y a quelques semaines, déposait un projet de réforme parlementaire pour permettre de nouveaux horaires pour cette Assemblée afin que, dans les sessions intensives, les travaux de cette Assemblée finissent à une heure raisonnable, à minuit. Et je remarque, chaque fois que je rencontre un député, qu'il soit un député de l'opposition officielle ou un député du gouvernement, que ce soit le gouvernement qui est là ou l'autre gouvernement, on me dit toujours la même chose. On me dit toujours la même chose: Ça n'a pas de maudit bon sens de siéger jusqu'à 5 heures le matin, 6 heures le matin, alors que les gens dans les conseils d'administration, dans les syndicats, quand ils arrivent à une heure raisonnable, ils suspendent, M. le Président, puis, le matin, ils reprennent de bonne heure puis ils font une bonne journée.

On veut discuter de ce projet de loi, et on était fiers tantôt... J'entendais le député de Champlain dire: On est fiers de discuter de ce projet de loi durant la nuit. Moi, M. le Président, je ne suis pas fier qu'on puisse discuter d'un projet de loi important, qui touche la langue de tous les Québécois, durant la nuit. Je pense qu'il y a des concitoyens qui suivent les débats de cette Assemblée, qui les suivent à des heures normales, et je pense que la proposition que le président de l'Assemblée nous a faite, je pense que cette proposition-là... Nous sommes rendus le 13 décembre. Je ne sais pas si cette proposition-là sera effective lors de la prochaine session, M. le Président. Donc, compte tenu que je n'ai pas le choix, M. le Président, le leader du gouvernement nous appelle à continuer ces travaux à cette heure-ci et nous nous devons de continuer à ce moment-ci, alors, je vais commencer mon intervention sur le projet de loi n° 40.

Je dois vous avouer que je comprends mal pourquoi la ministre de la Culture et des Communications et responsable de la Charte de la langue française interpelle les parlementaires aujourd'hui sur une pièce législative rétablissant la Commission de protection de la langue française. Il n'y avait pourtant rien de prévu à cet effet dans le bouquet de mesures rendues publiques par la ministre en avril dernier. Nulle part il n'était question de rétablir la Commission de protection de la langue française. Le bouquet, c'est que l'on sait que le Conseil des ministres a reçu favorablement le rapport du comité interministériel sur la situation de la langue française dans lequel il est clairement dit qu'il n'est pas opportun de modifier la Charte de la langue française.

Le comité interministériel dont je parle a été mis sur pied par la ministre en septembre 1995 avec pour mandat d'analyser la situation de la langue française au Québec quelque 20 ans après l'entrée en vigueur de la Charte de la langue française. Le comité a produit un rapport intitulé «Le français, langue commune: enjeu de la société québécoise» dont le contenu a été connu en mars dernier. Pourquoi la ministre et son gouvernement ne respectent-ils pas les conclusions de ce rapport? Pourquoi avoir déposé à l'Assemblée nationale, en juin dernier, le projet de loi n° 40? Pourquoi avoir présenté une pièce législative ressuscitant la Commission de protection de la langue française? Mais que s'est-il donc passé entre avril et juin 1996? Qu'est-ce qui a poussé la ministre responsable de la Charte de la langue française à rétablir la Commission de protection de la langue française? Je cherche à comprendre, M. le Président, qu'est-ce qui a poussé la ministre à le faire?

Je dis cela, car le rapport sur l'évolution de l'affichage à Montréal 1995 et 1996, commandé par la ministre elle-même au Conseil de la langue française et à l'Office de la langue française, établit le constat suivant: La situation est stable et il n'est pas nécessaire de modifier la Charte de la langue française. Bon. Ça nous semblait simple et clair. Devant cet état de fait, M. le Président, l'opposition officielle a fortement insisté pour que se tiennent des consultations générales sur le projet n° 40. Plus de 70 mémoires ont été déposés aux membres de la commission et plus d'une quarantaine de groupes et d'individus se sont alors fait entendre.

(1 h 50)

Les critiques envers la proposition du gouvernement de ressusciter la Commission de protection de la langue française ont été très nombreuses. «La Commission de protection de la langue française agresserait inutilement le milieu des affaires et la communauté anglophone», de déclarer Ghislain Dufour. «C'est l'organisme le plus détesté au Québec. Au lieu de servir la langue, elle va la desservir», de dire Aimé Gagné, un autre membre du CPQ.

«Si j'entends bien le discours du ministre des Finances, il n'y a pas de petites économies, avec les compressions qui s'en viennent dans le secteur de la culture. Et rien ne nous a prouvé que l'Office de la langue française ne pourrait pas remplir le rôle de la Commission de protection de la langue française», de mentionner, de son côté, Serge Turgeon, président de l'Union des artistes. Et lors de son témoignage à la commission de la culture, et je suis convaincu que Mme la ministre se rappelle très bien du témoignage du président de l'Union des artistes, il nous a informés qu'il lui arrivait assez régulièrement d'aller au centre d'achats Rockland, et, très rarement, très rarement, il pouvait voir une petite affiche en anglais, très rarement, et il nous a dit bien spécifiquement, M. le Président, que cela ne lui créait pas d'urticaire. Et il a de plus informé la ministre et les membres de la commission qu'il y a quelques années l'Union des artistes a soumis un projet-pilote pour le doublage des films, et l'Union des artistes a engagé des comédiens d'origine française, de France; à titre d'exemple, Léo Ilial et d'autres. Ils ont transmis un projet de doublage de 30 minutes à des producteurs français, et on a répondu à l'Union des artistes qu'ils n'avaient pas l'accent. C'est assez bizarre, ça, M. le Président.

Le chef syndical Clément Godbout abonde dans le même sens, et je le cite: «On ne perdrait pas connaissance si c'est chapeauté par un organisme comme l'Office de la langue française. Pourquoi le gouvernement péquiste a tenu à créer une nouvelle crise linguistique?» Comme l'a dit lui-même le superministre à la Métropole, le député de Laval-des-Rapides, et je le cite: «On ne doit pas se payer le luxe d'une lutte linguistique à Montréal. C'est la position du gouvernement.»

En fait, qui est-ce qui mène dans le dossier linguistique? Sûrement pas la ministre de la Culture et des Communications. Est-ce que ce sont les purs et durs du Parti québécois? Lors de leur dernier congrès national, les péquistes se sont déchirés sur la question de la langue. Le premier ministre a dû mettre son poste en jeu pour convaincre ses militants et militantes de renoncer au retour à l'unilinguisme français dans l'affichage. Dans une intervention dramatique au micro, le premier ministre en a convaincu juste un bon nombre, suffisant, pour battre une résolution demandant l'abolition de la loi 86, reconnaissant ainsi la justesse et la pertinence de cette pièce législative.

C'est d'ailleurs ce que pensent bon nombre de Québécois et de Québécoises. En effet, un sondage réalisé par la firme Sondagem révèle que 84,5 % des personnes interrogées désirent le maintien de la loi 86. Pourquoi les péquistes continuent-ils de nier que le français, M. le Président, est en progression au Québec, y compris à Montréal, comme l'a pourtant démontré le rapport interministériel? Pourtant, les données de ce rapport sont révélatrices, M. le Président. Présence de messages français sur la devanture des commerces de l'île de Montréal en 1995, 84 %; en 1996, situation identique, donc stabilité du paysage linguistique. Le même document indique que, sur l'île de Montréal, l'unilinguisme français est aussi stable, à 84 %.

À la lumière de ces données, la présidente du Conseil de la langue française, M. le Président, une personne que la majorité des membres du parti ministériel connaissent très bien, Mme Nadia Assimopoulos, déclarait: «Il n'est pas nécessaire d'amender la loi 86.» Où est donc la menace de l'anglais sur le français?

Moi, je suis député dans le comté de Jeanne-Mance depuis 16 ans, près de 16 ans, comme Mme la députée de Hochelaga-Maisonneuve; même si on n'est pas du même côté, on est des bons amis. Je veux vous dire que j'ai une communauté culturelle assez importante dans mon comté, et je suis un député, probablement, qui est très près de la population. En tout cas, je le pense, et, à mon point de vue, je suis au même niveau que les gens qui m'élisent. Je peux vous dire qu'en 16 ans il ne m'est pas arrivé souvent de parler anglais dans mon bureau; ça ne m'est pas arrivé souvent, très très rarement. Et j'ai une communauté italienne fière et importante, et ils parlent le français, l'anglais, et l'italien un peu.

Je tiens à vous dire que ceux qui sont arrivés ici puis qui ont été à l'école anglaise, c'est parce que c'est nous, dans les années 1952, qui ne leur avons pas permis d'aller à l'école française. Et, à la commission de la culture, nous avons eu comme invité M. Nick Auf der Maur, qui, lui, est un Français qui vient de Suisse. Quand il est arrivé ici, M. le Président, il avait 6 ans – c'est ce qu'il nous a conté à la commission de la Culture – il s'est présenté avec sa mère pour aller à l'école française, mais avec un nom comme Auf der Maur, on l'a envoyé à l'école anglaise. Mais c'était un Français qui voulait s'intégrer dès son arrivée.

Moi, j'ai une école dans ma circonscription, l'école Ferland; il y a peut-être 40 ou 45 nationalités. Ils sont venus visiter l'Assemblée nationale l'année dernière, la classe de cinquième année. Je vous dis que c'est en français que ça se passe, comme le disait le député de Saint-Hyacinthe. C'est en français que ça se passe à l'école Ferland. Donc, il y a des progrès constamment, M. le Président. Alors, pourquoi rétablir la Commission de protection de la langue française lorsque l'Office de la langue française joue déjà le rôle de surveillant de l'application de la Charte, notamment en ce qui concerne l'affiche commerciale?

Vraiment, M. le Président, je ne comprends pas ce gouvernement, et je suis persuadé que je ne suis pas le seul. Les représentants de la CSN, de la FTQ, l'Union des artistes, le Conseil du patronat, à la commission de la culture, tout le monde était d'accord. On a eu une commission de la culture pour écouter tous ces organismes, ces individus qui sont venus donner leur point de vue sur le projet de loi n° 40. Ça a duré cinq jours. Quand la commission a terminé ses travaux, deux minutes après la fin des travaux, la ministre de la Culture annonçait la politique du gouvernement. Quand on consulte des organismes puis qu'on les fait venir ici, à l'Assemblée, en commission parlementaire, pour connaître leur point de vue, il me semble qu'on devrait analyser leurs propos avant de rendre une politique immédiatement après qu'ils se soient présentés et qu'ils aient donné leur point de vue à cet effet-là. Donc, la commission de la culture a été réunie, mais la décision de la ministre, selon moi, était prise avant que la commission reçoive les personnes qui demandaient à être entendues.

Alors que le chômage connaît des taux sans précédent et que la création d'emplois est au ralenti, le gouvernement invente un peu cette crise linguistique, et ce, pour masquer son incapacité à remettre le Québec au travail, et ce n'est pas vraiment très habile et surtout pas dans les intérêts supérieurs des Québécois et des Québécoises. Et je regrette, encore une fois, que ce débat se passe la nuit. J'ai toujours été contre les travaux la nuit, et pour n'importe quel projet de loi que ce soit, et je suis convaincu que c'est la même chose pour la très très grande majorité des parlementaires des deux côtés: Ça n'a pas de maudit bon sens! Et je vous remercie, M. le Président.

(2 heures)

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Jeanne-Mance. Je cède maintenant la parole au député de Taschereau. M. le député.


M. André Gaulin

M. Gaulin: M. le Président, puisque nous sommes la nuit, je vais parler un peu à bâtons rompus de cette loi qui est devant nous. Tout à l'heure, le député de Westmount trouvait qu'il était déraisonnable de siéger à une telle heure. Je dois dire que ce qui serait raisonnable, ce serait justement de débattre de ce projet de loi au grand jour. Mais, comme nos amis d'en face, qui ne sont pas tout à fait en face de moi – enfin, je le déplore parfois – ont décidé de s'opposer assez farouchement à ce projet de loi, nous sommes donc obligés, comme ça, de siéger de nuit. Alors, je pense qu'il faut le rappeler.

Ce qui nous permet d'ailleurs de... Nous avons entendu, ce soir, beaucoup de calembredaines. Les amis libéraux ont fait beaucoup d'esbroufe dans leurs interventions. Ça nous permet peut-être de revenir à l'article 174, par exemple, où on dit bien – et on ne doit pas lui faire dire ce que cet article-là ne dit pas – que quelqu'un peut se présenter pour une inspection dans le cadre de la Commission à une heure raisonnable. Alors, je pense qu'il n'y a rien là qui soit de nature à susciter l'ironie ou la fantaisie.

Je voudrais peut-être commencer par un vers de Gaston Miron, qui est pris dans «Art poétique»: «Vous saviez, à tous deux, nommer toute chose sur la terre, ô mon père, ô ma mère. J'entends votre silence se poser comme la neige.» Je pense que la question linguistique, comme le rappelait tout à l'heure mon collègue de Saint-Hyacinthe, est une question fondamentale. Et cette question linguistique, dans notre Assemblée de la nation – qu'on appelle d'ailleurs Assemblée nationale et non pas Assemblée provinciale – dans notre Assemblée nationale, est une question fondamentale parce que la langue est le fondement même de l'existence d'un peuple. La langue code y compris l'économie d'un peuple. L'économie d'un peuple se fait dans une langue donnée. C'est pour ça qu'il est important, avec une loi comme la loi n° 40, de bien fixer les choses, de bien dire justement ce que disait tout à l'heure le député de Saint-Hyacinthe: Ce qui se passe ici se passe dans une langue commune qui s'appelle le français.

Et, si nous sommes obligés, aujourd'hui, d'intervenir sur cette question, ce n'est pas parce que, comme on l'a prétendu, nous manquions d'arguments. Au contraire, nous en avons beaucoup, d'arguments pour la politique, pour l'économie, pour la culture, pour le commerce. Ce n'est pas pour ça. C'est parce que, dans la métropole qui est la nôtre et qui s'appelle Montréal, il y a toujours 350 000 personnes qui n'ont pas la connaissance d'usage du français. Ceci est un bloc important, je dirais massif. Toutes proportions gardées, ça donnerait 1 000 000 de gens qui, à Paris, dans cette ville française de 10 000 000 d'habitants, ne parleraient pas le français. Ça donnerait donc un impact assez extraordinaire et une sorte de blocage.

Il y a donc, dans notre histoire, quelque chose qui s'est appelé, comme le disait Guy Bouthillier, par exemple, le choc des langues. Ce choc, nous l'avons constamment d'ailleurs sous les yeux. J'espère qu'un jour ce sera devenu caduc. Vous le voyez moins bien que moi, M. le Président, mais c'est au-dessus de votre tête, c'est le paysage qui est là. C'est le premier débat de l'Assemblée législative de 1791, c'est le débat des langues, c'est le débat linguistique, et ce débat, nous sommes toujours en train de le faire aujourd'hui.

J'entendais, tout à l'heure, un député de l'opposition nous dire que nous avions l'esprit colonial. Nous n'avons pas l'esprit colonial; nous vivons encore les séquelles du colonialisme, qui ont été engendrées par la Conquête. Moi, je suis venu dans cette Assemblée pour le dire. Autrement, j'aurais toujours, comme le député de l'Acadie, ma chaire à l'université. Je suis venu pour dire ça, que nous vivions ici une situation coloniale et que nous avons hâte d'en finir avec cette question-là, c'est-à-dire que l'on reconnaisse que, sur cette terre du Québec, nous parlons le français, ce qui n'empêche pas les langues d'y cohabiter fraternellement, ce qui n'empêche pas les Québécois d'apprendre une langue importante qui s'appelle l'anglais, ce qui n'empêche pas le député de Taschereau de désirer qu'on s'attaque à la politique de l'enseignement des langues au Québec et qu'on commence à apprendre une troisième langue qui s'appellerait l'espagnol ou une autre. Mais je pense que nous devons régler ce contentieux qui est très intimement lié d'ailleurs à toute la question nationale. Et c'est pour ça d'ailleurs que ça fatigue les libéraux; ça les fatigue parce qu'ils sont aussi contre la souveraineté du Québec. La souveraineté du Québec réglerait une fois pour toutes cette question dite coloniale de la question linguistique.

On ne fait pas de longs discours pour dire qu'en France on parle français, pour dire qu'en Allemagne on parle l'allemand. Et jamais la Cour suprême ne pourrait nous soupçonner d'être racistes parce que nous demandons aux gens qui vivent ici de parler le français si nous n'étions pas dans un état binational qui nous a toujours fait la guerre, qui a toujours lutté contre cette langue, qui a toujours constamment essayé de nous assimiler. C'est notre histoire, ça, c'est l'histoire du «Dominion of Canada», M. le Président.

Si le gouvernement invoque cette langue, c'est parce qu'il y a Montréal. Et je le sais, je suis de la capitale; c'est à Montréal que j'ai compris le choc des langues, c'est à Montréal que je me suis ouvert à la question linguistique. Quand j'allais, moi, comme syndicaliste à la CSN, commander, demander mon petit déjeuner dans le restaurant du coin de la rue Sainte-Catherine et Saint-Denis, que je demandais le déjeuner n° 3 et que je voyais la «waitress», parce que c'est comme ça qu'elle était, aller commander «number two for» tel client... Et ce cirque dérisoire a repris dans la métropole. On dit que c'est du passé, comme le disait le député de LaFontaine. Ce n'est pas exact. On a repris ce scénario loufoque. On a recommencé à Montréal à parler en anglais, à dire: Pourquoi vous ne voulez pas vous adresser dans une langue qui est maintenant une langue des multinationales? Non. Non, M. le Président. Ici, ça se passe en français et c'est en français que nous voulons parler.

J'entendais, tout à l'heure, le critique de l'opposition officielle parler d'espace de loyauté: le Québec comme un espace de loyauté. Et j'ai entendu le député de Westmount–Saint-Louis reprendre la même expression. J'entendais le député de LaFontaine parler du fait de bien parler, que c'est pour ça qu'on avait des problèmes linguistiques à Montréal. Ce n'est pas ça, la question linguistique. Ce n'est pas pour ça qu'on veut invoquer cette loi n° 40. La question du français est une question de fait. Une langue vit sur un territoire, elle domine sur un territoire et, si elle ne domine pas sur un territoire, elle est forcément dominée.

M. le Président, quand on passe de Nice ou de Menton à Bordighera, de la France à l'Italie, pourquoi est-ce que, dans l'espace d'un rien de kilomètres, on change de code linguistique, on change d'alimentation: on passe de la poule au pot au spaghetti? Parce qu'il y a des codes, parce qu'il y a des cultures, parce qu'il y a des langues, ce qui n'empêche pas d'être fermé à l'Italie quand on est français ou vice versa.

(2 h 10)

Il y a sur des territoires donnés, jusqu'à preuve du contraire, des langues données. Et ceux qui nous disent que la place, c'est dépassé, c'est parce qu'ils veulent donner toute la place à l'anglais. Tout à l'heure, la ministre évoquait le fait que le champ de l'informatique est dominé à 90 % par l'anglais, que le champ cinématographique est dominé à 90 % par l'anglais. Je pense qu'il est important que nous nous imposions dans notre langue, dans notre culture comme des francophones au Québec.

Et je disais donc que, si le gouvernement appelle cette loi, demande, fait venir, en arrive à la loi n° 40, c'est parce qu'il y a à Montréal des Québécoises et des Québécois qui sont inquiets, des Québécoises et des Québécois qui se font retourner chez eux alors qu'ils y sont pourtant. Et je pense que c'est pour ça que nous voulons qu'il y ait même... Parce qu'il y a eu beaucoup de négligence pendant les années qui nous ont précédés, il y a eu une détérioration des choses. Parce que ça, M. le Président, ce n'est pas seulement une question de statistiques. J'entendais le député d'Outremont qui invoquait des raisons, qui appelait des raisons scientifiques, des preuves scientifiques jusqu'à temps qu'on soit vraiment assimilés, faute de les avoir données assez vite. Alors, je pense qu'il est temps que nous arrêtions le cours des choses.

J'entendais le député de LaFontaine dire que, si la question était comme ça, c'est parce que nous parlons mal. M. le Président, je ferais remarquer que très souvent nous pensons parler français alors que nous utilisons constamment des calques de l'anglais. Quand j'arrive à Mirabel, par exemple, je vois écrit: «Vous pouvez réclamer vos bagages au carrousel 3.» Eh bien, si je me fie à ce que ça veut dire en français, je m'en vais au carrousel 3 et puis je lui dis: «Carrousel 3, est-ce que tu as mes bagages?» Parce que c'est ça que ça veut dire en français, réclamer ses bagages au carrousel 3. Réclamer, en français, ça ne veut pas dire «aller demander»; ça veut dire une autre chose que ça.

J'entends des députés, ici, dire à d'autres députés: «Pourriez-vous dire ça à partir de votre siège?» Mais d'où voulez-vous que nous parlions? Même vous nous interdisez de parlez d'ailleurs, M. le Président. On veut dire: mettre son siège en jeu. J'entends des députés appeler des lois; elles ne viennent pas même si on les appelle.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gaulin: On dit qu'on reconnaît le député de l'Acadie ou le député d'Outremont; on les connaissait déjà! Ah! je veux bien croire tantôt que le député de Westmount–Saint-Louis ne savait pas de quel comté j'étais après deux ans et demi dans cette Chambre ensemble, mais ce n'est pas mon cas, quant à lui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gaulin: Alors, vous avez donc, M. le Président, une preuve que ce qui nuit le plus à cette qualité de la langue, c'est cette espèce de dichotomie qu'il y a entre le français et l'anglais constamment chez nous. Un jour, Gaston Miron est parti pour la France avec Paul-Marie Lapointe. Ils sont arrivés pour passer sur un pont et Gaston Miron a dit à Paul-Marie Lapointe: «Arrête! Arrête!» Il est sorti, il est descendu de voiture, il s'est rendu sur le pont, il a bien vérifié s'il était solide et il a dit: «Je pense qu'on peut passer.» Alors, Lapointe lui a dit: «Mais qu'est-ce que tu as, tu es malade?» Il a dit: «Non, c'est parce que ça n'était pas marqué "pont bridge". Je me demandais si c'était solide.»

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gaulin: Bien, M. le Président, le même Gaston Miron nous dit que, quand il est arrivé dans le métro de Paris et qu'il a vu le mot «portillon», il a compris que ce bilinguisme de naissance nous empêchait d'accéder à notre langue, parce qu'une porte «door», en français, ça peut être une porte, un portique, un portillon, un portail, un «porteau». Voilà la richesse de notre langue!

Des voix: Bravo!

M. Gaulin: M. le Président, moi, je suis un peu tanné de vivre dans cet anémisme linguistique, puis je n'accepterai pas qu'en plus on me reproche de mal parler ma langue ou qu'on reproche à des Québécoises et à des Québécois de mal parler leur langue. Je vais leur dire, comme répondait Gilles Vigneault, un jour, à une dame qui lui disait: «M. Vigneault, vous ne trouvez pas que "La danse à Saint-Dilon", ce n'est pas très soigné? Est-ce que vous trouvez votre français suffisamment châtié?» Il lui a répondu: «Madame, vous avez raison, mon français, il n'est pas châtié, il est puni.» C'est ça, notre condition.

Une voix: Bravo!

M. Gaulin: J'entendais des gens, de l'autre côté, dire qu'on n'est pas prêts à l'ouverture, qu'on est frileux. M. le Président, être ouvert, ça ne veut pas dire, l'hiver, ouvrir les fenêtres, ouvrir les portes. Une maison, c'est une maison qui doit avoir des ouvertures, mais qui doit avoir la possibilité de garder son chauffage, de garder son énergie, de garder sa chaleur, de garder son identité. Une maison ouverte à tout vent, ce n'est pas une maison qui a une identité. Le Québec n'est pas une auberge espagnole. Le Québec, c'est un pays, c'est un territoire qui a une culture donnée et qui parle une langue donnée. Nous parlons ici la langue de Molière et de Miron, d'abord, avec cette ouverture à d'autres langues modernes, mais la langue officielle de l'État, la langue officielle de l'enseignement, la langue officielle de l'économie, la langue officielle de l'administration, c'est le français.

On nous a parlé aussi du vieux démon qu'est le débat de la langue. C'est le député de LaFontaine qui disait ça. Le vieux démon, c'est quoi, ça, M. le Président? D'ailleurs, je ferai remarquer ici que nous avons maintenu dans cette loi n° 40 une partie de la loi 86, l'affichage bilingue, parce que nous savons qu'il y a eu là-dessus une infirmation de la Cour suprême du Canada parce qu'on a décidé, parce que nous n'étions pas encore dans un pays souverain, que la langue commerciale appartenait aux droits de la personne, ce qui n'est pas le cas, selon nous. Mais, tant qu'on n'est pas sortis de ce pays qui s'appelle le Canada, nous allons être tolérants là-dessus, avec cette ouverture, bien sûr, à une communauté qu'on reconnaît comme une minorité historique, qui s'appelle la communauté anglophone, et pour laquelle nous sommes très généreux, dans l'ensemble.

Alors, M. le Président, je terminerai peut-être en renvoyant le député d'Outremont, qui a joué sur le langage – et j'apprécie beaucoup d'ailleurs son esprit, ça m'a fait plaisir – au dictionnaire. Oui, je termine, M. le Président. Il parlait du bouquet de la ministre. La députée de Sherbrooke a parlé aussi du bouquet qu'a la loi n° 40, comme on parle du bouquet d'un vin. Mais, moi, je lui parlerai, au député d'Outremont, du bouquet au sens juridique, c'est-à-dire la partie du prix à payer immédiatement au vendeur. C'est une sorte de caution qu'on a à donner du fait de ne pas être encore souverain, le bouquet, ici, pour moi. Et, si je voulais m'amuser un peu, puisque c'est quand même la nuit, je dirais que nous ne voulons pas nous laisser cuire, parce que le bouquet peut aussi être une crevette rose à chair ferme qui rougit à la cuisson.

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Gaulin: Je terminerai, M. le Président, par une poésie orale sonorisée. Je me suis toujours promis que je le ferais à l'Assemblée nationale. J'ai vérifié: nos règlements ne nous l'interdisent pas. Je reprendrai donc une phrase d'un vieux folklore: «Vi-i-vrons-nous toujours en tristesse? N'aurons-nous jamais la liberté?» Merci, M. le Président.

(2 h 20)

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Taschereau. Alors, nous allons céder maintenant la parole au député de l'Acadie.


M. Yvan Bordeleau

M. Bordeleau: Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député.

M. Bordeleau: Alors...

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, messieurs. Alors, M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Oui, merci. Alors, je regrette que l'enthousiasme que suscite le député de Taschereau auprès de ses confrères ne soit pas partagé par l'ensemble de la population du Québec. Si on avait l'occasion de faire le débat qu'on fait présentement, à 2 h 20 de la nuit, en plein jour, je pense que la population aurait pu apprécier les talents de chanteur du député de Taschereau. Alors, M. le Président...

Une voix: Jaloux!

M. Bordeleau: Non, pas jaloux, appréciateur.

Des voix: Ah!

M. Bordeleau: M. le Président, si j'interviens dans le cadre du projet de loi n° 40, c'est essentiellement parce qu'il s'agit d'un projet de loi important, et on sait que toute la question linguistique a toujours été au Québec une question importante, émotive parce que ça touche fondamentalement l'essence même de la société québécoise.

Je voudrais attirer l'attention sur un aspect particulier du projet de loi n° 40 sur lequel j'aurai l'occasion d'intervenir plus longuement. On dit: C'est la création de la Commission de protection de la langue française et, dans les notes explicatives, on nous dit: «Cette Commission, composée de trois membres dont un président, sera chargée d'assurer le respect de la Charte. À cette fin, elle pourra effectuer des inspections et des enquêtes et, le cas échéant, déférer le dossier au Procureur général pour que celui-ci intente, s'il y a lieu, les poursuites pénales appropriées. Le projet de loi vient aussi préciser l'application de la Charte sur le plan pénal en ce qui a trait notamment aux inscriptions sur les produits, à la présentation de menus, à certaines publications et à l'offre sur le marché de jouets ou de jeux.» Vous avouerez, M. le Président, qu'en lisant une description comme celle-ci ce n'est pas très réjouissant de prendre connaissance un peu du caractère négatif, défensif de ce projet de loi. La question qu'on peut se poser, c'est: Est-ce que c'est bien nécessaire d'avoir un projet de loi qui a une facture aussi négative?

D'abord, je tiens à signaler que, comme membre du Parti libéral du Québec, je suis très fier du rôle que le Parti libéral du Québec a joué à titre d'initiateur dans la protection et la promotion de la langue française au Québec. Et je voudrais, si vous me le permettez, rappeler un extrait que je tire d'un volume sur les grands débats parlementaires où on dit, et je cite: «Ce projet constitue un cadre législatif qui couvre tous les aspects du problème linguistique. Il ne prévoit pas le détail sur le plan de l'application, ce qui serait utopique. En revanche, il met en place une véritable dynamique de francisation. Il permet d'aller le plus loin possible, tout en ménageant les étapes nécessaires et en protégeant les droits individuels des citoyens.

«Quant à la minorité anglophone, je m'adresse aussi à elle: son inquiétude est réelle, et le gouvernement la reconnaît. Le projet de loi ne vise pas à brimer qui que ce soit. S'il donne la priorité au français, il ménage les transitions nécessaires et protège les droits individuels. M. le Président, cette loi, parce qu'elle tient compte des principes de l'équité et de la justice, des droits collectifs et des libertés individuelles, se présente véritablement, à mon sens, comme un acte historique.»

C'était un discours qui était prononcé, le 12 juillet 1974, par M. François Cloutier, membre du cabinet de M. Bourassa. Alors, on voit que tout ce débat-là – et les objectifs que nous poursuivons, je pense, des deux côtés de la Chambre, c'est-à-dire la protection et la promotion de la langue française qui caractérisent la société québécoise, c'est le gouvernement libéral qui l'a initié avant même que tout gouvernement du Parti québécois ait été élu. Alors, c'est dans ce sens-là que je suis fier du bilan des actions du Parti libéral.

On pourrait mentionner aussi que M. Bourassa a été un des premiers ministres qui ont développé le plus les relations du Québec avec la France, ce qui a permis également des échanges qui ont favorisé le développement de la culture française et un enrichissement mutuel entre la France et le Québec. On connaît les liens serrés qui existent entre la France et le Québec. Le projet de loi 86 est un projet de loi aussi qui a été fait sous la gouverne de M. Bourassa. Et c'est un projet de loi qui avait atteint un objectif de paix sociale, de consensus et qui avait donné, à mon avis, des résultats tout à fait positifs, et qu'on avait obtenus, au fond, dans un respect mutuel au niveau des relations entre la majorité et la minorité.

Alors, M. le Président, je crois que le Parti libéral du Québec n'a pas de leçon à recevoir du Parti québécois qui se prétend faussement et avec une certaine suffisance le seul défenseur des intérêts du Québec français. Je pense que le Parti libéral a fait ses preuves, a fait ses classes à ce niveau-là, et c'est tout à fait à l'aise que je veux faire part de notre opinion sur la question.

M. le Président, pourquoi le projet de loi n° 40? Est-ce bien nécessaire, tel que je le décrivais tout à l'heure? Je pense que la meilleure réponse qu'on peut tirer de tout ça, c'est de regarder les objectifs. Et l'objectif principal, au fond, c'est de développer au Québec une langue commune, qui est le français, qui est partagée par l'ensemble de la population du Québec.

Le gouvernement avait demandé, il y a quelques mois à peine, un rapport d'un comité interministériel sur la situation de la langue française au Québec. Je veux juste lire quelques extraits au niveau des résultats, des constats qui vont nous permettre de faire un bilan, disons, des 20, 25 dernières années en termes d'évolution linguistique au Québec. Un premier extrait que je veux citer, M. le Président, est au niveau de la connaissance du français. On y dit, dans le rapport soumis au gouvernement du Parti québécois, je cite: «Dans l'ensemble du Québec, on observe une progression de la connaissance du français, qui passe de 89 % à 94 % en 20 ans. La connaissance du français a augmenté depuis 1971, aussi bien chez les anglophones que chez les allophones. Le pourcentage d'anglophones capables de soutenir une conversation en français est passé de 37 % à 59 % entre 1971 et 1991. Chez les allophones, ce pourcentage est passé de 47 % à 69 %.»

Un peu plus loin, M. le Président, on parle de la langue de travail, et je cite un autre extrait: «La main-d'oeuvre francophone a augmenté sensiblement au sein de la population active du Québec.» Dans la même section, on dit également: «Partout au Québec, le pourcentage de la main-d'oeuvre travaillant généralement en français a augmenté. Dans 82 % des entreprises de la région de Montréal, les travailleurs utilisent le français de façon prédominante dans leurs communications écrites.»

Un autre extrait, M. le Président, concerne plus particulièrement la langue d'affichage, alors l'objet du débat que nous avons présentement. On y lit: «On constate que 87 % des messages commerciaux de l'île de Montréal sont rédigés en français: 80 % en français seulement et 7 % bilingues.» Alors, ce sont des chiffres qui sont très éloquents.

Si on regarde maintenant la question de la langue d'enseignement, on peut y lire: «L'obligation faite aux jeunes immigrants de recevoir leur enseignement en français a fait passer le nombre d'allophones inscrits à l'école française de 13 000 à 76 000, soit une augmentation de 20 % à 79 % depuis l'adoption de la Charte de la langue française.» Plus loin, on peut lire: «La proportion des allophones qui choisissent d'étudier en français au collégial et à l'université est en croissance. Elle est maintenant de 46 % au collégial et de 47 % à l'université.»

(2 h 30)

Au niveau de l'intégration des immigrants, qui est une caractéristique importante dans la région de Montréal, on peut y lire: «Au recensement de 1991, 70 % des allophones déclaraient être capables de soutenir une conversation en français.» C'est la première fois, en 1991, que les allophones immigrés déclarent connaître davantage le français que l'anglais, et, chez les allophones arrivés depuis 1976, cette connaissance est plus répandue, quel que soit leur âge et quelle que soit leur région de résidence.

Essentiellement, M. le Président, si on essaie de faire une synthèse des principaux constats, on peut y lire: Cela ne veut pas dire pour autant... C'est-à-dire, nous avons relevé neuf domaines où se manifeste cette généralisation ou cette valorisation du français depuis 1977, et je les énumère rapidement: augmentation du nombre de francophones sur le marché du travail; réduction presque complète des disparités salariales reliées aux caractéristiques linguistiques des travailleurs; fréquentation de l'école française par une grande majorité de jeunes immigrants; accroissement de la connaissance et de l'usage du français chez les allophones et les anglophones; l'accroissement de l'usage du français chez les travailleurs; accroissement de l'usage du français dans la vie des entreprises; la nouvelle tendance de l'immigration et de l'intégration plus favorable au français; l'accueil et les services en français dans les commerces et les services; le visage prédominant du français dans l'affichage à Montréal.

Alors, M. le Président, quand on regarde ces données, on peut se poser la question: Pourquoi le projet de loi n° 40? Pourquoi? On a des données qui ont été préparées à la demande du gouvernement par un comité interministériel, et les constats qu'on y fait sont loin d'être aussi alarmistes que le prétend le gouvernement.

Tout à l'heure, j'écoutais le député de Taschereau qui faisait des allusions à la souveraineté. Si vous permettez, M. le Président, j'aimerais peut-être aborder cette question-là rapidement aussi. Sur le plan du développement culturel, le gouvernement du Parti québécois a fait état à de nombreuses reprises de l'incapacité d'assurer le développement de la culture française qui caractérise le Québec au sein du Canada et de l'Amérique du Nord. Que s'est-il effectivement passé au Québec, M. le Président, au cours des 30 dernières années, sur le plan culturel et linguistique? La culture québécoise, dont la langue française est un volet important, est certes unique et constitue un élément essentiel dans l'affirmation et l'identité de la société québécoise. Au cours de ces dernières années, les gouvernements successifs du Québec ont réclamé et affirmé la juridiction québécoise afin de pouvoir exercer pleinement leur compétence dans le domaine de la culture.

Le Québec dispose actuellement des pouvoirs et des moyens nécessaires pour assurer sur son territoire la présence et le dynamisme de la culture française. Mentionnons, à titre d'exemples, l'existence du ministère de la Culture créé par le Parti libéral du Québec, une politique culturelle qui fait largement consensus au Québec, le Conseil des arts et des lettres du Québec, la Société de développement des entreprises culturelles.

De plus, il faut reconnaître que les institutions fédérales ont toujours bien servi les artistes québécois francophones. D'ailleurs, pour eux, l'intervention des deux paliers de gouvernement représente une certaine garantie pour assurer le développement culturel du Québec. Signalons en effet, par exemple, en 1993-1994, que les fonds des organismes culturels fédéraux ont été distribués au Québec comme suit – et je rappelle ici que la proportion de la population du Québec est à peu près de 25 %: alors, le Conseil des arts, 32 %; Téléfilm Canada, 37 %; l'Office national du film, 40 %; Radio-Canada, 37 %.

Alors, aujourd'hui, M. le Président, nos films, nos danseurs, nos comédiens, nos chanteurs, nos gens de théâtre, nos peintres portent aux quatre coins du globe le message d'un Québec moderne, dynamique, ouvert sur le monde, un Québec qui s'est développé avec son caractère francophone à l'intérieur du Canada. La vision frileuse que propage le Parti québécois constitue, sur le plan de la culture, une incohérence manifeste avec la réalité du contexte canadien tel que la grande majorité des Québécois peut le percevoir.

D'ailleurs, dans un article paru dans Le Devoir du 13 décembre 1994, le journaliste Robert Lévesque expliquait la réputation de nos artistes québécois à l'étranger en ces termes, et je cite: «À cet égard, s'il n'y avait eu l'aide des ministères fédéraux comme celui des Affaires extérieures et de l'Office des tournées du Conseil des arts, les voyages des artistes québécois à l'étranger se compteraient sur les doigts d'une main depuis 20 ans.» De plus, M. Serge Turgeon, président de l'Union des artistes, précisait en 1990 devant la commission Bélanger-Campeau ce qui suit, et je cite: «C'est vrai que Radio-Canada, que l'ONF ont fait une oeuvre extraordinaire, ont été des instruments privilégiés pour la culture francophone de ce pays. C'est vrai que Radio-Canada a eu ses heures de gloire. On a tellement fait ressortir des talents, on a produit des émissions, on a montré aux Québécois ce que pouvait être une culture qui leur ressemblait.»

Comment le gouvernement actuel peut-il prétendre, comme il le fait actuellement, que la culture québécoise francophone est en danger d'extinction? M. le Président, tous les faits démontrent clairement que la perception de la population n'est pas du tout celle que veut nous transmettre le gouvernement actuel.

Et, dans ce sens-là, si on regarde quelle est la perception de la population, il y a un sondage qui a été fait en septembre 1996 où on dit: «Les Québécois confirment la préférence de la population pour le maintien de la loi 86. 84,5 % des personnes interrogées se déclarent très favorables ou favorables à ce que les commerces continuent d'afficher dans les deux langues avec une nette prédominance du français. Dans la même logique, les hypothèses de durcissement ou d'assouplissement des politiques gouvernementales ne font pas consensus.»

Alors, ça, M. le Président, je pense que le gouvernement l'a réalisé, puisque, au moment du congrès qu'ils ont eu récemment, on les a vus, à l'intérieur d'une période de 24 heures, faire un virage absolument incompréhensible. D'abord, ces gens-là qui sont l'autre côté se sont fait élire – tous à l'exception du premier ministre, qui n'a pas été élu avec le programme du Parti québécois, et on voit les distances qu'il prend par rapport à ce programme-là – avec la promesse de rejeter la loi 86. Et juste rappeler, par exemple, que, durant les débats du Congrès du Parti québécois, les péquistes se sont prononcés à 132 contre 88 pour le rétablissement de l'unilinguisme français dans l'affichage, y compris le nom des commerces. Il y a également eu un vote de 128 contre 88 pour la fréquentation obligatoire des cégeps francophones. Ça, c'était le vendredi, je crois, et le samedi le premier ministre faisait sa crise et faisait du tordage de bras, et tous les gens d'en face, maintenant, ne juraient que par les vertus de la loi 86, la loi que le gouvernement du Parti libéral avait mise en place et qu'eux, à la dernière élection, prenaient l'engagement d'éliminer et de remplacer intégralement par la loi 101.

Alors, on voit qu'on a un gouvernement très ambivalent vis-à-vis la question linguistique, et les gens ont raison d'être inquiets parce que ce n'est pas des positions qui sont très, très solides. On a vu que ce sont des positions qui sont souvent prises tout simplement pour des questions de politique...

M. Sirros: Question de règlement, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Je m'excuse auprès de mon collègue, mais j'ai l'impression qu'à 2 h 40 du soir, M. le Président, il faudrait au moins vérifier qu'il y a assez de députés en cette Chambre pour que le quorum soit respecté.

Le Vice-Président (M. Pinard): ...23, 24, 25, 26. Alors, on est au-delà du quorum, M. le député de Laurier-Dorion. En conclusion, M. le député de l'Acadie, s'il vous plaît.

(2 h 40)

M. Bordeleau: Oui. Alors, M. le Président, je disais que la loi 86 était la loi qui avait été mise en place par le gouvernement du Parti libéral et que c'était une loi qui était basée sur le réalisme. Le réalisme, c'est que la culture française, le français est utilisé, et c'est les documents du gouvernement actuel qui le démontrent d'une façon très claire. C'était une position qui était fondée sur la bonne volonté, la sensibilisation et l'explication de l'importance de maintenir une culture française au Québec, sur le respect des compatriotes anglophones, sur la solidarité, contrairement à ce qu'est l'essence du projet de loi n° 40, où on institue à nouveau la police de la langue.

Et on voit que c'est un projet de loi qui a essentiellement un caractère défensif, un caractère qui sent la méfiance, qui sent l'absence de confiance dans le dynamisme de la société québécoise. C'est un projet de loi qui met l'accent sur la répression. On a parlé des procédures du Procureur général, des procédures pénales. Alors, on met l'accent sur la répression, sur la coercition. Et, à mon avis, rien ne permet de justifier actuellement, en se basant sur la réalité des faits, que le gouvernement soit appelé à déposer un projet de loi comme ça. C'est la raison pour laquelle on va continuer à poursuivre les objectifs qu'on recherchait avec le projet de loi 86, qui avait développé un consensus et qui avait permis un équilibre linguistique qui assurait à la fois la paix linguistique et le développement, l'essor de la culture française au Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de l'Acadie. Nous cédons maintenant la parole au député de Dubuc. M. le député.


M. Gérard R. Morin

M. Morin (Dubuc): Merci, M. le Président. Considérant que l'opposition officielle semble s'attaquer davantage à un volet du projet de loi, soit celui qui a pour effet de réinstaller la Commission de protection de la langue française, je m'en tiendrai uniquement à ce volet du projet de loi. Et, pour ce faire, j'utiliserai deux approches: d'abord une référence à un sondage sur les attentes de la population en faveur d'une Commission de protection de la langue française; et, dans un deuxième temps, j'utiliserai les propos du gouvernement libéral des années quatre-vingt-dix, propos qu'il tenait devant un comité de l'ONU, en faveur de l'unilinguisme dans l'affichage. Alors, à ce moment-là, nous verrons, pour utiliser une expression souvent utilisée par l'opposition, soit un parti qui utilise un double langage. Entre ce que le gouvernement d'alors, le gouvernement libéral, a utilisé et ce qu'il a fait par la suite, on sera en mesure de démontrer l'incohérence.

Dans un premier temps, M. le Président, je vous rappelle qu'en septembre dernier un sondage de SOM- La Presse et Télé-Québec posait la question: Selon vous, le Québec a-t-il besoin d'une Commission de protection de la langue française? Alors, brièvement, rappelons que, dans le secteur de Québec, 64 % favorables; Montréal métro, 54 %; et, ailleurs en province, 72 %.

Alors, la première question qu'on se pose, c'est: Comment se fait-il que, dans les autres régions et même dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où la population est à 99 % et quelques francophone, ces gens-là répondent, à une telle question: Oui, une Commission de protection de la langue française est nécessaire? Comment se fait-il, alors que le français est bien instauré, qu'il n'y a pas d'influence démesurée de la langue anglaise, qu'on exige et qu'on veuille la réinstallation d'une telle commission? C'est tout simplement pour la raison qu'on se souvient: que les gens de la région ont la mémoire longue, et d'autres régions aussi sans aucun doute.

On se souvient de la situation du français, particulièrement au niveau de la langue du travail, avant la venue de la loi 101, de la Charte de la langue française: situation déplorable. Pour utiliser l'expression de mon collègue de Taschereau, une langue, lorsqu'elle ne domine pas, elle est véritablement dominée, et c'était le cas. Parce que, vous savez – peut-être, je peux me permettre un petit rappel historique – la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, comme d'autres peut-être, a connu un essor économique par l'implantation de grandes industries multinationales du secteur du papier ou de l'aluminium, Consolidated-Bathurst, Price, Donohue, Domtar, etc., ce qui a eu pour effet, même à l'intérieur d'une région fortement francophone, de faire en sorte que la langue française était totalement absente.

Les gens, mon père, qui travaillaient dans une usine de papier, et d'autres du même âge, lors de la venue des comités de francisation, beaucoup, des centaines de personnes, ont dû prendre une retraite anticipée devant le choc que cela a occasionné, M. le Président, devant l'obligation de parler français, des gens, francophones, Québécois, disons-le, pure laine, se sont vus totalement démunis devant cette nouvelle obligation de parler français. Incroyable! Parce que, effectivement, la Charte, avec ses comités de francisation, a dit: C'est le temps maintenant de parler français. Alors, mon père, comme d'autres, quand il faisait ses rapports, les faisait en anglais. Alors, devant l'obligation de maintenant les faire en français, chose qu'il n'avait jamais faite... Alors, c'était une situation incroyable.

Alors, ceux qui prétendent que le français n'a jamais été en danger ne se souviennent pas, sont aveugles, ont perdu la mémoire. Le simple fait, M. le Président, de penser un instant que le gouvernement du Parti québécois ne serait pas arrivé en 1976 et que cette Charte de la langue française ne serait pas arrivée au Québec, le simple fait d'y penser quelques instants me donne des frissons sur ce que serait la situation de la langue française au Québec.

Et je pourrais aller plus loin. Étant du milieu syndical, il serait peut-être abusif de rappeler que la première convention collective à l'intérieur de la Consolidated-Bathurst était une convention unilingue anglaise, hein, avec des travailleurs à 100 % francophones. Je pense que ceux qui prétendent que les lois ne sont pas nécessaires dans notre environnement nord-américain pour protéger la langue française, bien, encore là, je le répète, ont perdu la mémoire ou ne veulent absolument pas se souvenir.

Voilà un petit rappel historique qui explique pourquoi chez nous comme dans d'autres régions on tient à ce qu'une commission soit sur place pour protéger la langue française. Et, pour appuyer ces propos, je vais me référer à ceux qu'a entretenus le gouvernement libéral des années quatre-vingt-dix, lors d'une intervention auprès d'un comité de l'ONU, justement sur l'affichage. C'est presque inconcevable que l'opposition aujourd'hui puisse renier, balayer du revers de la main les arguments qu'elle endossait à ce moment-là, il y a à peine cinq ans, soit en 1992, arguments qui demeurent pertinents à tout point de vue, parce que, sur le plan sociopolitique, rien n'a changé, et je pense que les arguments d'alors sont encore bien présents.

Je vais me permettre de citer textuellement, et peut-être qu'on aura de la misère à le croire, on dira: C'est la nuit, je pense que c'est un cauchemar. C'est incroyable, ce que je vais citer, que ces propos viennent de la bouche de l'ancien gouvernement libéral, après ce qu'on a connu de la venue de la loi 86, la disparition de la Commission de protection de la langue française et son opposition aujourd'hui à la réinstallation de cette Commission.

(2 h 50)

Donc, le gouvernement du Québec du temps rappelait, et je cite: «Tout au long de leur histoire, les francophones ont dû lutter pour ne pas être assimilés et maintenir l'héritage distinct de leurs ancêtres.» Et, après avoir passé en revue l'histoire constitutionnelle du Canada en commençant par le Traité de Paris – on est allé aussi loin que ça, 1763 – en passant par la Proclamation royale, l'Acte de Québec, 1774, le rapport Durham, l'Acte d'Union de 1840, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982 et, bien sûr, l'épisode du lac Meech de 1987 et 1990, le gouvernement, après avoir fait toute l'histoire du Québec, concluait en ces termes: «Tous ces événements témoignent de la nécessité pour les francophones, face au danger toujours présent de voir leurs intérêts ignorés et menacés, de chercher à protéger leur langue et leur culture.»

D'ailleurs, à titre d'exemple, le mémoire libéral insistait fortement sur le fait que les modifications à la Constitution de 1982 s'étaient faites, et je cite, «sans le consentement du Québec, qui s'est vu imposer par le gouvernement fédéral et par le gouvernement des neuf autres provinces canadiennes, majoritairement anglophones, un nouvel ordre constitutionnel et que le Québec n'a jamais souscrit à ce nouvel ordre constitutionnel parce qu'il portait atteinte à ses droits et privilèges historiques». Ce sont des propos tenus par l'ancien gouvernement libéral.

Et je continue. Le gouvernement libéral d'alors exposait, toujours devant l'ONU, qu'il ne fallait jamais oublier que l'anglais, et je cite, «est, en Amérique du Nord, la langue massivement prédominante parce qu'elle est la langue nationale d'un des pays les plus puissants du monde, les États-Unis. Le groupe de langue française, au contraire, parle une langue minoritaire en Amérique du Nord et il souffre d'un isolement marqué, loin des autres populations francophones du monde».

Vous comprendrez que toutes ces déclarations – j'y reviendrai tout à l'heure – doivent nous amener à des obligations. On ne peut tenir de tels propos sans s'engager à des gestes concrets. Et encore peut-être une petite ou deux citations. Parce que ce n'est quand même pas le Parti québécois qui dit cela, là, ni des nationalistes frileux, ni ceux auxquels faisait référence tout à l'heure un collègue de l'opposition, à l'occasion du dernier congrès du Parti québécois. C'est le gouvernement, l'ancien gouvernement libéral, dans son mémoire officiel déposé devant les Nations unies, qui disait que «la francisation demeure toujours un acquis fragile».

Et, concernant de façon plus précise l'unilinguisme dans l'affichage – parce que ça, il faut se rappeler que c'étaient quelques années avant la venue du projet de loi 86 – voici les propos que tenait le gouvernement d'alors en faveur de l'affichage unilingue. On disait: «L'unilinguisme dans l'affichage est volontairement circonscrit à la sphère de la publicité publique et commerciale extérieure parce que c'est là que la valeur symbolique de la langue en tant que moyen d'identification collective est la plus forte et la plus utile à la préservation de l'identité culturelle des francophones. En effet, le visage linguistique véhiculé par la publicité est un facteur important qui contribue à façonner les habitudes et les comportements qui perpétuent ou influencent l'utilisation d'une langue. Il s'agit de mesures spécifiquement conçues à lui procurer, dans les faits, un statut égal, afin de donner à la communauté francophone dans son ensemble un sentiment de sécurité culturelle nécessaire à son bien-être et à son développement, dans le contexte particulier qui est le sien en Amérique du Nord.» Dixit l'ancien gouvernement libéral de 1990. On sait ce qui s'est passé par la suite.

Alors, M. le Président, je conclurai en disant qu'une telle plaidoirie, si elle n'est pas corroborée ou encadrée de moyens concrets, bien, ce n'est là que des voeux pieux, des déclarations futiles, du simple verbiage; en fait, ce que le gouvernement libéral d'alors a refusé de faire, c'est de se donner des moyens pour faire en sorte que ces inquiétudes par rapport à l'existence du français en Amérique du Nord... qu'il soit véritablement protégé, soit par le maintien de la Commission de protection de la langue française. Il ne l'a pas fait, il l'a éliminée.

Donc, c'est pour cette raison que – et vous devez bien vous en douter – je serai en faveur – et cela, sans réserve, et c'est peu dire – du projet de loi n° 40, et particulièrement pour ce volet de cette loi, soit celui qui touche la réinstallation de la Commission de protection de la langue française. Je dis bravo à Mme la ministre d'avoir eu le courage politique de nous présenter ce projet de loi et je vous remercie beaucoup.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Dubuc. Nous céderons maintenant la parole au député de Richmond. M. le député.


M. Yvon Vallières

M. Vallières: Merci, M. le Président. Vous me permettrez, à mon tour, de m'inscrire dans ce débat. Je voudrais pouvoir également, comme bien d'autres qui m'ont précédé, participer, contribuer aux efforts de l'opposition officielle afin de convaincre le gouvernement qu'il fait fausse route dans ce dossier. Malheureusement – et je le ferai avec tout le calme que requiert l'heure tardive à laquelle on prend la parole en cette Chambre – c'est encore prendre la parole sur un projet de loi que je me dois de dénoncer comme toute une série, toute une ribambelle d'autres législations ou d'autres intentions du gouvernement actuel, qui, à mon avis, donne des signes très directs de déconnexion complète de la réalité québécoise.

Vous me permettrez, M. le Président, d'abord de vous indiquer que la réouverture comme telle du débat linguistique au Québec ne constitue pas la trouvaille du siècle. Elle nous permet cependant d'apprécier en cette Chambre la verve très colorée de certains de nos collègues. Une verve d'ailleurs livrée avec beaucoup d'intensité par certains orateurs qui s'expriment ici. Mais vous me permettrez également de vous indiquer jusqu'à quel point le débat linguistique me semble être devenu une espèce de virus qui mine la société québécoise, qui s'attaque, à chaque fois que nous nous y adressons, à notre solidarité, une maladie grave, je dirais, qui nous divise, qui nous gruge de façon presque continue au Québec.

(3 heures)

Le projet de loi que nous avons devant nous, M. le Président, témoigne de cette réalité, de cette énergie extraordinaire qui est consacrée à un débat, à mon humble avis, qu'il n'est pas à propos de ressusciter. Réintroduire la police de la langue au Québec, est-ce croyable à partir du moment où... Et plusieurs de mes collègues ont mentionné les constats qui ont été faits. Est-ce croyable de rouvrir ce débat qui n'a pas lieu d'être compte tenu de la situation actuelle? Et j'entrevois le ministre d'État à la Métropole. J'imagine qu'il aura l'occasion de nous indiquer, à l'intérieur de ce débat, comment, lui, il envisage les effets de cette loi, comment, lui, il voit l'avenir de la langue française dans la grande région métropolitaine et aussi comment il voit les gestes que se prépare à poser le gouvernement comme impact direct face au mandat qu'il a reçu du premier ministre à l'endroit de la région métropolitaine. Il aura très certainement, M. le Président, l'occasion d'en faire part.

Vous me permettrez, M. le Président, également de vous indiquer jusqu'à quel point je trouve un peu aberrant qu'à cette heure de la nuit – on dépasse maintenant les 3 heures – en pleine nuit, nous ayons à discuter d'un projet de loi qui, si je me fie aux interventions de l'autre côté, revêt une importance absolument extraordinaire. En pleine noirceur, M. le Président, à tout le moins à l'extérieur de nos murs, je pense qu'il n'y a pas de quoi être fiers de la part du gouvernement. Je sais d'ailleurs que plusieurs de mes collègues qui sont ici, du côté ministériel, M. le Président, ne sont pas fiers de cette situation de devoir travailler, comme nous le faisons, en pleine nuit, en fait, de venir modifier une loi aussi fondamentale que la Charte de la langue française et qu'on le fasse ou à tout le moins qu'on donne l'impression de vouloir le faire presque en cachette, alors que le Québec au complet dort, en pleine nuit.

Alors, M. le Président, permettez-moi donc de vous indiquer que non seulement ce projet de loi n'est pas à propos, mais le moment qu'on choisit pour en débattre ne me paraît pas, non plus, être tout à fait d'une logique dont on pourrait largement débattre mais dont je me priverai. Je remarque d'ailleurs la présence, en rotation, de plusieurs ministres qui participent à nos débats de nuit. Et, si je me fie, M. le Président, à toute la pléiade de projets qui nous sont présentés depuis quelques semaines, depuis l'ouverture de la session, je pense qu'ils auraient tous avantage à prendre du sommeil plutôt qu'à être ici, et à préparer des interventions qui permettent d'atteindre un plus haut niveau de satisfaction de la population à l'endroit de ces politiques qui sont mises de l'avant par le gouvernement du Québec par les temps qui courent.

M. le Président, vous me permettrez, afin d'introduire davantage mon intervention ou le but de mon intervention, de rappeler quelque peu, à tout le moins une déclaration bien importante du 14 mai 1993, dans le journal Le Soleil , où on pouvait lire en titre: «Lucien Bouchard d'accord avec l'affichage bilingue». Vous me permettrez de citer, M. le Président, celui qui est devenu, depuis cette époque, le premier ministre du Québec, donc ce n'est pas le dernier des venus. Et ce que nous disait M. Bouchard, à ce moment-là, dans l'article...

Une voix: Le premier ministre.

M. Vallières: ...et je le cite: «Le discours nationaliste a besoin de plus d'ouverture, de flexibilité et d'oxygène, a déclaré M. Bouchard, au cours d'une entrevue accordée au quotidien montréalais.»

Une voix: Le premier ministre.

M. Vallières: Alors, M. le Président, je continue la citation: «Contrairement aux ténors du nationalisme, Lucien Bouchard est en faveur de l'affichage bilingue...»

Des voix: ...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Richmond, vous savez, depuis déjà quelque temps, qu'il y a une règle qui a été établie ici: aucun ministre, premier ministre ou député ne peut être nommé de par son nom de famille. Alors, soit le premier ministre du Québec ou encore le député de Jonquière. Alors, transposez la déclaration du journaliste en fonction des règlements de l'Assemblée nationale. M. le député.

M. Vallières: Oui, M. le Président, je préfère le député de Jonquière au premier ministre. Cependant, vous constaterez avec moi, M. le Président, que, quand on cite un article de journal, il faudrait peut-être voir à amender notre règlement, parce que je ne vois pas comment on peut citer en le citant autrement que la façon dont il est écrit.

Je continue, M. le Président, la citation: «Le malaise que les gens éprouvent devant la prohibition d'une langue dans l'affichage, le prix qu'on paie à l'extérieur à cause de ça, comme on l'a vu avec l'Organisation des Nations unies, tout cela est vrai. Il y a un irritant, et, comme les autres Québécois, je souhaite que ça se règle, a-t-il souligné. Car les anglophones sont importants au Québec. Et, si on veut réussir ou quoi que ce soit, il faut qu'on les ait avec nous, qu'il y ait des consensus.» Fin de la citation, M. le Président.

M. le Président, est-ce que le premier ministre aurait à nouveau changé d'idée? Ou encore, M. le Président, est-ce que ce projet de loi que nous avons devant nous, le projet de loi n° 40, correspond à cette volonté, exprimée à ce moment-là par celui qui est devenu premier ministre, d'établir des consensus au Québec avec ceux qui constituent la minorité sur le territoire et qui sont, de façon générale, des parlants anglais?

Je pense, M. le Président, que cette intervention de l'époque, d'il y a quelque trois ans, situe bien ce que pensait, à ce moment-là, celui qui est devenu premier ministre. Et je crois, bien honnêtement, que la ministre, par le biais de son projet de loi, va complètement à l'encontre de cet objectif de recherche de consensus, objectif louable, à ce moment-là, exprimé il y a plus de trois ans par celui qui est devenu le premier ministre du Québec.

Mais, depuis l'arrivée au pouvoir de ce gouvernement, très rapidement, plusieurs gestes ont été posés afin de nous conduire à l'exercice que nous vivons présentement. Et je rappellerai que, en septembre 1995, le ministre de l'époque annonçait la création d'un Comité interministériel sur la situation de la langue française. En mars 1996, le Comité interministériel sur la situation de la langue française rendait public le bilan de la situation de la langue française au Québec, intitulé «Le français, langue commune: enjeu de la société québécoise». En avril 1996, la ministre annonce le presque maintenant célèbre bouquet d'une quarantaine de mesures pour renforcer la place du français comme langue commune au Québec. Il n'y est nullement question de rétablir la Commission de protection de la langue française. On précise même que le Conseil des ministres reçoit favorablement le rapport du Comité, où il est dit clairement qu'il n'est pas opportun de modifier la Charte de la langue française.

Le 10 juin 1996, la ministre dépose le projet de loi n° 40, qui vise notamment à rétablir la Commission de protection de la langue française, donc à modifier la Charte de la langue française; donc, c'est le projet de loi que nous avons devant nous. En août et début septembre 1996, la commission de la Culture a, quant à elle, tenu une consultation générale sur le projet de loi n° 40, où près de 50 groupes ont pu être entendus. Enfin, en novembre 1996, il y a eu dépôt du rapport sur l'évolution de la situation de l'affichage à Montréal, 1995 et 1996, par le Conseil de la langue française et l'Office de la langue française. Le constat, M. le Président? La situation est stable, de 1995 à 1996, et il n'est pas nécessaire de modifier la Charte de la langue française.

Mais, alors, pourquoi en sommes-nous aujourd'hui à étudier pareil projet de loi, qui fait exactement le contraire des résultats de cette consultation qui a été rendue publique et qui témoignait des constats qui ont été faits par les collègues du côté de l'opposition, ici, et qui sont indicatifs à l'effet qu'il n'y a pas lieu de présenter la pièce législative que nous avons devant nous cette nuit? M. le Président, je pourrais également vous faire part, si le temps me le permettait, de toute une série d'individus qui ont déjà envoyé des messages très clairs au gouvernement de ne pas rouvrir ce débat linguistique, même plus, des gens qui, très clairement, indiquaient qu'il n'y avait pas lieu de présenter la législation que nous avons devant nous ce soir.

Je parlais tantôt du ministre à la Métropole. Il a déjà lui-même fait des déclarations, comme, par exemple, quand il nous disait: «On ne doit pas se payer le luxe d'une lutte linguistique à Montréal.» C'est la position du gouvernement, nous disait-il à l'époque. Il serait intéressant de l'entendre aujourd'hui face à ce que présente sa collègue, afin qu'on voit s'il est en mesure, maintenant, de nous faire part de l'impact pressenti face à cette législation pour le travail que lui a donné le premier ministre, un mandat très précis à l'endroit de la métropole, à moins que lui aussi, le ministre à la Métropole, ait changé son point de vue, ait changé d'idée en cours de route.

Qu'on pense à Gérald Larose qui déclarait, quant à lui: «Lorsque le principal instrument d'application d'une politique linguistique est un ruban à mesurer, cela nous pose des difficultés. C'est humiliant, ridicule, honteux et risible.» Et, M. Ghislain Dufour, du Conseil du patronat du Québec, qui, lui, nous indiquait: «La Commission de protection de la langue française agresserait inutilement le milieu des affaires et la communauté anglophone.» Enfin, Aimé Gagné, du Conseil du patronat, toujours, qui disait que «c'est l'organisme le plus détesté au Québec; au lieu de servir la langue, il va la desservir». Alors, c'est sûr que, avec de pareilles déclarations de gens qui, à mon avis, ont de la crédibilité, puis des gens aussi qui connaissent bien le milieu, ça devrait être là des indications très claires au gouvernement de revenir sur sa décision. Il peut toujours surseoir à ce projet de loi et carrément le laisser mourir au feuilleton.

(3 h 10)

Je pourrais continuer la liste des gens. Je pense, par exemple, à M. Serge Turgeon qui, en commission parlementaire tenue sur la langue, indiquait que l'Union des artistes lance un appel à la modération, puisque c'est quand même un individu qui jouit d'une crédibilité assez exceptionnelle. Vous me permettrez de lire ce qu'il disait en conclusion, et je cite: «Pour résumer notre propos, l'Union des artistes constate avec le gouvernement que des progrès ont été accomplis depuis 20 ans, au Québec, sur le plan linguistique, que ces progrès doivent être consolidés et que les moyens à prendre pour les consolider doivent être adaptés à la réalité actuelle du Québec, une société plus mûre, plus sûre d'elle, prête à assumer davantage de responsabilités et à s'ouvrir toujours plus sur le monde.» Fin de la citation. Ça correspond, mais dit d'une autre façon, à peu près à ce que disait celui qui est devenu le premier ministre du Québec, qui recherchait le consensus et qui semblait, à l'époque à tout le moins, faire confiance au Québec d'aujourd'hui et qui voyait, avec d'autres lunettes que présentement, assez curieusement, l'avenir du Québec tout autrement que ce qui nous est présenté dans le projet de loi que nous avons devant nous.

Vous me permettrez, M. le Président, au cours des quelques prochaines minutes, de revenir sur un sujet qui a été soulevé par le député de Johnson en cette Chambre, il y a de cela quelques heures, je devrais dire, et qui faisait allusion à un problème linguistique qui a eu lieu au Centre universitaire de santé de l'Estrie. Et vous me permettrez de constater et de regretter l'approche intransigeante du gouvernement dans ce dossier, qui a utilisé... et qui a fait preuve d'une position tout à fait doctrinaire, qui s'est même permis, par le biais du ministre responsable du Développement des régions, d'accuser, de porter des accusations à l'endroit de la population anglophone, qui défendait son point de vue de façon honnête, en Estrie, dans ce dossier.

Et, M. le Président, vous me permettrez tout simplement de lire à ce sujet... et de répondre tout de suite au député de Johnson, qui disait que ce qui était fait en Estrie, ça correspondait tout simplement au geste de quelques extrémistes, de lui demander s'il a oublié le dépôt en cette Chambre de la pétition qui a été déposée par la députée de Saint-François, ici, en cette Assemblée, qui comportait quelque 12 000 noms en faveur des affiches bilingues au CUSE, en Estrie. Alors, je pense que, quand on assiste à une pareille mobilisation, tant de francophones que d'anglophones, en Estrie, on ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un groupement isolé qui revendique.

Vous me permettrez d'ailleurs d'indiquer pourquoi cette pétition avait été déposée, où on disait, quand on l'a déposée: «Attendu que la population des Cantons-de-l'Est vit harmonieusement ensemble depuis plus de 200 ans;

«Attendu que l'hôpital de Sherbrooke, le seul hôpital officiellement bilingue de l'Estrie, fut fermé l'an dernier par une manoeuvre du gouvernement provincial afin de transférer tous les services fournis par ce dernier aux autres hôpitaux généraux de Sherbrooke;

«Attendu que la manoeuvre distincte du gouvernement incluait la promesse de maintenir des services hospitaliers complètement bilingues;

«Attendu que l'Office de la langue française a jugé que le Centre universitaire de santé de l'Estrie a violé la loi en ajoutant quelques enseignes de bienvenue et de direction en langue anglaise sous les enseignes françaises déjà existantes...»

Enfin, M. le Président, il y avait ensuite dépôt comme tel de la pétition. Mais vous m'indiquez que mon temps s'achève. Vous me permettrez, M. le Président – et si le temps me le permettait – de vous indiquer comment les éditorialistes en région ont réagi, comme suite aux prises de position, entre autres, du ministre responsable du Développement des régions. Je vous lirai tout simplement le titre qui disait... Bien, là, c'est dur, parce que vous allez me blâmer de mentionner le nom du ministre, M. le Président, mais: «Dites à Guy Chevrette qui nous sommes». Simplement pour vous indiquer, M. le Président, jusqu'à quel point, tant les propos que les politiques de ce gouvernement sont complètement déconnectés de la réalité – réalité économique, réalité sociale, réalité linguistique – de par le projet de loi que nous avons devant nous ce soir.

M. le Président, plusieurs autres personnes se sont inscrites à l'intérieur de ce débat. J'aurai probablement, si le gouvernement ne revient pas sur sa décision, l'occasion de revenir sur le point de vue qui avait été donné entre autres par Michel David, qui n'y allait pas de main morte, qui parlait des apprentis sorciers dans le domaine linguistique de la part de ce gouvernement, de même que par M. Alain Dubuc, dans le journal La Presse , qui faisait part également de ses appréhensions face aux intentions du gouvernement.

Mais je me permettrai de terminer ici. Vous m'indiquez que mon temps s'achève, mais vous comprendrez que, compte tenu de l'heure qu'il est, enfin, 3 h 15, 3 h 16, je dois terminer ici cette allocution, même si j'aurais encore beaucoup de choses à dire.


Motion d'ajournement du débat

Mais vous me permettrez, en terminant, M. le Président, d'invoquer notre règlement, compte tenu de l'heure à laquelle nous sommes, afin que nous puissions, dans les minutes qui viennent, ajourner ce débat à demain. J'en fais donc motion.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, conformément à l'article 100 de notre règlement, une motion d'ajournement est déposée par le député de Richmond. Si vous consultez votre règlement, l'auteur a un droit de parole de 10 minutes, chaque groupe parlementaire, par la suite, a un droit de parole de 10 minutes, suivis d'une réplique de 5 minutes de l'auteur. Alors, M. le député de Richmond, vous avez un temps de parole de 10 minutes.


M. Yvon Vallières

M. Vallières: Oui. Alors, M. le Président, vous comprendrez que – je vous l'indiquais tantôt avant de terminer – j'aurais encore beaucoup de choses à dire sur ce projet de loi, mais j'ai terminé mon allocution en indiquant qu'il me paraissait qu'il était suffisamment tard pour que nous puissions attendre à demain afin de continuer ce débat. J'ai eu l'occasion d'entendre, depuis quelques heures, autant à mon bureau qu'à partir de mon siège en cette Assemblée, de nombreux intervenants, toutes des interventions intéressantes, toutes des interventions intelligentes, je dirais, et bien senties, dans plusieurs cas, avec beaucoup d'émotion même. Je dirais que plusieurs de mes collègues ont livré des messages et je trouverais dommage que la population, au moment où on met autant d'énergie à débattre d'un projet de loi aussi important – nous dit le gouvernement – que la population en général, elle, doive dormir pendant ce moment-là. Je pense que ces interventions méritent d'être entendues, d'être vues, d'être lues, et c'est la raison pour laquelle j'apprécierais que cette Assemblée puisse être convaincue que nous devrions continuer nos travaux demain.

Comme je vous l'ai indiqué également, M. le Président, les intentions des députés ministériels m'ont paru très évidentes, qu'ils voulaient plaider...

Le Vice-Président (M. Pinard): Excusez-moi, M. le député de Richmond...

M. Vallières: Oui.

Le Vice-Président (M. Pinard): ...à cette heure-là, je suis un petit peu moins rapide. Vous aviez bien mentionné que votre motion d'ajournement était pour qu'on puisse continuer les travaux demain. Je tiens à vous préciser que demain, c'est samedi. Donc, on ne peut pas... Donc, j'aimerais ça que vous corrigiez, là, parce que ça ne peut pas aller. Demain, on ne peut pas siéger. En vertu de notre règlement, c'est suffisant, du lundi au vendredi, minuit.

M. Vallières: Merci, M. le Président, de cet éclair de clairvoyance. Donc, nous pourrions continuer à une séance ultérieure.

Une voix: Ultérieure.

M. Vallières: Je pense que vous apprécierez ce langage, puisque, à cette heure-ci, je ne voulais pas être pointilleux et j'ai pensé que tout le monde comprendrait. Je pense d'ailleurs – et là-dessus vous tomberez certainement d'accord avec moi – que nous ne devrions plus siéger la nuit. Je l'ai tellement entendu en cette Chambre – et je sais que nos règlements, dans un proche avenir, je le souhaite, seront modifiés – des gens qui occupent maintenant les banquettes de l'autre côté de la Chambre que ça me surprend un petit peu de voir le gouvernement qui semble vouloir traiter d'un projet qu'on nous dit aussi important en pleine nuit nous donner également l'impression qu'on veut un peu cacher toutes ces allocutions qui sont faites à tour de rôle, toutes aussi intelligentes les unes que les autres. Ou bien c'est ça ou bien c'est dû à une très mauvaise planification de nos travaux de la part du leader du gouvernement.

(3 h 20)

Enfin, M. le Président, faut-il rappeler que, si nous siégeons en pleine nuit présentement sur ce projet de loi, c'est le choix du gouvernement. Et, à partir du moment où le gouvernement fait ce type de choix là, l'opposition officielle, elle, doit faire son travail à l'intérieur des règlements qui nous gouvernent, ce qui fait que nous devons travailler en pleine nuit.

Mais, M. le Président, l'opposition continue de jouer son rôle, et ce n'est pas par caprice que nous voulons, comme ça, travailler en pleine nuit. Je pense, M. le Président, que, nous, de chaque côté de cette Chambre, nous nous livrons à tour de rôle à des plaidoiries, dans certains cas, pour convaincre l'opposition de se rallier au projet de loi ou, du côté de l'opposition, pour convaincre le gouvernement que ce n'est pas un bon projet de loi. Alors, je pense que la population, M. le Président, en tout cas de notre côté, nous demande de faire ce travail que nous faisons. Nous espérons que, au nom de la population, nous pourrons le faire au grand jour afin que toute la population soit bien consciente de l'envergure de ce débat.

Alors, M. le Président, vous me permettrez également, et je pense que tous mes collègues seront d'accord avec ça, de convenir qu'à tout le moins il serait beaucoup plus efficace que nous puissions effectuer le travail que nous faisons en plein jour. Il serait aussi, M. le Président, je crois, tout aussi important de permettre aux nombreux ministres qui se succèdent en cette Chambre, en pleine nuit, de prendre tout le repos auquel ils ont droit afin d'être le plus efficaces possible et je dirais même être plus efficaces qu'ils ne le sont actuellement. Parce que, M. le Président, il y a tellement d'autres sujets qui pourraient être discutés en cette Chambre. Je pense que le fait que nous puissions reporter ce débat à une séance ultérieure pourrait nous permettre... Et je suis content de votre intervention de tantôt parce que peut-être que ça pourrait ne pas être au cours d'une prochaine ni de la suivante. Il y a tellement d'autres choses que ce gouvernement... Il y a tellement d'autres mesures que le gouvernement pourrait prendre.

Par exemple, pour corriger la situation catastrophique de chômage qu'on rencontre dans la région métropolitaine, il serait intéressant de voir peut-être le ministre d'État à la Métropole nous amener ici, en cette Chambre, M. le Président, des mesures nous permettant de redresser la situation, au même titre que le ministre responsable du Développement des régions. Avec un taux de chômage de 12,6 % dans l'ensemble du Québec, avec un taux de chômage chez les jeunes de moins de 24 ans, dans certaines régions, par exemple dans la région du premier ministre lui-même, qui dépasse les 28 %, je pense qu'il serait intéressant de voir, de jour, les mesures concrètes nous permettant de corriger cette situation. Faire en sorte, par exemple, qu'une partie des 460 000 chômeurs du Québec se voient donner l'opportunité de trouver un emploi. Faire en sorte que plus de 800 000 assistés sociaux du Québec, M. le Président, retrouvent une chance d'occuper un travail rémunérateur, un travail valorisant.

Nous les attendons toujours, ces mesures. Et un peu de sommeil possiblement de la part des ministres qui sont devant nous leur permettrait peut-être d'initier des projets de loi ou encore des mesures très concrètes nous permettant d'éviter la cascade de pertes d'emplois à laquelle on assiste également dans toutes les régions du Québec; de permettre également, possiblement, de faire en sorte qu'il y ait plus d'investissements dans les régions. Treize régions sur 16, M. le Président, dont les investissements, tant publics que privés, ont été réduits au cours des deux dernières années.

Alors, autant de données, M. le Président... L'exode des populations de nos régions. Il faut être dans des régions, M. le Président, et en visiter pour voir jusqu'à quel point les jeunes et les moins jeunes quittent nos régions. Et, comme si ça ne suffisait pas, M. le Président, c'est maintenant nos entreprises qui quittent les régions, nos entreprises qui prennent de l'expansion dans d'autres provinces qui ont compris plus vite que nous autres, qui sont capables d'attirer maintenant des investissements. Ce n'est plus des grandes entreprises, c'est des PME qui quittent nos régions à tour de rôle, M. le Président.

Donc, M. le Président, un peu de sommeil pour toutes ces personnes qui sont devant nous, tous ces collègues qui, à mon avis... Je regarde le ministre de la Santé et des Services sociaux qui, après une bonne grippe, en plus, est ici. C'est à son honneur d'être ici, M. le Président, mais, moi, je sais que le ministre de la Santé et des Services sociaux, qui pourrait devenir un homme un peu plus reposé, pourrait très certainement nous faire preuve de plus d'efficacité s'il pouvait ce soir aller profiter de quelques heures de sommeil avant de revenir en cette Chambre dès demain, M. le Président.

Vous m'indiquez que mon temps s'achève. Il me fait donc plaisir, M. le Président, de terminer en vous indiquant jusqu'à quel point je fais confiance au jugement des gens d'en face afin que nous puissions travailler dans un contexte, dans des conditions qui, à mon avis, nous permettraient et permettraient surtout à la population du Québec d'entendre ce que nous avons à dire et de démontrer jusqu'à quel point le gouvernement trouve important la tenue de ce débat qui, à mon avis, M. le Président, ne nous fait pas honneur, en le tenant en pleine nuit comme nous le faisons.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Richmond. Alors, nous cédons maintenant la parole au député de Sainte-Marie–Saint-Jacques, pour le groupe parlementaire. M. le député, vous avez un droit de parole de 10 minutes.


M. André Boulerice

M. Boulerice: Seulement 10 minutes? D'accord. Je vous remercie, M. le Président. Vous me permettrez, à travers vous, de m'adresser à l'un des trois membres de l'opposition qui nous font le plaisir d'être avec nous...

Une voix: Quatre.

M. Boulerice: ...quatre, pardon – excusez-moi, M. le député d'Outremont, de ne pas vous avoir compté – et dire au député de Richmond que je le remercie de s'inquiéter de l'état de santé de nos ministres et de l'ensemble de la députation ministérielle, mais il n'a pas à s'inquiéter. Et, quant à notre capacité de siéger de nuit, eh bien, je reprendrai ces paroles du prédicateur célèbre qui disait: «Il embrassait les veilles et les jeûnes avec autant d'ardeur.» Alors, nous sommes capables de faire une session de nuit; nous sommes d'ailleurs en pleine forme. Je vois d'ailleurs mes collègues ici, l'oeil vif et la parole prête, M. le Président. Si l'opposition s'endort, eh bien, là, que voulez-vous? Ce n'est pas ma responsabilité.

Mais ce qui est important, c'est que le député fait une motion de report, M. le Président. Il dit: Parce que c'est une loi importante. Bien, c'est justement parce que c'est une loi importante. C'est parce que c'est une loi importante que nous décidons, effectivement, de siéger de nuit. L'importance s'accentue par le fait, effectivement, que nous siégeons à une heure exceptionnelle.

Et il y a également une question qu'on pourrait se poser. Bien oui, effectivement, c'est le choix du gouvernement de siéger à cette heure, et je sais que, malgré tout, ils sont nombreux et nombreuses, dans les foyers québécois, à nous écouter. M. le Président, oui, je sais que c'est la volonté du gouvernement. Mais une question se pose: Est-ce que l'opposition nous a laissé le choix de faire autrement? Ma réponse à moi est non, puisque, quand on regarde les travaux des commissions, on s'aperçoit qu'il n'y a pas bousculade au portillon, pour employer une expression qu'affectionne le député de Taschereau et qui souligne d'ailleurs la beauté de notre langue et surtout l'abondance de mots dont on peut se servir. Eh bien, il n'y a pas bousculade au portillon. C'est motion de scission, motion de report, motion de ci, motion de ça, ce qui fait que, dans bien des commissions, des projets de loi n'ont pas franchi d'autre étape que les remarques préliminaires. Alors, vous comprendrez que, en deuxième lieu, il nous fallait considérer également l'attitude de ce que nous avons convenu d'appeler l'opposition officielle.

(3 h 30)

Maintenant, M. le Président, le député de Richmond – je m'excuse, j'allais oublier le nom de sa circonscription – il a bien dit que c'est un dossier important. Et pourquoi est-il important? Parce que cette loi a une fonction... j'utiliserai le mot – est-il à bon escient? je ne le sais – «curative». Nous nous devons d'adopter cette loi pour corriger les erreurs qui se sont produites, les négligences qui ont découlé des neuf années d'administration de ceux qui sont maintenant de ce côté-là. Neuf ans où l'on n'a absolument rien fait, neuf ans où on a assisté à des régressions épouvantables, neuf ans où le Québécois, comme consommateur, s'est retrouvé avec des aberrations.

Je pourrais d'ailleurs vous en citer une. Voulant faire un cadeau récemment à un ami qui venait d'avoir un bébé, j'ai voulu acheter une petite chaise pliante, là, comme ça, qu'il peut mettre un peu n'importe où dans la voiture, tout cela, et, quand j'ai lu le manuel d'instruction, eh bien, c'était marqué: «Chaise pour bébé pliant».

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boulerice: Et, je regrette, je l'ai conservée à ma résidence, à Montréal. Si j'avais su que ce soir j'étais pour intervenir, je vous l'aurais apportée, cette notice, comme nous disons dans un langage coutumier. «Chaise pour bébé pliant».

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boulerice: Et je dois même vous dire que, si j'ai acheté cette chaise pour cet ami qui venait d'avoir une mignonne petite fille, moi, je me suis fait cadeau d'un téléviseur neuf de façon à, lorsque, rarement, une fin de semaine, je peux profiter d'un dimanche soir, eh bien, regarder un bon film ou une émission de Bernard Pivot, d'ailleurs, qui nous montre la beauté de notre langue. Eh bien, écoutez, la traduction française était telle que je regardais les indications soit en anglais ou en espagnol pour être bien certain de comprendre comment je devais utiliser les commandes et programmer ce téléviseur. Eh bien, ça faisait longtemps que je n'avais pas vu ça au Québec, moi. Mais là on voit hors de tout doute que c'est effectivement les neuf années de laxisme de ce gouvernement que nous sommes obligés de réparer dans ce domaine comme dans tant d'autres.

Et nous, maintenant, qui vivons tous à l'ère de l'informatique où l'ordinateur est devenu un objet quotidien, où les jeunes de demain qui ne sauront pas s'en servir seront les analphabètes du XXIe siècle – et j'en discutais avec le ministre du Revenu tantôt – eh bien, essayez d'entrer maintenant dans un magasin où on vend des logiciels. Oui, vous avez la version anglaise, mais la version française, vous repasserez, elle n'est pas là. Ou bien, non, vous avez peut-être une version en français, mais vous n'avez même pas un guide pour essayer de vous aider – et je vais employer le mot à la mode – à naviguer à travers cela.

Alors, cette loi est effectivement importante, et nous devons lui faire franchir ce soir, c'est-à-dire cette nuit, c'est-à-dire aujourd'hui, l'étape législative qu'elle doit franchir, et c'est la raison pour laquelle nous, de la majorité, voterons forcément contre la motion d'ajournement présentée par le député de Richmond, qui devrait d'ailleurs vous remercier, parce que, voyez-vous, il voulait ajourner à demain, c'est-à-dire vendredi, ce qui, en fin de compte, aurait été parfait, puisqu'on aurait pu déjà terminer la loi, et il aurait pu retourner chez lui se reposer de cette immense fatigue qui l'habite, cette grosse fatigue, comme on peut voir dans le film avec Michel Blanc, qui le fatigue terriblement et qui risque peut-être de lui faire commettre des erreurs de parcours en cours de route. Mais non, M. le Président, qu'il soit un peu plus patient. Il aura toutes les vacances des Fêtes pour se reposer. Nous allons d'ailleurs lui souhaiter un bon repos à cette occasion, avec tous nos voeux. Mais nous allons, d'ici ce temps, c'est-à-dire d'ici la fin de cette nuit et le début de la matinée, procéder aux autres étapes et continuer dans la voie de l'adoption de cette loi. Je vous remercie, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, M. le député d'Outremont, vous avez un droit de parole de 10 minutes. M. le député.


M. Pierre-Étienne Laporte

M. Laporte: M. le Président, vous constaterez que nous ne sommes pas fatigués, que, contrairement à ce qu'affirme le député de Sainte-Marie–Saint-Jacques, nos fonctions cognitives sont en plein éveil.

Des voix: Bravo!

M. Laporte: M. le Président, si vous me le permettez, j'aimerais déconstruire le paradoxe opaque devant lequel nous place la ministre avec son projet de loi n° 40.

Le paradoxe, le voici: Alors que tous les indicateurs nous démontrent que le français au Québec est inscrit dans un long cycle de croissance, d'épanouissement, comme le disait la commission Gendron; alors que les sondages, tous les sondages, montrent que l'insécurité linguistique est en déclin, pourquoi, M. le Président, cette demande de coercition, de renforcement de la coercition, et cette volonté du gouvernement de s'y soumettre?

Comment comprendre ce paradoxe, M. le Président? Faisons quelques hypothèses: pour des raisons politiques? Je l'ai mentionné dans ma première intervention, bien sûr, pour des raisons bassement politiques. Pour satisfaire un vieux fond de ressentiment ethnique? Peut-être, M. le Président. Mais peut-être faut-il faire un pas de plus, et il faut le faire avec prudence, par besoin de sublimation, par désir de satisfaire dans l'imaginaire malheureux, dans la conscience malheureuse de l'échec référendaire une volonté de puissance déchue et un pessimisme accru face à l'avenir, face à l'avenir de notre identité québécoise, de ce qui en constitue l'axe fondamental, la langue française. Or, M. le Président, lorsqu'un pareil désir sublimé dans cet imaginaire coercitif là, lorsque cette demande de coercition excessive que l'on retrouve dans la loi n° 40 est sanctionnée par l'autorité publique, par l'État, la démocratie court un grave danger. On ne fait pas des lois pour satisfaire un désir maladif.

C'est donc la vraie raison, la raison vraie, M. le Président, pour laquelle je refuse et pour laquelle le Parti libéral, dont je suis le critique officiel en matière de politique linguistique, refuse et refusera jusqu'à la fin ce qui constitue le coeur du projet de la ministre de la Culture et des Communications, à savoir la réinstitution et la réinstitution en force du vieil appareil coercitif dont nous croyions, nous, au Parti libéral, avoir débarrassé de façon durable cette grande législation que constitue la Charte de la langue française.

M. le Président, je l'ai mentionné dans mon discours, dans ma présentation d'ouverture, nous sommes en présence d'une triste affaire. Un gouvernement décide sans pouvoir s'appuyer en aucune façon sur les données dont nous disposons relativement au statut du français à Montréal, à son usage réel dans l'affichage commercial et la publicité, sans aucune donnée qui nous indiquerait qu'il y ait eu quelque manifestation de dégradation.... Et on le sait, M. le Président, parce que les deux présidentes des deux organismes qui administrent la Charte, à savoir la présidente du Conseil de la langue française et la présidente de l'Office de la langue française, l'ont répété, l'ont affirmé dans une conférence conjointe qu'elles ont donnée le 20 novembre: Il n'y a pas de signe, il n'y a aucun signe de quoi la situation du français, de quoi le statut du français, de quoi l'usage du français dans l'affichage commercial à Montréal se seraient dégradés. Donc, le paradoxe demeure entier, paradoxe que j'ai décrit plus tôt et qui consiste de la part d'un gouvernement à vouloir renforcer les moyens de coercition légale de la loi 101, à l'époque, au moment où rien ne justifie – rien ne le justifie – d'agir de cette façon.

(3 h 40)

Je le répète, M. le Président, et je termine là-dessus, c'est le fond de mon opposition depuis le début de la commission parlementaire à ce projet-là et le fond de l'opposition de mes collègues qui ont participé avec moi à la commission parlementaire et qui se sont prononcés ici ce soir. Le fond de cette opposition, c'est que, lorsque l'État, l'autorité publique décide de recourir à la coercition alors que ce recours à la coercition n'est justifié par aucune preuve rationnelle, aucune donnée raisonnable, je le répète, la démocratie, le droit des gens, les libertés individuelles courent un danger, et c'est fondamentalement la raison pour laquelle l'opposition continue à s'opposer à ce projet et continuera à s'opposer à ce projet tant et aussi longtemps que nous pourrons le faire. Merci.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député d'Outremont. M. le député de Richmond, votre droit de réplique de cinq minutes. M. le député.


M. Yvon Vallières (réplique)

M. Vallières: Merci, M. le Président. J'ai évidemment entendu avec beaucoup d'intérêt les deux orateurs qui m'ont précédé sur cette motion d'ajourner nos débats à une séance ultérieure, comme on en a convenu tantôt, et je dois vous indiquer que, malgré toute la verve du député de Sainte-Marie–Saint-Jacques, je n'ai pas été convaincu par la force de ses arguments, ses arguments qui d'ailleurs détonnent avec ce que j'ai déjà entendu de la part de ce même collègue ici, à cette Assemblée. Si le temps me l'avait permis, j'aurais probablement retracé quelque part à l'intérieur du Journal des débats quelques-unes des sorties, des déclarations parfois intempestives mais, je dirais, plutôt très colorées et souvent qui nous apportaient un peu de caractère d'humour dans ces périodes de travail de nuit qu'il a déjà connues dans le passé, mais qu'il prenait beaucoup de soin à dénoncer quand il occupait un siège dans l'opposition officielle.

Mais j'ai aussi entendu les propos tenus par mon collègue d'Outremont qui viennent renforcer mon point de vue et renforcer ma volonté de combattre ce projet de loi. Je pense que les arguments qui sont apportés plaident véritablement en faveur de l'importance, de ce côté-ci, que nous accordons aux effets négatifs de la législation qui nous est présentée, mais aussi à sa non-justification face aux résultats de toutes les enquêtes, à tous les constats que nous avons faits. Je crois bien humblement, bien modestement que de ressusciter à ce moment-ci la police de la langue au Québec n'est pas la trouvaille du siècle, et plus, que, tout simplement, cette mesure devrait être carrément exclue de la part du gouvernement du Québec.

Mais force nous est par ailleurs de constater que, de l'autre côté de la Chambre, il y a un plaidoyer favorable à l'importance de ce projet de loi pour l'Assemblée nationale, également pour l'ensemble de la population, et c'est donc dans ce but-là que j'ai fait motion afin que nous ajournions nos travaux à une séance ultérieure, compte tenu de nos convictions profondes de part et d'autre: que, d'une part, ce projet de loi est important et que, d'autre part, il n'y a pas de bien-fondé à le présenter.

Donc, compte tenu de l'importance de ces débats, je crois qu'il devrait se faire en plein jour afin que toutes les personnes intéressées par nos débats puissent, au petit écran ou ailleurs, les entendre, les écouter, puissent les lire éventuellement.

Alors, il me paraît d'importance majeure aussi que l'ensemble des collègues qui ont à travailler sur pareille législation le fassent – surtout de l'autre côté de la Chambre, M. le Président – avec le maximum d'efficacité, avec un haut niveau d'attention et de réception du message de l'opposition. Et je pense que si c'était fait en plein jour, M. le Président, nos chances de les convaincre seraient peut-être un peu meilleures. Et même si nos chances seraient très limitées de les convaincre, on ne veut négliger aucune de ces chances afin de faire en sorte que le gouvernement revienne sur sa décision, raison pour laquelle, M. le Président, plus que jamais je crois que nos travaux devraient être ajournés à une séance ultérieure.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Richmond. Le débat sur la motion d'ajournement étant maintenant expiré, est-ce que la motion d'ajournement est adoptée?

Des voix: Non!

Une voix: Vote nominal.

Le Vice-Président (M. Pinard): Vote nominal. Alors, que l'on appelle les députés, s'il vous plaît, et nous allons suspendre nos travaux quelques instants.

(3 h 46 – 3 h 52)

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, Mmes, MM. les députés, à l'ordre! À l'ordre! Comme je l'ai déjà mentionné, pour vous inviter à vous asseoir, il faudrait d'abord que vous soyez debout. Merci. Alors, Mmes, MM. les députés, si vous voulez vous asseoir.


Mise aux voix

Alors, nous en sommes à la mise aux voix de la motion d'ajournement du député de Richmond.

Que les députés qui sont en faveur veuillent bien se lever.

La Secrétaire adjointe: M. Paradis (Brome-Missisquoi), M. Vallières (Richmond), M. Gobé (LaFontaine), M. Bissonnet (Jeanne-Mance), M. Benoit (Orford), M. Marsan (Robert-Baldwin), M. Sirros (Laurier-Dorion), M. Laporte (Outremont).

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, que les députés qui sont contre la motion d'ajournement veuillent bien se lever.

La Secrétaire adjointe: M. Ménard (Laval-des-Rapides), M. Campeau (Crémazie), M. Perron (Duplessis), M. Bertrand (Portneuf), M. Rochon (Charlesbourg), Mme Doyer (Matapédia), Mme Beaudoin (Chambly), M. Jolivet (Laviolette), M. Rioux (Matane), Mme Robert (Deux-Montagnes), M. Blais (Masson), Mme Malavoy (Sherbrooke), M. Baril (Berthier), Mme Caron (Terrebonne), M. Paré (Lotbinière), M. Bertrand (Charlevoix), Mme Vermette (Marie-Victorin), Mme Leduc (Mille-Îles), M. Morin (Dubuc), M. Boulerice (Sainte-Marie–Saint-Jacques), M. Landry (Bonaventure), M. Paquin (Saint-Jean), Mme Simard (La Prairie), M. Baril (Arthabaska), M. Côté (La Peltrie), M. Deslières (Salaberry-Soulanges), Mme Signori (Blainville), M. Beaulne (Marguerite-D'Youville), M. Beaumier (Champlain), Mme Barbeau (Vanier), M. St-André (L'Assomption), M. Lachance (Bellechasse), M. Laprise (Roberval), M. Jutras (Drummond), M. Morin (Nicolet-Yamaska), M. Lelièvre (Gaspé), M. Gaulin (Taschereau), M. Gagnon (Saguenay), Mme Charest (Rimouski), M. Dion (Saint-Hyacinthe), M. Brien (Rousseau), M. Désilets (Maskinongé).

Le Vice-Président (M. Pinard): Est-ce qu'il y a des députés qui s'abstiennent? Non. Alors, M. le secrétaire.

Le Secrétaire: Pour:8

Contre:42

Abstentions:0

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, je déclare la motion d'ajournement rejetée.


Reprise du débat sur l'adoption du principe

Alors, l'Assemblée reprend le débat sur l'adoption du principe du projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française. Y a-t-il d'autres interventions sur l'adoption du principe? Alors, M. le député de Robert-Baldwin.

Une voix: Bravo! Bravo!


M. Pierre Marsan

M. Marsan: M. le Président, nous sommes à 4 heures du matin. Je voudrais rappeler cette promesse célèbre du député de Joliette: «Avec le gouvernement du Parti québécois, on ne siégera pas la nuit.» On n'a jamais autant siégé la nuit que depuis que ce gouvernement a pris le pouvoir. Laissez-moi vous rappeler, dans le domaine de la santé, la loi sur la fermeture des hôpitaux, la loi n° 83, qui a été approuvée en pleine nuit; la loi n° 116, ce monument aux régies régionales et ce projet de loi antisocial, la loi n° 33, assurance impôt- médicaments, qui ont été approuvées en pleine nuit. Plus récemment, avec le...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le whip adjoint de l'opposition.

M. Bissonnet: Article 32. Est-ce qu'on peut avoir de l'ordre pour que monsieur puisse s'exprimer tranquillement. Il est 4 heures du matin. Il va bien faire ça.

Le Vice-Président (M. Pinard): C'est ça. Alors, j'inviterais...

M. Bissonnet: Alors, je demanderais de la collaboration.

Le Vice-Président (M. Pinard): ...les députés qui ont à se retirer de bien vouloir le faire dans l'ordre afin de nous permettre d'entendre l'allocution du député de Robert-Baldwin. M. le député.

M. Marsan: M. le Président, plus récemment, le bâillon imposé sur la loi n° 130 et les discussions qui ont eu lieu, j'ai dû prendre la parole à 6 h 15 du matin sur ce sujet. Alors, des belles promesses du député de Joliette et double langage. À plusieurs reprises, ç'a été démontré.

Mr. Speaker, on behalf of the people of my riding, on behalf of the people of Robert-Baldwin riding, I'd like to recall what the Premier said at the Centaur Theater. He wanted to be the...

M. Vallières: Question de règlement, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Richmond.

M. Vallières: M. le Président, je pense que, même si l'heure est très tardive, en aucun temps vous ne devriez hésiter à utiliser le règlement afin de s'assurer que ceux qui ont à prendre la parole soient entendus. S'il y a des gens qui sont trop fatigués, qui viennent de refuser de voter favorablement à une motion pour que nous ajournions nos travaux à une séance, ils devraient tout simplement aller se reposer.

Le Vice-Président (M. Pinard): Comme je l'ai demandé tout à l'heure, je suis persuadé que nos collègues de l'Assemblée vont vous écouter avec beaucoup de respect. Alors, M. le député de Robert-Baldwin.

M. Marsan: Je vous remercie, M. le Président.

On behalf of the people of my riding, I'd like to recall what the Premier said at the Centaur Theater. He wanted to be the Premier of all Quebeckers. Since that statement, the PQ Government closed so many hospitals which had served the anglophone community, such as the Queen Elizabeth, the Reddy Memorial, St. Lawrence Hospital and Lachine General. They were supposed to build a new francophone CEGEP in the West Island. Well, the only thing that we heard about that is the name of this CEGEP. Lately, they just closed the Youth Court in the West Island, and now they want to mandate some kind of language police to survey the bilingual signs, if they are compatible with the law. Mr. Speaker, we, the West Islanders, are offended. We feel that we don't have a Premier anymore.

(4 heures)

M. le Président, en continuant sur ce travail de nuit, j'aimerais citer M. Michel David dans sa chronique qui nous parle de la loi n° 40 et des apprentis sorciers. Il mentionne que «ressusciter la police de la langue ne pouvait être perçu autrement que comme une provocation. Quand la ministre – il la nomme – avait présenté son bouquet de mesures au début d'avril, elle avait clairement indiqué qu'il n'était pas nécessaire de reconstituer la Commission de protection de la langue française abolie en 1993. Récemment, elle en parlait comme d'un outil essentiel au respect de la Charte». Double langage, M. le Président.

M. Michel David ajoutait: «Il ne faut pas prendre les gens pour des valises. Entre le début et la fin d'avril, quand ce virage a été effectué, rien de particulier n'est survenu si ce n'est la tenue d'un conseil national du PQ. Pareil comme si on ajustait des lois aussi importantes en fonction d'une aile radicale d'un parti politique.

«Comme Alliance Québec l'a très bien démontré dans son mémoire, le projet de loi n° 40 est simplement un moyen de calmer une certaine faction tapageuse du Parti québécois. Même pour un francophone, il y a de quoi être sceptique face à la désinvolture avec laquelle le gouvernement du premier ministre a joué les apprentis sorciers. Ou bien il a fait preuve d'une irresponsabilité inquiétante en maquillant la réalité pour justifier une politique d'ouverture, comme l'a soutenu le démographe Charles Castonguay, ou alors c'est maintenant qu'il joue dangereusement et inutilement avec la paix sociale pour régler ses problèmes internes.»

M. le Président, nous sommes étonnés que le gouvernement ait appelé aujourd'hui l'adoption du principe du projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française. Mais, avant d'expliquer notre étonnement, laissez-nous d'abord vous rappeler les objectifs de ce projet de loi. D'abord, il a pour but de modifier la Charte de la langue française afin d'instituer la Commission de protection de la langue française; deuxièmement, il précise l'application de la Charte sur le plan pénal en ce qui a trait notamment aux inscriptions sur les produits, à la présentation des menus, à certaines publications et à l'offre sur le marché de jouets et de jeux; troisièmement, ce projet de loi introduit le principe que tout logiciel doit être disponible en français, à moins qu'il n'en existe aucune version française. Enfin, le projet de loi apporte certaines modifications concernant la fourniture en français de documents par les membres des ordres professionnels et concernant les règles d'incompatibilité de fonctions pour le président de l'Office de la langue française ainsi que pour le président et le secrétaire du Conseil de la langue française.

Au début de mon intervention, M. le Président, je vous ai fait part de mon étonnement suite à l'appel aujourd'hui de ce projet de loi. Laissez-moi vous faire un bref historique de cette saga linguistique depuis l'arrivée du gouvernement du Parti québécois. Tout d'abord, il faut bien se rappeler que l'adoption de la loi 86 par le gouvernement libéral avait créé un climat de paix linguistique reconnu, mais surtout apprécié par l'ensemble des Québécoises et des Québécois. Si vous vous souvenez, M. le Président, lors de la dernière campagne électorale, eh bien, ça ne faisait pas partie des enjeux de la campagne électorale. On avait retrouvé, je pense, une paix linguistique extrêmement importante, et je pense que chacun des députés pouvait parler des programmes de son parti, mais pas nécessairement remettre en question toute cette saga linguistique.

Cela n'a pas empêché la ministre de la Culture et des Communications d'annoncer, en septembre 1995, la création d'un comité interministériel sur la situation de la langue française. En avril, suite à la publication du bilan du comité, la ministre annonce un bouquet d'une quarantaine de mesures pour renforcer la place du français comme langue commune au Québec. On se souviendra, M. le Président, que nulle part dans ce bouquet de mesures il n'est fait mention d'un rétablissement de la Commission de protection de la langue française. Au contraire, on précise que le Conseil des ministres reçoit favorablement le rapport du comité et il est dit clairement qu'il n'est pas opportun de modifier la Charte de la langue française. Pourtant, en juin dernier, la ministre de la Culture et des Communications change son fusil d'épaule et ramène la Commission de protection de la langue française en déposant à l'Assemblée nationale le projet de loi qui est devant nous aujourd'hui, le projet de loi n° 40 qui modifie la Charte de la langue française.

M. le Président, je serais tenté de demander à la ministre ce qui l'a fait changer d'idée, un peu comme M. David, dans son éditorial, se posait cette même question. Ce projet de loi semble, en effet, n'avoir pour seul but que l'apaisement de la grogne des militants péquistes de Montréal qui ont servi des reproches bien sentis au premier ministre et chef du Parti québécois lors de colloques et plus récemment lors du congrès des membres. On peut peut-être comprendre la ministre d'avoir déposé ce projet de loi en juin dernier, mais ce qui est le plus incroyable, c'est qu'elle persiste à vouloir l'adopter malgré les nombreuses critiques qu'elle a pu entendre lors de consultations générales en août dernier.

Vous vous souvenez sûrement, M. le Président, des interventions qui ont été faites lors de cette consultation à propos de la Commission de protection de la langue française, mais laissez-moi quand même vous en rappeler quelques-unes. M. Gérald Larose avait dit à la ministre: «Lorsque le principal instrument d'application d'une politique linguistique est un ruban à mesurer, cela nous pose des difficultés. C'est humiliant, ridicule, honteux, risible.» Ça, M. le Président, c'est un allié du gouvernement en place qui parle d'une de ses ministres.

M. Clément Godbout, président de la FTQ, disait, pour sa part: «On ne perdrait pas connaissance si c'est chapeauté par un organisme comme l'Office de la langue française.» M. Turgeon, président de l'Union des artistes et un ardent défenseur de la langue française, déclarait, quant à lui: «Si j'entends bien le discours du ministre des Finances, il n'y a pas de petites économies avec les compressions qui s'en viennent dans le secteur de la culture et rien ne nous a prouvé que l'Office de la langue française ne pourrait pas remplir le rôle de la Commission de protection de la langue française.»

Je pourrais continuer encore longtemps, mais je pense que tout le monde ici, sauf peut-être la ministre de la Culture et des Communications, a compris le message: la Commission de protection de la langue française n'est qu'un irritant administratif dont le Québec, mais surtout Montréal, n'a aucun besoin. Il est également important de rappeler la déclaration d'un collègue de la ministre, le ministre d'État à la Métropole, qui disait – et vous savez qu'on le cite assez régulièrement: «On ne doit pas se payer le luxe d'une lutte linguistique à Montréal.» Et c'était la position du gouvernement selon le ministre d'État à la Métropole. Je serais curieux d'entendre le ministre de Montréal concernant le changement de cap de son gouvernement.

Ce projet de loi, M. le Président, n'est aucunement justifié. La situation de la langue française au Québec et particulièrement à Montréal s'est améliorée dans les dernières années. De plus, le rapport du Conseil de la langue française rendu public le mois dernier conclut à la stabilité de la situation à Montréal par rapport à l'année dernière. M. le Président, je ne veux pas vous assommer avec des centaines de chiffres, mais il est quand même utile de souligner que, dans une proportion de 94 %, il y a présence de messages français sur les devantures des commerces de l'île de Montréal; l'unilinguisme français dans l'affichage ne varie pas sur l'île de Montréal, il s'établit à 84 %; l'affichage unilingue anglais est présent dans une proportion de 2,6 %.

Où est-elle, la menace de l'anglais sur le français? Où est l'urgence de dépenser 5 000 000 $ pour créer un organisme qui ne servira qu'à creuser un fossé entre les francophones et les anglophones du Québec? Au moment où on devrait travailler ensemble, M. le Président, à bâtir des ponts entre toutes les Québécoises, tous les Québécois, de quelque origine qu'ils puissent être, eh bien, voici un projet de loi qui bâtit des frontières entre les individus, M. le Président.

(4 h 10)

M. le Président, rien ni personne, hormis certains épouvantails du Parti québécois, ne crie au loup. Et pourtant nous sommes réunis ici, en pleine nuit, 4 h 10 du matin, pour discuter de ce projet de loi. Il faut se demander pourquoi le gouvernement péquiste a tenu à créer une nouvelle crise linguistique et pourquoi ouvrir un débat néfaste pour l'économie. Je pense que la réponse se retrouve peut-être dans la performance économique du gouvernement. Jour après jour, on apprend des fermetures d'industries, de commerces. Jour après jour, nous apprenons des pertes d'emplois suite aux décisions de ce gouvernement. Mais c'est plutôt dû à l'incertitude politique qui entoure l'option de ce gouvernement.

En adoptant un tel projet de loi, le gouvernement tente de cacher son inaction la plus complète en matière de création d'emplois. Il pense pouvoir faire croire aux Québécoises et aux Québécois qu'il agit. Mais nous pensons que la population du Québec ne sera pas dupe, M. le Président. Les 60 000 Québécois qui ont perdu leur emploi depuis l'arrivée du premier ministre et député de Jonquière sont conscients que l'adoption d'un tel projet de loi ne contribuera aucunement à les aider à réintégrer le marché du travail.

M. le Président, la protection de la langue française est très importante pour les Québécois, mais, depuis l'adoption de la loi 86, les citoyens du Québec, qu'ils soient francophones, anglophones, allophones, sentaient que nous avions atteint un équilibre, équilibre que la ministre de la Culture et des Communications tente de briser maintenant avec le projet de loi n° 40. M. le Président, nous faisons un appel pressant au gouvernement de cesser de chercher des solutions à un problème qui n'existe pas et de se consacrer aux véritables problèmes qui touchent les Québécois, la protection de notre filet de sécurité sociale et aussi la création d'emplois.

M. le Président, j'aimerais poser quelques questions, en souhaitant que quelqu'un du côté du gouvernement puisse y répondre même s'il est 4 h 15 du matin. Ils ont le droit de parler, ils ont le droit de réagir, de défendre l'intérêt de leurs concitoyens, ce qu'ils ne font pas, M. le Président, ce qu'ils n'ont pas fait dans le cadre des autres lois importantes. Je rappelle au ministre de la Santé sa belle loi sur l'assurance-médicaments. Les députés n'ont pas réagi, ils ont été soumis à sa ligne de parti, ils ont accepté de prendre un projet de loi à 5 heures du matin, alors qu'il venait de déposer, dans la même nuit, 120 amendements. Il faut se rappeler de ça, M. le Président.

M. le Président, pourquoi le gouvernement du premier ministre a tenu à créer une nouvelle crise linguistique? Est-ce que c'est pour masquer son échec en matière économique? Est-ce que c'est pour ouvrir un débat néfaste pour l'économie? Ce serait peut-être la première question à laquelle les gens d'en face devraient nous répondre. Deuxième question, M. le Président: Pourquoi les péquistes continuent-ils de nier que le français est en progression au Québec, plus particulièrement à Montréal, comme l'a pourtant démontré le rapport interministériel?

M. le Président, nous avons des rapports sur lesquels on doit faire reposer un certain nombre de nos décisions. Alors, lorsqu'un rapport qui provient du gouvernement ne fait pas leur affaire, on le met de côté et on passe à des affirmations qui induisent la population en erreur, M. le Président. Alors, j'apprécierais qu'on puisse répondre à cette deuxième question: Pourquoi les péquistes continuent-ils de nier que le français est en progression au Québec, plus particulièrement à Montréal, comme l'a pourtant démontré le rapport interministériel?

Troisième question: Pourquoi les péquistes tiennent-ils à ressusciter la Commission de protection de la langue française alors que le rapport demandé au Conseil de la langue française et à l'Office de la langue française démontre que la situation de l'affichage public à Montréal ne s'est pas détériorée entre 1995 et 1996? Là aussi, M. le Président, ce serait important que quelqu'un du parti gouvernemental puisse nous répondre. Et enfin, je pense, la question la plus pertinente et importante, c'est: Pourquoi une loi n° 40, M. le Président?

M. le Président, en terminant, je voudrais simplement rappeler une autre promesse qui n'a pas été tenue par le gouvernement, particulièrement par le ministre de la Santé, c'est la situation de l'hôpital de Sherbrooke, où on a assisté à une fermeture de cet établissement. Mais, au moment où on discutait de la fermeture, on donnait des garanties verbales qu'il n'y aurait pas de problème, une fois que ce serait intégré avec le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, quant à la situation de l'affichage en anglais et des affichages bilingues. Alors, ça, c'était pour faire avaler la pilule de la fermeture. Aussitôt que la fermeture a eu lieu, on a changé de discours et là on s'est aperçu que des droits acquis de la population anglophone, eh bien, à notre avis, sont maintenant brimés pour une autre cause, toujours pour la même, celle du gouvernement actuel. Alors, il faut toujours faire attention. Et je pense que les gens de l'Estrie sont vraiment très, très désappointés de ce qui se passe dans leur région, et ils ont raison.

M. le Président, c'est toujours le double langage qui nous arrive de la part d'un gouvernement qui, seulement après un peu plus de deux ans, est déjà un gouvernement usé, un gouvernement tanné, un gouvernement contesté, discuté, un gouvernement où ils ont des propres difficultés majeures à l'intérieur de leur formation. Ils ne sont pas capables de donner cette représentation dont tous les Québécois ont besoin. Je rappelle, en terminant, M. le Président, ce que le premier ministre avait dit au théâtre Centaur: Il devait être le premier ministre de tous les Québécois. Bien, nous, dans la région du West Island, dans la région de l'Estrie, nous sommes des orphelins. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Robert-Baldwin. Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Masson. M. le député.


M. Yves Blais

M. Blais: Merci beaucoup, M. le Président. J'écoute avec une attention la plus grande possible les discours que font les gens de l'opposition sur la loi n° 40. J'ai retenu deux choses. Ils ne parlent que de deux choses: les inspecteurs itinérants pour vérifier l'affichage – ils sont contre – et que le gouvernement a toujours un double langage.

M. le Président, je trouve ça très curieux que la loi de l'affichage, la loi 86 – en ce qui regarde l'affichage, la loi n° 40 n'y touche pas du tout – ils ne parlent que de ça. C'est donc dire que le double langage, au moins pour l'affichage, n'est pas de ce côté-ci mais de l'autre côté. Quand on est disciple de Galganov, on dit qu'on est disciple de Galganov. Qu'est-ce que la «galganoverie»? La «galganoverie», c'est de se servir du Parlement de Québec par Parti libéral interposé, de se faire voter une loi comme quoi les affiches doivent être à prédominance française et d'avoir, par en arrière, la certitude que, quand ce parti-là était au pouvoir, la loi n'était pas appliquée. C'est ça, un double langage: passer une loi et ne pas la faire appliquer. J'appelle ça des disciples de Galganov. Une loi, quelle qu'elle soit, se doit d'être appliquée.

C'est vrai qu'il y a une paix linguistique au Québec. Sur ce point-là, vous avez raison. Cependant, il y a des millions d'yeux qui se promènent sur les trottoirs de la métropole, et ces millions d'yeux voient, par leur iris, des affiches hérissantes, parce que la loi n'est pas respectée. Et je ne regarde pas ça de façon benoîte.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: Je le regarde avec un oeil avisé et averti. M. le Président, à cette heure-ci, on n'a pas pu faire autrement que de nous parler de pilule. Bien, s'il faut «rusher», «rushons». Je vais en parler. Je voudrais que, de l'autre côté, ils prennent la pilule que le double langage est de leur côté.

(4 h 20)

Je vais vous citer quelques exemples, M. le Président. La loi 150 qu'ils ont passée: Si nous n'avons pas des propositions acceptables du gouvernement fédéral, disaient-ils à l'époque, avec M. Bourassa en tête, nous allons faire une référendum sur la souveraineté du Québec, c'est la seule issue. Qu'ont-ils fait? Ils ont aboli la loi 150. C'est un double langage beaucoup plus porteur parce qu'il est vrai, celui-là. C'est sur la langue que vous étiez aussi en double langage. Mais la 150, ce n'est pas une luette, là; c'est une grosse langue, c'est un gros double langage. Important, l'avenir d'une nation. Ils ont passé à côté; double langage.

Le congrès des jeunes libéraux. Vous avez parlé de congrès à quelques reprises. Les jeunes libéraux voulaient, au congrès du Parti libéral, il n'y a pas tellement longtemps, qu'on garde la voie ouverte à un référendum sur la souveraineté du Québec. Bien sûr que la minorité agissante, étant maître du Parti libéral, a fait battre cette motion de la jeunesse fertile en idées, même du Parti libéral. Cependant, double langage: après l'avoir battue, qu'est-ce que le chef a dit? J'approuve les jeunes. Où est le double langage?

Nous disons ici que nous ferons un référendum. On disait qu'on en ferait un; on en a fait un. Là, on dit: Si on est réélus à la prochaine – puis on va l'être – on va en faire un autre. Un seul langage, une seule voie. Et, de l'autre côté, malgré que les jeunes ont voté et voulaient que le congrès vote pour qu'on laisse la porte ouverte à l'option souverainiste en référendum et que le chef les a approuvés, on nous reproche chaque jour d'avoir dans notre programme un référendum si nous revenons au pouvoir. Où est le double langage? Au sein du Parti libéral qui a les mains liées avec la minorité?

Et, quand ils disent dans leurs «galganoveries» qu'ils veulent absolument protéger la minorité, ils ne pensent qu'à la minorité anglaise. Ils n'ont pas de respect dans l'affichage pour les autres minorités. Où est votre respect pour un affichage italien et français? Où est votre respect pour l'affichage grec et français? Où est votre respect pour l'affichage chinois et français? Nous avons, par la loi 101, fait ça. Nous, c'est un simple langage que l'on tient: respect des minorités. Mais partout c'est le contraire, de l'autre côté. Le double langage est de l'autre côté; vous êtes des béni-oui-oui.

Ensuite, la loi n° 130, M. le Président. Ils ont dit, tout le temps qu'ils étaient au pouvoir, qu'ils travaillaient avec acharnement afin que les tribunaux administratifs soient complètement réformés. Tout le temps qu'ils ont été là, ils ne l'ont pas fait, ils n'ont rien fait dans ce domaine-là. On arrive, on a quelqu'un qui veut le faire, la loi est déposée: double langage, ils s'y opposent, et avec acharnement.

M. le Président, je tiens à vous dire que j'ai un de mes amis, qui s'appelle Eddy – c'est un avocat – et cet ami-là est contre la loi n° 130 – c'est un de mes amis – parce qu'il a beaucoup de parents qui ont été placés dans les tribunaux administratifs. Il est tellement copain avec moi – c'est un avocat – que je peux dire que c'est mon chum, c'est mon chum Eddy, c'est le mien. On a chacun le nôtre; moi, c'est mon «Chomedey». Mais mon «Chomedey» à moi, il est contre la loi n° 130. Pourtant, c'est un homme brillant, un homme de grande stature, avec un langage châtié. Il parle aussi bien le français qu'il manie la langue anglaise. C'est un homme brillant, intelligent.

Mais pourquoi en parlerais-je en cette Chambre, de mon «Chomedey»? Pourquoi en parlerais-je? C'est parce que ça me fait de la peine qu'un homme d'une telle intelligence applique son intelligence dans la destruction des personnes qui travaillent avec lui et autour de lui. Parce que mon «Chomedey», malgré sa grande brillance, a un langage châtié qui est plus souvent visqueux, marécageux. Ça me blesse et ça devrait blesser tous ceux qui sont un peu copains avec moi. Mais mon «Chomedey», quel phénomène! C'est la loi n° 130, M. le Président.

Alors, ils ont tout fait pendant qu'ils étaient au pouvoir pour dire qu'ils voulaient faire une réforme des tribunaux administratifs. Ils ne l'ont pas faite. On arrive et on la fait de façon superbe, et, de l'autre côté, qu'est-ce qu'on fait? On s'y objecte. Où est le double langage, de ce côté-ci ou de ce côté-là? J'en reste pantois. Et, surtout, les détours que vous prenez pour accuser, plus souvent qu'il le faut, les personnes plutôt que le principe des lois. C'est matois. C'est matois. Il n'y a pas d'autre mot permis en cette Chambre pour être plus dur comme réponse. C'est matois, m-a-t-o-i-s, matois.

Double langage, M. le Président. La loi défend à certains jeunes, des immigrants, d'aller à l'école anglaise. Qu'est-ce qu'ils ont fait durant qu'ils étaient au pouvoir? Ils ont laissé des parents traîner leurs enfants par la main à l'école anglaise – les jeunes ne sont pas responsables de ça, M. le Président – sachant pertinemment, les parents, qu'ils n'avaient pas le droit de les amener à l'école anglaise. Les enfants ne sont pas à blâmer. Les parents le savent, par exemple, qu'ils n'avaient pas le droit; les commissaires et les commissions scolaires le savaient encore plus. Ce sont des gens qui sont là pour faire respecter les lois. Il aurait fallu des inspecteurs là aussi, M. le Président. Qu'est-ce qu'ils ont fait? Les libéraux ont laissé faire. Et le ministre de l'Éducation, un certain laps de temps, les a, par une loi en cette Chambre, absous. Absous!

Eh bien, la loi 86, c'est exactement pareil: du double langage pour l'école, du double langage pour la langue. Vous avez voté la loi 86, puis vous leur avez dit: Ne l'appliquez pas, ce n'est pas grave. Double langage, disciples de Galganov. Toutes les lois méritent d'être respectées. Et encore plus, quand un législateur prend plaisir à dire en cette Chambre que ce n'est pas nécessaire de respecter une loi... Ils ne le disent pas directement, mais ils disent: On va faire une loi, on n'a pas besoin d'inspecteurs pour voir si elle est respectée. Il y a une loi sur la circulation, M. le Président; s'il n'y avait pas de police – là, c'est de vraies polices – pour donner des tickets, on n'a pas besoin de loi. Dans nos restaurants, dans nos boucheries – on dit: Il faut que la viande soit bonne pour les consommateurs – si on n'avait pas d'inspecteurs pour voir si elle n'est pas avariée, à quoi ça servirait d'avoir une loi? Comment ça se fait que, pour une fesse de boeuf, on accepte un inspecteur, puis, pour la langue française, on n'en veut pas? Est-ce qu'on aurait plus de charme pour la fesse que pour la langue de l'autre côté, M. le Président?

(4 h 30)

Toute loi mérite d'être respectée. Et je ne mets pas en doute la bonne volonté de plusieurs personnes qui ont parlé de l'autre côté. Parfois, malgré soi, à cause du contexte un peu curieux dans lequel on vit, on a une influence. Quand on est catholique, c'est facile de l'être; quand on est musulman, c'est facile de l'être, mais, quand on est irrespectueux des lois, c'est facile de l'être. Je ne leur en veux pas, mais j'aimerais bien qu'on ne nous traite plus de double langage, de ce côté-ci. Avec les tout petits exemples que j'ai donnés, il y aurait un «scandalier» haut de même qu'on pourrait écrire à ce sujet-là. Et je veux vous dire, M. le Président, ce que j'aime beaucoup à dire et surtout à cette heure du matin: Vous savez qu'à cette heure-là beaucoup de personnes ne font pas attention à leur intervention et disent: Ah! on va y aller parce qu'on est un peu obligé. J'en ai vu de l'autre côté. Ils y allaient parce qu'ils étaient obligés, quoique la plupart, c'était assez bien fait. C'est bien écrit. Ils ont des bons recherchistes. Ils écrivent des bons textes. Mais ils s'appliquaient moins dans la lecture à cause de l'heure. Il ne faut pas oublier que c'est une heure de pointe pour la télévision, 4 h 30, là. C'est vraiment l'heure de pointe pour la télévision des débats de la Chambre. C'est à peu près l'heure où on a la plus grosse cote d'écoute...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: ...et c'est l'heure où les cultivateurs se lèvent pour aller faire leur train. C'est l'heure où on va chercher les oeufs pour le petit déjeuner, où tous les conducteurs d'autobus jaunes vont chercher les enfants, se préparent à aller chercher les enfants, font leur... C'est une heure de pointe, hein? Et ils sont tellement heureux quand ils se lèvent à 4 h 15, les gens de la campagne puis les gens qui travaillent tôt le matin, ouvrir leur téléviseur puis dire: Ah! Réveille-toi! Réveille-toi, Cécile, ils sont en Chambre! Ils sont encore là! Viens voir si c'est intéressant!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: C'est vraiment ça. C'est l'heure de pointe. Alors, à ces gens qui nous regardent et qui savent très bien que, de ce côté-ci, on ne tient pas un double langage, je leur souhaite une belle double nuit après que ce sera fermé et je leur dis avec fierté: Regardez votre Assemblée nationale. Parfois, nous avons l'air un peu curieux de siéger à ces heures-là. Cependant, c'est ici que les lois se forgent, c'est ici que les lois se sentent et c'est ici que les lois se font. Et, quelle que soit la manière dont ces lois-là sortent, quelle que soit la façon ou la forme, c'est quand elle sort, la loi, qu'elle prend sa valeur. Et, sur la forme, il y a beaucoup de discussion, mais, quand elle sort, quand elle éclôt, cette loi, cette loi, c'est une loi valable quelle que soit l'heure où elle a été votée.

M. le Président, un législateur, c'est un législateur. Ici, on légifère. Certains soirs, on pense qu'on «lucifère», mais, quand même, on légifère. Et il n'en tient qu'à vous, on peut voter tout de suite. Si vous trouvez que c'est difficile de siéger la nuit et que ça n'en vaut pas la peine, arrêtez de le dire, on va la voter, la loi. De toute façon, on va la voter: on est plus nombreux. Puis ce que vous dites depuis à peu près cinq, six heures, vous dites toujours la même chose, vous vous passez le même texte en virant les feuilles de bord. Il y en a un qui fait 1, 3, 5, 6, l'autre fait 2, 4, 6, 8.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: Alors, ça ne vous donne absolument rien, on la connaît, la rengaine. C'est le député de quel comté qui vient de parler? Avec les pilules, là?

Une voix: Robert-Baldwin.

M. Blais: Le député des pilules, M. Robert-Baldwin, eh bien, il a trouvé le tour de nous parler des médicaments dans une loi sur la langue. Est-ce que c'est la façon d'avaler la pilule ou la langue, ou je ne sais pas? Il a trouvé le tour encore.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: Il ne savait pas que les pharmacies fermaient à minuit. Bon.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: M. le Président, quelle que soit la façon dont cette loi sortira, il faut que les gens sachent qu'on a fait notre possible, mais le double langage de l'autre côté, en nous disant qu'on les fait veiller la nuit...

Écoutez encore l'autre double langage, en terminant, M. le Président. Il n'en tient qu'à vous, nous sommes prêts à la voter, la loi, et ce n'est pas les discours que vous allez faire d'ici à 10 heures, demain matin qui vont renseigner le monde. Vous dites tous la même chose. Ça coûterait moins cher de leur faxer. Faxez aux trois, quatre personnes qui vous écoutent. Faxez votre discours. Il a six pages. Vous vous promenez: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, bon. M. le Président, votez-la tout de suite, nous sommes prêts. Je suis persuadé... Est-ce que vous êtes prêts à voter la loi? Oui.

Des voix: Oui.

M. Blais: M. le Président, nous sommes prêts. Alors, il n'en tient qu'à vous que nous arrêtions de siéger immédiatement. Mais, s'il y en a un, après que j'ai fini de parler, qui se lève puis qui dit qu'on vous fait veiller la nuit, ce sera encore de la «galganoverie» et du double langage. Je voudrais vous dire que, malgré ça, j'aime beaucoup les gens en face de moi, à une exception près. Juste un, là, que je n'aime pas beaucoup, mais les autres, je ne les aime tous, tu sais.

Une voix: Mais il y en a seulement un?

M. Blais: Juste un. Juste un, bon. Mais ce n'est pas grave, là. Je ne le dirai pas à soir. Je vais parler de ça à mon chum Eddy, puis, s'il me dit qui, s'il me permet...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: ...s'il me permet de le nommer, je le nommerai, mais... Parce que mon chum Eddy est un homme franc. Je tiens à dire à ceux qui sont devant moi et ceux qui nous écoutent, puis à mes fans que j'ai avertis de m'écouter à cette heure-ci, que je suis toujours Québécois pour la langue à fleur de lys, à fleur de peau; je suis toujours Québécois à fleur d'espoir, Québécois à fleur de bataille du pays en devenir. Et, M. le Président, sur ça, je vous remercie.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Je vous remercie, M. le député de Masson. Je vais maintenant céder la parole à M. le député d'Orford. M. le député.


M. Robert Benoit

M. Benoit: Oui. Merci, M. le Président. Il est 4 h 40 ce matin, 4 h 40. Et, à l'époque où j'étais jeune député, il y a sept ans maintenant, je me souviendrai toujours d'avoir passé des nuits ici, avec le gouvernement du PQ en opposition, l'opposition qui nous faisait passer les nuits. Et le député de Joliette – ce n'est pas le moindre dans ce gouvernement maintenant, à un moment donné il avait à peu près tous les chapeaux – ce député, nuit après nuit, disait au gouvernement: Attendez qu'on prenne le pouvoir, nous; jamais, jamais vous n'allez siéger la nuit. Jamais vous n'allez siéger la nuit, M. le Président. Et, dans la phrase ensuite, il disait – il était critique aux Affaires municipales: Si, nous, on transfert des responsabilités aux municipalités, on transférera aussi de l'argent avec ça. Voulez-vous que je continue sur ce qui fut dit pendant des années?

Or, l'histoire a voulu que ces gens-là soient maintenant au gouvernement, et on reconnaît de nouveau ces engagements, qu'ils avaient pris par la voix, par la bouche du député de Joliette, qu'on ne siégerait pas la nuit. Effectivement, M. le Président, je ne suis plus sûr que c'est la nuit. Il est 4 h 40; c'est plus le matin que la nuit. Ils vont peut-être finir par avoir raison. Ce n'est plus vraiment la nuit qu'ils nous font siéger, c'est le matin. Il faut voir la piètre qualité des intervenants avant moi, du côté gouvernemental, la piètre qualité de ces arguments. Comment pensent-ils faire avancer un débat aussi sérieux, aussi important, sur lequel leur chef les a rappelés à l'ordre il y a quelque temps, M. le Président?

Mais la question qu'on doit se poser comme législateur: Comment ça se fait que, 200 ans plus tard... Parce que, oui, M. le Président, au-dessus de votre tête, il y a un tableau, un des plus beaux tableaux que le Québec a et dont le titre est «Le débat des langues», qui fut peint tout près d'il y a 200 ans. Ce n'est pas ce soir qu'on a inventé le débat linguistique au Québec. C'est M. Bourassa d'ailleurs qui disait constamment que la politique au Québec, c'étaient les mêmes problèmes qu'ailleurs plus le débat linguistique. Alors, on en a encore une preuve ici. La politique au Québec, c'est les mêmes problèmes qu'ailleurs plus le débat linguistique.

Mais, si c'étaient juste les mêmes problèmes qu'ailleurs, ce serait déjà pas si tant pire, comme disait l'autre. Mais non, M. le Président, au Québec, ça va plus mal qu'ailleurs en ce moment, et on se paie quand même le grand luxe de se taper un débat linguistique à travers tout ça, à 4 h 40 du matin, lequel débat va perdurer encore pendant des heures et des heures.

M. le Président, pourquoi les péquistes tiennent-ils à ressusciter la Commission de protection de la langue française, alors que notre province, province qu'on aime tant... Qu'on soit député d'un comté rural, semi-rural ou d'un comté urbain, on a quelque chose en commun dans cette salle, c'est d'avoir profondément dans les tripes, dans le coeur, cette partie de l'Amérique qu'on veut défendre, nos citoyens qu'on veut défendre. Mais, au-delà du débat linguistique, il y a des réalités quotidiennes.

(4 h 40)

Au Québec aujourd'hui, le 13 décembre 1996, à quelques jours de Noël, entre le moment où la cloche a sonné à minuit et le moment où elle resonnera à minuit, il se sera perdu encore 200 jobs au Québec. Depuis neuf mois, jour après jour, samedi et dimanche inclus, il se perd, M. le Président, 200 jobs par jour. Il n'y a pas une journée où on n'ouvre pas le journal, où on ne s'aperçoit pas qu'une autre compagnie vient de fermer, qu'une autre compagnie est après...

Et je vois le ministre responsable de Montréal, c'est son grand problème à lui le matin. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs qu'il a dit: N'ouvrez pas ce débat linguistique, ne rouvrez pas la loi 101. Lui, il est poigné avec ça, le ministre responsable de Montréal. M. le Président, je vous invite, la prochaine fois que vous serez à Montréal, à marcher sur la rue Sainte-Catherine. Partez du Forum et rendez-vous jusqu'à la rue Papineau: c'est la grande désolation. Sauf quelques petites parties de la rue Sainte-Catherine, c'est épouvantable, ce qu'on y voit. On voit comment l'économie de Montréal est après s'effondrer.

Alors, je disais: Deux cents jobs de moins au Québec jour après jour, le prix des résidences qui a chuté plus que n'importe où en Amérique du Nord et qui, société distincte voulant, continue à chuter, et la construction est toujours à la baisse. Quatre cents à 500 sièges sociaux ont quitté le Québec depuis une trentaine d'années. C'est épouvantable, quand on sait l'effort qu'on doit mettre pour créer une seule job. On a été capable, à cause de nos maudits débats linguistiques, de notre débat constant sur la Constitution, de laisser partir – et à l'occasion j'ai même pensé qu'il y avait connivence pour les laisser partir – 400 sièges sociaux du Québec.

Les Québécois et les Québécoises sont économiquement insécures en ce moment. Il fallait encore voir la réunion des fonctionnaires de l'État, il y a quelques heures, pour voir cette insécurité sur leurs visages, des gens qui ne savent pas ce qui les attend demain. Chez les jeunes du Québec, en ce moment on parle de 25 % de taux de chômage. Dans le comté du premier ministre, des gens se gargarisent dans des beaux discours linguistiques. On a 28 % des gens du comté du premier ministre qui, à cinq heures moins quart du matin, le 13 décembre, n'ont pas d'emploi quand ils se lèveront. Non seulement ils n'ont pas d'emploi, M. le Président, mais ils sont après se demander s'ils ont un devenir, s'ils ont un futur. C'est ça, la situation économique. Quand M. Bourassa disait: Gérer le Québec, c'est gérer les mêmes problèmes qu'ailleurs plus la dimension linguistique, mon Dieu, n'ajoutons pas cette dimension linguistique dans des périodes si difficiles économiquement!

La dette, M. le Président – je ne vous annonce rien – est complètement hors contrôle. On a perdu le contrôle du déficit depuis une décennie et bien sûr de l'accumulation de la dette qui s'ensuit par la suite. Treize régions sur 16 au Québec en ce moment ont des baisses d'investissements, c'est-à-dire que les gens... Et c'était le député de Richmond, notre porte-parole en matière de développement régional, qui disait il y a quelques instants: Les gens sont après regarder comment ils peuvent quitter les régions, non pas pour s'en aller à Montréal – si encore c'étaient les vases communicants entre le chef-lieu et la région – mais non, on regarde la possibilité d'aller dans le Vermont, on regarde la possibilité d'aller dans le Maine, dans le New Jersey, dans le New Hampshire, d'aller au Nouveau-Brunswick ou bien dans la région de l'Ontario. Il faut venir du monde des affaires, il faut côtoyer le monde des affaires pour entendre quotidiennement ce discours-là.

Bien sûr que, si on est debout à l'Assemblée nationale à cinq heures moins quart du matin, on n'a peut-être pas le temps d'écouter ces gens-là. Mais les vrais gens, les gens qui vont partir travailler en métro dans quelques minutes avec leur boîte à lunch, qui vont se retrouver dans des shops vers 6 heures, 6 h 30 ce matin, ces gens-là ne trouvent pas du tout drôle que nous soyons après nous taper la gueule sur un débat linguistique alors que le taux de chômage dans des régions dépasse 28 %.

M. le Président, alors que nos voisins du Sud, les États en périphérie de mon comté, les États du Maine, du New Hampshire, du New Jersey, l'État de New York, ont des taux de chômage de 4 %, nous en sommes à 12 %. Alors que nos voisins de l'Est, avec M. McKenna, nous annoncent cette semaine que leurs impôts vont baisser et qu'ils commencent à rembourser leur dette, on est loin de ça, au Québec: on pige quotidiennement dans nos poches. Il n'y a pas une journée qu'on n'apprend pas une nouvelle taxe déguisée. Hier, c'était sur les contraventions quand la police nous arrête; il y a une semaine, c'était 4 $ par pneu; dans quelques jours, ce sera les médicaments; sans parler des taxes qu'on a envoyées aux municipalités, etc.

C'est un film d'horreur du début jusqu'à la fin. On a l'impression que la sangsue est après nous dans chacune de nos poches pour aller nous chercher une autre piastre, un autre 0,50 $, un autre 10 $. Il n'y a pas une journée où il n'y a pas une augmentation quelque part d'une patente gouvernementale. Ils ont complètement perdu le contrôle. Alors que nos voisins du Sud ont 4 % de chômage, alors que nos voisins de l'Est vont baisser leurs impôts, et leurs déficits, et leurs dettes, nos voisins de l'Ouest, eux, auront trouvé le moyen, M. Harris en tête, de créer 90 000 emplois pendant que nous, le Québec, grâce au bon gouvernement péquiste, aurons trouvé le moyen de perdre 60 000 emplois depuis qu'ils sont là.

Alors, société distincte aidant, nos trois voisins, économiquement, sont après se remettre en place. Comment ça se fait que nous, qui sommes pris dans le milieu de ces trois voisins, n'avons pas été capables de faire pareil? Le raisonnement est simple, il est logique, il est constant. Pendant que ces gens-là se relevaient les manches et disaient: On va créer des jobs, on va envoyer nos gens de l'avant, on va mettre nos jeunes au travail, bien, nous, pendant ce temps-là, on se tapait la gueule sur un débat constitutionnel, le débat le plus «divisif» que vous puissiez trouver dans une société.

Le débat sur la Constitution étant fermé et l'ayant perdu, ils n'ont pas perdu une seule minute pour ouvrir immédiatement après le deuxième débat qui peut le plus diviser les sociétés, celui de la langue. Et laissez-les pas lousses bien longtemps, M. le Président, parce qu'ils vont vous ouvrir un débat sur la religion par la suite. Parce que ça, c'est le troisième débat qui divise les gens. Et ça n'en prendrait pas gros. J'ai suivi leur congrès d'assez près, ils sont à peu près prêts à nous lancer dans un débat de religion. Et là ils auront fait le «three-day event», comme on dit en équitation. Comme on dit, pendant trois jours, ils auront fait les trois grands événements: la Constitution, la langue, et checkez-les bien, ils sont bons pour mélanger ça avec un peu de religion si on les laisse aller un peu plus longtemps. Ces trois débats-là sont les débats qui, à travers les peuples, à travers l'histoire de l'humanité, ont le plus divisé les gens.

Être une autorité responsable, être un leader responsable, c'est d'abord de ne pas obliger un gouvernement à siéger à 4 h 50 du matin. Ça, c'est la première affaire, quand tu es un gouvernement responsable. Mais la deuxième, c'est de ne rien faire pour diviser les gens. Les grands leaders de ce monde, qui ont passé à l'histoire, les Gandhi, les John Kennedy, les grands leaders de cette époque sont des gens qui ont uni les gens, qui ont uni les Noirs et les Blancs et qui leur ont dit: On va gagner quelque chose, on va aller sur la lune. Gandhi a été capable de prendre les différentes ethnies des Indes et de les amener vers des grands projets. Le premier ministre de l'Afrique, en ce moment, regardez ce qu'il est après faire. Il a pris les gens les plus opposés et il est après les amener dans un très grand projet, la démocratie, en Afrique. C'est ça, être un grand leader, M. le Président, c'est prendre les plus faibles, prendre les plus forts, prendre les gens de la droite, prendre les gens de la gauche et essayer de bâtir quelque chose, non pas faire ce qu'on est après faire encore une fois au Québec, diviser. Diviser par la langue, diviser par le territoire, diviser par la religion, c'est ça qu'on est après faire, avec ce projet de loi n° 40 que tout le monde décrit comme étant en ce moment le mauvais moment pour tenir...

M. le Président, pourquoi parle-t-on de langue en ce moment au Québec? Est-ce que ce n'est pas parce que, dans un congrès du PQ, deux hurluberlus se sont levés? J'ai écouté le distingué député, juste avant moi, qui parlait avec beaucoup de sagesse de M. Galganov. Moi, j'aimerais lui parler de ces deux hurluberlus, dans son congrès des membres, qui ont agressé verbalement le chef de ce parti, et qui leur ont fait croire... Des extrémistes du PQ, ils en ont toujours eu. Ils ont ce fondement idéologique de radicaux qui les a toujours poursuivis, qui continue à les poursuivre, ces deux hurluberlus de la langue, dans leur congrès, et la seule façon dont leur chef a été capable de s'en sortir, ça a été de dire: Bien, on va faire quelque chose, on va créer une patente au Québec, une autre patente avec d'autres fonctionnaires et d'autres règlements. C'est comme ça qu'on est arrivé à ce projet de loi n° 40, M. le Président.

(4 h 50)

Et puis quoi? On a divisé encore une fois, on a divisé les gens du Québec, suite à ces deux hurluberlus de la langue, du PQ, qu'on retrouve constamment sur toutes les estrades. Et je vous dirai que le Québécois moyen, il n'est pas d'accord – les sondages sont à 86 % – avec ce débat linguistique. Et on sait pertinemment qu'une formation politique avec quelques centaines de mille membres, autant chez vous que chez nous, ils ne sont pas d'accord avec ce débat linguistique, parce que le membre d'une formation politique, il est relativement semblable à l'ensemble de la population du Québec, autant chez vous que chez nous, pour les grands enjeux économiques, certainement, mais peut-être pas dans les moyens pour y arriver.

Mais, M. le Président, je suis convaincu que les membres de votre parti, sauf quelques exceptions, ne sont pas d'accord avec ce que votre parti est après faire. Et je peux vous assurer que notre membership et les citoyens du Québec... Et je pourrai dans un autre discours, plus tard aujourd'hui, vous citer des dizaines et des dizaines d'éditorialistes, des dizaines et des dizaines de leaders syndicaux, des dizaines et des dizaines de gens de la culture qui vous disent: Ne touchez pas à ce débat linguistique. Votre allié, le député de Rivière-du-Loup, qui dit: Mettez donc les priorités aux bonnes places; entre deux, trois pancartes à Montréal qui, peut-être bien, avaient trop d'anglais, et des centaines et des milliers – pour ne pas dire 1 400 000 – de personnes qui vivent sous les seuil de la pauvreté, mettons donc les priorités aux bonnes places. Votre allié du référendum qui disait ça.

M. le Président, ce qu'on essaie de faire dans ce débat linguistique, c'est de masquer plus que jamais les dynamiques économiques. Et, moi, je veux rendre un hommage à M. Bourassa ici. M. Bourassa a eu, dans sa vie, quelques grandes oeuvres: celle du développement économique du Québec; celle de l'ouverture du Québec sur le monde; celle de la Baie James. Mais une des grandes oeuvres de M. Bourassa, ça a été la notion de l'homme d'État de faire que le débat linguistique, il l'a pris dans une situation épouvantable quand il est arrivé là en 1985. Et, quand il quittera neuf ou 10 ans plus tard, le débat linguistique sera terminé, le débat linguistique, il sera fermé. Et le pendule linguistique aura repris une place tout à fait correcte dans la société.

Je vois ici notre leader, le député de Brome-Missisquoi, le très bon député de Brome-Missisquoi. Il est mon député; vivant dans le petit village d'Austin, ma résidence est dans son comté. J'ai un député extraordinaire qui défend mes intérêts, qui va parler d'ailleurs contre le projet de loi n° 40 parce que les citoyens du comté de Brome-Missisquoi ne sont pas d'accord avec le projet de loi, pas plus que les citoyens du comté d'Orford, M. le Président. Ceci dit, M. Bourassa a ramené le pendule à la bonne place.

Et, moi, je vous dirai que, autant le député de Brome-Missisquoi que le député d'Orford, depuis les trois dernières années... M. Paradis fait du bureau le samedi, parce que les gens de son comté sont des agriculteurs et il les reçoit à son bureau sans appointement le samedi. Il faut aller voir ça: les gens sont en ligne pour le rencontrer. Chez moi, c'est le lundi et le vendredi que les gens viennent, et le samedi, je voyage dans le comté. On a chacun notre approche des choses. Mais ce que je veux dire, c'est que, depuis trois ans, je n'ai pas eu un seul citoyen, et je suis sûr que M. Paradis, qui va nous parler par la suite, n'a pas eu un seul citoyen qui est venu dire qu'au Québec ça le grattait puis que ça le piquait, le problème linguistique, absolument pas. Les gens du Québec, depuis trois ans, trouvaient que Robert Bourassa, dans sa sagesse, dans sa vision du peuple québécois, dans sa connaissance de l'histoire du Québec, avait décidé que le pendule était à la bonne place.

Et les citoyens du Québec, M. le Président, ont aussi, à 86 % – c'est du jamais vu – réalisé que le projet de loi 86 était effectivement la solution. D'ailleurs, entre vos deux hurluberlus que vous avez eus au PQ, qui ont demandé ce débat linguistique, et ce qui s'est passé il y a quelques jours, M. Bouchard, finalement, a dit: On devra revenir au projet de loi 86.


Motion de report

M. le Président, je voudrais faire une motion de report, mon temps étant terminé. J'espère pouvoir reparler sur le projet de loi n° 40, c'est important. Alors, la motion de report, selon l'article 240, M. le Président, se lit comme suit: «M. le Président, je fais motion pour que la motion en discussion soit amendée en remplaçant les mots "soit maintenant adopté" par les mots "soit adopté dans six mois".» Et je demanderais, M. le Président, une réunion des leaders à ce point-ci. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, je vous remercie, M. le député d'Orford. Alors, il y a une motion de report devant nous. C'est une motion qui ouvre un débat restreint de deux heures, et il est coutume que nous nous retirions, les leaders, pour partager le temps entre les groupes parlementaires. Alors, je suspends pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 4 h 55)

(Reprise à 5 h 6)

Le Vice-Président (M. Brouillet): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, si vous voulez vous asseoir.

Nous allons entreprendre le débat sur la motion de report présentée par le député d'Orford. Et, après la rencontre avec les leaders, nous nous sommes entendus sur la répartition du temps, des deux heures de débat: 10 minutes seront réservées pour les députés indépendants, et le reste du temps sera réparti également entre les deux groupes parlementaires. Il y a aura un transfert du temps non utilisé par un groupe à l'autre groupe, et le transfert des indépendants, s'ils n'utilisaient pas leur temps, sera réparti entre les deux groupes. Il n'y aura pas de limite de chacune des interventions à l'intérieur du temps réparti aux différents groupes, pas de limite d'intervention individuelle des individus.

Alors, je serais prêt à céder la parole. M. le leader de l'opposition.

M. Paradis: Oui. Tout simplement pour constater l'entente suite aux discussions, mais en soumettant quand même à la présidence, sous forme de directive... La question de la transférabilité du temps qui prévaut entre les groupes parlementaires peut faire bénéficier individuellement les députés, qu'ils soient ministériels ou de l'opposition; la question de la transférabilité quant aux droits des minoritaires que sont les indépendants ne peut jouer en leur faveur que de façon négative. Je le soumets donc pour fins de réflexion à la présidence, pour maintenir des droits les plus égaux possible entre chacun des parlementaires en cette question, une analyse d'une possibilité de transférabilité qui soit à la fois négative et positive.

Le Vice-Président (M. Brouillet): Alors, pour le moment, si vous voulez, je m'en tiens à la décision et je prendrai ça en considération pour l'avenir, lors de nos prochaines rencontres avec les leaders. Alors, je suis prêt maintenant à céder la parole au premier intervenant. M. le député d'Outremont, je vous cède la parole.


M. Pierre-Étienne Laporte

M. Laporte: M. le Président, pourquoi faut-il reporter le projet de loi n° 40? Premièrement, parce que, ainsi que l'ont répété à maintes reprises mes collègues, il est indigne de cette Assemblée de devoir débattre, la nuit, d'une loi dont les enjeux sont décisifs pour l'avenir de notre langue, alors que nos concitoyens et nos concitoyennes, qui devraient pouvoir participer à nos débats si nous le faisions en plein jour, en sont privés, privés de pouvoir entendre les critiques de l'opposition officielle et de pouvoir juger si les réactions des parlementaires du gouvernement à ces critiques sont sensées, c'est-à-dire si elles font foi de sérieux, de bon sens et si elles sont convaincantes. Je le répète, les enjeux de cette loi sont décisifs.

(5 h 10)

Le recours aux moyens coercitifs accrus qui sont prévus dans le projet de loi n° 40, en plus d'être excessif et injustifié – et ce devrait être à nos concitoyens de décider si c'est ou non le cas – le recours à ces moyens entraînera des effets négatifs. Ce serait à nos concitoyens de décider si le projet de loi n° 40 est opportun, s'il sert leurs intérêts et si, comme le prétend le gouvernement, l'urgence d'agir est un motif suffisant et nécessaire.

Je n'ai aucun doute, M. le Président, que, si nos concitoyens et nos concitoyennes pouvaient le faire, écouter nos débats, arbitrer nos arguments, la très grande majorité d'entre eux et d'entre elles rejoindraient le camp de l'opposition officielle. Car, enfin, M. le Président, dût-il y avoir consensus sur l'opportunité de voter la loi n° 40, nous pourrions penser que le débat a eu lieu, mais ce n'est pas le cas. La majorité des intervenants qui sont venus nous rencontrer en commission parlementaire ont exprimé des réserves, et souvent des réserves sérieuses, sur le projet de la ministre. Alors, pourquoi faut-il agir ainsi que le gouvernement nous force à le faire?

J'ai mentionné, M. le Président, antérieurement quelles raisons peuvent être interprétées comme étant celles du gouvernement, et je ne voudrais pas revenir là-dessus sinon pour dire que, comme je l'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture, après s'être creusé les méninges, s'être torturé les méninges, comme j'ai dit, on en vient à la conclusion que, finalement, derrière ce projet, il y a des motifs qui sont bassement partisans. J'ai aussi mentionné d'autres motifs sur lesquels je reviendrai ultérieurement, mais, pour l'instant, je pense que la preuve que de pareils motifs sont en jeu a été faite très largement.

Deuxièmement, il me semble que c'est bien établi et que tous les faits qu'on nous a présentés, dont nous avons pu prendre connaissance, qui ont été portés à notre attention, nous obligent à nous interroger sur le choix que fait maintenant le gouvernement. Je ne veux pas revenir longuement là-dessus, M. le Président, mais, puisque ça a été si abondamment mentionné, bien, qu'on s'en remette aux résultats des enquêtes qui ont été faites, et qui ont été faites à la demande même du gouvernement, et qui montrent que la situation du français au Québec s'est non seulement améliorée, qu'en matière de statut des langues dans l'affichage commercial la situation du français à Montréal est demeurée stable, qu'il n'y a pas eu de détérioration, et que nous sommes, si on veut, en présence d'une espèce d'imposture, puisque toutes les analyses et toutes les évaluations que le gouvernement a lui-même commandées sont à l'effet qu'il n'est pas nécessaire de modifier la loi 86. Le rapport du comité interministériel, les déclarations des deux présidentes de l'Office et du Conseil de la langue française, de nombreux éditorialistes, de toutes parts des opinions se sont fait entendre jugeant qu'il est inopportun d'agir maintenant et surtout d'agir à la manière qu'a choisie d'adopter le gouvernement.

Si des opinions dissidentes veulent se faire entendre, M. le Président, qu'on prenne les moyens de les écouter. Il y a sûrement des gens que le gouvernement pourrait convoquer pour essayer de nous convaincre; nous les entendrons, nous les écouterons, mais, jusqu'ici, nous devons dire en toute honnêteté que les propos que nous avons entendus en commission parlementaire et ailleurs, dans les journaux, dans les articles de revues qui ont été publiés à cet effet, dans les mémoires qui ont été présentés, tout nous amène à penser qu'il n'y a pas d'urgence d'agir et que, en le faisant de la façon dont le gouvernement a décidé de le faire, les effets négatifs, les désavantages d'agir ainsi seront de beaucoup supérieurs aux bénéfices espérés.

Troisièmement, M. le Président, cette loi devrait être reportée, et, encore ici, les études l'ont démontré, parce que, nous le savons, les lois linguistiques qui ont atteint leurs objectifs l'ont fait sans avoir à recourir aux moyens de coercition et à des moyens de coercition aussi excessifs que ceux empruntés par la loi n° 40.

Je prendrai quelques exemples, M. le Président. L'exemple d'Israël, qui est, de toute évidence et de l'avis de la très grande majorité des experts, un cas de renaissance d'une langue qui a parfaitement réussi et qui a parfaitement réussi sans qu'on ait recours aux moyens qui sont maintenant envisagés. Le cas de la renaissance de l'hébreu en Israël, M. le Président, était un cas qu'on pourrait même qualifier de pathétique, parce que, contrairement à ce qui a été le cas de l'aménagement du français au Québec, au point de départ, en Israël, faut-il se le rappeler, il n'y avait pas de communauté linguistique vivante. Lorsque les Juifs qui ont quitté l'Europe se sont présentés, à la fin du XIXe, début du XXe siècle, en Israël, ils n'avaient pas de langue commune et ils en ont lentement acquis une, et ils l'ont fait sans avoir à recourir à aucun des moyens qui sont ici envisagés.

Un autre cas que nous connaissons bien. Le gouvernement nous a fait la faveur d'inviter, l'été dernier, des représentants, des personnalités, des hautes personnalités de la Catalogne à venir nous rencontrer, à venir témoigner devant nous. La Catalogne est un bel exemple d'un cas de promotion et de protection d'une langue nationale qui a parfaitement réussi et qui a parfaitement réussi sans qu'on ait, en aucune façon, mais en aucune façon, à recourir aux moyens coercitifs qui sont maintenant envisagés par le gouvernement.

Le cas de la France, M. le Président, qui est un pays qui s'est beaucoup préoccupé, au cours des 10 dernières années, de la promotion et de la protection de sa langue nationale. Là, on ne retrouve, M. le Président – et j'en sais quelque chose parce que j'ai eu, tout au long de ma carrière de haut fonctionnaire, des liens très étroits avec les personnalités françaises qui étaient responsables de l'administration de la loi linguistique française ou des lois linguistiques françaises – dans ce cas, aucune, mais aucune indication que le gouvernement ait cru que, pour arriver aux fins qu'il visait, la coercition légale était nécessaire. Évidemment, il y a en France un organisme qui s'appelle la Délégation générale à la langue française et qui est un organisme qui, dans certains cas, peut utiliser la coercition légale pour arriver à ses fins, mais on n'y trouve en aucune façon le genre de dispositif coercitif qui nous est présenté dans le cas de la loi n° 40.

L'expérience québécoise, M. le Président, est encore ici exemplaire, puisque, finalement, on a réussi à améliorer une situation linguistique, à stabiliser le statut d'une langue sans avoir recours, au cours des dernières années, à l'appareil coercitif. Et j'irais même jusqu'à dire que, lorsqu'on a eu recours à l'appareil coercitif, les effets ont été fort négatifs et ont contribué largement à créer au Québec le climat de tension, le climat de méfiance mutuelle et, jusqu'à un certain point, le climat d'intolérance réciproque duquel on a voulu se libérer lorsque le gouvernement libéral a décidé de passer la loi 86 et d'abolir en même temps le dispositif dont on parle, la Commission de protection de la langue française.

(5 h 20)

Il y a évidemment des cas, M. le Président, où des dispositifs de coercition légale lourds, raides, durs, comme ceux de la loi n° 40, ont été utilisés. Je ne mentionnerai pas, M. le Président, parce que ce serait déplacé de le faire, les cas de ces législations linguistiques des pays autoritaires qui prévoient des dispositifs de coercition légale qui sont extrêmes. Je ne mentionnerai pas, M. le Président, le cas de la Libye, je ne mentionnerai pas, M. le Président, le cas de la Malaisie, mais il s'agit évidemment de cas qui n'ont rien à voir avec le contexte démocratique et de reconnaissance de libertés individuelles qu'on connaît ici au Québec.

Il y a évidemment un autre cas, d'une société comparable à la nôtre, et où un appareil coercitif de sanction légale a été prévu, sans par ailleurs avoir été bien actif au cours des années, c'est le cas de la Belgique. Mais je vous rappellerai, M. le Président, que la situation linguistique belge à l'heure actuelle – et il y avait un bon article là-dessus dernièrement dans la revue de la francophonie – la situation linguistique belge actuelle a atteint un tel niveau de polarisation que la Belgique se trouve dans une situation de tensions politiques qui sont de beaucoup supérieures à ce qu'elles étaient au moment où la politique linguistique belge a été appliquée. Et j'insiste là-dessus, M. le Président. J'ai rencontré les autorités belges là-dessus, ces autorités n'ont pas prévu un dispositif coercitif comparable à ce que la ministre de la Culture et des Communications a inclus dans la loi n° 40. On n'y prévoit pas, comme la loi n° 40 le veut, que des fonctionnaires visitent à toute heure, pénètrent, examinent, tirent des copies et fassent des photographies. Ce n'est pas dans les moeurs des Belges, malgré le fait que, ainsi que tout le monde le sait ici, les relations, en Belgique, reposent sur des rapports de force qui sont jusqu'à un certain point fort comparables à ceux qu'on a pu observer au Québec.

Cinquièmement, M. le Président, nous avons l'opinion des gens d'affaires qui se sont prononcés et qui ont déposé un mémoire lors du dernier Sommet de Montréal. Qu'est-ce qu'on a lu dans ce mémoire? Qu'est-ce qu'on lit dans ce mémoire? Qu'est-ce qu'on lit dans ce mémoire qui a été préparé sous la direction du président d'Imasco, dont le nom m'échappe, je m'en excuse, à cette heure tardive de la nuit, ça me reviendra tantôt, de toute manière...

Une voix: M. Levitt.

M. Laporte: M. Levitt, voilà. Merci, merci. Qu'est-ce qu'on retrouve dans ce rapport dirigé par Brian Levitt? On retrouve des recommandations au gouvernement à l'effet qu'il serait souhaitable que, dans toute la mesure du possible, le gouvernement s'efforce de soustraire de la loi 101 les mesures qui, justement ou injustement, sont perçues par les gens qui nous regardent à distance comme étant des mesures d'exception, des mesures exceptionnelles et des mesures inacceptables aux yeux de la grande majorité des gens de bonne foi et de bonnes moeurs. Le président Levitt est très, très, très catégorique là-dessus, et il le dit: Ce n'est pas tellement que la loi 101 contient des irritants objectifs – il parle de la loi 101 avant que la loi n° 40 arrive, évidemment – ce n'est pas que la loi 101 contient autant d'irritants objectifs qu'on a pu le prétendre, c'est que cette loi est perçue, dans bon nombre de cas, dans bon nombre de situations, par bon nombre de gens, comme incluant des mesures qui sont jugées comme étant des mesures inacceptables. Alors, à quoi faut-il s'attendre lorsque, en plus des dispositifs de coercition légale qui existent déjà et auxquels les entreprises du Québec s'accommodent tant bien que mal, et je dirais mieux que mal, et face auxquels elles ont fait preuve d'un accueil relativement large et de bonne coopération, à quoi faut-il s'attendre lorsque, en plus de ces dispositifs, qui dans bien des cas, je le répète, se sont montrés efficaces – je pense à ceux, par exemple, qui concernent la francisation des entreprises – lorsque à ces dispositifs viendront s'ajouter ceux qui sont maintenant prévus à l'article 174 de la loi n° 40?

Je me rappellerai toujours avec quel sentiment de malaise j'avais pris connaissance, lorsque j'étais responsable de l'administration de la Charte, du travail de ridicule, de l'ironie et de l'humour noir dont un écrivain canadien célèbre avait été capable en s'attaquant à ce que, après lui et après d'autres, il était devenu malheureusement convenu et, même si inconvenablement, acquis d'appeler la Commission la «police de la langue» ou les «tongue troopers», ou je ne sais quoi d'autre. Mais, M. le Président, je vous fais remarquer que nous nous exposons à ce genre de réactions, que ces réactions sont des réactions de personnes qui sont influentes à l'échelle mondiale, que lorsqu'un article sur le Québec et sur les tracasseries de la coercition linguistique, les tracasseries de ce qu'on a appelé la politique de la langue sont écrites dans le New Yorker , il y a beaucoup de monde qui lit ces choses. Et une fois qu'elles sont écrites, je vous ferai remarquer encore une fois, M. le Président, qu'il n'est pas facile d'en découdre, parce que ce n'est ni vous ni moi qui ont, comme ça, facilement accès aux pages du New Yorker .

Donc, je l'ai dit à maintes reprises, mes collègues l'ont répété, il ne faut pas créer des situations qui nous déshonorent impunément ou inconsidérément. Et je le répète, lorsque le mal est fait, il n'est pas facile de le corriger. Et nous vivons toujours de ce mal qui nous a été fait par la mauvaise réputation, et dans certains cas, je dois l'admettre, la mauvaise réputation justifiée de la Commission de protection de la langue française. Écoutez, je sais de quoi je parle. J'y ai travaillé suffisamment longtemps pour savoir de quelle énergie il m'a fallu être capable pour retenir les zélotes et les empêcher d'agir pour nuire au Québec et à sa bonne réputation.

M. le Président, lorsqu'on est un haut fonctionnaire responsable et qu'on a à coeur l'intérêt du Québec – certains d'entre vous en savent quelque chose – on agit avec les moyens du bord, on fait le mieux qu'on peut, mais je vous prie, M. le Président, de nous entendre et de demander à nos collègues d'en face de réfléchir, et de réfléchir sérieusement aux conséquences prévisibles que l'adoption de ce projet de loi entraînera. Et, sur cela, M. le Président, je suis prêt à faire des gageures avec n'importe quel de mes compatriotes d'en face, de mes collègues d'en face, des parlementaires d'en face. Si vous adoptez cette loi, vous allez le regretter amèrement, et nous, du Québec, allons le regretter amèrement.

Une voix: Il y a quoi là-dedans?

Une voix: Ouais!

M. Laporte: Ah! Mais, messieurs, il y a quoi là-dedans? Mais il faut la lire, cette sacrée loi!

(5 h 30)

Une voix: Dites-nous-le!

M. Laporte: Monsieur, je ne suis pas là pour vous lire des textes que vous pouvez lire vous-même.

Le Vice-Président (M. Brouillet): S'il vous plaît, M. le député d'Outremont, le débat se fait par alternance – une minute, s'il vous plaît – quand vous avez vos droits de parole. Ça viendra. Vous pouvez répondre à tout argument quand le temps vient. Alors, je vous inviterais, s'il vous plaît, à respecter le règlement, vous interviendrez en temps et lieu si vous avez des choses à dire. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, je vous le répète, à l'occasion de cette soirée passée à débattre, mes collègues ont amplement fait état des contrariétés dont je parle. Je vous prie, M. le Président, si vous le voulez bien, de faire parvenir à mes collègues d'en face le projet de loi, et, je leur fais confiance, ils pourront eux-mêmes, après en avoir pris connaissance, se rallier à mon évaluation.

Mais il y a aussi d'autres raisons, une septième raison, pour que nous ne pensions pas qu'il soit opportun, utile et nécessaire, suffisant, d'adopter pareil projet pour assurer que la majorité des Québécois, et surtout la majorité des Québécois et des Québécoises qui ne sont pas francophones de langue maternelle, se rallient derrière cette langue. D'ailleurs, le ralliement est déjà largement en voie de se faire, on cite toutes sortes de statistiques.

Écoutez, il s'agit de consulter les études qui ont été faites à l'Office, les études qui ont été faites au Conseil pour constater que, un, les transferts linguistiques du côté des populations immigrantes et des populations immigrantes nouvellement arrivées au Québec se font maintenant majoritairement en faveur du français. Il faut avoir pris connaissance du document du Conseil sur les indicateurs linguistiques pour constater que, de toute évidence, le français à Montréal est dans un grand cycle de croissance et que cette croissance se continuera quels que soient les ajouts qu'on puisse décider de faire à la loi, et que, contrairement à ce qu'on peut espérer, ce qui pourrait menacer cette croissance, c'est en particulier les dispositifs qu'on trouve dans la loi n° 40.

Ce n'est pas par la coercition légale ou sociale qu'on amène les gens à se rallier derrière une cause. Tout ce que la coercition légale et sociale nous permet d'atteindre – M. le Président, c'est bien établi, il y a des gens d'en face qui le savent, on le sait à partir de toutes les études qui ont été faites sur le recours à la coercition légale pour le changement social ou pour le changement sociolinguistique – ce qu'elle produit, c'est ce que certains de mes collègues ont mentionné: un conformisme plat, un manque d'adhésion du coeur et, finalement, beaucoup, beaucoup, beaucoup de ce qu'on appelle de réactance. Les gens réagissent négativement, les situations linguistiques se polarisent, les tensions augmentent. Et, comme le mentionnait, dans un article récent du Globe and Mail , Henry Mintzberg, lorsqu'on se polarise, lorsque les rapports linguistiques se polarisent, lorsque les tensions linguistiques augmentent, on peut s'attendre à trouver une élévation du niveau d'intolérance réciproque.

Et ça, M. le Président, pour nous, pour ceux d'entre nous qui sommes Montréalais et qui, au cours des années, en sont arrivés à aimer l'atmosphère de confiance, l'atmosphère de solidarité, l'atmosphère de courtoisie qu'on retrouve dans nos rapports linguistiques à Montréal, c'est inquiétant d'imaginer, de penser, de supposer, d'anticiper que la qualité de ces rapports linguistiques soit détériorée par une décision comme celle que nous avons devant nous et qui, je le répète, à mon avis et de l'avis de tous mes collègues, est une grave erreur tactique.

Huitième raison, M. le Président, on l'a abordée, cette question-là au cours de nos débats. Ici, évidemment, je sors un peu du projet de loi n° 40, qui est, comme je l'ai mentionné au début, un tout petit projet, une toute petite loi, sept pages, 45 articles. On n'est pas en présence de ces grandes lois qu'on discute ici, en commission parlementaire et à l'Assemblée nationale.

Dans la politique linguistique que nous propose Mme Beaudoin, qui, je l'ai mentionné, je l'ai répété, je l'ai dit – la ministre le sait, elle connaît mon avis là-dessus – contient bon nombre de mesures qui sont des mesures intelligentes, des mesures généreuses, des mesures qui ont de l'élan et auxquelles le Parti libéral souscrit entièrement, puisque nous partageons totalement avec le gouvernement l'objectif ultime de protection et de promotion du français, à ces mesures, il y en a certaines qui auraient pu être ajoutées et qui favoriseraient, bien davantage que ce qu'on retrouve dans le projet de loi n° 40, la protection, la promotion, la diffusion, le renforcement et finalement l'avenir et la sécurité de notre langue.

Prenons un exemple précis, concret: l'enseignement du français dans nos écoles. Une étude qui a été faite l'an passé, enfin qui a été publiée l'an passé par le Conseil de la langue française, nous apprend des choses fort intéressantes sur l'enseignement du français au Québec. D'abord, contrairement à beaucoup de préjugés qui sont véhiculés dans l'opinion publique, ce que l'étude montre, c'est que les jeunes Québécois et Québécoises du secondaire, comparés à des cohortes équivalentes de jeunes étudiants du même âge et du même niveau au Sénégal, en France, en Belgique et dans d'autres pays francophones, obtiennent des scores de performance linguistique, de performance cognitive, de créativité, d'imagination, de capacité de s'exprimer, de faire valoir leur point de vue et de gagner dans des échanges où des points de vue divergents sont en présence qui sont habituellement supérieurs à ceux des jeunes gens et des jeunes filles, des jeunes hommes et des jeunes femmes du reste de la francophonie.

Là où par ailleurs nous avons un fichu problème, M. le Président, c'est lorsqu'on examine les indices de maîtrise du français, de maîtrise de la langue. Nos jeunes sont moins performants que le sont ces jeunes en ce qui concerne la grammaire, en ce qui concerne le vocabulaire et en ce qui concerne, jusqu'à un certain point, les compétences qui dénotent une maîtrise des aspects morphologiques d'une langue. Évidemment, il ne faut pas s'en étonner, on constate aussi dans les mêmes études que le temps consacré à l'enseignement du français au Québec est moindre que ce qu'il est dans ces pays.

Dans une étude qui avait été, au moment de la préparation du premier référendum, commandée par l'ancien ministre Morin, nous avions observé deux choses absolument fondamentales en ce qui concerne l'enseignement du français au Québec. Nous avions observé que, d'une part, comme je l'ai mentionné tantôt, la performance linguistique des élèves du Québec francophones était habituellement moins bonne que celle des élèves d'autres communautés linguistiques, mais ce qu'on avait observé, c'est que – et ça, c'est très important – comparativement aux élèves de leur âge en France ou en Belgique, les attentes de performance des enseignants, les attentes de compétence mais surtout de performance des enseignants au Québec, les attentes face aux élèves, sont inférieures à ce qu'on trouve dans d'autres pays de la francophonie. Donc, il y a ici, je le dis en septième lieu, une priorité qui devrait être au coeur de la politique linguistique de la ministre de la Culture et des Communications.

(5 h 40)

Fondamentalement, M. le Président, ce qui est en jeu, ce qui est en cause ici, c'est la capacité qu'ont nos élèves, que ce soient nos élèves des écoles francophones ou que ce soient nos élèves qui apprennent le français comme langue seconde... Ce qui est en cause, c'est nos exigences face aux jeunes, notre capacité de leur faire accepter certaines formes de discipline linguistique. Parce que, enfin, il faut tout de même se rendre compte que...

Écoutez, il ne faut pas avoir appris une langue seconde pour le savoir. Certains de nos collègues le savent, ils ont aussi appris des langues secondes. Pour apprendre une langue et pour pouvoir, une fois qu'on l'a apprise ou à mesure qu'on l'apprend, être capable de la pratiquer d'une façon grammaticale, il faut – qu'est-ce qu'on peut y faire? – apprendre la grammaire. Ce n'est pas en montrant aux étudiants la grandeur des théories de Noam Chomsky – qui est évidemment un très éminent linguiste – et en leur faisant faire de la linguistique générative qu'on va leur enseigner la grammaire et qu'on va leur apprendre à faire des phrases qui sont grammaticalement bien construites et à avoir un vocabulaire qui est un vocabulaire riche et étendu tant en ce qui concerne la connaissance de la langue commune qu'en ce qui concerne la connaissance des techniques et des sciences.

Donc, M. le Président, je le répète, plutôt que de consacrer 5 000 000 $ à ajouter au personnel d'un organisme nouveau, sans véritable tradition de qualité de services, sans véritable pratique efficace de la dispensation des services, des soins linguistiques, si on veut, plutôt que de dépenser notre argent à vouloir ressusciter ce que j'ai appelé, dans cette Assemblée, non pas ce qu'on pourrait penser, de ressusciter Lazare, mais de ressusciter Frankenstein, on serait beaucoup mieux de mettre notre argent là où ça compte, nommément dans l'enseignement de la langue, la formation des enseignants, l'expérimentation et finalement la promotion par divers moyens d'une bonne maîtrise de la langue.

Je pense qu'à ce sujet la recommandation ou la décision que vient de prendre la ministre de la Culture et des Communications est excellente. C'est une excellente idée de mettre en place, dès l'an prochain, dès 1997, un prix de qualité du français au Québec. Il s'agit là d'un symbole mobilisateur important. Mais j'ajoute que ça ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est envisager sérieusement les réformes dont l'enseignement du français langue maternelle et dont l'enseignement du français langue seconde ont absolument besoin.

M. le Président, je suis un peu gêné de devoir dire ces choses, mais j'ai entendu des choses ici, ce soir, qui m'ont fait frémir. Je me suis demandé, dans certains cas et dans un cas en particulier, si le parlementaire en question habitait bien au Québec. On nous déclare qu'à Montréal les anglophones – dont une bonne proportion, je le dis, je le répète, comme ça se fait dans beaucoup de pays ailleurs, sont toujours des personnes unilingues et surtout ceux qui se recrutent parmi les générations les plus âgées de la communauté anglophone – sont encore peu disponibles au français. Mais, M. le Président, de quoi, au juste, parle-t-on? Toutes les données statistiques le montrent, le progrès du français langue seconde, chez les anglophones de Montréal comme chez les anglophones... les jeunes, mais c'est magistral. Moi, je fréquente, à Montréal, tous les milieux linguistiques de Montréal, et il m'arrive extrêmement rarement de me trouver devant un locuteur qui n'est pas capable de s'entretenir avec moi en français.

Une voix: C'est exact.

M. Laporte: J'assiste à des cocktails, à Montréal – j'y assiste moins maintenant parce que je suis, évidemment, retenu par nos occupations, mais lorsque j'y étais à plein temps – auxquels participent des Italiens, des Grecs, des Jamaïcains, des Marocains, des gens de toutes espèces d'origines linguistiques, culturelles et sociales. Et, dans ces contextes-là, ce qu'on observe, c'est deux choses. D'une part, les présentations officielles sont généralement faites en français et, d'autre part, on trouve, dans les contacts interpersonnels, des négociations linguistiques concrètes qui font que, finalement, on alterne du français à une autre langue, mais où le français est le plus souvent dans une situation de prédominance.

M. le Président, j'ai fait mes études à l'Université McGill. J'y ai passé neuf ans de ma vie: quatre ans comme étudiant et cinq ans comme professeur. Quand j'étais à l'Université McGill au début des années soixante, il fallait faire un effort pour obtenir, de la bibliothèque ou d'ailleurs, des services en français. Mais allez-y, allez fréquenter n'importe laquelle des grandes bibliothèques, technique, administrative, scientifique, littéraire, de l'Université McGill, et il vous arrivera peut-être exceptionnellement de tomber sur une jeune personne récemment arrivée au Québec qui vous demandera de lui parler en anglais. Mais, dans la très grande majorité des cas, ou bien la langue d'accueil est le français ou bien le français devient la langue pratiquée entre locuteurs, lorsque le locuteur dont c'est la langue fait quelque effort ou signale à son vis-à-vis que, finalement, c'est le français qui est sa langue de préférence. On ne peut tout de même pas s'attendre à ce que, spontanément, les gens vous reconnaissent comme ça comme étant francophone; on n'a pas ça tout de même d'écrit dans le front, quoi! Et donc, on se retrouve dans des situations concrètes quotidiennes où on négocie le choix de la langue. Mais, dans la très grande majorité des cas, M. le Président, les négociations sont des négociations de convergence dans l'intérêt du français.

Des études existent là-dessus qui nous le démontrent. Il y a un changement extraordinaire qui s'est produit et – ça, je le regrette amèrement, M. le Président – ce n'est pas par la loi n° 40 qu'on va y arriver. Je pense qu'il aurait fallu que le gouvernement du Québec, que celui d'aujourd'hui et que ceux d'hier fassent preuve, comment dirais-je, d'une volonté de reconnaissance à l'égard de l'effort des anglophones de Montréal. On a des anglophones un stéréotype qui veut que ce sont des gens qui n'ont pas d'émotions et qui sont mus par le seul intérêt pécuniaire ou l'intérêt intéressé, mais ce n'est pas vrai. Il aurait fallu que ces anglophones, on leur dise: Félicitations, vous avez fait un sacré bout de chemin depuis 20 ans, et continuez! Mais ce n'est pas en leur lançant au visage le genre de dispositif coercitif excessif qu'il y a dans la loi n° 40 qu'on va amener ces gens à se rallier à nous, qu'on va amener ces gens à se fidéliser à notre langue et à participer plus pleinement, plus totalement, plus entièrement à notre communauté linguistique.

Je l'ai dit, je le répète, vous pouvez l'entendre, vous pouvez ne pas l'entendre, vous pouvez décider que ça n'existe pas, vous pouvez nier la réalité, vous pouvez vous mettre la tête dans le sable, vous pouvez jouer à l'autruche, mais une chose que l'on sait, c'est que, dans la vie de tous les jours, la coercition légale, ça n'entraîne pas le ralliement vers la langue de l'autre. Ce que ça produit, c'est ce que Mintzberg nous dit fort bien dans son article: ça produit la polarisation, ça produit l'antagonisme, ça produit la tension, et ça produit l'intolérance, et ça produit, M. le Président, le silence. Les gens ne se parlent plus, les gens se méfient.

Une autre, la neuvième raison pour laquelle il ne faut pas faire le choix que le gouvernement souhaite faire, j'ai visité – et ça, l'Office de la langue française nous l'a dit récemment; le Conseil de la langue française nous l'avait dit antérieurement – M. le Président, au cours de ma carrière, des centaines de commerces, des centaines de commerces à Montréal, de petits commerces, pour jouer un peu à l'enquêteur et aller voir sur place comment ça se déroule, les choix linguistiques des commerçants. Lorsque, à l'occasion de ces visites, j'étais mis en face d'une dérogation, dans la très grande majorité des cas, je dirais dans la totalité des cas, la source du comportement de dérogation, c'était l'ignorance.

(5 h 50)

Je me rappellerai toujours de cet exemple d'un petit commerçant grec que j'allais visiter à Montréal, parce que nous avions reçu une plainte et j'avais donc décidé de voir ce qu'il en était. Je me présente là, je m'assois, il m'offre un café, et je lui dis: Monsieur, votre affiche est en dérogation. Il me dit: Mais, monsieur – dans sa façon bien à lui de parler – vous parlez de quelle affiche, au juste? Bien, j'ai dit: L'affiche qui est en face de votre magasin, de votre restaurant. Il m'a dit: Allons voir ça! Alors, on s'y présente, on regarde, il me dit: Ah! mais, monsieur, cette affiche-là, moi, ce n'est pas moi qui l'ai installée, elle était là quand j'ai acheté le commerce. Je ne le savais pas, moi, qu'il fallait changer l'affiche, je ne le savais pas, vraiment. Alors, je lui ai expliqué: Monsieur, écoutez, il y a une loi, il faut vous informer, il faut vous aider, il faut vous encourager.

Je suis sûr que, de cette façon-là, les choses ont changé. J'y suis retourné par la suite, les choses étaient changées et puis on n'avait pas vécu un rapport d'acrimonie. Parce que c'est ça vers quoi on s'en va, on s'en va vers ce qu'on appelle le conflit d'acrimonie, le conflit acrimonieux. Vous allez nous le faire subir et vous allez regretter de nous l'avoir fait subir, quels que soient les motifs pour lesquels vous décidiez de le faire. Parce que l'acrimonie, ce que d'autres appellent l'absence de paix linguistique, de bonne entente linguistique, l'acrimonie, c'est très mauvais pour la santé sociale. C'est très mauvais pour la santé sociale parce que la santé sociale, le bien-être social, l'ordre social, ça repose sur des rapports de bonne entente et de fraternité. Lorsqu'on se trouve dans des contextes où la liberté des gens, la liberté des individus est soit brimée ou soit perçue comme étant brimée par les citoyens, ce qu'on retrouve, ce sont des comportements de réactance, d'opposition, de retrait et finalement de résistance.

Évidemment, je l'ai dit lors de mes présentations, de mes allocutions, de mes interventions antérieures, il y aura évidemment, il y a évidemment des gens, il y en a maintenant à Montréal... J'entendais tantôt l'un des parlementaires d'en face parler des «galganoviens» ou du «galganovisme». Il y a évidemment du «galganovisme» et des «galganoviens» à Montréal, mais ils ne sont pas très nombreux. Moi, je peux vous garantir que ce qui va leur arriver est très prévisible: ils vont se faire passer dans la machine administrative de la langue, ils vont finalement devoir se présenter devant un juge, et ce juge, conformément au jugement de notre Cour suprême, va confirmer la loi 86 et nier ou dénier leur comportement de résistance.

Donc, pourquoi faut-il attiser les feux de conflits sociaux? Pourquoi faut-il donner de l'eau au moulin à ceux qui ne demandent pas mieux que de nous dénigrer et de nous faire passer pour des hurluberlus aux yeux des gens qui nous regardent à distance? Je les connais, ces malfaiteurs de notre identité, je les ai lus, dans certains cas je les ai même rencontrés pour essayer de voir au juste de quel bois ils se chauffent. Mais je n'aurais jamais envisagé leur donner des munitions, parce que ça n'est vraiment pas bon pour la santé du français, ça n'est certainement pas bon pour la santé du Québec et ça n'est certainement pas bon pour le niveau de bonheur de la société dans laquelle on vit et à laquelle on aspire.

Si je disais ça pour faire de la démagogie, eh bien, à ce moment-là, écoutez, M. le Président, vous pourriez me regarder en face, puis je serais assez gêné de vous rendre ce regard. Je ne le dis pas pour faire de la démagogie. Je vous le dis, j'en suis convaincu, j'en suis absolument convaincu et mes collègues du Parti libéral en sont tout aussi convaincus que moi, vous allez nous emmener dans un four avec votre loi n° 40.

Évidemment, si c'est ce que vous voulez, ah bien là, c'est autre chose, par exemple. Si ce que vous voulez, c'est le pire, si vous êtes des apologues du pire, si ce que vous voulez, c'est vraiment que ça se détériore au point que les gens s'en aillent ou que les gens se braquent et que finalement la réactance soit si forte que le Québec devienne une espèce de laboratoire linguistique invivable, eh bien, là, évidemment, c'est autre chose. Mais je ne peux pas arriver à me convaincre qu'un gouvernement responsable dans une société libérale puisse avoir ce préjugé, puisse avoir cette intention, qui est une intention maligne et qui est évidemment une intention qui va nous nuire et qui nuira même à la cause ultime que vous poursuivez et que je n'ai pas besoin de nommer parce que vous savez parfaitement de quoi je parle.

Vous parlez de partenariat. Vous faites état de ce grand rêve partenairiste qui devrait nous unir avec l'ensemble de nos concitoyens canadiens une fois que nous aurons traversé le grand désert qui nous mènera à la terre promise. Eh bien, dans le cas de la loi n° 40, je vais vous le dire, mes chers amis, je vous le dis, messieurs et mesdames d'en face, ce n'est pas dans le partenariat que vous allez, c'est dans l'adversariat, et ça, ça va nous coûter cher. Et je ne peux pas croire que vous puissiez en toute bonne foi avoir décidé de nous faire subir cette épreuve.

Dixième raison, M. le Président. Eh bien, écoutez, encore là, je m'excuse, mais il faut que je m'en remette à ce que je connais le mieux, à savoir les études sociolinguistiques sur Montréal. Ces études sociolinguistiques montrent que, comme je l'ai mentionné tantôt, les gens négocient leur choix de langue en fonction de leurs ressources, en fonction de leurs contraintes, et finalement on arrive à s'accommoder fort aimablement et fort agréablement dans la très grande majorité des cas entre gens responsables et respectueux de leur dignité et de leurs droits mutuels.

Donc, pourquoi faut-il, je le répète, envisager la création d'un dispositif de contrôle et de surveillance qui, en l'examinant attentivement, me rappelle ce bel ouvrage de M. Michel Foucault appelé «Surveiller pour punir», qui contient des horreurs, M. le Président, sur le recours à la coercition et qui montre que la coercition, ça vise à la normalisation des rapports, mais, finalement, ce que ça crée, c'est la révolte et ce que j'ai appelé tantôt l'acrimonie.

Évidemment, au XVIe siècle, au XVIIIe siècle, dans les sociétés paternalistes et prédémocratiques, il n'en était pas de même. On utilisait évidemment des moyens fort efficaces pour arriver à amener les gens à se conformer. Mais, avec nos sociétés qui sont des sociétés de charte des droits, ça n'est pas le cas.

(6 heures)

Et j'en viens à la onzième raison, M. le Président, pour laquelle il faut reporter cette loi-là, en espérant qu'une fois qu'elle sera reportée on l'oublie pour toujours. J'en viens à l'autre raison, M. le Président, à cette dixième ou à cette onzième raison...

Une voix: Onzième.

M. Laporte: ...cette onzième raison qui montre fort bien que dans nos sociétés de charte des droits nous allons nous engager avec la loi n° 40 – et Julius Grey est venu nous le dire en pleine face à la commission parlementaire – dans des recours judiciaires coûteux financièrement mais aussi coûteux du point de vue de la bonne entente. Je l'ai dit, ça me rend triste. Ça me rend triste, cette affaire. C'est une triste affaire, et je l'ai dit dans mon discours d'ouverture, le premier ministre qui vous a dit dans toute sa candeur qu'il pouvait désormais se regarder dans son miroir après avoir accepté la loi 86 et ne pas se sentir en désolation face à lui-même parce qu'il aurait passé une loi qui aurait brimé les libertés fondamentales, eh bien, je le dis au premier ministre en tout respect pour lui, en tout respect pour ses fonctions, en tout respect pour sa hauteur, pour sa grandeur, pour ses responsabilités, pour son titre: M. le premier ministre, méfiez-vous! Lorsque vous allez vous regarder dans le miroir, ce que vous allez voir, c'est l'odieux visage de la loi n° 40...

Des voix: Exact!

M. Laporte: ...et vous ne trouverez peut-être pas ça drôle. Vous ne trouverez peut-être pas ça drôle, M. le premier ministre, parce que, au départ, on va peut-être magouiller un peu, on va peut-être barguiner un peu, mais avec le temps il y en a de l'autre côté de la clôture, des gens qui vous attendent, qui vous attendent fort bien armés et qui vont faire que notre réputation sera ternie et que notre identité sera avariée.

Cette belle identité française qu'on a construite ensemble depuis quoi? Depuis la Révolution tranquille? Depuis que Georges-Émile Lapalme, ce grand parlementaire exemplaire, ce grand libéral exemplaire, nous a dotés d'une première politique linguistique, d'un premier Office de la langue française, alors qu'avec son ami André Malraux, comme je le disais antérieurement, il avait décidé de sortir le français du Québec du sous-sol et de le mettre au grand jour, à l'étage qui lui convient, là où il est en santé, là où il doit être et là où il se sent mieux être.

Une voix: Un libéral.

M. Laporte: Je suis rendu à la 12e raison, M. le Président. Alors, celle-là, c'est la plus dure.

Une voix: Juste un instant.

M. Benoit: M. le Président, avant que notre distingué confrère arrive à sa 12e raison, est-ce que vous pourriez vérifier le quorum, s'il vous plaît?

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, il y a plus que le quorum, M. le député d'Orford. Il y a plus que le quorum. J'espère qu'on ne vous a pas trop coupé l'inspiration, M. le député d'Outremont. Alors, si vous voulez continuer, s'il vous plaît.

M. Laporte: Quelle heure est-il? Jusqu'à quand...

Le Vice-Président (M. Pinard): Il vous reste encore cinq minutes.

M. Laporte: Cinq minutes? Ah! j'en ai encore pour deux raisons, probablement.

Une voix: C'est bon. C'est bon. C'est très bon.

M. Laporte: La 12e, puis on va finir par la 13e, qui est la plus épouvantable, quoi. La 13e, c'est une raison malheureuse.

La 12e raison, M. le Président, c'est qu'on sait fort bien à partir des données dont on dispose que non seulement le français a-t-il fait des progrès – et je dis des progrès soutenus – au Québec et à Montréal... Tous les indicateurs le montrent. C'est rendu, par exemple...

Écoutez, tout de même, ce n'est pas seulement le français, c'est aussi les francophones. Regardez l'effacement des disparités de revenus. Au début des années soixante, lorsque la commission Laurendeau-Dunton faisait ses grandes études, on trouvait que les Canadiens-français, comme on les appelait à l'époque, venaient en avant-dernière liste dans la distribution des revenus. Maintenant, ce qu'on trouve au Québec, c'est que – des gens s'en sont plaints, je leur ai même répondu en disant: Écoutez, il n'y a pas là à en faire un plat, n'est-ce pas? – les unilingues francophones gagnent dans certains cas des salaires supérieurs aux bilingues anglophones. L'exception, évidemment, ce sont les bilingues anglophones qui travaillent dans des contextes de haute spécialité et de haute distinction, en particulier les spécialistes, les administrateurs très serrés qui travaillent dans nos sièges sociaux. Les disparités linguistiques sont complètement disparues.

Donc, M. le Président, je dis que – et c'est ma 12e raison – c'est vraiment triste de voir un gouvernement passer une législation comme celle-là à une époque où non seulement nous avions atteint un niveau de paix linguistique historiquement sans précédent, mais aussi – je l'ai mentionné – à une époque où, au Québec, tous les sondages nous montrent que l'insécurité linguistique des francophones est en déclin. Il y a eu un très beau sondage de publié par Le Groupe Léger & Léger dans le Globe and Mail d'il y a deux, trois mois: les francophones, sur toutes sortes d'indicateurs, se sentent plus sûrs, plus confiants dans leur peau linguistique qu'ils l'étaient antérieurement. Et c'est d'autant plus vrai qu'ils sont plus jeunes à part de ça.

Finalement, M. le Président, peut-être que vous me... J'ai encore deux minutes? Eh bien, la dernière raison, M. le Président, la 13e raison, M. le Président, c'est que... Écoutez, les gens d'en face sont des gens raisonnables. Les gens d'en face savent très bien de quoi je parle. Les gens d'en face savent très bien de quoi il s'agit. Nous ne sommes pas en train de décrire la société parfaite, M. le Président, nous sommes en train de décrire la société réelle, le pays réel. Or, le pays réel, monsieur, il est ce qu'il est. Il n'est pas parfait. Bien sûr, il y a encore des améliorations à faire, et, de ce point de vue là, je l'ai dit et je le répète, la politique linguistique de la ministre, pas la loi n° 40, son projet de politique linguistique contient d'excellentes recommandations, d'excellentes intentions. Il faut évidemment consacrer toute son énergie à réaliser ces intentions, il faut consacrer toute son énergie et tout l'argent qu'on a, tout l'argent qu'il nous reste, à protéger et à promouvoir le français dans les domaines dont parle la politique de la ministre, mais, M. le Président – et je termine vraiment là-dessus – de grâce, il ne faut surtout pas mettre son argent là où, en le mettant, on est absolument, absolument sûr de le perdre. Merci, M. le Président.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député d'Outremont. Alors, nous allons maintenant céder la parole au député de Sainte-Marie–Saint-Jacques. M. le député.


M. André Boulerice

M. Boulerice: M. le Président, eussions-nous été en cour que l'on eût dit de la performance de notre collègue: Bel effet de toge! Bel effet de robe! Ou: Cher maître! Bref, M. le Président, une pléthore de mots dans un désert d'idées, tout compte fait.

M. le Président, il s'est permis 13 points, 13 points, mais d'une valeur et d'une qualité fort inégales. La première chose, M. le Président, et il est bon de le souligner, est qu'ils ont fait une motion de report, mais jamais en aucun temps ils n'ont donné, par la voie de leur porte-parole ou porte-voix, jamais ils n'ont donné les raisons pour lesquelles cela devrait être adopté dans six mois.

Tout ce que l'on a entendu se décode très facilement, M. le Président: c'est qu'on va vous dire non dans six mois. On aurait été prêts. Si l'argumentaire avait été serré, fouillé, si on avait senti une volonté d'y apporter quelque chose qui, peut-être, aurait manqué. Non. Ça a été: Nous sommes contre, mais on va suspendre puis, dans six mois, on vous dira: On est contre. Voilà. Au départ, vous allez voir comme moi que c'est totalement inacceptable.

(6 h 10)

Mais la plus drôle, mais la plus drôle, enfin... le député a vu le film, donc, Ridicule , M. le Président, Ridicule . La première raison, il dit: Mais parce que les citoyens ne sont pas associés à nos débats, nous siégeons de soir et de nuit. J'aimerais lui dire que, contrairement à lui, il y a bien des Québécois qui travaillent et qu'il y a beaucoup plus de Québécois qui peuvent regarder, à la télévision, les débats le soir et même en matinée et en nuit que durant la pleine journée, puisqu'ils sont au travail. Alors, un peu court, jeune homme, eut dit Cyrano, un peu court.

Et, après, M. le Président, il a dit que les propos qui avaient été tenus dans cette Chambre étaient des propos bassement partisans. Eh bien, peut-être aurait-il mieux fait d'écouter les discours de certains de ses collègues qui l'ont précédé, notamment l'ineffable, l'inégalable député d'Orford, qui a parlé de la dette, qui a parlé du déficit, qui a parlé des commerces qui, malheureusement, sur la rue Sainte-Catherine sont fermés, qui a parlé d'un taux de chômage malheureusement trop élevé et dont nous nous désolons tous, mais, en tentant de faire croire que le Québec avait été découvert et fondé le 12 septembre 1994 et qu'il ne s'était absolument rien passé auparavant.

J'aimerais lui rappeler qu'il a été député du parti ministériel durant neuf ans, probablement. Quatre ans? Bon, enfin. Il fut long à venir jusqu'à nous. Neuf années de gouvernement libéral. Oui. Il a parlé que, dans les États américains qui sont au sud de nous, et notamment le Massachusetts, le taux de chômage était à 4 %. Chez nous, la dette a doublé, le déficit a triplé. Quelle était la différence entre le Québec et le Massachusetts? Au Massachusetts, ils avaient le gouverneur Dukakis; nous, au Québec, on a eu Robert Bourassa et Daniel Johnson junior. C'est ça qui fait toute la différence. Or, je ne vois pas où était la grande force. C'était effectivement un discours très partisan de la part de ses collègues, jamais aller au fond du sujet.

Mais, entre parenthèses, pourrais-je, par votre entremise, lui dire que la meilleure défense du français consiste aussi à bien le parler? Alors, au lieu de «checker», il pourrait utiliser «vérifier»; au lieu de «lousse», eh bien, il y aurait bien d'autres termes: «Ne les laissez pas partir à bride abattue», etc. Et «appointement», il ne s'agissait pas de gages, je crois, mais bien de rendez-vous auprès d'une personne. Alors, déjà cela pourrait l'inspirer. Et j'ose espérer que le député d'Outremont – c'est bien cela? – à qui on pourrait concéder quand même une excellente élocution en français, à l'exception de deux, trois liaisons «mal-t-à-propos», évidemment, pourrait quand même mettre son savoir et sa connaissance de la langue au service du député d'Orford et peut-être le ramener à un débat qui aurait été beaucoup plus pertinent avec celui qui nous préoccupe.

Donc, l'éloge posthume d'un de ses anciens chefs était fort pathétique, peut-être, mais fort peu convaincant. Puis le député d'Outremont aurait pu entendre aussi le chevalier de l'apocalypse, l'apôtre du déclin, le grand Thanatos de notre Assemblée nationale, qui est le député de Robert-Baldwin, qui, encore une fois, comme toujours, était à côté de ses planches. Il a interpellé le ministre de la Santé, a parlé de l'assurance-médicaments, a parlé de la fermeture de quelques hôpitaux, ce qui était d'ailleurs désuet et inutile dans le contexte d'une réforme qui avait été planifiée par un ministre libéral, Marc-Yvan Côté, qui a été lâché de toute façon, largué par ses collègues et notamment par son premier ministre à l'époque. Eh bien, si lui aussi nous avait apporté un peu d'arguments, vous comprendrez, M. le Président, qu'on aurait peut-être pu considérer la proposition qui nous était faite par ce que nous convenons d'appeler l'opposition officielle. Eh bien non, M. le Président.

Et puis notre Cyrano local a continué, M. le Président... Ah bon! Remarquez qu'il aurait pu entendre aussi le député de Westmount–Saint-Louis, avec qui j'ai une frontière commune – mais fort bien défendue, rassurez-vous chers collègues – qui, lui, ne parlait pas de police de la langue, mais parlait plutôt d'une Gestapo. Il faut vraiment ne pas savoir ce qu'a été la Gestapo, M. le Président, pour affubler de cette épithète des fonctionnaires de l'État québécois. Et, entre parenthèses, M. le Président, eh bien, par ricochet, il accolait à son collègue d'Outremont le titre de Reichsfuhrer, puisqu'il a été président de la Commission de protection de la langue française.

Il aurait pu être un peu plus sage et beaucoup plus modéré dans ses propos qu'il ne l'a été ce soir en employant le terme «Gestapo» et en sachant fort bien ce que malheureusement a représenté la Geheime Staatpolitzei. Il n'y a personne ici, le matin, qui est inquiet quand on frappe à sa porte. On sait que c'est le laitier ou le jeune, petit bonhomme ou petite bonne femme, qui livre le journal, le quotidien du matin. Alors, il faut vraiment être inconscient de ce que cela a été pour employer de tels qualificatifs.

Et notre Cyrano, qui avait peut-être trop riboté pour ne pas vouloir siéger la nuit, nous a parlé de loi coercitive et que c'était mauvais. M. le Président, est-ce que vous avez déjà vu, vous qui avez de surcroît une formation légale, des lois facultatives? Alors, vous avez un panneau de signalisation qui vous dit: Limite de vitesse 100 km/h, et en bas un petit nota bene: Cette loi est facultative. Heureux le pays où on trouve cela, j'aimerais bien le visiter!

Et ce qui est le plus intéressant, M. le Président, c'est que ce même député d'Outremont, à l'époque où il était à la Commission de protection de la langue, disait: Ce droit d'utiliser l'anglais pourrait même être encadré par l'émission d'un permis. Ce serait un peu comme les permis d'alcool. Ah! Changement de robe ou changement de toge et le voilà tenant un discours tout à fait différent. Tout à fait différent.

Après ça, M. le Président, l'ineffable député d'Outremont nous a fait un magnifique voyage organisé à travers le monde. Il a commencé, en pleines festivités de la Hanukkah, à quelques heures d'un Chabbat, à nous parler du cas d'Israël. Malgré le nombre considérable d'années qui nous séparent l'un et l'autre, étant beaucoup plus jeune que lui, j'ai connu Israël bien avant lui, M. le Président. Bien avant lui. Et, s'il a un peu d'honnêteté intellectuelle, il devra reconnaître en cette Chambre que la place de l'hébreu comme langue officielle en Israël, l'implantation de cette langue, repose sur des données socioculturelles complètement différentes et incomparables avec celles du Québec. On pourrait rajouter qu'il ne fera pas partie des justes à sa mort pour avoir dit cela.

(6 h 20)

Et puis, toujours dans le bassin méditerranéen, nous nous sommes rendus en Catalogne. Et là il a fait allusion à la visite cet été, au Québec, du président Pujol, de la Generalitat de Catalogne. À ce niveau-là, je vais lui dire qu'il a partiellement raison. Partiellement raison. C'est un fait que le catalan – et Dieu seul sait que j'ai vu ces petits autocollants que l'on mettait partout, parce que c'est de longue lutte, c'est de longue lutte... L'ancien président du Parlement catalan a été emprisonné sous le régime franquiste parce qu'il avait un peu trop promu la langue catalane. Alors, on collait ces petits autocollants; c'était marqué «En Catalan si us plau», c'est-à-dire «En catalan, s'il vous plaît». Il y avait déjà, depuis plusieurs années, une lutte, une revendication semblable à la nôtre pour que la langue catalane reprenne ses droits dans le territoire actuel de la Catalogne, quoiqu'il faille se rappeler – et j'ai plaisir à le rappeler in absentia au député d'Outremont – que la Catalogne, au XIIIe siècle, a été un empire très vaste.

Oui, il y a eu des progrès qui ont été faits, et j'ai été à même de le constater à plusieurs reprises, M. le Président. Il y a un progrès certain de la langue catalane, mais bien de mes amis catalans... Mon ami Waltz Schwartz, qui d'ailleurs était ici il n'y a pas tellement longtemps, notamment mon ami Waltz, qui nous a fait à la fois le plaisir et l'honneur de venir assister à notre dernier congrès, nous dit toujours que rien n'est encore gagné pour le catalan en Catalogne et qu'il serait bien content de pouvoir avoir des lois linguistiques comme nous. M. le député semble nous faire croire qu'ils agissent à partir d'un acquiescement général. M. le Président, les choses ne sont pas aussi simples qu'il a bien voulu nous le démontrer ce soir, pas si simple que cela.

Le Parlement catalan, en vertu de la constitution interne d'Espagne, n'a pas les mêmes pouvoirs que cette Assemblée nationale, et c'est ce que nos amis catalans nous jalousent affectueusement, M. le Président. Et, n'aurait-ce été que la loi 22, nos amis catalans auraient déjà été contents; leur marge de manoeuvre est plus simple que la nôtre. Et le catalan est aussi en danger en Catalogne, même malgré les progrès et les efforts soutenus et quotidiens de la Generalitat, et naturellement du président Pujol d'ailleurs, que j'aime bien saluer. Eh bien, c'est la même chose pour le français ici, au Québec.

Et puis on a quitté la bassin méditerranéen pour revenir au Québec et là on est arrivé à Montréal. Et là le député d'Outremont, fou d'exotisme, s'est extasié sur la beauté de ces langues étrangères que nous voyons apparaître partout, etc., insistant qu'il devrait peut-être y en avoir encore même un peu plus. J'ose espérer que son collègue de Laurier-Dorion l'a bien entendu, M. le Président, parce que, avec une théorie comme la sienne, on pourrait dire: Bien oui, mais, dans la partie hellénique de Chypre, il faudrait peut-être mettre un peu plus de turc sur les affiches et, dans la partie turque, il faudrait peut-être mettre un petit peu plus de grec sur les affiches. Il y a juste aux postes frontières où il y a peut-être la dualité de deux langues, mais, à part de ça, on ne la trouve pas. Alors, l'exotisme des uns n'est pas loi pour les autres. Bizarre, bizarre, très bizarre.

Alors, M. le Président, après avoir fait un détour de nouveau vers le bassin méditerranéen, nous revenons au Québec, et là le député d'Outremont – on croirait revivre deux, trois siècles précédents – se promène lanterne à la main et crie: Dormez, citoyens! Tout va bien. Dormez, citoyens! Tout va bien. Tout va bien? Ah bon! Regarde donc ça! Eh bien, changement de robe, changement d'effet de toge: «Ça devient difficile de faire ce qu'il faut pour favoriser le français au travail. Les stratégies d'action pour favoriser la pénétration du français sont plus difficiles dans le domaine des hautes technologies, par exemple.» Et c'est signé, ah! Pierre-Étienne Laporte. Serait-ce celui qui a été élu député libéral dans Outremont au cours d'une partielle? Nous avons tous d'ailleurs regretté le départ de son prédécesseur. Et ça, c'était dans Le Devoir , le 12 mai 1994. Changement de toge, changement de ton.

Et puis, attention! dans les lois coercitives qu'il ne faut pas adopter parce qu'il y a péril de ruiner cette réputation, eh bien, je vais vous en lire une: «Les politiques linguistiques du Québec ne visent pas l'établissement de chances égales pour tous les groupes linguistiques. Ce ne sont pas des politiques égalitaristes, elles visent à assurer la prépondérance du français, point.» On continue: «Il est normal que les natifs, les autochtones, je veux dire les "de souche", la majorité, jouissent de meilleures chances que les autres.» Ça, c'est dans La Presse le 16 novembre 1992. Qui peut me dire qui est l'auteur de cette belle citation qui s'est faite au cours d'une conversation téléphonique avec Mme Gruda, du journal La Presse ?

Une voix: Pierre-Étienne Laporte.

M. Boulerice: Le député d'Outremont maintenant. À l'époque, il s'appelait Pierre-Étienne Laporte. Changement de toge...

Des voix: Changement de ton.

M. Boulerice: ...changement de ton, M. le Président. Oui. Et, le 19 novembre de la même année, quelqu'un disait: «J'ai de bonnes raisons de penser que la loi 101 n'est pas discriminatoire à l'égard des anglophones.» Le 19 novembre 1992. Qui, d'après vous, a dit cela?

Une voix: Hum! Je ne sais pas.

Une voix: Le député d'Outremont.

M. Boulerice: Le député d'Outremont, effectivement. Vous avez deviné à trois reprises, donc vous gagnerez un prix. La loi sera votée, j'en suis persuadé. Oui, oui.

Et voilà que le pyromane donne des cours de prévention des incendies: Faites bien attention, nous pourrions avoir notre réputation salie à l'étranger. Ah bon! N'est-ce pas ici, dans cette Chambre, M. le Président, que sa formation politique et lui-même ont refusé une motion où, à l'intérieur de cette motion, on demandait de dénoncer les propos d'un extrémiste anglophone du nom de Galganov?

Des voix: Ah!

M. Boulerice: Ah! Ah! Changement de toge, changement de robe; changement de robe, changement de toge; deux poids, deux mesures; deux robes, deux toges; deux langages, double langage. Double langage, M. le Président.

Et puis quels sont ceux qui le plus souvent ici, dans cette Chambre, comme partout ailleurs, ont instauré l'étiquette «police linguistique»? Ce sont eux. Et voilà que les pyromanes disent: Mais attention, il y a danger d'incendie, alors qu'ils savent très bien que ce n'est pas une police; ce sont des inspecteurs. S'il y a des inspecteurs pour les fesses de veau ou de porc, il y a des inspecteurs pour la langue, il y a des inspecteurs pour les routes, il y a des inspecteurs pour le bâtiment, il y a des inspecteurs pour l'hygiène dans les restaurants... Et je peux dire d'ailleurs qu'aucun restaurant de mon quartier n'a été touché, et je parle des restaurants de la rue Duluth, ce qui va faire plaisir à mon collègue de Laurier-Dorion, parce qu'il sait qu'on en trouve de bons.

(6 h 30)

Mais vous voyez ce que ça donne comme image, M. le Président? Alors, imaginez un petit bonhomme en Indiana dont le père va être muté au Québec par sa compagnie, et ce sera un séjour temporaire, et cet enfant aura l'exemption et pourra fréquenter l'école anglaise. Mais là il va lire ça, ce petit bonhomme qui a 12 ans, et qu'est-ce que vous pensez qu'il va demander à son père comme question? Il va dire: Is that true, daddy, that the police will arrest me if I speak English? Est-ce que c'est vrai, papa, que la police va m'arrêter si je parle anglais? Mais, à 800, à 1 000, à 2 000, à 3 000, à 5 000 km de distance, on ne sait jamais comment le message arrive. Alors, les apprentis sorciers qui se sont amusés depuis je ne sais pas combien d'années à parler de police linguistique, c'est eux, les pyromanes qui ont déclenché l'incendie, et là ils se permettent de se draper dans le grand manteau de pompier.

Je vous avoue que je trouve ça un peu particulier, M. le Président, un peu particulier. Et puis là, encore une fois, sans nous invoquer les raisons pour lesquelles l'on devrait, M. le Président...

M. Sirros: M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): ...M. le député de Sainte-Marie–Saint-Jacques. M. le député.

M. Sirros: Je crois que ce serait important pour les collègues du député de Sainte-Marie–Saint-Jacques de l'écouter attentivement en assurant le quorum en cette Chambre, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion, je tiens à vous mentionner qu'en vertu du règlement le quorum est de 21, à cette heure-ci. Alors, si vous comptez un peu comme moi, on est bien au-delà du 21. Alors, excusez-nous, M. le député de Sainte-Marie–Saint-Jacques.

Une voix: La police du quorum.

Le Vice-Président (M. Pinard): Voulez-vous, s'il vous plaît, poursuivre votre allocution.

Une voix: L'inspecteur du quorum.

M. Boulerice: Alors, monsieur, effectivement, puisqu'il y a une police de la présence en Chambre, eh bien, nous tenterons de vivre avec. Il y a une police de la présence, et on sait d'où elle vient, M. le Président. Et puis, dans les 13, je crois – c'est rendu à 13, croyant que c'était le nombre qui donnait la force à l'argumentaire, alors que c'est beaucoup plus le contenu – la 13e – «Attendez que je me rappelle», comme disait M. Lévesque – ah oui, la 13e était au sujet de l'acrimonie qui était pour s'installer au Québec.

Mais, M. le Président, qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qui se passe? Écoutez, c'est là, c'est un sondage CROP: 56 % des répondants approuvent la Charte de la langue française, ah bon! donc les lois linguistiques; 56 % croient que le français est en danger. Ah! mais c'est vrai que, quand c'est eux, c'est 50 plus un, la majorité, et quand c'est nous, il faut que ce soit 105 plus un, à peu près! Et 68 % se disent d'accord avec l'affichage bilingue. On le maintient. On le maintient, alors qu'est-ce qu'ils attendent pour voter? Qu'est-ce qu'ils attendent? On le maintient, voilà.

M. le Président, dans un autre, SOM– La Presse – Télé-Québec, celui-là qui est un petit peu plus récent, 13 septembre 1996: Selon vous, le Québec a-t-il besoin d'une Commission de protection de la langue française? Oui, 63 %; non, 29 %; ne savent pas ou ne répondent pas, 8 %. Mais ce qui est intéressant, M. le Président, et là vous allez voir où je veux en venir: de 18 à 24 ans, ils sont 71 % à la demander; de 25 à 34 ans, 70 %; de 35 à 44 ans, 72 %. Étonnant, étonnant, malgré les solitudes qui peuvent se vivre: 27 % de nos compatriotes qui sont anglophones ou autres disent oui; 27 %, c'est quand même assez fort, 27 %. On ne compare pas ça aux résultats référendaires; 27 %, c'est drôlement important.

Et puis là il se lance dans la longue digression de l'enseignement des langues à l'école. Oui, mais, M. le Président, on va d'abord régler ce problème, et le député d'Outremont va voir qu'au niveau des hautes technologies – ce qu'il dénonçait tantôt, que je vous lisais – il y a des provisions dans la loi où on va s'en occuper; au niveau de la langue du travail, il y a des provisions à l'intérieur de cela, on va s'en occuper; et au niveau de l'enseignement des langues secondes, qu'il se rassure, nous ne ferons pas des jeunes Québécois des petits Jean Chrétien qui parlent deux langues secondes. Ça, qu'il soit rassuré, ce n'est pas l'intention du gouvernement du Québec. Ça, je vais lui donner raison.

Je me souviens de cette phrase très intéressante du sénateur Javitz, de New York, qui disait: Nous, les Américains, souffrons de myopie linguistique. Parce que c'est un fait que ça se corrige, mais ce n'est pas les Américains qui sont reconnus comme étant les plus polyglottes au monde! Bon. Et la connaissance d'une deuxième, d'une troisième, d'une quatrième langue est un enrichissement, M. le Président. Nous y verrons, nous y verrons, mais à l'intérieur du programme éducatif dans la réforme de l'enseignement que notre collègue et amie ministre de l'Éducation et députée de Taillon nous proposera.

Et terminant, M. le Président, siégeant en cette Chambre depuis 11 ans et 11 jours, eh bien, je m'aperçois qu'il y a toujours une trame de fond. Lorsque nous abordons les questions linguistiques ou lorsque nous abordons la question nationale, le discours des gens d'en face est toujours un discours de culpabilisation. Toujours un discours de culpabilisation. C'est toujours le même masque qu'ils portent, dont ils s'affublent: le discours de la culpabilisation. Vous êtes fermés, vous êtes égoïstes, vous êtes éthnocentriques, vous êtes ci, vous êtes ça.

J'ose espérer que le député d'Outremont, et je vais conclure là-dessus, aille bientôt à Hô Chi Minh-Ville, l'ancienne Saigon, et là il verra qu'à Hô Chi Minh-Ville, oui, on a un galon à mesurer pour regarder s'il y a prépondérance de la langue vietnamienne – et elle est moins menacée que le français, la langue vietnamienne, ils sont 70 000 000 à la parler – et j'ose espérer que le député d'Outremont, qui aime bien voyager, aller voir dans de lointaines contrées ce qu'il se passe, pourra se rendre en Colombie-Britannique, où actuellement on est en train de regarder quelle mesure législative on devrait prendre de façon à ce que l'anglais puisse continuer à avoir prépondérance par rapport aux langues asiatiques qui sont parlées maintenant. Et vous savez que, à Vancouver, il y a plus de quotidiens en langue asiatique qu'il y a de quotidiens en langue anglaise ou en langue française. Alors, j'espère qu'il ira convertir ces éthnocentriques de Colombiens et j'espère qu'il dénoncera avec vigueur aux Nations unies cette Gestapo de la langue qui existe au Viêt-nam, alors que leurs petits frères libéraux fédéraux font des excursions, parce que le Viêt-nam, ça rapporte, M. le Président, ça rapporte!

(6 h 40)

Aucun argument ne justifie le report de l'adoption de cette loi, M. le Président. Merci.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, du côté gouvernemental, il y a 31 min 56 s d'utilisées. Donc, je cède maintenant la parole au député de Masson. M. le député.


M. Yves Blais

M. Blais: Merci beaucoup, M. le Président. Je viens d'entendre mon confrère de Sainte-Marie–Saint-Jacques, qui fut très éloquent. Il a été aussi très convaincant. Ça nous change un peu de ce que nous avions entendu durant l'heure qui vous a précédé, mon cher confrère. C'est vrai que c'est aujourd'hui un vendredi 13 et que celui qui a parlé avant vous avait 13 arguments, comme les 13 apôtres, et il a insisté sur le treizième, qui était celui qui était porteur de l'Apocalypse, et ça allait bien dans le sillon des fantômes de la peur. Et, tels des gargouilles autour d'un clocher, le député de Laurier-Dorion s'en rappellera, ils sont là à nous surveiller au cas où nous poserions un hiatus, une cédille ou quelque chose qui dans l'ancienne loi 86 viendrait un tantinet, une galéjade ou un tout petit peu corriger certaines anomalies que les gargouilles avaient oubliées autour de leur clocher parce qu'elles goûtaient plus le son du grelot que l'effet de l'airain.

M. le Président, on vient d'entendre l'autre côté nous ouvrir la porte à une discussion qui pourrait être acerbe et assez drue. Mais je m'en garderai, parce que le député d'Outremont, sous le souffle de la compassion, sous le signe de mots pour essayer de dire qu'il voulait protéger notre identité, en décrivant le contenu, sans en citer un article, de la loi qu'on est en train de discuter et dont ils veulent le report, il nous a cité que cette loi-là, si on la passe, ce serait provocateur de révolte. Il y a tout de même une limite à l'exagération! Personne de l'autre côté, depuis le début de leurs discours, n'a parlé d'un iota de contenu de la loi n° 40, personne. Tout est à côté de la «track».

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: Ça se comprend bien, ça?

Des voix: De la voie.

M. Blais: Tout est à côté de la voie ferrée. On laisse croire à leurs partisans que la loi n° 40 abolit l'affichage dans les deux langues, selon ce que la Cour du Canada nous a ordonné de faire. On n'y touche pas, à ça. La loi 86 va garder, dans son essence, l'affichage bilingue. La Cour nous dit de le faire. Et il nous dit que, à cause de la Charte, nous brimons la Charte des droits avec la loi n° 40. M. le Président, il y a des limites à se dresser en Bonhomme Sept Heures moins quart, il y a des limites! Il y a des limites! Ce sont des conversations qui ne font peur qu'aux enfants; et encore, il faut qu'ils soient très jeunes et croient papa.

Il nous a parlé, dans les deux, trois premiers «ièmements», de faire bien attention, parce que, au Sommet, un certain monsieur, disait-il, qui s'occupait de l'enquête sur la langue – on lui a soufflé le nom, on lui a ouvert la porte – M. Levitt, lui et M. Rousseau étaient les deux qui étudiaient, au Sommet, la langue, et il dit qu'ils nous ont demandé, au Sommet, de l'ouverture et ont dit que la loi n° 40 était une fermeture. Il n'a pas ouvert la porte, il n'a rien compris. Il faudrait qu'il prenne l'air.

Ce que M. Rousseau, du comité de M. Levitt au Sommet, a demandé, c'est deux choses. La première, c'est que les employés qu'on fait venir de l'extérieur comme grands spécialistes, qu'on permette que leurs enfants aillent à l'école, sans fixer deux ans, trois ans, le temps qu'ils demeurent ici au service d'une compagnie, et Mme la ministre responsable de la langue a répondu oui tout de go. Leur deuxième demande était que l'épouse ou, dans d'autres cas, l'époux qui accompagne ici le nouveau travailleur spécialiste puisse avoir un permis de travail. Et de lui répondre: Nous sommes d'accord, mais ceci dépend d'une loi fédérale! C'est les deux seules revendications qu'ils ont faites. Alors, venir nous dire qu'il y avait une kyrielle de demandes de la part de Levitt et Rousseau au Sommet, c'est archi-faux au pluriel. Et ce qu'il a dit à ce sujet-là, je m'en archi-contre-badigeonne comme l'omoplate d'une fourmi saucée dans une solution ammoniacale, parce que ça ne veut rien dire, et c'est pour ça que j'ai employé cette expression toute simple, pour montrer que je peux, moi aussi, parler des technocrates, des politicocrates et de tout ce qui me gratte.

Cependant, le rapport Levitt, par la voix de M. Rousseau, a bien avisé que la presse du Canada, la presse anglophone et quelques journaux des États-Unis étaient persuadés intellectuellement que les minorités anglophones étaient brimées au Québec. Et il a rajouté, avant de mettre la virgule, que ceci était totalement faux et il demandait à ceux qui étaient au Sommet et au gouvernement de trouver un moyen de faire une publicité pour dire et rétablir les faits, et rétablir la vérité et dire que cette croyance, c'était une chose fausse, c'était dans la tête de certaines personnes. Eh bien, de la façon dont ils s'objectent à la loi n° 40, c'est qu'ils sont eux-mêmes les personnes à qui M. Levitt et M. Rousseau s'adressaient, parce qu'ils laissent croire que la loi n° 40 serait encore un irritant pour la minorité, ce qui est encore faux. Il y a des limites à dire des choses de Bonhomme Sept Heures moins dix. Même si on est un vendredi 13, il y a des limites. La propagande est fausse, et le parti libéral en place est complice des provocateurs de mauvaises nouvelles et de fausses nouvelles ailleurs, et le journal The Gazette est leur complice reconnu. Et ça ne prend pas un grand esprit d'analyse pour s'apercevoir de la convergence entre le Parti libéral du Québec, The Gazette et nos chrétiens dans la fosse aux lions à Ottawa interposés.

(6 h 50)

M. le Président, ils nous demandaient, en déposant cette loi n° 40: Mais de quel bois le gouvernement se chauffe-t-il? Bien, je tiens à vous dire qu'on se chauffe d'une sorte de bois que j'ai beaucoup de difficulté à revoir de l'autre côté. Même si plusieurs parlent avec un beau panache, il y a un certain bois que je ne peux pas reconnaître, et c'est le bois franc. Ici, nous nous chauffons d'un bois franc, honnête. Je ne reconnais pas de bois franc de l'autre côté. On fendille des copeaux et on essaie de les vendre comme une bûche de Noël. M. le Président, quand on sait que des grands... Quel est le peuple le moins bilingue du monde? C'est le Japon. C'est très curieux, hein? Le peuple le moins bilingue du monde, c'est le Japon, et il lui sied énormément bien économiquement, on ne peut pas dire le contraire. Et le peuple japonais, c'est un peuple qui est jaloux de sa langue, et je les comprends bien. Mais seulement ils sont très riches, ils investissent partout à travers le monde. Ils ont fait faire une étude pour savoir où ils devaient investir et où ils seraient les mieux reçus à travers le monde. Québec est arrivé numéro un. Pas le Canada, le Québec.

La minorité anglophone au Québec est la minorité la mieux traitée du monde. Arrêtez de jouer aux fantômes de 6 h 51, au Bonhomme Sept Heures moins neuf. Ce n'est pas au Canada! Il n'y a pas une université française en Ontario, il n'y en a pas une. Ils ont de la misère à avoir des petites écoles maternelles ou élémentaires, et il y en a une sorte de bilingue à Sudbury. Bien, prenez une tranche de pain, avec du pain puis du beurre, là, vous en beurrez la moitié en français, puis ce qu'ils ont, ils ont ça de beurré. Mais ils n'ont pas tout le pain, ils ont Sudbury.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: Et, de ce temps-ci, en plus, ils essaient d'enlever le français à cette université-là. Ils veulent faire rase beurrée, mais ce n'est pas de ça que je veux parler. Je ne veux pas parler de ça. J'en parle quand même parce que, dans votre coin, c'est nécessaire d'entendre des échos, parce que, dans le milieu dans lequel on vit, on entend toujours... souvent les mêmes échos.

Je vis dans un coin avec la majorité, puis j'entends des échos différents, même si j'ai des copains dans toutes les ethnies du Québec. Et je reconnais qu'on se doit d'en avoir; c'est enrichissant. Ce que je veux dire, il a parlé de l'Ontario, mais l'Ontario, ce n'est pas un modèle, hein! Vous avez vu ce qui est arrivé à Windsor il n'y a pas longtemps. Je me souviendrai, lorsque j'étais jeune, svelte et beau, M. le Président...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: ...il y a de ça quelques décennies, dans le temps de Charlotte Whitton, à Ottawa, qui bottait le ballon et qui disait que ce ballon était aussi volatil que la langue française dans son esprit. Je me souviendrai de ça.

Je me souviens de Gordon, ce n'est pas d'aujourd'hui, qui avait dit: «Il n'y a aucun Canadien-français qui a l'intelligence d'être président du Canadien National.» Je me souviens qu'on s'était battu pour ne pas que le Reine Élizabeth s'appelle le Reine Élizabeth. Comment il s'est appelé? Le Reine Élizabeth.

C'est drôle comme les choses sont curieuses, hein! On veut que ce soit l'Assemblée nationale qui nomme le lieutenant-gouverneur; l'Assemblée nationale ne nomme pas le lieutenant-gouverneur, malgré que j'aie beaucoup de respect pour la personne qui vient d'être nommée. Ce n'est pas de la faute de la personne, hein! C'est que la façon dont c'est nommé, ce n'est pas chrétien. C'est pour ça que, de notre côté, on devient protestant. C'est normal, M. le Président. Les rôles sont inversés.

Mais, M. le Président, il n'y a pas si longtemps, le président de Shell, ça fait quelques mois qu'il faisait un grand discours dans l'Ouest canadien: Quel beau pays de blé! C'est beau, le blé, M. le Président! Que c'est donc... Moi, le blé, ça me fait frémir, hein! Les Rocheuses, j'ai un frisson dans la colonne verte et drabe!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: «C'est-u» beau! Quel beau pays habitons-nous, quel beau pays! C'est vrai que c'est un beau pays. Mais c'est beau, New York, aussi, hein, mais ce n'est pas chez nous. Puis, dans l'Ouest, le nid du corbeau, ce n'est pas mon nid. C'est beau pareil, mais ce n'est pas le mien.

Bien, il y a un grand président de Shell – ce n'est pas Mme Whitton, ça, ou le président Gordon du CN en 1953, là, c'est en 1996 – qui dit: «Les francophones du Québec sont des revendicateurs. S'ils ne sont pas contents, qu'ils prennent le bateau puis qu'ils retournent en France.» En 1996! Imaginez-vous donc comment les minorités francophones... c'est dans une province où, en 1905, quand ils sont entrés, le français et l'anglais étaient les langues officielles. Aller jusqu'à il y a, je ne sais pas, quelques années, quatre ou cinq ans, la Cour suprême, M. Forest, peut-être sept, huit ans, la Cour a dit: Toutes les lois qui ont été votées unilingues anglaises, là, doivent toutes être traduites. Il attend encore après l'encre pour commencer à les écrire. C'est ça, le Canada. Espoir, espérons, espérez; poire, poirons, poirez! C'est ça, M. le Président!

On a une toute petite languette, là, ce n'est pas une langue, une petite loi, une petite languette, une luette, une petite loi de rien du tout. Elle est tellement anodine qu'ils parlent, à côté, de la loi pour essayer de faire des épouvantails à corneilles. J'en suis las, M. le Président – l-a-s – de les entendre. Et le rapport Levitt, moi, je ne l'évite pas, je crois qu'il est bon et que ceux qui sont un peu parents avec ceux-là devraient le regarder. Ils devraient le regarder. Et il y en a d'autres, je devrais leur dire: Vous autres, vous «l'auriez» dû le lire, parce que, dans ce rapport-là, il y a beaucoup de choses excessivement intéressantes.

En tout cas, je deviens un peu... Ça fait trop d'années, M. le Président. Écoutez, en 1944, je posais des affiches sur les poteaux pour le Bloc populaire. Et on a évolué depuis ce temps-là. Ça fait longtemps, ça, 52 ans, pour avoir du français d'une petite côte à l'autre. Le Bloc populaire, c'était ça: français d'une côte à l'autre. Ça a changé. Jean Drapeau vous parle en 1954. Il nous a dit qu'il était pas pire. Ça a changé. Est arrivé Chaput, «Pourquoi je suis séparatiste». J'ai jeûné avec lui. J'ai jeûné avec Chaput. On a commencé comme ça. On défendait la langue française.

C'est rendu qu'il y a des... un vendredi 13, on vient nous dire qu'une petite loi très anodine, qui respecte le jugement, parce que le peuple nous a dit qu'on était encore une province... Si vous saviez comme je le sais, qu'on l'a perdu, le référendum. Si vous saviez comme je le sais! On l'a perdu, M. le Président, par une peccadille. Mais on l'a perdu par les nouveaux arrivants que M. Chrétien a nommés le dernier mois, c'est à peu près ça. Mais, c'est ça, on l'a perdu. On l'a perdu par des peccadilles.

Une voix: Par qui?

M. Blais: Des petites peccadilles, des petits riens. Mais on l'a perdu. Et on a perdu. On n'a pas dit: 49,6 % des gens qui ont voté souverainiste, donc eux autres peuvent se séparer tout de suite. Mais non, on a perdu. Et si, le prochain, on le gagne par 52 %, les 48 % qui vont avoir voté non, ils ne pourront pas s'en aller, il va falloir qu'ils acceptent, eux autres aussi. Parce que, mettons qu'il y a un trois-étages, le premier étage vote oui, le deuxième étage vote non, le troisième étage vote oui. Je les vois bien partir avec le deuxième, moi. On va avoir du fun! On va avoir du plaisir!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: M. le Président, quand je vois des gens se chicaner, et conter des histoires, et essayer d'épouvanter la population, et essayer de semer la zizanie... Une personne crédible, une personne qui fut, sous une autre toge, à la langue française elle-même – c'était M. langue française! – qui vient colporter dans cette Assemblée des choses qui sont loin d'être la vérité... Je vous remercie, M. le Président, de m'avoir écouté. Si vous saviez comme j'aimerais en parler beaucoup plus longtemps, mais je crois que mon confrère a quelque chose à sortir du fond de son baril. Et je vous remercie, M. le Président.

Des voix: Ha, ha, ha!

(7 heures)

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, merci, M. le député de Masson. Nous allons céder la parole au député de Berthier. Je tiens à vous aviser, M. le député, qu'il reste à courir exactement 8 min 50 s. M. le député.


M. Gilles Baril

M. Baril (Berthier): M. le Président, il me fait plaisir d'intervenir sur cette question et d'abord de saluer les talents de mon collègue, mais aussi de mon compatriote: mon collègue le député de Masson, mais compatriote du Témiscamingue. Il est bien placé pour parler effectivement des problèmes à Sudbury, à Sault-Ste-Marie, à South Porcupine ou même dans la région de l'Outaouais.

M. le Président, je n'ai peut-être pas fait la grève de la faim avec Marcel Chaput, mais j'ai posé des pancartes très jeune avec Réal Caouette, par exemple. Les gens peuvent bien rire, mais Réal Caouette, chef du puissant parti Crédit social pendant longtemps, a été le premier parlementaire québécois sur la scène fédérale qui s'est battu pour la francisation à l'intérieur du Parlement d'Ottawa. Menus en français. Il a fait un long débat qui a duré à peu près deux ans pour essayer d'obtenir d'avoir des menus en langue française au Parlement d'Ottawa. C'est quelque chose, ça. Imaginez-vous. On n'en est plus là aujourd'hui.

M. le Président, peut-être pour faire un survol... Les Québécois, qui sommes-nous? Bien, on est 7 000 000 en terre d'Amérique, on est 7 000 000 entourés de 250 000 000 d'anglophones. C'est important de préciser ça, M. le Président. On est un peuple. Qui nous sommes, les Québécois et les Québécoises? Nous sommes d'abord et avant tout un peuple. On est une nation. On a une culture qui est propre à nous, une culture qui, à travers les siècles, est devenue de plus en plus dynamique, qui se répand partout à travers le monde. Il faut se promener dans les barrios de Bogota, ou de La Havane, ou d'ailleurs, puis entendre des chansons de Céline Dion, puis on est fier d'être Québécois. Dans les moments où l'île de Cuba était... dans des moments politiques où l'île était quasiment fermée au reste du monde, bien, on pouvait se rendre en banlieue du vieux Havane pour entendre des chansons de Céline Dion. J'ai même entendu du Gerry Boulet. Alors, c'est quelque chose. Donc, effectivement, on est une culture qui est dynamique, qui est forte, qui est puissante puis qui de plus en plus s'affirme à travers le monde.

Puis on a une langue aussi – ça, c'est important – une langue qui est de plus en plus vivante, qui a franchi les siècles et qui, de plus en plus, est une langue... qui est une langue internationale aussi, il ne faut pas oublier ça. Il y trois langues internationales. Tu sais, on a tendance à entendre toutes sortes de balivernes sur la langue française. C'est un must de parler l'anglais pour faire de la business. Ça me fait rire, ça. Dans toutes les grandes capitales du monde aujourd'hui on trouve toujours des gens devant nous, quand on fait des affaires, qui parlent français. Ça, c'est la réalité. Alors, les trois grandes langues du monde, de communication, les trois grandes langues internationales, bien, c'est le français, c'est l'anglais puis c'est l'espagnol. Et ça s'adonne que de plus en plus on connaît des Québécois et des jeunes Québécois qui possèdent ces trois langues-là.

Je ne dirais pas la même chose, par exemple, de mes compatriotes de l'Ontario ou du Canada anglais. Puis c'est toujours avec un peu le sourire d'ailleurs que j'entends un compatriote de Toronto parler l'espagnol. C'est assez spécial, hein! Vu qu'on est de bonne heure le matin, c'est un peu comme quand on sort un tracteur du garage l'hiver, hein! Ça fait drôle à entendre. Il y aurait juste un Bye Bye à faire là-dessus, mais, en tout cas, on va passer.

M. le Président, effectivement, nous sommes 7 000 000 d'habitants, le seul peuple à majorité francophone d'Amérique. Alors, qu'on parte de la terre de Baffin en passant par le Rio Grande jusqu'à la Terre de Feu, au Chili, on est les seuls à majorité francophone. Pourquoi il est important de se donner des lois, des législations fortes qui expriment et qui manifestent clairement l'intention de notre société de démontrer, par une forme de volonté, qu'au Québec c'est en français que ça se passe? C'est important que ça soit clair parce qu'on doit donner un signal clair au reste du monde. Pour l'immigré qui part de New Delhi, de Santiago au Chili, de Rome ou d'Athènes, le signal doit être clair pour ces nouveaux arrivants là. Le signal doit être tellement clair que, pour ceux qui partent, pour ceux qui passent, pour ceux qui arrivent ou pour ceux qui décident de rester, le Québec, c'est en français que ça se passe. C'est important que ça soit clair, ça. C'est important qu'il n'y en ait pas, d'ambiguïté. Et ça s'inscrit tout simplement dans la normalité des choses.

Qu'est-ce qui s'est passé aux États-Unis dans les 10 dernières années? Il y a au-delà de 15 États américains, dont l'État de la Floride, les États du Midwest, les États du Sunbelt, par exemple, qui se sont donné des législations puissantes similaires à la loi 101. De quoi les Américains peuvent avoir peur, eux autres qui sont 250 000 000 d'habitants? Ils se sont donné une législation très forte pour protéger leur langue et leur culture; ils ont fait ça.

On va aller plus loin: l'État de Mexico. Il y a du monde, dans l'État de Mexico, il y a 30 000 000 d'habitants. Ils se sont donné, eux aussi, une législation, il y a sept ans, pour protéger l'espagnol, pour que l'espagnol soit la langue parlée, la langue de l'éducation, la langue du travail dans l'État de Mexico. Ça s'inscrit dans la normalité des choses, ça.

Alors, qu'on vienne essayer de nous rapetisser frileusement, de nous ratatiner, et ça, comme l'a si bien dit mon collègue de Sainte-Marie–Saint-Jacques tantôt, c'est une constante du parti de l'opposition, du Parti libéral du Québec, de nous culpabiliser... Ça, c'est une particularité. On essaie de nous culpabiliser, alors que la société québécoise, les Québécois et les Québécoises sont une des sociétés les plus généreuses au monde, une des sociétés les plus ouvertes au monde. D'ailleurs, il y a à peu près 10 ans, les Nations unies ont décerné au Québec le prix Hanson pour avoir, comme société, le mieux traité ses minorités.

M. le Président, en terminant, moi, je donnerais peut-être... Je pense que le Parti libéral du Québec actuellement est interpellé dans ce qui s'en vient, est interpellé depuis le référendum. Où est le Parti libéral de Jean Lesage et de Georges-Émile Lapalme? Où est-il, ce parti? Où est cette pensée si puissante et si forte qui a fait du parti de l'opposition, dans des grands moments de l'histoire du Québec, un grand parti politique qui était capable de refléter l'ensemble des intérêts des Québécois et des Québécoises, le Parti libéral de feu Jean Lesage et de Georges-Émile Lapalme? Surtout après le dernier référendum, on peut dire qu'à l'est de la rue Saint-Laurent, à Montréal, le Parti libéral a bien des chances de disparaître à la prochaine élection.

Le Parti libéral actuellement est tombé, est dominé par la pensée du «ratpack» du West Island, la pensée de Galganov qui devient de plus en plus présente dans ce caucus. C'est ça, la réalité. Un parti qui est en train de disparaître sur le plan d'une pensée constitutionnelle qui mettait au premier plan les intérêts collectifs des Québécois et des Québécoises; c'est ça, la réalité. Un Parti libéral qui est en train de disparaître parce que justement prisonnier du triste spectacle qu'il nous a livré depuis quelque temps à l'Assemblée nationale, dominé par les gens du West Island de Montréal; c'est ça, la réalité. C'est ça, la réalité de ce parti. Un parti qui sombre de plus en plus depuis le dernier référendum vers où, M. le Président? Vers rien. C'est ça, la réalité.

La seule solution pour nous, M. le Président, c'est de faire une élection puis de déclencher un...

Le Vice-Président (M. Pinard): Excusez-moi. M. le député de Laurier-Dorion, je pense que vous agissez contrairement au règlement. En cette Assemblée, depuis deux ans, je n'ai jamais vu un député qui frappait avec son pupitre. Alors, s'il vous plaît, laissez le terminer, il reste 10 secondes à son allocution, et après ça je vous reviendrai.

M. Sirros: M. le Président, question de règlement.

Le Vice-Président (M. Pinard): Oui.

M. Sirros: ...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion, je ne suis pas celui...

M. Sirros: ...

Le Vice-Président (M. Pinard): M. le député de Laurier-Dorion, s'il vous plaît! Vous n'avez pas à traiter personne d'incompétent en cette salle.

Alors, veuillez compléter, il vous reste 10 secondes. Et j'insiste.

(7 h 10)

M. Baril (Berthier): M. le Président, le seul moyen pour régler à tout jamais le débat linguistique au Québec, c'est de faire la souveraineté politique du Québec. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Merci, M. le député de Berthier. Alors, comme le débat sur la motion de report est maintenant complété, est-ce que la motion de report est adoptée?

Des voix: Adopté.

Des voix: Vote nominal.

Des voix: Adopté.

Le Vice-Président (M. Pinard): Vote nominal.

Une voix: Vote nominal, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Pinard): Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: M. le Président, conformément à l'article 223 de notre règlement, je vous demande de reporter le vote à la période des affaires courantes.

Une voix: Ce matin.


Vote reporté

Le Vice-Président (M. Pinard): Conformément au règlement, le vote sera reporté lors des affaires courantes, qui vont débuter dans approximativement trois heures. Mme la leader adjointe du gouvernement.

Mme Caron: Je fais motion pour que nous ajournions nos travaux à ce matin, vendredi 13 décembre, 10 heures.

Le Vice-Président (M. Pinard): Alors, j'ajourne donc les travaux à ce matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 7 h 11)