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Version finale

39e législature, 2e session
(23 février 2011 au 1 août 2012)

Le mardi 27 septembre 2011 - Vol. 42 N° 4

Entendre M. Jacques Duchesneau, dirigeant de l'Unité anticollusion du ministère des Transports, sur son rapport


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Table des matières

Journal des débats

(Quinze heures sept minutes)

Le Président (M. Simard, Richelieu): À l'ordre, s'il vous plaît! Nos travaux vont commencer. Je déclare la séance de la Commission de l'administration publique ouverte. Et je demande à tous ceux qui ont des téléphones cellulaires de bien vouloir les éteindre. Je serai impitoyable là-dessus.

Vous le savez, l'objet de cette séance est d'entendre, de procéder à l'audition de M. Jacques Duchesneau, dirigeant de l'Unité anticollusion du ministère des Transports, sur son rapport.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Vallée (Gatineau) remplace Mme Charbonneau (Mille-Îles); M. Ouellette (Chomedey) remplace M. Reid (Orford); Madame... -- excusez-moi -- M. St-Arnaud (Chambly) remplace Mme Champagne (Champlain); M. Girard (Gouin) remplace M. Rebello (La Prairie); M. Bergeron (Verchères) remplace M. Simard (Kamouraska-Témiscouata); Mme Roy (Lotbinière) remplace M. Bonnardel (Shefford); et nous avons M. Sklavounos (Laurier-Dorion) qui est membre temporaire.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci, M. le secrétaire. Comme vous pouvez le constater, mesdames messieurs, la Commission de l'administration publique attire beaucoup l'attention aujourd'hui. C'est peut-être l'occasion justement de présenter ce qu'est cette commission. C'est une commission qui est chargée de l'imputabilité et de la reddition de comptes des ministères et organismes de l'État du Québec. Notre bras séculier, si j'ose dire, avec pouvoir d'enquête, c'est le Vérificateur général, dont nous scrutons les rapports au moyen d'auditions des témoins, auditions publiques d'ailleurs, à la suite desquelles nous faisons des recommandations.

Je n'ai pas honte de le dire, il s'agit de l'une des meilleures commissions de comptes publics au Canada. Elle fonctionne de façon non partisane et se préoccupe non pas des décisions politiques, mais de leurs effets sur la gestion de l'État.

Je vois et comprends très facilement que plusieurs membres réguliers ont été remplacés cet après-midi par des parlementaires, mais des parlementaires qui sont familiers des dossiers qui sont discutés ici. Je m'attends de leur part au même comportement que celui des membres réguliers de la commission.

**(15 h 10)**

Nous sommes ici pour mieux connaître, pour faire connaître à la population, à l'aide du témoin, le contenu de son rapport.

Nous disposons de 4 h 30 min pour, dans un premier temps, entendre M. Duchesneau nous résumer son rapport pendant une trentaine de minutes. Ensuite, nous passerons aux échanges avec les parlementaires.

L'ordre de la Chambre prévoit que la moitié du temps de la commission est attribuée au parti ministériel, déjà la moitié du temps, l'autre moitié à l'ensemble de l'opposition. Dans la composition régulière de la Commission de l'administration publique, cette composition est formée de quatre membres de l'opposition officielle, le Parti québécois, un membre de l'ADQ. Et d'ailleurs François Bonnardel est vice-président de la commission, tout comme le député de Vaudreuil, Yvon Marcoux, est l'autre vice-président.

De façon à permettre aux indépendants qui se sont inscrits avant 11 heures ce matin, tel que je leur avais demandé, de participer, ils sont considérés comme s'il y avait un sixième membre dans notre commission et se partageront, en conséquence, 22 min 30 s. Comme six d'entre eux ont manifesté l'intention de poser des questions, chacun disposera de 3 min 45 s.

Vous avez constaté que la période des affaires courantes nous a forcés à commencer quelques minutes en retard. Nous reprendrons à la fin de nos travaux ces quelques minutes.

Évidemment, vous avez compris que le temps de réponse et de question n'est pas transférable, que, lorsque je dis «3 min 45 s», c'est question et réponse. Alors, si vous voulez avoir une réponse, ne posez pas une question de trois minutes. Moi, je serai très rigoureux là-dessus.

Cependant, comme je le fais régulièrement dans cette commission entre le gouvernement et l'opposition officielle, et même parfois avec l'ADQ, il y aura une certaine souplesse. J'autoriserai que l'on termine les questions. Ce n'est pas très important. À la fin de la journée, tout le monde aura eu exactement le temps qui lui était imparti. La somme de temps dont disposent l'opposition officielle et le gouvernement me permet d'avoir cette souplesse, ce qui n'est évidemment pas le cas avec les députés indépendants.

Les dossiers que nous allons aborder cet après-midi sont délicats, importants, et je n'ai pas besoin de vous citer les premières phrases du rapport de M. Duchesneau pour savoir que nous touchons là, selon ses propres termes, un monde clandestin, qui met en cause l'État québécois et son économie, et la démocratie au Québec. Donc, nous devons aborder ces questions avec sérieux et de façon rigoureuse. Dans... Sauf un cas, il n'y a pas de sub judice qui soit concerné cet après-midi. Le seul cas, à ma connaissance, vous me le signalerez s'il y en a d'autres, c'est le cas de Boisbriand, qui a été transmis aux tribunaux. Dans les autres cas, ce sont les enquêtes de police.

J'invite le témoin -- je lui ai déjà manifesté cette remarque, et il est d'accord -- et j'invite aussi tous les parlementaires à y aller de prudence quand il s'agit d'enquêtes en cours, quand il s'agit d'informations nominales ou d'informations qui pourraient, si elles étaient couplées, nuire aux enquêtes en cours. Il n'est pas question ici, je vous le dis tout de suite, de faire de huis clos, là. J'invite essentiellement les membres de la commission à se comporter de façon responsable et au témoin de juger lui-même quelles sont les limites de son témoignage, de façon à ce que les enquêtes ne soient pas... aucune des enquêtes n'avorte pour une déclaration qui serait inconsidérée.

D'ailleurs, à ce stade, je vais présenter... donner la parole à notre témoin, M. Duchesneau, qui, je le rappelle, est président de cette... de cette unité anticollusion -- voilà, je vais y arriver -- UAC. M. Duchesneau, avant que vous commenciez, je vous invite à décider si vous souhaitez ou non être assermenté, de façon à profiter de la protection qui est accordée à tous les membres de cette commission dans leur travail, auquel cas nous procéderions immédiatement.

Exposé du dirigeant de l'Unité anticollusion du
ministère des Transports, M. Jacques Duchesneau

M. Duchesneau (Jacques): S'il vous plaît, j'aimerais être assermenté, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, j'invite le secrétaire de la commission à le faire, s'il vous plaît.

Assermentation

M. Duchesneau (Jacques): Je, Jacques Duchesneau, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président (M. Simard, Richelieu): C'est évidemment, en plus, ce que nous souhaitons tous.

Sans plus tarder, j'invite M. Duchesneau, à ce moment-ci, à nous faire une présentation d'au maximum 30 minutes. Vous pouvez prendre moins, hein, on aura plus de temps pour échanger. Vous avez 30 minutes.

M. Duchesneau (Jacques): Merci beaucoup, M. le Président. Mmes et MM. les parlementaires et membres de cette commission, je suis heureux aujourd'hui du temps que vous m'accordez afin de commenter le rapport produit par l'Unité anticollusion. Plusieurs en ont révélé à ma place les grandes lignes depuis 15 jours, et je pense que c'est un réflexe sain et naturel de chercher à savoir. J'aurais préféré que les choses se passent autrement.

On nous a reproché, à la sortie du rapport, de ne mentionner aucun nom. On a même avancé qu'aucun nom n'existait. Alors, rien n'est plus faux. Si nous avons choisi de taire les noms, c'était pour protéger nos sources. Pour nous, cette question de la confidentialité est tout à fait fondamentale. La sécurité de nos témoins, qui craignent, avec raison, les menaces ou les représailles, doit être notre priorité commune. Ça doit l'être d'autant plus que nous parlons de gros montants d'argent et que nous avons affaire à certains individus aux réflexes violents.

C'était également parce que notre mandat consiste à poser un diagnostic de la collusion et non pas de dénoncer des firmes ou des entrepreneurs en particulier. Dans une perspective judiciaire, l'escouade Marteau recherche les coupables d'actes criminels pour lesquels il est essentiel d'établir une preuve hors de tout doute raisonnable en vue d'intenter des poursuites. Marteau veut des arrestations et des sanctions. Quant à nous, à l'Unité anticollusion, dans une optique de justice, nous opérons selon un mode d'enquête par anticipation, c'est-à-dire que nous travaillons en amont des actes répréhensibles, afin de comprendre les divers stratagèmes en jeu et de les mettre en lumière. L'Unité anticollusion constitue un avant-poste qui produit du renseignement permettant de prévenir la collusion et de se prémunir de ses effets.

À défaut de fournir des noms, nous dénonçons des situations, des situations qui réclament toute notre vigilance en raison de leurs grands enjeux. N'oublions pas que la planification quinquennale du ministère des Transports couvre plus de 4 000 projets routiers, et on parle ici d'un vaste programme de réfection d'infrastructures du réseau routier, dans lequel le gouvernement québécois a prévu consacrer rien de moins que 16,2 milliards de dollars.

Nous avons consacré plus de 2 500 heures à recueillir des témoignages. Ce rapport que nous explorerons aujourd'hui porte la voix de 500 victimes ou témoins de collusion, que nos enquêteurs ont rencontrés directement sur le terrain durant les 18 derniers mois.

Je me permets de souligner le tour de force que les enquêteurs de l'Unité anticollusion ont accompli, puisqu'ils ont dû agir sans aucun statut ni pouvoir réel. En effet, ceux dont nous avons obtenu le témoignage ont été approchés selon leur bon vouloir, sans aucune obligation de leur part. L'UAC, l'Unité anticollusion, ne disposait d'aucun pouvoir d'enquête qui leur aurait permis de contraindre les individus à témoigner. La réussite de nos enquêtes tient beaucoup aux rapports de confiance que nous avons établis sur le terrain, justement parce que les gens pouvaient parler librement et ouvertement.

Et, croyez-moi, ils nous ont parlé. Ils avaient des choses à dire, et nous les avons écoutés. Ils nous ont accueillis dans leur environnement de travail. Certains ont pris des risques. Aujourd'hui, nous parlons en leur nom.

Bien que le phénomène de la collusion soit connu depuis longtemps, nous sommes encore dans une phase d'apprentissage du phénomène et nous sommes encore à déterminer l'étendue de la situation. Nous avons obtenu l'aide de plusieurs personnes, mais nous devons encore obtenir des explications de certains individus clés.

Selon nous, le rapport que nous avons déposé est prudent et nuancé. Et je m'explique mal certaines dérives entendues dans les médias. J'ai trouvé particulièrement désolant qu'on jette le discrédit sur l'ensemble des fonctionnaires du MTQ, qui sont nos partenaires et nos alliés. De même, il faut mettre en garde contre le risque de succomber à des généralisations abusives à l'égard de tous ceux qui appartiennent de près ou de loin au monde de la construction.

**(15 h 20)**

On a affaire à un système de collusion soutenu par une logique de système. Bien sûr, certains individus s'en rendent complices, mais il est faux, totalement faux, de parler d'une culture de la corruption au ministère des Transports du Québec. Par contre, il y a une perte d'expertise et une certaine démobilisation qui s'ensuit, ça, c'est vrai.

La collusion, c'est un jeu caché, une entente frauduleuse par laquelle quelques joueurs s'entendent pour décrocher un contrat ou réaliser des profits supérieurs à ceux qu'ils obtiendraient en vraie situation de concurrence. Les conséquences sont particulièrement dommageables pour le client, qui est ici l'État et pour lequel ce sont tous les contribuables qui paient. Mais il faut rappeler qu'elles affectent également toutes les firmes et entreprises qui se voient exclues de ce marché.

Jusqu'à présent, on a fait face au syndrome de la cloche de verre, c'est-à-dire que bien des gens étaient au courant de certaines pratiques qui ont cours sur les chantiers de construction routière, aussi au courant de l'autorité étonnamment large des firmes de génie-conseil. Ils connaissaient aussi la perte d'expertise du MTQ et ils savaient que la collusion gangrène l'industrie dans plusieurs régions de la province. Bien des gens étaient au courant et acceptaient cette situation parce que c'était tout simplement passé dans les pratiques d'affaires habituelles, par les failles de la réingénierie publique. Personne ne s'objectait parce que cela faisait partie, si l'on peut dire, des affaires normales.

Aujourd'hui, devant vous, les parlementaires, et à la lumière de plus de 20 000 heures d'enquête, je suis venu confirmer que tout n'est pas normal. Il n'est pas normal que, depuis la création de l'Unité anticollusion, les entrepreneurs soumissionnent maintenant 17,2 % sous les estimations de référence, une chute drastique connue en 2010. Cela signifie qu'il y avait un certain relâchement et que maintenant les firmes de génie-conseil et surtout les entrepreneurs ont moins le réflexe de gonfler les prix de leurs estimations et de leurs soumissions.

C'est ce que nous appelons l'effet Marteau, qui est le résultat du travail des policiers de l'opération Marteau, des fonctionnaires du ministère des Transports du Québec et des enquêteurs de l'Unité anticollusion. En 18 mois, 347 millions de dollars ont été épargnés par l'État. Il faut maintenir à tout prix cette nouvelle habitude de prudence et d'économie. Il faut changer la mentalité des entrepreneurs qui marchent à côté de la ligne et qui sont persuadés de ne pas être croches parce qu'ils font des affaires. C'est ce qui nourrit la collusion subtile et efficace qui sévit dans l'industrie de la construction et qui prive le Québec de plusieurs millions de dollars par année.

Pourrait-on mettre enfin en place un système d'indicateurs de collusion afin de dissuader les entrepreneurs tentés de déjouer la concurrence? Ce système pourrait se présenter sous la forme de signaux de dissuasion envoyés aux entrepreneurs à diverses étapes de la réalisation des contrats. Ce système agirait ni plus ni moins comme barrière de surveillance et de mise en garde. Il pourrait comprendre des indicateurs placés aux étapes de l'appel d'offres, de la soumission, de l'exécution des travaux et de la surveillance des travaux, dans le but d'éviter les abus et de limiter les dépassements de coûts.

Il n'est pas normal qu'au MTQ, qui est le plus grand donneur d'ouvrage du gouvernement, la réduction de l'effectif ait des conséquences aussi inquiétantes. Ce n'est pas seulement la collusion qui y est menaçante, c'est aussi certaines déficiences et pratiques de gouvernance.

Depuis 10 ans, au fur et à mesure que le MTQ a externalisé ses contrats de construction de routes et d'infrastructures, les firmes de génie-conseil ont radicalement gagné du terrain en savoir-faire. Pendant ce temps, le MTQ, lui, s'est vidé de son expertise de façon très préjudiciable. Cela se traduit en une sorte de pyramide inversée, où les employés du MTQ ont l'impression de travailler, à tort ou à raison, pour les firmes de génie-conseil.

Notre rapport met en lumière que le MTQ est devenu un as de la sous-traitance et qu'il a effectué un transfert des pouvoirs vers le privé, sans s'assurer de conserver suffisamment d'expertise pour gérer son réseau de 29 000 kilomètres et de 4 400 structures. C'est une lacune importante, considérant que ces infrastructures sont l'un des piliers de nos finances publiques.

En somme, la plupart des ingénieurs du MTQ gèrent les contrats confiés aux firmes privées et en bout de ligne savent de moins en moins comment fonctionne un chantier. À force de couper des experts au MTQ, on se retrouve sans aucun estimateur spécialisé... d'évaluer le coût réel des grands projets d'infrastructures routières au Québec, et c'est préoccupant. On est confrontés à un problème administratif et mathématique qui nous dit qu'il faudra compter cinq à 10 ans pour récupérer 25 % de l'expertise nécessaire au bon fonctionnement du MTQ. Est-ce à dire que nous devrons vivre encore cinq à 10 ans sans un bon filet pour endiguer la collusion?

Le problème le plus criant, en ce moment, et il est pervers, c'est que le MTQ s'est accommodé d'une situation qui a lentement dégénéré.

Avant d'aller plus loin, je tiens à préciser que je ne jette, encore une fois, aucun blâme sur les employés du MTQ. Au contraire, ils nous ont toujours été d'une grande collaboration dans les travaux que nous avons menés et ont été essentiels à notre compréhension de la situation, et ça, à tous les niveaux du ministère.

Ce que nous devons retenir, c'est que nous avons affaire à un exode vers le privé, qui se traduit par une gestion de risque trop élevée pour ne pas s'alarmer.

Maintenant, le génie-conseil. Il n'est pas normal que les firmes de génie-conseil héritent d'autant de responsabilités et aient presque le monopole de la conception, de la surveillance des travaux du MTQ. C'est un système vicié.

Notre rapport met cette réalité en évidence. Au MTQ, les estimations sont confiées à 100 % à des firmes de génie-conseil dans la région de Montréal et dans une proportion moyenne de 95 % dans chacune des régions. Dans les faits, cela veut dire que le ministère des Transports demande aux firmes de génie-conseil de déterminer combien ça coûte pour construire une route, bien que le ministère ait officiellement son mot à dire.

Cela m'amène à dire qu'à vouloir tout confier au privé le MTQ a consenti à confier les clés de la maison à un nombre restreint de firmes, et il n'est plus le seul maître des lieux.

Nous ne sous-entendons pas ici que le recours aux firmes de génie-conseil génère de la collusion. Nous nous demandons simplement si, en s'abandonnant au privé, le MTQ se garde des pouvoirs de regard suffisants et critiques sur l'identification de ses besoins et sur la sélection des entrepreneurs devant travailler aux chantiers.

Dans notre recherche d'indices de collusion, nous avons constaté que les firmes de génie-conseil ne démontrent pas toujours la plus grande exactitude dans leurs estimations de référence. Il en ressort que les entrepreneurs ont déposé des soumissions moins élevées que prévu ces dernières années, à la baisse de 1,7 % en 2008, de 8 % en 2009 et de 17,2 % en 2010. Est-ce que le point de départ était faussé? Est-ce que les estimations de référence étaient trop hautes? Ou est-ce que les estimateurs étaient plus réservés ou craintifs? C'est les questions qu'on se pose.

Certains écarts considérables entre estimation et soumissions soulèvent un problème de fiabilité. Pourquoi les firmes de génie-conseil ne sont-elles pas plus imputables de la qualité de leurs travaux? Pourquoi aussi les firmes de génie-conseil sont-elles chargées à la fois des plans et devis, des estimations et de la surveillance des chantiers? La question qui se pose: Est-ce que c'est prudent et efficace? Nous en sommes venus à la conclusion, dans notre rapport, qu'il serait souhaitable que le MTQ confie les étapes de ses contrats à des firmes de génie-conseil différentes, afin d'améliorer l'intégrité et la rigueur du processus.

En ce qui concerne le crime organisé, il n'est pas normal que plusieurs entreprises du secteur de la construction entretiennent des liens avec le crime organisé. On peut donc présumer que des organisations criminelles ont déjà mis les pieds sur les chantiers du ministère, où il circule beaucoup d'argent liquide. Pour une organisation criminelle, les contrats de construction représentent effectivement un moyen convoité de blanchiment d'argent et la possibilité d'augmenter leurs sources de revenus.

**(15 h 30)**

Ce que je dis par cela, c'est que le crime organisé n'est pas un simple problème d'ordre public. C'est un phénomène économique et social qui a pénétré toute la société, incluant les processus implantés au MTQ. Nos enquêteurs l'ont bien compris: le crime organisé n'est pas un simple parasite mais un véritable acteur étatique. En fin de compte, c'est à nous, les contribuables, que la facture est refilée. C'est comme si nous payions trop pour moins de services.

Depuis la dernière commission d'enquête sur le crime organisé des années soixante-dix, la situation s'est beaucoup détériorée. Dans les années soixante-dix, quatre-vingt, les membres du crime organisé commettaient des crimes de toutes sortes: crimes de violence, vente de stupéfiants, jeux et loteries illégaux, prostitution. Ces activités illégales ont produit beaucoup d'argent qui a été recyclé dans des activités légales, et ce, depuis des décennies. Le monde de la construction est un créneau de rêve pour ces criminels, car il attire moins l'attention des autorités, trop préoccupées à maintenir l'ordre public. Aujourd'hui, un large pourcentage de leurs revenus légaux provient d'activités aux allures très nobles. Pourtant, ils construisent ces empires clandestins en exploitant l'économie du «pizzo» -- ce qu'on appelait, dans mon temps, la protection -- sorte d'impôt criminel obtenu des petits marchands ou entrepreneurs sous la menace. Ils le font aussi en utilisant la loi du silence institutionnalisée, ce qu'on appelle l'omerta, donc tout se passe dans le secret.

40 ans après le dernier examen de conscience sociale, l'État doit se donner des moyens qui ne sont pas uniquement policiers, mais aussi des moyens institutionnels. Je pense ici à une réforme en profondeur du système judiciaire pour qui il est essentiel de s'adapter à cette nouvelle réalité. Je pense aussi à des moyens administratifs pour empêcher que les organisations criminelles ne profitent indûment des contrats gouvernementaux. Et, finalement, je pense à des moyens politiques, parce qu'il faut que tous les élus parlent d'une même voix si on veut endiguer ce problème avec succès.

Quelques mots maintenant sur l'asphalte. Il n'est pas normal qu'il y ait une domination de fournisseurs dans l'industrie de l'asphalte. Selon notre analyse, seulement quelques entreprises contrôlent une partie toujours plus importante des enrobés bitumineux au Québec depuis des années et avec une très petite ouverture pour les autres joueurs qui souhaiteraient insuffler un peu de concurrence. Dans certaines régions, on pourrait même parler de monopole. Il y a là une belle occasion pour le MTQ de renforcer son leadership. Lorsque 94 % des 29 000 kilomètres d'autoroutes, de routes nationales et régionales et de routes collectrices sont en enrobé bitumineux, il y a lieu pour le ministère de s'inquiéter et d'assainir le climat de concurrence d'une industrie particulièrement rentable.

J'aborderai maintenant le financement des partis politiques. Il n'est pas normal qu'il s'institue un rapport de dépendance du politique à l'égard du milieu de la construction. Et je précise d'emblée que la question politique ne faisait pas partie explicitement du mandat de prévenir la collusion dans l'attribution et l'exécution des contrats au ministère des Transports. Malgré tout, plusieurs collaborateurs ont tenu à nous en parler, surtout en rapport avec le monde municipal.

L'histoire nous enseigne que les liens entre le crime organisé et le monde politique se vérifient et qu'ils sont efficaces. C'est malheureux, mais c'est la stricte réalité. Dans la société mondialisée dans laquelle on vit, le Québec n'échappe pas à cette collaboration entre criminels et corrompus. Au cours des dernières années, des rumeurs ont circulé à l'effet que le financement des partis politiques, autant au niveau municipal que provincial, ne se faisait pas toujours selon les règles en vigueur. Certaines de ces rumeurs se sont d'ailleurs vues confirmées par des sanctions distribuées par le Directeur général des élections du Québec.

Les enquêtes menées par l'Unité anticollusion tendent à confirmer qu'il existe un système bien établi dans lequel financement politique et collusion dans l'industrie de la construction vont de pair. Nos enquêtes ont également révélé que le crime organisé est partie prenante de ce système. En fait, il y joue un rôle central. On parle ici d'un système parallèle exploitant subtilement les maillons faibles d'un système légal. On parle d'un système dans lequel de l'argent trouve peu à peu son chemin vers le monde politique. Par conséquent, on se doit d'agir. On ne peut ignorer ce système et l'on doit dès à présent s'attarder à le comprendre. Comme le disait si bien un écrivain qui m'inspire: «Inutile de tenter de tourner le dos à la réalité puisqu'elle nous entoure de toutes parts.»

En conclusion, notre rapport dégage plusieurs grands constats. En voici d'importants. Les enquêtes que nous avons menées dans le secteur de la construction routière nous ont révélé une situation bien plus inquiétante et trouble que ce à quoi nous nous serions attendus. Le gouvernement essuie des pertes en argent et se voit limité dans la possibilité de développer son expertise, tout comme d'ailleurs la vaste majorité des firmes et entreprises. Dans cette industrie où circule beaucoup d'argent liquide propice au blanchiment, le crime organisé s'invite comme partenaire silencieux pour détourner des fonds publics, soumettre le monde de la construction à son emprise et faire régner sa loi jusque dans l'économie réelle. Il en résulte une dangereuse amplification de pratiques illégales qui ont trait notamment au paiement au noir, à la fausse facturation et à l'évasion fiscale, et c'est sans compter le «pizzo», les menaces et l'intimidation.

En perdant son expertise, le ministère rend lui-même ses marchés publics vulnérables et les expose notamment à des risques de collusion. Certaines de ses propres règles semblent contenir en elles-mêmes la possibilité de leur contournement, de leur détournement, voire de leur perversion au bénéfice de certains acteurs du milieu de la construction. J'en nomme quatre ici rapidement. Principe du plus bas soumissionnaire: on simule la libre concurrence en étant plusieurs à répondre à un appel d'offres, alors que le gagnant est identifié d'avance. La politique du plus 10 % ou moins 20 % de l'estimation de référence: on voit que certains entrepreneurs obtiennent des contrats sous la limite inférieure prescrite, après quoi ils ne ratent pas une occasion de demander des extras et des avenants, puis, le cas échéant, de soumettre des réclamations. Problème de l'homologation de certains produits, où seuls certains produits homologués sont considérés au plan et devis, et même s'il existe des équivalents chez d'autres fournisseurs, ce qui tend à créer des monopoles. Finalement, on semble assister à une banalisation, en amont comme en aval des chantiers, du gonflement des estimations par certaines firmes de génie et des dépassements de coûts par certains entrepreneurs.

À partir de ces grands constats, on comprend qu'il y a des façons de faire au MTQ qui réclament d'être resserrées et des lacunes de gestion qui doivent être comblées. Sans un redressement rigoureux de la situation actuelle, il sera pratiquement impensable d'agir efficacement sur la collusion. Le passé, on ne peut pas le refaire, mais le présent et l'avenir, oui. Le rapport nous a permis de cibler des failles et des dérapages critiques; ce sont des failles qu'il faut corriger, et, pour y parvenir, il est primordial de pouvoir compter sur des volontés politiques solides et courageuses. Le moment de vérité est avant tout politique. Il n'est plus possible d'assister à des hésitations de l'État face à certains aspects de la construction de nos routes. Il n'est pas vrai que c'est seulement en jetant en prison des bandits et en préconisant une approche policière et judiciaire que nous réussirons à juguler l'hémorragie, c'est-à-dire à empêcher les surestimations de coûts, le manque de surveillance qualifiée sur les chantiers et la quasi-prise de contrôle par des firmes de génie-conseil.

En premier lieu, nous avons besoin de mesures claires, fortes et d'une mobilisation générale pour freiner la collusion, mais nous avons aussi besoin... pour contrer la complaisance, la maladresse et l'inertie qui représentent le vrai système à casser.

**(15 h 40)**

En matière de collusion, on dit que la terreur est un fort instrument de persuasion, mais le silence aussi. L'heure n'est plus à se taire. Et c'est ce qui m'amène à m'exprimer sur la commission d'enquête publique que réclame une vaste majorité de la population.

Vous le savez, j'ai toujours été favorable à une commission d'enquête. Après plus d'une année passée à vérifier si les Québécois avaient raison de soupçonner des irrégularités graves dans le domaine de la construction routière, ma position là-dessus n'a pas changé. Le problème existe bel et bien. Il est même beaucoup plus inquiétant qu'on pensait, et le crime organisé a pris ses aises. Nos enquêtes sont donc venues étayer ma position.

Selon moi, cette commission d'enquête devrait comporter deux phases distinctes. La première: un huis clos. Pas pour cacher des choses ou se dérober au jugement populaire, plutôt, et c'est important de comprendre cet aspect-là, pour que des gens viennent témoigner sans craindre pour leur sécurité. Selon notre expérience de la dernière année, plusieurs n'oseront pas courir le risque de parler sans le couvert de l'anonymat.

La deuxième phase: une portion publique. Cette phase permettrait d'entendre d'autres témoins ainsi que des experts, dont des juristes, professeurs, juricomptables, ingénieurs, qui viendraient expliquer la situation. Nous irions ainsi du plus large au plus spécifique, comme cela se passe dans les procès de nature criminelle. Les commissaires d'une commission d'enquête détiennent plusieurs pouvoirs que nous n'avons pas eus pour réaliser notre travail. Ils pourraient donc assigner des témoins et les obliger à répondre aux questions.

Si je privilégie que l'une des phases de la commission d'enquête se déroule à huis clos, c'est pour les raisons suivantes: la confidentialité nous a bien servis lors de nos entrevues et plusieurs témoins qui étaient réticents de nous parler n'ont accepté qu'après l'assurance que leur identité ne serait pas révélée. Ce genre de commission aurait un fort effet de dissuasion. Sachant qu'une commission d'enquête siège à huis clos, les escrocs auraient plus peur que s'ils entendaient en direct des témoignages qui pourraient les incriminer parce qu'ils pourraient préparer leur défense. Parce que, dans ce domaine, le savoir, c'est le pouvoir. Si une partie se déroulait à huis clos, il en coûterait beaucoup moins cher et la procédure serait beaucoup plus courte.

Quant à moi, le choix du commissaire en chef devrait se faire par l'Assemblée nationale du Québec. Le mandat devrait viser spécifiquement l'industrie de la construction mais aussi pourrait être exemplaire et s'assurer que des retombées profitent à d'autres secteurs et ministères.

Je crois plus que jamais à la nécessité de bien baliser une opération aussi déterminante. Il faut bien sûr épingler les escrocs qui nous saignent à blanc, mais il faut aussi une action continue sur un système qui n'a de cesse de se reconstituer. Une commission d'enquête publique, c'est le seul moyen de rassurer le public et de redresser des problèmes devenus structurels. Cette commission est urgente.

Si vous me demandez s'il est trop tard pour enrayer la collusion et la corruption dans l'industrie de la construction, je vous dirai très candidement: Non, il n'est pas trop tard. Je refuserai toujours de croire une telle chose. Mais plus le temps passe, plus les choses se complexifient.

Et je termine, M. le Président, avec le rapport que nous avons livré, un état des lieux. Il constitue un document qui vise à éclairer et à alerter. On a qualifié ce rapport-là de dévastateur. Ce que je vous dirais, c'est que ce n'est pas le rapport qui est dévastateur mais bien la réalité qu'il révèle. Je suis extrêmement fier de ce que nous avons accompli jusqu'à présent dans un domaine où tout restait à connaître et à découvrir, et il faut poursuivre sur cette lancée. Et, pour avancer, il faut d'abord se tenir debout. Ceux qui ont le pouvoir de changer les choses ont maintenant les devoirs de passer à l'acte. Je vous remercie, M. le Président. Je m'excuse si j'ai dépassé de quelque peu.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Vous avez parfaitement respecté le délai qui vous était imparti. M. Duchesneau, accepteriez-vous de déposer cette présentation au secrétariat de la commission à la fin de nos travaux...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...de façon à ce que nous en ayons le texte? J'aimerais aussi, avant que nous commencions, que vous nous présentiez les deux personnes qui vous accompagnent.

M. Duchesneau (Jacques): À ma droite, M. Régent Bélanger, qui est le chargé des enquêtes de l'Unité anticollusion; à ma gauche, Mme Annie Trudel, qui est agente de renseignements auprès de l'Unité anticollusion.

Discussion générale

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci beaucoup. Donc, nous allons commencer la phase des échanges avec les parlementaires. Et, comme convenu, ce sont des blocs de 10 minutes. Le premier bloc appartient à la majorité ministérielle, et je cède la parole au député de Vaudreuil, qui est aussi vice-président de cette commission.

M. Marcoux: Alors, merci, M. le Président. Bienvenue, M. Duchesneau, ainsi que les personnes qui vous accompagnent. Merci également pour le rapport qui a été rendu public, que vous avez préparé.

J'aimerais vous poser une première question qui porte sur le mandat qui vous a été attribué en février 2010. Je comprends qu'on en reparle... vous en reparlez dans votre rapport, mais il serait peut-être intéressant, pour les gens qui nous écoutent, que vous puissiez revenir là-dessus. Si je comprends, c'est un mandat qui vous a été attribué, et, évidemment, on parle d'enquête, mais c'est particulièrement de nature administrative, si je comprends, et vous pourrez nous le définir mieux. Et, à ce moment-là, le ministre qui était responsable, le ministre des Transports, si ma mémoire est bonne, avait indiqué que vous aviez carte blanche pour réaliser et exécuter votre mandat.

Comme parlementaire, pour moi, ça, c'est une question qui est importante, et je vous demande: Est-ce que vous avez vraiment eu carte blanche dans l'exécution de votre mandat pour aller où vous vouliez, consulter les dossiers que vous vouliez? C'est, bien sûr, dans le temps qui vous était imparti, mais sans qu'il y ait eu aucune interférence à cet égard-là?

M. Duchesneau (Jacques): En fait, je vous dirais que j'ai eu une carte ultrablanche. J'ai eu accès à tous les niveaux. Les enquêteurs de l'unité ont eu accès à tous les niveaux dans l'organisation, et jamais, mais jamais, je n'ai eu d'interférence de quelque nature que ce soit. Donc, on a eu accès à tous les documents dont nous avions besoin, et les sous-ministres m'ont donné un coup de main extraordinaire, notamment.

M. Marcoux: M. le Président... et également, si je comprends, donc, vous avez pu rencontrer toutes les personnes que vous vouliez rencontrer.

M. Duchesneau (Jacques): Oui, sans vraiment aucune limite.

M. Marcoux: Est-ce que vous pourriez nous expliquer un peu, et évidemment sans vouloir dévoiler des informations confidentielles, là, comment vous avez procédé?

M. Duchesneau (Jacques): On a eu quelques pistes, parce que, vous savez, dans ce genre d'enquête, l'information, c'est le nerf de la guerre. Plus on a d'informations, plus on est efficaces. À nos débuts, on a été orientés par les gens du ministère vers certaines pistes, parce que les gens du ministère voient, sur une base quotidienne, des choses et donc nous ont informés, et on a débuté certaines enquêtes. Par la suite, c'est le bouche à oreille qui a fait que des gens ont pris contact avec nous, nous ont informés. Et, quand je disais, tantôt, que les gens avaient des choses à dire, je pense que c'est ce qui a été remarquable. Bien évidemment, depuis quelques années, on parle beaucoup de collusion, et il y a beaucoup de gens qui ont des choses à dire. En début d'exposé, je vous parlais de victimes, mais c'est de ça dont on parle. Quand tu es face à des gens qui te font des pressions de toutes sortes sur un chantier de construction, que tu tentes de soumettre des offres pour obtenir des contrats mais qu'on t'écarte, pour moi, ces gens-là, c'est des victimes.

Et j'ai oublié de le mentionner, mais l'équipe formée autour de l'Unité anticollusion comptait 427 années d'expérience policière, dont plus de 300 dans le domaine du crime organisé. Donc, on a été parachutés dans un autre milieu, mais on a été capables d'opérer très rapidement. Donc, sources d'information à l'interne, sources d'information à l'externe, et aussi, après six mois d'opération, on commençait aussi à être à l'aise avec les documents du ministère et on pouvait repérer des choses. Juste à la lecture des bordereaux, par exemple, qui étaient présentés par les entrepreneurs, on voyait qu'il y avait des choses. Donc, on a initié nous-mêmes des enquêtes.

M. Marcoux: Peut-être une dernière question, M. le Président. Donc, vous pouvez nous dire et nous confirmer que le nombre de personnes rencontrées est suffisant, justement, et les dossiers que vous avez examinés, le nombre de dossiers, pour confirmer vraiment le sérieux des allégations... pas des allégations, je me... des énoncés et des constats que vous faites dans votre rapport.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. On avait un mandat de deux ans renouvelable pour une année, et la question qu'on s'est posée, c'est: On a rencontré plus de 500 personnes, on peut continuer encore jusqu'à la fin de notre mandat et rencontrer 1 000 personnes, mais est-ce qu'on aurait un portrait différent? Et on est venus à la conclusion que ça ne donnait rien finalement d'étirer cette enquête. Je pense que l'échantillon que nous avions nous a permis de dresser un portrait juste de la situation.

**(15 h 50)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): Le député de Chomedey pour la prochaine question.

M. Ouellette: Alors, M. Duchesneau, bonjour. Je n'apprendrai rien à personne que certaines des phrases utilisées sont dans mon vocabulaire aussi parce qu'on se connaît tous les deux depuis une trentaine d'années. On a été à Carcajou, vous comme cofondateur et moi comme enquêteur sur le terrain, donc d'une relation professionnelle bleu-vert est née une amitié au cours des années qui s'est développée.

Dans les personnes que vous avez rencontrées... Et je pense que c'est un élément qui est important dans le rapport que vous avez conçu, les éléments sur lesquels vous vous basez -- parce que j'étais à la conférence de presse de Mme Boulet le 23 février 2010 -- et effectivement, carte blanche, tous les dossiers sans limite de temps. Est-ce que, le rapport, vous pouvez dire qu'il est compris... Est-ce que c'est quelque chose qui est contemporain à l'an passé, cette année, ou est-ce qu'il y a des informations sur une plus longue période qui sont comprises dans le rapport?

M. Duchesneau (Jacques): Disons, la première année, aller d'avril 2010, quand les enquêteurs sont arrivés, jusqu'à avril 2011, on était encore en phase exploratoire. À compter d'avril, sachant que nous allions être mutés à l'Unité permanente anticorruption dès le mois de septembre, en fait, depuis le 6 septembre, cette période-là nous a permis de vérifier les informations que nous mettions dans le rapport. Donc, ça a été une phase de consolidation, si vous voulez, et non pas de nouvelles informations. Bien sûr, on a continué à faire des enquêtes, mais ça venait confirmer ce qu'on avait déjà comme opinion.

Le rapport qui a été déposé le 1er septembre au ministre des Transports était en fait le troisième rapport. Le premier rapport était à notre avis beaucoup trop opérationnel, et les deuxième et troisième versions du rapport donnaient vraiment un aperçu, un vol à 35 000 pieds, si vous voulez, pour connaître en quoi consistait la collusion.

M. Ouellette: Merci, M. le Président. L'autre élément, vous avez eu la chance de rencontrer des gens aux Transports. Parce que, dans mon prochain bloc, je vais faire la pédagogie, là, du 500, des 13 dossiers, etc., parce qu'il faut que les gens comprennent les informations, ça s'en va où, pour aboutir sur le bureau du procureur, pour aboutir à des accusations, et ça, je vais y revenir dans mon prochain bloc.

Je sais qu'en avril ou en mars 2010 il y avait, au niveau du ministère des Transports, la possibilité de vous acheminer des informations confidentielles. Est-ce que c'est un moyen qui a été... Parce que c'est sur le site du ministère des Transports, et j'y ai participé aussi. Ça n'a pas été juste de rencontrer des gens, vous avez eu des informations qui vous sont parvenues par ce moyen de communication là ou par... Parce qu'on a beaucoup... pas juste décrié, mais mon collègue de Verchères et... Quand on parle de la ligne 1 800 de Marteau, là, ce que je veux...

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...

M. Ouellette: Pardon?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Vous l'avez utilisée, la ligne 1 800?

M. Ouellette: Je l'ai effectivement utilisée à bon escient et je vous dirai qu'à chaque fois que je l'ai utilisée ça a eu des résultats. Je veux vous entendre, M. Duchesneau, s'il y a des informations pertinentes à votre rapport qui proviennent de cette source-là.

M. Duchesneau (Jacques): De la source, la ligne 1 800?

M. Ouellette: Qui proviennent des informations que les gens ont pu transmettre par... que ça soit la ligne 1 800 ou que ça soit de façon anonyme, là, par voie électronique.

M. Duchesneau (Jacques): La ligne 1 800, finalement, n'a pas été un outil important pour obtenir des informations. C'était vraiment le contact avec les gens qui nous permettait d'aller plus loin. Vous devez savoir que le ministère a maintenant des vérificateurs internes dans chacune des régions; c'était suite à une recommandation du Vérificateur général du Québec, et les vérificateurs nous ont aussi transmis de l'information. La personne responsable de tous les vérificateurs au Québec aussi nous orientait quand on pensait avoir un problème; immédiatement, on pouvait intervenir et on allait infirmer ou confirmer une information où on pensait y avoir de la collusion. Parce que c'est un domaine qui est très délicat, dans le sens que les gens peuvent voir de la collusion, mais en fait ça n'en est pas.

Vous parliez tantôt de la différence entre Marteau et nous. Nous, notre rôle n'était pas de trouver des coupables. Je pense qu'il est important encore de souligner ça. Ça, c'est l'opération Marteau, donc, des policiers qui, eux, sont là pour voir si on a assez d'éléments de preuve, s'assurer que des accusations soient portées par les procureurs et après ça aller devant les tribunaux. Nous, c'était vraiment de comprendre comment ces gens qui escroquent le système... comment ils s'y prennent. Avant même de soumettre un appel d'offres, quels sont les moyens et les stratagèmes qu'ils utilisent? C'était notre travail. Et, souvent, les gens disaient: Bien oui, mais ça, c'est des anciens policiers, et comment ça se fait qu'ils ne se sont pas assurés de porter des accusations? En fait, ce n'était pas notre rôle. On a profité de notre expérience de policiers, mais, quand on avait des informations qui pouvaient amener des accusations, c'était transmis à l'opération Marteau.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vous arrête ici, c'est la fin du premier bloc, après 11 minutes. Je me tourne maintenant vers le député de Gouin qui, au nom de l'opposition officielle, entamera le prochain groupe.

M. Girard: Merci, M. le Président. À mon tour de saluer M. Duchesneau. Au nom de l'opposition officielle, je tenais à vous remercier pour votre participation à cette commission parlementaire. On sait tous qu'au cours des 18 derniers mois vous avez fait un travail difficile, complexe, qui n'était pas toujours simple. Vous avez vous-même évoqué, dans les médias, la difficulté de mener une telle enquête. Vous avez même évoqué, dans les derniers jours, que le travail de l'Unité anticollusion commençait même à déranger plusieurs entrepreneurs, que même votre unité a fait face à de l'intimidation, dans le cadre de votre travail, un certain nombre de vos enquêteurs ou vous-même. Vous avez même indiqué que c'est arrivé à cinq reprises depuis votre arrivée à la tête de l'Unité anticollusion.

J'aimerais savoir, M. Duchesneau, vous avez été menacé par qui? Et à quels moments ces événements se sont produits au cours des 18 derniers mois?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, en fonction des limites qu'on s'est imposées, donner des noms, je pense que ce n'est manifestement peut-être pas la bonne affaire à faire. Mais, moi, je n'ai rien à cacher et je suis prêt à répondre à ces questions mais à huis clos. Sûrement pas...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Vous avez parlé de menaces contre vous.

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Est-ce que vous avez déposé des plaintes à la police?

M. Duchesneau (Jacques): Non.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Donc, vous ne voulez pas les nommer mais vous n'avez pas déposé de plainte à la police?

M. Duchesneau (Jacques): Non, mais c'est parce qu'on parle d'incidents, on parle d'intimidation, pas de menaces, mais d'intimidation. Est-ce que j'ai déposé des plaintes à la police? Non. Mais est-ce que j'ai les faits? Oui. Ça...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Bien, c'est vous qui êtes maître de vos réponses.

M. Duchesneau (Jacques): Mais il est clair, M. le Président, que je ne donnerai pas d'informations, à moins d'être... Vous savez, il faut justement être très prudent quand on décrit des situations comme celles-là, justement pour éviter que des poursuites soient intentées. C'est un terrain... une glace très mince. Mais aux parlementaires, finalement, je n'ai rien à cacher et je peux... je suis prêt à partager...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mais je vous rappelle que vous avez prêté serment et que vous êtes protégé, vous le savez?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Gouin, poursuivez.

**(16 heures)**

M. Girard: Alors, à ce moment-là, je vais me référer à un cas concret qui a été évoqué par un certain nombre de médias. Le 20 novembre 2010, il y a eu un article publié dans La Presse, et je vous en cite des extraits. On indiquait: «Le 15 septembre [2010], deux enquêteurs [de l'Unité anticollusion] se sont rendus sur un pont [de] réfection. [Il y a des] travaux [qui] ont été confiés à une entreprise bien connue, qui a fait la manchette depuis deux ans.» On indique qu'il y a deux enquêteurs qui se sont présentés sur le chantier, indique la source qui a parlé aux journalistes. On indiquait: «Pour la première fois, ils assistaient à [une] réunion de chantier. On nous avait dit qu'un gars de la compagnie faisait la pluie et le beau temps. Les deux enquêteurs de l'unité sont deux gars imposants. Le gars de la compagnie s'est fermé la trappe. Notre intervention n'a pas du tout été appréciée.»

Est-ce que vous confirmez la véracité de cet extrait d'un article publié dans La Presse le 20 novembre 2010? Et pouvez-vous élaborer sur cet incident auquel La Presse a fait référence?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président...

M. Girard: Est-ce que c'est l'un des cinq cas auxquels j'ai fait référence au début de mon intervention?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, M. le Président, la description qu'en fait M. le député est exacte et véridique.

M. Girard: Est-ce que c'est l'un des cinq cas que vous avez évoqués, où vous avez... où des membres de votre unité ou vous-mêmes avez été victimes d'intimidation?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, M. le Président.

M. Girard: Est-ce qu'il est exact d'affirmer que ce chantier était celui pour la reconstruction d'un pont à Saint-Mathieu-de-Beloeil, contrat confié à Louisbourg SBC?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, je pense que c'est le bel exemple où on fait indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement.

M. Girard: ...

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...que vous ne répondez pas. M. le député de Gouin.

M. Girard: Parce que le ministère des Transports, M. le Président, a accordé un contrat de 7,3 millions, au printemps 2010, et c'est également la firme Dessau, et le Consortium Genivar Dessau, qui a obtenu le contrat de génie. Est-ce qu'à votre connaissance ce chantier-là a été visité par votre équipe, par votre Unité anticollusion? Et à combien de reprises?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, j'écoute l'intervention, et vous êtes en train de confirmer exactement les craintes que j'exprimais tantôt quand je pensais à une enquête à huis clos. Je suis au fait de la situation depuis 18 mois. Je vous ai dénoncé des situations dans mon rapport et dans mon témoignage aujourd'hui. Et, moi-même, je sens l'inconfort de répondre à ces questions-là pour des raisons pourtant bien évidentes. Alors, je répète, je n'ai rien à cacher. Volontiers, je vous donnerais toutes les informations si je témoignais devant vous à huis clos.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Gouin.

M. Girard: Le quotidien Le Devoir faisait justement référence à ce chantier dans un article publié sous la plume de Kathleen Lévesque. On indiquait que les honoraires qui étaient payés aux firmes d'ingénieurs avaient atteint 22 % du coût des travaux dans le cas de ce chantier pour le viaduc puis 53 % pour le coût du chantier de la route adjacente. Donc, un article publié en décembre 2010. Et on indiquait que la facture globale était de 2,5 millions, là, donc un extra de 1,5 million. De votre point de vue, est-ce que c'était raisonnable ou est-ce que c'est un extra... c'était cher payé pour les travaux de ce consortium d'ingénieurs?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, je n'ai pas les compétences pour répondre à ça. Si on parle de stratagème, c'est quelque chose qu'on a regardé. Quelle est la conclusion qu'on en a tirée? Je ne peux pas vous le dire, d'autant plus qu'on a nommé les noms des firmes impliquées, et ce n'est pas le but de mon témoignage aujourd'hui. Je veux vous parler de stratagèmes, pas de problème avec ça, du tout, du tout. Là, on nomme des noms, des pourcentages. Bien évidemment, je n'ai pas ces dossiers-là avec moi. Mais, si on avait tiré une conclusion de ça, vous l'auriez dans le rapport en tant qu'aperçu global et non pas de nature spécifique. En fait, je ne suis pas le bon témoin pour répondre à ça, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Gouin.

M. Girard: Vous avez également indiqué, M. Duchesneau, que vous avez interrogé plus de 500 personnes pour préparer votre rapport. Vous avez indiqué que chacun des paragraphes de ce rapport de 88 pages est appuyé par des témoignages et des vérifications. Il y a certaines personnes qui ont commenté votre rapport et qui ont dit que c'était des allégations et non des faits. Qu'est-ce que vous leur répondez?

M. Duchesneau (Jacques): Moi, je peux vous assurer, M. le Président, que les faits qui sont ici ne sont pas des allégations, mais des faits vérifiés et soutenus par notre travail d'enquête. Donc, il n'y a pas d'allégation. Ce sont des faits. Et, comme je le disais tantôt, notre rapport est prudent et nuancé, et tout ce qui pouvait laisser place à de l'interprétation a été retiré du rapport.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, nous revenons à la partie gouvernementale pour le prochain bloc. Et je reconnais le député de Chomedey.

M. Ouellette: Merci, M. le Président. Pour les 10 prochaines minutes, M. Duchesneau, j'aimerais qu'on clarifie ou qu'on soit en mesure d'expliquer aux gens qui nous écoutent et qui vont... qui sont sûrement très nombreux, peut-être moins nombreux que dimanche soir, mais ils vont sûrement être très, très, très nombreux aujourd'hui à suivre les travaux...

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...distribué tout à l'heure non plus.

M. Ouellette: Il n'y aura pas de vin non plus?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Non plus.

M. Ouellette: Ah! Bon, en tout cas. J'aimerais... Parce que nous avions un questionnement, mes collègues et moi. Vous parlez que... de 500 personnes qui ont été rencontrées, M. Duchesneau. J'aimerais ça, dans un premier temps, que vous nous expliquiez. Ce bassin de 500 personnes vient de quel endroit? J'aimerais ça aussi... Parce que j'ai entendu, dans les dernières heures, dans les derniers jours... où on a minimisé les informations de ces 500 personnes là. Pour beaucoup de personnes, beaucoup de citoyens... Il y a des gens qui pensent que, parce que vous avez rencontré 500 personnes, bon, là, comme dans les séries télévisées qu'on voit à différents réseaux, bon, on a juste à appeler un juge, une demi-heure après on arrive, on met des menottes à tout le monde, et à la fin il est déjà rendu en prison.

J'aimerais ça que vous m'expliquiez, parce qu'on a aussi beaucoup questionné, à plusieurs endroits où vous avez indiqué, dans votre rapport, que 13 dossiers... vous aviez, à 427 années de... dont 300 au crime organisé, vous aviez jugé bon de faire suivre à Marteau, à l'opération Marteau, 13 dossiers provenant des informations d'un certain nombre x de personnes. Et là aussi on entend toutes sortes de choses, que ces 13 dossiers là, c'est des dossiers d'information, ça ne peut pas aller plus loin, on n'est pas rendu au procureur.

Est-ce que vous seriez capable, et je suis sûr que vous l'êtes, d'expliquer aux gens qui nous écoutent la méthodologie, si on veut? On part d'où? Les 500 viennent d'où? Les informations, comment vous organisez cela? Vous avez transmis quoi, pas dans le nominatif, mais vous avez transmis quoi, comme information, pour que vous jugiez que ça devait aller à Marteau? Après ça, y a-tu des choses, dans vos 500... Est-ce que ça vous amène seulement les conclusions du rapport ou est-ce qu'il y a des choses qui pourraient être de nature à, un jour, amener des accusations ou une soumission de dossier au procureur? Je pense que les gens ont besoin de comprendre, là, comment ça fonctionne. Parce que je ne pense pas que ces 500 personnes là, demain matin, soient capables d'en faire arrêter 1 000, là.

M. Duchesneau (Jacques): Non.

M. Ouellette: Je veux juste que vous nous aidiez à comprendre et que vous aidiez tout le monde qui nous écoute, là, à ce que ça soit clair dans leurs têtes.

M. Duchesneau (Jacques): Les 500 personnes rencontrées viennent de tous les milieux: ingénieurs, entrepreneurs, employés de la construction, familles de victimes d'intimidation, collusion ou autre. Donc, c'est des gens qui viennent de tous les horizons reliés au monde de la construction.

Quand je dis «victimes», vraiment, pour moi, ces gens-là sont des victimes, des gens qui avaient des compagnies et qui les ont perdues parce qu'ils n'étaient pas capables d'être en concurrence avec des gens qui ont pris de plus en plus le dessus dans le monde de la construction, ingénieurs qui étaient déprimés à l'idée que leur rôle, après avoir fait Polytechnique ou autre, était de se promener de chantier en chantier pour distribuer des enveloppes. Parce que, comme je disais tantôt, beaucoup d'argent liquide circule sur les chantiers. Je peux en nommer encore comme ça. Donc, pour moi, des victimes.

Combien d'informations on a tirées de ça? Bien, beaucoup. Il y a des gens qui ont été interrogés et filmés pendant deux, trois jours pour nous expliquer comment pensait une firme d'ingénieurs, comment pensait un entrepreneur, comment on s'y prenait pour pouvoir justement contourner le système qui était mis en place pour... le système d'appel d'offres au ministère. Donc, ce sont le genre de rencontres qu'on a eues.

Maintenant, on a eu des informations de personnes qui nous disaient: Bien, telle affaire, moi, je pense qu'il y a un crime qui a été commis ou des choses comme celles-là. À ce moment-là, c'est l'engagement que j'avais pris auprès du sous-ministre de la Sécurité publique, M. Lafrenière, à l'époque, quand j'ai été nommé, et auprès du directeur général de la Sûreté du Québec, M. Deschesnes, que, chaque fois qu'on aurait une information, notre rôle ne serait pas de l'évaluer mais de la transmettre automatiquement. Parce qu'en fait on était des citoyens. On n'avait aucun statut, je le répète, d'enquêteur, de commissaire enquêteur. Donc, quand une information nous était donnée ou transmise, ce n'était pas à nous de juger de la pertinence de cette information-là, c'était plutôt de donner à ceux qui ont le pouvoir de faire des enquêtes, de l'écoute électronique, de la filature, moyens que nous n'avions pas, c'était pour nous un moyen de les amener sur une piste, sans plus.

Est-ce que l'information a toujours été bonne au point d'amener des condamnations? Je ne pense pas. Mais, si j'avais fait ça dans ma carrière de 30 ans comme policier, quand une victime nous appelle, on ne lui demande pas d'aller faire elle-même l'enquête. On prend l'information, on la transmet, et ce sont les gens qui sont qualifiés pour faire ce genre de travail là qui sont en mesure de qualifier l'information qui a été donnée.

**(16 h 10)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de... Ah! on m'avait indiqué M. le député de Vanier, mais c'est Mme la députée de Gatineau, c'est ça? Madame la...

Mme Vallée: M. Duchesneau, je trouve intéressante la piste sur laquelle vous nous amenez concernant un peu le rôle que vous avez été appelé à jouer dans la consultation de ces 500 victimes, 500 témoins de manoeuvres tout à fait incorrectes. J'aimerais, pour les fins des gens qui nous écoutent et puis pour les fins aussi des membres de la commission, j'aimerais que vous établissiez un petit peu un parallèle entre le rôle que vous étiez appelé à jouer dans les fonctions qui découlaient du mandat qui vous a été confié par la ministre Boulet à l'époque et le rôle que vous avez pu jouer à l'époque, lorsque vous étiez à la tête des... par exemple, escouade Carcajou, vous avez eu un rôle important à jouer, donc pour faire la distinction, parce qu'il semble parfois y avoir une confusion, là, à ce niveau-là.

M. Duchesneau (Jacques): Très bonne question, parce que je l'ai entendue souvent, celle-là. Effectivement, j'étais avec mon collègue Serge Barbeau, directeur général de la Sûreté du Québec. Les deux corps policiers en 1996 se sont mis ensemble pour s'attaquer au problème des motards criminalisés. À l'époque, on était rendus à 160 victimes de meurtres et on avait vraiment une difficulté, là, surtout dans la région de Montréal. Et donc on a suggéré au ministre Ménard, à l'époque, de faire une escouade mixte: policiers de la Sûreté du Québec, qui avait développé une expertise dans le domaine des motards criminalisés, et Montréal, qui vivait le problème. En fait, c'est à l'origine de ce qu'on connaît aujourd'hui, comme les escouades régionales mixtes, et je pense que ça a été un bon coup. Et, quand on a regardé ça, le problème des motards, c'est qu'on le voyait comme étant un mont Everest, insurmontable. On se disait: On n'a pas les moyens pour faire le travail. Et c'est finalement quand on a placé nos forces ensemble qu'on a réussi à monter au K1, au K2, comme le mont Everest, là, étape par étape, et que les résultats ont porté fruit.

Et, je répète, à ce moment-là, on avait des meurtres, on avait du trafic de stupéfiants, on avait des crimes de droit commun, sur lesquels on était capables de s'accrocher pour être capables d'amorcer une enquête, aller chercher de l'écoute électronique, faire de la filature, et tout ça.

Quand on nous a donné le mandat en matière de collusion, la collusion, c'est flou, comme concept. C'est deux personnes qui vont se rencontrer et, lors d'un repas, vont décider que... Le prochain contrat, c'est toi qui va l'avoir et tu me donnes 10 %. Si c'est toi qui as le contrat, tu me remets 10 % dans une enveloppe, et la prochaine fois ce sera à mon tour d'avoir le contrat. Comment vous faites votre preuve? Parce qu'on peut... Il ne faut pas tomber dans la pensée magique que, parce que quelqu'un a commis un crime, automatiquement on va le faire. Il fut une époque, à Montréal, que, même quand des gens commettaient des meurtres, on avait un taux de solution d'à peu près 30 %. Les méthodes se sont sophistiquées, au fil des années, avec le laboratoire de police scientifique, puis tout ça. Aujourd'hui, quelqu'un qui commet un meurtre a à peu près huit chances sur 10 d'être pris. Donc, on a augmenté notre taux de solution de 30 % à 80 %. Mais c'est un crime.

Là, il y a ça. Et il y a aussi le fait que, pour beaucoup de personnes, la collusion, le fait de frauder le gouvernement, de faire augmenter les prix, de tasser la concurrence, bien c'est de même que la business se fait. Et ça, tenter de prouver ça, c'est un fardeau énorme. Moi, je suis...

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...obligé de me tourner cette fois-ci vers l'opposition officielle pour la prochaine ronde de questions. M. le député de Verchères.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. M. Duchesneau, vous avez passé votre vie à lutter contre le crime organisé, et nous avons, je pense, aujourd'hui un témoin privilégié pour nous permettre de comprendre de quelle façon nous pourrions mieux le circonscrire, parce qu'évidemment on peut certes espérer pouvoir l'éliminer complètement, mais à tout le moins le circonscrire et essayer d'en éliminer le plus possible les manifestations dans notre société.

Or, vous n'êtes pas sans savoir qu'actuellement tout ce qu'on a comme informations sur ce qui se passe est le fait d'informations parcellaires, qui nous viennent des médias, qui ont leurs sources on ne sait où, mais on s'en doute -- on aura sans doute l'occasion d'en parler d'ici la fin de l'après-midi -- et à travers, maintenant, votre rapport, votre rapport qui s'appuie sur des témoignages, essentiellement. Il n'y a pas de preuve documentaire, pas que je sache, du moins, à travers tout ce que j'ai pu consulter dans votre rapport, il n'y a pas de preuve documentaire, il y a essentiellement, et ce n'est pas négligeable, quelque 500 témoignages.

J'ai compris, des réponses que vous nous avez données jusqu'à présent, que, ces témoignages, vous les avez obtenus sur la base de pistes que vous aviez et sur la base de gens qui disaient vouloir vous parler. Évidemment, c'est encore, il faut le reconnaître, des informations parcellaires. Je présume, et vous saurez me le confirmer, que vous n'avez pas réussi, à ce stade-ci, à lever le voile sur l'ensemble de la toile, sur l'ensemble du système existant. C'est bien le cas?

M. Duchesneau (Jacques): En fait, M. le Président, dans toutes les enquêtes que j'ai menées dans ma vie -- ça fait 43 ans que je suis dans le domaine -- les informations qui nous sont d'abord parvenues sont toujours parcellaires. C'est le rôle de l'enquêteur de faire le casse-tête, de prendre des informations qui ne semblent pas du tout reliées et de les mettre ensemble pour faire le portrait. C'est ce qu'on a toujours vécu. Donc, rien de surprenant qu'on ait eu des informations parcellaires. Et plus on avançait, plus on commençait à comprendre le langage et la façon d'opérer des gens.

Il y a eu, naturellement, des témoignages obtenus, donc une preuve orale, mais aussi une preuve écrite, preuve documentaire. Les bordereaux qu'on utilise quand on fait un appel d'offres ont été un outil incroyable. Les contrats signés entre le ministère des Transports et les gens étaient aussi une preuve documentaire qu'on scrutait à la loupe. Donc, je pense qu'on a suivi un parcours tout à fait normal en matière de travail d'enquête.

M. Bergeron: M. le Président, qu'on me comprenne bien, là, je ne suis pas en train de dire que le parcours n'était pas normal. Effectivement, je pense que vous êtes partis de là où vous pouviez partir et êtes aboutis à quelque chose qui est quand même relativement étoffé, même si on entretient toujours cette frustration de ne pas avoir une idée très précise, complète de l'ensemble de la toile et du système mis en place.

Donc, sur la base des informations que vous avez obtenues à travers les témoignages et les documents, puisqu'effectivement vous avez pu consulter les bordereaux, vous avez, dit-on, transmis 13 dossiers à l'UPAC. Encore une fois, ce sont 13 dossiers isolés les uns par rapport aux autres. On n'est pas encore en mesure d'établir des liens, éventuellement, entre ces 13 dossiers. Croyez-vous que ces dossiers soient à ce point étoffés qu'à quelque part il y a un bon point de départ pour les enquêtes policières?

**(16 h 20)**

M. Duchesneau (Jacques): Non, M. le Président. Ce sont des pistes, et on s'est donné comme façon d'opérer de ne pas, nous, faire un jugement sur l'information qui nous était donnée. C'était vraiment si ça... On en avait, de toute façon, plein notre lot. On n'avait pas, nous, à entreprendre des enquêtes et de toute façon on n'avait pas les moyens.

Donc, l'entente de départ, c'est qu'on faisait... on départageait les responsabilités et, ce qui pouvait amener à une accusation, même si c'était embryonnaire, on le donnait à la Sûreté du Québec. Et je ne vous dis pas que les 17 pistes qu'on a données amenaient des accusations demain matin, et je pense que ça serait injuste envers nos collègues de l'opération Marteau que de prétendre ça. Mais c'était des informations. Comme on a déjà eu des informations, un nom seulement... nous ont permis de faire des arrestations. Même c'est... D'ailleurs, maintenant, c'est 17 et non plus 13. Donc, on a continué à collaborer.

M. Bergeron: Merci. Merci de la précision. Au moment où on se parle, l'Unité anticollusion est parfaitement intégrée à l'Unité permanente anticorruption?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, depuis le 6 septembre. Donc, notre dernier jour au ministère des Transports était le 5 septembre, et on est... En fait, on aurait été en déménagement, là, ces jours-ci, mais j'aimais mieux venir à la commission parlementaire.

M. Bergeron: Vous avez précisé, tout à l'heure, que le mandat était, à l'origine, d'un an, possibilité de renouvellement pour une autre année. Est-ce que cette structure ou du moins cette durée, cette espérance de vie qui avait été établie dès le départ pour l'Unité anticollusion a été modifiée, compte tenu de son intégration à l'Unité permanente anticorruption?

M. Duchesneau (Jacques): Non. En fait, le mandat était de deux ans, renouvelable une année. Là, on est à une année et demie à peu près, là, dans le premier mandat. Il faut comprendre que l'Unité permanente anticorruption... Lorsque j'ai reçu le mandat au ministère des Transports, l'UPAC n'était pas dans le portrait, si vous me permettez l'expression. Et c'est seulement depuis le 18 février cette année que... depuis la création de l'UPAC, bon, qu'on a commencé à quitter, si vous voulez, le bateau du ministère des Transports. Et depuis le 6 septembre on travaille sous l'égide de l'UPAC.

M. Bergeron: Peut-on considérer, M. le président, que l'Unité anticollusion, de par son intégration à l'Unité permanente anticorruption, aura, elle aussi, un caractère permanent, ou est-ce qu'on peut craindre que, d'ici un an, un an et demi, elle va, tel que prévu, disparaître?

M. Duchesneau (Jacques): Non. Selon les discussions que j'ai eues avec M. le commissaire Lafrenière, l'Unité anticollusion, après une année et demie de travail, on s'est aperçu finalement que c'est un creuset pour chercher de l'information qui va permettre aux gens de l'opération Marteau de comprendre. Quand il y aura des accusations à porter, non seulement ils pourront comprendre les éléments de preuve qu'ils ont accumulés pour étayer leur preuve, mais ils pourront comprendre le portrait plus global d'une situation, et ça, je pense que c'est un atout important dans la préparation d'une preuve.

M. Bergeron: Et je comprends, après la lecture de votre rapport, que vous souhaitez effectivement que l'Unité anticollusion ait un caractère permanent, de telle sorte de pouvoir continuer à faire ce travail.

Je me permets une question. Vous avez eu vent, comme nous, de cette nouvelle selon laquelle les membres de l'Unité anticollusion ne pouvaient pas exercer leurs fonctions au sein de l'Unité permanente anticorruption, parce que, semble-t-il, il y avait une technicalité qui faisait en sorte que, comme ils n'étaient pas fonctionnaires, ils ne pouvaient plus faire ce qu'ils faisaient au sein de l'Unité anticollusion au sein de l'Unité permanente anticorruption. Cette technicalité a été, semble-t-il, corrigée ou est sur le point d'être corrigée, mais nous avons cru comprendre, à travers ce qu'on a pu en voir dans les médias, bien sûr, que certains de vos agents avaient préféré tirer leur révérence. Est-ce qu'il n'y a pas là une perte de compétence qui est dommageable pour la suite des opérations?

M. Duchesneau (Jacques): D'abord, on a une rencontre demain matin pour régler cette situation-là avec le directeur des opérations de l'UPAC. Je pense qu'on est dans une bonne voie de régler certains problèmes.

Je veux vous dire que l'UAC a un caractère permanent au sein de l'UPAC. Ce sont des postes permanents qui ont été créés. Quand j'ai reçu le mandat, le 23 février 2010, d'attaquer le phénomène de la collusion, j'ai commencé à bâtir mon équipe. Les enquêteurs sont arrivés vers la mi-avril 2010, et là il y avait un caractère d'urgence, alors il n'était pas question qu'on parte, là, dans des concours, etc. Donc, on a été chercher des gens qui avaient de l'expérience, qui étaient capables, le jour 1, de fonctionner sans avoir trop de formation, et c'est pour ça que ces gens-là ont été contractuels. Alors, on nous a offert de devenir des employés de l'État, à ce moment-là, et on a convenu que la meilleure chose, c'était d'y aller avec des contrats pour une période limitée, donc deux années, avec une année renouvelable. Donc, on savait qu'on avait un début et une fin dans ce travail de l'Unité anticollusion.

Maintenant, le 18 février, l'UPAC est créée. Maintenant, il reste à savoir: les gens qu'on a été chercher au départ, est-ce qu'ils veulent continuer dans ce type de travail? Est-ce qu'ils veulent travailler dans cet environnement? Et c'est ça qu'on va régler demain. Vous devez comprendre aussi que les gens qu'on est allés chercher pour créer l'Unité anticollusion étaient tous des officiers supérieurs des services de police. On a des policiers de la GRC, de la Sûreté du Québec, de la police de Montréal. Donc, ce sont tous des anciens patrons. Ça pose certains problèmes, quand on a été patron. Alors, on avait convenu, M. Lafrenière et moi, dès le départ, que de toute façon il faudrait commencer à amener du sang neuf au sein de l'Unité anticollusion. Ça a été problématique. On traite avec des personnes. Il faut juste tenter de ne pas froisser les susceptibilités, d'autant plus, comme je le disais tantôt, qu'on est fiers du rapport qui a été déposé. Et donc c'est un concours de circonstances qui a fait que, bon, il y a eu malentendu. Mais, moi, je suis certain qu'on va s'entendre.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci, M. Duchesneau. J'invite maintenant la députée de Gatineau à poursuivre pour le point de vue gouvernemental.

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, tout simplement, pour revenir à notre échange, M. Duchesneau, vous avez fait la distinction entre les deux unités et l'absence d'informations, de connaissances réelles sur tout le concept de la collusion et des processus. Beaucoup d'allégations qui avaient été lancées préalablement à votre entrée en fonction... Vous êtes allé sur le terrain, vous avez colligé l'information et vous avez interrogé nombre de victimes pour en venir à ce rapport-là, ce rapport qui, je le comprends bien de vos échanges avec le député de Verchères, deviendra à quelques... d'une certaine façon, une espèce de base pour l'UPAC, dans le fond. Ça sera le début. Et je comprends également que votre équipe continuera à collaborer et, si je comprends bien, à bonifier, d'une certaine façon, l'information que vous avez colligée. C'est bien ça?

M. Duchesneau (Jacques): C'est exact, M. le Président. Je pense que vous avez raison de souligner le point. Notre rapport n'est pas une fin en soi. En fait, c'est un point de départ. Parce qu'on est dans une course à relais ici, et donc des gens expérimentés qui ont formé la première mouture de l'Unité anticollusion vont un jour passer le flambeau. Il y en a qui sont moins jeunes que moi, alors ils vont devoir, à un moment donné...

Mme Vallée: ...ne pas les nommer.

M. Duchesneau (Jacques): ...quitter, mais il y a toujours ce sentiment de service à la population et le besoin de vouloir continuer. Mais il y aura une permanence à l'UPAC.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vais passer la parole maintenant au député de Vanier.

**(16 h 30)**

M. Huot: Merci, M. le Président. Merci, M. Duchesneau, d'être là. Ça fait plaisir de vous recevoir à la Commission de l'administration publique.

Moi, je vais sortir un peu du rapport pour... M. le Président, vous aviez d'ailleurs mentionné que la commission ici avait un caractère pédagogique. On sait qu'on a rarement une cote d'écoute aussi élevée quand on siège, la Commission de l'administration publique, jusqu'à maintenant, M. le Président. Et le député de Chomedey a parlé aussi de la question pédagogique, là.

Compte tenu de votre expérience -- et ça pourrait nous aider à comprendre peut-être la suite -- qu'est-ce qui pourrait s'en venir éventuellement? Donc, sans rentrer nécessairement dans les 13, qui sont devenus les 17, dossiers... Mais M. le député de Chomedey a mentionné, a parlé de comment se faisaient, se menaient les enquêtes policières, bon, comment se faisaient -- vous avez fait vos enquêtes -- comment se font les enquêtes policières, mais, moi, je veux bien comprendre. Une fois que les enquêtes policières ont été remises au bureau du Procureur, par exemple... Il donnait l'exemple... On a l'image: dans la demi-heure qui suit, il y a un mandat d'arrêt, la personne est arrêtée, elle est en prison avec les menottes, puis c'est réglé dans une demi-heure. La réalité, ce n'est pas nécessairement ça. Donc, compte tenu de votre expérience, ce que vous avez fait, une fois que les preuves policières sont remises au procureur, au DPCP qu'on... la plupart du temps, bon, comment ça fonctionne? Vous remettez, par exemple, de l'écoute téléphonique. Ça peut être des relevés bancaires, ça peut être un vidéo, des vidéos de surveillance, des choses comme ça. À partir du moment où c'est remis au bureau du procureur, il n'y a pas un mur entre la police et le procureur, il y a des liens qui continuent à se faire, et ce n'est pas dans la demi-heure, comme on dit, dans la demi-heure qui suit, dans la journée qui suit que le mandat d'arrêt est émis et que les arrestations sont faites. Donc, le procureur, qu'est-ce qu'il fait avec les policiers, les enquêteurs qui ont amassé la preuve? Il renvoie faire ses devoirs à l'occasion? Il pose des questions sur comment a été amassée la preuve? Qu'est-ce qu'il doit faire et quel est le lien avec le bureau des enquêteurs, avec les enquêteurs au dossier?

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. Duchesneau.

M. Duchesneau (Jacques): Comme dans toutes les enquêtes criminelles, le policier est souvent dans les loges pour rencontrer les victimes. Donc, il y a toujours un sentiment de confiance qui se développe entre la victime et le policier, et le policier est là pour accumuler les éléments de preuve et les soumettre à un procureur. J'ai entendu, moi aussi, ce commentaire-là que certains procureurs demandaient des compléments d'enquête. Moi, je trouve ça tout à fait sain. Le policier veut que sa cause soit amenée devant les tribunaux rapidement, mais, en bout de ligne, tout le monde est gagnant si la cause est bien préparée et... pour éviter de mauvaises jurisprudences.

Alors, moi, j'ai passé la majorité de ma carrière dans le domaine des enquêtes, et des compléments d'enquête nous ont été demandés constamment par les procureurs. Plus un enquêteur est expérimenté, bien sûr, il sait quels sont les éléments qu'il doit aller recueillir pour être en mesure de présenter un bon dossier devant le tribunal. Bien, moi, au lieu de voir ça comme un problème, je vois ça comme... je vis dans une bonne démocratie. J'aime mieux, moi, avoir un procureur qui pose plus de questions, mais qu'on s'assure qu'une fois qu'on ira devant les tribunaux on est plus sûrs de gagner notre cause. Il faut juste trouver le juste équilibre. Je pense qu'il y en a pour tout le monde. Ça ne serait pas mieux si on accusait trop rapidement et que, dès la première accusation, on soit déboutés devant les tribunaux et qu'on traîne une mauvaise jurisprudence trop longtemps. Ça, je pense que ça serait néfaste pour le travail qui est fait actuellement.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, il vous reste cinq minutes. M. le député de Verdun, nous vous écoutons.

M. Gautrin: Alors, je vais commencer, quitte à pouvoir revenir après sur la deuxième... dans le prochain bloc. Vous êtes intervenu, et vous l'avez dit dans votre témoignage, et c'est présent dans votre rapport... les 500 personnes que vous avez interrogées, qui sont la base même de votre rapport, n'auraient pas témoigné s'ils n'étaient pas à huis clos, c'est-à-dire s'ils n'étaient pas protégés, en quelque sorte. Dans votre rapport, d'ailleurs, vous parlez aussi que les infiltrations par le crime organisé ont créé un système de peur qui fait en sorte que les gens ont des réticences, et vous analysez d'ailleurs les effets que la peur peut avoir sur les différentes personnes. Donc, ça, c'est important de bien comprendre qu'il y a des... Pour obtenir des informations, pour permettre d'avoir ces informations, il faut avoir une certaine forme de huis clos.

J'en arrive maintenant à non pas ce qui s'est passé, mais à ce que vous dites de ce qui est le futur, autrement dit, les éléments du futur. Et, dans votre introduction, vous nous avez présenté une situation dans laquelle vous voyez une commission d'enquête qui a évidemment deux phases... dans la commission d'enquête, si je comprends bien: une partie qui va être à... qui serait à huis clos -- c'est bien ça? -- et une partie qui est publique. J'aimerais prendre les quelques minutes qu'il nous reste, quitte à revenir dans le bloc suivant, pour essayer de bien préciser avec vous qu'est-ce que vous concevez et comment vous concevez cette commission d'enquête.

Autrement dit, la partie qui serait à huis clos, est-ce que les témoins seraient protégés, c'est-à-dire auraient la protection, ne pourraient pas être poursuivis? Vous savez que, dans une commission publique d'enquête, ce qui est témoigné... le témoin, ce qu'il témoigne devant une commission d'enquête ne peut pas être utilisé pour l'incriminer après devant les tribunaux. Or, votre but comme policier, comme vous l'avez rappelé aussi, c'est d'incriminer aussi les personnes qui sont coupables à l'intérieur. Alors, est-ce que cette approche-là... ou est-ce que ça permettrait de pouvoir... ça ne gênerait pas la poursuite, en quelque sorte, des personnes qui viendraient témoigner dans une commission d'enquête? C'est ma première question.

Et je voudrais après rentrer sur la deuxième partie, qui serait sur la partie publique, et une troisième partie, c'est: Quel est le mandat? J'ai ces trois éléments à aborder avec vous.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Dans le prochain bloc.

M. Gautrin: Dans le prochain bloc. Mais, au moins, qu'il puisse répondre sur le premier.

M. Duchesneau (Jacques): Et c'était juste votre première question. J'ai plusieurs points, dans votre première question, auxquels j'aimerais répondre. La peur qui existe chez les uns. Quand le rapport est devenu public, on a été inondés d'appels de personnes qui nous demandaient si leur nom avait été placé dans le rapport. Alors donc, ce n'est pas une lubie. Les gens vraiment craignent... même une fois qu'ils ont parlé, ils ont peur parce qu'ils connaissent les conséquences. Est-ce que les conséquences sont uniquement d'ordre physique, l'intimidation? Non. Il y en a que c'est de peur de perdre leur emploi, ce qui, des fois, est tout aussi néfaste.

Oui, il y a de l'infiltration du crime organisé, donc, qui fait que les gens ont peur, mais il y a des gens qui ont aussi peur de leur patron si jamais on apprenait qu'ils avaient témoigné contre leur institution. Puis d'ailleurs il y a toujours une notion de loyauté qui est nécessaire quand vous travaillez pour quelqu'un. Alors, quand vous avez l'impression de trahir un peu celui qui vous donne à manger, je peux vous dire que ça donne un inconfort assez important.

Pour ce qui est du futur, il y a autour de cette table sûrement plus d'avocats au pouce carré qu'on pourrait en avoir en temps normal, donc je n'irai pas vous donner de leçons sur comment devrait se structurer une commission d'enquête. C'est une idée qui a été développée à l'interne par des gens qui croient qu'il y a des choses qui peuvent être faites; des juristes pourraient vous le dire. Mais j'ai parlé avec beaucoup d'avocats d'expérience qui ont travaillé dans des commissions d'enquête, et un me disait, pas plus tard que ce matin, qu'un témoin qui vient témoigner à huis clos va, règle générale, être très, très, très volubile. Et vous prenez le même témoin qui va venir livrer le même témoignage mais là devant caméras ou devant public, eh bien, des fois, il ne se rappellera plus de son nom. Je caricature, là. Mais on a vu, durant la commission d'enquête sur la CECO -- moi, j'ai travaillé sur des dossiers de la CECO dans les années soixante-dix -- des gens volontairement venir à la barre et dire qu'ils ne se rappelaient plus de rien, peut-être même plus de leur nom. Ils ont eu une année pour outrage au tribunal mais, quand ils sont revenus dans le milieu du crime organisé, ces gens-là ont eu des promotions parce qu'ils ont été des héros, parce qu'ils ont fait preuve d'omerta devant tout le monde. Ils ne parlaient pas. Alors, ce n'est pas ça qu'on veut. Ce qu'on veut, c'est comprendre le système et empêcher de se faire voler comme on s'est fait voler récemment.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, nous changeons de bloc.

M. Gautrin: ...dans le prochain bloc.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, oui, vous pourrez revenir quand vous voudrez. Nous passons maintenant à la deuxième opposition, l'ADQ, et c'est Mme la députée de Lotbinière qui va poser les prochaines questions.

Mme Roy: Merci, M. le Président. À mon tour de vous remercier, au nom de l'ADQ, d'avoir mis ce... fait ce travail-là. Moi, je pense que ce que je dois vous féliciter, c'est que vous n'avez pas la langue de bois, vous appelez vraiment un chat un chat, et puis ça nous aide à faire notre travail, parce que c'est clair, ce que vous dites. Puis, moi... on l'avait déjà entendu par le Vérificateur général dans son rapport en 2009, tout devait être suivi, toutes les conclusions du rapport du Vérificateur devaient être suivies, vous constatez que ces choses-là n'ont pas été suivies. La différence entre le rapport du Vérificateur général et le vôtre, c'est que, vous, vous êtes... on comprend que lui a étudié, à l'intérieur du ministère des Transports, les pratiques, mais, vous, vous êtes allé sur le terrain voir les intervenants. Donc, vous amenez une nouvelle couleur à ça.

La chose qui s'ajoute le plus entre votre rapport puis celui du Vérificateur général, c'est le financement des partis politiques et les liens entre l'industrie de la construction et le financement des partis politiques, ce qui n'avait pas été évoqué par lui. Je vais vous citer: «Comment ne pas évoquer déjà l'horizon du politique, le financement occulte des partis et l'enrichissement personnel de certains élus?» J'aimerais savoir comment... C'est quoi, le système? Comment ça fonctionne? Aux États-Unis, on appelle ça «pay for play», tu sais, on pense qu'il faut donner dans la caisse du parti pour avoir des contrats en échange, c'est une pratique qui est vraiment... c'est vraiment nocif dans notre économie. Je voudrais savoir... Vous y allez de deux côtés, là: il y a des personnes qui veulent, pour... puis qui paient les élus ou qui contribuent aux caisses, puis vous avez, dans l'autre côté... Vous dites: «...il semble y avoir aussi de grands collecteurs de fonds qui appartiennent à des secteurs précis de l'économie.» Ça fait qu'il y a quatre, je pense, aspects au financement de partis politiques reliés au monde de la construction. Puis quand vous dites votre phrase... Bon, allez-y. Je vais... parce que je ne veux pas trop mettre de questions dans une même...

**(16 h 40)**

M. Duchesneau (Jacques): Effectivement, c'est un sujet qui est délicat. Je ne suis pas suicidaire de nature, pas plus que les membres de notre équipe, et on avait le choix de tout simplement éluder le problème, parler d'autre chose, mais trop de personnes nous ont parlé, tous partis confondus, qu'il y avait une façon de s'approcher du politique en achetant des tables, en étant proches, en devenant près du politique, et je le dis autant au niveau municipal qu'au niveau provincial. Mais j'ajouterais du même souffle... Vous savez, quand je disais que le crime organisé a muté, sûrement que, dans les années soixante-dix, sans tomber dans le stéréotype, on pouvait dire: Je n'aimerais pas qu'on prenne une photo de lui et moi, tu sais, comme beaucoup de gens aiment ça aller prendre des photos avec des personnalités publiques. Mais le crime organisé d'aujourd'hui a changé.

Quand je dis qu'il y a eu une mutation incroyable, là, ce n'est pas le petit trafiquant de stupéfiants qui est maintenant celui qui tire toutes les ficelles du crime organisé, ce sont des hommes d'affaires et qui tentent de se trouver une noblesse en prenant toutes sortes de causes et que vous allez immanquablement, tous et chacun d'entre vous, voir dans vos activités de financement, dans vos partis, que vous le vouliez ou pas. Vous ne pouvez pas faire une enquête policière sur chacune des personnes qui va contribuer à votre caisse, mais ce sont des vautours qui vont tenter de s'approcher de vous, dans tous les partis. Avant une élection, ils ne peuvent pas savoir qui va gagner. Donc, on donne à tous les partis, et après ça, bien, on tente de tirer les fruits de ça, notamment au niveau municipal. Et vous savez tous que j'ai eu une expérience glorieuse en politique municipale, et je l'ai vécu. En 1998 puis 2001, je ne peux pas vous dire que ça a changé beaucoup. Au contraire, vous avez des gens de plus en plus sophistiqués.

Et ce que je disais aux gens du ministère des Transports quand on est arrivés, puis je leur parlais de l'implication du crime organisé, puis je l'avais dit à la ministre: Placez-moi sur un comité de sélection pour octroyer un contrat à telle firme, et, même moi, je vais me faire jouer des tours. Tant et aussi longtemps qu'on n'a pas l'arbre généalogique de la personne qui est devant nous, on n'est pas capables de comprendre. On a eu un cas où effectivement on a joué le système. On avait trois soumissionnaires et on a donné au plus bas soumissionnaire, mais, quand on regarde la petite histoire, l'arbre généalogique, ces trois compagnies appartenaient à la même personne. Donc, on a joué le système. On avait trois soumissionnaires, mais on a complètement contourné le jeu de la concurrence. Et, encore une fois, qui est-ce qui paie? Bien, c'est le... en fait toutes les personnes qui jouent selon les vraies règles du jeu. C'est comme si on jouait au hockey ensemble puis votre équipe avait un set de règlements puis, moi, j'en ai un autre. On ne pourrait pas se comprendre. C'est ça qui amène le crime organisé.

Alors, oui, oui, il y a un lien à faire entre des gens à la pensée occulte qui veulent participer au financement des partis politiques.

Mme Roy: Mais vous me dites, là, qu'il y a des personnes sous un vernis de respectabilité qui vont aller dans des activités de financement pour s'approcher du pouvoir politique. Ça, on comprend comment ils font pour s'approcher, vous venez de nous l'expliquer. Comment on fait pour renvoyer la balle à ces personnes-là? Parce que je suppose que, s'il y a un financement occulte, c'est pour recevoir une redevance sur ce financement-là.

M. Duchesneau (Jacques): D'abord, ils ne vous le présenteront pas comme ça. C'est comme le fameux commercial, là, «on a de tout, même un ami», ils se cherchent des amis, et quand ils ont des amis... puis ils vont donner à tous les partis, puis, quand ils vont vouloir, comme ça s'est fait dans d'autres pays... Prenez l'Italie, il fut un temps où on changeait de gouvernement à peu près aux six mois parce que tout le monde avait été impliqué. Alors, quand je vous disais tantôt, sans prétention aucune, qu'il faut que tout le monde travaille ensemble, les deux partis, sinon on ne réglera pas le problème, bien, c'est ça finalement qu'est mon message.

Mme Roy: On peut dire les trois partis aussi.

M. Duchesneau (Jacques): Ah, les quatre partis, les six partis. C'est un terrain glissant. M. Aussant, M. Curzi, pour tous les partis politiques.

Mme Roy: Je pense que c'est l'histoire de tous les élus municipaux et provinciaux au Québec.

M. Duchesneau (Jacques): Oui, parce que, dans ce sens, vous êtes vulnérables. Moi, je prends pour acquis que toute personne qui décide de donner sa vie à la politique mérite justement de prendre des mesures qui vont empêcher des choses moins le fun à vivre.

Mme Roy: Il y a une belle phrase que vous avez dite, mais je voudrais avoir un peu plus d'explications, vous venez de la dire en présentation, c'est: «...le crime organisé n'est pas un simple parasite, [c'est] un véritable acteur étatique.» En quoi le crime organisé est un acteur étatique? Je voudrais que vous me donniez des exemples.

M. Duchesneau (Jacques): Si vous faites partie d'une certaine communauté, vous allez payer une taxe, ce qu'on appelle le «pizzo».

Mme Roy: O.K.

M. Duchesneau (Jacques): On va aller vous voir, puis on va dire: Tu es mon ami, mais maintenant ça te coûte 500 $ par semaine. Que tu aies une pizzeria, que tu aies trois pépines ou... C'est dans ce sens-là que je dis: On paie nos taxes au gouvernement du Québec, et c'est bien, mais il y a des gens qui s'imposent comme étant tellement puissants qu'ils vont imposer eux-mêmes leurs taxes.

Mme Roy: Bon. Ce que vous voulez... Ce que je comprends, c'est qu'il y aurait comme un gouvernement, un ordre établi dans le crime organisé qui prélève des taxes puis qui fait ses lois, puis une de ces lois-là, c'est l'omerta, et que ces personnes-là ont aussi des liens avec le financement des partis politiques?

M. Duchesneau (Jacques): Des liens, il faut préciser ça. Ma question que vous me posez: Est-ce que ces gens-là du crime organisé s'acoquinent avec des politiciens? Notre enquête ne nous montre pas ça. Est-ce que des gens du crime organisé vont participer à des activités de financement? Ça, oui. Est-ce qu'ils le font à titre personnel? Peut-être. Est-ce qu'ils le font comme représentants officiels du...

Une voix: Du gouvernement.

M. Duchesneau (Jacques): ...de mafia inc.? Je ne pense pas. Quand je vous dis... Ils se sont raffinés. Les gens qui sont en poste dans des fonctions supérieures dans le crime organisé sont des hommes d'affaires.

Mme Roy: Vous avez parlé de collusion. La collusion, c'est deux acteurs qui s'entendent pour trafiquer les prix. Vous avez parlé de fraude, de fausses factures. C'est aussi du noir puis de l'évasion fiscale. Mais vous n'avez pas parlé de trafic d'influence, c'est-à-dire donner quelque chose à un fonctionnaire en échange d'une faveur. Est-ce que vous avez eu des témoignages à cet effet-là?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Et, encore là, parce que les gens ont peur, quand on a rencontré des gens du ministère, ils nous ont parlé beaucoup de gens qui avaient fait des manoeuvres, à leurs yeux, très croches, mais qui avaient quitté le ministère. Puis, quand je dis que les gens du ministère à certains égards ont peur, il y a des chargés de projet qui vont sur des chantiers de construction et qui, à quelques occasions, ont demandé à ce que nos enquêteurs aillent avec eux parce qu'ils ont peur. Il y a des gens qui sont intimidants dans le domaine de la construction. Et c'est drôle, quand nos enquêteurs se présentaient, les réunions étaient beaucoup plus calmes; on a fait état de ça tantôt.

Alors, si on trouvait un moyen pour que les gens à l'intérieur du ministère puissent avoir une ligne où on puisse appeler de façon anonyme et donner une information, bien, peut-être que la collusion quitterait cet environnement dans lequel elle ne devrait pas être.

Mme Roy: Bon. À l'émission...

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...

Mme Roy: Parfait.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...préférez-vous le mettre sur votre prochain temps de parole?

Mme Roy: Non, j'ai envie de poser une question courte: Est-ce qu'on vous a témoigné à l'effet qu'il y avait de l'ingérence politique dans les enquêtes policières?

M. Duchesneau (Jacques): Non.

Mme Roy: Non? O.K.

M. Duchesneau (Jacques): Moi, je peux vous dire que les cinq ans où j'ai été directeur de police, ou parce que j'ai un mauvais caractère, jamais personne n'est venu tenter, même penser de me faire aller d'un côté ou de l'autre. Je dois sûrement avoir mauvais caractère.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci, M. Duchesneau. Maintenant, je me tourne à nouveau vers le député de Verdun, qui va nous poser les prochaines questions.

**(16 h 50)**

M. Gautrin: Je vais continuer, M. Duchesneau, avec l'endroit où j'avais laissé, si vous voulez, précédemment, et je vais essayer d'explorer avec vous l'idée originale que vous mettez de l'avant, que vous avez mise de l'avant dans votre témoignage.

Vous êtes intervenu en faveur d'une commission, une commission que je pourrais appeler mixte, privée-publique. Autrement dit, vous dites, si j'ai bien compris ce que vous dites et je voudrais bien préciser avec vous, d'un côté irait la commission privée qui entendrait les témoins susceptibles d'être... d'avoir peur ou d'avoir... des témoins qui ont une information, ce que, dans la première partie de ma question, vous avez essayé de décrire, l'importance que ces gens-là soient entendus et que leurs noms ne soient pas révélés, et, de l'autre partie, dans la partie publique, il s'agit à ce moment-là des experts, des experts qui peuvent témoigner sur des questions juridiques, des questions techniques, comme ingénieurs, des questions... Est-ce que c'est ça que vous êtes en train de nous proposer, c'est-à-dire une commission qui serait... en partie qui entendrait les témoins comme tels sur les questions de ce qu'ils ont vécu et qu'ils sont susceptibles actuellement d'avoir une certaine forme d'intimidation, et une partie publique qui serait la partie qui entendrait, ce que j'appellerais dans un grand mot, des experts, quel que soit le domaine d'expertise, sciences sociales, génie, ou etc.? Est-ce que c'est ça que vous nous proposez?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Gautrin: Avec le même commissaire? Est-ce que, dans votre esprit, ce serait le même commissaire ou les mêmes commissaires -- ça n'en vient pas à plusieurs -- qui seraient à la fois sur la partie privée et sur la partie publique?

C'est important, parce que vous amenez aujourd'hui une idée qui n'a pas encore... qui est nouvelle, en quelque sorte, dans le débat public et dans la discussion.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Et cette idée, elle existe en Australie, notamment. C'est-à-dire, pourquoi attendre qu'on en soit rendus où on en est aujourd'hui, que je sois obligé de venir vous parler d'un phénomène qui a pris ses aises là où elles ne devraient pas, surtout dans une époque où on a de gros contrats qui s'en viennent?

Pour imager un peu ma réponse, c'est un peu que le huis clos et le public, là, c'est un peu... Quand vous faites couler votre baignoire puis que vous rentrez dans votre salle de bain, vous vous apercevez que ça déborde. Vous avez deux choix: aller chercher des serviettes pour éponger le plancher ou fermer le robinet. Moi, ce que je vous dis, à huis clos, c'est: fermons le robinet d'abord.

Que des gens tentent de contourner les façons de faire du ministère pour faire plus d'argent, ce n'est pas aujourd'hui ou demain la veille où on va empêcher ça, mais on est capables de mettre des mesures dissuasives. Une des mesures dissuasives, c'est de faire intervenir rapidement des commissaires, c'est-à-dire n'attendons pas que la route ait été coulée, qu'on ait oublié de mettre le gravier nécessaire puis dire... pour aller voir si on ne s'est pas fait jouer, on va être obligés de défaire la route.

Quand les gens du ministère, qui sont vraiment notre vigile quand vient le temps de regarder comment un contrat se développe, pourraient nous dire: J'ai un mauvais sentiment face à la façon dont ça va, là les commissaires pourraient faire venir tout de suite les personnes, là on aurait des commissaires avec des pouvoirs d'ordonner que les gens témoignent devant eux...

M. Gautrin: Mais à huis clos.

M. Duchesneau (Jacques): À huis clos. Parce qu'il se peut que les gens aient interprété de façon erronée le comportement d'un entrepreneur, par exemple, et l'entrepreneur pourrait venir, avant d'aller devant les caméras, vous expliquer: Voici les raisons pour lesquelles on a fait ça.

Puis ça nous est arrivé souvent qu'à prime abord, quand on regardait un problème, tu dis: Oh! Ça ne sent pas bon. Mais, quand on obtenait les explications, qu'on les vérifiait avec des ingénieurs ou avec des experts du ministère, on disait: Oui, c'est vrai que ça a de l'air fou, mais c'est correct; et donc on comprenait. Et ça, ça serait le moyen terme. Le huis clos permettrait d'éviter de détruire des réputations de personnes. Il n'y a rien de plaisant à comparaître et à se faire traiter d'être corrompu quand tu ne l'es pas.

M. Gautrin: Et la partie publique serait une partie limitée, à ce moment-là, si je comprends bien, aux experts qui viendraient expliquer comment fonctionne le système ou viendraient corroborer, en quelque sorte, ce qui aurait pu être dit...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Gautrin: ...dans la partie en huis clos. Est-ce que je comprends bien le mécanisme comme tel?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Très bon point. Voyez-vous, si on a eu plusieurs auditions à huis clos et que c'est toujours le même entrepreneur qui vient flouer le système, bien, à ce moment-là, ce serait aux commissaires de dire: Assez, c'est assez; maintenant, préparez votre preuve, on veut entendre. Et là on déballera, dans le contrat, a, b, c, d et e: Vous avez fait fausse route; vous nous aviez promis un viaduc à 10 millions puis ça a coûté 19 millions. Puis vous nous aviez promis une route à tant et vous l'avez dépassé tout le temps. Lui, il viendra s'expliquer.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...ça, c'est dit en public, qu'est-ce que vous dites, ou c'est à huis clos?

M. Duchesneau (Jacques): Non, non, ça, ça serait dit en public.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Ah!

M. Duchesneau (Jacques): Quand on aurait eu plusieurs enquêtes à huis clos et que, là, les commissaires commencent à se faire un portrait global de la situation et que c'est toujours le même entrepreneur qui vient faire des choses... Voyez, actuellement, on a même de la difficulté de refuser un contrat à un entrepreneur qui a déjoué le système. Et ça, c'est inacceptable. Si on...

M. Gautrin: Mais vous avez aussi, en public, toute la partie qui serait purement, disons, factuelle, technique, etc...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Gautrin: ...qui viendrait. Donc, je comprends, parce qu'il ne faudrait pas mélanger à la fois la commission d'enquête, comme vous dites, avec votre entrepreneur qui viendrait témoigner, et la possibilité de transmettre le dossier de cet entrepreneur à l'enquête policière, à la commission Marco... à Marteau, excusez-moi, et éventuellement au Directeur des poursuites criminelles.

M. Duchesneau (Jacques): Non, non.

M. Gautrin: C'est-à-dire, il y a quand même la... Il ne faudrait pas l'exonérer de cette chose-là. Alors, moi, ce que j'ai compris de votre élément, c'est qu'il y a beaucoup de choses qui se feraient en privé...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Gautrin: ...sous huis clos mais, par contre, toute la question qui serait plus technique comme telle serait en public.

M. Duchesneau (Jacques): Technique ou quand on aura découvert un stratagème et qu'au centre de ce stratagème c'est toujours...

M. Gautrin: Pour démontrer le stratagème, il y a un côté général.

M. Duchesneau (Jacques): Côté général, mais que c'est toujours le même entrepreneur.

M. Gautrin: Ah! je comprends.

M. Duchesneau (Jacques): Parce que, vous savez, il y a des crimes qui peuvent être commis puis il y a aussi des choses qui sont immorales.

M. Gautrin: Je pense que... 2 min 30 s. Est-ce que tu veux intervenir?

M. Huot: Oui.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Vanier.

M. Huot: Très rapidement. Un peu en lien avec ce que vous disiez, là, sur le huis clos, sur les motifs, ce que vous mentionnez à la page 22, vous voulez créer un climat favorable pour que les gens dénoncent des situations, mais vous spécifiez qu'il ne faut pas inciter à la délation pour des motifs de haine, ou d'intérêt, ou finalement des délations qui sont... des témoignages qui sont frivoles, des plaintes frivoles ou des témoignages qui ne sont pas nécessairement vrais par intérêt. En avez-vous vu dans vos 500 personnes que vous avez passées en entrevue? Est-ce qu'il y a des choses? Parce que ce que vous nous mettez là, ce sont des faits, vous avez été factuel. Il y a des choses que vous avez peut-être rejetées parce que vous avez vu que c'était des gens qui dénonçaient par intérêt pour se rendre service à eux-mêmes finalement.

M. Duchesneau (Jacques): Ou pour éliminer la concurrence. Puis on l'a déjà vu, dans le trafic de stupéfiants, c'est commun, où, pour éviter d'avoir une sentence, tu vas dévoiler que telle personne fait du trafic de stupéfiants et...

M. Huot: Donc, vous confirmez?

M. Duchesneau (Jacques): ...tu te fais aider de la police pour l'éliminer pour que, toi, tu puisses faire ton commerce.

M. Huot: Dans vos 500, vous en avez rejeté comme ça?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, oui.

M. Huot: Merci.

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, si je peux juste compléter ma réponse?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, oui, oui, vous avez encore une minute.

M. Duchesneau (Jacques): Beaucoup de personnes qu'on a rencontrées ont elles-mêmes été obligées, à un moment donné, de faire partie du système. C'est dire: Bon, bien, je suis obligé de faire des choses, c'est contre mes principes, mais, si je ne fais pas ça, je vais être obligé de fermer l'entreprise. Donc, ils se sont laissé aller, puis c'est pour ça que je disais aussi, dans mon témoignage tantôt, qu'il faut envoyer un message fort pour dire qu'il y a des choses qu'on accepte et des choses qu'on n'accepte pas.

Vous savez d'ailleurs que, sur la loi... avec la Loi sur la concurrence, la loi fédérale sur la concurrence, il y a une possibilité d'immunité pour celui qui viendrait le premier parler d'un cas précis. Et, si cette personne-là fait ça pour venir parler du cas Y, bien, il ne pourrait pas... il serait justement couvert par cette immunité.

Le Président (M. Simard, Richelieu): On reviendra à un autre bloc. Maintenant, je me tourne vers le député de Chambly pour la prochaine question pour l'opposition officielle.

M. St-Arnaud: Oui, merci, M. le Président. Mais, d'abord, merci, M. Duchesneau. Quand vous étiez chef de police, je pense qu'à l'époque c'était la police de la CUM qu'on disait, vous avez marqué la fonction puis vous avez procédé à des réformes majeures à Montréal qui ont marqué la police sur l'île de Montréal. Et, aujourd'hui, je pense que votre rapport, votre témoignage, en tout cas on peut l'espérer comme parlementaires et comme Québécois, va marquer la suite des choses.

M. Duchesneau, vous avez une connaissance de Montréal toute particulière. Or, vous le dites dans votre rapport, à la page 9, que la collusion qui sévit «dans le domaine de la construction se serait aggravée au cours des dernières années». Et là vous parlez de Montréal. Vous faites référence à ce rapport du vérificateur général de la ville de Montréal qui est tellement révélateur quand on voit que, sur une période de quatre ans, tous les contrats, 26 sur 26, à Lachine ont été donnés au même entrepreneur, qu'à Anjou tous les contrats, 100 %, ont été donnés au même entrepreneur, comme s'il y avait eu un partage de territoire. Vous dites aussi, à la page 20 de votre rapport, vous citez une source proche des Hell's Angels qui dit que l'«asphalte à Montréal[...], on l'a toute». C'est votre citation. Il y a même... on a un ex-fonctionnaire, M. Beaudry du ministère des Transports, qui dit que la mafia italienne montréalaise contrôle ce qui se passe à l'intérieur de la ville de Montréal au chapitre de la construction routière. Et il y a même un ancien président du comité exécutif de Montréal qui dit que la mafia est à l'hôtel de ville de Montréal.

M. Duchesneau, ma question, elle est très simple: Qu'est-ce qui se passe à Montréal?

**(17 heures)**

M. Duchesneau (Jacques): Très bonne question. De toute évidence, ce que le vérificateur général déclare, et que le maire et que le directeur général de la ville confirment, que les soumissions fournies lors d'appels d'offres ont diminué de 30 % depuis que des mesures ont été prises, je pense que ça dit tout. Montréal, c'est une... pour y avoir travaillé, c'est immense. Il y a beaucoup de travaux qui ont été faits.

Moi, je dis toujours: La peur, c'est le début de la sagesse. Et, quand on n'a pas ces moyens de contrôle nécessaires, ça peut justement ouvrir la porte. En 1983, j'ai arrêté mon propre patron pour trafic de stupéfiants, et finalement, quand on a fait l'analyse de ça, c'est sûr qu'il a sa part de responsabilité, mais on s'est aperçus que nos moyens de contrôle étaient totalement inefficaces.

Alors, il faut réduire les tentations, et c'est pour ça qu'un groupe comme l'Unité permanente anticorruption ou l'Unité anticollusion, notre seule présence -- quand je parlais de l'effet Marteau tantôt -- a fait que les gens se sont gardé une petite gêne. Donc, il y a eu des effets positifs. Toutes les mesures qui ont été mises en place font en sorte que, les gens qui font des soumissions pour des travaux publics le disent tous, actuellement les gens sont sur leurs gardes. Et tout ce que ça fait, c'est que ça bénéficie. On a mis 347 millions dans vos poches. Et, si on demeure statiques, si on garde la même façon de faire avec une unité anticollusion qui ne se repense pas, croyez-moi, ils vont trouver des moyens rapidement de contourner le système qu'on aura mis en place. Donc, il faut être sur nos gardes, être agiles, bouger. Et, quand on devient prévisibles, on devient vulnérables.

M. St-Arnaud: M. Duchesneau, pourquoi... Vous savez, quand on... On a l'impression, là, depuis quelques années, là, quand on lit les journaux, que c'est bien souvent à Montréal que ça se passe. Qu'est-ce qui s'est passé, là, ces dernières années à Montréal pour qu'on en arrive à cette situation dont je vous parlais tantôt? Qu'est-ce qu'il y a? C'est quoi, le problème à Montréal?

M. Duchesneau (Jacques): Montréal, c'est un gros marché. Le crime organisé existait à Montréal depuis des lunes. Montréal, ville ouverte dans les années cinquante, soixante, était sous l'emprise du crime organisé. Le crime organisé s'est, encore là, muté, dans les années soixante, dans les clubs, le jeu clandestin, etc. Dans les années soixante-dix, ça a été la période de la drogue, où les membres de motards criminalisés servaient uniquement d'escortes pour les chargements de stupéfiants qui rentraient à Montréal. Et là, tout d'un coup, ils se sont aperçus qu'ils avaient un pouvoir. Ils sont devenus eux-mêmes des vendeurs de drogue, et tout ce que ça fait, ça a un effet de cascade mais vers le haut, c'est-à-dire que nos gens qui étaient les caïds de la mafia avaient une petite emprise sur Montréal, mais, avec les années, ils ont monté de grade, sont passés du secondaire V au niveau du doctorat. Et donc il y a eu une escalade, c'est sûr et certain.

Et pourquoi Montréal est maintenant sous l'emprise? Bien, il y a des gens, effectivement, qui ont réussi à s'installer en demeure dans la ville de Montréal. La conséquence de ça, c'est que ceux qui voulaient faire de la concurrence à Montréal ont été obligés d'aller dans le 450. Et, quand d'autres se sont implantés dans le 450, on s'en va vers Basses-Laurentides, par exemple. Et plus on s'en va vers des petites villes, plus on a affaire à des élus qui n'ont pas les structures qu'ont des partis provinciaux ou des partis municipaux mais dans des grandes municipalités, et ils deviennent vulnérables, et c'est là que vous voyez les élections clés en main.

M. St-Arnaud: Exactement. Vous m'amenez, M. Duchesneau, sur cette piste-là, parce qu'effectivement vous dites, dans votre rapport, page 50: «On peut craindre [...] que des organisations criminelles se [rapprochent] de l'entourage de la classe politique locale pour arriver à leurs fins.» Et, en note en bas de page, vous dites: «Plusieurs de nos sources nous indiquent que la situation est particulièrement préoccupante dans le monde municipal.»

À quoi vous faites référence, là, quand vous dites que c'est particulièrement préoccupant dans le monde municipal? Est-ce que vous avez documenté plusieurs cas? Et vous faites référence, là... J'aime bien votre portrait: Montréal un peu plus loin, un peu plus loin. Est-ce que c'est dans des régions précises que vous avez senti ce problème lié à la... senti ce problème préoccupant pour le monde municipal et... Bien, je vais arrêter là pour l'instant.

M. Duchesneau (Jacques): La réponse, c'est oui. Encore là, dans la même foulée où je ne donnerai pas de nom, on a rencontré des élus aussi qui sont laissés seuls. Quand tu as besoin d'une route, tu n'as pas de directeur général, tu n'as pas de service de génie-conseil, puis il y a quelqu'un qui vient t'offrir de t'aider parce que tu es maintenant son ami, il va sauter dessus. Mais c'est quelqu'un de bien honnête qui, à un moment donné, souvent dans les meilleurs intérêts de la ville, ne s'aperçoit pas qu'on est en train de lui envoyer une perche, puis on le ramène tranquillement.

M. St-Arnaud: Le cas des élections clés en main, là, est-ce que vous avez documenté plusieurs cas, et impliquant combien de firmes, sans nous donner de nom? Combien de cas de clés en main avez-vous pu voir, là, de votre recherche, et combien de firmes étaient impliquées dans ce genre de stratagème?

M. Duchesneau (Jacques): En fait, on l'a entendu presque partout. Et on a eu une réunion la semaine dernière avec le Directeur général des élections, et ce qu'on a convenu, c'est: Ne prenez pas notre parole, on va, nous, contacter les gens qui nous ont informés, et vous leur parlerez. Et donc on est dans le processus de prendre contact avec ceux qui nous ont nous-mêmes informés, qui ont des choses à dire.

M. St-Arnaud: Essentiellement pour leur demander leur accord pour transmettre ça au Directeur général des élections?

M. Duchesneau (Jacques): En fait, on ne veut pas agir intermédiaires. On ne veut pas que le Directeur général des élections prenne ce que, nous, on a accumulé. On vous dit: Voici une sonnette d'alarme. Maintenant, nous, on va parler avec les gens qui nous ont dirigés vers cette opinion-là, et parlez-leur.

M. St-Arnaud: Pouvez-vous nous dire combien de firmes seraient impliquées dans ce genre de stratagème?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, plusieurs firmes. Si vous... Parlons d'une dizaine.

M. St-Arnaud: Et, quant à la situation qui est préoccupante, est-ce que vous avez des... Est-ce que vous pouvez nous dire s'il y a des régions toutes particulières, là? Est-ce que je comprends que c'est... de ce que vous dites... C'est un peu dans le sens de ce que vous nous disiez tantôt, là, on est dans le 450?

M. Duchesneau (Jacques): Si je veux que mon propos ait un facteur de dissuasion, je vous dirais: Partout. Est-ce que je cible tout le monde? Non.

M. St-Arnaud: Il y a des...

M. Duchesneau (Jacques): Mais je ne télégraphierai pas mon geste.

M. St-Arnaud: O.K. Mais je comprends qu'il y a des régions où c'est particulièrement frappant.

M. Duchesneau (Jacques): Oui, oui.

M. St-Arnaud: Où vous avez vu un certain nombre de cas en nombre particulièrement élevé.

M. Duchesneau (Jacques): En fait, une firme de génie ou un entrepreneur n'ira pas dans une ville qui n'offre pas une possibilité de faire des travaux. Alors, si vos routes ont toutes été pavées dans la dernière année, il y a des chances que vous ne verrez pas personne vous offrir leurs services. Mettons ça comme ça.

M. St-Arnaud: Dernière question, M. Duchesneau, il me reste une minute. À la page 50, vous envisagez... vous parlez, ma collègue de Lotbinière y a fait référence tantôt, de l'enrichissement personnel de certains élus. Est-ce que vous avez... Est-ce que je dois comprendre de votre propos de tantôt que vous n'avez pas de cas précis, là? C'est-u, sur l'enrichissement personnel de certains élus, précis et documenté.

M. Duchesneau (Jacques): On en a. Ce n'était pas le but de notre recherche. Il y a encore des vérifications qui doivent être faites, mais c'est comme: si on ramasse beaucoup d'argent, il y en a un petit peu pour la cause puis il y en a un petit peu pour moi.

M. St-Arnaud: Et est-ce que je dois comprendre, M. Duchesneau, que, dans les 17 dossiers que vous avez transférés à l'UPAC... est-ce qu'il y a des choses qui sont reliées... Est-ce que je peux vous demander si c'est relié à l'enrichissement personnel de certains élus?

M. Duchesneau (Jacques): Non. Si j'avais à travailler ce dossier-là, dans un premier temps, je le travaillerais avec le Directeur général des élections, qui a des pouvoirs que nous n'avions pas, mais qui, je pense, relève de sa juridiction. J'ai eu une rencontre très positive avec les gens du DGE.

Le Président (M. Simard, Richelieu): C'est le député de Vaudreuil qui va vous poser la prochaine question.

**(17 h 10)**

M. Marcoux: Alors, merci, M. le Président. Simplement une précision suivant la discussion, M. Duchesneau, que vous avez eue en réponse aux questions du député de Verdun, concernant une commission d'enquête à huis clos qui pourrait se transformer potentiellement en commission d'enquête publique.

Pour porter des accusations au criminel, ça prend une preuve policière. Et ce que vous nous dites, c'est qu'une commission à huis clos, avec les pouvoirs d'un commissaire nommé en vertu de la loi, les témoins ont l'immunité. Ça veut dire que ce qui est dit devant le commissaire ne peut être utilisé pour les fins d'accusation au criminel. Donc, s'il y avait une commission d'enquête à huis clos, est-ce que cette commission-là ferait un rapport, selon vous, avant d'aller publique? Parce que... Donc, quel est le lien avec des enquêtes policières? Parce que souvent les gens s'imaginent que ce qui est dit devant une commission d'enquête permet d'accélérer et de contribuer à mieux préparer la preuve. Alors, comment vous voyez, là, la suite d'une commission d'enquête à huis clos? Parce qu'il faudrait attendre la commission d'enquête publique pour avoir le rapport.

M. Duchesneau (Jacques): Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'attendre. Encore là, je pense que les commissaires devraient faire rapport de manière régulière sur ce qu'ils ont appris, encore là sans donner de nom. On pourrait parler des stratagèmes et, comme je le disais tantôt, si on pense qu'il y a vraiment un phénomène qui est en train de se développer, là y aller avec une commission d'enquête publique où on ferait entendre des gens, parce que ça a un facteur de dissuasion, sans contredit. Donc, moi, je pense que ça va ensemble. Comme je le disais tantôt, le huis clos, c'est: on ferme le robinet. Et ça... Si les entrepreneurs savaient qu'il pouvaient être convoqués par un commissaire ayant de vrais pouvoirs, encore là, je pense qu'on se garderait une petite gêne.

Le problème, c'est que, même si on paie... ou on donne le contrat au plus bas soumissionnaire, c'est qu'on n'est pas convaincus qu'on a eu notre meilleur prix. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il y a des gens qui ont soumis trois offres et qu'on choisit celui qui est le plus bas. Mais, entre le moment où on va en appel d'offres et au moment où on octroie le contrat, on oublie, et ça, nos enquêtes l'ont montré, on oublie qu'il y a peut-être des gens qu'on a retrouvés dans les fossés de chaque côté de la route qui nous mène de l'appel d'offres jusqu'à la soumission. Donc, des gens ont été écartés, qui auraient pu justement faire baisser les prix.

Et, quand on s'aperçoit que quelqu'un peut venir menacer notre façon de faire, on va tenter de l'écarter, soit en lui faisant des menaces, soit en lui offrant de l'argent pour tout simplement accepter de se retirer. Si vous n'avez pas à faire quoi que ce soit dans un contrat qui pourrait être octroyé par le gouvernement et vous recevez 100 000 $, tu dis: Bon, bien, au moins, ma famille va manger, je me retire. Mais ça, ce n'est pas de la concurrence, c'est une compétition déloyale.

M. Marcoux: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Maintenant, nous passons au député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: M. le Président, je dispose de combien de temps dans ce bloc?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il vous reste 6 min 20 s.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Duchesneau. Première question. Vous traitez de la question du financement politique à la page 50 de votre rapport. Et je l'ai lu attentivement, je vous ai écouté attentivement aujourd'hui. J'ai également pris le temps de regarder l'émission Tout le monde en parle. Vous mentionnez, à l'intérieur de votre rapport: «La sagesse populaire nous enseigne que le pouvoir corrompt.» Vous le dites. Mais vous dites juste avant: «Même si cela reste l'infime exception». De ce que je comprends, vous maintenez ce que vous avez dit dans le rapport aujourd'hui: on parle d'une infime exception.

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Sklavounos: Vous avez également dit que, lorsque vous avez colligé les renseignements qui sont venus à votre attention, il ne semble pas, pour le moment, avoir des élus... la preuve que des élus se seraient enrichis personnellement... il y a une preuve d'enrichissement personnel de certains élus. Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit?

M. Duchesneau (Jacques): Ce que j'ai dit, c'est que plusieurs personnes nous ont parlé que des élus s'étaient enrichis. Ce n'est pas une preuve qu'on a documentée. Vous avez aussi, dans mon message de tantôt, que le financement des partis politiques n'était pas un des objectifs de notre rapport. C'est venu nous frapper.

M. Sklavounos: Je comprends bien, je comprends bien. En même temps, lorsque les gens vous disent... vous parlent d'élus qui seraient corrompus, ça pourrait être aussi la perception. Les gens vous partagent une certaine perception qu'ils ont, qui peut être due à des faits qui ne sont pas nécessairement basés sur des preuves. Une personne qui vous dit: J'entends que quelqu'un reçoit des enveloppes, ou: Je pense que les politiciens sont corrompus, ça, ce type d'élément, pour vous, vous n'aurez pas pris ça très au sérieux, à moins qu'il y aurait d'autre chose pour corroborer, quelque chose de plus factuel pour corroborer ces dires. C'est exact?

M. Duchesneau (Jacques): Entendre me... placerait un point d'interrogation. Quand on me dit qu'on a vu ou qu'on a fait des choses pour aider au financement, là, à ce moment-là, c'est plus sérieux, mais ça demande à être, encore là, enquêté. Comme je le disais tantôt, la collusion, c'est dans l'air, c'est un nuage autour de nous, c'est difficilement perceptible. Le financement, c'est la même chose. Donc, il faut trouver des témoins pour venir étayer notre preuve. Mais, oui, ça se dit.

M. Sklavounos: Effectivement. Vous avez mentionné, également à la page 50, c'est dans la page... dans la note de bas de page, -- et ça a été répété, ça été pris par mon collègue de Chambly, notre collègue de Lotbinière également -- «que la situation est particulièrement préoccupante dans le monde municipal». Vous ne l'avez pas dit pour rien, vous l'avez répété ici, ça va dans le sens des constatations que vous avez eues.

Je réfère aussi, rapidement, au rapport qui a coulé dans les médias. Parce que, lorsqu'on a reçu ce rapport-là, et nous avons par la suite reçu le rapport officiel, on a eu l'occasion de comparer les deux documents. Cette note de bas de page qui parle de la situation comme étant plus préoccupante dans le monde municipal ne figure malheureusement... ou pour une raison que je ne comprends pas -- et, j'imagine, plusieurs personnes aimeraient comprendre pourquoi elle ne figurait pas dans le rapport qui avait été coulé... drôle d'affaire, le rapport coulé avait plusieurs notes de bas de page -- et c'est le numéro 53, note de bas de page, dans le rapport officiel.

Lorsqu'on examine le texte du rapport qui a coulé, le numéro 53 est là-dedans, bizarrement. Parce que les chiffres ne se suivent même pas. Je pense qu'on va du 50 au 53, et par la suite nous retournons au 51. Et il y a un autre 53 à l'intérieur du rapport, dans le rapport qui a coulé. Mais le 53 est là, qui est le même numéro, mais il n'y a pas de note de bas de page qui apporte cet éclairage qui est assez important. Vous ne l'avez pas mis là pour rien. C'est une constatation que vous faites, vous l'avez répété aujourd'hui. Et ça a fait en sorte que, veux veux pas, l'attention s'est portée sur un certain palier du gouvernement dont nous faisons partie, alors que la réalité peut-être est un petit peu différente, et ça a aidé à colorer un petit peu la réception du rapport. Je ne sais pas si vous voulez commenter là-dessus. J'ai une autre question par la suite. Mais peut-être que vous voulez commenter là-dessus.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il vous reste 1 min 30 s pour commenter.

M. Duchesneau (Jacques): Un commentaire très court, M. le Président. Le rapport officiel porte la date du 1er septembre 2011, date à laquelle j'ai déposé ce rapport à M. Hamad, qui était, à ce moment-là, directeur... -- directeur! -- ministre des Transports du Québec. Ça, c'est le vrai rapport. L'autre rapport est sorti à la mi-septembre. Mais la seule vraie version, c'est celle-là.

M. Sklavounos: Merci.

M. Duchesneau (Jacques): Donc, c'était antérieur.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...aller à...

M. Sklavounos: J'avais compris. Merci, M. Duchesneau. Dernière question. J'ai lu attentivement votre rapport, du début jusqu'à la fin. On parle des firmes de génie-conseil comme jouant un rôle à l'intérieur du processus au début et à la fin. On parle d'entrepreneurs généraux. On parle de sous-traitants. Et là il y a cette question du financement politique, qui est à la page 50. Par contre, moi, ce que je ne comprends pas... J'essaie de trouver le rôle du politique dans l'octroi de contrats.

Moi, je vais vous dire, personnellement... Et je ne vais pas faire une blague avec mon pays d'origine, mais, moi, lorsque les gens me posent des questions, je leur dis: Moi, je suis député, je n'ai pas le choix du contracteur qui pogne le contrat pour faire l'asphalte devant mon bureau de comté. Et je déplore le fait qu'à l'intérieur des médias et ailleurs on semble suggérer, ou on semble laisser entendre, ou ce n'est pas clarifié nécessairement, on accorde aux politiciens un pouvoir dans le processus que, moi, je n'ai pas. Je vous le dis, je ne l'ai pas, je pense que tout le monde le sait. Mais, même à l'intérieur de votre rapport, je cherche à savoir où le politique peut intervenir et honnêtement je ne le trouve pas.

Donc, moi, la question... Quelqu'un peut beau venir à mon financement, il peut beau venir du domaine de la construction, il peut me faire un chèque, mais, à la fin de la journée, le gars se trompe s'il pense que je peux l'aider, je ne peux pas l'aider. Alors, sans qu'il y ait un quiproquo, je veux dire, possible entre les deux, mais je me demande bien comment qu'on peut corrompre un politicien dans le domaine des transports, alors qu'il ne joue pas un rôle ni dans l'octroi de contrats ni dans les extras. C'est... À moins que je n'aie pas compris quelque chose, si vous voulez m'aider avec ça, ça va m'aider, puis ça va me permettre de rassurer mes électeurs.

**(17 h 20)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): Moi, je ne gère pas les questions, je gère le temps, qui est dépassé depuis un bon moment. Si vous répondez, les minutes que vous prendrez seront soustraites évidemment du prochain bloc gouvernemental, qu'on a déjà dépassé de deux minutes. Alors, soyez très bref.

M. Duchesneau (Jacques): Je vais parler plus vite. Au niveau municipal, le politicien a plus le nez collé sur les dossiers que vous pouvez l'avoir au niveau provincial, c'est clair. Ce que j'ai vu, moi, au ministère des Transports, c'est: non seulement les élus ne se mêlent pas, mais se tiennent loin de l'octroi de contrats. Ce sont... Il était mon partenaire, le sous-ministre, même lui, le sous-ministre en titre, se tient loin des contrats. On a des sous-ministres adjoints, des directeurs territoriaux qui donnent des contrats. Donc, sur votre proposition, je suis d'accord avec vous que le lien entre l'élu... entre l'octroi de contrat donné dans un territoire, je ne vois pas le lien. Mais, au niveau municipal, on ne parle pas de la même chose.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Très bien, merci. Nous passons maintenant, à nouveau, du côté de l'opposition officielle, et c'est le député de Verchères qui va poser la prochaine question.

M. Bergeron: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, il y a comme un éléphant, dans la salle, qu'on cherche à éviter, qui est la question de la commission d'enquête. On a tenté de dire que ce que vous proposiez était révolutionnaire, alors que, selon ma compréhension des choses, vous me corrigerez si je suis dans l'erreur, selon ma compréhension des choses, dans le cadre légal actuel, il est du ressort du ou des commissaires de choisir de faire une partie de leurs travaux à huis clos, si tant est qu'ils le jugent à propos. C'est ce qu'on a vu, par exemple, dans le cas de la commission Gomery, où une partie des travaux ont été à huis clos. Moi, je me souviens que le témoignage de Jean Brault, au départ, a été enregistré à huis clos. C'est le juge Gomery lui-même qui, quelques jours plus tard, a choisi de lever le huis clos sur ce témoignage. Donc, le cadre légal existant permet déjà, si tant est qu'il y a une volonté politique... Et c'est ce à quoi vous faisiez référence tout à l'heure, si tant est qu'il y a une volonté politique, le cadre permet de déclencher une commission d'enquête dont une partie des travaux pourraient se faire à huis clos, si le commissaire ou les commissaires jugent à propos d'avoir une partie à huis clos. Et je comprends que c'est ce que vous proposez pour permettre effectivement que les gens puissent venir témoigner.

Mais je comprends aussi que ce que vous souhaitez, d'abord et avant tout, c'est que les gens qui risquent de faire l'objet de pressions ou de représailles puissent se sentir libres de le faire. Ce n'est pas nécessairement le criminel qu'on veut préserver des feux de la rampe. En fait, je vais me permettre de citer, de paraphraser Robert Cliche, qui disait: Ce qui fait le plus mal -- puis vous l'avez évoqué tout à l'heure -- pour le crime organisé, ce n'est pas tant que l'un de ses membres se retrouve en prison pendant un temps x, c'est de se retrouver sous les feux de la rampe puis d'avoir à révéler un peu leurs activités de façon publique.

Vous nous disiez il y a quelques instants: Si, à huis clos, on démontre qu'il y a effectivement un système, on ira au public pour aller au fond des choses. Mais, corrigez-moi si je me trompe, n'est-ce pas ce que vous avez démontré dans votre rapport, qu'il y a effectivement un système en place qu'il nous faut démonter, qu'il nous faut démanteler, et, pour ce faire, ça nous prend effectivement cette commission d'enquête, qui pourra avoir des sections privées, certes, à huis clos, mais qui devra avoir une portion, importante, publique pour faire en sorte de jeter la lumière sur ce qui se passe puis que le public puisse effectivement être partie prenante, avec le gouvernement, avec les autorités, pour mettre un terme à la situation?

M. Duchesneau (Jacques): Le regard qu'on a posé est un regard de sans-papiers. On n'avait ni pouvoir ni statut particulier. Je pense qu'on a pris ce dossier-là, je pense, dans les meilleurs intérêts des citoyens du Québec, et je pense qu'on s'est acquittés de notre tâche. Donc, il est évident qu'une commission d'enquête à huis clos, ou publique éventuellement, aurait plus de pouvoir que nous en avions.

Ce que j'ajouterais, cependant, c'est que, dans la partie à huis clos, ce n'est pas uniquement une étape où on entend des gens, mais c'est aussi une étape où on règle des problèmes. Ma métaphore du robinet, là... Ça pourrait être une commission de vérification des contrats octroyés par le gouvernement. C'est-à-dire, quand on pense qu'un contrat qui est en train d'être fait pose problème, tout de suite, sans attendre, on ferait venir la firme de génie qui s'est trompée dans son estimation de référence ou l'entrepreneur qui a demandé, a fait des avenants ou a fait un dépassement de coûts, on pourrait lui poser des questions tout de suite, et ça, ça pourrait se régler immédiatement, sans être obligés de passer vers la partie publique de la commission d'enquête. Donc, il y a un facteur curatif à la partie huis clos aussi, qui n'amènera pas automatiquement et nécessairement une partie publique. Ce qu'on veut, c'est régler le problème, fermer le robinet.

M. Bergeron: Dans votre rapport, dans la lettre d'introduction, vous avez fait référence à «l'accueil habituellement favorable qui nous est réservé» et qui traduit, selon vous, «le désir d'une bonne partie de la population de prendre part à l'assainissement du climat de l'industrie». Vous faites également état de la réprobation sociale qui est conviée pour y faire échec. Vous faites référence également à l'indispensable contribution de la population pour mettre un terme à la collusion. Un peu plus loin, à la page 21, vous dites: «...il faut gagner le soutien actif de la population.»

Je me permettrai une autre citation, si vous me le permettez, citation de M. Dutil, l'ancien président de la CECO, qui disait: «Les efforts des policiers, des cours de justice et de toutes les organisations vouées à la lutte contre le crime sont vains -- ce n'est pas faible là, "sont vains" -- si le public n'est pas au courant de l'amplitude du crime organisé et de ses méthodes. Une publicité bien dirigée et un exposé honnête des activités illégales sont certainement les plus sûrs moyens de tarir les sources de revenus de ces magnats du crime.» À Tout le monde en parle, dimanche, vous disiez que le problème est pire qu'il ne l'était à l'époque de la CECO. Est-ce qu'il n'est pas plus que temps de déclencher cette commission d'enquête?

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. Duchesneau.

M. Duchesneau (Jacques): Ma réponse ne sera pas politique, je vais vous parler en tant que... pas expert, mais, en tout cas, expert du crime organisé. Oui, le monde a changé. Le problème, aujourd'hui, c'est qu'on a laissé un empire clandestin se former. Contrairement à ce que, moi, j'ai vécu dans les années soixante-dix, les gens d'aujourd'hui ont beaucoup plus d'argent que vous pouvez le penser. Il n'y a jamais un service de police qui pourrait avoir autant de moyens que ces gens-là ont.

Et donc est-ce que la partie est gagnée d'avance pour les mauvaises personnes? Non. Je ne serai jamais capable d'accepter ça. Est-ce qu'il est temps pour nous de rouler nos manches pour tenter de faire quelque chose? Je vous dirais oui, puis il est temps qu'on le fasse.

M. Bergeron: Vous parlez des moyens, je me permets une autre citation, qui est tirée de La Filière canadienne de Jean-Pierre Charbonneau, c'est une citation qui vient de la Chambre de commerce des États-Unis, où on dit: «Le problème fondamental auquel fait face à l'échelon national notre justice criminelle est le peu de préoccupation des citoyens pour ces questions. En effet, pourquoi ne pas laisser le problème de la criminalité aux professionnels qui sont rémunérés pour le combattre? Parce que les professionnels eux-mêmes reconnaissent clairement et admettent ouvertement que, sans la coopération des citoyens, ils ne disposent pas suffisamment de moyens pour accomplir cette tâche monumentale que représente la lutte contre le crime.» On veut avoir des moyens, on veut que la population soit en mesure de consentir à ces moyens. Pour ce faire, elle veut savoir ce qui se passe. Donc, n'est-il pas plus que temps de déclencher cette commission d'enquête?

M. Duchesneau (Jacques): En 1829, Sir Robert Peel, qui a créé la police moderne, disait: «La police, c'est le public, et le public, c'est la police.» Les deux vont ensemble. On ne pourra jamais avoir assez de policiers pour régler le problème si on n'a pas l'appui des citoyens. Puis, quand je vous dis, M. le Président, que j'étais content de venir devant votre commission, c'est pour que les gens entendent que le problème est peut-être plus grave qu'on pense. Et je pourrais vous le dire, à vous, à huis clos, on n'irait nulle part.

Juste pour vous donner une idée, il y a un mouvement qui vient de se développer en Italie après le meurtre de plusieurs personnes qui s'attaquaient au crime organisé, plusieurs juges ont été tués, c'est le mouvement qu'on appelle «anti-pizzo» qui... Les gens sont tannés parce que ceux qui ont des petits commerces se font extorquer à toutes les semaines pour qu'on leur assure une protection qui finalement n'est pas là. Mais ce qu'on fait, on enrichit encore plus des gens qui ne devraient pas s'enrichir.

Pour vous donner une idée de grandeur, au Japon, le crime organisé s'appelle le yakuza ou les yakuzas. C'est des familles de crime organisé. Pour vous donner une idée de grandeur, les revenus des yakuzas, c'est le revenu annuel de Toyota et le revenu annuel de Sony mis ensemble, multipliés par quatre. Et 60 % de leurs revenus viennent d'entreprises légales. Mais ça, je peux vous dire qu'à long terme, socialement, démocratiquement, ça peut venir déstabiliser un pays.

Alors, si les gens ne comprennent pas ça, si on n'a pas des journalistes qui nous sortent des topos pour expliquer quel est vraiment le problème avec le crime organisé, quels sont les tentacules du crime organisé, bien, vous tous, nous autres, qui veulent bien changer les choses, on ne sera pas capables de changer.

**(17 h 30)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): Le bloc se termine là-dessus. Maintenant, je me tourne vers le député de Chomedey pour la prochaine question.

M. Ouellette: Merci, M. le Président. Vous ne serez pas surpris, M. Duchesneau, ce n'est pas la première fois qu'on a ce genre de discussion là, un système organisé fera toujours échec au crime organisé. C'est quand notre système n'est pas organisé puis qu'il y a des gens qui font cavalier seul et qui organisent leurs affaires tout seuls que, je veux dire, les bandits en profitent.

Mon collègue de Verchères a parlé de la CECO et du mandat de la CECO. Juste nous rappeler -- parce que le juge Dionne avait fait certains commentaires -- mais juste nous rappeler, quand Jérôme Choquette avait lancé la CECO, en 1973, c'était quoi, les quatre objectifs. Le premier, indiquer à la police et aux membres du gouvernement l'étendue du crime organisé; le deuxième, informer le public sur le type d'activités dans lesquelles les criminels sont impliqués; le troisième, mettre les organisations criminelles sur la défensive; et, le quatrième, amasser certaines preuves qui pourront être utilisées devant les tribunaux contre les individus. Ça, c'était la mentalité des années soixante-treize, et je vous le donne que... On l'a vu, ça a été huit ans de CECO, très peu d'accusations, beaucoup de morts, et on est peut-être ailleurs.

Il y a des dispositions qui ont été prises dans le projet de loi de l'UPAC, justement, qui a été sanctionné par l'Assemblée nationale le 13 juin, qui va faire état des communications au public, deux fois par année, par le commissaire, et qui...

Vous savez, il n'y a rien qui empêche non plus les procureurs de la couronne -- c'est un commentaire -- il n'y a rien qui empêche les procureurs de la couronne, quand il y a des plaidoyers de culpabilité, et c'est leur devoir, d'informer la cour, d'informer le juge des stratagèmes. Ils ne le font peut-être pas assez souvent, ils devront peut-être le faire plus souvent.

Quand vous parliez, tantôt, du Bureau de la concurrence, qui a mis en place un programme, justement, dans la loi qu'on a sanctionnée, dans la loi qu'on a... le projet de loi n° 15, il y a une protection justement pour les dénonciations d'actes répréhensibles et contre les mesures de représailles, avec des mesures qui sont très sérieuses, et c'est ça, et c'est dans la loi. Ce n'est peut-être pas connu, ce n'est pas glamour, il n'y a pas eu une grosse publicité de faite là-dessus, mais c'est un ensemble et c'est un train de mesures. C'était un commentaire.

M. le Président, je pense que je vous remets la parole et je pense qu'on va aller à mon collègue.

M. Gautrin: Et on passe au député de Jean-Lesage.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Ah! bien, écoutez, comme... vous avez fait une déclaration, mais vous voulez sans doute que M. Duchesneau la commente.

M. Ouellette: Sûrement.

M. Duchesneau (Jacques): Moi, je pourrais vous dire que -- une note que je me suis mise en écoutant votre commentaire -- quand je vous disais que le crime organisé a changé, vous savez, c'est peut-être plus facile aujourd'hui de faire un kilomètre de route et de faire plusieurs extras que de vendre 1 000 kilos de cocaïne. Parce que, si tu te fais prendre à avoir mis 11 pouces de roche au lieu d'en mettre 12, je ne suis pas sûr que les sentences vont être justement aussi difficiles que si j'avais vendu 1 000 kilos de coke. Donc, quand je vous dis qu'il y a eu une mutation du crime organisé, bien c'est ça. C'est un exemple que je voulais donner pour faire référence à ce que M. Choquette disait il y a 40 ans.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Jean-Lesage, il vous reste quatre minutes.

M. Drolet: Merci beaucoup, M. le Président. M. Duchesneau, bonjour et bienvenue, et à votre équipe.

Dans votre rapport, vous nous avez parlé de ce qui se passe ailleurs, aussi. Vous en avez fait état dans quelques petits messages, mais sans pour autant aller plus loin là-dessus, entre autres dans certains pays de l'OCDE, en matière de lutte contre la collusion. Votre rapport nous confirme aussi que c'est un phénomène qui est mondial, auquel Québec n'échappe pas. On l'a mentionné, on en parle depuis tout à l'heure. Toujours selon l'OCDE et ailleurs, la lutte à la collusion est d'une importance capitale pour les économies, en fait, de chacune des places sur la planète. Plusieurs ont pris des moyens, des moyens de concertation et des moyens de contrôle, par des actions concertées, des actions efficaces et par des projets de loi.

On a quelques exemples que j'ai pris et puis qui est quand même assez révélateur, entre autres avec les amendes qui sont données, que ce soit, en Allemagne, par un projet de loi, en euros... L'Australie avait une loi introduisant un régime antitrust. Et le Brésil... Etc. Et je pense que, depuis, plusieurs avancées positives ont été notées de par ces actions-là qui ont été mises en place. D'ailleurs, dans votre rapport, nous... vous... le confirme, à l'annexe, parce que vous avez plein d'exemples puis qui sont quand même importants et qui peut-être seraient importants pour nous et pour les citoyens. Parce qu'on s'imagine que c'est seulement chez nous, on s'imagine que quelque part, là... mais quand même on sait que c'est un problème assez important sur la planète.

Qu'est-ce que vous pouvez nous parler de cela, quand vous avez pu... Parce que vous avez quand même pas mal d'exemples qui ont été cités et qui pourraient nous rassurer un petit peu que, oui, il y a des moyens. Parce que vous avez dit tantôt aussi qu'il faut quand même croire qu'il peut y avoir un travail qui peut être fait, qu'il peut en arriver à y avoir des choses positives. J'aimerais ça que vous nous en parliez un petit peu.

M. Duchesneau (Jacques): La première chose qui me vient à l'esprit, ce sont les sentences. En France, une grosse entreprise qui avait fait de la collusion pour contrôler un secteur d'activité a eu une amende de 365 millions d'euros. On est loin du 365 $ qu'on pourrait avoir si on fait de la collusion.

Donc, quand je disais qu'il y a... Au niveau judiciaire, il y a des choses à changer, et c'est pour ça que ça prend un message clair, de dire: Si tu fais quelque chose de pas correct ou... Bon, maintenant, on leur fait signer une clause anticollusion dans tous les rapports. Je pense qu'il y a des bons côtés, tout n'est pas négatif. Le ministère des Transports a pris cette mesure, et, quand vous envoyez un appel... une soumission à un appel d'offres puis que vous devez mettre votre signature au bas du contrat, il doit sûrement y avoir une petite hésitation. Encore faut-il que, si vous faites quelque chose de pas correct, qu'on vous pénalise.

Mais là, actuellement, même si vous avez fait quelque chose de pas correct, on va vous redonner des contrats. Ça, je pense qu'il faut qu'on retravaille cet aspect-là. Et donc notre système judiciaire pourrait venir à la rescousse.

M. Drolet: ...politiques qui doivent être prises aussi en fonction de ça.

M. Duchesneau (Jacques): ...décisions politiques qui doivent être prises, hein? Puis, quand on aura un système qui sera équitable pour tout le monde, où on aura une saine concurrence, je pense que ça va être pour le mieux-être de tout le monde.

M. Drolet: C'est beau, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui. M. le député de Portneuf, 1 min 30 s.

M. Matte: Pardon?

Le Président (M. Simard, Richelieu): 1 min 30 s. Allez.

M. Matte: Je peux-tu la reporter à l'autre...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Absolument. Et nous reprendrons au prochain bloc.

Alors, maintenant, c'est le bloc de 11 min 30 s qui va suivre et consacré aux députés... au premier bloc de députés indépendants. D'abord, le choix a été fait par ordre alphabétique des comtés, donc nous allons commencer par Borduas. Le temps précis, c'est 3 min 45 s, puisqu'il n'y a pas de transfert possible, et je ne voudrais pas couper un indépendant parce qu'un autre a pris trop de temps. Donc, à vous la parole, M. le député de Borduas.

M. Curzi: Merci, M. le Président. M. Duchesneau, madame, monsieur. Vous savez, votre rapport s'inscrit... et a littéralement fait exploser une crise morale au Québec. Cette crise morale là a des effets majeurs sur la méfiance que les gens et les groupes entretiennent les uns vis-à-vis les autres, et c'est même une sorte de menace pour la démocratie. Puis, quand je vous entends décrire à quel point la mafia a muté depuis le temps et qu'elle est devenue une des composantes d'un système d'utilisation des fonds publics à des fins d'enrichissement d'un groupe criminel, il y a de quoi être inquiet. C'est pour ça que la réponse qui est demandée et qui est exigée du gouvernement, c'est que ce soit une réponse à la hauteur de cette crise morale là, une réponse publique forte, d'où la question de l'enquête publique.

Quand je vous entends parler d'enquête à huis clos... Évidemment, on peut comprendre la méfiance de tout le monde face au terme «huis clos». On se dit: Est-ce que cette institution du huis clos ne sera pas du même acabit que tout ce qui nous est caché? Et je comprends et je partage avec le député de Verchères ma compréhension. C'est qu'une commission d'enquête permet qu'il y ait un huis clos. Les juges peuvent donc faire venir des gens, avoir... et contrer le phénomène de la peur et de la suspicion, et permettre qu'on convoque des témoins au moment de l'enquête publique.

Pourtant, quand je vous écoute, à chaque fois que vous parlez de ça, j'ai l'impression qu'il y a une ambiguïté. Comme si le fait d'avoir une commission à huis clos n'entraînait pas irrémédiablement une enquête publique, d'une part, et, d'autre part, comme si le fait de jouer dans le cadre d'une enquête publique contenant un huis clos n'était pas suffisant. J'entends, dans ce que vous dites, quelque chose: ça nous prend un outil de plus pour fermer le robinet, quel que soit le résultat d'une enquête publique. Est-ce que ma compréhension, c'est celle que vous avez?

**(17 h 40)**

M. Duchesneau (Jacques): Oui. J'ajouterais à votre commentaire que le huis clos est aussi curatif, qu'on réglerait le problème immédiatement et ne pas attendre de faire un constat, deux ans plus tard, pour dire: Ah! on a un gros problème. Donc, de façon ponctuelle. Puis ça, c'est le modèle australien. Allez voir ça, je pense qu'ils ont... Il y a des commissaires qui entendent les gens immédiatement et qui amènent justement des solutions qui ne sauraient attendre.

M. Curzi: Mais ce huis clos là est irrémédiablement suivi d'une enquête publique, fait partie d'une enquête publique.

M. Duchesneau (Jacques): Non, pas nécessairement.

M. Curzi: Non, pas...

M. Duchesneau (Jacques): Pas nécessairement.

M. Curzi: C'est là qu'il y a... que vous...

M. Duchesneau (Jacques): Moi, je pense que le huis clos à lui seul est capable d'avoir sa propre vie. Ce que je souhaite, c'est que, si on découvre un stratagème ou une tendance, que là on aille rapidement au public pour que les gens comprennent. Puis je reviens au commentaire de M. Bergeron tantôt. Si on n'a pas la population qui nous aide, parce qu'ils comprennent qu'il peut y avoir un problème, quand tu acceptes, toi-même, sur un chantier de construction, une enveloppe, parce que tu veux être payé en comptant, il y a une conséquence sociale à tout ça. Et tu permets à des gens...

Vous savez, le crime organisé, il fonctionne d'une façon. C'est qu'il t'enlève quelque chose d'abord, après ça, il te menace, puis, en troisième lieu, il dit: Finalement, je suis un bon gars, hein? Je t'ai donné 100 000 $. Mais c'est de faire croire des choses aux gens. En bout de ligne, le crime organisé n'existe que pour une chose: faire beaucoup d'argent au détriment de l'ensemble. Parce qu'il n'y a pas juste le gouvernement qui perd -- je le répète -- ce sont aussi les petits entrepreneurs, les petites firmes de génie-conseil. C'est pour ça, dans une des pistes de réflexion qu'on soumet au ministre, c'est: un jour, donner des chances aux petites firmes de génie, et ça... C'est sûr que les petites firmes de génie ne peuvent pas faire des contrats de 100 millions, mais ils ne pourront jamais avoir assez d'expérience pour se qualifier pour des gros contrats...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je dois vous interrompre à ce moment-ci. Et la parole est au député des Chutes-de-la-Chaudière.

M. Picard: ...M. le Président. M. Duchesneau, merci de votre présence. Dans votre rapport, on parle des aspects de la politique de gestion encadrant le processus au ministère des Transports. Vous avez dit, d'entrée de jeu, que tous les mots que vous aviez inscrits étaient... avaient une signification. Je cite le rapport: «Le ministère prend les mesures nécessaires pour prévenir les situations de conflits d'intérêts, les gestes d'intimidation, le trafic d'influence et la corruption; le cas échéant, il transmet l'information aux autorités compétentes.» Les autorités compétentes, c'est le vérificateur interne, le directeur régional, sous-ministre adjoint, sous-ministre, ministre? Je veux vous entendre là-dessus.

M. Duchesneau (Jacques): Vous étiez à quelle page? Juste pour être plus...

M. Picard: Page 13.

M. Duchesneau (Jacques): Page 13. Juste pour voir le contexte dans lequel vous citez. Ah oui! Quel est le... parce qu'on n'a pas la même version, je pense. Vous êtes dans quelle section? Êtes-vous dans 5.3?

M. Picard: 5.2.

M. Duchesneau (Jacques): 5.2. O.K., je suis là. Donc, votre question, c'était de savoir quelles sont les mesures qui sont prises?

M. Picard: Les autorités compétentes, est-ce que c'est le vérificateur interne, c'est les directeurs régionaux, c'est les sous-ministres adjoints, les sous-ministres ou le ministre?

M. Duchesneau (Jacques): Notre lien, dans la dernière année et demie, a toujours été avec le sous-ministre des Transports, mon lien, qui faisait bouger les choses à l'intérieur de la machine. Les vérificateurs internes ont plutôt... prennent le chemin inverse, c'est-à-dire qu'ils nous fournissent les informations dont on a besoin pour faire notre travail. Mais, quand on était aux prises avec un problème, c'était le sous-ministre ou le sous-ministre adjoint qui étaient informés et qui faisaient bouger les choses. Donc, ils apportaient des correctifs de façon très rapide.

M. Picard: O.K. À la page 32, toujours, du rapport, on parle de «favoritisme à même les estimations». Vous, vous résumez, là, le fait qu'il semble qu'il y a des ingénieurs-conseils ou des employés qui favorisaient certains entrepreneurs et ils donnaient des informations privilégiées. Ma question est de savoir: Est-ce qu'il y a eu des mesures de faites, de prises par l'administration, les sous-ministres ou les directeurs régionaux pour que ça cesse auprès... au moins pour les employés? Et les ingénieurs-conseils, bien là je comprends, tantôt, qu'on continuait à donner des contrats, mais pour les employés, à votre connaissance, est-ce qu'il y a eu des mesures de prises ou qu'il y a un climat de peur qui s'est installé au ministère des Transports?

M. Duchesneau (Jacques): Non, il y a eu des mesures de prises, et ce à quoi on fait référence, c'est que l'estimation de référence préparée par la firme de génie-conseil devrait être une information secrète. Et on a des entrepreneurs qui sont venus voir des directeurs territoriaux ou sous-ministres adjoints, puis ils nous ont clairement dit: On sait que ce contrat-là devrait sortir à 15 millions. Alors, ça, c'est une information privilégiée qu'ils ne devraient pas savoir. Ils devraient nous soumettre un plan et une facture de tant de millions, et donc l'estimation de référence devrait être une donnée cachée. Et donc, dans ce cas-là, le favoritisme... Est-ce que c'est par inadvertance ou par favoritisme que l'information a été transmise? Peu importe la raison, la conséquence est là quand même. On a donné une information privilégiée à quelqu'un qui ne devait pas l'avoir.

M. Picard: Autre sujet, est-ce que vous pensez qu'on...

Le Président (M. Simard, Richelieu): 20 secondes.

M. Picard: ...que le Québec devrait se doter d'un système de financement public pour... au niveau provincial et même, je dirais, au niveau municipal pour enlever de la pression sur peut-être certains élus?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, cette réponse est éminemment politique. Je vais me garder une petite gêne.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Écoutez, là, malheureusement, le temps est écoulé. Et j'invite maintenant le député de La Peltrie à poser la question suivante.

M. Caire: Merci, M. le Président. Je vais y aller avec des questions courtes, M. Duchesneau, étant donné le peu de temps qu'on a ensemble.

Un système comme celui-là, j'imagine que ça prend des années à mettre en... système de collusion, malversation, j'imagine que ça prend des années à mettre en place. Mais on parle de cinq ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans?

M. Duchesneau (Jacques): Moi, je pourrais vous dire que depuis 30 ans le crime organisé était en train de s'installer...

M. Caire: O.K., 30 ans.

M. Duchesneau (Jacques): ...et rendu très confortable.

M. Caire: À peu près une trentaine d'années. Est-ce qu'à votre avis il est possible qu'un système comme celui-là se mette en place sans que les autorités compétentes au ministère du Transport n'en aient connaissance?

M. Duchesneau (Jacques): Non.

M. Caire: Est-ce qu'à votre connaissance il y a des documents, des rapports qui ont été faits, de la part d'employés du ministère, envers les patrons du ministère, sous-ministres adjoints, sous-ministres, où on avise les autorités compétentes que cette situation-là est en train de prévaloir, est en train de se mettre en place?

M. Duchesneau (Jacques): Je sais qu'il y a eu un rapport, en 2006, des ingénieurs du ministère. Mais ce que je sais aussi, c'est qu'il y a eu beaucoup de communications verbales...

M. Caire: Qui dénoncent la situation?

M. Duchesneau (Jacques): ...qui faisaient état -- oui -- qui faisaient état de situations et où on demandait des correctifs. Et... Oui, on demandait des correctifs qui ne sont peut-être pas toujours venus. Moi, je pourrais vous dire que souvent nos employés du ministère sont seuls avec leurs problèmes. Il y a un...

M. Caire: Mais, si je comprends bien, M. Duchesneau, ce que vous me dites, là, c'est qu'au niveau des sous-ministres adjoints, des sous-ministres, notamment, et peut-être, potentiellement, des ministres, dans les 10, 15, 20, 30 dernières années, on ne pouvait pas ne pas être au courant que le crime organisé était en train de s'immiscer dans les travaux de construction du ministère, qu'il y avait de la collusion. Le portrait que vous nous avez fait, dans vos 18 mois d'enquête, là, on ne pouvait pas ne pas être au courant de ça.

M. Duchesneau (Jacques): Je pourrais vous dire que dans la dernière année et demie, qui est mon schème de référence, au contraire, les sous-ministres, sous-ministres adjoints, directeurs territoriaux ont collaboré avec nous pour empêcher ça. Mais, la petite histoire qui remonte dans le temps, je n'écrirais pas un livre là-dessus.

M. Caire: À votre avis, est-ce qu'il serait intéressant de questionner les gens qui étaient en autorité à cette époque-là pour savoir comment ça a pu se produire?

M. Duchesneau (Jacques): Mais on a questionné des gens, et ils nous ont raconté des histoires pas nécessairement belles.

M. Caire: Et, à votre avis, comment se fait-il... comment peut-on expliquer qu'aucun avertissement, que... En fait, votre rapport, là, c'est une bombe pour tout le monde, on apprend une situation, mais ce que je comprends de ce que vous me dites, c'est que vous nous l'apprenez, mais au ministère du Transport on savait ça depuis longtemps.

M. Duchesneau (Jacques): Oui, mais on a un mea culpa à faire aussi là-dessus.

M. Caire:«On» étant...

M. Duchesneau (Jacques): Nous, les autorités. Les premières fois que j'ai rencontré...

M. Caire: Les... Pouvez-vous être plus... quand vous parlez des autorités, parce que...

M. Duchesneau (Jacques): Bien, le ministère. Je pense qu'ils ont compris, après notre arrivée... Quand, moi, j'ai rencontré tous les sous-ministres et sous-ministres adjoints, et directeurs territoriaux, et que je leur ai parlé de l'implication du crime organisé dans les activités, il y en a qui m'ont regardé comme si j'arrivais d'une autre planète.

M. Caire: Mais je comprends qu'il y en a qui vous ont regardé puis qui savaient exactement de quoi vous parliez.

M. Duchesneau (Jacques): Bien, ça, je... Non, je ne peux pas commenter ça. Quand je regarde les gens, je peux juste vous dire qu'ils me regardaient avec des gros yeux...

M. Caire: Non, mais il y en a qui vous ont... Je veux dire, il y en a qui vous ont donné de l'information, donc, qui savaient que ça se passait.

M. Duchesneau (Jacques): Oui, mais ce n'est pas habituellement à ce niveau-là. C'était à des niveaux plus bas, des gens qui ont le nez collé sur le problème, qui disent: Ça n'a pas de bon sens que ce contrat-là passe. On a eu un cas, on avait une réclamation de 4 millions, et l'employé savait que ce n'était pas correct. Ça lui a pris deux ans pour faire valoir son point...

M. Caire: M. Duchesneau, juste pour que je comprenne, parce que...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Votre temps est terminé, malheureusement.

M. Caire: Je comprendrai ça une autre fois.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Donc, je me tourne maintenant vers la partie ministérielle. Et c'est au député de Portneuf à poser la première question.

**(17 h 50)**

M. Matte: Merci, M. le Président. Merci de votre participation, M. Duchesneau. Comme parlementaires mais comme membres de la Commission de l'administration publique, bon, on a amorcé un certain travail, jusqu'à présent, pour s'assurer qu'au ministère des Transports il y avait une gestion qui respectait la réglementation mais aussi les saines pratiques. Nous avons rencontré le Vérificateur général. Nous avons aussi rencontré les sous-ministres pour qu'ils puissent répondre à nos interrogations. Puis aussi, avant votre mandat, nous... le gouvernement a mis certaines mesures, que ce soit la loi n° 73 contre la criminalité, contre... la loi sur... anticorruption, le financement des partis, puis aussi l'unité, là... l'escouade, là, Marteau et l'unité...

J'aimerais savoir, là, puis je suis curieux de connaître votre réponse: Est-ce que ces différentes mesures qui ont été appliquées, qui ont été mises de l'avant... ça a-tu changé de quoi? Ça a-tu apporté... Et ça a-tu porté fruit, là, tu sais, suite à votre mandat puis au cours de vos 18 derniers mois?

M. Duchesneau (Jacques): Ce qui circule actuellement dans le monde de la construction, chez les entrepreneurs et les firmes de génie, c'est: Tout le monde, retenez votre souffle. Leur... Ils ont pris une gageure qu'on n'aurait peut-être pas assez d'haleine longtemps. Ça fait que, là, comme je disais tantôt, ils se gardent une petite gêne. Les contrats sortent à un plus bas niveau, presque historique, 17,2 % de l'estimation de référence. Donc, tout le monde garde son souffle. Il faut juste s'assurer que, nous, on garde le nôtre et qu'on continue à amener des mesures, alors des mesures, je pense, qui, lorsque mises ensemble, apportent un résultat. La preuve, on l'a devant nous.

M. Matte: O.K. Mais, quand vous dites: Les gens, que ça soit des firmes d'ingénieurs ou que ça soit des contracteurs, ils gardent leur souffle, mais ils gardent leur souffle, puis on ne sait pas pour combien de temps.

M. Duchesneau (Jacques): Non. En fait, ça va être déterminé avec le souffle que, nous, on a.

M. Matte: O.K. Et c'est ce que vous... l'espoir que vous essayez de dégager, de dire: Bon, ça appartient à tout le monde, il va falloir que tout le monde, qu'on puisse travailler dans un même sens, que ça soit...

J'ai une autre question, M. Duchesneau. À votre émission de télévision, dimanche au soir, O.K., vous avez avancé, et je vous cite: «En 18 mois, on a permis de sauver 347 millions au gouvernement du Québec.» Pour le commun... puis les gens qui nous écoutent, vous n'avez pas dit comment vous avez fait pour pouvoir établir ce montant d'argent là. J'aimerais ça que vous puissiez profiter de l'occasion pour dire comment vous avez fait pour en arriver à établir que c'est environ 347 millions que vous avez sauvé au gouvernement du Québec.

M. Duchesneau (Jacques): À chaque année, le ministère des Transports prépare une programmation pour son année. On se dit combien de travaux on va faire ou de projets qu'on aura durant l'année, et là il y a un prix attaché à tout ça: 4,2 milliards l'an passé, 3,9 milliards -- si je me trompe... je vous donne ça de mémoire -- cette année. Ça, c'est notre estimation de référence. Habituellement, les soumissions qui nous étaient offertes étaient moins 1 % ou moins 2 %. Cette année, moins 17 %.

Et, quand je vous parle de l'effet Marteau, je suis sûr que l'arrivée des policiers de l'opération Marteau a fait peur à beaucoup de monde. Le ministère des Transports a pris des mesures coriaces pour s'attaquer au problème, et l'arrivée de l'Unité anticollusion, qui allait tout simplement poser des questions... je pense qu'on crée un certain inconfort chez les gens, quand ils nous voient arriver, et dans ce sens-là ça a eu cet effet de dissuasion qu'on cherchait.

M. Matte: O.K. Et, quand vous êtes arrivés, vous ne l'avez pas établi par région, mais c'est sur l'ensemble des 14 territoires du ministère, là, tu sais...

M. Duchesneau (Jacques): Oui. On allait de Gaspésie en Abitibi, et partout, encore là, avec la complicité des directeurs territoriaux, qui nous mettaient sur des pistes et qu'on allait vérifier. Des fois, c'était bon, des fois, pas bon, mais à tout le moins on leur donnait une confiance dans le processus avec lequel ils opéraient.

M. Matte: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, M. le député de Vaudreuil, pour la suite.

M. Marcoux: Oui. Merci, M. le Président. Donc, poursuivant un peu dans la même ligne que celle de mon prédécesseur de Portneuf, il y a une initiative, je pense, qui a été prise par le ministère des Transports, et c'est de créer des comités de vérification dans les directions territoriales. Vous l'avez évoqué tout à l'heure. Est-ce que, pour vous, c'est une mesure positive et c'est une mesure qui va contribuer, justement, à pouvoir faire prévaloir, là, davantage de rigueur sur le plan à la fois de l'attribution des contrats et également du suivi des contrats?

M. Duchesneau (Jacques): Sans aucun doute. Et le vérificateur interne est seul dans son territoire, dans sa région. Et je peux vous dire, pour les avoir rencontrés, qu'ils sont coriaces, tiennent leur bout. C'est un changement de culture, en même temps, qui était énorme, où le directeur territorial avait droit de vie ou de mort à tout le monde. Maintenant, on a un vérificateur qui pose des questions qui dérangent, et je pense que c'est... Ce n'est pas leur objectif dans la vie, je pense que tout le monde veut être aimé, mais eux, leur rôle, c'est de poser des questions et c'est... je pense que ça a déjà porté fruit. Donc, c'est une mesure préventive importante.

M. Marcoux: Et est-ce que, selon vous, ces vérificateurs internes ont le support de la direction du ministère? Parce que ça, je pense que c'est important aussi que dans leur rôle, qui n'est pas facile, vous le mentionnez, qu'ils puissent être supportés par la direction du ministère.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Souvent, ils se sont sentis seuls, et c'est là qu'on est intervenus. La culture a changé depuis l'année et demie où on était là. Je pense que ça fonctionne beaucoup mieux. Selon les rapports qu'on reçoit, ça fonctionne beaucoup mieux. Mais, si j'avais à miser, j'entretiendrais la bonne relation qu'on doit avoir avec les vérificateurs internes parce que ce sont nos yeux et nos oreilles dans chacune des régions. Et ils sont seuls. Je ne pense pas qu'ils soient invités à tous les partys du bureau, parce qu'ils posent des questions qui sont, des fois, dérangeantes.

M. Marcoux: Et est-ce qu'ils... Si vous permettez, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, absolument.

M. Marcoux: Mais, en termes d'organisation, est-ce qu'ils ont quand même un patron au central? C'est-à-dire, en d'autres termes, je comprends qu'ils sont seuls dans les directions territoriales, mais ils ont quand même quelqu'un au niveau supérieur à qui ils se rapportent et donc ils peuvent maintenir un lien d'indépendance aussi avec les opérations mêmes du ministère.

M. Duchesneau (Jacques): Ah oui, oui! Non, ils sont indépendants, un peu comme le Vérificateur général. Les vérificateurs généraux, eux, sont regroupés mais vont dans chacun des ministères. Tous les vérificateurs généraux que j'ai connus, c'est bien sûr que ce n'est habituellement pas le genre de personne que tu invites à un party de famille, mais...

M. Marcoux: Ça peut dépendre.

M. Duchesneau (Jacques): ...moi, je peux vous dire que ceux que j'ai vus au ministère, ils venaient d'arriver, très motivés, veulent changer des choses, et, pour un, je peux vous dire qu'ils avaient l'appui du sous-ministre. Et la responsable de tous les vérificateurs internes du ministère est aussi, je pense, un appui de taille.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, nous sommes rendus à la fin de ce bloc. Nous pourrons reprendre.

Nous allons reprendre à 7 h 30 précises, que vous voyez là ou pas. Mais, M. Duchesneau, soyez là. Soyez tous ici. À 7 h 30, nous repartons. Nous aurons 17 minutes à rattraper à la fin de nos débats.

(Suspension de la séance à 17 h 58)

 

(Reprise à 19 h 30)

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...quorum et nous allons reprendre nos travaux. Juste prévenir les gens de la prise de son. Nous sommes maintenant... La commission a repris ses travaux. Le dernier bloc, qui était un petit peu plus court, celui du parti ministériel... mais ça se rattrapera dans les prochains blocs.

Nous en sommes maintenant à l'opposition officielle. Et c'est le député de Gouin qui va entreprendre ce bloc pour la suite de nos travaux.

M. Girard: Alors, merci. Merci, M. le Président. Donc, M. Duchesneau, en 2003, le courageux fonctionnaire François Beaudry, du ministère des Transports, a transmis un dossier à la Sûreté du Québec concernant une série d'appels d'offres truqués à Laval. C'est là qu'on a appris l'existence du «Fabulous 14».

Vous conviendrez avec moi que c'est une grosse sonnette d'alarme, ce que M. Beaudry a découvert. Comment ça se fait que les choses ont perduré, au ministère des Transports, si longtemps par la suite?

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, j'ai pris connaissance du rapport de M. Beaudry. Maintenant, entre 2003 et 2010, au moment où je suis arrivé, qu'est-ce qui s'est fait? Je n'ai vraiment pas de réponse là-dessus; je suis d'accord avec vous que le rapport était alarmant.

M. Girard: Vous dites que...

M. Duchesneau (Jacques): Mais quelle raison, comment je pourrais l'expliquer...

M. Girard: Oui.

M. Duchesneau (Jacques): ...en fonction de l'expertise qu'on a développée au cours de l'année et demie, je ne peux pas vous dire. Je ne peux vraiment pas vous dire, ça n'a pas été la période de temps qu'on a examinée.

M. Girard: Mais le système, donc, il existait avant le rapport que vous avez déposé. Il y avait donc un fonctionnaire du ministère qui a transmis un dossier à la Sûreté du Québec. Pourquoi il ne s'est rien passé pendant toute cette période-là? On peut se poser la question. C'est quand même une période de près de... donc depuis huit ans, là, donc c'est quand même une période importante. Comment ça se fait qu'il ne s'est rien passé? Ça reste un mystère pour nous. Est-ce que vous avez pu, à travers la lecture de ce rapport-là, comprendre pourquoi est-ce qu'il y a des gens qui ont levé les yeux?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, vous avez raison, il faut se poser la question. Il y a quand même une période de sept ans. Je ne peux pas vous apporter d'élément de réponse, mais je trouve, moi aussi, incongru qu'on ait eu cette information-là et que, sept ans plus tard, on soit obligés de former une unité anticollusion pour régler un problème qui existait déjà en 2003. Mais notre mandat ne visait pas à refaire cette enquête-là, parce qu'encore là on n'avait pas les pouvoirs pour le faire. Mais le rapport de 2003 démontre... démontrait un peu ce qu'on vient de dire. À l'intérieur du ministère, oui, il peut y avoir des gens qui font peut-être des choses qu'ils ne devraient pas faire, c'est clair, et que le système est peut-être vicié dans ce sens-là.

M. Girard: Est-ce que le «Fabulous 14» existe encore?

M. Duchesneau (Jacques): Le «Fabulous 14» comme on le voit, lui aussi a muté. Je pense qu'ils sont un peu plus sophistiqués qu'ils l'étaient à l'époque, leurs méthodes ont changé. Est-ce que c'est 14, 15, 12? Encore là, le but de notre regard sur ce qui se faisait n'était pas là, mais tout le monde nous rapporte qu'il y a encore un petit groupe restreint. Et c'est ce que je disais dans ma déclaration d'ouverture: Il y a peu de personnes qui profitent beaucoup du système.

M. Girard: Ça a bougé comment, M. Duchesneau, le «Fabulous 14»?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, je pense qu'ils ont évolué; je le disais aussi, tantôt, dans une de mes réponses. Il y en a aussi qui se sont déplacés vers le 450, les Basses-Laurentides, etc. Mais que le nombre soit 12, 14 ou 15, ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a un petit groupe de personnes qui profitent largement des contrats du ministère.

M. Girard: D'entrepreneurs en construction, surtout dans la grande région métropolitaine.

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Girard: C'est votre constat.

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Girard: Autre élément. Vous savez qu'en 2009 le Vérificateur général a découvert qu'en 2004 le ministère des Transports avait documenté un cas de collusion dans les contrats de déneigement sans jamais porter plainte à la Sûreté du Québec. Est-ce que vous avez lu ce document ou est-ce que vous avez demandé à le voir?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, on a lu ce document, on l'a vu, et notre constat là-dedans, c'est que, finalement, ce qu'on a perçu lorsqu'on est arrivés, c'est qu'il y avait un choc des cultures, une culture qui veut faire les travaux et s'occuper que les routes soient bien entretenues, etc., et une culture où, nous, on arrivait en disant: Posez-vous des questions sur les gens avec qui vous travaillez. De ce choc des cultures, je pense, est venue une nouvelle façon de regarder les choses. Si vous me posez la question aujourd'hui, je pense qu'on a éveillé des consciences à l'intérieur du ministère.

M. Girard: Vous trouvez normal qu'à partir du moment où il y a un rapport qui existait, en 2004, dont le Vérificateur général nous a permis d'apprendre l'existence, que ce rapport-là n'a jamais été transmis à la SQ. Est-ce que c'est normal?

M. Duchesneau (Jacques): Non.

M. Girard: Et, vous, qui êtes un policier de carrière, si vous aviez eu connaissance, à cette époque, d'un rapport comme celui-là, vous l'auriez transmis immédiatement à la SQ?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, et j'aurais fait un suivi.

M. Girard: C'est que, là, on se retrouve avec deux cas, là: un, en 2003, où il y a un fonctionnaire qui a transmis un dossier à la Sûreté du Québec concernant une série d'appels d'offres truqués; et on a, en 2004, un cas de collusion qui est documenté aussi; et, dans les deux cas, il ne s'est rien fait.

Alors, le système existait, et, pendant toute cette période-là, on a laissé aller les choses. Comment vous expliquez ça? Est-ce qu'il y a des gens qui ont fermé les yeux, qui étaient au courant de l'existence de collusion et qui ont laissé aller les choses? Comment vous expliquez qu'on ait pu, sur une aussi longue période, laisser aller les choses?

M. Duchesneau (Jacques): Dans votre question, je pense qu'il y a deux éléments qui ressortent: d'abord, un valeureux fonctionnaire. Ça, on en a vu aussi, il y en a encore, au ministère, beaucoup, des gens qui veulent changer les choses. Souvent, ce qu'on a remarqué, c'est qu'ils n'ont pas de personne à qui parler de ces choses-là. Donc, situation de 2003, on peut la retrouver en 2010, en 2011. Ce qu'il y a de nouveau, c'est que je pense qu'on commence à sensibiliser les gens à une réalité qu'ils ne connaissaient sûrement pas. Après 2004, vraiment, moi aussi, j'ai un gros point d'interrogation: Comment se fait-il, comment se fait-il qu'on n'a pas agi? Je n'ai pas de réponse, mais beaucoup d'interrogations.

M. Girard: Vous voulez dire qu'il y a des fonctionnaires qui, auparavant, étaient au courant de cas de collusion, n'avaient personne... ou d'appels d'offres truqués, n'avaient personne chez qui se tourner à l'intérieur du ministère des Transports -- c'est ce que vous nous dites -- avant l'arrivée de l'Unité anticollusion?

M. Duchesneau (Jacques): Je ne prendrais pas toute la gloriole de tout ça, là. Il y avait des gens à l'intérieur qui ont écouté M. Beaudry, qui ont tenté de faire des choses, mais, je vous dis, ça ne faisait pas partie de la culture. Ce que je peux dire, c'est qu'en 2010-2011 ce qu'on a vu, c'est qu'il y a un changement de culture. Est-ce que c'est parfait? Absolument pas. C'est pour ça qu'on a 45 pistes de réflexion à l'intérieur de notre rapport. Des choses doivent être changées. Et notamment je pense que ça, c'est un signal d'alerte énorme qui aurait dû amener une action qui n'est pas venue.

M. Girard: Je veux aborder aussi un autre élément, M. le Président, la question des extras. Votre rapport est clair, il y a des entreprises qui soumissionnent à bas prix, en sachant à l'avance qu'elles auront accès à des extras facturés en surplus. On a cité plusieurs cas, à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, 20 %, 30 %, 60 %.

On nous a expliqué qu'il n'y avait pas de problème. Pouvez-vous nous réexpliquer, pour le bénéfice du public et des gens qui nous écoutent ce soir, comment ça fonctionne, le système d'extras, au MTQ?

M. Duchesneau (Jacques): Certains entrepreneurs appellent ça de l'intégration verticale, c'est-à-dire qu'ils ont beaucoup de ressources à l'intérieur de leurs organisations et ce qu'ils doivent faire, c'est prendre tous les moyens pour aller chercher les contrats. Une fois qu'ils ont les contrats... Et, pour ce faire, ils vont couper les prix vraiment, là, au strict minimum. Donc, le principe du plus bas soumissionnaire devrait, là aussi, nous envoyer un signal d'alarme, c'est-à-dire que, quand des gens soumissionnent à des prix qui, en principe, devraient être inférieurs à leurs coûts, à leur coûtant, on devrait se poser des questions. Ça, c'est un signal d'alarme -- parce qu'on sait que, s'ils ne défraient pas l'ensemble de leurs coûts, à ce moment-là on va avoir des surprises, et c'est ce qu'on voit.

C'est que, donc, on va chercher le contrat en étant le plus bas soumissionnaire, et par la suite il y a des gens qui ont comme mission, à l'intérieur de leurs compagnies, de chercher des extras. C'est ce qu'on a vu sur les chantiers. Quand on a fait des visites de chantiers, c'est là que ça se passe, c'est là qu'on commence à aviser le ministère qu'on aura besoin d'avenants, qu'il y aura des dépassements de coûts, etc. Et après ça, si on ne n'est pas entendus, il y aura des réclamations. Tout ça fait partie d'une façon de faire qui est questionnable.

M. Girard: Mais...

**(19 h 40)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): Voilà, je suis obligé... le bloc est terminé pour l'instant. Et je me tourne donc vers la partie ministérielle pour la suite. M. le député de Vaudreuil.

M. Marcoux: Alors, merci, M. le Président. Je pense que... enfin, tous que nous en sommes, nous souhaitons que les extras ou les avenants, il y en ait le moins possible. Par ailleurs, en termes de politique publique, le principe du plus bas soumissionnaire a été instauré avec l'objectif de favoriser la concurrence et de donner des chances égales à tous les entrepreneurs ou en fait aux firmes qui avaient les capacités d'exécuter un contrat.

Comment, selon vous, pourrait-on faire les changements qui permettraient justement, comme vous dites... Peut-être que le principe du plus bas soumissionnaire, il faudrait le nuancer; ce n'est pas facile, ça... mais pour éviter qu'il y ait autant d'extras et d'avenants?

M. Duchesneau (Jacques): Je dis toujours, en matière de sécurité, notamment: Quand on est prévisibles, on devient vulnérables. Ici, parce qu'on est prévisibles, parce qu'on sait que c'est le plus bas soumissionnaire qui va l'avoir, ça ne nous assure pas qu'on aura le meilleur prix. Pourquoi? Comme je l'expliquais tantôt, entre le moment où l'appel d'offres est publié et le moment où on met le contrat... où on octroie le contrat, il y a des gens qui se font intimider, menacer ou promettre des choses qui va leur permettre d'empocher un 100 000 $, en autant qu'ils ne mettent pas leur nom dans ce système de soumissions. Donc, ça, c'est un système qui ne peut pas tenir la route.

Je me rappelle d'avoir entendu M. Chevrette, l'ancien ministre aux Transports, qui préconisait -- je pense que c'était une bonne idée -- peut-être un tirage au sort ou un moyen de ne pas promettre à quelqu'un qui sera le plus bas soumissionnaire qu'il aura le contrat. Ça demande à être raffiné. Je n'ai pas... Je n'ai pas... Écoutez, je vais vous donner un exemple. Dites-moi pourquoi, dans un contrat qu'on voulait donner récemment, que 16 soumissionnaires nous proposent des prix qui sont à peu près identiques. Ça ne peut pas être le fruit du hasard, il faut que les gens se parlent.

Alors, ce que je vous dis, c'est qu'on se fait avoir, et je pense que... Encore là, on ne peut pas, nous, apporter toutes les solutions, on n'est pas des experts, mais, à tout le moins, ce que je peux vous dire, un peu dans le sens de la question de M. Girard tantôt, je peux vous donner un signal d'alarme. Il faut regarder ça de plus près, parce que les gens ont compris depuis longtemps comment fonctionnait le système, et on n'en a pas pour notre argent.

M. Marcoux: M. le Président?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, tout à fait.

M. Marcoux: M. Duchesneau, vous avez évoqué cet après-midi, je pense, vous avez fait référence au processus de préparation des plans et devis et des appels d'offres. Dans votre... en disant souvent: C'est la même firme qui fait la conception, qui fait les plans et devis et puis qui surveille l'exécution du contrat.

Est-ce que, pour vous, ça devrait être fait autrement? Et, quand vous parlez de mandats en cascade dans votre rapport, pourriez-vous nous l'expliquer davantage et nous indiquer ce que vous recommandez? Parce que c'est une dans vos pistes de réflexion.

M. Duchesneau (Jacques): On pense fortement que c'est un problème de faire vérifier les travaux qui ont ou les... quand les plans et devis ont été préparés par une firme, qu'on ait la même firme qui fasse la surveillance des travaux, c'est se surveiller soi-même. Je pense que ça serait un peu difficile pour que les gens viennent nous dire: On a eu une erreur de conception.

Il y a de petites firmes qui pourraient se spécialiser dans la surveillance des travaux et faire un bon travail. On a parlé à des ingénieurs qui ont été eux-mêmes responsables de chantiers et c'est une partie de bras de fer, la gestion d'un chantier, comme je le disais tantôt, parce que des entrepreneurs vont tenter, à peu près à toutes les réunions de chantier, de faire augmenter le coût en prétextant une découverte de plus de roc, ou on a besoin d'un mur de soutènement supplémentaire, donc il y a une partie qui se joue là et il faut que le surveillant des travaux soit vraiment alerte et ne fasse qu'une chose: représenter les intérêts du ministère des Transports.

Est-ce que la surveillance des travaux... Par exemple, on a décrié le fait qu'il manquait d'ingénieurs au ministère des Transports. Est-ce que la surveillance pourrait être faite par des gens du ministère? Bien oui, peut-être que ça aussi, c'est une solution pour être sûrs qu'on aura ce pour quoi on paie et qu'on paiera le meilleur prix.

En cascade, c'est que quelqu'un va avoir un contrat et il y a d'autres contrats qui vont venir se rajouter par la suite. Donc, pour quelqu'un malintentionné, son objectif, même s'il perd de l'argent sur le premier contrat, il est sûr d'avoir le deuxième, troisième ou quatrième contrat qui va être rattaché à ce premier contrat. Je ne sais pas si je me fais clair, mais...

M. Gautrin: Tout à fait.

M. Marcoux: Oui.

M. Duchesneau (Jacques): Oui? O.K.

M. Gautrin: Tout à fait.

M. Duchesneau (Jacques): Alors donc, c'est... il se donne un avantage concurrentiel que les autres n'ont pas. Donc, même si je perds un million sur le premier contrat, soyez assurés qu'à la fin du quatrième contrat il n'aura pas perdu beaucoup d'argent.

M. Marcoux: Donc, assurer la surveillance d'un chantier ou d'un contrat par une firme autre que celle qui a fait la conception, les plans et devis, etc., c'est ce que vous recommandez. Et, deuxièmement, évidemment d'éliminer ce que vous êtes... ce que vous appelez, là, les mandats en cascade.

M. Duchesneau (Jacques): Mandats en cascade. Et, dans la surveillance des travaux, encore là je crois fermement que de plus petites firmes d'ingénierie amèneraient sûrement un avantage concurrentiel pour le ministère.

M. Marcoux: Merci. Guy.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui. M. le député de Chomedey pour la suite. Il vous reste quatre minutes... 3 min 30 s.

M. Ouellette: On va commencer puis on ira peut-être dans l'autre bloc si on n'a pas terminé. Je vais aller dans vos pistes de réflexion, M. Duchesneau, la piste de réflexion 34, à la page 59. Parce que vous avez mentionné que Marteau était... enquêtait sur des crimes, était... enquêtait sur le passé et que l'Unité anticollusion devait être en amont. Je comprends que, depuis le 6 septembre, bien, il n'y a plus de... il n'y a plus d'amont, là, au MTQ, là.

M. Duchesneau (Jacques): Non.

M. Ouellette: Bon. Vous avez indiqué la piste de réflexion 34, puis, pour le besoin des gens qui nous écoutent, qui n'auraient pas eu accès au rapport, qui se lit comme suit, là: «Renforcer le Service des enquêtes du ministère, lui confier un mandat élargi et le doter de pouvoirs accrus afin de poursuivre, sur sa lancée, le travail de dépistage [des] stratagèmes collusoires amorcé par l'Unité anticollusion.»

Je veux vous entendre là-dessus, parce que j'ai peut-être une piste de solution à vous proposer là-dedans, là. Vous vouliez dire quoi? Et, justement pour assurer en amont de ce que vous avez indiqué dans votre rapport, vous proposez quoi, là, parce que, là, vous n'êtes plus là depuis le 6 septembre?

M. Duchesneau (Jacques): Ce qu'on disait dans la piste de réflexion 34, c'est qu'un ministère qui investit 4 milliards plus ou moins par année pour des travaux doit se doter d'une police d'assurance. Et c'est un peu ce que l'UAC est devenue avec le temps. Vous vous rappelez, vous l'avez mentionné que c'est le Vérificateur général qui, en 2009, disait que le ministère devait raffiner justement ses moyens pour contrôler, là, tous ses travaux. Alors, l'UAC a servi de police d'assurance dans la dernière année et demie, et ça a porté fruit. Et ce qu'on dit là-dedans, c'est que je pense que ça doit se poursuivre, nonobstant la mutation de l'UAC vers l'UPAC; je pense qu'il y aura toujours un besoin, à l'intérieur du ministère, d'être cette police d'assurance.

M. Ouellette: Seriez-vous d'accord -- présentement, l'Unité anticollusion, on parle d'une dizaine de personnes, là, dépendant à qui l'on parle -- seriez-vous d'accord de prendre une partie des effectifs, la laisser à l'UPAC et garder le coeur des effectifs de l'Unité anticollusion? Vous voyez ça comment: que ça pourrait être jumelé ou ça pourrait rester au MTQ?

Parce que là, présentement, on n'a pas de couverture, au MTQ, pour continuer le travail en amont qui a été fait. Est-ce que ça pourrait être une des solutions qui pourraient être regardées ou étudiées de scinder? Parce que je regarde la composition de l'UPAC présentement, il y a des... on est allés chercher des enquêteurs de la CCQ, on est allés chercher des enquêteurs du Revenu, on est allés chercher... pas des enquêteurs, des vérificateurs de la CCQ et du Revenu, du MAMROT, de la RBQ. Pourrait-on faire la même chose avec le MTQ et garder l'Unité anticollusion au niveau du MTQ, ou faire un amalgame, ou séparer ça en deux?

**(19 h 50)**

M. Duchesneau (Jacques): Non, je pense qu'il y a un besoin effectivement de garder certains effectifs. Est-ce qu'on a besoin de garder le même groupe qu'on a actuellement au MTQ? Je ne pense pas, je pense qu'on peut réduire les effectifs. Et, comme je le disais dans ma présentation, on a une lancée et je pense qu'il faut continuer sur cette lancée.

Mais naturellement, à l'intérieur de l'UPAC, peut-être les meilleurs alliés des gens de l'Unité anticollusion à l'UPAC pourraient être ceux qui sont restés au MTQ pour aller chercher cette information, qui pourrait nous permettre d'avoir de meilleurs résultats.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Vous pouvez compléter.

M. Ouellette: Je peux compléter? Je vais compléter avec votre piste de solution n° 21. Vous dites: «Mettre sur pied une équipe spécifiquement affectée à l'étude des bordereaux soumis par les entrepreneurs et soutenue par l'implantation complète d'un support informatique, afin d'identifier rapidement d'éventuels motifs de non-conformité.»

Est-ce que ce mandat-là, dans votre piste de réflexion, pourrait être fait en... conjection avec 34? C'est-à-dire, ça pourrait être dans le mandat élargi des enquêteurs du ministère des Transports, ou vous suggérez une autre équipe complètement différente?

M. Duchesneau (Jacques): Une équipe complètement différente. C'est vraiment une équipe de spécialistes à l'intérieur du ministère. On en avait avant, on a perdu justement ces estimateurs. Et ça, c'est une piste où on a demandé justement aux autorités de ramener ces gens qui seraient capables de nous donner un coût de revient par unité: combien coûte un kilomètre d'autoroute, combien coûte tant de bouts de tuyaux. Parce que, là, cette information-là, elle varie d'un endroit à l'autre. Donc, on a besoin de cette banque de données ou de... certains appellent, même, quand c'est plus gros, un entrepôt de données pour que les gens qui évaluent les soumissions qui nous sont présentées puissent avoir des moyens de référence, de dire: Non, les prix n'ont vraiment aucun bon sens dans la soumission qui vient de nous être faite. Ça n'existe plus, c'est une expertise qu'on a perdue à l'intérieur du ministère.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Voilà, ce bloc est maintenant terminé. Je me tourne vers l'opposition, et c'est le député de Gouin qui posera la prochaine question.

M. Girard: Merci, M. le Président. Alors, j'aimerais revenir, M. Duchesneau, sur la question des extras. Vous avez réexpliqué ce qu'il y a dans votre rapport sur le système des extras. Nous avons soumis des cas précis d'extras de 20 %, 30 %, 40 %, 50 %, 60 %.

Lorsqu'on soumet ces cas-là, on nous dit que le ministère des Transports ne paient pas d'extras non justifiés à des entrepreneurs. Est-ce que vous partagez cette analyse-là ou vous vous inscrivez en faux, selon ce que vous avez écrit dans votre rapport?

M. Duchesneau (Jacques): Entre notre arrivée, disons, mars, avril 2010 et au moment où on se parle, je pense qu'il y a eu un resserrement important là-dessus. Maintenant, tous les extras ne sont pas nécessairement frauduleux. Il peut arriver, pour une raison -- en creusant -- qu'on s'aperçoive qu'il y a d'autre chose. Tout ce qu'on dit là-dessus, c'est: Posons les bonnes questions, assurons-nous que notre surveillant des travaux va bien faire les choses. On a vu des cas où on nous avait mentionné... je pense qu'on donne l'exemple, dans le rapport, où on avait tant de chargements de terre contaminée à sortir, ça fait que, finalement, il n'y en avait pas tant que ça. Mais, ça, on paie pour ça, alors que le travail n'a pas été exécuté. Ça, c'est un problème.

M. Girard: Avez-vous quelques exemples de cas d'extras que vous avez... que votre unité a découverts, sans citer de noms? Mais avez-vous des cas que vous avez découverts, que vous pourriez expliquer, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent ce soir?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Je vais vous donner un exemple; sans rentrer dans le détail, vous allez bien comprendre. Je vous ai parlé plus tôt des bordereaux qui a été notre pièce maîtresse pour vraiment comprendre comment les contrats étaient octroyés. En tout cas, on s'est posé de sérieuses questions quand, dans l'appel d'offres, on parlait d'enlever -- je donne des chiffres hypothétiques -- 10 arbres et que là, dans le bordereau, on disait qu'enlever un arbre coûtait 1 000 $ et que finalement, quand on se rend sur les lieux, ce n'est plus 10 arbres qu'on doit enlever mais 300. Il me semble: ou on prend une photo, ou on va compter le nombre d'arbres. Ce sont des choses comme ça qui suscitent des interrogations. Après, on peut nous donner une explication, mais, à tout le moins, on reste un peu perplexes quant aux réponses qui nous sont données.

Autre exemple, un ingénieur, en principe, devrait être capable de nous dire qu'un pilier ou une poutre de 50 pieds de long, trois pieds de large et trois pieds de haut devrait prendre tant de ciment pour pouvoir fabriquer cette poutre. Quand on se trompe de façon grossière, bien, on se pose des questions justement sur la façon dont les calculs sont faits. Et c'est pour ça qu'on dit: Il faudrait que les firmes de génie-conseil soient imputables d'erreurs aussi grossières que des simples calculs comme ceux-là.

M. Girard: Donc, vous en avez découvert beaucoup, des cas d'extras, dans le cadre de... c'est pour ça que vous l'avez indiqué dans votre rapport?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. St-Arnaud: Oui. Peut-être dans la foulée...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui. M. le député de Chambly, à vous la parole.

M. St-Arnaud: Oui. Merci, M. le Président. Brièvement, dans la foulée des questions de mon collègue de Gouin, M. Duchesneau, vous avez évoqué, à la page 51 de votre rapport, un stratagème, en fait vous l'appelez un truc, là, qui fait en sorte que des entrepreneurs qui obtiennent des extras du ministère des Transports sur certains contrats... qui faisait en sorte que des entrepreneurs qui obtiennent des extras du ministère des Transports sur certains contrats et qu'une des... une partie de cette somme obtenue via les extras soit retournée en financement politique.

Certaines personnes qui ont commenté votre rapport ont dit que c'était impossible, notamment parce que les extras sont autorisés par le palier administratif, par l'échelon administratif, bureau de sous-ministres en descendant. Qu'est-ce que vous avez à dire à ceux qui disent, donc, que cet élément que vous mentionnez à la page 51, là, extras retournés en financement politique, est impossible?

M. Duchesneau (Jacques): Je pourrais juste répondre que, selon des gens qu'on a rencontrés, c'était dans le domaine du possible et qu'effectivement, pour que l'argent circule, il y a des stratagèmes, celui-ci en étant un qui permet justement de ramener de l'argent dans la courroie du financement.

M. St-Arnaud: Dans votre rapport, vous faites référence à un cas. Est-ce que c'est... Est-ce qu'il y a eu... Est-ce qu'il y a d'autres cas que celui qui est soulevé à la page 51 de votre rapport, qui a été porté à votre attention?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, il y a eu plus... il y a plus d'un cas. Habituellement, quand on avait un cas, on n'en parlait pas. Quand on apprenait un cas comme celui-là, ça devenait une nouvelle question qu'on posait aux gens qu'on rencontrait par la suite. À peu près tout le monde a sa petite histoire à nous raconter là-dessus. Ce qu'on dit, bien, c'est: Regardez ça de façon importante. Je n'ai pas la même numérotation que vous, là. C'est à la page 60. C'est ce que je cherchais. C'est ça.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. Duchesneau... Oui?

M. Duchesneau (Jacques): Ce qu'on... Excusez-moi.

M. St-Arnaud: Oui. Vous voulez compléter, M. Duchesneau?

M. Duchesneau (Jacques): Ça, encore là, beaucoup au niveau municipal, où on est vraiment le nez collé sur l'arbre. Nos informateurs, nos collaborateurs, c'est à ce niveau-là qu'on... On a un cas tellement précis dont je ne peux pas parler, mais c'était comme affreux comme constat qu'on a fait, là, dans ce dossier-là.

M. St-Arnaud: Est-ce que... Est-ce que... Permettez-moi, juste... Est-ce qu'il y a une région... Est-ce qu'il y a une région particulière, M. Duchesneau, par rapport à ça?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, comme je vous parlais des Basses-Laurentides, plus on s'en va vers l'extérieur, puis tout ça, plus on va vers des municipalités qui n'ont pas de service d'ingénierie, puis tout ça, puis qui se font desservir par des gens qui offrent notamment des services complets.

M. St-Arnaud: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): À plusieurs occasions, M. Duchesneau, depuis votre arrivée ici, vous avez parlé d'argent liquide qui circulait sur les chantiers, de beaucoup d'argent. Pouvez-vous bien m'expliquer comment de l'argent liquide peut circuler sur un chantier? Les contracteurs facturent au gouvernement, et ce n'est pas du liquide. Enfin, expliquez-nous, là, pour le commun des mortels, comment il y a du liquide sur les chantiers.

M. Duchesneau (Jacques): D'abord, un bon moyen de blanchir l'argent, on a vu que ce stratagème-là est intimement lié à la fausse facturation. Alors, ce qui... Beaucoup d'employés aussi, pour être sur des chantiers, exigent d'être payés en argent. Donc, il y a de l'évitement fiscal, énormément. Et ce qu'on a, c'est que, le vendredi après-midi, des gens qui font la tournée des chantiers, en plus du chèque normalement émis par la compagnie, on va aussi payer les heures supplémentaires ou... encore là, je ne peux pas utiliser le terme «extras», mais vous comprendrez que c'est des... des extras pour... donc, payer des gens au noir. Et ça fait l'affaire. Ça fait partie du concept de blanchiment d'argent.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Ça répond à ma question. Je me retourne maintenant du côté ministériel où c'est le député de Verdun qui va poser la prochaine question.

**(20 heures)**

M. Gautrin: Je vous remercie. Je vais essayer, M. Duchesneau, de rentrer avec vous et d'explorer des pistes dans lesquelles vous pourriez nous aider.

Je vais vous expliquer: cette commission qu'est la Commission de l'administration publique a le mandat de vérifier tous les engagements financiers. J'ai personnellement pris les engagements financiers du ministère des Transports, il y en avait 4 000 ou 6 000 après... pour un seul mois, et j'ai essayé de faire un travail de moine de faire des espèces d'intersections, etc., et démontrer -- et les collègues peuvent en témoigner ici -- un certain nombre d'anomalies.

Ce que j'aurais besoin de vous, c'est quels sont les indicateurs que je pourrais utiliser sur un... en ayant après un système qui soit un système qui soit un traitement, bien sûr, informatique, c'est-à-dire qu'on mette ensemble des renseignements sur les contrats que nous recevons ici, à la commission, et on serait en moyen de vérifier après, soient tous sur... informatisés. Mais qu'est-ce que je devrais rechercher pour tâcher de déterminer, à partir d'où ça nous arrive, des éléments suspects, quand ça nous arrive à notre niveau, de collusion, ou des éléments qui sont injustifiés, ou des extras injustifiés?

Autrement dit, ce que j'ai besoin... Je comprends, je ne voudrais pas que vous répondiez peut-être aujourd'hui, mais ce que nous aurions besoin si on va dans cette direction-là... Et vous comprenez bien que, moi, je plaide déjà depuis longtemps que les contrats soient mis sous une forme qui soit sur Excel, que je puisse les travailler sur Excel, ou un langage XTML ou HTML, de manière que je puisse travailler non pas sur du PDF, que je ne peux pas travailler, mais, à ce moment-là, de pouvoir... Et j'aurais besoin que vous me disiez deux, trois indicateurs à rechercher pour lorsque nous faisons la vérification des états financiers, ce qui est quelque chose qui est tellement gros que cette commission a de la difficulté à assumer complètement ce mandat, pour pouvoir déceler éventuellement et peut-être être une des barrières supplémentaires pour lutter contre la corruption.

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, je suis fier de vous dire... Je sais que vous allez entendre Mme Dominique Savoie, la nouvelle sous-ministre aux Transports, qui faisait part la semaine dernière qu'elle était en train de travailler avec le ministère du Revenu pour trouver des nouveaux logiciels informatiques qui vont permettre de faire les recoupements dont vous parlez.

Si vous... Si on pense le faire à la main actuellement, il y a souvent... les mêmes adresses de soumissionnaire sont une des pistes. Je ne sais pas si vous avez cette information-là.

M. Gautrin: Si vous pouviez nous donner, peut-être pas aujourd'hui, M. Duchesneau, mais nous donner, nous, comme parlementaires, quelles sont les adresses, quels sont les éléments que nous pourrions demander après au ministère des Transports d'inclure dans ce qu'ils nous donnent comme renseignements sur les contrats et qui nous permettraient, bien sûr en ayant un logiciel pour pouvoir travailler avec ça, de pouvoir essayer de déceler des cas qui soient des cas de collusion, on serait une barrière supplémentaire par rapport à tout ce qui existe.

Mais vous comprenez bien que souvent on a mis dans les lois ce principe que, nous, les parlementaires ici, et particulièrement cette commission, nous avons comme tâche de vérifier soi-disant les engagements financiers, mais la masse d'informations est tellement grosse qu'on ne peut pas la traiter d'une manière efficace.

Et, moi, je crois que les parlementaires, on a... on peut siéger et on peut vous donner un coup de main aussi dans cette lutte à la corruption. Vous comprenez? Mais il faut qu'on comprenne... qu'on développe les outils informatiques -- ça, je peux travailler avec vous là-dessus -- mais aussi être en mesure de savoir quels sont les indicateurs que je dois rechercher qui sont les indicateurs qui nous permettraient de soupçonner éventuellement qu'il y a collusion et de demander à ce moment-là aux sous-ministres: Donnez-nous, aux parlementaires, les compléments d'information. Et j'aurais besoin, peut-être pas aujourd'hui mais, si le président acceptait ou le secrétaire, que vous nous transmettiez quels sont ces indicateurs de corruption qu'on pourrait voir, qu'on pourrait trouver.

M. Duchesneau (Jacques): On appellerait ça...

M. Gautrin: De collusion, excusez-moi, j'ai dit «de corruption».

M. Duchesneau (Jacques): On appellerait ça, en mauvais français, un check-list de collusion?

M. Gautrin: Absolument.

M. Duchesneau (Jacques): Je peux vous dire que l'Unité permanente anticorruption va faire l'embauche de juricomptables qui ont justement des check-lists comme...

M. Gautrin: On pourrait travailler de concert, nous, les parlementaires, avec vous dans le futur dans cette direction-là.

M. Duchesneau (Jacques): En fait, tout le monde qui peut nous aider, bien oui, on a besoin de votre aide. Mais déjà on va travailler sur la préparation. On a, nous, des pistes qui sont suivies constamment pour justement détecter la collusion puis on va vous faire ce genre de check-list qui pourrait vous permettre...

M. Gautrin: J'ai une deuxième offre à vous faire, à l'heure actuelle. Vous avez, à l'intérieur de... la recommandation, par exemple, qui est la recommandation 31... 30, je veux dire, qui est créer «un entrepôt permanent de données», etc. Je fais partie de ceux qui plaident pour le gouvernement ouvert, qu'on est en mesure d'avoir une base d'information, une base générale de données accessible et qu'on puisse permettre une participation des citoyens. Les techniques des réseaux de communication, les réseaux... le Web 2.0 donnent des instruments actuellement informatiques nouveaux, et on pourrait essayer de part et d'autre de travailler ensemble pour être en mesure de pouvoir informatiser et publiciser ces banques de données, d'une part, et, d'autre part, permettre aux citoyens d'avoir une meilleure interaction ou pouvoir une meilleure interaction en utilisant ce qu'on appelle dans notre langage les réseaux sociaux. Et je pense qu'il y a une piste là qui permettrait aux gens, sans nécessairement s'identifier, d'être en mesure de donner une information, vous comprenez. Et je crois qu'on a un travail à faire de part et d'autre pour qu'évidemment l'utilisation des techniques du Web 2.0 dépasse la lutte à la corruption, mais... ou la collusion, excusez-moi, mais c'est un aussi un moyen qu'on doit pouvoir utiliser et travailler avec vous dans ce sens-là.

M. Duchesneau (Jacques): On a besoin de tout le monde, alors...

M. Gautrin: Et, moi, je suis prêt personnellement à vous dire... vous offrir ma plus grande collaboration pour la lutte que vous faites. C'était à la fois un petit commentaire, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui. Vous disposez toujours de trois minutes, le bloc ministériel. Alors, Mme la députée de Gatineau, pour les trois prochaines minutes.

Mme Vallée: M. Duchesneau, à la page 52, la section 12.3, vous mentionnez comme étant une condition décisive à tout le processus de lutte contre la corruption d'encourager finalement puis d'encadrer davantage la dénonciation, parce que vous nous avez démontré cet après-midi que, sans dénonciateur, il n'y avait rien à faire. On a beau... On va tourner en rond pendant des mois et des mois. On a besoin de dénonciateurs non seulement pour aller chercher l'information, mais surtout pour faire avancer les enquêtes.

En juin dernier, la lutte concernant... la Loi concernant la lutte contre la corruption est entrée en vigueur. Il y a la mise en place du commissaire, il y a un certain nombre de pouvoirs qui lui sont accordés, et il y a surtout une immunité accordée aux gens qui sont témoins d'actes de collusion, d'actes de corruption.

Au-delà de cette loi-là -- parce qu'on a un processus législatif, il existe, les immunités sont là -- qu'est-ce qui peut être fait pour encourager les gens, à partir de demain matin, à partir de ce soir, à dénoncer ce qu'ils peuvent avoir vu, que ce soit à l'intérieur d'un ministère, que ce soit à l'intérieur d'une municipalité? Vous avez fait état des petites municipalités qui sont mal organisées parce qu'elles ont peu de moyens, et Dieu sait qu'il y en a beaucoup, au Québec, des petites municipalités qui n'ont pas beaucoup de ressources professionnelles et qui, à l'intérieur de ces municipalités-là, il y a des gens très honnêtes aussi qui voient des choses et qui n'osent pas parler parce que non seulement c'est un milieu qui est dangereux, mais c'est aussi un petit milieu. Alors, qu'est-ce qu'on peut faire au-delà des lois que nous avons, qui ont été mises de l'avant? Est-ce qu'il y a d'autres démarches?

M. Duchesneau (Jacques): Je pense que la démarche qu'on a aujourd'hui, c'est la première bonne démarche à faire pour sensibiliser la population, parce que, pour beaucoup de personnes, je le disais plus tôt durant la journée, la collusion, ce n'est finalement pas si pire, c'est la façon de faire des affaires, et il faut leur dire que, non, ce n'est pas la façon de faire des affaires. Les meilleurs alliés qu'on a eus sont les gens qui sont justement dans des postes puis qui voient des choses, mais on n'appelle pas le 9-1-1 pour dire: Je pense que j'ai vu de la collusion. Ce n'est pas la bonne porte où on doit cogner.

L'Unité anticollusion qui fait partie de l'UPAC, je pense, va devenir le point de chute pour ces gens qui voient des choses. Et je sais que le commissaire doit faire une annonce publique prochainement. C'est sûrement un des messages qu'il va nous véhiculer, c'est que sans l'aide de la population, finalement, on ne peut pas fonctionner.

Et, je le répète, ce n'est pas comme des crimes de droit commun où tout le monde sait ce qu'est un meurtre, un vol à main armée ou... Dans le cas de la collusion, on a de l'éducation à faire. On a de l'éducation à faire non seulement au sein de la population, mais de l'éducation à faire aussi au sein du ministère pour qu'on n'accepte pas les choses qui sont finalement inacceptables. Il y a un coût à payer, et il est énorme.

**(20 h 10)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, voilà pour le bloc du parti ministériel. Maintenant, je me tourne vers le deuxième groupe d'opposition, et c'est à eux de poser les questions pour le prochain bloc, qui durera 11 min 15 s.

Mme Roy: Merci, M. le Président. Il y a eu une pause, et je me suis entretenue avec mes collègues, mes amis journalistes qui m'ont posé une question, puis je n'étais franchement pas en mesure de leur répondre et puis je leur ai dit que je ne voulais pas me substituer à vous pour répondre à ça puis que je vous poserais la question.

À la question que je vous ai posée tantôt, il y a quelques... cet après-midi, j'ai parlé de financement de parti politique versus le crime organisé, versus la construction. C'était pas mal à ce sujet. La façon dont vous avez répondu, vous m'avez dit: «...c'est un sujet qui est délicat. Je ne suis pas suicidaire de nature, pas plus que [mon] équipe, et on avait le choix de tout simplement éluder le problème», mais vous en avez tellement entendu parler que vous avez décidé de le mettre dans votre rapport.

Mais, quand vous dites: «Je ne suis pas suicidaire», est-ce que vous sentiez qu'il y avait un danger à aller parler du financement des partis politiques ou s'il y avait un problème? Qu'est-ce que vous vouliez dire par ça?

M. Duchesneau (Jacques): O.K. Non, je n'ai pas peur de parler aux parlementaires de problèmes de financement de parti politique. Je ne me sens pas menacé ni d'un côté ni de l'autre de la Chambre de parler de financement de parti politique. Il y a un problème, ça fait longtemps qu'on en parle, et je pense qu'il faut avoir le courage de nos convictions.

Je n'ai pas un peu plus peur, mais je suis un peu plus prudent quand il vient le temps de parler de crime organisé. Ce n'est pas le genre de discussion qu'on a habituellement à la télévision ou dans des instances comme ici aujourd'hui. Mais vous ne pensez pas que, si on enlève 347 millions à des gens, peu nombreux, on ne se fait pas des amis, là?

Mme Roy: Bien, oui, mais je pense que vous l'avez fait toute votre vie de toute façon, combattre le crime organisé, là. C'est pour ça que j'avais besoin que vous me précisiez qu'est-ce que vous vouliez dire.

Je vais vous revenir à votre rapport puis je vais lire, parce que les personnes qui nous écoutent, si on fait juste référence à une page, ne savent pas de quoi on parle. C'est à la page... moi, c'est 51, là: «Un ingénieur rencontré à sa demande, [...]qui a travaillé pour quelques firmes, nous précise une manière de faire qui associe directement financement politique et activités criminelles.

«"Plusieurs grosses firmes de [génie-conseil] procèdent de façon similaire. Le V.P. -- le vice-président -- peut disposer de 50 000 $ à 60 000 $ en cash pour rembourser les employés qui, eux, font des chèques personnels en contribution aux partis politiques."»

Bon, premièrement, vous et moi, M. Duchesneau, on sait très bien qu'on ne peut pas aller au guichet automatique pour retirer 50 000 $ ou 60 000 $, que ça doit faire une bonne valise d'argent. D'après vous, d'où provient cet argent-là?

M. Duchesneau (Jacques): Même les bandits le savent. On a eu une vague, à Montréal, de vols de valises pleines d'argent le vendredi après-midi, parce qu'on allait à des bureaux de change dans le centre-ville de Montréal, et il y a des gens qui se sont aperçu de ça, puis là il y avait des valises avec 100 000 $, 150 000 $. Et on a même eu des vols. La pratique, c'était: on identifie qui vient toujours le vendredi après-midi. Une fois qu'on l'a identifié, qu'on le voit arriver dans sa grosse voiture et qu'il va à l'intérieur, on crève un pneu. Et, quand il revient à sa voiture, on dit: Aïe, monsieur, vous avez une crevaison. Et, pendant qu'il se penche pour regarder la crevaison, on lui vole la valise. Il y en a eu plusieurs, de ces vols.

Donc, si les bandits savent qu'il y a du trafic d'argent comme ça en quantité industrielle et régulière, j'imagine que, nous, on devrait le savoir.

Mme Roy: Mais là c'est-à-dire que ces personnes-là se sont plaintes de vol...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Mme Roy: ...alors qu'elles avaient des valises de 50 000 $ à 60 000 $ remplies d'argent? Ils ont expliqué ça comment? Moi, je pense que le commun des mortels ne se promène pas avec des valises comme ça.

M. Duchesneau (Jacques): Non, non, mais c'est parce qu'ils vont chercher dans des bureaux de change des montants substantiels pour faire la livraison d'enveloppes dont je vous parlais tantôt le vendredi après-midi sur les chantiers. Il y a quelqu'un qui doit aller chercher de l'argent. Au lieu d'aller le chercher à une banque, ce qu'on a vu, c'est qu'ils allaient chercher ça dans des bureaux de change.

Mme Roy: Donc, des firmes d'ingénieurs se...

M. Duchesneau (Jacques): Mais là on parle de firmes d'ingénieurs, mais on parle aussi d'entrepreneurs. Je ne ciblais pas uniquement les firmes d'ingénieurs. Dans ce cas-là, l'information que vous avez à la page 60, c'est... oui, cette information nous parlait de quelqu'un, un haut placé d'une firme de génie-conseil. Ça, c'est ce que vous avez là-dedans.

Mme Roy: Puis c'était...

M. Duchesneau (Jacques): Mais ce que je vous dis, c'est que l'argent circule régulièrement, l'argent comptant circule régulièrement sur les chantiers de construction.

Mme Roy: Bon, si je continue votre citation: «"Le truc est le suivant: c'est l'entrepreneur qui facilite le tour de passe, mais c'est en haut que ça se joue. Mettons [...] l'ingénieur de la firme -- quelqu'un -- chargée de la surveillance -- je suppose, la surveillance du chantier, bon -- doit autoriser un extra de 100 000 $ pour des travaux supplémentaires. Il trouve moyen d'aller chercher le double auprès du MTQ. Il y a donc un 100 000 $ blanchi à se partager: la firme pourra l'utiliser pour contribuer à des caisses électorales et l'entrepreneur pour payer les travailleurs au noir."»

Ça, c'est ce que vous avez découvert. Cet ingénieur-là dit qu'il a travaillé dans quelques firmes. Est-ce que c'était des firmes... des petites firmes ou des...

M. Duchesneau (Jacques): Des grosses firmes.

Mme Roy: Des joueurs majeurs?

M. Duchesneau (Jacques): Grosses firmes.

Mme Roy: Et ce témoignage-là se rapportait à quelle époque? C'est...

M. Duchesneau (Jacques): Récente, quelques années.

Mme Roy: Quelques années. Vous me dites deux ans, cinq ans?

M. Duchesneau (Jacques): Entre deux et cinq.

Mme Roy: Entre deux et cinq, il a assisté à ces stratagèmes-là. Est-ce que la plupart des commentaires qu'on a trouvés dans ça, des... beaucoup de témoignages, là, qui sont... Ils sont reliés à quelle époque du ministère des Transports?

M. Duchesneau (Jacques): Ça varie dans le temps. Il y en a qui sont... Il y a quelques expériences vécues par des gens il y a plusieurs années, et ça nous a permis de structurer notre entrevue avec d'autres personnes.

Donc, ce qu'on voulait savoir, c'est que, s'il y a quelque chose qui est arrivé il y a une dizaine d'années, est-ce que la même chose existait encore aujourd'hui. Et notre conclusion, c'est que le système qui existait à l'époque existe encore aujourd'hui.

Mme Roy: Bon. Si on donne... si on veut faire des contributions de 50 000 $ à 60 000 $ à un parti politique par le biais de prête-noms, si je comprends bien votre façon de voir les choses, c'est parce qu'on veut avoir un retour sur notre investissement, c'est-à-dire un contrat. Puisque les appels de... beaucoup de contrats sont en appel d'offres, c'est les contrats donnés sans appel d'offres qui devraient être ciblés. Ce n'est pas ça?

M. Duchesneau (Jacques): Encore là, on ne ferait pas le lien de cause à effet. La question a été posée cet après-midi: Est-ce qu'on est en mesure, nous... Votre question, j'imagine, est au niveau provincial.

Mme Roy: Oui.

M. Duchesneau (Jacques): On n'est pas en mesure de faire le lien entre l'octroi de contrat et la participation à des caisses électorales. Ce qu'on a vu au niveau municipal, ça, c'est différent, parce que la prise de décision est vraiment au ras des pâquerettes. Et, au contraire, ce qu'on a vu au niveau provincial, c'est peut-être un éloignement du politique quant à la prise de décision.

Mme Roy: Mais vous avez documenté comment on en donne aux partis politiques, mais vous ne pouvez pas nous dire comment les partis politiques pourraient retourner l'ascenseur, c'est ça?

M. Duchesneau (Jacques): Non.

Mme Roy: O.K. Avez-vous essayé de percer cette question-là?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Ça, ça fait partie des enquêtes qu'on regarde encore, parce que, comme je vous dis, ce sont des points qui nous sont régulièrement soulevés par des gens qu'on rencontre.

Mme Roy: Le deuxième aspect de mes questions, quand j'ai parlé d'ingérence au niveau de la politique versus le milieu policier, je ne voulais pas parler de votre enquête, mais je voulais savoir si vous aviez des témoignages du milieu policier qui vous invitent à penser que les enquêtes se font avec de l'ingérence.

M. Duchesneau (Jacques): Non. Non.

Mme Roy: Vous avez dit à Tout le monde en parle que le... c'était pesant sur les épaules des policiers.

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Mme Roy: Moi, je pense qu'il y a une différence notable à faire entre l'unité Carcajou, qui va aller sur du crime organisé, seulement du crime organisé, finalement, les motards, les Hell's, la mafia... Ce sont des unités qui ont été créées pour du monde qui vivent du crime, puis ce sont leurs opérations. C'est bien différent, là, de la criminalité qu'on retrouve dans le monde de la construction, où les personnes se présentent sous un vernis honorable et font des pratiques douteuses beaucoup plus évoluées.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. C'est comme des fraudeurs qu'on a eus dans des causes célèbres récemment, qui se voient, eux aussi, comme des hommes d'affaires, ne comprennent pas comment ça se fait que les gens... ne comprennent pas qu'ils se sont fait voler. Alors, oui, c'est différent. Et, oui, le travail est difficile pour les gens. Moi, je vous dis, les gens qui travaillent à l'opération Marteau n'ont pas une mince tâche pour accumuler ces éléments de preuve.

**(20 h 20)**

Mme Roy: Parce que, le système des extras, le problème, ce n'est pas d'avoir un extra. Ça, ce n'est pas prévu au Code criminel. Le problème, c'est d'avoir de l'argent au noir puis de redistribuer. C'est là, c'est au deuxième niveau que se fait la faute.

M. Duchesneau (Jacques): En fait, même au premier niveau. Le problème, c'est l'entente secrète qui existe entre deux personnes pour déjouer nos politiques de concurrence, c'est-à-dire d'éliminer des gens, de les forcer à ne pas se présenter au niveau de la soumission, donc d'écarter des gens, d'éliminer la concurrence.

Mme Roy: Donc, je pense que, pour ça, ils ne doivent pas coucher des ententes par écrit, les criminels, là, lorsqu'ils décident...

M. Duchesneau (Jacques): Mais justement.

Mme Roy: C'est la difficulté. La seule approche, c'est les témoignages et les dénonciations.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Ou, dans le cas de l'opération Marteau, ça peut être de l'écoute électronique. Ça peut être de la filature pour suivre les valises du vendredi après-midi. Ça peut être aller chercher des informateurs, des gens qui vont devenir des délateurs. Donc, ça, ce sont des moyens d'enquête policiers.

Mme Roy: Ce sont tous des moyens d'enquête que vous n'aviez pas dans ce cadre-ci.

M. Duchesneau (Jacques): Du tout.

Mme Roy: Et vous avez réussi à obtenir tous ces renseignements-là.

M. Duchesneau (Jacques): Je vous dis, si on met en place une ligne où les gens peuvent appeler, on a besoin d'avoir beaucoup de standardistes, parce que les gens ont beaucoup de choses à nous dire. Il faut juste qu'on prenne le temps de les écouter.

Mme Roy: Bon. À part de ça, au niveau du financement, quand vous avez parlé du milieu municipal, vous avez ciblé des endroits où il y a moins de... Je le sais, je suis députée d'un comté rural où il y a 37 municipalités, et puis ils font tous des travaux d'aqueduc, des travaux d'égout. Mais dans quel... avez-vous ciblé des domaines de la construction? Parce qu'il y a plusieurs sortes d'infrastructures publiques. Avez-vous ciblé seulement les infrastructures routières? Avez-vous ciblé d'autres infrastructures dans lesquelles le monde de la construction était impliqué puis qu'il y a du financement public?

M. Duchesneau (Jacques): Non, on a fait vraiment les infrastructures routières. Notre mandat était du MTQ, et on a regardé dans les municipalités là où le MTQ est... fournissait de l'argent pour des contrats. C'est ce qui nous a amené dans les municipalités, d'ailleurs, parce qu'il y a des routes nationales qui passent dans certaines municipalités. Donc, une rue peut devenir une route nationale, et là, à ce moment-là, le ministère va injecter des sommes d'argent pour permettre la réfection des routes, par exemple.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, voilà. C'est tout le temps dont ce bloc disposait. Je vous remercie, Mme la députée de Lotbinière, et je me tourne maintenant vers le député de Chomedey pour la prochaine ronde de questions.

M. Ouellette: Merci, M. le Président. Je vais faire du pouce un peu sur ce que ma collègue de Lotbinière vient de mentionner relativement aux valises d'argent, les bureaux de change, etc. Pensez-vous... Parce que vous n'êtes pas sans savoir que, le 8 de décembre, l'Assemblée nationale, via son ministère du Revenu, via le ministre du Revenu, a adopté la loi sur les établissements de services monétaires qui encadre les bureaux de change, les transferts de fonds, les transports par camion blindé, les guichets automatiques et les centres d'encaissement, là, ce qu'on appelle les Insta-Chèques, qui va effectivement éclaircir les prêteurs, les gens qui vont aller faire affaire avec ça, et qui va... et qui donne des pouvoirs accrus aux agences policières là-dedans. Dans le même souffle aussi, parce qu'on parlait des prête-noms tantôt, l'Assemblée nationale a aussi adopté une loi sur les prête-noms.

Pensez-vous que c'est deux outils qui peuvent effectivement prévenir et aider à ce que... des situations comme ça, soient plus problématiques pour le crime organisé, ou quelque individu que ce soit, là, qui pourrait être tenté d'utiliser les stratagèmes que vous avez indiqués à la page 51 dans votre rapport?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Je pense que cette série de mesures là est importante. Je pense qu'une mesure unique serait problématique. Quand on parle de terrorisme aérien, on parle du système du fromage suisse, c'est-à-dire qu'il y a plusieurs couches avec des trous. Si un premier système ne permet pas d'intercepter les gens qui veulent le faire, le deuxième, troisième ou quatrième système... Alors, dans un aéroport, par exemple, un domaine que je connais, on a à peu près 15 systèmes, parce qu'on est convaincus qu'un système unique ne peut pas intercepter quelqu'un qui voudrait faire une attaque terroriste. Donc, cette multitude de systèmes là est vraiment un système beaucoup plus efficace.

Alors, quand vous me parlez des deux mesures dont vous me parlez aujourd'hui, ça peut juste être bien accueilli. C'est par l'ensemble de ces systèmes-là. Plus on aura de couches, plus on va être sûrs de leur rendre la vie plus difficile.

M. Ouellette: M. le Président. M. le Président, je donne la parole au député de Vanier.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, M. le député de Vanier, je m'excuse, je vous donne la parole immédiatement.

M. Huot: Merci. Merci, M. le Président. Je voulais revenir sur la question de formation, sensibilisation, éducation à la population. Vous avez mentionné, entre autres, que la commission ici, c'est une première étape. Votre rapport est une étape, la commission en est une autre, si on veut, et, on peut dire, le fruit est mûr pour continuer à sensibiliser la population.

Vous faites une recommandation d'ailleurs dans votre rapport, la recommandation n° 4, qui... Vous parlez de faire une campagne de sensibilisation à la collusion. Vous ciblez le secteur public. Ça pourrait peut-être être plus général, mais vous l'identifiez, vous avez qualifié vos recommandations selon trois critères, là, et, celle-là, vous l'identifiez souhaitable à plus long terme. Je ne sais pas si vous maintenez, compte tenu du contexte actuel, si vous maintenez que vous voyez ça à plus long terme. Il me semble qu'avec ce que vous faites, ce que vous avez fait, vous avez donné plusieurs entrevues, vous sensibilisez les gens de plus en plus à ça. Avec ce qui est fait, bon, avec ce qui a été fait aussi, bon...

Par exemple, je vous donne un exemple: Est-ce qu'on ne devrait pas peut-être pousser au municipal? Il y a des formations en éthique. Est-ce qu'on ne devrait pas... On a rentré ça obligatoire pour les conseillers, les maires. Est-ce qu'on ne devrait pas ajouter quelque chose, une formation sur la collusion, comment détecter la collusion, par exemple? Il me semble que ça pourrait être quelque chose.

Et, quand on voit tout ce que vous avez dit, vous parlez de système, vous parlez de circulation d'argent aussi, on voit que c'est un peu partout. Donc, il y a une sensibilisation à la population à faire, parce que peut-être que, dans la vie de tous les jours, M., Mme Tout-le-monde a peut-être des gestes à poser. Avec, par exemple, ce qu'on doit faire avec l'Agence du revenu, les mesures qu'on doit mettre, le personnel qu'on doit mettre en place de plus pour contrer l'évasion fiscale, le travail au noir, ça veut dire que, oui, il y a un système, vous avez démontré qu'il y a un certain système, mais il y a des gens qui acceptent aussi de participer, qui ne sont pas contraints de le faire.

Je vais vous donner un exemple très, très niaiseux, si vous permettez, mais je me suis cherché quelqu'un pour faire finir mon sous-sol, moi, chez moi. Les gens me donnaient des références. Je disais: Mais je veux payer mes taxes. Ils disaient: Ah non, non, finalement je ne te donne pas ma référence. Bien, c'est niaiseux comme exemple, mais, moi, je voulais payer mes taxes puis je voulais une facture pour payer mon... pour faire finir mon sous-sol. Ça n'a pas été simple à trouver.

Donc, peut-être que tout le monde a des questions à se poser aussi. Donc, cette formation-là, elle est peut-être plus urgente que ce que vous identifiez. Et cette campagne de sensibilisation que vous mettez à plus long terme, peut-être qu'il faudrait la faire plus rapidement.

M. Duchesneau (Jacques): Écoutez, on avait 45 pistes de réflexion, recommandations à faire au ministre, et on pouvait... Pour moi, les 45 étaient tout aussi importantes. Je peux vous dire que vendredi dernier j'ai eu une rencontre avec M. Moreau, le ministre des Transports, et, moi aussi, c'est un peu mon dada, la formation. Donc, même si elle était prévue à court terme, j'ai eu une oreille attentive du ministre pour commencer à faire de la formation, parce que je pense que c'est la pierre angulaire, là, de ce qu'on veut bâtir comme approche en matière anticollusion.

M. Huot: Qui devrait être responsable de cette formation-là, de cette sensibilisation de tout ça, selon vous?

M. Duchesneau (Jacques): Dans notre cas à nous, c'est le ministère des Transports.

M. Huot: Mais, si on y va... Compte tenu de ce que vous... votre expérience, ce que vous voyez, ce que vous savez, il faudrait peut-être y aller plus largement aussi.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Qui pourrait être responsable? Très bonne question. Mais, en fait, ce que je lançais dans mon rapport aujourd'hui, où je demandais à ce que tout le monde travaille ensemble, soyez le porteur du message, tous et chacun d'entre vous, parce qu'il y aura un coût à payer énorme quand on aura laissé des gens s'installer et faire compétition et concurrence à l'État.

M. Huot: Il reste... Oui. Un autre sujet que je voulais voir avec vous: la question -- vous en parlez -- de l'imputabilité. Vous avez une recommandation aussi sur cette question-là, que vous proposez même une espèce de formule avec les firmes d'ingénierie, entre autres les firmes privées, une formule de contrat, je ne me souviens pas comment vous l'appelez exactement, là, de clés en main...

M. Duchesneau (Jacques): Oui...

M. Huot: ...

M. Duchesneau (Jacques): Excusez-moi, je vais vous laisser poser la question.

**(20 h 30)**

M. Huot: Bien, c'est parce qu'on voit que c'est préoccupant, ce que vous nous démontrez dans ça. C'est comme de dire: Le ministère est responsable ultimement, mais le... est responsable de payer finalement, est responsable de la facture, mais le... par exemple, la firme d'ingénierie qui a fait les plans et devis, bien, l'ingénieur en chef va être responsable du chantier. C'est lui qui va autoriser les avenants au contrat... aux plans et devis, plutôt. C'est le ministère qui va payer. Et, lui, sa firme d'ingénieurs, qui a fait les plans et devis et qu'on doit modifier, n'a pas de conséquence, finalement, d'avoir fait les... d'avoir mal prévu les plans et devis, et on se dit que c'est le ministère qui va payer. Et vous parlez même de banalisation, un peu, là, des conséquences. Il faut faire quelque chose, là, sur cette question-là, sur rendre plus imputable. Puis il y a même des gens qui disent: Les ingénieurs du ministère des Transports n'osent plus toucher aux plans et devis parce qu'ils deviennent imputables à partir de ce moment-là.

Donc, moi, j'essaie de voir la responsabilité professionnelle en même temps, je ne sais pas elle se situe où, vous ne l'avez pas abordée. Mais cette question, là, c'est comme si je m'étais donné une expression, là, de... on a une espèce de «no fault» qui est présente partout, là, dans tout ça, ça fait qu'on renvoie la balle à tout le monde. Il faut faire quelque chose à court terme là-dessus. Donc, moi, je veux vous entendre sur le fameux contrat, là, la recommandation que vous faites, qui est à court terme aussi, qu'est-ce qu'on doit faire selon vous?

M. Duchesneau (Jacques): Je vous l'ai exprimé plusieurs fois aujourd'hui, un de mes dadas, c'est... j'ai horreur de la généralisation quand on parle des ingénieurs. Je vous dirais que la majorité des ingénieurs, c'est du bon monde. Et je pense que nos meilleurs alliés, dans le contexte actuel, pourraient être l'Ordre des ingénieurs, qui a exprimé clairement qu'ils n'étaient pas contents de ce qu'ils entendaient. Ils ont fait des sondages à l'interne, même les ingénieurs eux-mêmes disent qu'ils ne sont pas satisfaits de ça.

Moi, je pense que, si on veut que ça avance, on pourrait tendre la main à ces professionnels, et qui pourraient, eux, nous aider à trouver les pistes de solution pour empêcher que ça continue. Un peu comme, nous, on a fait à l'intérieur du ministère, où on est allés poser des questions aux gens du ministère, et, quand on leur parlait, rapidement, ils nous apportaient des pistes de solution.

M. Huot: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il reste 30 secondes.

M. Ouellette: Bon, bien, en 30 secondes, à la page 45 de votre rapport, j'ai été surpris de voir que, depuis 2005-2006, il n'y a aucune plainte d'entrepreneur. Vous expliquez ça comment?

M. Duchesneau (Jacques): Bonne question. Je pourrais vous dire que les gens du ministère sont surchargés, les employés du ministère sont surchargés dans de la paperasserie. Et il faut avoir une bonne somme de courage pour dire: O.K., je m'attaque au système. Je vous ai donné un exemple cet après-midi, une réclamation de 4 millions. Et, si ça n'avait pas été de l'opiniâtreté de l'employé lui-même, bien on aurait peut-être payé un montant beaucoup supérieur à ce qu'il a réussi à faire sauver au gouvernement. Mais, pour lui, ça a été une surcharge de travail qui aurait dû, en tout cas, lui amener des félicitations, mais je pense qu'il attend encore.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Très bien. Je passe maintenant du côté de l'opposition officielle et je donne la parole au député de Gouin.

M. Girard: Merci, M. le Président. M. Duchesneau, je voulais poser une question sur la page 45 de votre rapport sur la question des réclamations. Vous nous dites que, lorsque le ministère refuse de payer un supplément au contrat qui est demandé par une entrepreneur, celui-ci peut soumettre une réclamation. Et vous nous dites que ces réclamations-là ne font pas l'objet d'enquêtes ou de vérifications approfondies de la part du ministère, puis que le bien-fondé n'est donc jamais établi. Pourquoi ça fonctionne comme ça?

M. Duchesneau (Jacques): Parce qu'on n'a pas les effectifs pour faire ces vérifications. Donc, quand on fait une réclamation, on vous envoie le service traiteur très dispendieux. Et donc on fait beaucoup, beaucoup de... dans la réclamation, on va faire beaucoup, beaucoup de demandes. Puis on a eu un cas récemment où on avait mentionné que, dans la réclamation, un service avait été rendu pour une somme fort importante. Et, si on avait simplement fait la vérification, on se serait aperçus que jamais ce qui a été réclamé avait même existé. Donc, c'est une fausse facturation, et on l'a prise.

4 000 projets par année, ça nous prend des ressources pour pouvoir faire ces vérifications-là. Et, encore là, quand on ne fait pas les vérifications... Vous savez, les gens nous testent constamment. S'ils sont capables de passer à un moment donné une réclamation sans qu'on pose trop de questions, on ouvre la porte pour qu'ils reviennent. Alors, c'est un problème.

M. Girard: Qui les autorise, ces réclamations-là, dans le ministère?

M. Duchesneau (Jacques): Non, il y a quand même un système rigoureux. Je sais que la Direction des affaires juridiques, les directeurs territoriaux, tout le monde regarde. Ce que je vous dis là, ce n'est surtout pas de la mauvaise volonté des gens du ministère, c'est tout simplement que la surcharge de travail fait qu'on n'a pas le temps de vérifier ou de vérifier convenablement.

M. Girard: Vous nous dites aussi qu'il y a plusieurs réclamations qui sont effectuées par des habitués pour se reprendre pour des soumissions trop basses. À partir du moment où vous découvrez qu'il y a des habitués, le ministère doit le voir aussi. Quels gestes on pose pour que ce genre de situation ne se reproduise pas?

M. Duchesneau (Jacques): Je sais que des mesures sont déjà prises, justement pour nos habitués qui, quand on compile, un peu comme disait M. Gautrin tantôt, si on avait cet entrepôt de données, on verrait bien que c'est toujours les mêmes qui font les réclamations. Mais vous savez que, pour obtenir cette information-là à l'intérieur du ministère, on a demandé à plusieurs personnes au sein du ministère de nous faire des compilations qui n'existaient pas. On n'avait pas ce système. Depuis qu'on a fait ces réclamations-là, les choses sont en train de changer. Donc, sous-équipés, manque d'effectifs font en sorte que ces choses-là surviennent.

M. Girard: Quand vous dites des habitués, là, c'est beaucoup d'habitués? Il y en a combien? Est-ce qu'il y en a là-dedans qui font partie du «Fabulous 14» par exemple?

M. Duchesneau (Jacques): Ouais. Disons qu'ils... Des habitués, des gens qui pointent à l'horizon. Et on dirait que ces firmes-là sont même très structurées pour faire des réclamations, et leurs propres bureaux juridiques qui n'ont que ça comme mission, tenter de voir comment on pourrait aller chercher plus d'argent du ministère.

M. Girard: Des habitués, il y en a combien, des habitués? Combien d'entreprises? Vous en avez identifié...

M. Duchesneau (Jacques): Une dizaine.

Une voix: ...

M. Duchesneau (Jacques): J'étais conservateur à 10. Mon chargé d'enquête me dit 20.

M. Girard: Donc, il y a une vingtaine d'entreprises...

M. Duchesneau (Jacques): Une vingtaine.

M. Girard: ...qui sont... qui font beaucoup de réclamations, qui sont des habituées des réclamations, puis on leur donne, minimum, le tiers à chaque fois, sans vérification.

M. Duchesneau (Jacques): Je ne vous dirais pas que c'est un automatisme. Je pense qu'il ne faudrait pas être réducteurs. Encore là, bonne foi des gens du ministère, manque de moyens. Mais si on regarde... Puis cette information-là nous est venue des gens du ministère, des gens qui sont là et des gens qui étaient là dans le passé. Puis c'était comme une règle à suivre. Depuis ce temps-là, je peux vous dire que l'étau se resserre. Mais, encore là, peut-être trop de réclamations.

M. Girard: Vous estimez que les contribuables ont payé combien en trop à cause de ces réclamations-là?

M. Duchesneau (Jacques): Je ne pourrais pas vous donner un chiffre, mais... On parle de réclamations de l'ordre de 50 millions pas année, de plus. Là, je vous donne un chiffre, là... Il commence à être tard. J'ai... Mon ordinateur commence à faiblir. Mais disons que c'est un chiffre qui est imposant.

M. Girard: ...pour les...

M. Duchesneau (Jacques): Mais je pourrais vous revenir, si...

M. Girard: Oui. Est-ce que ça serait possible, M. le Président, qu'on nous fasse parvenir l'information pour les membres de la commission sur cette...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Vous le ferez, M. Duchesneau?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Girard: ...la question que j'ai posée? Également, je veux aborder avec vous, parce que vous avez dit à ce... plus tôt cet après-midi, qu'on a au fond laissé les clés du ministère aux firmes de génie-conseil, aux firmes d'ingénieurs. Vous savez qu'en 2004 le ministère a mis sur pied un comité de concertation avec les firmes de génie-conseil, que le mandat s'est élargi à la planification, l'organisation, la gestion, à la conservation puis l'exploitation. Compte tenu de ce que vous avez découvert dans votre rapport, du système que vous dénoncez, est-ce qu'on devrait retirer les clés du ministère à un comité puis aux firmes de génie-conseil?

M. Duchesneau (Jacques): Pouvez-vous me répéter la question? J'ai perdu le dernier bout.

M. Girard: C'est parce que, compte tenu de ce que vous avez observé au niveau du système dans le ministère, qui est en place, est-ce qu'on devrait retirer les clés du ministère à ce comité-là ou à ces firmes de génie-conseil, compte tenu de ce que vous avez observé puis ce que vous nous avez dit cet après-midi?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, je réitère aussi ce que j'ai dit. Les firmes de génie-conseil, là, ne sont pas des escrocs. Il ne faudrait pas encore là généraliser. Ce que nous disons, notre recommandation est à l'effet que, oui, le ministère devait se doter des ressources nécessaires pour reprendre le contrôle. Est-ce que le ministère pourrait un jour faire 100 % de ses travaux de plans et devis? Non. Et je pense que ce n'est même pas souhaitable. Mais est-ce que le ministère peut se donner des moyens de faire des vérifications minimum qui s'imposent? La réponse, c'est oui.

M. Girard: Oui, mais c'est parce que, là, on se retrouve dans une situation où les firmes de génie-conseil prennent le contrôle des projets au nom du ministère des Transports. Trouvez-vous ça normal?

**(20 h 40)**

M. Duchesneau (Jacques): Non. Non, mais, encore là, je réponds: Est-ce que le ministère pourrait prendre 100 %? La réponse, c'est non. Je pense qu'on pourrait trouver un juste équilibre qui pourrait être souhaitable pour tout le monde. Le ministère, à ce qu'on me dit, était beaucoup plus imposant à une certaine époque, quand il y avait le ministère de la Voirie, etc. On a fusionné aux Transports, il y a eu une perte d'expertise. Comme je le disais dans mon exposé aujourd'hui, ça va prendre entre cinq et 10 ans pour aller chercher 25 % d'expertise seulement. Donc, on est loin de la coupe aux lèvres. Vous savez, ce n'est pas en termes de nombres qu'on doit regarder mais en termes d'expertise. C'est-à-dire, quand un ingénieur du ministère quitte avec ses 30 ans d'expérience comme ingénieur et qu'on embauche un nouvel ingénieur avec 30 mois d'expérience, bien, non seulement on y perd en nombre, mais on y perd en expertise. Alors, il ne faut pas faire dire encore là aux chiffres ce que les chiffres ne disent pas. Si on regarde uniquement les nombres, je pense qu'on perd le bon portrait.

M. Girard: Mais certains médias ont même révélé qu'il y a deux anciens sous-ministres adjoints qui ont démarré le comité en 2004 qui se sont retrouvés de l'autre côté de la table, les années suivantes, dans les firmes de génie-conseil. Est-ce que ça ne pose pas un problème sur le plan éthique? C'est des sous-ministres qui mettent sur pied ce comité qui représente le ministère qui se retrouvent de l'autre côté de la table la semaine suivante, le mois suivant? Est-ce que ce n'est pas anormal?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, mais on... d'ailleurs c'est un des points qu'on a signalés au ministre, c'est-à-dire que quelqu'un qui est en autorité au ministère quitte le vendredi, et, le lundi ou la semaine suivante ou quelques semaines plus tard, le nouvel ingénieur qui vient représenter le ministère traite avec son ancien patron. Ça crée un inconfort. Puis, quand ce jeune ingénieur arrive, il est impressionné par celui qui avait beaucoup d'expertise et d'expérience. Alors, ça crée effectivement un inconfort qui n'est pas profitable au ministère.

M. Girard: Mais, sachant que ce comité-là de concertation créé en 2004 fait de la planification, choisit les projets, est-ce que vous croyez, compte tenu de ce que vous avez découvert, que ce comité-là a encore sa raison d'être?

M. Duchesneau (Jacques): Je ne pourrais pas vous répondre à cette question-là. Je pense que l'expertise développée ne me permet pas d'avoir les éléments pour répondre à ça. Vraiment, ce n'est pas quelque chose qu'on a regardé comme tel. Oui, ça nous a été mentionné, mais on n'a pas scruté ça plus à fond.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Le bloc... la période à votre disposition est à peu près terminée. Donc, je passe au niveau gouvernemental, et c'est le député de Laurier-Dorion qui va poser la première question.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Juste une précision, M. Duchesneau, concernant la suite de la recommandation du rapport du Vérificateur général en novembre 2009. Cette question des coûts additionnels, que mentionne souvent notre collègue de Gouin, est arrivée dans le décor, il y a eu recommandations faites. Une des recommandations, c'était d'essayer de contrôler de façon plus serrée, et par la suite il y a eu évidemment des mesures mises en place par le ministère du Transport. Vous avez mentionné, à l'intérieur... vous avez un exemple, à l'intérieur de votre rapport, à la page 19, le tiers en matière de réclamation. Vous avez une citation, même, j'ai lu ça rapidement. J'ai l'impression que 500 millions, ça doit être assez rare, là, pour un contrat. Je pense que c'est plus un cas de figure pour essayer... parce que ça a été repris textuellement comme étant, je ne sais pas, ça donne l'impression qu'il y a plusieurs contrats de 500 millions. J'ai l'impression que c'est plutôt rare, sinon très exceptionnel.

Mais je veux juste essayer de comprendre quelque chose, parce que la question revient, la question revient souvent, et il est question du lien du financement politique avec les extras. Et, de ma lecture, je lis votre rapport à la page 12, sous c, La période d'exécution, et le troisième avant la fin des picots: «Il appartient au ministère d'autoriser, le cas échéant, les avenants demandés par l'entrepreneur général pour lui permettre de finaliser les travaux [...] qui auront été préalablement approuvés par le représentant de la firme de génie-conseil...» C'est-à-dire les travaux additionnels et les coûts afférents sont recommandés par les directions territoriales, si je comprends bien, juste savoir que je comprends bien, puis finalement c'est le bureau du sous-ministre qui les autorise. Est-ce que c'est exact...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Sklavounos: ...ma compréhension?

Au niveau du processus, comme vous le comprenez et comme vos vérifications ont permis de le comprendre, de ce que je vois dans le rapport, il y a-tu un endroit, parce qu'on sait qu'il y a des négociations des fois hors cour pour essayer de régler le dossier... Il me semble que je n'ai rien vu dans le rapport qui parle d'une intervention politique, ni de personnel politique, ni d'intervention du palier politique ni dans la négociation, ni dans l'autorisation. Mais, lorsque nous entendons les questions d'en face, des fois, on semble vouloir faire un lien entre le financement et les extras comme on les appelle communément, là, de nos jours. Et est-ce qu'il y a quelque chose que vous avez vu, que vous avez trouvé, de vos 500 témoignages et toutes les vérifications, qui démontre qu'il y ait de la place, à l'intérieur de ce processus d'octrois d'extras ou d'autorisation d'extras, qu'il y a de la place pour une intervention politique ou qu'il y ait eu de l'intervention politique?

M. Duchesneau (Jacques): Non. Non, rien dans le rapport nous permet de faire une telle affirmation. Et je pourrais même vous dire que la question posée par Mme Roy tantôt, combien de temps on reculait en arrière, une dizaine d'années, là non plus, même dans le temps du Parti québécois, on n'avait pas... on n'a pas eu d'information, quand on a parlé à nos gens, qu'il y avait une intervention du politique dans l'octroi de contrats.

M. Sklavounos: Merci, monsieur.

M. Duchesneau (Jacques): Et ce que je vous dirais, c'est que ça ne semble pas faire partie de la culture au niveau provincial, et j'ai plus de réserves au niveau municipal.

M. Sklavounos: Merci, M. Duchesneau.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Chomedey.

M. Ouellette: Merci, M. le Président. Je vais aller à votre piste de réflexion n° 30, M. Duchesneau: «Constituer un entrepôt permanent de données, afin de profiter d'un système d'information mieux structuré, plus juste et systématique qui permet des mises en relation dans la durée.» Est-ce que je me trompe, j'ai lu en quelque part que les informations des directions territoriales restaient au niveau des directions territoriales?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Ouellette: Probablement que c'est un des fondements à votre piste de réflexion n° 30, d'avoir un entrepôt permanent qui éviterait... parce que j'ai vu que c'était assez préoccupant, la page 46, où le ministère a décidé... certaines directions territoriales ont décidé d'écarter pour deux ans du processus de soumissions 26 entrepreneurs. Probablement que, s'il y avait un eu un entrepôt de données central, les gens auraient pu savoir ça ailleurs, ça aurait pu éviter ce que c'est qu'on a vu. Et probablement que le projet de loi n° 82 qu'on a amené aussi, changeant la publicité au niveau des entreprises, tout ce qu'on appelle le CIDREQ, là, où est-ce que, là, il va y avoir des inspecteurs, où est-ce que c'est mieux encadré, où est-ce qu'on va pouvoir détecter dès qu'il y a un changement d'identité juridique... Parce que vous en avez parlé, à la page 46, qu'une entreprise avait changé de nom, changé d'identité avec les mêmes administrateurs. Avec le projet de loi n° 82, c'est des choses qui vont être encore plus difficiles. Vous réagissez comment? Et j'aimerais ça avoir un petit peu plus d'information, là, pour votre entrepôt permanent de données, là. Qu'est-ce que ça va changer dans la culture du MTQ?

M. Duchesneau (Jacques): Je vais vous montrer une de nos façons de travailler. Quand je vous parlais d'arbre généalogique, tantôt, là, ça, c'est une personne et ses contacts. Alors, si on n'a pas ça, oui, une compagnie peut changer de nom, puis on va faire affaire avec la même personne. Quand je vous disais, tantôt, avoir un entrepôt de données, là, c'est ce genre de données là dont on a besoin: connaître le vrai visage des gens avec qui on fait affaire. Et donc ces diagrammes de relations -- on a une sociologue qui travaille avec nous -- donc tous ces liens qu'on apprend nous permettent d'avoir une image importante du système dont je vous parlais tantôt. Ça n'existait pas au ministère des Transports. Donc, en toute objectivité, ils ne pouvaient pas savoir. L'entrepôt de données, c'est un jeune ingénieur que nous avons rencontré qui a pensé à ce système-là pour... c'est pour ça que vous l'avez en priorité n° 1. Et, encore là, dans la rencontre avec le ministre, c'est une des choses dont on a parlé, très intéressé à se donner le moyen de nos ambitions.

M. Ouellette: Il me reste combien de temps, là?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il reste trois minutes, M. le député.

M. Ouellette: Prends-tu trois minutes? Parce que...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors...

M. Ouellette: Oui, vas-y.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...M. le député de Verdun, pour trois minutes.

**(20 h 50)**

M. Gautrin: Oui, mais brièvement. M. Duchesneau, je voudrais aborder la résolution n° 80... la recommandation n° 42. Je vais vous la lire parce que... mais: «Engager des poursuites pour obtenir dédommagement lorsque le ministère s'estime victime d'erreurs de la part d'une firme de génie-conseil, tout comme celles-ci n'hésitent pas [à poursuivre] à recourir aux tribunaux lorsqu'elles se croient lésées...»

Premièrement, si je comprends bien que vous en faites une recommandation, ça ne se produit pas à l'heure actuelle, et est-ce que ça s'est produit dans le passé? Et c'est strictement une... Se croire lésé, est-ce que ça va jusqu'à ce que mon collègue de Vanier avait soulevé tout à l'heure, toute la question d'imputabilité des firmes de génie-conseil envers bien sûr le ministère, mais aussi une possibilité de recours à ce moment-là?

M. Duchesneau (Jacques): Quand je vous parlais tantôt de changements au ministère, je suis heureux de vous dire que, quand on a présenté notre rapport, ils étaient fiers de nous dire que c'était déjà amorcé. C'est-à-dire qu'on a maintenant des gens qui serrent la vis et qui n'acceptent plus justement qu'il n'y ait pas d'imputabilité. Donc, au sein du ministère, on a déjà entrepris des mesures pour justement rendre les firmes imputables, parce que ça ne peut pas continuer comme ça.

M. Gautrin: Alors, j'imagine que 40 se fait aussi de la même manière. Vous rappelez-vous de 40? Vous demandez des procédures strictes qui obligent la direction territoriale à transmettre toute note d'information au niveau central, c'est-à-dire faire en sorte que le contentieux du ministère soit au courant des poursuites, même au niveau local, etc. Je comprends que c'est en cours de validation, ceci aussi?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Je pense que ça a encore là un effet anticollusion. C'était peu ou pas connu. Maintenant, je pense qu'avec la discussion qu'on a eue dans la dernière année et demie, au leadership à l'intérieur du ministère, effectivement on commence à se parler beaucoup plus et on...

M. Gautrin: Ça rejoint ce que disait mon collègue de Chomedey tout à l'heure, c'est-à-dire la question d'avoir une banque centrale d'information sur ce qui se passe, à l'heure actuelle, du ministère...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Gautrin: ...et non pas laisser l'information traîner dans les directions régionales.

M. Duchesneau (Jacques): Effectivement.

M. Gautrin: Je vous remercie.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Bon, ça termine le temps de ce bloc. C'est maintenant aux députés indépendants... le deuxième bloc des députés indépendants, et la première question est toujours dans l'ordre alphabétique des comtés, c'est le député de Mercier qui va poser la prochaine question, pour 3 min 45 s précisément.

M. Khadir: Bonsoir, M. Duchesneau. Félicitations à vous et à votre équipe pour l'excellent travail.

Vous avez parlé d'un moment de vérité politique, alors je veux vous inviter à parler des responsabilités politiques, la question du financement des partis.

Dans votre rapport, vous faites état de collecteurs de fonds qui appartiennent à des secteurs précis de l'économie. En fait, vous nous mettez en garde contre la dépendance des partis vis-à-vis des secteurs de l'industrie: des gens à la tête de firmes de génie-conseil ou de firmes de construction qui organisent le financement des partis politiques. Vous êtes même allé jusqu'à dire... de parler de vautours qui rôdent alentour des partis politiques, d'accord?

Maintenant, vous nous avez dit également que vous n'avez pas pu établir, dans votre enquête, à partir de vos observations, de rapport entre ces vautours, ou ces organisateurs financiers sectoriels, et l'octroi des contrats publics.

Alors, ma question est: Est-ce que ces collecteurs de fonds peuvent agir à d'autres niveaux, dans l'orientation, dans le choix des projets, dans la planification des investissements pour que ça puisse profiter à leurs secteurs?

M. Duchesneau (Jacques): Notre enquête ne me permet pas de faire une telle affirmation. Encore là, comme je vous dis, le financement des partis politiques est venu nous heurter, et, avec les rencontres qu'on a eues avec le DGE, toute l'information qu'on a recueillie va leur être transmise, et je peux vous dire qu'ils sont très intéressés à poursuivre l'enquête -- et ça, c'est à l'intérieur de leur mandat.

M. Khadir: Vous avez dit, dans le monde municipal, vous avez pu établir le lien.

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Khadir: Souvent, c'est les mêmes acteurs qui financent et organisent les partis provinciaux. D'accord?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Khadir: Alors, venons-en: le directeur des deux dernières campagnes du premier ministre est vice-président d'une des plus grandes firmes de génie-conseil. Ensuite, l'un des deux principaux collecteurs de fonds du Parti libéral depuis des années, qui est un ami du premier ministre, est à la tête d'une grande firme de construction. Nous allons dévoiler des documents à l'appui de ce que je viens de vous affirmer dans les prochains jours, même de liens où cette personne invite les gens du milieu du crime organisé dans des activités de financement, d'accord?

Maintenant, est-ce que, dans cette situation, dans ces circonstances, le premier ministre ne s'est pas mis dans une situation de vulnérabilité par rapport à ces vautours?

M. Duchesneau (Jacques): Si j'avais été élu membre de l'Assemblée nationale, je pourrais répondre à votre question. Mais ça, c'est une question qui est éminemment politique, qui est bien loin de l'enquête que, nous, on a faite.

M. Khadir: Est-ce que ça vous inquiète quand vous entendez dire ça?

M. Duchesneau (Jacques): Est-ce que ça m'inquiète, comme citoyen, j'imagine, si votre affirmation est celle-là. Mais je...

M. Khadir: Non, mais, à partir de vos observations dans le monde municipal...

M. Duchesneau (Jacques): Je n'ai rien d'autre qu'une opinion citoyenne à vous donner.

M. Khadir: M. Duchesneau, à partir des observations dans le monde municipal, ça fait presque clés en main, ça, hein, dans le monde municipal, organisateur de campagne plus collecteur de fonds. Là, on parle de la tête de l'État, et c'est le même topo, c'est le même tableau. Est-ce que dans votre...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il reste 20 secondes.

M. Khadir: ...dans vos observations, étant donnée l'influence de ces personnes sur les orientations, est-ce que ça ne vous inquiète pas pour l'État québécois?

M. Duchesneau (Jacques): Une chose que j'ai apprise, comme enquêteur, c'est qu'avant de faire quelque affirmation que ce soit il faut que ce soit basé sur ce que j'ai vu. Là, vous me...

M. Khadir: Le premier ministre devrait se...

M. Duchesneau (Jacques): ...là, vous me dites ça...

M. Khadir: Donc, vous nous avez dit que, tous les politiciens, on devrait se mettre à l'abri de ce genre de situation conflictuelle; est-ce que, ça, je peux dire ça?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Khadir: Très bien.

M. Duchesneau (Jacques): Le message est... s'adresse à tout le monde.

M. Khadir: Donc, si, moi, je ne me mets pas à l'abri, je suis fautif. Si n'importe qui d'entre nous ne se met pas à l'abri puis permet que des collecteurs de fonds ou des vice-présidents de grandes firmes de génie-conseil organisent ma campagne, collectent de l'argent pour moi...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Cette partie...

M. Khadir: ...je suis fautif.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...de la période de questions est terminée. Merci, M. le député de Mercier. J'invite maintenant le député de Nicolet-Yamaska à poser la prochaine question.

M. Aussant: Merci, M. le Président. Bienvenue aux trois personnes. M. Duchesneau, je vais peut-être poursuivre sur le financement. Vous avez semblé identifier dans le rapport quelques grands piliers de ce système-là, là. Il y a le crime organisé, évidemment, les firmes d'ingénieurs, les entrepreneurs et le financement des partis politiques. Ne pensez-vous pas que, si le financement des partis politiques devenait public, en d'autre termes qu'il n'y ait plus de dons privés, un des piliers de ce système-là s'écroulerait, et qu'on est peut-être rendus là, au Québec, d'avoir un système de financement public?

M. Duchesneau (Jacques): Encore là, ce n'est pas ma spécialité. Ce que je vous dirais, c'est que c'est une option. La seule chose où je pourrais ajouter à ce que vous dites, basé sur mon expérience, c'est que tout système qu'on met en place va rapidement être contourné si on ne se donne pas les balises et des systèmes de protection. Pour donner un exemple, M. René Lévesque, qui avait amené la loi sur le financement des partis politiques... Je pense que tout ça part d'une bonne idée. Rapidement, des gens ont été capables de le contourner, et ça, preuve à l'appui, avec les accusations portées par le DGE. Alors, tout ce que je vous dis, et ça, je pense que c'est la limite de l'expertise que j'ai, c'est: Ne pensez pas qu'un système qui va être mis en place peut être là pour 25, 30, 40 ans. Il faut qu'on évolue en même temps.

M. Aussant: Parfait. Vous avez dit à quelques reprises depuis ce matin -- ou cet après-midi -- qu'on n'en a pas pour notre argent dans le système actuel. Vous avez identifié près de 350 millions d'économies en quelques mois parce que vous êtes plus visible. Avez-vous un estimé de l'argent qu'on a perdu depuis quelques décennies? Est-ce que vous avez fait un calcul d'argent qu'on aurait pu perdre à cause du système en place?

M. Duchesneau (Jacques): On n'a pas fait ce calcul, mais plusieurs personnes nous disent qu'on parle de beaucoup d'argent. Mais, nous, on n'a pas fait le calcul. Je n'avais pas d'outils pour le faire d'ailleurs.

M. Aussant: O.K. Et, pour revenir à une question que le député de... mon collègue de La Peltrie a posée aujourd'hui, mais son temps était écoulé: Si le système qui est en place aujourd'hui a mis 30 ans à se bâtir, comme vous le disiez, est-ce qu'on ne peut pas... En fait, on ne peut pas faire l'hypothèse que tous les ministres qui se sont succédés, tous les cabinets qui se sont succédés depuis 30 ans ont découvert, avec votre rapport, l'existence du système actuel. Donc, on doit faire l'hypothèse qu'il y a des gens, à travers ces 30 années là, qui savaient ce qui se passait, mais qu'on en est quand même, aujourd'hui, où on est là.

M. Duchesneau (Jacques): Non, je ne pourrais pas... personnellement, je ne pourrais pas faire une telle affirmation. Encore là, basé sur mon expertise, c'est que vous avez affaire à de fins renards. Alors, je ne peux pas, moi, penser que des gens sont à prime abord malhonnêtes, ni d'un côté ni de l'autre. Mais vous savez que les plus longs voyages commencent toujours par un premier pas. Moi, je pense qu'aujourd'hui l'exercice qu'on fait, c'est une prise de conscience collective qui peut nous amener à prendre des décisions qui vont empêcher que des situations comme ça perdurent pendant aussi longtemps. Mais, encore là, je reviens avec mon champ d'expertise: mettez un système en place aujourd'hui et commencez à le surveiller dès demain.

M. Aussant: ...justement, le premier pas d'aujourd'hui, vous avez parlé de huis clos peut-être jumelé à une commission d'enquête publique. En toutes circonstances, est-ce vous voulez une commission d'enquête publique ou, dans certains cas, vous pensez qu'un huis clos serait suffisant?

**(21 heures)**

M. Duchesneau (Jacques): Je pense que je n'ai pas été clair là-dessus, je profite de l'occasion pour... La position que j'ai émise aujourd'hui, là, c'est que je crois à une enquête publique. Ce que je dis -- et je vais tenter d'être clair, parce qu'il est rendu tard -- mais ce que je dis, c'est: Commençons par la première étape, qui est le huis clos, et peut-être que le huis clos est capable de régler des problèmes. Je pense que l'expression utilisée par M. Curzi, tantôt, était plus limpide que la mienne.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je suis obligé de vous interrompre là-dessus. Vous aurez sûrement l'occasion d'y revenir. De toute façon, des perches vous seront tendues, je n'en doute pas un instant.

M. Khadir: ...le consentement de tous les membres de la commission pour que M. Duchesneau termine sa phrase.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Si tout le monde est d'accord, ce sera du temps qui vous sera retiré évidemment. Mais est-ce que vous le souhaitez, n'ayant...

Des voix: ...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, terminez... terminez votre pensée rapidement, s'il vous plaît.

M. Duchesneau (Jacques): J'allais citer un de vos collègues après mon exposé, que je pensais clair, une discussion avec M. Curzi, et son expression, je pense, décrit très bien. Moi, je vois l'étape de huis clos comme un tamis, c'est-à-dire que ce n'est pas tout ce qui passera à l'étape du huis clos qui s'en ira nécessairement à une enquête publique. Si l'étape du huis clos nous dit: Oh! Je pense qu'on a des fondements à poser des questions. Oui, allons vers le public. Est-ce que c'est plus clair?

Le Président (M. Simard, Richelieu): En tout cas, c'est le temps que vous aviez pour cette question. J'invite maintenant la députée de Rosemont à poser la prochaine question.

Mme Beaudoin (Rosemont): Ce n'est pas encore totalement clair dans mon esprit. M. Duchesneau, bonsoir. Alors, peut-être que vous pourriez y revenir, parce qu'il reste cette ambiguïté, en effet. Parce que je crois que le député de Verchères a bien expliqué que les commissaires dans le cadre d'une commission d'enquête publique pourraient, à certains moments, tenir une partie des audiences à huis clos. Alors, moi, je préfère cette notion de commission d'enquête publique à l'intérieur de laquelle il pourrait y avoir en partie un huis clos. Mais vous semblez aller dans un autre... dans un autre sens.

Mais ma question... Je veux revenir sur le financement des partis politiques aussi parce que, très franchement, dans la section 12.1, quand vous dites, en commençant, dans votre rapport: «Comment ne pas évoquer déjà l'horizon du politique, le financement occulte des partis et l'enrichissement personnel de certains élus?», qu'est-ce que vous pensez que les citoyens qui lisent ça se disent? Ils se disent: Eh bien! On le savait. Tous pourris, on s'en doutait, etc. C'est, à mon avis, en tout cas, très grave. Et, par conséquent, le seul d'ailleurs témoignage que vous avez retenu, ça doit être parce que vous le trouviez crédible, dans votre rapport, c'est un ex, dites-vous, conseiller politique qui dit: «Le secteur de la construction est extrêmement sollicité par les partis de tous les paliers de gouvernement, pour ce qu'on appelle du financement sectoriel. [...]Dans les faits, [les politiciens] savent très bien qu'une entreprise a contribué plus de 100 000 $ à [la] caisse électorale et c'est pour cette raison, notamment, que les gens de la construction ont si facilement accès aux décideurs sur qui ils peuvent exercer une grande influence.»

Si ce n'est pas sur les contrats, M. Duchesneau, c'est sur quoi? Si vous avez retenu ce témoignage, j'imagine que -- c'est le seul qui est dans cette section-là -- c'est parce qu'il était crédible. Alors, qu'est-ce que vous avez à nous dire là-dessus ce soir?

M. Duchesneau (Jacques): Bonne question. Je ne sais pas si vous allez aimer la réponse, mais cette personne, qui était en poste il y a un peu plus de huit ans, nous a clairement expliqué comment il était devenu populaire au sein du parti quand il a occupé un certain poste. Or, on a mis ça là parce qu'on pensait qu'il faisait vraiment une synthèse de ce qu'on avait entendu de d'autres personnes.

Comment se fait ce lien entre beaucoup de contrats et beaucoup d'amis politiques? Encore là, je vous dis que ça n'a pas été au centre de nos travaux, mais à tout le moins, moi, je vous dis: Il faut regarder cet aspect-là. C'est pour ça qu'on travaille avec le DGE, pour tenter peut-être de résoudre l'imbroglio. Mais on ne peut pas plaider -- sans dire l'ignorance -- la surprise. On ne peut pas plaider la surprise quand on parle de financement des partis politiques. En tout cas, selon nous, on ne peut pas.

Mme Beaudoin (Rosemont): Il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il vous reste 20 secondes.

Mme Beaudoin (Rosemont): Ah bon! Bien, alors, disons que je suis arrivée ici, cet après-midi, M. Duchesneau, en croyant fermement qu'il fallait une enquête publique sur la construction et le financement des partis politiques. Et honnêtement je repars... je vais repartir ce soir, dans quelques minutes, aussi convaincue de cette nécessité.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Voilà le temps qui était à votre...

M. Duchesneau (Jacques): Vous partagez mon texte, parce que c'est le sens de mes propos cet après-midi.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, mais je voudrais vous faire dire qu'il faut une enquête publique.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Voilà, le temps est écoulé. Voilà qui est pour le bloc qui était réservé aux indépendants. Et je me tourne maintenant du côté des ministériels, et c'est le député de Chomedey qui va poser la question.

M. Ouellette: Merci, M. le Président. Je reviens à vos pistes de solution, M. Duchesneau, la piste de solution 6 qui prévoit, «au contrat d'embauche des membres du personnel, et en particulier des ingénieurs, une clause renforcée interdisant de s'associer, de quelque façon que ce soit, avec une firme ou une entreprise faisant affaire avec le ministère, et ce, pour une période de deux années suivant l'interruption temporaire ou définitive de leur emploi, et que chacun signe en outre une entente de confidentialité, afin de prévenir tout favoritisme et la transmission de données sensibles, mais aussi de restreindre les départs et faire en sorte que le ministère préserve son expertise». Vous l'avez mis dans vos pistes de réflexion. Il y a déjà des choses qui sont en marche au ministère, là-dessus, il y a déjà des choses qui sont en marche pour la clause de deux ans.

Je vous demande votre avis aussi sur... Il y a déjà dans d'autres organismes... et je pense à la CCQ, entre autres, qui a cette piste de solution là du deux ans qu'il y a déjà au ministère et dans d'autres ministères, et qui... en plus, à la CCQ, pour ce genre de... une certaine catégorie d'emploi ou une certaine catégorie professionnelle, on a rajouté la déclaration d'intérêt et on a rajouté l'habilitation sécuritaire, c'est-à-dire vérification auprès des forces policières.

Je voudrais que vous alliez un petit peu plus loin dans pourquoi cette recommandation 6, sachant qu'il y a déjà des choses de prévues dans d'autres ministères et que le deux ans déjà existe. Et quelle est votre opinion sur ce qui est en vigueur ou ce qui a été mis en place par la présidente de la CCQ, là, pour la déclaration d'intérêt et l'habilitation sécuritaire? Est-ce que vous pensez que ça pourrait aider?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Je pense que oui, ça pourrait aider énormément, mais ça, je peux vous dire que ça a été un élément qui a froissé beaucoup de gens à l'intérieur du ministère, le fait d'être obligé de transiger avec des gens qui avaient déjà été les patrons, et c'est pour ça qu'on l'a mis dans cette recommandation avec la note: À être traité de façon la plus urgente possible.

Vous savez, j'ai travaillé au gouvernement fédéral, et on avait cette clause. La clause allait même jusqu'à trois ans après avoir quitté notre fonction, on ne pouvait pas revenir en fonction. Donc, on devait avoir une période de refroidissement, si vous voulez. Je pense que c'est tout à fait essentiel si on veut éviter justement certains abus.

M. Ouellette: M. le Président, je veux...

M. Marcoux: Excusez, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui. M. le député de Vaudreuil voudrait poser une question, à ce moment-ci.

M. Marcoux: M. le Président, c'est vraiment une question incidente à celle que mon collègue de Chomedey a posée. Dans le cadre de la Loi de la fonction publique, est-ce qu'il existe des dispositions qui prévoient la confidentialité si quelqu'un quitte le gouvernement? Et vous jugez que ce n'est pas suffisant dans le cas des ingénieurs qui quittent le ministère des Transports, parce que, s'ils prennent leur retraite, je pense qu'ils ont... il y a déjà une disposition, il me semble, qui prévoit un délai de deux ans. S'ils quittent sans prendre leur retraite, est-ce que vraiment c'est ce qui cause, là, pour vous, les inquiétudes, et la même inquiétude pour moi également, c'est clair?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Bien, je ne sais pas le détail de la Loi sur la fonction publique. Je prends juste mon contrat, j'ai aussi cette clause qui m'empêche justement d'aller plus loin. Donc, je dois garder une certaine distance, là, des activités du ministère.

**(21 h 10)**

M. Ouellette: Merci, M. le Président. Je vais aller à votre piste de solution 27. Vous mentionnez, dans votre piste de solution 27: «Poursuivre la procédure consistant à communiquer avec les entreprises dont on se serait attendu à ce qu'elles soumissionnent, mais qui s'en sont abstenues, dans la perspective de générer de l'information utile au travail de l'Unité anticollusion.» Si je comprends votre piste de solution, est-ce que systématiquement, maintenant ou depuis l'arrivée en poste de l'Unité anticollusion, le ministère va vérifier auprès des soumissionnaires ou des gens qui vont demander les papiers pour l'appel d'offres s'il n'y a pas eu un aspect de collusion ou quoi que ce soit, ou pourquoi, s'ils ont demandé les papiers d'appel d'offres, pourquoi ils n'ont pas soumissionné? Est-ce que ça se fait, un, systématiquement? Deux, est-ce que c'est quelque chose que vous recommandez qui soit dans l'entrepôt général de données? Et, trois, est-ce que, si ça ne se fait pas systématiquement, ça devrait être quelque chose qui se fait systématiquement, là? Je veux vous entendre là-dessus.

M. Duchesneau (Jacques): On me posait la question tantôt sur nos méthodes d'enquête, comment on allait chercher... Ça en est une des pistes qu'on utilisait, pourquoi les gens se sont retirés. Si on avait notre entrepôt de données, on aurait peut-être des surprises quant au fait que certaines entreprises se retirent toujours. Dans 90 % des cas, dans 85 % des cas. Il y a des gens qui se contentent de simplement soumettre et de ne jamais avoir de contrats, et ça, ça peut en tout cas laisser de gros points d'interrogation.

M. Gautrin: ...parlez de soumettre, mais il y en a beaucoup aussi qui vont chercher des papiers...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Gautrin: ...pour pouvoir... et qui après ne vont pas... ne veulent pas...

M. Duchesneau (Jacques): Aussi.

M. Gautrin: ...soumissionner. Ça, c'est un...

M. Duchesneau (Jacques): Un des deux.

M. Gautrin: On a remarqué ça. Moi, quand j'ai traversé des contrats sur une petite période, j'ai remarqué bien souvent... c'est-à-dire on va chercher les papiers, on fait comme s'il y avait une vraie... et après il n'y a qu'un seul soumissionnaire qui décide de soumissionner.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Quand il y a un seul soumissionnaire, le...

M. Gautrin: Maintenant, ça va au sous-ministre.

M. Duchesneau (Jacques): Oui, puis il faut que des démarches soient entreprises, et on peut négocier. Cependant, l'effet pervers de ça, c'est qu'on a vu des gens devenir le deuxième soumissionnaire à un prix vraiment hors champ tout simplement pour laisser la place au plus bas soumissionnaire. Donc, pour chacune des mesures, il faut faire attention comment les gens travaillent.

M. Gautrin: Vous avez même rappelé tout à l'heure qu'il existe parfois une même personne qui est trois fois... la même personne qui soumissionne trois fois, puisqu'on ne connaît pas le pedigree de la personne qui soumissionne.

M. Duchesneau (Jacques): C'est exact. Exact.

M. Ouellette: Il reste du temps?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Trois.

M. Ouellette: Trois minutes. Je veux revenir, moi, sur votre piste de solution 29. Disons que, dans une ancienne vie, de par mon expertise devant les tribunaux, je suis un gars d'archives. J'étais un peu préoccupé par votre piste 29 qui disait d'«exiger qu'une fois complétés les travaux, l'ingénieur chargé de la surveillance du chantier transmette toute la documentation afférente -- c'est-à-dire les plans, les construits, les devis, les bordereaux, etc. -- [...] et qu'elle soit conservée en totalité par le ministère, afin que les inspections et l'entretien ultérieurs soient réalisés en connaissance de cause, et ce, pour toute la durée [...] utile de l'ouvrage». Ça ne se fait pas?

M. Duchesneau (Jacques): Pas de façon systématique, et, encore là, ça, ça serait des données qui pourraient être dans notre entrepôt de données. Encore là, plus on a d'informations, plus on est capables d'avoir un portrait complet. Ça se fait. Est-ce que ça se fait de façon systématique? Pas selon ce que, nous, on a appris.

M. Ouellette: O.K. Oui, vas-y.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il reste cinq minutes.

M. Marcoux: Oui, M. le Président, merci. Je pense qu'une question qui s'inscrit sur un sujet, une autre de vos pistes de réflexion, et c'est celle... la 37, à la page 60, où vous dites: «S'assurer que, dès la fin des travaux, les ingénieurs chargés de projet du ministère procèdent à l'évaluation de la performance des firmes de génie-conseil, qu'ils fassent de même à l'égard des entrepreneurs et que ces rapports soient conservés au dossier [pour] servir, le cas échéant, à leur prochaine préqualification.»

Donc, et si je comprends, c'est une recommandation ou une piste de réflexion qui découle du rapport de la commission d'enquête, là, sur l'effondrement du viaduc de la Concorde, ce qui veut dire qu'actuellement ça ne se fait pas du tout. Si je comprends, vous dites: On recommande que ça se fasse. Et donc est-ce que ça aussi, ça entrerait dans l'entrepôt de données central, là, dont nous parlions? Est-ce que ça serait pour vous un des éléments également?

M. Duchesneau (Jacques): Et, pour répondre de façon plus complète à la question de M. Ouellette, c'est que souvent les papiers sont gardés aux bureaux du génie-conseil et ne sont pas transmis au MTQ. Mais c'est ça, c'est que ça ne donne pas... on n'obtient pas le but recherché. Il faudrait, si on créait cette banque de données, que toutes ces informations soient compilées, et là on peut voir justement les constantes et nous donner un meilleur aperçu.

M. Marcoux: Et, selon ce que vous avez pu constater, M. Duchesneau, par vos conversations et les rencontres que vous avez faites, là, est-ce que le ministère est d'accord sur la recommandation 37 pour justement procéder à l'évaluation après chaque projet et transmettre ça et le conserver dans un fichier central?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, ça fait partie des discussions qu'on a eues avec Mme Savoie, la nouvelle sous-ministre, qui veut justement qu'on aille plus loin dans ce dossier de l'entrepôt de données.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Ce bloc étant maintenant terminé, je vais poser la première question du bloc suivant. Et je m'explique très rapidement, M. Duchesneau.

Sur la question du financement des partis politiques et de la collusion, si on constate que la planification des travaux, que la conception et la surveillance, c'est fait par les firmes d'ingénieurs plutôt, maintenant, que par des ingénieurs du ministère, est-ce que le principal objet de la collusion, maintenant, parce qu'il n'y a pas beaucoup de firmes, c'est de justement obtenir que ce soit fait dans le privé? Est-ce que ce n'est pas ça, la pression qui est faite sur les élus de s'assurer qu'on réduise de plus en plus le ministère et que le privé ait toute la place? Est-ce que ça ne serait pas ça, là, essentiellement? Au lieu de chercher le lien direct entre des élus et l'attribution d'un contrat, est-ce que ce ne serait pas plus fructueux de chercher dans cette direction-là?

M. Duchesneau (Jacques): C'est une hypothèse. Est-ce que je peux la soutenir? Non. Mais c'est une hypothèse.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Est-ce qu'elle vous apparaît le moindrement plausible, au vu de ce que vous avez constaté?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, à ce que je sache, cette réduction d'effectif s'est faite dans un cadre beaucoup plus global de réingénierie de tous les systèmes. Alors, ça serait, moi, de prêter une intention aux gens qui ont pris cette décision. En fait, je ne suis pas capable de vous répondre à cette question.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Enfin, je laisse à chacun le soin de trancher. M. le député de Verchères, pour la suite.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Je vais faire appel à votre vaste expérience et à votre flair policier. Je le disais un peu plus tôt aujourd'hui, les seules informations que nous ayons à ce jour sont celles qui ont coulé dans les médias. Et même votre comparution ce soir, s'il n'y avait pas eu une fuite de votre rapport, vous ne seriez probablement pas assis avec nous ce soir. Qu'est-ce qui, selon vous, explique ces fuites dans les médias?

M. Duchesneau (Jacques): C'est sûr qu'il y a de la frustration quand on parle des fuites en général. J'imagine que beaucoup de personnes sont comme des enfants, elles aussi veulent avoir le plaisir immédiat. Ça peut être les deux seules explications que je pourrais donner. Mais, oui, on sent un climat de tension actuellement. On sent le climat de tension dans le monde de la construction, on sent un climat de tension chez les gens qui nous interpellent pour nous donner de l'information, des gens qui, sans qu'on les sollicite, nous appellent pour donner de l'information.

Cependant, et je l'ai dit et redit, il faut garder les choses dans leur juste perspective. Et de montrer, comme on l'a fait aujourd'hui... je pense que c'est un exercice qui est exténuant pour tout le monde, mais, pour moi, je trouve ça prometteur.

M. Bergeron: Vous disiez, dimanche, à Tout le monde en parle, que les policiers portent un fardeau important. Est-ce que ce serait possible d'expliciter ce que vous vouliez dire?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, fardeau important de trouver les éléments de preuve dans un type de crime qui est peut-être plus compliqué qu'on pense. Quand un policier a à résoudre un crime et qu'il part d'une scène de crime, on dit toujours dans le milieu policier qu'une scène de crime parle. Donc, je suis capable d'interpréter ça. Mais, quand c'est une entente verbale entre un ou plusieurs individus, c'est plus dur de faire la preuve.

Et l'autre chose, c'est... il faut aussi s'assurer qu'une fois qu'on a porté des accusations il faut s'attendre que les gens qu'on aura accusés vont sortir l'artillerie lourde pour pouvoir se défendre; ils donnent du travail aux avocats. Alors donc, il faut que notre preuve soit blindée, et donc s'assurer que les premières causes qui seront faites vont être capables de passer le test du tribunal, qui va sûrement aller à plusieurs instances. Donc, on ne peut pas se permettre l'erreur dans les premiers instants. En fait, le fardeau de l'erreur est sur l'épaule des policiers de l'opération Marteau, c'est dans ce sens-là que je dis qu'ils n'ont pas une mince tâche.

M. Bergeron: Pression, frustration, est-ce que c'est, selon vous, ce qui explique ces fuites? Parce qu'on met énormément de pression et qu'il y a une frustration de ne pas voir le travail aboutir?

**(21 h 20)**

M. Duchesneau (Jacques): Non, je pense que c'est parce qu'on est habitués, encore là, dans du... solution de crimes de droit commun ou crimes... tout le monde comprend. Là, on est dans un autre monde, et ça va prendre un certain temps. Je peux vous dire que, nous, à l'Unité anticollusion, ça nous a pris un bon six mois à même juste saisir ce qu'on aurait dû saisir rapidement parce qu'on était dans un autre monde. Moi, ce que je souhaite, et c'est le but de l'Unité permanente, c'est qu'effectivement elle soit permanente et qu'on ait des gens qui, au fil des ans, auront fait leur carrière dans le domaine de l'anticorruption, et là, à ce moment-là, vous aurez une commission parlementaire comme ça qui va se situer à un autre niveau. On apprend, et c'est encore là une chose, comme je le disais, où on doit développer l'expertise, et le temps va jouer, je pense, en notre faveur.

M. Bergeron: Si je comprends bien, vous n'accordez que peu de foi aux témoignages des journalistes qui disent que des procureurs, des fonctionnaires, des policiers leur ont parlé parce qu'ils ont un sentiment que ça coince dans la machine?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, moi, je peux vous dire que je n'ai pas eu ces pressions-là. Maintenant, qu'est-ce que les gens vivent à d'autres niveaux? Mes contacts avec les gens de l'opération Marteau ne sont pas fréquents, donc je n'ai pas eu ce commentaire-là. Les procureurs, on sait qu'il y a eu des négociations récemment, est-ce que ça a joué dans le dossier? Je ne le sais pas. Mais, de notre côté, nous, notre frustration est à un autre niveau.

M. Bergeron: Est-ce que, selon vous, la lettre anonyme, qui a été rendue publique vendredi dernier dans les pages d'un quotidien montréalais, et les rumeurs d'un déplacement horizontal du numéro deux de l'opération Marteau seraient pour vous des illustrations de cette pression, de cette frustration que vous évoquiez il y a quelques instants?

M. Duchesneau (Jacques): Bien, moi, je connais le policier dont vous parlez, les rapports que j'ai eus avec lui étaient excellents. Ça, je peux vous dire ça. Maintenant, pour le reste, on a tous été patrons, il y a des fois que, moi-même comme dirigeant, j'ai eu à prendre des décisions qui, peut-être mal expliquées, ont eu une autre perception. Décider, c'est faire des choix.

M. Bergeron: Vous parliez de l'opération Carcajou où on avait mis ensemble l'ensemble des ressources, c'est notre collègue de Chomedey qui le disait, les bleus, les verts qui ont travaillé ensemble. Il semble que, dès le départ, il y ait eu comme une fausse note du côté de l'opération Marteau, puisque les bleus n'y étaient pas au départ. Alors, croyez-vous que ça a peut-être contribué à ce climat qui est un peu malsain actuellement, qui semble être malsain actuellement?

M. Duchesneau (Jacques): À l'époque, j'étais commentateur à la télévision, et c'était une de mes premières sorties, c'est-à-dire que c'était inconcevable que des policiers municipaux ne fassent pas partie de l'opération Marteau. Et la question que je me posais, c'est: Est-ce qu'à ce moment-là on craint que les policiers qui viennent de la ville de Montréal ne sont pas assez fiables? Parce qu'on était à l'époque où il y avait plusieurs allégations qui étaient faites dans les médias. Rapidement, on a eu des policiers de la ville de Montréal qui sont à l'opération Marteau et qui font un bon travail.

Vous savez, il n'y a rien de nouveau. À la CECO de 1972, les audiences ont commencé plus tard, mais, dès 1972, on a mis les policiers de plusieurs services de police ensemble, et je peux vous dire que ce n'est pas une sinécure. Ça a été la même chose avec Carcajou: les conditions de travail qui étaient différentes d'un service de police à l'autre, deux policiers de deux services de police différents travaillaient ensemble, ils avaient une rémunération qui était différente, ça a été l'enfer. Mais ça, on a appris, on a amélioré les choses. Moi, quand j'ai rencontré des policiers de l'opération Marteau, ils étaient fiers de ce qu'ils faisaient. Maintenant, est-ce qu'il y a des problèmes à d'autres niveaux? Je ne suis pas la personne qui peut vous dire ça. Mais gérer des personnes, ce n'est pas facile.

M. Bergeron: Vous avez eu une réponse à votre question quant à la compétence des policiers du Service de police de la ville de Montréal par le fait que des bleus ont été intégrés à l'opération Marteau. Ceci dit, avez-vous eu vraiment le sentiment qu'on avait considéré que c'étaient des gens compétents pour faire le travail?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Oui. En fait, même un des policiers de Montréal est un dirigeant d'un groupe de travail. Vous savez qu'après un certain temps vous ne vous rappelez plus si celui qui est avec vous, c'est un policier de la Sûreté du Québec, de la GRC ou de Montréal. Je pense que, par définition, les policiers ont le sang bleu ou vert, mais on vient à parler le même langage. Ce qui doit animer les policiers dans des opérations conjointes comme celles-là, c'est le but qu'on s'est fixé et de faire en sorte qu'on puisse l'atteindre.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, voilà pour ce bloc de questions. Nous passons donc du côté des ministériels. Et c'est le député de Laurier-Dorion qui va poser la prochaine question.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. M. Duchesneau, lorsque j'ai lu la partie et relu la partie sur la question du politique et le financement, dans votre rapport, à la page 50, et j'ai lu cette citation que vous avez, de cet ex-conseiller politique, et j'ai continué à lire et j'ai lu la note de bas de page, j'étais convaincu, à ma première lecture, même à la deuxième, qu'on parlait de quelqu'un qui émanait du monde municipal. Et, il me semble, j'ai entendu... J'ai écouté attentivement votre échange avec Mme la députée de Rosemont, et vous avez... vous semblez... si j'ai bien compris, vous parlez de quelqu'un qui émane du monde provincial.

Vous avez parlé d'une question de temps. Vous avez essayé de situer ça sur un nombre d'années. Évidemment, c'est dans le passé, de ce que j'ai compris de vos propos. Et évidemment nous savons tous, parce que nous sommes ici depuis tout à l'heure, que vous n'identifierez pas la personne, mais est-ce que vous pouvez nous donner davantage de contexte? Parce que, situé comme ça, vous avez commencé, et là, à un moment donné, vous avez laissé en suspens le contexte. On parle de quelqu'un qui émane du provincial, et ça date du passé. C'est dans le passé. Est-ce que vous pouvez nous situer un petit peu dans le temps, pour qu'on puisse avoir un contexte un petit peu, pour comprendre ce propos-là.

Mme la députée de Rosemont a quitté, disant qu'elle était plus convaincue que jamais, et que c'est à la base de cette citation-là qu'elle a vue dans votre rapport, et que vous avez trouvée crédible parce que vous avez dit que, si vous ne l'aviez pas trouvée crédible, elle ne serait pas dans le rapport... Et elle date de... Plusieurs lignes, là. Ce n'est pas trois lignes, c'est... Honnêtement, c'est la moitié de la page. Pouvez-vous nous situer davantage dans le contexte, dans le temps? Moi, je ne veux pas de noms, là. Je pense que, de toute façon, vous ne le donnerez pas, là. Mais nous situer un petit peu dans le temps.

M. Duchesneau (Jacques): Pour les dates... En fait, votre vraie question, c'est de savoir: Est-ce que c'est un organisateur politique libéral ou pas?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Traduit en termes simples.

M. Duchesneau (Jacques): Alors, la réponse: Non, ce n'est pas un organisateur libéral.

M. Sklavounos: Est-ce que je peux vous poser la prochaine question? Alors, c'est un organisateur politique de qui et de quelle formation politique?

M. Duchesneau (Jacques): Ah, vous pouvez la poser. J'ai la réponse. Mais, encore là, est-ce qu'on trahit les principes qu'on s'est donnés tantôt? Je comprenais de votre question que vous vouliez savoir: Est-ce que ça nous relie? Ma réponse à ça, c'est que ça ne relie pas le parti que vous représentez. Mais est-ce qu'il y a bien d'autres options? En fait, c'est une question de principe, de ne pas vous dire c'est quoi, le parti, parce que c'est la ligne de conduite qu'on s'est donnée aujourd'hui. Mais je...

M. Sklavounos: Je viens de comprendre.

M. Duchesneau (Jacques): O.K. Je vous dis, ce n'est pas tellement le récepteur. Je pense que l'émetteur, il commence à avoir les pensées... Je commence à avoir les pensées moins claires. Mais...

Le Président (M. Simard, Richelieu): 10 minutes, M. Duchesneau. Donc, normalement, vous allez vous rendre jusqu'au bout. Quels sont...

M. Sklavounos: Merci, M. Duchesneau.

Le Président (M. Simard, Richelieu): C'est Mme la députée de Gatineau qui va poser la prochaine question.

Mme Vallée: Bien, en fait, ça va couper le ton, mais j'avais une question de précision quant à votre mesure 18 pour l'instauration d'un système. Vous voulez la mise en place ou vous souhaitez la mise en place d'un système de préqualification des entrepreneurs. Il y a actuellement en place des mesures où les entrepreneurs doivent amener des certificats de conformité avec le ministère du Revenu. Il existe un système de préqualification pour les structures complexes. J'aimerais avoir un petit peu plus d'élaboration, parce que ce système de préqualification semble permettre, et corrigez-moi si je me trompe, de mettre de côté toutes les coquilles vides, finalement, les entités corporatives qui ne servent qu'à éluder un peu les systèmes...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Mme Vallée: ...entre autres choses.

**(21 h 30)**

M. Duchesneau (Jacques): Non, mais c'est un excellent point. Oui, éviter les coquilles vides. Mais, entre les coquilles vides et les entrepreneurs de grande importance, il y a quelque chose entre les deux. Et ce qu'on dit dans cette recommandation, et on le dit à plusieurs endroits dans le texte, c'est: Donnons donc la chance à tout le monde, c'est peut-être la meilleure protection qu'on peut avoir de recevoir ce pour quoi on paie.

Donc, il y a des petits entrepreneurs, et on l'a entendu ad nauseam, qui disent: On n'aura jamais de chance de se qualifier. Parce qu'en bout de ligne le ministère demande d'avoir... de mettre dans notre offre comme quoi on a eu plusieurs projets, mais on n'est jamais capables de se qualifier sur les projets. Et qu'est-ce que ça donne en bout de ligne? C'est qu'on favorise peu de compagnies qui ont, comme on dit en bon canadien, les reins assez solides pour pouvoir faire des contrats majeurs.

Mais souvent, dans des contrats d'importance, on est en mesure de scinder le même contrat pour laisser la chance à tout le monde. Et ça, je peux vous dire que c'est un cri d'alarme qu'on a entendu de plusieurs entrepreneurs.

Mme Vallée: Oui, parce que la question est souvent... arrive souvent: Comment on peut se distinguer d'un concurrent déloyal, donc, en se préqualifiant puis en écartant tous ceux qui ne détiennent pas suffisamment d'employés ou qui n'ont pas... Parce que souvent les gars, comme vous disiez tout à l'heure, sont payés au noir. Donc, ils ne font pas nécessairement partie de la liste officielle des employés. Donc, c'est ça que vous mettez en place, c'est-à-dire c'est un système de préqualification...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Mme Vallée: ...qui comporte des exigences minimales...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Mme Vallée: ...et qui serait, quoi, quelqu'un un petit peu sur un modèle qui existe à New York?

M. Duchesneau (Jacques): Là, je ne sais pas à New York, mais je peux vous dire qu'on l'a fait, nous, dans les aéroports canadiens, c'est qu'on a préqualifié des compagnies -- ce n'est pas tout le monde qui peut assurer le service qu'on donnait -- et que ça nous a permis de faire des gains importants. Et on allait même aussi loin que de dire: Quand on finalisait le contrat, on savait combien notre fournisseur avait de marge bénéficiaire.

Mme Vallée: Vous ne pouvez pas préqualifier non plus pour se rendre à l'exemple que vous avez cité des lampadaires où on se retrouve avec une seule entreprise qui correspond aux normes.

M. Duchesneau (Jacques): C'est l'homologation et, parce que le produit a été homologué, les firmes de génie-conseil sont obligées, quand on parle d'un lampadaire par exemple, de donner le modèle x, y, z, parce que c'est ce que le ministère a demandé. Nous autres, on dit: Faites attention quand vous homologuez, assurez-vous qu'on en ait pour notre argent.

Mme Vallée: D'accord. Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Vaudreuil, ou M. le député de Verdun, pardon.

M. Gautrin: Non, moi, brièvement, sur l'homologation, il y a des similitudes entre la situation dans l'informatique et la situation dans les industries de la construction. Et la manière dont on homologue, par exemple, ça nous permet d'avoir bien sûr un produit de qualité, mais ça ne permet pas les innovations et les nouveaux produits et les nouvelles choses qui sortent sur les marchés. Et très souvent ce qui arrive, particulièrement aussi dans le domaine des contrats d'informatique que je connais peut-être un peu mieux, c'est qu'on ne va pas chercher ce qui est le plus innovant et parfois au meilleur coût.

Alors, il y a toute cette dimension de l'homologation qui, à mon sens, pose un réel problème. Je ne sais pas si vous avez des éléments de suggestions à nous faire, parce qu'il y a du sens d'homologuer un produit parce que c'est une qualité qu'on nous donne, mais souvent ça brime en quelque sorte les produits les plus innovants et les plus innovateurs sur le marché.

M. Duchesneau (Jacques): Je ne peux pas mieux dire. Finalement, c'est exactement ça: c'est qu'on perd notre innovation en même temps. Et souvent des produits sont homologués pour une longue période et...

M. Gautrin: Absolument.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, voilà, ça met fin à ce bloc pour la partie ministérielle. Maintenant, nous entendrons, dans un premier temps, le député de Verchères pour le dernier bloc à l'opposition officielle.

M. Bergeron: Oui. M. le Président, à la section 8, on peut lire notamment: «...il [...] importerait [à l'UAC] de se doter rapidement d'une plateforme informatique à la hauteur du type d'analyses dont elle a besoin.»

On a expliqué tout à l'heure les raisons pour lesquelles on devait aller de l'avant, dans ce sens-là, en termes de partage de données, d'information. Sauf que vous n'êtes certainement pas sans savoir qu'il y a également des rumeurs, des allégations de collusion et de corruption également dans l'attribution des contrats informatiques du gouvernement.

Est-ce que c'est quelque chose sur laquelle... Est-ce que c'est une chose sur laquelle vous avez eu l'occasion de vous pencher?

M. Duchesneau (Jacques): ...pas du tout. Notre travail était vraiment sur les infrastructures routières. Mais je sais que, pour en avoir discuté avec le commissaires Lafrenière, l'informatique sera sûrement un champ qui pourra être regardé dans le futur.

M. Bergeron: Vous avez publiquement envisagé un élargissement peut-être du mandat de l'Unité anticollusion. Est-ce que c'est le genre de choses sur lesquelles vous aimeriez éventuellement pouvoir vous pencher?

M. Duchesneau (Jacques): Ça, ça a été un court commentaire. Ce que je disais finalement, c'est: Pourquoi, si, au ministère des Transports, on transige avec certaines firmes, que ces mêmes firmes là, qui travailleraient pour Hydro-Québec, changeraient leur façon de faire? Comme si on avait une façon de faire pour le MTQ puis une façon de faire avec Hydro-Québec. Donc, la logique voulait que, si on a à travailler sur des firmes ou des ingénieurs... ou des firmes de génie ou des entrepreneurs qui travaillent pour le gouvernement, bien, on devrait, encore là dans la même logique dont on a parlé tantôt, échanger l'information et voir s'il y a des trucs qu'on n'avait pas du tout remarqués. Donc, c'est tout simplement pour augmenter le niveau d'efficacité d'unités comme la nôtre.

M. Bergeron: Votre recommandation n° 42 porte sur le fait de faire en sorte que les firmes de génie-conseil assument leur responsabilité professionnelle, si je puis dire, par rapport aux plans et devis, et autres.

Vous sembliez proposer qu'il y ait un engagement, de la part des firmes, quant à cette responsabilité professionnelle. Est-ce que vous iriez même jusqu'à penser à éventuellement des modifications législatives qui feraient en sorte que la normalité des choses... c'est-à-dire qu'elles doivent assumer leur responsabilité professionnelle et que ce ne soit pas au ministère d'assumer, en bout de piste, la responsabilité professionnelle d'une expertise qu'il ne contrôle pas, là?

M. Duchesneau (Jacques): Comme je le mentionnais tantôt, on a déjà pris des mesures, au ministère des Transports, pour rendre imputables les firmes de génie. Donc, je peux vous dire que ça, c'est déjà en marche, et je pense que ça devrait se concrétiser bientôt.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Gouin, pour la prochaine question.

M. Girard: Oui. M. Duchesneau, vous avez indiqué, un peu plus tôt dans la journée, que votre unité avait produit trois rapports. On a eu copie du troisième rapport, mais j'aimerais savoir si, dans les rapports 1 et 2, il y avait des recommandations qui ont été formulées au ministère des Transports.

M. Duchesneau (Jacques): M. le Président, on n'a pas soumis trois rapports, on a rédigé trois rapports. En fait, le seul rapport soumis, c'est celui que vous avez devant vous. Le premier avait une saveur beaucoup trop enquête policière, et donc on a voulu lui donner... C'était un rapport qui manquait finalement d'analyse. Donc, le rapport n° 1 nous a permis de bâtir un rapport n° 2 et de produire le produit final que vous avez devant vous. Donc, ça a été comme une continuité. Le rapport n° 1, par exemple, arrêtait en octobre 2010, et là on est allés jusqu'au 1er septembre.

M. Girard: Et le rapport n° 2, il arrêtait à quel moment?

M. Duchesneau (Jacques): Le rapport n° 2, c'est quand je suis revenu de ma période au banc des punitions pendant trois mois. On a repris... Il y avait des travaux qui avaient été faits alors que je n'étais pas là, et encore là on a regardé puis on a dit: Non, ce n'est pas la saveur qu'on veut donner à notre rapport, celui-là a beaucoup plus une question de style, de forme.

M. Girard: Le rapport n° 3 a été rendu public, nous l'avons dans le cadre des travaux de la commission. Est-ce que vous auriez objection à ce que les rapports 1 et 2 soient également disponibles pour les membres de la Commission de l'administration publique?

M. Duchesneau (Jacques): Je pourrais vous dire que les rapports 1 et 2 sont vraiment des brouillons. Je pense qu'ils devraient rester à l'état de brouillons. Il n'y a pas grand révélations, et... En fait, pas pour cacher quoi que ce soit, c'est vraiment au niveau du style. Encore là, comme je le disais tantôt, on a appris pendant cette année et demie là, et je pourrais vous dire que le prochain rapport devrait prendre la même forme que celui-là aujourd'hui. Les deux autres, c'est comme si c'était un travail, là, qui était en évolution.

M. Girard: Le prochain... Votre prochain rapport, il est prévu à quel moment? Et est-ce que vous souhaitez qu'il soit rendu public?

M. Duchesneau (Jacques): En fait, ça a été notre premier et notre dernier rapport au ministère des Transports. Le prochain rapport va être celui de l'UPAC, qui sera rendu public par le commissaire.

M. Girard: Bertrand.

M. St-Arnaud: Oui.

**(21 h 40)**

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il reste six minutes, et c'est au député de Chambly à poser ses dernières questions.

M. St-Arnaud: Oui, M. le Président. Écoutez, M. Duchesneau, juste préciser un certain nombre de choses, là, que vous avez mentionnées. Si on en croit Le Devoir du 22 septembre dernier, vous auriez manifesté le désir d'enquêter sur Hydro-Québec, qui, comme chacun le sait -- on a parlé du ministère des Transports aujourd'hui, là -- mais est aussi... accorde aussi, là, des milliards et des milliards de dollars en contrats. Le même jour de cette manchette dans Le Devoir, le gouvernement a répondu que vous pouviez y aller, à Hydro-Québec.

Alors, ma question: Est-ce que vous avez le sentiment que vous pouvez débarquer à Hydro-Québec, là, présentement, avec votre équipe, pendant plusieurs semaines, pour... comme vous l'avez fait finalement au ministère des Transports?

M. Duchesneau (Jacques): En fait, on peut aller à Hydro-Québec depuis le 6 septembre, depuis qu'on a intégré officiellement l'UPAC. Avant ça, notre mandat était très clair: nos travaux restaient au MTQ. Alors, qu'est-ce que l'avenir nous promet? Bien, ça va être des discussions qu'on va avoir avec le patron de l'UPAC.

M. St-Arnaud: Mais, pour y aller, vous dites, là: On peut y aller, depuis le 6 septembre, via l'UPAC. Mais, vous, comme Unité anticollusion, est-ce que vous pouvez continuer le travail que vous avez effectué au ministère des Transports, dont on voit les résultats aujourd'hui? Est-ce que vous pouvez faire le même genre de travail pour Hydro-Québec?

M. Duchesneau (Jacques): Oui, on pourrait faire... En fait, dans tous les ministères... Encore là, si des firmes de génie et des entrepreneurs travaillent avec le MTQ, ils ne changeront pas leurs méthodes d'opération. S'ils le font bien au MTQ, ils vont sûrement bien le faire à Hydro-Québec ou dans tout autre ministère. C'était...

M. St-Arnaud: Mais, vous, là, M. Duchesneau, on est... ce soir, là, vous, votre intention pour la suite des choses, parce qu'effectivement Hydro-Québec, c'est des milliards et des milliards de contrats, puis, comme vous le faites remarquer, là, quand on regarde ça, il y a un certain lien entre les firmes qu'on constate au niveau du ministère des Transports puis celles que vous n'allez pas vraiment regarder du côté d'Hydro-Québec. Et puis je pourrais vous parler des contrats informatiques au gouvernement où manifestement, là, on constate, dans un autre secteur d'activité, des problèmes particuliers.

Vous, votre intention, à partir de votre souhait, là, à partir de maintenant, c'est quoi, les prochaines étapes pour cette unité qui a fait le travail qu'on a entendu, là, depuis 18 mois, au ministère des Transports? Mais, vous, vous... c'est quoi, les prochaines étapes pour cette unité -- qui, bien sûr, est maintenant à l'intérieur du chapeau UPAC -- mais qu'est-ce que vous avez l'intention de faire dans les prochains mois?

M. Duchesneau (Jacques): D'aller se mettre le nez dans les endroits où on est le plus vulnérables. Il y en a. Vous venez d'identifier Hydro-Québec, mais je ne connais pas la situation à Hydro-Québec, mais, de par l'ampleur des contrats qui y sont octroyés, il est bien évident qu'il pourrait être intéressant de le faire.

Contrats informatiques: déjà, le Commissaire Lafrenière a exprimé que c'était un aspect qu'on devrait regarder. Il y en a sûrement d'autres, et on aura des discussions, dans les prochaines semaines, pour justement donner le plan de match de l'Unité anticollusion pour les prochaines années.

M. St-Arnaud: Peut-être une dernière question. Est-ce que vous aurez les effectifs pour faire ce travail dans ces autres... ces autres pistes du... du... ces autres pistes du secteur public?

M. Duchesneau (Jacques): Oui. C'est aussi une question qu'on va devoir regarder. On parle de quatre enquêteurs de plus que ce qu'on a actuellement. Combien de ministères de plus on peut faire? On devra faire des choix. Je suis confiant qu'au ministère des Transports on a peut-être moins besoin des effectifs qu'on a eus dès le départ. On peut peut-être réduire le nombre de personnes qui travaillent au ministère des Transports, parce que, comme je vous dis, il y a, je pense, une certitude qu'ils ont pris leur envol. Il faudra... rentrer dans d'autres ministères et évaluer. Plus c'est gros, plus ça va nous prendre des ressources.

M. St-Arnaud: ...seconde. Si je comprends bien, M. Duchesneau, vous, votre intention, là, c'est de poursuivre le travail que vous avez fait au ministère des Transports, de le poursuivre dans d'autres ministères ou organismes publics, c'est ce que vous souhaitez? C'est ce que je comprends?

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Gouin, dernière question.

M. Girard: Une dernière question concernant encore là la présence des firmes de génie-conseil dans la foulée de l'effondrement de la poutre de 25 tonnes de béton du tunnel Ville-Marie. On a appris que 90 % des inspections des structures sont données à des firmes de génie-conseil et seulement 10 % à des inspecteurs gouvernementaux. En Ontario, c'est 50 % qui sont données, des inspections, à des inspecteurs gouvernementaux, donc 40 % de moins qu'au Québec.

Est-ce que, pour vous, ce n'est pas un exemple frappant de la perte d'expertise du ministère des Transports? Puis est-ce que vous trouvez ça normal que le ministère n'ait plus les ressources pour assurer l'inspection de ses propres structures dont il est responsable?

M. Duchesneau (Jacques): Non. Je l'ai dit dans le rapport et dans mon exposé aujourd'hui, il faut que le ministère se dote d'une expertise qui est disparue au fil des années. Ça, c'est clair, dans notre esprit, qu'il y a eu cette perte d'expertise et que ça se fait au détriment de l'efficacité. Alors, il faut se redonner...

Maintenant, quel pourcentage? Oui, j'ai lu, moi aussi, le reportage de 50-50 en Ontario. Est-ce que c'est la bonne formule? Ça aussi, je pense qu'on va devoir s'y attarder. Mais il faut donc faire une bonne répartition des ressources.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Voilà pour ce bloc. Dernier bloc de 7 min 35 s précisément aux ministériels, le député de Chomedey.

M. Ouellette: J'ai une petite question avant que mon collègue de Vaudreuil finisse le bloc, M. le Président, et c'est une question d'avocats. On a parlé des avocats une partie de la journée. Et des avocats, parce que je me souviens de certains questionnements de mes collègues criminalistes, dans une vie antérieure, qui disaient à la cour qu'une allégation c'était des faits dont l'existence restait à prouver ou qui relevaient de prétentions fantaisistes, là. C'était leur définition que les avocats donnaient au mot «allégation».

Nulle part dans votre rapport, M. Duchesneau -- il y a eu beaucoup d'allégations au niveau des firmes d'avocats dans les élections clés en main, dans ce genre de choses là -- je ne vois pas, dans les 87 pages... vous parlez beaucoup de génie-conseil, vous parlez beaucoup d'entrepreneurs, est-ce que vous n'avez pas eu d'information touchant les firmes d'avocats, ou y a-tu une raison pourquoi vous n'en parlez pas, ou ils ne sont pas là pantoute dans tout ce milieu-là?

M. Duchesneau (Jacques): Non. En fait, au ministère des Transports, on parle de génie-conseil, d'entrepreneurs et de quelques autres contrats, mais ce n'était pas... en tout cas, les firmes d'avocats ou d'autres types de firmes, là, n'étaient pas dans notre radar.

M. Ouellette: O.K. Vas-y, là.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de Vaudreuil.

M. Marcoux: Oui, M. le Président. M. Duchesneau, je voudrais référer à la piste n° 19 que vous avez à la page 58 de votre rapport, et ça touche l'attestation de non-collusion. Présentement, si je comprends, un entrepreneur qui obtient un contrat doit signer une attestation de non-collusion. Vous suggérez de préciser cette attestation-là en vous inspirant, je pense, selon la note que vous avez, de pratiques adoptées à l'étranger, et vous suggérez même, à l'annexe, une formulation.

Deux questions: Un, est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que comportent vos propositions de précision, quel impact ça peut avoir, parce que, je pense, ça... pour tenter d'éliminer davantage la collusion? Et, deuxièmement, est-ce que, selon vous, le ministère est ouvert justement à préciser dans le sens où vous le recommandez?

M. Duchesneau (Jacques): On a fait des recherches, dans d'autres pays, pour connaître quelles étaient justement leurs causes... ou leurs clauses anticollusion, et on a appris des choses. Imaginez-vous qu'on a un enquêteur policier mais aussi avocat -- ça existe -- et qui a travaillé cet aspect-là. Et on est en train de regarder différentes pistes avec les hautes autorités du ministère pour raffiner le système. Il faut que quelqu'un qui a quelque chose à se reprocher, quand il viendra le temps de signer cette clause anticollusion, à tout le moins, qu'il commence à trembler un peu, s'il pense que tout ce qui est dit là-dedans n'est pas vrai.

Alors donc, il faut raffiner et encore là continuer à revoir constamment ce genre de document. Et, selon ce qu'on a appris d'autorités américaines, ce document-là a eu un impact important pour réduire la collusion dans certains États américains. Donc...

M. Marcoux: Question additionnelle, M. Duchesneau. Est-ce que vous vous trouvez, par vos suggestions, à extensionner la portée de l'attestation à d'autres intervenants que l'entrepreneur lui-même et c'est ça qui renforcerait votre... l'attestation, par exemple, aux fournisseurs ou à d'autres intervenants?

**(21 h 50)**

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Fournisseurs, vous apportez aussi un bon point, parce qu'une des façons de contrôler le marché, c'est de contrôler la fourniture d'équipements. Alors, si vous êtes... si on est trois personnes qui veulent soumettre une offre au ministère et que, moi, non seulement je suis un entrepreneur, mais qu'en même temps je suis propriétaire de la tour, par exemple, là -- le luminaire -- et que mes deux personnes qui veulent soumissionner avec moi doivent acheter mon produit, bien, j'ai le contrôle sur eux. Ce que, moi, je paierais 100 $, je vais leur dire: O.K., tu peux faire une soumission, mais, à toi, je te le vends 125 $ -- peu importe le produit, là, ou ça peut être 300 000 $. Donc, j'ai un avantage concurrentiel incroyable sur ceux qui veulent concurrencer avec moi, quand ils vont présenter des offres. Alors, il faut regarder cet aspect-là aussi, la collusion peut aussi s'orienter par de la fourniture de certains produits et services.

M. Marcoux: Une dernière question et mon collègue de Verdun en aurait une toute dernière. J'imagine qu'il faudrait quand même qu'il y ait des sanctions...

M. Duchesneau (Jacques): Oui.

M. Marcoux: ...ou, si, par exemple, quelqu'un atteste la non-collusion et qu'on prouve subséquemment qu'il n'a pas dit la vérité.

M. Duchesneau (Jacques): Oui. Et ça, on n'en a pas qui ont suffisamment de mordant pour avoir un effet dissuasif.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Pour 1 min 30 s, M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Alors, très brièvement, et ça, je vais terminer par une question très générale. Page 21, dernier paragraphe, vous nous rappelez que, «dans cette lutte, il faut être constant et cohérent. Puis il faut gagner le soutien actif de la population. Tout comme on l'a ralliée à désavouer l'usage de l'alcool au volant et [adapter] de nouveaux comportements à cet égard[-là], on devrait pouvoir décourager la collusion et permettre d'encourager l'identification des situations douteuses.»

Dans le fond, à l'heure actuelle, nous sommes ici, nous, les parlementaires, en partie représentant la population, vous nous interpellez directement, et je voudrais vous entendre: Comment on peut faire un pas de plus dans cette direction-là?

M. Duchesneau (Jacques): Tout d'abord, avoir pris cinq heures pour entendre ce qu'on avait à dire sur le sujet, je lève mon chapeau à tout le monde. Et il faut créer un consensus social: Est-ce que la collusion, c'est une histoire inventée, ou on peut voir quelles sont les conséquences de la collusion sur notre société? Si vous perpétuez ce débat-là, moi, je pense qu'on vient de faire, en une journée, un pas de géant.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, ceci met fin aux échanges avec les députés.

Avant de quitter, s'il vous plaît, la commission se réunira demain, à 15 heures, pour préparer son rapport.

M. Duchesneau, d'abord vous remercier pour ces heures passées en notre compagnie. Je remercie de leur collaboration tous les députés qui ont été ici aujourd'hui et qui ont respecté scrupuleusement les règles de fonctionnement.

Je n'ai pas de conclusion définitive et personne ne pourrait, ce soir, tirer des conclusions définitives de nos travaux. Mais, chose sûre et certaine, vous l'avez vous-même noté: pendant cinq heures, ces débats ont été sur la place publique et contribueront, nous l'espérons, à faire avancer les choses. Je vous remercie.

(Fin de la séance à 21 h 53)

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