L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission des affaires sociales

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission des affaires sociales

Version finale

38e législature, 1re session
(8 mai 2007 au 5 novembre 2008)

Le lundi 29 septembre 2008 - Vol. 40 N° 57

Consultations particulières sur le phénomène de l'itinérance au Québec


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Remarques préliminaires

Auditions

Autres intervenants

 
M. Geoffrey Kelley, président
Mme Stéphanie Vallée
Mme Maryse Gaudreault
Mme Lucille Méthé
M. Nicolas Girard
M. Martin Lemay
M. Jean Domingue
* M. Cosmo Maciocia, ville de Montréal
* Mme Marie-Andrée Beaudoin, idem
* M. Pierre Cadieux, idem
* M. Patrice Allard, idem
* M. Denis Quirion, idem
* M. Sylvain Flamand, Le Bon Dieu dans la rue
* Mme Caroline Dufour, idem
* Mme France Labelle, Le Refuge des jeunes de Montréal
* M. Dan Bigras, idem
* Mme Aurore Larkin, Accueil Bonneau inc.
* Mme Lison Bédard, idem
* Mme Jeannelle Bouffard, CAP Saint-Barnabé inc.
* M. Michel Roy, idem
* M. Marc Gagné, idem
* Mme Geneviève Grégoire, Les Oeuvres de La Maison du Père
* M. Cyril Morgan, Mission Bon Accueil
* M. Matthew Pearce, Mission Old Brewery
* M. Richard St-Yves, YMCA du Grand Montréal
* M. Henri-Charles Baudot, idem
* Mme Josée Goulet, CAAM/NFCM
* Mme Dianne Ottereyes Reid, idem
* M. Brett Pineau, idem
* Mme Léonie Couture, La Rue des femmes de Montréal
* Mme Suzanne Bourret, idem
* Mme Lyne Richer, idem
* Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures cinq minutes)

Le Président (M. Kelley): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous sommes à Montréal, ça fait changement pour les commissions parlementaires qui, règle générale, se tiennent à Québec. Alors, je dois commencer avec les formalités que ceux qui sont venus à Québec dans le passé comprennent mais, pour notre audience ici, à Montréal, sont peut-être peu familiers avec ça.

Je constate le quorum des membres de la Commission des affaires sociales, donc je déclare la séance ouverte en rappelant le mandat de la commission. La commission est réunie aujourd'hui afin de procéder aux auditions publiques prévues dans le cadre du mandat d'initiative sur le phénomène de l'itinérance.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Grandmont (Masson) remplace M. Caire (La Peltrie); M. Domingue (Bellechasse) remplace Mme Lapointe (Groulx); M. Girard (Gouin) remplace M. Bergeron (Verchères); et M. Lemay (Sainte-Marie?Saint-Jacques) remplace M. Drainville (Marie-Victorin).

Le Président (M. Kelley): Bienvenue aux membres temporaires de la commission. Sans plus tarder... Parce qu'on a un horaire très chargé aujourd'hui, alors je vais faire appel à la discipline de l'ensemble des membres de la commission et également aux témoins. Pour respecter le dernier groupe qui va venir ce soir, à 20 h 45, nous devrons nous en tenir à l'ordre du jour, si possible, et être à l'heure pour toutes nos activités.

Remarques préliminaires

Alors, nous avons convenu qu'il y aura des remarques préliminaires de cinq minutes par formation politique, et je vais céder maintenant la parole au député de Notre-Dame-de-Grâce, qui est l'adjoint parlementaire du ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Russell Copeman

M. Copeman: Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour à vous ainsi qu'à nos collègues députés à l'Assemblée nationale. En mon nom et au nom de mes collègues ministériels, ça nous fait grand plaisir d'être ici ce matin, de participer à cette importante commission parlementaire sur l'itinérance.

On se souvient, nous, les parlementaires, que c'est un mandat d'initiative, c'est-à-dire un mandat choisi par les parlementaires eux-mêmes réunis en séance de travail de la commission parlementaire. Et l'important sujet sur le phénomène de l'itinérance a été proposé initialement par Mme la députée de Crémazie avec l'appui de ses collègues du Parti québécois. Et ce thème-là a su rallier les députés des autres formations politiques comme sujet pour un mandat d'initiative. Pour nous qui sommes à l'intérieur, je peux peut-être le rappeler surtout pour les gens de l'extérieur que, pour adopter un mandat d'initiative, ça prend l'approbation des trois formations politiques à l'Assemblée nationale, ce qui fut le cas avec ce mandat, important mandat, sur l'itinérance.

Évidemment, nous débutons aujourd'hui par la tenue des consultations dites particulières, c'est-à-dire sur invitation, mais nous allons quand même rencontrer à peu près une centaine de groupes, qui dépassent parfois des consultations générales, hein, des consultations sans invitation. On a déjà vu à l'Assemblée nationale des consultations publiques générales auxquelles se présentent une quinzaine de groupes, et là nous avons une commission parlementaire sur l'invitation et nous allons entendre au-delà d'une... bien, à peu près une centaine de groupes, ce qui témoigne de l'importance de cette commission parlementaire.

Je souligne également une autre facette importante de cette commission parlementaire. Nous allons tenir des audiences à l'extérieur du parlement. Manifestement, nous sommes ici, à Montréal, ce matin. C'est un processus relativement rare de tenir une commission parlementaire à l'extérieur du parlement, à l'extérieur de la Vieille Capitale, mais ce qui rend l'Assemblée nationale, le processus démocratique plus accessible, je pense, à des groupes sociétaux et des citoyens à travers le Québec. Alors, nous allons nous réunir trois jours à Montréal, une journée à Trois-Rivières, et une journée à Gatineau, et plusieurs journées à Québec évidemment pour terminer la consultation.

n (9 h 10) n

Je vous rappelle très brièvement que le ministère de la Santé et des Services sociaux a rendu public il y a à peu près une dizaine de jours un cadre de référence sur l'itinérance, et le cadre est le fruit de plus d'une année de travail avec des groupes qui oeuvrent dans le domaine de l'itinérance. Ce cadre de référence indique un peu l'approche du ministère de la Santé et des Services sociaux et de certains de ses partenaires face au phénomène de l'itinérance. Il y aura également... Le gouvernement prévoit un plan d'action interministériel sur l'itinérance, qui est prévu pour 2009, une réponse plus large au phénomène de l'itinérance que celui émanant du ministère de la Santé et des Services sociaux. Et, assis autour de la table de travail de ce comité interministériel sont des représentants du ministère des Affaires municipales et des Régions, Éducation, Loisir et Sport, Emploi et Solidarité sociale, ministère de la Justice, ministère de la Sécurité publique et la Société d'habitation du Québec.

Alors, les deux démarches, la démarche du plan d'action interministériel et la commission parlementaire, sont des démarches parallèles, j'insiste là-dessus, et complémentaires. Et nous croyons que les fruits de cette commission parlementaire alimenteront la réflexion sociale et gouvernementale sur cette importante question de l'itinérance. Merci beaucoup, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. le député. Je suis prêt maintenant à céder la parole au porte-parole de l'opposition officielle et député de Nicolet-Yamaska.

M. Éric Dorion

M. Dorion: Merci, M. le Président. Mon parti politique ainsi que mes collègues se réjouissent de la volonté des trois partis pour cette commission itinérante portant sur le phénomène de l'itinérance au Québec. Personne ne peut rester insensible à cette malheureuse situation. C'est avec certitude que cette commission saura apporter au sein des élus et du gouvernement une meilleure compréhension du phénomène et ainsi apporter à court terme des solutions concrètes afin de lutter davantage à ce phénomène qui touche tous les tissus de notre société. C'est avec enthousiasme que nous pouvons, durant cette commission, découvrir le travail formidable des organismes qui oeuvrent à tous les jours auprès de ces personnes qui ne demandent qu'une chose: prendre leur place dans notre société et retrouver leur dignité. Mon parti politique se réjouit qu'après plus de 10 ans nous pourrons enfin entendre ces chers partenaires qui ne demandent qu'une chose: se faire entendre. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. le député. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Crémazie et la porte-parole du deuxième groupe d'opposition. Mme la députée, la parole est à vous.

Mme Lisette Lapointe

Mme Lapointe (Crémazie): Merci, M. le Président. Bonjour à toutes et à tous. C'est vraiment pour nous un moment très, très important, comme le soulignait le député de Notre-Dame-de-Grâce. En 2006 déjà, donc il y a plus de deux ans, notre formation politique, 140 groupes communautaires et l'artiste et humaniste Dan Bigras réclamaient déjà au gouvernement cette commission parlementaire. Et je tiens à souligner le travail de mon collègue Nicolas Girard ainsi que de Martin Lemay qui... mon collègue, excusez-moi, de... Je ne peux pas nommer les noms, c'est ça. Excusez-moi, M. le Président. Alors, le député de Gouin et le député de Sainte-Marie?Saint-Jacques, évidemment où ici il y a une très grande concentration de personnes itinérantes.

Je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup d'incompréhension, il y a même du déni. Je trouve qu'il y a une augmentation de l'intolérance de la part de la population à l'égard de personnes qui sont au bout du rouleau, des personnes qui n'ont pas de toit, des personnes seules, des personnes qui vivent dans la misère, dans la pauvreté ultime. On a un devoir, on a vraiment un devoir d'aller au fond des choses, et c'est ce que nous voulons faire, cette commission parlementaire. Je souligne que ce n'est pas une autre consultation gouvernementale, hein, on se comprend bien, là, c'est vraiment tous les députés, les élus qui disent: On a un rôle à jouer et on veut arriver à une véritable politique globale sur l'itinérance.

Moi, il y a trois éléments, trois points que je trouve importants, et je vais m'arrêter à ça pendant toute l'écoute que nous allons faire. Premièrement, les préjugés. Il faut s'attaquer aux préjugés. Si on ne fait pas ça... C'est un devoir de société. Puis merci aux médias qui vont couvrir cette campagne, la sensibilisation est fondamentale. Il y a eu des belles choses en sensibilisation, il y a La Nuit des sans-abri, il y a ce que font les organismes communautaires, il y a aussi... je reviens à l'artiste Dan Bigras qui maintient ce sujet à la une de temps à autre, le plus souvent possible. Le premier p donc: les préjugés. Le deuxième, je pense que ce qui est vraiment fondamental, c'est la prévention. Si on ne peut pas trouver des moyens de prévenir, hein, tout en réglant les situations d'urgence... Mais il faut trouver les moyens de prévention, c'est trop grave. Et finalement et tout le monde le sait, la lutte à la pauvreté.

Donc, préjugés, pauvreté, prévention, si on réussit ça, je crois qu'on va avoir fait un bon bout de chemin, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Et, moi, juste avant d'inviter les représentants de la ville de Montréal de venir ici, je tiens... un gros merci beaucoup au président sortant de l'Assemblée nationale, Michel Bissonnet, parce que c'est lui qui a donné l'approbation à notre projet d'une commission itinérante sur l'itinérance. Et, comme député montréalais depuis 14 ans, je n'ai jamais siégé à l'extérieur de la colline Parlementaire, et vraiment c'est un grand moment, et je veux le souligner, et, je pense, parce que ça souligne l'importance de ce phénomène surtout à Montréal. C'est un grand enjeu ici. Alors, merci beaucoup à Michel Bissonnet qui a rendu possible par sa décision de nous permettre... et également on va être dans la ville de Gatineau et la ville de Trois-Rivières. Alors, je pense, c'est très important d'avoir les parlementaires qui ont l'occasion d'aller sur le terrain pour mieux comprendre un enjeu, et merci beaucoup Michel.

Auditions

Alors, sans plus tarder, je vais inviter les représentants de la ville de Montréal de prendre place devant le miroir. Et je veux surtout souligner la présence de Cosmo Maciocia, qui était membre de l'Assemblée nationale pendant plus de 20 ans et député de Viger. Alors, Cosmo, vous êtes un habitué des commissions parlementaires. Et bienvenue maintenant dans le rôle de témoin, mais c'est un grand plaisir de vous voir, et si vous pouvez présenter l'équipe qui est avec vous. Votre temps de parole, c'est une trentaine de minutes, suivi d'un échange d'une heure avec les membres de la commission. Alors, M. Maciocia, la parole est à vous.

Ville de Montréal

M. Maciocia (Cosmo): Je demanderais à ma collègue Marie-Andrée Beaudoin de faire l'introduction puis après je prendrai la parole, moi aussi.

Le Président (M. Kelley): Mme Beaudoin.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Effectivement. D'ailleurs, pour faire suite à vos propos, M. le Président, on est bien heureux, mon collègue et moi, d'accueillir, au sein de notre équipe, votre ex-collègue M. Bissonnet qui maintenant est bien sûr élu maire du bel arrondissement ? j'ajoute du bel arrondissement ? de Saint-Léonard.

Alors, bien sûr donc m'accompagnent aujourd'hui... peut-être commencer par un monsieur du Service de la police de la ville de Montréal.

M. Cadieux (Pierre): Bonjour, Pierre Cadieux, inspecteur au Service de police de la ville de Montréal.

M. Allard (Patrice): Bonjour, Patrice Allard, responsable du développement social à la Direction de la diversité sociale à la ville de Montréal.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Alors, Marie-Andrée Beaudoin. Je suis membre du comité exécutif de la ville de Montréal, responsable du dossier du développement social et communautaire et mairesse accessoirement de l'arrondissement Ahuntsic-Cartierville.

M. Maciocia (Cosmo): Cosmo Maciocia. Je suis maire de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies?Pointe-aux-Trembles, membre du comité exécutif de la ville de Montréal, responsable de l'habitation.

M. Quirion (Denis): Bonjour, je suis Denis Quirion, directeur de l'habitation à la ville de Montréal.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Alors, M. le Président...

Le Président (M. Kelley): La parole est à vous.

n (9 h 20) n

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Merci. Mmes, MM. membres de cette commission. D'abord, comme le présentait mon collègue M. Maciocia, nous allons faire une présentation commune. Je commencerai donc par vous présenter les aspects reliés davantage au volet social, communautaire peut-être de cette question de l'itinérance. Et M. Maciocia prendra la relève pour parler plus en détail de la question de l'habitation, qui est cruciale dans toute cette question-là.

Alors, d'entrée de jeu, d'abord, nous voulons vous remercier, vous l'avez souligné, c'était important pour nous que cette commission se déplace et vienne à Montréal donc nous rencontrer parce qu'évidemment l'itinérance est une problématique sociale qui est vraiment au coeur des préoccupations de notre administration.

Alors, l'itinérance, c'est aussi un phénomène complexe, un phénomène en mutation qui prend, aujourd'hui, des visages nouveaux et, je dirais même, des visages inquiétants. Ce phénomène touche de nouvelles clientèles et s'étend davantage dans plusieurs quartiers. Autrefois, c'était davantage centre-ville, c'est maintenant un phénomène qui prend de l'ampleur, là, dans différents quartiers de Montréal. Et bien sûr les impacts de ce phénomène se font sentir non seulement sur les citoyens qui habitent dans ces quartiers, mais aussi sur les gens qui visitent, qui viennent, bon, qui passent une journée ou en tout cas quelques heures, là, dans ces arrondissements et bien sûr les gens d'affaires, les commerçants. Et bien sûr tous les corps publics sont interpellés par cette problématique.

Alors, le choix de tenir cette première audience de la commission à Montréal est tout à fait approprié parce que c'est dans la métropole que l'itinérance prend ses formes les plus graves, et, je pèse mes mots, «graves» dans le sens qu'on ne connaît pas encore tout à fait le nombre de sans-abri et de personnes vulnérables dans nos rues, dans nos refuges, mais, vous allez voir, c'est un des éléments dont on va parler un peu plus tard. C'est un phénomène grave par le poids aussi des personnes sans-abri chroniques qui sont touchées par différentes problématiques, entre autres la toxicomanie, l'alcoolisme, qui sont atteintes de VIH, de sida, d'hépatite ou qui ont des problèmes de santé mentale.

Depuis quelques années, on a accompli des progrès indéniables grâces aux approches concertées entre partenaires communautaires, dont plusieurs se retrouvent avec nous aujourd'hui, et les partenaires publics, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir parce que l'itinérance demeure encore trop présente. Alors, le mémoire que nous déposons aujourd'hui, à la ville de Montréal, s'inscrit dans une recherche de solutions pour enrayer le phénomène mais surtout sortir les gens de la rue de façon durable.

Alors, parlons de quelques chiffres. Les dernières données sur l'itinérance remontent à 1997, alors ça fait presque une douzaine d'années, alors qu'à ce moment-là on recensait 28 000 utilisateurs de ressources pour sans-abri, dont 12 666 personnes qui étaient sans domicile fixe au cours de l'année. Malgré l'absence de recensement plus récent, on dispose de plusieurs observations qui laissent voir que les besoins, là, sont loin d'avoir diminué et qu'il y aurait même une croissance de ce phénomène-là en termes de nombre. Pour la période, par exemple, mi-décembre 2007 à la fin mars 2008, donc tout récemment, là, il y a un total de près de 60 000 nuitées qui a été enregistré dans les refuges d'urgence pour hommes et pour femmes adultes. Le taux d'occupation donc de ces refuges-là atteint 93 % au cours de certaines nuits. Ça, ça représente seulement qu'une partie de la situation parce que Montréal compte également des places pour jeunes et des places pour autochtones. Au total, il y a au moins 713 places de dépannage qui sont disponibles dans la métropole, auxquelles s'ajoutent environ 600 places qui permettent des séjours de moyenne et de longue durée. Certaines études indiquent un constant afflux de nouveaux cas. Ainsi, à l'hiver 2004, les trois grands refuges pour hommes recensaient près de 700 nouvelles personnes. L'année suivante, le plus grand des refuges, là, celui qui s'appelle Mission Old Brewery, comptait à lui seul 1 264 nouveaux venus parmi sa clientèle. Alors, en 2006-2007, le chiffre était de 1 037.

La ville de Montréal maintenant, notre champ d'intervention sur notre territoire. On a des responsabilités qui nous positionnent bien sûr au coeur de toute de cette question de l'itinérance. Alors, il y a plusieurs volets de nos actions à la ville, par exemple en matière de développement social bien sûr mais aussi de sécurité, d'habitation et d'urbanisme, qui ont un impact direct sur la situation des personnes itinérantes. Alors, je vous parle un peu, là, rapidement des interventions que la ville prend, c'est peut-être sous trois grands blocs: d'abord, l'aide aux organismes qui oeuvrent directement aux personnes itinérantes, les interventions de sécurité publique et de gestion des espaces publics, entre autres avec le soutien du Service de la police de la ville de Montréal, le soutien à la recherche et au développement d'approches concertées et l'aide au développement de logements pour personnes vulnérables. Ce sont les grands secteurs d'intervention de la ville.

Il incombe à la ville de Montréal de veiller au maintien d'un climat social serein, d'un climat inclusif bien sûr, favorable au développement de la collectivité et des personnes, et, je dirais, de toutes les personnes qu'importe leur condition. C'est un gouvernement de proximité bien sûr, et la ville est souvent interpellée, même si les problèmes urbains découlent de causes qui sont hors de notre contrôle et de notre de champ de compétence, parce qu'on est au premier plan évidemment dans l'intervention. Alors, à la ville, on déploie nos actions en collaboration étroite bien sûr avec l'Agence de santé et de services sociaux de Montréal avec laquelle on travaille en complémentarité bien sûr, avec nos missions respectives. Il faut souligner que cette approche de partenariat est en place depuis la conclusion, en 1991, d'une première entente entre le réseau de santé et services sociaux, sur la question de l'itinérance, et la ville.

Le partenariat aussi s'étend aux organismes communautaires, et on peut ici, je pense, vraiment parler d'un modèle montréalais qui est axé sur la concertation, qui suscite d'ailleurs l'intérêt d'observateurs qui sont extérieurs, au Québec, au Canada aussi. La concertation avec l'agence de santé et de services sociaux et le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes, le RAPSIM, a permis d'élaborer un plan d'action intersectoriel en itinérance 2007-2012 qui mobilise l'ensemble des acteurs vers des objectifs communs. Cette approche et les objectifs identifiés dans le plan d'action ont été repris et confirmés lors de la consultation publique que la commission permanente du conseil municipal sur le développement culturel et la qualité du milieu de vie a tenu tout récemment, en avril 2008, à la ville de Montréal.

C'est plus de 200 citoyens, hein, et aussi des représentants d'organismes qui ont participé et qui se sont présentés à ces audiences et qui ont bien voulu nous faire part de leurs réflexions concernant la question de l'itinérance. De ces consultations est ressorti un consensus fort sur la nécessité d'obtenir l'implication active du gouvernement du Québec dans la lutte à l'itinérance. C'est dans ce contexte que la ville de Montréal souhaite porter à l'attention de la Commission des affaires sociales six éléments structurants qui demandent un appui du gouvernement du Québec, et certaines de ces mesures requièrent, je dirais, une action immédiate. Donc, ce sont six éléments en matière bien sûr de développement social, communautaire et de logement. Moi, je vous présenterai la première partie; M. Maciocia prendra la relève.

Alors, le premier élément porte sur le besoin d'un centre de répit et de décompression pour les personnes exclues des refuges. Actuellement, il n'existe pas des ressources qui peuvent accueillir des personnes qui sont en état de crise ou qui sont intoxiquées et qui ne peuvent être hébergées dans un refuge parce que souvent aussi elles perturbent l'espace public. Il y a une expérience pilote, qui s'appelle le centre L'Échelle, qui a été menée en 2005 et qui a donné de très bons résultats, mais on a dû évidemment, comme vous le savez, interrompre ces initiatives-là à cause du financement qui n'était pas au rendez-vous. Mais il y a une donnée qu'on a recueillie qui illustre bien l'ampleur du besoin: en trois mois, soit de février à mai 2005, il y a 213 personnes qui ont été accueillies dans ce centre-là. On comprend que la création d'un centre de répit et de compression soit réclamé par tous les intervenants montréalais à la fois pour venir en aide aux personnes en état de crise et pour réduire bien sûr le problème de la cohabitation avec le reste de la population. Alors, il y a un budget de 1 million de dollars qui est requis annuellement pour cette demande. Vous comprendrez qu'on a chiffré nos demandes, ce qui peut faciliter la discussion et la réflexion par la suite. Je tiens à mentionner que la ville de Montréal s'est engagée à fournir un immeuble pour ce projet. Alors, les retombées positives bien sûr d'un tel centre dépassent largement les coûts d'exploitation.

Le deuxième élément structurant dont nous voulons vous faire part, c'est le financement adéquat des interventions de première ligne. Les grands refuges manquent cruellement de ressources en particulier pour assurer l'encadrement des personnes itinérantes. Alors, ces personnes itinérantes sont reléguées bien sûr à la rue le jour, mais elles devraient pouvoir bénéficier de services de suivi. Un tel encadrement, c'est crucial pour plusieurs nouveaux sans-abri afin d'éviter qu'ils sombrent dans l'itinérance chronique, ce qui est une réalité, là, qu'on voit très souvent, hein? Faute de suivi, ces personnes-là glissent tranquillement vers une itinérance, et ça devient leur mode de vie. Alors, les ressources manquent également du côté des organismes communautaires auxquels réfèrent tant les refuges que les établissements publics. On va laisser à ces organismes bien sûr le soin de présenter eux-mêmes à la commission les détails concernant leurs situations; vous allez les rencontrer plus tard.

Par ailleurs, nous constatons qu'il serait également nécessaire d'accroître le nombre d'équipes de médiation sociale qui oeuvrent dans la rue directement auprès des personnes sans domicile fixe et qui oeuvrent aussi bien sûr à faire de la médiation avec les passants, les gens qui sont sur la rue, les résidents, les commerçants, et ces équipes-là interviennent pour prévenir et atténuer les conflits. Il y a des projets pilotes qui sont en cours qui ont donné d'excellents résultats.

Pour répondre aux besoins des partenaires montréalais, les budgets annuels additionnels requis pour les refuges sont de 3,7 millions de dollars auxquels s'ajoutent 6 millions pour les organismes communautaires et un autre 1,3 million pour les projets de médiation sociale. L'action bien sûr complémentaire de tous ces acteurs est essentielle, hein? Vous comprenez qu'on prend la question en amont, en aval, de tous les côtés pour pouvoir intervenir sous toutes les facettes, là, de l'itinérance. Il faut préciser aussi que ces sommes devraient s'ajouter au montant annoncé la semaine dernière par le ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Yves Bolduc, et qui vise la consolidation du travail effectué par les grands refuges.

Troisième élément: l'examen critique du rôle des institutions. Alors, il y a une part significative des clientèles des refuges et des jeunes de la rue qui ont un passé institutionnel. Plusieurs connaissent l'itinérance directement en sortant d'un centre d'hébergement ou d'un centre psychiatrique, à la fin d'un séjour en milieu carcéral, ou, et c'est le cas, là, malheureusement vraiment trop fréquent, des jeunes qui sortent des centres jeunesse et qui doivent quitter au moment où ils atteignent 18 ans. On les retrouve dans la rue. Le gouvernement du Québec doit revoir certaines des politiques de ces institutions, en particulier dans les centres jeunesse. Des ressources devront être investies pour assurer une transition réussie entre ces milieux qu'on peut dire protégés et bien sûr la société civile.

n (9 h 30) n

Il serait aussi important de revoir divers programmes gouvernementaux, par exemple les mesures d'aide à l'emploi et à l'employabilité, afin d'identifier des changements qui permettraient de les rendre, ces services-là, plus accessibles ou plus efficaces aux personnes itinérantes et aux personnes vulnérables. Je comprends que c'est une problématique importante mais qu'il faut voir sous cet angle aussi. Il y a des efforts qui ont déjà été faits en ce sens et on les salue, et je pense qu'il est important de les poursuivre et de les intensifier. Dans ce domaine comme dans plusieurs autres, l'enjeu va être d'assurer que les projets adaptés aux spécificités de la métropole puissent recevoir l'appui nécessaire.

Le quatrième point maintenant, le quatrième élément dont nous voulons vous faire part aujourd'hui, c'est le dénombrement des personnes itinérantes. Alors, on en a parlé rapidement tout à l'heure, l'absence de données récentes n'empêche pas bien sûr les intervenants de première ligne d'oeuvrer sur le terrain, mais ça rend l'évaluation précise des besoins et conséquemment de la planification des stratégies... ça rend ça beaucoup plus difficile. Il y a un dénombrement ici qu'il nous apparaît essentiel de faire.

Toutefois, les données ne devront pas se limiter au décompte des utilisateurs des ressources, il faut aller plus loin. Il va être crucial de développer des mesures et des indicateurs qui rendent compte de la sévérité de la situation des personnes. Par exemple, des cas lourds qui sont signalés, dans les refuges et dans les rues, qui requièrent des interventions, des ressources spécifiques, et qui, de ce fait, ne peuvent pas être amalgamés avec d'autres types d'itinérance, hein? Il y a certains niveaux, là, encore là, qui doivent être identifiés pour qu'on puisse mieux intervenir.

La présence de clientèles à risque devra aussi être cernée de façon adéquate. C'est pourquoi un observatoire de l'itinérance devrait permettre de suivre l'évolution réelle de la situation, année après année, pour faire, je dirais, une bonne analyse et un suivi de toute cette question. Montréal offre son entière collaboration au gouvernement du Québec pour la réalisation d'une telle démarche dont le budget ici va être à évaluer en collaboration avec les chercheurs qui seront impliqués.

Alors, ça complète mon intervention. Peut-être, je pourrais passer la parole à mon collègue, M. Maciocia, pour toute la question du logement.

Le Président (M. Kelley): Merci, Mme Beaudoin. M. Maciocia.

M. Maciocia (Cosmo): Merci. Merci, Mme Beaudoin. Permettez-moi, M. le Président, de saluer tous les membres de la commission qui sont ici, aujourd'hui, à Montréal, c'est un plaisir de vous accueillir à Montréal. Et, deuxièmement, je veux saluer d'une façon aussi particulière des collègues avec lesquels j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler à l'Assemblée nationale, M. Copeman et vous-même, M. le Président. Et permettez-moi aussi de saluer la présence d'un ex-collègue de la ville de Montréal avec lequel vraiment j'ai eu beaucoup, beaucoup de plaisir de travailler aussi dans mon premier mandat, et je nomme M. Martin Lemay. Bonjour, Martin.

Comme l'a mentionné Mme Beaudoin, je vous parlerai des aspects qui concernent l'habitation. À cet égard, mon intervention portera essentiellement sur les divers programmes nécessaires à la poursuite des interventions que nous menons avec nos partenaires. J'évoquerai des enjeux qui se posent dans le domaine du logement social et communautaire ainsi qu'en matière de logement privé. J'apporterai également quelques remarques concernant un programme fédéral mais dont la gestion repose sur le réseau de la santé et des services sociaux du Québec.

Le maintien d'une offre de logements sociaux, communautaires figure parmi les six éléments structurants évoqués dans le mémoire de la ville, car c'est une composante clé d'une stratégie de prévention ou de réduction de l'itinérance. En particulier, la disponibilité de logements sociaux dotés de soutien communautaire est de plus en plus reconnue comme une condition essentielle à une démarche durable de réinsertion sociale des personnes vulnérables. C'est en ce sens que Montréal a choisi de privilégier une approche qui mise sur le logement. Elle n'est pas seule, car plusieurs villes américaines ont, ces dernières années, mis en place des stratégies également orientées vers le logement avec services de soutien.

J'aimerais ici rappeler les efforts importants que nous avons consacrés depuis 2002 au chapitre du logement pour les personnes sans-abri et vulnérables. Dès les premiers jours de notre mandat, en janvier 2002, le maire de Montréal, M. Gérald Tremblay, a répondu à la situation des sans-abri en mobilisant l'ensemble des partenaires montréalais. Des mesures énergiques ont été mises en place notamment en matière d'habitation. Nous nous sommes alors fixé une cible de 500 logements pour des personnes itinérantes. Nous avons aussi interpellé l'Agence de santé et des services sociaux de Montréal.

Nos réalisations ont dépassé les cibles qui avaient été fixées. De 2002 à 2005, nous avons soutenu la réalisation de six à 11 logements pour personnes sans-abri ou à risque d'itinérance, et nous avons signé avec l'agence de santé un protocole innovateur pour assurer le soutien communautaire requis dans ces logements. Nos efforts se poursuivent, en 2006-2009, à la fois pour prévenir l'itinérance et répondre aux besoins des sans-abri. Au total, depuis 2002, les projets sociaux et communautaires réalisés ou en élaboration comprennent plus de 1 000 logements et chambres pour des personnes sans-abri ou à risque d'itinérance ainsi que 300 autres unités destinées à des personnes vulnérables telles les femmes victimes de violence. En termes financiers, les investissements conjugués de la ville et de ses partenaires publics, dans les projets pour personnes sans-abri et vulnérables, représentent plus de 100 millions de dollars depuis 2002.

Les réalisations montréalaises en matière d'habitation font appel à des programmes à frais partagés avec le gouvernement du Québec. Ces programmes sont essentiels, et l'on se souviendra qu'à plusieurs reprises des résolutions votées à l'unanimité par le conseil municipal ont réaffirmé l'importance des programmes de logement social et communautaire et des interventions de rénovation privées. La collaboration soutenue entre la ville et le gouvernement a été fructueuse à ce jour, elle doit se poursuivre.

Trois éléments relatifs aux programmes sont à souligner. Premièrement, la ville de Montréal demande que le gouvernement du Québec reconduise et assure le financement stable, adéquat et à long terme du programme de logement social et communautaire AccèsLogis ainsi que du programme Rénovation Québec. Pour répondre adéquatement au défi de l'itinérance, il serait nécessaire que les normes de ces programmes soient ajustées aux réalités montréalaises afin de permettre les interventions dans les zones centrales ? où les coûts d'acquisition et d'installation sont les plus élevés ? et sur certains types de bâtiments comme les maisons de chambres qui font l'objet d'une attention toute particulière.

Sur une base annuelle, les budgets du gouvernement du Québec au chapitre des programmes d'habitation représentent 12,5 millions de dollars. En contrepartie, les contributions de source municipale de divers types atteignent près de 4 millions par année. J'insiste sur le fait que Montréal a besoin d'un financement stable et à long terme. C'est une condition pour pouvoir développer des interventions structurantes qui requièrent souvent un montage complexe et la mobilisation de plusieurs partenaires.

En deuxième lieu, il sera important que le gouvernement du Québec accorde à l'Agence de santé et des services sociaux de Montréal un financement stable, récurrent, et à la hauteur des besoins montréalais au chapitre du soutien communautaire. Montréal doit recevoir sa juste part des budgets québécois, ce qui implique de tenir compte du nombre de logements sociaux et communautaires et des besoins particuliers qui existent dans la métropole. Une somme annuelle récurrente de 5 millions de dollars est requise pour compléter le montant de 2 millions de dollars déjà attribué par l'agence de santé.

Troisièmement, je voudrais évoquer les ententes entre les gouvernements canadien et québécois en matière d'habitation. Le gouvernement du Canada vient d'annoncer la reconduction, pour cinq ans, de son Programme de remise en état de logements, le PAREL et du programme Logement abordable. Il s'agit d'une bonne nouvelle qui répond à des demandes répétées faites par la ville de Montréal ainsi qu'à une résolution unanime du gouvernement du Québec votée ce printemps dernier. Nous comptons sur la diligence du gouvernement du Québec pour assurer la mise en oeuvre, sans interruption, de ces programmes fédéraux gérés, sur le territoire québécois, par la Société d'habitation du Québec. La ville de Montréal souhaite également que le gouvernement du Québec poursuive et maintienne ses propres investissements en habitation dans la foulée de ses réalisations des dernières années.

n (9 h 40) n

Un dernier élément de notre mémoire concerne la poursuite de l'Initiative des partenariats de lutte contre l'itinérance, du gouvernement canadien, qu'on appelle IPLI. Le gouvernement fédéral vient également d'annoncer la reconduction de ce programme dont les allocations ont représenté en moyenne un peu plus de 8 millions par an à Montréal. Cette reconduction est certes une autre bonne nouvelle, mais il faut rappeler que les demandes des organismes montréalais se chiffrent à 21 millions de dollars par année. De plus, il demeure des enjeux importants concernant la mise en oeuvre de ce programme. Plusieurs organismes financés par IPLI pourraient connaître une interruption de leurs services et activités au 31 mars prochain si la nouvelle mouture du programme n'est pas mise de l'avant rapidement. Et je répète «rapidement» parce que ça vient à échéance le 31 mars prochain.

Ainsi, nous demandons au gouvernement du Québec, dont les agences régionales de santé sont associées à la gestion de ce programme, de veiller à éviter une telle éventualité. Par ailleurs, nous demandons au gouvernement du Québec de veiller avec son partenaire fédéral à ce que le niveau des allocations soit ajusté pour répondre aux besoins signalés à Montréal.

La ville de Montréal est une administration responsable à l'écoute de ses concitoyennes et ses concitoyens. Ainsi, elle poursuivra ses efforts de manière soutenue et engagée afin de bien servir sa communauté. À l'image du Québec, elle est une collectivité construite sur des valeurs d'accueil, d'humanisme, de tolérance et d'inclusion. C'est précisément au nom de ces valeurs que nous ne saurions tolérer le phénomène de l'itinérance. Les efforts conjugués de tous les acteurs sont nécessaires pour enrayer ce fléau.

Les demandes que nous formulons aujourd'hui au gouvernement du Québec, qui représentent des investissements d'environ 30 millions de dollars, sont en ce sens un élément crucial à la poursuite et au renforcement de l'action amorcée par les partenaires montréalais.

Nous espérons vivement que la présente consultation aboutira à l'adoption d'une véritable politique québécoise en itinérance mobilisant l'ensemble des instances gouvernementales concernées: au premier chef, le ministère de la Santé et des Services sociaux, mais également le ministère de la Justice, la Société d'habitation du Québec, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, pour ne citer que quelques-uns des acteurs dont les pratiques et programmes ont un lien direct avec la problématique de l'itinérance. Il sera essentiel que cette politique reconnaisse les problèmes vécus par la métropole et donne aux acteurs de première ligne un cadre de financement stable et adéquat à la hauteur des besoins. La lutte contre l'itinérance doit devenir une priorité pour le gouvernement du Québec dans l'intérêt de l'ensemble de sa population.

Nous demandons aujourd'hui à la commission de relayer ce message au gouvernement. Avec cet engagement et un travail en concertation avec les acteurs de première ligne, nous trouverons collectivement des solutions durables pour aider les personnes à sortir de la rue. Nous vous remercions de votre attention. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Maciocia et Mme Beaudoin, pour cette présentation. Nous avons un bloc d'une heure, alors je propose deux tours de 10 minutes pour chacune des formations politiques, en commençant, à ma droite, avec le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci, M. le Président. Mme Beaudoin, M. Maciocia, puis j'ai tendance de vous appeler Cosmo, c'est un peu trop informel peut-être pour cette venue, mais, quand même. Mme Beaudoin, la dernière fois qu'on s'est vus, c'était lors de l'annonce du tribunal de santé mentale pour tenter de... ? et j'ai bien écrit le mot parce que, pour un anglophone, le mot «déjudiciarisation» ne sort pas toujours facilement, alors je vais éviter de le dire deux fois, hein, je l'ai réussi une fois, je ne le dirai pas une deuxième ? afin de déjudiciariser les cas de santé mentale dans la Cour de Montréal. Et on a discuté, à ce moment-là, de cette importante consultation, commission parlementaire. Et je vous remercie beaucoup pour votre présentation, vous, ainsi que vos collègues de la ville de Montréal.

Vous avez souligné en partant, et il n'y a personne qui le conteste, l'importance de collaboration entre les divers paliers de gouvernement. On le voit, la question de l'itinérance, le phénomène est un phénomène très complexe qui fait appel à beaucoup d'acteurs non seulement gouvernementaux, mais également sociétaux. Le gouvernement fédéral est impliqué avec, entre autres, l'Initiative des partenariats de lutte contre l'itinérance, l'IPLI, vous l'avez bien signalé. On entend également qu'il y a d'autres développements au niveau fédéral en ce qui concerne les services pour des gens qui souffrent de problèmes de santé mentale, la possibilité de logements adaptés et supervisés pour ces gens-là. Alors, le rôle du fédéral est important dans toutes ces questions-là.

Évidemment, le rôle du gouvernement du Québec est également très important. Et, je le dis très franchement, le gouvernement du Québec réalise et accepte que, pour contrer le phénomène de l'itinérance, il faut avoir une vision plus large que simplement le cadre de référence issu du ministère de la Santé et des Services sociaux. Vous avez fait référence à cette notion qu'il faut impliquer d'autres acteurs. Le gouvernement le fait avec la table interministérielle qui a été mise sur pied au printemps, qui touche, entre autres, les acteurs que vous avez mentionnés: le ministère des Affaires municipales, Régions pour le logement; Emploi et Solidarité sociale pour la réinsertion sociale, la formation également de la main-d'oeuvre; le ministère de la Justice, Sécurité publique; la Société d'habitation du Québec. Alors, nous voyons d'une importance capitale la concertation même à l'intérieur du gouvernement du Québec afin de comprendre mieux et agir sur la question de l'itinérance au Québec.

Puis évidemment le troisième niveau, les villes; les administrations municipales jouent une importance capitale. Je suis un député de Montréal, né à Montréal... toujours vécu, résident depuis toujours de la ville de Montréal. Le comté de Notre-Dame-de-Grâce, souvent interprété comme un comté huppé... il est vrai que le revenu moyen des habitants est plus élevé que celui de la moyenne québécoise, mais quand même il y a des poches de pauvreté très importantes. On voit des personnes sans-abri à Notre-Dame-de-Grâce depuis les 10 dernières années, phénomène qu'on ne voyait pas quand j'étais jeune, une importante banque d'alimentation qui existe à Notre-Dame-de-Grâce, la NDG Food Bank, qui dessert des milliers et des milliers de gens de mon comté. Alors, je suis très sensible à toute cette question et à la nécessité de tous les acteurs de travailler pour tenter de réduire ce phénomène.

Sur les six rôles structurants, peut-être un bref commentaire sur quelques-uns, puis après ça des questions plus précises. Je crois que tout le monde comprend la nécessité d'avoir un centre de répit et de décompression. Ce qu'on nous dit, c'est que, de façon générale, il y a suffisamment de lits dans les refuges, même des lits d'urgence, pour les gens qui souhaitent ou qui sont susceptibles d'entrer dans ces refuges-là. Mais nous savons également qu'il y a une catégorie des personnes sans-abri qui, soit par leur comportement, par leur situation de santé mentale ou de dépendance aux drogues, sont refusées accès aux refuges ou qui refusent d'y aller pour d'autres raisons, hein? On nous parle le phénomène tout simple des gens sans-abri avec plusieurs chiens, six, sept, huit chiens, qui est un phénomène important pour beaucoup de gens sans-abri qui sont refusés accès aux refuges à cause de ce phénomène-là, à cause de leur vie qu'ils mènent et l'importance de leurs chiens.

Le ministère voit d'un très bon oeil ? le ministère de la Santé et des Services sociaux ? l'établissement d'un centre de répit et de décompression. Je comprends, il y a des discussions entre le ministère et la ville de Montréal pour le financement pour un projet de cette nature, et on comprend que c'est un élément important.

Les refuges, vous avez mentionné les demandes additionnelles des refuges, le gouvernement du Québec a répondu en partie aux demandes qui étaient de 3 millions de dollars récurrents pour les lits d'urgence. Cette année, on a rendu récurrent 1 million de dollars, c'est-à-dire, on a rencontré à peu près le tiers des demandes des refuges, des grands refuges montréalais sur les lits d'urgence et on y travaille pour stabiliser le financement de ces refuges-là également.

n (9 h 50) n

Le logement, certains efforts de faits déjà avec près de 13 000 logements en développement. Nous savons, c'est insuffisant. Et le défi que nous avons comme parlementaires, qui est important, c'est: les besoins et les demandes sont grands et grandissants, les mesures financières du gouvernement du Québec sont limitées, et il faut trouver un juste équilibre. Est-ce que je prétends que nous avons réglé toutes les situations? Absolument pas. Personne, autour de la table, ne va dire que nous avons réglé toutes les difficultés, mais on y travaille. Il s'agit de trouver le juste équilibre entre les besoins, qui sont réels, et la capacité des gouvernements de répondre à ces phénomènes-là.

J'aimerais peut-être vous entendre, Mme Beaudoin, un peu plus sur le rôle des institutions. Vous y avez fait référence comme un des six éléments structurants. Est-ce que, dans votre opinion, par votre expérience, il y a confusion, sur le terrain, sur le qui fait quoi et le comment? Et peut-être vous entendre un peu plus là-dessus.

Le Président (M. Kelley): Mme Beaudoin.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Merci. Bien, peut-être dans un premier temps, vous l'avez mentionné, M. Copeman, le gouvernement fait des efforts, hein, et en fait depuis quand même longtemps, on constate qu'il y a d'autres choses à faire. Et puis ça, je pense qu'on le salue et on en est très heureux, parce que je pense que c'est un travail de coopération. Bon.

Un des éléments qu'il faut voir, c'est bien sûr le niveau. On l'a dit tout à l'heure, s'assurer que... parce que, nous, à la ville, on est interpellés toujours au premier plan sur des champs de compétence qui ne nous concernent pas ou dans lesquels on n'a pas de pouvoir. Alors ça, c'est important, la concertation entre les différents paliers, mais bien sûr que chacun, dans le respect de sa mission et de son intervention, puisse bien sûr agir et mettre, bon, bien sûr, l'argent qui doit y être, hein?

Nous, à la ville, l'engagement qu'on prend face aux personnes itinérantes, c'est que, pour chaque personne... pour toute personne qui le souhaite, je le souligne, il y ait en tout temps un lit, un refuge, une douche et un intervenant, si c'est possible, bien sûr. Alors, «qui le souhaite», parce que, vous l'avez dit, il y a des gens, hein, puis on parle plus de certaines clientèles très précises, qui ne souhaitent pas ou qui, pour toutes les raisons valables, bon, n'ont pas accès ou ne veulent pas y accéder.

C'est pourquoi je pense qu'il est important, puis on l'a mentionné, de bien comprendre la problématique. Vous pointez particulièrement le rôle des institutions et les conséquences négatives ? il y en a quelques-unes ? que ça peut avoir sur certaines clientèles, que ça peut amener à soit alourdir la problématique de cette personne-là ou l'amener dans la rue, là, finalement. Il faut les comprendre, ces problématiques-là.

Ce qu'on comprend, nous, ce qu'on voit, ce qu'on constate, et on le tient aussi de toutes les discussions qu'on a avec les partenaires, les partenaires communautaires, les gens qui sont dans le milieu, qui sont sur le terrain, c'est qu'effectivement il y a des effets pervers, hein, et qu'il y a un manque de continuité entre le moment où ? puis j'ai particulièrement parlé des centres jeunesse ? les jeunes sortent du centre jeunesse... et, après ça, là, quelle est la suite, là, quelle est la personne qui pourra les aider à faire le pont vers une intégration réussie dans un milieu normal, là, qu'ils auront choisi? Alors, on parle d'une intégration; l'intégration, c'est avoir un logement, au premier plan, un emploi... ou un endroit où étudier ou se parfaire, là, puis trouver un emploi par la suite. C'est être intégré socialement, donc avoir des relations sociales comme normales, comme nous avons tous. C'est là où ça fait défaut.

Donc, l'observation, ce qu'on en voit et les conséquences, c'est qu'on voit que ces jeunes, par exemple, et d'autres clientèles qui sortent des institutions n'ont pas ce pont nécessaire, il n'y a pas d'intervention. Il y a comme un lien, là, qui ne se fait pas et qui nous amène plus de personnes vulnérables, hein? Elles sont à un point très, très important, et cette vulnérabilité, pour qu'elle ne se traduise pas en itinérance, il y a une intervention qui doit être faite là, là.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On a fait la preuve que 10 minutes passent très rapidement. Alors, je suis prêt à céder la parole au député de Nicolet-Yamaska.

M. Dorion: Merci. Alors, bien, je remercie les représentants de la ville de Montréal pour leur dépôt, leur mémoire. Dans l'ensemble des mémoires qui nous ont été déposés, en en faisant la lecture, et j'aimerais voir si la ville de Montréal, entre autres, et les gens qui... parce que les gens qui... parce que vous avez quand même mentionné que ce n'est pas qu'un travail et ce n'est pas qu'un mandat strictement réservé à la ville de Montréal, il y a des partenaires aussi qui sont assis alentour de la table.

Et, dans la lecture des mémoires, on s'est quand même relativement aperçus qu'on est confrontés également à une problématique: les psychoses toxiques, l'intoxication, problèmes de santé mentale, et j'essaie de... J'aimerais savoir si la ville de Montréal se sont posé la question, parce que, dans la lecture des mémoires, un élément revenait souvent, c'est-à-dire qu'il y a une intervention, sur le terrain, qui est faite. Il y a un parallèle et une intervention faits entre le milieu communautaire et le public, et, quand je dis «public», c'est beaucoup plus au niveau de la santé, du système de santé, et il y a quand même une lacune qui apparaît et qui est évidente, c'est souvent le refus de traitement.

Est-ce que la ville se sont posé la question si les personnes intoxiquées, ayant des problèmes de santé mentale, sont aptes à décider ce refus de traitement là? Parce qu'à partir de là l'ensemble des interventions de tous les partenaires nous amènent indirectement à un échec, si je peux l'exprimer ainsi. Est-ce que c'est un questionnement qui vous est venu au sein des partenaires?

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Oui, c'est une... Vous permettez, monsieur?

Le Président (M. Kelley): Mme Beaudoin, oui.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Excusez-moi. C'est une discussion. Bien sûr, ça fait partie des réflexions que nous avons. Mais on a eu cette réflexion-là ? je fais appel à M. Copeman ? quand on a lancé justement le tribunal en santé mentale. Un des éléments de base, là, c'est que ça prend la volonté. Ce sont toutes des mesures volontaires. On ne peut pas obliger une personne. Même si nous portons sur elle une évaluation, un jugement, même un jugement clinique, un jugement appuyé sur des éléments, là, on ne peut pas forcer la personne à... Comme je l'ai dit tout à l'heure, je souligne même... la ville de Montréal, l'engagement qu'on prend, c'est, pour toute personne ? qui le souhaite ? lui offrir un abri, qui le souhaite. Elle ne le souhaite pas, on... Bon. Même si... En tout cas, ça peut aller... si sa santé est mise en péril, il y a d'autres types d'intervention qui peuvent être faites. On peut la convaincre, on peut l'accompagner. Mais, oui, cette réflexion-là a été faite, mais la conclusion, je dirais, c'est: Toutes ces mesures sont volontaires, on ne peut pas obliger qui que ce soit, même si son évaluation, à elle, est de dire: Je ne suis pas intoxiquée ou je ne suis pas en détresse, par exemple, psychologique. C'est ce que la personne pense d'elle et ça reste... Bon. Mais notre travail à la ville, on travaille davantage avec les services de santé à ce moment-là, services sociaux qui, eux, ont à convaincre peut-être ou accompagner la personne pour lui dire: Nous avons des mesures qui peuvent t'aider, là. On est à la limite, hein?

M. Dorion: O.K. Dans les priorités que vous avez mentionnées, on parle également de logements sociaux, d'avoir davantage de logements sociaux, et, dans les mémoires qui ont été proposés, bien, c'est bien certain qu'il y a une réalité entre les grandes villes et les villes de taille moyenne au niveau du coût du logement. J'ai quand même... Connaissant que, bon, les logements étaient beaucoup plus chers ici, à Montréal, comparativement au même type de logements qu'on pourrait retrouver dans des régions puis de voir que, exemple, bon, un prestataire de l'aide sociale reçoit 500 quelques dollars, 576 $, si ma mémoire est bonne, pour grosso modo un coût de logement de 400 $, il n'en demeure pas moins que cette priorité-là, pour la ville de Montréal, et là je reprends toutes les interventions qui sont faites pour amener un individu à le sortir de son itinérance de par l'effort de tous les partenaires, néanmoins, s'il n'y a pas de développement davantage ici, à Montréal, de logements sociaux, on se heurte quand même à une chose qui est évidente, c'est le fait qu'on maintient des gens quand même presque à l'itinérance. Parce que, un coup que tu as payé ton loyer, là, je veux dire, il reste quoi finalement pour les propres besoins de base, là? Je ne parle pas, là, de... Alors, qu'est-ce qu'il reste pour l'alimentation, qu'est-ce qu'il reste pour l'habillement, qu'est-ce qu'il reste pour la continuité des objectifs pour réintégrer cette personne-là? Alors, j'imagine que ça, ce fut le constat que vous avez fait. Alors, dans l'ensemble des priorités, j'imagine que le logement social ici, à la ville de Montréal, est l'élément le plus important.

Le Président (M. Kelley): M. Maciocia.

n (10 heures) n

M. Maciocia (Cosmo): M. le Président, si vous permettez, je dois dire, vous vous rappelez... J'en suis sûr, que certains parmi vous se rappelleront un problème qu'on a vécu à Montréal spécialement au début des années 2000, fin des années 1990 et début des années 2000, qu'on appelait, à ce moment-là, la crise du logement à Montréal. Et c'est justement à ce moment-là que le maire de Montréal, qui était en pleine campagne électorale, en 2001, il a pris des engagements clairs et précis. Il en a fait une de ses priorités, sinon sa priorité, c'est simple, justement d'essayer de trouver un règlement à cette problématique-là. Et, depuis 2002, nous avons construit à date, dans le premier mandat, 5 000 logements sociaux. On se rappellera de Solidarité 5000 logements. On a construit 5 000 logements sociaux. Je ne parle pas des logements privés abordables, je vous parle uniquement... je réponds à la question sur le logement social. Et l'engagement qu'on a pris pour 2006-2009, c'est justement d'additionner encore... ou d'ajouter encore 5 000 nouveaux logements sociaux.

Actuellement, si je peux dire, cette crise-là n'existe plus à Montréal dans les termes qu'elle existait en 2000, en 2001, mais ça ne veut pas dire qu'on n'a pas de problème au niveau du logement social ou des personnes qui sont les plus démunies de la société à Montréal, qui ont un logement. Clair. Ça, c'est clair qu'on n'a pas tout réglé les problèmes au niveau du logement social même avec les 5 000 qu'on ajoute, puis on arrive à 10 000 dans huit ans avec la ville de Montréal. C'est pour ça que nous demandons très clairement... Et je pense que je vais le répéter parce que c'est très important que tout le monde soit conscient et, je dirais même, à l'écoute de cette problématique-là: On ne veut plus revivre les moments qu'on a vécus en 2000, 2001, 2002, 2003. Si on arrête de construire, d'avoir des unités de logements sociaux à Montréal, si on arrête, dans une couple d'années ou même à très courte échéance, on peut se retrouver dans la même problématique que 2001 et 2002. Et nous faisons un appel très, très fort, si je peux l'appeler très fort, au niveau du gouvernement.

Je sais qu'ils ont fait beaucoup d'efforts. Tout dernièrement, ils ont annoncé encore 2 000 unités pour le Québec, de logement social, et, sur les 2 000, il y en a eu 1 000 pour Montréal. J'ai félicité Mme la ministre Normandeau, et tout ça, mais j'ai dit aussi au même moment: Il ne faut pas s'arrêter parce qu'on n'a pas de programmation pour les années à venir. Actuellement, nous ne savons rien de ce que le gouvernement, il va faire pour l'avenir dans le logement social. Et, si on n'a pas des programmes qui seront mis de l'avant le plus tôt possible de la part du gouvernement... Vous savez, pour construire un logement social, ça prend, minimum, 24 mois. Ça veut dire que ça va prendre deux ans entre le moment que le projet est déposé par les GRT, par les groupes de ressources techniques, pour le BNL et l'analyse du dossier par le service chez nous, par la Société d'habitation du Québec, et tout ça; pour la construction, ça prend, minimum, entre 24 et des fois même 36 mois. Alors, si nous n'avons pas la programmation pour les années à venir de la part du gouvernement du Québec, on pourrait vivre des moments qui ne seront pas faciles. Et c'est, disons, la raison pour laquelle on vous dit aujourd'hui de vous faire notre porte-parole de la ville de Montréal auprès du gouvernement et de lui dire: Il faut continuer dans la même direction qu'on a faite depuis quelques années, il faut aller de l'avant puis continuer de nous octroyer des unités au niveau du logement social.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je vais céder la parole au troisième... Il vous reste une demi-minute. Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Merci beaucoup, Mme la mairesse, M. Maciocia et à vous tous. M. Maciocia, soyez assuré que notre formation politique va appuyer cette demande de la ville de Montréal à l'égard du logement social, et mon collègue Nicolas Girard va vous en parler plus avant.

Merci pour la qualité de ce mémoire et la qualité de cette présentation. Comme députée dans Montréal, évidemment je crois qu'on est tous extrêmement conscients des responsabilités, des problèmes de la ville de Montréal et l'aspect concertation, l'aspect, comment dire, l'aspect que ça cesse d'être un peu un fouillis de juridictions et de responsabilités. Je pense que ça, c'est quelque chose qu'on devra regarder très sérieusement.

Moi, ce que j'aimerais vous poser comme question, dans un premier temps, ça touche à la question de l'approche policière à l'égard des personnes itinérantes. Et je suis contente de voir qu'il y a un représentant de la société de la police de Montréal ici présent. On lit, à la page 7 de votre mémoire, que «des efforts importants sont faits depuis plusieurs années pour adapter la réponse policière aux réalités des personnes en situation d'itinérance». On dit aussi que «le Service de police a développé plusieurs initiatives dans une perspective d'aide[, là, et qu'il] s'est doté d'un plan [...] triennal en matière d'itinérance et de jeunes de la rue». J'aimerais ça que vous m'en glissiez un mot, que vous m'en parliez parce qu'à la lecture de plusieurs mémoires il semble que les organismes communautaires ne voient pas du tout ça de la même façon.

Je pense que c'est récurrent dans plusieurs mémoires. Par exemple, on lit dans le mémoire du Refuge des jeunes de Montréal que... depuis cinq ans une augmentation de l'émission de contraventions, et, bon, que la judiciarisation augmente depuis ces dernières années. Les constats d'infraction auraient quadruplé en 10 ans, et évidemment, bien, l'emprisonnement pour le non-paiement d'amende. On sait très bien qu'une personne itinérante n'arrivera pas à payer ses contraventions. Alors, j'aimerais ça vous entendre sur cette question. Et on dit qu'aussi la Société de transport aussi... il y a beaucoup de contrats d'infraction qui sont donnés aussi aux abords du métro. Ça ne veut pas dire que tout ça, dans certains cas, ce n'est pas justifié, mais quelle serait votre approche?

Le Président (M. Kelley): M. Cadieux.

M. Cadieux (Pierre): Bonjour. Vous touchez à plusieurs points, en fait. Je vais commencer peut-être par vous parler de notre plan d'action triennal. Alors, le plan d'action du Service de police de la ville de Montréal est basé sur quatre axes d'intervention: le premier axe d'intervention touche tout ce qui a trait à la prévention; le deuxième, la répression dont vous faites mention, puis je vais y revenir tantôt; et le troisième axe, c'est la communication; et la recherche, quatrième axe. Donc, on a des interventions qui ciblent ces quatre axes-là tout au long de l'année.

Pour revenir à l'axe de la répression, puisque c'est de ça essentiellement que vous parlez, il faut savoir que l'approche policière est d'abord et avant tout une approche qui est très humaine. Vous savez, on fait plusieurs milliers d'interventions par année auprès des itinérants, et, dans notre approche, qui est très progressive en matière de répression, la première approche est d'abord, comme je le dis, une approche humaine. On va chercher à dialoguer avec la personne, chercher à la référer à des ressources, chercher à négocier. Bon. En fin de compte, il y a un conflit, il y a une situation... une infraction qui est commise, donc il y a une approche d'abord qui est humaine.

Dans un deuxième temps, quand il y a récidive, quand la personne ne veut pas comprendre, quand la personne est réticente, il va y avoir un constat d'infraction qui va être émis parce que les policiers travaillent avec les outils que l'État nous donne en fin de compte, et ce que l'État nous donne comme outils d'intervention, c'est les lois, c'est les règlements. Et le policier a l'obligation d'intervenir quand il y a une plainte. Quand la plainte vient nuire au sentiment de sécurité des citoyens, quand l'itinérant bloque la rue, quand l'itinérant est agressif, quand ils se bagarrent entre eux et que ça vient déranger les gens aux alentours, la population, les résidents, le policier a l'obligation d'intervenir. Donc, on intervient avec les outils dont on dispose: la loi, les règlements.

n (10 h 10) n

Mais ce qu'il est important de savoir, c'est que les policiers ne donnent pas un constat d'infraction de façon systématique. Bien au contraire, je vous le dis, dans 80 % des cas, ça se fait à travers le dialogue, ça se fait aussi de concert avec les équipes de médiation sociale urbaines dont on a parlé, avec qui on travaille en collaboration. Donc, on va tenter de trouver une solution bien avant de donner un constat d'infraction. Et, comme je disais tantôt, en matière de répression, il y a une approche qui est progressive. D'abord, l'avis, le constat, la référence, ensuite il vient le constat d'infraction. La troisième étape, c'est le constat d'infraction aussi, quand il y a une troisième reprise, et aussi on peut saisir des biens qui servent à la commission de l'infraction. Et, la quatrième étape, ultimement, c'est l'arrestation, mais c'est plutôt rare et c'est vraiment en dernier recours.

Mais ce qu'il est important de savoir, c'est que le Service de police travaille sur plusieurs tables de travail avec plusieurs groupes communautaires et des gens qui ont à coeur, comme nous, le phénomène de l'itinérance. Donc, on travaille beaucoup en partenariat, on s'associe à toutes sortes de gens qui travaillent, comme nous, comme premiers intervenants sur le terrain.

Mais je comprends que la judiciarisation, ce n'est pas la solution au problème, bien au contraire, mais parfois il est nécessaire de donner un constat d'infraction. Et ce qu'on a discuté à travers différentes tables, c'est de mettre en place un tribunal administratif, et c'est ça qui est intéressant et c'est ça qui s'en vient. Alors, plutôt que de judiciariser les itinérants, vous l'avez dit tantôt: Ils n'ont pas la capacité de payer, et tout ça, bien probablement que très bientôt il va y avoir un procureur qui va regarder l'ensemble de ces cas-là qui sont particuliers. Il faut savoir aussi que ces gens-là, ce sont les noyaux durs des itinérants, souvent des gens qui ont des problèmes de santé mentale, des problèmes de toxicomanie et des problèmes de comportement agressif. Ce sont ces gens-là qui très souvent se retrouvent avec un constat d'infraction, et c'est ces gens-là justement qui devraient se retrouver devant un tribunal administratif, et, à ce moment-là, le procureur pourrait décider de mesures alternatives à la judiciarisation.

Mme Lapointe (Crémazie): Écoutez, je me pose la question: Est-ce que les personnes qui justement... Quand vous arrivez à devoir procéder à une arrestation, est-ce que ce ne sont pas beaucoup des personnes qui sont en état de crise?

M. Cadieux (Pierre): Absolument.

Mme Lapointe (Crémazie): Est-ce qu'à ce moment-là on parle de centres de dégrisement, de centres, bon, de gestion de crise en fin de compte, hein, de répit pour ces personnes-là? Est-ce que déjà on n'avancerait pas?

Et j'aimerais savoir aussi, deuxièmement ? il y a des personnes toxicomanes, on le sait ? qu'est-ce que vous penseriez de cette proposition qui avait été faite d'un site d'injection supervisé à Montréal? Je pense que, vous savez, ça touche un peu, là, la question dont on parle. Je pense que les personnes en état de crise n'ont pas de lieu quand ils sont refusés dans les refuges, On fait quoi? On les amène à l'urgence de l'hôpital ou en prison? Tu sais...

Le Président (M. Kelley): Mme Beaudoin.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Oui, peut-être Pierre pourra compléter par la suite. Mme Lapointe, peut-être pour compléter l'information qui est là, effectivement ces personnes, quand on en arrive à cet extrême où on doit judiciariser donc déposer des constats d'infraction et peut-être même incarcérer, là... Mais avant ça ce qu'on a mis en place à la ville de Montréal, c'est deux éléments, M. Cadieux l'a mentionné rapidement: un procureur désigné... Ce qu'on veut, là, c'est mettre fin au syndrome des portes tournantes: la personne qui rentre puis sort, puis elle fait une autre infraction, puis elle rentre, puis là elle est en dedans, puis elle ressort parce qu'elle a fait son temps, puis elle.... Alors ça, ça stigmatise complètement et en tout cas c'est antiproductif, là, ça n'a pas de sens.

Alors, ce qu'on veut faire, c'est ça: en nommant un procureur désigné, c'est-à-dire une personne, un avocat qui a cette sensibilité à l'aspect social, à l'aspect crise de l'événement, hein, de ce qui se passe, là, au fait que cette personne est vulnérable et elle est particulièrement en danger de récidiver, donc il y a une approche sociale, il y a une approche psychosociale aussi et il y a même une approche médicale. C'est tout mis ensemble pour pouvoir faire une intervention complète, holistique, je dirais, là, de cette situation très... mais quand on y arrive, là, quand on est vraiment aux extrêmes de tout ça. Il y a aussi, comme on le disait tout à l'heure, un tribunal de la santé mentale, qui a été lancé justement dans cette optique-là, pour la personne qui a une difficulté en santé mentale, puis toujours sur une base volontaire, de pouvoir être traitée, entre guillemets, différemment, là, avec tous les soins. Elle a besoin de cette attention-là.

Maintenant, quant à un site d'injection supervisé, je pense que là-dessus la discussion n'est pas complétée. On est effectivement en train de regarder. Il y a effectivement des aspects positifs, il y a des aspects qui sont plus difficiles à... mais il faut tenir compte de l'ensemble de tout ça. Donc, je ne pourrais pas vous donner aujourd'hui une réponse, là, définitive. Je ne sais pas si M. Cadieux avait quelque chose à...

M. Cadieux (Pierre): J'abonde dans votre sens. Peut-être pour encore une fois préciser que, quand vous parliez tantôt des cas auxquels les policiers font face, c'est souvent des gens qui ont des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Et c'est vrai que le policier, à deux heures du matin, qui fait face à un jeune comme ça, qu'est-ce qu'il fait avec? Il n'y a pas grande alternative quand tu as quelqu'un qui est très intoxiqué, c'est souvent soit l'hôpital ou encore ça arrive même qu'on soit obligé de l'arrêter. Donc, l'alternative, c'est quoi? C'est l'hôpital ou les cellules. Alors, le centre qu'on parlait tantôt de décompression a toute son utilité et son importance. Petite parenthèse.

Le Président (M. Kelley): ...cet échange. M. Maciocia, très, très rapidement, parce que je dois...

M. Maciocia (Cosmo): Très rapidement, M. le Président. C'est seulement une autre problématique qu'on a avec justement les personnes toxicomanes ou d'autres, c'est qu'actuellement il n'y a aucun encadrement de la part du gouvernement du Québec. Nous ne sommes pas reconnus comme intermédiaires, nous ne sommes pas reconnus de cette manière-là, mais il faut, à un certain moment, que le gouvernement prenne ses responsabilités puis encadre cette catégorie-là. Parce qu'actuellement il y a des maisons n'importe où, qui ne sont connues par personne, et des fois il y a même les mêmes personnes qui sont des toxicomanes, qui sont sorties ça fait seulement six mois, qui deviennent... Ils sont, eux, en réinsertion, mais c'est eux qui sont là pour donner des conseils à d'autres personnes qui sont là. C'est complètement, je dirais, je ne veux pas employer le mot, mais, je dirais, quasiment irresponsable, puis il faut absolument que le gouvernement du Québec... que je puisse passer ce message, qu'il prenne ses responsabilités et qu'il encadre cette catégorie aussi parce que ça devient de plus en plus un problème au niveau des quartiers, au niveau des quartiers.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Alors, je vais faire appel à tout le monde. On va faire le deuxième tour maintenant. Mais, si les questions peuvent être le plus courtes possible, les réponses aussi, parce qu'il y a tellement de sujets. On a fait le choix d'entendre 34 groupes, alors il faut avoir un rythme assez accéléré. Alors, Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, je vais en profiter brièvement pour saluer les gens dans la salle, les gens de la ville de Montréal, mais également les gens qui se sont déplacés pour écouter, pour entendre les débats, les discussions d'aujourd'hui. Je pense que ça démontre l'intérêt de cette commission. Jamais, je crois, à Québec, dans les commissions parlementaires auxquelles j'ai eu la chance de participer, il y a eu un auditoire aussi important. Alors, bonjour à tous.

Quelques questions qui découlent un peu des interventions de ma collègue de Crémazie. Vous m'avez volé mon scoop, chère collègue. Je suis, comme ancienne procureure, ancienne... bien pas ancienne avocate, parce que je le suis toujours, mais j'ai pratiqué dans le domaine. Évidemment, Maniwaki, ce n'est pas la grande ville de Montréal, on s'entend. Par contre, les jeunes qu'on représente ou les gens qui manifestent des problèmes de santé mentale, des problèmes d'insertion sociale, bien, peu importe où ils se situent sur le territoire du Québec, ils ont les mêmes problématiques.

M. Cadieux, tout à l'heure, vous avez fait état d'une espèce de politique de votre plan d'action triennal, au niveau de votre intervention au SPVM, de quelle façon vous traitez les dossiers des jeunes, des itinérants, jeunes et moins jeunes, et vous avez mentionné que votre approche en était une plutôt de gradation, si on pourrait dire, gradation des interventions: Tentons dans un premier temps de discuter, de recadrer un peu la situation plutôt que bêtement et, je le dis, d'émettre un constat d'effraction qui n'aura aucun effet. Je me demandais, cette approche-là, est-ce qu'il s'agit d'une approche qui relève de l'initiative des agents sur le terrain ou est-ce qu'il s'agit vraiment d'une politique mise de l'avant par la ville de Montréal?

n (10 h 20) n

M. Cadieux (Pierre): Bien, je vous dirais «les deux» parce que, de la façon dont on fonctionne, on a mis en place différents comités à l'interne dont les policiers font aussi partie. Donc, il y a un comité terrain, les policiers y participent activement; il y a un comité directeur qui définit un peu les grandes orientations. Mais le comité terrain, ce sont les coordonnateurs, ce sont les policiers qui appliquent un peu les façons de faire, mais tout ça se fait conjointement et se fait en équipe. Les policiers participent activement aux différents comités.

Et je vous dirais qu'on a tout un mécanisme aussi de suivi des personnes itinérantes. À chaque fois qu'il y a une interpellation qui est faite, on identifie la personne, et c'est rentré dans nos bases de données. Alors, c'est comme ça qu'on peut établir notre progression. Quand on dit «après une récidive», bien on le sait qu'il y a une récidive parce qu'on a des bases de données. Donc, on est en mesure aussi de suivre les cas qui sont plus problématiques. Les personnes itinérantes qui sont les plus problématiques, à ce moment-là, sont référées... ou on va faire affaire avec l'équipe de médiation urbaine. Entre autres, quand on sait qu'un itinérant, ça fait plusieurs fois qu'on fait affaire avec lui, il y a eu un constat, il n'y a pas de changement, la situation est toujours dérangeante ? parce qu'il faut savoir qu'on intervient sur des comportements qui sont dérangeants ? alors, à ce moment-là, cette personne-là est référée au groupe EMU ou va être référée au CLSC, où on va demander de l'aide pour tenter d'aider cette personne-là, pour éviter que, nous, on soit appelés à intervenir à nouveau.

Donc, tout ça se fait vraiment en équipe. Les policiers participent activement, ils savent un peu... Il faut savoir aussi qu'on a donné tout récemment ? puis encore ça a lieu présentement ? une formation à tous les policiers sur les interventions dans une société en changement. Donc, ça fait référence aussi au multiculturel, ça fait référence aux nouvelles réalités qu'on vit à Montréal, à tous les niveaux. Donc, on forme les policiers là-dessus, ils connaissent les enjeux, ils savent comment intervenir.

Mme Vallée: Est-ce qu'il y a des formations qui visent de façon plus particulière les itinérants, les gens en situation de crise ou... Parce que vous avez mentionné votre formation. La formation que vous avez offerte à votre équipe visait les changements au sein de la société montréalaise. Mais est-ce qu'il y a des formations ou des programmes de formation offerts de façon spécifique aux policiers qui ont à intervenir dans les quartiers plus chauds, si je dirais, les quartiers qui ont un taux d'itinérance plus élevé, les quartiers où on a à interagir, là, sur une base quotidienne avec les différents groupes itinérants?

M. Cadieux (Pierre): En fait, je pense que la formation qu'on donne présentement rejoint un peu l'objectif de comment intervenir avec des gens qui sont vulnérables, des gens de toutes les sphères de la société, mais pas spécifique aux gens de Ville-Marie, entre autres. Je vous dirais qu'au moment où on se parle, d'abord, la formation d'intervention auprès de personnes qui ont des problèmes de santé mentale, c'est une formation qu'on a, comme tous les policiers ont reçue. Mais présentement il y a cette formation qui existe, mais il y a aussi, comme je vous disais, toute la communication qui existe entre les coordonnateurs, les policiers, l'approche qu'on met en place. Il y a tout un système de communication, ça fait partie du troisième axe d'intervention du plan d'action. Je vous parlais de communication ? prévention, répression, communication, recherche ? donc, ça fait partie de notre plan.

Les policiers sur le terrain, spécialement ceux dans Ville-Marie, connaissent les enjeux des dossiers sociaux, de l'importance de l'occupation de l'espace public par tous, donc ils connaissent, et on est en constante communication avec ces gens-là.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question, Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Bienvenue aux membres de la ville de Montréal. Je suis une députée de la région de l'Outaouais, alors chez nous aussi l'itinérance, c'est émergeant. Et le modèle montréalais est certainement une grande source d'inspiration pour les autres régions du Québec. Vous avez parlé, tout à l'heure, de projets pilotes d'équipes de médiation sociale. On sait que la sensibilisation est un grand volet de la solution, et je voudrais vous entendre un peu par rapport à ces projets pilotes que vous aimeriez voir de façon récurrente, là, dans l'avenir.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Merci. Oui, je pense qu'on peut être particulièrement fiers de ces projets-là parce que c'est un travail, je dirais, encore là, de concertation. C'est issu d'une réflexion commune avec tous les intervenants, les groupes communautaires, le réseau de la santé, SPVM. Bon. Et ce qu'on constate, c'est que la médiation est une partie de la solution importante parce qu'elle agit directement sur le terrain, avant, je dirais, que le conflit éclate. Donc, on est en médiation bien sûr, donc en discussion et en prévention.

Je ne sais pas si M. Allard pourrait peut-être donner plus de détails. Les grands objectifs bien sûr sont louables. On est en train de faire l'évaluation parce qu'on n'a pas... Mon Dieu! on est au mois de septembre, on n'a pas un an en fait de projet de complété, mais les résultats sont intéressants. Je ne sais pas même si dans la salle il n'y a pas l'équipe présente.

Le Président (M. Kelley): M. Allard.

M. Allard (Patrice): En fait, l'idée de la médiation, c'est évidemment de recréer des liens avec différents groupes qui parfois sont éloignés les uns des autres. Donc, effectivement, l'EMU, il y a une équipe, je pense, de quatre médiateurs qui parcourent le centre-ville, qui permettent donc d'entrer en relation avec à la fois, oui, les jeunes itinérants ou les itinérants, les différents types d'itinérants, mais aussi de recréer des liens aussi avec les résidents et les commerçants pour atténuer... donc, des fois, il y a des tensions qui se vivent dans l'espace public, de sorte qu'on puisse les atténuer et de recréer donc du lien, de la discussion entre les différents groupes.

Donc, c'est un projet pilote effectivement, comme le mentionnait Mme Beaudoin. Il est en évaluation par le Centre international de criminologie comparée. Donc, au bout de 12 mois, on devrait avoir les résultats, on pourra en faire part aux autres municipalités, et avec plaisir. Mais jusqu'à présent effectivement ça permet peut-être de compléter les interventions, d'être en appui aux interventions policières.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Saint-Jean.

Mme Méthé: Bonjour et bienvenue à vous tous. De toute évidence, c'est un très intéressant sujet. De toute évidence, même s'il n'y a pas de statistiques récentes, il y a quand même des données qui démontrent que l'itinérance augmente de façon importante. Le sujet est de plus en plus médiatisé, donc, moi, je pense que c'est un bon pas pour approfondir le problème. J'ai vu l'histoire de Roger dans La Presse, il y a trois semaines, une histoire qui est touchante. Alors, je pense, c'est bien aussi qu'on médiatise certains cas de temps en temps.

Moi, je suis sensible à l'approche tantôt, là, des gens qui sortent des institutions. En temps que porte-parole pour la protection de la jeunesse, je sais que c'est un problème très grave pour nos jeunes. Les centres jeunesse ont mis une procédure en place pour les aider, à compter de 16 ans, à réintégrer, mais on sait que c'est beaucoup d'argent, c'est des ressources. Ils sont déjà en manque de tout ça. J'aime bien l'approche de médiation qui vient d'être mentionnée, c'est de trouver des pistes de solution. Là, ce que je comprends, c'est qu'il y a des cas où il faut répondre à des urgences, dont vos priorités dans le logement, dans le centre de répit, et tout ça, mais je sais aussi que plus on attend pour récupérer quelqu'un, plus c'est difficile de le récupérer. Je sais qu'au centre d'emploi on essaie de récupérer assez rapidement des gens qui perdent leurs emplois. Je pense aussi, c'est important qu'on maintienne beaucoup d'argent... bien, des fonds là-dedans pour éviter que ça dégénère à des cas plus difficiles à récupérer.

J'écoutais tantôt l'idée, qui a été approchée par M. Cadieux, du tribunal administratif. Moi, je suis un petit peu... ça me chatouille d'entendre ça. J'aimerais mieux entendre quelque chose comme un comité d'expertise qui serait là, c'est-à-dire une approche plus humaine pour ces gens-là. L'idée est peut-être juste de changer ça pour quelque chose de plus humain.

Je voudrais savoir s'il y a des maisons pour des gens qui sont plus en état de crise, ou tout ça. Est-ce que le centre de répit, c'est quelque chose qui est là pour une longue durée ou c'est vraiment temporaire? Est-ce qu'il y a des centres qui sont là pour aider à cheminer avec les gens ou si ça n'existe pas du tout?

Le Président (M. Kelley): Mme Beaudoin.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Est-ce que vous parlez des centres de décompression?

Mme Méthé: Bien, il y a deux questions. Est-ce que les centres de décompression, c'est une aide qui est juste temporaire...

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Ponctuelle.

Mme Méthé: ...à courte durée?

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Oui.

Mme Méthé: Il n'y a pas de centres qui existent où on va amener des personnes puis qu'on va les suivre pour les aider à... de ressources en fait qui vont encadrer les gens à long terme?

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Bien, ce que j'ai comme information ici, c'est, bon, l'analyse, là, du centre L'Échelle, là, de l'expérience qu'on a faite où... Ce qu'on dit, c'est que, je vous dirais, là, 37 %, 14 %, 20 %, bon, près de 70 % de la clientèle séjourne moins de trois jours dans ce centre-là, hein, parce que c'est un centre, là, d'urgence. Puis les raisons pour lesquelles les gens y vont sont, dans un ordre de grandeur d'à peu près 80 %, des raisons de... la personne est intoxiquée, drogues, alcool ou les deux, là. Alors donc, elle décompresse et après ça elle est apte, entre guillemets, donc à intégrer les ressources, je dirais, normales, encore là toujours entre guillemets, là. Mais je ne sais pas... On a ici la liste. Je ne sais pas, M. Allard, si on a un nombre ou...

M. Allard (Patrice): En fait, il y a beaucoup d'organismes qui viennent en aide effectivement aux jeunes sur du moyen terme, là. On pense à Action-Réinsertion, à Mission Bon Accueil, en fait des services spécialisés de relations d'aide. On a différents organismes, L'Auberge communautaire du Sud-Ouest, Dîners-rencontres St-Louis-de-Gonzague, Spectre de rue. Il y a vraiment une panoplie d'organismes sur le territoire qui font de l'accompagnement, de la relation d'aide auprès des jeunes, notamment auprès des jeunes.

n (10 h 30) n

Mme Méthé: J'ai assisté au colloque le 13 juin dernier, j'ai vu différents organismes. Je questionnerai, voir l'aide qu'ils pourront apporter, voir si vraiment ils suivent les jeunes de façon permanente, constante pour voir tout ça. Mais, au moment où on se parle, à la ville, il n'y a pas vraiment de ressource permanente, là. On parle de centre d'hébergement, et tout ça, mais de ressource où ils vont, je ne sais pas, moi, un genre de couvent où est-ce qu'il y a une place pour coucher, mais qu'il y a des intervenants qui suivent sur place, ça, ça n'existe pas? Non, O.K.

L'autre idée de médiation que j'ai bien aimée, parce que dans différentes régions, en tout cas chez nous dans le comté de Saint-Jean, on a Justice alternative qui font de la médiation avec les jeunes, et on a extensionné, on a fait implanter la médiation citoyenne qui fait que les gens forment des gens de la communauté. Alors, les coûts deviennent beaucoup moins importants parce que les gens de la communauté, les citoyens s'impliquent dans le processus. Je pense que ce serait une avenue intéressante, puis j'ai hâte de voir les résultats de ce projet pilote là.

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Pour compléter votre intervention, le rôle de la ville n'est pas de mettre en place des ressources. Notre rôle est de soutenir financièrement ceux qui le font, les organismes qui le font. C'est à ce titre-là que M. Allard nommait un certain nombre d'organismes. Bon. On a des contributions financières différentes, là, d'un organisme à un autre. Mais, en réponse à votre question, non, la ville n'a pas ça, là, dans, je vous dirais, sa série de solutions, là, c'est-à-dire ne gère pas ce genre d'organisme là.

Mme Méthé: Moi, je n'avais pas d'autre...

Le Président (M. Kelley): M. le député de Nicolet-Yamaska, il vous reste quatre minutes.

M. Dorion: Oui, merci. Alors, M. Maciocia, je ne voudrais pas vous débaptiser, c'est comme ça qu'on prononce?

M. Maciocia (Cosmo): Maciocia.

M. Dorion: Maciocia.

Une voix: ...

M. Dorion: Quasiment. Mais, pour faire suite aux interrogations, à la lueur de ce que je comprends, c'est qu'il y a présentement une zone grise entre les gens qui sont en état d'intoxication, qui ne peuvent pas avoir nécessairement un accès aux refuges d'hébergement qui, eux, comme objectif, visent à référer dans les endroits appropriés autant au niveau de la réinsertion sociale que les centres de thérapie.

Je sais que le ministère a présentement... l'ensemble des organismes oeuvrant autant au niveau privé que communautaire se doivent de participer à une mesure de certification des organismes. Et, dû à l'arrivée de cette certification-là, en connaissance de cause puisque j'ai travaillé en relation d'aide avant d'être élu, il y avait des centres de désintoxication qui malheureusement n'ont pas eu la capacité financière de faire tous les ajouts par rapport à la certification et ont dû fermer leurs portes. Est-ce que c'en est une, des causes?

Parce qu'on dit ici: Bon, centre de décompression, pour moi, bon, c'étaient théoriquement les centres de désintoxication, ceux qui avaient le mandat de permettre à une personne la désintoxication. Et par la suite cette personne-là était référée dans des centres de thérapie appropriés, autant ceux qui avaient un mandat de travailler avec les doubles problématiques, soit toxico et santé mentale, ou santé mentale carrément, mais, dû à l'arrivée, plusieurs organismes malheureusement ont dû fermer leurs portes. Et de là la zone grise présentement qu'a la ville de Montréal, entre autres, vous en avez une problématique. Est-ce que ma compréhension de ce qui se passe sur le terrain est bonne?

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Effectivement. Mais, vous savez, la question du financement et surtout du financement récurrent, là, ou durable ? O.K., récurrent est toujours un peu épeurant ? mais d'un financement qui permet une intervention à plus long terme, c'est au coeur de toutes les demandes que nous faisons et, je dirais, de la réalité que vivent les groupes communautaires et par conséquent les personnes en situation d'itinérance. Alors, effectivement, moi, je ne pense pas qu'il faut se dire: Plus il y aura d'organismes qui interviendront, moins il y aura d'argent, plus ils sont fragilisés. Non, il ne faut pas le voir comme ça. Il faut avoir un continuum d'interventions, il ne faut pas qu'il y ait de trou et de manque, là, dans le suivi des interventions, il faut qu'il y ait un organisme ou en tout cas un service qui soit offert à toutes les étapes pour tous ces types de clientèle.

Puis là on n'a pas parlé, à Montréal, de l'alourdissement, entre guillemets, de la problématique liée aux femmes itinérantes, aux autochtones, on l'a nommée rapidement tout à l'heure, mais on va encore dans le plus pointu, ça demande une expertise particulière, ça demande des organismes et des intervenants qui ont cette connaissance et cette façon d'intervenir. Alors, Montréal est complexe, là, dans sa réalité, et on ne parle que d'itinérance et de personnes en situation d'itinérance, mais il faut que tout ça soit pris en charge, je dirais, là, par des services communautaires et des services publics, là. Et le financement est au coeur de tout ça, bien sûr.

Le Président (M. Kelley): Courte question.

M. Dorion: Courte question. Alors, bien, ma dernière question est pour savoir: Est-ce que vous croyez que les interventions qui sont faites et la compréhension du gouvernement sont axées souvent sur des services à court terme et qu'il n'y a pas d'initiative laissant place à un suivi à long terme chez les individus?

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Je vous dirais que c'est, je pense, une préoccupation que le gouvernement a toujours, mais, bon, encore de la même façon que nous le vivons, à la ville de Montréal, toute la question du financement et des priorités est toujours à revoir. Par ailleurs, la raison pour laquelle on est ici, c'est pour rappeler au gouvernement ses responsabilités, et nous disons, à la ville de Montréal: On est prêts à appuyer. On a même dit, à travers ce qu'on a dit ce matin: On peut prêter des locaux, on poursuit notre financement, mais on veut revenir dans le champ d'intervention de la ville en complémentarité avec les deux paliers de gouvernement, fédéral, provincial. Nous avons mutuellement besoin des uns des autres pour pouvoir intervenir avec les groupes communautaires et tout le réseau des intervenants, service de police inclus, les arrondissements, en ce qui nous concerne, auprès des personnes en difficulté.

M. Dorion: Les gens du comité, merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Gouin.

M. Girard: Merci, M. le Président. À mon tour de saluer les représentants de la ville de Montréal, vous remercier pour votre présentation puis la qualité de votre mémoire. Mes questions portent sur la question du logement, qui est un élément majeur à Montréal. Est-ce que vous trouvez normal qu'à chaque année la ville, les groupes de ressources techniques, les intervenants dans le milieu de l'habitation doivent faire un pèlerinage à Québec pour réclamer d'avoir dans le prochain budget un certain nombre d'unités? L'an passé, il y en a eu 2 000. Vous allez reprendre la même démarche cette année pour que, dans le prochain budget... Est-ce qu'il ne serait pas plus simple d'avoir un plan sur quatre ans ou cinq ans d'un nombre d'unités que le gouvernement est prêt à financer, qui permet à la ville de Montréal de planifier la création de logements sociaux avec, par exemple, du soutien communautaire? C'est démontré que ça fait une différence dans la vie des itinérants. C'est ma première question.

La deuxième. Dans le mémoire, à la page 9 et 10 dans votre mémoire, vous parlez de la nécessité de maintenir un parc de chambres adéquat sur le territoire de la ville de Montréal. Cependant, en lisant d'autres mémoires, certains évoquent le fait que la SHDM envisage de vendre son parc de chambres qui comprend 398 unités. Alors, comment, d'un côté, pouvez-vous réclamer qu'il y ait un parc de chambres plus grand et, de l'autre côté, songer vous-mêmes à vendre votre parc?

Le Président (M. Kelley): M. Maciocia.

M. Maciocia (Cosmo): Sur la première question, M. Girard, c'est clair, je pense que j'ai été très clair dans mon intervention, dans le mémoire qu'on a présenté ce matin, que pour nous c'est vital d'avoir des programmes, premièrement, récurrents et, deuxièmement, à long terme, parce que, comme je disais tantôt, pour la construction d'une unité seulement, ça prend entre 24 et 36 mois. On ne peut pas attendre à la dernière minute d'avoir des unités pour qu'on puisse entamer le processus, même si on a... On le sait très bien, on vient d'avoir 1 000 unités de la part du gouvernement, comme je le disais tantôt, ça va nous permettre d'atteindre les 5 000 que nous avons programmées de 2006 à 2009. Même là, même si nous avons ces 1 000, on a des projets pour 2 500 unités possibles à Montréal. Mais, si, dans les mois à venir ou dans les semaines à venir, on n'a pas une programmation justement à long terme... Et, quand vous parlez de quatre ans, moi, je dirais plutôt de cinq ans que de quatre ans, parce que ça nous donne la possibilité de faire un meilleur choix des projets, de mettre à contribution les GRT, les groupes de ressources techniques, l'OBNL aussi qui peut vraiment envisager des endroits où construire ces unités-là, parce que, la problématique, on la vit à Montréal. On sait qu'elle est énorme. Sur ça, je ne pense pas qu'il y ait des problèmes. C'est la position qu'a toujours défendue... que nous défendons depuis notre arrivée au pouvoir. Ça, c'est clair.

n (10 h 40) n

Et, deuxièmement, ce qu'il faut revoir aussi, et je pense que c'est primordial, et je répète à la commission de faire aussi ce message-là, c'est qu'il faut revoir aussi le coût de la construction des logements sociaux à Montréal. Montréal, ce n'est pas comme ? je ne sais pas si je peux dire ? dans un endroit quelconque dans les régions du Québec pour la simple et unique raison que les coûts sont beaucoup plus grands à Montréal, que ce soit au niveau de l'acquisition du terrain, que ce soit au niveau des décontaminations des terrains. C'est très important que le gouvernement donne, je dirais, des précisions à la Société d'habitation du Québec pour qu'on adapte les coûts de la construction de Montréal, elle est différente. On ne peut pas faire les même coûts partout, que ce soit en Abitibi, que ce soit à Montréal, que ce soit en Outaouais, que ce soit n'importe où, parce que les coûts ne sont pas les mêmes. Et c'est là qu'actuellement nous nous trouvons souvent ? à moins que je ne me trompe, M. Quirion, il pourrait ajouter ? avec des soumissions qui sont toujours entre 20 % et 25 % plus chères des coûts qui sont prévus au départ. Ça, c'est très clair, parce que Montréal, elle ne vit pas la même réalité qu'on vit dans d'autres régions, la question des coûts. Alors, sur ça, je pense que c'est très clair et je ne peux pas être plus clair que ça.

Sur la question des chambres, je pense qu'on avait pris... le maire Tremblay, il avait pris un engagement précis sur la question d'avoir comme minimum 1 000 chambres dans les quatre ans, de 2006 à 2009, de les terminer en 2009, 1 000 chambres justement pour des personnes sans abri, des personnes en itinérance. Sur la question que la SHDM, elle voudrait vendre 380 chambres, que ça lui appartient, bien là, je ne peux pas vous répondre, je vais demander à M. Quirion de répondre à la question. Mais c'est clair que, pour nous, l'objectif, c'est d'atteindre 1 000 unités de chambre parce que c'est vital pour Montréal, et ça, on a la demande de tous les groupes sociaux au niveau de la ville de Montréal qu'il faudrait comme minimum avoir autour de 1 000 chambres à Montréal pour les itinérants et les sans-abri.

Pour un complément de réponse, je demanderais à M. Quirion de vous répondre sur ce sujet.

Le Président (M. Kelley): M. Quirion.

M. Quirion (Denis): Oui. Effectivement, sur la question précisément des... En fait, en matière d'habitation, il y a deux éléments de solution qui participent aux efforts de lutte à l'itinérance, c'est dans le cadre AccèsLogis, le volet III, donc c'est des projets qui s'adressent à des clientèles ayant des besoins spéciaux, et ça suppose donc du support communautaire. On parlait tantôt, là, de solutions durables pour les jeunes, par exemple, les jeunes femmes avec enfants ou les jeunes, etc., et d'autres clientèles. Donc ça, c'est un volet important, le volet III du programme AccèsLogis avec le support communautaire.

L'autre volet, c'est effectivement de préserver le parc de maisons de chambres. À Montréal, il y a environ... Bien, il y a 180 chambres privées qui totalisent un peu plus de 3 000 chambres... 180 maisons de chambres donc qui totalisent 3 000 chambres environ, puis il y a à peu près 1 300 chambres qui sont détenues par le secteur communautaire dont environ 400 par la SHDM. Quand on parle de la SHDM, il s'agit en fait de chambres qui appartiennent à la SHDM et qui sont déjà gérées, depuis plusieurs années, par des organismes sans but lucratif. Alors, quand il est question de vente, c'est des propositions de vente sur une base d'intérêt, là, directement à ces organismes communautaires qui les gèrent déjà. Il ne s'agit pas d'une opération, là, de privatiser les chambres qui sont possédées par la SHDM. Bon.

Maintenant, le problème pour réaliser ou protéger le parc de maisons de chambres privées, qui est quand même l'objet, dans les quartiers centraux, de certaines pressions, là, au niveau foncier, au niveau de... Les propriétaires sont parfois tentés par des vocations peut-être plus rentables compte tenu que c'est situé dans les quartiers centraux, notamment dans Ville-Marie, bien sûr. Mais là il y a un travail qui se fait avec les groupes communautaires pour identifier des stratégies pour monter un modèle d'intervention pour procéder à des acquisitions et à la rénovation de maisons de chambres qui sont sur le territoire de Montréal, pour les préserver.

Un des éléments, comme disait M. Maciocia, c'est la question des coûts ? je termine là-dessus. Dans le cas des maisons de chambres, comme dans les autres types de logement, il y a des coûts reconnus pour la construction neuve puis il y a des coûts reconnus pour l'achat et la rénovation, et ces coûts-là reconnus pour l'achat et la rénovation sont beaucoup plus bas, dans les programmes gouvernementaux, que la construction neuve. Or, on demande au gouvernement du Québec et à la Société d'habitation du Québec, depuis un certain temps, de reconnaître une parité entre les deux situations. Pourquoi? Parce que dans le fond on peut comprendre facilement qu'acheter une maison de 20 chambres en plein centre-ville, près de grands projets majeurs qui s'en viennent, puis les rénover adéquatement, c'est un projet qui est nettement aussi coûteux, sinon plus, là, que de construire une chambre ou un studio dans les quartiers éloignés ou dans d'autres régions du Québec. Donc, si on veut être capables d'acheter et rénover ces maisons de chambres là, ça nous prend des normes adaptées à ce défi-là en particulier.

Le Président (M. Kelley): Il reste comme une minute. Très rapidement.

M. Lemay: Oui.

Le Président (M. Kelley): Très rapidement, M. le député de Sainte-Marie?Saint-Jacques.

M. Lemay: Merci, M. le Président. Moi aussi, je salue les gens. Je vais me permettre de lancer quand même un cri du coeur qui n'a rien à voir avec l'itinérance, M. le Président. C'est qu'il y a un an exactement... et je le lance à mes ex-collègues de la ville, parce que la ville a aussi des responsabilités. On s'entend que le gouvernement a des responsabilités, mais la ville aussi. Quand on parle de sécurité publique, M. le Président, il y a un an, ici, il y avait des tueurs à gages en pleine rue. Pendant plusieurs semaines, il y avait des guerres de gangs. Il y a eu des blessés. Il y a eu des morts. Et pendant plusieurs semaines, M. le Président, les résidents avaient peur, les commerçants avaient peur, les itinérants avaient peur et le député avait peur. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu peur à Montréal, il y a un an. Tout le monde a une responsabilité. Quand on parle de l'occupation du domaine public, là, ça aussi, ça en fait partie.

Donc, ce cri du coeur étant fait, M. le Président, je demanderais aux gens de la ville: Quelles sont vos relations avec l'agence? Parce que l'agence, c'est quand même près de 1 milliard de budget, qui gère les hôpitaux, il y a les CSSS là-dedans aussi. Mais quelles sont vos relations avec l'agence de santé? Parce qu'à la page 11 ou 10... Oui, à la page 10 de votre mémoire, vous dites: «Assurer un meilleur accès aux services de santé et aux services sociaux.» Donc, manifestement, là, il y a des choses à améliorer. Donc, êtes-vous en discussion avec l'agence de santé de Montréal pour qu'il y ait des améliorations à cet égard?

Le Président (M. Kelley): Si, Mme Beaudoin, on peut faire ça assez brièvement... Mais, je sais, c'est difficile parce que c'est une grande question, mais...

Mme Beaudoin (Marie-Andrée): Oui, je comprends. Mais je peux rapidement répondre que, oui, nous sommes en discussion constante avec l'agence, qui est un partenaire important, au même titre que les autres partenaires, là, autour de la table du comité intersectoriel qui a pondu, entre guillemets, un plan d'action. Ça n'empêche pas... Je pense que vous faites une relation de cause à effet, là, qui, à mon avis, n'est pas directe, là. Ce n'est pas le cas. L'agence est très sensibilisée à cette question-là. Évidemment, ça n'empêche pas qu'il faut bonifier ça et que, bon, comme on l'a inscrit à la page que vous nommez, ça reste à, je dirais, développer et à peaufiner. Mais ces discussions sont en cours. Il y aura toujours... On avance toujours dans la compréhension du phénomène et dans, je dirais, le raffinement de toutes ces interventions-là. C'est un travail collectif. Mais la contribution et... la collaboration est excellente, là.

Le Président (M. Kelley): Il me reste à dire merci beaucoup aux représentants de la ville, Mme Beaudoin, M. Maciocia et les gens qui vous accompagnent. Merci également pour la qualité des documents déposés et le partage des fruits de votre propre consultation qui a été faite au printemps.

Sur ce, je vais suspendre quelques instants. Et je demande aux représentants de Le Bon Dieu dans la rue de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 10 h 48)

 

(Reprise à 10 h 54)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre deuxième intervenant, c'est l'organisme Le Bon Dieu dans la rue, représenté par M. Sylvain Flamand et Mme Caroline Dufour. Vous avez un temps de parole de plus ou moins 15 minutes, après ça il y aura une période d'échange d'une demi-heure avec les membres de la commission. Sans plus tarder, je vais céder la parole à vous, M. Flamand.

Le Bon Dieu dans la rue

M. Flamand (Sylvain): Bonjour à la commission. Merci de bien vouloir nous recevoir. Donc, bonjour, Mmes et MM. les députés. C'est la deuxième fois qu'on participe à une commission parlementaire. On est assez contents de pouvoir se faire entendre. On espère que ça va donner des choses par la suite.

La première chose que je voudrais dire, c'est que je voudrais excuser le fondateur, le père Emmett Johns, qui participe aujourd'hui à une levée de fonds pour l'organisme. Donc, il n'a malheureusement pas pu être à deux endroits en même temps, mais il est de tout coeur avec nous, oui.

En fait, en 15 minutes, c'est sûr que c'est extrêmement difficile de tenir un propos cohérent sur toute la question de l'itinérance. Nous, on va essayer de centrer nos propos sur la question de la jeunesse évidemment, puisque notre organisme vient en aide aux jeunes entre 12 et 26 ans, je dirais même qu'on étend nos services maintenant parfois jusqu'à 30, 35 ans, dans des cas spécifiques, et on va essayer de couvrir bien tous les domaines qui sont importants pour nous, dans lesquels on identifie un certain nombre de trous de services ou de problèmes sur lesquels on pourrait travailler.

On a commencé avec quelque chose qui nous soucie beaucoup. Quand on parle de l'itinérance et de trouver des moyens d'essayer de combattre ce phénomène à long terme et d'essayer de trouver des moyens structurels de contrer la pauvreté, la grande pauvreté et le passage à l'itinérance et à la rue, c'est toute la question du lien entre les prises en charge institutionnelles à long terme et la rue. En fait, on fait des constatations assez empiriques présentement sur une forte corrélation des prises en charge à long terme par les enfants et leur passage à la rue à long terme par la suite. À cet effet, je vous invite à lire le mémoire d'un intervenant du Refuge des jeunes, qui a suivi 21 jeunes en fait qui sont passés par le Refuge des jeunes, sur leur trajectoire par rapport à la rue, et qui donne des pourcentages assez importants, en fait qui fait une corrélation entre l'enlisement dans la rue et l'itinérance et la prise en charge en protection de l'enfance. C'est une question que, nous, on peut voir quasiment à chaque jour dans les suivis qu'on a avec les jeunes.

Donc, par rapport à ça, on s'est positionné, comme organisme, à la dernière commission parlementaire, et on a eu des fonds en fait du Centre national de prévention du crime pour un projet d'envergure sur la question de la fugue et de la rue, et c'est un projet de recherche-action en fait sur trois villes du Québec: Québec, Trois-Rivières et Montréal. Et on va peut-être faire des choses avec d'autres milieux aussi si on en est capables, pour essayer de regrouper un peu tous les acteurs en protection de l'enfance, que ce soient les institutions, mais aussi les groupes communautaires et les services de police des différentes villes, de façon à essayer de pouvoir comprendre un petit peu le phénomène et de réactualiser un peu notre vision de la fugue et surtout de comprendre où sont ces enfants, parce que c'est un grand point d'interrogation pour tout un tas de raisons: les phénomènes de gangs, la question de la répression et de la judiciarisation des jeunes sur l'espace public, etc.

Par rapport à ça, j'aimerais vous présenter un certain nombre de choses qui nous apparaissent importantes. La première, c'est l'importance d'avoir des modes de concertation un petit peu plus probablement officiels mais un petit peu plus actifs entre les milieux communautaires et les milieux institutionnels sur la question de la rue, sur la question de la protection de l'enfance, etc. Ce n'est pas toujours facile de faire des choses. On arrive à mobiliser un certain nombre d'acteurs, mais je pense que c'est une direction qu'il faudrait prendre un petit peu plus. L'idée d'un protecteur de l'enfant aussi qu'on a annoncée dans le mémoire serait une idée intéressante, on ne pourra pas s'y étendre, malheureusement. Quelque chose qui nous semble, par exemple, une grande urgence, c'est la constitution d'un observatoire sur la fugue, donc de savoir qu'est-ce qui se passe pour ces enfants et d'être en mesure de pouvoir colliger des données un petit peu sur les différents établissements qui s'en occupent, et de voir un peu et de documenter un peu quels sont les liens entre les prises en charge institutionnelles, toute la question de la violence institutionnelle faite à ces enfants, et ensuite les processus, je dirais, de désocialisation qui peuvent s'enclencher sur la rue.

n (11 heures) n

On attire votre attention aussi sur le fait et sur l'importance de soutenir et de favoriser des interventions alternatives avec les jeunes. J'entendais quelques échanges, tout à l'heure, sur la question du: Est-ce qu'on veut s'en sortir, est-ce qu'on ne veut pas s'en sortir, etc., et toutes les questions que ça pose. Moi, je pense que l'itinérance, elle interroge nos institutions, elle interroge nos sociétés sur les questions démocratiques. Il y a des débats qui sont extrêmement importants au travers de ça. Et un des points qui m'apparaît assez fondamental, c'est la place des principaux intéressés dans l'élaboration de propos sur quels sont leurs problèmes et sur les solutions qu'on y envisage. Nous, on pense qu'il y a vraiment quelque chose à travailler à ce niveau-là. Et l'expérience qu'on en fait, c'est que, même s'il y a des processus de désocialisation qui sont intenses sur la rue et qui, à certains moments, peuvent amener certaines personnes à ne plus être en mesure de prendre des décisions sur le moment pour elles-mêmes, des bonnes décisions, il n'en reste pas moins que ce n'est pas en ne pas respectant les droits fondamentaux de la personne et la question de l'adhésion aux programmations qu'on va réussir à faire quelque chose. Bien au contraire, c'est en ayant des programmations inclusives, où on démontre énormément de respect pour les personnes qui sont dans ces situations et, je dirais, où on les considère bien au-delà des problématiques de toxicomanie et de santé mentale, qu'on arrive petit à petit à faire des choses.

Évidemment, le deuxième aspect de ce type de travail, c'est qu'il nous faut du temps. Quand quelqu'un se retrouve en situation d'itinérance, c'est des séries de ruptures qui ont pris énormément de temps à se mettre en place, c'est des questions traumatiques qui peuvent être extrêmement complexes, et on ne peut pas se relever de ces situations-là à très court terme. Donc, il faut prendre son temps aussi.

Évidemment, le deuxième axe qu'on voulait vous présenter, c'est que, si on veut faire des choses intelligentes à long terme sur les questions de l'itinérance, il y a trois incontournables. On l'a entendu, puis, j'imagine, vous l'avez lu au travers de tous les mémoires, c'est la question de l'éducation, c'est la question de l'emploi et c'est la question du logement. On n'a pas beaucoup de temps, donc je ne pourrai pas commencer à regarder exactement tout ce qu'il faut faire.

Ce que je dirais, c'est que d'un côté, je dirais, il y a des programmations générales sur la question de l'emploi, sur la question de l'éducation et sur la question du logement qui doivent être soutenues, qui doivent être menées, qui doivent être renforcées dans certains cas. Mais, quand on parle de l'itinérance, quand on parle de la rue, quand on parle du développement et particulièrement des jeunes, il y a aussi des programmations spécifiques qui doivent être mises en place pour répondre à des situations qui sont très particulières.

Des jeunes qui ont des problèmes de santé mentale importants, des jeunes qui ont des problèmes de toxicomanie importants, des jeunes qui sont en quête identitaire, ce n'est pas toujours les mêmes types d'outils qu'il faut leur proposer. On peut avoir toutes sortes de situations très particulières. Moi, je pense, par exemple, à notre service à la famille, où on va accompagner des jeunes familles qui sont en situation de grande précarité, qui deviennent parents, bien il y a tout un tas de subtilités qu'il faut aborder pour pouvoir leur proposer des services qui sont adéquats.

Par rapport à l'éducation, une des choses qui nous apparaît extrêmement importante, c'est de soutenir ces jeunes sur les processus d'éducation et à long terme, d'être en mesure de leur permettre de reprendre des études à n'importe quel niveau. Parce qu'on a souvent l'impression... ou on essaie d'opérationnaliser très rapidement la reprise des études chez ces jeunes, avec les différents types de soutien qu'ils peuvent avoir. Mais ce qu'on s'aperçoit, c'est qu'il faut être capable des fois de perdre son temps en alphabétisation, sur une reprise du secondaire I à II, et c'est ce qui va permettre, au travers du parcours de ce jeune, avec une école qui va l'accepter dans la situation où il se trouve quand il arrive... c'est avec ce type de mesure que petit à petit on va avoir des armes pour stabiliser les situations par la suite.

On a une expérience, avec notre centre de jour, qui a duré... on a huit ans maintenant d'existence, neuf ans. Ça fait 20 ans qu'on travaille avec ces jeunes. Et, même si les parcours sont en dents de scie, même si, de temps en temps, il y a des rechutes, etc., on s'aperçoit que, quand on investit massivement et qu'on est présent à long terme pour ces jeunes, il y a toujours des choses intéressantes qui se réalisent, et on arrive à stabiliser des situations qui nous apparaissaient complètement catastrophiques et, je dirais, pratiquement irrésolubles.

Mme Dufour (Caroline): Juste pour vous donner une idée, la plupart des jeunes qui ont 18, 19 ans et qui commencent l'école à Chez Pops ont à peine un secondaire II de complété. C'est des jeunes qui n'ont pas eu des parcours réguliers, c'est des jeunes qui ont souvent fugué des centres jeunesse et qui n'ont eu que l'école en centre fermé, c'est-à-dire les cours vraiment de base, et, à travers leurs fugues, ces jeunes n'ont pas pu accomplir un parcours scolaire. Donc, c'est assez incroyable, mais Emploi-Québec ne peut pas offrir de parcours si les études durent plus que trois ans. Donc, ce n'est pas subventionné, il n'y a pas d'aide pour finir leurs cours, avoir leurs diplômes. Donc, qu'est-ce qui attend ces jeunes-là si on n'est même pas capable de leur offrir l'opportunité de pouvoir finir leurs études? Tout le monde s'entend pour dire que l'éducation, c'est la première chose.

M. Flamand (Sylvain): Et puis, les jeunes qui reprennent ces parcours, eh bien, évidemment, on va traiter des questions de toxicomanie au travers, on va essayer de trouver des solutions sur la question de logement, bref il y a des effets de stabilisation qui sont évidents à long terme.

Une chose qui est importante pour nous aussi, c'est de reconnaître que les jeunes qui ont eu des prises en charge à long terme en protection de l'enfance ont des difficultés particulières. Et, nous, il nous apparaît extrêmement important de leur offrir des programmations pour reprendre des études ou reprendre des emplois, mais pas nécessairement uniquement à leur sortie, de laisser des fois le temps qu'ils puissent être en situation de vouloir les reprendre. On parlait: Est-ce qu'ils veulent, est-ce qu'ils ne veulent pas? Il y a des temps de la vie où on ne pense pas au futur, et, chacun d'entre nous, on l'a vécu. Quand on demande à quelqu'un qui a 17 ans ou 18 ans de voir quels sont ses plans pour l'avenir, il n'est pas toujours en mesure de le faire, ce n'est pas tellement son propos. Son propos, il est identitaire, il est de se trouver sexuellement, il est de découvrir la vie, etc.

Donc, nous, on s'aperçoit beaucoup que, malgré des parcours sur la rue et des parcours très difficiles, les jeunes finissent par devenir vieux, tranquillement pas vite. Ils fatiguent aussi. Et on s'aperçoit que la remise à l'étrier se fait aussi, tranquillement pas vite, vers 22, 23, 24 ans. Donc, des fois, il faut savoir attendre et juste limiter les dégâts pendant cette période-là, donc être en mesure d'accueillir inconditionnellement ces jeunes pendant ces parcours un petit peu difficiles, de façon à éventuellement être présents au moment où il y a quelque chose qui va se réenclencher. Ceci dit, il y a aussi des actions qui peuvent être faites pour les interroger, pour les mettre en mouvement, etc. Il faut sans cesse être en demande aussi vis-à-vis de ces jeunes, mais il faut le faire de façon respectueuse.

La question de l'emploi, c'est quelque chose de vraiment important pour nous. Je n'aurai pas le temps d'élaborer sur la question, mais, d'une façon générale, trouver des moyens pour bonifier la possibilité pour ces jeunes de reprendre l'emploi. Avoir un 20 heures avec un 120 piastres de plus sur un chèque, ce n'est pas une perspective qui est intéressante pour un jeune par rapport à l'emploi. Il faut être en mesure de leur proposer des emplois qui vont être intéressants pour eux, des choses où ils vont avoir une contrepartie monétaire qui a de l'allure et des choses sur lesquelles ils vont pouvoir se développer dans le temps aussi.

Donc, la pérennité des programmations pour l'instant fonctionne avec des programmations qu'offrent des... sessions d'emploi de six mois ou d'un an, avec éventuellement une possibilité de reconduction mais qui est à très court terme. Donc, c'est très, très anxiogène aussi pour les jeunes de se remettre en mouvement et puis, pratiquement au moment où ils commencent un petit peu à se mettre dans l'emploi, de savoir que l'emploi va terminer, de ne pas savoir ce qui va se passer après, etc. Le...

Une voix: ...

M. Flamand (Sylvain): Oui. Pardon.

Mme Dufour (Caroline): ...juste pour dire: Au bout de six mois, il a acquis seulement quelques acquis, finalement. On parle parfois d'objectifs très simples, d'arriver à l'heure, de tolérer l'autorité, de tolérer des fois la vie de groupe, hein? Quand on travaille dans une cuisine à Chez Pops, c'est un cuisinier qui est là, il faut servir 150 repas, si ce n'est pas 200, et il faut pouvoir tolérer le stress, et tout ça. Ça, en fait, ce poste-là dont je vous parle, c'est un poste qui est même à un niveau d'autonomie assez grand. On a d'autres postes qui sont pour des jeunes qui partent de beaucoup plus loin que ça. Quand on est rendu à la cuisine, là, ce dont je vous parle, on est déjà quasiment prêt pour le milieu du travail.

Mais, pour en arriver là, pour qu'un jeune ait ce poste-là, ça prend beaucoup de chemin, beaucoup de travail à faire avec ces jeunes-là, et ça demande beaucoup de support des intervenants aussi. Et, juste en passant, il n'y a absolument aucun support qui est donné aux institutions comme nous qui offrons des services de préemployabilité pour des gens en bas seuil. Donc, on nous donne la possibilité d'avoir deux programmes par année mais avec aucun support qui vient avec. Et c'est beaucoup de travail pour amener ces jeunes à acquérir des habiletés sociales au niveau de l'emploi.

M. Flamand (Sylvain): ...prendre en considération que les groupes doivent assumer un rôle de réinsertion sociale mais en même temps ne sont pas du tout financés sur la mise en place de ces programmations, donc de pouvoir proposer des espaces structurants pour les jeunes, etc.

Par rapport au logement, je ne m'étendrai pas non plus. Il y a d'autres groupes qui vont en parler de façon plus exhaustive. Mais ce qu'on note, nous, à notre niveau, et ce qui est assez important, c'est l'effectivité de l'accessibilité aux services. Donc, on s'aperçoit que, même quand on a des services qui sont spécialisés pour des personnes en situation de rupture, on s'aperçoit dans le concret et au jour le jour qu'on n'arrive pas à référer à ces places-là. Pas partout, il y a des groupes qui sont très actifs, etc., mais, d'une façon générale, on a beaucoup de difficultés à trouver des places qui vont accepter ces jeunes dans les moments qui sont les plus difficiles. Donc, la plupart du temps, dès qu'on vit une crise, ça se solde par une mise à l'écart, et on repart à zéro. Donc, c'est ça. Et je pense que c'est vraiment des questions de philosophie de base, la façon dont on agit avec les gens, la façon dont on respecte ce qui est en train de se passer, dont on peut comprendre les phénomènes d'itinérance. Par rapport au trou de service, la question de la toxicomanie, c'est détaillé un petit peu dans le mémoire, mais il y a énormément de choses qu'il faudrait faire à ce niveau-là. Je vous inviterais à en prendre connaissance parce qu'on ne pourra pas s'étaler dessus, mais c'est certain qu'il y a vraiment des choses à faire à ce niveau-là. On travaille sur plein d'axes, on essaie éventuellement de créer des services ou de travailler en partenariat avec d'autres structures institutionnelles ou communautaires, mais il y a vraiment un chantier à mettre en place sur cette question-là.

n (11 h 10) n

Mme Dufour (Caroline): Il manque beaucoup de ressources. Il faut distinguer, hein, la détox de la thérapie, d'un centre de répit, ce n'est pas la même chose, hein? Quand un jeune est prêt à aller en thérapie, lui trouver un endroit, ce n'est pas évident, un endroit adapté aussi, jeunesse. Maison Carignan, par exemple, je n'ai rien contre cette maison-là, sauf que c'est des personnes qui sont plutôt âgées, on parle de 40 ans et plus, qui sortent de prison pour la plupart. On a envoyé une jeune fille là-bas dernièrement. C'est là qu'elle voulait parce qu'elle disait: Moi, c'est une thérapie confrontante qu'il me faut. Mais elle est revenue au bout de deux jours. Aller, quand tu as 18 ans, sorti fraîchement des centres jeunesse, vous retrouver avec des gars qui sortent de prison finalement, de 45 ans et plus, tatoués, là, c'est un peu «heavy». Il y a Portage. Bon. D'accord, mais... Puis il y a beaucoup d'autres centres où il y a des listes d'attente et d'autres centres qui sont plus ou moins référables. Ça fait que ce n'est pas... il manque de ressources et pour les anglophones aussi. Il n'y a absolument pas grand-chose pour les anglophones, c'est vraiment quelque chose de critique à ce niveau-là.

M. Flamand (Sylvain): La question de la santé et la question de la santé mentale est extrêmement importante aussi pour nous. Des jeunes qui n'ont pas accès aux services, où on finit par attendre que les situations soient dramatiques pour qu'il y ait une possibilité de référence aux urgences et une prise en charge effective, ça, ça nous pose beaucoup, beaucoup de problèmes. Et, lorsque c'est possible, parce que c'est tout un accompagnement, mais tous les services en psychiatrie, d'avoir des services plus alternatifs et aussi que les institutions puissent être disponibles à venir dans les milieux, c'est à notre avis quelque chose d'extrêmement important.

On terminera sur le fait qu'on vient faire valoir une approche un peu particulière avec les jeunes, mais c'est la même chose avec toute personne, c'est de l'importance d'inclure les gens qui vivent ces problématiques dans les discussions qui les concernent. Et on pense que de trouver des moyens structurels pour que ces personnes-là, de façon effective, participent à ces débats, c'est ce qui va permettre, à un moment, de trouver des solutions auxquelles ils vont adhérer et d'éviter une certaine violence institutionnelle sur ces personnes, et d'augmenter les sentiments de haine envers la société, etc., et de faire en sorte au bout d'un moment qu'il y ait une scission et qu'il y ait des mondes qui ne puissent pas se réconcilier en fait au bout d'un moment. Voilà, merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour ce survol très rapide. Je sais que les enjeux que vous avez soulevés sont très complexes. Dernier commentaire, M. Flamand, avant de passer la parole à...

M. Flamand (Sylvain): Si je peux me permettre à ce propos, c'est sûr que c'est extrêmement important de déclencher une commission, et, moi, je pense que c'est des étapes comme ça qui font qu'à un moment on arrive à faire des choses. Mais aussi il faut s'aménager des espaces où ce qui est en train de se faire et de se mettre en place puisse s'effectuer réellement dans toutes ses complexités, etc. Donc, ça veut dire d'aménager des espaces où il puisse y avoir une confrontation non seulement du politique, de la question de la lecture du droit, mais des différentes façons d'intervenir sur une problématique de société comme celle-ci, donc autant le communautaire que l'institutionnel. Et je pense que les gens sont prêts à le faire, les gens sont intéressés à ce type d'échange, mais il faut qu'on puisse avoir le temps de le faire.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. C'est bien noté. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour de souhaiter la bienvenue à M. Flamand, Mme Dufour. Qui ne connaît pas Le Bon Dieu dans la rue, hein? Qui ne connaît pas, à Montréal, le père Johns? Moi, je ne réussis jamais à l'appeler Pops, c'est trop informel pour moi. Je sais que la vaste majorité de vos jeunes l'appellent comme ça puis je pense que c'est bon, ça démontre un lien qui est tout à fait positif entre lui et les jeunes. Tous les parlementaires autour de la table admirent beaucoup, il va sans dire, le travail fait par Le Bon Dieu dans la rue, par le père Johns, par le directeur général, M. Tchitacov, qui a été confrère de classe à l'université avec moi, et vous, et vos intervenants.

Ça fait un certain temps que je n'ai pas visité vos lieux. Je l'ai fait il y a plusieurs années à votre centre de jour. J'ai visité ce qu'on appelle, je pense, le bunker, l'endroit d'hébergement. J'ai été très impressionné par les activités au centre de jour. Puis j'aimerais peut-être entendre un peu plus Mme Dufour sur toute la question de l'éducation. Vous avez soulevé trois sujets: éducation, emploi, logement. Moi, je vais peut-être focusser sur l'éducation. Une question, parce qu'on a cinq minutes, chaque formation politique, hein? Si vous pensez que c'est difficile d'être cohérent et intelligent en 15 minutes, c'est encore plus difficile en cinq minutes pour nous. D'autres diront peut-être même avec une heure, mais bref, l'éducation, là, qu'est-ce qu'on peut faire? Qu'est-ce que l'Assemblée nationale peut faire? Qu'est-ce que le gouvernement peut faire pour vous aider à aller chercher ces jeunes-là, à les retenir dans des programmes de retour à l'école, retour aux études, plutôt aux études, qu'on ne fait pas présentement?

Mme Dufour (Caroline): Bien, c'est sûr qu'en partie il faudrait reconnaître le travail qui est fait par des écoles qui existent, comme les écoles de la rue. On n'est pas le seul organisme à avoir une école et on n'est pourtant pas reconnus par Emploi-Québec. Donc, les jeunes qui suivent les cours chez nous n'ont pas, par exemple, le 120 $ de plus sur leurs chèques, comme les autres jeunes qui vont retourner dans une école d'une commission scolaire régulière.

Alors, on travaille avec le CREP, hein, qui est une commission scolaire. Pourtant, on a gagné des prix, notre école, elle est reconnue pour avoir adapté son système, son cadre pour ces jeunes-là. Eh non, les jeunes, on doit se débrouiller, nous, pour trouver des fondations qui vont vouloir subventionner les jeunes pour payer leurs livres, pour les aider, parce que vous savez qu'avec un chèque de BS on ne vit pas large, hein? Alors, ces jeunes-là s'investissent à l'école et ils n'ont pas vraiment d'autre possibilité d'aller chercher de l'argent ailleurs. Déjà, étudier, c'est quelque chose, quand parfois on a un passé de rue et on a un corps qui n'est pas très en forme ou bien on sort à peine des centres jeunesse. Ce n'est pas facile, on a perdu confiance en soi, on nous a souvent dit toute notre vie qu'on était des cancres. Et, nous, bien, on essaie de leur redonner espoir et redonner confiance en eux pour maximiser leur apprentissage. Mais en même temps, nous, ce qu'on reçoit comme message, c'est: Bien, votre école, c'est bien joli, mais on ne la supporte pas. Et c'est le message aussi qu'on envoie à ces jeunes-là.

M. Copeman: En terminant, M. le Président, avant de passer la parole, est-ce que je comprends que les jeunes qui retournent, font des retours aux études chez vous sont exclus largement des mesures de participation d'Emploi-Québec s'il s'agit de l'école du niveau secondaire?

M. Flamand (Sylvain): Auparavant, il y a eu une époque où elles étaient systématisées. Donc, à partir du moment où le jeune reprenait l'école, c'était considéré comme une démarche d'insertion, et après un moment il y avait un problème de disponibilité à l'emploi en fait et un problème de durée. C'est-à-dire que, si le jeune reprend en alphabétisation ou en secondaire I, on considère qu'il ne pourra pas compléter une démarche d'insertion intéressante en trois ans, donc, à ce moment-là, il ne touche pas nécessairement et automatiquement la bonification.

Ceci étant dit, la bonification, elle est vraiment de base, et, moi, je pense qu'il faut aller bien au-delà. Vous avez pu voir dans notre mémoire qu'on gère un fonds de 15 000 $ par année, qui est insuffisant évidemment, qui permet d'octroyer des bourses aux jeunes. Et ce qui est intéressant aussi, c'est que ça nous permet d'octroyer des bourses, je dirais, sur des postes budgétaires qui sont différents, dépendant des situations sociales des jeunes et dépendant de leurs challenges aussi, de façon à éviter aussi les pièges de l'assistanat, etc. Donc, c'est un intervenant qui s'assoit et qui fait une évaluation, avec le jeune, de ses besoins, d'où il en est, de ce qu'il est capable de payer, de ne pas payer, etc., de faire un peu une planification de son parcours et de le soutenir.

Donc, très concrètement, ce serait de mettre en place des mesures de soutien en fait pour les reprises d'études de ces jeunes et, je le répète, particulièrement pour des jeunes qui sont sortis et qui ont été pris en charge en protection de l'enfance pendant des périodes très, très longues, et de pouvoir le faire au moment où le jeune va reprendre, je dirais, jusqu'à 25 ans si c'est possible, oui.

Mme Dufour (Caroline): Parce que, le problème, souvent, on propose des choses aux jeunes avant qu'ils sortent des centres jeunesse. Ils ne sont pas prêts à ce moment-là. Comme le disait Sylvain tout à l'heure, bon, une question d'éducation souvent: Je reverrai ça plus tard. Cependant, à 18 ans, 19, bon, 20 ans, les jeunes deviennent plus désireux de faire quelque chose, hein? Et on ne voit pas pourquoi la protection de la jeunesse devrait s'arrêter à 18 ans. Pour le placement peut-être, mais il devrait y avoir une aide postplacement qui devrait être offerte, c'est urgent. Parce que sinon c'est qui qui s'occupe de ces jeunes-là? Bien, ça revient au milieu communautaire en gros et institutionnel en partie, et on ne peut pas suffire à tout. Ce n'est pas notre... Tu sais, notre psychologue dit souvent: On est responsable de ceux qu'on apprivoise, hein, et, à 18 ans, tout se termine pour ces jeunes. Et, si on ne voulait pas de logement, à ce moment-là, à leur sortie, si on ne voulait pas aller à l'école à leur sortie, bien là, c'est: Après, tu te débrouilleras. Pourquoi il ne pourrait pas y avoir une mesure de retour possible pour ces jeunes jusqu'à 20, 21 ans, un jeune qui reviendrait et dirait: O.K., les services que tu m'as offerts, tout à l'heure je n'en voulais pas, maintenant j'en veux? Je pense qu'on a une responsabilité sociale là-dessus.

Et, que ce soit au niveau du logement aussi, offrir la possibilité à des jeunes d'avoir un appartement subventionné par l'État en sortant de son placement, même s'il ne le veut pas tout de suite, qu'il puisse revenir à 19 ans et dire: Bien là, ton logement, j'en voudrais peut-être. Tout à l'heure, je n'en voulais pas parce que mon autonomie, là, me pressait, parce que j'ai été placé pendant huit, neuf ans, je n'en pouvais plus de la DPJ. Maintenant, oui, j'aurais peut-être besoin de votre aide.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Gatineau, il vous reste quatre minutes.

Mme Vallée: D'accord. Je vous remercie. Alors, bienvenue. Je suis très sensible à l'argument que vous soulevez au niveau de l'éducation, et je pense que l'ensemble des collègues autour de la table l'est aussi.

n (11 h 20) n

Un autre élément qui me préoccupe beaucoup... Parce que vous avez mentionné qu'il y a certaines démarches qui sont entreprises avec Emploi et Solidarité sociale. Il y a eu récemment des mesures qui ont été annoncées dans le cadre du Pacte pour l'emploi et qui visent la réinsertion au travail des jeunes, des décrocheurs, des jeunes qui sont avec ou sans chèque, comme on pourrait peut-être le dire dans un jargon très simple, donc des jeunes prestataires d'aide sociale ou des jeunes qui ne sont pas encore dans le milieu. Et ce qu'il m'intéressait de savoir, c'était dans quelle mesure vous arrivez à collaborer avec des organismes tels les centres locaux de développement? Est-ce qu'il y a, est-ce que vous avez suffisamment de ressources pour être en mesure justement de faire le lien entre ces programmes-là, entre les centres locaux de développement qui ont certains outils et les jeunes qui chez vous auront eu la chance... Parce que je comprends qu'avant d'en arriver là on a toute une série d'étapes à suivre, là, on s'entend, ce n'est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Mais, une fois qu'un jeune est prêt à entreprendre un cheminement de réinsertion, est-ce que vous avez des intervenants? Et avez-vous cette collaboration-là avec les centres locaux de développement, avec les différents organismes qui vont vous permettre de passer le flambeau aussi et de mettre les jeunes en lien avec des intervenants qui ont accès à ces programmes-là?

M. Flamand (Sylvain): Oui, effectivement, on a toutes sortes de programmations et on a des intervenants pivots sur les questions de la transition. On travaille aussi dans la communauté parce que c'est extrêmement important pour nous que les jeunes puissent aller ailleurs. Mais je vous dirais qu'on travaille en urgence par rapport à la question de la rue.

Paradoxalement, on a des suivis qui sont extrêmement longs. On parle de suivis qui sont en moyenne de cinq à sept ans. On peut suivre des jeunes des fois pendant 15 ans si c'est nécessaire. Et, quand on a fait un parcours de cinq, six, sept ans, huit ans, 10 ans avec un jeune et qu'il y a des choses qui commencent à se remettre en place, je vous dirais que, même si la partie n'est pas toujours gagnée, des fois il y a des ajustements à faire avec les institutions ou certaines programmations, on arrive à faire des choses. Le jeune, il est en mesure de se présenter, il est en mesure de tenir un emploi, il est en mesure de tenir une programmation, il commence à savoir un peu ce qu'il veut, il a des armes pour se défendre aussi au niveau de ses droits, etc. Donc, je dirais: On est en route.

Ce qui nous préoccupe le plus, c'est d'avoir des outils pour travailler avec des jeunes qui en sont sur le... on appelle ça du bas-seuil, ce n'est pas très élégant comme formule, mais des jeunes qui sont dans des situations de désocialisation importante, qui peuvent avoir des problèmes de toxicomanie importants, de santé mentale importants. Et là on n'arrive pas à référer, c'est aussi simple que ça. Même quand on prend le téléphone, qu'on trouve un service qui est adéquat, etc., on envoie le jeune, ça se passe mal, c'est une nouvelle évaluation, c'est une nouvelle fois où on lui renvoie des images qui ne sont pas nécessairement sympathiques pour lui. C'est une frustration, de sa part, qui est très rapide mais aussi, de l'autre part, une violence symbolique qui lui est continuellement projetée, à laquelle il réagit aussi.

Donc, on finit très concrètement par avoir des jeunes qui n'ont pas accès aux services, en définitive. On les fait attendre trop longtemps, il n'y a pas de place tout de suite, ça fait trois fois qu'on refait la même évaluation, qu'on repose les mêmes questions. On l'aborde uniquement au travers de ses problématiques, pas du tout sur le reste. Et donc, pour des jeunes qui sont en recherche, qui sont en question identitaire, etc., à ce moment-là, on est un peu tout seul, vous voyez. Bien, tout seul, je dis «tout seul», il y a beaucoup de groupes communautaires qui travaillent autour et, dans les institutions, il y a des gens qui sont très sensibles aussi, là, il y a des choses qui se font, là, quand même. Mais, bon, il y a un gros chantier, oui.

Le Président (M. Kelley): Très rapidement, Mme Dufour, pardon.

Mme Dufour (Caroline): Juste complémenter aussi, pour répondre, on a droit en fait, dans la rue, à offrir deux postes d'insertion à des jeunes par année. Ce n'est pas assez. Ça dure en général six mois et, si le jeune, excusez-moi l'expression, se plante pendant son programme, ça va être très difficile de pouvoir refaire une demande plus tard. Donc, on est toujours un peu entre l'écorce et l'arbre, on veut offrir des choses aux jeunes, mais en même temps on ne veut pas qu'ils se brûlent au niveau des programmes sociaux après. Bon. C'est nous qui développons notre propre financement pour leur offrir des jobs. Ça devient, à un moment donné, un cercle vicieux, encore là, où on envoie des messages assez paradoxaux aux jeunes.

Mme Vallée: Si je vous comprends bien...

Le Président (M. Kelley): En conclusion.

Mme Vallée: ...les mesures qui existent actuellement, il devrait y avoir un effort substantiel fait pour s'adapter davantage à la clientèle que vous desservez parce que, malgré les mesures qui visent les jeunes, avec ou sans chèque, on ne vise pas la clientèle particulière qui a vécu toutes ces épreuves...

Une voix: Ce n'est pas adapté.

Mme Vallée: Ce n'est pas... D'accord. Merci.

M. Flamand (Sylvain): C'est toujours la question des modalités de mise en place des critères qui vont diriger les différentes programmations pour les personnes en situation de précarité. Ces critères sont édictés par des personnes qui ont des positions d'expert et qui tiennent des propos sur la question de l'errance, etc., mais les principaux intéressés ne sont pas présents. Donc, évidemment, on se retrouve avec des critères qui sont des fois complètement désincarnés par rapport aux réalités que ces personnes-là suivent. Donc, il y a un moment où il faut essayer de trouver quelque chose parce que, quand bien même on a toutes les bonnes intentions du monde, si les gens ne sont pas consultés, si on ne fait pas, je dirais, une mise à l'épreuve du terrain des modalisations d'intervention en action sociale qu'on a, on finit par avoir quelque chose qui, même si dans la forme il y a des voeux pieux puis il y a des choses qui sont très intéressantes à mettre en place, bloque dans l'opérationalisation en fait des programmes sociaux.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Dorion: Merci. Alors, Mme Dufour, M. Flamand, merci pour la présentation de votre mémoire. J'ai retenu ne serait-ce qu'un mot qui fait souvent la différence, le mot «adapté», et vous venez de le souligner. Ma question, elle est très simple. Est-ce que les gens qui oeuvrent de près auprès de cette clientèle-là... Parce qu'on sait qu'entre les services que l'État met à la disposition de tous les citoyens au Québec les choses sont uniformisées, mais pourtant, sur chaque situation, sur chaque cas, les éléments sont très, très différents. Et le mot que je retiens, c'est que dans l'ensemble les interventions qui sont faites souvent ne sont malheureusement pas adaptées à la réalité et aux difficultés que les individus rencontrent.

Et vous avez mentionné trois aspects, dont, entre autres, deux que j'aimerais bien retenir, soit le volet éducatif et le volet de l'emploi. Dans un des mémoires, entre autres, on mentionnait que certains individus faisaient le choix de retourner aux études. Par contre, on sait très bien que les difficultés de réadaptation, d'adaptation, de réinsertion sociale peuvent être différentes d'une personne à l'autre mais que, dans les critères, bien, au niveau de l'absentéisme, bien, après deux absences ou trois absences, c'était retrait et l'arrêt total. Donc, il n'y avait pas de compréhension entre cette réalité qui est là et qui doit être retenue... Et ça, je pense que, vous, vous le vivez de façon quotidienne en travaillant auprès de ces jeunes-là. Est-ce que ce constat-là est un élément auquel vous vivez et qu'il y a difficilement un échange entre ce que vous vivez... qui est transmis, entre autres, aux différentes ressources publiques au niveau de la compréhension?

M. Flamand (Sylvain): Bien, c'est certain que, par exemple quand on s'inscrit sur une programmation d'action sociale par le biais de financements gouvernementaux, ce qui est peu notre cas, ce qui nous donne une certaine autonomie mais en même temps ce qui ne peut pas fonctionner sur une société au complet, mais on se retrouve dans des situations où il faut qu'on évalue et qu'on rende des comptes sur ce qu'on fait, ce qui est tout à fait normal. Ceci étant dit, les critères sur lesquels on nous demande de rendre des comptes ne correspondent pas à la réalité à laquelle on s'adresse.

Je vous donne un exemple très simple. Nous, un jeune qui vient dans l'école de Chez Pops et qui commence son parcours scolaire, l'objectif principal, ce n'est pas un objectif de réussite académique. Ce qui va se jouer dans cette école, c'est le fait d'être inclus dans un espace éducatif, de pouvoir imaginer au bout d'un moment que cet espace, il est fait pour soi. Parce qu'à force d'être mis en dehors des processus d'éducation, bien, on finit par penser que, nous, on n'est pas bons, qu'on est mauvais, que ce n'est pas pour nous, que l'éducation, ce n'est pas fait pour nous. Donc, il y a toute cette chose-là qui va se rejouer. On va stabiliser aussi tout un tas de choses qui se passent dans la vie des jeunes en fonction des demandes qu'ils font et au moment où ils les font, donc la question du logement, la question de la toxico.

n (11 h 30) n

Mais, quand on arrive pour faire un rapport, et qu'on a, je dirais, perdu, entre guillemets, trois ans pour faire ce travail-là avec un jeune, et qu'on n'a pas de données probantes sur nos résultats, bien on n'a pas de reconduction de nos financements, donc on se retrouve à naviguer sans cesse. Mais ça aussi, c'est peut-être quelque chose dont je peux témoigner ici. On demande aux groupes communautaires de justifier l'opérationalisation et, je dirais, la bonne réalisation des actions sociales qu'ils font, mais en fait on finit pas se retrouver dans un discours de sourds où on justifie des choses qui ne correspondent pas aux réalités de terrain. Donc, il y a comme une impossibilité, je dirais, de rendre compte de vraies données sur quels sont les enjeux du terrain puisqu'elles ne sont pas entendues et qu'il n'y a pas de reconduction à la clé. Donc, on aménage, etc. Et à terme aussi ça peut être très problématique parce que, quand on essaie de faire des recherches sur le phénomène, on s'aperçoit que, les données, il faut les prendre avec des pincettes, hein? Parce que, quand on regarde la façon dont c'est compilé à Emploi-Québec, dont c'est compilé au niveau de la Sécurité du revenu, etc., on se retrouve avec des données qui ne parlent pas du terrain du tout. Je ne sais pas si je suis très clair, mais...

M. Dorion: Bien, je vais quand même vous demander encore un peu plus de précisions.

M. Flamand (Sylvain): Oui, oui.

M. Dorion: Moi, ce que je retiens, c'est, vous qui oeuvrez dans les besoins immédiats de ces personnes-là, vous... vous n'êtes malheureusement pas entendus sur les services adaptés qu'on devrait faire et que théoriquement... et, reprenez-moi si je n'ai pas bien compris, c'est qu'en haut on a une idée fixe, on a un moule et on ne déroge pas de ce moule-là.

M. Flamand (Sylvain): Je ne l'exprimerais pas comme ça, parce que les choses sont plus compliquées. Il n'y a pas des gens, d'un côté, qui savent quel est le problème et qui ont la vérité et, de l'autre, des gens qui sont sur le terrain et qui savent ce qu'il faut faire. C'est plus complexe que ça. Je pense que, de chacune de nos positions, il y a des éléments qui sont intéressants. Il y a des limites structurelles aussi à ce qu'on peut faire. Ce qui est intéressant, c'est de voir comment est-ce que ça peut s'aménager, quelle souplesse on peut avoir dans ces choses-là en fait et de... Oui?

Mme Dufour (Caroline): Bien, en fait, je pense que la consultation des groupes qui travaillent, même si on n'a pas la vérité, c'est important pour que les gens puissent comprendre. Je vais vous donner un exemple avec la Solidarité jeunesse, qui est un programme du gouvernement québécois.

On a été sur ce programme pendant quatre ans et on a décidé d'arrêter. Pourquoi? Pourtant, on a eu beaucoup, beaucoup de discussions avec les personnes responsables pour leur faire comprendre la notion de succès à Dans la rue, O.K.? Pas la notion de succès dans une école privée de Westmount, là; à Dans la rue, pour un jeune qui, au bout de six mois, a fait son programme d'insertion. Nous, c'étaient des groupes, donc c'étaient des groupes qui passaient six mois ensemble à réaliser un projet commun. C'était probablement peut-être juste d'avoir réussi à laisser son chum qui la battait, d'avoir diminué sa consommation de drogue. Mais la notion de succès, nous, qu'on nous posait, c'était: Cette personne, il faut qu'au bout de six mois elle soit retournée à l'école ou ait un emploi, un logement stable, qu'elle ait une belle peau et qu'elle mange bien tous les jours. Ce n'est pas vraiment réalisable. Et faire comprendre, ça a été très long, ça a été très long. Ça a été très long, faire comprendre que, non, dans nos grilles de statistiques, on ne pouvait pas mettre «retour au logement», «retour à l'école», des choses comme ça, on n'en était pas arrivés là. Disons, c'est très concret comme...

Oui, effectivement, si on nous avait consultés avant comment on peut appliquer Solidarité jeunesse dans un contexte avec des jeunes en grande précarité, on aurait peut-être pu, avant que le programme soit mis en place, offrir à des ressources comme Dans la rue et à la Dauphine à Québec ? qui en ont profité aussi ? un service adapté. Donc, la consultation, je pense qu'elle est très importante. Quand on vient nous dire: Bien, voici ce qu'on vous offre pour que vous aidiez ces gens-là, ça aurait été le fun qu'on nous en parle avant. Je pense que c'est un bon moyen, en fait.

M. Dorion: O.K.

Mme Dufour (Caroline): Concertation.

M. Dorion: Une des questions auxquelles j'aimerais bien vous poser: Est-ce que vous trouvez que, dans les services qui sont dispensés, entre autres, la philosophie est une pensée de court terme, que les moyens... disons, on veut arriver à des moyens à court terme, mais que la réalité, c'est que souvent ça prend plus de temps, ça prend plus d'énergie, ça prend plus d'effectifs que de la pensée magique, dire... Et je regarde l'ensemble des programmes qui sont mis à la disposition des fois des personnes, c'est souvent de courte durée.

M. Flamand (Sylvain): Mais, quand on parle du financement des programmes sociaux et, je dirais, de toutes les initiatives pour contrer le phénomène d'itinérance, de précarité et de grande précarité, c'est certain que ça prend... c'est des projets de société, donc ça doit aller au-delà, je dirais, des impératifs électoralistes. Et il faut, oui, s'engager collectivement sur des choses à long terme parce que, sinon, on ne s'en sortira pas, et c'est possible. Il y a des endroits dans le monde où il y a des choses qui ont été tentées et il y a des pistes qui sont intéressantes. Ceci dit, il faut toujours les réévaluer, et il y a des désaccords, il y a des effets pervers, mais il faut en discuter et les regarder.

Mais je pense, et, moi, j'en suis intimement persuadé, qu'il faut considérer la lutte générale à la pauvreté et à la grande précarité au même titre qu'on finance des écoles ou des routes ou... Oui, c'est important et c'est important de le faire à long terme, parce que c'est des... J'ai à expliquer les causes de l'itinérance, les grands bouleversements qu'on a eus dans nos sociétés modernes, il y a beaucoup de monde qui se penche là-dessus et on ne sait pas trop pourquoi ces phénomènes apparaissent, etc. Il y a des explications très concrètes au niveau économique, sur des choix politiques dont on voit très bien qu'il y a des impacts immédiats.

Mais, ceci étant dit, il y a des choses, je dirais, plus générales. Pourquoi des jeunes, à un moment, décrochent, ont des problèmes existentiels, ne croient plus en la société, etc.? On va trouver des causes très précises et, je dirais, très mécaniques, mais il y a des choses qui sont plus mystérieuses. Et donc, si on veut y faire face collectivement, c'est un «commitment». Il faut qu'on dise: Non, comme société, il y a des choses que l'on ne tolère pas et il y a des choses qui... On ne peut pas laisser des gens à l'abandon comme ça dans des sociétés aussi prospères, aussi riches, et il faut qu'on prenne position sur ces choses-là, quelles que soient, je dirais, nos visions politiques, nos visions philosophiques, l'explication qu'on peut faire des problèmes d'une société. Il y a quand même des choses, je pense, sur lesquelles on peut s'entendre.

Moi, je regarde Dans la rue, on est 65 personnes. On vient d'un milieu extrêmement différent du milieu communautaire, des gens qui sont très partisans, très militants, des gens qui viennent du milieu des affaires, et des prêtres, etc., et on arrive à fonctionner ensemble, et on arrive à se mettre d'accord sur un certain nombre de choses. Ça ne veut pas dire qu'on a la même lecture de la société, et pourtant on arrive à opérationnaliser des choses qui à mon sens sont quand même assez intéressantes. Donc, je pense que, dans les milieux communautaires, parce qu'on n'est pas les seuls non plus, il y a des modélisations d'actions communautaires et de réunions de la communauté autour d'objectifs communs qui sont intéressants pour la société, moi, j'en suis persuadé.

Le Président (M. Kelley): Merci...

M. Flamand (Sylvain): Et, en termes de coûts, juste pour finir, parce qu'on parlait des coûts, c'est vrai qu'il faut regarder combien ça coûte, etc. Il y a aussi des choses qui sont opérationnalisées dans les milieux communautaires, qui coûtent beaucoup moins cher que quand on les institutionnalise. Ceci étant dit, il y a certaines institutions qu'il ne faut pas fragiliser non plus. Moi, je pense, la Justice, l'Emploi, c'est important d'avoir des chiens de garde par rapport à des valeurs.

M. Dorion: Est-ce qu'il reste du...

Le Président (M. Kelley): Non, non, c'est fini. Alors, Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Bonjour, bonjour à vous deux. Bravo pour le travail qui se fait depuis tellement longtemps à Montréal par votre organisme. Vous avez tellement raison: si on ne se fait pas une priorité vraiment de lutter contre la pauvreté et l'exclusion, on va continuer de se retrouver comme ça avec des programmes où on échappe des gens. Les plus mal pris ne sont jamais, jamais, jamais admissibles. Et c'est extrêmement troublant, ce que vous nous dites, que vous n'osez même pas parfois envoyer un jeune dans un programme parce que, s'il se casse la gueule, excusez-moi l'expression, après ça il peut être... enfin, exclu.

Moi, ça m'avait été amené par un organisme de mon comté de Crémazie, en alphabétisation, qu'il y avait un trou au niveau de l'éducation au secondaire. On appuie, on aide les personnes au niveau de l'alphabétisation, et ça, c'est 12 mois, et après ça ils ont 24 mois pour faire secondaires III, IV et V, sauf qu'ils sortent de l'alphabétisation, hein, il y a un trou pour secondaires I et II. Alors, qu'est-ce que vous pensez qu'il se passe, que ce soient des jeunes ou que ce soient des femmes immigrantes, des mamans qui veulent se scolariser? Alors donc, j'avais interrogé le ministre à ce sujet-là lors de l'étude des crédits, le ministre de la Solidarité sociale. Je lui ai écrit en juillet, et je peux vous dire qu'on regarde ça de façon... je pousse là-dessus de façon très serrée, et on me dit que de leur côté ils sont en train de regarder ça, ça leur avait échappé, semble-t-il. Alors ça, c'est un point.

La lutte à la pauvreté, c'est un engagement, hein, c'est un engagement, c'est une loi qui a été adoptée à l'unanimité il y a quand même six ans, une loi qui avait été proposée par notre formation politique. Quelle serait, selon vous, la première démonstration qu'on en fait vraiment une priorité, de la lutte à la pauvreté? Quel pourrait être le premier geste qui serait posé pour vraiment, là... pour commencer, hein, à vous aider, à vous donner un coup de main avec les personnes que vous aidez?

n (11 h 40) n

M. Flamand (Sylvain): Peut-être, pour la première partie de la question, sur toute la question des coûts et des aides qu'on va donner, je veux juste peut-être porter à votre attention qu'il y a certaines logiques qui sont très coûteuses. On parlait de la prison dans l'intervention avec la ville. Par exemple, je pense que l'incarcération d'un jeune à Bordeaux, ça coûte autour de 50 000 $ par année. Je regardais une prise en charge à long terme en protection de l'enfance, autour de 100 000 $. Un jeune qui repasse, et qui repasse, et qui repasse continuellement par les urgences sans nécessairement qu'il y ait un continuum de services et une intervention qui finisse par avoir un peu de sens et pour lui et pour les autres, c'est très, très, très coûteux à la société. Donc, moi, je pense qu'en prenant les devants et en inversant certaines tendances on peut, en favorisant et, je dirais, en supportant et en accompagnant les personnes en situation de précarité directement, à terme on pourrait avoir des résultats qui sont un peu plus intéressants, je pense.

Pour la question d'un premier geste, je pense que je ne suis pas la bonne personne à qui poser cette question parce que je pense qu'il est intéressant d'adresser ces questions à des gens qui peuvent représenter des collectivités. Présentement ? je ne sais pas si c'est aujourd'hui qu'il passe ? il y a un regroupement, à Montréal, qui s'appelle le RAPSIM, qui regroupe plusieurs dizaines d'organismes qui travaillent dans le domaine. Donc, ils ont une possibilité d'avoir une vision d'ensemble. Nous, on a eu peu, je dirais, le nez dans guidon, on est dans notre action journalière, donc on n'a pas toujours développé des argumentations qui sont générales par rapport à ça.

Un premier geste, ce serait peut-être de téléphoner à ces représentants de groupes communautaires et de les inviter avec des personnes intéressées dans les institutions à travailler sur un groupe de travail qui pourrait mettre en place un certain nombre de choses dans un propos qui est un peu moins pressé, je dirais. Donc, peut-être d'institutionnaliser une structure de réflexion qui aurait éventuellement une possibilité de présenter des plans d'action et des choses opérationnalisables par la suite. Donc, j'aurais tendance à vous donner cette réponse. Je ne sais pas si c'est la bonne, mais...

Le Président (M. Kelley): M. le député de Gouin.

M. Flamand (Sylvain): Bonjour.

M. Girard: Oui. Ce que je voulais vous dire, d'entrée de jeu, M. Flamand et Mme Dufour, c'est que votre témoignage à lui seul, aujourd'hui, vient justifier la nécessité d'avoir une commission parlementaire sur l'itinérance. Et on va recevoir, au cours des prochaines semaines, après la tournée à Trois-Rivières, Gatineau, les ministères à Québec. Je vous incite à y assister et, si je le pouvais, je vous laisserais mon siège pour que vous puissiez vous-mêmes leur poser des questions sur la réalité que vous vivez, parce que ça n'a pas de bon sens que des jeunes de la rue qui veulent s'en sortir ne puissent pas compter sur un appui, ou un programme, ou un projet spécifique de la part des ministères qui sont là pour aider les gens les plus démunis de notre société.

Ce que vous êtes en train de nous dire, c'est qu'il y a des jeunes qui veulent s'en sortir, qu'il y a des intervenants qui veulent les aider, mais que malheureusement il y a un blocage parce qu'on a fait un programme mur à mur mais qui n'est pas sur mesure pour des gens qui sont de la rue. Et je suis scandalisé d'entendre ce que vous nous dites aujourd'hui. Et je veux vous assurer que nous allons faire un suivi serré et que nous allons poser vos questions à ces ministères lorsque nous les recevrons en commission parlementaire, parce qu'il faut trouver une solution.

Et ma question donc: Est-ce que vous ne pensez pas qu'on devrait songer à un programme spécifique pour votre organisme et d'autres qui oeuvrent auprès des itinérants pour permettre à ces jeunes-là d'aller au bout de leur cheminement? Parce qu'on sait qu'obtenir un diplôme, bien, c'est un passeport pour la vie. Mais ces jeunes-là doivent d'abord penser à se réinsérer socialement avant de, je dirais, s'éduquer. Alors, est-ce qu'on pourrait adopter ou mettre de l'avant un programme spécifique pour le type de clientèle que vous recevez, pour leur permettre, eux aussi, d'avoir espoir puis d'avoir un diplôme qui va leur permettre de sortir de la rue, de l'itinérance et de pouvoir se réintégrer dans la société puis aussi d'avoir droit, eux aussi, au bonheur?

Mme Dufour (Caroline): Un programme spécifique, bien, en fait, il y a des programmes qui existent déjà, mais je pense que là où on met l'accent, c'est de supporter ces programmes-là. Je ne dis pas que c'est parfait, il y a peut-être un moyen de faire encore plus. Justement, s'il pouvait y avoir du financement, mais le CREP, par exemple, avec qui on travaille, c'est des orthopédagogues qui nous sont fournis à l'école. Donc, on a vraiment des professionnels en place qui sont là, mais c'est vraiment l'aide aux organismes qui supportent ces programmes. L'École de la rue, par exemple, les programmes d'employabilité qu'on a, c'est dans tout ce support-là... il y a une... c'est une urgence, là, que ce soit développé. Parce que des idées émergent de la rue, les idées émergent des organismes qui travaillent auprès des jeunes de la rue et c'est... C'est ça, c'est la reconnaissance et le support, vraiment.

Le Président (M. Kelley): M. Flamand.

M. Flamand (Sylvain): Peut-être pour pousser sur l'idée. Oui, c'est important, je pense, c'est très, très important de soutenir la question de l'éducation. Et ce qui est intéressant au travers de l'éducation, c'est qu'on peut répondre aussi à la question de Mme Lapointe, quels gestes on pourrait faire? On pourrait entendre les gens sur leurs propres préoccupations. On a tout un tas de références sur des structures qu'on peut mettre en place pour écouter les gens qui vivent les situations de pauvreté. Moi, je pense aux universités populaires d'ATD Quart Monde, qui est une association internationale qui s'appelle Aide à toute détresse, où on organisait des débats de ce type mais avec des personnes qui vivent dans différents quartiers différents types de problématique et où les gens peuvent faire entendre quelles sont leurs préoccupations, comment est-ce qu'ils imaginent leurs problèmes, comment est-ce qu'ils voient les problèmes qu'on leur imagine, qu'est-ce qu'ils aimeraient faire, etc. Et, à partir de là, avec l'aide des groupes et des institutions, structurer des programmations, le plus souple possible, avec toutes les limites, parce qu'il y a des limites aussi, dans la vie, qui vont permettre, à un moment, d'opérationnaliser des actions de terrain concrètes, proches des gens.

Parce que je tiens à en témoigner ici: on parle souvent des itinérants et des gens en situation de précarité comme des gens irresponsables, en crise, etc., mais, moi, je suis sidéré. Ça fait quelques années... ça fait 17 ans, 18 ans que je travaille avec des personnes en situation de grande précarité, dans différents contextes, et je suis toujours complètement sidéré de la pertinence et de la profondeur des propos qui sortent quand on donne la parole aux gens sur leurs propres conditions, sur leur vision de la société, sur la... Et ces gens-là, ils ont le goût d'être dans la société, ils ont... et il y a des gens qui choisissent des voies alternatives, des voies marginales. Mais, quand on s'attarde un peu à la figure de la marginalité qu'ils défendent, c'est des choses qui sont généralement loin d'être antisociales, et, moi, c'est ça que j'invite. Je pense que c'est ça qui est intéressant comme démarche, et je pense que le Québec est une province, un pays qui a la capacité de faire cet exercice-là. Et ce qui est extraordinaire ici, c'est la possibilité d'être très proche entre les sphères politiques, les sphères institutionnelles, les sphères communautaires. Il faudrait rajouter les gens qui vivent les problématiques, et je pense qu'on a la capacité de faire ces exercices et ça peut être à mon avis très intéressant à long terme, oui.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je dois malheureusement mettre fin à cet échange. Alors, merci beaucoup pour la qualité de votre mémoire et la précision sur laquelle vous avez fait des recommandations aux différents ministères, on a pris bonne note, et également pour l'esprit humain de votre fondateur qui transpire dans les pages de votre mémoire.

Je vais faire appel à la discipline de tout le monde... M. Flamand.

M. Flamand (Sylvain): Oh, pardon! Si je peux juste rajouter un mot, c'est de dire aussi que... prenez tous les gens qui vont se présenter devant vous à Montréal ? j'ai vu un certain nombre de groupes qui sont présents ? comme des personnes qui sont intéressées à travailler pour que les choses s'arrangent. Donc, il y a des gens qui sont capables de répondre présent. Il faut nous soutenir, il faut nous donner les moyens de pouvoir le faire aussi, mais il y a possibilité de faire avec peu aussi et...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je demande la discipline de tout le monde.

Je vais suspendre 30 secondes et je vais demander les représentants Refuge des jeunes de Montréal de prendre place.

(Suspension de la séance à 11 h 49)

 

(Reprise à 11 h 52)

Le Président (M. Kelley): Alors, la gestion du temps n'est pas toujours facile, parce qu'il y a un grand intérêt dans chacune des présentations. Alors, sans plus tarder, je suis prêt maintenant à reconnaître les prochains intervenants, Mme France Labelle, M. Dan Bigras, les représentants du Refuge des jeunes de Montréal. La parole est à vous.

Le Refuge des jeunes de Montréal

Mme Labelle (France): Alors, bonjour tout le monde. Je vais me désénerver. Merci.

Le Président (M. Kelley): Et, juste en rappelant, prendre une quinzaine de minutes pour une présentation qui va permettre un échange avec les députés d'une demi-heure après. Alors, dans la mesure du possible, respecter ça, s'il vous plaît. La parole est à vous, Mme Labelle.

Mme Labelle (France): Alors, je disais que je suis très contente d'être ici aujourd'hui. C'est un moment qui avait été espéré et qui suscite beaucoup d'espoir et beaucoup de vigilance à venir, de la part du refuge et de nos groupes, pour voir où on va pouvoir aller avec ça.

Alors, aujourd'hui, je suis ici pour, je dirais, témoigner davantage qu'exiger, quoiqu'on a aussi des revendications et des suggestions. Et justement Sylvain et Caroline, je pense, ont adressé une somme de questions.

Alors, moi, ce dont je veux vous parler aujourd'hui, c'est de question de passage à la rue, la question de la pauvreté, la question de l'accessibilité aux services, et Dan Bigras, qui est notre porte-parole depuis 1991, va élaborer sur la question de la judiciarisation des personnes en situation d'itinérance.

Vous allez voir, au tout début de notre mémoire, il y a quelques pages extraites d'une recherche que nous avons menée en 2003 au Refuge des jeunes, qui est une recherche qualitative qui porte sur les trajectoires d'une centaine de jeunes de la rue mais plus spécifiquement de 21 jeunes de la rue qui ont témoigné de leur réalité. Bien sûr, dans le temps qui nous est imparti, je ne peux pas prendre beaucoup de temps là-dessus, mais c'est un recueil de témoignages de leur réalité. Il s'agit de 21 jeunes. On dit qu'ils ne sont pas ici en ce moment pour vous parler, mais je trouvais ça important de témoigner de leur réalité.

Alors, je vous invite... Donc, on va parcourir finalement le mémoire, je vais le commenter. Sur ces 21 jeunes là, on relève quelques éléments statistiques. On dit que 33 % des parents avaient des difficultés, dont des problèmes de santé mentale; 48 % des jeunes ont perdu leur mère, leur père ou les deux parents ? cancer, maladie, suicide ? avant leur arrivée à la rue; 14 % des jeunes ont perdu un membre de leur fratrie ? suicide, accident, règlement de compte.

Donc, on a été étonnés de voir une telle charge émotive; avant même, là, de parler de la rue, là, on parle quand ils étaient petits. On le dit souvent, en amont de la rue, beaucoup d'histoires, de placements, de déplacements. Bon an, mal an, au fil de nos statistiques, entre 50 % et 55 % des jeunes ont connu des placements, on devrait dire même des déplacements, en centre jeunesse, en famille d'accueil. Donc, il y a déjà une trame qui s'installe pour un jeune sur deux, que ce soit garçon ou fille, là, c'est indistinct.

Alors, vous allez voir, au fil des pages, quand vous aurez l'occasion de le lire, vous avez des extraits de ces témoignages-là. Il y a des témoignages qui sont très, très forts aussi. On demande à un jeune: Que faisaient tes parents? Lui, répond: Ma mère ne travaillait pas, puis mon père, il était dans l'extermination, ça fait qu'ils m'ont exterminé de la famille. Il y en a un autre qui dit: J'ai déménagé quasiment à chaque année, je pense que ça fait 22 déménagements.

Donc, il y a des histoires comme ça que les jeunes vont nous raconter. Difficultés très, très tôt dans la famille, famille elle-même en difficulté. Le vécu scolaire a souvent été marqué, encore une fois, par beaucoup de problèmes, beaucoup de difficultés, beaucoup d'exclusions. Et c'est des jeunes qui, enfants, ont déjà un parcours de problèmes, de ruptures et d'abandons assez solide. Ce qui fait qu'on note chez les jeunes, particulièrement les jeunes du refuge, prenez un bassin d'à peu près 15 000 en 19 ans, donc la moyenne de scolarité est entre le secondaire I et le secondaire III. Tout à l'heure, Sylvain et Caroline vous ont parlé, là, du parcours, et tout ça. Donc, moi, je n'irai pas au niveau, là, du scolaire, mais on voit qu'il y a quelque chose qui est en train de se passer.

C'est pour ça que, notre recherche, on l'a intitulée: La rue, un chemin tracé d'avance? C'est une question: Est-ce que la rue est un chemin tracé d'avance? Oui et non. Donc, au fil de ce mémoire-là, je vais essayer de m'expliquer.

Dans cet échantillon de 21 jeunes qui ont connu la rue durant plusieurs années, le parcours d'institutionnalisation est plus élevé. On note 86 % de placements ou déplacements chez ces jeunes-là. Évidemment, lorsqu'ils nous parlent de ce parcours-là, loin d'être une expérience réparatrice, pour eux, cette prise en charge institutionnelle a été perçue comme une expérience traumatisante: un autre abandon, un autre rejet, un autre élément de solitude. Ce qui fait dire à plusieurs de ces jeunes-là: Comme enfant, j'étais seul. Et un de ces jeunes-là, je suis à la page 5, nous dit, nous raconte tout ça, son histoire familiale, son histoire à l'école, les ruptures, les abandons, la douleur, et finalement il nous dit: «Bien, c'est là que l'idée d'être sur la rue m'a frappé.»

Alors donc, il y a un choc. Est-ce qu'il y a bien moment où on arrive sur la rue? Il y a bien une date, mais c'est assez difficile. Chaque histoire est singulière, il y a une trame de fond: beaucoup de difficultés en bas âge, difficultés à l'école, décrochage scolaire, placements, déplacements, mais, malgré cette trame de fond, chaque histoire est unique, chaque histoire est singulière. On sait que... on tente... pour comprendre, on cherche une somme d'explications. Il y a des explications souvent mais pas toujours. Comme disait Sylvain aussi tout à l'heure, il y a des fois des histoires qu'on ne s'explique pas, mais, règle générale, il y a une trame de fond.

n(12 heures)n

Ce n'est pas rare de voir des jeunes nous arriver directement des centres jeunesse, ce n'est pas rare; 18 ans, sans revenu, sans papiers. Pas de là à prétendre que tous les jeunes qui sont placés en centre jeunesse vont aller à la rue. C'est bien sûr qu'il y a une certaine frange de jeunes qui vont échapper à l'aide qu'on a tenté de leur donner de différentes manières, mais il n'est pas rare de voir que la transition n'est pas effectuée, n'est pas acceptable. Donc, du jour au lendemain, le jour de son anniversaire: Bonjour, j'ai 18 ans, bonjour, le refuge. Donc, ça part mal dans l'existence.

Je ne prendrai pas de temps pour aller dans l'univers de la rue comme tel, vous allez pouvoir lire les témoignages. Je m'en vais au passage Bonjour, le refuge. Alors: Bonjour, le refuge, j'ai un secondaire III, je suis sans revenu, sans papiers. Ça, c'est une des illustrations de la pauvreté. La moitié des jeunes qui arrivent à leur premier séjour sont dans cette situation-là. C'est certain que, quand on pense à itinérance, on ne peut absolument pas faire abstraction de ces conditions matérielles d'existence, des conditions de pauvreté.

Dans le meilleur des cas, on va rencontrer le jeune, essayer de voir quelle est sa situation, et on va entreprendre évidemment l'abécédaire, c'est-à-dire les besoins de base: Qu'est-ce que tu as besoin? Donc, on va t'accueillir. On va tenter avec ces jeunes-là de voir s'il y a une source de revenus possible, et souvent ça va être le recours à l'aide sociale, 575 $ par mois. C'est mieux que rien, vous me direz, mais, si une chambre, à Montréal, ou un appartement, un petit studio coûte un minimum de 450 $, faites le calcul. Si vous voulez payer du transport, si vous ne voulez pas sauter le tourniquet dans le métro... Alors, à un moment donné, les besoins de base ne sont pas couverts. De toute façon, même le salaire minimum au Québec ne couvre pas les besoins de base, et ça veut dire que les personnes sont maintenues sous des seuils de pauvreté.

Alors, vous avez, dans le meilleur des cas, un chèque d'aide sociale, vous êtes dans un refuge, on réussit à faire une démarche avec vous pour une obtention de papiers d'identité, donner une espèce de minimum d'accès à ce qu'on appelle la citoyenneté. Vient le moment du logement, et là, donc, les logements sont inabordables à Montréal. Et prenons modèle sur d'autres provinces du Canada, quand on dit que la non-accessibilité au logement crée de l'itinérance, bien on est sur le bon chemin. On est en train aussi au Québec, à Montréal, de tracer la voie aussi, parce qu'il y a des personnes, au moment où on se parle, qui sont en situation de non-accès au logement, donc qui se retrouvent dans la rue. Donc, on ne peut pas prétendre que c'est seulement parce qu'on a des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, il y a une question d'accès à un revenu décent qui ne nous maintient pas dans des conditions extrêmes de pauvreté.

Vous allez voir, à la page 20, la gamme de services du refuge. Je ne suis pas venue ici nécessairement pour faire la promotion de nos services, mais vous allez voir que justement on doit s'adresser aux questions de pauvreté, aux questions globales et on doit s'adresser aussi à des questions d'ordre personnel. Un jeune sur quatre présente des problèmes de santé importants, qu'on parle de bronchite chronique, d'hépatite C, qu'on parle de VIH, qu'on parle d'abcès, qu'on parle... Et un jeune sur trois présente une détresse psychologique. On peut parler de problèmes de santé mentale, on peut parler de psychose, on peut parler de schizophrénie, on peut parler de psychose toxique, bref on peut parler d'un peu tout.

Qu'est-ce qui vient avant quoi? On a vu qu'en amont des jeunes avaient été exposés aussi, dans leurs familles, à des grosses difficultés. Certains ont développé une détresse psychologique importante avant d'arriver à la rue. D'autres, c'est la rue qui va être un facteur précipitant. Imaginons-nous sans recours, sans revenu, sans rien, à 18 ans, dans une condition de pauvreté, c'est sûr que ça peut être des facteurs précipitants pour des gens qui, comme vous et moi, vont bien en apparence, à tout le moins. Alors donc, on doit aussi s'adresser à ces questions-là personnelles.

Alors là, c'est toute la question de l'accessibilité aux services. Loin de moi l'idée de dire que toutes les personnes dans la rue sont des personnes qui ont une problématique de santé mentale ou que tous les jeunes de la rue sont toxicomanes ou ont ce type de problématique, mais il reste cependant qu'ils sont nombreux. Et plus le temps passe dans la rue, plus la condition de santé, autant physique que mentale, se dégrade. Et arrive donc ce moment où il faut pouvoir offrir des alternatives ou des soins à ces jeunes-là, des jeunes qui présenteraient justement une problématique soit de l'ordre des psychoses ou des choses comme ça.

Alors là, j'ai tenté... parce que je me suis dit: Ils vont entendre beaucoup de choses, beaucoup de revendications, beaucoup de ceci et de cela, alors j'ai voulu faire un petit peu différent et vous donner des exemples particuliers. Alors, allez voir à la page 26, s'il vous plaît, donc j'ai sorti des exemples, un mois au refuge donc, alors des exemples types.

Alors, vous voyez un jeune de 24 ans, pas de diagnostic, parle seul, porte un sac de plastique et une tuque lorsqu'il va se coucher. Il dit vouloir mettre fin à ses jours. On fait un signalement à l'équipe du CSSS Jeanne-Mance ? équipe qui travaille très bien par ailleurs, là, ce n'est pas une critique de cette équipe-là ? mais le signalement n'a pas été retenu. Qu'en est-il du discours suicidaire?

Numéro deux: 21 ans, bien connu, intoxiqué à l'alcool, discours suicidaire et homicidaire. Ce n'est pas la première fois. On l'amène à l'hôpital, refus de traitement. Il a son congé quelques heures plus tard.

Le numéro trois: 22 ans, ecstasy, pot, crack, bipolaire, très agité, arrive au refuge, menace de tuer l'âme des intervenants avec son regard, quitte le refuge en disant vouloir tuer quelqu'un. Il est parti avant qu'on ait eu le temps d'intervenir. Deuxième événement pour la même personne quelques jours plus tard: il se représente à une ressource qui nous le réfère. Il n'a pas pu se maintenir au refuge. Référence, mais le signalement n'a pas été retenu. Troisième événement pour un même jeune: le 16 du 9, donc le lendemain, la police et les ambulanciers sont intervenus. Retour à l'hôpital, injection d'un anxiolytique, ressort dans la rue et sans aucun soin. Et ça, j'en ai, là, quelques pages comme ça: des jeunes qu'on envoie à l'hôpital, pour qui on fait un signalement, des jeunes qui vont, par exemple, faire une surdose de différentes substances... entre à 9 h 10 à l'urgence de l'hôpital, dans la nuit il revient au refuge. Personne ne nous a appelés, il revient avec un bracelet d'hôpital.

Pour moi, c'est, à proprement parler, scandaleux. C'est, à proprement parler, scandaleux parce qu'il n'y a pas d'accessibilité. Puis je comprends que le réseau soit engorgé. On comprend tout ça. Et ça, multipliez ça par un ensemble de ressources à Montréal. Le réseau se déverse de ses responsabilités au niveau du réseau communautaire. Et, à l'heure où on se parle, je ne veux pas être catastrophiste, mais il y en a eu, des morts, dans la rue, il y en a eu, des morts. Il s'appelle Emmanuel, il s'appelle Frédéric... Vous et moi, les chances qu'on ait de se faire frapper par un wagon de métro sont assez nulles. Il y a des accidents. On prétend... Il y a des études sérieuses de santé publique, du Dre Élise Roy, on faisait état que les jeunes de la rue meurent 11 fois plus que les autres. Quels services généraux leur donne-t-on? Il y a des services spécifiques. Vous allez voir dans les recommandations. J'imagine que, dans la période de questions, j'aurai l'occasion de répondre, parce qu'on me fait des grands signes.

Alors, je vais juste terminer sur le point de vue d'un jeune qui nous interpelle et dit ? et, excusez-moi, je dois le citer intégralement, ça va faire mal au micro, il dit: «Tabarnac! dites-le s'il n'y a pas d'avenir pour moi, dites-moi-le. Je vais essayer de faire comme si j'ai un avenir. Si je suis fou, aidez-moi, guidez-moi, faites de quoi.» Alors, moi, je me dis: Il y a bien quelqu'un à quelque part qui va devoir répondre de ça. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je suis devant la gestion de temps, parce qu'on est un petit peu en retard, et tout le reste. Si j'ai bien compris, M. Bigras, vous avez un complément à ajouter. Si vous pouvez faire ça le plus brièvement possible puis après ça passer à la période d'échange avec les membres de la commission.

n(12 h 10)n

M. Bigras (Dan): Je vais faire ça bref et je vais essayer d'être très précis aussi, parce que c'est un aspect très, très, très important, parce qu'on parle de marginalisation des jeunes, et puis je veux juste démontrer que, par des actions très, très, très concrètes, on les marginalise mais au point d'essayer de carrément les éliminer. On ne les veut plus dans le décor. C'est comme ça que ça se passe en société. C'est pour ça que, moi, je suis ici, c'est pour essayer d'avoir une politique cohérente entre tout le monde.

On judiciarise les jeunes... pas sur des crimes qu'ils commettent, je n'ai aucun problème. Un jeune commet un crime, il est arrêté. Moi ou vous, on le fait, on est arrêté, c'est correct. C'est sur une façon systématique de se servir soit de règlements municipaux, ou du Code de la sécurité routière, ou... En fait, c'est sur le mémoire à la page 32: il y a 25 % des contraventions émises aux jeunes qui sont émises par le Code de la sécurité routière, 45 % par la Société de transport de Montréal et 30 % de réglementation municipale. Tous ces règlements-là sont utilisés ensemble, dans un même but, par les mêmes policiers et d'après moi avec des ordres de la ville. Il y a évidemment, au sein des policiers, des policiers beaucoup plus aidants et qui essaient de trouver des solutions avec les jeunes dans le cadre de ce qu'ils font. Il y en a d'autres qui sont beaucoup plus persécuteurs, et ça aussi, il va falloir mettre une certaine limite à ça, ensemble, dans une solution globale.

Il y a une seule façon de sortir les jeunes de la rue, contrairement à ce qu'on croit, parce qu'à un moment donné ce qu'on voit dans les médias, c'est qu'il faut sortir les jeunes de la rue, on ne peut plus les voir là; je suis d'accord avec ça. Il y en a une, solution, c'est de les soigner, il n'y en a pas d'autre. On prend un jeune de la rue, on lui donne des tickets, des milliers de dollars de tickets alors qu'il crève de faim, c'est certain qu'on l'envoie en prison. Après la prison, c'est certain qu'il revient ici. On ne fait que perpétuer le problème, on ne peut pas éliminer les pauvres, on ne peut pas éliminer la misère, il faut juste la soigner.

On parle beaucoup de justice dans ce cas-là. Moi, je vais démontrer qu'il y a deux justices à ce moment-là, il y a vraiment deux poids, deux mesures, et que c'est volontaire.

On se sert beaucoup des règlements de la ville, on en ressort d'autres. Par exemple, le maire Labonté, de l'arrondissement de Ville-Marie, a réactivé dernièrement un vieux règlement qui date de Mathusalem, qui disait que c'était interdit de se trouver dans les parcs entre telle heure et telle heure dans la nuit. Alors, je ne me souviens plus de ce qu'il avait dit, lui, publiquement. C'est parce qu'il avait eu des plaintes, lui, de gens de la rue qui se faisaient attaquer. Ça fait que je ne sais pas comment ils ont compris l'adresse de son bureau à l'hôtel de ville, mais en tout cas ils ont été le voir, semble-t-il. Et lui, sa solution, ça a été d'interdire les parcs, ce qui fait que les gens de rue ne peuvent plus dormir dans les parcs et donc que ça aggrave le problème de voisinage avec les citoyens qui, eux, ont des maisons. Parce que forcément, bien, ils essaient de se trouver d'autres places, ça fait qu'ils vont se cacher en dessous des balcons. On y retrouve des seringues, on y retrouve des condoms, on y retrouve... et ça exaspère les citoyens, ce que je comprends très bien.

Par ailleurs, dans la relation entre les citoyens qui ont des maisons et ceux qui n'en ont pas, je me suis déjà un petit peu attrapé avec l'ancien commandant du poste 21, qui est le poste du centre-ville, M. Riopel, qui est un monsieur fort sympathique ? là, on s'était attrapés, mais ça avait été avec le sourire ? qui me parlait que, oui, bien sûr, oui, il y a des nouveaux développements au centre-ville, oui, ça vaut de l'argent, et, quand quelqu'un paie cher pour un condo avec une vue sur le parc Viger, il veut se réapproprier son parc. Je lui ai signalé que, moi, si un bar vient s'installer en dessous, chez nous, ça se peut que je fasse deux, trois plaintes pour le bruit. Mais, si, moi, je vais m'acheter un condo juste au-dessus du bar puis que je fais des plaintes, ça n'a aucune espèce de bon sens. Et, si c'est mes plaintes qui sont retenues contrairement à celui qui était là avant, on ne peut pas parler de justice, ici.

Alors, je vais vous donner juste quelques exemples. Évidemment, ils sont nombreux parce qu'il y a plusieurs... Ils sont tous... Vous les avez page 32, vous en avez page 33, vous avez plusieurs cas aussi. Je veux juste vous en nommer quelques-uns parce que, là, vous m'avez demandé de me dépêcher. Donc, interdit de se coucher ou de s'étendre sur un banc, un siège ou le sol. Donc, il y a plein de choses qui sont interdites, style, par exemple, jeter un botch de cigarette par terre. Les jeunes se prennent des tickets pour ça. Moi, j'ai vu des gens vider leurs cendriers de Mercedes, jamais personne se fait achaler. C'est des tickets que, vous puis moi, on ne se pognera pas. Des tickets pour avoir sacré. On s'entend que je serais en prison à vie, moi. Je veux dire, c'est...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bigras (Dan): C'est des choses qui n'existent pas pour vous et moi, c'est vraiment des choses qui n'existent que pour les jeunes. Il y en a un que j'aime bien, c'est le règlement de la ville, le RRVM, P-12.2: «20. Il est interdit d'utiliser le mobilier urbain à une autre fin que celle à laquelle il est destiné.» J'ai ici un exemple de... Alors, ça sonne vraiment comme une opération Norbourg, là: Tu as détourné du mobilier urbain. En fait, le petit gars était assis sur un bloc de béton et il s'est ramassé un ticket de 500 $, que j'ai ici, plus les frais. C'est 628 $ pour s'être assis sur un bloc de béton.

Il y en a un autre ici qui est assez édifiant: dans un parc, s'être promené à pied sur le gazon, 100 $, avec les frais, 144 $. Dans un parc, il me semble qu'on marche sur le gazon, c'est fait pour. Beaucoup de tickets pour flânage. Je m'excuse, mais, à moins que je sois certain de l'attention de tout le monde, il y en a peut-être une couple qui flânent icitte puis qui n'auront pas de tickets. Moi, je flâne. Quand je suis dans un parc sur un banc de parc, je ne suis pas en train de faire des transactions immobilières ou d'écrire une chanson nécessairement, je flâne. Alors, il y a vraiment deux poids, deux mesures, et je ne me prends jamais de tickets comme ça.

Pour avoir traversé une intersection, avoir traversé la rue en dehors des intersections, et ça, trois coins de rue de suite, on peut présumer qu'il y avait trois policiers qui l'attendaient puis qui se parlaient par radio. À ce moment-là, on parle vraiment de persécution.

Je n'irai pas trop, trop longtemps sur tous les exemples, je vais quand même vous en donner un qui est à la page, ici, 35, c'est le cas 18: À 11 h 40, il s'est pogné un ticket pour utiliser le mobilier urbain, bon, etc. À 20 h 25, interdit à toute personne de gêner... en s'immobilisant, rôdant, flânant. 8 h 35, bon, etc. Il y en a eu... parce qu'en fait il y en a sur une page et demie, il y en a sur deux pages et demie. Je ne vais pas tous les lire. Mais la conclusion, par exemple, de ce cas-là qui est notre cas 18, mais il y en a d'autres, on se rappelle ici que tous ces tickets-là, il s'agit d'un seul jeune, en neuf jours, le total des contraventions est arrivé à 2 435 $ qui vont monter avec des frais, parce qu'ils vont le rechercher, ce petit jeune là, jusqu'à temps qu'ils le trouvent. Huit policiers ont été impliqués, puis vous remarquerez l'agent n° 4, on ne mentionnera pas le nom évidemment, mais il a remis, à lui seul, huit contraventions là-dedans, dont quelques-unes à quelques minutes d'intervalle, soit 19 h 39, 19 h 55 et 20 h 45. On a-tu un petit soupçon de harcèlement ici?

Alors, tout ce que ça fait, c'est qu'évidemment ça envoie ces jeunes-là en prison. Parce qu'à partir du moment où ils décident, ou ils sont capables aussi, parce qu'évidemment ça prend du temps, et ça prend beaucoup d'effort pour se rendre là, mais à partir du moment où ils sont capables, ils viennent au refuge, après ça, un bout au refuge pendant quelques mois, ils vont encore mieux, ils sont prêts pour le logement social loin du refuge, ils se trouvent une job, ils se font une blonde, ils se sont reconstruit une vie malgré que tout a été détruit depuis qu'ils sont bébés, ils se sont quand même construit une vie, sauf que, là, le jeune a une adresse, la police vient le chercher, tes mandats, ils le sacrent à Bordeaux et tout est à recommencer à zéro. Nous, on va parler à ce jeune-là, puis on va lui expliquer qu'il n'y a pas de complot des adultes pour l'empêcher de s'en sortir? Il va nous envoyer chier, c'est parfaitement compréhensible.

Tout ça crée un mouvement où est-ce que, parce que ça, c'est mondial, les gens qui prennent la rue vont au centre-ville parce qu'ils ont besoin de se reconstruire des familles, de se retrouver d'autre monde. Leurs familles sont éclatées, ils veulent en faire d'autres. Ils se retrouvent au centre-ville, là où est-ce qu'il y a du monde. En chassant comme ça les sans-abri du centre-ville, on ne les retrouve plus.

Nous, par exemple, au refuge, il y en a qui quelques fois on sait qu'ils ne sont pas prêts pour un accueil au refuge, question de santé mentale, question de... plein de raisons, il n'y en a pas deux pareils, mais on va les voir. Mais, à un moment donné, on ne les voit plus, on ne sait plus où est-ce qu'ils sont. Alors, tout ce qu'on entend parler, c'est des rapports vraiment aux extrémités de la ville où est-ce qu'il y a des escrocs qui louent des chambres à huit jeunes en même temps, qui les exploitent, des films d'horreur, et donc les jeunes n'ont plus accès à leurs ressources: La Maison du Père, Old Brewery Mission, le refuge, Pops, Cactus, on ne peut pas déménager à tous les trois mois, on n'a pas l'argent pour faire ça.

Alors, je voulais signaler cette grande discrimination là qui, d'après moi, est délibérée. Pour qu'on puisse parvenir à une politique cohérente entre tous les paliers de gouvernement pour ne plus qu'on ait à dire: Bien là, c'est tel policier qui n'est pas fin. Bien non, c'est le maire Labonté. Oui, mais le maire Labonté, il dit que c'est le maire Tremblay. Puis le maire Tremblay, il dit que c'est le gouvernement qui envoie des psychiatrisés dans sa rue. Puis je voudrais qu'il y ait une réponse à un moment donné et puis qu'on arrête de persécuter les gens qui en arrachent. En faisant ça, on ne fait qu'aggraver le problème évidemment pour eux mais pour nous aussi. Merci.

n(12 h 20)n

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Bigras. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci, Mme Labelle. Merci, M. Bigras. S'il y a une chose qui ressort des auditions de ce matin ? nous en sommes à notre troisième organisme ? c'est bien l'importance de la formation puis de la sensibilisation des intervenants qui oeuvrent dans le milieu où on retrouve des jeunes itinérants. Je vous écoutais, Mme Labelle, lorsque vous avez mentionné les histoires d'horreur des jeunes qui se présentent au refuge, qui vont dans les hôpitaux et qui reçoivent leur congé après quelques heures sans nécessairement qu'on ait pu leur apporter un soutien utile ou le soutien requis par leur état de santé. Alors, ça indique...

Tout à l'heure, on parlait des policiers, puis on va y revenir, parce que c'est l'avocate en moi, là, qui fatigue là-dessus. Mais on a un besoin de sensibiliser non seulement les intervenants du domaine de la santé, les intervenants des centres locaux de développement, du ministère de l'Éducation, mais les intervenants des mesures policières, des ressources policières. Et je pense que, ne serait-ce que pour ça, les travaux de notre commission vont certainement nous permettre de revenir et puis de proposer des pistes de travail intéressantes.

Ceci étant dit, M. Bigras, j'aimerais pouvoir revenir. On a entendu un petit peu plus tôt, ce matin, les gens de la ville de Montréal. M. Cadieux, lorsqu'interrogé tant par ma collègue de Crémazie que par moi-même, nous mentionnait que, depuis quelques années, il y avait une espèce de plan triennal de mis en place pour tenter de contrer un petit peu le phénomène de persécution ou le phénomène de multiplication des contraventions aux jeunes itinérants. Dans ce plan d'action là, on a également effleuré la mise en place d'un tribunal administratif qui permettrait, avec un procureur désigné qui serait au fait des dossiers des jeunes, qui serait au fait de leur problématique, parce qu'il ne changerait pas à toutes les semaines, d'aider et de référer les jeunes vers des solutions alternatives plutôt que justement de leur imposer des peines, des pénalités qu'ils n'ont pas les moyens de payer, plutôt que de mettre en place des constats, des mandats d'arrêt pour les amener dans des centres de détention pour faire une journée ou deux, ou mêmes quelques heures, parce que les centres sont pleins, puis ça sert absolument... la gravité de l'infraction n'est pas là. On tenterait de trouver des mesures alternatives.

Alors, j'aimerais vous entendre quant à ce projet-là. Qu'est-ce que vous en pensez, vous, de ce projet-là avec l'expérience que vous avez sur le terrain et est-ce que vous avez des suggestions à apporter pour bonifier des mesures comme ça qui ne sont pas tout à fait encore, là, en place mais qui pourraient grandir de par votre connaissance du milieu?

Le Président (M. Kelley): M. Bigras.

M. Bigras (Dan): Je comprends très bien vos questions, maître. La première réaction, tant que... la première réponse, c'est: On parlait justement de ce tribunal administratif qui serait nommé, je peux juste vous dire que c'est venu après trois ans de discussion avec la Commission des droits de la personne et que, pour l'instant, il n'est pas encore nommé, parce que vous n'avez pas d'argent. Ça, c'est la première réponse.

La deuxième: Il ne serait pas nécessaire, ce tribunal-là, de toute façon si les constats d'infraction n'étaient pas émis. Je ne parle pas de ne jamais judiciariser les jeunes. Si un jeune est désorganisé et violent commet un crime, c'est d'accord, il faut faire un suivi. Mais là on parle d'un sujet totalement différent, on parle de marcher sur la pelouse, de cracher ou de s'être assis sur un bloc de béton. On parle d'autre chose, donc on ne devrait même pas parler d'une solution alternative pour peut-être les faire... parce qu'il y a déjà des trucs en place. Ils pourraient faire des travaux compensatoires, quoiqu'ils ne sont pas tous en état de le faire, mais déjà le système est tellement engorgé.

Alors donc, ça, c'est des solutions qu'on trouve entre-temps parce qu'on est pris avec un problème qui n'est pas légal, et ça, j'interpelle l'avocate en vous, parce que ça, c'est un constat qui a été émis par la Commission des droits de la personne mais qui émane du Barreau lui-même, maître.

Mme Vallée: Croyez-vous qu'il... Quelles sont les mesures que vous pouvez mettre en place? Comment arrivez-vous à contrer cette problématique-là? Je comprends, là, vous me dites: C'est des constats qui sont émis dans le fond pour faire le ménage. On veut faire le ménage vite fait, puis c'est la façon qu'on a trouvée pour faire le ménage.

M. Bigras (Dan): Ça s'appelle mettre des gens dehors sous aucun motif.

Mme Vallée: Est-ce qu'il y a eu d'autre travail... Au-delà du travail de sensibilisation avec les policiers, au-delà du travail du tribunal administratif, est-ce qu'il y a eu d'autres discussions pour faire en sorte que cette multiplication-là des constats ne soit pas...

M. Bigras (Dan): Il y a toujours des travaux, il y a toujours des petites choses qui se font, et puis d'ailleurs tout n'est pas nul, hein, on ne crache pas dans la soupe non plus. Mais il y a absence totale de volonté politique d'avoir une cohérence, c'est-à-dire tout le monde ensemble qui décide que, ces contraventions-là, on n'a pas à le décider, c'est déjà illégal. Il faut d'abord appliquer ces lois-là d'une façon qui est non discriminatoire. Une fois que ça va être fait, après ça... C'est parce qu'on confond cette façon de donner des tickets illégaux à des jeunes de rue avec le fait de les sortir de là. On ne les sort pas de là, on les rerentre encore plus profondément. La seule façon de les sortir, c'est de les soigner. Alors, une des choses qui seraient peut-être intelligentes, ce serait d'essayer de ne pas trop les éloigner de leurs ressources pour commencer, madame.

Mme Labelle (France): Si vous permettez, j'aimerais peut-être compléter...

Le Président (M. Kelley): Oui.

Mme Labelle (France): ...parce que je pense que vous voulez aussi quelque chose de précis. Donc, dans les dernières années, tout en faisant... puis en dénonçant puis en posant des questions, on a mené des travaux auprès de la commission des droits de la personne et de la jeunesse. On a adressé la question de la discrimination mais qui n'a jamais été retenue. Et on n'a jamais été en mesure de faire la démonstration, même si on s'appuie aussi sur des recherches importantes dont une recherche d'une criminologue qui s'appelle Céline Belleau et qui a mis en lumière, là, une augmentation des contraventions dans les 10 dernières années.

Donc, on a fait des travaux, on a eu comme vis-à-vis beaucoup de représentants de nos élus municipaux, Sécurité publique. De ça est issue l'idée du procureur désigné. Il y a une petite équipe de médiation sociale qui intervient au centre-ville, très petite équipe sur un très large territoire, donc beaucoup de jasage, hein, on a adressé les questions. Là, on est rendu, on essaie de faire une percée au ministère de la Justice. Mais on nous demande souvent: Qu'avez-vous comme alternative. Les travaux compensatoires, c'est une forme d'alternative, bien sûr. Le logement social, nous, au logement... ou on pourrait citer d'autres exemples, je vais citer celui que je connais le mieux. J'ai 13 jeunes qui sont là, des jeunes de la rue, anciennement des jeunes de la rue, ils me chicaneraient s'ils m'entendaient dire ça, des jeunes citoyens qui sont en logement, qui présentent aussi des problématiques personnelles, mais pas un, depuis plusieurs années, n'a reçu une contravention. Ça veut dire qu'il se passe quelque chose. Le fait que tu sois sans abri va être sanctionné, donc on judiciarise la condition d'itinérance, alors qu'à partir du moment où on travaille sur les conditions globales, la pauvreté, la question... la situation d'être domicilié ? on ne naît pas sans abri ? ça améliore considérablement la situation.

Et, à l'heure où on se parle, les mandats d'emprisonnement vont reprendre pour des choses comme ça, et, nous, on demande... on a questionné la Commission des droits aussi: Dans une société démocratique, est-ce acceptable que, sur une présomption de flânage, on puisse emprisonner une personne avec un cumul comme ça? C'est inacceptable pour une société. Alors donc, c'est bien de poser la question aujourd'hui. Alors, on travaille sur les alternatives, sur les droits, la notion de droit, et ça, c'est très, très important parce que là on prétend qu'actuellement, au moment où on se parle, les droits sont bafoués parce que les emprisonnements vont recommencer. Mais bien sûr il faut travailler autant en amont que sur des politiques globales.

M. Bigras (Dan): Il faut travailler en étapes aussi parce qu'il y a plusieurs urgences. Il faut d'abord, dans une première période, que cesse l'émission des mandats d'emprisonnement, pour commencer, parce qu'on ne parle pas de crime, là, donc une annulation des mandats d'emprisonnement en cours. Je pense que ça, c'est tout clair et faisable parce qu'il ne s'agit pas d'actes criminels. Et puis plus tard, après s'organiser pour avoir une politique cohérente entre tout le monde pour que cesse l'émission de ces contraventions pour des motifs absolument futiles, et discriminatoires, et dangereux.

Mme Labelle (France): Et l'analyse de la réglementation. Je pense qu'il faut se pencher. Vous allez avoir des exemples là-dessus. Et ça, on l'a demandé à la Commission des droits de la personne, on a travaillé fort avec eux, mais on attend toujours. Ils sont là, donc on les attend.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. La table est mise pour notre échange avec la commission plus tard dans nos travaux. M. le député de Nicolet-Yamaska.

n(12 h 30)n

M. Dorion: Merci. Alors, merci, Mme Labelle, merci, M. Bigras, pour l'exposé de votre mémoire. Moi, j'aimerais bien reprendre l'histoire, non pas l'histoire, mais la vérité qui se vit, sur l'exemple que vous avez mentionné sur les mandats d'infraction. Parce qu'on peut porter l'analyse plus loin en disant que toutes ces démarches-là engagent des sommes d'argent importantes que le ministère paie, là. Parce que la personne dont vous mentionnez, qui reçoit ces billets d'infraction là, la seule et unique façon qu'elle a, c'est deux alternatives: se présenter dans un poste de police et dire: Arrêtez-moi, je suis mandat d'arrestation, je veux régler mes choses parce que je n'ai pas les sous nécessaires. Et, si je ne me trompe pas, la politique actuelle, c'est ou on paie immédiatement, lorsqu'on est rendu mandat d'arrestation, donc on paie immédiatement, il n'y a aucune entente possible, exemple de payer les sommes mensuellement, ou c'est mandat d'arrestation, ou donc la seule alternative d'une personne en processus de rétablissement puis qui veut bien régler toutes ses choses, il n'a d'autre que... choix de se rendre et d'aller en prison.

Mme Labelle (France): ...un mandat, c'est trop tard.

M. Bigras (Dan): Oui. Si je peux me permettre, de toute façon, même s'il y aurait une autre solution, c'est un jeune de rue, il n'a pas les moyens de payer, alors il ne peut pas passer une entente, il ne la respectera pas, il n'est pas capable. Alors, de toute façon, on en revient à l'emprisonnement automatique, où est-ce qu'il va être en contact avec des criminels. Puis regardez les montants de ticket qu'on vous a donnés, les 2 000, 4 000, etc. Vous divisez ça par 25 puis vous arrivez au nombre de jours d'emprisonnement que... Et puis, vous savez, on sait combien ça coûte par jour pour emprisonner quelqu'un, alors ça n'aide personne.

M. Dorion: Alors, dernière question avant de céder la parole. Il y aurait tellement de questions en peu de temps à vous poser. On sait que tout ce processus-là est très coûteux à l'État parce qu'on parle aussi d'avocats, on parle de l'aide juridique, on parle d'un paquet de facteurs avant même l'emprisonnement, là. On parle du séjour au niveau de la détention, on parle déjà que les prisons sont surpeuplées au Québec. Alors, une des raisons, elle est fort possible, elle est là, une raison évidente. Alors, on dit: Tout ce financement-là... Et pourtant les organismes manquent de financement, manquent de support, manquent de continuité de services. Et c'est pour ça que je veux vous poser la question parce que, dans les revendications, vous avez marqué: «Développer des mesures et des programmes de formation plus adaptés...» Encore une fois, vous êtes le troisième groupe, et le mot «adaptés» revient. Moi, je veux être très conscient, lorsque la commission sera terminée, que le mot «adaptés» est revenu souvent. Est-ce que c'est une difficulté pour les organismes de développer des programmes qui sont adaptés à la clientèle et non pas dans une vision du réseau? Et je ne veux pas utiliser le mot nécessairement «public», mais il y a une ligne de pensée, il y a une ligne de conduite, et c'est dans celle-là que tout le monde doit cadrer, ce qui n'est pourtant pas la réalité. Madame...

M. Bigras (Dan): On va répondre les deux, je pense. La première chose, c'est que le gouvernement ne doit pas toujours être tenu de tout faire. Il y a des choses qui doivent être faites en institution et d'autres qui marchent autrement beaucoup mieux. Mais c'est la responsabilité... en fait pas du gouvernement parce que c'est notre responsabilité, en tant que société, de payer pour ça, et vous de l'administrer pour que ça se rende au bon endroit.

Maintenant, les organismes communautaires ont souvent beaucoup plus de marge de manoeuvre pour être créatifs parce que c'est souvent né de gens qui ont un passé avec ces... Il y a beaucoup d'anciens toxicomanes qui font d'excellents thérapeutes, il y a beaucoup d'anciens agressés sexuels qui font des bons thérapeutes pour agressés et agresseurs sexuels. Donc, il y a des gens qui ont inventé des programmes et qui ne sont pas pris dans une énorme machine comme la DPJ, où là c'est beaucoup plus strict, puis les intervenants ont vraiment à se heurter toujours à des barèmes qu'il faut arriver à un résultat unique tout le temps.

Le problème est vraiment, vraiment, vraiment le financement. Parce que, si on n'a pas de financement, on ne peut pas avoir d'intervenant. Puis, si, à un moment donné, on se fait annoncer qu'on a droit à cinq logements sociaux de plus, on est ravis, mais, si on n'a pas d'intervenant pour accompagner ça, ça ne nous donne rien. On a un jeune qui n'est pas capable de dormir dans un lit encore. Depuis qu'il est là, il dort à terre. Alors, il faut que ce soit accompagné. Ça, c'est ma réponse à moi.

Mme Labelle (France): La question d'«adapté», il y a toute la question de la participation sociale des jeunes. Parce qu'on parle d'exclusion, on parle de différentes formes d'exclusion sur tout le parcours. Alors, quand on parle d'adaptation, on ne parle pas de mésadaptation, on parle d'inclusion, on parle de réfléchir. Ce n'est pas tout le monde qui peut travailler 40 heures. De toute façon, en plus, les jeunes nous disent: À 40 heures, 40 fois huit, je suis encore en dessous du seuil de la pauvreté puis je n'aurai même pas accès à un logement. Donc, ils ont de la misère à adhérer à notre beau plan. Mais différentes formes de travail, qui favorisent la participation sociale, que ces jeunes-là ou les moins jeunes aient voix au chapitre.

Des exemples, au refuge, on a développé sur notre base, avec des fonds de tiroir... les jeunes participent à la rénovation du refuge et ils sont payés pour ça. Au logement social, on participe. Ils rénovent des logements, ils sont payés pour ça. Ils sont payés, mais, le jour où on n'a plus d'argent, comme dit Dan, bien c'est fini. Et ça, ils sont fiers parce qu'ils participent à quelque chose, ils sont citoyens, ils sont locataires, ils font partie d'un ensemble. Et en plus ils sont rémunérés, on les aide à vivre pour ça.

Il y en a plein, de projets des organismes, Caroline, Sylvain en parlaient. Il y a des organismes aussi qui, au centre-ville, comme à Spectre, font beaucoup de travail au quotidien. Et on est surpris des capacités de ces jeunes-là, on est surpris. Premièrement, c'est des battants, c'est des gens qui sont en lutte pour leur survie. Puis en plus, comme on disait tout à l'heure, quand on leur donne voix au chapitre, ils nous révèlent des choses puis ils nous donnent des idées. Alors, tant qu'on ne comprendra pas que c'est une participation sociale qui redonne droit de cité, on va passer à côté.

Le Président (M. Kelley): Il reste trois minutes pour votre collègue.

M. Dorion: M. le Président, j'aimerais céder la parole, c'est ça.

Le Président (M. Kelley): Oui, oui, c'est...

M. Bigras (Dan): ...me permettre juste de rajouter quelque chose là-dessus parce que France a mentionné quelque chose de très important, c'est la créativité de ces jeunes-là. Moi, je donne des cours d'arts martiaux à des jeunes en extrême difficulté. Donc, on parle d'agressés sexuels rapportés à la police, à la DPJ, etc. Et, la créativité de ces jeunes-là, moi, à chaque fois que je donne mes cours, je rentre chez nous avez une bonne humeur extraordinaire, j'ai un «smile» dans la face jusqu'au lendemain matin.

Juste dernièrement, il y en a qui, lui, partait... il n'était pas avec la clinique du Dr Julien, parce que c'est pour lui que je travaille dans ce projet-là, mais lui partait d'un centre jeunesse en taxi. Ça fait qu'après le cours je lui dis: Bien, écoute, va voir si ton taxi est arrivé. Je lui ai dit 10 fois pendant une heure. Il est revenu: Mon taxi n'est pas là. Alors, dans ma tête, ça faisait: Si j'accroche l'osti de taxi qui savait qu'il venait chercher un enfant, je le décapite. J'étais furieux. Mais je me suis dit: Bien, je vais reconduire l'enfant. Même si dans nos interventions on n'embarque pas avec un enfant seul dans une auto, j'ai dit: Je vais y aller pareil. J'ai été le reconduire à la DPJ, dans son unité, j'ai rencontré ses gens, etc.

Mais, aussitôt qu'il est embarqué dans l'auto, il s'est mis à parler comme s'il était en campagne électorale, ça n'a pas arrêté. Et il me posait une question et, aussitôt que j'arrivais pour répondre, une autre question par-dessus. Et je me suis dit: Bon, O.K., il veut parler, c'est clair. Ça fait qu'on a fait le trajet comme ça, ça a été très bien. Puis, la semaine d'après, il m'est venu un flash. Aussitôt, qu'il est entré, j'ai dit... ? excusez-moi, excusez mon langage, mais ça, c'est une des raisons pour lesquelles je devrais être en prison à vie ? puis je dis: Petit crisse, tu m'as fourré! Il dit: Quoi? Je n'ai rien fait. Je dis: Tu as renvoyé ton taxi, mon sacrament, parce que tu voulais me parler! Tu m'as escroqué, tu m'as fourré, puis je suis très, très, très fier de toi.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bigras (Dan): C'était une belle chose. Je lui dis: Même je vais le dire au Dr Julien. Dis-lui pas, je lui dis, il va être fier, lui aussi. Alors, de réussir des choses comme ça, de réussir à renouer des contacts et de réussir à être ce qu'on appelle «streetwise», etc., je trouve que c'est quelque chose dont non seulement on ne devrait pas avoir peur, mais on devrait être fier, juste pour terminer.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Saint-Jean, il reste 1 min 30 s.

Mme Méthé: Alors, bonjour. Il y a beaucoup de jeunes de la DPJ, des centres jeunesse qui se ramassent dans la rue, c'est connu. Au-delà de ce que vous avez marqué, de soutenir les familles pour éviter que ces jeunes-là soient placés ou pour éviter des différents déplacements, c'est quoi, vitement, le gros manque au niveau de la DPJ? Qu'est-ce qui manque? Qu'est-ce qu'il leur faudrait pour éviter qu'il y ait tant de jeunes qui se ramassent dans la rue?

n(12 h 40)n

Mme Labelle (France): Ils ont commencé déjà à faire beaucoup de travail là-dessus, puis je ne sais pas s'ils vont être représentés à la commission, mais on a pris bonne note que des placements trop longs, c'était une catastrophe. On a pris bonne note qu'au niveau de l'attachement c'est extrêmement nocif, des déplacements constants. Moi, j'en ai, des jeunes, qui ont une vingtaine de déplacements. Il y a du travail qui se fait actuellement dans les centres jeunesse. Il y a du travail qui se fait aussi au niveau de la préparation au sortir, mais c'est trop peu.

Et il y a des jeunes, on le sait... J'ai des collègues, en centre jeunesse, et néanmoins amies, qui me disent qu'auprès de certains jeunes donc il y a beaucoup de... Elles le savent, ce jeune-là, s'il ne se passe pas quelque chose, il va aboutir directement... Alors, il y a des passerelles à établir, essayer de voir est-ce qu'on peut travailler différemment avec ce jeune-là. On demande qu'aucun jeune ? je devrais dire «on exige» qu'aucun jeune ? qui sort des centres jeunesse ne se retrouve sans revenu, sans papiers et sans logement. Ça aussi, c'est, à proprement parler, scandaleux. On a une prise en charge étatique, et, du jour au lendemain, il n'y a plus rien. Alors donc, il y a des passerelles à établir et il y a des liens qu'on peut faire aussi pour essayer, là, de faire en sorte que ça ne se passe pas comme ça.

M. Bigras (Dan): Et il y aurait un petit peu de... peut-être de créativité à avoir, qui est plus facile à avoir évidemment dans un milieu communautaire où c'est des ressources plus petites. Mais c'est certain que, par exemple, le Dr Julien, avec qui je travaille, lui, ne privilégie pas le placement, sauf évidemment en cas d'agression. Il y a plusieurs cas où ce n'est pas possible, mais au contraire, lui, il privilégie d'aider les familles en entier et pas seulement l'enfant. Donc, avant d'arracher un enfant à sa famille, qu'on prenne ça un petit peu plus au sérieux et qu'on entoure la famille aussi. Donc ça, c'est ce qu'il fait vraiment en amont. Maintenant, plus tard, en aval, je pense qu'il faut un peu casser le moule de tout ça et laisser les gens être créatifs. Je connais beaucoup d'intervenants qui deviennent cyniques, ou qui font des burnouts, ou qui démissionnent parce qu'ils sont confrontés à tellement de misère, ils veulent soigner et puis ils ne sont pas capables.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Également, nous allons écouter le regroupement des centres jeunesse à Québec plus tard dans nos travaux. Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Merci à vous deux. Vous savez à quel point je suis sensible au travail que vous faites depuis toutes ces années. C'est bouleversant d'entendre toutes ces histoires-là. Quand j'ai lu ça, je me disais: Mon Dieu! on n'a pas beaucoup avancé, je pense, depuis 15 ans, en tout cas depuis le début. Je tiens à souligner à quel point c'est important, le travail de sensibilisation, hein? On sent une montée de l'intolérance, et c'est peut-être ça qui explique le fait qu'il y a autant de contraventions, qu'il y a autant de jeunes, là, qui se retrouvent dans une situation de judiciarisation. Et les organismes communautaires font un gros travail là-dessus, hein, en sensibilisation, mais vous aussi, avec le Refuge des jeunes. Et sincèrement, Dan, si ça te tente, un jour, de te lancer en politique, je pense que tu serais vraiment, vraiment utile dans notre société.

M. Bigras (Dan): Je vous aime beaucoup, Mme Lapointe, mais faites-moi pas peur comme ça.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Lapointe (Crémazie): Comment vous expliquez ça? Au-delà de tout ce que vous avez dit, là, je reviens à toutes ces contraventions. On nous a dit à la... Le SPVM nous a dit ce matin que, non, il y avait un effort, hein, pour trouver des solutions alternatives. Comment vous expliquez que ça a quadruplé, que ça a quadruplé? Comment on peut faire? Tu sais, est-ce qu'il va falloir essayer d'amender ces règlements et ces lois ou bien... C'est fondamental. On est en train d'échapper tellement de monde, là.

M. Bigras (Dan): Il va falloir amender les lois et il va falloir forcer aussi tout le système mis en place, dont les policiers, la ville et tout le monde, à les appliquer et qu'il y ait un système aussi pour rapporter ça avec des plaintes quand ce sera documenté. Les tickets que je vous parle, là, ça a l'air de gros exemples que je sors de ma poche. Juste au refuge, on en a 500. Comptez les ressources, là. Puis ça, c'est ceux des jeunes qui rapportent leurs tickets aux ressources. Il y en a un paquet qui ne le font pas du tout. Alors donc, c'est quelque chose d'institutionnalisé. On peut parler d'un phénomène de société, mais ça ne l'est pas. C'est un phénomène de système, c'est comment c'est gouverné. Il y a des ordres qui se donnent pour que ces choses-là arrivent. Maintenant, la perception du public, la perception de la société, c'est correct. Je veux bien que ce soit ma job, on est beaucoup à faire ça et on va l'être de plus en plus. Il y a une montée de l'intolérance, mais il y a aussi beaucoup de progrès qui se fait dans le regard des gens sur les jeunes de rue. Il y a quand même des choses qui avancent aussi. Mais là le problème n'est pas sociétal, le problème est un problème d'autorité, de système, et il faut répondre à ça par un système et avec autorité.

Mme Lapointe (Crémazie): Bien, je vais laisser la parole à mes collègues, je suis sûre qu'ils ont plein de questions à vous poser. Merci. Bravo! On vous écoute, soyez-en sûrs.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Gouin.

M. Girard: Oui. Alors, merci pour votre présentation. Quand je lisais votre mémoire hier, ce n'est pas le type de mémoire que nous avons l'habitude de recevoir dans le cadre de commissions parlementaires. Je pense que, même si c'est difficile à lire, ça fait du bien qu'on nous présente cette réalité et ces jeunes qui, au Québec, vivent des situations très dramatiques et qui ont besoin d'aide et de soutien de la part de ceux et celles qui peuvent travailler auprès des institutions, puis merci de nous avoir présenté cette réalité-là dans le cadre des travaux de la commission.

Je veux revenir dans votre mémoire. Vous parlez, à la page 20, des services du refuge et notamment des logements sociaux avec soutien communautaire. Vous en avez 13. Est-ce qu'il y a des listes d'attente actuellement des jeunes qui voudraient avoir accès à des places, qui n'en ont pas? Si oui, vous en avez combien, et ça vous en prendrait combien, de places supplémentaires, pour répondre à la demande? Et je voulais aussi vous entendre sur les progrès, j'imagine, que ces jeunes réalisent une fois qu'ils ont accès à un logement avec soutien communautaire, nous sensibiliser un peu à cette réalité-là puis au travail que vous faites.

Mme Labelle (France): Oui, c'est nettement insuffisant. Il y a beaucoup d'organismes, à Montréal, aussi qui interviennent au niveau du logement social. C'est une des revendications au niveau de notre plateforme réclamant une politique en itinérance. Le logement, ce n'est pas la solution à tous les maux, mais c'est parce que ça commence par là. Quand on a développé le logement social il y a 10 ans, on l'a développé en pensant à des jeunes qui revenaient tout le temps au refuge, qui étaient dans la rue, qui avaient des constants allers-retours, qui présentaient une problématique de santé mentale et/ou de toxicomanie, puis là on disait: Bien, ah là, il n'y a rien à faire, il consomme de l'héroïne, du crack, il fait du squeegee, donc... Mais on a pris ça par un autre... Puis il ne veut pas s'en sortir.

On a dit: On va commencer le logement d'abord. C'est un droit minimal. On va commencer par travailler sur un lieu, un lieu décent où il va devenir locataire. Le refuge verse une subvention aux loyers, les jeunes paient leurs loyers. Et ce qu'on a réalisé, c'est qu'après six mois il y avait une amélioration globale des conditions de vie et de santé. Des jeunes qui n'avaient jamais vu un médecin de leur vie, pour toutes sortes de raisons, dentiste ou des choses comme ça, des jeunes qui souffraient du VIH, hépatite, qui présentaient une problématique, à un moment donné, quand ils ont pu s'approprier ce lieu-là... Il y a un jeune qui a dit: Maintenant que j'ai mon appartement, il faut que je m'invente une vie. Il y en a un autre qui a dit: Je ne vois plus la pluie de la même façon. Et là, dans ce lieu-là, pour s'y maintenir, bien ça prend des liens. Parce qu'ils ont dit aussi: Dans la rue, tu es tout seul. Comme enfant j'étais seul. Mais là tu es dans un lieu avec d'autres personnes, d'autres locataires, tu deviens citoyen. Ça ne règle pas tout, mais ça améliore et ça donne cette espèce de goût de peut-être... de vivre autre chose.

De ces jeunes-là, aujourd'hui, maintenant il y en a qui ont participé à un jardin communautaire cet été, il y en a qui travaillent, il y en a, comme je vous dis, qui ont amélioré... Il y a de ces jeunes-là qu'on voyait errant dans la ville, on regardait ailleurs pour ne pas les voir, des jeunes... Il y en a un, là, il ne mangeait même pas dans son assiette. C'est un jeune schizophrène. On l'a vu au refuge pendant des années, on l'a attendu. Maintenant, ce jeune homme-là est en logement. Il va être schizophrène toute sa vie, mais il est locataire, il vit dignement, il a un compte de banque et il était très fier. C'est devenu un citoyen. Alors, ce n'est pas un miracle, mais ça veut dire que, si on donne l'occasion à des gens de pouvoir exercer leurs droits, d'avoir un lieu, de développer des liens dans un cadre de soutien communautaire, il se passe plein de choses. Et ce soutien-là doit être variable. Combien? Je ne le sais pas. Ça dépend bon an, mal an. Mais, moi, je pense que toute personne devrait avoir accès à un logement. Après ça, on pourra reparler du reste. Puis un revenu pour le tenir, son logement, aussi.

M. Bigras (Dan): Parce que je me permets aussi, pour ajouter, c'est que les soins sont plus facilement accessibles évidemment quand tu as un logement. Parce qu'à partir du refuge c'est évident que, si on voit un jeune ou qu'on... Parce que, moi... Des fois, on voit le jeune, sur une période d'un mois, «straight», sans dope, et là on peut voir s'il commence à se profiler quelque chose d'autre, par exemple une problématique psychiatrique. Par exemple, il continue à délirer. Il n'a plus de drogue, il n'a plus de boisson, mais il délire quand même, on sait très bien qu'il y a d'autres choses. Ou au contraire il lâche la dope, puis il est clean, puis il est cohérent comme n'importe qui. Alors, on peut voir, mais on n'est pas psychiatres. Alors, les psychiatres, eux, on sait très bien, sont payés pour aller dans les hôpitaux, ils n'ont pas le droit de travailler ailleurs. Mais ils peuvent, mais ils ne sont pas payés. Et puis les psychiatres à qui on réussit à faire voir à partir du refuge, c'est hallucinant, ils ont trois minutes tout juste, tout le temps pour nous le renvoyer en disant: Mais ce jeune est un drogué. Ah oui? Grosse surprise! C'est parce qu'il faut aller juste un petit peu l'étape d'après, ce qui peut nous arriver à partir du moment où est-ce qu'on a un logement, on est traité différemment, et là les soins se modifient miraculeusement presque.

Le Président (M. Kelley): Il vous reste une minute, M. le député de Sainte-Marie?Saint-Jacques.

n(12 h 50)n

M. Lemay: Alors, bonjour. Ma question sera brève et précise: Sur tous les jeunes que vous avez reçus depuis l'ouverture du refuge, avez-vous une petite idée du nombre de jeunes qui étaient de Montréal ou de l'extérieur de Montréal? Et je ne pose pas ma question en disant: Il ne faut pas que les gens viennent à... Ce n'est pas ça, l'idée, l'idée étant que très souvent, et l'hypothèse, M. le Président, sera à vérifier, mais très souvent les groupes montréalais reçoivent des gens de partout, ce qui met une pression supplémentaire. Et on parlait de fonds. Malheureusement, on est obligé, c'est une réalité, et ce n'est pas nécessairement toujours reconnu à ma connaissance, en tout cas. Alors, ma question est dans ce sens-là. Est-ce que vous confirmez ou vous infirmez? Donc, combien de jeunes vous avez reçus au fil de toutes ces dizaines d'années que vous êtes en activité?

Mme Labelle (France): En 19 ans, on a reçu 15 000 jeunes. La majorité, c'est Montréal et les environs. Mais c'est parce que c'est au moment où ils sont dans la rue. Alors, nous, on coche Montréal, mais dans le fond il y en a beaucoup qui viennent de régions, beaucoup au Québec. On a des jeunes aussi qui viennent du Canada. Et on a une nouvelle réalité aussi actuellement, c'est que maintenant on nous réfère des demandeurs de statut de réfugié dans nos ressources. Quand on parle de délestage du réseau, c'en est un autre exemple, ça. Alors donc, les jeunes viennent de partout. Il y a une mouvance, il y a beaucoup de déplacements parce que la plupart sont à la recherche de quelque chose, d'un ancrage. Il y en a qui vont venir pour trouver une job, pour fuir un milieu, pour faire des expériences différentes. Alors donc, c'est principalement un phénomène montréalais, mais ce qu'on sait aussi, c'est que, dans d'autres villes que Montréal, l'itinérance se développe de façon importante aussi, alors il y a des... Puis les statistiques, moi, ça change au fil des... Mais ils ne nous disent pas toujours d'où ils viennent à l'origine.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Sur ça, je dois mettre fin à cet échange. Merci beaucoup, surtout pour le partage des extraits de l'étude de Christian Levac. J'imagine, c'était quelle expérience qu'il a vécue. Mais merci pour inclure ça.

Je vais suspendre quelques instants, mais, fait innovateur, on va laisser la parole, le dernier 10 minutes de l'avant-midi, aux personnes qui vivent l'itinérance ou les intervenants qui travaillent avec ces personnes. Alors, on va revenir pour un dernier bloc d'une dizaine de minutes avant d'aller dîner. Merci beaucoup. On va suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 12 h 53)

(Reprise à 12 h 56)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît, membres de la commission! Un des objectifs de la commission est de toute évidence de mettre la question de l'itinérance sur la place publique mais, dans la mesure du possible, échanger avec les personnes soit qui vivent actuellement l'itinérance ou qui ont vécu l'itinérance. C'est un genre de micro ouvert qui va terminer nos sessions. Alors, nous avons un premier témoin qui est prêt à venir casser la glace pour nous autres. Alors, on aura un échange d'une dizaine de minutes, mais, si vous avez des commentaires à formuler aux députés, c'est vraiment vous, madame, qui avez l'expérience la plus directe avec le sujet sur lequel on est en train de discuter. Alors, si vous voulez ou non vous identifier et adresser quelques commentaires aux parlementaires, vous êtes la bienvenue.

Personnes itinérantes ou l'ayant été

Mme Perron (Lisette): Merci beaucoup. Alors, bonjour, Mmes et MM. les commissaires et M. le Président. Je me présente: Lisette Perron. J'apprécie d'avoir l'opportunité de m'exprimer devant vous au nom des femmes itinérantes montréalaises de la Maison Olga, aussi appelée La Rue des femmes. Je suis nerveuse, on s'entend?

Ce sujet me tient vraiment à coeur, ayant été moi-même itinérante deux ans. Junkie, polytoxicomane, alcoolique et prostituée, je me suis retrouvée à La Rue des femmes avec de merveilleuses intervenantes qui m'appuient dans le quotidien à poursuivre en externe un suivi intensif pour maintenir mon abstinence complète de toute substance, qui dure depuis plusieurs mois déjà.

Sachez que ce n'est pas par choix que l'on est amenées à la rue comme itinérantes. C'est par les blessures, les souffrances, la violence physique, psychologique, en partant de l'enfance et accumulées année après année, qui font qu'on saute les plombs, qu'on perd nos jobs et qu'on finit par se geler, se soûler pour réussir à survivre comme itinérantes de la rue. Car la drogue et l'alcool deviennent un médicament qui, au moment de l'absorption, ne fait que refouler tous ces maux, ces cris et ces pleurs intérieurs insupportables à vivre à jeun.

En tant qu'itinérante, dans la rue, j'ai côtoyé ingénieures, soldates, violonistes, danseuses, philosophes et artistes de tout genre, pour n'en nommer que quelques-unes. Vous seriez très surpris de savoir combien de talents inexploités se retrouvent derrière le titre d'itinérante.

Voilà l'importance qu'il y ait des maisons d'hébergement, car l'équipe de Rue des femmes a soudé et rempli mon seau vide d'amour. Grâce à leur amour inconditionnel, à la thérapie et au suivi global, elles me propulsent à atteindre mes objectifs et mes futurs projets. J'aimerais avoir des chevaux, faire de la zoothérapie avec des jeunes de 15 à 20 ans, les plus roughs, les délinquants. De plus, elles gèrent mon argent, payant ainsi mon loyer et mes comptes. Si ce n'était d'elles qui m'accueillent si bien, je vous garantis que je serais dans la rue à me «junker». Au contraire, j'ai, grâce à Rue des femmes, un toit depuis six mois. Avec leur aide alimentaire, leur aide vestimentaire, leur réconfort si précieux, leur écoute, leur compassion, leurs encouragements et encore une fois leur amour inconditionnel, Rue des femmes font ressortir mon potentiel. Car sachez que, nous, femmes itinérantes, en sommes bourrées, bourrées d'intelligence, aussi bourrées de créativité ? ta dam! ? et nous avons, en chacune d'entre nous, une force incommensurable de combativité et de persévérance sans fin.

n(13 heures)n

Aucune d'entre nous ne voulons vivre de prestations d'aide sociale, aucune d'entre nous ne voulons subir la rue avec toute la violence que cela implique. J'explique. À un certain dîner donné à Rue des femmes, une dame s'approche de moi puis elle me raconte: On vient de me violer, on m'a ? celle-là est rough ? sodomisée, on m'a rasé les cheveux ? elle les avait jusqu'aux fesses ? on m'a «tapé» la bouche, on m'a «tapé» les poignets et on m'a laissée pour morte. Quelle horreur! Non. Non, on ne veut pas ça. J'ai moi-même... Excusez. J'ai moi-même été victime d'actes criminels à deux reprises. J'ai failli y laisser ma peau... Ça va revenir. Sachez que personne mais personne n'est à l'abri de se retrouver un jour dans la rue et de traîner son titre d'itinérante avec elle.

Toutes ces femmes, moi y compris, avons besoin d'outils, avons besoin qu'on croie en nous, avons besoin du vigoureux encadrement maternel offert par ces intervenantes sous-payées, qui oeuvrent beaucoup plus qu'une psychiatre assise dans son bureau à 60 $ de l'heure et plus. Là, on s'entend qu'on ne met pas toutes les pommes pourries dans le même panier parce que la maison Doris, qui est un centre de jour, a une psychiatre qui s'appelle Dre Desrosiers, qui est merveilleuse, là, O.K.? Alors, il leur faut une augmentation, seigneur!

Je peux vous jurer que, s'il n'y a pas de financement pour les maisons d'hébergement déjà si peu nombreuses, les itinérantes continueront à subir de la violence physique, psychologique. Et d'autres viols encore et encore seront dus au manque de ressources et au manque de financement. Il y aura encore et encore des femmes retrouvées mortes ou retrouvées complètement folles. RAPSIM, le regroupement, là, que vous avez vu, dénombre 6 000 femmes sans abri, sans compter celles qui passent incognito pour leur propre protection dans la rue. Les maisons d'hébergement pour femmes sont pleines et trop peu nombreuses. Il manque de lits et d'endroits pour se protéger, la nuit, des rues de Montréal. Croyez-vous qu'une d'entre nous veuille risquer sa peau et mettre sa vie en péril par choix d'être itinérante?

L'itinérance n'est que la pointe de l'iceberg, car, si au départ elle n'est pas prise en charge, des frais médicaux, psychiatriques, d'hospitalisation, des frais de juge, d'avocat, de police, d'incarcération, etc., coûteront à l'État beaucoup plus mais beaucoup plus qu'un financement aux maisons d'hébergement. Il faut du cash pour les maisons d'hébergement déjà existantes et pour d'autres à construire.

Je termine avec l'espoir que votre bon jugement saura bien voir la détresse financière des maisons d'hébergement existantes ainsi que celles à venir. J'espère que mon message d'alarme réaliste est bien passé. Il faut du cash! Lisette Perron. Merci.

Le Président (M. Kelley): Ça prend beaucoup de courage, Mme Perron, alors merci beaucoup d'être la première pour briser la glace. Et on est très impressionnés par votre témoignage et la réalité que vous avez vécue. Et bon succès avec vos aventures, vos chevaux, tous les autres projets que vous avez à venir. Sur ça, je vais suspendre nos travaux...

Une voix: ...texte?

Le Président (M. Kelley): Bien, c'est tout enregistré, de toute façon. Alors, c'est... On n'a pas la télévision parce que c'était trop dispendieux, mais le volet audio est déjà sur le site Web de l'Assemblée nationale. Et il y aura la transcription comme tout autre témoignage devant une commission parlementaire.

Alors, sur ça, je vais suspendre nos travaux. On a un léger retard, alors je vais dire: À 14 h 15, pour être réaliste, mais, si on peut être à l'heure, 14 h 15 pour la suite des choses cet après-midi. Merci beaucoup, Mme Perron.

Mme Perron (Lisette): Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 4)

 

(Reprise à 14 h 16)

Le Président (M. Kelley): Alors, on peut recommencer nos travaux. Alors, je rappelle le mandat de la commission. La commission est ici pour des auditions publiques dans le cadre de mandat d'initiative sur le phénomène de l'itinérance.

Merci beaucoup pour votre compréhension, les représentants du prochain groupe, l'Accueil Bonneau, qui nous a permis un 15 minutes de plus pour rencontrer certaines personnes, dans le parc à midi, qui avaient des messages à livrer aux parlementaires aussi. Mais, sans plus tarder, je vais céder la parole à soeur Aurore Larkin et Mme Lison Bédard, des représentantes de l'Accueil Bonneau. La parole est à vous.

Accueil Bonneau inc.

Mme Larkin (Aurore): Merci, M. Kelley. Mesdames, messieurs, bon après-midi et grand merci de vous prêter attentivement à l'écoute des organismes communautaires, de leurs employés, de leurs bénévoles qui oeuvrent, comme vous le savez, sans relâche auprès des populations itinérantes et marginalisées au Québec.

L'objectif du mémoire de l'Accueil Bonneau est de vous faire saisir la réalité d'un organisme qui mène une lutte à l'itinérance depuis plus de 130 ans. Tout commence en mai 1877, quand M. Joseph Vincent, propriétaire de bateaux, remarque que le quartier que nous appelons aujourd'hui le Vieux-Montréal compte beaucoup de personnes errantes, de vieillards esseulés et de robineux. Il se tourne donc vers des organismes de l'Église et s'allie immédiatement les prêtres de Saint-Sulpice, les membres de la Saint-Vincent-de-Paul et les Soeurs grises de Montréal.

Les Soeurs grises, dès lors, transforment une ancienne caserne militaire, louée par M. Joseph Vincent, en un refuge pour hommes et femmes. Et c'est en 1904 que l'oeuvre s'installe sur le site actuel de la rue de la Commune, alors appelée la rue des Commissaires. Le nom Accueil Bonneau fait mémoire de l'ingéniosité de soeur Rose-de-Lima Bonneau qui, au plus fort de la crise économique de l'été 1931, sert au-delà de 60 000 repas.

L'Accueil Bonneau s'incorpore en 1978, et les membres de cette corporation sont toujours les prêtres de Saint-Sulpice, les Soeurs grises de Montréal et la Saint-Vincent-de-Paul. Jusqu'à ce jour, les Soeurs grises en ont toujours assuré la direction à titre bénévole.

Notre mission, c'est de contribuer à la réinsertion sociale des personnes vivant ou ayant vécu en situation d'itinérance, afin que ces personnes puissent retrouver une plus grande autonomie, la stabilité résidentielle et de meilleures conditions de vie.

n(14 h 20)n

Les services que nous offrons. D'abord, les services de dépannage, qui sont la porte d'entrée de la clientèle. En 2007, nous avons servi 340 000 repas à la salle à manger, le vestiaire a distribué plus de 45 000 morceaux de vêtement, le barbier a reçu au-delà de 700 clients, et les infirmières bénévoles ont fait plus de 100 unités de soins de pieds. Un deuxième volet, les services psychosociaux. L'Accueil Bonneau rejoint chaque jour jusqu'à 800 clients différents via les services de dépannage. La clientèle entre alors en contact avec des intervenants de première ligne. Pour les clients qui amorcent une démarche de réinsertion, l'accueil offre un service de fiducie et d'accompagnement psychosocial individuel. Cette année, cette équipe d'intervenants a donné plus de 12 000 entrevues aux 250 clients utilisateurs de ce service.

Et, dans un troisième volet, les maisons de l'Accueil Bonneau accueillent les clients qui ont amorcé une démarche de réinsertion. Elles permettent à 165 personnes de retrouver et de maintenir une stabilité résidentielle. Donc, l'équipe d'intervention au grand complet travaille de concert afin de favoriser le développement des compétences requises pour le maintien de la stabilité résidentielle.

Maintenant, parlons de définition, d'ampleur et de populations. À l'instar du RISQ et du RAPSIM, nous croyons que les visages des personnes en situation d'itinérance sont variés et complexes, et ce, même à l'intérieur des sous-groupes qui pourraient paraître homogènes comme celui des hommes adultes avec lequel nous travaillons au quotidien, à l'Accueil Bonneau.

Pour décrire cette clientèle, certains consensus existent. Mais, dans tous les cas, il est question de difficultés importantes généralement liées à un cumul de problématiques vécues dans un contexte d'exclusion.

Les problématiques centrales sont effectivement connues de tous. Les problèmes de santé mentale, souvent vécus en association à de multiples dépendances. On ajoute parfois la déficience intellectuelle et les différents déficits cognitifs quelquefois associés aux excès de consommation. On peut aussi inclure les lourds passés chargés d'abus, de sous-investissement parental, de violence familiale, de négligence et d'abandon, avec comme conséquences une estime de soi faible, une scolarisation déficiente et l'absence de modèle positif et significatif.

Cependant, d'autres difficultés ou des chocs peuvent survenir plus tardivement dans la vie, et, lorsqu'associés à des fragilités, mener à la dégringolade vers l'itinérance et la désaffiliation: divorce, perte d'emploi, deuil, dépression non traitée ou dépression automédicamentée par les drogues et l'alcool.

De plus, il y a aussi des profils plus généraux: les personnes à profil vulnérable et les personnes à profil délinquant. Les personnes à profil vulnérable sont souvent plus âgées, touchées par des problèmes de santé, la maladie ou la déficience intellectuelle. Les personnes à profil délinquant sont touchées davantage par les troubles de la personnalité. Pour ces personnes, la loi n'est qu'une ombre, et les règlements de compte, les crimes et délits, la vente de drogue, la contrebande sont choses communes et amènent leurs corollaires comme les menaces, la violence et les séjours en prison. Mais vous savez qu'au quotidien, au quotidien, l'ensemble des profils se côtoient, mettant parfois en réel danger les personnes à profil vulnérable qui se retrouvent souvent abusées et maltraitées, dupées par des promesses d'amitié.

La question du dénombrement. C'est une question très difficile. En ce qui concerne l'Accueil Bonneau, le dénombrement de la population itinérante, nous croyons qu'il est surtout important de travailler à maintenir et à développer l'état des connaissances en ce qui a trait à la complexité du vécu des personnes en situation d'itinérance et en ce qui concerne le développement et l'évaluation des pratiques d'intervention pour que se maintiennent et se développent la connaissance et l'excellence.

Par ailleurs, il pourrait être pertinent de faire une étude afin de mesurer les coûts rattachés au sous-investissement en prévention primaire et secondaire auprès des personnes en situation d'itinérance. Par exemple, quel est le surcoût dans les services de santé générale ou psychiatrique, le surcoût des prisons, dans l'utilisation des services policiers, le surcoût des machines administratives de la ville dans la gestion des tickets liés aux incivilités? Une étude fort intéressante.

Parlons maintenant de l'itinérance situationnelle cyclique chronique. Dans un premier temps, pour nous à l'Accueil Bonneau, afin d'aider les personnes en situation d'itinérance, il faut d'abord reconnaître l'importance du travail d'apprivoisement, du travail du «reaching out» et le financer adéquatement et à long terme. Pour favoriser la réinsertion sociale des gens isolés et en marge, il faut d'abord passer par les étapes d'apprivoisement, de reprise de contact et de stabilisation minimale.

Dans un deuxième temps, l'importance d'un accompagnement structurant comme, par exemple, une fiducie. Lorsqu'une personne en situation d'itinérance souhaite travailler à retrouver l'équilibre, la gestion de son budget, avec le support d'un intervenant, représente souvent un premier pas structurant. Cependant, le service de fiducie ne s'arrête pas là. À travers la relation régulière développée autour de la cogestion de son budget, l'intervenant amène la personne en situation d'itinérance à identifier et à reconnaître ses forces et ses difficultés pour ensuite l'accompagner dans la mise en oeuvre de son plan d'action.

Le suivi communautaire en logement social. L'importance du logement social et le rôle du suivi communautaire et du suivi dans le milieu ne sont plus à démontrer. Le logement social est une des clés pour stabiliser la situation de logement des personnes en situation d'itinérance. À cet effet, il faut que le gouvernement se dote d'un plan de relance du logement social pour prévoir la réalisation des unités requises et ainsi répondre aux besoins exprimés. Cependant, il apparaît aussi fort important d'offrir un support communautaire adapté à la hauteur des difficultés et des besoins des personnes.

Selon notre expérience, la marche entre la rue et le bail est souvent beaucoup trop haute pour une personne en situation d'itinérance chronique, même avec du support communautaire. Donc, nous croyons qu'il est impératif de développer une variété de services d'hébergement transitoire adaptés à des sous-groupes en démarche de réinsertion.

Le suivi communautaire en logement social ainsi que le développement de couloirs de services avec certains services de deuxième ligne est primordial. Pensez qu'accéder à un psychiatre n'est pas toujours facile pour la population en général, mais, lorsqu'on intervient auprès des personnes ayant une maladie mentale assortie d'un profil d'itinérance ou d'un problème de consommation, le chemin d'accès peut se révéler une véritable course à obstacles. Il est donc important de maximiser les liens formels entre le réseau de la santé et les organismes communautaires pour permettre une réelle continuité de services et ainsi supporter et appuyer la clientèle dans sa démarche pour qu'elle puisse accéder au bon service, à la bonne place, au bon moment.

n(14 h 30)n

Quelques mots sur le développement de mesures d'employabilité et de préemployabilité adaptées aux personnes en situation d'itinérance. Lorsqu'un individu devient un sans-abri, il devient souvent sans fonction ni rôle, sans emploi ni statut. À cet égard, l'approche de réinsertion professionnelle, si minimale soit-elle, peut jouer un rôle important dans la démarche de réinsertion sociale d'un individu. Il existe actuellement des mesures pour permettre le développement de l'employabilité visant différentes cibles, et celles-ci doivent se maintenir certainement et même se développer davantage pour permettre de répondre à la demande en s'ajustant à la variété des besoins exprimés.

Pour ce qui est des instances municipales et le phénomène de l'itinérance, tout comme dans les cas de services de santé, il serait pertinent d'identifier des personnes de liaison qui favoriseraient la communication et l'ajustement entre les organismes et les services policiers dans le respect des rôles et des champs d'intervention et d'expertise de chacun.

Laissez-moi revenir au logement social. Nous ne pouvons ici que reprendre les revendications du RAPSIM et du RISQ en matière de développement de logements sociaux. Les unités font cruellement défaut, et les besoins, si l'on pense simplement au Plan d'action en santé mentale du gouvernement du Québec, vont grandissant. Actuellement, la SHDM envisage de se départir des maisons de chambres qu'elle possède et qui sont dans certains cas administrées par des organismes d'aide aux personnes en situation d'itinérance. L'Accueil Bonneau, pour sa part, administre deux de ces maisons qui totalisent 87 unités de logement. À cet effet, nous recommandons que la ville de Montréal vende ces bâtiments aux organismes les opérant à un coût avantageux dans une perspective de maintien et de développement des services aux personnes en situation d'itinérance. Mais le logement social ne concerne pas seulement les acteurs municipaux, mais un ensemble d'intervenants beaucoup plus vaste en raison du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec.

Et maintenant le financement. La capacité d'un organisme à effectuer une prestation de services qui lui permettra de réaliser sa mission est proportionnelle à sa capacité de trouver du financement. Beaucoup d'énergies sont donc consacrées à l'autofinancement, parfois même au détriment de la réalisation de la mission. Une des tendances lourdes des gouvernements est de laisser le privé et les grands philanthropes s'occuper du financement. En conséquence, l'itinérance souffre d'un sous-financement chronique comparativement à des domaines comme la santé et l'éducation, qui lui sont priorisés.

Le sous-financement des organismes a des conséquences directes sur son personnel et donc sur la qualité des services offerts. La complexification de la problématique de l'itinérance et des populations touchées oblige les organismes comme l'Accueil Bonneau à se doter d'une main-d'oeuvre plus importante et plus outillée afin de réaliser sa mission. Et là se pose le dilemme. Il faut donc, dans ces conditions spécifiques, améliorer les conditions de travail, les salaires, les avantages sociaux à la mesure des compétences et des responsabilités assumées par le personnel mais, encore là, être contraints de limiter ou même diminuer les services offerts ou encore maintenir ou augmenter les services mais risquer de devoir renouveler un personnel sous-payé dont la charge de travail est trop importante.

L'Accueil Bonneau est un des organismes les plus connus en itinérance en raison d'une feuille de route impeccable au cours des 130 dernières années. Malgré cela, l'organisme a peine à maintenir un budget équilibré annuellement, et, résolument engagée à la réalisation de sa mission, la direction de l'accueil a pris une décision il y a deux ans, celle de travailler à la réorganisation de l'organisme. Les deux axes centraux reposaient sur la nécessité d'engager plus de personnel afin d'offrir un service d'intervention mieux adapté, ainsi de procéder à la révision au niveau de l'équité salariale afin de favoriser la stabilité du personnel. Les résultats sont probants au niveau de la réinsertion sociale des personnes mais ont également plongé l'Accueil vers un déficit anticipé de 200 000 $ en 2008.

Le budget annuel nécessaire au fonctionnement actuel de tous les services offerts à l'accueil est de 1,8 million. De cette somme, seulement 400 000 $ sont consacrés à assurer le service de dépannage, dont la salle à manger et le vestiaire. Imaginez que la contribution de 250 bénévoles qui nous consacrent annuellement plus de 95 000 heures nous permet d'économiser annuellement, en se basant sur le salaire minimum, près de 1 million de dollars.

Sur le budget annuel total de l'accueil de 1,8 million, seulement 140 000 $ proviennent de subventions gouvernementales. Cela équivaut à 7 % du financement global au soutien de la mission. Dans ce contexte, il est impossible de pouvoir consolider nos services et développer de nouvelles initiatives. Le minimum requis aux subventions gouvernementales annuelles afin de seulement consolider serait de 450 000 $, et de plus ? et de plus ? les organismes québécois ne pourraient survivre sans l'appui financier et en ressources bénévoles des communautés religieuses du Québec. Chaque année, les communautés religieuses contribuent d'importantes sommes aux organismes oeuvrant en itinérance. Il est inquiétant de constater que le déclin en nombre des membres de ces communautés est également accompagné d'une diminution progressive de leurs contributions annuelles. Quant aux bénévoles, la répercussion du déclin du nombre de membres des communautés est aussi préoccupante au sein de l'accueil. Les sept religieuses bénévoles des Soeurs grises de Montréal, qui occupent présentement des postes clés au sein de l'organisation, devront être remplacées par des salariés. Ces départs occasionneront une augmentation de budget annuel de près de 500 000 $. Et voilà pour la présentation.

Aux pages 14 et 15 du mémoire, vous trouverez là la synthèse de nos recommandations. Et j'en profite dès maintenant pour vous remercier de votre écoute attentive et aussi lancer un merci sincère au personnel de l'Accueil Bonneau, aux membres de notre C.A. pour leur grande implication dans la rédaction et la critique de ce mémoire et de leur assistance, aujourd'hui, à cette présentation. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, soeur Larkin. Alors, je suis prêt maintenant à passer à la période d'échange avec les membres de la commission. On a légèrement dépassé notre temps, mais ce garçon protestant a trouvé ça difficile de couper la parole aux soeurs catholiques.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Kelley): Mais, sur ça, je suis prêt à céder la parole à mon collègue le député de Notre-Dame-de-Grâce.

n(14 h 40)n

M. Copeman: Qui lui, d'une autre confession religieuse, va tenter d'interroger et de discuter avec soeur Larkin. Merci beaucoup, Soeur, Mme Bédard, pour votre présentation.

Vous avez essentiellement 11 recommandations, et on ne pourra pas passer à travers les 11 dans la courte période de temps qui nous est impartie. Je voulais commenter brièvement quelques-unes puis vous interroger un peu plus sur d'autres. Certaines de vos recommandations trouvent écho déjà dans des gestes du gouvernement du Québec; d'autres sont très bien reçues, je pense, entre autres, au cri de coeur que vous lancez au sujet du logement social. On a reçu et entendu, ce matin, la ville de Montréal, les autres groupes. Ça me paraît, non seulement sur le nombre de logements nécessaires, mais sur la planification, ça me paraît, et je parle en mon nom, ça me paraît tout à fait logique de vouloir convaincre le gouvernement d'agir en sorte qu'il y aura une planification sur trois, quatre ou cinq années. Il me semble qu'une planification sur une base annuelle n'est pas très efficace en termes de promouvoir les logements sociaux. On a entendu M. Maciocia de la ville de Montréal nous dire que ça prend un certain laps de temps pour que les groupes de ressources techniques peuvent commencer à travailler avec des organismes communautaires ou d'autres groupes afin de développer des projets, et, sur un cycle annuel, il me paraît très difficile de faire ce genre de travail correctement. Je présume que nous allons entendre ce même message au cours de toute la commission parlementaire. Alors, on le reçoit très clairement.

Une de vos recommandations est la suivante: «L'Accueil Bonneau recommande de travailler à maintenir et développer l'état des connaissances en ce qui a trait à la complexité du vécu des personnes en situation d'itinérance...» Vous n'êtes pas sans savoir que, dans le cadre de référence en itinérance dévoilé il y a à peu près 10 jours par le ministre Bolduc, il y a précisément un objectif sur la recherche, les connaissances, le dénombrement de l'ampleur du problème, pour qu'on puisse bien réagir, hein? N'importe quel gouvernement agit mieux, je pense, quand on est bien informé, saisi de l'ampleur du problème, sa nature et complexité. C'est précisément un des objectifs du cadre de référence qui était dévoilé par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Mais je veux vous interroger sur votre deuxième recommandation: «L'Accueil Bonneau recommande d'analyser l'efficacité des programmes des organismes en fonction de l'approche utilisée et des buts visés.» On a eu un écho de cela avec Le Bon Dieu dans la rue qui nous dit: Écoutez, parfois les programmes gouvernementaux établissent des objectifs qui sont hors de portée de beaucoup des gens qui sont touchés par le phénomène de l'itinérance, et il est difficile après coup d'ajuster les objectifs en fonction de la réalité sur le terrain. Pouvez-vous peut-être commenter davantage sur ce que vous voyez à cet égard chez vous, à l'Accueil Bonneau?

Mme Larkin (Aurore): Je vais laisser ma collègue répondre à ça parce qu'on vient de développer une possible probabilité sur un programme.

Le Président (M. Kelley): Mme Bédard.

Mme Bédard (Lison): Dans les faits, l'idée, c'est d'ajuster effectivement, un peu comme on l'a vu dans les présentations ce matin. Mais c'est sûr que, si, dans un programme donné, on travaille plus en réduction des méfaits avec une clientèle, par exemple, qui consomme énormément, qui est en dégringolade, ce qu'on souhaite, c'est... bien ce qu'on souhaite, si on est en réduction des méfaits, on travaille dans le fond où le client veut aller, hein? On ne peut pas amener les personnes ailleurs qu'où est-ce qu'elles désirent aller. On peut travailler sur le plan motivationnel avec les clients pour leur aider à développer des objectifs, mais en même temps on les amène où est-ce qu'elles veulent aller. Donc, quelqu'un qui ne veut pas arrêter sa consommation, bien on peut travailler avec cette personne-là pour stabiliser certains comportements de façon à ce qu'il n'y ait pas une dégringolade complète. Et tout ce travail-là, si ce qu'on mesure, c'est l'arrêt de consommation, bien on ne mesure pas la bonne chose, tu sais. Donc, c'est important d'ajuster au travail qui se fait. Dans certains cas, on va travailler en rétablissement, mais, dans d'autres cas, en réduction des méfaits, dans d'autres cas, en approche motivationnelle. La mesure va varier selon le type de travail qu'on fait. Puis c'est important de l'ajuster parce que, justement comme on le voyait ce matin, si on n'ajuste pas ce qu'on mesure adéquatement, bien on n'avance pas.

M. Copeman: Ça me paraît important d'avoir des objectifs réalistes en ce qui concerne les gens qui se retrouvent dans la situation d'itinérance et non pas fixer des objectifs inutilement hors de leur portée. Tout ce qu'on fait dans ce temps-là, c'est qu'on crée une situation où la personne va avoir un échec. Le gouvernement va agir comme prévu, hein? On n'obtient pas les résultats escomptés, alors il y a manifestement quelque chose qui ne marche pas, soit avec le programme soit avec la façon de faire, et ça me paraît fort important de tenter de... En tout cas, moi, je retiens ces points-là de façon très importante.

Mme Bédard (Lison): La clientèle avec laquelle travaille l'Accueil Bonneau puis, je pense, beaucoup des organismes en itinérance, c'est une clientèle qui est touchée par une grande désaffiliation. Disons, ils se retrouvent finalement, à certains niveaux, dans un autre univers régi par d'autres codes, d'autres règles, d'autres enjeux, et juste de rencontrer ces personnes-là... On peut avoir, nous, par exemple à la salle d'attente, juste avant le service de dépannage alimentaire, un client qui vient, qui ne regarde personne, qui ne parle à personne, dont l'état physique est... tu vois qu'il n'est pas dans une bonne position, et les intervenants peuvent travailler pendant des mois juste pour établir le contact avec cette personne-là qui ne parle à personne. Puis d'avoir accès à cette personne-là, qui, à un moment donné, te pose une question puis commence à développer de la confiance, c'est déjà tout un gain puis c'est le début de quelque chose, tu sais, ce n'est pas la fin, ce n'est pas une fin. Mais, juste pour se rendre là, il y a toute une énergie qu'il ne faut pas négliger puis qui est très importante. C'est l'amorce d'une situation d'intervention puis d'une démarche de réinsertion sociale.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Alors, depuis ce matin, on entend des experts du domaine de l'itinérance. On est ici pour apprendre, on est ici pour avancer avec vous. Je pense que vous venez de parler un peu du processus de «reaching out», et puis vous recommandez d'ailleurs que l'on reconnaisse l'importance de ce travail-là et que l'on le finance adéquatement et à long terme. Je voudrais savoir, dans un monde idéal, là, qu'est-ce que c'est aujourd'hui. Et, vous, si vous vous projetez dans le temps, qu'est-ce que ces activités de «reaching out» pourraient avoir dans votre quotidien?

Mme Bédard (Lison): On parlait ce matin... Il y a une question qui a été posée par l'ADQ à Mme Beaudoin, de la ville, en ce qui a trait au refus de traitement. C'est sûr qu'on peut difficilement imposer un changement à quelqu'un. On le sait tous, on fait des petits changements dans nos vies pour le mieux-être, pour que notre conjoint soit content, puis ça prend beaucoup d'énergie, tu sais. Imaginez des gros changements comme ceux qui sont demandés à ces personnes-là, sur la base aussi où ils n'ont pas confiance en eux, ils ne connaissent pas leurs compétences, leurs capacités. Donc, tout le travail de «reaching out» va servir dans le fond à aider les personnes à vouloir changer, à vouloir faire un geste puis à s'avancer dans une démarche. Ce que ça peut représenter comme chiffre ? je ne sais pas si c'est ça, votre question ? ça, je n'ai pas analysé la question parce que je pense que ça touche plusieurs organismes aussi. Mais, pour nous, entre autres Mme Larkin faisait plus tôt état dans le fond du piètre état, je dirais, du financement public dont on bénéficie. Et c'est sûr que ce travail-là de «reaching out», qui se fait par l'équipe d'intervenants de première, première ligne auprès de ces 800 personnes différentes qui sont dans des situations terribles, ça n'a l'air de rien, mais c'est hyperimportant.

Mme Larkin (Aurore): Parce que, quand on mesure, hein... Parfois, d'une personne dans la rue, amener cette personne-là à aller au moins dans un refuge, c'est déjà tout ce qu'on peut faire, hein? C'est déjà tout ce qu'on peut faire.

Mme Bédard (Lison): Dans certains cas.

Mme Larkin (Aurore): Dans certains cas, puis ça peut prendre longtemps. Donc, multipliez ça.

Mme Bédard (Lison): Ou d'amener quelqu'un à se soigner, quelqu'un qui est blessé, mais qui ne va pas... Tu sais, les hommes en plus, généralement, n'ont pas tendance trop à utiliser les services. Imaginez les gens en grande désaffiliation. Bien, ils se retrouvent finalement dans les urgences, avec des coûts faramineux, parce qu'ils n'ont pas posé les gestes au bon moment, qui auraient été simples pour guérir une blessure, mais qui se retrouvent finalement avec des interventions majeures puis dans des conditions aussi où ils sont mal placés pour récupérer.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Nicolet-Yamaska.

n(14 h 50)n

M. Dorion: Oui, merci. Merci de votre présentation. Ce fut, et d'un, un honneur, soeur Larkin, parce que vous l'avez mentionné que les oeuvres des Soeurs grises viennent en aide à plusieurs ressources, et je peux en témoigner aujourd'hui, puisque vous n'êtes pas sans savoir qu'étant député de Nicolet-Yamaska il y a quand même une maison mère à Nicolet, dont soeur Rita Leclerc m'a tellement parlé du dévouement que vous avez auprès de votre mission. Et il y a une chose qui est revenue souvent cet avant-midi, et vous en faites mention également dans votre mémoire, et je cite: «L'Accueil Bonneau recommande que les instances gouvernementales contribuent à offrir un support communautaire adapté ? et là je mets vraiment un bémol sur le mot "adapté", parce que c'est un mot qui revient souvent dans les mémoires ? à la hauteur des difficultés et des besoins des personnes et à développer une variété de services d'hébergement transitoire adaptés à des sous-groupes en démarche de réinsertion sociale.» Moi, j'aurais envie de vous poser la question: Qu'est-ce qui vous empêche présentement, dans le contexte actuel, de le faire?

Mme Larkin (Aurore): En deux mots: le financement.

M. Dorion: Le financement.

Mme Larkin (Aurore): Ou le sous-financement.

M. Dorion: O.K. Est-ce qu'il y a par contre une écoute attentive? Et là on le sait que ces orientations-là viennent du ministère, que ce soit l'agence ou que ce soit... Mais, lorsqu'on parle de réinsertion sociale, est-ce que c'est un discours commun, bien entendu, je vous dirais, des autorités, ou réinsertion sociale, c'est peu défini au niveau des représentants des ministères? Parce que la réalité, en tout cas du moins dans d'autres régions, c'est que la réinsertion sociale, ce n'est pas quelque chose qui existe encore ou du moins qui est reconnu comme une nécessité dans un continuum de services. Parce qu'on parle bien... réinsertion est égale au continuum de services à offrir à une personne pour lui permettre une réintégration complète et réussie.

Alors, on parle de financement, oui, mais encore faut-il que ce soit reconnu. Est-ce que vous avez l'impression que cet élément-là n'est pas reconnu comme une priorité au sein des différentes instances, que ce soit l'agence, que ce soit le ministère de la Santé, que ce soit Emploi, Solidarité, ces différents ministères, que ce soit la Justice?

Mme Bédard (Lison): Bien, je pense qu'il y a reconnaissance puis je pense que tous ces gens-là travaillent bien, au mieux aussi de leurs moyens. Dans tous les secteurs, je pense qu'il y a vraiment une bonne volonté puis une bonne foi, puis les gens mettent leur intelligence au service du meilleur état social possible. Cependant, il reste des choses à faire, puis il y a des priorités à donner. C'est sûr que l'itinérance, bien là on commence à en parler davantage, mais ce n'était pas quelque chose de très populaire, puis c'est une problématique qui est très lourde, qui est parfois incomprise. Mais en même temps je pense que tous les ministères et tout le monde travaillent vraiment au mieux.

Vous avez posé une question ce matin en demandant: Ce serait quoi, la première action qui devrait être posée en matière d'itinérance? Puis, moi, je répondrais à ça: Il n'y a pas juste une première action, de la même façon qu'au niveau de la clientèle ce qu'on met l'accent, ce n'est pas sur: il y a un type de clientèle, ou il y a une stratégie, ou il y a un programme d'employabilité. Dans les faits, il y a une variété de parcours tout aussi singuliers les uns que les autres, une variété, une complexité de problématiques. Et, pour répondre à ça, on a besoin vraiment d'un ensemble de programmes et de mesures variés, adaptés. Quand on parlait d'adapter, c'est qu'il n'y a pas comme un programme qui va faire l'affaire, qui va faire la job pour tout. Non, ça n'existe pas. Il faut mettre en place une série de moyens, une série de mesures adaptées, petites, s'il y a lieu, plus vastes, s'il y a lieu, mais qui permettront de rejoindre l'ensemble des besoins, l'ensemble des personnes, puis l'ensemble des réalités. Donc, il faut commencer à investir.

M. Dorion: Parfait. Et peut-être simplement nuancer. Ce matin, lorsque je posais la question à Mme Beaudoin, je parlais beaucoup plus dans un cas où la personne n'est pas évaluée. Vous avez quand même, soeur Larkin, tantôt exposé les difficultés à accompagner une personne au sein du réseau de la santé pour que cette personne-là soit évaluée, parce qu'encore faut-il qu'une personne soit stabilisée pour pouvoir entreprendre une démarche avec elle. Alors, la première intervention...

Une voix: ...

M. Dorion: Oui, toujours avec la volonté, mais encore faut-il... Moi, je ne pense pas personnellement qu'une personne ne veut pas. Il faut aider ces personnes-là, les conscientiser.

Mme Bédard (Lison): Exactement.

M. Dorion: Et souvent, bien, c'est le manque de ressources. Quand on parle de manque de financement, manque de financement, manque de ressources, donc manque de personnel pour amener ces personnes-là à les conscientiser à leurs problématiques, et qui est souvent une démarche qui est très, très longue, là.

Mme Bédard (Lison): C'est ça, il faut tendre des perches.

M. Dorion: Oui, effectivement. Et c'est malheureux parce que même les gens motivés et volontaires malheureusement, souvent par une situation où les gens ne sont pas évalués, stabilisés et... C'est une mécanique qui se fait très rapidement, hein? Les gens rentrent en hospitalisation mais en ressortent pratiquement la journée même sans qu'il y ait eu un certain délai d'évaluation.

Mme Bédard (Lison): Puis, dans ce sens-là, il faut être capables aussi de travailler en amont puis en aval. Tu sais, l'exemple que vous donnez, c'est plus quand on est en amont d'une intervention psychiatrique. Effectivement, il faut avoir accès à un psychiatre pour qu'il y ait une évaluation. Dans certains cas, on va travailler aussi en aval, où il y a des psychiatres ou des gens qui sont stabilisés en institution qui nous sont référés avec lesquels on travaille. Et ce que ça prendrait dans les cas où on est plus en aval, c'est des corridors de services pour un retour... Un peu comme en périnatalité, où les femmes qui accouchent sortent plus rapidement de l'hôpital, mais, s'il y a des difficultés que les CLSC identifient, bien il y a un couloir de services où ils peuvent retourner sans devoir passer par l'urgence.

On devrait avoir des choses similaires quand on a des gens qui nous sont référés par la psychiatrie. On intervient avec eux, de façon générale ça fonctionne bien. Mais dans certains cas il peut arriver où on observe des signes de désorganisation. Et là, si on avait un accès à un retour rapide, un psychiatre qui pourrait restabiliser la médication tout simplement, plutôt que de laisser la personne dégringoler et finalement retourner via l'urgence et après ça en psychiatrie, en hébergement, parce que la situation s'est trop dégradée, alors, si on pouvait agir rapidement ensemble, ce serait beaucoup plus efficace et moins cher nettement.

M. Dorion: Merci. M. le député, vous me permettez de céder la parole à ma collègue la députée de Saint-Jean?

Le Président (M. Kelley): Moi, je veux le faire à votre place. Mme la députée de Saint-Jean.

Mme Méthé: Merci. Bonjour. Vous avez parlé tantôt d'une clientèle qui est sans statut, sans rôle, et l'image qui me venait en tête, c'est que des fois on est embarrassés de répondre à la question: Quel est notre statut civil? Et, quand s'ajoute à ça la résidence, où on n'a rien à répondre, et en plus aucun emploi ou... en tout cas, on se sent exclu, j'imagine, fortement. Et vous dites que ces gens-là, à force de rejet, à force de jugement, bien les gens s'isolent, puis c'est là qu'il est difficile de récupérer. Il y a eu un temps où je me disais qu'il faudrait créer de l'emploi pour aller... Bien, c'est trop... Il y a un gros travail à faire avant d'en arriver là. Je sais qu'il y a des organismes qui aident un peu, un centre de partage, entre autres, où il y a de la vente au comptoir, où ils vont prendre... après un cheminement des personnes, ils vont les mettre graduellement en contact pour la vente, tout ça, mais ils sont encadrés. On voit tout le travail qu'il y a à faire. Vous parlez de réinsertion professionnelle par la création d'un projet d'économie sociale. Pouvez-vous nous dire un peu qu'est-ce que vous voyez comme projet d'économie sociale pour aider dans ce sens-là?

Mme Bédard (Lison): Bien, on a un petit projet d'entreprise qui balbutie, à vrai dire, qui est à l'amorce, là, de son déploiement, mais qui pourrait permettre un peu, comme L'Itinéraire fait mais pas du tout le même projet, mais de permettre à des gens itinérants qui ont réussi à se relever de travailler puis de se joindre finalement... de faire des tâches puis de se valoriser dans un travail qu'ils peuvent faire. Voilà.

Mme Méthé: Et j'imagine que, là aussi, la création de ce projet-là demande du financement. Et vous êtes bloqués encore une fois?

Mme Bédard (Lison): Oui. Bien, on commence à vrai dire sur ce projet-là. On va voir, là, comment ça va aller, mais c'est sûr que ça prend toujours, là, quelque part un financement. Mais en même temps la beauté de l'économie sociale, c'est que tu as un financement, mais, quand tu donnes le petit coup de pouce au début, bien, en bout de ligne, tu as une rentabilité économique aussi, parce qu'on associe, dans l'économie sociale, autant la rentabilité sociale que la rentabilité économique, et dans certains cas on peut avoir des projets qui s'autofinancent complètement.

Puis l'idée que, nous, on avait aussi, c'est qu'on voudrait vraiment avoir quelque chose qui permet à la population... pour travailler un peu aussi à déstigmatiser. Parce que c'est sûr que, quand on parle d'une population qui est allée loin dans l'itinérance, souvent il y a des signes aussi sur les personnes, hein? Les dents ne sont pas les mêmes, les gens, leur visage est touché par l'itinérance, puis ça fait peur à la population. Puis je pense que, un peu comme L'Itinéraire le fait, quand on voit ces gens-là, quand on a la chance de les voir s'impliquer, quand on travaille avec eux, ça nous permet de démystifier l'itinérance, d'avoir moins peur, et ça leur donne une place, eux, pour travailler aussi puis pour être valorisés, là.

Le Président (M. Kelley): Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Bonjour, soeur Larkin, bonjour, madame. Les racines profondes de l'action communautaire au Québec, vous en êtes pas mal responsables, hein? Les Soeurs grises, la Saint-Vincent-de-Paul... Pas vous, là, personnellement!

Des voix: Ha, ha, ha!

n(15 heures)n

Mme Lapointe (Crémazie): Mais ce qu'en fin de compte les communautés ont fait à une époque, hein, où c'était difficile et puis qu'il n'y avait pas beaucoup d'aide gouvernementale, c'est formidable. Mais je suis très étonnée de voir que 125... un siècle plus tard il n'y a que 7 % de votre budget qui vient de l'aide gouvernementale, donc de la population, si on veut, en général. Et ce que j'ai compris d'une certaine partie de votre clientèle, c'est que c'est vraiment la clientèle la plus éloignée, la plus... peut-être... celle qui n'a même pas accès à un refuge.

Mme Bédard (Lison): En partie.

Mme Lapointe (Crémazie): En partie, hein?

Mme Bédard (Lison): Il y a de tout. Dans notre clientèle, il y a des gens qui ne sont pas si loin d'une réinsertion sociale; même, à certains niveaux, certains pourraient même aspirer à une réinsertion socioprofessionnelle, mais ce n'est pas tout le monde. Sur le plan socioprofessionnel, c'est clair que ce n'est pas tout le monde, même...

Mme Lapointe (Crémazie): Et est-ce que la clientèle... bien, c'est une clientèle d'hommes, hein?

Mme Bédard (Lison): Oui.

Mme Lapointe (Crémazie): La clientèle, est-ce que l'âge, est-ce que vous avez des jeunes ou si vous avez plutôt, là, la quarantaine ou la cinquantaine, les personnes?

Mme Bédard (Lison): Oui. Nous, on travaille surtout avec les hommes adultes.

Mme Lapointe (Crémazie): Oui.

Mme Bédard (Lison): Si des très jeunes viennent chez nous, on va plus travailler à les référer au Refuge des jeunes qui, eux autres, ont vraiment l'expertise avec les jeunes. Donc, on a effectivement les gens qui ont passé beaucoup à travers tous les filets sociaux et aussi sur lesquels le temps a eu le temps d'avoir un impact.

Mme Lapointe (Crémazie): C'est ça, de faire des dommages qui sont peut-être irréparables, dans certains cas. Mais...

Mme Bédard (Lison): Oui, dans certains cas. Mais, même si...

Mme Lapointe (Crémazie): Mais ça n'empêche pas qu'on les laisse... C'est sûr qu'on ne veut pas les laisser tomber. Puis, moi, je regarde la préoccupation, votre préoccupation, soeur Larkin, quand vous voyez qu'il y a de moins en moins de religieuses et que les religieuses qui sont bénévoles en ce moment devront être remplacées par des salariés. Est-ce qu'il y a eu des demandes? Est-ce que vous avez fait certaines demandes aux autorités pour prévenir un peu cette situation-là? On parle budget, on parle ressources.

Mme Larkin (Aurore): On a fait des demandes, oui, au niveau du... mais on est à préparer cette relève-là. Puis ce qui s'applique aux religieuses s'applique aussi aux bénévoles, hein? Vous avez 250 bénévoles; le million, là, que les bénévoles... Parce que le bénévolat aujourd'hui n'est pas nécessairement le même qu'il a déjà été aussi au cours de ces 100 années là, au cours des 100 ans. Notre population de bénévoles vieillit aussi. Il y a une espèce de nouveau mouvement de bénévolat qui n'est pas du tout pareil. On a des hommes et des femmes qui viennent à l'accueil deux pleins jours semaine, hein, des personnes retirées qui sont encore en forme. Mais là on arrive dans la génération des baby-boomers qui, eux autres, ont un style de vie tout à fait différent puis qui vont travailler. Donc, même au niveau du bénévolat, on commence à penser qu'il ne sera pas aussi nombreux, hein, qu'il l'a déjà été. On voit déjà un «shift», là, qui se manifeste, là, de plus, hein?

Mme Bédard (Lison): Puis, sur le plan du financement, on a commencé effectivement à faire des approches pour essayer de corriger la situation ou en tout cas d'aider l'accueil pour être capables de rétablir puis de faire face dans le fond à cette situation-là dans les prochaines années. Mais je vous avoue qu'il y a une certaine demande d'aide, là, pour que ça fonctionne, tu sais, parce que jusqu'à présent, en tout cas dans les dernières années, ça n'a pas donné beaucoup de résultats.

Mme Lapointe (Crémazie): C'est bien noté.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Sainte-Marie?Saint-Jacques.

M. Lemay: Merci, M. le Président. À mon tour, ça me fait plaisir, ça me fait plaisir de vous saluer. M. le Président, on l'aura constaté, on va le constater au fil des prochains jours, la très grande compétence des organismes qui viennent des... la compétence qu'on peut voir dans le mémoire et des interventions qu'on a avec vous. Donc, on a au moins la chance de pouvoir, comme élus, s'appuyer sur une excellente expertise de cette problématique-là.

On parlait de congrégations religieuses, M. le Président. Vu qu'il ne me reste pas une minute, je vais me permettre. Vous savez, on était, ce midi, au carré Émilie-Gamelin. Émilie Gamelin, je le rappelle à mes collègues, c'est la fondatrice des Soeurs de la Providence. Dès 1860, dans cet espace-là, il y avait un refuge. Donc, vous, vous existez depuis une centaine d'années, il y a la Maison du Père plus tard, également. Donc, dans le secteur, ici, c'est un phénomène qui n'est pas nouveau, là, ce n'est pas nouveau.

L'ampleur est nouvelle, et la complexité, elle est nouvelle, mais des refuges, et tout ça, il y en a, dans ce secteur-ci de la ville, comme on peut le voir, depuis des centaines d'années. Et, Émilie Gamelin, c'est une des grandes Montréalaises de notre histoire, mais je n'aurai pas le débat, ici, avec notre collègue et amie Louise Harel, qui est présente dans la salle, mais... et, elle, elle pousse pour Jeanne Mance, qui est une grande dame aussi.

Le Président (M. Kelley): ...Hochelaga-Maisonneuve.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lemay: Donc, ce ne sera pas le moment d'avoir ce débat-là maintenant.

Mais, toujours est-il, sérieusement... Vous dites, à la page 15, et, moi, vu le temps imparti, c'est là-dessus que je vais focusser le sens de mes interrogations, vous dites que... et je cite votre document, c'est les recommandations que vous avez à la fin: «...maximiser les liens formels entre le réseau de la santé et les organismes communautaires pour permettre une réelle continuité de services.»

Vous donniez l'exemple, tout à l'heure, de la psychiatrie, hein, les gens vous réfèrent des gens psychiatrisés. Et mon propos n'est pas de dire qu'ils le sont tous, ce n'est pas vrai, là, on ne peut pas... mais, dans certains cas, c'est le cas. Et, après ça, de les référer à nouveau pour toutes sortes de choses, c'est difficile.

Il y a des gens qui arrivent chez vous, j'imagine, qui sont en crise pour toutes sortes de raisons, soit qu'ils ont pris quelque chose soit qu'ils n'en ont pas pris. Qu'est-ce que vous faites? Vous appelez? Parce que vous êtes quand même à côté de Saint-Luc. Notre-Dame n'est pas très loin. Bref, vous êtes autour d'un réseau. Qu'est-ce que vous faites quand quelqu'un, chez vous, est en crise ou tombe malade? Est-ce que c'est l'urgence? L'ambulance, l'urgence?

Mme Larkin (Aurore): Dans plusieurs des cas, ça va être l'ambulance puis l'urgence. Puis il y a aussi l'UPS, qui a été quelque chose qui a été développé ces derniers temps, qui est un service très, très apprécié et des personnes compétentes qui viennent à notre rescousse, là. On fait appel à ces gens-là. Mais parfois c'est tout de suite l'ambulance. La désorganisation est tellement grande, ou même, même ce n'est pas toujours au niveau psychiatrique, c'est au niveau physique aussi parfois, hein, c'est des santés physiques très précaires. Nous autres, cet été, on a eu comme cinq, six décès, hein, des hommes de 52 ans, de 55 ans, 53 ans; c'est jeune. Une personne qui a passé sa vie dans la rue a un physique très, très pauvre et donc... Puis ce qui me fait dire: Encore un autre service qu'on rend, les soins palliatifs, hein, les soins palliatifs qu'on peut accéder, nous autres, mais nos gars, là, ça n'accède pas ça si facilement que ça, les soins palliatifs. On a des intervenants, dans nos maisons, qui s'arrangent pour que les gars puissent revenir à la maison, mourir à la maison, parce que... Donc, on accompagne, hein, de la porte de la salle à manger à la mort. Puis, encore là, l'expertise que ça prend, ce n'est pas n'importe qui qui peut accompagner un homme, comme ça, jusqu'à la mort. Chez nous, on le fait. À La Maison du Père, on le fait. Au moins, mourir en dignité, hein, mourir avec quelqu'un près de soi, c'est peu dire.

M. Lemay: Je crois que...

Le Président (M. Kelley): Maintenant, il y a une minute.

M. Lemay: Maintenant, il y a une minute, d'accord. Et quel serait en fait un exemple, là? Est-ce que, par exemple, vous avez une infirmière dans vos locaux? Est-ce que vous avez un médecin? Quand je dis «un»: un ou une évidemment. Vous n'avez pas... Donc, c'est, dès qu'il y a un problème vécu chez vous, c'est l'artillerie lourde des soins de santé qui rentre en ligne de compte et c'est l'urgence de Saint-Luc. Donc, il n'y a pas un... Il y a l'UPS, comme vous avez bien dit, l'urgence psychosociale.

Mme Larkin (Aurore): Le CLSC, avec qui on a des rapports, très, très, très bons, très proches, puis, eux autres aussi, ils font leur gros possible, hein? On a des très bons rapports avec tout ce beau monde là, mais ce n'est encore pas assez.

M. Lemay: O.K.

Mme Bédard (Lison): C'est ça, il reste des choses à ajuster puis à raffiner, là, au niveau des liens.

M. Lemay: C'est pour ça que vous dites «maximiser» et non pas d'instaurer.

Mme Bédard (Lison): Tout à fait; non, parce qu'il y en a.

M. Lemay: C'est «maximiser».

Mme Bédard (Lison): C'est ça, puis il y en a, puis c'est bien, puis je le salue, mais ça peut s'améliorer.

M. Lemay: O.K.

Mme Bédard (Lison): Puis je pense qu'il y a des choses encore à faire. Comme avec les services policiers aussi, c'est une des choses. Il serait intéressant d'avoir des agents de liaison pour être capables de mieux discuter puis d'arrimer des choses, là, tu sais.

M. Lemay: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On parle souvent du mentorat dans notre vie aujourd'hui, et mon premier patron politique était M. Claude Ryan, qui est quelqu'un qui m'a parlé souvent de l'importance de l'action sociale de l'Église dans notre société québécoise. Je pense qu'on a devant nous un autre exemple vivant et tangible de cet engagement. Alors, merci beaucoup.

Je vais suspendre quelques instants, et je demande les représentants de CAP Saint-Barnabé de venir prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 15 h 10)

 

(Reprise à 15 h 12)

Le Président (M. Kelley): J'invite les députés de prendre place, s'il vous plaît. Et, avant de céder la parole aux représentants de CAP Saint-Barnabé, je veux souligner la présence de Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve qui, par pure coïncidence, est ici au même moment d'un organisme de son comté.

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): Alors, c'est bien noté, et bienvenue, Mme la députée, à nos délibérations. Et, sans plus tarder, je vais céder la parole au CAP Saint-Barnabé, représenté par sa directrice, Mme Jeannelle Bouffard, M. Michel Roy et M. Marc Gagné, si j'ai bien compris. La parole est à vous, Mme Bouffard.

Carrefour d'alimentation
et de partage Saint-Barnabé inc.
(CAP Saint-Barnabé inc.)

Mme Bouffard (Jeannelle): Merci. Alors, M. Michel Roy, il est le coordonnateur de la Table de concertation de quartier, qui est le conseil pour le développement local communautaire; et Marc Gagné est un membre de notre organisme.

Alors, c'est certain que... Je me sens dans mes petits souliers. Je succède à une institution centenaire, ce qui n'est pas le cas pour notre organisation. Alors, on existe quand même depuis 18 ans dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, et le discours que je vais apporter aujourd'hui, pas celui de spécialiste en termes d'itinérance, nous ne sommes pas des spécialistes ni au plan académique ni au plan historique, mais on est des spécialistes terrain.

Notre organisation se retrouve... On est ouverts de 9 heures le matin à 21 heures le soir, cinq jours par semaine. Et la vie a fait en sorte que notre mission nous a amenés à revoir notre intervention dans le quartier parce qu'au fil des années on s'est retrouvés de plus en plus appelés à accueillir des personnes qui vivent une extrême pauvreté, dont les personnes itinérantes.

Alors, c'est certain que, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, c'est un phénomène qui est plus nouveau, qui est plus récent, en tout cas où on peut le voir encore plus depuis la dernière décennie que c'était le cas dans le passé. Puis c'est certain que, durant la période estivale, avec la fermeture de la rue Sainte-Catherine dans le centre-ville, en particulier dans le quartier Centre-Sud, alors les gens ont émergé... ils ont immigré dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, et on a davantage accueilli des personnes itinérantes cette année que de par le passé.

Inévitablement, les gens vont se regrouper, se parlent entre eux. Les personnes itinérantes se parlent entre elles et se retrouvent en des lieux où elles savent qu'on va leur offrir un espace pour sociabiliser, un lieu pour s'asseoir. On va leur offrir un café où on va pouvoir respecter... S'ils ont le goût de jaser, on va leur parler; s'ils ont le goût de s'isoler, on les laisse tranquilles. Et on essaie, au fil des jours et des heures d'une même journée parfois, on essaie de créer un contact avec eux, ces gens-là.

Nous intervenons principalement en alimentation. Alors, qui dit alimentation puis dit personne itinérante, il y a un rapport qui est indéniable: les gens ont faim. Alors, les personnes qui sont dans la rue ont très faim. Alors, c'est certain qu'à ce moment-là notre service leur permet de combler un de leurs besoins primaires, donc celui de se nourrir, et l'hiver, c'est celui de se réchauffer.

Alors, le service qu'on offre est un petit peu, moi, je dirais, en aval puis en amont des services des refuges ou des autres organisations que vous allez entendre durant cette commission. Je ne fais pas la lecture textuelle, là, de notre écrit, je présume que vous l'avez reçu, je vais vous mentionner les parties les plus majeures, les plus importantes pour nous.

Alors, c'est certain qu'on se situe, au point de départ, en amont parce que les gens viennent chez nous et ils viennent chercher un soutien alimentaire. Et souvent ce qui les amène à venir chercher de la nourriture, c'est parce que leur loyer leur coûte trop cher. Et, au fil des années, ce qui est devenu une dépense très onéreuse pour eux est devenu une dépense à couper dans leurs budgets parce que souvent on les croise puis on s'aperçoit que leur loyer leur coûte trop cher, qu'ils ne sont plus capables de le payer. Ils se sont fait des dettes envers Hydro-Québec, envers Gaz Métro, envers les services de téléphonie, et, à ce moment-là, ils sont rejetés, ils n'ont plus la capacité... ils sont disqualifiés socialement. Ils n'ont plus de nom, c'est ce qu'on dit dans notre milieu.

Or, une personne qui n'a plus de nom éprouve une grande difficulté à faire sa place dans la société parce qu'inévitablement il va s'enclencher dans un marché au noir où il va passer par d'autres personnes pour pouvoir avoir accès à des services de base. Alors, c'est dans ce sens-là que je vous dis: On les voit avant qu'ils soient confrontés à se tourner vers la rue parce que le soutien alimentaire qu'on leur offre, l'écoute qu'on leur apporte, les références qu'on leur donne, les luttes qu'on essaie de mener avec ces gens-là sur le plan social pour améliorer leurs conditions de vie, bien c'est un petit peu notre effort qu'on va faire avec ces personnes-là pour éviter la dégringolade, en tout cas la déchéance qu'ils doivent vivre.

Par contre, on est aussi confrontés au fait... nous sommes à la proximité de l'Hôpital Louis-Hippolyte-La Fontaine. Alors, on peut parler, dans le dossier qui nous concerne, de façon assez forte parce qu'on est après vivre les impacts majeurs de la désinstitutionnalisation dans notre quartier. On a très vite retourné dans la société des gens pour leur donner ce qu'on a appelé une vie normale, ou une qualité de vie, à ce qu'on dit, pour qu'ils soient avec les autres, intégrés socialement. Sauf que le milieu n'était pas habilité à accueillir ces personnes-là et les personnes n'avaient pas nécessairement tous les outils pour affronter l'autonomie qu'on leur projetait en allant vivre dans la société.

C'est ce qui fait qu'on a vu naître des résidences, moi, j'appelle, à peine un petit peu plus hautes que la clandestinité pour accueillir ces gens-là. On leur a offert un gîte sans leur offrir aucun autre support. Et ces personnes se sont retrouvées dans des lieux comme le nôtre pour trouver un peu de chaleur humaine, pour trouver une écoute, pour trouver un réseau de vie et une certaine animation sociale, ce qui n'est pas offert à quelqu'un qui loue une chambre dans une pseudofamille d'accueil.

n(15 h 20)n

Alors, le milieu, le système institutionnel a apporté un certain support à plusieurs personnes mais pas à l'ensemble des personnes. Et les gens qui étaient le moins bien outillés pour affronter cette vie-là dans la société se sont vu offrir toutes sortes de propositions un petit peu clandestines pour se faire reconnaître par des gens et se faire offrir des offres pour vendre de la drogue, pour passer des choses, parce qu'on a profité, on a abusé de ces gens-là. Et, comme c'étaient des personnes avec moins de scrupules qui les relançaient, vite, les personnes à fragilité psychologique ont été utilisées pour poser des actes qui dans le fond les ont discriminées socialement encore doublement et triplement.

Alors, c'est un peu tous ces gens-là qu'on retrouve, nous autres, dans nos services, dans notre salle d'accueil. C'est sûr que le nombre n'est pas aussi élevé qu'à l'Accueil Bonneau ou à La Maison du Père, mais pour nous c'est énorme. Ça peut aller jusqu'à 150, 200 personnes par jour qui fréquentent notre salle d'accueil.

On a été chanceux il y a quelques années parce qu'on a eu un projet tripartite qui nous a permis d'acheter une ancienne église, de la restaurer, de la transformer en centre communautaire et d'agrandir notre espace d'accueil. Sauf qu'une fois qu'on a tout fait ces beaux projets là, qu'on a donné un lieu respectueux de la dignité des gens pour leur permettre de briser l'isolement et de vivre dans un cadre apprécié, on n'a pas eu le financement pour absorber l'augmentation de l'achalandage des personnes. Donc, on s'est retrouvés avec plein de monde sans ressources humaines supplémentaires et sans lien supplémentaire avec des ressources plus institutionnelles, même si on a travaillé très fort, dans le quartier, pour créer des ponts, autant avec l'Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine qu'avec l'agence de santé et services sociaux, pour nous aider à développer les compétences nécessaires pour accueillir ces gens-là puis à augmenter le nombre de ressources humaines pour être autre chose que des distributeurs de café. Je vous situe un petit peu le contexte, mais c'est vraiment dans ces perspectives, ces dynamiques-là qu'on travaille avec les gens.

Actuellement, on a une étudiante de l'Université Laval, de Québec, qui fait sa thèse de doctorat en travaillant avec des personnes qui fréquentent notre organisme. Et majoritairement... Bien, son étude porte davantage sur les hommes, parce que toutes nos statistiques nous démontrent que les personnes qui sont les plus mal prises, bien, souvent ça va être les hommes. Les femmes ont développé souvent un réflexe plus accentué de survivre. Elles vont aller chercher de l'aide, du secours plus régulièrement, alors que les hommes ne le font pas. Alors, ils se retrouvent dans des situations plus... On va plus facilement voir un homme dans la rue, même si on en voit de plus en plus qui sont des femmes, mais on en voit plus... on voit plus des hommes que des femmes, et souvent les hommes ont des problèmes multiples, comme on vient de le dire. Et la jeune femme, dans son étude, qui se voulait qualitative, elle a fait des entrevues assez poussées avec des hommes, une trentaine d'hommes, et la plupart ont vécu de l'itinérance un jour dans leur vie.

Ces hommes-là s'en sont sortis, mais elle va être en mesure de nous traduire, dans un document, là, qui va sortir cet automne, toutes les causes majeures de l'itinérance. Et une d'entre elles dans le fond, au-delà de la santé mentale, c'est toutes les pertes successives que ces hommes-là ont vécues dans leur vie et tout l'isolement qui entoure leur réalité. Ils sont rejetés par leur famille, ils sont rejetés par leurs proches, ils sont rejetés par leurs enfants, par leur milieu social, ils vivent un grand isolement. Et finalement ils choisissent de fuir leur réalité parce que l'image d'eux-mêmes, l'estime d'eux-mêmes en prend pour un méchant rhume, une méchante claque aussi, et ces gens-là ne sont plus capables de se regarder. Alors, ils vont fuir, les hommes, la plupart du temps, par la prise d'alcool ou de drogues, pour être capables de continuer à vivre.

Et, nous, on en arrive à se dire que la toxicomanie, la drogue et l'alcool, bien souvent c'est une façon de se suicider à petit feu. Et on a beaucoup d'éléments qui nous permettent de valider cette hypothèse-là. Et ça va être un des points marquants, là, de l'étude que notre jeune étudiante, notre jeune femme est en train de réaliser. Chez les femmes, c'est plus la prise de médicaments, mais, chez les hommes, c'est la drogue et l'alcool. Et la santé mentale devient aussi une façon pour les gens de fuir le réel, de basculer dans un autre monde où tu abandonnes, tu lâches prise et tu te laisses aller. Ça fait deux études qu'on fait chez nous en lien avec la santé de la population puis des gens qui fréquentent nos services, et ces aspects-là sont assez fortement documentés.

Alors, vous voyez, nous, on intervient dans un état de fait avant que les gens aillent en refuge, à la Maison du Père ou à l'Accueil Bonneau ou dans des lieux qui les accueillent, ou, après... parce que plusieurs sont barrés, sont sur des listes noires dans les gîtes, alors ils se retrouvent chez nous... Oui... Et c'est dans cette perspective-là qu'on essaie d'intervenir de façon humanisante.

Ce qui ressort un petit peu de ce qu'on voudrait vous demander, dans le fond, des recommandations, c'est un investissement important en prévention. Parce que la prévention, c'est de faire en sorte que des gens ne se retrouvent pas dans des situations qui vont les amener à vivre l'itinérance. Alors, la prévention, pour nous, ça va passer par un soutien à l'intervention.

Le soutien à l'intervention, oui, c'est du financement pour avoir plus de ressources, c'est du financement pour payer nos ressources un salaire qui a de l'allure. Nous, les salaires, chez nous, passent de 10,65 $ l'heure à 12 $ l'heure, alors on n'est pas surpayés. Ça passe aussi par des formations qu'on est capables d'offrir à notre monde qui travaillent dans le quotidien avec ces personnes-là pour les qualifier, pour leur permettre d'évacuer, pour éviter des burnouts et des dépressions chez ces gens-là parce qu'ils ont besoin de soutien. On a besoin de soutien constant, parce que c'est très dur de vivre dans notre quotidien dans un contexte aussi cruel que celui de la souffrance humaine ou du mal-être de nos frères puis de nos soeurs.

L'autre élément qui est important dans le fond, c'est: Nous, on offre de la nourriture; on ne reçoit pas de dons en nourriture. Il faut tout acheter et on est dans un contexte de crise alimentaire à l'échelle mondiale. Alors, ces gens-là méritent de manger des aliments de qualité, pas n'importe quoi. On sait que, si on peut les nourrir minimalement une fois par jour, on évite... on travaille un petit peu des formes de prévention sur leur état de santé, en tout cas on leur permet d'absorber le froid l'hiver, on leur permet de maintenir leur état de santé sans le détériorer davantage. En tout cas, en autant que faire se peut. Mais ils ont le droit de se nourrir, de ne pas manger n'importe quoi. Et c'est un autre élément dont nous sommes conscients qu'il importe de se pencher.

Finalement, il y a tout l'aspect au gîte, et en tout il y avait des gens, là, de tout le réseau des logements, oui, du logement social. Parce que, si les gens avaient un logement à prix abordable, ils ne seraient pas obligés de se retrouver dans la rue, donc, on éviterait toute la déchéance de ces personnes-là; donc du logement social avant d'en arriver à la rue. Et, une fois que la personne essaie de s'en sortir, comment on va la soutenir pour lui permettre de développer des habitudes de vie en logement? Parce que ce n'est pas facile: tu ne passes pas de la rue à un logement, tu ne passes pas d'une vie de bohème, une vie sans structure à une vie organisée du jour au lendemain, alors on a besoin de logements qui vont permettre ces transitions-là aux personnes qui sont dans la rue.

Alors, voilà, je veux compléter en vous remerciant de nous donner la possibilité de se faire entendre, tout en étant conscients des limites de ce qu'on peut apporter mais de la grandeur du travail qu'on fait dans notre quotidien. Je remercie aussi Mme Harel qui nous a poussés dans le dos pour qu'on sollicite notre présence ici et qu'on vienne parler de cette réalité-là de l'itinérance qui se répand, qui n'est plus concentrée à notre table de quartier, à notre jeune étudiante qui nous donne une grande stimulation, à Marc, qui est membre chez nous, qui m'a encouragée dans la rédaction de notre mémoire. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour votre présentation. Je vais aller rapidement à la période d'échange avec les députés en cédant la parole à Mme la députée de Hull.

n(15 h 30)n

Mme Gaudreault: Bon. Alors, bienvenue, et c'était une belle initiative de la part de Mme Harel de vous pousser à venir nous rencontrer aujourd'hui. Alors, vous êtes un symbole que les services ne suffisent plus parce qu'il y a un étalement de la population qui doivent s'expatrier vers vos quartiers et qui ne réussissent pas à obtenir les services au centre-ville. C'est certain que c'est un besoin essentiel, se nourrir, et ça, ça n'a rien à voir avec notre condition de vie.

Par contre, je peux lire ici, dans votre mémoire, que vraiment vous servez 30 000 repas, là, au cours des années, et tout ça, mais «de plus, près de 12 000 collations sont servies annuellement pour les personnes qui ne sont pas éligibles au dépannage alimentaire». J'aimerais que vous me parliez de cette éligibilité-là.

Mme Bouffard (Jeannelle): O.K. Nous, comme on achète toute la nourriture qu'on donne, là, on cuisine puis on congèle. Une personne qui est dans la rue ne peut pas faire réchauffer ses plats. Alors, il a fallu qu'on développe une façon d'offrir à manger à ces gens-là parce qu'ils avaient le droit de se nourrir, alors on a développé des collations.

Maintenant, on est dans un quartier où il y a d'autres services ou d'autres offres en alimentation, entre autres le Chic Resto Pop, et on ne voulait pas interférer sur l'offre de services du Chic Resto Pop, qui amène les gens à développer une autonomie alimentaire, une prise en charge. Alors, la collation nous a semblé une alternative qui respectait les différents acteurs du milieu et qui répondait à un besoin des gens qui étaient en difficulté de se nourrir dans notre milieu. Ce n'est pas un repas complet, on nomme bien ça une collation, mais c'est des mets chauds généralement et ça permet en tout cas de maintenir... Il y a des gens qui reviennent à 7 heures le soir, qui viennent à 4 heures, puis ils reviennent à 7 heures, c'est tout ce qu'ils vont manger dans la journée.

Et on a constaté depuis un certain temps que souvent ça arrive même qu'il y a des familles qui se présentent pour les collations. Ça leur permet d'étirer le peu de nourriture qui leur reste pour finir le mois.

Mme Gaudreault: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Alors, bienvenue. Bienvenue à notre collègue aussi d'Hochelaga-Maisonneuve. Vous avez soulevé, vous venez de soulever le respect que vous avez pour les autres organismes qui sont impliqués dans le domaine de l'itinérance. Je comprends que vous offrez un service qui est vraiment, dans le fond, qui est ciblé, qui vise à nourrir convenablement des familles démunies, des gens démunis, des résidents démunis qui ne sont pas nécessairement, au départ, puis corrigez-moi si je me trompe, qui n'étaient pas nécessairement des itinérants tels qu'on peut les imaginer. Et je comprends que vous semblez... au départ, là, votre vocation, c'était de donner un coup de pouce aux familles défavorisées du quartier, et, au fil des années, votre popularité a fait en sorte que d'autres personnes ont eu accès à vos services. J'aimerais vous entendre sur la collaboration qui existe, dans votre milieu et aussi sur le territoire de la ville de Montréal, entre les différents organismes qui oeuvrent auprès des gens qui sont plus démunis.

Mme Bouffard (Jeannelle): Bien, je peux juste vous dire: Pour notre part, nous, on travaille, c'est sûr, à plusieurs tables de concertation. D'abord, nous autres, quand on nomme l'itinérance, il y a des gens qui sont carrément dans la rue. Ces gens-là, on les accueille dans le jour puis on leur donne un billet d'autobus pour qu'ils aillent coucher à La Maison du Père, à 4 heures, O.K.? Ça, ces gens-là, ils sont chez nous souvent dans le jour, là.

Mme Vallée: Bon. Et qui, par exemple, là, vous... Excusez, je ne veux pas vous interrompre, mais si ça amène d'autres questions... Est-ce que c'est vous qui défrayez les coûts de ces billets d'autobus là?

Mme Bouffard (Jeannelle): Oui. Oui, c'est sur notre budget. Quand on a de l'argent, on achète des billets d'autobus puis on en donne aux gens. Parce que des fois on n'a pas assez de sous pour en acheter, là. Bon. Alors ça, c'est pour les référer. Quand il y a des gens qui nous arrivent, bien on a un bottin de ressources. C'est sûr que, dans notre quartier, c'était moins habituel, alors là on est en train d'apprendre, hein? On travaille ensemble entre nous aussi parce qu'on a à doubler la problématique itinérance-santé mentale. Ça fait que, ça aussi, on a essayé de développer beaucoup ce volet-là de soutien aux personnes qui avaient une problématique santé mentale mais qui sont dans l'itinérance. Mais, on le sait, on a des gens qui sont en itinérance et puis qui... ils déménagent continuellement parce qu'ils se font mettre dehors. Ça fait que ces gens-là ne sont pas carrément dans la rue, mais ils sont continuellement en changement de logement. Nous, on est là, là, juste avant qu'ils soient tout le temps, tout le temps dans la rue, pour ces personnes-là. Et finalement il y a des gens qui ont un toit, mais, pour se nourrir, ils sont itinérants et là ils se promènent d'une ressource à une autre ressource. Alors, c'est sûr que, pour ce qui concerne tout le volet alimentaire, on travaille en concertation.

Pour ce qui concerne le partenariat, je sais que je devrais aller chercher ma carte de membre pour aller faire partie du RAPSIM, pour faire partie de tel autre réseau, pour faire partie de la FOHM. Mais, moi, là, je commence à 8 heures le matin, je finis à 9 heures tous les soirs, le plus de bonne heure 9 heures. Je ne sais même plus où aller chercher le temps parce qu'on est dans l'urgence continuelle, là, chez nous. On n'a pas de... Ça fait qu'on délègue beaucoup à notre table de quartier des mandats, puis on l'envoie dans des concertations pour que lui nous aide à se faire une analyse puis à travailler dans ce sens-là.

M. Roy (Michel): Bien, il y a un réseau très, très large, sur l'île de Montréal, de collaboration, etc. C'est toujours un enjeu de marier l'ensemble de ces collaborations-là à long terme. Si on prend en aide alimentaire, on sait présentement qu'il y en a moins de disponible, il y a une crise là-dessus. Ça fait que donc c'est moins présent, ça fait qu'il faut trouver des nouvelles façons de faire pour aller chercher des denrées alimentaires différemment, pour les cuisiner bien différemment. Mais le réseau est là, puis le réseau s'adapte. Mais c'est comme tous les réseaux, ça ne s'adapte pas rapidement, là, ce n'est pas aussi rapide qu'on pourrait le faire. Puis il y a les conjonctures économiques ou politiques qui font qu'on a aussi des impossibilités d'aller chercher des ressources nouvelles, etc., là. Mais on essaie toujours de collaborer les uns avec les autres autant que faire se peut.

Mme Bouffard (Jeannelle): Peut-être que je pourrais vous ajouter... On a déposé, l'an passé, une demande de projet. Bien, on connaît le projet IPLI. On a déposé une demande, l'an dernier, pour justement... On avait deux volets. Un volet travail sur les préjugés, à l'interne, avec les gens. Parce que quand même 150 personnes qui sont là à tous les jours, ça mérite de les animer, hein? Ça fait qu'on a travaillé un volet qui tournait sur l'animation: défaire les préjugés, permettre aux gens de cohabiter. Et l'autre volet, c'était tout le volet de réseautage, et ce volet-là, il n'a pas été financé. Donc, ça ne nous a pas permis... tu sais, on l'a... Ça nous préoccupe, c'est présent dans nos besoins, mais c'est comment on va le faire, avec qui et à quel partenaire on va en ajouter plus. On est là, là.

Mme Vallée: Merci.

Le Président (M. Kelley): Ça va? M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Dorion: Merci, M. le Président. Alors, merci de la présentation de votre mémoire. Une grosse partie des demandes sont axées au niveau du financement. Mais, si je tasse un peu le financement, quels sont les autres moyens, autres que le financement? Parce qu'on est très conscients... Sur un soutien adéquat. Parce que, dans votre mémoire, vous en faites mention, apporter un soutien adéquat à l'intervention. Alors, afin de mieux soutenir l'intervention, il y a certes un plus grand besoin de ressources financières. Mais, au-delà des aspects financiers, comment peut-on s'y prendre pour que l'intervention soit optimale? Est-ce que, dans les suggestions, est-ce que c'est d'avoir une meilleure formation? Est-ce que c'est de préparer davantage les travailleurs qui travaillent sur le terrain à une formation appropriée au type d'approche que les gens font? Est-ce que vous avez ciblé le type, au niveau d'une meilleure qualification, d'une meilleure formation, meilleurs outils? Ça peut être aussi des outils.

Mme Bouffard (Jeannelle): Bien, un peu comme j'en faisais part tout à l'heure, dans ma présentation, c'est comment on va outiller l'équipe de travail qui est là dans le quotidien pour intervenir de façon adéquate. Notre CLSC nous offre une ressource, une psychologue, qui nous aide. Quand l'équipe en ressent le besoin, elle vient faire une relecture de nos façons de faire. Mais ce n'est pas suffisant. On a besoin, nous autres aussi, d'évacuer des choses qu'on vit. On n'a pas de soutien pour ça. On a des urgences des fois, dans la salle, et on a demandé, on a essayé de le travailler, ce volet-là, entre autres, par...

On a été frapper à l'Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, on leur a demandé s'ils ne voulaient pas accepter de nous prêter une ressource qui serait là, dans le milieu, avec nous, puis qui nous aiderait à valider puis à confronter nos pratiques puis nos façons d'intervenir pour qu'on s'améliore. Bon. Eux autres n'ont pas pu le faire.

n(15 h 40)n

On l'a demandé à notre police de quartier. On leur a demandé: On peut-u avoir une plus grande... Pas pour faire de la répression. Mais, la police communautaire, c'est son rôle, c'est de faciliter les rapports entre citoyens dans un milieu. C'est déjà arrivé qu'il y avait un policier de quartier qui venait régulièrement faire un tour. Les gens l'aimaient tellement, ils allaient le voir à chaque fois qu'il rentrait, ils allaient lui poser des questions. Il avait réussi à créer un lien. Et là ça exerçait une certaine... ? comment je vous dirais? ? ça calmait ou ça pacifiait des gens. Parce que vous mettez dans une même salle des gens en santé mentale qui sont inquiets, qui sont tendus, qui ont peur, puis il y a d'autres gens qui viennent d'ailleurs, qu'on ne connaît pas, qui parlent tout seuls, qui... Il y a des bagarres qui se partent des fois dans notre salle aussi, puis on ne veut pas toujours faire venir la police. Alors, tu sais, comment on deale là-dedans, là, nous autres?

Ça fait qu'on avait demandé... on a fait des appels déjà, là. On a déjà lancé des cris au secours à des institutions. Je lisais d'autres documents. Je suis d'accord qu'on donne des gens dans les ressources déjà existantes, institutionnelles, dans les CLSC, dans d'autres lieux, mais sauf que le monde, nous, ce qui est ressorti beaucoup: les gens ne veulent pas aller là, ils ne veulent pas aller dans des lieux institutionnalisés parce qu'ils ont eu des mauvaises expériences dans leur vie. Alors, que le milieu institutionnalisé vienne dans la société, qu'il soit avec le monde, capable d'offrir une présence signifiante puis d'intervenir au bon moment, le monde peut travailler ensemble dans le quotidien avec ces gens-là.

M. Dorion: O.K. Si ma compréhension est bonne, l'ensemble de tous les repas ainsi que les collations que vous distribuez sont à même les propres dépenses... Il n'y a pas de donation ou de partenariat avec les... On sait que théoriquement, les banques alimentaires, il y a une diminution. Mais quels sont les moyens, exemple l'implication des subventions gouvernementales, pour aider votre organisme comparativement à... De quelle façon vous allez chercher finalement le financement pour être en mesure d'offrir vos services? Quel est l'apport... est-ce qu'il y a des subventions présentement du gouvernement? Et le parallèle, vous allez le chercher dans le privé, vous allez le chercher par des mécènes qui...

Mme Bouffard (Jeannelle): Oui. Le gouvernement, ce n'est pas notre principal bâilleur de fonds, O.K.? Si on veut regarder notre budget de fonctionnement, de roulement, ça ne représente pas le... On a le SOC, le soutien aux organismes communautaires, qui nous donne 55 000 $ par année. Et on a le discrétionnaire de notre députée, puis après ça, ce n'est rien de gouvernemental, là, c'est... On a Centraide, 80 000 $, puis, le reste, il faut aller le chercher, bon an, mal an, continuellement. Alors, quand on entendait tantôt, là, c'est un travail très exigeant d'assurer la stabilité financière puis c'est... Je vous dis, là, moi, je me vois, là, probablement qu'on va être obligés de mettre à pied quelqu'un. On est rendus là. Alors, ce n'est pas... Puis on ne fait pas de gaspillage des fonds publics, ça je peux vous en assurer. Ça fait qu'on marche avec ma carte de crédit des bouts, puis après ça on repaie, quand on a retrouvé de l'argent, puis on essaie d'équilibrer nos affaires, puis on part... là on essaie de trouver des... On a monté un comité de financement, là, pour nous aider à aller chercher au-delà de notre réseau habituel. On est dans un milieu où il y a beaucoup de... on n'est pas les seuls, hein? Alors, toutes les causes sont bonnes.

M. Dorion: Et, j'imagine, quand vous dites «membre», la personne qui vous accompagne est une personne qui fréquente et qui a utilisé les services de la ressource?

Le Président (M. Kelley): M. Gagné.

M. Gagné (Marc): Oui. Oui, je l'ai utilisée, oui.

M. Dorion: O.K. M. Gagné, est-ce que je peux me permettre de vous poser... Parce qu'il y a des éléments significatifs, hein? Lorsqu'on utilise une ressource, elle nous apporte un bien-être, et c'est pour ça que j'aimerais vous poser la question: En utilisant les ressources, entre autres, de l'établissement, qu'est-ce que ça vous a procuré, à vous?

Le Président (M. Kelley): M. Gagné.

M. Gagné (Marc): Bien, premièrement, ça a répondu à mes besoins de manger quotidiennement, hein, puis aussi de me réhabiliter socialement. C'est-à-dire que l'institution ne nous garde pas, ils nous mettent dehors. On peut toujours y retourner, là, on peut toujours avoir le lien avec le psychiatre, mais on ne peut plus compter sur eux autres pour se nourrir, se loger, etc. Il faut compter sur nos propres moyens. Puis ça, ça a peut-être affaire aussi avec ceux qui ne veulent pas y retourner parce qu'ils savent comment ils vont être reçus, hein? Ils ne veulent pas y retourner, mais ils veulent s'en sortir. Moi, je pense que c'est un lieu où on peut aussi, en socialisant, on peut s'impliquer, on peut travailler là bénévolement. Il y a des choses qu'on peut faire: écouter les autres, aider à écrire un mémoire...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gagné (Marc): ...des choses comme ça, venir vous rencontrer, puis, bien, regarder l'état des lieux puis essayer d'y mettre du nôtre, hein? Parce que les itinérants ont des ressources. Ils ont des ressources qui ont été gaspillées ou dont on ne se sert pas. Mais, si on s'y met, si on est capable de leur redonner une bonne image d'eux-mêmes, ils vont les trouver, les ressources. Mais je pense que ça prend une infrastructure ou un soutien professionnel en plus du support, là, comme l'autre organisme voulait avoir du support, mais ça prend aussi un soutien de professionnels. Parce que le support, c'est du matériel. Le matériel, c'est important, mais c'est les gens qui sont dans les places sur lesquels il faut compter. Je pense que mon cas...

M. Dorion: Alors, ce que je peux en déduire aussi, c'est que ça vous a apporté beaucoup de confiance en vous-même pour être devant nous, ici, aujourd'hui, être....

M. Gagné (Marc): Oui. Oui, ça aide à la confiance en soi, c'est sûr, c'est certain.

M. Dorion: L'estime et la confiance. C'est bien.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Maintenant, Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Bouffard, M. Gagné, M. Roy. C'est beau, ce que vous faites. Je pense qu'on sent, un peu partout au Québec mais dans la région de Montréal en particulier, les besoins alimentaires des familles, des personnes seules, des personnes en détresse augmentent énormément.

Vous dites dans votre mémoire que souvent vous accueillez des personnes qui ont tout perdu, hein, parce que, bon, ils s'étaient endettés auprès de Bell Canada, Hydro-Québec. C'est des choses qu'on entend quotidiennement dans nos comtés, puis je pense que c'est la même chose un peu pour tous mes collègues ici, hein? Il y a des personnes, là, dans nos bureaux de comté, qui règlent des cas comme ça tout le temps, chaque semaine.

On dit, on nous a dit aujourd'hui... Puis ça a été très touchant, tout ce qui s'est passé aujourd'hui. Il y a une misère, il y a une détresse, il y a un appel, il y a un cri du coeur. Et on sent qu'il y a un glissement. La pauvreté, il y a de plus en plus de pauvres. On sent qu'il va falloir qu'on mette un accent mais un accent énorme pour contrer la pauvreté, que ce soit au niveau du revenu d'aide sociale, du salaire minimum, que ce soit au niveau des logements sociaux, de l'aide en général.

Comment diriez-vous que votre clientèle a évolué dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve? Comment diriez-vous que ce phénomène-là... Est-ce qu'il a changé depuis que vous avez commencé il y a 17 ans, maintenant?

n(15 h 50)n

Mme Bouffard (Jeannelle): Au sein de notre organisme, bon, le quartier évolue, c'est sûr, il y a tout un grand mouvement de revitalisation pour le quartier. Mais les gens qui fréquentent nos services à nous, oui, on a vu une évolution très grande, en fait une dégradation, O.K.? Parce que c'est sûr qu'à partir du moment où tu touches la question de la sécurité alimentaire tu es confronté aux gens qui sont les plus pauvres. Alors, c'est à partir de ce moment-là qu'on s'est vus à accueillir les gens les plus démunis, les plus disqualifiés socialement. Et l'arrivée, là, d'itinérants dans notre réseau, c'est le phénomène qui vient nous dire que là c'est rendu très, très, très grave. Ça fait que c'est sûr qu'il y a les deux pôles, hein, il y a des gens plus à l'aise qui vont cohabiter avec des gens beaucoup moins à l'aise et puis des gens qui sont à la recherche, là, de leurs besoins primaires. Alors, oui, on a vu une espèce de clivage, oui, on a été témoins de ça.

C'est sûr que là, moi, où j'ai les pieds, j'ai les pieds dans la misère quotidienne, alors je ne peux pas vous parler de l'autre pôle. Puis en même temps c'est un beau quartier parce que j'y vis depuis 38 ans, alors je l'aime, là. Mais il reste qu'on voit la cohabitation puis on est après essayer d'apprendre à cohabiter différemment avec ces nouvelles réalités là. Et en fait, moi, quand je dis: Il faut faire de la prévention, il faut éviter que dans notre milieu on parte en guerre contre les itinérants, il faut travailler dans un sens de comment on va accueillir ces personnes-là, comment on va leur permettre de se reconnaître porteurs de fierté, de dignité, un peu comme Marc disait tantôt, ils ont des qualités, puis comment on va essayer de les découvrir avec eux autres et les associer à notre vie sociale. Mais c'est clair aussi... On s'est déjà rencontrés, Mme Lapointe, à votre bureau, avec le Front commun des personnes assistées sociales du Québec pour vous demander d'appuyer, entre autres, une prestation d'aide sociale qui va faire en sorte que les gens vont couvrir minimalement leurs besoins essentiels, et cette campagne-là, elle revient à tous les ans quand arrive la période d'automne. Les gens ne peuvent pas vivre avec le maigre revenu qu'ils reçoivent, c'est clair.

Mme Lapointe (Crémazie): Ça, c'est clair, 560 $ par mois, c'est impossible.

Mme Bouffard (Jeannelle): Ça fait que ça commence aussi par sortir les gens de la pauvreté.

Mme Lapointe (Crémazie): Oui. Je connais un petit peu... enfin, je suis native d'Hochelaga-Maisonneuve, j'ai été élevée là, j'ai enseigné mes premières années d'enseignement dans Hochelaga-Maisonneuve. Ma question plus précise, c'était... Il y en avait, de la pauvreté, à l'époque, hein, puis maman recevait, là, à la maison des personnes itinérantes. Elle appelait ça des quêteux à cette époque-là. Bon. Ce n'était pas péjoratif, hein, il faut bien comprendre, là. Bon. Mais est-ce que... Je comprends que le quartier est devenu... Comment on appelle ça? Hocha? Hocha?

Mme Bouffard (Jeannelle): Non, non, non!

Mme Lapointe (Crémazie): Homa? Homa? Bon.

Mme Bouffard (Jeannelle): Non, non! Hochelaga-Maisonneuve, s'il vous plaît!

Mme Lapointe (Crémazie): Alors, Homa. Mais est-ce que les actions de lutte à la pauvreté... C'est un peu ça, le fond de ma question, parce que, moi, je pense, là, qu'on a... Je l'ai dit, je me répète, pour combattre les préjugés dans la question qui nous occupe maintenant, il va falloir faire de la prévention, hein? Puis vous en parliez en disant: J'ai besoin des ressources qui sont mieux formées, j'ai besoin d'aide, là, parce qu'il faut qu'on soit capable de faire quelque chose avec ces gens-là. Mais il va falloir mener une lutte terrible à la pauvreté. Bon. C'est un petit peu ça, ma question: Est-ce que... Qu'est-ce que vous verriez, vous? Avez-vous un début de piste, là? On est tout oreilles.

Mme Bouffard (Jeannelle): Bien, d'abord, un revenu décent, hein? Bon. Dans notre quartier, on travaille ensemble, les groupes qui font de la défense de droits des personnes pour le logement, l'accès au logement. Donc, ça en est, ça aussi. Quand tu es capable de te loger à un prix abordable, bien tu es capable de couvrir d'autres besoins dans ta vie.

Bien, l'aide aux... On a beaucoup d'organismes qui travaillent au niveau des familles, mais, nous autres, on a un gros taux de décrochage scolaire aussi. Alors, comment on va soutenir les jeunes pour qu'ils maintiennent leur présence à l'école, pour ne pas qu'ils... Parce que, tu sais, je trouve que c'est une ouverture, le décrochage scolaire, à un décrochage social. Donc, il faut comme, dès le point de départ, travailler avec les jeunes pour éviter le décrochage scolaire.

Bon. L'accès à l'éducation. On a fait un magasin-partage à la rentrée scolaire, là. La gratuité des frais d'éducation, moi, je ne crois pas à ça, là, je ne crois pas à ça, ce n'est pas vrai. Bien, ça aussi, c'est des façons de disqualifier le monde, là. Donc, l'accès à l'éducation, c'est une façon pour les gens de pouvoir reprendre du moyen.

Puis soutenir les groupes qui travaillent avec les personnes en alphabétisation, en défense de droits, pour qu'ils puissent vraiment eux-mêmes nommer leurs solutions, prendre en charge leur défense, tu sais, ne pas toujours s'appuyer sur les autres mais faire confiance au potentiel des humains.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Gouin, il vous reste deux minutes.

M. Girard: Parfait. Merci. Ma question porte sur l'accès, là, au logement. Vous dites dans votre mémoire qu'il est de plus en plus difficile de trouver un lit pour une personne dans la rue. Quel est un peu l'état de situation dans Hochelaga-Maisonneuve, au niveau des maisons de chambres? Est-ce qu'il y a eu une diminution? On a eu une discussion, ce matin, avec la ville de Montréal. Cet après-midi, l'Accueil Bonneau y faisait référence. Est-ce qu'il y a une diminution du parc de maisons de chambres disponibles dans Hochelaga-Maisonneuve? Et est-ce que pour vous ça fait partie des pistes de solution pour permettre à ces itinérants-là d'avoir accès à un logement?

Et, deuxièmement, est-ce que vous pensez que, dans les pistes de solution, il serait opportun qu'il y ait davantage de logement social avec soutien communautaire? Parce qu'on peut offrir du logement social, mais, une personne qui quitte la rue, si elle n'a pas accès à du soutien communautaire, la réinsertion peut-être ne réussira pas dans tous les cas. Donc, est-ce que c'est une piste de solution qui vous apparaît importante dans le quartier que vous desservez?

Le Président (M. Kelley): M. Roy.

M. Roy (Michel): Bien, le problème avec les maisons de chambres, il y en a qui sont connues, sont répertoriées. Il y a une quantité aussi qui ne sont pas répertoriées nécessairement. Jeannelle en a parlé tantôt, il y a des maisons de chambres qui sont des clandestins, puis ça, c'est dur d'intervenir là-dessus. Le seul module qui peut intervenir là-dessus, c'est les pompiers. Les policiers peuvent difficilement intervenir là-dessus. C'est une question de salubrité selon les incendies, etc., ça fait que donc on peut les repérer, on peut éventuellement les faire fermer. Mais, si on les ferme, les gens se retrouvent où? Ça occasionne d'autres problèmes après coup.

On a fait, à travers le temps, beaucoup de logements sociaux dans le quartier. Depuis sept ans, il se bâtit trois... bien trois condos pour un logement social, donc on est dans une moyenne intéressante. Ce n'est pas assez parce qu'il y a une hausse sur le cadre bâti, dans le fond, sur le logement. Les prix augmentent, ça fait que donc les gens paient davantage, ça fait que donc ils sont plus loin d'avoir une sécurité sur le cadre bâti. Il faut en faire plus. Mais on travaille sur ces notions-là en atténuant la portion du chèque qui est apportée au cadre bâti, au logement. Ça fait que donc, si on peut le diminuer, cet apport-là, il y a des sommes de dégagées pour se nourrir, pour avoir du loisir, etc. Ça fait que donc pour nous le logement, l'habitation est encore une portion beaucoup trop importante dans l'investissement personnel.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et, je parle au nom des membres de la commission, si votre étude de votre étudiant de Laval sur les causes de l'itinérance est prête dans les prochaines semaines, si vous pouvez transmettre une copie à la secrétaire de la commission, moi, je m'engage de distribuer ça à mes collègues parce que, je pense, ça, c'est des choses qui sont très utiles pour notre réflexion. Alors, merci beaucoup pour votre témoignage aujourd'hui. Surtout, M. Gagné, merci beaucoup, vous avez amené une perspective qui est très importante pour les membres de la commission.

Je vais suspendre quelques instants et j'invite les représentants de Mission Bon Accueil, La Maison du Père et la Mission Old Brewery de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 15 h 58)

 

(Reprise à 16 h 4)

Le Président (M. Kelley): Alors, M. Pearce, Mme Grégoire, M. Morgan. On vient de perdre M. Pearce.

Des voix: ...

Le Président (M. Kelley): Pas grave. C'est juste, il y a un autre après vous, et on veut terminer pour 18 heures. Je pense que c'est le souhait avant nos travaux de ce soir.

Alors, bienvenue aux représentants des trois refuges qui ont fait la demande expresse de faire une présentation conjointe cet après-midi. Alors, nous avons Cyril Morgan, qui est le directeur général de la Mission Bon Accueil; Mme Geneviève Grégoire, la directrice générale des Oeuvres de La Maison du Père; et M. Matthew Pearce, directeur général de Mission Old Brewery. Alors, je ne sais pas lequel parmi vous trois... C'est Mme Grégoire qui va lancer le bal. Alors, Mme Grégoire, la parole est à vous.

Mission Bon Accueil, Les Oeuvres de
La Maison du Père et Mission Old Brewery

Mme Grégoire (Geneviève): Bien, tout d'abord, Mmes, MM. les députés, merci de nous accueillir aujourd'hui. Alors, mon nom, Geneviève Grégoire, directrice générale des Oeuvres de La Maison du Père, une institution qui accueille et héberge et accompagne, bientôt depuis 40 ans, les hommes itinérants à Montréal. Et, avant de vous exposer mon mémoire, j'aimerais vous présenter évidemment les deux personnes qui m'accompagnent et qui représentent aussi des organismes qui oeuvrent également depuis des années auprès des sans-abri: M. Cyril Morgan et M. Matthew Pearce.

Alors, comme nous travaillons en partenariat déjà depuis quelque temps, nous avons décidé d'unir nos voix aujourd'hui afin d'éviter les redondances dans les discours qui vous seront exposés et de pouvoir vraiment mettre en relief l'urgence de nos besoins.

La Maison du Père héberge chaque jour 300 hommes de la rue. Pour la seule année 2007, La Maison du Père a offert 108 000 couchers, plus de 380 000 repas et collations et environ 58 000 vêtements. Les statistiques seront sensiblement les mêmes en 2008 puisque notre espace a atteint ses limites et que, bien malgré nous, il nous est impossible en ce moment d'augmenter notre offre de services, bien que nous soyons à même d'observer l'ampleur que prend le phénomène de l'itinérance.

Chaque mois, à La Maison du Père, on va recevoir environ une centaine de nouveaux visages à La Maison du Père. Alors, ça vous démontre un petit peu l'importance du sujet. Nous constatons aussi que les jeunes sans-abri sont de plus en plus jeunes, et les aînés de la rue, de plus en plus nombreux. L'état de santé mentale et physique des hommes que nous aidons est également éminemment inquiétant.

Toutefois, nous limiterons nos propos à ce sujet pour nous concentrer plutôt sur la situation que nous vivons quotidiennement dans nos refuges et sur certaines pistes de solution qui pourraient être envisagées pour assurer le respect des droits de l'homme itinérant.

Vous conviendrez que chaque citoyen a le droit à un lieu où il peut vivre en sécurité, dans la paix et dans la dignité. Or, en raison des diverses problématiques, ce droit leur est souvent aliéné. C'est pourquoi les hommes de la rue doivent pouvoir compter sur des services comme le refuge ou La Maison du Père ou des autres centres d'hébergement pour pallier leurs besoins en cas d'urgence.

La clientèle de ces refuges est très diversifiée. Chacun de ces hommes a une histoire. Pour certains, l'itinérance résulte d'un problème ponctuel: séparation, perte d'emploi, épuisement professionnel, et autres. Le refuge accueille ces hommes qui, pour la première fois de leur vie, se retrouvent à la rue sans ressource. La Maison du Père les accueille et leur propose les services d'un intervenant pour les accompagner dans leur démarche afin qu'ils puissent remédier rapidement à leur situation d'itinérance, puisque le facteur temps s'avère fort important pour réduire les risques d'itinérance chronique.

Le refuge accueille également un grand nombre de personnes qui sortent des institutions. Ces hommes proviennent du milieu carcéral, des hôpitaux, des centres jeunesse, de milieux psychiatriques, des centres de désintoxication. Toutefois, rien n'est prévu pour ces hommes à leur sortie alors qu'ils sont sans réseau social ou familial aidant. La Maison du Père devient donc l'intermédiaire entre ces institutions et la société.

Ces hommes qui se trouvent dans une telle situation n'ont pas encore choisi la rue comme mode de vie. On se doit donc d'être vigilants, à leur écoute et de les aider à se rebâtir dès le premier jour. Nous sommes toutefois conscients que certains ont choisi la rue comme mode de vie. Ils ne s'habitueront jamais à avoir quatre murs autour d'eux. Ils ont quand même besoin de support et droit à une certaine sécurité. Quand ils passent la nuit à La Maison du Père, ces hommes ne consommeront pas, ne pourront être victimes de violence et seront à l'abri des dangers reliés aux conditions climatiques. N'est-ce pas là un service essentiel auquel ils ont droit?

Mais les besoins de l'homme itinérant en matière d'habitation vont bien au-delà du simple dépannage, c'est pourquoi La Maison du Père a dû développer, au cours des années, des outils, des programmes, des services et des modes d'hébergement adaptés à ces hommes afin de les supporter dans leur démarche de réinsertion ou les encadrer convenablement afin d'éviter une détérioration de leur santé physique ou psychologique. Elle a ainsi permis à plusieurs d'entre eux de sortir de la rue et même d'éviter que certains ne s'y retrouvent.

L'accompagnement social et le maintien à domicile de La Maison du Père. Notre service d'accompagnement social et le maintien à domicile veillent sur le bien-être d'une cinquantaine d'hommes, administrés de façon volontaire, qui ont besoin d'un suivi régulier et d'un bon encadrement en raison de leur dépendance ou de leur santé mentale, donc qui représentent un risque élevé d'itinérance.

Certains d'entre eux occupent les studios supervisés de La Maison du Père. D'autres vivent à l'extérieur, mais peuvent compter sur le soutien d'un intervenant pour maintenir leur logement dans des conditions favorables.

Plus de 450 démarches sont effectuées annuellement par cette équipe: gestion du budget mensuel, gestion de la médication, accompagnement chez les professionnels de la santé, les ressources communautaires, à l'épicerie, ou même l'entretien de leur propre logement.

n(16 h 10)n

Par ces services, La Maison du Père apporte une protection à des individus vulnérables, des gens qui pourraient être victimes d'abus ou qui n'ont pas les ressources nécessaires pour veiller à leur bien-être. De plus graves problèmes de santé physique ou mentale peuvent aussi être évités. En termes de prévention de l'itinérance, voilà un terrain où La Maison du Père pourrait apporter une très grande contribution.

Nous avons également le service de la Résidence J.A. DeSève. La Maison du Père veille également au droit d'hébergement d'un groupe fort vulnérable et de plus en plus important en nombre: les aînés de la rue. Nous sommes le seul organisme à offrir un tel service. La Résidence J.A. DeSève de La Maison du Père accueille 76 hommes de 50 ans et plus sans domicile fixe et présentant un problème de dépendance et/ou de santé mentale. Ces hommes, dont la santé est grandement fragilisée en raison de leur mode de vie, pourraient difficilement survivre sans les soins et les suivis médicaux prodigués par l'équipe de la résidence. Souvent sans famille, ils sont refusés par les autres centres d'hébergement en raison de leurs problèmes d'alcoolisme, de drogue, de jeu et/ou de santé mentale. La Résidence J.A. DeSève assure donc à ces aînés un milieu de vie équilibré en leur offrant des repas sains, des soins d'hygiène, l'administration de leurs médicaments afin d'éviter une consommation inappropriée, de l'accompagnement pour leurs rendez-vous médicaux, ainsi qu'un milieu de vie respectueux.

Toutefois, nous ne pouvons suffire à la demande d'accueil faute de place et de ressources financières pour en créer. Or, nous observons qu'au cours des prochaines années de plus en plus d'hommes de cet âge auront besoin d'une résidence comme la nôtre, adaptée à leurs particularités. Le soutien aux aînés de la rue est donc un autre champ d'expertise que La Maison du Père a su développer au cours des 20 dernières années et qui pourrait être mis à contribution.

Toutefois, même si La Maison du Père peut et veut offrir à l'homme en situation d'itinérance ou à risque élevé de s'y retourner un lieu où il peut vivre en sécurité, dans la paix et dans la dignité, on doit lui en donner les moyens.

Nos principaux défis. La Maison du Père doit reconnaître ses limites au plan financier pour bien mener sa maison. Près des deux tiers de nos revenus proviennent des dons du public. Or, comme pour la majorité des organismes, la collecte de ces fonds s'avère de plus en plus difficile à chaque année. Les causes sociales à elles seules ne cessent de se multiplier, et celle de La Maison du Père ne figure pas toujours parmi les favorites chez les donateurs potentiels en raison des nombreux préjugés qui entourent les problématiques de l'itinérance. Ses administrateurs doivent consacrer énormément d'énergie afin de faire reconnaître l'importance de son apport social et par conséquent d'obtenir le soutien financier et les outils appropriés pour réduire les conséquences que les conditions reliées à l'itinérance ont sur la santé et le bien-être de ces personnes vulnérables.

Au plan gouvernemental, les sources de financement sont encore trop faibles et souvent non récurrentes. Nombre de subventions sont présentées sous forme de projets dont la lourdeur administrative est décourageante et dont la reconduite, d'une année à l'autre, demeure incertaine. Nous comprenons la nécessité de projets, en particulier lorsqu'il s'agit des infrastructures que l'on peut bien délimiter dans le temps, mais ce concept ne peut s'appliquer au réel du quotidien de nos refuges, à l'urgence qui frappe chaque jour à notre porte.

Cette précarité financière a également un effet indéniable sur la gestion humaine de la maison. Elle entraîne, entre autres, de nombreux problèmes de rétention de personnel. La Maison du Père est souvent la porte d'entrée des jeunes travailleurs diplômés avec peu d'expérience de travail. Faute de pouvoir leur verser un salaire répondant à leur formation et à leur charge de travail, ces jeunes sont rapidement tentés de trouver de meilleures conditions ailleurs dans le réseau. Les conséquences de ces portes tournantes ont un effet néfaste sur les itinérants, qui auraient besoin d'un minimum de stabilité dans leur cheminement... que sur l'ensemble des équipes de travail.

De plus, faute de soutien financier adéquat, il nous est difficile de leur proposer des plans de formation adaptés à l'évolution de la tâche à accomplir et à la complexité des problématiques auxquelles ils sont confrontés. Nous avons donc grandement besoin de nos intervenants sur le terrain. Il nous est donc difficile de les libérer pour des besoins de formation sans affecter le bon roulement des opérations.

Autre constat, La Maison du Père doit de plus en plus accueillir des hommes dont l'état de santé, d'incapacité physique ou de désorganisation dépasse de très loin sa mission et sa capacité. Les hôpitaux, les centres psychiatriques, les centres de détention et même Immigration Canada nous réfèrent fréquemment des gens sans tenir compte de notre mandat, de notre capacité d'accueil et de notre manque de soutien professionnel sur le plan médical et psychiatrique.

Afin d'assurer la sécurité des hommes que nous hébergeons ainsi que celle des bénévoles et des employés qui les accompagnent, nous ne pouvons accueillir les hommes dont la condition physique ou psychologique est très précaire ou qui pourrait représenter un danger pour nos hommes les plus vulnérables. Nous n'avons ni les ressources financières ni les ressources professionnelles adéquates pour assumer une telle responsabilité.

Elle doit donc pouvoir compter sur l'appui et bénéficier d'un accès privilégié auprès de toutes les instances institutionnelles, quelles soient médicales, psychosociales, psychiatriques, juridiques ou autres. Or, à cet égard, il y a encore de grands pas à faire si l'on veut redonner à ces hommes les droits auxquels tout citoyen peut prétendre.

En conclusion. Il nous apparaît essentiel de répéter: La Maison du Père veut et peut aider les hommes en situation d'itinérance, mais on doit toutefois lui en donner les moyens.

Nous souhaitons donc: Que la commission, par cet exercice, comprenne plus clairement l'importance de solidifier les partenariats entre nos refuges et les divers intervenants de la communauté avec lesquels nous sommes en interaction, que ce soit le milieu hospitalier, psychiatrique, judiciaire, social ou autre;

Qu'il en résulte une meilleure concertation entre nous et qu'un accès plus rapide aux services experts soit développé;

Qu'elle soit sensible au fait que les résidences adaptées pour les aînés de la rue seront de plus en plus nécessaires, et qu'à cet égard La Maison du Père, par son expertise, peut être un partenaire important si on lui accorde l'appui financier nécessaire à leur développement;

Que des budgets récurrents soient à la disposition de La Maison du Père afin qu'elle puisse poursuivre son travail essentiel auprès des itinérants. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci, Mme Grégoire. Maintenant, c'est M. Morgan.

M. Morgan (Cyril): Merci. Tout d'abord, de ma part, merci pour l'opportunité que vous nous donnez de pouvoir parler de l'itinérance, un sujet que nous avons à coeur puisque c'est une cause qui est à l'essence même de l'existence de Mission Bon Accueil depuis plus d'un siècle.

La coalition des trois grands refuges, qui se tient ici devant vous, cumule à elle seule près de 300 ans d'expérience en itinérance. Deux des organismes qui composent cette coalition font partie des organismes de charité qui, déjà du XIXe siècle, viennent en aide aux plus démunis de la ville de Montréal, dont notamment les personnes sans-abri et alcooliques.

Avec le temps, nos prédécesseurs ont vu s'ajuster à nos bénéficiaires des hommes souffrant de problèmes de santé mentale et d'autres formes de dépendance aux drogues dures et au jeu, des jeunes hommes et des jeunes filles sortant directement des centres jeunesse, des femmes, avec ou sans enfant, qui, parce qu'elles ont connu, à un moment ou un autre, une difficulté quelconque n'ont nulle part où aller et même des aînés. Nous constatons aujourd'hui, en dressant un bilan, que l'itinérance est malheureusement devenue un problème de société touchant la population de tous les âges et de tous les sexes, et personne n'est à l'abri.

L'année dernière, ce sont plus de 47 600 nuitées, 91 000 repas, 17 000 vêtements qui sont offerts par Mission Bon Accueil à la population itinérante. Ce ne sont pas forcés... à des chiffres qui nous font sourire, bien au contraire. Ces nombres qui ne cessent d'augmenter au fil des mois, nous aimerions les voir chuter considérablement et même disparaître. En tant que directeur général de Mission Bon Accueil, j'irais même plus loin en vous disant que mon rêve, ce serait de voir Mission Bon Accueil ne plus exister ici, à Montréal.

Permettez-moi de vous présenter en quelques minutes les solutions concrètes que nous proposons pour une prise en charge concrète de l'itinérance. Tout d'abord, nous demandons que soit créée une politique en itinérance avec les priorités suivantes.

Premièrement, nous proposons d'adresser la situation d'urgence des itinérants. J'entends par là offrir un lieu sécurisant, à l'abri du froid, des intempéries; assurer la sécurité alimentaire; les personnes sans-abri, à veiller à ce qu'ils conservent une certaine hygiène corporelle et leur dignité, car, en réalité, rares sont ceux qui veulent vivre dans ces situations.

n(16 h 20)n

En effet, que nous le voulions ou non, la plupart des personnes qui se retrouvent un jour à la rue ou sans domicile fixe font face à une situation d'urgence grave, et c'est ce qui explique la raison d'être des trois grands refuges de Montréal. Or, en tant que trois seuls grands refuges de la ville et même de toute la région métropolitaine, nous constatons que nous sommes encore nettement sous-financés par rapport à nos besoins réels. Un minimum de 27 $ par lit par soir serait requis afin de garantir la qualité de services sans toutefois surtaxer nos ressources financières et humaines.

Deuxièmement, nous proposons comme solution d'offrir des chemins de... sortir. La réadaptation, l'aide psychologique, l'insertion socioprofessionnelle et la réintégration des personnes dans les logements sociaux, avec ou sans soutien communautaire, sont les outils indispensables pour adresser la cause même de l'itinérance. Ce ne sont pas... les itinérants qui peuvent vivre un jour de façon autonome. Certains auront besoin d'un suivi permanent toute leur vie. D'autres parviennent, grâce à ce type d'intervention, à une forme d'autonomie. Donc, le gouvernement doit financer la construction de logements sociaux et de logements supervisés additionnels. Le gouvernement doit aussi soutenir la formation d'intervenants.

La troisième priorité est de mettre en place un processus de prévention: d'une part, en identifiant et en encourageant les organismes communautaires qui sont en contact avec les personnes à risque et qui offrent des activités qui ont pour objectif de resserrer le tissu social autour d'elles. Par «personnes à risque», je veux dire les jeunes décrocheurs, les aînés sans famille, les personnes avec des difficultés financières, des personnes désinstitutionnalisées, des familles monoparentales et des personnes qui ont des dépendances; d'autre part, en préparant, comme il le faut et bien avant l'âge de 18 ans, 16 ans tout au plus, les jeunes des centres jeunesse à la vie active et en soutenant financièrement des initiatives prises pour cela dans la communauté.

La quatrième priorité est de veiller aux droits de la personne itinérante en reconnaissant d'abord qu'elle est un citoyen, une citoyenne qui peut, comme tout autre individu, occuper l'espace public, en mettant fin à la judicalisation systématique de l'itinérant à travers une collaboration sur toute question de libertés civiles entre le ministère de la Justice, la ville de Montréal et le RAPSIM pour la région de Montréal.

Au-delà d'une politique de l'itinérance, nous demandons la mise en place d'une véritable structure organisationnelle qui puisse veiller à son application ou à l'élaboration de programmes spécifiques à l'itinérance. Le Programme de soutien aux organismes communautaires est trop limitatif, les organismes ne peuvent être inscrits que dans une seule catégorie à la fois. Quoi faire de quelqu'un qui offre plusieurs services à des populations qui sont dans des catégories différentes? C'est le problème que nous avons à la Mission Bon Accueil. Nous aidons à la fois des hommes et les jeunes, et nous ne recevons aucune aide financière gouvernementale pour les services offerts aux jeunes de la rue. Le ministère de la Santé et des Services sociaux devrait créer un programme de service itinérance avec son propre plan quinquennal et son propre financement qui pourra offrir des services cohérents et continus à la population à travers chacun des ministères concernés.

Lors de sa déclaration durant la conférence de presse du 18 septembre 2008, le ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Yves Bolduc, a évoqué la mise en place d'un plan d'action interministériel. Pourquoi ne pas l'envisager dans le cadre d'un programme spécifique à l'itinérance? Ou encore, si la création d'un programme service itinérance par le ministère de la Santé et des Services sociaux n'est pas possible, pourquoi le gouvernement ne se doterait pas d'une structure organisationnelle autonome, un secrétariat à l'itinérance, ou quelque chose d'un même genre, qui aurait pour responsabilité non seulement la coordination du plan d'action interministériel, mais aussi le mandat d'interpeller tous les acteurs concernés par la question d'itinérance?

Je laisse à la commission le soin de réfléchir à ces possibilités que je crois tout à fait possibles si la volonté est là afin d'assurer la visibilité d'une prise en charge réelle et concrète de l'itinérance. J'aimerais vous dire que je garde l'espoir de voir cela se produire un jour. Merci de votre attention.

Le Président (M. Kelley): Merci, M. Morgan. Et, finalement, M. Pearce.

M. Pearce (Matthew):«Judicalisation», ce n'est pas facile, hein?

M. Copeman: No. I'm not even going to try.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Pearce (Matthew): No. I did, I was practicing it on...

M. Copeman: I did mine this morning.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Pearce (Matthew): La Mission Old Brewery a été fondée en 1889, avant que je suis né.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Pearce (Matthew): C'est un organisme qui travaille à soulager l'itinérance et de résoudre l'itinérance. Depuis ce temps-là, c'est le refuge le plus vieux au Québec, c'est le refuge le plus grand pour hommes au Québec, et, qu'est-ce qui est peu connu, c'est le refuge pour femmes le plus grand au Canada.

Nous avons trois volets de programme. Je ne vais pas aller trop dans les détails pour raison de temps, mais j'ai voulu au moins signaler les trois volets de programme qui sont en place à la Mission Old Brewery.

Premièrement, bien sûr, les services d'urgence pour les personnes les plus exclues, qui n'ont pas d'abri. On a le service de transition pour les aider de stabiliser leur réalité et de sortir de l'itinérance; d'organiser leur départ de l'itinérance; et ensuite on a les résidences permanentes, les résidences sociales, le logement social pour les clients qui ont terminé leur processus de transition.

C'est sûr qu'à l'avenir on croit que la Mission Old Brewery, on va voir une croissance importante dans les logements sociaux et une diminution du nombre de lits d'urgence. Alors, c'est un peu contre-intuitif, qu'on peut imaginer, pendant qu'on a une croissance de personnes qui demandent nos services d'urgence, d'imaginer de diminuer les lits d'urgence. Sauf qu'on imagine de traiter nos refuges d'urgence un peu comme les salles d'urgence d'un hôpital où on fait un diagnostic, on traite la personne rapidement et on les achemine assez rapidement vers les services qui vont les aider de sortir de l'itinérance.

Alors, une raison qu'on s'est mis ensemble à trois, entre autres, c'est pour ne pas duplifier les commentaires. Alors, je passerai, moi, directement à quelques petites recommandations que j'ai pour la commission.

Premièrement, pour souligner que j'appuie dans son entier le contenu des documents de Mme Grégoire et M. Morgan, et on peut considérer leurs commentaires les nôtres, dans ce sens.

En ce qui concerne des recommandations en particulier, j'en ai trois à vous proposer. Un, c'est que la Mission Old Brewery appuie entièrement le cadre de référence sur l'itinérance annoncé par le Dr Bolduc, ministre de la Santé et Services sociaux, le 18 septembre dernier, à la Mission Bon Accueil. Nous croyons qu'une attention concertée, un engagement pour l'action sont plus que dus. Le gouvernement du Québec peut compter sur la Mission Old Brewery pour être un collaborateur dédié et énergétique pour le dossier du cadre de référence qui mènera au développement d'une politique nationale sur l'itinérance.

Deuxième point, la Mission Old Brewery recommande la mise en place d'une équipe d'action ? voilà un nom, on peut choisir un autre nom, mais c'est le nom qu'on a choisi, une équipe d'action ? sur l'itinérance pour guider les efforts du cadre de référence et établir des objectifs à court, moyen et long terme pour adresser les besoins critiques d'urgence et pour réduire l'itinérance chez les hommes et les femmes du Québec.

n(16 h 30)n

Cette équipe d'action devrait refléter ce que son nom veut dire. Il y aura des actions concertées prises rapidement. Ceci ne sera pas un groupe de travail bureaucratique, ceci sera un groupe de travail capable d'agir rapidement et efficacement, constitué d'un petit groupe de personnes ? environ 10, je suggère ? représentant le côté politique, le gouvernement et les organismes qui travaillent près des itinérants. Cette équipe d'action fera rapport régulièrement à l'Assemblée nationale sur les réussites aux quatre mois. Cette équipe est prête à débuter tout de suite, car il y a une évidence sans contredit des besoins qui doivent être comblés maintenant. Les actions doivent être prises sans l'arrivée d'une politique sur l'itinérance. Les processus requis pour formaliser une politique et sa confirmation peuvent prendre encore plus de mois, voire même des années pour en arriver à une conclusion hors des délais promis. Le cadre de référence et la politique à venir ne peuvent être une excuse pour l'inaction d'aujourd'hui.

La troisième recommandation, ça va vous étonner, ça parle du financement. La Mission Old Brewery recommande de façon urgente une décision de la part du gouvernement pour augmenter les fonds immédiatement pour les abris majeurs offrant des services d'urgence. Certains pourront penser qu'il s'agit là d'une autre plainte des organismes sans but lucratif envers un manque de support du gouvernement et qu'une fois les fonds accordés les demandes vont recommencer de nouveau. Bien que le budget annuel de la mission soit de 6 millions de dollars, nous ne cherchons pas à devenir un organisme de 10 millions de dollars. Nous demandons au gouvernement d'accepter la responsabilité de certains de ses citoyens qui, sans la Mission Old Brewery, la Mission Bon Accueil, La Maison du Père, et autres, dormiront dans la rue cette nuit. Imaginez les rues de Montréal sans les services de ces organismes. Ce ne sont pas des options de services urbains optionnels, ce sont plutôt des services essentiels d'une communauté humaine.

Si le Québec croit dans les valeurs d'une société qui prend soin des personnes les plus démunies, il incombe donc au gouvernement de mettre en oeuvre ces valeurs et d'assurer un suivi concerté et immédiat. S'il est inacceptable d'avoir des citoyens dormant dans les rues, on ne peut pas donc accepter cette situation. Si cette situation ne peut être acceptée, il faut donc prendre action et ne pas attendre les résultats du cadre de référence et l'élaboration d'une politique sur l'itinérance.

Ce soir, en retournant chez moi, avec ma famille, comme plusieurs d'entre vous le feront, il y aura des centaines et des centaines de nos concitoyens à soulager leurs misères dans les trois principaux refuges et plein d'autres lieux. Il y a, sans l'ombre d'un doute, un manque embarrassant des fonds attribués par le gouvernement entre ce qui est nécessaire et ce qui est disponible. Ce déficit est apparent particulièrement pour ces deux aspects. La Mission Old Brewery reçoit actuellement autour de 20 % de ses fonds du gouvernement pendant que 75 % de son budget provient des donateurs non gouvernementaux. Pendant que nous recevons du gouvernement du Québec 12 $ par nuit, par soir, les abris de Toronto reçoivent, eux, plus de 60 $ de leur gouvernement. Nous avons demandé seulement un budget de 27 $ par lit par nuit, qu'il nous apparaît difficile de croire irréaliste en termes comparatifs. Soyez assurés que, lorsque ces fonds seront disponibles, nous ne chercherons pas plus de budget supplémentaire que les coûts usuels d'augmentation de la vie. Nous voulons être un partenaire du gouvernement du Québec et travailler ensemble à solutionner l'itinérance.

Dernier point: le 75 % de notre budget qui vient des sources non gouvernementales révèle l'importance que nos concitoyens ont de venir en aide aux plus démunis. Néanmoins, nous assurons des services de santé essentiels. Par exemple, je ne crois pas que l'on veut que nos hôpitaux soient obligés de faire une collecte de fonds pour 75 % de leurs budgets afin de maintenir des salles d'urgence ou le fonctionnement des chirurgies. L'énorme travail du personnel dédié et la réponse de la générosité des Montréalais nous permettent de lever certains fonds, mais le déficit auquel nous faisons face annuellement ne nous permet pas d'offrir des programmes de transition pour tous ceux qui, sans ces services, ne pourraient pas sortir de l'itinérance et cesser d'être un poids pour la société. L'augmentation des fonds accordés par le gouvernement pour les services d'urgence nous permettra de déployer les autres fonds reçus pour améliorer notre capacité de réduire l'itinérance.

Nos programmes ont démontré que nous pouvons faire plus que soulager l'itinérance, mais également la solutionner. Nous demandons seulement au gouvernement du Québec de jouer son rôle et de s'associer à nos efforts et de le faire maintenant.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il y avait un léger dépassement dans le temps, alors je vais demander à chacune des formations si on peut utiliser des blocs de 12 minutes. Alors, je sais, c'est serré, mais on a un autre groupe avant le souper, alors je dois réserver le temps également pour le dernier groupe. Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole au député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci, M. le Président. Mme Grégoire, Mr. Morgan, Mr. Pearce, bienvenue à cette commission parlementaire importante parce que c'est un mandat que les parlementaires se sont donné pour examiner toute la question de l'itinérance, importante parce que je souhaite, je pense qu'on souhaite tous que, les travaux de cette commission, nous pourrions alimenter la réflexion gouvernementale, que ce soit en application du cadre de référence en itinérance récemment annoncé par le ministre Bolduc ou que ce soit un plan d'action interministériel en itinérance.

J'ai eu l'occasion de visiter la Mission Bon Accueil il y a 10 jours; j'ai déjà rendu visite au Mission Old Brewery; il nous reste à faire La Maison du Père, et je comprends que les membres de la commission vont se déplacer jeudi matin. Alors, on aura fait le tour, certains parmi nous, chanceux, des trois grands refuges, pour mieux connaître vos services qui sont essentiels à la grande région métropolitaine.

Vous avez passé à travers plusieurs sujets. J'aurais peut-être quelques questions sur d'autres aspects, mais je veux vous entretenir sur le financement en premier lieu parce que c'est un sujet qui est unanime chez vous, vous avez tous parlé de cela, on n'est pas surpris. Et c'est une discussion difficile parce qu'on commence à parler, si on parle du ministère de la Santé et des Services sociaux, des multiples milliards de dollars, n'est-ce pas? On est rendus à 25 milliards de dollars. Moi, je n'ai jamais vu 25 milliards, je n'ai jamais vu 1 milliard, je n'ai jamais vu 1 million, jamais vu 100 000 $. C'est des sommes faramineuses et c'est difficile de ramener ces discussions à une échelle où on peut, je pense, tous comprendre la situation.

M. Pearce a utilisé la phrase: nécessaire versus disponible. Je trouve que c'est très intéressant, cette phrase-là, parce que, depuis cinq ans, quand on regarde le financement des trois grands refuges, vos budgets émanant du gouvernement du Québec, selon les chiffres qu'on a, ont augmenté de 370 %, passant de tout près de 585 000 $ à 2,1 millions de dollars, cette année. Je ne veux pas laisser entendre que c'est suffisant. Le ministère de la Santé et des Services sociaux... Le ministre comprend qu'il faut consolider davantage le financement des services des trois grands refuges. Mais il n'y a pas beaucoup d'organismes qui sont financés par le ministère de la Santé et des Services sociaux qui ont vu leurs budgets augmenter de 370 % en cinq ans. Nous avons fait un effort important. Je répète que je crois que le ministère accepte qu'il y a encore des gestes à poser pour rendre... pour consolider le financement de vos services, mais nous avons fait des efforts, incluant cette année évidemment, le fait qu'on a rendu récurrent le million de dollars supplémentaire qui a été octroyé, l'année passée, aux trois grands refuges.

Les dépenses du ministère de la Santé et des Services sociaux, cette année, vont augmenter de 1,4 milliard de dollars. Sur cela, ça permet au ministère de développer moins de 200 millions de dollars de nouveaux services. C'est tellement contre-intuitif que c'est quasiment impossible d'expliquer comment se fait-il que le budget du ministère augmente de 1,4 milliard de dollars, et ça nous donne une marge de manoeuvre au ministère de moins de 200 millions de dollars pour développer de nouveaux services. Parce qu'il y a des coûts de système, parce qu'il y a des ententes avec les médecins spécialistes et omnipraticiens qui ont besoin d'être financés. Alors, la notion de ce qui est nécessaire et qu'est-ce qui est disponible prend toute son ampleur, son sens quand on fait face à des situations comme ça. Moi, je l'espère très sincèrement, que le gouvernement du Québec fera des gestes à l'avenir pour consolider le financement des trois refuges, mais je pense qu'il faut, et je tenais à le faire, reconnaître les efforts qui ont été faits à date en ce sens.

n(16 h 40)n

Deux questions plus pointues. Nous comprenons qu'il y a des gens qui sont sans abri, en situation d'itinérance, pour lesquels vos services, vos refuges ne sont pas adéquats, soit par des problèmes de comportement, de violence, soit par des comportements de toxicomanie ou d'alcoolisme, ou soit par leur style de vie... ne permet pas facilement d'intégrer dans vos services. Pouvez-vous nous décrire... J'imagine que ça arrive, chez vous, d'être obligés de refuser des personnes sans abri. Est-ce que ça arrive par faute de lits? C'était une question. Est-ce que ça arrive par les circonstances de la personne? Si oui, qu'est-ce qu'on peut faire comme société, comme gouvernement pour pallier à ce manque de service ou bris de service qui peut exister dans certains cas?

M. Morgan (Cyril): Premièrement, M. Copeman, merci beaucoup pour le petit soleil sur le côté financement, et peut-être que je vais l'adresser très vite. Si on regarde Mission Bon Accueil, en 2002-2003 de... cette année, on recevait du gouvernement du Québec 8 000 $, avec un budget de 3,5 millions. Dans deux ans après ça, ça a augmenté à 20 000 $. Cette année... ou l'an passé, avec l'octroi qu'on a reçu du gouvernement, on reçoit un total de 450 000 $. Je comprends que ça regarde comme un montant exorbitant, très, très gros. Mais, quand on part de rien à quelque chose, on est très reconnaissant que le gouvernement a commencé à faire un peu, que fort probable que c'est des années et des années où le gouvernement n'a pas fait leur part surtout pour les hommes itinérants ici, au Québec. C'est sûr qu'il n'y a pas d'enveloppe, même aujourd'hui qu'on parle, il n'y a pas d'enveloppe pour les hommes itinérants au Québec. Ça fait qu'ils sont où, les hommes itinérants au Québec? S'il n'y a pas d'enveloppe pour les hommes itinérants au Québec, ça veut dire que le gouvernement n'a pas d'argent pour les hommes itinérants au Québec ou il n'avait pas d'argent dans le passé. Ça fait que les trois refuges sont très reconnaissants que le gouvernement a commencé à faire un pas pour le futur, pour aider la situation d'itinérance ici, à Montréal, mais, quand on commence, il faut qu'on continue pour offrir au moins des services d'urgence.

On ne parle pas de payer pour tous les services qui sont offerts pour une femme ou un homme qui est itinérant, qui part de la rue à la réussite. Il a un appartement, il remet à la société sa juste part. Ça, on le fait, on le fait à tous les jours. Mais qu'est-ce qu'on demande au gouvernement? C'est d'être là avec nous autres, première ligne, offrir un repas chaud, un gîte, une place où est-ce qu'il peut prendre un rasoir, une brosse à dents, des choses qu'on prend pour acquises dans notre vie quotidienne. C'est la raison pour laquelle on parle à tous les jours du problème d'argent. Et ce n'est pas parce qu'on veut toujours parler d'argent, c'est parce qu'il y en a un, manque d'argent. On demande 27 $ par nuit, par soir, pour chaque lit. 27 $ couvrent nos frais de base pour recevoir un homme, puis voir exactement qu'est-ce qu'on peut faire avec lui, et de là offrir d'autres services.

Le Président (M. Kelley): Mme Grégoire.

Mme Grégoire (Geneviève): Oui. Pour répondre plus précisément à la question de M. Copeman, je dirais que le problème se situe beaucoup plus, en termes d'accueil de nos gens, par le manque de place que par le comportement ou le côté violence. On en parle beaucoup, mais ce n'est pas nécessairement quelque chose qui se produit énormément. Alors, je pense qu'il faut comprendre qu'on a l'expertise pour répondre à un besoin, qui est de les accueillir, étant donné que, vu qu'ils sont un petit peu plus particuliers ou un petit peu plus, si je peux m'exprimer, rock-and-roll, bien ils font un petit peu peur. Alors, c'est difficile pour quelqu'un qui a moins l'expertise que nous de le faire.

Alors, je pense que c'est beaucoup plus souvent par manque de place que par manque de compétence ou d'organisation pour accueillir une clientèle qui des fois nous demande évidemment d'être un petit peu plus fermes. Mais il va arriver des situations où on ne pourra pas faire autrement que d'appeler le 9-1-1, et puis, bien, je dois vous dire qu'on a un excellent rapport avec le poste 21, et on est très bien servis, on travaille assez bien en collaboration avec eux. Donc, on sait qu'on a de l'aide qui peut nous être donnée pour des cas extrêmes, là, en termes de violence ou de comportements plutôt inacceptables.

Je dirais aussi que ce qui nous empêche... qui pourrait être une limite à l'accueil qu'on pourrait faire, ce serait probablement plus les problèmes de santé ou quelqu'un qui est en mobilité réduite. Nous, on n'a pas la capacité ou on n'a pas la compétence, là, pour en fait répondre aux besoins de ces messieurs. Alors, j'espère que ça répond à votre question.

M. Copeman: Alors, selon vous, est-ce qu'un centre ou un service de répit ou de décompression, parce que plusieurs groupes nous ont parlé de ça, est un élément essentiel dans l'offre de services aux personnes sans abri à Montréal?

Mme Grégoire (Geneviève): Je pense que le centre de répit, en fait ? on fait partie évidemment des discussions avec l'agence de santé ? c'est une bonne chose, mais je pense qu'il faudrait évaluer la chose entre nos murs. On a déjà la place, on a déjà les installations physiques, on a déjà du personnel en place. C'est sûr qu'il faut quand même penser à un ratio d'employés quand on arrive avec une clientèle qui est plus particulière, plus difficile à gérer. Alors, ce serait une question de nombre de personnel, mais sinon je pense qu'il faudrait avoir, et on va revenir un peu... C'est un peu bête de le dire encore, mais on va revenir un peu aux sous. Mais, étant donné qu'on a déjà les structures organisationnelles, les bâtiments, la place pour le faire, il s'agirait peut-être d'avoir un peu plus de sous pour pouvoir avoir des employés supplémentaires pour s'occuper... parce que, là, on va parler d'un ratio d'un pour deux, un pour trois ou un pour un, dépendamment de la situation du monsieur. Donc, je pense qu'en nos lieux on peut le faire, il s'agirait de pouvoir avoir un peu plus de personnel pour le faire.

Le Président (M. Kelley): M. Pearce.

M. Pearce (Matthew): Si vous me permettez une petite réponse à cela aussi, ça fait quelques années que la Mission Old Brewery a piloté un programme... un centre de répit, qui s'appelait, à l'époque, L'Échelle, pour 12 personnes de profil dont vous référez. Ça a été un pilote intéressant, on a beaucoup appris, puis je crois que, d'une certaine façon, ça a été une réussite. Ce n'est pas la seule façon de travailler avec ce genre de clientèle, je crois qu'il y a d'autres mesures, comme le dit Mme Grégoire, au sein de nos organismes pour y arriver. On n'a pas un grand nombre, mais une des faiblesses qui faisait partie selon moi de L'Échelle... Je n'étais pas, à l'époque, à l'OBM, mais j'ai lu plusieurs rapports, et une des faiblesses, c'était que ce n'était que pour la période en hiver, pendant que le profil de ces clients, rendus au printemps, on ne se trouve pas un comportement meilleur à cause que la neige est fondue, bien sûr. Alors, c'est quelque chose, si on pense à un service de répit, ne parlons pas d'un centre nécessairement, mais un service de répit, que ce sera important de l'envisager à l'année longue.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Dorion: Merci, M. le Président. Alors, merci, chers collègues, de votre présentation ainsi que du dépôt de votre mémoire. M. Pearce, vous m'avez mentionné lors de votre allocution que votre organisation recommande la mise en place d'une équipe d'action sur l'itinérance qui guiderait les efforts du cadre de référence présenté il y a 10 jours par le ministre, M. Bolduc. Est-ce que l'idée de cette proposition-là a cheminé au sein du ministère? Est-ce qu'il y a des pourparlers qui se font présentement? Parce que, moi, je peux vous dire que c'est une excellente idée à laquelle n'hésitez pas à avoir et obtenir mon appui parce que c'est une proposition qui est intéressante afin de faire évoluer les choses, comparativement à un plan d'action interministériel où souvent on a tendance à projeter dans le temps. Et est-ce qu'il y a eu des pourparlers de votre proposition et ainsi votre expertise? Parce qu'il ne faut pas négliger l'expertise que les ressources possèdent.

n(16 h 50)n

M. Pearce (Matthew): Merci de ces questions. La courte réponse, c'est non. Je n'ai pas encore soulevé ça au cabinet de la ministre, mais, avec ces mots d'encouragement, je le ferai sans faute. Merci.

M. Dorion: J'ai également... Et on apprend dans le mémoire... et je veux bien comprendre un peu l'objectif qui est visé, où vous parlez, entre autres, de la réduction à court terme du nombre de lits. Est-ce que je peux en déduire que le fait de vouloir réduire le lit, c'est théoriquement amener les individus dans un processus... Et là quel terme utiliser? Parce que, bon, depuis ce matin, on en a entendu plusieurs: aide, support, accompagnement, réinsertion, réinsertion sociale. Et je posais la question à d'autres représentants d'organismes où... Réinsertion sociale, là, est-ce que c'est juste le milieu communautaire qui connaît l'objectif de la réinsertion sociale? Est-ce que, lorsque vous vous assoyez dans les tables de concertation avec les gens au ministère, la réinsertion sociale, elle est considérée actuellement, en 2008, comme un besoin essentiel au continuum de services? Est-ce que l'appui est là? Parce que ce n'est pas juste une question de finances. Je veux dire, oui le financement est... mais encore faut-il avoir l'ouverture de pouvoir offrir ces services-là. Et est-ce que, dans ce sens-là, vous sentez que l'ensemble des partenaires est là, je parle toujours de structures gouvernementales, vont en aval à ce niveau-là?

Mme Grégoire (Geneviève): Mais, du côté de La Maison du Père, on a déjà un programme qui s'appelle le programme du Transit, qui est un programme de réinsertion sociale. Alors, tous les hommes qui se présentent au refuge et qui nous indiquent leur intérêt ou qui nous font signe de vouloir se sortir de l'itinérance ont une place ou auront éventuellement une place. On a 32 lits à La Maison du Père, au niveau du programme de réinsertion. J'avoue que les lits sont toujours pleins. Donc, c'est sûr qu'il y a un besoin, et la plupart des hommes qu'on rencontre ont besoin de ces services-là, font la demande de pouvoir être suivis quotidiennement vers une démarche de réinsertion sociale, soit réinsertion dans un logement, soit réinsertion au travail, retour aux études, quel que soit leur objectif. Alors, je dirais même qu'on a une liste d'attente, alors on ne suffit pas à la demande parce qu'étant de plus en plus jeunes la possibilité de réinsertion évidemment augmente. Donc, on est présents en termes de réinsertion. Alors, on ne prétend pas évidemment connaître la recette miracle, mais il y en a certainement d'autres évidemment, du côté gouvernemental, qui peuvent nous en apprendre, mais on est présents du côté de la réinsertion et on continuera d'être présents.

M. Dorion: O.K. Est-ce que je peux comprendre que dans le fond c'est un peu un continuum de services où la première ligne est l'hébergement temporaire, où on accueille, on dépanne les gens, on les reçoit, et ceux qui démontrent une volonté particulière à se sortir, bien là, après ça s'enchaîne le processus?

Mme Grégoire (Geneviève): Tout à fait. Oui.

M. Dorion: Et ça, on parle de 32 lits, donc c'est l'équivalent de maisons, de résidences...

Mme Grégoire (Geneviève): En fait, c'est une chambre. Oui, tout à fait, alors où ils sont logés, nourris et puis vêtus. Ils sont suivis aussi par des travailleurs sociaux qui ont la formation en conséquence évidemment. Donc, il s'agit à eux évidemment de nous mentionner leur intérêt de vouloir s'en sortir. Évidemment, on ne peut pas les forcer à le faire s'ils ne le veulent pas. Mais en général les gens qui viennent vont rester entre trois à six mois, ils sont motivés pour réintégrer... en tout cas reprendre un mode de vie plus acceptable.

M. Dorion: Est-ce que ce service-là est offert depuis plusieurs années ou c'est...

Mme Grégoire (Geneviève): Bien, écoutez, moi, ça fait au moins... Oui, ça fait sept ans que je suis là, ça existait déjà. On a évidemment changé le nom à travers les années, aujourd'hui, c'est le Transit, mais on appelait tout simplement ce service-là, au tout début, le Service de supervision en réinsertion sociale.

M. Dorion: O.K. Donc, j'imagine que votre organisme possède... J'imagine que vous avez suivi l'évolution puis, entre autres, les résultats de ce type de service là, parce qu'il a fort probablement amélioré la condition des personnes versus la réinsertion, et, quand je dis «réinsertion», c'est vraiment réinsérer une personne dans la société collective.

Mme Grégoire (Geneviève): Ce qui est plus difficile à suivre... Effectivement, quand ils sont chez nous, on peut les suivre, mais, une fois qu'ils ont repris logement ou repris travail ou études, ce qui est plus difficile et où on devrait aller un petit peu plus loin, c'est de pouvoir les suivre à l'extérieur, d'avoir de leurs nouvelles. On peut penser, après ne pas les avoir vus depuis deux, trois ans, que tout va bien, mais il n'y a rien qui nous dit qu'ils ne sont pas retournés... qu'ils ont fait une rechute ou ils ne se sont pas retrouvés dans une autre ressource à l'extérieur de Montréal, et là on n'est pas au courant.

Alors, c'est difficile de les suivre, nos messieurs, une fois qu'on a fait un bon bout de chemin avec eux. Et je dirais que, s'il y avait un travail à développer encore plus à La Maison du Père, ce serait de pouvoir faire un suivi une fois qu'il a quitté La Maison et qu'il a repris évidemment logement, ou travail, ou lien avec la famille, ou études. Donc, il reste à faire un petit bout de chemin. Par manque de ressources évidemment, c'est plus difficile, mais c'est un besoin. En fait, je pense que c'est un besoin essentiel de le faire justement pour s'assurer qu'il n'y aura pas de retour à la rue.

Le Président (M. Kelley): En complément de réponse, M. Morgan.

M. Morgan (Cyril): Pour répondre à votre question de réinsertion, il y a deux volets en fait que Mission Bon Accueil oeuvre. On a 50 studios appartements pour des gens qui ont des problèmes de drogues, alcool, jeu, qui veulent être suivis, qui veulent prendre un programme de réhabilitation, qui veulent changer leur vie.

Ici, aujourd'hui, on a parlé de qu'est-ce qu'on fait de première ligne, de recevoir des gens. Et votre question de réinsertion, c'est une bonne question. Généralement, on en parle, de qu'est-ce qu'on fait pour recevoir l'homme, mais, après que l'homme est rendu chez nous, qu'est-ce qu'on fait avec? Si le gars, il a une dépendance d'alcool ou de drogues, on peut lui offrir des services. C'est une deuxième étape. Il y a même des troisièmes étapes: réhabilitation, réinsertion sociale. On les suit, comme Geneviève a dit, on les suit jusqu'à temps qu'ils trouvent un appartement à l'extérieur. Ils peuvent rester chez nous pour une période d'un an à deux ans, dépendamment où est-ce qu'ils sont situés dans leur réhabilitation. Et il y a des bonnes réussites pour les hommes qui passent au travers.

C'est sûr que c'est quelque chose qu'on fait, à la Mission Bon Accueil, depuis une dizaine d'années, et on veut prendre la personne de la rue et la rentrer en société, nette, prête à travailler. On offre des programmes de... socioprofessionnels où est-ce que le gars, il peut apprendre à travailler, à faire des choses que, nous autres, on prend pour acquises, standard, mais pour eux autres c'est difficile.

Ça fait qu'il y a des programmes, il y a des multiples programmes qu'on utilise à l'intérieur de nos missions, nous trois, pour sortir l'homme, et la femme, et les jeunes de la rue, à être un citoyen ou citoyenne qui redonne à la société.

M. Dorion: Et, à titre de compréhension, là, tout ce travail-là, tout ce dévouement-là, pour faire en sorte de sortir une personne, est toujours pris à même le financement de base que vous avez. Donc, je veux dire, il y a un financement qui vous est accordé, et, à partir de là, c'est là que, vous, vous développez les différents services pour rendre... ou chacun des volets dont vous m'avez mentionné, il y a un financement qui y est rattaché?

M. Morgan (Cyril): Non. Le financement pour le centre de réhabilitation, le monsieur reçoit... il faut qu'il paie une partie de son loyer, et il y a une autre partie de son loyer qui est subventionnée. On ne reçoit aucun argent, à part de l'argent qu'on a parlé tantôt. Toutes les autres sommes sont des dons de M. et Mme Tout-le-monde, des corporations. Il n'y a pas d'argent gouvernemental qui rentre en surplus, que pour les services de base.

M. Dorion: O.K.

M. Pearce (Matthew): Juste une petite réponse aussi.

Le Président (M. Kelley): M. Pearce.

n(17 heures)n

M. Pearce (Matthew): Je ne vais pas aller en profondeur dans les programmes qu'on a implantés pour ne pas provoquer la coupure de mes paroles, étant donné que le souper s'en vient à vites pas. Mais nous avons également des programmes semblables d'urgence, d'accompagnement et de réinsertion. Pendant 115 ans de notre existence, la Mission Old Brewery n'avait que le refuge d'urgence. Le but n'était pas de chercher à sortir les personnes de l'itinérance mais de soulager l'itinérance.

Depuis quatre ans, on a implanté des programmes de transition, d'accompagnement. Depuis l'implantation des programmes ? et ils sont en vigueur en réalité pour deux mois et demi ? il y a plus de 500 individus qui ont été en itinérance lors de son arrivée chez nous et qui ne le sont plus en ce moment. Alors ça, c'est avec nos moyens en ce moment, et ce n'est pas uniquement les clients qui démontrent une capacité ou qui sont préparés, c'est aussi d'aider les gens de devenir prêts à sortir de l'itinérance. Il y en a plein qui ont normalisé l'expérience, il faut les sortir de cette réalité, et ça prend du temps.

M. Dorion: Alors, j'imagine, mon temps...

Le Président (M. Kelley): Parfait. Merci beaucoup. On arrive... Il vous reste trois secondes, alors on va l'amputer et céder la parole à Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Bonjour. Bonjour, Mme Grégoire, M. Pearce, M. Morgan. Mme Grégoire, hier, à la conférence de presse qui se tenait chez vous, à La Maison du Père, j'ai eu l'occasion d'aller m'asseoir sur le banc en bas, vous savez, avec quelques-uns de vos pensionnaires. Et vous avez reçu un beau compliment, il y en a un qui m'a dit: Vous savez, ici, madame, c'est un cinq-étoiles. Alors ça, c'est les appartements dont vous nous parliez il y a quelques minutes. Et, en ce qui concerne la Mission Bon Accueil, bien j'ai eu l'occasion de faire la visite complète il y a peut-être six mois, et puis j'avais été bien impressionnée aussi par tout le travail qui se fait. Il me restera donc à faire une troisième visite.

Il y a plusieurs choses qui nous interpellent dans votre présentation. Premièrement, félicitations pour la qualité de votre préparation. Bon. Je vais passer rapidement, là, sur la question du financement, parce que je la trouve importante. On avait eu une rencontre l'an dernier, et je me souviens que vous receviez 5 $ par lit d'urgence versus 57 $, qui était la moyenne payée pour un lit d'urgence à Toronto. Ça, ce n'est pas seulement le lit, hein? Ça, c'est la nourriture qui va avec, il faut accueillir la personne, il faut lui donner des vêtements propres, etc.

Alors là, je comprends que vous êtes à 12 $, c'est ce que vous recevez en ce moment, environ 12 $, et que votre demande est à 27 $. Je pense que c'est quelque chose avec laquelle on va revenir, soyez assurés. J'avais interrogé le ministre Couillard à l'époque sur cette question, et il nous avait dit: Bien, soyez patients, là, on s'en vient avec un cadre de référence. Là, le Cadre de référence est sorti. Voilà. Alors, je pense que 27 $, c'est encore la moitié de ce qui est le coût à Toronto. Est-ce que je pourrais avoir peut-être une petite explication à cet égard-là? Première question.

Deuxièmement, je suis très intéressée par votre intervention au sujet d'un bureau, hein, un bureau de l'itinérance au Québec. Vous savez qu'en lisant le cadre de référence... j'étais à l'extérieur du Québec quand il est sorti, alors je me suis payé cette lecture au bord de la mer... enfin, ça m'a peut-être un peu aidée, là, à digérer tout ça, mais j'ai été quand même estomaquée de voir comme c'est dispersé au niveau des responsabilités, comme il y a... en fin de compte, l'appel du ministre, à la fin, à sept ministères, et je me suis dit: Tiens, on va d'abord écouter les intervenants. Mais, dès ce moment-là, je me disais: Si on pensait à une structure, par exemple, très, très souple, tu sais, quelque chose comme un secrétariat, un genre de porte d'entrée, un genre de guichet unique, hein, qui a la responsabilité de l'itinérance. Alors, j'aimerais vous entendre à ces deux sujets.

Le Président (M. Kelley): M. Morgan.

M. Morgan (Cyril): Merci, Mme Lapointe, pour le compliment, en premier. Vous avez soulevé deux choses. Premièrement, en ce qui concerne un bureau central d'itinérance: depuis deux ans et demi, les trois grands refuges de Montréal voulaient parler avec quelqu'un pour le problème de financement chez nous.

On a visité 25, 30 députés, ministères, ministres, nomme-les, à Québec puis à Montréal, pour expliquer notre cas, où est-ce qu'on est rendus, qu'est-ce qu'on fait, comment est-ce qu'on fait qu'est-ce qu'on fait, qu'on a besoin du financement. On a travaillé fort pour enfin avoir reçu un peu d'argent. Ça a l'air beaucoup. 1 million de dollars, c'est beaucoup d'argent, mais, quand on divise 1 million de dollars par 548 lits entre les trois refuges, c'est 5 $ par nuit par personne qui utilise nos lits. Qu'est-ce qu'on peut donner à quelqu'un pour 5 $? Bien, vous pouvez imaginer.

Ça fait que, nous autres, on a mis sur table un bureau central d'itinérance où est-ce qu'on peut parler avec quelqu'un qui connaît toute l'histoire de l'itinérance, qui est capable de réfléchir vraiment à qu'est-ce que le problème. Quand il parle avec nous, il va savoir de quoi on parle, et le pourquoi en arrière du financement ou d'avoir d'autres choses qu'on a besoin ici, à Montréal, ou partout autre au Québec. Parce que ce n'est pas juste la seule ville au Québec qui a besoin des gens qui ont une certaine expertise en itinérance. Ça fait que je crois que ce serait un bénéfice pour le gouvernement d'avoir une voix qui parlerait pour l'itinérance pour tout le Québec et non juste pour Montréal.

Veux-tu adresser le 27?

Mme Grégoire (Geneviève): Bien, pour le 27 $, écoutez, c'est un calcul plutôt simple. C'est sûr que, pour 5 $ qu'on reçoit présentement, on ne peut pas s'imaginer qu'on peut les nourrir trois fois par jour, les vêtir, leur donner les produits de soins d'hygiène de base, un lit chaud et, à travers ça, l'intervention ou en fait la présence d'une personne pour s'occuper d'eux. Donc, quand on a mis 27 $ sur la table, pour nous c'était clair que c'était seulement une portion de ce qu'on avait besoin puisqu'on va continuer à faire appel à nos donateurs puis on va continuer à travailler dans ce sens-là.

Il faut comprendre que nos demandes de financement, ce n'est pas pour mettre fin aux énergies qu'on met sur les campagnes de levées de fonds. Au contraire, en mettant un 27 $, ça symbolise beaucoup le fait qu'on veut continuer à faire nos levées de fonds, continuer à parler aux gens du public, démystifier c'est quoi, l'itinérance, faire tomber les préjugés, comme vous avez dit hier. Alors, je pense qu'il faut continuer, nous, à ramasser des sous, et nous tenons à le faire. Donc, le 27 $, c'était plutôt un minimum qu'on mettait pour l'intervention plus que pour le reste.

Mme Lapointe (Crémazie): Merci. Simplement une précision, est-ce que c'est 5 $ que vous recevez en ce moment ou si j'ai compris 12 $ tout à l'heure?

Mme Grégoire (Geneviève): Bon. On n'a pas tout à fait le même chiffre parce qu'on n'est pas...

Mme Lapointe (Crémazie): Ah bon!

Mme Grégoire (Geneviève): ...tout à fait subventionnés de la même façon.

Mme Lapointe (Crémazie): Bon, bon, d'accord.

Mme Grégoire (Geneviève): On est plus à 8 $, si je suis pour parler de moyenne.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Gouin, il vous reste cinq minutes.

M. Girard: ...de saluer M. Morgan, Mme Grégoire et M. Pearce. Dans le cas de Mme Grégoire, c'est plaisant de vous voir ici, aujourd'hui, quand je pense au chemin que nous avons parcouru. Il y a presque deux ans, en décembre 2006, nous étions à La Maison du Père pour réclamer une commission parlementaire sur l'itinérance. En décembre 2007, nous avons fait la même démarche. Et là je suis heureux de voir aujourd'hui que vous avez l'occasion de vous faire entendre devant les parlementaires, là, des trois formations politiques à l'Assemblée nationale. On a fait du chemin, il en reste encore beaucoup à faire, dont l'adoption d'une politique sur l'itinérance avec des moyens concrets.

Je voulais revenir sur le sujet de l'hébergement d'urgence. Vous dites qu'il y a 548 lits, les trois organismes réunis. Est-ce que c'est suffisant, à l'heure actuelle, pour répondre à la demande à Montréal, et, sinon, est-ce que vous êtes dans des situations où il vous arrive parfois de devoir refuser des itinérants compte tenu d'un manque de place ou d'un manque de soutien financier?

n(17 h 10)n

Mme Grégoire (Geneviève): Alors, je peux répondre. Quand on regarde les chiffres de l'année passée, les trois refuges, on travaille déjà ensemble, déjà depuis quelques années, justement pour surveiller ? surtout en période d'hiver ? comment se comportent nos refuges en termes de quantité de personnes. On a même une navette qui part de La Maison du Père pour s'assurer justement... La Maison du Père se trouve à être le refuge qui est plein le premier, donc la navette attend à la porte et va véhiculer évidemment les gens qui sont en surplus chez nous vers Mission Bon Accueil ou la maison Old Brewery.

Et, en regardant les chiffres jour après jour, on se pointe nos chiffres tous les jours ? on envoie d'ailleurs nos chiffres à l'agence de la santé et des services sociaux, qui travaille avec nous aussi ? dans le sens où on veut s'assurer qu'il n'y ait pas personne qui couche évidemment dans la rue. On regarde plus les chiffres l'hiver, on est plus préoccupés par la température, mais on s'aperçoit que, pour le moment, on répond à la demande. On a toujours une crainte évidemment quand on approche à notre maximum. Quand on est à 545, il fait moins 20° C, je me dis: S'il fait moins 25° C demain, on va-tu dépasser notre capacité? Ça ne s'est pas présenté l'année passée.

C'est sûr qu'on a des lits d'urgence qu'on peut évidemment ouvrir, on ne laissera pas personne dehors. C'est une inquiétude, une question que tout le monde se pose, mais on sera là pour répondre aux besoins. Mais ce n'est pas quelque chose qu'on pourra maintenir sur une période bien, bien longue si on est obligés d'ouvrir des lits supplémentaires. Sachant qu'on a bien peur que l'itinérance, ce n'est pas un phénomène qui s'en va en diminuant, bien on va encore surveiller les chiffres de plus proche encore cette année en espérant qu'on puisse répondre à la demande.

M. Pearce (Matthew): Si vous permettez?

M. Girard: Oui, allez-y.

Le Président (M. Kelley): M. Pearce.

M. Pearce (Matthew): Oui. L'avenir n'est pas, selon moi, dans une croissance de nombre de lits d'urgence à ce problème. L'avenir approprié, c'est une croissance de la capacité de l'accompagnement pour alléger la charge et la demande sur les lits d'urgence. Il y a une étude qui a été faite, l'an dernier, par l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, qui a calculé le coût, à la société de Colombie-Britannique, de l'itinérance vers 644 millions de dollars. Et l'étude a indiqué que, s'ils étaient pour implanter les programmes d'accompagnement et de réinsertion sociale à travers la société, c'est sûr que ces programmes vont coûter un peu plus cher, mais le coût à la société va diminuer de 40 % à cause d'implantation de ces programmes-là. Alors, je crois que c'est ça, l'avenir. On peut bâtir un autre étage, sur le refuge de la Mission Old Brewery, pour d'autres lits d'urgence, et un autre après ça et un autre après ça, mais la solution n'est pas là.

Le Président (M. Kelley): Il reste 30 secondes.

M. Girard: Je comprends donc de vos propos que la prévention et la réinsertion, c'est deux éléments centraux et que, si vos refuges n'existaient pas... Bon. Ils existent en partie pour combler des besoins que les services publics ne sont pas en mesure d'offrir. Si votre ressource n'existait pas, on se retrouverait dans une situation extrêmement... encore plus difficile qu'à l'heure actuelle. Donc, le fait de mieux soutenir et de vous donner un soutien financier plus important va vous permettre de mieux accompagner les personnes itinérantes, de leur permettre aussi de se réinsérer dans la société. Et actuellement ce que je comprends, c'est que le manque de ressources fait en sorte qu'au niveau de l'accompagnement vous manquez de moyens pour pouvoir les aider à se réintégrer dans la société québécoise.

L'autre élément dont je voulais parler...

Le Président (M. Kelley): ...30 secondes.

M. Girard: ...vous parlez du bureau, bon, une meilleure coordination. Est-ce qu'il ne serait pas important aussi, si on mettait sur pied un bureau, qu'il y ait aussi une reconnaissance spécifique de la situation que nous vivons à Montréal, où c'est le coeur problématique de l'itinérance, où nous recevons aussi les gens de différentes régions du Québec, mais de tenir compte de la spécificité particulière de la région de Montréal et de donner des moyens appropriés et, au niveau des services publics, un soutien particulier pour tenir compte d'une réalité et d'une présence plus fortes de l'itinérance?

Et, quand vous disiez, un peu plus tôt, que vous avez dû rencontrer, bon, une vingtaine d'élus, des représentants de différents ministères, est-ce que ça ne traduit pas qu'il y a peut-être une incompréhension sur l'ampleur du phénomène à Québec et peut-être pas une réponse toujours appropriée à cette problématique très lourde que l'on vit à Montréal?

Le Président (M. Kelley): Qui peut répondre très rapidement à cette question? M. Morgan.

M. Morgan (Cyril): Merci pour votre question. C'est sûr qu'il y a une compréhension que l'itinérance existe. Mais, quand vous ne travaillez pas avec l'itinérance, quand vous ne travaillez pas avec des gens qui sont sans abri puis vous ne comprenez pas vraiment c'est quoi, leurs besoins, ça fait que c'est sûr que les gens dans différents ministères partout au Québec, ils nous écoutent puis ils nous tapent sur l'épaule, ils disent: Bravo, vous faites un excellent travail, mais de là ils ne savent pas exactement qu'est-ce que c'est. Ça fait que, oui, les gens, vraiment ils ne savent pas. Deuxièmement, il n'y a personne qui veut prendre l'enveloppe puis dire: Bien, moi, je vais travailler avec. Et ce serait important que quelqu'un soit en charge d'une enveloppe qui touche l'itinérance.

Montréal, c'est l'entonnoir pour Québec. Ça, c'est sûr. On le sait, quand il y a une grève en quelque part, les gens viennent à Montréal parce que c'est l'endroit où est-ce qu'il y a des emplois, il y a des choses à faire, puis malheureusement, arrivés ici, il n'y a pas d'emploi. Ça fait qu'il y a quelque chose à faire pour un bureau montréalais qui connaît le problème de Montréal, qui va être le problème partout au Québec, mais peut-être en moindre nombre.

Le Président (M. Kelley): Alors, il me reste à dire merci beaucoup aux représentants, à Mme Grégoire, M. Morgan, M. Pearce, pour votre présence ici, cet après-midi.

Je vais suspendre très rapidement parce qu'il nous reste le groupe... et je vais demander aux représentants du YMCA du Grand Montréal de prendre place à la table des témoins. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 17 h 16)

 

(Reprise à 17 h 21)

Le Président (M. Kelley): Alors, tout le monde sont plus ou moins ici, mais je pense qu'il faut commencer parce que c'est déjà 5 h 20, et il y a une couple de témoins qui veulent témoigner après votre présentation. Mais, sans plus tarder, M. Henri Baudot et M. Richard St-Yves sont ici pour représenter le YMCA du Grand Montréal. Alors, la parole est à vous.

YMCA du Grand Montréal

M. St-Yves (Richard): Merci. Alors, tout d'abord, nous disons merci...

Le Président (M. Kelley): M. St-Yves.

M. St-Yves (Richard): ...pour l'occasion qu'on a de vous parler, là, sur la question de l'itinérance. Les YMCA du Québec existent, au Québec, depuis plus de 150 ans. Les YMCA du Québec vont bien au-delà du loisir, du sport, des fenêtres givrées, comme en témoignent nos nombreux programmes communautaires qui s'adressent autant aux enfants qu'aux adolescents, qu'aux jeunes en difficulté qu'aux adultes en cheminement de réinsertion. Au YMCA, les programmes communautaires et ministériels touchent plusieurs milliers d'individus par année, au Programme de travaux compensatoires du ministère de la Justice, du centre d'intégration au travail avec le ministère de l'Emploi, de la Sécurité du revenu du Québec, d'Alternative suspension, programme Impact, Zone jeunesse dans chacun des neuf centres locaux au Québec, et du programme de travail de rue en itinérance, Dialogue, et de celui en prévention de l'itinérance Premier Arrêt.

L'itinérance n'est pas comme telle une expertise majeure dans nos services. Toutefois, c'est selon l'intervention des programmes Premier Arrêt et Dialogue que nous présentons aujourd'hui notre préoccupation à propos du phénomène de l'itinérance à Montréal. Situés au coeur du centre-ville, dans notre communauté, nous sommes à même de constater l'ampleur du phénomène autour de nous par le travail de rue des intervenants communautaires de ces programmes. Ceux-ci sillonnent les secteurs du centre-ville et apportent aide et soutien à quelque 150 à 200 personnes en situation d'itinérance dans le milieu, c'est-à-dire sous les ponts, dans les ruelles, dans les parcs publics, près des bouches d'aération des stations de métro et aussi près des édifices et bâtiments qui abritent ou viennent en aide à ces personnes. Ce petit nombre représente seulement la population en itinérance du secteur, et d'autres arrondissements sont également touchés par le phénomène.

Par notre intervention et aussi par la concertation que nous avons avec les organismes communautaires du milieu, nous sommes en mesure de faire les observations suivantes: les personnes qui tombent en situation d'itinérance ont peu de ressources personnelles et économiques et donc peu d'aide dans leur proche environnement; après quelques semaines et quelques mois en situation de désorganisation psychosociale, les problèmes et difficultés s'accumulent et les rendent encore plus fragilisées et confuses; après quelques années, les personnes qui ont un mode de vie de rue ont énormément de difficultés à réintégrer notre communauté. Si elles peuvent le faire, il y a de nombreux écueils à leur stabilisation. Ces observations ne sont pas universelles mais reflètent une réalité partagée avec d'autres organismes communautaires et institutionnels du milieu.

D'autre part, nous faisons les constats suivants: un nombre toujours très important d'individus se retrouvent en situation d'itinérance ici, à Montréal, les chiffres varient et tournent autour de 10 000 à 12 000 individus; pour une partie de ce nombre, ce sont des jeunes sans-abri et en situation de grande vulnérabilité qui se trouvent dans la rue, sans port d'attache et qui deviennent rapidement en situation chronique d'itinérance, d'où un travail encore plus intense à effectuer pour les aider.

De plus, nous sommes membres du regroupement pour les personnes seules et itinérantes de Montréal depuis maintenant 10 ans. Nous sommes donc associés de près aux préoccupations des 82 organisations membres de ce réseau montréalais et nous les partageons. Ce sont ces préoccupations qui ont mené à la mise sur pied du programme de travail de rue Dialogue, en 1997, et du programme Premier Arrêt, en 1999, avec le soutien des entreprises du secteur privé. Nous tentons depuis de faire partie de la solution.

Quand on parle du phénomène d'itinérance, on sait, c'est une grosse problématique au centre-ville. Nous avons énormément de difficultés à aller chercher du financement. Nous avons présentement, je dirais, environ deux travailleurs de rue et demi, là, deux temps-plein, un à temps partiel, et c'est grâce entièrement au financement du secteur privé par un regroupement de commerçants, de gens d'affaires, qui est Destination centre-ville et par la Fondation du YMCA qu'on peut aller chercher du financement pour travailler sur le programme Dialogue.

Au cours des dernières années et dans le cadre des activités du RAPSIM, nous avons compris la nature des revendications de ce regroupement et partageons notre expérience de travail avec les organisations membres et nous en faisons les réflexions similaires sur: le manque de financement des organisations communautaires par les divers paliers de gouvernements, municipal, provincial et fédéral; l'augmentation de la judiciarisation des personnes itinérantes sur le territoire de Montréal; le manque de services continus pour cette population autant de la part des institutions de santé que de service social; la diminution dramatique de logements à un coût accessible pour les personnes à faibles revenus, et dont les personnes de situation d'itinérance ici, à Montréal.

D'autre part, de par le travail effectué par les intervenants communautaires des programmes de prévention et en travail de rue, et aussi selon les moyens que nous avons, nous réalisons: une plus grande difficulté à agir auprès des jeunes et jeunes adultes qui ont passé plusieurs mois, même plusieurs années, en situation d'itinérance et de pauvreté, d'où la nécessité de mettre davantage de temps et d'énergie auprès d'eux; qu'il y a des lacunes importantes dans le soutien et le suivi de ces personnes une fois le cheminement vers leur réinsertion entamé, d'où l'importance d'améliorer le réseau du soutien social, institutionnel et communautaire pour chacun d'eux, d'où l'obligation de travailler davantage en «concertation» pour chacune d'elles. Je pense que c'est un mot qu'on entend ou qu'on va entendre régulièrement, au niveau de la concertation, au sein de la commission.

Pour agir sur le phénomène, nous avons besoin de plus de moyens, nous avons aussi besoin d'action au niveau politique. À ce titre et selon notre expérience, nous endossons les actions et les recommandations du RAPSIM de Montréal et des regroupements membres du Réseau Solidarité Itinérance du Québec qui, par leur expertise et l'implication de leurs membres respectifs, réclament plus de moyens pour identifier des solutions face à l'itinérance.

Nous appuyons la demande d'une politique nationale en itinérance au Québec. Nous appuyons la demande de rehausser le financement à travers les groupes accrédités au Programme de soutien aux organismes communautaires du ministère de la Santé et Services sociaux du Québec. Et nous appuyons la demande récente pour un programme de soutien communautaire en logement social de la part du gouvernement ainsi que les demandes concernant les besoins en logement social abordable et la sécurité du revenu.

En tenant compte des diverses pistes de solution qui vous seront proposées au cours de votre tournée, nous croyons pouvoir, d'une part, améliorer le sort et les conditions de vie des personnes en situation d'itinérance, et, d'autre part, prévenir le cheminement vers l'itinérance par des mesures de soutien et d'accès aux services publics de façon continue et constante.

Le Y ? c'est au-delà, là, de 150 ans d'histoire ? a toujours été un organisme qui était là pour répondre aux besoins du milieu. Ça fait partie de notre mission de base. S'il n'y a pas de financement, on essaie de trouver d'autres façons pour le faire. Ce qui est le plus important pour nous, c'est de répondre aux besoins du milieu. Sauf que, comme nos prédécesseurs, on s'aperçoit des lacunes qu'on a, de tout ce qui pourrait être fait, et malheureusement, parce qu'on n'a pas les moyens de le faire, on est limités dans notre action.

Moi, je peux vous dire que ça fait environ une douzaine d'années qu'on essaie de trouver du financement additionnel, et ça devient de plus en plus compliqué, et on doit se tourner vers le privé pour le faire. Et le privé a embarqué dans notre cause, ils ont endossé cette cause-là complètement, pas pour des fins pécuniaires ou autres, parce que tout le monde est touché par le phénomène d'itinérance et on doit faire quelque chose.

Alors, en terminant, nous désirons souligner l'importance des consultations que vous menez sur l'itinérance au Québec afin d'agir sur les facteurs qui influencent directement et indirectement la pauvreté dans notre société.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. St-Yves. Alors, on va maintenant procéder à la période d'échange avec les membres de la commission en cédant la parole à Mme la députée de Gatineau.

n(17 h 30)n

Mme Vallée: Merci beaucoup, messieurs. Merci de participer à cette consultation publique qui nous permet d'apprendre beaucoup et de pouvoir échanger avec les différents intervenants sur leurs visions ou leurs façons de voir l'amélioration du soutien gouvernemental, entre autres, au réseau de l'itinérance, aux organismes et aux gens qui se dévouent pour changer un peu le visage de l'itinérance et puis pour aider ces gens-là qui sont les plus démunis de notre société.

Vous avez parlé de l'importance pour le gouvernement de mettre en place... d'améliorer le soutien institutionnel et communautaire pour l'ensemble du milieu. Évidemment ? et le commentaire que je fais, je le fais un petit peu à l'ensemble des organismes ? on entend cette belle phrase là aujourd'hui beaucoup, on l'a entendue pas mal depuis ce matin. Pour moi, comme députée, comme parlementaire, c'est important de comprendre ce que vous entendez par là. Les généralités, c'est facile, ça se dit, mais dans votre réalité à vous.

On a entendu un petit peu plus tôt les gens de chez M. Pops qui nous ont parlé concrètement de certaines problématiques qu'ils rencontraient, qu'elles rencontraient au niveau de l'éducation, de la scolarisation des jeunes qui avaient fait un cheminement et qui souhaitaient s'en sortir.

Alors, moi, ce que j'aimerais savoir aujourd'hui, ce que j'aimerais connaître de vous, des gens du YMCA: De quelle façon cette amélioration-là du soutien institutionnel, de quelle façon ça pourrait être fait? Qu'est-ce qui pourrait être fait pour que concrètement les gens qui se dévouent, qui oeuvrent chez vous soient mieux outillés pour aider les jeunes et les moins jeunes qui vivent des situations d'itinérance? Est-ce qu'il y a des moyens de faciliter les contacts avec les organismes gouvernementaux, les contacts avec les passages... ou faciliter les passerelles entre les organismes et votre organisme? J'imagine, je suis certaine que vous avez plein d'idées et c'est là-dessus que j'aimerais vous entendre ce soir.

Le Président (M. Kelley): Monsieur...

M. Baudot (Henri-Charles): Oui. Henri-Charles Baudot. Moi, je suis directeur des deux programmes communautaires dont on a parlé, plus en lien avec l'itinérance: un qui est en prévention, l'autre qui est en travail de rue, Dialogue.

En prévention, par exemple, au niveau du financement, quand on parle de pouvoir rehausser le financement au niveau ministère de la santé publique... de la Santé et des Services sociaux, par exemple Premier Arrêt, oui, on bénéficie d'une petite subvention depuis sa mise sur pied en 1999. Cette petite subvention là n'est pas augmentable parce qu'on a de la difficulté à trouver le bon créneau au niveau ministériel pour essayer d'augmenter ce revenu-là pour ensuite pouvoir offrir les services. Alors, pour Premier Arrêt par exemple, c'est, d'une année à l'autre, entre cinq et sept sources de financement qu'on doit trouver, plus la levée de fonds qu'on essaie de faire pour arriver à combler les besoins. Alors ça, c'est de un.

De deux: dans ces deux programmes-là, il y a un investissement des corporations privées, comme disait M. St-Yves, ce qui est très bien, surtout dans le cas du travail de rue. Donc, il y a une association qui est là, qui fournit un certain financement et qui peut être en partie limité aussi. Alors, on doit combler, comme organisme. Le Y, comme disait M. St-Yves, ne peut pas tout combler. Le Y contribue par une levée de fonds interne aux programmes déficitaires, mais c'est toujours à composer d'année en année parce qu'évidemment tout le monde cherche des sous.

Alors, pour nous, pour moi qui m'occupe de, par exemple, trois programmes et de trois équipes de travail, j'assume cette charge-là de le faire à même mes moyens et mes ressources. Mais ça demande beaucoup, sept ou huit sources de financement différentes, plus la levée de fonds, alors qu'il y en a qui sont disponibles, mais elles sont au maximum pour petits organismes ou parce que pas reconnues dans un certain créneau. Alors ça, c'est un peu notre position à l'heure actuelle.

Des idées, c'est sûr que l'enveloppe du soutien communautaire aux organismes sociaux a toujours augmenté depuis une trentaine d'années. En même temps, pour nous, ce qui est important, c'est que les gens, qu'ils soient dans la rue, les travailleurs communautaires, les travailleurs de rue, qu'ils soient dans la rue dans le cas de Dialogue, ou les travailleurs communautaires dans le cas de Premier Arrêt, pour éviter qu'ils quittent après trois mois ou six mois parce qu'ils ne peuvent pas mener une vie décente même avec leur salaire, il faut aussi qu'on essaie d'aller chercher quelque chose pour améliorer leurs conditions.

Donc, il y a un endroit où on dit ici où on a des difficultés à offrir des services aux personnes de la rue, aux personnes itinérantes et même en prévention, je dirais, de l'itinérance. Alors, si on n'a pas moyen aussi d'augmenter un petit peu pour donner des conditions avenantes aux personnes qui travaillent auprès de ces gens-là et puis, nous... Bon. Il y en a d'autres que vous allez entendre, qui seront probablement moins bien rémunérés. Ça finit que les services sont toujours discontinus, alors qu'en itinérance ils devraient être plus intenses. Ça demande une intensité d'action, pour moi.

M. St-Yves (Richard): Il faut comprendre aussi que, pour pouvoir travailler avec les itinérants, il y a une relation de confiance qui doit se créer entre le travailleur de rue et l'itinérant, et ça, ça prend un bout de temps. Et il y a tout un cycle, à l'intérieur de ça, où il faut apprendre à les connaître, il faut apprendre à ce qu'il y ait une confiance mutuelle qui se développe avec ces gens-là pour pouvoir mieux les aider par la suite. Donc, c'est sûr qu'on va parler de «fast track» au niveau des CLSC. On a de plus en plus de gens avec des problèmes, psychiatrisés, alors on a besoin de «fast track» au niveau des CLSC pour aider cette clientèle-là.

Présentement, on a parlé tantôt d'accompagnement. On est d'accord à 100 %, on doit faire davantage d'accompagnement auprès des personnes itinérantes. Qu'est-ce que ça veut dire, l'accompagnement? C'est aussi trouver des alternatives à l'itinérance. Oui, on a parlé du logement, oui, on a parlé de la nourriture, mais on peut essayer de trouver aussi des façons pour ces gens-là de donner des alternatives à l'itinérance. Dans certains cas, on a des gens, après deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, qui vont aller en désintox, revenir à la consommation. On a des gens qui ont été dans des logements supervisés, qui sont sortis des logements supervisés parce qu'ils n'étaient pas encore prêts. Il y a beaucoup de «back and forth». C'est un suivi continu qui est fait avec ces gens-là.

Un des problèmes qu'on rencontre, comme Richard parlait tantôt, c'est aussi le roulement du personnel. C'est dur, le travail de rue, c'est dur de travailler avec ces gens-là. Et, à l'heure actuelle, on a de la difficulté à leur donner aussi des conditions de travail qui sont acceptables pour eux. On a vu des cas, par exemple, d'itinérants, que ce soient des jeunes ou des personnes beaucoup plus âgées, qui s'en sont sortis, et on en a vu d'autres, cas, où le milieu est revenu les chercher. Alors, cet accompagnement-là, là, doit se faire d'une façon régulière, continue. Même quand on pense que les gens sont autonomes, on doit garder contact avec ces gens-là par la suite. Mais c'est la relation que le travailleur de rue va avoir avec les itinérants qui est à la base de tout. Le travail se fait là. La capacité d'accompagnement se fait là.

Maintenant, quelles sont les ressources qu'on peut utiliser, quelles sont les ressources qui sont à la disposition de ces gens-là? Bon. On travaille avec les ressources du milieu, on va travailler avec l'hébergement, on va travailler, oui, avec les CLSC, mais on rencontre des difficultés. On travaille avec la police également, parce que les policiers doivent connaître également qui sont ces itinérants-là. Ils en connaissent plusieurs, et, à un moment donné, on essaie de travailler avec eux également pour aider les gens. Mais le mot d'ordre, c'est d'aider les gens. Et, quand je parlais d'un organisme comme Dialogue, qui regroupe 8 000 marchands, eux aussi vivaient des difficultés avec l'itinérance, que ce soit au niveau de la médiation, au niveau de la cohabitation entre la clientèle d'affaires, entre les résidents du milieu. Il y avait des problèmes de sécurité dans les parcs. Il y a eu beaucoup de politiques qui ont été faites là-dessus, mais on doit les accompagner, les itinérants, à travers ça également.

Alors, le programme Dialogue ou le programme Premier Arrêt nous permet justement de travailler sur la prévention, la médiation, l'accompagnement des personnes itinérantes, mais il y a un essoufflement, je vous dirais qu'il y a un essoufflement. C'est excessivement difficile.

Mme Vallée: Quel est à peu près le taux de...

Le Président (M. Kelley): Très rapidement, parce qu'il reste...

Mme Vallée: ...le taux de roulement justement de votre personnel, de vos intervenants de la rue?

n(17 h 40)n

M. Baudot (Henri-Charles): Premier Arrêt est un programme d'abord qui fait de la prévention. Donc, nous, on est situés à la station centrale d'autobus de Montréal. On est moins en contact direct avec l'itinérance. C'est à peu près de 10 % à 25 % de la clientèle. Je n'aime pas utiliser ce mot-là, mais les gens qu'on aide portent ce nom-là. Jusqu'à récemment, on pouvait avoir à peu près entre 40 %... 40 % ou 50 % de roulement par année. Dans le travail de rue, ça a été 100 % dans les deux dernières années. Il y a deux travailleurs de rue à temps plein, un travailleur de rue à temps partiel, et ça a été ça, mais pour différentes raisons.

Je pense aussi que, quand on parle... je vais peut-être juste après refaire un lien avec les ressources: par exemple, le YMCA a de multiples programmes, mais, pour les personnes itinérantes, il y a un café ressource qui est ouvert, donc accessible, avec des moyens de communication, et aussi pour être en contact avec d'autres programmes au Y qui peuvent favoriser leur réinsertion, et aussi, comme c'était un besoin important pendant toute l'année, pouvoir utiliser la douche occasionnellement. Donc, il y a des aménagements qui ont été faits entre les horaires pour la ville de Montréal et d'autres horaires pour les cours de natation.

Il reste qu'on est bien contents de vous voir puis on est bien contents de voir aussi... on va être contents de voir ce que ça va donner, parce que, nous, on pense qu'au Québec aussi c'est une réalité qui augmente, au Canada c'est une réalité qui augmente. Il y a eu du soutien de la part d'un financement fédéral, mais il y a aussi toute la qualité de notre société, toute la qualité du tissu social aussi sur lequel, quand on travaille... Et j'ai ici des travailleurs communautaires qui sont avec moi, qui font les «cheerleaders» très calmement cet après-midi, mais il y a toute la qualité de notre tissu social, le tissu urbain pour lequel je pense qu'on doit tous travailler.

Donc, c'est travailler aussi à améliorer la concertation, améliorer, comme on disait tantôt, la qualité de vie, mais sans tomber sur le dos d'une catégorie d'individus. Et actuellement, à Montréal, vous allez probablement l'entendre dans les prochains jours, on a parlé de judiciarisation, ce n'est pas écrit dans notre texte, mais on parle de judiciarisation des personnes qui sont dans la rue. Et ce sont les plus démunies, donc, sur lesquelles on tombe parfois avec des politiques locales un peu temporaires qui deviennent permanentes. Mais ces individus-là, qui sont touchés régulièrement par une judiciarisation parfois un peu extrême... fait qu'ils demeurent les moins bien nantis de notre société. Et après les travailleurs de rue ou d'autres intervenants communautaires, que ce soit à Mission Bon Accueil ou ailleurs, Old Brewery Mission, le Refuge des jeunes, vont avoir autant de difficultés à reprendre contact avec ces gens-là. Et là je peux parler de jeunes de 16 jusqu'à 25 ans, mais on peut parler aussi des adultes.

Le Président (M. Kelley): En conclusion, parce que je dois céder la parole à ma gauche.

M. Baudot (Henri-Charles): Oui, tout à fait. Absolument, si on veut qu'il y ait un dialogue, absolument...

Le Président (M. Kelley): Non, non, non, je comprends, et je sais que ma collègue députée de Hull veut poser une question aussi, mais l'enveloppe à ma droite est épuisée, et je vais céder la parole au député de Nicolet-Yamaska.

M. Dorion: Merci. Alors, merci de votre présence ainsi que la préparation du mémoire dont vous avez déposé. On a rencontré plusieurs organismes depuis le début de la journée. Ici, à Montréal, et, quand on parle de partenariat... et, quand je dis «partenariat», je veux dire, c'est beaucoup plus de voir les gens responsables des différents organismes, entre autres, est-ce qu'il vous arrive, et ça, de façon régulière, d'avoir une table de concertation où tous les gens qui sont, je vous dirais, impliqués directement, entre autres, au niveau de la lutte à l'itinérance... ou tous et chacun, de façon individuelle, cherchent à développer, améliorer, structurer et apporter encore mieux ou c'est un effort collectif qui se vit à Montréal?

Parce qu'au Québec, là, le portrait peut être très différent, là. Si on s'en va en Mauricie, c'est beaucoup plus... la réalité n'est pas pareille. Ce que j'aimerais savoir c'est qu'ici, à Montréal, est-ce que, exemple, le YMCA développe, dans son univers à lui, l'ensemble de besoins? Parce que je pense que les gens seront tous unanimes que les besoins sont là, mais, dans les ressources, est-ce qu'on multiplie davantage les ressources, ou, à travers des ressources actuelles, on établit des genres de liens de partenariat? Vous comprenez le sens de ma...

M. St-Yves (Richard): Oui. Je vais laisser Charles répondre, là, à la question davantage. Mais le travail qu'on fait à la base, dans tous les secteurs d'activité du Y, se fait en partenariat; ce n'est pas un travail en vase clos, ça se fait en partenariat.

M. Baudot (Henri-Charles): Oui. Par exemple, le programme Premier Arrêt au terminus a été mis sur pied de concertation avec trois organismes communautaires, dont Le Bon Dieu dans la rue, la maison passage et le YMCA, avec la station centrale d'autobus, pour mieux prévenir l'itinérance, donc il y a eu une forte concertation pour bâtir le partenariat. Et on est toujours là, dans la station. La station d'autobus nous héberge gratuitement depuis 11 ans... 8 ans, 9 ans? 9 ans aujourd'hui. Donc ça, c'est un très, très beau partenariat, et on le consolide, par rapport au milieu, en termes de prévention.

Par rapport à l'itinérance de Montréal, il y a le regroupement du RAPSIM, dont on fait partie, pour échanger sur des dynamiques, des problématiques, et, oui, on va essayer de trouver comme un peu la... penser globalement et agir localement. Penser globalement, on peut avoir une perspective globale, mais chacun, on doit faire encore un effort, je crois, pour trouver localement comment améliorer.

Donc, oui, on va se concerter, mais j'appelle ça des collaborations ponctuelles, pour des individus, pour des situations plus problématiques. On se concerte aussi avec le réseau provincial sur l'itinérance pour les grands enjeux. Mais localement la concertation, quand on fait de la concertation, on va y aller par secteur, parce qu'avec deux travailleurs de rue on doit circonscrire un secteur. Donc ça, c'est nos difficultés aussi, d'aller un petit peu plus large. On doit essayer de respecter certaines choses. C'est ce que je pense, mais peut-être que ma réponse n'est pas tout à fait complète, là, mais...

M. St-Yves (Richard): Mais on va travailler, par exemple, avec les CLSC. C'est peut-être, là, la question de base. Comme je disais tantôt, on travaille avec les policiers, on travaille avec les gens d'affaires, on travaille avec différentes tables de concertation, pas seulement RAPSIM, il y a d'autres tables avec lesquelles on va travailler localement. On va travailler avec le carrefour jeunesse-emploi, par exemple, pour essayer de trouver des façons de faire de la réinsertion sociale. On travaille beaucoup avec nos autres services, parce qu'on travaille avec des détenus, ex-détenus; on a énormément de programmes de réinsertion sociale avec ces gens-là. Alors donc, c'est des expertises aussi qu'on essaie de transférer.

Je vais donner un exemple...

M. Dorion: ...me permettre, M. le Président, une question d'une... «qu'on essaie de transférer», je veux dire, on les transfère à qui?

M. St-Yves (Richard): Les connaissances, les expertises, je vais... Admettons, on va développer des programmes, on va développer des projets. C'est ça, notre travail à nous: c'est du travail terrain et c'est de développer des programmes et des projets. Mais, pour les réaliser, on va essayer d'utiliser les connaissances qu'on a et on va utiliser des partenaires. C'est le principe de base. On a des connaissances en réinsertion sociale, parce qu'on le fait auprès des jeunes, on le fait auprès des détenus et des ex-détenus.

C'est sûr qu'au niveau de l'itinérance ce n'est pas la même chose, et ce n'est pas tous les itinérants qui vont être prêts à rentrer sur le marché du travail. On est en train de travailler, à titre d'exemple, à un projet où on a un employeur qui fait des travaux ménagers, qui serait prêt à dire: On va commencer par prendre deux, trois itinérants qui sont arrivés là dans leur développement, en sachant fort bien qu'il y a des grandes possibilités que ces gens-là ? je ne sais pas si c'est le bon terme, là ? mais régressent ou... ils sont d'accord avec ça. Et là on travaille avec notre équipe, qui est en réinsertion sociale, pour accompagner ces gens-là. C'est ça qui est l'idée de base.

Mais il faut aller chercher du financement aussi pour ça. C'est ça qui est le problème. Je pense que ce n'est pas les idées ou les projets d'accompagnement qui manquent. Et, quand on parlait de concertation tantôt, je suis parfaitement en accord avec ça: il ne faut pas travailler de façon isolée, il faut vraiment travailler de façon concertée. Il y a des concentrations aussi plus au sud ou à l'est. À l'ouest, il y en a moins, du centre-ville, de ressources, de ce côté-là, alors il faut voir comment on peut équilibrer le financement également dans ce secteur-là.

M. Dorion: Et, entre autres, l'objectif de ma question était dans ce sens-là parce qu'on le sait que... et ça, le sous-financement, là, je veux dire, on n'a pas...

M. St-Yves (Richard): Je suis obligé de le dire quand même.

n(17 h 50)n

M. Dorion: Mais, je sais, il est là, et c'est une réalité, mais, comme je vous dis, je vous posais la question au niveau de la concertation parce que, quand on sait qu'il y a peu, bien, souvent, ça n'amène pas une concertation, ça amène à savoir qui va ramasser le... le... le... ce qui...

M. St-Yves (Richard): La pointe de tarte.

M. Dorion: ...la pointe de tarte. Et ça, c'est une réalité connue, là, au Québec, là.

M. St-Yves (Richard): Mais c'est pour ça qu'il a fallu aller chercher des partenariats avec le privé aussi. Et ça a été peut-être une façon d'aller chercher des gens qui étaient sensibilisés à cette cause-là et qui ont accepté de s'impliquer, et de ne pas juste aller vers des ressources qui étaient seulement gouvernementales. Parce qu'on a été obligés de trouver d'autres solutions.

M. Dorion: Une dernière peut-être, M. le Président, avant de laisser la parole à ma collègue?

Le Président (M. Kelley): Vous avez un choix: une dernière ou laisser la parole à votre collègue.

M. Dorion: Vous me mettez dans une situation embarrassante, mais je vais laisser la parole à ma collègue.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de...

Mme Méthé: ...moi, ça peut être long.

M. Dorion: Oui? Bon. Alors, si ça peut être long. Alors, dernière question. Lorsque vous avez mentionné «réinsertion sociale», vous l'avez attribuée à ? en tout cas, c'est ce que vous avez mentionné ? retour à l'emploi. Est-ce que la définition réelle de la... Parce que je faisais le lien, puis c'est un discours très, très, très politique, on dit: Réinsertion sociale, c'est marché du travail. La définition de la «réinsertion sociale», le mandat est beaucoup plus...

M. St-Yves (Richard): C'est davantage de développer des habilités pour les gens pour qu'ils puissent développer une certaine forme d'autonomie. O.K.? Mais, comme je l'ai dit, j'ai pris soin de préciser: Ce n'est pas n'importe qui. Il y a un continuum dans l'évolution des itinérants, et il y en a, à un moment donné, qui, eux, prennent la décision de vouloir s'en sortir; il y en a d'autres qui vont rester dans l'itinérance toute leur vie. Mais nos interventions doivent varier, on travaille avec 150 à 200 personnes, les interventions doivent varier en fonction des gens. Mais, en même temps, s'il y en a qui sont prêts à s'en sortir, ça demande un accompagnement très particulier pour pouvoir le faire. Et c'est pour ça qu'on parle de logements supervisés pour ces gens-là. C'est pour ça qu'il faut les accompagner, de briser le lien qu'ils ont avec la rue à l'heure actuelle. Ça, ça veut dire de délaisser les amis ? jusqu'à un certain cas ? qu'ils avaient dans la rue parce que, ces gens-là, la première chose qui va arriver, c'est qu'ils vont les ramener à la rue. Alors, c'est énormément de travail, énormément d'accompagnement qui doit être fait.

Mais je ne parle pas d'avoir un emploi à temps plein tout de suite, là, c'est peut-être de développer des habilités, développer la confiance en soi, de célébrer des petites victoires, de maintenir la désintox. Ces gens-là ont arrêté de consommer. Juste les encourager à maintenir cette habitude-là, les aider à développer un nouveau cercle d'amis, de les amener dans un milieu du travail où ils vont être peut-être entourés de gens plus positifs aussi par rapport à la vie... et ça, dans certains cas, on l'a vu, c'était une source d'influence qui était incroyable, mais on le sait que ce n'est pas facile. Mais, si on réussit à sortir une, deux, trois, quatre, cinq personnes de la rue, c'est incroyable. Et, ces gens-là, on veut les réimpliquer par la suite. Ça aussi, ça fait partie de l'esprit du Y; c'est d'impliquer les gens avec ça, avec nous par la suite, soit pour faire des témoignages soit pour aider d'autres personnes quand ces gens-là vont avoir la force de le faire.

Le Président (M. Kelley): Alors, merci beaucoup. Malheureusement, je dois mettre fin à cet échange et céder la parole à Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Bonjour, MM. Baudot et St-Yves. Et, comme vous dites, vous avez une belle équipe de jeunes qui sont avec vous aujourd'hui. Je ne sais pas s'ils peuvent s'identifier?

Des voix: ...

Le Président (M. Kelley): Bienvenue.

Mme Lapointe (Crémazie): Bienvenue. Bravo! C'est toujours un gros problème, hein, ça, quand on passe la moitié de son temps à chercher du financement au lieu de faire le travail qu'on veut faire.

M. St-Yves (Richard): ...créer des programmes... des initiatives.

Mme Lapointe (Crémazie): Oui. Et puis justement vous parliez du lien de confiance qui doit s'établir entre la personne qui est mal prise, hein, qui est dans un état très difficile... avec un intervenant. Et, si ce lien-là se brise, bien, écoutez, souvent tout est à recommencer. On voit ça souvent aussi dans les soins puis les services à domicile qui sont offerts, dans une autre catégorie, là, mais aux personnes âgées: elles deviennent en confiance avec leur infirmière ou leur aide-infirmière. Bon. Vous avez parlé de deux programmes en particulier, Dialogue et Premier Arrêt, l'un est un programme de prévention de l'itinérance. Est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus sur ce programme-là?

M. Baudot (Henri-Charles): Oui. Merci pour la question. Est-ce qu'on a encore un peu de temps?

M. St-Yves (Richard): Bien non, vas-y.

Le Président (M. Kelley): ...

M. Baudot (Henri-Charles): Oui? O.K.

Mme Lapointe (Crémazie): C'est nous qui n'avons plus de temps.

M. Baudot (Henri-Charles): Mes collègues me connaissent, alors, c'est pour ça que...

M. St-Yves (Richard): J'ai dit que, si les interventions étaient trop longues, je lui donnais un coup de pied en dessous de la table. Est-ce que vous entendez?

M. Baudot (Henri-Charles): Effectivement, avant, je travaillais avec les jeunes de la rue et je suis arrivé au Y dans l'organisation de la mise sur pied d'un travail communautaire en prévention. Alors, à partir de la station d'autobus, ce sont les travailleurs communautaires qui vont chercher à identifier, approcher des personnes qui peuvent être isolées, confuses, qui ne savent pas où aller ou bien qui se retrouvent dans la station quelques heures plus tard, de sorte à les approcher et à répondre à un besoin de façon immédiate. Et, à partir de ça, on fait ce qu'on appelle dans notre jargon: on bâtit les liens avec les ressources du milieu pour répondre à plusieurs besoins que la personne pourrait nous exprimer. Et, dans ce sens-là, on espère...

Et aussi, dans notre vocabulaire, on fait un peu de prévention par rapport au centre-ville montréalais. Autour de nous, si la prévention ne fonctionne pas... Autour de la station d'autobus, près de Berri-UQAM, on sait que les influences environnantes sont très, très rapides. Il y a des acteurs qui agissent rapidement. Donc, nous, le plus tôt on peut lier les gens aux organismes, aux services institutionnels, ou que ce soit légal, hébergement ou tout ça, le mieux on considère qu'on a fait notre travail.

M. St-Yves (Richard): On a beaucoup de jeunes, par exemple, qui peuvent faire des fugues, qui viennent à Montréal et qui ne sont pas préparés, qui viennent des régions, qui arrivent à Montréal. On a eu des gens qui arrivent d'un peu partout à travers le monde, et c'est arrivé à plusieurs reprises que les intervenants ont pu prévenir des jeunes de se faire solliciter par des pimps, des jeunes également... Et souvent c'est des gens qui ont l'air d'un grand-père ou d'une grand-mère, là. Ce n'est pas souvent l'image traditionnelle qu'on se fait. Alors, le personnel a développé une expertise à détecter les personnes qui sont vulnérables ? et c'est là l'aspect de la prévention ? justement pour les orienter vers des ressources et éviter qu'ils ne se retrouvent, en bout de ligne, aussi dans la rue.

Je me rappelle, il y a quelques années, lorsqu'on parlait de délinquance juvénile à Québec, toute cette histoire de délinquance juvénile là, Premier Arrêt était là justement pour prévenir cette situation-là davantage. Mais il faut les détecter, les gens, et intervenir immédiatement. Alors ça, c'est le mandat de Premier Arrêt.

Mme Lapointe (Crémazie): Je trouve ça intéressant.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Gouin, il vous reste cinq minutes.

M. Girard: ...de vous saluer et puis de vous remercier d'avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd'hui. Vous faisiez référence au fait qu'il y a des gens qui viennent des régions, qui arrivent à Montréal, puis, bon, vos travailleurs de rue interviennent. Est-ce que c'est la majorité de votre clientèle? Comment vous définissez la répartition de la proportion qui vient de Montréal, la proportion qui vient des régions des itinérants auxquels vous intervenez?

M. Baudot (Henri-Charles): C'est-à-dire que, par rapport à Premier Arrêt, a priori tout le monde a accès au service, donc ce n'est pas écrit nulle part que c'est pour ou pas pour les personnes itinérantes. Il y a une partie des gens en situation d'itinérance et sans domicile fixe, à faibles revenus, qui voyagent, donc, d'une province à l'autre, le Nord-du-Québec, on appelle ça la migration des jeunes. Il y a beaucoup de jeunes en situation de migration. Je suis même accompagné de notre chercheur qui est ici, qui fait une étude sur nos données. Mais en général c'est 30 % des gens avec qui on est en interaction qui arrivent d'une autre province, du Nord-du-Québec, ou de d'autres régions, ou de d'autres pays, et donc on va les orienter immédiatement. Il y a 40 % qui touchent des personnes en situation de transition, donc des personnes qui se réinstallent ailleurs, qui sont en transit et donc qui passent un certain nombre d'heures à Montréal, là où ça peut être critique. Et l'autre 30 %, ce sont des gens qui habitent Montréal, qui gravitent autour des quartiers, résidents, non-résidents, et là on peut toucher une population qui est un petit peu plus pauvre, un petit peu plus marginalisée.

M. St-Yves (Richard): Je peux dire que les 200 personnes avec qui on oeuvre, avec qui on travaille sont davantage des itinérants qui sont connus au centre-ville.

M. Baudot (Henri-Charles): Oui. Oui. L'autre programme, oui, c'est ça.

n(18 heures)n

M. St-Yves (Richard): Ça, c'est dans le cadre de Dialogue. Ce sont des gens qui sont connus. Parce que, si on veut intervenir puis on veut les aider à progresser, bien ça prend une continuité. Alors, on centralise nos efforts vraiment auprès de cette clientèle-là. Ce n'est pas qu'on ne veut pas s'occuper des autres, mais, avec les ressources limitées qu'on a, on a décidé que, nous, on veut avoir un impact sur ces 200 personnes là, et déjà, là, c'est énorme.

M. Girard: Je voulais également vous parler un peu de la judiciarisation. On a eu l'occasion, ce matin, avec le Refuge des jeunes, qui en ont abondamment parlé... Vous disiez que vous perdez le contact avec, bon, ces itinérants-là, un certain nombre, qui, pour des contraventions non payées, se retrouvent à aller en prison. On s'entend que, pour un jeune de la rue ou un itinérant, la prison, ce n'est pas le meilleur endroit pour favoriser la réinsertion, la réintégration dans la société. Moi, j'aimerais vous entendre un peu sur comment vous trouvez que ça se déroule à Montréal ou avec vos travailleurs de rue qui interviennent auprès des itinérants. À votre avis, est-ce que les contraventions qui sont données sont toujours fondées? À votre avis, est-ce qu'il y a des abus? Est-ce qu'on doit penser à d'autres façons de travailler auprès de ces itinérants-là ou de ces jeunes itinérants là afin d'éviter qu'ils se retrouvent en prison, où ce n'est pas le meilleur lieu pour favoriser leur réinsertion?

M. St-Yves (Richard): Je peux peut-être faire un commentaire en premier. Moi, je peux vous dire qu'on a connu des cas où effectivement ? je ne devrais pas dire ça, mais je le dis ? la judiciarisation était inévitable parce que ce sont des... Il y avait des gens là-dedans qui consommaient, et malheureusement, lorsqu'ils consomment ils ne sont plus les mêmes personnes que s'ils étaient à jeun, et là il y a un début de criminalité, de vols de sacs à main, et ça touche la sécurité. Il vient un point où il doit y avoir une judiciarisation, ça, il n'y a aucun doute là-dessus.

Pour avoir eu plusieurs rencontres avec les policiers, les policiers connaissent très bien les itinérants, et je peux vous dire qu'avant qu'ils décident de les enfermer il y a plusieurs étapes qui sont faites avant ça. Mais, quand les situations deviennent incontrôlables, ça devient excessivement difficile pour eux également.

Et il faut penser aux résidents aussi et c'est un peu le travail qu'on fait au niveau de la médiation. Il faut penser aux résidents, aux commerçants, aux itinérants et comment on peut assurer une médiation auprès de ces gens-là, comment on peut faire comprendre à l'itinérant que les gens ont peur d'être dans un certain secteur. Ce n'est pas évident, c'est très difficile, mais ça, c'est du travail que des gens font sur le terrain sur une base continue. C'est sûr qu'on en a eu qui se vantaient d'avoir tué des gens dans le passé. Je veux dire, il y a des cas psychiatrisés dans ça.

Il n'y a pas une réponse oui ou non à votre question, malheureusement. La seule chose que je peux dire, c'est que, moi, j'ai eu à travailler avec des policiers qui étaient conscientisés, qui savaient fort bien que ce n'était pas la solution miracle, mais ils travaillent avec les moyens qu'ils ont à l'heure actuelle. Puis j'ai vu d'autres policiers qu'à un moment donné ils avaient le billet assez rapide. Malheureusement, là, ce n'est pas une réponse «politically correct» que je veux donner, mais c'est un «judgment call», tout dépendant des cas, là, auxquels on faisait face. Mais je pense que tout le monde s'entend qu'il faut qu'on travaille ensemble pour trouver des alternatives, qu'effectivement ce n'est pas la solution parce que, lorsqu'ils vont sortir de prison, souvent ils rembarquent dans le même pattern par la suite.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour cet échange. Malheureusement, je dois mettre fin parce que notre temps arrive et en rappelant que j'ai participé à une couple de reprises... Il y avait un genre de pow-wow organisé dans le Cabot Square. C'est Sheila Laursen, chez vous, qui m'a invité. Et j'ai vu la façon que le YMCA a essayé, dans le quartier, les représentants du collège Lasalle, les commerçants sur la rue Sainte-Catherine, tout le monde ensemble, pour composer avec les réalités qu'on trouve dans le carré Cabot à tous les jours. Alors, c'est difficile, mais je pense que c'est un exemple tangible de qu'est-ce que vous êtes en train d'exprimer. Alors, sur ça, merci beaucoup.

Je veux rappeler aux membres de la commission: Il reste une couple de témoins qui veulent venir témoigner, alors on va suspendre 30 secondes, et après ça on va reprendre avec nos témoins de la salle.

Une voix: Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 18 h 4)

(Reprise à 18 h 6)

Le Président (M. Kelley): Alors, j'invite les membres de la commission de prendre place. Alors, le dernier droit de parole cet après-midi, comme j'ai dit, on a l'invitation pour les personnes qui sont dans la salle de nous adresser quelques mots, les personnes qui ont un vécu avec l'itinérance, soit à ce moment ou dans le passé, qui veulent adresser quelques paroles aux membres de la commission. Nous avons environ une enveloppe d'une quinzaine de minutes. Je ne sais pas comment vous voulez la partager, mais je vous demande d'être le plus succincts possible, mais, je pense, c'est les deux qui...

Une voix: ...il y a des fans, là.

Une voix: Ça, c'est...

Le Président (M. Kelley): Oui, ça, c'est le fan-club. O.K.

Une voix: On est deux à parler.

Une voix: ...les supporters.

Le Président (M. Kelley): Je comprends très bien. Alors, on a deux témoins, si j'ai bien compris. Qui veut lancer le bal? Et si vous voulez vous identifier pour les fins d'enregistrement, mais sentez-vous bien à l'aise de... La parole est à vous.

Personnes itinérantes ou l'ayant été (suite)

Mauve: Bien, merci beaucoup. Bien, pour faire une histoire brève, on m'appelle Mauve parce que, moi, je ne m'appelle pas. Je suis sans domicile fixe depuis l'âge de 16 ans, dû à une fugue à ce moment-là. Mais, bon, si on prend sans domicile fixe, probablement depuis l'âge de 13 ans, grâce aux centres jeunesse de Montréal. Bon. Les centres jeunesse m'ont gardée jusqu'à mes 16 ans. Je suis partie. Les chanceux qui restent ont des appartements supervisés jusqu'à 18 ans, mais après ça ils se ramassent dehors sans nécessairement avoir une place où aller par après. Sinon, bien, moi, dans mon cas ça a été le centre d'accueil et ensuite dehors.

J'ai 24 ans. Je suis toujours sans domicile fixe. Par choix, par contre. Comme je connais les ressources, c'est à moi d'aller chercher de l'aide si j'en ai besoin. Donc, oui, la rue, ça peut être un choix conscient.

Aussi, j'ai arrêté d'aller dans les ressources communautaires, ces choses-là, à cause du roulement de personnel. Il n'y a pas moyen d'avoir un lien de confiance parce que ça bouge tout le temps. Puis là, bien, je ne veux pas le dire, mais ça, ça doit être à cause du financement.

Ensuite, bon, si j'arrive au point de la santé, il y a eu des fois où j'ai eu besoin d'aller à l'hôpital. Et pourquoi, moi, je n'ai pas le choix de l'hôpital où je veux aller, comme M. et Mme Tout-le-monde? Pourquoi est-ce que, moi, c'est l'ambulancier qui doit choisir où est-ce que je vais?

Aussi, quand le personnel médical apprend que j'ai consommé de la drogue, que ce soit là, que ce soit dans mon passé, bien pourquoi ils ne me traitent pas jusqu'au bout? Aussi, bien, pourquoi le respect, il diminue à ce moment-là? Pourquoi je me sens dénigrée d'aller à l'hôpital, alors que... Pour vous donner un exemple, je suis allergique aux abeilles puis aux guêpes. C'est niaiseux, comme exemple, mais ils ont attendu que je tombe sans connaissance avant de me traiter à cause qu'ils disaient que, ah, bien, j'avais pris de la drogue. Bien, justement, mais, si je le dis que j'ai pris de la drogue, c'est pour avoir un traitement adapté à mes besoins. Si je le dis, moi, je pile sur mon orgueil pour le dire parce que je vous avoue que ce n'est pas toujours évident puis que les gens ne sont pas toujours accueillants là-dedans. C'est pour ma santé que je le dis, pour avoir un traitement adéquat.

n(18 h 10)n

Puis, question, est-ce que c'est normal d'avoir son congé parce qu'on n'a pas d'adresse? Ça, ça m'est arrivé la semaine passée, O.K.? Ça fait que ça vous donne une idée de ce qui peut arriver. Puis de là, bon, j'ai eu mon congé. Parce que je n'avais pas d'adresse, j'ai payé 35 $ de taxi pour me rendre à une autre urgence où est-ce que, là, c'étaient eux autres qui prenaient les SDF cette journée-là. Puis là ils m'ont gardée 24 heures parce que, le lendemain, bien la semaine recommençait, puis il fallait que je rechange d'hôpital si je voulais être gardée. Mais, moi, j'en avais besoin. Ça fait que c'est un petit peu insultant, parfois. Il me semble que j'ai le droit d'être traitée comme une personne, comme n'importe qui d'autre. Puis malheureusement, bien, ce n'est pas des choses qui arrivent toujours.

Aussi, tantôt, à Berri, j'ai entendu une remarque de je ne sais pas qui et honnêtement je préfère ne pas le savoir. On parlait des itinérants pour en faire des citoyens. Ça veut-u dire que je n'en suis pas une? Moi, j'habite à Montréal depuis que je suis née et j'ai 24 ans. C'est quoi, être citoyen?

Pour arriver à la police, finalement, bon, la répression, c'est bien beau, peut-être que ça aide quelque part, mais, moi, ce que je sais, c'est que, moi, j'ai des dettes, j'ai des milliers de dollars de dettes en tickets pour des niaiseries comme: ne pas avoir tenu la rampe dans les escaliers mécaniques du métro, O.K., c'est assez insignifiant, pour avoir jeté de la cendre par terre quand je fumais, pour avoir marché sur du gazon, pour flânage, pour mauvais usage du mobilier urbain parce que je me suis assise sur un banc puis ça ne faisait pas son affaire cette journée-là. Je ne dis pas que c'est tous les policiers qui sont comme ça, j'en connais des corrects, mais c'est quand même désolant de voir des choses comme ça. Puis, quand ça nous arrive, bien c'est sûr que c'est un peu insultant.

Aussi, bon, la répression, on parlait tantôt d'envoyer les gens en prison, mais la prison, c'est aussi l'université du crime. Il faut y penser, à ça. De choisir qui va en prison, quand et pourquoi, le policier, avant le juge, a quelque chose à voir là-dedans. C'est à lui dans le fond de décider s'il l'embarque ou pas puis pourquoi.

Pour continuer avec la police, moi, j'ai choisi d'avoir un chien, hein? Il y en a plusieurs d'entre vous qui l'ont vue, qui l'ont flattée tout à l'heure, elle est supersociable. Mettons que je voudrais sortir de la rue ? puis, encore là, sortir de la rue, ça, c'est un concept à définir aussi pour moi ? bien trouver un logement, ce n'est pas évident avec la discrimination parce qu'il y a mon âge, parce qu'il y a le look, parce que j'ai un chien, parce que... et tout ça. Puis c'est aussi tout ce qui me reste, ma chienne, là, c'est le seul lien d'appartenance que j'ai. Donc, ce n'est pas quelque chose que je vais me débarrasser. Puis encore moins elle est prescrite, puis je ne peux même pas l'amener ici. Je n'ai même pas le droit de l'attacher devant un commerce. Parce que, ceux qui ne le savaient pas, non, on n'a pas le droit de faire ça. La réglementation à Montréal ne nous le permet pas. Les policiers, ils laissent passer pour les autres, mais, pour les gens de la rue, bien ce n'est pas correct. Interdiction des chiens à Berri puis à Viger depuis quelques années. Bien, ça fait quelques années. Puis, à Berri puis à Viger, oui, O.K., les gens qui ont des chiens, ils ne sont plus là, mais les gens qui dérangeaient sont encore là, que ce soient des gens qui boivent trop, que ce soient des gens qui font de la junk ? désolée, mais j'ai mon langage, puis c'est bien correct, il va falloir faire avec ? bien ils sont encore là, ces gens-là. Puis ça, ces gens-là, généralement ils ne sont pas capables de s'occuper d'eux, encore moins d'un chien. Ça fait que d'enlever les chiens, bien ça fait juste les rendre plus visibles, en tout cas à mon avis.

Puis aussi avoir un chien, bien, si on décide que, ce soir-là, on a besoin d'une place où dormir, bien il n'existe pas de ressource après 19 ans. Il n'y a que le bunker à Montréal qui accepte les animaux, le bunker du Bon Dieu dans la rue. Mais, moi, je dors dehors et puis je vis très bien avec ça, c'est correct avec moi. Mais ce n'est pas nécessairement le cas de tout le monde. Puis des fois on a besoin d'une nuit de repos, une nuit de répit puis on ne peut pas l'avoir. Il faut faire garder notre chien par quelqu'un de plus ou moins fiable les trois quarts du temps. Ça fait qu'il faut s'en séparer. En plus, on n'est même pas sûre qu'elle va être correcte le lendemain. Puis honnêtement, moi, je ne dors pas bien dans ces situations-là. Parce que, pour ceux qui ont des enfants, là, vous pouvez vous dire, c'est à peu près comparable.

Ça fait que finalement, moi, je revendique le droit d'être, le droit de vivre librement. Puis dans le fond j'espère juste avoir les mêmes droits que tout le monde puis qu'on ne viendra pas me taper sur la tête pour ça. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. À votre tour, madame.

Sylvie: Moi, je vais mettre mes lunettes. Bien, bonjour. Mon nom est Sylvie. Moi, je viens vous parler de l'importance d'investir dans les maisons d'hébergement comme La Rue des femmes. Parce que c'est là que je m'en suis sortie. Vous allez sûrement les rencontrer plus tard.

Puis je vais vous faire voir un peu au-delà de l'homme ou de la femme sans abri, avec peut-être deux sortes de formes d'yeux. Bien sûr, avec mes lunettes, je ne vous vois pas, par exemple, quand j'ai mes lunettes, là, mais bon. Il y a la forme où est-ce qu'on a l'oeil surface, là, tu sais, ce qu'on voit, puis on a la forme aussi rayons X. Puis l'exemple de l'oeil surface, ce qu'on voit, c'est souvent: Ah, as-tu vu la femme, là, elle quête? Aïe! elle est droguée, elle, en plus de ça. Elle fait la prostitution. Elle pourrait se lever comme tout le monde, le matin, hein, puis aller travailler, hein? Ça, c'est l'oeil surface, c'est ce qu'on voit, les préjugés puis tout ce qu'on veut. Ça, c'est vraiment ce qu'on voit.

Mais, moi, je vais faire voir un petit peu, je vais vous... pas vous faire voir parce que je n'ai pas d'ordre à donner, je n'ai pas rien à donner, mais un peu une autre forme, mettons. L'oeil rayons X, c'est d'aller voir au-delà, d'aller voir l'intérieur de cette femme ou de cet homme-là. Puis malheureusement, bien, quand on va prendre ces yeux-là, bien on va voir que la majorité de ces sans-abri-là, ils ont signé un bail, le bail de la déchirure. Puis c'est ? excusez, je suis un peu nerveuse, là ? le bail de la déchirure qu'ils ont signé à leur insu. C'est un bail qui a pour clauses souffrance, blessure, maladie, rejet, violence, abandon, souvent. Excusez, je suis un peu émotive, là, mais ça va y aller. Envoie, «let's go»! Ils peuvent le signer très, très jeunes, même dans le ventre de leurs mères. Je peux vous en parler longuement de ça, mais, bon, je ne suis pas ici pour ça. Ce bail est d'une durée indéterminée. Malheureusement, il augmente comme le coût de la vie, puis il y en a beaucoup qui le paient très cher de leur vie. Ils en meurent, ils en souffrent, ils sont blessés, ils perdent une jambe, ils perdent un bras. ils perdent leur tête, ils perdent leurs enfants, ils perdent leurs parents, leur famille, ils perdent tout. Puis pourtant, bien, ils n'ont pas plus de services, hein? Non, ils n'en ont pas plus. Ils n'ont pas de confort intérieur non plus, ils n'en ont pas.

C'est là l'importance, l'importance de venir en aide à des maisons d'hébergement comme ça. Puis il y en a une qui est venue, puis cette maison d'hébergement là, c'est La Rue des femmes, qui accueille au-delà du service de vestiaire, ou de manger, ou d'hébergement. Eux autres, ils ont mis leurs yeux rayons X puis ils viennent en aide aux femmes de toutes sortes de problématiques. Quand je dis «toutes sortes», c'est vraiment de toutes sortes de problématiques. Puis, si la femme, elle a la capacité de s'en sortir, bien il y a des thérapies, il y a de l'accompagnement, il y a de tout ou presque, on s'entend?

Puis, moi, je suis la preuve vivante qu'on s'en sort, je peux vous le dire. Moi, j'étais une fille qui pouvait faire 32 «hospit» en un an, en psychiatrie. Toutes les maisons d'hébergement m'ont fermé la porte. Pourquoi? Parce que j'avais un mal de vivre. J'avais un mal de vivre parce que, dès que j'étais dans le ventre de ma mère, ma mère, elle a voulu m'avorter, O.K.? Mon jumeau est sorti, puis, moi, j'ai resté. J'ai dit: Non, moi, je vais rester. Mais finalement je suis restée pareil, mais, de zéro à deux ans, j'ai eu 26 placements. Puis après ça je suis tombée dans une famille, dans une famille où est-ce qu'on m'a... Tiens, en veux-tu, en voilà! Après ça, des centres d'accueil, des familles d'accueil, des centres d'accueil, des familles d'accueil, envoie ici, envoie là, de l'inceste, de la violence, tout ce que tu voudras, j'en ai eu plus souvent qu'à mon tour. De la stabilité, après ça? Adulte, je peux en avoir, de la stabilité? Je peux élever mes enfants? Non. J'ai perdu mes enfants adulte aussi, je les ai perdus.

n(18 h 20)n

Ça fait que, ma vie, bien, je suis rendue à 44 ans. Je ne sais pas si vous savez, mais, ouf! hein, une bonne thérapie, bon nettoyage, et c'est La Rue des femmes, maison d'hébergement, qui me l'a donnée. Excusez, c'est ça. Alors, je rentrais dans les maisons d'hébergement avant de rentrer à La Rue des femmes, puis, bien, c'est sûr, hein, je sortais comment? Sur les pieds... par les pieds... Je sortais les pieds devant. Pourquoi? Parce que je faisais un «acting out», parce que je prenais des pilules pour m'en sortir. Puis finalement, bien, hein, on revient toujours sur nos deux pieds, hein, parce que ce n'est pas notre temps, ce n'est pas notre heure, on n'a pas fini encore de comprendre. Alors, c'est ça.

Ça fait que, moi, mon bail, là, je l'ai signé là. Je ne l'ai pas demandé, par exemple, je ne l'ai vraiment pas demandé, ce bail-là. Je l'ai payé très cher. Mais aujourd'hui, par exemple, je l'ai résilié il y a quatre ans, ce bail-là, avec La Rue des femmes. Puis retenez ce nom-là, La Rue des femmes, parce que, je vais vous dire quelque chose, si je ne les avais pas eues, je ne serais pas là, ici, en train de vous parler aujourd'hui, je vous le jure.

Ce ne sera pas long.

Une voix: Prenez votre temps.

Sylvie: Tout ça pour vous dire que j'ai maintenant un bail de la Régie du logement depuis un an, puis, en plus de ça, ça fait environ deux ans et demi que je travaille à mes clauses de bail d'estime de moi, puis un jour je vais l'avoir au complet. Je suis en train de préparer aussi un CD pour pouvoir arriver à faire quelque chose de ma vie. Parce que mon rêve, c'est de faire un CD. Puis tout ce que je demande aujourd'hui en réalité, c'est: S'il vous plaît, essayez, quand vous voyez un itinérant, un sans-abri... enlevez ces lunettes-là, ça ne vaut pas la peine. Mettez vos yeux rayons X, mettez-les! Je vous demande juste ça. Puis ce que je souhaite, c'est qu'il y ait de l'argent investi pour justement que ces gens-là puissent enlever ce bail-là de la déchirure puis qu'ils aient un bail de la Régie du logement et surtout un bail d'estime de soi et d'amour de soi. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Au nom de tous les membres de la commission, je veux vous saluer, vous deux, pour votre courage, pour ces témoignés qui...

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): Très rapidement parce que nous devrons recommencer, alors il faut terminer pour recommencer.

Mauve: Oui, oui, oui, je comprends. Justement pour renchérir sur ce que madame disait, si je regarde ça, depuis l'âge de 16 ans, en faisant une moyenne, je perds environ une personne, un ami par quatre mois, que ce soit à cause des overdoses, à cause des accidents, des bagarres, même la brutalité policière. J'en ai perdu trois comme ça. Puis juste vous dire: Oui, la rue, ce n'est pas toujours facile, mais il y a quand même moyen d'être fonctionnel, à condition que ce soit un choix, bien sûr. Pour vous donner une idée, bien, moi, je travaille, j'ai une job, je travaille à contrat puis, bien, moi, j'aime bien ça. Puis ça ne m'empêche pas de fonctionner. J'ai fait mon secondaire IV et V, puis le cégep dans la rue, ailleurs que chez Pops.

Le Président (M. Kelley): Alors, merci beaucoup, merci beaucoup pour ça. Et sur ça je vais suspendre nos travaux à 20 heures. Mais encore une fois merci beaucoup pour partager vos expériences avec les membres de la commission.

Je suspends jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 25)

 

(Reprise à 20 h 2)

Le Président (M. Kelley): Je demande aux membres de la Commission des affaires sociales de prendre place, et on va reprendre nos travaux, en rappelant le mandat de la commission, qui est de procéder à des auditions publiques dans le cadre du mandat d'initiative sur le phénomène de l'itinérance.

Il nous reste deux groupes... deux personnes du regroupement, courageux pour venir ce soir. Alors, merci beaucoup. Et tous les groupes sont égaux dans notre société, mais, comme ancien ministre des Affaires autochtones, il y a certains groupes qui sont peut-être plus près de mon coeur que d'autres. Alors, je suis très heureux, ce soir, d'accueillir les représentants du Centre d'amitié autochtone de Montréal, représenté par Mme Dianne Ottereyes Reid, Mme Josée Goulet et M. Brett Pineau. Alors, qui va prendre la parole en premier?

Centre d'amitié autochtone de
Montréal inc. (CAAM)/Native Friendship
Centre of Montréal Inc. (NFCM)

Mme Goulet (Josée): Alors, je vais débuter.

Le Président (M. Kelley): O.K. Parfait, merci beaucoup. Tout en rappelant... S'il y a des membres qui veulent s'exprimer en anglais ou en français, ça va me permettre de pratiquer mon anglais.

Mme Goulet (Josée): Alors, bonsoir. D'entrée de jeu, je tiens à remercier M. Kelley de présider cette commission. Je tiens aussi à souligner de façon particulière le fait que la commission soit itinérante elle-même. Je pense que c'est bien d'avoir eu cette préoccupation-là, de se promener d'une place à l'autre pour entendre les préoccupations des citoyens. Donc, d'entrée de jeu, je tenais à le souligner.

Alors, nous allons faire une présentation du Centre d'amitié autochtone de Montréal. Pour commencer, je vais vous faire une mise en contexte. Le mouvement des centres d'amitié est un mouvement national. On compte maintenant 120 centres d'amitié au Canada, d'est en ouest. Au Québec, on en compte présentement huit dont le Centre d'amitié autochtone de Montréal. Les centres d'amitié sont regroupés à travers des associations provinciales dont le Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec qui est l'association provinciale du Québec pour les centres d'amitié.

Depuis leur création, les centres d'amitié sont des incubateurs d'importantes initiatives qui ont mis en place une panoplie de services, avec une philosophie d'«empowerment» pour que les autochtones qui viennent chercher des services dans les centres deviennent des gens qui ont du pouvoir sur leur vie et qui sont capables de devenir des citoyens et de s'insérer dans la société dans laquelle ils composent. Donc, les centres d'amitié ne font pas seulement qu'offrir des services, ils le font dans une préoccupation aussi de redonner la dignité aux gens, aux autochtones, et de leur permettre d'exercer du pouvoir comme citoyens dans la société dans laquelle on compose. Alors, c'est l'introduction rapide que je fais du mouvement.

La prochaine partie consiste en la présentation du centre d'amitié de Montréal, qui vit une situation particulière au Québec, et je dirais même au Canada, de par son emplacement et les différents défis auxquels il est confronté. Et c'est Mme Dianne Ottereyes Reid qui va faire la présentation.

Mme Ottereyes Reid (Dianne): Thank you very much, Mrs. Goulet. Mr. Kelley, hello again, good evening. For the members of the parliamentary commission, I just wanted to also underline that I have lived in Montréal for 37 years. I am from the Cree nation of James Bay. I am also the chairperson of the Health and Social Services for the Cree nation since seven years. But being a member of the community of Montréal is something that is very close to my heart. So, if you notice, in the presentation that we have, that the Native Friendship Centre of Montréal has been here, in Montréal, since 34 years. And, at its beginning, it was first a drop-in center for First Nations students. And it became evident that there was a need to have a center that would serve not only the cultural and social aspects of more and more First Nations people coming into the urban milieu of Montréal.

From all of the initial efforts, many other Native organizations in this province were born from what we call the mother lode, which is the Native Friendship Centre of Montréal. That included the Native Parajudicial Services of Québec and also the Native Women's Shelter. And in turn, also, I recall, in the late seventies, in the late eighties, we also sheltered the campaign for the fund-raising for Native Men's Halfway House, which is now Waseskun House.

Throughout the years, the center has had many cultural, relevant and social activities as the powwow and also the Native Festival, a music festival. And, since the time that it opened its doors, in 1975, it has been in several locations. More so today, after 34 years, it's now located at the corner of Ontario and Saint-Laurent. And for... Even though the initial efforts to find a bigger building in order to ensure the growth of cultural and social activities, this move also created the situation where it became more of a drop-in center for itinerants of the streets of Montréal, First Nations people throughout this country, from the East to the West and the North, especially more so, and from the South. It has been something that has been the greatest challenge for the Native Friendship Centre of Montréal, to be able to not only fulfill their mandate, that is cultural and social... and end up having the majority of the clientele being itinerant people, which has kind of pushed aside our original mandate as a center.

And the greatest difficulty, even though we have worked very hard to create partnership with local services in Montréal, whether it's places where people can have meals or also places where they can have a bed for the night... it has been very difficult for us to be able to continue to be able to provide our original mandate because of that issue. And it's becoming an overwhelming aspect of our day-to-day work, and whatever comes into our door, that is really related to poverty on the streets. And this is a very evident issue on the streets of Montréal for us and, I am sure, for many people that live here.

n(20 h 10)n

We feel that there is a great need to be able to change that mandate and to be able to find the immediate solution with how to deal with itinerance that is overwhelming the Native Friendship Centre of Montréal in its services to its community, specially with the fact that we are not set up to be psychoservice intervenors. As a head of a health organization, I do feel that the Native Friendship Centre of Montréal has not attained the capacity or the expertise to intervene at that level. But yet the expectations of the implementation of a lot of the programs for itinerants have created that situation where limited resources put people that have limited experience in the intervention for itinerants.

This is the reality of the services that are being provided for itinerants in Montréal, especially First Nations people. And this type of interventions require more resources to know what the real solution is in the future. And that's the part that I would like to ask Brett Pineau, who is the program officer who supervises the street workers and the outreach workers who work every day in the front lines... and I'd like to ask him to share some of the parts regarding our services.

Le Président (M. Kelley): Mr. Pineau.

M. Pineau (Brett): Thank you, Dianne. Thank you, Mr. Kelley. The Centre d'amitié autochtone de Montréal, Native Friendship Centre, mobilizes itself around four major projects. Those are the «centre de jour», the street patrol, the youth center and the urban referral program which is sponsored by the ville de Montréal.

The «centre de jour», if I could start out with that, aims to provide a hot meal Monday through Friday, without discrimination, for all who walk through our doors, as well as providing shower, laundry facilities, extremely basic level services, as well as providing referral assistance and support.

The street patrol aims to target those who are not able to make it through to the center. The center has a zero tolerance policy on alcohol and drugs. We're quite stringent on our enforcement of those rules and we aim to target aboriginals and also non-aboriginals on the streets of Montréal from approximately Cabot Square, Atwater and Tupper up through to parc Viger. So we have a dedicated team of four of each workers, and myself as a team leader, overseeing that operation. And we see approximately 80 to 130 clients per night on the streets. We also have a «centre de soir» every Wednesday night for those people that weren't able to make it down.

As Dianne had alluded to, the mandate of the NFCM as a service and reference center from a cultural and social aspect has been greatly impacted upon... our experience with itinerant population in the area. I should strongly add that we provide services to all that come through our doors, without discrimination. And, that being said, you know, in a nonjudgmental fashion, we propagate a harm reduction model which aims to provide healthy choices and alternatives in accordance with traditional teachings, practices and methods.

Part of this is partnerships with organizations like Gamblers Anonymous, Alcoholics Anonymous, which hold weekly meetings at our center. We also make a great attempt to establish partnerships with outside agencies such as McGill's Faculty of Medicine under the Community Health Alliance Program and also Médecins du Monde which sees a nurse ride along with the street patrol once a week. And there is also an in-house medical clinic every Thursday afternoon, which also features a doctor once a month. Once again, those services are there to provide for people who may or may not have the proper credentials or identification to receive standard medical care in the mainstream or for those who would otherwise not be utilizing or obtaining diagnosis or treatment, due to mobility issues.

The urban referral service that I alluded to before is intended for those individuals in transition to an urban setting, for the purposes of ID replacement, apartment or job search, but also accompaniment for medical reasons, also welfare appointments or into the legal system as well.

And lastly the Youth Centre, Urban Multicultural Aboriginal Youth Centre, it's part of a national movement. It targets our young people at ages 15 to 30 by providing them a culturally appropriate alternative to life on the streets, promoting once again a harm reduction model that I alluded to before as healthy alternatives to street life. So one of the things that... The street patrol recently signed a new agreement with the Department of Public Safety, and one of the mandates is to reduce criminality in the Ville-Marie borough. Part of this is counselling our youths on violence and crime reduction. So that's an active part of our mandate.

With the outside agencies that we aim to aline ourselves with, I'd alluded to Médecins du Monde and McGill, and our principal partners, First Nations organizations, would be Projet autochtone du Québec, Native Women's Shelter, Centre des femmes de Montréal and the First Nations Human Resources Development Corporation which provides advanced services for job seekers entering the urban market. I know that our street patrol also has an affiliation with the YMCA where a foot patrol is done jointly with Projet Dialogue which is an offshoot of the First Stop/Premier Arrêt program.

So, what I'm going to do now is move in to a... un portrait de l'itinérance autochtone à Montréal. As the second largest city in the country, the city of Montréal is a target or is a center which attracts members of all different nations throughout Québec, but also throughout Canada, including First Nations, Inuit and Métis. The most recent population statistics gathered by the Royal Commission on Aboriginal Peoples, in 1991, concluded that the urban Montréal population has increased to 45,000. Now, I should add it's very difficult to put a number on that. The itinerant populations typically aren't included in these numbers. It's very difficult to gauge. In fact, Census Canada has a very tough time getting a handle on exactly the numbers in Montréal, due to that reason.

Now the Urban Aboriginal Strategy, under the INAC. I should note that Montréal did not qualify under this program due to the population numbers which most recently they used, I believe, in 2001. So that's an area where we would like to see some improvement in terms of seeing the ville de Montréal qualify under that INAC program.

Now, the three major observations that were noted in a census, and it's quite commonly known, it's that the aboriginal population is the most rapidly growing segment in the country, in Canada, and it also constitutes the youngest segment as well... I should note that we place a high priority on our young people. We have many programs and services which are given specifically to them to insure that they're steered in the right direction in terms of, you know, education, job training and support that they require so.

The Urban Aboriginal needs assessment, and I am sure a copy will be available to all who are interested. It spells out a number of recommendations. It was a comprehensive study that emerged from the socioeconomic forum in 2006 for First Nations, which was a commitment... needs assessment. It goes into great depths, which unfortunately we don't have the time to get into here, but it gives a detailed account of what organizational development services who were commissioned to do the study in terms of... It gives a good assessment of exactly the methodology, findings and recommendations. Thank you.

Le Président (M. Kelley): Oui. 15 minutes passent vite, alors en guise de conclusion, if you have some concluding words...

n(20 h 20)n

Mme Goulet (Josée): Alors, en guise de conclusion, on a des solutions innovatrices à expérimenter, à vous proposer ce soir. On l'a vu, le centre d'amitié a vécu une pression particulière suite à la relocalisation du centre, qui a été victime de son succès, à quelque part. Il s'est relocalisé pour avoir des locaux plus spacieux pour répondre à une clientèle croissante, mais en même temps il y a eu une pression qui a été faite sur le centre dû à sa localité au centre-ville, dans le «red-light» de Montréal.

Alors, on a regardé le modèle développé dans un centre d'amitié autochtone de Vancouver qui a mis en place un centre d'amitié autochtone à caractère familial, en banlieue du centre-ville, qui dessert toute la population familiale, de la prénatalité à la vieillesse, à la mort, et en gardant un point de service centre-ville?«red-light» au centre-ville de Vancouver. C'est une formule très gagnante. À cela, s'est ajouté: des ententes de service, des protocoles, un réseautage d'organisations qui ont la même mission et qui ont réseauté ensemble et défini des partenariats à l'aide d'ententes, de protocoles d'entente de service. Donc, le chevauchement des services qu'on peut constater présentement et le cloisonnement également deviennent moins prenants que ce qu'on vit présentement à Montréal.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Thank you very much. I know the time is very short, but I wanted to make sure there is time left for the Members to ask questions.

Alors, sans plus tarder, on va passer à l'échange avec les membres de la commission. Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: D'accord. Et vous me le direz si vous avez des commentaires, M. le Président, puisque je sais que le sujet... le dossier vous tient à coeur également.

Le Président (M. Kelley): Merci.

Mme Vallée: Alors, bonsoir. Good evening. Je poserai mes questions en français, mais, si vous souhaitez... If you want some precision, I'll be more than happy to try to do a bit of a translation.

Représentant un comté qui compte parmi lui deux communautés algonquines, soit Kitigan Zibi et Lac-Rapide, je me préoccupe évidemment de la situation des jeunes qui quittent, parce qu'on a des jeunes de notre coin qui quittent la région, et qui vont s'établir dans les grands centres, et qui vont vivre des moments de désorganisation.

Et je me demandais, suite à votre présentation: Comment arrivez-vous à faire cette démarche de «reaching out», d'aller chercher et de relocaliser finalement des jeunes dont on a possiblement perdu... avec qui on a perdu contact, et tout ça? Comment vous vous y prenez pour retracer ces jeunes-là qui quittent leur communauté? Et comment vous arrivez... Avec quels moyens vous arrivez à les emmener vers le centre d'amitié autochtone? Et je parle ici des jeunes itinérants. Je sais que vos services ne sont pas exclusivement dirigés vers les jeunes itinérants, mais comment parvenez-vous à aller chercher ces jeunes-là?

M. Pineau (Brett): This remains part of the challenge for us. We have our street patrol who targets many youths around the city, Native or non-Native. Part of the issue that we face is the adverse conditions that they're facing on reserve. It's primarily a federal responsibility, I understand, so this is something that, you know, we'd like to look at at a higher level and having the higher levels of government get involved and directly impact some of the circumstances which, you know, initiate a lot of the migration towards outside of the reserve system.

Mme Vallée: And how do you come about to reach out to those kids? What type of resources do you have to reach out to these kids on the street and to be able to let them know that you exist, basically, and have them come to the center, and use the services, and establish quality links or... des liens de qualité avec des intervenants du milieu?

M. Pineau (Brett): Our street patrol actively targets aboriginal youths on the streets. We are constrained by the fact that we are only four workers in the entire city, and one vehicle as well. The majority of our youths have connections with the youths at home, which is a big reason why we see the immigration. In terms of referral and support, that's the mandate of the street patrol: it's to provide direct basic level services and referral, you know, referral to the appropriate worker or the appropriate agency. As I've indicated, we have a dedicated team of internal workers who are... Unfortunately, we have to draw the limit at servicing aboriginal clients only because of, you know, funding constraints and constraints on labor. But essentially it's welcoming youths through our doors without discrimination, without regard to which First Nation they come from, and providing a warm and culturally appropriate environment with a view to a harm reduction approach.

Mme Goulet (Josée): Je pourrais peut-être me permettre un commentaire en conclusion de l'intervention de Brett. C'est que les centres d'amitié autochtones sont connus. Le milieu autochtone n'est pas un grand milieu ouvert. Le milieu autochtone, le milieu des premières nations est quand même un petit milieu. Et il y a une entente de relation entre le Regroupement des centres d'amitié autochtones et l'Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador, qui sont les chefs qui représentent chacune des communautés au Québec, qui stipule que les centres d'amitié deviennent une prolongation des services offerts par les conseils de bande.

Donc, quand les jeunes quittent les communautés, ils savent qu'il y a un réseau de centres d'amitié partout au Québec qui peuvent répondre à leurs services. Donc, la publicité se fait par elle-même, les centres d'amitié sont dans l'histoire des premières nations depuis notre création, depuis plus de 50 ans. Et, dans la structure des centres d'amitié, comme par exemple au centre d'amitié de Montréal, il y a un conseil des jeunes autochtones en milieu urbain. Donc, les jeunes se parlent, communiquent entre eux et se donnent des instances où ils peuvent échanger, se donner des objectifs, se donner des plans d'action pour prendre leur place aussi puis lutter contre la discrimination ou les inégalités sociales. Ça fait que c'est dans ce contexte-là que les jeunes connaissent et vont naturellement vers les centres quand ils se retrouvent en ville et particulièrement à Montréal.

Mme Vallée: Vous avez mentionné tout à l'heure... ou votre collègue a mentionné les restrictions budgétaires. Évidemment, on a entendu plusieurs organismes, aujourd'hui, nous indiquer l'importance du soutien gouvernemental. Quelle est la proportion de votre financement qui provient des différents paliers de gouvernement? Et est-ce que vous avez aussi également un financement qui provient du secteur privé et d'une fondation de dons?

Mme Goulet (Josée): Bien, on ne se le cachera pas, c'est le nerf, hein? Le financement est le nerf, surtout quand on se retrouve en service de première ligne, et c'est ce qui est arrivé au centre d'amitié. Le centre d'amitié de Montréal, depuis 2001, vit des difficultés financières importantes, et, depuis quelques années, avec la pression croissante, il s'est rajouté à cela aussi des problèmes de gouvernance. Et, si on regarde la répartition des revenus du centre d'amitié de Montréal, c'est environ 30 % des revenus qui sont assumés pour le financement de base, soit les postes de direction, réception, comptabilité. Le reste, ce n'est que du financement par projets. Et l'ensemble des projets en itinérance prend fin le 31 mars 2009 prochain. Donc, pour le centre d'amitié ça devient une situation fort préoccupante, d'essayer de boucler un budget déjà déficitaire avec 30 % du financement qui est attribué au financement de base. Donc, c'est comme un peu essayer de faire des miracles avec ce qu'on peut, finalement. Et ça fait partie des recommandations naturellement du mémoire.

n(20 h 30)n

Je le disais tantôt, il y a des pistes de solution à envisager, le partenariat en est une. Mais, quand on parle de partenariat, bien sûr il y a le partenariat entre les organisations communautaires, mais il y a aussi les différents partenariats avec la ville de Montréal, par exemple, le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral, pour se donner un plan d'action avec des moyens concrets pour être efficaces pour lutter contre le phénomène de l'itinérance.

Mme Vallée: Justement, au niveau de ce partenariat-là avec le gouvernement du Québec, gouvernement fédéral, quels sont les obstacles majeurs que vous rencontrez, au-delà du financement, là, mais dans la mise en application ou dans des programmes? On a entendu, plus tôt ce matin, des gens nous parler de la difficulté à ancrer ou arrimer la réalité terrain et certains programmes qui sont élaborés par différents ministères. Au centre d'amitié autochtone, j'imagine que vous vivez des difficultés similaires dans différents secteurs. Qu'est-ce qui vous touche, vous, plus particulièrement?

Mme Goulet (Josée): Mais c'est comme je le disais tantôt. Ça ressort aussi clairement dans l'évaluation des besoins, qui est quand même très, très récente: c'est le cloisonnement des services qui est présentement en place, qui fait en sorte que le gouvernement fédéral va développer une stratégie mais par silo, le gouvernement du Québec va développer quelque chose d'autre mais en silo, la ville de Montréal se dit préoccupée, mais... Ça fait que ça devient difficile aussi de travailler en silo et on est beaucoup moins efficaces que si on y allait de façon transversale en se donnant une stratégie à tous les niveaux; surtout une ville comme Montréal, qui est, comme on disait tantôt, la deuxième plus grande ville au Canada, là, où il serait important qu'il y ait un réseau et un plan d'action développés pour permettre à tous les organismes communautaires qui luttent contre l'itinérance et aux différents décideurs de s'impliquer à travers un plan d'action. Et on sait que la ville de Montréal est présentement en renégociation avec le gouvernement du Québec pour son entente. Donc, je pense que le moment pourrait être propice.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je suis prêt maintenant à céder la parole au député de Nicolet-Yamaska.

M. Dorion: Merci, M. le Président. Alors, merci pour la présentation du mémoire. Vous savez, depuis ce matin qu'on entend des groupes et de se tracer un portrait sur le... que ce soit en nombre... Je sais que la question de financement revient beaucoup. Mais est-ce que, de la part des différentes communautés autochtones, est-ce que vous vous êtes dressés réellement et beaucoup plus en quantité le nombre d'autochtones qui présentement se sont retrouvés, je dirais, à carrément le bas de l'échelle, qui est, entre autres, l'itinérance? Est-ce que vous, de votre côté, les communautés, étant donné que les communautés sont diversifiées à travers le Québec, donc est-ce que chaque communauté a pu analyser la problématique en soi et de voir quelle est l'ampleur du phénomène de l'itinérance chez les autochtones? Parce que, bon, ici, à Montréal, je veux dire, c'est... Montréal à travers le Québec, là, je veux dire, c'est... mais chez les autochtones.

Parce que ce que l'on constate dans les mémoires qui nous ont été déposés, c'est qu'il y a de plus en plus d'autochtones ici, à Montréal, et possiblement ce fera partie d'une de mes questions. Est-ce que, de votre côté, il y a eu une analyse qui a été faite à savoir pourquoi Montréal? Tu sais, pourquoi pas Québec, pourquoi pas Trois-Rivières, pourquoi pas Sherbrooke? Le regroupement et les gens sont portés à venir ici. C'est une des premières questions.

Et, la deuxième, ne serait-ce que d'évaluer avec vous à savoir si, de votre côté, vous avez fait des études à savoir quel est le corridor qui porte un autochtone vers l'itinérance. Et, on le sait, il y en a plusieurs, corridors, hein? Ça peut être des problèmes de santé mentale, ça peut être des problèmes de judiciarisation, ça peut être... problème d'alcoolisme, problème de toxicomanie, il y a plusieurs corridors. Mais est-ce qu'il y a davantage de recherche qui a été faite au sein des différentes communautés autochtones pour définir davantage, là, la problématique en soi?

Le Président (M. Kelley): Mme Goulet ou...

Mme Goulet (Josée): Bien, en fait, Montréal est une ville qui est dans un point névralgique, hein? On voit les Cris, les Inuits qui descendent vers le Nord venir chercher des services de santé, des services sociaux. Il y a aussi des autochtones de l'Ouest qui viennent à Montréal parce que Montréal a une réalité linguistique bilingue; et il y a aussi des autochtones des États-Unis. Donc, Montréal est vraiment un carrefour géographique intéressant.

L'augmentation de la demande, des besoins des itinérants et de la demande comme telle, nous, on affirme que c'est l'augmentation démographique. On sait qu'il y a une explosion démographique chez les premières nations. Mais il y a aussi tout le phénomène de mobilité qui est un peu dans nos traditions, d'être nomade et de se promener, partir, revenir. Donc, c'est difficile de recenser parce qu'il y a des gens qui ne sont que de passage, une semaine, trois mois, six mois, sans domicile fixe, donc ils deviennent difficiles à recenser. Et il y en a qui vivent ici, qui sont établis ici, qui ont des enfants ici aussi. Donc, il y a deux types d'autochtones qui se retrouvent dans les villes. Et, au Québec, le phénomène est particulièrement récent à comparer à l'Ouest canadien. Le phénomène au Québec n'est pas le même que dans l'Ouest canadien, puisqu'il est plus récent et la colonisation a eu plus d'impact également chez les autochtones du Québec que dans l'Ouest. Donc, il y a aussi au niveau de la démographie que ça a joué et on le constate également dans le recensement qu'on essaie de faire, de réaliser.

M. Dorion: Y a-t-il déjà eu un point de service du centre d'amitié autochtone à Trois-Rivières? Ou jamais?

Mme Goulet (Josée): Non. Il y a eu des initiatives, par contre.

M. Dorion: À Trois-Rivières?

Mme Goulet (Josée): À Trois-Rivières.

M. Dorion: O.K.

Mme Goulet (Josée): On sait qu'il y a des besoins qui existent dans d'autres villes au Québec, dont Trois-Rivières, Chicoutimi, Maniwaki, Baie-Comeau.

M. Dorion: O.K.

Mme Goulet (Josée): Je voulais aussi préciser que, si on regarde les données de l'Agence de santé et des services sociaux du Grand Montréal, eux évaluent à 28 214 personnes qui ont demandé des services. Et, de cela, il y a une majorité d'hommes qui composent ce chiffre, mais également une présence de plus en plus jeune et de plus en plus accrue des autochtones. Et ça provient de l'agence de santé et des services sociaux.

M. Dorion: Comme je vous l'ai mentionné tantôt, plusieurs corridors peuvent amener une personne à l'itinérance. Mais, entre autres, chez les autochtones, est-ce qu'il y a eu une étude qui a démontrée que, exemple, il y avait plus de problèmes au niveau de la santé mentale, au niveau de l'alcoolisme, au niveau de la toxicomanie, au niveau de... le peu de scolarisation? Il y a toujours des éléments déclencheurs qui portent une personne vers l'itinérance, soit l'abandon familial, tu sais, c'est très, très large. Est-ce que je peux considérer que les gens, entre autres chez les autochtones... Parce que, si on se dit qu'un autochtone se retrouve à Montréal, souvent il est éloigné de sa famille, j'imagine, parce que la communauté, elle, je veux dire... Une personne qui vient de Val-d'Or, la proximité au niveau familial, et tout ça, n'est pas là. Est-ce que se sont toutes des raisons qui... ou il y a certaines raisons plus démarquées que d'autres chez la communauté autochtone? Je ne sais pas si vous saisissez le sens de ma question.

Mme Goulet (Josée): En fait, il y a deux types, hein? Il y a deux types d'autochtones qui composent avec la réalité urbaine. Il y en a qui le font par choix, qui viennent dans des grands centres urbains pour avoir accès à l'éducation, université ou collégial. Il y en a d'autres qui vont quitter pas par un choix, ils sortent souvent de la communauté par toutes sortes de situations de crise. Et c'est sûr qu'il n'y a pas d'étude qui a été réalisée particulièrement sur le profil des autochtones, mais, si on regarde l'ensemble des statistiques concernant le taux de scolarisation, la pauvreté, les problèmes de santé physique et mentaux, c'est sûr que les autochtones sont surreprésentés au niveau de l'incarcération aussi. Donc, je pense qu'on ne naît pas égaux.

M. Dorion: O.K. Et, selon vous, toujours selon vos connaissances du phénomène, est-ce qu'il pourrait être fait plus, dans les interventions actuelles, pour garantir que la réalité autochtone soit bien présente dans les interventions?

n(20 h 40)n

Mme Goulet (Josée): Je pense que oui. Je pense qu'on fait directement le lien avec l'engagement conjoint, pris lors du forum socioéconomique à Mashteuiatsh, entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, qui était de faire reconnaître la situation particulière des autochtones hors réserve. On a très peu suscité, au Québec, d'études ou d'attention... Mais là, avec la démographie et les statistiques qu'on a, on voit qu'on devient de plus en plus une préoccupation et un incontournable dans les débats autant avec la société civile que les instances gouvernementales, que les instances des premières nations aussi.

M. Dorion: O.K. Et est-ce que c'est possible, dans les services qui sont dispensés... Entre autres, ici, à Montréal, on observe, de façon... et non pas nécessairement fréquente, mais on observe beaucoup d'autochtones utiliser, entre autres, les services de la Maison du Père, de Old Brewery Mission, de... Est-ce que c'est par un manque de ressources, par un manque d'effectifs, par un manque de lits, que, je veux dire, les autochtones se retrouvent à utiliser, je vous dirais, d'autres services que ceux déjà dispensés par les représentants, là?

Mme Goulet (Josée): Ça, ça devient un enjeu crucial parce qu'il est clairement démontré que les autochtones, les membres des premières nations ne vont pas se tourner vers les services offerts par le gouvernement du Québec parce que ce n'est pas des services culturellement adaptés. Donc, c'est sûr que l'offre de service a beau être là, mais ce n'est pas naturel à notre façon de faire d'aller chercher un service dans un CLSC, ou... Alors, les membres des premières nations se tournent vers les centres d'amitié. Mais présentement le Centre d'amitié autochtone de Montréal n'a pas de service d'hébergement, n'a pas... d'où l'importance, comme on le disait tantôt, de réunir tous les gens qui ont la même mission ou la même clientèle pour définir des protocoles de service et dire: Bien, peut-être que ce serait intéressant qu'il y ait des nuitées de réservées pour les membres des premières nations, parce qu'ils y vont mais ils y vont en dernier recours.

M. Dorion: ...vous poser la question parce que c'est un phénomène auquel... En tous cas, du moins, moi, j'étais beaucoup plus connaissant au niveau de tout ce qui est du programme d'aide au niveau de l'alcoolisme, la toxicomanie. On sait que c'est très, très réservé pour les centres de traitement autochtones, mais, dans l'ensemble de toutes les ressources qu'il y a au Québec, je veux dire, c'est toujours priorisé davantage, à utiliser des services qui sont donnés par des communautés autochtones. Et c'est pour ça que je posais la question: Bien, comment on fait que l'on retrouve des autochtones utilisant des services... et pas parce que j'y ai pour quelque chose, là, au contraire, là, je veux dire, l'ensemble de l'utilisation des services au Québec devrait avoir les portes ouvertes à la communauté autochtone. Mais le questionnement que je me faisais, c'est: Est-ce que les ressources sont insuffisantes?

Je veux dire, vous l'avez bien mentionné tantôt, au niveau du... Vous n'êtes pas à l'abri des autres ressources au niveau du manque de financement, alors ce qui explique en sorte aussi que les autochtones aussi sont dans d'autres ressources. Mais la question que... Vous l'avez dit, les autochtones ne sont pas habitués d'utiliser... Et j'ai envie de vous dire: Mais pourquoi? Je veux dire, un autochtone demeure quand même au Québec et toute personne demeurant au Québec a le droit d'utiliser l'ensemble des ressources.

Mme Goulet (Josée): C'est une question d'identité culturelle, et il y a un commentaire fort intéressant qui a ressorti de l'évaluation des besoins sur cette question-là justement qui a été posée à un autochtone. Je vais essayer de la retrouver rapidement.

Alors, lui, ce qu'il disait, la personne ou...

M. Dorion: Juste à la page?

Mme Goulet (Josée): Oh! êtes-vous dans le mémoire, ou dans... Ah! O.K. 58.

M. Dorion: 58.

Mme Goulet (Josée): Deuxième paragraphe: «Comme l'expliquait ? à la fin du paragraphe ? l'un des membres de la communauté, "il est utile d'avoir un lien, je l'ai constaté quand j'ai vu d'autres autochtones et que je me suis rendu à d'autres rassemblements, je me sentais un peu plus comme chez moi, je ne me sentais pas comme un étranger".»

Donc, c'est tout l'aspect culturel qui devient important aussi pour la prestation de services, et ça, ça a été un impact aussi que le centre a dû gérer en se retrouvant à offrir des services de première ligne, donc toujours sur le «front line». Le centre a eu de la difficulté à être en mesure de développer davantage l'«empowerment». Il y avait des services culturellement adaptés, le centre d'amitié de Montréal. Par contre, au niveau de l'«empowerment», c'est difficile de développer une philosophie quand tu es toujours avec des services de première ligne, soit des paniers de nourriture, des bas, des... Ça fait que ça, ça a été... c'est présentement un défi à relever au centre d'amitié de Montréal.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je dois malheureusement mettre fin à cet échange. Mrs. Reid, do you want to add a word or two?

Mme Ottereyes Reid (Dianne): It's a last note on your question regarding funding and also the issue of interventions. It is true that the Native Friendship Centre of Montréal is doing whatever it can on its day-to-day interventions with people on the streets, itinerants. But, at the same time, in order to be provided with the adequate resources to be able to intervene in a manner that is more... in a way that is quite... and with partners and with supports like the social support, we can no longer sustain it based on project funds. Because that's exactly what it is now, it's project funds. So there's no administrative support, there's no project officer support to be able to define the objectives and also the proposals that require additional funding to support the growth of homelessness and itinerants in Montréal. And I don't think no organization can support the growth of this phenomenon in Montréal with just project funds. And that's the reality of the Native Friendship Centre of Montréal at this time.

Le Président (M. Kelley): Thank you very much. Je suis maintenant prêt à céder la parole à Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Bonsoir. Good evening, Mme Ottereyes Reid ? c'est bon, je prononce correctement? ? Mme Goulet, M. Pineau. Suite à la question de notre collègue, qu'est-ce que, nous, on pourrait faire comme parlementaires, qu'est-ce que le gouvernement du Québec pourrait faire de plus pour que les autochtones qui se retrouvent à Montréal, ou à Trois-Rivières, ou à Québec se sentent plus à l'aise lorsqu'ils ont besoin de se rendre dans les institutions, dans les hôpitaux, dans tout le système? Qu'est-ce qu'on devrait faire de plus?

Vous nous dites qu'ils ne se sentent pas à l'aise, par exemple, de se rendre soit dans un refuge, La Maison du Père ou Old Brewery, mais, quand ils ont besoin de services de base, hein, et qu'il n'y en a pas, des services dit autochtones de cette nature-là, qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus? Parce que c'est important qu'on se sente tous ensemble, hein, qu'il n'y ait pas de barrière le moins possible, qu'on essaie de les jeter par terre, ces barrières-là.

Mme Goulet (Josée): Bien, moi, je pense qu'une initiative qui a été fort profitable pour le mouvement des centres d'amitié autochtones a été celle du Forum socioéconomique des premières nations, et ce forum a permis aux autochtones hors réserve de bénéficier de 12 engagements politiques avec le gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral, et a également permis la signature d'ententes de partenariat avec des membres de la société civile influents, tels la CSN, le Chantier d'économie sociale, l'Union des municipalités du Québec. Donc, je pense que, déjà, d'avoir la poursuite des engagements pour les centres d'amitié, ce serait déjà quelque chose de gagnant et qui permettrait aussi d'assurer la pérennité du mouvement.

Mme Lapointe (Crémazie): Oui, ça, c'est très important. Mais, quand une personne qui se retrouve ici, seule, en situation de détresse ou d'itinérance... Parce qu'on nous dit que souvent un service de santé, chez vous, va décider qu'une personne autochtone a besoin de soins à Montréal, on va lui payer son billet d'avion pour s'en venir à Montréal pour avoir ces soins, parfois, enfin c'est ce qu'on nous dit ? j'aimerais que vous le confirmiez ou que vous l'infirmiez ? qu'on ne lui donne pas d'avance son billet de retour au cas où il déciderait de ne pas revenir. Est-ce que c'est vrai, ça, premièrement?

n(20 h 50)n

M. Pineau (Brett): With the... If I get your question correctly... if I could just reply in English...

Mme Lapointe (Crémazie): I can try to explain it in English, mais... I hope you understand what I said.

M. Pineau (Brett): O.K. La plupart, je pense... In the case where an aboriginal, I believe, is referred to the city for specialized medical care, my understanding is that the band office generally takes care of the funds to provide the referral to the city. In that case, you know, as Josée had alluded to, many Inuits in the Far North lack the adequate medical facilities for specialized medical care and, you know, there are Inuit-dedicated resources within the city which are equipped to handle that caseload. Does that, sort of, answer your question? Parce que je peux élaborer plus...

Mme Lapointe (Crémazie): Est-ce que, monsieur... est-ce qu'on peut avoir quelqu'un pour juste assurer qu'on a bien compris? Moi, excusez-moi, ce que je dis, M. le Président, c'est que ce qu'on a entendu... Oui?

Le Président (M. Kelley): I think the heart of the question is more... what the «députée» was looking for was, quite specifically, when people come down from isolated communities, she had heard they don't have a return ticket, they are only given their ticket to go to Montréal and not to go back. I think that's what she was enquiring about, whether that... And more generally the level of accompaniment that you would have for the people who come down from isolated communities, seeking medical or other attention in Montréal.

M. Pineau (Brett): I don't have that specific information with regard to the financing arrangements of, you know, when they're referred to Montréal for medical care. But I can tell you that, in the case where aboriginal find themselves on the streets, Projets autochtones du Québec only has 13 beds for the entire aboriginal population of Montréal, bearing in mind that approximately 90 %, in my estimation, are, you know, gainfully employed and, you know, are of solid economic standing, but the visible portion that are on the streets only have a 13-bed facility. And, as alluded to before, we require a culturally adapted approach which deals with, you know, those aboriginals that find themselves on the streets.

Additionally, there's been a great emphasis placed on the social economy, which aims to reinvest the proceeds of profit-making businesses back into community-based organizations. I think a great model for that would be the Val-d'Or Friendship Center. They've got a lodging facility, restaurant, and the profits are reinvested into the community, and I guess in aggregate... that would be a model for integration into an urban environment in Québec. So...

Mme Lapointe (Crémazie): Of course, 13 beds, it has no sense, hein? De combien de lits, si je peux me permettre, quel serait votre objectif pour Montréal, hein? Puis, comme la commission va se promener dans quelques villes, dans les régions, malheureusement nous ne pourrons pas aller à Val-d'Or, on aurait bien apprécié pouvoir le faire, mais est-ce que c'est la même situation dans plusieurs régions? Mais ici, à Montréal, je pense que Montréal est un pôle d'attraction, hein, pour toutes les communautés dans les régions. Vous, pour votre communauté, quels seraient vos besoins en termes de lits, en termes de lits d'urgence?

Et j'ai été bien intéressée par le projet à Vancouver, hein, qui favorise les familles en étant un peu à l'écart des centres-villes. Parce que le centre-ville évidemment, pour les familles, ce n'est peut-être pas la chose évidente. Alors, si je pouvais vous entendre un petit peu là-dessus. Et on se souviendra que tout ça est enregistré, hein? Alors, même si on ne comprend pas tout, là, on pourra se le faire traduire et ça sera très utile pour l'ensemble des députés de l'Assemblée nationale.

Mme Goulet (Josée): Bien, en fait, je pense qu'à ce stade-ci on n'est pas en mesure de vous fournir le nombre exact de lits qu'on a de besoin. Je pense que la première chose qui pourrait être essentielle, ça serait vraiment de faciliter l'édification d'une communauté autochtone urbaine et de nourrir le sentiment d'appartenance, parce que c'est vraiment le besoin numéro un qui a ressorti de l'évaluation. C'est que les autochtones ont besoin d'un lieu de rassemblement pour se nourrir culturellement et aussi avoir un réseau social, garder des nouvelles de la communauté, échanger.

Il faut aussi créer un réseau qui développera une vision commune. Comme je le mentionnais plus tôt, il y a plusieurs organisations qui ont des missions semblables, et il faut absolument qu'on s'assoie ensemble, qu'on regarde les missions et qu'on développe une vision commune, parce que toujours donner des services de première ligne, c'est essoufflant et on devient dépassés. Donc, la qualité des services peut être aussi remise en question en quelque part, vu qu'il n'y a pas de programmations qui peuvent se faire, seulement du «front line». Et il faut décloisonner nécessairement les programmes de financement et les services offerts par les organisations pour vraiment avoir une approche intégrée de services.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour cette présentation. Premièrement, très fier de voir ces documents que vous avez préparés qui donnent suite aux engagements qui ont été pris à Mashteuiatsh. Alors, bravo, et nous allons rencontrer de nouveau le regroupement à Québec, je pense, à la fin du mois d'octobre ou au début du mois de novembre.

Thank you very much, because I think you helped us understand the multiple mandates that the Native Friendship Centre has. And you are not designed to be a shelter for homelessness, it's not your first role. But, because of the changing nature of the population in Montréal, it is something that puts more and more of a demand on your services.

I remember, when my daughter was having her appendix out at The Montréal Children's Hospital, walking out into Cabot Square and seeing your wagon that was there and going out and the outreach that was being done to the people we find in Cabot Square. So it's very important work that you do under very complicated circumstances. Because who is responsible for Native people off reserve in Québec, in Canada is a question that we will not answer tonight because it's so complicated.

Mais merci beaucoup pour votre présentation ici. Comme j'ai dit, nous allons recevoir le Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, à Gatineau, dans deux semaines; également, le regroupement à Québec plus tard. Alors, merci beaucoup pour vos commentaires.

Et je vais suspendre quelques instants et je vais demander aux représentants de La Rue des femmes de Montréal de prendre place derrière la table.

(Suspension de la séance à 20 h 58)

 

(Reprise à 21 h 2)

Le Président (M. Kelley): Alors, je me sens toujours coupable de couper les discussions après les présentations, parce qu'on a tant de choses à dire à chaque sujet, mais je vais laisser la place pour nos derniers témoins, mais pas les moindres aujourd'hui, vous êtes très patientes. Nous avons déjà entendu parler de vous par quelques-uns des témoins qui sont venus expliquer l'importance des services offerts par La Rue des femmes de Montréal, alors c'est maintenant à votre tour. La Rue des femmes de Montréal est représentée par Mme Couture, directrice générale; Mme Suzanne Bourret; également Mme Lyne Richer. Est-ce que c'est bien les trois qui sont ici? Et c'est Mme Couture qui va commencer. La parole est à vous, Mme Couture.

La Rue des femmes de Montréal

Mme Couture (Léonie): Bonsoir. D'abord, j'aimerais remercier la commission de nous avoir invitées à nous exprimer ici, ce soir. Nous croyons qu'on peut apporter quelque chose à votre réflexion.

D'abord, en partant, ce que j'aimerais dire, c'est que, dans notre connaissance, notre expérience des personnes avec qui on travaille, il n'y a aucune personne qui arrive à la rue sans une raison extrêmement grave. Personne ne veut se retrouver à la rue. On a juste à s'imaginer si on oublie nos clés, hein, puis on se retrouve dehors sur le palier, c'est difficile. Pourtant, on a beaucoup de ressources pour se rattraper, mais c'est très difficile quand même. Une personne qui est à la rue, elle, elle n'a jamais de clé.

Parfois, aussi, je vais dire que, si la maison est en feu et il fait moins 30 dehors, évidemment, bien sûr, il faut que je sorte, hein, parce que ça meurt plus vite dans le feu. Mais rendue dehors, si je n'ai pas d'aide, je vais mourir aussi. C'est ce qu'on peut dire qui se passe pour les personnes itinérantes.

Qu'est-ce que ça veut dire d'être à la rue pour une femme? Pour une femme, être à la rue, premièrement, c'est terrifiant. Toute la violence qu'il y a dans la rue, les drogues, à cause des drogues, c'est de plus en plus dur, c'est de plus en plus violent. Enfin, c'est extrêmement difficile. Une femme a des besoins, où c'est très difficile aussi de trouver des façons de satisfaire ces besoins.

C'est aussi surtout une grave rupture d'identité. Pour une femme, l'intérieur, l'espace privé, c'est des aspects qui sont fondamentaux dans l'identité féminine. Faire des bébés, avoir ses règles, ça prend une maison. Alors, on a besoin d'une base. Donc, une femme qui se retrouve à la rue, il y a quelque chose, ça ne fait pas de sens. Ça amène une grande désorganisation, et plus longtemps à la rue, plus longtemps elle est désorganisée, pire ça devient.

Être à la rue aussi pour une femme, c'est évidemment une question de sécurité, c'est marcher, marcher, marcher jusqu'à l'épuisement total, parce que s'arrêter, c'est dangereux. S'asseoir sur un banc, c'est dangereux. Tout est dangereux. C'est aussi dormir dans des conditions épouvantables. Être dans la rue, c'est tout simplement, je dirais, indigne de la condition humaine. Être dans la rue, pour nous, c'est plus qu'un problème individuel, c'est un problème social, et je pense que c'est probablement reconnu par vous, sinon vous ne seriez pas ici ce soir.

À La Rue des femmes, la façon dont on regarde l'itinérance, c'est qu'on considère que, si l'itinérance, ça existe, c'est parce qu'on ne voit pas que, derrière la souffrance, il y a des blessures d'exclusion, des blessures, on pourrait dire, relationnelles, psychologiques, émotionnelles, des blessures d'exclusion extrêmement graves, des blessures qui viennent de l'abus, de la violence, de l'abandon. Ce sont ces blessures-là qui mènent au phénomène qu'on appelle chez nous la déconnexion, qui mènent à l'itinérance, parce que, quand on se déconnecte de soi... Parce que, pour survivre à tout cet abus-là, c'est tellement douloureux qu'il faut se couper de soi. En se coupant de soi, on commence à errer, hein, on n'est plus... Et éventuellement avec l'exclusion que ça apporte, parce que, quand je ne peux pas être moi-même, je ne peux pas avoir aussi un contact vrai avec les autres, et c'est un aller-retour. Je dirais que c'est des blessures d'inexistence. Parce que l'abus, pour les personnes qui sont dans la rue, l'abus, ça a commencé dès l'enfance. Quand une personne abuse un enfant ou n'importe quelle personne, c'est une façon de nier son existence, donc je dirais c'est des blessures d'inexistence.

Par contre, nous, en tout cas, à La Rue des femmes, on a constaté que c'est des blessures qui peuvent guérir, c'est la bonne nouvelle, et, je dirais, essentiellement par l'inclusion et la connexion. C'est des grands mots, mais je pense que c'est important de les dire. L'inclusion, on se veut, à La Rue des femmes, quelque chose qu'on pourrait appeler une communauté d'inclusion, une communauté d'inclusion où est-ce que tout est mis en oeuvre pour ce qu'on appelle guérir le lien, guérir le lien à soi et à l'autre, hein? Parce que, quand on est abusé... Des fois, l'exemple que je donne dans mon affaire de fracture du lien: si je vous parle puis vous pouvez m'entendre, c'est parce qu'entre nous il y a comme un tuyau, hein? La moitié m'appartient et l'autre moitié vous appartient. L'abus a fracturé ma partie. Demander à une personne d'être en lien avec un lien fracturé, c'est comme demander à une personne qui a une jambe cassée de marcher dessus. Parfois, on va dire des personnes itinérantes qu'elles sont agressives. Imaginez-vous que vous avez une jambe cassée puis qu'on vous fait marcher dessus. Qui ne sera pas agressif? Donc, quand on demande à une personne d'être en lien alors que c'est tellement douloureux, oui, elle va être agressive dans les hôpitaux, un peu partout, et malheureusement, parce qu'on ne comprend pas, on la met à la porte.

n(21 h 10)n

À La Rue des femmes, face à cette façon de voir des choses, on a développé nos services évidemment en fonction de ça. Tout est mis en oeuvre pour justement guérir le lien et, pour nous, tout ça, ça se fait dans la continuité. Ça prend du temps, ça prend de l'écoute, ça prend un accueil très, très, très inclusif. Tout ce qu'on fait, on essaie de faire sentir à la personne qu'elle est incluse et des interventions psychothérapeutiques. Donc, une femme qui arrive chez nous, pour nous c'est important qu'elle ait tout sous un même toit. Il y a sept ans, huit ans, on a fait des démarches pour construire une maison, et le nom de notre projet, c'était Sous un même toit, tout devait, l'hébergement, le centre de jour... Parce que l'organisme La Rue des femmes, on existe ça fait presque 15 ans, on a commencé comme centre de jour. Bien sûr, on maintient, on a toujours notre centre de jour, à La Rue des femmes, ce qui nous permet... parce que guérir la blessure du lien, je me répète, ça prend du temps.

Donc, oui, les personnes qui sont itinérantes, d'abord il faut les héberger, il faut leur assurer les besoins de base. Et, une fois ça fait, bien sûr éventuellement... On ne peut pas les garder tout le temps parce qu'on a 20 lits puis il faut que ça circule. Alors, éventuellement on va les aider à se trouver quelque chose ailleurs ou à leur donner suffisamment de moyens pour... Mais ce qui est extrêmement important chez nous, c'est notre centre de jour. Notre centre de jour, c'est là qu'une personne peut entreprendre une démarche à long terme, parce qu'on ne guérira pas dans deux mois, ni dans six mois, ni dans un an, un problème qui est là, des traumatismes épouvantables qui sont arrivés depuis déjà l'enfance, la petite enfance, depuis même les premiers mois de la vie, pour beaucoup d'entre elles.

Donc, une fois... Donc voilà, les femmes à La Rue des femmes, à travers l'hébergement, à travers le centre de jour, à travers nos logements supervisés, bénéficient de nos programmes d'accompagnement, de pshychothérapie, et, une fois qu'elles sont sorties, on continue à les accompagner aussi dans la communauté parce qu'il faut les aider au niveau du voisinage. C'est tous des éléments, parce que la personne est tellement détruite, est tellement brisée, est tellement... que ça va prendre des années. Mais ça marche, c'est quand même ça qui est fantastique, parce que le lien qu'on établit, évidemment il y a aussi tout l'amour parce que c'est sûr que c'est des personnes... je pense que c'est nos soeurs, enfin. Donc, c'est un continuum de services ? merci, Lyne, j'essaie de dire les choses, mais bon. Maintenant, si on en arrive à nos résultats...

Une voix: Non, un continuum de services.

Mme Couture (Léonie): Bien, j'en ai parlé au travers. Enfin, oui, le continuum. Je vais lire qu'est-ce qui est écrit là. Donc, s'appuyant sur notre façon de poser le problème de l'itinérance, on a développé un modèle particulier de soins et de reconstruction du lien basé sur la continuité du soutien à travers le temps, la mise en oeuvre d'un programme d'activités structurantes et d'interventions psychothérapeutiques. En tout cas, voilà. Donc, éventuellement, avec tout ça, la femme reprend progressivement pied dans la communauté après avoir survécu, et ce sont des survivantes d'itinérance et d'exclusion. Et ça, ça vaut pour tout le monde. Nous, on travaille avec des femmes, mais c'est le même processus pour les hommes aussi, avec la violence et tout qui s'ajoute pour les femmes, mais la base est la même.

À La Rue des femmes, à chaque année on reçoit environ 350 femmes qui viennent à notre centre. Là-dessus, on héberge un certain nombre d'entre elles. Il y en a qui, on espère, n'arriveront jamais à la rue, parce que, rendue à la rue, c'est beaucoup plus difficile après de remonter la pente. Donc, on donne des services déjà à ce moment-là évidemment aux femmes qui sont hébergées et après, quand elles quittent dans des logements ou parfois elles n'iront pas nécessairement tout de suite dans un logement parce que le processus est un long processus. Et revenir dans l'inclusion, si on veut, revenir dans la connexion, en soi, ça prend beaucoup de temps parce qu'il y a eu tellement de souffrance que la peur, hein... Quand je disais être en lien puis que la personne devient agressive, ce n'est pas pour rien. Le lien, ça ne se répare pas facilement. Quand c'est brisé, c'est brisé.

Alors, dans toutes ces années-là, nous, une chose aussi qu'on a toujours trouvée très importante, c'est d'accueillir toutes les femmes. Oui, il y a des femmes qui ont, justement parce qu'elles sont tellement blessées... on les approche, mais il faut les approcher de façon très délicate, faire très attention parce que la douleur est tellement vive, et ça s'exprime dans toutes sortes de façons.

Mais, depuis qu'on est à la Maison Olga, on a sorti... le chiffre, pour quelqu'un qui est moins familier avec tout ça, a l'air petit, mais on a quand même aidé 30 femmes qui étaient dans la rue, qui étaient refusées dans les ressources à cause de leur comportement, qui étaient dans la rue depuis 10, 15 ans, nos grandes, grandes, grandes itinérantes, c'étaient des femmes extrêmement blessées. On les a sorties de façon définitive de la rue. Ça a pris du temps, ça prend du temps, mais évidemment c'est sûr qu'où est-ce qu'elles sont allées, ces femmes-là, on les a stabilisées suffisamment longtemps pour qu'éventuellement on ait le temps, avec elles, de faire les démarches auprès de l'agence. Parce que plusieurs de ces femmes-là les blessures sont tellement grandes, elles ne seront jamais capables d'avoir une vie autonome comme elles auraient pu avoir si les malheurs qu'elles ont eus ne seraient pas arrivés.

Alors, dans des CHSLD, il y en a trois qui sont décédées, mais dans la dignité, entourées de leur famille, de leurs enfants. Et souvent les familles vont nous demander, puis ils vont dire: Comment vous faites? Nous, on ne pouvait plus avoir de contact avec elle, elle refusait toute aide, toute médication, tout. Mais, nous, on dit: On accepte qu'elle est ce qu'elle est. Je me souviens, cette femme-là, entre autres, quand elle est arrivée chez nous, elle était tellement épuisée, je me souviens, un jour, ça faisait huit mois à peu près qu'elle était à la maison ? moi, je suis plus dans les bureaux, donc, je les vois moins maintenant ? mais je me suis assise, puis elle me racontait que les six premiers mois elle est restée dans sa chambre à dormir. Elle descendait juste pour manger, mais elle n'était pas capable de faire plus. Au bout de six mois, elle a commencé à être capable de faire plus. Éventuellement, elle a eu un logement, et malheureusement la blessure, la souffrance et ce qu'elle avait vécu dans la rue était tellement grande que finalement elle a eu un cancer et elle est décédée. Mais elle est décédée avec ses enfants, avec sa famille. Et justement les gens nous demandaient: Mais comment vous avez fait? Bien, on a fait, on l'a accueillie, on l'a...

Puis je pense que les familles, pour moi, je pense, et c'est là qui est si important aussi, les familles ont besoin d'aide. Pour moi, c'était tellement important, La Rue des femmes, de la mettre sur pied, parce que je sais, de mon expérience à moi, comment c'est dur pour une famille d'aider une personne en difficulté, une personne qui a des problèmes de santé mentale, une personne... Il faut que je me dépêche, hein? Enfin...

Le Président (M. Kelley): Oui, c'est passionnant, je me sens coupable, mais, par contre, je vois que vous avez des recommandations à formuler...

Mme Couture (Léonie): Le temps passe.

Le Président (M. Kelley): ...et le temps passe. Alors, je vais jouer le gros méchant en vous invitant peut-être d'aller aux recommandations.

Mme Couture (Léonie): C'est bien. Alors, bien voilà, je pense que j'ai dit pas mal de choses. Juste peut-être au niveau... oui, on aide les femmes à guérir, mais aussi au niveau de la prévention, parce que les femmes qui viennent, avant de tomber dans la rue, qui viennent à La Rue des femmes, bien, pour nous, c'est une façon de les héberger, entre guillemets, en les aidant à garder leur logement. Donc, on étire notre action. Et, avec le travail et les démarches qu'elles entreprennent avec nous, on offre vraiment de la thérapie à ces femmes-là, comme ce qu'on pourrait se payer, nous, à très cher. Et voilà. Donc, c'est à ce niveau-là, donc, voilà, je ne répéterai pas les choses que j'ai déjà dites.

n(21 h 20)n

L'autre chose aussi que je pense qui est importante, que je voudrais dire, c'est toute la désinstitutionnalisation des hôpitaux où on remet les gens à la rue, des gens qui ont besoin de médicaments, mais il n'y a plus rien pour faire le suivi au niveau de ces médicaments-là. Alors, ces personnes-là arrivent dans nos ressources, et c'est extrêmement difficile, parfois, il faut les retourner à l'hôpital. Donc, finalement, malgré tous nos efforts, on finit par aller chercher des ordres de cour, parce qu'à moment donné, des fois, c'est ce qu'on doit faire.

Et les hôpitaux, je ne sais pas trop, je pense qu'eux autres aussi, ils ont des coupures et toutes sortes d'affaires, mais, deux heures plus tard, ces personnes-là nous reviennent malgré un ordre de cour. Et parfois c'est des personnes qui ont vraiment des problèmes extrêmement graves, et qui sont dangereuses pour leur propre sécurité et pour la sécurité des autres. Alors ça, c'est quelque chose, je pense, qu'il y a... les hôpitaux qui ont à faire un bout qui est très important. Comment? Ça, je pense que...

Évidemment, au niveau du financement, nous sommes très, très, très précaires. Je pense que je ne répéterai pas ce que tous les groupes ont dit. Peut-être un point: nous, on essaie, depuis un bout de temps, auprès de l'agence et du ministère de la Santé et des Services sociaux, de faire reconnaître notre organisme comme un continuum de services. Nous sommes bien sûr financés pour l'hébergement, hein, mais peut-être que... Vous savez, on ne peut pas, dans le Programme de soutien aux organismes communautaires, le fameux PSOC, être dans plus qu'une catégorie. Mais, nous, si on a des succès, si on peut donner des services à long terme à ces personnes-là, c'est grâce à notre centre de jour, et nous devons aussi avoir du financement pour les autres secteurs de ce fameux continuum de services qui permet justement d'apporter les services à ces personnes qui sont extrêmement blessées. Elles ont besoin de soins au même titre que tout le monde, et je pense qu'on doit commencer à y penser et à organiser les services. En tout cas, à La Rue des femmes, on le fait.

Donc, nos recommandations. Notre première recommandation bien sûr, c'est ce qu'on veut absolument, et je pense qu'on est très content d'être ici, ce soir, aussi pour partager tout ça avec vous, c'est de changer le regard sur l'itinérance, c'est-à-dire reconnaître l'itinérance comme l'aboutissement de l'exclusion et du phénomène de la déconnexion, et la souffrance énorme qui est derrière toute cette situation.

Il faut prendre en considération les besoins de stabilité, de temps et d'outils de reconstruction nécessaires et essentiels. Il faut cesser la fragmentation des services et reconnaître la pertinence de continuum de services intégrés pour le retour à l'inclusion ? je ne parlerai pas d'insertion ? à l'inclusion à la société et à l'autonomie.

Il faut reconnaître le rôle des centres de jour comme moyen de prévention ? sans notre centre de jour, on ne peut pas faire grand-chose ? comme moyen de prévention à l'itinérance et leur accorder les budgets nécessaires à leur fonctionnement lorsqu'ils font partie d'un continuum de services;

Assurer un financement récurrent et adéquat aux organismes communautaires en itinérance et s'attaquer... Bon. Ça, je l'ai déjà dit.

Reconnaître à leur juste valeur les organismes développés en continuum de services ? comme nous;

Construire des logements sociaux, mais aussi surtout ? une nouvelle formule que vous verrez dans notre mémoire ? des logements communautaires pour des femmes qui ne pourront jamais retrouver une autonomie complète;

Procéder aussi à l'adoption et à la mise en oeuvre de la politique en itinérance telle que présentée par le RAPSIM;

Revoir les façons de faire des hôpitaux, entre autres psychiatriques, quant à la non-accessibilité des services et reconnaître qu'une partie de la population itinérante aura besoin d'être prise en charge par l'État, d'où la nécessité de places en milieu institutionnel ? parce que souvent on nous dit qu'on n'a pas de place pour nos personnes;

S'assurer aussi ? puis là je pense que c'est un point de prévention qui est extrêmement important ? que nos écoles aient des moyens de dépistage des enfants en difficulté avec les ressources nécessaires pour aider ces enfants.

Quand on voit qu'un enfant mord ses petits amis à l'école puis que l'école ou la garderie appelle à la maison pour dire: Votre enfant, s'il n'arrête pas de mordre, on va le renvoyer de l'école ou de la garderie, c'est grave. Parce que mordre, c'est comme un cri d'alarme. C'est comme dire: Il y a quelque chose qui ne va pas. Mes parents ont besoin d'aide. Il y a quelque chose qui se passe. Alors, je pense qu'on devrait, à ce moment-là, intervenir, aller aider les parents, pas pour sortir l'enfant de là, mais aider les parents pour que les parents aident bien leur enfant. Et c'est comme ça que le problème va cesser, et on ne retrouvera pas cet enfant-là dans 20 ans dans nos organismes. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. C'est fascinant, mais je dois juste permettre un échange avec les membres de la commission. Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée d'Hull.

Mme Gaudreault:«Dull»?

Des voix: ...

Le Président (M. Kelley):«Dull»... De Hull.

Mme Gaudreault: Je vais essayer de ne pas être «dull». Alors, bonsoir. Je vous parle aussi à titre d'adjointe parlementaire à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Alors, aujourd'hui, on parle de femmes, de votre univers de femmes. J'aimerais d'abord que vous nous parliez des 30 miracles que vous avez causés ou provoqués. Quel est le profil des femmes qui fréquentent La Rue des femmes et l'évolution de cette clientèle au cours des années? Merci.

Une voix: ...à ma collègue Suzanne Bourret.

Le Président (M. Kelley): ...

Mme Bourret (Suzanne): Il y a différents profils, hein? Le visage au féminin, on l'a bien dit dans le mémoire, il présente différents visages. Pour les grandes itinérantes qui étaient à la rue depuis 10, 15 ans, ces femmes-là venaient dormir dans notre centre de jour le jour et elles étaient la nuit dans les rues. Alors, quand on a ouvert, on s'est dit: Les six premières que l'on prend, c'est les six qui viennent dormir dans notre centre de jour. Alors, ces femmes-là dormaient dans des guichets automatiques, dans des entrées d'édifice, dans les fonds de ruelle, dans les fonds de garage, des femmes extrêmement violentées de toutes les façons, égorgées, sodomisées, violées. La population ne sait pas ce qui se passe pour les femmes dans la rue, et c'est terrible, c'est terrible.

Alors, des femmes... puis on en a eu un, témoignage, ce midi. Donc, il a fallu les apprivoiser à une chambre parce que, quand ça fait des années qu'on ne dort pas dans une chambre, la chambre, ça devient aussi insécurisant. On a eu des femmes qui dormaient dans le corridor parce qu'elles ne pouvaient pas intégrer une chambre. Il faut penser aussi que, dans les chambres, c'est là que souvent les viols, les abus sur les enfants ont été perpétrés. Alors, pour toutes sortes de raisons, les femmes ont d'abord à acquérir une stabilité, c'est notre premier objectif. Dès qu'elles peuvent rester un deux ans stable pour certaines, après on peut commencer à travailler pour autre chose, soit un logement soit... pour plusieurs, ça a été, dans des cas des femmes que l'on parle, dans les foyers d'accueil en psychiatrie.

Donc, il a fallu que l'État reprenne... et c'est important que l'État, il doit reconnaître qu'une partie... une catégorie des personnes sans-abri devront être prises en charge, et ce, quasiment pour le reste de leur vie. C'est bien de valeur, mais c'est comme ça. On parle d'une catégorie, une proportion, ce n'est pas tout le monde. Mais ce n'est pas vrai, là, que certaines personnes peuvent fonctionner en logement. Donc, pour d'autres, pour d'autres, ça a été de rentrer dans un processus de thérapie, de démarche, comme on a entendu, et puis maintenant elles se retrouvent en logement autonome. Donc, le parcours est différent pour différentes personnes.

Mme Richer (Lyne): Les profils sont multiples, mais la cause, c'est toujours le bris du lien, qu'il se fasse à l'enfance, une femme à qui on enlève ses enfants. Il y a toujours un moment où il y a l'exclusion qui se crée, la personne se retrouve seule, la personne se retrouve avec un lien brisé et part l'itinérance, c'est le point commun.

Mme Bourret (Suzanne): Est-ce que je pourrais rajouter quelque chose? Nous, notre expérience nous démontre qu'à peu près toutes les femmes ont vécu une violence extrême à l'enfance, qui s'est perpétuée à l'adolescence, jeunes femmes, femmes, et qui se continue quand on les laisse dans la rue. Et on parle de violence extrême, à un moment donné, on avait quatre, dans nos chambres, qui avaient le même vécu qu'Aurore l'enfant martyre. On parle de torture, là, on parle d'enfants brûlés avec des cigarettes, on parle d'incestués, abusés sexuellement, privés de nourriture, utilisés comme des esclaves. Non, non, on parle... c'est gros, là, ce n'est pas pour rien qu'une femme arrive à la rue, mais ça, personne ne le sait.

Mme Gaudreault: Je suis sans voix. Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Nicolet-Yamaska.

n(21 h 30)n

M. Dorion: Oui. Merci. Bien, en premier lieu, je tiens à vous féliciter pour votre bon et excellent travail, mesdames, puisque nous avons eu droit aujourd'hui à un témoignage élogieux à votre égard de la part d'une femme courageuse et empreinte de détermination suite à l'utilisation de vos services.

Mais, M. le Président, j'aimerais que vous cédiez la parole à ma collègue...

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Saint-Jean.

M. Dorion: Oui, merci.

Mme Méthé: Mais, moi, je pense que je vais reprendre ce que mon collègue vient de dire. On a eu deux femmes extraordinaires qui ont fait des témoignages. Alors, vous n'avez pas à nous vendre votre organisme. On voit le bien, ce que vous faites.

Ce qui me fascine... bien, on sait que c'est un travail à longue haleine, étant donné les blessures profondes. Vous parlez d'une chose vraiment très intéressante qui peut s'appliquer pas juste aux femmes, à tous les enfants. Vous parlez du dépistage, là, au niveau scolaire, et d'être attentifs à certains signes puis d'aider les parents qui en ont besoin. Évidemment, ça... bien, on peut apporter de l'aide, mais c'est dans des états extrêmes, mais, si on prévient, bien on arrête un peu l'hémorragie. Ce serait une avenue ? je ne sais pas comment faire ? intéressante en tout cas à exploiter, à sensibiliser les milieux. Je ne sais pas...

Mme Couture (Léonie): ...peut-être, là-dessus, je pourrais dire, on a une travailleuse... Ça, c'est un autre point: nos travailleuses, souvent, après deux ans, trois ans, elles ont toutes sortes de besoins, elles ont besoin de plus de salaire et elles quittent parce que malheureusement on ne peut pas leur offrir les conditions suffisantes. Mais elle est allée travailler à la DPJ. Et, moi, quelqu'un que je respecte beaucoup et que je reconnais beaucoup son travail, c'est le Dr Gilles Julien. Et je lui demandais: Est-ce que vous faites des contacts avec le Dr Julien? Et elle me disait: Malheureusement, non. Parce que le mandat de la DPJ, c'est l'enfant seulement. Le Dr Julien, c'est la maman et l'enfant.

Parce que l'enfant, même si un enfant est abusé, ses parents, c'est toujours extrêmement important. Donc, comment aider les parents à... Je pense qu'on peut aider les parents à ne pas abuser l'enfant. Parce que l'enfant qui abuse, c'est quelqu'un qui souffre aussi. Et séparer l'enfant de ses parents, c'est toujours un drame extrême. Et, oui, ces enfants-là, on va probablement les retrouver... enfin... Donc, je pense qu'il y a quelque chose à regarder. Et, avec le Dr Julien, je pense qu'il y a une bonne piste de départ qui existe.

Mme Méthé: Mais... Oui... Non, vous avez raison. Mais je suis maintenant porte-parole en matière de protection de la jeunesse. J'ai tout le temps beaucoup de choses qui rentrent à mon bureau. Et il y a un intermédiaire d'un jeune qui a dit: Moi, j'ai été abusé sexuellement, mais ça a été, je crois, moins dur que de vivre ce que j'ai vécu dans des centres jeunesse, à changer de place, puis tout ça. Ça fait que c'est fort, là, d'entendre des jeunes dire ça. C'est certain qu'il faut briser ce cycle-là aussi puis aider les parents à... puis prévenir aussi ce qui peut arriver aux enfants. Je pense que c'est là aussi qu'il faut intervenir.

Mais vous parlez ici de revoir les façons de faire du réseau de la santé, principalement en soins psychiatriques. Pouvez-vous expliquer un peu ce que vous entendez par là?

Mme Couture (Léonie): Suzanne, elle est infirmière. Alors, c'est toujours notre relationniste avec les hôpitaux.

Mme Bourret (Suzanne): La situation est déplorable et critique. On doit se battre avec les hôpitaux pour soigner les personnes. Je peux vous dire que, moi, je me fais répondre: Ah! non, la personne est bannie, elle ne peut pas se présenter chez nous. L'hôpital bannit la personne. Dernièrement, on s'est battus... puis on se bat, là, hein? On les menace de faire des plaintes à l'agence. La dernière fois, je leur ai dit: Est-ce qu'il va falloir aller dans les médias? La personne a été évincée de l'hôpital. Finalement ? comme, dans le mémoire, on dit ? elle est allée à St. Mary's. Ils ont découvert... elle avait un méningiome important au milieu du dos qui effectivement... elle a perdu sa mobilité, était incontinente. Même avec ça, les hôpitaux la mettaient dehors.

Alors, on va chercher un ordre de cour. On arrive, et puis ce qu'on se fait répondre, c'est: Oh non! ce n'est pas 72 heures, c'est: si la personne ne veut pas rester, on ne la garde pas. Mais on dit: Mais, écoutez, la personne est psychotique, elle est en psychose, elle n'a pas le jugement. Ah! mais, non, elle n'est pas en danger pour elle-même. Mais, écoutez, ce qu'ils nous disent... Là, c'est rendu qu'il ne faut pas qu'elle soit en danger pour elle-même dans les huit prochaines heures de son congé. Mais on sait très bien qu'ils leur donnent une injection puis ils les retournent dans la communauté.

Moi, j'ai un psychiatre au Royal Vic qui est découragé, il dit: J'ai 70 % de mon budget qui est coupé, les infirmières doivent s'en aller dans les CSSS, elles vont toutes prendre leur retraite parce qu'elles ne veulent pas y aller, puis, moi, qu'est-ce que vous voulez, j'ai déjà x nombre de lits qui sont occupés par x nombre de personnes chroniques, donc je ne peux pas en prendre d'autres.

Donc, on passe un temps fou à devoir se battre. On est rendus qu'on se bat avec les hôpitaux, et ce qu'on dit ? nous, on le voit dans la rue, là, à La Rue des femmes: Un certain nombre de personnes devront être prises en charge par le milieu institutionnel, et ça, pour le reste de leurs jours. Alors, arrêtez de fermer les lits. C'est bien de valeur, mais ils vont être obligés d'en réouvrir. Je vous le dis, ils vont en réouvrir parce que la personne est en danger pour elle-même.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Bellechasse, il vous reste 3 minutes.

M. Domingue: Alors, bonsoir, mesdames, bienvenue à la commission. Ce que je vois devant moi, en fin de soirée, là, c'est des gens qui parlent de leur coeur. Ça vient du coeur. Je vous sens très humains dans vos interventions, tout ça.

Avant d'être politicien, je travaillais dans le milieu communautaire au niveau des maisons de jeunes. J'ai travaillé pendant 18 ans. J'ai fait du travail de milieu et j'ai fait aussi du travail de rue. Je me suis abstenu pour intervenir jusqu'à maintenant, parce que j'ai pris le temps d'écouter tout ce que les gens avaient à dire. Et je reste estomaqué, ce soir, en vous écoutant, en vous écoutant, parce que je vois que directement dans la rue ? vous le dites, hein, c'est La Rue des femmes ? vous prenez des femmes qui sont à terre, vous les remontez, et ce que j'entends, c'est qu'en plus vous êtes obligées de vous battre dans nos structures pour pouvoir aider ces gens-là. Je vous dirais que ça fesse, ça fesse à vous entendre ce soir, là. C'est une dure réalité pour des gens qui veulent aider. C'est toute une mission que vous accomplissez là au quotidien. Moi, c'est ce que j'entends.

Je regarde vos recommandations, et, pour l'avoir déjà vécu dans les organismes communautaires, vous parlez, à votre quatrième recommandation: «Reconnaître les organismes qui offrent un continuum de services intégrés à leur juste valeur.» Est-ce que je comprends bien qu'à l'intérieur de votre organisme vous avez plusieurs services et que vous aimeriez éventuellement qu'on les reconnaisse? C'est tout le combat que probablement beaucoup d'organismes communautaires font, c'est que vous prenez des initiatives puis aimeriez sûrement avoir un financement de base adéquat pour venir en aide à ces gens-là. Est-ce que c'est ce que j'entends?

Mme Couture (Léonie): Exact. Moi, quand j'ai fondé La Rue des femmes, mon but, c'était d'aider ces femmes-là, et j'avais une petite idée comment j'allais le faire aussi. Mais c'était vraiment d'aider. Excusez-moi.

M. Domingue: Allez-y, parce que j'aimerais vous entendre sur justement le morcellement de vos activités, là, pour lesquelles je n'ai pas l'impression que vous avez pleinement cette reconnaissance, là, des actions, là. Vous avez...

Mme Couture (Léonie): Bien, c'est que le Programme de soutien aux organismes communautaires, le PSOC, nous demande de demander de l'aide sur... C'est-à-dire, il y a toutes sortes de catégories, on peut faire de l'hébergement, on peut être centre de jour, milieu de vie, on peut être pour les jeunes. En tout cas, il y a plusieurs... il y a quelques catégories, et on a le choix si on est plusieurs catégories. Bon. Donc, c'est sûr, nous, on demande de l'hébergement aussi, c'est ce qui coûte le plus cher, disons, d'une certaine façon, parce qu'héberger c'est 24 heures par jour, sept jours semaine.

Alors, bien sûr, mais ça ne s'arrête pas là. Le centre de jour, c'est beaucoup d'argent, ça aussi, parce que ça demande des intervenantes... Premièrement, nous, comme on accueille les femmes itinérantes, évidemment, si elles deviennent dangereuses, on ne peut pas les... c'est-à-dire on va les référer à l'hôpital ou quelque part, si on peut les faire accepter là. Mais, sinon, une chicane entre deux femmes ou une chicane entre une femme puis une intervenante... Pour nous, la femme, elle est tellement souffrante, comme je disais tantôt, c'est sûr que chaque fois qu'elle-même veut être en lien, la douleur est tellement grande puis comme souvent elle ne comprend pas pourquoi elle est si souffrante, bien elle pense que c'est la faute de l'intervenante. Donc, ce n'est pas facile, tout ça.

n(21 h 40)n

Donc, notre centre de jour, c'est ça, disons qu'on cumule plusieurs catégories. Disons, les deux grosses, si on veut, on peut dire, c'est l'hébergement et le centre de jour. On fait aussi de l'hébergement d'urgence parce que l'autre porte d'entrée, c'est aussi la nuit, le soir, la nuit. Il y a des femmes qui sont en besoin. Donc, elles nous appellent, la police nous en amène, peu importe, on est une salle d'urgence aussi, hein? Et aussi on a des logements supervisés de transition pour permettre une espèce de stage en logement à des femmes qui ont fait un certain parcours et qui ont encore besoin d'aide avant de retourner dans un logement autonome, donc...

Mais, si on prend nos deux principales catégories, hébergement, centre de jour, on a besoin d'un financement de base pour les deux, pas seulement pour un. Et ça fait qu'on est toujours comme... Actuellement, aujourd'hui, il nous manque encore 300 000 $ pour faire notre budget qui finit le 31 mars. C'est extrêmement stressant, c'est extrêmement difficile. On sait que... et on ne lâchera pas, là, il n'est pas question qu'on sorte dans la rue puis qu'on dise: On ferme les services. Non, parce que ces femmes-là ont besoin.

Mais il reste que c'est ça, on est un continuum de services, on part... Quand la personne rentre chez nous à l'accueil, c'est un long, long, long chemin qu'on entreprend ensemble, qui peut durer un an, deux ans, cinq ans, 10 ans. On ne l'abandonnera pas. Et tranquillement... Souvent, on va au CLSC avec certaines femmes, puis ils nous disent: C'est incroyable, ce que vous avez fait avec cette femme-là au niveau de son comportement, au niveau de sa façon, ce n'est plus la même personne qu'on connaissait. Mais quelque part on leur donne enfin la chance de vivre l'expérience de famille, si on veut, qu'elles auraient dû vivre enfant. Mais, pour tous les malheurs qui se sont acharnés contre elle et sa famille, elle a été exclue, une autre exclusion, de ça. Et c'est l'injustice tout le temps. Oui?

Le Président (M. Kelley): Je me sens toujours le préfet de discipline, mais ça met fin à ce bloc parce que je veux réserver le temps pour un dernier bloc de 10 minutes de notre collègue Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe (Crémazie): Bonsoir, mesdames. Vous êtes très convaincantes, et puis je pense que ça va nous éclairer beaucoup. Ça va éclairer beaucoup aussi l'ensemble de nos collègues parce que tout ce qui se dit dans cette commission, c'est noté, c'est enregistré. Donc, ça va avoir un écho.

Vous avez eu deux femmes très courageuses et très solides, très talentueuses, très talentueuses. On a même dit à l'une d'entre elles, pas parce que les deux ne pourraient pas le faire, mais que ce serait peut-être intéressant de la voir un jour dans les écoles faire cette espèce de prévention dont vous parlez, hein? Vous savez des fois des témoignages, c'est extrêmement puissant.

Je ne parlerai pas longtemps parce que je vais laisser mon collègue Nicolas... Vous parliez de moyens de dépistage. Moi, c'est une de mes clés dans cette commission parlementaire, la prévention, comment, où, à quelle place, de quelle manière on peut agir en prévention. Parce que c'est trop terrible, les histoires que vous nous racontez ce soir. Même si on a, dans mon cas, 60 ans de vie et plus, je pense qu'on... il faut vous entendre, il faut voir les personnes pour comprendre exactement cette situation-là. Merci de le faire.

Les personnes bannies des hôpitaux, moi, je ne laisserai pas ça comme ça, puis je pense qu'aucun de mes collègues va laisser ça comme ça, hein? On va aller voir qu'est-ce que c'est que cette histoire. Des gens barrés dans les hôpitaux? Pardon? Excusez-moi, ça, c'est inacceptable, hein, entre autres choses.

Et qu'un certain nombre de personnes ne seront jamais de retour, comme vous dites, incluses, ne seront plus jamais aptes à travailler, etc., il faut qu'on l'accepte, ça aussi, mais il faut qu'on en sauve le plus grand nombre possible, puis la suite, bien c'est la prévention, la prévention de tout. Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Gouin.

M. Girard: Oui. À mon tour de vous saluer. Merci beaucoup pour votre présentation. Les témoignages aujourd'hui nous démontrent à quel point vous faites une différence dans la vie de ces femmes-là, puis j'ai beaucoup d'admiration pour le travail que vous faites. Je vous dis bravo.

Je veux revenir sur la page 12 de votre mémoire, là, vous parlez justement du programme PSOC. Vous, finalement, ce que vous proposez, vous souhaitez qu'il y ait des modifications à la façon d'attribuer des sommes d'argent pour reconnaître des organismes communautaires comme les vôtres qui favorisent les services intégrés. Ce que je décode de votre intervention, du mémoire, c'est que vous avez le sentiment... quand les services sont intégrés, ils sont dans un même lieu, ils sont plus efficaces que si vous demandez en l'occurrence à une femme d'aller dans plusieurs services à différents endroits, qui va avoir à chaque fois à établir une relation de confiance avec un intervenant ou une intervenante. C'est ce que je comprends. Vous souhaitez donc une modification dans les recommandations qu'on aura à faire au terme de cette commission-là, vous souhaitez qu'il y ait des programmes peut-être plus adaptés à la réalité que vous vivez, d'autres l'ont dit à propos des jeunes de la rue au niveau d'un parcours pour un retour à l'école. Dans votre cas, vous souhaitez, là, au niveau des services intégrés, que ce soit une meilleure reconnaissance, c'est ce que je décode de votre présentation.

Mme Couture (Léonie): C'est exactement ça. Oui.

M. Girard: Et je voulais également aborder avec vous... Dans votre mémoire, vous abordez le fait que vous recevez... au niveau de votre clientèle, il y a des changements, il y a une évolution, et vous parlez de deux catégories qui sont plus présentes. Vous parlez des jeunes femmes et vous parlez également des femmes immigrantes. J'aurais aimé ça vous entendre, puisque, dans le cadre de votre intervention, vous n'en avez pas parlé. J'aurais souhaité vous entendre un peu plus sur cette nouvelle réalité et décrire le type de services particuliers ou comment on peut bien intervenir auprès de ces clientèles-là.

Mme Couture (Léonie): Je vais répondre un petit peu, puis je vais laisser Suzanne poursuivre. Suzanne est davantage... Elle est la coordonnatrice à l'intervention, donc... Elle, c'est son domaine. Mais je voudrais juste dire: Au niveau des femmes immigrantes, on a commencé, puis c'est une expérience qu'on trouve très intéressante, à travailler avec une clinique d'ethnopsychiatrie, parce qu'évidemment, travailler avec des femmes qui viennent de la Chine, ou d'Afrique, ou d'un peu partout, les cultures sont extrêmement différentes. Et c'est très important... J'écoutais tantôt les gens du centre d'amitié autochtone qui disaient: Quand je suis avec des gens de ma communauté, je me retrouve. Et, un jour, j'accompagnais une femme justement en ethnopsychiatrie, et elle me disait: C'est la première fois que... parce qu'elle est au Québec depuis longtemps, elle est allée dans des groupes de thérapie qui étaient mis en place...

Une voix: ...

Mme Couture (Léonie): Oui, elle est Africaine. Et puis elle me disait: C'est la première fois que ma culture... ce dont on me parle, je me reconnais dedans. Quand je vais dans les autres thérapies, je ne me reconnais pas. Les gens parlent de leurs expériences à eux, mais c'est une autre culture, c'est un autre monde, alors que, tu sais, on parle de... Toute la façon de vivre des Africains, que ce soit le monsieur qui a plusieurs épouses... en tout cas, toutes ces particularités-là qui sont propres à leur culture et qui sont extrêmement importantes dans leur rétablissement, sinon ils n'ont plus de référence. Donc, elles sont encore plus perdues. Donc, nous, on essaie de développer des moyens aussi avec ces autres expertises là, si on veut, et de travailler de cette façon-là. Je vais laisser Suzanne continuer à répondre.

Mme Bourret (Suzanne): Il nous semble que ce sera probablement la prochaine... Les prochaines grandes vagues de l'itinérance viendront probablement des communautés immigrantes, et ça nous préoccupe beaucoup. En ce moment, on peut dire qu'à peu près 25 % des personnes qui viennent à La Rue des femmes, que ce soit dans notre centre de jour ou dans notre hébergement, sont d'autres pays. Maintenant, même, on commence à recevoir des dames de la Russie, de l'Azerbaïdjan. Là, on se pose des questions aussi: Est-ce qu'elles rentrent suite au trafic sexuel?

n(21 h 50)n

Alors, il y a des grandes questions qui s'en viennent pour Montréal, hein? Ça va être une particularité probablement de Montréal. On n'a pas toutes les réponses en ce moment. On doit travailler à trouver des réponses justes pour ces personnes-là, mais on voit que le phénomène va aller en grandissant.

Mme Richer (Lyne): À La Rue des femmes, on applique toujours la même chose par contre, c'est toujours... je me répète, mais c'est toujours le lien qu'on soigne d'abord, peu importe... C'est sûr qu'on va prendre des référents culturels différents, mais on soigne d'abord et avant tout le lien.

Et j'aimerais aussi ajouter notre première recommandation qui est changer le regard sur l'itinérance. On voudrait, nous, faire comprendre que l'alcoolisme, la toxicomanie, la prostitution, c'est des conséquences des blessures d'exclusion et non la cause de l'itinérance.

Mme Couture (Léonie): Je voudrais juste... Excusez.

Mme Richer (Lyne): Oui, c'est beau.

Mme Couture (Léonie): Je voudrais juste...

Le Président (M. Kelley): C'est un travail d'équipe.

Mme Couture (Léonie): Vous avez parlé des jeunes femmes, des femmes enceintes... Excusez. Ce n'est pas à tous les jours qu'on nous donne la parole. On décide de la prendre. Surtout quand on a des personnes importantes devant nous qui, peut-être, peuvent aider. En tout cas, je pense que vous êtes placés, j'espère bien, pour nous aider.

Mais les jeunes femmes, les femmes enceintes, de plus en plus il nous en arrive des jeunes. Et bien sûr, ces jeunes-là, on essaie de développer le maximum pour les garder parce qu'évidemment il y a la maman, mais il y a le bébé aussi à naître. Et est-ce que cette maman-là gardera l'enfant ou elle ne le gardera pas? Souvent, elle ne peut pas le garder parce que la DPJ le prend parce qu'elle n'est pas dans des conditions pour s'en occuper. C'est sûr qu'on essaie de l'aider à pouvoir trouver cette façon-là parce qu'encore là c'est tellement important. Et souvent ces jeunes mamans là, c'est elles aussi des enfants soit de la DPJ ou... C'est comme si la DPJ va se créer une nouvelle génération mais à partir de ses propres protégés, si on veut, hein?

Donc, par exemple, ces jeunes-là qui sont tellement blessés... Il y en a une, entre autres, je pense qu'elle a eu son quatrième enfant, puis l'autre, son troisième, les deux ont eu leur premier bébé, elles avaient 13, 14 ans. C'est assez dramatique. Alors, tout le travail... Bon. Il y en a une, là, finalement que peut-être qu'elle va garder le bébé. En tout cas, là, en ce moment, elle est dans un centre de désintox, en tout cas il y a toute... une maison de thérapie. Est-ce que ça marchera? On ne le sait pas.

Mais le drame que ces jeunes femmes là, que ces femmes-là vivent de se faire enlever leurs enfants... Il y en a une, sa maman est aussi dans la rue, la fille est dans la rue. Et, quand elle a eu son bébé puis que la DPJ l'a pris, c'était le drame familial. La grand-maman, si on veut, était extrêmement blessée de perdre un autre petit-enfant. La colère de la fille versus la... Toute la peine, le désespoir, la détresse qui se vit.

Et ces enfants-là, hein? Parce que ces enfants-là, eux autres aussi portent les marques de tout ça. Et c'est sûr, nous, quand il arrive une femme qui est enceinte, on essaie de faire le maximum pour apporter le maximum parce que, là, on travaille pour deux et pour plusieurs. Et ça aussi, c'est l'autre chose que je trouve fantastique dans notre travail, c'est qu'on aide des femmes qui ont des enfants, soit qu'ils ont été placés, les enfants sont devenus adultes, peu importe, mais éventuellement, avec le travail et la guérison qu'elles vivent, éventuellement ça a des retombées sur les enfants. Les enfants tranquillement retrouvent ou trouvent tout simplement le lien qu'ils ont tant voulu toute leur vie avec leurs... Donc, finalement, on travaille avec une, mais c'est avec plusieurs personnes qu'on travaille.

Le Président (M. Kelley): Sur ce, malheureusement, je dois mettre fin aux échanges, mais merci beaucoup parce que vous avez amené beaucoup d'histoires, beaucoup de vécus des femmes qui ont passé dans votre organisme. Alors, merci beaucoup.

Sur ce, je vais ajourner nos travaux à demain matin, 9 heures, dans la même salle. Et merci beaucoup pour l'ensemble des témoins, des personnes qui ont enregistré nos discussions, Mme la secrétaire qui a organisé tout ça aujourd'hui. Alors, merci beaucoup pour une première journée réussie en commission parlementaire à Montréal.

(Fin de la séance à 21 h 55)


Document(s) associé(s) à la séance