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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Lemieux): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission du budget et de l'administration reprend ce matin la
consultation générale sur l'étude de l'opportunité
de maintenir en vigueur ou de modifier la Loi sur la fonction publique. M. le
secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Non, M. le Président, il n'y a pas
de remplacements.
Le Président (M. Lemieux): Merci. Permettez-moi de vous
faire lecture de l'ordre du jour. À 10 heures, nous entendrons le
Protecteur du citoyen; à 11 heures, l'Office des personnes
handicapées du Québec; à 12 heures, le Syndicat
professionnel des médecins du gouvernement du Québec; à 16
heures, M. Louis Bernard; à 17 heures, M. Claude Perron; à 17 h
30, M. Robert Pelley; à 18 heures, MM. Claude Trudelle et Jean-Nil
Boucher, pour reprendre à 18 h 30 avec M. Guy Leroux et pour terminer
à 19 heures avec M. Michel Robichaud. Nous ajournerons à 19 h 30.
Est-ce que l'ordre du jour est adopté? M. le député de La
Prairie, l'ordre du jour est-il adopté?
M. Lazure: Oui, adopté.
Le Président (M. Lemieux): Adopté. Merci. Nous
allons maintenant entendre le Protecteur du citoyen. J'inviterais le Protecteur
du citoyen et ceux qui l'accompagnent à bien vouloir prendre place
à la table des témoins. Je demanderais, s'il vous plaît, au
porte-parole de l'organisme de bien vouloir s'identifier et de nous
présenter les gens qui l'accompagnent pour les fins de l'enregistrement
du Journal des débats. Vous n'êtes pas sans savoir que vous
avez 20 minutes pour l'exposé de votre mémoire et suivra une
période de questions ou d'échanges de 40 minutes avec les membres
de cette commission.
Protecteur du citoyen
M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Je suis Daniel
Jacoby. Je suis titulaire du poste de Protecteur du citoyen; à ma
gauche, Me Jacques Meunier, qui est l'adjoint du Protecteur du citoyen et,
à ma droite, Me Frances Hudon, qui est la directrice
générale des enquêtes au bureau du Protecteur du
citoyen.
Le Président (M. Lemieux): Vous pouvez maintenant
commencer votre exposé.
M. Jacoby: M. le Président, M. le vice-président,
MM. les députés, c'est avec plaisir que je participe ce matin
à cette commission parlementaire pour vous faire part de mon point de
vue sur l'impact que peut avoir la Loi sur la fonction publique en
matière de qualité des services gouvernementaux à
l'égard de la population du Québec. Mais, avant de parler
précisément de cette question, j'aimerais un peu situer dans
l'ensemble le rôle, le mandat du Protecteur du citoyen. Il faut se
rappeler qu'en 1984, dans un arrêt qui mettait en cause l'ombudsman de
Colombie-Britannique et le Procureur général de
Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada, par la voix de son juge
en chef, a énoncé que les contrôles traditionnels
(législatif, exécutif et judiciaire) ne sont pas parfaitement
capables d'assurer la surveillance de la bureaucratie et que seul l'ombudsman
peut en examiner minutieusement les rouages grâce à ses pouvoirs
d'enquête qui "lui permettent d'aborder les problèmes
administratifs que les pouvoirs judiciaire, législatif et
exécutif ne peuvent résoudre efficacement". Donc, ça situe
le mandat, le rôle et l'importance de l'institution des ombudsmans dans
nos sociétés démocratiques. Et si je fais parler le juge
en chef de la Cour suprême, c'est parce que, si je l'avais dit
moi-même, vous auriez pensé que j'avais des préjugés
favorables. Mais je peux vous dire que ce n'est pas moi qui ai plaidé la
cause devant la Cour suprême non plus.
Au Québec, donc, le Protecteur du citoyen reçoit les
plaintes des personnes qui s'estiment lésées dans leurs droits
par les services publics gouvernementaux, et, après coup, lorsque la
plainte s'avère recevable, enquête pour vérifier le
bien-fondé des plaintes. Et les enquêtes ont lieu au niveau des
ministères et des organismes et, par la suite, si la plainte
s'avère fondée, nous faisons des recommandations pour modifier
les décisions ou pour corriger les omissions de l'administration.
Vous n'ignorez pas que le Protecteur du citoyen est une personne
indépendante de l'administration. Elle relève de
l'Assemblée nationale, elle ne rend compte qu'aux parlementaires, aux
élus de la population de toutes les formations politiques. Elle se
trouve à être, à toutes fins pratiques, comme personne
désignée par l'Assemblée nationale, le prolongement des
élus dans l'exercice de leur pouvoir et leur devoir de surveiller
l'arbitraire, les abus, les erreurs qui peuvent survenir dans l'administration
quotidienne des programmes gouvernementaux et
qui causent des préjudices à l'ensemble des citoyens et
des citoyennes.
Nous avons les pouvoirs des commissions d'enquête. Nous sommes une
équipe de 84 personnes, de spécialistes qui reçoivent des
plaintes, de spécialistes qui enquêtent dans tous les 110
ministères et organismes du gouvernement, donc des spécialistes
à peu près dans tous les domaines. Nous avons des bureaux
à Sainte-Foy et nous avons un bureau à Montréal. Les
services du Protecteur du citoyen sont tout à fait non formalistes, non
bureaucratiques, en ce sens qu'il n'est pas nécessaire de remplir un
formulaire détaillé pour adresser une plainte au Protecteur du
citoyen; il suffit de prendre le téléphone, sans frais de
n'importe où au Québec. De plus, les gens n'ont pas à se
déplacer. Enfin, c'est un recours qui est accessible à tout le
monde, autant aux plus riches qu'aux plus démunis, parce que, a la
différence de l'aide juridique, nous ne prenons pas en compte le revenu
des personnes. Également, le Protecteur du citoyen, son recours est
ouvert aux corporations, aux institutions, aux associations.
Nous avons un pouvoir de recommandation, ce qui fait que nous n'avons
pas de lien d'autorité ou de lien hiérarchique sur les
fonctionnaires du gouvernement. Dans le cadre de notre mandat, nous faisons des
recommandations officielles aux ministres ou dirigeants d'organismes au
gouvernement. Si une recommandation officielle n'est pas suivie par le
dirigeant d'organisme ou par le ministre, à ce moment-là, nous en
avisons le Conseil des ministres. Nous pouvons également déposer
un rapport spécial à l'Assemblée nationale et, lorsque le
Protecteur du citoyen le juge d'intérêt public, il peut faire
appel à l'opinion publique suivant sa loi et recourir aux médias
d'information.
Notre compétence n'est pas illimitée. Nous avons
juridiction strictement sur les 110 ministères et organismes du
gouvernement du Québec, c'est-à-dire 62 000 fonctionnaires
approximativement. Notre pouvoir d'enquête ne s'adresse pas qu'aux
simples fonctionnaires, mais également aux dirigeants des organismes.
Nous pouvons enquêter sur les décisions et les gestes de
sous-ministres, de dirigeants d'organismes, mais même d'un ministre,
parce que, aux yeux de la loi du Protecteur du citoyen, les ministres sont les
premiers fonctionnaires du ministère.
Nous traitons des cas d'espèce comme nous traitons
également des dossiers de nature générale ou
systémique. Nos interventions vont, par exemple, de rétablir une
prestation ou une rente qui a été injustement supprimée ou
annulée par un organisme jusqu'à des compensations
monétaires qui, dans plusieurs cas, se chiffrent à plusieurs
millions.
Nous avons aussi le pouvoir de commenter les avant-projets de loi ou les
projets de loi, de façon à prévenir les risques
d'injustice ou de déraisonnabilité. L'année
dernière, nous avons reçu près de 22 000 plaintes et
demandes de renseignements. Nous avons jugé à propos d'initier
des enquêtes dans 7469 plaintes et nos statistiques sont assez
révélatrices. C'est que près d'une plainte sur trois
s'avère fondée, ce qui, à mon point de vue, est
énorme et ce qui démontre que les citoyens, contrairement
à ce que certains pensent, ne sont pas que des personnes qui chialent,
mais que véritablement les citoyens ont des raisons valables de se
plaindre.
Quant à notre pouvoir de recommandation - je disais tout à
l'heure que nous n'avions pas de pouvoir exécutoire - il est très
efficace, puisque plus de 99 % de nos recommandations sont suivies par
l'administration. Je ne dis pas que ça se fait du jour au lendemain. Des
fois, ça prend un an ou deux pour qu'une recommandation soit suivie,
mais ça se fait néanmoins.
Je voudrais parler un peu de la clientèle du Protecteur du
citoyen et des services publics. Ce que je peux considérer, quand on
regarde l'ensemble des programmes gouvernementaux, de même que la
clientèle qui s'adresse à nos bureaux, je peux constater que
cette clientèle, même si elle est diversifiée dans son
ensemble, c'est d'abord une clientèle qui est principalement
démunie ou vulnérable. Lorsqu'une réclamation est
refusée, par exemple, par l'administration, quand il y a un litige, un
différend qui oppose le citoyen avec l'administration; alors commence
l'affrontement avec l'appareil de l'État. Je dis bien un affrontement
parce que c'est très gros. L'appareil de l'État, pour un citoyen,
vous savez, c'est une organisation gigantesque, complexe et qui dispose de
ressources illimitées quand il s'agit de défendre la position
d'un ministère ou d'un organisme. Lorsqu'on se retrouve devant les
tribunaux administratifs, un citoyen versus l'administration gouvernementale,
le citoyen, souvent, n'a pas les moyens de se payer un avocat et, par ailleurs,
l'administration possède des avocats dans tous les secteurs, elle
possède des ressources pour aller engager des experts dans tous les
secteurs. En somme, malgré les compressions budgétaires, quand il
s'agit de défendre les droits de l'administration, il n'y a pas de
limite.
De plus, cette clientèle est captive. Vous le savez, faire
affaire avec le gouvernement ou avec les services publics, c'est faire affaire
avec un monopole. On n'a pas le choix. En d'autres termes, si on a un
problème de santé, on n'a le choix que de recourir à un
établissement hospitalier financé par le gouvernement. On n'a pas
de choix. Lorsqu'on est complètement démuni sur le plan
économique, on n'a le choix que de recourir au régime de la
sécurité du revenu. Quand on a un accident du travail, on n'a pas
le choix; on est obligé de s'adresser à la CSST et ainsi de
suite. Outre le fait qu'on doive affronter un appareil gigantesque, on se
trouve
devant des services qui sont monopolistiques et ceci crée un
déséquilibre profond entre l'État et le citoyen.
Ce que je peux dire, c'est que ce rapport de force qui est
complètement déséquilibré fait en sorte que le
citoyen est tout petit le jour où il a un litige avec les services
publics du gouvernement, il ne faut jamais oublier qu'au Québec on a
près de 600 000 personnes qui vivent de la sécurité du
revenu, que nous avons, au Québec, près de 800 000 personnes qui
sont analphabètes, donc, qui ne sont pas capables de comprendre ou de
lire nécessairement toute la documentation et les formulaires qu'elles
doivent remplir pour être admissibles à des programmes
gouvernementaux. Il ne faut pas oublier qu'il y a des personnes, comme les
anglophones, les minorités ethniques et les Amérindiens, qui ont
des barrières linguistiques et des barrières culturelles qui font
en sorte qu'elles ont souvent beaucoup de difficultés à s'adapter
au processus de nos services publics. Il faut penser également aux 300
000 travailleurs accidentés, aux 250 000 d'entre eux qui font des
réclamations, annuellement, à la CSST. Il faut penser aux
victimes d'accidents de la route qui doivent faire affaire avec la Régie
de l'assurance automobile, ainsi qu'aux victimes d'actes criminels qui doivent
aussi s'adresser au gouvernement pour compenser les préjudices qu'elles
subissent. Je parle des femmes qui déjà sont historiquement
discriminées par la société. Lorsqu'elles font affaire
avec un service gouvernemental, elles font affaire avec un monde d'hommes. Je
ne pense pas que les programmes de redressement ou d'action positive ont encore
corrigé la situation. Tout ça, c'est toujours du
déséquilibre.
En somme, d'une manière générale, il faut
être bien conscient qu'un grand nombre de citoyens qui ont des
démêlés avec les pouvoirs publics vont renoncer bien
souvent à leurs droits par ignorance de leurs droits, par peur, par
usure ou même par conviction populaire. Ainsi, un sondage qui a
été mené par CROP au mois d'août indique que 57 %
des personnes interrogées estiment qu'un simple citoyen a peu de chance
d'obtenir gain de cause contre des fonctionnaires des ministères ou des
organismes du gouvernement du Québec.
Passons maintenant à la qualité des services publics.
Est-ce que la fonction publique fournit des services de qualité à
la population? Ma réponse est simple: La très grande
majorité des fonctionnaires sont des personnes compétentes et
dévouées. Les fonctionnaires pris individuellement, contrairement
aux croyances populaires, ne se traînent pas les pieds. À
l'égard de la population, la fonction publique se comporte
généralement avec les égards qui lui sont dus. Cependant,
à côté de ça, il y a un grand nombre de citoyens qui
doivent subir les failles de l'administration publique qui est prise dans son
ensemble: les délais déraisonnables pour obtenir une satisfac-
tion, et ce, même lorsque la réclamation de la personne ne
soulève aucun problème particulier; la complexité des
processus, la difficulté d'obtenir de l'information adéquate. Je
rappelais tout à l'heure nos statistiques: une plainte sur trois
s'avère fondée à nos bureaux. Il faut cependant nuancer:
il faut dire que, lorsque les gens s'adressent à nous, c'est très
souvent en dernier recours et dire qu'une plainte sur trois chez le Protecteur
du citoyen est fondée ne signifie pas qu'une fois sur trois les services
gouvernementaux sont mauvais. Mais ce qu'il faut considérer, c'est que
nous recevons des plaintes et que nous ne sommes pas les seuls à
recevoir des plaintes. Ce même sondage dont je vous parlais tout à
l'heure qui a été fait au mois d'août indique que 10 % des
ménages québécois estiment avoir été
victimes d'injustice par les ministères ou organismes dans les 12
derniers mois. Ceci représente 237 000 personnes.
Alors, si l'on parle de qualité des services, il faut
peut-être faire la distinction entre les gestes ou les décisions
individuels des fonctionnaires et ce que j'appellerais les gestes
systémiques de la fonction publique. Il y a un certain nombre
d'injustices ou d'erreurs qui proviennent de l'acte ou de l'omission d'un
fonctionnaire personnellement. Il s'agit notamment des erreurs. Eh bien, des
erreurs, on en trouve. Par exemple, je vais vous donner des cas à la
Régie des rentes. Si la Régie des rentes se trompe sur la date de
naissance d'une personne et que le fait de se tromper fait en sorte que la
personne reçoit une rente pendant de nombreuses années qui est
supérieure à ce qu'elle aurait dû recevoir et qu'un jour le
ministère ou l'organisme découvre l'erreur, que fait-on? On
rétablit la rente à ce qu'elle devait être. Et dans un cas
récent, par exemple, une dame âgée recevait une rente de
450 $ et on a découvert l'erreur. Ce n'était pas la faute de la
madame. C'est simplement la saisie de données à l'informatique
où on s'est trompé sur la date de naissance. Cette
personne-là aurait dû recevoir l'équivalent de 300 $. Mais,
alors, qu'est-ce qui arrive dans un cas comme ça? Une erreur comme
ça est dramatique, parce que la Régie des rentes va
récupérer 50 % de ce qui est dû sur les montants à
venir. Alors, ce qui fait que, du jour au lendemain, la dame qui était
habituée à recevoir 450 $ par mois, elle tombe à 150 $ par
mois. Mais ce qui est encore plus dramatique, MM. les députés,
c'est que la personne doit rembourser ce qu'elle a reçu en trop, mais
elle n'a pas la possibilité, par exemple, de retourner auprès du
gouvernement fédéral, et d'aller chercher le supplément de
revenu garanti qu'elle aurait eu autrement, parce que ce n'est pas
rétroactif, le supplément de revenu garanti. Alors, une simple
erreur comme ça de transcription à l'informatique est absolument
dramatique. Alors, ce sont des cas d'erreurs de la part des fonctionnaires, des
décisions déraisonnables.
Ça arrive qu'il y ait des abus de pouvoir. Je prends, par
exemple, l'exemple suivant: une femme qui est divorcée, qui a obtenu un
montant de 30 000 $ sous forme de forfait, comme équivalent de pension
alimentaire, et qui, trois ans plus tard, présente une
réclamation à la sécurité du revenu ou à
l'aide sociale. Le fonctionnaire exige que la personne prouve hors de tout
doute raisonnable qu'elle n'a pas dilapidé son argent en vue de devenir
admissible à l'aide sociale, ce qui veut dire, en pratique, que le
fonctionnaire a exigé de cette personne tous les reçus
d'épicerie depuis trois ans, tous les reçus lorsqu'elle allaft au
bureau de poste acheter des timbres. C'était absolument
déraisonnable. On est intervenus et on a fait réaliser au
fonctionnaire qu'H y aurait peut-être d'autres moyens que ça pour
établir l'admissibilité de la personne. Par exemple, on sait ce
que coûte un panier de provisions dans une épicerie. Alors, c'est
le genre d'erreur individuelle.
Il y a aussi les erreurs systémiques. Les erreurs
systémiques, je vais vous en donner une qui est tout à fait
récente, la réforme de l'aide sociale. La réforme de
l'aide sociale, c'est certainement un cas où on n'avait pas prévu
des iniquités de la sorte. Dépendant de l'endroit où on se
trouve au Québec, on subit un traitement injuste quand il s'agit de se
faire déclarer disponible aux mesures de relance. Si vous vivez dans une
région où le transport en commun n'est pas aisé ou
n'existe pas ou presque et qu'on vous propose une mesure d'employabilité
dans un village à quelques kilomètres de là alors que vous
vivez dans un rang et qu'il n'y a pas d'autobus, sauf un très tôt
le matin et un autre très tard le soir, ou encore qu'on propose un
rattrapage scolaire à une femme de 49 ans, de retourner à
l'école et que ça n'adonne pas au niveau des moyens de transport,
eh bien, l'agent d'aide sociale, que fait-il? Ce n'est pas compliqué, il
la déclare non participante en lui disant: Vous n'avez pas les moyens de
vous déplacer. Une personne est injustement pénalisée
parce qu'elle reste dans une région où il n'y a pas de transport
en commun. (10 h 30)
Ça, ce sont des préjudices de type systémi-que. Je
pourrais vous donner de multiples exemples, il y en a dans le mémoire
que je vous ai déposé. Mats moi, je dis une chose: Que les
injustices soient causées par l'acte de fonctionnaires individuellement
ou à cause de la complexité ou de l'inadéquation des
systèmes mis en ptace par l'administration, il reste que, pour
l'individu, ça ne change rien. Vous savez, pour un individu qui subit
une injustice, lui, quand il regarde ça, c'est son problème et
c'est son gros problème dans l'année. Souvent, ce sont des
questions de niveau de revenu. Quand un gestionnaire, un statisticien ou un
administrateur de la fonction publique regarde les données statistiques,
il voit que, dans 90 % des cas, ça va bien, dans 10 % des cas, ça
va mal. Mais 10 % des cas, d'après la loi des grands nombres, vous
savez, ce n'est pas important pour une personne qui se base sur des
statistiques. Mais dans les 10 % qui ne marchent pas, il y a des vies humaines,
il y a du monde dont les droits sont en jeu, dont l'avenir est en jeu, tout
ça parce qu'ils ont été injustement victimes
d'illégalité, de gestes déraisonnables ou d'erreurs.
Je pense que, finalement, ce que j'ai à dire, c'est que,
même si dans l'ensemble, comme je l'ai mentionné tout à
l'heure, elle est compétente et dévouée, la fonction
publique devra, dans les prochaines années, prendre tous les moyens pour
développer l'approcha client dans les services publics, comme ça
se fait de plus en plus, on le voit, dans le secteur privé par les
démarches de qualité totale et autres techniques du genre. Je
pense qu'il va falloir réaliser que la raison d'être de
l'administration, c'est, d'abord et avant tout, l'usager, le client, la
population. Je pense qu'il va falloir réaliser que les services publics
sont payés par la population pour la population. Je pense qu'il faudra
réaliser que tous et chacun des fonctionnaires sont payés,
reçoivent leur salaire à même les impôts et les taxes
du gouvernement. Et je pense que, même si la situation n'est pas
dramatique, on peut certainement améliorer les choses. Dans une
organisation, vous savez, ce qui se produit, c'est que la haute administration
est très loin des problèmes de tous les jours. Elle
élabore des grandes politiques, elle voit des données
statistiques, mais, souvent, l'information ne monte pas à elle. Et
souvent lorsqu'il y a des ratés dans le système sur la ligne de
feu, là où les fonctionnaires traitent directement avec le
public, le fait qu'il y a des ratés, ça ne remonte pas dans le
système; le système est trop gros. La pyramide est trop grosse,
ce qui fait que les gestionnaires, à mon point de vue, n'ont pas les
outils pour être vigilants.
Je vais poser une question très simple: II y a combien de
ministères ou d'organismes du gouvernement du Québec, comme au
fédéral, comme au municipal, qui savent combien de plaintes sont
acheminées à l'endroit de leur organisation? Les plaintes qui
s'adressent au bureau de comté ou au bureau du ministre, c'est une
infime partie de plaintes. Il y a toutes sortes de plaintes. Qui connaît
le degré d'insatisfaction de la clientèle dans les
ministères? Qui sait, dans un ministère - le boss dans un
ministère - comment ces plaintes sont traitées? Est-ce qu'elles
sont traitées de la même manière à Gaspé
qu'à Rouyn, qu'à Montréal, qu'à Québec? On
ne le sait pas.
On ne sait pas quel sort est réservé à ces
plaintes. On ne sait pas comment ces plaintes sont traitées suivant des
critères comparables. On ne sait rien. Et, pourtant, nous sommes
là pour assurer des services à la population et l'approche
clientèle, la notion de client, c'est
peut-être la dernière de nos préoccupations. Donc,
je dis qu'entre autres choses - et j'embarque un peu sur mes recommandations,
quelques-unes - il va falloir que les ministères et les organismes se
dotent de systèmes d'information qui leur permettent de savoir c'est
quoi le véritable niveau d'insatisfaction de la clientèle. Avant
que les crises n'arrivent, il faut les prévenir.
Et ça, c'est facile à faire. On a, dans l'administration,
des statistiques et des systèmes de gestion sur à peu près
tout, mais pas sur ça, par exemple. Donc, je dis qu'il faut que chaque
ministère ouvre un bureau de plaintes qui verra à monter des
systèmes d'information pour savoir où sont les problèmes,
d'où viennent les problèmes. C'est essentiel, je pense, si on
veut assurer une qualité quasi totale à la population. Il ne faut
pas attendre que ça pète sur la place publique, parce que,
pendant ce temps-là, il y a des gens qui perdent des droits.
Une autre de mes recommandations - non seulement l'ouverture de bureaux
de plaintes - il va falloir que l'administration se rapproche de la population.
Prenons le cas, par exemple, des dépliants d'information. Vous savez
comment la fonction publique est avare d'information. On se demande pourquoi.
Mais quand elle fait de l'information, qui la comprend? Il suffit de lire les
dépliants d'information produits par nos ministères et organismes
pour se rendre compte que c'est un message entre initiés. Ils se parlent
entre eux, les fonctionnaires et les spécialistes. Ils ne parlent pas au
monde.
Les formulaires de réclamation. Regardez les formulaires de
réclamation. Il y a des efforts qui ont été faits au
ministère du Revenu, par exemple. Le rapport d'impôt
simplifié, c'est excellent. Mais qu'on fasse la même chose pour
tous les formulaires de réclamation. Combien de droits se perdent dans
notre société, parce que les gens ne comprennent pas ce qu'on
leur demande ou parce que c'est confus. Alors, je dis qu'il faudrait
peut-être se réveiller et créer des comités
d'usagers de la clientèle du ministère.
Pourquoi, par exemple, lorsqu'un ministère fait un
dépliant, il ne convoque pas un comité d'usagers et leur demande:
Est-ce que vous comprenez ce qu'il y a là-dedans? Même chose pour
les formulaires. Même chose pour les lettres standard. Même chose
pour les décisions qui sortent des régimes informatiques qui sont
incompréhensibles pour la moyenne des gens. Il y a des efforts à
faire.
Ce que je pense également, c'est qu'il va falloir que la fonction
publique non seulement améliore son information, mais également
donne de l'information. Des programmes gouvernementaux, il y en a d'excellents,
mais quand est-ce qu'on retrouve de l'information sur les programmes
gouvernementaux? Quand je regarde la CSST qui fait des messages extraordinaires
depuis quelques semaines, c'est bien beau, pour dire qu'on est d'accord pour
prévenir et tout ça... qu'on prévient les accidents de
travail, mais la CSST ne donne aucune information sur les droits aux
travailleurs et même aux entreprises. C'est extraordinaire! Moi, je
trouve ça extraordinaire, mais on fait de la publicité à
la télévision pour la Semaine de la prévention.
Ensuite, ce que je veux dire, c'est que, quand je regarde les
obligations ou les attributions de tâches des fonctionnaires et de la
haute fonction publique, où retrouve-t-on des attentes signifiées
sur la qualité du service à la clientèle? On ne retrouve
jamais ça. Moi, je pense qu'il faudrait qu'il y ait des attentes
signifiées qu'on retrouve dans toutes les descriptions de tâches
en commençant par le haut de la pyramide jusqu'en bas.
Enfin, ce que je pense, c'est qu'étant donné que la raison
d'être de la fonction publique c'est le service à la
clientèle il va falloir, je pense, que les ministères,
annuellement, dans leur rapport administratif, rendent compte, soient
imputables de la gestion de leurs services au niveau de la qualité. Vous
savez, je suis étonné de voir que la seule obligation dans un
rapport annuel d'un ministère, la seule obligation légale, c'est
de faire un petit rapport sur l'application de la loi sur les non-fumeurs dans
son propre ministère. Bien, je trouve ça extraordinaire! Mais le
service à la clientèle, par exemple, on n'en parle pas. On a des
données statistiques extraordinaires sur le nombre de
réclamations, sur le nombre de ci, sur les organigrammes. On passe des
pages et des pages à décrire le rôle de chacune des
unités, mais le service à la clientèle dans tout
ça, le client dans tout ça, où est-il? Alors, je pense
qu'il va falloir obliger... Enfin, ce que je propose, c'est que la fonction
publique soit tenue de rendre compte des articles 2 et 5 de la Loi sur la
fonction publique annuellement et, aussi, qu'on puisse en discuter devant les
élus du peuple à l'occasion des différentes
activités parlementaires. Je vous remercie.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. le
Protecteur du citoyen. Vous feriez un bon député. Je me suis cru
dans mon bureau de comté un instant. On pourrait vous appeler le
député de l'administration publique d'une certaine façon
aussi. Vous savez, je me posais une question. Je me disais: Est-ce que le
Protecteur du citoyen avait la même sensibilisation lorsqu'il
était sous-ministre en titre à la Justice? Et est-ce que tous les
hauts fonctionnaires n'auraient pas intérêt à aller faire
un stage chez le Protecteur du citoyen? Écoutez, c'est un commentaire
qui est purement gratuit. J'ai beaucoup de questions à vous poser, mais
M. le député des Îles-de-la-Madeleine a demandé la
parole avant que je lui dise que je désirais intervenir. Alors, je vais
passer la parole à M. le député des
Îles-de-la-Madeleine et je vais revenir tout à l'heure. M. le
député des Îles-de-la-Madeleine.
M. Farrah: Merci, M. le Président. M. le Protecteur du
citoyen, mesdames et messieurs, au nom de ma formation politique, c'est avec
plaisir qu'on vous accueille ici aujourd'hui et je vous remercie Infiniment
pour l'excellence de votre mémoire aussi. Je pense que ça peut
éclairer les membres de la commission et ça démontre
jusqu'à quel point, parles exemples que vous nous donnez à
l'intérieur de votre mémoire, une des préoccupations
principales qui vous animent, c'est te service aux citoyens. Les exemples que
vous mentionnez à l'intérieur de votre mémoire
dénotent quand même certaines failles. Je pense que, de
façon objective, il va falloir y travailler afin de tes atténuer
te plus possible.
D'entrée de jeu, M. te Protecteur du citoyen, une remarque qui me
frappe au niveau de votre mémoire, c'est ta méconnaissance du
Protecteur du citoyen, compte tenu de l'efficacité du Protecteur du
citoyen, dans ie sens suivant, c'est qu'à la page 7 de votre
mémoire vous dites: "Notre pouvoir de recommandation pour faire corriger
une situation injuste est efficace: tes organismes et ministères
acceptent, dans plus de 99 % des cas, d'apporter les correctifs demandés
par notre institution. " Donc, je pense que ça démontre quand
même un genre d'efficacité en termes de réponse à
vos suggestions, à vos commentaires.
Par ailleurs, vous êtes méconnu de la population, à
mon avis, parce que, dans un sondage que vous citez, vous dites: "Près
du tiers de la population adulte connaît notre existence - seulement -
mais moins de la moitié de ce groupe est réellement
informée des services offerts par notre organisme. " Et, en plus, un peu
plus loin, vous dites: "Les citoyens qui méconnaissent le Protecteur du
citoyen se définissent principalement comme suit: les personnes en
milieu défavorisé, les 18-34 ans et les femmes. " Ça,
ça m'inquiète davantage parce que c'est cette
clientèle-là qui a souvent affaire au gouvernement, la clientele
défavorisée au niveau de l'aide sociale, au niveau des affaires
sociales également. Alors, est-ce que vous pensez qu'il y a moyen
d'améliorer la notoriété du Protecteur du citoyen au
niveau de la population? Et, si oui, quel moyen entendez-vous prendre parce
que, compte tenu du taux d'efficacité, je pense que c'est important que
les gens connaissent votre service?
M. Jacoby: Je pense que c'est un problème, pas parce qu'on
veut devenir un empire. C'est un problème parce que je me dis: Ceux qui
ont, entre guillemets, la chance de s'adresser à nous et aussi de
s'adresser au député dans leur comté, ceux qui ont la
chance de s'adresser à nous, si vraiment il y a une injustice, ils
peuvent la voir corrigée, ils vont la voir corrigée. Alors, le
problème de la notoriété ou de la connaissance que peut
avoir le public du Protecteur du citoyen, il tient à beaucoup de
facteurs. Je peux dire qu'historiquement partant on n'a jamais accordé
de budget de publicité, d'information et de communication au Protecteur
du citoyen. Il faut comprendre que l'administration n'a peut-être pas
intérêt à ce qu'il soit plus connu. Il faut penser aussi
que nous n'avons pas de bureaux régionaux, nous n'avons pas d'accueil au
niveau régional. Et ça, ça joue beaucoup je pense. Je suis
en train de regarder ça; te fait que nos bureaux soient à
Montréal et Québec, même si les gens peuvent nous appeler
sans frais de partout au Québec, il va sans dire que, n'ayant pas de
petit drapeau sur place, on n'est pas présents et les gens ne savent pas
qu'on existe. Alors, il y aurait peut-être moyen, dépendant
évidemment des ressources, d'avoir à tout le moins des bureaux
d'accueil pour recevoir les plaintes en région. Ce qu'on entend faire,
c'est... À partir du sondage qui a été fait au mois
d'août, je peux vous dire qu'on s'était royalement trompés.
On pensait que, vraiment, les personnes qui avaient le plus besoin de nous nous
connaissaient. On constate que c'est peut-être celles qui ont le moins
besoin de nous. Je ne dis pas qu'elles n'ont pas besoin de nous, mais plusieurs
d'entre elles, de celles qui nous connaissent, ont le moyen de se payer un
avocat ou un professionnel pour défendre leurs droits. Alors, on va
être obligés de corriger un peu nos campagnes d'information ou la
façon dont on fait passer le message. Finalement, on est connus
traditionnellement par du bouche à oreille, mais, dans là mesure
où il y a une volonté gouvernementale et, surtout, une
volonté des parlementaires que le Protecteur du citoyen, qui
relève du Parlement, de l'Assemblée nationale, puisse jouer
efficacement son rôle sans mettre en cause ou en péril le
rôle du député dans sa région, moi, je pense
qu'à partir de ce moment-là on va pouvoir certainement avoir un
impact plus grand, donc augmenter le nombre de corrections d'injustices et
d'erreurs qui sont causées par l'administration.
M. Farrah: M. le Président, à la page 3 de votre
mémoire, vous dites: En réponse à la question de la
commission: "Le citoyen reçoit-il les services de qualité auquel
il a droit? Vous dites: "Nous préconisons avant tout que le citoyen soit
véritablement le premier client de l'administration. " Qu'est-ce que
vous sous-enten-dez par là? Est-ce que, à l'heure actuelle, le
citoyen n'est pas le premier client de l'administration?
M. Jacoby: Oui, il est le premier client, mais il devrait
véritablement l'être. C'est la distinction. Voici, je vais
m'expliquer là-dessus. Vous savez, dans toute organisation et
particulièrement dans l'administration publique, que ce soit
provinciale, fédérale, municipale, et c'est vrai à
l'échelle du monde, ce qu'on peut constater, c'est que l'administration
publique, lorsqu'elle élabore, par exemple, des systèmes pour
mettre en oeuvre des programmes gouvernemen-
taux qui ont été adoptés, votés par les
parlementaires par des lois, on élabore des systèmes
informatiques, on développe des procédés et
méthodes, on fait un tas de choses pour la mise en oeuvre d'une loi ou
d'un programme sauf que - et ça, ce n'est pas moi qui le dis, ce sont
les experts en sociologie et en comportements des organisations - la tendance,
c'est d'abord de bâtir des systèmes en fonction de sa propre
commodité, de son propre confort. On oublie qu'ultimement c'est le
client qui doit être la personne privilégiée. (10 h 45)
Alors, quand un directeur de l'informatique a décidé un
jour que tel document, on ne peut pas le produire avant six mois à cause
de problèmes informatiques, bien, lui, il a décidé
ça, il ne pense pas au client, là. C'est son problème. Il
y a un "bug" dans le système et c'est de même que ça se
passe. On ne fera pas les efforts, c'est ça que je veux dire. On
bâtit des systèmes dans la fonction publique d'abord pour son
propre confort, pour ne pas avoir de problèmes de gestion, mais en
oubliant le véritable client, on se trouve à avoir des
problèmes énormes de gestion. Vous savez, la non-qualité,
c'est ce qui coûte le plus cher dans l'administration comme dans le
secteur privé.
M. Farrah: Comme le disait le président de la commission,
c'est ce qu'on appelle les roitelets. Est-ce qu'on peut faire une analogie avec
la constatation suivante? Souvent, lorsqu'on a des commandes de coupures
d'effectifs, malheureusement, la première tentation, en tout cas, est
peut-être de couper des effectifs au niveau du terrain, au bas de la
structure, et c'est là que c'est important au niveau du service à
la clientèle. Si je me fie à vos propos, c'est justement
peut-être qu'à plus haut niveau on veut protéger un peu son
royaume au détriment du service à la clientèle, plus bas.
Est-ce exact?
M. Jacoby: Je rejoins ce que vous dites parce que, quand je
disais tout à l'heure que ce sont d'abord les premiers gestionnaires
d'un ministère qui doivent être vigilants, la tendance, comme on
est loin... Les grandes décisions de compression budgétaires,
où est-ce que ça se prend? Les grands ensembles, c'est au Conseil
du trésor, mais le Conseil du trésor ne va pas dans le
détail, lui; c'est le ministère ou l'organisme. Les hauts
fonctionnaires vont allouer ou répartir les coupures suivant des choses
qui ne tiennent pas compte suffisamment de ce que j'appelle la ligne de feu.
Souvent des coupures vont se traduire par le fait qu'on va remplacer ou engager
des occasionnels pour des postes où l'on fait affaire directement avec
les personnes, avec les clientèles. Je n'ai rien contre les
occasionnels, bien au contraire, mais quelle est la formation que l'on donne
à un occasionnel? Quand on lui remet dans les mains un manuel
d'opération de 300 pages, qui comprend 600 directives pour l'application
d'un programme, qu'on lui donne une formation de trois jours, comment
voulez-vous qu'il donne un bon service à la clientèle? C'est
impossible. Alors, ce sont des coupures de bouts de chandelle très
souvent.
Il y a des réflexes, dans la fonction publique, qu'il faut
changer. Quand on a des problèmes, par exemple, des fois, avec une
personne, un employé - ça, combien de fois je l'ai vu aussi
lorsque j'étais sous-ministre, des gens qui sont un peu dysfonctionnels
dans le système, ils dérangent tous leurs collègues dans
le bureau - alors que fait-on avec cette personne? On l'envoie a la
réception. Au moins, elle ne nous parle plus; elle va parler au monde.
Imaginez, si la personne est dysfonctionnelle à l'intérieur de
l'organisation, comment ça va être comme service à la
clientèle.
M. Farrah: Au royaume des borgnes et des fonctionnaires. Pour
continuer, au niveau de l'imputabilité, à la page 2, au
deuxième paragraphe de votre mémoire, vous dites: "Par ailleurs,
le manque de latitude des fonctionnaires de première ligne,
l'insuffisance de formation du personnel, la lourdeur des processus de
décision, la rigidité des manuels d'opération et les
disparités régionales favorisent la lésion et deviennent
des causes d'insatisfaction des personnes qui font appel au Protecteur du
citoyen." N'est-ce pas là un constat qui fait en sorte ou que ça
amène une entrave à l'imputabilité? Est-ce que le
système n'est pas trop lourd? Est-ce qu'il ne va pas falloir adapter le
système afin d'y inclure l'imputabilité?
M. Jacoby: II va falloir s'ajuster, mais il faut commencer
à quelque part. Actuellement, la fonction publique n'est pas imputable.
Quand je dis imputable, je ne dis pas qu'elle n'est pas responsable, je dis
qu'elle ne rend pas compte de l'exercice de ses responsabilités
autrement qu'à l'intérieur de l'organisation. Quand je parle
d'imputabilité, c'est une reddition de comptes que l'on fait devant des
gens de l'extérieur. Normalement, les redditions de comptes se font
envers des parlementaires ou des officiers qui sont indépendants de
l'administration. Rendre compte, c'est parce qu'il faut commencer par quelque
part et, moi, je vais vous expliquer ma philosophie.
Si on demande à chaque ministère, donc à chaque
sous-ministre, à chaque dirigeant, à chaque ministre d'y voir
aussi, d'avoir un chapitre dans son rapport annuel sur le service à la
clientèle en indiquant précisément ce qui doit être
dans ce rapport, bien c'est très simple. Que l'on indique dans ce
rapport le nombre de plaintes reçues dans une année par rapport
à tel programme du ministère, premièrement, la nature, par
catégorie, de ces plaintes, comment ces plaintes ont été
traitées, dans quel délai elles
ont été traitées, et qu'on demande à ce
ministère d'expliquer le pourquoi de ces plaintes. Ensuite, on lui
demandera de proposer annuellement les mesures pour corriger ces anomalies ou
ces ratés du système et, chaque année, le ministère
va rendre compte de l'éflectivité ou de l'impact des mesures
adoptées l'année précédente. Là, on va
commencer quelque part. Et, alors, les causes d'insatisfaction dont on parlait,
la lourdeur, la complexité et toutes ces autres causes... Que les
ministères soient obligés de faire des analyses pour rechercher
les causes de toutes ces plaintes-là, et qu'ils disent publiquement:
Voici, dans tel secteur, par exemple, on a eu beaucoup de plaintes parce que
des gens ont perdu des droits; on a découvert que c'était notre
formulaire qui était confus ou qui portait à confusion. Eh bien,
cette année, nous entendons modifier le formulaire de telle et telle
façon, de façon à ce qu'il soit accessible au monde qui
l'utilise. Voici de l'imputabilité et on le dit aux parlementaires. On
le dit à qui de droit. Et l'année suivante on vérifie quel
a été l'impact. Est-ce que les 123 plaintes de perte de droits
à cause du formulaire l'année 1990, en 1991, ça sera
tombé à 15. Bien là, on aura vu que des mesures auront
été mises en place avec cet objectif de privilégier
d'abord le citent.
M. Farrah: Peut-être...
Le Président (M. Lemieux): Allez-y, je vous en donnerai un
petit peu plus.
M. Farrah: À la page 18 de votre rapport, c'est une
recommandation. "Par ailleurs, nous recommandons que la Loi sur la fonction
publique et/ou les politiques de gestion des ressources humaines soient
modifiées de sorte que les employés qui sont en contact direct
avec la clientèle puissent, sans crainte de représailles, faire
valoir auprès des autorités les failles du programme
gouvernemental et tes difficultés rencontrées dans leurs rapports
avec les citoyens, et que les autorités des ministères et
organismes accordent priorité au règlement de ces
difficultés. " J'ai certaines réserves à inclure cela au
niveau de la Loi sur la fonction publique, parce que c'est des principes de
base de gestion, la consultation avec ses subalternes, avec les cadres.
À ce moment-là, ça démontre possiblement une faille
au niveau de la gestion. Mais est-ce qu'il ne faut pas, peut-être,
intervenir pour implanter une gestion participative plutôt que de
l'inclure dans la loi où ça pourrait amener une lourdeur? C'est
quoi, la consultation? Est-ce qu'il peut être entendu ou pas? Est-ce
qu'il peut émettre des griefs, etc. ? Alors, c'est un principe
fondamental de gestion. Ça devrait être de facto.
M. Jacoby: Oui, bien, ce que je dis bien dans ma recommandation,
c'est ou que la loi ou que les politiques soient modifiées, parce que je
n'ai pas fait de discrimination particulière sur ce point-là.
Mais une chose est certaine, c'est qu'il faut aller au fond du problème.
Vous savez, le fonctionnaire de première ligne, qui applique un
programme, qui répond à la clientèle, qui accepte, qui
rend des décisions et ainsi de suite, s'il y a quelque chose qui ne
marche pas... Il y a une culture organisationnelle dans la fonction publique
qui est un peu pernicieuse. Il y a cette culture, qui est fondée ou pas,
qui veut que, si un employé de la base commence à rapporter des
problèmes à son supérieur immédiat, on pense qu'il
ne veut pas connaître les problèmes de l'autre et ainsi de suite.
Et on ne veut pas remonter dans le système parce qu'on a peur de se
faire reprocher d'avoir été à la source ou l'occasion
d'une erreur ou d'une injustice. C'est cette culture. Finalement, on n'accepte
pas que l'employé ait le droit à l'erreur, en régie
interne. Alors, s'il n'a pas le droit à l'erreur et qu'il commence
à expliquer à son boss que le système ne marche pas, bien,
son boss va peut-être dire: Le système ne marche pas. Et il va se
demander: Est-ce que je vais en parler à mon boss? Ils l'ont bâti
à Québec, le système, c'est extraordinaire, ça
marche. Et c'est comme ça. Moi, je vois ça tous les jours.
Alors, ce qu'il faut, c'est que les politiques de gestion des ressources
humaines soient modifiées pour véritablement, lorsqu'on
élabore des programmes gouvernementaux ou lorsqu'on les met en oeuvre,
que toutes les unités soient consultées et surtout les
unités qui sont sur les lignes de feu. Parce que c'est peut-être
là qu'on a le plus d'expérience dans la problématique du
service à la clientèle C'est là que les problèmes
commencent et, souvent, nous le constatons, nous, dans nos interventions, parce
que nous parlons aux fonctionnaires de première ligne, comme à
leurs chefs de service. Et on se fait dire parfois par les fonctionnaires, en
toute bonne foi: Ça, on le savait. On leur a dit que ça ne
marcherait pas, mais ça ne s'est jamais rendu en haut. Alors, il y a un
problème de gestion des ressources, toujours dans le cadre de l'objectif
de qualité du service à la clientèle. Moi, je pense que le
fonctionnaire de première ligne est aussi important que le sous-ministre
dans un organisme, même si ses responsabilités ne sont pas les
mêmes, et qu'il faut tenir compte de son avis lorsqu'il voit et constate
des ratés dans l'administration du programme d'aide sociale, d'accidents
du travail et ainsi de suite.
Le Président (M. Lemieux): Seulement une petite question.
On est conscients que la culture de gestion doit évoluer et, à
mon avis, je suis un de ceux qui pensent que le fonctionnaire a droit à
l'erreur, car, si ce fait-là n'est pas reconnu, c'est synonyme de statu
quo: je ne bouge pas de peur justement de faire une erreur et c'est le public
qui paie un peu pour ça. Mais,
au-delà de tout ça, j'aimerais faire un peu appel à
votre expertise. Vous avez sans doute été membre du forum des
sous-ministres lorsque vous étiez sous-ministre en titre; vous avez
été sous-ministre en titre, vous êtes Protecteur du
citoyen. Il y a les articles 2 et 3 de la loi et les services de qualité
à la population.
Vous savez, il y a un grand principe aussi dans la loi, c'est le
principe d'imputabilité. Je vais vous amener sur un sujet qui est
brûlant et qui a l'air de faire peur à bien du monde, à
beaucoup de hauts fonctionnaires, c'est l'im-putabilité externe. Est-ce
qu'à vos yeux vous croyez qu'une forme d'imputabilité externe est
nécessaire, essentielle pour en arriver à une meilleure
qualité de service aux citoyens? Est-ce que les sous-ministres
devraient, en faisant une différenciation au niveau des objectifs et des
moyens pour atteindre ces objectifs, c'est-à-dire... Est-ce que vous
croyez qu'une commission parlementaire se devrait d'exercer un certain
contrôle au niveau de l'imputabilité externe au niveau de la haute
fonction publique? Je parle davantage à l'ancien sous-ministre qu'au
Protecteur du citoyen.
M. Jacoby: Je vais vous répondre avec mes deux chapeaux en
même temps.
Le Président (M. Lemieux): Ça me ferait
plaisir.
M. Jacoby: Vous savez, vous posiez la question au tout
début: Est-ce que, lorsque j'étais sous-ministre, je voyais les
choses de la même façon? Je pourrais dire que non, je ne les
voyais pas, parce que, d'abord, au départ, à cause de la
monstruosité de la machine, il y a de l'information qui ne monte pas.
C'est tout à fait sporadique quand on se rend compte qu'il y a un
problème. Je vais vous dire comment sont traités les
problèmes d'une manière générale quand on ne sait
pas ce qui se passe au niveau de la qualité du service. Vous avez une
plainte, soit que le bureau du ministre vous la dépose: Voulez-vous me
régler ça, dernande-t-il, ou encore elle vous arrive autrement.
Vous demandez une étude dans votre ministère sur la question:
qu'est-ce qui s'est produit dans le dossier? Puis, on vous fait un beau
rapport, c'est bien fait, c'est parfait, c'est "clean". On nous dit que, c'est
sûr, il y a une erreur, une injustice; on conclut toujours en disant que
c'est un cas marginal exceptionnel et que ça ne se reproduira plus.
C'est ça, l'information qu'ont les hauts gestionnaires. Je ne dis pas
que c'est de la mauvaise volonté de la part de la machine. Le
système est gros et la préoccupation clientèle n'est
peut-être pas assez élevée. Mais, l'imputabilité, je
vous dis une chose: Oui, je pense que les ministères et organismes et la
fonction publique doivent être imputables à l'externe, parce qu'il
y a des choses à l'interne que personne ne voit jamais.
Je vais vous donner la démocratie. Vous savez, les programmes
gouvernementaux, c'est d'abord les députés, les élus du
peuple, qui les font en adoptant des lois. Ces lois prévoient un pouvoir
de réglementation. Ce pouvoir de réglementation est exercé
par le biais de décrets du Conseil des ministres. Jusque-là, les
élus du peuple et les ministres voient ce qui se passe par rapport
à un programme, mais la vraie vie d'un programme gouvernemental, ce
n'est pas la loi, ce n'est pas le règlement. La vraie vie, je vais vous
dire ce que c'est: ce sont tous ces instruments qui sont conçus,
élaborés, appliqués par des fonctionnaires et jamais un
représentant du peuple n'aura l'occasion de donner son avis.
Alors, voici les documents. Les documents, c'est l'ensemble des manuels
d'opération utilisés par l'administration pour la mise en oeuvre
d'un programme gouvernemental, des manuels de centaines de pages; ce sont les
politiques administratives élaborées par les fonctionnaires pour
l'application d'un programme; ce sont les directives internes
d'interprétation, des directives d'application élaborées
par des fonctionnaires que personne d'autre que les fonctionnaires ne voit; ce
sont les directives non écrites, les plus pernicieuses, qui font des
ratés dans le programme. En d'autres termes, pour les lois, il y a un
contrôle parlementaire, un contrôle du peuple, de la population et
du public, mais la vraie vie de la loi, tous ces instruments qui font que dans
la vie de tous les jours on rend des services aux citoyens, personne d'autre
que la bureaucratie ne les voit. Je dis que le monde caché des
programmes gouvernementaux est plus important, entre guillemets, que le monde
visible des programmes gouvernementaux que sont les lois, parce que la vraie
vie est là. (11 heures)
Donc, au moins, à cause de ça, je pense que les
ministères et organismes devraient être imputables à
l'externe de leurs gestes en matière de services à la
clientèle, parce que, dans 95 % des cas, les difficultés, elles
originent non pas dans la loi, rarement dans le règlement; elles
originent dans la pile d'instruments et d'outils de travail conçus,
élaborés et appliqués par la fonction publique,
instruments qu'on ne voit pas.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
La Prairie.
M. Lazure: Merci, M. le Président. Je veux d'abord, au nom
de l'Opposition, féliciter le Protecteur du citoyen et son équipe
pour la présentation qu'il nous offre aujourd'hui. C'est
extrêmement riche en commentaires et en suggestions très
concrètes. Au risque d'offenser sa modestie, moi, je vais
répondre à la question du président: Est-ce que vous
étiez aussi sensibilisé lorsque vous étiez sous-ministre?
Sûrement pas. Mais je dois dire que c'était un des
sous-ministres les plus sensibilisés, M. le Prési-derit.
Comme responsable des relations avec les citoyens pendant deux ans et demi,
j'ai eu à travailler avec tous les ministères, tous les
organismes et la Justice avait fait des efforts considérables, comme
bien d'autres ministères d'ailieurs. Alors, je tiens à lui
exprimer, à lui et son équipe, toute notre admiration pour le
travail excellent qui est fait.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
La Prairie, peut-être qu'une des suggestions de la Commission, ça
sera, comme je le disais tout à l'heure, que tous les sous-ministres en
titre et adjoints puissent faire un stage chez le Protecteur du citoyen.
Ml. Lazure: Oui. Moi, je l'endosserais volontiers. J'ai quelques
commentaires et quelques questions. Pour ajouter un certain nombre de
renseignements, les médias ont fait état d'un sondage qui a
été commandé par la commission où, en gros, 90 % de
la population se disait satisfaite des services. Vous arrivez à des
conclusions un peu différentes, légèrement
différentes. Et un autre sondage fait auprès des attachés
politiques de tous les bureaux de comté de député nous
donne des données un peu différentes. Mais au départ, moi
aussi, je veux réaffirmer, comme vous, que la très grande
majorité des fonctionnaires sont à la fois compétents,
courtois et dévoués. Ceci étant dit, je vais commencer par
le sondage par voie de questionnaire qui a été fait de
façon non partisane et envoyé aux 125 bureaux de
député; 95 ont répondu, ce qui est un très bon
taux, 76 %. Et à la fin, quand on note le degré de satisfaction
générale, 69, 5 % des attachés politiques, encore une
fois, dans les proportions...
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
La Prairie, peut-être pour préciser la nature du sondage, c'est un
sondage qui a été fait par la commission et auprès de
quelle clientele?
M. Lazure: Oui. C'est ce que je viens de dire.
Le Président (M. Lemieux): O. K.
M. Lazure: Auprès des attachés politiques. Les
réponses reflètent la proportion entre le parti au pouvoir et le
parti de l'Opposition. Et la grande majorité des attachés de
bureau de comté qui répondaient avaient plus de trois ans
d'expérience. Donc, ce sont des répondants qui ont quand
même une connaissance intime des plaintes des citoyens. Alors, 69, 5 %
sont satisfaits des services rendus par les fonctionnaires aux citoyens, 30, 5
% se disent cependant insatisfaits. Bon, au départ, c'est assez
différent de l'autre sondage, 1QOP, qui donnait 90 %. Parenthèse,
si IQOP a donné 90 %, à mon avis, on a une partie de la
réponse dans le fait que, dans le sondage IQOP - je reviens à
IQOP - page 39, discussion, on dit: Les résultats de cette enquête
indiquent clairement que l'accès aux services de la fonction publique se
fait prioritairement par le biais du courrier Ces résultats proviennent
de la pénétration des services du ministère du Revenu,
rapports d'impôt, et de la Régie de l'assurance automobile du
Québec. À eux seuls, et c'est ça qui est important, ces
deux organismes représentent 85, 4 % des services qui ont fait l'objet
d'une évaluation dans le sondage. Autrement dit, quand le sondage dit:
90 % des gens sont satisfaits, ça veut dire en gros que 90 % des gens
qui ont eu le contact annuel pour leur permis de conduire ou l'immatriculation
à la Régie et pour leur rapport d'impôt sont satisfaits. Et
ça ne donne pas une image fiable, si vous voulez, de l'ensemble de la
machine gouvernementale, malheureusement.
Tandis que, quant à moi, le sondage fait auprès des
attachés politiques est beaucoup plus représentatif, parce que
les ministères qui sont surtout touchés, c'est
Sécurité du revenu, CSST, Revenu Québec, ministère
de la Santé et des Services sociaux, Régie de l'assurance
automobile du Québec aussi. Et dernière remarque sur ce sondage
auprès des attachés politiques qui m'apparaît
extrêmement important, parce que 40 % considèrent que la
qualité des services de la fonction publique s'est
améliorée au cours des dernières années, mais 44 %
disent que c'est à peu près la même et 15 % disent que
ça s'est détérioré.
Une dernière remarque sur les attachés politiques: 56 %
des attachés politiques ont trouvé les formulaires plutôt
simples, mais 44 %, trop complexes. Dans le sondage \QOP, sur les formulaires,
parce que vous en parlez beaucoup, et avec raison, ce ne sont pas seulement les
assistés sociaux ou les analphabètes qui ont de la
difficulté à remplir les formulaires. Il y a quelque chose
d'intéressant ici, selon le degré d'instruction, les gens qui ont
demandé de l'aide pour remplir le formulaire, instruction primaire, 50 %
ont demandé de l'aide; au secondaire, 32 %, au collégial, 27 %;
universitaire, 28 %. Alors, même nos universitaires, c'est beaucoup
ça, un sur quatre a eu besoin d'aide pour remplir des formulaires. Je
trouve que c'est un commentaire extrêmement éloquent sur l'aspect
déconnecté de nos formulaires.
J'arrive à des propositions bien concrètes qui me
rappellent les propositions que nous faisions au Secrétariat aux
relations avec les citoyens, à l'époque, de former des
comités d'usagers de région en région, que les
ministères et organismes leur soumettent les formufaires. On l'avait
fait pour l'aide sociale à un moment donné et on l'a fait avec le
Revenu aussi. Le Revenu s'est amélioré énormément
depuis quelques années et aussi la Régie de l'assurance
automobile du Québec. Mais il faut que les
ministères aillent rencontrer les usagers, des comités
d'usagers, à qui ils vont soumettre le brouillon du formulaire en
question. Parce que les formulaires sont de plus en plus faits avec le langage
robotique, le langage de l'ordinateur, le langage de l'informatique, qui est
absolument désincarné, souvent qui est incompréhensible
par le citoyen ordinaire.
Alors, je vous pose quelques questions... Juste aussi pour appuyer vos
propositions de modifier la loi pour que, dorénavant, il y ait dans la
loi obligation, pour le fonctionnaire, de fournir des renseignements
adéquats à la clientèle et, notamment, sur ses droits de
recours. Deuxièmement, aussi votre autre suggestion de modifier la loi
pour que les organismes et ministères, dans leur rapport annuel, rendent
compte des plaintes et des mesures qui ont été prises. Je retiens
ces deux suggestions-là, bien concrètes.
Le bureau des plaintes, c'est assez désolant quand on se rend
compte, dans votre mémoire, qu'il y a seulement un organisme qui a son
bureau des plaintes, seulement un dans tout l'appareil gouvernemental. Il y en
a une dizaine, une douzaine qui ont un préposé aux plaintes. Il y
en a autant qui vous ont dit: On va en avoir un bientôt. Il y a des
progrès, mais c'est lent, c'est lent. Par conséquent, la question
que je vous pose: Pour seconder vos efforts - parce que ce ne serait pas normal
que le Protecteur du citoyen soit le seul organisme à jouer ce
rôle de chien de garde de la qualité des services à la
clientèle, ce ne serait pas normal, ce n'est pas tout à fait dans
son rôle non plus - est-ce que vous voyez un organisme quelconque qui
serait un peu l'équivalent de ce que le Secrétariat aux relations
avec les citoyens a tenté d'être pendant quelques années?
Et, si oui, quel organisme verriez-vous pour jouor co rôlo de promoteur
auprès des organismes, auprès des ministères, pour, au
fond, s'assurer que vos 30 recommandations et celles du Vérificateur
général ou d'autres soient mises en application?
M. Jacoby: C'est une question que vous me posez, une excellente
question. C'est parce que, en tout cas, personnellement, j'ai beaucoup
évolué, entre guillemets, à rebours ou je ne sais pas
comment. Mais je me dis une chose, c'est que, pour assurer un maximum de
qualité de service, il faut d'abord et avant tout que les premiers
dispensateurs de services soient responsables et soient sensibilisés. Je
pense que l'effort pour l'approche à la clientèle doit venir,
d'abord et avant tout, des ministères et des organismes dans
l'application de leurs programmes. Est-ce qu'il est nécessaire de
créer une structure gouvernementale relevant de l'administration pour
dire au monde: Vous devriez mieux remplir vos services à la
clientèle? Je pense que c'est possible sur un plan administratif, mais
je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure solution dans le contexte
actuel, parce que je pense quand même qu'il y a des efforts qui ont
été faits. Je pense qu'il faudrait plutôt que les
organismes centraux... Prenons le Conseil du trésor. Le Conseil du
trésor est responsable des politiques de gestion financière et
également des politiques de gestion du personnel. Il y a aussi une
partie qui est attribuée à l'Office des ressources humaines et il
y a la Commission de la fonction publique aussi qui a un mandat d'enquête
par rapport à la qualité de services à l'intérieur
de l'organisation pour le personnel à l'interne et aussi pour celui
qu'on recrute de l'externe.
Moi, je dis que ce sont ces organismes centraux... Pourquoi, par
exemple, le Trésor? Mais, là, je parle du Trésor et je
sais qu'il y a un conflit d'intérêts possible. Le Trésor,
normalement, c'est celui qui détermine les ressources budgétaires
et les ressources en effectifs, et celui qui détermine les politiques de
gestion des ressources humaines, comment on les gère et pourquoi on les
gère. Au moment où on se parle, le Conseil du trésor
devrait établir des politiques de gestion des services à la
clientèle. Ça fait partie du reste. Il contrôle tout, le
Trésor.
Si ce n'est pas le Trésor, je pense que chaque ministère
devrait certainement, au niveau de chaque ministre... Parce que, dans le fond,
c'est le ministre. Le ministre est responsable de son ministère. Il est
responsable plus à distance de son organisme. Le ministre devrait
être la première personne qui se préoccupe du service
à la clientèle.
Dans le fond, ce que je dis, c'est que, si on établit un
mécanisme de reddition de comptes à l'externe, obligatoire pour
chaque programme gouvernemental, on n'aura peut-être pas besoin de
créer une superstructure. Si on n'en établit pas, il est possible
qu'on ait besoin d'une superstructure.
M. Lazure: Empiriquement, de par l'expérience... Vous
savez les efforts qui ont été faits auxquels vous avez
contribué, votre ministère à l'époque et, plusieurs
ministères. En 1985, lorsque le gouvernement, à tort ou à
raison, décide de fermer cette structure-là, de mettre la
clé dans la boîte, on a dit: Dorénavant, chaque
ministère, chaque organisme... On a dit ce que vous venez de dire, il y
a 5 ans. Et quand on a demandé, depuis quelques semaines, aux gens qui
viennent nous voir... On se rend compte que les hauts fonctionnaires et les
cadres ne sont même pas au courant que leur ministère est
censé assumer les fonctions qu'assumait le secrétariat. Alors, je
pense que, de façon empirique, on a la preuve que ça n'a pas
fonctionné. Et toute la documentation qui avait été
accumulée au secrétariat est dans des boîtes ou sur des
tablettes au ministère des Communications et ne sert pas actuellement.
La preuve, vous le dites vous-même, il y a un seul bureau de plaintes
après tous les efforts qui ont été faits. Moi
aussi, je partage votre avis que ce serait la meilleure façon de le
faire dans chaque ministère, chaque organisme. Je crois qu'il y a lieu
encore, pour un certain temps, d'avoir un organisme central léger - le
secrétariat, c'était 10 personnes - qui est comme une
espèce de commando qui se promène de ministère en
organisme pour s'assurer que les recommandations vont être suivies.
Un autre commentaire sur les fonctionnaires de première ligne.
À bon droit - et je pense qu'on les oublie trop souvent - vous dites que
la machine n'écoute pas assez le fonctionnaire de première ligne,
surtout le fonctionnaire de première ligne qui est en région. Et
c'est lui ou c'est elle qui connaît vraiment les plaintes et les besoihs
des citoyens. Je trouve que cette approche clientèle qui est tellement
évidente, quand on en parle entre nous comme ça, elle est
oubliée par les ministères, elle est oubliée par les
organismes. Et ce n'est pas valorisant. J'irais même jusqu'à dire
que, pour tes cadres supérieurs ou intermédiaires, ce n'est pas
une chose valorisante de s'oceuper de ça. C'est plus valorisant de
s'occuper des équilibres financiers.
Et ce que vous disiez du Trésor tantôt, on a tenté
d'impliquer le Trésor en 1983-1984. Le Conseil du trésor n'a
jamais voulu s'impliquer là-dedans. Et c'est trop éloigné
de sa préoccupation.
M. le Président, je conclus en disant que, quant à nous,
de ce côté-ci, on retient pratiquement la totalité des
recommandations du Protecteur du citoyen. Ce serait intéressant de voir,
dans un an ou deux, comment les ministères et les organismes auront
réagi à ces recommandations qui sont tellement pertinentes.
Merci. (11 h 15)
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. le
député de La Prairie. Seulement pour votre information, M. le
Protecteur du citoyen, la commission du budget et de l'administration a
demandé à 61 organismes et ministères - on a eu 56
réponses - les moyens et mécanismes qui ont été mis
en place pour améliorer des services de qualité aux citoyens, et
ça nous a un peu surpris: il y a une sensibilisation actuellement au
niveau de la clientèle et de la qualité du service aux citoyens.
Ça, c'est une chose qui nous apparaît évidente, mais
ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas encore un grand bout de chemin
à faire. À nos yeux, il reste encore beaucoup à faire.
C'est peut-être la première forme d'im-putabilité externe
de la commission, une des premières formes.
M. le député de Limoilou.
M. Després: Merci, M. le Président. Je pense, M. ie
Protecteur du citoyen, que vous et les législateurs avez le même
objectif, ici, ce matin, le service à 4a ttientèle, et je pense
que vous avez absolument raison. On a tendance bien souvent, entre autres dans
les organisations qui touchent la fonction publique, à oublier de parler
des résultats au niveau des plaintes de chacune des organisations. Vous
nous dites dans votre document qu'il y a une organisation qui a établi
un bureau de plaintes Je n'ai pas en tête ou en mémoire le
délai, depuis combien de temps on a établi ce bureau de plaintes,
mais est-ce que vous avez été capable chez vous, à partir
du moment où on a établi dans cette organisation un service de
bureau de plaintes, de voir une évolution par rapport au nombre de
plaintes qui, malgré qu'on ait établi un bureau de plaintes dans
cette organisation, ont pu se rendre de toute façon au Protecteur du
citoyen?
M. Jacoby: Peut-être que le premier bureau de plaintes
officiel qui a été ouvert, c'est celui du ministère du
Revenu qui a donné lieu à un protocole d'entente entre le
Protecteur du citoyen et le ministère du Revenu. Effectivement, ce
bureau de plaintes fonctionne depuis l'automne dernier et ce que l'on peut
constater, c'est que, d'une part, il y a beaucoup de dossiers où
autrefois, nous étions obligés de nous battre avec l'appareil
pour faire changer des décisions du ministère du Revenu. On les
réfère à ce bureau de plaintes et ce bureau de plaintes
nous règle les dossiers avec beaucoup plus d'efficacité,
étant donné qu'en plus il est près de l'autorité.
Ça, c'est une chose.
Deuxièmement, et c'est surtout ça qui est important,
étant donné que ce bureau de plaintes est connu, il y a de plus
en plus de personnes qui vont adresser leurs plaintes au bureau de plaintes.
Et, moi, ce que je dis, c'est que c'est très important, parce que, avant
de venir chez le Protecteur du citoyen ou avant de venir au bureau du
député, il y a une responsabilité des citoyens aussi de ne
pas recevoir une décision et dire: Ah! Bien, là, je ne suis pas
content, je m'en vais chez le Protecteur du citoyen. Retournez au
ministère ou à l'organisme dans un premier temps. Donc, ce bureau
de plaintes répond à des besoins et je pense que c'est une
formule.
Maintenant, je peux vous dire qu'il y a d'autres ministères qui
nous ont avisés, suite à nos interventions, de la création
de ces bureaux de plaintes, et il y en a plusieurs. Vous en avez plusieurs dans
le mémoire, sauf que, malheureusement, il n'y a pas de publicité
autour de ces bureaux de plaintes. J'ai l'impression que, dans certains cas,
c'est plutôt pour se donner bonne conscience qu'autre chose. Mais ce dont
je suis convaincu, c'est qu'il faut mettre les responsabilités aux bons
endroits et je voudrais terminer là-dessus.
La qualité d'un service dans le respect des droits des personnes,
c'est d'abord la responsabilité d'un ministère et d'un organisme.
Quand le service est mal donné ou que les droits ne sont pas
respectés, c'est d'abord au ministère ou
à l'organisme de le corriger. Pour ce faire, il faut qu'il y ait
une structure légère qui soit capable de le corriger et je pense
que le bureau de plaintes, c'est la solution dans bien des programmes
gouvernementaux, mais ça ne suffira pas.
Je peux vous dire qu'il y a d'autres initiatives. Actuellement, nous
sommes en train de développer un protocole d'entente avec la
Régie de l'assurance-maladie. Véritablement, elle fait ça
très sérieusement. Il y a vraiment des ministères qui font
ça très sérieusement et qui veulent absolument
réduire le nombre de plaintes, mais ce n'est pas la majorité.
Vous savez, quand on dit: Ils nous ont envoyé les mesures qu'ils ont
adoptées depuis trois ans pour améliorer le service à la
clientèle, oui, les mesures c'est une chose, mais leur application,
c'est autre chose. Il ne faut jamais oublier ça.
M. Després: II y a un autre point, M. le Président,
dans le cadre où vous avez souligné que la formation des
fonctionnaires de première ligne laissait à... quelques fois ou
qu'on connaissait mal les lois ou les règlements. Vous avez
laissé sous-entendre que, bien souvent, des occasionnels occupaient
justement ces postes de première ligne. Est-ce que vous avez des
données qui nous démontrent, par rapport aux plaintes que vous
recevez dans chacun des ministères, que, justement, parce que vous avez
parlé des occasionnels... Est-ce que, justement, les plaintes qu'on
reçoit sont dues au fait que ceux qui occupent ces postes sont plus
souvent des occasionnels que des réguliers et que des occasionnels n'ont
pas toujours eu le temps, d'acquérir l'expérience, la formation
sur toute cette réglementation ou ces lois-là? Est-ce que vous
avez des données là-dessus pour répartir...?
M. Jacoby: Je n'ai pas de données précises comme
telles. Ce que je sais, c'est qu'on inves-tigue de plus en plus sur la
manière dont les programmes sont appliqués. Je réalise,
par exemple, dans le secteur santé et sécurité au travail,
sur la loi 42 en tout cas, que, l'année dernière, if y avait, sur
400 agents d'indemnisation en première ligne à travers la
province, le tiers d'occasionnels. Or, on constate qu'il y a dans ce
secteur-là des plaintes, fondées ou pas, c'est autre chose. Moi,
je trouve ça terrible, c'est parce que la formation, c'est absolument
essentiel. Quand on sait que, par exemple, un fonctionnaire de première
ligne n'a pas de formation sur la loi qu'il applique, n'a pas de formation sur
la jurisprudence qui a interprété la loi, tout ce qu'il sait,
c'est ce qui est dans son manuel d'opération. Il ne sait pas, il n'a pas
de "rebound" sur les mauvaises décisions qu'il a rendues, sauf qu'un
jour il va recevoir du central une directive qui a été
élaborée en haut, un an plus, tard, pour corriger des
ratés qu'il y avait au niveau de la première ligne et il ne saura
jamais que c'était lui qui a été à l'origine du
problème. Il ne saura jamais quelle est la jurisprudence. Les agents de
première ligne n'ont comme seul outil de travail que leur manuel
d'opération et il n'y a pas de formation autre qu'une formation rapide
sur ce que veut dire ce manuel sans connaître l'esprit de la loi et sans
connaître l'esprit du programme. Ça, c'est un manque et c'est
propre... Je pense qu'au gouvernement, c'a toujours été le tort,
à chaque fois qu'il y a des compressions budgétaires, on tombe
sur la formation, on coupe la formation...
Le Président (M. Lemieux): Toujours la formation.
M. Jacoby: ...alors que des entreprises performantes dans le
secteur privé savent très bien que, quand ils ont des
problèmes de concurrence, de compétition et de marché, il
faut mettre des ressources et de l'argent sur la formation et la formation
continue. On marche à l'envers. Ça, je trouve ça
dramatique et je pense que c'est un autre problème de culture. Mais je
pense que les organismes auraient au moins la responsabilité de dire
clairement au monde: Vous avez des coupures cette année en pleine
période, en pleine année, ne touchez pas à la formation,
s'il vous plaît.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Limoilou, une autre question.
M. Després: Dans le même ordre d'idées, M. le
Protecteur du citoyen, donc vous êtes d'accord qu'au niveau de la
formation, du développement des ressources humaines, il y a un manque de
ce côté-là. Sauf que vous avez dit tout à l'heure:
Le Conseil du trésor contrôle tout. On sait qu'il a la
responsabilité de contrôler la gestion des dépenses
gouvernementales et en même temps du développement des ressources
humaines. J'aimerais vous entendre là-dessus, à savoir si,
à votre point de vue et avec votre expérience, on devrait
dissocier la responsabilité du développement des ressources
humaines en faisant porter le chapeau à quelqu'un d'autre que le Conseil
du trésor.
M. Jacoby: Vous voulez que je parle comme Protecteur ou comme
ex-sous-ministre?
M. Després: Au chapeau que vous voulez, monsieur.
Le Président (M. Lemieux): Ex-sous-ministre, je
préférerais.
M. Jacoby: Je n'ai pas été invité à
titre d'ex-sous-ministre, moi, là.
Le Président (M. Lemieux): Non, mais c'est vous-même
qui vous êtes avancé, vous savez.
M. Jacoby: C'est pour ça, M. le Président...
Le Président (M. Lemieux): Vous m'avez tendu la
perche.
M. Jacoby: Est-ce que j'ai droit à mon avocat?
Le Président (M. Lemieux): Je me suis
dépêché de me boucher l'oreille à part de ça,
pour ne pas que ça sorte.
M. Jacoby: Non, écoutez. Moi, ce que j'ai pu constater
lorsque j'étais sous-ministre, c'est qu'il est évident qu'il y a
une apparence de conflit de préoccupations, pour ne pas dire
d'intérêts, dans les grandes responsabilités du Conseil du
trésor. Moi, ce que j'ai constaté, c'est que, à la fois le
Trésor élabore des politiques en matière de gestion
financière et, en même temps, des grandes politiques en
matière de gestion des ressources humaines. Sauf que, pour des raisons
de culture, j'imagine - vous savez, on a modifié la Loi sur la fonction
publique, on a fait sauter le ministère de la Fonction publique, il y a
quelques années, et le Trésor a rapatrié une partie des
responsabilités du ministère - pour des raisons historiques, ce
qui compte pour le Trésor, la première priorité P1 dans
toutes ses priorités, c'est évidemment le budget. Je pense qu'au
Trésor il n'y a pas d'équipe, il n'y a pas une unité pour
contrebalancer ça. Je pense qu'on s'occupe de gestion des ressources,
mais quand je regarde le nombre de personnes et de spécialistes qui
s'occupent de détruire ou de critiquer ou d'accepter les mémoires
présentés par les ministères en termes de questions
financières et, parallèlement à ça, le nombre de
personnes affectées à la gestion des ressources humaines, je veux
dire, regardons et on verra qu'il y a un déséquilibre complet. Je
ne dis pas qu'il est absolument nécessaire. Écoutez, vous me
posez une question à brûle-pourpoint. Tout ce que je peux vous
dire, c'est qu'il faudrait que le Conseil du trésor considère
comme priorité P1 autant le service à la clientèle par le
biais de la gestion des ressources humaines que sa priorité en
matière d'équilibre financier. Et peut-être qu'à ce
moment-là les ministres, lorsqu'ils siègent autour de la table du
Conseil du trésor, et les députés dans le caucus auront
des choix éclairés quand ils auront à prendre des
décisions parce que ce n'est pas vrai qu'une analyse du Conseil du
trésor qui ne prend en considération que le problème
d'équilibre financier généralement... Et c'est leur job au
Trésor, il faut bien comprendre ça. Leur job, c'est de dire:
Écoutez, on a des problèmes financiers et on rétablit les
équilibres.
Mais, quand c'est toute la culture de ces analyses, où va-t-on?
Moi, je suis convaincu que le système actuel, au Trésor, fait en
sorte que les ministres responsables du Trésor n'ont pas tout I
éclairage qu il faut lorsqu ils prennent les décisions qui
affectent le service à la clientèle. Il me semble, puisque ces
ministres décident des grands ensembles, du grand portefeuille
budgétaire et d'effectifs du gouvernement, qu'il serait tout à
fait normal que l'organisation du Trésor soit ainsi faite que les
ministres soient conscients de tous les impacts de leurs décisions. Dans
les mémoires au Conseil du trésor, il faudrait peut-être
qu'il y ait un chapitre sur le service à la clientèle, sur
l'impact sur le service à la clientèle.
Le Président (M. Lemieux): On vous remercie. Alors, une
dernière question, M. le député de La Prairie.
M. Lazure: Ça a existé pendant deux ans, ça,
mais, moi, c'est le seul point de divergence que j'ai avec le Protecteur du
citoyen: il a encore ses illusions sur la possibilité que le Conseil du
trésor puisse assumer autant son rôle de protecteur de la bonne
qualité des services aux citoyens que son rôle de protecteur des
finances. Bon, l'avenir nous dira si c'est possible, en tout cas, un recul
d'une dizaine d'années, de 10 ou 15 ans. Moi, je pense que c'est
quasiment impossible. Je pense que la Loi sur la fonction publique, dans toutes
les parties autres que la surveillance financière, devrait être
assumée par un autre ministre et un ministre aussi senior que le
président du Conseil du trésor pour faire le contrepoids, la
contrepartie.
Deuxièmement, vous avez raison de dire, quand il y a des
coupures, que ça va sur la formation, mais ça va aussi sur les
effectifs en région et je trouve ça épouvantable.
Ça, ce n'est pas partisan. Les deux ou trois gouvernements que j'ai
connus l'ont fait parce que les décisions à savoir où
couper se prennent à Québec, centralement, et on ne va pas
s'autocouper. On va couper les régions et c'est là que ça
fait mal quant à la qualité des services aux citoyens quand on
coupe en région.
Ma dernière question, M. le Protecteur. Vous avez parlé de
l'acheminement des plaintes, tantôt. C'est vrai que vous avez un
problème parce que vous n'êtes pas assez connu en région,
vous n'êtes pas assez connu des clientèles
défavorisées. Elles ne savent pas trop comment vous rejoindre. Le
réseau du ministère des Communications, qui est assez bien
réparti à travers le Québec, a démontré,
dans le passé, une certaine sensibilisation aux besoins de la
clientèle. Est-ce que ce réseau ne pourrait pas être
utilisé comme une porte d'entrée pour l'acheminement des plaintes
qui iraient vers vous ou vers les ministères concernés?
M. Jacoby: Le réseau, actuellement, est utilisé en
ce sens qu'il a le Protecteur du citoyen parmi les recours à qui
s'adresser quand on a des problèmes, sauf qu'on n'est pas privi-
légié par la politique qu'applique le réseau en
question, d'une part. On est traité comme tout le monde et ce n'est pas
certain que, lorsque Communication-Québec, par rapport à une
plainte, va dire: Allez chez le Protecteur du citoyen, on va plutôt aller
à l'interne et ainsi de suite. Je pense que le réseau, on
l'utilise, actuellement, mais, évidemment, le réseau n'a
peut-être personne à privilégier. Alors, c'est autre chose.
Je pense qu'il y aurait lieu de peut-être revoir avec le réseau de
Communication-Québec s'il n'y aurait pas lieu d'améliorer les
choses.
M. Lazure: Oui, merci.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. le
Protecteur du citoyen, pour votre participation à cette commission
parlementaire. Nous allons suspendre trois minutes afin de permettre à
l'Office des personnes handicapées du Québec de bien vouloir
prendre place a la table des témoins.
(Suspension de la séance à 11 h 29)
(Reprise à 11 h 35)
Le Président (M. Lemieux): La commission du budget et de
l'administration reprend ses travaux afin d'entendre l'Office des personnes
handicapées du Québec. À l'ordre, s'il vous plaît!
Auriez-vous la gentillesse et l'amabilité de bien vouloir vous
asseoir?
Je demanderais au responsable de l'organisme de bien vouloir
s'identifier et d'identifier les gens qui l'accompagnent, s'il vous
plaît.
Office des personnes handicapées du
Québec
M. Perreault (Gaston): Mon nom est Gaston Perreault. Je suis
président-directeur général de l'Office des personnes
handicapées. À ma droite, M. Marius Jacques, qui est membre du
conseil d'administration de l'Office des personnes handicapées, et
à ma gauche Mme Lise Constantin qui est chef de service dans notre
service de recherche à l'Office des personnes handicapées.
L'Office des personnes handicapées, M. le Président, MM.
les membres de la commission, tient à remercier les membres de lui
permettre d'exprimer ses commentaires sur la Loi sur la fonction publique.
À titre de président de cet Office, je débute en vous
disant que je me sens fort d'une loi qui est très jeune, qui a à
peine 12 ans, une loi qui est loin d'être désuète, une loi
qui trouve sa force dans l'expression unanime des membres de l'Assemblée
nationale qui l'ont votée en 1978, une loi garantissant l'exercice des
droits des personnes handicapées au Québec. L'Office des
personnes handicapées "a pour fonctions de veiller à la
coordination des ser- vices qui sont dispensés aux personnes
handicapées, d'informer et de conseiller les personnes
handicapées, de promouvoir leurs intérêts et de favoriser
leur intégration scolaire, professionnelle et sociale." C'est à
ces titres que l'Office se prononce dans le cadre de l'actuelle commission
parlementaire concernant la Loi sur la fonction publique.
Lorsqu'on parle de modifier une loi qui s'adresse à toute la
fonction publique, dont la mission, comme le disait lui-même M. Daniel
Johnson lorsqu'il s'est présenté ici au début d'octobre,
est de mettre en oeuvre les politiques gouvernementales et de fournir au public
des services de qualité, il va de soi que l'Office des personnes
handicapées se sent fortement interpellé. La raison en est fort
simple. L'intégration sociale et professionnelle des personnes
handicapées, la qualité des services qu'elles sont en droit de
recevoir sont directement reliées à leur présence dans les
différents milieux.
La qualité des services aux personnes handicapées et leur
embauche au sein de la fonction publique québécoise ne sont
possibles que si le gouvernement assume pleinement ses responsabilités
à leur égard. Il a un rôle de chef de file dans le
développement de mesures favorisant . l'intégration sociale des
personnes handicapées.
En tant que principal employeur au Québec et comme promoteur de
mesures d'équité sociale, le gouvernement a des
responsabilités de taille. Il se doit de montrer l'exemple en
matière d'intégration au travail de groupes qui sont
historiquement discriminés. Les chiffres qui sont mentionnés dans
le mémoire et qui suivent permettent de constater que des efforts
supplémentaires doivent être faits.
De 0,96 % en 1987, représentant 508 personnes, le taux de
représentation des personnes handicapées occupant un poste
permanent au sein de la fonction publique québécoise est
passé à 0,74 %. Une diminution, puisque nous en sommes rendus
à 391 personnes, sur, permettez-moi de le mentionner, selon les derniers
chiffres que j'ai vus, quelque 52 000 fonctionnaires permanents et quelque 10
000 et plus occasionnels. Le gouvernement s'était engagé en 1984
à atteindre un taux minimum de 2 % de représentation des
personnes handicapées dans la fonction publique. Selon l'avis de
l'Office des personnes handicapées, il doit être plus ferme dans
l'application de son plan visant l'embauche des personnes handicapées.
Pour votre information et à titre peut-être de renseignement,
l'Office a lui-même dans son personnel 20 % de personnes
handicapées, quelque 40 personnes handicapées sur un effectif de
200. Avec 40 sur 391, nous représentons 10 % de l'effectif de personnes
handicapées du gouvernement du Québec quand nos effectifs
représentent à peine 0,3 % de l'effectif total. L'Office, tout en
étant très petit, peut démontrer, je crois, que c'est
possible.
Le gouvernement a pris des engagements, mais il doit y avoir des
responsables du respect de cet engagement, de la livraison de ta marchandise.
La réalisation de l'engagement de l'embauche des personnes
handicapées doit être un des éléments de
l'évaluation de la performance des responsables, des sous-ministres, des
dirigeants d'organismes ou autres. Cette imputabilité doit être
interne, bien sûr, mais aussi externe devant tous ceux qui ont des
intérêts et des volontés pour l'embauche de personnes
handicapées et je mentionne les membres de l'Assemblée nationale,
je le répète, fort de leur support, ayant voté une loi
à l'unanimité.
La politique d'ensemble de "À part... égale" a
été le fruit de la participation de toute la
société québécoise. II serait juste que les
gestionnaires aient à rendre compte devant tel dossier de sa
réalisation, en particulier en ce qui concerne les ressources humaines
dont Us sont responsables.
Nous pensons, de plus, que la fonction publique doit exercer un
leadership dans le développement de pratiques équitables et
novatrices dans ce domaine. Étant confiants que notre fonction publique
saura relever le défi, nous pensons que l'imputabilité externe
contribuera à la diffusion d'un modèle positif d'utilisation du
potentiel humain. Nous nous attendons aussi à ce que cette
imputabilité assure aux ministères et aux organismes une
souplesse suffisante pour que les adaptations nécessaires à
certaines personnes handicapées soient possibles: qu'on parte
d'adaptation de postes de travail, d'accessibilité, de reconnaissance de
congés liés aux déficiences ou autres. Nous
espérons aussi que certaines exigences concernant la classification
pourront être plus rapidement réévaluées.
Les problèmes de coordination, en ce qui regarde cette approche,
sont aussi absents et sont toujours d'actualité. Plusieurs moyens
pourraient être pris par le gouvernement, mais tous ces moyens doivent
trouver leurs assises dans la volonté réelle d'atteindre les
objectifs qui sont recherchés. Permettez-moi de citer à titre
d'exemple certaines entreprises dans le domaine privé qui ont pris les
moyens qu'il fallait pour atteindre un objectif qu'elles aussi s'étaient
donné. Permettez-moi de parler d'une entreprise qui, après
quelques mois, est encore près de mon coeur, si vous voulez, Bell
Canada. Bell Canada s'est donné un objectif d'au-delà de 8 % dans
l'embauche actuelle des personnes handicapées: 8 % parce qu'elle a
l'intention d'atteindre d'ici 1994 un chiffre de 3, 2 % de ses employés.
Elle s'est donné du rattrapage. D'autres ont aussi adapté leurs
postes de travail de façon que leurs emplois puissent être
comblés par une personne handicapée.
D'autres exemples dans l'entreprise privée. Permettez-moi de vous
parler de Pratt et Whitney, une entreprise qui, comme vous le savez, a connu
énormément de difficultés au niveau de la gestion de son
personnel, mais qui est partie avec deux personnes handicapées à
son service il y a trois ans et qui est rendue aujourd'hui à 16
personnes handicapées à son service, qui représentaient 1
% de sa main-d'oeuvre; qui s'est donné aussi des programmes de
sensibilisation pour son personnel, ainsi que des programmes d'accueil. Je
pourrais vous parler des quincailleries Pascal qui, en 1989, l'an dernier,
avaient à leur service 24 personnes handicapées,
représentant 2, 5 % de leur main-d'oeuvre. Tout ça pour vous
faire comprendre que, lorsqu'on veut, on peut. (11 h 45)
L'Office, en ce qui regarde les programmes de qualité de
services, est convaincu que le transfert de ces programmes permettra aussi une
meilleure harmonisation de l'intervention gouvernementale auprès des
personnes handicapées, tout en contribuant à la réduction
des impacts négatifs dus au chevauchement des différents
programmes, qu'on parte de frais administratifs, de fractionnement de
programme, de double ou de triple délais, ou autres. L'Office tient
à rappeler la politique d'ensemble de prévention de ta
déficience et d'intégration sociale des personnes
handicapées vers laquelle doivent converger les décisions
gouvernementales. Le gouvernement doit développer des moyens pour
évaluer la satisfaction des personnes handicapées
elles-mêmes en regard des services qui leur sont attribués. Il
doit s'assurer également que ses immeubles sont accessibles et ses
moyens de communication adaptés aux personnes handicapées.
Sur le plan de l'accessibilité architecturale, une toute petite
enquête non scientifique a été réalisée par
une société, qu'on appelle la Société communautaire
logique à Montréal, qui a démontré que, sur
I'île de Montréal seulement, les édifices gouvernementaux
sont souvent inaccessibles aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.
Je vous en nomme quelques-uns: l'Office franco-québécois pour la
jeunesse, la Bibliothèque nationale du Québec, le Protecteur du
citoyen, la Commission des transports du Québec, des magasins de la
Société des alcools et d'autres. Notre expertise nous permet de
penser qu'une enquête plus large nous aurait sans doute
révélé un nombre impressionnant d'édifices
gouvernementaux inaccessibles aux personnes ayant des limitations
fonctionnelles. Je vous rappelle pour ceux qui ont lu les journaux que, tout
dernièrement, il y avait un avocat dans la région de
Saint-Jérôme qui ne pouvait malheureusement pratiquer son droit,
parce que le palais de justice était inaccessible.
Quant aux services de médiatisation adaptés aux personnes
ayant une déficience visuelle ou auditive, qui sont aussi des
barrières, la situation, permettez-moi de le mentionner, est encore
pire. Tantôt, vous avez mentionné, à partir d'une
enquête qui avait été faite auprès d'un bon
nombre d'organismes, dont l'Office des personnes handicapées, qu'il y
avait eu beaucoup d'amélioration en ce qui regardait la qualité
des services et l'accès à la clientèle. Permettez-moi de
souligner qu'il y a encore une clientèle qui, à mon avis, est
complètement absente des services qu'on peut lui fournir, ce sont ceux
qui auraient besoin d'un média substitut, telles les personnes ayant des
problèmes auditifs, telles les personnes très souvent ayant une
déficience visuelle. Le manque de préoccupation, je crois, fait
que nous en sommes encore là, pas rendus là, encore là,
parce qu'il n'y a pas eu réellement de départ.
L'accès aux édifices où se donnent les services et
la présence de moyens de communication adaptés sont les premiers
aspects à considérer lorsqu'on vise une qualité de
services aux citoyens et aux citoyennes. Permettez-moi, strictement à
titre de préoccupation, quand je vous dis que la préoccupation
n'y est pas réellement et que c'est là finalement qu'il faut
qu'on se donne des moyens, de vous citer quelques exemples. Tout
dernièrement, le ministère du Revenu émettait, avec
beaucoup de bonne volonté et beaucoup de satisfaction pour sa
clientèle, un document "La personne handicapée et la
fiscalité", un document qui date de décembre 1989, où on
disait aux personnes handicapées tous les avantages de la
fiscalité dont elles pouvaient... On avait à titre d'exemple,
pour bien identifier qu'il s'agissait de personnes handicapées, une
personne aveugle avec un chien-guide. Excellent. Le seul problème, c'est
qu'une personne aveugle ne peut pas le lire. Il n'est pas disponible en
média adapté ou en braille. Il n'est pas, non plus, sur cassette
où elle pourrait l'entendre. Donc, l'exemple même dont on se sert,
M. Jacques qui est à côté de moi ne peut pas en prendre
connaissance; un manque de préoccupation, pas un manque de bonne
volonté.
Un autre exemple, peut-être, qui est plus proche de nous et qui
rejoint l'embauche, "L'éthique dans la fonction publique", un document
du Conseil exécutif, qui date du premier trimestre de 1990, où on
mentionne, dès le départ, en ce qui regarde la fonction publique:
"De façon à mériter la confiance du public, le
fonctionnaire doit rendre des services de qualité et gérer
efficacement les ressources publiques. Cela ne saurait se faire sans le respect
de certaines normes d'éthique qui commandent à tous et chacun une
conduite exemplaire dans l'accomplissement de sa tâche. " Des
fonctionnaires qui auraient une déficience visuelle ne peuvent pas le
lire. Il n'est pas disponible sur cassette ou en braille. Peut-être qu'il
n'y a pas de fonctionnaire qui possède cette déficience.
Il faut admettre qu'il y a des pas, bien sûr, qui ont
été faits au cours des dernières années pour
favoriser l'intégration sociale des personnes handicapées. Il
faut l'avouer, l'admettre et le comprendre, il reste beaucoup à faire.
Les acquis, actuellement, sont fragiles. Ils sont acquis, mais fragiles. Comme
nous l'avons mentionné dans notre mémoire, il semble à
l'Office que le gouvernement a des responsabilités de taille envers les
personnes handicapées. Il doit savoir, à notre avis, que cette
décision de restreindre l'accès à certains services ou
l'absence de volonté de sa part nuisent à l'intégration au
travail ou à l'école ou dans le milieu social des personnes
handicapées. Elles peuvent également rendre impossible
l'accomplissement d'activités aussi courantes que se lever le matin, se
nourrir, se vêtir ou se déplacer.
Permettez-moi de terminer en appuyant sur le fait que le gouvernement du
Québec a pris ses décisions, à ce que nous sachions, en ce
qui concerne l'intégration et la participation des personnes
handicapées. Il s'est donné une loi, une loi qui garantit
l'exercice des droits des personnes handicapées. Il a fait ses choix, il
s'est donné des objectifs. Il a maintenant la responsabilité de
s'assurer que ceux à qui il en confie la réalisation prennent les
moyens pour les atteindre. Merci.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie. Vous savez,
je suis très sensible à ce que vous venez de dire. Je ne vous
trouve peut-être pas assez méchant. Je ne vous trouve pas assez
méchant parce que j'ai eu l'occasion, moi, d'avoir une personne
handicapée comme collaboratrice pendant deux ans, qui était
aveugle, comme secrétaire. J'ai eu l'occasion, aussi, dans mon
comté, le comté de Vanier, d'avoir souvent affaire avec
l'administration gouvernementale, eu égard au placement de personnes
handicapées, même celles déjà sur des listes de
déclaration d'aptitudes. J'ai eu l'occasion aussi de regarder souvent si
le travail avait été fait relativement à l'article 53 de
la loi 51: "Lorsque le niveau dans lequel se retrouve la personne qui est
nommée suite à un concours comprend un candidat visé par
l'application d'un programme d'accès à l'égalité et
que celui-ci n'est pas choisi, le sous-ministre ou le dirigeant d'organisme
doit transmettre au Conseil du trésor les raisons pour lesquelles il n'a
pas choisi celui-ci. " C'est de la foutaise. Je vous trouve
généreux, très généreux de ne pas nous en
parler plus que ça.
M. Perreault: M. le Président... Le Président
(M. Lemieux): Oui.
M. Perreault:... mon charme, si vous permettez, vu que vous
trouvez que je ne suis pas méchant.
Le Président (M. Lemieux): Oui, je trouve que...
M. Perreault: Je crois que c'est quand même
dans le partenariat que nous allons réussir à avancer.
Le Président (M. Lemieux): Je suis bien conscient que
c'est peut-être dans le partenariat, mais lorsqu'il y a un blocage
mental... Et c'est la question que je vais vous poser. Parce que, vous savez,
l'objectif est de 2 %. On ne se fera pas de cachette, là. Il
était de 2 % en 1985, il n'a pas fluctué, il est à 0,74 %,
c'est pas mal constant. Moi, ce dont je me rends compte comme
député... C'est le député qui vous parle. J'essaie
de contrôler la manifestation de mes émotions, je dois vous avouer
que c'est difficile, parce que vous nous donnez des exemples de gens dans
l'entreprise privée, mais je pense que, comme société et
comme gouvernement, on a un rôle à jouer à cet
égard-là. Ce que je constate, et j'aimerais vous poser la
question... Est-ce que c'est exact, à vos yeux, qu'il y a un blocage
mental au niveau des dirigeants et des administrateurs à engager des
personnes handicapées dans la fonction publique parce qu'il y a un
manque d'efficience et d'efficacité de la part de ces gens-là?
Est-ce que vous avez vraiment, vous, cette impression-là que souvent
c'est ce qui se passe? Et si on ne connaît pas, à
l'intérieur de la machine, un directeur de personnel, quelque part dans
un ministère à qui on peut essayer de "ploguer" quelqu'un et de
faire comprendre qu'il a un rôle social à jouer, on a de la
difficulté à placer des personnes handicapées dans la
fonction publique. D'autant plus qu'on est rendu assez loin, on est rendu
à un rangement au mérite par niveau avec la nature du handicap et
la nature de l'emploi à combler pour un concours réservé
aux personnes handicapées. En plus, on en arrive peut-être
à une forme de discrimination en vertu du handicap plus ou moins lourd
par rapport à un autre.
Alors, on voit qu'il y a des efforts consacrés par
peut-être la collectivité du gouvernement. Mais ce qu'on constate
et ce que je constate comme député, c'est qu'il y a vraiment un
blocage qui est systémique, au niveau des personnes handicapées
dans la fonction publique Et tout ce que je veux avoir de vous - vous
êtes le président et je ne voudrais pas que vous essayiez de
ménager la chèvre et le chou; on est là pour les aider et
on est là, nous aussi, pour faire un travail comme parlementaires -
est-ce que vous l'avez senti, ce blocage-là au niveau des
getionnaires?
M. Perreault: M. le Président, il faut me connaître
et je n'essaie pas de ménager la chèvre et le chou.
Le Président (M. Lemieux): Je l'espère!
M. Perreault: II y a une chose que je veux qui soit connue.
Depuis que suis arrivé à l'Office, j'y ai consommé tout
mon temps et plus à faire savoir que l'Office des personnes
handicapées n'a pas été créé pour être
neutre. L'Office des personnes handicapées, dans mon esprit,
représente les personnes handicapées. Et, à ce
titre-là, il est partial et se doit de les représenter,
d'être assis sur le même banc qu'elles. Donc, à ce
titre-là, je pense qu'il est important qu'on puisse non pas essayer de
sauver la chèvre et le chou, mais essayer de faire avancer les
choses.
Depuis que je suis arrivé, en ce qui regarde l'embauche des
personnes handicapées et d'autres choses, j'ai commencé à
faire une tournée auprès des sous-ministres du gouvernement pour
essayer, premièrement, de me faire connaître, qu'ils sachent qui
je suis et, moi aussi, de les connaître, de parler de leur engagement, de
parier de leur ministère, des responsabilités qu'ils ont et d'un
certain nombre de choses incluant l'embauche de personnes
handicapées.
Le gouvernement s'est donné un plan d'embauché qui date de
1984 dans lequel existe un certain nombre de moyens. Mais j'ai le goût
peut-être de répéter ce que M. Jacoby vous a dit ici sur le
fauteuil avant, peut-être sur d'autre chose. C'est que les plans sont
là, les moyens sont là, mais ça demeure là.
Ça peut être pour des raisons de préjugés ou parce
qu'on pense qu'il y a un manque de productivité, il y a un
problème ici, il y a un problème là, peut-être, je
ne le sais pas, mais il y a un manque de préoccupation. Une chose que je
sais, c'est que je crois que les sous-ministres, les responsables ou les
dirigeants d'organismes sont aussi capables de rendement et de
réalisations que n'importe qui en autant qu'ils en aient le goût,
qu'ils en aient la préoccupation. Je peux vous dire que la
préoccupation d'embaucher des personnes handicapées dans les
différents ministères au niveau des personnes que j'ai
rencontrées n'est pas présente.
Les gens que j'ai rencontrés ne savent pas, premièrement,
s'il y en a. Première réponse. Deuxièmement, on ne sait
pas combien. J'oserais dire que ceux qui savent un peu combien il y en a, c'est
parce qu'ils s'en sont un peu préoccupés. Mais il n'y en a pas.
Il n'y en a pas. Il y a 62 000 fonctionnaires en ETC maintenant, comme on les
appelle, au Conseil du trésor, des équivalents temps complet.
Donc, 2 %, ça devrait dire à peu près 1400
employés, fonctionnaires personnes handicapées. Il y en a 400. Il
faudrait tripler. On peut avoir des concours réservés, c'est
marqué dans le plan d'embauché selon des décisions du
Conseil du trésor. Je serais curieux de savoir combien il y en a eu
depuis six ans.
Le Président (M. Lemieux): Sauf qu'ils meurent sur les
listes de déclaration d'aptitudes.
M. Perreault: II n'y en a pas. Je pourrais vous mentionner
quelque chose. Le Conseil du trésor, qui a la responsabilité de
la politique au niveau du personnel et tout ça, qui est respon-
sable aussi du plan d'embauche, qui demande à tous les
ministères de faire des rapports et de faire des choses qui a la
préocupation, si vous voulez, j'ai été informé tout
dernièrement qu'il avait été alerté en ce qui
regarde certaines conditions d'embauche pour des personnes handicapées
dans des normes de qualification et tout ça, qu'il se devait de faire
certains changements. On avait répondu que c'était de la plus
haute importance et qu'il fallait s'y mettre. Ceci date d'à peu
près un an.
J'ai été informé il y a à peu près
trois semaines qu'une personne qui avait fait application pour devenir agent de
la paix avait été disqualifiée au départ parce
qu'elle avait besoin d'une prothèse auditive. Lorsqu'on se donne des
plans d'embauche pour faire des concours réservés, toutes sortes
de choses spéciales, et je ne veux pas toutes vous les
énumérer, comment pouvons-nous nous cacher en arrière d'un
règlement qui n'a pas été corrigé? Cette
personne-là a été refusée à la porte
d'entrée parce qu'elle avait une prothèse auditive. Vous avez la
réponse à votre question.
Le Président (M. Lemieux): Merci. M. le
député des Îles-de-la-Madeleine. (12 heures)
M. Farrah: Merci, M. le Président. Premièrement, M.
Perreault, madame, monsieur, bienvenue. Je vais me référer au
mémoire du Protecteur du citoyen qui, à la page 10, premier
paragraphe, dit ceci: "Toute la clientèle de l'État n'est
cependant pas captive ou l'est à des degrés divers - et il y a
toujours ceux qui savent se débrouiller à l'intérieur du
système et même ceux qui fraudent l'État. Une trop grande
part de l'énergie de l'État est d'ailleurs souvent
consacrée à ces individus plutôt qu'à la
majorité constituée des gens ordinaires qui n'osent pas trop
déranger, poser des questions et même exercer leurs droits. " Dans
mon esprit, je pense que vous êtes victimes un peu du système qui,
malheureusement, mais il faut se le dire, marche sous pression, et c'est
malheureux, ça. Pensez-vous, un peu, que vous n'êtes pas victimes
de ça, qu'en fin de compte des groupes ou, en tout cas, des gens ou peu
importe qui font des pressions peut-être plus efficaces, même si
elles ne sont peut-être pas toujours correctes ou loyales, obtiennent
peut-être plus l'attention de l'Etat que d'autres, au détriment
d'autres, malheureusement? Et ceci, à mon point de vue, M. le
Président, et je pense que c'est important, confirme l'obligation pour
nous, peut-être, d'avoir le système d'imputabilité et,
nous, en tant que députés, on pourrait assumer notre rôle
de défendre des organismes qui, malheureusement, ne sont pas
écoutés à leur juste valeur. J'aimerais vous entendre
là-dessus.
M. Perreault: Je vous avoue que je pense que vous avez raison. Je
pense que M. Jacoby a raison quand il dit que, lorsqu'il existe des
contraintes, des difficultés ou autres, c'est toujours, finalement, les
premiers sur le bord qui prennent la porte, les premiers sur le bord qui
perdent leurs services, les derniers arrivés, tout ça parce qu'il
n'y a pas de permanence, il n'y a pas de droits acquis encore. Les droits sont
reconnus, mais sont à acquérir, donc, finalement. Mais j'aimerais
peut-être me permettre là aussi de vous souligner, quand vous
pariez d'imputabilité, que je suis d'accord, dans un certain sens, avec
aussi ce que M. Johnson disait - toujours dans sa présence, ici, au mois
d'octobre et ici on dit la même chose - soit que la raison de l'existence
de la fonction publique, c'est de rendre des services publics pour
l'amélioration du bien-être de la collectivité dans
laquelle sont les personnes handicapées. Il dit que les politiciens...
Moi, je me retourne vers l'Assemblée nationale où sont les
politiciens qui sont élus et qui sont là et je me sens encore
fort de leur support et de leur vote unanime. La loi qui garantit l'exercice
des droits des personnes handicapées, peut-être que je la lis mal,
mais c'est une loi, à mon avis, qui possède, si vous voulez, dans
un certain sens, la même légalité et le même droit
que toute loi qui a été votée par l'Assemblée
nationale, mais qui, à un moment donné, peut être le fruit
d'une majorité. La loi qui garantit l'exercice des droits des personnes
handicapées n'est pas le fruit d'une majorité: c'est l'expression
unanime des membres de l'Assemblée. Et c'est avec cette force-là
que j'ai peut-être pris, si vous voulez, le drapeau et que j'ai pris
finalement le bâton du pèlerin là-dessus.
Je reviens à ce que M. Johnson disait. Il disait: Les politiciens
établissent des choix, des priorités. La fonction publique les
met en oeuvre et se charge de l'accomplisement. Si le système, c'est la
fonction publique, il faut s'assurer que le système rencontre les
objectifs qu'on se donne. Je viens de l'entreprise privée et je vous
avoue que c'est ça qu'on faisait.
M. Farrah: Et ça marche?
M. Perreault: J'y ai travaillé de nombreuses années
et il m'a semblé que ça marchait.
M. Farrah: Une dernière question, M. le Président.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, M. Perreault. De quelle
façon faudrait-il s'y prendre pour que les ministères et
organismes améliorent leurs services aux personnes handicapées de
façon générale et concertée? Est-ce que vous avez
pensé à des mécanismes qui devraient être mis de
l'avant, en tout cas, à toutes sortes de moyens qui pourraient faire en
sorte d'améliorer la situation parce que le constat est bien simple: la
marchandise n'a pas été livrée? Lorsqu'on dit que c'est 0,
74 % alors que l'objectif était de 2 % depuis 1984, le constat est bien
clair, à mon point de vue.
M. Perreault: Je pense que la politique d'ensemble, si vous
parlez de moyens, est justement le document ou la politique de
société que tous les ministères, tous les organismes,
soient-Ils du domaine privé, parapublic ou public, s'étaient
donnée. Peut-être que cette politique-là est devenue un
livre de bibliothèque pour les chercheurs. Il faudrait le
dépoussiérer et le ressortir.
Depuis que je suis arrivé en poste, je me suis donné comme
responsabilité - je vous l'ai mentionné tantôt - de faire
une grande tournée et d'essayer... Je suis très axé sur le
service à la clientèle. Je pense qu'à titre de
président je me dois d'être Imputable aux organismes de promotion,
aux personnes handicapées, de travailler avec eux et leur faire savoir,
finalement, ce que je fais, ce que l'Office fait et ce qu'on attend d'eux.
Hier, j'étais dans ta région de Hull. La région de Hull
s'était donné, à partir de moyens difficiles venant du
milieu, un interprète gestuel pour des personnes ayant des
problèmes auditifs. On a manqué de fonds. L'interprète
gestuel a traversé le pont. Il travaille maintenant pour le
Secrétariat d'État au fédéral. Du côté
québécois, les personnes sourdes n'ont plus de logiciel humain
pour transformer les paroles en gestes. Le jour où on aura des fonds,
peut-être dans trois mois, dans deux mois, dans un mois, il n'y aura plus
une interprète disponible. Il faudra en retrouver une autre. Donc,
à mon avis, c'est manquer de vision. Quand je vous dis que les gains
sont fragiles, je viens de vous en parler. Tout le monde était content,
tout le monde l'avait. On a manqué de 29 000 $, à ce que je
sache. On a perdu l'acquis. M. Jacques a quelque chose à dire, je
pense.
Le Président (M. Lemieux): Oui, monsieur.
M. Jacques (Marius): Dans la foulée de mon
président, je voudrais parler au nom des miens. Justement, c'est une
question d'ajustement de vision. Je pense qu'il va falloir apprendre aussi
à l'intérieur de la culture de la fonction publique à
faire de l'évaluation inductive et non de l'évaluation
déductive, comme on en fait constamment, en croyant au potentiel humain
d'abord et en cessant de dire: Cette personne-là ne peut pas faire ci,
ne peut pas faire ça, donc, elle ne peut rien faire. Mais il s'agit de
dire: Cette personne-là, elle a un potentiel et, si on la prend de
zéro et qu'on l'amène à 30 %, c'est déjà
beaucoup mieux. Il ne s'agirait pas, par exemple, de faire l'inverse aussi, de
prendre tout le monde de la fonction publique et de l'amener à 30 %, tu
sais là.
Justement, il faut éviter ça et c'est justement le
consensus social auquel il va falloir consentir si on veut, là, vraiment
que les personnes handicapées s'intègrent dans notre
société québécoise et également apportent
aussi à la création de la richesse collective dont le
gouvernement et, particulièrement, le Conseil du trésor, qui
s'occupe de la fonction publique, ont besoin. Et, moi, je peux vous le dire, je
le vis dans les entreprises. Aujourd'hui, les gens viennent chez moi dans
l'entreprise et ils me posent des questions en entrant dans l'entreprise quand
ils regardent ça: Où sont les personnes handicapées
là-dedans? Et pourtant, 60 % de ces gens-là sont des personnes
handicapées visuelles, d'autres sont des psychiatriques, des
intellectuelles. Mais, avec la complémentarité de chacun, on
réussit à produire aujourd'hui des choses qui sont vendues
à travers le Canada et ça nous permet, dans notre cas, chez nous,
d'aller vendre 55 % de nos produits à l'extérieur du
Québec. Donc, on va chercher de l'argent ailleurs pour l'amener chez
nous. Mais ça, il faut croire au potentiel humain et agir en
conséquence.
Le Président (M. Lemieux): Merci. M. Perreault: M.
le Président... Le Président (M. Lemieux): Oui.
M. Perreault:... peut-être juste à titre de
commentaire encore. Je pense que, lorsqu'on regarde justement, malheureusement,
une personne handicapée, on voit toujours finalement le manque de... On
ne voit pas tout l'actif et tout le potentiel qui est disponible. Je pense
qu'il s'agit finalement d'une préoccupation que l'Office et les autres,
on réussisse à faire avancer. Mais c'est, justement, par la
présence de personnes handicapées dans les milieux que les gens
vont découvrir ce qu'il peut y avoir. Chez les employeurs que je vous ai
mentionnés tantôt, n'allez pas croire finalement qu'ils font des
gestes de charité. Il faut arrêter de penser qu'embaucher une
personne handicapée, c'est un bon geste. Ce n'est pas un bon geste.
C'est un geste sage, efficace et correct. Ceux qui le font le réalisent.
Les taux d'absentéisme chez les personnes handicapées - il y a
toutes sortes d'études qui le démontrent - sont beaucoup plus
bas. La productivité, lorsque les postes sont adaptés, est
souvent supérieure à ce qu'on produit actuellement.
Je termine peut-être là, avant que je reçoive une
question, en vous faisant une suggestion peut-être naïve. C'est
souvent mon propre de faire des suggestions naïves. Il me semble que,
lorsqu'on veut, des fois, on peut. Je réfléchissais l'autre jour
et je me disais: II est important que ce ne soit pas coercitif. Il
m'apparaît, dans mon esprit, que, là où il y a de la
coercition, on trouve des empêchements, des barrières. On arrive
à des moyens finalement pour dire pourquoi on n'est pas capables. On
part dans un sens, à mon avis, où il n'y a pas de
préoccupation actuellement. Il faut l'éveiller. On dit: Un
objectif de 2 %. Prenons n'importe quel ministère ou organisme. Si vous
voulez, j'ai
ici finalement la décision du Conseil du trésor qui donne
à chaque organisme...
Le Président (M. Lemieux): II y en a combien au Conseil du
trésor de handicapés?
M. Perreault:... le nombre d'effectifs auquel il a droit.
Certains ministères ont droit à 6000, d'autres ont droit à
1000, d'autres ont droit à 200. La suggestion que je ferais
peut-être, c'est 2 % de 6000, moi, ça fait 120. On réserve
des budgets de salaires pour 120 fonctionnaires, qui devraient être
dépensés pour des personnes handicapées. Si les personnes
handicapées ne sont pas embauchées au niveau de cet
argent-là - l'Office a des problèmes financiers des fois -
transférez les fonds à l'Office. L'Office aidera l'entreprise
privée à embaucher des personnes handicapées.
Le Président (M. Lemieux): O. K. Alors, M. le
député de La Prairie.
M. Lazure: Merci, M. le Président. Moi, je salue M.
Perreault, le président de l'Office, et ses collègues. J'aurais,
évidemment, beaucoup de commentaires, beaucoup de questions, ayant eu la
responsabilité de l'Office pendant huit ans. Je trouve, un peu comme le
président de notre commission, que vous ne faites pas suffisamment
preuve d'indignation, M. le président, et je vais en faire preuve un peu
à votre place, surtout que j'ai le rôle, entre autres choses, de
critique, pour l'Opposition, des personnes handicapées.
Lorsque le gouvernement - vous avez bien fait de le souligner - a fait
adopter cette loi 9 à l'unanimité en 1978, il a inclus un
article, l'article 63, qui parle du plan d'embauche. Justement, on a eu une
longue discussion, à l'époque, avec les groupes de personnes
handicapées, en 1977 et 1978, à savoir si on allait, justement,
imposer un quota, comme ça se fait dans certains pays. On avait le
choix, soit d'imposer un pourcentage d'embauche - là, je ne parle pas
seulement de la fonction publique, mais, évidemment, de tous les
employeurs - ou de faire de l'incitation. On a opté pour l'incitation
puisque ça semblait être le consensus et on a imaginé la
formule du plan d'embauche. Ça veut dire que chaque entreprise de 50
employés et plus doit soumettre périodiquement à l'Office
des personnes handicapées un plan d'embauche. Dans le plan, on dira
combien de personnes handicapées, quelle sorte de personne
handicapée, etc., et l'Office a un certain temps pour étudier le
plan d'embauche, l'approuver ou le refuser en faisant des suggestions.
Nous avions mis sur pied, avec la présidente de l'Office, Mme
Robillard, à l'époque, ce plan d'embauche dans des centaines, des
milliers d'entreprises. Moi, je dois dire, après toutes ces
années, que je suis très déçu que la surveillance,
la supervision de l'application des plans d'em- bauche n'ait pas
été faite. Elle n'a pas été faite.
Conséquemment, il y a très peu d'entreprises qui ont
observé leur plan d'embauche et une des nombreuses entreprises qui n'a
pas observé son plan d'embauche, c'est le gouvernement du Québec,
parce que les 2 %, c'était le plan d'embauche du gouvernement du
Québec par rapport aux personnes handicapées. À
l'époque aussi, on a discuté: Est-ce que ça va être
1 %, 2 %, 3 %, 4 % ou 5 %? Il y a des pays où c'est 5 % d'obligation
pour les entreprises, y compris le gouvernement, d'embaucher des personnes
handicapées.
On a été très modérés, en 1984. On a
dit: Prenons un objectif très modéré, et on a
consulté, évidemment, tous les ministères, les
sous-ministres, 2 %. Après six ans, de 1984 à 1990, on n'a
même pas 1 % et on a régressé. On a eu, il y a trois ans,
jusqu'à 0, 9 %, tout près de 1 %, mais pas tout à fait.
Là, ça a baissé; c'est 0, 7 %. Je trouve ça
épouvantable et ce qui me déçoit, M. Perreault, je vous le
dis comme je le pense, c'est que, depuis quelques années, je n'ai pas
entendu l'Office crier sur la place publique non seulement pour dénoncer
les entreprises qui n'ont pas rempli leur plan d'embauche - et il y en a
beaucoup, vous le savez - mais y compris l'entreprise qui s'appelle le
gouvernement du Québec qui n'a pas rempli son plan d'embauche. Je n'ai
pas entendu, depuis quatre ou cinq ans, l'Office dénoncer l'inaction du
gouvernement du Québec. Vous avez dit tantôt qu'un des rôles
de l'Office, c'est de prendre la défense des personnes
handicapées. Vous avez raison de le souligner, mais, moi, je vous dis:
Dans le secteur de l'embauche, privé ou public, l'Office n'a pas
défendu les personnes handicapées et je souhaite que l'Office les
défende plus fortement.
Une question. Il y a deux ministres qui sont en rapport étroit
avec vous, le ministre responsable de l'Office des personnes handicapées
qui est le ministre de la Santé et des Services sociaux; l'autre
ministre qui est responsable de l'application de la Loi sur la fonction
publique, le président du Conseil du trésor. Est-ce que vous
savez combien de personnes handicapées ou quel pourcentage de personnes
handicapées on retrouve, premièrement, au Trésor et,
deuxièmement, au ministère de la Santé et des Services
sociaux?
M. Perreault: Moi, je ne peux pas vous répondre. Je ne le
sais pas. Le plan d'embauche du gouvernement du Québec et les rapports
que nous recevons venant du Conseil du trésor sont globaux. (12 h
15)
M. Lazure: Bien oui, mais, M. Perreault, pourquoi vous ne le
demandez pas ministère par ministère, organisme par
organisme?
M. Perreault: C'est commencé, M. le député,
ça fait partie...
M. Lazure: Alors, vous avez des chiffres? Vous en avez?
M. PerreauK: Non, je ne les ai pas ici.
M. Lazure: Vous allez commencer.
M. Perreault: J'ai commencé. Ça fait partie de ma
tournée que je vous mentionnais tantôt, où je rencontre les
sous-ministres et tout ça.
M. Lazure: Moi, je souhaiterais que, quand vous aurez vos
rapports trimestriels, disons, du président du Conseil du trésor,
organisme par organisme, ministère par ministère, vous
dénonciez sur la place publique, au nom des personnes handicapées
- parce que vous êtes là plus pour protéger les personnes
handicapées que le gouvernement - les ministères et organismes
qui se traînent les pieds. Et vous aurez le choix, il y en a tellement.
La plupart le font. Et à plus forte raison le ministère de la
Santé et des Services sociaux et le président du Conseil du
trésor. Ça devrait être les deux premières cibles
puisqu'ils devraient être les deux premiers ministres à donner
l'exemple à l'ensemble des collègues.
Bon, ça, c'est sur l'embauche. Alors, moi, je partage tout
à fait l'indignation du Président de la commission. Et je trouve
que le gouvernement du Québec se comporte comme un très mauvais
employeur, un très, très mauvais, qui donne un très
mauvais exemple. Et je constate que l'Office n'a pas fait son travail depuis
quelques années, autant auprès des employeurs privés que
de l'employeur public. J'espère que ça va s'améliorer.
Deuxièmement, vous parlez d'accessibilité des immeubles.
Ça, c'est l'article 69 de la loi pour l'exercice des droits des
personnes handicapées. Parce qu'on n'a pas de problème trop, trop
avec les immeubles... On en a un peu, mais les immeubles plus récents,
depuis 1976, en général c'est assez accessible. Mais les
immeubles d'avant 1976, il y a un article spécial là-dessus,
l'article 69, qui n'est toujours pas en vigueur. D'une part, vous
déplorez qu'il n'y ait pas d'accessibilité des immeubles, mais,
d'autre part, je ne vous entends pas dire: Le gouvernement devrait - et
ça, c'est une décision toute simple du Conseil des ministres, un
arrêté en conseil, un décret du Conseil des ministres -
mettre en vigueur l'article 69 qui demande que les propriétaires
d'immeubles construits avant 1976 soumettent au ministère - à
l'époque, c'était Travail et Main-d'oeuvre - un plan
d'aménagement de leurs immeubles, échelonné sur cinq ans.
Ce n'est pas un article coupe cou, là, qui demande du jour au lendemain
de transformer, de rendre accessibles les immeubles qui sont plus anciens, mais
c'est un peu comme le plan d'embauché. Que les propriétaires,
toujours la voie incitative, mais sur une période de cinq ans, disent au
gouvernement dans combien de temps on va pouvoir rendre accessible notre
immeuble. Mais je n'ai pas entendu l'Office réclamer du gouvernement
qu'il mette en vigueur cet article 69. J'espère qu'on va vous entendre
bientôt là-dessus.
Troisièmement, vous dites, dans votre mémoire, qu'il y a
un effort d'harmonisation des services aux personnes handicapées par le
transfert au ministère de la Santé et des Services sociaux des
programmes de service de maintien à domicile et de frais de
déplacement. Vous allez chercher ça loin, M. Perreault.
Là, vous dites: L'opération qui s'appelle transfert des
programmes de l'Office des personnes handicapées vers des
ministères, c'est de nature à harmoniser mieux et
améliorer les services à la clientèle. Ce n'est pas ce
qu'on constate dans le champ, au contraire. Moi, je pense qu'il y a des
transferts de programmes qui se font de façon trop
précipitée, vous le savez aussi bien que moi. Il y a eu des
erreurs de parcours. Votre ministre responsable l'a admis l'autre jour en
commission parlementaire et, à date, les quelques programmes qui ont
été transférés de l'Office vers des
ministères, ça n'a pas été de nature à
améliorer la qualité des services. Si ça a eu un effet
quelconque, c'est plutôt un effet négatif que ça a eu.
M. le Président, pour revenir à la Loi sur la fonction
publique, qui est notre principale préoccupation, moi, je pense que
l'Office des personnes handicapées, surtout s'il se rapproche plus des
groupes de personnes handicapées, parce qu'il y a des douzaines
d'associations régionales et locales de personnes handicapées,
qui ont le goût de passer à l'action maintenant... Elles ont
été plutôt tranquilles depuis quelques années,
comparé au militantisme qu'elles avaient il y a 10 ans. Mais, surtout si
l'Office s'allie aux personnes handicapées, je pense que vous avez
beaucoup d'instruments qui peuvent vous faire exercer une pression efficace sur
la machine gouvernementale, sur les ministres, pas sur les sous-ministres. Vous
l'avez dit vous-même et le président de la commission l'a dit
tantôt: Malheureusement, les sous-ministres, en général, ne
sont pas intéressés à cette question-là. C'est la
réalité. Alors, si on veut qu'il y ait de l'embauche de personnes
handicapées physiques ou mentales dans l'appareil gouvernemental, il va
falloir que ce soit la volonté politique qui l'impose à la
machine gouvernementale. Vous avez dit tantôt: Pas de coercition. Bon. Il
n'y en a pas de coercition dans la loi, c'est un plan d'embauché. Mais,
par contre, votre thèse de "pas de coercition" n'a pas donné
beaucoup de résultats, vous l'avouerez vous-même, depuis six ans
dans la machine gouvernementale, ni en dehors dans le privé non
plus.
Alors, je conclus en disant: L'Office a une grosse
responsabilité. La commission ici vous appuie. Elle va continuer de vous
appuyer, mais
vous avez une grosse responsabilité pour démontrer que
votre voix peut être efficace au moins auprès de la machine
gouvernementale et ensuite peut-être que le privé sera plus
empressé de suivre son plan d'embauche.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de La Prairie. Je vous remercie de votre participation
à cette commission parlementaire. Votre mémoire était des
plus intéressants et les membres de cette commission à
l'unanimité sont très sensibilisés à
l'intégration des personnes handicapées au sein de
l'administration publique. Nous vous remercions et je demanderais maintenant au
Syndicat professionnel des médecins du gouvernement du Québec de
bien vouloir prendre place à la table des témoins.
S'il vous plaît, MM. les membres la commission du budget et de
l'administration, auriez-vous la gentillesse, l'amabilité, la
courtoisie, l'élégance de bien vouloir prendre place? Nous allons
maintenant entendre le Syndicat professionnel des médecins du
gouvernement du Québec. Alors, je demanderais au représentant de
l'organisme de bien vouloir s'identifier, s'il vous plaît, et de nous
présenter la personne qui l'accompagne pour les fins de l'enregistrement
du Journal des débats.
Syndicat professionnel des médecins du
gouvernement du Québec
M. Le Blanc (Roland): M. le Président, MM. les
députés, mon nom est Roland Le Blanc. Je suis président du
Syndicat professionnel des médecins du gouvernement du Québec.
Mon confrère, le docteur Jacques Bergeron, en est le
vice-président.
Le Président (M. Lemieux): Alors, nous vous
écoutons.
M. Le Blanc: M. le Président, la commission du budget et
de l'administration se préoccupe de quatre questions principales dont la
quatrième concerne la dotation des emplois et le développement
des ressources humaines. À ce sujet, le Syndicat professionnel des
médecins du gouvernement du Québec a demandé à
maintes occasions de faire disparaître la clause d'exclusivité.
C'est notre préoccupation première. Il est à noter que des
2000 médecins salariés de la province de Québec, seuls les
médecins - au Syndicat, nous sommes 117, alors, moins de 200 - du
Syndicat professionnel des médecins du gouvernement du Québec
sont brimés dans leur droit de liberté professionnelle par la
clause d'exclusivité. C'est-à-dire que tous les médecins
du réseau, près de 2000 médecins, tant des CLSC, tant les
médecins à plein temps des hôpitaux genre DSC, directeurs
des services communautaires ou directeurs des services professionnels, avec
l'approbation de leur conseil d'administration, peuvent, lorsque leur travail
est terminé, avoir une liberté professionnelle.
Si la clause d'exclusivité disparaissait, II n'y aurait aucun
conflit d'intérêts possible, car le règlement concernant le
code de déontologie du Code des professions, sous-section 6, à
l'article 2. 03. 49, mentionne que le médecin doit sauvegarder, en tout
temps, son indépendance professionnelle et éviter toute situation
où il serait en conflit d'intérêts, notamment lorsque les
intérêts en présence sont tels qu'il pourrait être
porté à préférer certains d'entre eux à ceux
de son patient ou que son intégrité, sa loyauté envers
celui-ci pourraient être affectées. De plus, l'employeur
reconnaît qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts en engageant
des occasionnels et des contractuels pour réaliser le travail
normalement fait par un médecin à plein temps.
Il est évident que la clause d'exclusivité nuit au
recrutement de candidats qui se distinguent dans le milieu médical,
candidats qui seraient des acquis pour les ministères et les organismes,
mais qui ne veulent pas rompre entièrement avec la pratique active
à cause du milieu de vie, du contact avec les confrères et de la
formation médicale continuelle et quotidienne dans les bureaux, les
cliniques et les centres hospitaliers.
Enfin, nous sommes d'avis qu'il y a des avantages pour la population
à faire disparaître la clause d'exclusivité, car sa
disparition permettrait: 1° la dotation des emplois à des
médecins chevronnés qui accepteraient des postes à plein
temps pour faire des évaluations médicales, des
vérifications et du contrôle, tout en maintenant certaines
activités dans le milieu médical, soit au bureau, soit au centre
hospitalier, soit dans les cliniques; 2° l'engagement de médecins
plus jeunes, aptes à assumer la relève.
En conclusion, la clause d'exclusivité est une injustice pour les
médecins de la fonction publique qui sont les seuls à ne pas
avoir le droit à la pratique médicale après avoir rempli
les prestations normales de travail alors que les autres médecins
salariés de la province n'ont pas cette clause d'exclusivité.
En résumé, M. le Président, nous croyons
nécessaire le maintien de la Loi sur la fonction publique, mais avec
modification des règlements. Il y a trois points de vue, trois
données à cette affirmation: 1° plus de
sévérité en dotation pour les occasionnels, les
contractuels et les échanges de médecins entre DSC,
département de santé communautaire d'hôpitaux, qui viennent
oeuvrer dans les ministères et organismes aux frais du programme de
santé communautaire; 2° que les gestionnaires soient
nécessairement fonctionnaires et ainsi imputables; 3° que la clause
d'exclusivité de services soit abolie dans la loi, mais que figurent
dans la convention collective une clause eu égard à un conflit
d'intérêts et même un article traitant spécifiquement
de l'exclusivité d'emploi.
Chez les médecins, je vous en ai fait part, il ne peut y avoir de
problème du côté conflit d'intérêts. Je pense
que la clause d'exclusivité peut très bien être abolie pour
les médecins, en modifiant quelque peu la convention collective, et,
pour les autres organismes où on pourrait retrouver un conflit
d'intérêts, ça pourrait très bien, non pas figurer
dans la loi ou les règlements, mais dans leur convention collective
propre. Je vous remercie, M. le Président. (12 h 30)
Le Président (M. Lemieux): J'aurais peut être une
question à vous poser. Eu égard à la nature même de
votre profession, pouvez-vous expliquer aux membres de cette commission comment
il serait possible, peut-être pour vos membres, d'exercer leur profession
efficacement, en pratique privée, exclusivement en dehors des heures de
travail? Parce que je ne connais pas de maladie, moi, qui se situe entre 17
heures et 23 heures le soir ou entre 17 heures le soir et 5 heures le matin. Je
comprends mal l'orientation que vous voulez donner à ce retrait de
l'exclusivité de vos services de l'administration publique pour pouvoir
professer à l'extérieur des heures normales parce que je me dis
qu'on n'est pas capable d'identifier ou de limiter la maladie en quelque sorte.
Comprenez-vous le sens de mon intervention? Oui? J'aimerais vous entendre
là-dessus.
M. Le Blanc: M. le Président, si on prend comme exemple un
organisme, la Régie de l'assurance automobile du Québec, la RAAQ,
vous avez à la RAAQ 33 médecins présentement; 12 de ces 33
sont à temps partiel. Il y en a, de ceux-là, un qui travaille 28
heures, l'autre 30 heures, un autre 32 heures et même un de 34 heures.
Pourquoi? Ce sont de jeunes médecins qui veulent maintenir un contact
avec une réalité médicale, qui est le centre hospitalier,
qui est la clinique, qui est le travail avec des confrères. Ils se
refusent à venir travailler... En soi, la. RAAQ, ce sont des dossiers.
Ces médecins font l'évaluation d'un handicap quelconque et puis,
après un certain temps, la monotonie de ces dossiers devient très
harcelante. Ils sont, du matin au soir, devant un clavier et ça devient
très dur pour eux.
Donc, en maintenant une porte ouverte à la pratique, la
diversité, premièrement, est très intéressante,
ça coupe la monotonie du travail. Il y a avantage, également, du
côté du maintien de leurs connaissances médicales, parce
que, après un certain temps, un an, deux ans, même cinq ans
derrière un clavier sans éducation médicale continue, ces
médecins-là, est-ce qu'ils sont vraiment à la page? Je ne
sais pas, je le souhaite. Maintenant, comment est ce qu'ils peuvent, ces
médecins, régler leur temps de travail? Très facilement,
M. le Président. C'est qu'avec l'horaire variable il est très
facile pour un médecin de remplir son mandat de travail à
l'organisme complètement et d'avoir trois ou quatre heures de
liberté professionnelle. Il peut pratiquer, il pout ne pas pratiquer.
Mais il peut certainement rendre grandement service a la population
également en pratiquant.
J'ai parlé de la RAAQ, je vais vous parler de la RAMQ où
j'oeuvre présentement comme médecin-conseil. Nous avons fait une
acquisition, au mois de juin dernier, d'un médecin hors pair, un jeune
médecin pédiatre, surspécialisé en
néonatalogie. Il était le directeur du service au CHUL et
également directeur du service à l'hôpital
Saint-François d'Assise. C'est une perle. Il a accepté de venir
avec nous et je pense que, pour la RAMQ, c'est un acquis formidable.
Par contre, il est jeune. Il a une trentaine d'années et puis
notre grande crainte, c'est qu'une certaine monotonie de fonctionnaire
s'accapare de lui et, sans diversité, on va le perdre d'ici peut
être un ou deux ans. Mais je parle un peu d'une façon
égoïste pour la RAMQ. Pour nous autres, c'est une perle Par contre,
pour la population qu'il dessert, les autorités du CHUL et de
Saint-François d'Assise seraient des plus heureuses si ce médecin
pouvait faire de la garde les fins de semaine une fois par 15 jours ou une fois
par 3 semaines, selon son rythme d'auparavant. Il faisait 2 gardes par mois, ce
médecin. Il est prêt. L'avantage pour ce médecin serait
quoi? De se maintenir à la fine pointe d'une surspécialité
et, nous autres, en contrôle de nos confrères, parce que les
médecins de la Régie, on est un peu la police, quoi,
vis-à-vis des médecins qui font une facturation à la
Régie.
Ce médecin se maintient à la fine pointe des
connaissances. Il est motivé à se maintenir à la fine
pointe en pratiquant et il a amplement le temps, puisque, dans la
majorité des organismes, on a le privilège d'avoir les horaires
variables. Je ne sais si j'ai répondu amplement, mais.
Le Président (M. Lemieux): M le député des
îles-de-la Madeleine, vous aviez une question?
M. Farrah: Au nom de la formation politique à laquelle
j'appartiens, je vous souhaite la bienvenue. Une seule question: Est-ce qu'il
n'y a pas un danger de conflit d'intérêts éventuellement
à même des dossiers traités de se former une
clientèle en dehors des heures de travail?
M. Le Blanc: Non, M. le député, je ne crois pas. Je
reviens encore à la RAMQ, si vous me permettez. Sur les 20
médecins que nous sommes à la RAMQ, il y a 10 médecins
fonctionnaires qui sont en poste suite à un concours normal et tout
ça. Les 10 autres, ce sont des contractuels et ce sont des occasionnels
à plein temps, ce qui contrevient même aux directives du Conseil
du trésor comme telles. Si vous voulez, j'ai la référence
ici. Il ne peut y avoir de conflit d'intérêts, pourquoi?
Premièrement, les organismes... Là, je parle de la RAMQ, mais les
autres
organismes sont exactement pareils La CSST, la RAAQ également,
sauf à la Régie des rentes. Il n'y a pas d'occasionnels
là. Alors, il ne peut avoir de conflit d'intérêts, puisque
la moitié de notre force de surveillance a droit de pratique
effectivement. Et l'employeur reconnaît le fait, puisque c'est
l'employeur lui-même qui est allé chercher ces médecins
clés pour travailler avec nous. Remarquez, j'en suis fort aise, parce
qu'ils font un beau travail, puis c'est agréable. On a
prêté serment, comme les autres professionnels et on a notre code
qui nous dicte un article très sévère sur les conflits
d'intérêts, que je vous ai mentionné dans mon exposé
tout à l'heure, qui dit qu'un médecin ne peut et ne doit pas,
sauf... Est-ce que ça...
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
La Prairie.
M. Lazure: Merci, M. le Président. Je salue mes
collègues médecins.
M. Le Blanc: Dr Lazure, bonjour.
M. Lazure: J'ai eu l'occasion de travailler avec eux dans le
passé, des médecins consciencieux, des bons serviteurs de
l'État. La question que vous soulevez est complexe, évidemment.
Vous vous en rendez compte Moi, ce qui, au départ, me frappe, c'est que
ce n'est pas un régime particulier pour les médecins. C'est le
régime d'ensemble des professionnels, si je comprends bien le
système. Qu'on soit avocat, médecin ou notaire, on est astreint
à cette clause de l'exclusivité, n'est-ce pas?
M. Le Blanc: Les fonctionnaires.
M. Lazure: Oui. Bon. Donc, au départ, on ne peut pas
parler d'une discrimination à l'égard des médecins.
Deuxièmement, je comprends que vous disiez que ce serait utile pour la
qualité des médecins, leur compétence, si le
médecin pouvait avoir des contacts avec une clientèle, avec des
patients. Ça serait comme une garantie qu'il se tient à date dans
ses connaissances. Ça, je comprends ça. Mais, à cet
égard, est ce qu'on ne pourrait pas imaginer des programmes de stages
dans des hôpitaux, des CLSC, peu importe où, mais des programmes
de stages pratiques qui seraient défrayés par l'employeur - que
l'employeur soit la Régie des l'assurance-maladie, la Régie de
l'assurance automobile, peu importe, ou un ministère - des stages,
périodiquement - je ne sais pas, moi, une fois par semaine pendant six
mois, pendant un an - pour s'assurer justement que ce que vous appelez la
monotonie du travail n'envahisse pas les médecins en question? Est-ce
que ça ne pourrait pas être une formule, ça? Et ça
permettrait au médecin de conserver son statut de permanent à
plein temps avec tous les avantages que ça comporte.
Le deuxième volet, le dernier. Si vous demandez d'enlever la
clause d'exclusivité, surtout pour permettre au médecin
d'augmenter ses revenus, de faire une pratique privée le soir ou le
samedi, ça, c'est une autre question. C'est une autre sorte de
considération. Je n'ai rien contre ça, qu'on veuille augmenter
ses revenus, mais, à ce moment là, est-ce que la solution, ce
n'est pas plutôt de dire: Moi, je vais être un médecin
fonctionnaire, mais seulement à demi-temps? Ça existe, ça,
du temps partiel régulier. C'est possible. On peut être
médecin de l'État à demi-temps et l'autre demi-temps faire
de la pratique privée ou de la pratique hospitalière, peu
importe. Alors, il faut voir ce qui est la considération principale.
Est-ce que c'est le souci de se tenir à date dans sa compétence
comme médecin - cours de rafraîchissement, stages de
perfectionnement - ou si c'est la considération d'augmenter ses revenus
et d'avoir une pratique additionnelle? À ce moment-là, est-ce
qu'on ne doit pas faire un choix personnel? Et, si on veut goûter aux
deux, à ce moment-là, on travaille à temps partiel comme
médecin de l'État et on s'en va à temps partiel en
pratique privée ou dans un hôpital.
M. Le Blanc: M. le député, effectivement, c'est un
règlement qui s'applique à tous les fonctionnaires. Donc, si on
regarde cet aspect, c'est non discriminatoire. On peut se demander si vraiment
cet article-là doit figurer encore dans les règlements d'une loi
et non pas s'appliquer individuellement par organisme dans des conventions
collectives individuelles. Vous dites, en deuxième lieu, qu'il n'y a pas
de discrimination. Eh bien, oui, puisque des 16 000 et quelques médecins
de la province de Québec, il y en a au-delà de 2000 qui sont des
médecins, peut-être pas fonctionnaires, mais salariés
à plein temps, avec un statut quasi égal et ces 2000
médecins, ils ont le droit de pratique entièrement.
M. Lazure: Mon intervention, c'était en regard des autres
professionnels de l'État. Ce n'était pas en regard des autres
médecins...
M. Le Blanc: Oui, d'accord.
M. Lazure:... confrères par ailleurs.
M. Le Blanc: Si on revient alors... Nous, notre discrimination,
on la voit surtout avec les membres de notre profession comme telles. Comme
médecin et comme directeur d'hôpitaux de longtemps, et je sais que
vous étiez un protagoniste, une personne qui insistait beaucoup sur
l'éducation médicale continue de vos médecins dans les
hôpitaux, vous étiez un des premiers... Eh bien, je pense que vous
allez concéder avec moi que le meilleur stage, la meilleure façon
de motiver un médecin à se maintenir à la page, c'est
quoi? C'est le contact avec des confrères.
Le comité d'évaluation médicale et dentaire des
hôpitaux, c'est la clé de la formation. Vous mentionnez les
stages. On s'est battus, M. le député, pendant les trois
dernières conventions collectives que j'ai négociées pour
les confrères, pour avoir en ressources humaines un minimum de 10 jours
par année. On sait que la Fédération des omnipraticiens,
dans la convention collective ou dans l'entente, figure qu'ils ont 10 jours par
année en stage pour maintenir leur éducation, ceux de
régions éloignées, 20 jours, avec des forfaits très
généreux de l'État. On ne demande pas des forfaits
généreux. Je demandais dans les trois dernières
négociations 10 jours pour mes membres. On nous a accordé de
peine et de misère un minimum de 3 jours. Je crois que 3 jours par
année, ça ne maintient pas un médecin à la paye,
s'il est a l'extérieur d'un contexte du pratique, de comités
réglementaires d'évaluation médicale. Moi, je ne le crois
pas, Dr Lazure.
M. Lazure: Ça, c'est un exemple de discrimination, je
dirais, parce que c'est le même trésorier; celui qui tient les
cordons de la bourse...
M. Le Blanc: Voilà!
M. Lazure:... dans sa négociation avec la
fédération des médecins, il accorde 10 jours, comme vous
le dites, avec compensation et à ces médecins qui sont des
serviteurs de l'État tout aussi fidèles sinon plus, il n'accorde
que 3 jours. Ça, ça n'a pas d'allure, quant à moi. Alors,
je pense que la commission pourrait peut être regarder ça de
près. Mais, je suis content de voir que vous regardez dans cette
direction. Je pense que c'est une direction qui peut être prometteuse
d'obtenir de son employeur gouvernemental des stages de rafraîchissement,
de perfectionnement qui sont d'une durée raisonnable.
Le Président (M. Lemieux): Vous avez terminé, M. le
député de La Prairie?
M. Lazure: Merci.
Le Président (M. Lemieux): Alors, nous vous remercions
pour votre participation à cette commission parlementaire et nous allons
suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures cet après-midi.
Une voix: À 16 heures. Le Président (M.
Lemieux): Pardon? Une voix: À 16 heures. Le
Président (M. Lemieux): Oui, 16 heures. (Suspension de la
séance à 12 h 46)
(Reprise à 16 h 24)
Le Président (M. Lemieux): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission du budget et de l'administration reprend ses
travaux, et je demanderais à M. Louis Bernard de bien vouloir prendre
place à la table des témoins, s'il vous plaît. Bonjour.
Vous aurez, M. Bernard, 20 minutes pour votre exposé; suivra une
période de questions et d'échanges avec les parlementaires des
deux groupes, soit le Parti libéral et le parti de l'Opposition. Nous
sommes prêts à vous entendre. Est-ce qu'on pourrait fermer la
porte? O. K. Ça va. Merci. Ça va, M. Bernard, vous pouvez
commencer.
M. Louis Bernard
M. Bernard (Louis): Merci, M. le Président. Messieurs les
députés, je vous remercie de me fournir l'occasion de venir
témoigner devant votre commission au sujet du maintien ou de la
modification de la Loi sur la fonction publique. J'ai eu la chance de
participer assez étroitement, en 1982-1983, à la
préparation et à la rédaction de cette loi, et j'en garde
une certaine fierté parce que je crois qu'il s'agit d'une loi qui est
d'avant-garde et qui conserve, encore aujourd'hui, toute son
actualité.
Vous me permettrez, M. le Président, dès le départ,
de souligner que j'ai quitté la fonction publique depuis maintenant
trois ans pour exercer des fonctions qui ne me permettent pas de suivre de
près ce qui s'y passe Mon opinion sera donc forcément
incomplète et je m'excuse à l'avance si certains dos jugements
quo jo porto no tiennent pas compte des événements qui ont pu
survenir au cours des dernières années. J'ajoute que,
évidemment, je comparais devant vous à titre strictement
personnel et que mon témoignage n'engage en rien mon employeur, la
Banque Laurentienne ou le groupe dont elle fait partie.
J'ai eu l'occasion de prendre connaissance, M. le Président, de
l'excellent document de consultation que vous m'avez fait parvenir et qui a
été préparé pour votre commission. Les questions
que vous posez sont, à mon avis, toutes pertinentes et j'espère
que vos travaux permettront d'y apporter une réponse satisfaisante. Pour
ma part, j'aimerais vous donner d'entrée de jeu mon opinion sur les
quatre principales questions que vous soulevez dans ce document-là.
En ce qui concerne la qualité des services, je crois qu'il y a eu
progrès, mais que les progrès sont limités et qu'il reste
encore énormément de chemin à faire si on veut atteindre
le niveau de service qui est désiré En ce qui concerne
l'imputabilité, je crois que, malheureusement, à peu près
rien n'a été fait quant à l'implantation d'un
système d'imputabilité dans la fonction publique. En ce qui
toucho le leadership du Conseil du trésor, je crois que les
énergies du
Conseil dans ce domaine ont été mobilisées par les
relations de travail et qu'en conséquence il n'a pas pu exercer un
leadership efficace sur l'ensemble de la politique de la gestion des ressources
humaines. Enfin, en ce qui concerne la dotation et le développement, je
crois que c'est là qu'il y a eu les progrès les plus
substantiels, en ce qui concerne la dotation des emplois et le
développement des ressources humaines.
En somme, M. le Président, le jugement global que je porte sur
les résultats obtenus depuis l'adoption de la loi, c'est que ceux-ci
sont insuffisants et qu'ils n'ont pas encore atteint les objectifs fixés
originellement. D'ailleurs, il faut bien admettre qu'il s'agissait là
d'objectifs très ambitieux qui ne pouvaient pas être
réalisés du jour au lendemain. Par ailleurs, si nous voulons
avancer, nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles les
progrès n'ont pas été aussi rapides que nous l'aurions
souhaité. Et c'est ce que je voudrais essayer de faire avec vous en
concentrant mon attention sur les deux facteurs qui me semblent les plus
importants.
Je voudrais, d'abord, vous parler - ça ne vous surprendra
sûrement pas - de l'instauration d'un régime
d'imputabilité. À mon sens, la raison principale de
l'insuffisance des progrès accomplis tient dans l'incapacité
où le Québec s'est trouvé de mettre en oeuvre un
véritable régime d'imputabilité dans la fonction publique.
C'est là, selon moi, la carence fondamentale qu'il faudra corriger si on
veut faire avancer les choses, car c'est le moyen essentiel par lequel on peut
espérer atteindre l'objectif externe de la loi, c'est à dire la
qualité des services aux citoyens, et son objectif interne,
c'est-à-dire la bonne gestion des ressources humaines.
Déjà, dans les dernières années de mon
séjour dans la fonction publique, j'avais acquis la conviction que
l'instauration d'un régime d'imputabilité était devenue
une nécessité. Je n'en avais d'ailleurs pas fait mystère.
Mon expérience actuelle dans le secteur privé n'a fait que
renforcer cette conviction.
Les fonctionnaires, il faudrait l'admettre, ce sont des gestionnaires
car l'État, qu'on le veuille ou non, est une entreprise qu'il faut
gérer. Ce n'est pas qu'une entreprise, mais c'est une entreprise. C'est
même, et de loin, la plus grande de nos entreprises
québécoises puisqu'elle compte, à elle seule, pour plus de
20 % de notre PNB. Il importe donc au plus haut point que cette entreprise soit
bien gérée, qu'elle soit gérée le mieux possible en
faisant appel aux meilleurs gestionnaires et aux meilleures techniques de
gestion. Sinon, c'est tout le développement de notre
société qui en est pénalisé, surtout en ces temps
où la concurrence internationale est féroce et sans pitié.
De nos jours, un État qui n'est pas bien géré n'a aucune
chance de garder sa place parmi le peloton de tête de la
communauté des nations.
Je ne vous apprendrai rien, j'en suis sûr, en vous disant que le
seul moyen d'assurer une gestion de qualité, c'est de la confier
à des gestionnaires responsables, ayant à rendre compte de la
qualité de leur gestion. Malheureusement, à l'heure actuelle,
personne chez nous n'est vraiment responsable de la gestion administrative de
l'État en tant qu'entreprise et personne ne rend de comptes à
personne de la qualité ou de l'absence de qualité de cette
gestion.
Alors, qu'est-ce qu'il faudrait faire pour corriger cette situation?
D'abord, je pense qu'il faudrait reconnaître que la situation existe. Il
faudrait reconnaître également qu'elle doit être
corrigée. Il faudrait accepter de faire une distinction entre la
sphère politique et la sphère administrative. À mon avis,
ce n'est pas la même chose de gouverner le Québec et de
gérer l'État en tant qu'entreprise; c'est, au contraire, deux
choses différentes: Notre système traditionnel de
responsabilité ministérielle, qui place à la tête
des ministères des personnes élues, rend difficile cette
séparation des rôles et des responsabilités. Mais je crois
qu'il faut reconnaître l'évidence: rendre le ministre seul
responsable du moindre geste de chacun de ses fonctionnaires, c'est, en
pratique, instaurer un régime de non-responsabilité, même
un régime d'irresponsabilité administrative et ruiner toute
chance d'amélioration de la qualité de la gestion.
Je suis bien prêt à admettre qu'il existe, entre la
sphère politique et la sphère administrative, une zone grise
où il est difficile de départager les rôles et les
responsabilités. Mais je puis vous assurer qu'il existe également
une autre zone qui est beaucoup plus large, qui, elle, n'est pas grise du tout
et où il est clair que les problèmes sont purement d'ordre
administratif et n'ont rien à voir avec le domaine politique.
Prenons, par exemple, la question du contrôle des coûts. On
peut se poser toute une série de questions, par exemple: Est-ce que le
ministère de la Sécurité du revenu - on peut prendre
n'importe quel autre ministère ou organisme - a organisé ses
envois postaux pour profiter au maximum des rabais offerts par Postes Canada?
On peut profiter de rabais jusqu'à 10 % quand on organise ses envois
postaux de telle ou telle façon. Ça se fait ou ça ne se
fait pas? On peut poser la question. À mon avis, ça n'a aucune
répercussion politique. Ça ne se fait pas, pourquoi? Parce que
ça ne vaudrait pas le coup ou parce qu'on n'y a pas pensé?
Quelles sont les mesures qui peuvent être prises pour réduire, par
exemple, les frais de messagerie, les frais de papeterie, les frais de
téléphone? Est-ce qu'on s'est assuré que les effets en
suspens qui ne produisent pas d'intérêt sont réduits au
minimum? Comme banquiers, nous, on scrute: est-ce qu'il y a un "float" trop
grand quelque part? Bon, bien, dans toute entreprise, il y a des "floats". Dans
toute entreprise, il faut prendre des mesures pour les contrôler.
Profite-ton pleinement des économies
engendrées par les achats regroupés? Ce sont toutes de
petites choses, vous me direz, mais quand on fait le total dans une entreprise
aussi large que l'État, ça peut aboutir à des sommes qui
sont assez rondelettes.
On peut prendre également les questions relatives à la
gestion du personnel. Chaque ministère ou organisme a-t-il son plan de
succession, son programme de formation, son système d'évaluation
de la performance? Et, question plus importante, se sert-il efficacement de ces
divers instruments? Y a-t-il une amélioration d'une année
à l'autre?
Prenons enfin la question du contrôle administratif et de
l'évaluation des résultats. Est-ce qu'on a
développé dans chaque unité administrative des normes de
performance et des statistiques de gestion? Est-ce qu'on a fixé des
objectifs quantifiables ou objectivement appréciables? Est-ce qu'on peut
mesurer la satisfaction des clients ou des usagers? M. le Président, on
pourrait multiplier à l'infini le nombre de questions de cette
nature-là qui ont un impact direct sur la qualité de la gestion
administrative, mais qui n'ont aucune répercussion politique et qui, par
conséquent, ne sont jamais posées, ne sont jamais mises en
évidence dans notre système actuel.
Donc, la première chose à faire, ce serait nommer un
responsable de ce genre de questions, ce serait de reconnaître
officiellement que, dans un ministère, le sous-ministre et, dans un
organisme, le dirigeant sont les premiers responsables de tout ce qui touche la
gestion administrative et qu'en conséquence ils ont le devoir de prendre
les moyens nécessaires pour en assurer la qualité la plus haute
possible.
Une fois la responsabilité clairement établie, il faudra
s'assurer que ceux et celles qui en sont investis rendent des comptes, qu'ils
soient non seulement responsables, mais aussi imputables. Alors, imputables
à qui?
Je parlerai un peu plus tard de l'imputabi-lité interne envers
les autorités gouvernementales. Je veux d'abord vous parler de
l'imputa-bilité externe envers l'Assemblée nationale. À
mon avis, on ne réussira jamais à mettre sur pied un
régime d'imputabilité si l'Assemblée nationale ne s'en
fait pas le champion. C'est par là qu'il faut commencer. Ce n'est qu'en
autant que les sous-ministres et les dirigeants d'organismes auront à
répondre publiquement et régulièrement devant les
commissions de l'Assemblée nationale de la qualité de leur
gestion administrative que le système d'imputabilité pourra
progressivement se mettre en marche et se développer. À cet
égard, je ne peux faire autrement, M. le Président, qu'exprimer
ma déception de ce que les commissions de t'As-semblée nationale
n'aient montré jusqu'à maintenant que très peu
d'empressement à se charger de cette tâche il y a maintenant plus
de cinq ans que le règlement de l'Assemblée a été
modifié pour permettre aux commissions parlementaires d'interroger les
dirigeants d'organismes sur leur gestion Or, très peu d'entre elles ont
utilisé ce pouvoir, même si le règlement en fait une
obligation pour au moins un organisme par commission par année II ne
semble pas y avoir d'intérêt pour ce genre d'exercice qui a son
côté fastidieux et qui ne rapporte pas de dividendes politiques
immédiats
Par exemple, votre commission a toute l'autorité voulue pour
faire comparaître régulièrement le président de
l'Office des ressources humaines et le président de la Commission de la
fonction publique et les interroger sur la manière dont ils s'acquittent
de leurs responsabilités. Pourquoi ne le feriez-vous pas? Vous pourriez
ainsi mettre au point les règles plus ou moins formelles qui devront
régir les relations entre les parlementaires et les fonctionnaires afin
que ceux-ci ne soient pas constamment mis entre l'arbre et l'écorce. Car
il y a, de part et d'autre, un apprentissage à faire.
Donc, pour conclure sur ce premier point, M. le Président, je
résume ma pensée: pour atteindre les objectifs inscrits dans la
Loi sur la fonction publique, il faut mettre en place un régime efficace
d'imputabilité des fonctionnaires et, pour y arriver, il faut commencer
par faire jouer aux commissions parlementaires le rôle d'examen et de
surveillance qui est prévu par le règlement quant aux organismes
gouvernementaux. Éventuellement, et le pjus tôt possible, il
faudra étendre ce rôle d'examen et de surveillance sur la gestion
administrative des ministères et des sous ministres qui les
dirigent.
J'en viens maintenant à la deuxième carence majeure qui,
à mon avis, explique l'insuffisance des progrès accomplis:
l'absence de leadership montrée en cette matière par le Conseil
du trésor. Comme je l'ai mentionné au début, l'attention
du Conseil du trésor en matière de ressources humaines est trop
souvent monopolisée par les relations de travail, de sorte que les
autres aspects de la gestion des ressources humaines sont
relégués au second plan. J'ajoute que, traditionnellement, le
Conseil du trésor a toujours considéré que sa fonction
première était d'ordre financier et qu'il s'est assez peu
préoccupé des autres aspects de la gestion gouvernementale.
Cette constatation, j'ai déjà eu l'occasion de la faire
lors de l'étude à laquelle j'ai participé sur l'octroi des
contrats gouvernementaux. Mes collègues et moi, en effet, avons
souligné dans notre rapport que le Conseil du trésor, en tant que
premier responsable de la politique de gestion administrative, devait se donner
les moyens de jouer le rôle de leadership qui est le sien et qu'il n'a
exercé, jusqu'à maintenant, qu'en matière
budgétaire. Il serait particulièrement important que le Conseil
joue le rôle qui est le sien quant à l'imputabilite interne des
sous-ministres et dirigeants d'organismes
On pourrait, bien sûr, se demander s'il est possible, voire
même souhaitable, de combiner dans le même organisme la
responsabilité du budget et celle des ressources humaines. Ne
vaudrait-il pas mieux revenir à l'ancien système d'un
ministère de la Fonction publique, par exemple? Ce n'est pas une
question que l'on peut trancher de façon absolue, à mon avis, car
chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Tout
dépend, en fait, des circonstances concrètes dans lesquelles on
so retrouve.
Personnellement, cependant, je préfère le système
actuel qui combine dans un même organisme la responsabilité de
l'ensemble de la gestion administrative. Cela devrait, au moins en
théorie, permettre un meilleur équilibre des
éléments et une meilleure vue d'ensemble. Encore faudrait-il
s'organiser pour que ce système fonctionne de façon
adéquate. Ce qui est arrivé lors de l'abolition du
ministère de la Fonction publique, c'est qu'on a confié de
nouvelles fonctions au Conseil du trésor sans en revoir la structure et
le fonctionnement pour s'assurer qu'il serait effectivement en mesure de les
remplir efficacement. On ne s'est pas rendu compte, à ce
moment-là, que les changements apportés à la Loi sur la
fonction publique par l'abolition du ministère de la Fonction publique
auraient dû entraîner une révision du rôle du Conseil
du trésor et un réexamen de la loi de l'administration
financière afin de refléter la nouvelle
réalité.
Il est toujours temps de bien faire. Alors, ce que je suggère,
c'est qu'on transforme le Conseil du trésor en un véritable
comité de gestion, explicitement chargé de superviser l'ensemble
de la politique de gestion administrative et budgétaire de
l'État, et structuré de façon à pouvoir remplir
efficacement cette mission. À l'heure actuelle, le Conseil du
trésor a toutes les ressources voulues pour s'occuper du budget, de
l'analyse financière, de l'analyse de programmes, de l'analyse des
effectifs, ainsi que de l'ensemble des relations et conditions de travail. Ses
ressources sont cependant déficientes en ce qui touche la
définition des politiques générales de gestion, de la
gestion des ressources matérielles, de celle des ressources humaines,
ainsi que la définition des procossus administratifs, des normes de
gestion et des contrôles de performance. En d'autres mots, il serait
temps de procéder, en ce qui concerne la loi de l'administration
financière, au même genre de réflexion en profondeur qui a
conduit, il y a huit ou neuf ans, à la refonte de la Loi sur la fonction
publique, car ces deux lois sont complémentaires.
Voilà donc les brèves réflexions dont je voulais
vous faire part quant à l'étude que vous avez entreprise. Je me
rends compte que mes commentaires pourront vous sembler plutôt critiques.
C'est que j'ai voulu concentrer mon attention davantage sur les progrès
qu'il reste à faire plutôt que sur ceux qui ont déjà
été réalisés. Je crois que c'est d'ailleurs la
raison de vos travaux. J'ajoute que les carences que j'ai pu signaler à
votre attention ne comportent aucun jugement de valeur sur les personnes qui
sont présentement chargées de l'administration de la loi. J'ai
été pendant assez longtemps dans des fonctions semblables pour
savoir que les individus n'ont guère de prise sur les carences du
système et que c'est à corps défendant qu'ils doivent s'en
accommoder. Nous ne pourrons les blâmer que lorsque nous les aurons
rendus responsables et imputables, ce qui n'est pas le cas à l'heure
actuelle.
La Loi sur la fonction publique actuelle a été
adoptée en 1983. À mon avis, il y a lieu de la maintenir dans ses
caractéristiques essentielles, car elle continue de répondre
adéquatement tant aux besoins de l'État qu'à ceux de notre
société. En réalité, si cette loi n'a pas encore
produit tous les effets qui étaient escomptés lors de son
adoption, c'est surtout qu'elle n'a pas été pleinement mise en
oeuvre. Ce qui importe, c'est moins de la modifier que de l'appliquer.
Cela termine, M. le Président, les remarques que j'avais
préparées et qui sont dans mon mémoire. Si vous le
permettez, j'aimerais ajouter, commenter sur un point, qui n'est pas dans le
document de consultation, mais qui a été soulevé devant
votre commission, et c'est sur la possibilité qui existait autrefois et
qui a été abolie, pour les membres de cabinets
ministériels, de devenir fonctionnaires sans concours, mais sur simple
examen de l'Office. C'est un privilège qui a été
établi dans les années soixante lorsque les cabinets
ministériels ont été formés, qui a
été aboli il y a une dizaine d'années et qui revient
périodiquement comme une possibilité.
Je voudrais porter à l'attention de votre commission que, lorsque
cette disposition-là avait été établie dans les
années soixante, c'était dans des conditions bien
différentes de celles qui prévalent actuellement. À ce
moment-là, les cabinets ministériels étaient une
institution nouvelle. On trouvait très peu de personnes dans ces
cabinets-là. La fonction publique elle-même n'avait pas
été choisie par voie de concours, c'était l'ancien
système et les effectifs de la fonction publique étaient dans une
époque de grande croissance. Alors, l'existence de ce privilège
était peut-être conforme aux exigences de ce moment-là.
Mais, à l'heure actuelle, les cabinets ministériels sont
devenus des entités assez nombreuses. Si on fait le décompte, je
ne l'ai pas fait, mais on trouverait certainement autour de 400 personnes dans
les cabinets ministériels à l'heure actuelle. La fonction
publique maintenant a toute été choisie par concours et puis on
n'est pas dans une période d'expansion des effectifs, on est dans une
période de réduction des effectifs Alors, réintroduire
dans la Loi sur la fonction publique la possibilité pour les membres
de cabinets d'entrer dans la fonction publique, non pas pour des postes
précis et par voie de concours, ce qui est toujours possible, mais par
voie spéciale, sans qu'il y ait des postes précis et simplement
par voie d'examen, à mon sens, ce serait revenir en arrière et
puis ce ne serait pas très bon pour la fonction publique.
Je ne suis pas un adversaire des cabinets politiques, je me suis souvent
prononcé en faveur des cabinets politiques. Je pense que c'est une
institution absolument normale et nécessaire dans le fonctionnement de
nos institutions. Mais je pense, cependant, que les personnes qu'il faut
recruter dans les cabinets ne sont pas nécessairement le même type
de personnes dont on a besoin dans la fonction publique. Je crois qu'il est
possible d'avoir un système différent de sécurité
d'emploi pour ces gens-là, avec des allocations de départ
généreuses lorsque leurs fonctions sont terminées, comme
c'est le cas, par exemple, pour les dirigeants d'organismes, comme c'est le cas
pour les députés. Mais il serait abusif de permettre qu'un
certain nombre de personnes, parce qu'elles ont passé un certain
séjour dans un cabinet ministériel, puissent avoir
priorité, finalement, d'emploi sur l'ensemble des citoyens, et cela,
sans concours. Je pense que c'est un pas en avant qui avait été
fait lorsque ce privilège-là avait été aboli et,
à mon sens, on ne devrait pas le réinstaurer.
Le Président (M. Lemieux): Merci. M. Bernard, vous
êtes, de par votre expérience aussi, un homme pratique et vous
savez que les travaux de cette commission devront déboucher sur des
recommandations. La commission veut faire en sorte que ses recommandations
puissent aller dans le sens qui soit le plus utile, vous le comprendrez,
à la collectivité. Comme parlementaires, ce que nous voulons et
c'est sans doute ce que vous voulez, c'est qu'avec vos taxes vous ayez sans
doute le plus de services possible et qu'on soit efficients et efficaces. Et,
parfois, on aura des choix à faire. (16 h 45)
Je vais vous donner l'exemple d'un choix qu'on aura à faire. Nous
avons l'article 2 qui nous dit: On doit fournir aux citoyens des services de
qualité. L'article 3, paragraphe 2" nous dit: Le fonctionnaire investi
du pouvoir de gestion doit en rendre compte. J'en arrive à ce qu'on
appelle l'imputabilité et on va s'attarder surtout à
l'imputabilité externe. Vous nous dites, à la page 3 de votre
mémoire, que la carence fondamentale qu'il faut corriger, c'est "de
mettre en oeuvre un véritable régime d'imputabilité" qui
n'existe pas, à vos yeux. Mais ce qui me semble un petit peu plus
important, vous allez un petit peu plus loin: à la page 4, dans le haut,
vous dites: C'est un des moyens essentiels qui va nous permettre d'en arriver
à une qualité des services aux citoyens plus efficace et de
développer davantage une bonne gestion des ressources humaines. Vous
nous dites, à la page 5: "II faudrait accepter de faire une distinction
entre la sphère politique et la sphère administrative (... ) Mais
il faut se résoudre à reconnaître l'évidence: rendre
le ministre seul responsable du moindre geste de chacun de ses fonctionnaires,
c'est, en pratique, instaurer - et je pèse bien vos mots - un
régime d'irresponsabilité administrative et ruiner toute chance
d'amélioration de la qualité de la gestion. " Vous êtes
cohérent avec le livre que vous avez publié, "Réflexions
sur l'art de gouverner", à la page 37 où vous nous dites:
"À mon sens, en effet, il est souhaitable que les sous-ministres soient
directement imputables devant le Parlement de leur gestion administrative. Il
n'est pas moins naturel que les sous-ministres répondent des moyens
qu'ils ont mis en oeuvre pour atteindre ces objectifs et donner suite à
ces choix. "
Ma question est la suivante: Un important ministre de notre gouvernement
donnait hier une allocution à l'occasion de la remise des prix
d'excellence 1990 de l'administration publique. Cet important ministre - il
s'agit de M. Claude Ryan - nous disait dans son discours qu'il récuse
cette distinction qu'on tente souvent d'ériger entre le politique et
l'administratif II nous dit ceci. "La tradition britannique du gouvernement
attribue au ministre un pouvoir très étendu dans la direction des
affaires de son ministère. Elle le rend en retour comptable de tous les
actes faits par ses collaborateurs dans l'exercice de leurs fonctions. Il faut
éviter qu'elle ne débouche sur des interprétations trop
littérales". Et il dit: "Je la trouve néanmoins
supérieure, en principe, à la règle de dualité qui
sert d'inspiration à certaines propositions voulant que les
sous-ministres soient désormais comptables de leur gestion devant le
Parlement. " Il nous dit: "Un ministre qui serait condamné à
fonctionner à l'Intérieur d'un carcan aussi limité ne
résisterait pas longtemps devant les assauts de l'Opposition au
Parlement. Il nous dit, et je terminerai là-dessus: "Le principe de la
responsabilité ministérielle est premier; il est fondamental; il
est inaliénable. "
Comme parlementaire, moi, comme personne élue, la seule
préoccupation que j'ai, c'est que les travaux de cette commission
puissent s'orienter dans le sens où, eu égard à
l'administration publique, le meilleur système est celui qui va le mieux
servir les citoyens. Vous venez de me dire dans votre mémoire que ne pas
développer une forme d'imputabilité externe amoindrirait la
qualité des services aux citoyens. J'aimerais vous entendre
là-dessus. J'aimerais que vous puissiez m'éclairer
là-dessus. Vous comprendrez que vous êtes complètement
à l'opposé de ce que vient de nous dire M. Ryan. Je pense que je
n'ai pas... Et, moi, je fais appel à M. Bernard, l'homme pratique.
M. Bernard: M. le Président, ce que M.
Ryan a dit, ce n'est pas Ia première fois que |e l'entends. Je
l'ai entendu par des ministres importants d'autres couleurs politiques aussi.
Je l'ai entendu de M. Lazure, peut-être pas de façon aussi
catégorique, mais je pense que M. Lazure pourrait dire qu'il a eu,
lui-même, des réticences à ce qu'on fasse une distinction
entre la politique et l'administratif. C'est tout à fait normal et
naturel. Je n'ai rien contre cette vue des choses, sauf que, à un moment
donné, il faut se rendre à l'évidence que, pour être
pratique, si on veut améliorer la qualité de la gestion
administrative, il faut mettre quelqu'un qui est responsable. Est-ce que c'est
vraiment possible, est-ce que c'est souhaitable qu'on prenne les ministres et
qu'on les amène en commission parlementaire pour les interroger non pas
sur les orientations politiques de leur ministère, non pas sur les
objectifs à long terme qu'ils poursuivent, etc., mais qu'on leur
demande: M. le ministre, est-ce que vous avez un système dans le
ministère pour faire en sorte que vos envois postaux soient suivant le
règlement je-ne-sais-pas-trop-quoi de Postes Canada de façon
à épargner 0, 02 $ par envoi? M. le ministre, est-ce que vous
êtes en mesure de savoir si on utilise les dernières techniques
d'inventaire de la papeterie et du matériel pour vous assurer que vos
inventaires sont au minimum et qu'il ne traîne pas des surplus, etc. ? Je
pense que, pour ce genre de questions, le ministre va nécessairement se
retourner vers son sous-ministre et lui demander pst, pst? Et il va
répondre on son nom ou il va lui passer la parole et va dire:
Voulez-vous répondre à cette question-là? On l'a vu dans
l'étude des crédits. Dès que, dans l'étude des
crédits, on aborde des questions qui sont vraiment des questions de
gestion administrative, le ministre se retourne vers son sous ministre et lui
demande de répondre.
Si on veut mettre l'accent sur ce genre de questions, il faut absolument
que ça ne soit pas le ministre qui soit responsable parce qu'il y a deux
choses. D'abord, parce qu'on prendrait le temps du ministre pour des questions
où il n'est pas vraiment compétent pour répondre. Ce n'est
pas lui qui choisit les systèmes. Ce n'est pas lui qui a cette
préoccupation-là. Et, deuxièmement, c'est la tentation
d'une commission parlementaire de "switcher", si vous me permettez
l'expression, du niveau administratif au niveau politique. Les gens qui
siègent à cette commission-ci sont des hommes politiques qui
jouent le jeu parlementaire qui est fondamental à notre choix
démocratique. En même temps, ils sont responsables de surveiller
l'utilisation, la bonne gestion des fonds publics. Moi, tout ce que je demande,
c'est qu'on puisse prendre les moyens pour que ces deux fonctions soient
remplies et qu'on ne mette pas tout l'accent sur le jeu politique au sens noble
du terme, le débat politique, si vous voulez, mais que
l'Assemblée nationale trouve le moyen de s'intéresser à
des questions de gestion adminis- trative. Je suis convaincu que, si on force
les ministres à répondre des questions de gestion administrative,
on ne réussira pas à enclencher un mécanisme par lequel
les commissions parlementaires vont parler aux gens responsables des questions
administratives pour les questionner sur leur gestion administrative.
Et je pense que c'est très important qu'on déclenche un
mécanisme comme celui-là. Ce n'est pas la première fois
qu'un sous-ministre vient ici qui est important, c'est la deuxième fois
et c'est la troisième fois. Pourquoi? Parce que, la première fois
que vous allez lui poser des questions: il va vous donner des réponses.
Il va dire: Ah! on a un projet là-dessus; on a une étude en
cours; on a un système qui est en train d'être
développé, bon, etc. C'est normal, c'est bien sûr. Ensuite,
il va vous dire: Là-dessus, par exemple, on a fait du progrès; on
est rendu... Il y a des choses qui sont faites. Il y a des choses à
faire, etc. Ce qui est intéressant, c'est que, lorsque le sous-ministre
va revenir l'année suivante, par exemple, ou son successeur, parce qu'il
y a une succession, mais ce n'est pas là l'important, on va lui
demander: L'année passée, vous nous aviez dit que vous aviez une
étude en cours sur ce point-là, où en êtes-vous
rendu? Là, ça devient intéressant de savoir s'il y a des
progrès ou s'il n'y en a pas.
Puis, ce qui est intéressant aussi, c'est que le sous-ministre,
quand il sait qu'il va comparaître devant la commission parlementaire, va
dire: Quelles sont les questions qu'ils vont me poser? Il va regarder
l'année passée ce que vous avez posé. Ah oui, il y avait
telle étude, il y avait telle chose. Où en est-on
là-dessus? Évidemment, je veux dire, c'est sûr que ce ne
sont pas toutes des questions qui sont de cette nature-là, mais
ça va mettre la pression de l'Assemblée nationale sur la
qualité de la gestion. Maintenant, si votre commission se met à
poser des questions au sous-ministre qui sont de nature politique, bien, c'est
sûr que là vous allez ruiner le processus et que, lui, va dire:
Bien, écoutez, là je ne peux pas vous répondre, vous
poserez la question à mon ministre, etc. Mais si la commission
parlementaire, avec le temps, développe des moyens d'interroger les
gestionnaires sur des problèmes de gestion... Je ne dis pas que ce doit
être 50 % du temps de l'Assemblée nationale. On peut trouver un
temps raisonnable pour ce genre de questions là. Mais je dis que, pour
notre société, c'est très important que quelqu'un se
penche sur la qualité de la gestion, parce que c'est le service aux
citoyens, d'une part, et c'est les fonds publics. Et je peux vous dire qu'il y
a énormément d'argent à épargner du
côté des améliorations de productivité dans le
secteur public.
Le Président (M. Lemieux): Donc, vous croyez qu'une
imputabilité externe est nécessaire dans la conjoncture
actuelle.
M. Bernard: Absolument. Puis, c'est la seule façon de le
commencer. Je peux vous garantir une chose, c'est que, si l'Assemblée
nationale prenait les devants et commençait à tenir
régulièrement des sessions avec les sous-ministres sur leur
gestion administrative, le gouvernement s'organiserait à l'interne pour
suivre le processus. Parce que le gouvernement ne voudrait pas que les
sous-ministres soient imputables seulement à l'externe. Il dirait au
Conseil du trésor: Bien, vous allez vous organiser pour faire votre
revue de programmes annuelle pour qu'on sache comment répondre de la
qualité do la gestion. Parce que, là, il y a une vraie
responsabilité politique. Si le gouvernement ne s'assure pas qu'il y a
une qualité de gestion suffisante, bien, là, évidemment,
les répercussions de ça, c'est que ça va monter au point
de vue politique et qu'on va poser des questions au Conseil du trésor,
au premier ministre ou aux différents gestionnaires.
Quand on parle de distinguer la sphère administrative et la
sphère politique, ce n'est pas pour enlever de l'autorité aux
ministres. Les ministres vont toujours garder la pleine autorité dans
leur ministère. Ce n'est pas pour enlever la responsabilité
globale du ministre. Le ministre restera toujours responsable de la bonne
gestion de l'ensemble de son ministère. Mais son rôle, lui, c'est
de voir à ce que son sous-ministre soit un homme compétent, qu'il
fasse ce qu'il a à faire, qu'il développe ses systèmes,
qu'il ait ses mécanismes de contrôle. C'est ça vraiment son
rôle. Ça ne lui enlève rien du point de vue, si vous
voulez, juridique. Sauf que, si on n'accepte pas à un certain niveau de
faire la distinction des sphères, ça empêche tout
contrôle sur la gestion proprement dite.
M. Chagnon: Permettez-moi de vous remercier d'avoir bien voulu
participer à cette commission parlementaire. Compte tenu de vos
expériences passées et du fait que vous avez contribué
à mettre sur pied, travaillé avec les gens qui ont fait la
commission Bisaillon à l'époque, votre participation est d'un
intérêt tout à fait particulier.
À l'avance, je peux vous dire que je partage avec vous la vision
que vous avez de l'imputabilité tant interne qu'externe. Mais, pour
revenir sur la question de fond, au-delà de la problématique du
prix du timbre dans la machine à timbres, le ministre qu'on interroge,
comme on le fait actuellement, sur le plan de ses concepts et conceptions
politiques, de ses visions, de ses orientations politiques dans son
ministère n'est il pas en droit d'être celui qu'on devrait
interroger, encore une fois, sous l'aspect du principe de la
responsabilité ministérielle, quant aux moyens qu'il peut en
principe lui-même aussi choisir pour qu'on mette en place, sur le plan
administratif, la façon d'organiser, d'ordonner sa vision des choses au
niveau polilique? Comment on fait pour dichotomiser ça?
M. Bernard: Je pense qu'un ministre, normalement, devrait avoir
parmi ses obligations à l'égard de son ministère de
s'assurer qu'il est bien géré. Par conséquent, il a parmi
ses obligations d'interroger son sous-ministre sur la façon dont il
gère, sur les systèmes qu'il a mis en place pour obtenir une
bonne gestion. Dans le cours de l'année, il y a toutes sortes
d'occasions qui ouvrent la porte à ça. Par exemple, vous avez le
rapport du Vérificateur général qui vient une fois par
année, qui porte souvent sur des questions de gestion C'est l'occasion
pour le ministre d'avoir une bonne discussion avec son sous-ministre sur les
suites qui ont été données à l'ancien rapport et au
nouveau rapport, etc. Je pense que ça, c'est une occasion. Vous avez
l'occasion souvent de réformes administratives. Vous faites une
réorganisation de votre ministère pour toutes sortes de raisons,
etc. Vous avez un nouveau ministre qui entre dans un ministère, qui doit
se mettre au courant des choses, etc. Les occasions ne manquent pas pour le
ministre de s'assurer qu'il y a dans son ministère une bonne gestion
administrative.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
La Prairie.
M. Chagnon: Hier, nous avons eu le député de La
Prairie qui. sur son chemin de Damas, a eu une conversion miraculeuse à
l'égard de l'imputabilité. (17 heures)
M. Lazure: II a progressé, c'est tout. M. le
Président, merci de me donner la parole. Je suis très heureux de
retrouver M. Louis Bernard et de retrouver son texte qui est succinct, qui est
clair, qui est logique, un petit bijou. L'administration, c'est un art. Il y a
des artistes qui ont beaucoup de fioritures, d'autres qui ont un art un peu
dépouillé, mais c'est un art administratif
dépouillé que j'aime bien. Je pense qu'il y a quelques
commentaires que je veux faire. La commission devrait reconnaître qu'elle
n'a pas utilisé effectivement les pouvoirs qu'elle a, comme d'autres
commissions. Moi, comme membre de cette commission-ci, comme
vice-président, je vais faire tout mon possible pour que nous utilisions
au maximum les pouvoirs de rencontrer périodiquement le président
de l'Office des ressources humaines, le président de la Commission de la
fonction publique. Vous avez raison de nous rappeler ça.
Deuxième commentaire. Votre suggestion qu'il y ait une refonte de
la loi de l'administration publique, un peu comme il y a eu une refonte de la
Loi sur la fonction publique, je pense que c'est pertinent. Je viens aux
remarques du président, tantôt, quand il a cité M. Ryan
dans une conférence qu'il donnait hier soir. J'ai l'impression que le
ministre des Affaires municipales, hier soir, dans sa conférence, a
démontré clairement qu'il a une comprehension pus vrai
ment à jour, à date, de ce que c'est que
l'imputabilité. J'ai lu son texte tantôt, attentivement, et il a
l'air de croire, comme bien des gens politiques hommes ou femmes politiques que
si ses hauts fonctionnaires ont à rendre dos comptes, deviennent
imputables. il perd une partie de son autorité et de sa
responsabilité. Ce qui n'ost pas le cas. Vous dites dans votre texte, M.
Bernard: "rendre le ministre seul responsable du moindre geste de chacun de ses
fonctionnaires, " etc., ce que vous avez cité, M. le Président.
Et j'ajouterais: Le ministre, il ne peut pas être le seul responsable,
c'est évident, mais il est quand même le responsable ultime de
tout ce qui se passe. Je pense que, là-dessus, vos remarques
étaient assez claires et c'est ce que M. Ryan n'a pas l'air de saisir.
Le ministre ne fait que partager, à ce moment-là, sa
responsabilité dans des sphères qui sont à
prédominance administrative. Parce qu'il y a des sphères
où on peut difficilement séparer l'administratif du politique, il
y a des zones grises. Mais on peut parler d'une prépondérance
administrative et d'une prépondérance politique. Lorsqu'il y a
prépondérance administrative, moi, il me semble que ça ne
devrait pas causer un problème à un élu de dire: Bon, je
vais laisser mon sous-ministre répondre devant les élus de sa
gestion. Et ça ne veut pas dire qu'il abandonne sa responsabilité
ultimement.
Juste une question que je voulais vous poser, pour le moment. Dans le
cadre d'une réforme possible de la loi de l'administration publique,
vous dites: Le Conseil du trésor pourrait devenir un comité de
gestion qui aurait deux grandes fonctions: une, les ressources
financières, l'autre, les ressources humaines. C'est un modèle,
ça. Par contre, beaucoup de groupes de personnes nous ont dit: Depuis
quelques années que le Conseil du trésor assume la
responsabilité totale de la loi... Parce qu'il fut un temps, de 1984
à 1988, où le président du Conseil du trésor
partageait la responsabilité de la loi avec un autre ministre qui, lui,
s'occupait surtout de l'Office des ressources humaines. Mais, depuis 1988,
c'est seulement le président du Conseil du trésor. Alors,
plusieurs nous ont dit, la majorité nous ont dit: II semble que c'est
presque impossible pour le Conseil du trésor de développer une
sensibilisation et une préoccupation pour la gestion des ressources
humaines. Est-ce que vous continuez de croire qu'on doit continuer dans ce
sens-là, dans le sens que le Conseil du trésor conserve la
totalité de la responsabilité de la loi?
M. Bernard: Le grand avantage que j'y vois, c'est que, en fait,
il n'y a pas que la responsabilité financière et les ressources
humaines. Parce que, si on crée un ministère de la Fonction
publique, on est presque amenés à dire: Bon, il y a les
ressources humaines, ça, c'est au ministère de la Fonction
publique; les ressources financières, c'est au Conseil du trésor.
Et, quand on fait cette séparation-là, on perd l'essentiel qui
est la globalité de la gestion comme telle. La gestion, ça
comporte évidemment un élément important do finances, un
élément important de ressources humaines, mais il y a beaucoup
d'autres choses dans la gestion. Il y a la planification, les ressources
matérielles, les mécanismes de contrôle, etc. Quand on
sépare, je dirais, la réalité gestion comme telle, on se
trouve à perdre quelque chose. C'est pour ça que, moi, je pense
qu'on devrait continuer, en tout cas pousser plus loin l'expérience
qu'on a actuellement, en Insistant sur la globalité de la
responsabilité du Conseil du trésor sur l'ensemble de la gestion
administrative. Évidemment, il y aurait une place importante pour les
ressources humaines là-dedans et il y aurait une place importante pour
les ressources financières. Il y a de la place, également, pour
d'autres choses. Si on avait un effort pour mettre à un endroit une
responsabilité globale sur la qualité de la gestion de l'ensemble
de l'entreprise État, je pense que ce serait préférable
que de séparer finances et relations publiques, parce qu'on va avoir
beaucoup de difficulté, d'abord, à les mettre ensemble, et,
deuxièmement, on risque qu'il y ait des choses qui tombent entre les
deux chaises. Mais je n'en fais pas une question de... C'est possible de
l'organiser autrement, je veux dire.
M. Lazure: Moi aussi, je conçois théoriquement que
ça pourrait être seulement le Conseil du trésor qui assume
la totalité. Moi aussi, c'est empirique, pragmatique; à la
lumière de l'expérience, ça me laisse assez songeur. Mais,
à supposer qu'on garderait le même mécanisme, qu'est-ce
qu'il faudrait faire pour que le Conseil du trésor devienne plus
sensible aux dimensions autres que relations de travail, négociations et
contrôle financier, à toutes les autres dimensions?
M. Bernard: Je pense que, si vous procédiez au même
genre de réflexion que vous avez eue sur la partie ressources humaines
actuellement, si vous aviez une commission, par exemple, qui portait sur la
gestion dans son ensemble et le rôle du Conseil du trésor
là-dessus, autrement dit si vous l'examiniez comme vous avez
examiné la fonction publique, il y a beaucoup d'idées qui
viendraient sur le tapis. Il y aurait un cheminement, les gens verraient...
Parce qu'on est un peu l'esclave de la tradition. Le Conseil du trésor a
été créé trésor et, là, on essaie de
le transformer en gestionnaire. Alors, il y a une question de
l'évolution des mentalités, de voir la nouvelle
réalité, etc. On a besoin d'un débat là-dessus,
etc. Alors, ce que je vous suggère, c'est d'entreprendre, à un
moment donné, une réflexion en profondeur sur la réforme
de la loi de l'administration financière.
Le Président (M. Lemieux): M.. le député de
Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Tout d'abord, je veux, à mon tour, vous
féliciter de la tenue et de la teneur de votre mémoire. Vous
parlez d'imputabilité externe et je suis assez en accord avec cette
idée-là. Maintenant, lorsque vous parlez d'imputabilité
interne, je vous pose une question: L'entreprise privée a beaucoup
évolué, dans la dernière décennie, dans le domaine
des ressources humaines, de ce qu'on a appelé parfois, à
l'occasion, la gestion participative. Est-ce que vous pensez que, au niveau du
gouvernement, il y a suffisamment de consultations qui soient faites des
employés pour les associer, d'une certaine façon, les
responsabiliser davantage à leurs obligations? Parce que ma façon
de le comprendre, c'est que, s'il y a une imputabilité interne, bien, il
faudrait qu'il y ait des moyens de faire en sorte que les fonctionnaires de
première ligne, par exemple, soient entendus à l'interne sur ce
qu'ils constatent en faisant leur travail. Autrement dit, s'ils ne sont pas
assez responsabilisés, l'imputabilité risque de tourner court.
Est-ce que vous pensez qu'il y aurait du chemin à faire à cet
égard?
M. Bernard: Oui, je pense qu'il y a sûrement du chemin
à faire, mais, d'après moi, c'est plus une question de
système qu'une question de programmes comme tels Je pense que, tout
notre système n'étant pas suffisamment responsabilisé dans
son ensemble, les gens se sentent impuissants devant leur travail Alors, ils
l'accomplissent le mieux possible, mais ils n'ont pas l'incitation, disons,
à innover, à dépasser leur assignation, etc. Il n'y a pas
d'encouragement, comme on peut en trouver dans le secteur privé, en
termes de bonus, par exemple. Dans la fonction publique, on ne
récompense pas les bons coups et on ne punit pas le mauvais coups, en
général. Alors, c'est un mode de gestion complètement
différent. Alors, si on ne réussit pas à transformer cette
mentalité-là pour amener l'accent sur la qualité de la
gestion, là, il est presque impossible de mettre en oeuvre de nouvelles
techniques de motivation, par exemple, à l'intérieur d'un
système aussi dépersonnalisé, aussi non
responsabilisé que celui-là. Alors, moi, je ne pense pas qu'une
recette ou l'autre, un petit programme d'incitation ou quoi que ce soit
changerait globalement l'attitude des fonctionnaires vis-à-vis de leur
travail Ça ne veut pas dire qu'ils ne font pas un bon travail, mais on
n'a pas un système qui mène au dépassement.
Le Président (M. Lemieux): Merci. Ça va, M. le
député de Pointe-aux-Trembles?
M. Bernard: Si vous le permettez, M. le Président, sur la
question fondamentale: est ce qu'on peut distinguer la sphère
administrative de la sphère politique, etc. ?
Le Président (M. Lemieux): Oui.
M. Bernard: Je pense que les hommes politiques sont des gens
pratiques. Si on procédait progressivement, si on disait: Tentons
l'expérience, faisons une ou deux commissions parlementaires qui vont
mettre plus l'accent sur les questions administratives comme ça,
faisons-la, l'expérience, voyons s'il est possible de distinguer la
sphère politique et administrative, probablement que les débats
un peu théoriques, à savoir: Est ce que la responsabilité
ministérielle doit être "all inclusive" ou est-ce qu'il est
possible do la séparer, etc. ? perdraient un petit peu do lour
acuité et qu'on verrait plus, clans la pratique, qu'est-ce qu'il est
possible de faire.
Les commissions parlementaires apprendraient les limites, aussi, d'un
processus comme celui-là et les fonctionnaires apprendraient à
répondre parce que je peux vous dire que, dans la fonction publique, ce
n'est pas très populaire de parler d'imputabilité. Les hauts
fonctionnaires ne sont pas plus heureux qu'il ne le faut d'avoir à
témoigner devant les commissions parlementaires. Alors, vous n'avez pas
un mouvement spontané d'enthousiasme vis-à-vis de ces
choses-là.
Le Président (M. Lemieux): Ha, ha, ha! On ne frappe pas
aux portes.
M. Bernard: Et ça, cost parce qu'il y a une certaine
crainte. Comment ça va so passer? Où est-ce qu'on va se
retrouver, etc. ? Alors, il y a de l'expérience à faire de part
et d'autre. Si on y allait progressivement, tentons l'expérience, mais
allons-y sur une base déterminée; ne faisons pas une
séance et, après ça, une autre l'année suivante.
Faisons le un petit peu avec un continuum.
Le Président (M. Lemieux): M le député de
Pointeaux Trembles, votre question.
M. Bourdon: Ce que je voulais ajouter, c'est que je souscris
à ce que vous dites. Au niveau des parlementaires, les relations du
ministre avec l'Opposition sont d'une nature partisane, comme par
définition, et ça fait partie du système de
responsabilité, alors qu'en commission parlementaire, sur des questions
plus administratives, les lignes partisanes jouent moins parce que les
députés veulent savoir comment l'argent do la population ost
utilisé Par exemple, lors dos engagements financiers, on a eu une
séance où on s'interrogeait sur les 30 000 mallettes, valises et
autres contenants du secteur public.
M. Bernard: J'ai lu vos débats à l'occasion de mon
autre rapport Ha, ha, ha!
M. Bourdon: C'est ça. Mais, le fond de la question, c'est
qu'on n'a pas su à quoi servaient les mallettes et les valises. La
question n'est pas partisane, je veux dire.
Le Président (M. Lemieux): Ça viendra, ça
viendra, M. le député de Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: C'est ça. Ce que je veux dire par là,
c'est qu'il n'y a pas une façon du Parti québécois ou du
Parti libéral d'envisager l'usage des valises; il y a une question de
fait Et une question, peut-être, de plus d'enjeux. J'ai souvenir d'une
discussion qu'on a eue aussi sur les quelque 360 000 000 $ que le gouvernement
du Québec consacre chaque année à l'informatique. C'est un
gros bloc. Ce sont des questions qui méritent d'être poursuivies
parce que c'est un gros client, le gouvernement, pour 360 000 000 $ et comment
cela est-il géré? Au plan de la gestion, ça a des
conséquences importantes et, encore là, je peux difficilement
imaginer que ça devienne politique au sens large. Sauf ce que vous
disiez, que si ça fait trois ans que ça se pose, c'est
évident que, là, le débat va devenir un peu plus vif dans
le caucus ministériel.
Le Président (M. Lemieux): Ça va, M. le
député de Pointe-aux-Trembles?
M. Bourdon: Oui.
Le Président (M. Lemieux): Une petite question avant de
passer la parole au député de Saint-Louis. Vous dites que vous
êtes dans l'entreprise privée et, quand on regarde les grandes
compagnies, que ce soit chez vous, je pense, Laurentienne, Power, Bell,
privées ou publiques, on constate qu'il y a normalement, chez ces
compagnies-là, un vice-président aux finances. Et on retrouve
souvent aussi un vice-président aux ressources humaines, ce qui assure,
selon moi, une espèce de contrepoids et peut-être une
possibilité d'arbitrage entre les deux. Ce que je ne comprends pas de ce
que vous nous avez dit tout à l'heure, c'est pourquoi cette philosophie
de gestion-là ne vous semble peut-être pas tout à fait
applicable à la fonction publique. Ce que j'ai cru un petit peu
dénoter de vos propos.
M. Bernard: Moi, ce que je chercherais, ce serait un champion de
la gestion. Je voudrais avoir quelqu'un qui en fasse sa préoccupation
principale, la gestion dans son ensemble, la gestion de l'État en tant
qu'entreprise comme telle, et non pas simplement un champion de la gestion des
ressources humaines ou un champion de la gestion des ressources
financières. Je me cherche un champion do la gestion dans son ensemble.
Mais, dans l'entreprise privée, on ne fait que ça, de la gestion.
Alors, ce n'est pas la même chose. Toute l'équipe de la direction,
on fait tous ça, de la gestion, tandis que, dans le secteur public, on
fait beaucoup plus que la gestion. J'ai dit: L'État, c'est une
entreprise, mais ce n'est pas qu'une entreprise.
Le Président (M. Lemieux): Oui, j'ai vu ça.
(17 h 15)
M. Bernard: Dans l'entreprise privée, la gestion, c'est
tout. Dans la fonction publique, la gestion, c'est presque rien, je dirais,
pour exagérer un peu, en ce sens que, si on regarde notre processus
politique, on n'accorde pas beaucoup d'importance à la gestion comme
telle. On attache beaucoup d'importance aux objectifs politiques, etc., et
c'est normal et c'est correct que ça se fasse comme ça. Alors,
moi, je me cherche, à l'intérieur de l'appareil de l'État,
quelqu'un qui ferait de la bonne gestion, de la gestion dans son ensemble une
préoccupation constante. Je crains que, si on divise les
responsabilités de gestion, on perde ce centre nerveux. Alors, c'est
pour ça que je favorise...
Le Président (M. Lemieux): Merci. M. le
député de Saint-Louis.
M. Chagnon: Je pense que les membres des différents partis
politiques qui sont ici représentés autour de la table ont des
opinions qui peuvent varier sur la question de l'imputabilité. On a
cité M. Ryan qui s'est commis dans un grand texte, hier, à
l'ENAP. Il y a le député de Labelle qui n'est pas plus d'accord.
Mais c'est un peu normal que, dans chacun des partis politiques et aussi au
sein de la fonction publique, il y ait des hésitations quant à la
mise sur pied d'un programme d'imputabilité externe. Par exemple, le
député de Labelle, lui, une des choses qui l'avaient
traumatisé, qu'il nous a dit hier, c'était la commission sur la
Baie James, la façon dont ç'a procédé. Ça
lui a laissé, en tout cas, un goût amer. On n'était pas
là, sauf M. le député de La Prairie. Et, pour lui, c'est
ça, l'imputabilité. D'autres comme M. Bisaillon nous ont dit hier
soir qu'on devrait probablement penser à intégrer à la Loi
sur la fonction publique le plan de dotation de façon à pouvoir
questionner les hauts fonctionnaires sur le plan de dotation et les politiques
de dotation de chacun des ministères. On a aussi entendu d'autres
opinions, comme celle du Vérificateur général que vous
avez mentionnée à l'effet de questionner ce rapport du
Vérificateur général. S'il y a une séquence qui
doit être mise en place pour poursuivre les objectifs qui ont
été sous-jacents à la mise sur pied de la Loi sur la
fonction publique en 1983 et si l'imputabilité est cette séquence
suivante, est-ce qu'il y a, à l'intérieur de cette
séquence, des morceaux qui vous semblent prioritaires par lesquels
commencer? J'ai cru comprendre que le rapport du Vérificateur
général en était un, le rapport de l'ombudsman et le
rapport annuel des ministères ou des organismes. Enfin, c'est quoi,
la séquence dans votre cheminement logique, les morceaux avec
lesquels on pourrait même peut-être... Devrait-on les
intégrer à la loi?
Le Président (M. Lemieux): Et si, dans cette
séquence, M. Bernard, le haut de la pyramide, comme vous l'avez si bien
mentionné et comme vous le savez fort bien, n'est peut-être pas
tout à fait intéressé à une forme
d'imputabilité externe, que doit-on faire?
M. Bernard: Moi, j'espère que la commission va continuer
sur la lancée de ses travaux En fait, ce que vous faites actuellement,
c'est réfléchir sur le rôle des commissions parlementaires
dans l'ensemble du processus. Moi, ce que je vous suggère, c'est que
vous avez déjà, d'après le règlement, des
responsabilités à l'égard des organismes. Vous n'avez pas
de responsabilité dans le règlement actuel, à moins qu'il
ait été changé. Vous n'avez pas de responsabilité
vis-à-vis des ministères comme tels, mais vous avez une
responsabilité vis-à-vis des organismes. Alors, ce que je vous
suggère, c'est au moins d'exercer la juridiction que vous avez et,
à l'expérience, d'essayer de convaincre les gens que c'est une
bonne chose, pour que les gens soient moins craintifs à l'idée
que les fonctionnaires vont venir discuter avec les commissions parlementaires
de questions administratives. Et vous aurez l'expérience, vous direz:
Ça fait cinq réunions qu'on a et voici les résultats,
etc.
En ce qui concerne la séquence, il n'y a pas de séquence
comme telle, mais il y a une prudence. Il faudrait absolument avec vos
commissions, si vous voulez faire avancer les choses, que vous fassiez bien
attention à ne pas mêler les choses administratives et politiques.
Si votre point de départ, c'est qu'il est possible de les distinguer, il
faudrait que vous fassiez attention à ne pas les mêler, parce que
c'est très facile de les mêler. Alors, moi, c'est ça que
j'appelle les règles qu'il faut établir, un modus vivendi, les
règles plus ou moins tacites. Il y a des choses qui appartiennent
à la sphère politique et il y a des choses qui appartiennent
à la sphère administrative, et il y a une zone grise. Alors, en
termes de séquence, si vous voulez, j'essaierais d'éviter la zone
grise. Je me concentrerais sur des questions qui sont vraiment des questions
administratives Lorsqu'on sent qu'il y a une connotation politique qui se
développe, avoir la force de résister à entrer dans cette
voie-là. Il y a d'autres modes à l'intérieur de vos
procédures pour attaquer les problèmes politiques.
Le Président (M. Lemieux): En un mot, si on se fie au
droit parlementaire, vous nous dites: Créez donc des
précédents.
M. Bernard: C'est de créer des
précédents.
Le Président (M. Lemieux): C'est ça que vous nous
dites?
M. Bernard: C'est ça Exact.
Le Président (M. Lemieux): Ça va. M. le
député des Îles-de-la-Madeleine
M. Farrah: Merci, M. le Président. Ce qui est
intéressant au niveau de votre mémoire, je pense. Parce qu'il ne
faut pas se le cacher, on est à contre courant au niveau du haut de la
pyramide, au niveau des hauts fonctionnaires. Il y en a qui nous trouvent pas
mal courageux, il ne faut pas se le cacher, mais je pense que c'est notre
rôle aussi en tant que députés quand même. On ne veut
combattre personne, on veut améliorer le système. Personne ne
peut être, non plus contre l'objectif d'améliorer la
qualité, sauf que, dans votre dernière conclusion que vous venez
de faire, la zone, elle est mince dans le contexte partisan et ma crainte,
c'est qu'en commission tu peux débattre de façon bien objective
un tel point au niveau administratif; il ne faudrait pas arriver une heure plus
tard au niveau de la période des questions et qu'un ministre - excusez
l'expression - se fasse planter, entre guillemets, sur une question qui a
été posée au niveau administratif. Alors, je pense que je
comprends bien la nuance à faire. Il faut être très prudent
à ce niveau-là parce que ça peut mettre en péril
tout le reste de la réforme.
Également, j'aime bien le niveau pratique de votre
mémoire. Vous délimitez bien l'administratif parce que ça
va nous permettre peut-être de convaincre ces gens-là de ne pas
être inquiets. Vous délimitez de façon concrète et
pratique l'administratif du politique, et ça, je l'apprécie
beaucoup au niveau de notre mémoire.
D'autre part, tantôt vous avez parlé des primes
d'excellence, c'est-à-dire que ça n'existe pas ou peut-être
qu'on ne "focusse" pas assez sur l'excellence. Ici, à la commission, on
a rencontré la majorité des syndicats, sinon la totalité,
qui représentent les employés de la fonction publique et, de
façon unanime, les syndicats ont rejeté, par exemple, les primes
d'excellence, disant qu'eux aiment mieux récupérer, disons,
l'argent qui est voté pour cette fin et le répartir de
façon équitable entre la masse. Je pense que c'est une grosse
lacune au niveau de notre système. Ma question est la suivante: C'est
que d'un côté, on veut l'imputabilité, mais, d'autre part,
au niveau des hauts fonctionnaires, est-ce qu'il y a la marge de manoeuvre
nécessaire aussi pour les rendre imputables quand on parle de ces
conventions collectives là ou, par exemple, des primes d'excellence
qu'on refuse? Comment voyez-vous ça, vous, en tant que votre
expérience?
M. Bernard: Je vois ça comme une évolution longue
à faire. Je pense qu'on devrait recon-
naître le mérite dans la fonction publique. Mais si vous me
demandez comment on peut faire ça demain matin, je vais dire: C'est
impossible. C'est impossible parce que le système ne s'y prête
pas. Comment fait-on pour transformer un système? On ne peut pas faire
de révolution là-dedans. Il faut faire une évolution et
c'est par le développement d'un système d'imputabilité que
peu à peu on verra la nécessité de mettre l'accent sur
l'évaluation du mérite, de distinguer entre les bons et les moins
bons. Parce que, au fond, ce qu'on n'accepte pas dans la fonction publique,
c'est qu'il y a des bons et des moins bons. S'il y a des bonnes choses, il y a
des moins bonnes choses au point de vue gestion. Mais si vous alliez dans
l'entreprise privée et que vous ne faisiez aucune distinction entre les
bons et les pas bons, je veux dire, cette entreprise-là serait
vouée à la faillite. On ne considère jamais la
qualité des "outputs" dans la fonction publique. On ne considère
que la façon dont les biens sont acquis Prenez General Motors, par
exemple. Si vous vouliez juger General Motors en faisant simplement savoir
où ils achètent leur matériel et comment ils engagent leur
personnel et que vous ne faisiez aucune vérification sur la façon
dont ils utilisent leur personnel, la façon dont ils utilisent leur
matériel, la qualité des autos qu'ils construisent, la part de
marché qu'ils ont, etc., vous seriez complètement à
côté de la coche. Mais ce qu'on fait dans la fonction publique,
c'est qu'on met toute l'attention sur la façon dont on acquiert les
"inputs", mais on ne met aucune attention sur la qualité des
résultats. Alors, on ne changera pas ça du jour au lendemain.
Mais si on commence par responsabiliser les gens sur la qualité de leur
gestion, peu à peu on va entrer dans des questions comme: comment
fait-on pour motiver le personnel? Quand on rentre dans ça, il y a les
primes d'excellence, il y a les évaluations, il y a toutes sortes de
choses.
M. Farrah: Tout à fait juste, M. le Président.
Peut-être un dernier commentaire ou question. En tout cas, votre
mémoire est pratique. D'une part, il délimite très bien,
comme je l'ai dit, l'administratif avec la politique. D'autre part, pour
peut-être nous aider à défendre notre cause auprès
de la pyramide et des hauts fonctionnaires, vous ciblez très bien aussi
le problème de la résistance au changement au niveau des
organisations. C'est un principe de gestion, je pense, qui est tout à
fait juste et il faut l'expliquer. Dans ce sens-là, si on y va
graduellement, comme vous dites, ça peut faire en sorte
d'atténuer les peurs et je pense que c'est un principe qui est
très bon à appliquer.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député des Îles-de-la-Madeleine. Alors, une dernière
question, M. le député de La Prairie.
Ml. Lazure: M. Bernard, je ne peux pas vous laisser aller comme
ça sans avoir vos lumières. La question qui brûle toutes
nos lèvres: D'après vous, pourquoi les hauts fonctionnaires
sont-ils aussi réticents que ça? Vous les connaissez bien, vous,
M. Bernard. Pourquoi sont-ils aussi réticents que ça
vis-à-vis de l'imputabilité?
Le Président (M. Lemieux): C'est-à-dire à
comparaître devant les commissions parlementaires. Vis-à-vis de
l'imputabilité externe, il faut bien s'entendre.
M. Bernard: C'est la peur de l'inconnu, d'une part, et c'est le
souvenir de quelques commissions qui ont mis les fonctionnaires entre ce que
j'appelais l'arbre et l'écorce. Mais, par ailleurs, je dois vous dire
qu'il y en a plusieurs commissions, énormément plus,
peut-être 20 fois plus de commissions où les fonctionnaires ont
comparu et où ça s'est très bien passé: les
commissions sur Hydro-Québec, les commissions sur la SGF, les
commissions sur REXFOR. Il y en a eu énormément dont je me
rappelle, qui étaient des commissions très intéressantes,
qui n'ont pas mis les fonctionnaires mal à l'aise, qui ont
apporté beaucoup d'informations au public, etc. Alors,
évidemment, ces commissions-là, peut-être qu'on les a moins
à la mémoire et on se rappelle davantage les quelques-unes
où les fonctionnaires ont été mis dans des situations
inconfortables. Deuxièmement, personne n'aime vraiment à se faire
critiquer, à se faire examiner et à se faire pousser dans le
coin.
Une voix: Ils sont payés pour ça.
M. Bernard: Si on peut l'éviter, je veux dire,
normalement, personne ne court après ce genre de chose là.
Le Président (M. Lemieux): Nous vous remercions de votre
participation et de votre collaboration à cette commission
parlementaire. Nous allons suspendre environ trois minutes pour permettre
à M. Robert Pelley de bien vouloir prendre place...
Une voix:... ce matin
Le Président (M. Lemieux): Oh, pardon, M. Claude
Perron.
(Suspension de la séance à 17 h 27)
(Reprise à 17 h 34)
Le Président (M. Lemieux): La commission du budget et de
l'administration reprend ses travaux pour entendre M. Claude Perron. Bonjour,
M. Perron.
M. Perron (Claude): Bonjour.
Le Président (M. Lemieux): Nous allons vous
écouter. Vous avez 10 minutes pour l'exposé de votre
mémoire et suivra un échange entre les parlementaires dune
vingtaine de minutes, si nécessaire. Soyez bien à l'aise, vous
êtes chez vous dans cette grande maison. Le salon est assez grand, soyez
bien à l'aise, ne vous gênez pas si vous avez des questions
à nous poser. Allez-y, on vous écoute.
M. Claude Perron
M. Perron (Claude): D'accord. Mon nom est Claude Perron, je
travaille au ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche
depuis sept ans, dans le même corps d'emploi et pour le même
programme. Il s'agit du programme Jeunes Volontaires. Je tiens à
exprimer immédiatement ma nervosité, car je ne voudrais pas
être pénalisé pour avoir fait un témoignage ici.
Le Président (M. Lemieux): Je ne vois pas pourquoi vous le
seriez.
M. Perron (Claude): Nous autres, on est très nerveux et
vous allez voir pourquoi.
Le Président (M. Lemieux): Ça va.
M. Perron (Claude): Vous allez voir qu'on vit des situations pour
lesquelles il faut très souvent tourner notre langue sept fois. Je vais
vous parler de l'historique du programme, mon embauche, mes renouvellements de
contrat, ce que je vis comme faux occasionnel, ce que je vis aussi au niveau
personnel.
Au niveau de l'historique du programme, le programme a été
implanté à la suite d'une décision du Conseil des
ministres en mars 1983, à l'intérieur des autres mesures
d'employabilité du MMSR, du ministère de la Main-d'oeuvre et de
la Sécurité du revenu. Ce n'est qu'en novembre 1983, soit huit
mois plus tard, que le Secrétariat à la jeunesse et le ministre
de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu ont conjointement
mis sur pied le programme Jeunes Volontaires. Au départ, c'était
un programme spécifique d'une durée de trois ans avec un budget
annuel. La période est largement dépassée et c'est heureux
pour les jeunes démunis car ce programme répond à leurs
besoins. À noter que le programme Jeunes Volontaires est maintenant
rendu permanent par le ministère du Loisir, de la Chasse et de la
Pêche.
Lors de mon embauche initiale, j'ai eu une convocation en très
bonne et due forme, j'ai eu une entrevue de sélection, selon des
critères bien définis. On a fait une évaluation de mon
dossier et on a confirmé mon emploi. La seule chose que je n'ai pas
faite, cost Ig concours écrit.
Mes renouvellements de contrat. En vue des 10 renouvellements de contrat
de travail, mon employeur devait obligatoirement remplir une fiche de notation
positive. Vous avez eu quelques notations qui ont été remplies
selon les même règles que les employés permanents.
Ce que je vis comme faux occasionnel: insécurité
constante, particulièrement lors des changements de direction ou des
hautes autorités et lorsque je commets, comme tout le monde, ce qui est
permis, une erreur. Avec raison ou pas, j'ai la ferme conviction que je dois
toujours démontrer ma compétence et une forte capacité
d'adaptation au changement Je donne les meilleures années de ma vie
professionnelle. Je suis grand-père. J'ai 48 ans et plus j'avance en
âge, plus je réduis mes chances de réintégrer le
marché du travail si je perds mon emploi. J'ai travaillé au
niveau de la création d'emplois et on sait que, à mon âge,
les chances de réintégrer sont de 10 % à 15 %.
Des collègues, sachant que je venais témoigner ici, m'ont
demandé de vous transmettre ce qu'ils vivent aussi, et je les cite:
"Nous sommes réticents, à tort ou à raison, à
recourir à la procédure du grief, de crainte des
conséquences sur la durée de nos contrats de travail et des
conséquences futures." Ça répond à la question de
tantôt, au début. "Nous avons souvent l'impression que l'employeur
a tendance à nous utiliser au-delà du rendement normal.
Même après plusieurs évaluations positives, en suivant les
mêmes mécanismes prévus pour les employés
réguliers, nous avons des difficultés à obtenir des primes
de chef d'équipe, une année de perfectionnement, congé
pour fins d'études, etc. Nous nous sentons frustrés d'être
en probation d'une façon permanente. En d'autres mots, après
avoir démontré notre compétence pendant plusieurs
années, nous devenons insécures face à une
carrière, d'autant plus que les règles prévues à la
Loi sur la fonction publique ne facilitent nullement notre accès
à la permanence.
J'ai pensé, comme plusieurs, à chercher un emploi
ailleurs, mais j'aime mon travail et, en m'appuyant sur le fait que les
professionnels ayant cumulé plus de cinq ans de service ont obtenu leur
permanence ou sont en voie de l'obtenir, j'ai préféré
attendre les résultats de la présente négociation pour le
renouvellement de la convention collective à compter du 1er janvier
1990. Pour moi, ce sont des acquis récurrents puisque le gouvernement,
en agissant ainsi, respecte ses normes minimales qu'il impose aux employeurs
ayant dos employés de plus de cinq ans Actuellement, le Conseil du
trésor a autorisé la conversion des postes occasionnels en
permanents s'ils sont identifiés comme tels par ses administrateurs et
selon leurs critères. (Et mon poste vient d'être identifié
comme permanent. Je vais vous parler tantôt d'une directive du Conseil du
trésor par rapport à l'ouverture du poste) C'est inadmissible et
je suis aussi mal à l'aise. D'une part, si c'est moi qui suis choisi,
les
autres candidats affirmeront que c'était un concours bidon Si
c'est le contraire, je vivrai cela comme une injustice car depuis huit ans,
coux qui avaient plus de cinq ans de service ont été
titularisés, soit immédiatement à la signature d'une
convention collective - ça veut dire en 1983 - ou après avoir
passé avec succès un concours écrit et
réservé seulement pour eux, c'est-à-dire en 1986.
Précisons que le concours écrit n'est pas obligatoire pour
l'obtention d'un emploi permanent.
J'ai aussi démontré que j'ai été
embauché selon les mêmes règles que plusieurs permanents
et, dans les faits, le gouvernement reconnaît que j'occupe un emploi
permanent. Le gouvernement a donc fait une erreur en m'engageant comme
occasionnel et en me maintenant occasionnel dans un poste permanent. Je refuse
donc d'être pénalisé et, bien au contraire, je demande que
ma situation soit régularisée. C'est une question
d'équité sociale pour moi et pour tous les autres vivant la
même situation que moi.
Au niveau personnel, bien sûr, comme tout le monde, j'ai des
difficultés à planifier et à obtenir des engagements
financiers à moyen ou long terme. Par exemple, lors d'un achat de
maison, étant donné que nos contrats se renouvellent année
par année, les institutions financières s'engagent plus ou moins.
C'est aussi épuisant de toujours expliquer ma situation d'occasionnel
à ma famille, mes amis, mes confrères, y compris même mes
employeurs qui voudraient que je devienne permanent.
Hier soir, j'ai mis la main sur un article du Soleil, en 1982,
qui décrivait ta situation des occasionnels et, drôle de
coïncidence, c'est la même situation qui prévaut
actuellement, mais amplifiée de 400 % à 500 %. Je cite quelques
extraits: Les occasionnels, des défavorisés du système. Le
gouvernement du Québec compte à son service des milliers
d'employés occasionnels. Plusieurs de ces employés sont en train,
cependant, de devenir des occasionnels de carrière. Il se trouvait
même quelques rares oiseaux qui ont été embauchés
comme occasionnels durant plus de 10 ans. Maintenant, on on trouve de plus en
plus et une centaine de ceux-ci qui auront accumulé plus de trois ans
d'expérience dans la fonction publique au 1er avril.
Et, face à cette situation, la commission Bisaillon - vous en
avez parlé tantôt - soulignait son étonnement
vis-à-vis des dimensions du phénomène de l'engagement
d'employés occasionnels dans la fonction publique, indiquait
l'importance de se doter de meilleurs instruments d'évaluation des
candidats afin d'améliorer le processus de recrutement des occasionnels,
regrettait et déplorait en outre la situation de certains
employés occasionnels dont les contrats avaient été
renouvelés pour des périodes de 5, 10 et 15 ans sans avoir
donné suite aux recommandations du comité créé en
vertu de la lettre d'entente 18, et recommandait à ce moment-là,
afin de ne pas pénaliser les employés victimes de cette
dérogation ou réacceptables en matière de gestion des
effectifs de la fonction publique, l'intégration pure et simple des
employés occasionnels dont les contrats avaient été
renouvelés pour une période de plus de cinq ans, ce qui a
été fait en 1983, et l'ouverture de concours
réservés aux occasionnels dont le contrat avait été
renouvelé pour une période de plus de trois ans.
Tantôt, j'ai mentionné que M. Johnson a annoncé
qu'il aurait 3500 nouveaux postes. J'ai reçu, parce que le syndicat m'a
remis un communiqué de presse... Et M. Johnson dit ceci dans un
communiqué de presse de... (17 h 45)
Le Président (M. Lemieux): Est-ce le communiqué de
presse de Québec, 24 octobre 1990?
M. Perron (Claude): Oui, c'est ça.
Le Président (M. Lemieux): O. K. On a le même,
ça va.
M. Perron (Claude): Vous l'avez?
Le Président (M. Lemieux): Oui. Je voulais vous en parier
justement. Ça va.
M. Perron (Claude): Ce qu'il dit, c'est qu'il veut nous donner un
concours réservé.
Le Président (M. Lemieux): C'est ça.
M. Perron (Claude): Mais, par après, ce qui annule tout,
c'est qu'il dit que la décision du Conseil du trésor relative
à la tenue du concours réservé n'exempte pas les
sous-ministres ou les dirigeants d'organisme de favoriser l'utilisation des
ressources internes de la fonction publique pour combler les postes permanents.
Ça veut dire qu'on n'est pas assurés, même si on passe ce
concours là. Et, de plus, il ajoute - et c'est le comble: Si les postes
ne sont pas dotés à l'interne, ils pourront alors l'être
par des employés occasionnels ayant plus de cinq ans de service continu
dans un même ministère, un même emploi, un même corps
ou classe d'emploi, s'ils sont déclarés aptes à un
concours réservé ou - je dis bien "ou" par des personnes qui
auront réussi à des concours de recrutement publics. Alors, je ne
vois pas en quoi ce sont des concours réservés. Alors, moi, je
trouve que, si M. Johnson ne change pas sa directive, ça va être
indigne, indigne non seulement pour moi, mais pour au moins 300 personnes qui
sont dans la même situation que moi.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. Perron. Je
voulais justement, moi aussi... Écoutez, si je résume le sens de
votre intervention, c'est un problème qui est global, c'est le
problème relatif aux occasionnels. Ce que vous venez nous dire
devant cette commission se résume en peut-être trois mots, en cinq
mots: Je veux garder mon emploi. C'est ça que vous venez nous dire?
M. Perron (Claude): Je veux dire plus que ça. Je veux dire
que, si on avait corrigé la situation en 1983...
Le Président (M. Lemieux): Oui.
M. Perron (Claude):... on ne serait pas dans la situation
actuelle
Le Président (M. Lemieux): D'accord.
M. Perron (Claude): Et ce n'est pas on convertissant des postes
actuellement qu'on va régler le problème de fond, parce qu'on est
capable de contourner et ça se contourne depuis six ou sept ans. Je vous
ai lu un article en 1983.
Le Président (M. Lemieux): Oui.
M. Perron (Claude): Je trouve aussi que ce n'est pas respecter
les ententes, tout ce qui a été négocié avec le
syndicat en 1983. On vient de le dire ici, je lis quelques journaux, que c'est
illégal, les ententes de 30 à 36 mois. C'est illégal. Il y
a certaines ententes qu'on a eues, qu'on pensait, nous autres, avoir obtenues
et, là, c'est illégal, on n'est plus rien. On ne sait plus du
tout où on s'en va. Alors, moi, je dis... El si je calcule qu'il y a
3500 postes, ça veut dire qu'il y a à peu près 500
candidatures, à peu près 2 000 000 $ qui vont être
traités par les gestions de personnel, et, selon un chiffre que j'ai eu,
si on calcule 20 000 $, ça veut dire que ça coûterait
à peu près 70 000 000 $ pour convertir ces postes-là,
alors que M. Johnson vient de dire que ça ne coûtera pas une cent
de plus. Ce n'est pas vrai. Alors, je me dis: Comment ça se fait qu'on
est compétents.. Vous avez fait une enquête, la population,
à 90 %, a dit qu'elle est satisfaite des services; alors, pourquoi pas,
purement et simplement, comme ça s'est fait en 1983, nous
déclarer permanents, tout simplement, avec, je ne sais pas moi, une
déclaration d'aptitudes?
Le Président (M. Lemieux): Vous comprendrez que ce n'est
pas du pouvoir de la commission actuelle. Vous êtes bien conscient de
ça...
M. Perron (Claude): Oui, oui.
Le Président (M. Lemieux):.. que la commission du budget
et de l'administration n'a pas ce pouvoir-là.
M. Perron (Claude): Oui.
Le Président (M. Lemieux): Mais ce que vous nous dites,
c'est enregistré à la fois sur ruban magnétique et aussi
devant les membres de cette commission qui ont bien entendu vos
doléances au sujet du problème des occasionnels. Moi, tout ce que
je peux vous dire là-dessus, c'est qu'on en prend bonne note. M. Johnson
doit comparaître devant nous - c'est-à-dire non pas
comparaître mais témoigner; j'aime mieux le mot "témoigner"
que "comparaître" parce ce n'est pas tout à fait exact - doit
témoigner demain, je pense. Alors, on lui posera des questions,
effectivement, dans le sens de votre intervention relativement à ce
communiqué de presse. Est-ce que mes collègues ont des questions?
M. le député de Saint Louis ou M. le député de La
Prairie. Oui?
M. Chagnon: Je voudrais vous remercier du témoignage que
vous nous avez donné. Effectivement, ça remet en question une
partie de la problématique du cas des occasionnels. C'est un peu
difficile, vous comprendrez, pour les membres de cette commission de tenter de
réparer, peut-être, l'injustice qui aurait pu se faire pour une
personne, un individu dans le système. On essaie d'extrapoler la
problématique au niveau de l'ensemble de la question des occasionnels
et, dans ce cadre-là, bien, c'est un témoignage
intéressant et, M. le Président, je pense qu'il faudra en tenir
compte.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de Saint-Louis. M. le député de La
Prairie.
M. Lazure: Merci, M. le Président. Je pense que c'est un
témoignage qui souligne, encore une fois, parce qu'on en a eu d'autres,
le caractère complètement injuste qu'a pris cette embauche
d'occasionnels depuis quelques années. Et, moi, je note qu'on est tous
responsables de ça, peu importe le parti politique qui était au
pouvoir. Une mesure qui, en grande partie, a été inspirée
par la crise de 1981-1982. À ce moment-là, l'embauche
d'occasionnels faisait économiser à l'État un certain
montant d'argent puisque souvent les occasionnels n'avaient même pas les
avantages sociaux qu'ils ont maintenant aujourd'hui. Mais cette
mesure-là a été amplifiée, vous dites, 400 fois,
400 % ou 500 %, par rapport à 1983. C'est ça qui n'est pas
acceptable parce que, depuis 1983, il y a eu des années où ce
n'était pas des années de crise, au contraire, des années
d'expansion. Je pense qu'il va falloir que le gouvernement corrige cette
situation et le plus rapidement possible.
Nous avions reçu, les membres de la commission, le
communiqué du ministre responsable du Conseil du trésor et de la
fonction publique, ce midi. À première vue, surtout si on regarde
seulement le titre, c'est un communiqué qui paraissait une bonne
nouvelle pour les occasionnels puisque ça dit: M. Johnson annonce la
tenue de concours réservés à certains
employés occasionnels. Mais, M. le Président, je suis
obligé de dire que c'est quasiment un titre qui frise la fausse
représentation parce que, quand on lit, comme M. Perron l'a lait
tantôt, l'ensemble du communiqué, ce n'est pas vrai que c'est un
concours réservé seulement aux occasionnels, il ouvre toutes les
portes possibles. Il ouvre toutes les portes possibles, y compris la grande
porte du concours régulier de recrutement.
Nous, M. le Président, on trouve un peu beaucoup dommage que le
président du Conseil du trésor ait posé ce geste-là
aujourd'hui. Ça nous paraît un geste improvisé. Il me
semble qu'il aurait pu attendre quelques jours, au moins que la commission ait
fini ses séances, que nous ayons eu l'occasion, puisque nous le
rencontrons demain soir, à la clôture des travaux... Il aurait pu
attendre quelques jours. Il aurait pu aussi consulter, peut-être, les
syndicats. On me dit que les syndicats n'ont pas été
consultés du tout. Et on me dit, M. le Président - je termine
là-dessus - queles syndicats ont une délégation à
l'extérieur Alors, avec nos excuses, à vous, M. le
Président, et à nos collègues de la commission, ainsi
qu'à la personne qui vient par la suite, nous jugeons utile d'aller
écouter les doléances des syndiqués occasionnels ou
permanents en rapport avec ce communiqué de presse du président
du Conseil du trésor.
Nous regrettons de devoir interrompre les travaux de la commission
quelques minutes pour pouvoir aller entendre et écouter ce que les
syndiqués ont à dire de cette nouvelle directive.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de La Prairie. Alors, de consentement, nous allons
suspendre nos travaux. M. le député de La Prairie, cinq minutes,
ça va? Cinq minutes. Alors, nous reprendrons à 18 heures nos
travaux.
(Suspension de la séance à 17 h 53)
(Reprise à 18 h 5)
Le Président (M. Lemieux): À l'ordre, s'il vous
plaît! Alors, M. Perron, comme j'en ai fait état, on vous remercie
de votre collaboration. Nous sommes bien au fait et bien au courant du
problème généralisé du dossier des occasionnels et
on va attendre la suite des événements. On va voir ce que le
président du Conseil du trésor aura décidé sur cet
aspect.
Maintenant, je demanderais à M. Robert Pelley de bien vouloir
prendre place à la table des témoins, s'il vous plaît.
Bonjour, M. Pelley. Alors, comme je le dis souvent à chacun des
témoins, vous êtes ici chez vous. J'ai lu le début de votre
introduction et, pour un ex-fonctionnaire, je n'ai jamais eu l'impression
d'avoir eu la vie facile, d'être trop payé et de ne pas avoir
assez d'ouvrage. Mais c'est seulement une petite remarque. Ne la prenez pas de
façon mesquine et méchante là. D'ailleurs, j'ai bien
aimé le titre: "Comment faire danser un éléphant. " Moi,
j'aimerais savoir comment on peut pousser sur un éléphant un
petit peu.
Alors, voulez-vous vous identifier pour les fins d'enregistrement au
Journal des débats?
M. Robert Pelley M. Pelley (Robert): Oui.
Le Président (M. Lemieux): Vous avez 10 minutes et suivra
une période d'intervention entre les parlementaires.
M. Pelley: C'est Robert Pelley: Je vais faire une
présentation peut-être personnelle et non pas comme
représentant d'un groupe ou d'une organisation.
Je voudrais d'abord vous remercier, M. le Président, pour me
donner l'opportunité d'exprimer mon opinion là-dessus. J'aimerais
revenir, en forme de résumé, sur les points saillants du
mémoire que je vous ai déjà présenté.
Comme préambule, on doit d'abord souligner le danger de rester
confiné dans des stéréotypes de la fonction publique,
parce qu'il existe, ce danger. Il semble y avoir une vision folklorique qu'il
faut laisser de côté si on veut obtenir une qualité de
prestation jugée satisfaisante. J'ai été heureux de voir
le sondage qui est sorti récemment et qui dit que la vision folklorique
commence peut-être à disparaître. À mon avis et
après avoir comparé les fonctionnaires québécois
avec ceux d'autres pays, avec les militaires en principe bien motivés,
avec les gens de l'entreprise privée, j'arrive à la conclusion
que la fonction publique québécoise peut se comparer plus que
favorablement avec n'importe quel des secteurs mentionnés. À mon
sens, il s'agit d'un talent exceptionnel, mais parfois mal utilisé ou
mal exploité.
Dans un deuxième temps, dans mon mémoire, je
défends la thèse que des changements limités seulement
à la Loi sur la fonction publique en soi ne seront aucunement suffisants
pour obtenir l'efficacité du service à la clientèle et
l'imputabilité. La Loi sur la fonction publique doit être faite de
façon à ne pas empêcher qu'on ait l'efficacité.
Ça devrait peut-être donner une vision de l'avenir. Ça
devrait être facilitant. Mais ce n'est pas par le biais de la loi, parce
qu'on parle de changements dans cette loi-là, que nécessairement
on va être capables de faire tout ce qu'on veut faire. Cela vient du fait
que la Loi sur la fonction publique n'est qu'un encadrement parmi beaucoup
d'autres ayant autant, sinon plus d'impact. Cela vient aussi du fait que la
fonction publique n'est qu'un acteur parmi beaucoup d'autres. En somme, il ne
faut pas imputer à la Loi sur la fonction publique ni aux personnes
qu'elle régit toutes les fautes de la nation. Il faut
obligatoirement adopter une approche plus large.
Dans un troisième temps, j'ai cru bon de dire quelques mots sur
le modèle entreprise privée parce que ce modèle est
utilisé souvent et peut-être trop souvent comme
modèle-phare pour la fonction publique. D'une part, l'entreprise
privée a déjà eu sa part d'échecs. On voit des
études récentes qui indiquent que, dans une entreprise
québécoise type, pas moins de 25 % à 35 % du chiffre
d'affaires ne représentent que l'entreprise fantôme, du gaspillage
en somme. Donc, lorsqu'on reprend ça comme modèle, il faut
être capable de choisir les modèles qu'on veut utiliser.
Dans un quatrième temps, le mémoire que je vous ai
présenté tente de circonscrire ce que peuvent vouloir dire des
concepts tels que qualité, efficience et imputabilité. À
cet égard-là, je vous réfère aux pages 11 à
14 du mémoire. On pourra en parler plus tard, si vous voulez.
Cinquièmement, et c'est là la clé de mon
mémoire, je tente de suggérer des pistes d'action concrète
pour obtenir la qualité des services aux citoyens au moindre coût.
D'une part, j'ai essayé de tenir compte des facteurs que j'ai mentionnes
tantôt; j'essaie de tenir compte aussi de ce que j'ai pris en France, en
Angleterre, aux États-Unis, soit par des visites, des contacts ou des
lectures et aussi, dans mes suggestions, j'essaie de tenir compte de ce que
j'ai vu dans l'entreprise privée, principalement comme l'un des neuf
examinateurs nationaux pour le prix Canada pour l'excellence en affaires. J'ai
été nommé récemment sur le comité technique
du système de gestion de la qualité, de la "Canadian Standards
Association", qui se veut aussi une fenêtre sur des pratiques
internationales. En somme, il ne faudra pas qu'on soit en retard sur ce qui se
passe dans ces pays-là ni dans l'entreprise privée. Il faudrait
même que nous devenions, pour des raisons qu'on pourra discuter, à
toutes fins pratiques, un modèle pour ces organisations-là.
Les pistes d'action, il me semble, peuvent se résumer un peu
bêtement comme suit. Première piste, tout changement à la
Loi sur la fonction publique telle qu'on la connaît aujourd'hui devrait
avoir comme objectif strict de nous amener la gestion rationnelle
légale, c'est-à-dire bureaucratique, et la gestion mobilisante,
c'est-à-dire de nature à inciter l'engagement de l'ensemble du
personnel. La raison pour ça, c'est que, fondamentalement, la Loi sur la
fonction publique telle qu'elle est là n'est pas si bête que
ça. C'est une loi qui explique l'articulation des acteurs. C'est un
nombre de paramètres et ce n'est pas si pire que ça, mais les
changements qui doivent être faits après, c'est d'amener un autre
style de gestion et non pas dans la mécanique de gestion.
Deuxième piste, tout changement doit, paradoxalement,
revêtir un caractère permanent. Cela veut dire que l'action
entreprise doit être suffisamment ancrée dans un plan d'ensemble
pour no pas varier constamment avec tout changement de mode ou avec chaque
nouvelle arrivée de ministre, de sous-ministre ou de
président-directeur général.
Troisième piste, l'histoire ici et ailleurs démontre sans
équivoque que sans une volonté clairement exprimée et
l'engagement très visible des plus hautes autorités - je parle du
gouvernement - et ce, sans augmenter la bureaucratie ni la paperasse, le
véritable service à la clientèle efficace et
économe ne se fait à peu près pas ou, au mieux, meurt dans
un temps record. On a vu dans la fonction publique une vraie pléiade
d'actions ponctuelles dans différents ministères, des programmes
de toute nature. Le fameux programme de productivité, de performance aux
Travaux publics, ça, c'est parti. La rénovation qui est
déjà préconisée, on en parle beaucoup moins.
Quatrième piste, pour obtenir la qualité, il faut, comme
nous l'avons déjà dit, aller au-delà d'une simple
révision de la Loi sur la fonction publique. En effet, il faudra
plutôt penser en fonction d'un véritable projet d'entreprise au
niveau de chaque ministère et organisme, mais coordonné
centralement.
J'ajoute une nouvelle information qui n'est pas dans le mémoire
que je vous ai présenté Cette notion d'action dans chacun des
ministères et organismes, mais coordonnée centralement, on voit
ça, à titre d'exemple, dans l'approche américaine qui est
révélée par PExecutive Order 12 637" du 27 avril 1988.
C'est encore récent. Ce sont des nouvelles choses dont on parle. Chaque
département doit préparer un plan d'action qui englobera toutes
les fonctions du département d'ici 1991 et la coordination se fait par
l'Office of Management and Budget" Un rapport annuel de chaque
département va au président des États Unis Ce n'est pas
quelque chose qui s'en va dans un secretariat junior quelque part; ça va
au président. Ce rapport-là parle spécifiquement du plan
d'action et des résultats et on parle toujours de qualité. Ce
rapport au président forme la base d'un rapport annuel au
Congrès. On voit déjà, n'est-ce pas, l'embryon d'une
imputabilité intelligente.
Le modèle français ayant un historique plus long
réitère essentiellement le même cheminement via la
circulaire du 23 février 1989 - on parle encore d'hier - signée
par le premier ministre qui, lui-même, en tant qu'individu,
démontre une participation personnelle on ne peut plus visible à
cet égard.
Dans le cas québécois, il faudra alors que le virage parte
du niveau des plus hautes autorités, c'est-à-dire, quant à
moi, près du bureau du premier ministre et du Secrétaire
général du gouvernement. La coordination pourra, à titre
d'exemple, se faire par le secrétaire général
associé aux emplois supérieurs et, comme on dit, à
la réforme administrative.
Cinquième piste, le projet d'entreprise dans chaque
ministère et organisme doit débuter par une analyse qui
l'amène à redéfinir sa vocation, sa clientèle et
ses besoins, analyser son environnement, les acteurs clés et les
tendances, identifier ses propres forces et faiblesses, identifier les menaces
et opportunités à son fonctionnement et impliquer l'ensemble du
personnel. Cette première action, l'analyse stratégique de c'est
quoi le ministère, c'est quoi la société, c'est quoi la
régie en question, la commission, de dire: Pourquoi j'existe? Pour qui
j'existe? Quelles sont les choses qu'il faut que Je fasse? ça pourrait
être le premier élément sur lequel les autorités de
ce ministère doivent être imputables. Sans cette direction, Dieu
sait qu'on est sur le pilote automatique souvent.
Une fois le poids du Conseil exécutif bien focalisé et
cette première étape, celle de l'analyse stratégique
annuelle, complétée, un deuxième élément
serait de requérir de chaque sous-ministre un plan annuel
d'amélioration de la qualité. C'est-à-dire que ce plan
annuel serait le deuxième élément dont le sous-ministre
serait imputable et aura comme point de mire la chasse à la
non-qualité, ce qui est plus intelligent que la simple diminution des
coûts. À part ça, si la règle de 25 %, 35 % de
gaspillage qu'on volt dans l'entreprise privée s'applique le moindrement
à l'activité gouvernementale, le succès de la chasse
à la non-qualité veut dire, dans un certain sens, s'attaquer au
déficit annuel.
Septième piste, la démarche qualité totale, parce
que c'est de ça qu'on parle, est vue en France, aux États-Unis et
dans l'entreprise privée à la fois comme une démarche
philosophique et une démarche d'action. Il y a une foule d'outils et de
techniques éprouvés qui sont déjà disponibles. Ils
sont disponibles à la fonction publique. Dans mon mémoire, aux
pages 19 à 21, on voit la liste.
J'aimerais quand même souligner quelques éléments
clés: investissement en formation et perfectionnement qui dépasse
nettement la norme habituelle québécoise. Une
écoute-client extrêmement poussée. Implication accrue des
employés par une autonomie beaucoup plus large ainsi qu'un accent sur
l'autocontrôle. Le "management" participatif, pour ne pas dire
entrelacé, entre les clients, les fournisseurs et les employés.
On peut mentionner aussi qu'en France la notion de PPBS se modifie de
façon importante. Depuis 1985, les budgets globaux et non pas par
programme et élément de programme sont utilisés avec
succès au niveau des préfectures: En 1991, demain matin
quasiment, on doit étendre la globalisation des crédits de
fonctionnement à tous les ministères. Cette approche en France
d'avoir ce qu'on peut appeler un pot d'argent et non pas les transferts
où on retourne au Conseil du trésor pour en demander chaque fois,
cette notion est considérée comme étant un des
éléments clés.
Également, la notion de crédits périmés
semble s'éteindre graduellement en France pour être
remplacée par une budgétisation triennale avec transfert de
crédits non périmés à l'année
subséquente. Dans le mémoire que je vous ai
présenté, vous voyez ce que le premier ministre de France dit
à cet égard.
Huitième piste, une des idées clés du
mémoire concerne la vision que nous pouvons avoir du rôle du
fonctionnaire. Quand on parle de fonctionnaire, je parle de l'ensemble des
gens. Je ne parle pas simplement du commis de bureau, mais de tout le monde. Il
existe aujourd'hui une vision du fonctionnaire comme quelqu'un qui
représente l'administration dans les contacts avec les citoyens. Je
suggère, au fond, un changement radical d'approche ou d'esprit ou de
culture. Quant à moi, le rôle du fonctionnaire devrait être
inscrit dans nos moeurs et dans la loi comme étant celui qui
représente le citoyen auprès de l'administration. Autrement dit -
et je dis ça un peu bébétement - au lieu d'avoir des
cadres supérieurs qui vont botter le derrière des fonctionnaires,
les fonctionnaires vont botter le derrière des boss, si on ne leur donne
pas des mécanismes pour offrir les services. On voit ça dans
d'autres administrations, cette fonction-là. Et je ne parle pas de
relations de travail; je ne parle pas de conditions de travail, je parle de ce
sentiment de ce qu'on peut appeler le service public. Ça peut marcher
ailleurs, donc ça peut marcher ici. Il faudra quand même que cette
nouvelle vision s'accompagne d'une marge de manoeuvre et d'outils
appropriés.
Voilà, M. le Président, l'essentiel de mon mémoire.
Évidemment, l'autre document a plus d'exemples et plus d'autres choses.
Vous trouverez une foule de détails de concepts explicatifs dans le
mémoire en soi. J'avais déjà l'impression d'être un
peu osé, un peu trop avant-gardiste, mais je vois à la fois,
d'une part, notre déficit annuel, le coût de l'appareil
gouvernemental dans la structure de coûts de nos entreprises, le peu de
mobilisation des talents des employés de l'État et, d'autre part,
je vois le libre-échange, je vois la mondialisation des marchés,
l'Europe de 1992. Et je vous donne un exemple: je suis allé à
Bruxelles, l'année passée, au Centre technique et scientifique de
la construction. Et dans ce cas-là, on a vu la France, l'Allemagne, ces
pays-là se concerter pour produire des standards. (18 h 15)
Le Président (M. Lemieux): Est-ce que vous arrivez
à votre conclusion, M. Pelley?
M. Pelley: Oui. Il reste 30 secondes.
Le Président (M. Lemieux): O. K. Ça va.
M. Pelley: En somme, l'efficacité et l'im-
putabilité vont nettement au-delà d'une simple
révision des textes de loi et ça dépend de trois choses
que je vais nommer très rapidement: des "leaders" du plus haut niveau
qui donnent le signal de départ, qui fournissent des conditions
nourricières et demandent des comptes par rapport à un projet
partagé; des gestionnaires qui agissent promptement et incisivement
à l'intérieur de leur propre organisation; un personnel qui
retrouve la joie de vivre à l'intérieur d'un projet
partagé ayant comme vocation le service au client-citoyen et ayant comme
moyen la revalorisation du personnel lui-même.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. Pelley. On
remarque, à l'intérieur de votre mémoire, que vous
souhaitez peut-être redéfinir le rôle du fonctionnaire comme
celui qui représente le citoyen auprès de l'administration
plutôt que celui qui représente, je dirais, l'administration
auprès des citoyens. J'aurais peut-être rien qu'une petite
question: Est-ce que la répartition actuelle des responsabilités
en gestion des ressources humaines peut permettre de fournir, à votre
avis, au citoyen les services de qualité auxquels il a droit?
M. Pelley: Dans certains cas, oui. Je vois comme exemple ce qui
se passe à la Société de l'assurance automobile,
aujourd'hui. Je vois les changements qui ont été faits dans ce
caî là. Je vois qu'il y a un certain nombre de ministères,
actuellement, qui tentent... Au ministère, e du Revenu, même,
aussi déplaisant que ça puisse être de donner son argent,
bien, on soit quand même avec un sourire, relativement parlant. Donc, il
y a des choses qui peuvent être faites Par contre, on voit d'autres
administrations où le citoyen est encore un peu un dérangement
Dans d'autres cas, je pense qu'un problème fondamental qu'on rencontre,
c'est qu'on se concentre dans ces organisations-là sur ce qui se passe
au comptoir L'expression anglaise, c'est: "Service with a smile". Mais ce n'est
pas le sourire qui est important c'est, lorsqu'il y a quelqu'un au comptoir qui
doit servir la clientèle, toute l'administration gouvernementale en
amont de ça et c'est pour ça qu'on parle d'un projet
partagé. Vous savez, tout ce qui se passe en arrière du comptoir
doit aussi être réglé. Donc, ce n'est pas juste le
fonctionnaire qui est en contact avec le citoyen qui est important, mais tous
les autres, dans l'ensemble de l'organisation, pour permettre à cette
personne-là de le faire. Dans l'entreprise privée ou dans
l'administration gouvernementale, c'est un peu la même chose.
On le voit, en France. J'ai un exemple, j'ai parlé de ce qu'on
appelle la poste, la partie poste des PTT, en France. C'est une petite
organisation de 300 000 personnes et ces gens-là, même avec tout
ce qu'il y a de problèmes pour gérer 300 000 personnes, ont
été capables de se donner un projet partagé dans lequel
les em- ployés, même au plus bas niveau, se retrouvent. Donc,
c'est possible de le faire, mais a la condition, par exemple, qu'il y ait une
volonté au plus haut niveau de forcer et d'obliger les gens à
rendre compte. Et ça peut se faire.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie. Alors, est-ce
qu'il y a des questions? M. le député de La Prairie, vous avez
une question?
M. Lazure: Oui Juste un commentaire, M. le Président
Merci. Je veux féliciter M. Pelley d'avoir pris le temps et
l'énergie de nous produire ce document où il y a plusieurs
recommandations intéressantes, notamment à la page 24. Quand vous
parlez d'un PAAQ, plan annuel d'amélioration de la qualité, moi,
ça me rappelle des souvenirs. Au Secrétariat aux relations avec
les citoyens, nous avions initié ce genre de plan d'amélioration
des services à la clientèle pour chaque ministère, chaque
organisme. Et vous avez raison quand un peu plus loin, à la page 25,
vous dites: "Rendre l'imputabilité tangible en la reliant au plan de
modernisation (et son PAAQ) - son plan d'amélioration de la
qualité - et en la traduisant en attentes signifiées. " À
partir du moment où l'imputabilité qu'on voudrait pratiquer avec
les fonctionnaires, imputabilité externe autant qu'interne, est
accrochée à des choses concrètes comme un plan annuel, il
me semble qu'à ce moment-là il y aurait moins de
résistance. Peut être qu'on ne s'égarerait pas dans des
débats théoriques un peu futiles. Et, moi, je trouve que c'est
une série de recommandations, ensuite, celles que vous faites, qui
touchent la Loi sur la fonction publique et qui ont a peu près toutes
comme caractéristique le souci numéro 1, c'est-à dire le
souci de la qualité du service à la clientèle,
finalement.
M. Pelley: M. le député, dans le plan annuel dont
vous parlez, d'abord, il y a une pression par les plus hauts niveaux de dire
Faites le. c'est pour ça que vous êtes payés. Mais, on
même temps, pour les gens qui sont dans ce plan annuel... J'ai vu
à la Caisse des dépôts et consignations en France que, dans
le dernier compte, il y avait 150 groupes d'employés. Je n'oserai pas
dire cercles de qualité parce que c'est un mot qui n'est plus à
la mode en France, mais 150 groupes de travail basés sur les
fonctionnaires et les patrons qui travaillent ensemble pour régler 850
dysfonctionnements dans l'organisation. Ces dysfonctionnements-là
parlaient de coûts, de délais et d'accessibilité des
services aux citoyens. Donc, ça peut être quelque chose
d'extrêmement revalorisant pour les gens de la fonction publique eux
mêmes.
Le Président (M. Lemieux): Ça va, M. le
député ?
M. Lazure: Merci, M. Pelley.
Le Président (M. Lemieux): Nous vous remercions de votre
collaboration à cette commission parlementaire. Je demanderais
maintenant à MM. Claude Trudelle et Jean-Nil Boucher de bien vouloir
prendre place à la table des té. moins, s'il vous
plaît.
Vous avez 10 minutes pour l'exposé de votre mémoire. Je
vous demanderais, dans un premier temps, de bien vouloir vous identifier pour
les fins d'enregistrement du Journal des débats et nous vous
écoutons immédiatement après.
MM. Claude Trudelle et Jean-Nil Boucher
M. Trudelle (Claude): Bonjour à tous. Mon nom est Claude
Trudelle. Je suis étudiant à la maîtrise on relations
internationales à l'Université Laval et celui qui m'accompagne
est Jean Nil Boucher, étudiant au doctorat en sociologie à
l'Université Laval. On fait des représentations à titre
personnel parce qu'on connaît d'expérience, d'une part, et pour
l'avoir aussi étudiée de façon plus statistique la
situation des jeunes dans la fonction publique provinciale. Alors, le message
qu'on vient livrer à la commission ce soir est relativement simple. Il
s'agit simplement de prendre conscience, d'une part, que les jeunes de moins de
30 ans sont sous-représentés actuellement dans la fonction
publique du Québec, ce qui n'est quand même pas insignifiant comme
phénomène et, en conséquence, que des mesures importantes
doivent être prises pour corriger cette situation-là dans les
années qui viennent si on ne veut pas assister à un
vieillissement accéléré des effectifs de la fonction
publique québécoise. Alors, Jean-Nil, qui est ici, va
élaborer un peu plus l'argumentation et donner les jalons de la
réflexion qui nous mène à cette conclusion.
Le Président (M. Lemieux): C'est à vous,
monsieur.
M. Boucher (Jean-Nil): Donc, l'aspect que je traite, c'est
l'emploi des jeunes dans la fonction publique. On sait qu'en
général la situation des jeunes au Québec est assez
déplorable. Les jeunes vivent un paquet de facteurs adverses qui leur
rend particulièrement difficile de trouver un emploi et
d'améliorer leur situation socio-économique Par exemple,
aussitôt qu'il y a des compressions budgétaires, ce sont les
jeunes habituellement qui sont visés parce que, quand il y a des
compressions budgétaires, ce sont les derniers arrivés,
finalement, qui sont pénalisés et, en majorité, ce sont
des jeunes. Même chose, on demande de l'expérience de travail,
mais, comme les jeunes n'en ont pas, la situation n'est pas facile pour eux.
Globalement, on pourrait dire que, depuis 10 ans, le marché du travail
se divise comme en deux groupes: il y a les 35 ans et plus qui ont une certaine
sécurité d'emploi, qui ont réussi à trouver des
emplois enviables et un assez bon salaire et, par contre, il y a les 35 ans et
moins qui vivent des conditions beaucoup moins favorables avec de moins bons
salaires.
Ça, c'est un phénomène qu'on peut retrouver
à peu près partout. Par exemple, l'an dernier, moi,
j'étais au cégep et, quel que soit le département, on
pouvait voir qu'il y avait des professeurs de 30 ans et moins environ qui, eux,
avaient une petite expérience de travail, qui avaient déjà
travaillé avant dans d'autres cégeps et qui étaient
là à titre de chargés de cours. Par contre, il y avait,
par exemple, des professeurs de 40 ou 50 ans qui étaient là, eux,
depuis 20 ans et, eux, avaient la permanence. Quels que soient les secteurs
d'emploi qu'on regarde, c'est un phénomène assez massif, je
crois, et d'une grande évidence qu'il y a une segmentation du
marché du travail, une sorte de division entre plus vieux et plus
jeunes. (18 h 30)
Le taux de chômage des jeunes de moins de 30 ans est à peu
près le double de celui des adultes. Ce n'est pas comme tel un nouveau
phénomène, parce que, même en 1970, on pouvait remarquer
que, déjà, le chômage des jeunes était à peu
près le double de celui des adultes, mais ce qui a changé depuis
ce temps-là, c'est qu'en 1970 le jeune pouvait espérer un jour
améliorer sa situation. Il pouvait partir d'une "jobine", mais, à
un moment donné, réussir à trouver un bon emploi, puis,
finalement, cheminer vers une carrière, tandis qu'aujourd'hui c'est
ça qui n'est pas possible. L'avenir n'est plus radieux pour les jeunes
parce qu'on passe d'une "jobine" à l'autre et d'une misère
à l'autre, finalement.
On peut regarder, par exemple, le curriculum d'un jeune de 25 ans; il va
y avoir 15 expériences de travail dans son curriculum: trois mois comme
chauffeur de taxi, six mois comme serveur de restaurant, quatre mois plongeur
et ainsi de suite. Ce sont toutes des expériences, finalement, qui ne
sont pas pertinentes. En plus, ça amène une situation dans le
style... On dirait qu'il existe comme une sorte de "bumping" que les jeunes se
font les uns et les autres. Étant donné que ceux-là qui
sont instruits n'ont souvent pas d'emploi au niveau de leur instruction, Ils
vont chercher des emplois qui demandent peu de compétence, de sorte
qu'eux autres ils sont surcompétents dans ces emplois-là.
D'accord?
Par exemple, j'ai déjà travaillé dans un
hôtel comme réceptionniste. Moi, j'avais une maîtrise en
sociologie, puis, là, je me suis enquis pour voir la situation des
autres. Il y en a un qui avait un baccalauréat en droit, un autre un
baccalauréat en théologie, un autre un baccalauréat en
musique, qui jouait du violon, ainsi de suite. Tout ça pour être
réceptionniste alors qu'on n'a môme pas besoin d'un secondaire III
pour être réceptionniste. O. K. ? Étant donné
qu'il
n'y a pas d'emploi pour les plus instruits à la mesure de leur
compétence, ceux-là qui ne sont pas instruits, ils se font
prendre leurs emplois par ceux-là qui sont plus instruits. Finalement,
les moins instruits, eux, se retrouvent sur le bien-être social, par
exemple.
À la limite, si la tendance se maintient comme ça, on
pourrait croire qu'avant longtemps ça va prendre un doctorat pour
devenir laveur de vaisselle. J'exagère un peu, mais c'est cette
tendance-là, en tout cas, qui est en train de se développer
depuis une dizaine d'années. Cette situation-là est
générale, puis on peut dire que c'est un problème
structurel, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de solution immédiate
visible pour le contrer. C'est simplement l'évolution du Québec
depuis 30 ans qui est comme responsable de cette situation-là.
C'est-à-dire que, dans la période de prospérité des
. années soixante et soixante-dix, il y avait beaucoup de
création d'emplois et les jeunes de cette époque-là ont pu
trouver des emplois, mais, aujourd'hui, 20 ans plus tard, ces anciens
jeunes-là ont 40 ou 50 ans et ce sont ceux-là qui occupent des
emplois enviables, tandis que les jeunes, eux, se retrouvent dans une situation
où il y a peu d'emplois pour eux.
Donc, la difficulté que vivent les jeunes, c'est un
problème général et structurel qui ne peut pas changer
facilement et qui se retrouve à tous les niveaux dans la
société. C'est donc normal que cette tendance-là se
retrouve aussi dans la fonction publique provinciale. Mais ce qu'il est
surprenant de constater, c'est que, dans la fonction publique
particulièrement, la tendance est plus accentuée qu'ailleurs,
c'est-à-dire que, quand on regardo lu niveau do jeunes qu'il y a dans la
fonction publique provinciale, on s'aper çoit que les jeunes sont
sous-représentés. Il faudrait qu'il y ait quatre fois plus de
jeunes dans la fonction publique pour être simplement au même
niveau, pour être représentatif de ce qui existe de Jeunes dans la
société québécoise.
Est-ce que ce phénomène-là du nombre restreint de
jeunes dans la fonction publique provinciale est inévitable? Pas
nécessairement parce que, quand on regarde les chiffres, on
s'aperçoit que, dans la fonction publique fédérale, le
nombre de jeunes de moins de 30 ans est supérieur quand même
à celui de la fonction publique provinciale. Deuxièmement, on
constate que le clivage selon l'âge se retrouve dans la différence
selon les âges, c'est-à dire que, en majorité les 35 ans et
moins ont un statut précaire dans la fonction publique alors qu'en
majorité les 35 ans et plus ont un statut per manent.
Enfin, ce phénomène a pour conséquence le
vieillissement des effectifs de la fonction publique. On prévoit qu'en
l'an 2000, la moitié des fonctionnaires auront 45 ans et plus. Est-ce
désirable? D'après moi, il y a des mesures qui pourraient
être prises actuellement pour tenter d'introduire le plus possible du
sang neuf dans la fonction publique. Ce qu'on propose finalement, c'est une
sorte de politique de discrimination positive à l'embauche des jeunes
dans la fonction publique Sur les 50 000 fonctionnaires actuels, si on regarde
les chiffres des dernières années, il y a entre 1000 et 1500
nouveaux employés qui sont embauchés chaque année. Or, il
serait possible qu'une politique de discrimination positive aux jeunes tente de
les embaucher pour tenter de réduire le problème. Parce qu'il y a
le problème, d'une part, que le taux de chômage est très
élevé chez les jeunes; si au moins on pouvait croire que la
fonction publique fait son possible pour essayer d'intégrer une partie
de ces jeunes dans sa fonction publique. Par ailleurs, on sait que la fonction
publique est en train do vieillir; donc ce serait un atout pour elle d'injecter
des jeunes pour, du moins, diminuer la tendance au vieillissement.
Le Président (M. Lemieux): Votre con elusion, s'il vous
plaît.
M. Boucher: Oui. La conclusion, finalement, c'est qu'il me semble
qu'il serait désirable que le gouvernement du Québec et les
centrales syndicales s'entendent pour s'associer au-delà de leurs
idéologies et de leurs intérêts particuliers pour tenter de
favoriser l'embauche des jeunes dans la fonction publique tant que c'est
possible. Parce que, à date, il ne semble pas qu'il y ait de politique
favorable comme telle aux jeunes, alors que c'est quand même une
catégorie défavorisée. Merci.
Le Président (M. Lemieux): Je vous romorcio do votre
mémoire, d'avoir posé ce problèmo, parce que,
effectivement, cela en est un, c'en est un pour les jeunes. Peut-être que
le problème d'accès à la fonction publique en est un pour
l'ensemble des citoyens au Québec. Le député de
Prévost me faisait un... Vous avez une question, M. le
député de Prévost? Le député de
Prévost me faisait remarquer quelque chose tout à l'heure; alors,
je vais lui faire poser se question tout de suite. M. le député
de Prévost.
M. Forget: Je voudrais vous féliciter d'avoir
présenté ce mémoire et surtout d'avoir mis beaucoup
l'accent au niveau des jeunes. Vous avez soulevé quand même un
point très important. C'est tout nouveau de s'entendre au niveau des
centrales syndicales. Vous n'êtes pas les seuls au Québec, on sait
qu'il y a des problèmes au niveau des jeunes. Remarquez bien, je suis
fermier; au niveau de la relève agricole, il y a beaucoup de
problèmes au niveau des jeunes. Mais je pense qu'on a fait un bon bout
de chemin au niveau des jeunes.
Au niveau de la fonction publique, ça semble qu'il n'y a pas
grand-chose qui a été fait. Et puis de quelle façon
voyez-vous ça, vous autres, qu'on pourrait s'asseoir avec les
centrales
syndicales pour pouvoir négocier une façon pour impliquer
davantage les jeunes? J'aimerais ça vous entendre.
Le Président (M. Lemieux): Est ce qu'il y a des moyens
pour la régler, cette situation, chez vous - vous avez établi la
prémisse, vous nous avez identifié le problème - autrement
que d'avoir à nous dire, encore une fois, une politique de
discrimination positive? On en a partout.
M. Boucher: Oui. D'après moi, il n'y a pas de raison
immédiate, obligatoire pour laquelle le gouvernement ou les centrales
syndicales peuvent désirer qu'il y ait un ajout de jeunes dans la
fonction publique. Le gouvernement, quand II embauche quelqu'un, ce qu'il
cherche, ce sont des compétences. Les syndicats, ce qu'ils cherchent,
c'est à défendre les intérêts de leurs membres. Il
faudrait qu'il y ait comme une sorte de désir ou une volonté,
mais sans obligation, en fait, d'embaucher des jeunes. Il faut qu'il y ait une
espèce de volonté de "partnership"...
Le Président (M. Lemieux): Une dynamique qui est
nécessaire à vos yeux?
M. Boucher: Oui.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Prévost, vous voulez continuer?
M. Forget: C'est la mécanique vers où, vous dans
votre petite tête, vous pensez qu'on devrait s'orienter. La
mécanique pour déclencher, c'est quoi, vous pensez?
Le Président (M. Lemieux): Dites ça comme si vous
étiez dans votre salon.
M. Boucher: II est grand aujourd'hui.
Le Président (M. Lemieux): Oui, il est grand aujourd'hui.
Il n'y a pas beaucoup de gens. Dites ça simplement Vous savez, on est
tous concernés. Le député de Saint-Louis a de jeunes
enfants. Le député de Prévost. Moi, j'en ai une de 19 ans.
C'est pareil de l'autre côté. Il y a seulement le
député de Limoilou qui n'a pas commencé, mais son effort
va venir à un moment donné. On est en famille. Dites-nous
ça, si vous avez une solution concrète et pratique.
M. Trudelle: Je pense que vous savez très bien que vous
touchez là la vraie question à poser. On ne les a pas, les
solutions et les réponses à ça. Ce n'est pas la
réflexion qu'on a faite, premièrement parce qu'on n'est pas
experts de la fonction publique et encore moins des négociations de
convention collective, parce que c'est là que ça se joue.
Le Président (M. Lemieux): Vous venez de nous dire qu'il y
a une difficulté pour les jeunes à entrer dans la fonction
publique.
M. Trudelle: Tout à fait.
Le Président (M. Lemieux): Vous constatez un taux de
vieillissement des effectifs et vous nous dites: Faites quelque chose pour
ça. C'est ça, le message que vous nous passez.
M. Boucher: Concrètement...
Le Président (M. Lemieux): Oui, concrètement.
M. Boucher:... on ne sait pas. On l'a cherché et on ne l'a
pas trouvé. Alors...
Le Président (M. Lemieux): Bon. O. K.
M. Boucher: Ça ne semble pas évident par quel
mécanisme ce serait. Tout ce que je trouvais à dire - vous avez
raison, c'est facile, tout le monde le dit - c'est une politique de
discrimination positive.
Une voix: Oui.
M. Boucher: Bien oui. C'est la solution miracle, ça. C'est
facile à dire. Mais concrètement qu'est-ce que ça pourait
être d'autre que ça quand on a le choix entre une personne de 40
ans et une autre de 20?
Le Président (M. Lemieux): Je pense qu'il peut y avoir,
à mon avis, d'autres solutions que ça. Peut-être une
spécificité plus particulière au niveau de l'enseignement
qui se donne dans nos universités par rapport au monde du travail, y
compris le monde de la fonction publique. Vous savez, quand, dans mon bureau de
comté, moi, je reçois quelqu'un qui a un doctorat en
anthropologie, ça a beau être le meilleur chasseur de lions au
monde, je n'en ai pas de lions à tuer dans la région de
Québec, c'est difficile pour moi de lui trouver quelque chose. Alors, il
y a peut-être le secteur universitaire, les syndicats et tout le
gouvernement. Je pense que ce que je dois retenir de votre message, en ce qui
me concerne personnellement, c'est qu'on va avoir à faire un effort de
concertation. Là-dessus, je passe la parole au jeune
député de Limoilou.
M. Després: Merci, M. le Président. C'est un petit
peu ça, je pense, avec le message que vous nous laissez, un message
qu'on a déjà entendu, c'est très bien parce que vous
êtes tous les deux étudiants, je pense, un au doctorat en
sociologie et un autre au niveau de la maîtrise, M. Trudelle.
M. Boucher: Oui.
M. Després: Je comprends très bien le message que
vous nous laissez. Ce qui devient plus difficile pour nous, avec les programmes
d'accès à l'égalité, que ce soit pour les
communautés culturelles, que ce soit pour les femmes, les jeunes, les
personnes handicapées et avec le peu de postes de permanence qui
augmentent dans la fonction publique. C'est un peu ça, nous aussi, qu'on
cherche, quelles sont les mesures concrètes que l'on peut mettre de
l'avant ou qu'on peut modifier pour, justement, favoriser
l'accessibilité des jeunes dans la fonction publique. Je vous laisse
tout simplement en vous disant: Si vous en avez, de ces mesures-là -
parce que les auditions continuent cette semaine et que nous aurons des travaux
pour faire un rapport de recommandations auprès du ministre
concerné - ne vous gênez pas pour venir nous livrer des mesures
particulières qui pourraient justement favoriser ces
jeunes-là.
Il y a une chose... Vous avez mis, effectivement, beaucoup d'accent sur
cette jeunesse-là. J'aimerais savoir la part... Est-ce que vous avez des
données, soit vous, M. Trudelle, ou M. Boucher qui êtes en
sociologie... Quelle est la part de l'emploi des jeunes dans la fonction
publique? Nous, on a la donnée, là-dessus, mais par rapport
à d'autres secteurs d'emploi ou à d'autres secteurs
d'activité: l'industrie de la construction, l'industrie de la
restauration, le secteur privé, les services professionnels,
l'entreprise privée. Je ne sais pas si vous avez des données
là-dessus, si vous vous êtes penchés là-dessus.
M. Trudelle: Oui, tout à fait. Ça fait partie des
éléments qu'on a considérés. Je ne sais pas si M.
le Président accepterait ou jugerait à propos qu'on distribue aux
membres présents de la commission le document que j'ai remis tout
à l'heure à M. Major.
Le Président (M. Lemieux): Oui. Il n'y a pas d'objection.
J'autorise le dépôt.
M. Trudelle: II s'agit d'un tableau qui présente
clairement et justement quelle est la part relative des jeunes dans
l'administration publique provinciale quand on compare avec la part qu'ils
détiennent dans d'autres secteurs économiques. Vous allez
réaliser, à la lecture de ce tableau-là, qu'en 1987 il y
avait dans la fonction publique provinciale quatre fois moins de jeunes que
dans les autres secteurs économiques, enfin, que dans l'ensemble de
l'économie O. K. ? Ce que nous montre le tableau intitulé:
"Indice de représentation des jeunes dans certains sous-secteurs, pour
l'année 1987", à l'item "Administration provinciale", le
quatrième avant-dernier, on peut lire: 0, 27. Ce qui signifie qu'il y
avait, dans la fonction publique provinciale, quatre fois moins de jeunes que
dans l'ensemble de l'économie. C'est ça que ça veut dire,
le vieillissement de la fonction publique.
Une voix: Oui
M. Trudelle: C'est comme ça que ça s'illustre et se
manifeste. C'est comme ça que ça s'observe. Et si on n'a pas,
aujourd'hui, les solutions miracle, si je peux dire, ou toutes faites, c'est
parce qu'on sait très bien qu'elles n'existent pas. Et les
négociateurs syndicaux le savent très bien aussi qu'elles ne sont
pas données, ces solutions-là. Elles sont à se faire. Et
je pense que c'est effectivement dans la concertation entre les parties qu'on
trouvera éventuellement un mécanisme qui permettra
d'intégrer davantage de jeunes de moins de 30 ans dans la fonction
publique provinciale. Sauf qu'en attendant il faut quand même le dire. Et
ce message-là, je pense qu'il est important parce que la fonction
publique a un rôle social important à jouer, un rôle
sociopolitique et un rôle socio-économique à jouer dans
l'ensemble de la société. Et, lorsqu'elle ne reflète plus
la société qu'elle a la responsabilité de
réglementer, je m'excuse, mais on est devant un problème
sérieux. (18 h 45)
M. Boucher: Je pense que ce que veut dire mon collègue, M.
Trudelle. c'est que c'est vrai que, globalement, dans la société,
il y a un problème pour l'emploi des jeunes et c'est normal que ce
problème se reflète dans la fonction publique, qu'il y ait
relativement peu de jeunes qui soient embauchés. Il y a un scandale
parce que non seulement les jeunes ont de la misère globalement, mais
c'est encore pire dans la fonction publique. La fonction publique provinciale
est à peu près le pire employeur pour les jeunes de la
province.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Saint-Louis.
M. Chagnon: II y a un dénominateur commun dans votre
tableau qui est saisissant. Plus l'indice de représentation des jeunes
dans certains sous-secteurs est bas, plus ce sous secteur est syndiqué.
C'est vrai, premièrement, pour le plus bas, l'administration
provinciale...
Le Président (M. Lemieux): Je ne sais pas si vous avez
remarqué.
M. Chagnon: suivi de l'éducation, suivi de
l'administration fédérale, suivi des services médicaux et
sociaux. Quand on tombe dans des sous-secteurs qui sont moins syndiqués,
là. on voit une décompression qui passe de 1, 28 à 2,
1.
M. Boucher: Et où les salaires sont moins bons,
j'ajouterais, c'est un deuxième critère, ça. Plus les
salaires sont bons, moins il va y avoir
de jeunes.
M. Chagnon: Sûrement.
M. Trudelle: Cette sous-syndicalisation, si on peut dire, de
certains secteurs où les jeunes sont surreprésentés..
Enfin, on s'entend sur le phénomène dont il est question
M. Chagnon: On s'aperçoit que ce n'est pas la faute aux
syndicats. On s'aperçoit que, dans ce dénominateur commun qui est
le fait que plus le secteur est syndiqué, moins on retrouve de jeunes,
c'est que c'est aussi des secteurs où plus le secteur est
syndiqué, plus on y a amené la sécurité d'emploi,
donc une mobilité moins grande de la main-d'oeuvre. Finalement, il y a
moins d'entrées.
M. Boucher: C'est évident que c'est un effet pervers qui
s'est produit, disons, mais qui joue à rencontre des jeunes. Il n'y a
pas de coupable, mais il y a des victimes, par exemple, au
phénomène.
Le Président (M. Lemieux): On comprend très bien le
sens de votre mémoire. Tout comme vous, on n'est pas pour la perversion,
du moins, pas sur cette terre. Je ne sais pas ce que ça peut donner
ailleurs, mais, en tout cas, pas sur cette terre et on est sensibles à
vos préoccupations. On veut que vous le sachiez, on est vraiment
très sensibles et préoccupés. On ne vous dit pas que la
commission n'attachera pas une importance peut-être toute
particulière à cet aspect dans ses recommandations,
effectivement. Alors, on vous remercie de votre participation et je veux que
vous sachiez que, à mes yeux, elle est des plus positives. Je ne sais
pas si mes collègues ont d'autres commentaires. Ça va. Oui, un
petit commentaire.
M. Beaulne: Oui, simplement un petit commentaire de conclusion.
Je pense que ce mémoire ost important et on devrait en tenir compte,
d'autant plus que, dos doux côtés de la Chambre, on
s'évertue à promouvoir l'accessibilité des jeunes sur le
marché du travail. Je pense que ceux qui devraient commencer par en
donner l'exemple, c'est la fonction publique du Québec.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de Bertrand. Alors, je demanderais maintenant à M.
Guy Leroux de bien vouloir prendre place à la table des témoins.
Nous vous remercions. À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, nous
reprenons nos travaux et nous demandons à M. Guy Leroux de bien vouloir
prendre place à la table des témoins, s'il vous plaît.
Alors, M. Leroux, vous avez 10 minutes pour l'exposé de votre
mémoire et suivra une période de questions, si nécessaire,
avec les membres de cette commission.
M. Leroux (Guy): Messieurs de la commission...
Le Président (M. Lemieux): Voulez-vous vous identifier
pour les fins du...
M. Guy Leroux
M. Leroux: Oui, Guy Leroux, agent de bureau. Messieurs de la
commission, le gouvernement du Québec a décidé de tenir
des commissions parlementaires sur l'opportunité de maintenir ou
d'amender la Loi sur la fonction publique. À mon sens, il est plus que
temps qu'une commission, éclairée de l'opinion des citoyens
québécois, se penche sérieusement sur la Loi sur la
fonction publique. J'invite donc la commission à prendre connaissance
des éléments que j'entends proposer dans le but
d'améliorer la Loi sur la fonction publique.
D'abord, le service au public, les relations patrons-employés.
Alors, le service au public n'est pas assuré par des automates et,
à mon avis, la Loi sur la fonction publique a créé
suffisamment de ressentiment chez les fonctionnaires au point de les
démotiver. En fait, ce n'est pas avec des raisonnements ou des textes de
loi du genre: "L'employé doit obéissance et politesse à
son supérieur" qu'on peut créer un climat de confiance propice
à l'accomplissement du travail des employés.
C'est vrai qu'une relation d'autorité de type "line" et non de
type "staff", donc de type d'autorité, régit les rapports
patrons-employés. Mais un style de gestion autoritaire et
dégradant qui considère les employés comme des
demeurés plutôt qu'une richesse humaine à exploiter ne
pourra jamais contribuer à une amélioration du service au
public.
Certains peuvent conclure que la majorité des gestionnaires sont
plutôt âgés, n'ont pas reçu une formation
adéquate, n'ont pas passé de concours à leur entrée
on fonction. En fait, je ne suis pas capable de me prononcer sur ces
affirmations, mais, par contre, une chose est certaine, la commission doit
s'interroger au plus haut point sur l'absence de jeunes gestionnaires de moins
de 35 ans. Alors, la structure de la loi actuelle ne permet pas de corriger
cette lacune et le service au public en écope. Elle ne permet pas de
corriger cette lacune due au fait de la promotion sans concours, en fait. Il
est évident que les années d'expérience compensent pour un
diplôme universitaire, mais il n'en reste pas moins, à mon sens,
que la haute bureaucratie est peut-être devenue une chasse gardée
pour ceux qui sont déjà là, peut-être trop.
Concernant les méthodes de travail, le service au public ne sera
pas amélioré si les employés ont le sentiment de
travailler dans une atmosphère de répression. Pire, à mon
avis, des
modifications à la loi qui feraient que chaque aspect du travail
d'un employé pourrait être soumis à des sanctions ou
à des mesures disciplinaires enlèveraient toute initiative
à l'employé. Il faut amender la Loi sur la fonction publique et
non pas la laisser telle quelle pour y retirer tous les articles ou les aspects
les plus dégradants et y substituer un texte de loi ayant une vision
moderne du travail.
Alors, le mot clé, à mon sens, c'est très clair, ce
doit être la qualité de vie au travail. À mon avis,
celle-ci est inexistante ou, pour le moins, insuffisante dans la fonction
publique.
La commission s'intéresse sûrement aux travaux des
sociologues modernes américains par exemple, Maslow qui ont
montré le lien essentiel entre la productivité et la
qualité de vie au travail, et la désuétude de la
hiérarchisation et de la parcellisation du travail parce que, en fait,
on s'intéresse, ici, à savoir si les effectifs humains sont
productifs et, finalement, si on en a pour notre argent, si on veut.
Alors, l'enrichissement des tâches (offrir davantage de
responsabilités) et l'élargissement des tâches (offrir une
plus grande variété de tâches) composent l'essentiel de la
qualité de vie au travail, et non pas tout le temps faire la même
chose, le même travail ennuyant sous une hiérarchisation qui, en
fait, est trop lourde, à mon sens.
Concernant la dotation des emplois, la promotion sans concours permet la
pire corruption, à mon sens C'est, du moins, l'avis émis par le
rapport de la Commission de la fonction publique qui pense que la
sélection du personnel "s'exerce selon les préférences des
décideurs et souvent sans relation apparente avec la compétence
du candidat". À mon sens, encore là, ça revient à
la question de la promotion sans concours. Si on n'a pas de promotion sans
concours, il est difficile d'aller chercher dans le public les personnes les
plus compétentes à effectuer les tâches.
Donc, je recommande à la commission du budget et de
l'administration de modifier la Loi sur la fonction publique pour atteindre les
objectifs suivants. On pourrait en énumérer plusieurs, mais je
vais quand même me restreindre un peu. Alors, cesser la corruption
permise par l'article 42 de la Loi sur la fonction publique qui permet la
promotion sans concours, abolir ce type de promotion. Ensuite, s'assurer que la
compétence s'avère le seul critère d'embauché et de
promotion, sauf, évidemment, en ce qui a trait aux restrictions en
faveur des femmes, des handicapés, des minorités. Pour la
discrimination positive, il y a toujours de la place à ce
sujet-là. La discrimination positive, ce nest pas lié à la
promotion sans concours, c'est aller chercher dans le public. Établir
des lignes de conduite pour que, s'ils existent, les liens de parenté,
même les liens sexuels ou les liens filiaux, ne puissent jouer un
rôle dans l'embauche ou la sélection du personnel. Modifier un
cadre de gestion, à mon avis, périmé qui sert à
protéger la machine bureaucratique, c'est-à-dire les hauts
fonctionnaires plutôt que de viser le service au public et les relations
de travail. Mettre l'accent sur un dialogue, une communication entre les
gestionnaires et les employés, comme c'est recommandé par les
sociologue modernes. Ces objectifs s'atteignent par des politiques de
qualité de vie au travail et la suppression des articles
répressifs de la Loi sur la fonction publique Intéresser de
jeunes gestionnaires acquis aux méthodes modernes de travail à
s'engager dans la fonction publique. Des jeunes qui sont diplômés
d'université.
Alors, à mon avis, l'intention qui se cache derrière la
Loi sur la fonction publique n'est pas la bonne intention. L'intention qui
devrait être derrière la Loi sur la fonction publique, c'est une
approche confiante et positive, si on veut, dans l'être humain.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie. Vous nous
dites qu'il faut amender la Loi sur la fonction publique pour en retirer les
articles et certains aspects dégradants de la loi. À part la
promotion sans concours, dont vous demandez l'abolition, soit l'article 42,
à quels autres aspects dégradants faites-vous
référence dans la Loi sur la fonction publique?
M. Leroux: Disons que, concernant, si on veut, l'embauche, on a
parlé de l'embauche, par exemple, des jeunes. Il est évident que,
si on ne va pas chercher dans le public le personnel dont on a besoin, en
quelque sorte, on protège toujours les mêmes hauts fonctionnaires.
Et ces hauts fonctionnaires-là, avec la promotion sans concours, sont
capables, si on veut, d'ouvrir des concours qui sont pour eux-mêmes.
Alors, en ce sens-là, on en arrive à une certaine chasse
gardée, si on veut.
Le Président (M. Lemieux): Est-ce que c'est le seul
élément dégradant dans la loi, à vos yeux? C'est le
seul article dont vous demanderiez l'abolition complète?
M. Leroux: C'est sûr qu'il y a eu d'autres personnes qui se
sont présentées devant cette commission pour présenter, si
on veut, une vision peut-être un peu plus positive. Par exemple, on a
parlé de différents styles de gestion. Moi, je n'ai pas
nécessairement envie, ce soir, de les présenter parce que ce
n'est pas à moi de le faire, mais il n'en reste pas moins que c'est
certainement l'aspect le plus important à enlever: la promotion sans
concours.
Le Président (M. Lemieux): Vous faites état aussi,
dans une partie de votre mémoire, si je me souviens bien, que la
structure de la loi actuelle ne permet pas de corriger une lacune à
l'effet
qu'il y aurait une absence de jeunes gestionnaires.
M. Leroux: Oui.
Le Président (M. Lemieux): J'aimerais savoir de vous quel
type de lacune vous vise/ quand vous faites état de ça C'est
quoi, ces lacunes là?
M. Leroux: C'est parce que, si on veut, avec le fait que l'Office
des ressources humaines ne soit pas tenu, si on veut, d'aller en chercher dans
le public, on en arrive à une situation indirecte où, comment
dirais-je, on compense par les années d'expérience la
compétence nécessaire pour exercer un emploi. Moi, je ne suis pas
contre le fait que la compétence soit aussi valable qu'un diplôme
universitaire, mais si on fait les promotions qui sont sans concours,
finalement, vous avez ceux qui sont toujours là. C'est ça qui est
le problème, ce sont ceux qui sont toujours là qui, finalement,
vont se donner des promotions. C'est indirect, mais c'est ça.
Le Président (M. Lemieux): Seriez-vous pour qu'on on
arrive à une recommandation à l'effet quo lus fonctionnaires ne
pourraient plus participer aux concours de recrutement?
M. Leroux: Non. Par contre, je serais à l'effet qu'on
devrait aller en chercher davantage dans le public.
Le Président (M. Lemieux): Pour aller en chercher davantage dans
le public, si on exclut les fonctionnaires, si on exclut la participation des
fonctionnaires à des concours de recrutement...
M. Leroux: On n'est peut-être pas obligé, M.
Lemieux, d'aller si loin. Mais si un concours est offert, il n'est pas
obligé de ne l'être que dans la fonction publique. C'est ça
qui est le problème. Une promotion n'est pas obligée d'être
offerte seulement dans la fonction publique. C'est ça, le fameux
problème.
Le Président (M. Lemieux): O. K. Ça va.
M. Leroux: Elle peut être offerte au grand public
aussi.
Le Président (M. Lemieux): Ça va. M. le
député de Bertrand.
M. Beaulne: J'ai une question qui me venait à l'esprit en
vous écoutant parler. Une question, d'ailleurs, qui vient de
l'expérience que certaines personnes ont portée à mon
attention. Vous dites que vous voulez abolir la promotion sans concours. Moi,
et j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, j'ai entendu dire à
plusieurs reprises que, même là où il y avait des concours,
souvent c'étaient des concours bidon, dans le sens où on
traficotait les exigences et on rédigeait ça de façon
à ce que des individus qu'on avait déjà en tête
cadrent parfaitement dans la description de tâches ou dans la description
des exigences et que, de fait même, c'était une façon
détournée d'aboutir au même résultat qu'une
promotion sans concours. Alors, j'aimerais que vous me fassiez part de vos
commentaires là-dessus.
M. Leroux: Je suis parfaitement d'accord avec ce que vous dites.
Effectivement, on peut rédiger un concours qui va servir uniquement
comme parure à nommer une personne. Je suis parfaitement d'accord avec
ça. Et c'est un peu ce dont je parle quand je parle de l'attitude, de la
mentalité, si on veut. C'est sûr que les hauts gestionnaires se
disent: On peut aller en chercher dans le public. Mais la loi nous permet
également soit de rédiger un concours ou même d'aller
à la promotion sans concours. Et, entre autres, les zones
géographiques, ça, je n'en ai pas parlé, ça peut
être une autre restriction. Au point où toutes les restrictions
deviennent tellement lourdes qu'on nomme la personne qu'on désire.
Là, vous avez raison quand vous dites qu'on rédige un concours
qui sert seulement à nommer une personne qu'on a choisie d'avance. Mais,
moi, je pense qu'effectivement si on n'en arrivait qu'à ce point, ce
serait déjà une énorme amélioration par rapport
à une porte ouverte à la corruption encore plus grande. Mais,
éventuellement, il faut en arriver simplement que si on... Si on veut
restreindre par des normes géographiques, parce que c'est la personne
qui a le plus d'années d'expérience, finalement, le terme de
compétence devient complètement désuet. C'est ça,
la question. Le terme compétence devient complètement
désuet. Et le grand public n'a absolument pas accès à la
fonction publique qui devient une chasse gardée. Après, on
s'interroge pour quoi faire que les fonctionnaires, par exemple, sont plus
âgés. C'est sûr, c'est une chasse gardée.
Le Président (M. Lemieux): Ça va, M. le
député de Bertrand?
M. Beaulne: Oui.
Le Président (M. Lemieux): Et si on y ajoute les exigences
additionnelles au corps d'emploi, on comprend que vous avez en très
grande partie raison. Nous vous remercions, M. Leroux, de votre participation
à cette commission parlementaire et de l'intérêt que vous
avez démontré.
M. Leroux: Merci.
Le Président (M. Lemieux): Et on prend bonne note de vos
commentaires.
M. Leroux: Merci, monsieur.
Le Président (M. Lemieux): Je demanderais maintenant
à M. Michel Robichaud, s'il est ici, de vouloir... Alors, on me dit que
M. Robichaud est absent. Nous devons ajourner nos travaux à demain, je
crois, 10 heures. Je vous remercie et nous ajournons nos travaux à
demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 19 h 3)