Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
(Neuf heures quarante-trois minutes)
Le Président (M. Lemieux): La commission du budget et de
l'administration est réunie pour la durée d'une séance
afin de tenir des consultations particulières sur le financement des
compagnies mutuelles d'assurance du Québec. M. le secrétaire,
est-ce qu'il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Non, M. le Président, il n'y a pas
de remplacement pour la séance.
Le Président (M. Lemieux): Vous avez tous reçu une
copie de l'ordre du jour. L'ordre du jour, tel qu'établi après
entente entre les groupes parlementaires, se lit comme suit: à 9 h 30,
les remarques préliminaires; à 10 heures, nous allons entendre la
Corporation du Groupe La Laurentienne; puis, à 11 h 30, le groupe de
travail sur le financement des mutuelles; à 13 heures, il y aura
suspension. Nous reprendrons nos travaux à 15 h 30, pour entendre M.
Denis Moffet; à 17 heures, l'Association canadienne des compagnies
d'assurance de personnes inc. Par après, nous ajournerons nos travaux.
Est-ce que l'ordre du jour est adopté?
Des voix: Adopté.
Le Président (M. Lemieux): Adopté. Adopté,
M. le député de Gouin?
M. Boisclair: Oui, adopté.
Le Président (M. Lemieux): Oui. Alors, je vous rappelle
les règles d'audition telles que convenues entre les groupes
parlementaires. La période des déclarations d'ouverture durera 30
minutes: 15 minutes pour Mme la ministre, 15 minutes pour le porte-parole de
l'Opposition. La durée totale de l'audition de tous les organismes
entendus aujourd'hui sera d'une heure trente minutes, soit 30 minutes pour
l'exposé du mémoire et 60 minutes pour les échanges avec
les parlementaires, dont 30 minutes pour le groupe parlementaire formant le
gouvernement et 30 minutes pour l'Opposition. Le temps de parole des
députés sera de 10 minutes en respectant la règle de
l'alternance dans les interventions.
Déclarations d'ouverture
J'inviterais Mme la ministre à bien vouloir entreprendre sa
déclaration d'ouverture, s'il vous plaît.
Mme Louise Robic
Mme Robic: Merci, M. le Président. Au cours de la
dernière année, dans la foulée du dépôt du
premier rapport quinquennal sur l'application de la Loi sur les assurances, les
membres de cette commission ont eu l'occasion d'entendre un certain nombre
d'intervenants qui sont venus exprimer leur point de vue et porter à la
connaissance des parlementaires leurs préoccupations en rapport avec le
secteur de l'assurance. Aujourd'hui, c'est avec grand intérêt que
nous nous retrouvons afin d'échanger avec certains d'entre eux sur une
question qui m'ap-paraît être de toute première importance
pour le secteur québécois de l'assurance. Il s'agit du
financement des compagnies mutuelles d'assurance de personnes à charte
du Québec.
D'entrée de jeu, M. le Président, il convient de souligner
et, ce, de façon très claire, qu'il n'existe actuellement ni
difficulté réelle, ni problème de sous-capitalisation dans
nos compagnies mutuelles d'assurance de personnes québécoises.
Elles sont, en effet, toutes des institutions financières solides et
crédibles. Il ne doit y avoir aucun malentendu dans l'esprit de ceux et
de celles qui, nous entendant discuter de capitalisation, de recherche de
capitaux, de normes de solvabilité ou encore de termes techniques comme
de double comptage du capital et de traitement de l'achalandage, pourraient
être portés à tirer des conclusions erronées n'ayant
aucun rapport avec la réalité.
Nos compagnies mutuelles d'assurance sont fortes, M. le
Président. Elles contrôlent des milliards de dollars d'actifs.
Elles ont le capital nécessaire pour opérer et le public peut
donc transiger sans crainte avec elles. Elles font, en outre, l'objet d'un
contrôle et d'une surveillance diligente de la part des autorités
publiques du Québec.
J'invite néanmoins tous ceux qui participeront aux discussions
à l'occasion de cette séance de la commission à faire
preuve d'une certaine mesure dans les propos qu'ils tiendront. Cette retenue
témoignera du souci que nous avons tous de ne pas affecter, par
mégarde, la confiance témoignée par le public à
l'endroit des institutions financières et, de façon
particulière, des compagnies mutuelles d'assurance
québécoises. Il nous faut, en effet, éviter des
conséquences aussi regrettables qu'inutiles à l'occasion de
discussions qui se veulent constructives.
Cela dit, M. le Président, l'attitude que nous devrions adopter
aujourd'hui aux fins des travaux de cette commission, en est une de grande
ouverture d'esprit. Quant à moi, je suis
fermement décidée à témoigner, une fois de
plus, de ma volonté de fournir au secteur de l'assurance
québécoise et, en particulier, aux compagnies mutuelles
d'assurance de personnes, les moyens nécessaires pour poursuivre leur
croissance et leur développement.
M. le Président, des modifications progressistes à la Loi
sur les assurances au cours des dernières années ont traduit la
volonté bien arrêtée du gouvernement du Québec
d'assurer le développement des assureurs québécois et, par
la môme occasion, de l'économie du Québec en
général. Ces amendements législatifs ont permis aussi de
consolider leur situation financière, notamment par une saine
diversification de leurs activités qui, associées à une
diversification géographique améliorée, ont assuré
à nos assureurs des revenus plus stables.
C'est avec un enthousiasme tout caractéristique que certains
dirigeants visionnaires de compagnies mutuelles d'assurance de personnes, dont
l'audace n'avait d'égale que leur détermination, ont su utiliser
les nouveaux pouvoirs que le législateur leur avait accordés.
Aujourd'hui, au Québec, plusieurs conglomérats financiers, avec
à leur tête une mutuelle d'assurance, regroupent des institutions
diverses. Au 31 décembre 1989, l'actif total des mutuelles
représentait 69 % de l'actif de l'ensemble des assureurs de personnes
à charte du Québec.
M. le Président, vous me permettrez de vous rappeler qu'une
mutuelle, c'est fondamentalement un ensemble de personnes qui choisissent de
mettre en commun leurs ressources et qui se regroupent pour s'offrir des
produits ou des services selon des règles et des principes de
fonctionnement démocratiques. En matière d'assurance, ces
personnes, les mutualistes, sont les porteurs de polices émises par la
mutuelle. Ils sont les créanciers de la mutuelle, mais ils en sont aussi
les propriétaires car le concept de mutualité leur
réserve, à eux et à leurs ayants droit, la
propriété d'une portion de son avoir.
Cette structure de fonctionnement, mondialement reconnue d'ailleurs, a
généralement bien servi ceux qui, au Canada, ont choisi d'y
recourir. Au Québec, particulièrement, le mutua-lisme et la
coopération sont des concepts qui ont permis le développement
sous contrôle québécois d'institutions financières
prestigieuses. Qu'on se réfère ici au groupe La Laurentienne et
à L'Industrielle-Alliance dont nous entendrons les représentants
durant cette séance, au groupe Coopérants et au Mouvement
Desjardins.
Il ne saurait être question, M. le Président, que le
gouvernement renie de si fières formules qui ont servi de support au
développement remarquable qu'ont connu certaines de nos plus grandes
institutions financières québécoises. Au contraire, je
suis la première à reconnaître la viabilité du
mutualisme et de la coopération et la vitalité qui
caractérise ces deux réalités. Or, M. le Président,
force nous est de constater que les entreprises issues du mutualisme
connaissent des limites structurelles qui, en dépit de la bonne
volonté de leurs dirigeants, ne peuvent échapper à
certaines réalités financières. Mais, avant d'aborder cet
aspect, vous me permettrez, M. le Président, de vous exposer
brièvement certaines considérations susceptibles de mettre le
tout en perspective.
Vous n'êtes pas sans ignorer que le gouvernement libéral
dont je fais partie préconise pour ses Institutions financières
une politique d'ouverture sur le monde et de présence accrue sur les
marchés nationaux et internationaux. Au cours des dernières
années, nous avons connu un mouvement important de libéralisation
des échanges. Des accords internationaux, tels l'accord sur le
libre-échange entre le Canada et les États-Unis ainsi que
l'avènement de ce que plusieurs Européens considèrent
déjà comme le nouveau centre économique du monde, l'Europe
de 1992, sont autant de facteurs susceptibles d'infuencer sensiblement
l'environnement global ainsi que les stratégies de développement
de nos assureurs. Plusieurs d'entre eux sont déjà
propriétaires d'entreprises d'assurances dans d'autres provinces
canadiennes et certains autres ont en outre connu une diversification
internationale.
M. le Président, les nôtres ont bien fait à
l'extérieur de nos frontières et c'est ce qui me procure la
conviction que le dynamisme prudent démontré par nos politiques
n'est certainement pas incompatible avec la volonté qui nous anime de
favoriser l'expansion de nos assureurs sur de nouveaux marchés.
L'internationalisation des échanges et la mondialisation des
affaires sont pour moi, M. le Président, des tendances qui ouvrent des
possibilités remarquables de croissance pour des organisations bien
structurées et financièrement solides. Or, la croissance
économique, même si elle constitue une des assises les plus
fondamentales des politiques défendues par notre gouvernement
libéral n'est cependant pas tout, spécialement dans le domaine
des institutions financières. Notre préoccupation première
sera toujours de protéger le public dont les dépôts et les
épargnes ajoutent aux ressources des institutions financières et
les rendent capables d'avancer aux personnes et aux entreprises qui en ont
besoin le crédit si essentiel au fonctionnement de l'économie. En
ce sens, et comme cela a été annoncé dans le rapport
quinquennal sur l'application de la Loi sur les assurances, que j'ai
déposé en juin 1990, le gouvernement sera amené à
mettre en place des normes de capital pour nos assureurs.
Comme vous le savez, les institutions financières sont
appelées à contracter des engagements et des obligations envers
leur clientèle dans une mesure beaucoup plus considérable que
celle que les marchés bancaires ou de valeurs sont disposés
à accepter des autres
types d'entreprises commerciales. Dans des conditions normales, une
entreprise commerciale n'est tout simplement pas admise par ses banquiers
à s'endetter jusqu'à concurrence de ce qui est courant pour une
institution financière. Pour ces dernières, il est normal de leur
reconnaître un plus grand effet de levier par rapport au capital dont
elles disposent puisque essentiellement, leur commerce réside dans le
fait de contracter des dettes et engagements envers le public, que ce soit sous
forme de dépôt pour les institutions qui en acceptent ou dans le
cas des assureurs par l'émission de polices.
Dans ces circonstances, M. le Président, les gouvernements
doivent être extrêmement prudents dans la définition de
normes visant à établir le niveau adéquat de capital que
les institutions financières ont à maintenir, de même que
dans la surveillance des fluctuations de ce capital. Il s'agit là de la
plus élémentaire protection que nous puissions accorder aux
consommateurs des produits et services offerts par nos institutions
financières. Cette composante d'une politique cohérente de
protection du public que représentent les normes de capital est donc
tout à fait essentielle. C'est pourquoi on la retrouve aujourd'hui dans
la plupart des grandes économies industrialisées sous une forme
plus ou moins élaborée, selon les juridictions.
Il faut dire, par ailleurs, que l'aspect de la protection du public
n'est pas le seul à considérer dans la mise en place de normes de
suffisance et de composition du capital. En effet, un tel processus de
normalisation est tout aussi nécessaire pour les assureurs
eux-mêmes puisque ce sont ces normes qui guideront les consommateurs dans
le choix de l'institution avec laquelle ils feront affaire. Ces normes
serviront également de guide aux analystes financiers qui seront
appelés à apprécier et à coter la qualité
des titres émis par les institutions. Elles influenceront en outre les
investisseurs auprès desquels les assureurs désireux de lever des
capitaux devront générer une confiance et un attrait
suffisant.
Bref, M. le Président, les normes de capital représentent
incontestablement une mesure qui sert autant les intérêts des
institutions que du public. J'ajouterais que la mondialisation des
échanges commande que les normes mises en place soient d'une
qualité que je qualifierai d'internationale. Elles doivent, en effet,
dégager cette crédibilité qui est si importante pour le
financement des assureurs québécois et, en particulier, de nos
compagnies mutuelles d'assurance. Il importe que le Québec se mette au
diapason international sur ce plan.
Un autre phénomène qui m'apparaît pertinent aux fins
de nos travaux d'aujourd'hui, c'est l'accroissement de la concurrence à
laquelle nos assureurs auront à faire face au cours des prochaines
années. Foncièrement, la concurrence est bénéfique
au public et c'est pourquoi nous cherchons par nos politiques à la
promouvoir dans toute la mesure du possible. Pour ne citer qu'un exemple
récent, je vous rappellerai que, dans le cadre des dernières
modifications à la Loi sur les assurances, nous avons donné la
possibilité aux non-résidents d'incorporer des compagnies
d'assurances au Québec. Cette mesure illustre autant notre politique
d'ouverture sur le monde que notre visée de promouvoir une saine
concurrence au profit du consommateur québécois. Envisagée
sous l'angle de l'industrie elle-même, cette concurrence nouvelle oblige
donc nos assureurs à être plus conscients de leur
compétitivité. Elle les incite à rechercher l'atteinte
d'une taille suffisante, une masse critique qui leur promette de
réaliser des économies d'échelle, d'améliorer la
distribution de leurs produits et de réaliser des investissements plus
substantiels, dans des infrastructures informatiques, notamment. Pour atteindre
cette masse critique si essentielle à leur entreprise, les compagnies
mutuelles d'assurance de personnes, en particulier, doivent donc pouvoir
accéder à des bassins de capitaux importants. De là, nos
interrogations sur la suffisance de leur capacité de financement.
M. le Président, les trois éléments auxquels je
viens de me référer, soit la libéralisation des
échanges, la nécessité d'établir des normes de
qualité internationale et l'accroissement de la concurrence constituent
autant de paramètres que nous devrons forcément considérer
dans notre évaluation de la gamme et de l'étendue des mesures
à prendre pour favoriser la capitalisation des compagnies mutuelles
d'assurance de personnes au Québec.
Mais pourquoi, me direz-vous, M. le Président, devons-nous
maintenant nous pencher sur cette question? Les moyens traditionnels de
financement des compagnies mutuelles d'assurance de personnes ne suffisent-ils
pas? Pour quelles raisons le gouvernement devrait-il maintenant se
préoccuper de modes d'accès au capital qui, à ce jour, ont
bien servi les fins de ces entreprises? Les réponses à ces
questions peuvent être fort complexes. Elles dépendront autant du
degré de sévérité des normes de capital que le
gouvernement sera amené à prescrire que des ambitions de chacune
des compagnies mutuelles concernées. Mais d'abord, M. le
Président, il peut être fort utile de dresser un bref bilan de la
situation actuelle.
Au Québec, une compagnie mutuelle d'assurance dispose à la
fois de modes internes et externes de capitalisation. Sur le plan interne, la
compagnie mutuelle peut lever des capitaux en les prélevant sur les
excédents ou, si vous voulez, sur les bénéfices que ces
opérations sont parvenues à générer, il s'agit
là, en fait, du mode traditionnel de financement d'une mutuelle, lequel
établit un lien direct entre la rentabilité des opérations
de laquelle dépend le niveau des bénéfices et la situation
du capital à maintenir
en vertu des normes qu'elle doit respecter pour pouvoir
opérer.
Cette proportion qui s'établit entre les bénéfices
et le capital à cause de la structure même de la compagnie
mutuelle est à l'origine de discours récemment entendus de la
part des compagnies mutuelles québécoises, petites et grandes.
Certains de leurs dirigeants ont affirmé qu'il fallait soigner sa
rentabilité, rationaliser ses opérations et diminuer ses
coûts.
Or, il s'agit là, M. le Président, des trois principaux
moyens d'augmenter les bénéfices, ce qui peut notamment permettre
de respecter des normes qui exigent de conserver un niveau de capital
adéquat.
Il existe un autre moyen d'obtenir sur le plan interne un effet
favorable sur le niveau de capital propre de la compagnie mutuelle; c'est la
diminution de la masse d'actifs en fonction de laquelle ce niveau est
déterminé. Plus les actifs diminuent, moins il sera
nécessaire de maintenir de capital en vertu des normes mises en place
par les gouvernements.
Le Président (M. Lemieux): mme la ministre, je dois faire
état que vous avez déjà 15 minutes, c'est-à-dire 14
minutes de prises. est-ce qu'il y a consentement?
Une voix: Consentement.
Le Président (M. Lemieux): Consentement, ça va.
Mme Robic: Merci. C'est pourquoi, M. le Président,
certaines compagnies mutuelles diront que par l'imposition de normes de capital
il ne faudra pas les contraindre indirectement à 1 freiner la croissance
de leurs actifs ou en I d'autres termes, ralentir la croissance de leurs i
opérations parce qu'elles ne pourront plus en i payer le tribut sur le
plan du capital à maintenir.
Dans d'autres cas, la situation peut-être vécue d'une
façon encore plus rigoureuse en utilisant des méthodes comme la
titralisation d'éléments d'actifs, c'est-à-dire la
transformation de ces actifs en valeurs mobilières qui sont ensuite
vendues dans le public en procédant à des ventes pures et simples
ou encore, en ayant recours à la réassurance, on se
départira d'éléments d'actif, de filiales ou de
créances reposant sur les contrats d'assurance en cours. (10 heures)
Vous aurez rapidement compris, M. le Président, que cette
dernière façon de procéder ne représente pas une
orientation que le gouvernement se propose d'encourager a priori. Trop
d'efforts ont en effet été consacrés par des mesures
législatives et gouvernementales éclairées à
favoriser la croissance de notre secteur de l'assurance. Il ne saurait
être question que nous assistions en spectateurs impuissants à la
réduc- tion, sinon à un démantèlement substantiel
de ce secteur qui fait aujourd'hui notre fierté.
Sur le plan interne à la compagnie mutuelle il n'en demeure pas
moins que la capitalisation via la rentabilité est devenue une
opération beaucoup plus délicate et exigeante qu'elle ne
l'était, il y a 20 ans. La réduction des marges
bénéficiaires en conséquence de l'accroissement de la
concurrence et le déplacement des activités traditionnelles des
assureurs vers des produits qui sont davantage des produits d'épargne,
domaine où le niveau de concurrence est très élevé,
font en sorte qu'il est de plus en plus difficile pour les compagnies mutuelles
de dégager des bénéfices suffisants et de les capitaliser
adéquatement. m. le président, ce constat a amené le
gouvernement du québec, par le biais d'amendements apportés
à la loi sur les assurances, à ouvrir des voies de financement
externes aux compagnies mutuelles d'assurance. on leur a alors donné la
possibilité d'émettre des titres de participation
privilégiée, t'équivalent des actions
privilégiées pour les compagnies, lesquels venaient s'ajouter aux
titres de dette subordonnée, les instruments de financement sous forme
de dette ayant une certaine nature de capital, instruments dont elles
disposaient dé/à, d'ailleurs. de plus, le législateur leur
a accordé la possibilité de constituer une filiale de gestion,
qu'on a appelée holding en aval, à laquelle pouvait être
confiée la régie des autres filiales de l'assureur ce holding
pouvait ainsi atteindre une taille et un niveau de diversification capables de
susciter l'intérêt d'actionnaires minoritaires disposant de
ressources importantes. l'admission à une cote boursière des
actions du holding devenait, par le fait même, une perspective
réaliste. ainsi, en l'absence de possibilités d'émettre
directement des actions ordinaires, le financement de la compagnie mutuelle,
par l'entremise d'un holding en aval, devenait un moyen, pour elle,
d'accéder à des capitaux supplémentaires.
Ces deux initiatives du législateur québécois que
sont les titres de participation privilégiée et le financement en
actions ordinaires par l'intermédiaire du holding en aval, ont connu un
succès inégal. Plusieurs compagnies mutuelles d'assurance de
personnes ont eu recours au holding en aval, mais surtout pour des raisons de
gestion corporative et de diversification et non de financement. Quant aux
titres de participation privilégiés et aux titres de dette
subordonnés, ces moyens de capitalisation n'ont à peu près
pas été utilisés par les mutuelles.
Certains observateurs peuvent conclure que l'éventail des moyens
de capitalisation actuellement disponibles aux compagnies mutuelles d'assurance
est bien limité et qu'il faudrait l'élargir. Incidemment, je
souhaite que les interventions que nous entendrons aujourd'hui nous
éclaireront à ce sujet et qu'à tout le moins, elles nous
permettront de mieux évaluer les
possibilités de procéder à un tel
élargissement en respectant le souci de réalisme et
d'efficacité financière qui devrait nous animer.
Il m'apparaît, M. le Président, que le succès
limité qu'ont connu les titres de participation
privilégiée démontre bien qu'il est théoriquement
possible de concevoir une série de moyens de capitaliser nos compagnies
mutuelles d'assurance québécoises. Mais si ces moyens sont
inadéquats sur le plan financier, d'une part, ces mutuelles ne
parviendront pas, en pratique, à lever les capitaux
supplémentaires dont elles ont besoin et, d'autre part, le gouvernement
ne réussira tout simplement pas à réaliser son objectif de
favoriser leur solidité et leur croissance.
Une bonne solution dans les circonstances est, avant tout, une solution
pratique et efficace. Elle devrait d'abord être structurelle et durable
et non pas uniquement basée sur d'éphémères
avantages ou mécanismes d'appoint octroyés par le gouvernement.
En ce sens, il faut prendre le pari de favoriser l'essor de notre industrie de
l'assurance sans agir pour autant au détriment des intérêts
du public québécois.
M. le Président, quels que soient les modèles ou
structures utilisés, les opérations énoncées
peuvent constituer, pour un groupe donné, une solution qui, en plus de
prévenir les difficultés de capitalisation, respecte les
objectifs stratégiques de ce groupe. Il peut s'agir d'une
décision corporative que nous pouvons respecter dans la mesure où
les intérêts des consommateurs et des mutualistes sont
adéquatement protégés. C'est d'ailleurs la raison pour
laquelle le rapport quinquennal que j'ai déposé et les
modifications à la Loi sur les assurances que nous avons adoptées
ne privilégiaient aucun modèle particulier ni aucune formule
spécifique.
Pourrions-nous aujourd'hui, M. le Président, ouvrir des horizons
nouveaux et découvrir des mécanismes originaux de financement qui
pourront subir le test du marché et permettre à la fois au
gouvernement d'atteindre ses objectifs? Je le souhaite sincèrement. Je
suis d'ailleurs confiante qu'encore, ici, l'originalité
québécoise saura prévaloir et que nous parviendrons
à orienter notre réflexion vers des solutions
financièrement viables, adéquates et durables. Je vous remercie,
M. le Président.
Le Président (M. Lemieux): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Gouin.
M. Boisclair: Oui, rapidement, si vous me le permettez, M. le
Président. Je voudrais d'abord demander à la ministre si
l'Inspecteur général, qui est sans doute concerné au
premier titre dans les discussions qui ont cours ici, va se joindre à
nous dans le courant de la journée?
Mme Robic: L'Inspecteur général ne se joindra pas
à nous. Je pense qu'on est capable de très bien faire nos
discussions entre nous. C'est bien sûr qu'il sera partie prenante aux
décisions que nous aurons à prendre, mais, pour le moment, je
pense que le suis très bien entourée, soit de mon directeur de
cabinet et de mon sous-ministre aux Finances, M. Martel.
M. Boisclair: Merci, M. le Président.
Mme Robic: D'ailleurs, les députés qui vont suivre
les délibérations pourront certainement participer à la
discussion.
M. André Boisclair
M. Boisclair: Merci. M. le Président, en débutant,
j'aimerais remercier les personnes qui ont accepté notre invitation et
qui participeront, aujourd'hui, à nos travaux. Je voudrais aussi
souligner de façon très particulière la qualité des
mémoires que ces personnes ont préparés à notre
intention. Je suis convaincu, à l'avance, que leur contribution à
l'étude que nous amorcerons sera tout aussi appréciable
qu'appréciée.
Pour une troisième fois en moins d'un mois, les membres de la
commission du budget et de l'administration ont l'occasion de se pencher sur le
domaine des assurances. En effet, au mois de septembre dernier, nous avons
tenu, à la demande de la ministre déléguée aux
Finances, une consultation publique sur le contenu du rapport quinquennal
concernant l'application de la Loi sur les assurances. Puis, au mois de
décembre, nous étions conviés à l'étude du
projet de loi 112 qui donnait suite au rapport quinquennal.
On se rappellera, tant lors de l'étude du rapport quinquennal que
lors de l'étude du projet de loi 112, que l'Opposition officielle a
manifesté certaines réserves, pour ne pas dire des
réserves certaines sur l'opportunité des changements
proposés par la ministre responsable des institutions
financières, notre principale réserve ayant trait à la
limitation des liens commerciaux en aval. Nos réserves n'ont d'ailleurs
pas changé depuis. Nous croyons toujours qu'il s'agit d'un recul par
rapport à la loi 75 votée en 1984. À cet égard, je
crois que notre vision est partagée par de nombreux intervenants dans le
milieu.
Rappelons que l'un des objectifs de la loi 75 était d'amener les
entreprises d'assurances à contribuer davantage au développement
économique du Québec. L'établissement de liens commerciaux
en aval nous apparaît toujours comme un bon moyen de favoriser le
développement de réseaux et de contribuer au développement
économique du Québec. Une des conséquences aussi du repli
de la ministre déléguée aux Finances a trait à la
capitalisation des mutuelles d'assurance. Nous déplorons qu'en
réduisant cet outil la ministre n'ait pas proposé, dans son
projet de loi, des alternatives aux mutuelles. D'ailleurs, la ministre a
reconnu ce fait lors de l'examen du projet de loi 112.
À cet égard, M. le Président, permettez-moi
d'attirer votre attention sur une citation de la ministre qui
répondait à l'une de nos questions. Elle disait et je cite:
"C'est vrai. Vous avez absolument raison quand vous dites que les compagnies
mutuelles sont possiblement pénalisées par cette réforme.
Mais elles ont la possibilité d'avoir un bras commercial en se
réorganisant, en faisant une décentralisation partielle, telle La
Laurentienne. "
M. le Président, il apparaît que la ministre
déléguée aux Finances ne croit pas en la formule des
mutuelles. J'exagère peut-être dans mon interprétation,
mais c'est l'interprétation que j'ai eue lors de l'étude du
projet de loi 112. Par ailleurs, en reconnaissant que les
sociétés mutuelles étaient possiblement
pénalisées, je m'interroge encore sur les objectifs de la
ministre. Les mutuelles d'assurance-vie occupent 28, 5 % du marché
québécois alors que les autres compagnies
québécoises n'en occupent que 11, 8 %. C'est donc dire que le
projet de loi 112 pénalise les entreprises qui comptent pour près
de 65 % du marché occupé par des assureurs
québécois. Par ailleurs, j'aimerais revenir sur cet objectif
poursuivi par le législateur en 1984 qui demandait aux assureurs
québécois de participer davantage au développement
économique du Québec.
Lorsque l'on poursuit un tel objectif, il m'apparaît important de
ne pas pénaliser les principales sociétés à qui on
demande une plus grande participation. À tout le moins, M. le
Président, on tente de compenser les difficultés que l'on
crée en proposant des alternatives. Cette lacune du projet de loi 112
mérite d'être corrigée, à mon avis.
Je ne voudrais pas non plus mettre toute la faute sur le projet de loi
112. Les difficultés éprouvées par les mutuelles à
aller chercher des capitaux externes ont des origines plus profondes. On
pourrait d'ailleurs remonter au mémoire de 1982 présenté
au ministre des Finances d'alors par les sociétés mutuelles
d'assurance de personnes pour s'en convaincre ou faire référence
au mémoire présenté au ministre Fortier en 1987 par
l'ACCAP et La Laurentienne, si ma mémoire est bonne.
La loi 75 répondait aux demandes de l'époque. Certains des
outils de capitalisation que permet la Loi sur les assurances se sont
révélés peu pratiques. Mais doit-on renoncer à la
formule des mutuelles parce que la levée des capitaux externes est
limitée par la structure juridique de ces entreprises? Les principales
intéressées ne semblent pas vouloir renoncer à cette
formule. C'est déjà une indication que la formule présente
d'autres avantages et qu'il faut probablement chercher la solution ailleurs que
dans la démutualisation.
Faut-il rappeler qu'au Québec, aucune législation à
ce jour n'a encadré ces principes dans un corps organisé. Le
législateur au sein de la Loi sur les assurances a prévu des
modalités de fonctionnement s'appliquant mutatis mutandis à une
compagnie à capital-actions aussi bien qu'à une mutuelle.
Permettez-moi d'ailleurs, M. le Président, de rappeler les propos de M.
Claude Béland qui sont cités dans le rapport Garnier. "Le
capitalisme, dit-il, s'est aussi développé avec l'aide du
législateur. Il s'est implanté avec l'appui d'un pouvoir
politique qui croyait aux valeurs du système. Aujourd'hui, des notions
telles que la responsabilité limitée des entrepreneurs, la
rémunération illimitée du capital, le vote en proportion
du capital, etc., apparaissent normales. Mais ces notions n'ont pas toujours
existé. Au contraire, l'intérêt sur le capital et la
rémunération sans travail ont jadis été
considérés comme des fautes graves. Les corporations et le
principe de la responsabilité limitée ont été des
fictions juridiques pour favoriser le libéralisme économique. Ces
notions ne sont pas naturelles et résultent de rapports du
législateur au développement d'un système dans lequel il
croyait pour améliorer la vie sociale. " Fin de la citation.
Cependant, la ministre déléguée aux Finances n'a
pas que des torts. Bien que son projet de loi 112 m'apparaisse incomplet, la
ministre a tout de même formé un groupe de travail sur la question
du financement des compagnies mutuelles d'assurance de personnes. Ce groupe de
travail a remis son rapport à la ministre déléguée
aux Finances le 19 octobre dernier. Outre la résolution qu'il propose et
que nous aurons l'occasion d'étudier aujourd'hui, il ressort clairement
une volonté de conserver les avantages du mutualisme qui, comme le
rappelle le professeur Moffet que nous recevrons cet après-midi,
constitue une forme organisationnelle qui invite à la recherche d'un
équilibre entre l'enrichissement économique et l'enrichissement
social.
C'est la raison qui m'a amené à proposer à la
ministre déléguée aux Finances la tenue de ces
consultations particulières aujourd'hui. Bien qu'on l'y ait un peu
poussée, je la remercie d'avoir accepté de se livrer à
cette démarche. Il m'apparaissait aussi important, avant d'avoir
à nous prononcer sur une formule quelconque, que ce soit celle
proposée par le rapport Garneau ou une autre, que les
députés puissent échanger avec les représentants du
milieu des assurances et des mutuelles en particulier. Il faut donc, M. le
Président, que la ministre et les membres de cette commission donnent
suite aux démarches des mutuelles d'assurance de personnes afin de
faciliter la levée des capitaux externes. La ministre avait raison, tout
à l'heure, de soulever, de souligner la longue tradition de
solvabilité, mais je crois qu'aujourd'hui le problème est soit un
problème de capitalisation - la ministre a longuement parlé des
questions de normes de capital - soit une corrélation entre les normes
de capitalisation et le financement. Rappelons-nous qu'aujourd'hui, nous
devrons discuter du développement de nos mutuelles d'assurance et
aussi de cette forme d'entreprise, cette forme juridique sur laquelle,
je crois, plusieurs personnes ont fait consensus et sur cette volonté
maintes fois démontrée par les mutuelles elles-mêmes de
conserver cette forme juridique parce qu'elle leur apparaissait une forme
adéquate dans laquelle évoluer, compte tenu du contexte.
Donc, M. le Président, la ministre a semblé manifester
cette volonté de faire suite aux démarches des mutuelles lors de
l'étude du projet de loi 112, je me permets encore une fois de la citer.
Elle disait: "Oui, certainement, je n'ai pas l'intention de mettre ce
rapport-là sur des tablettes et je n'ai pas l'intention non plus de
laisser aller les choses. Encore une fois, je n'ai pas
d'échéancier à vous donner pour le moment, mais la
commande est passée. " D'ailleurs, on pouvait lire dans les journaux, au
lendemain d'un communiqué que la ministre rendait public, qu'elle avait
même confié un mandat aux officiers de son ministère. Il
serait intéressant de voir où elle en est rendue dans cette
démarche pour que nous puissions partir sur le même point
d'égalité, ce matin, savoir ce qu'il en est, ce qu'il en est du
mandat précis qui a été donné, ce qu'il en est
aussi des différentes démarches qui ont été
entreprises, de voir aussi l'échéancier, si la ministre a
déjà eu un certain nombre de commentaires sur, peut-être,
l'applicabilité d'une des hypothèses soulevées dans le
rapport Garneau ou par d'autres intervenants.
Donc, comme je le disais, M. le Président, déjà la
ministre a confié à ses officiers du ministère des
Finances le soin d'entamer des discussions plus approfondies sur la base des
différentes hypothèses soulevées dans le rapport Garneau.
Avec ces quelques mois de recul, peut-être la ministre s'est-elle fait
davantage une idée d'un échéancier? Toujours est-il que je
demeure convaincu que l'exercice d'aujourd'hui se révélera
enrichissant pour tout le monde ici autour de cette table, comme celui, en
général, pour ce type d'exercice. (10 h 15)
Alors, M. le Président, bien sûr, c'est avec une grande
ouverture d'esprit que nous entreprenons les travaux de cette commission. Il ne
m'apparaissait pas pertinent, à ce moment-ci, de rappeler tout
l'historique et de revenir sur ce qui a motivé certains entrepreneurs
québécois à se réunir sous la forme juridique d'une
mutuelle, mais je crois qu'il s'agit là, encore une fois, d'un
élément qui caractérise bien nos institutions
financières. Cette mode qu'on a connue vers la mutualisation, au
début des années cinquante, n'a pas été reprise
ailleurs au Canada. Je crois, pour utiliser une expression qui a
été maintes fois galvaudée, qu'il s'agit peut-être
là, encore une fois, d'un élément distinct de nos
institutions financières. Je crois que les gens du milieu ont fait
preuve d'une volonté clairement démontrée, si ce n'est que
pour des intérêts de gestion, si ce n'est que pour des
stratégies de marché ou des stratégies à plus long
terme, ils ont démontré une volonté très claire de
ça, de s'en remettre à cette formule-là. Je crois que nous
avons aujourd'hui, comme parlementaires, la responsabilité de
répondre à ces attentes. Il faut dire aussi que la
réflexion ne date pas d'hier. M. Garneau et son groupe de travail nous
rappelaient le travail qui avait été fait en 1982 par un groupe
de travail similaire à celui que la ministre a créé l'an
dernier où, déjà là, il y a un certain nombre de
propositions qui étaient formulées. En 1987, le ministre, M.
Fortier, reprenait la même réflexion, donc je suis convaincu que
la ministre devrait être plus avancée dans ses réflexions
qu'elle m'a semblé l'être ce matin dans son intervention.
espérons que les questions que nous pourrons poser aux intervenants qui
viendront se présenter devant nous cet avant-midi et cet
après-midi pourront nous permettre de cerner encore un peu plus les
intentions réelles de la ministre. je crois qu'il serait dommage qu'un
exercice semblable à celui-là, demandé par l'opposition
officielle, je tiens à le rappeler, m. le président, suite aux
tractations de fin de session qui ont permis l'adoption du projet de loi 112,
qui aurait pu être retardé - il faut le rappeler - à cette
session... il faudrait que cet exercice débouche sur des engagements
concrets de la part de la ministre. je ne veux pas présumer de son
état d'esprit ou du discours de clôture qu'elle prononcera cet
après-midi, mais ii serait très décevant de voir que
l'exercice auquel nous nous livrons ne soit pas suivi par des engagements plus
concrets que ceux qu'elle a laissé entrevoir à ce jour. donc, m.
le président, comme je le rappelais, c'est avec beaucoup d'ouverture que
nous entreprenons les travaux de cette commission. je tiens à remercier
ceux et celles qui ont décidé de participer à cet
exercice. soyez assurés que l'opposition officielle et son chef aussi,
m. parizeau, avec qui j'avais l'occasion de discuter récemment sur cette
question, accordent une attention toute particulière aux travaux de
cette commission. merci.
Auditions
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de Gouin. Je demanderais maintenant aux
représentants ou personnes qui représentent la Corporation du
Groupe La Laurentienne de bien vouloir s'avancer et de bien vouloir prendre
place à la table des témoins qui est située juste en face
de moi.
Pour les fins de l'enregistrement du Journal des débats,
je demanderais à ces personnes de bien vouloir s'identifier: nom,
titre et fonction. J'aimerais leur rappeler que la durée totale pour
tous les organismes est de 1 h 30. Vous aurez 30 minutes pour l'exposé
de votre mémoire et suivront les échanges entre les
parlementaires pour une durée de 60 minutes, dont 30 minutes
pour le groupe parlementaire formant le gouvernement et 30 minutes pour
le groupe formant l'Opposition. Les députés auront un temps de
parole de 10 minutes, tout en considérant la règle de
l'alternance. Alors, nous sommes prêts à débuter.
Corporation du Groupe La Laurentienne
M. Drouin (Jacques): M. le Président, Mme la ministre,
merci de nous accueillir ce matin. Mon nom est Jacques Drouin, je suis
président et chef de la direction de la Corporation du Groupe La
Laurentienne. Je suis accompagné, à ma droite, de Claude Forget
qui est bien connu, il est vice-président principal, Affaires
corporatives et, à ma gauche, M. Etienne Dubreuil qui est
vice-président, Affaires juridiques et secrétaire de notre
corporation.
M. Forget, je pense, vous a fait parvenir un mémoire que vous
devriez avoir en main et qu'il va vous présenter. Avant qu'il le fasse,
si vous me permettez de prendre quelques instants pour résumer les
principales conclusions du Groupe La Laurentienne vis-à-vis de la
question sur la table et résumer notre position comme
société.
En résumé, notre perception de la question, c'est que les
besoins de capitaux des mutuelles québécoises ne viennent pas
principalement de leur structure juridique à caractère mutuel
mais proviennent beaucoup plus de forces du marché. Il y a eu des
changements importants dans le secteur financier au cours des dix ou douze
dernières années. En particulier, il y a eu un choc que vous vous
rappellerez, le choc des taux d'intérêts au début des
années quatre-vingt qui a complètement bouleversé la
réalité des marchés financiers. Les mutuelles autant que
les non-mutuelles oeuvraient dans un marché dont les marges
étaient beaucoup plus larges avant la décennie des années
quatre-vingt que depuis cette époque. Il y a eu un bouleversement
fondamental dans les marchés et un rétrécissement des
marges considérable.
Le deuxième facteur, c'est que les mutuelles - comme M. Forget va
être en mesure de vous le démontrer, pour toutes sortes de raisons
historiques - s'adonnent à être cantonnées dans les parties
du marché québécois qui sont les moins profitables de
l'ensemble du marché. Il y a toutes sortes de raisons: les origines
rurales des mutuelles, la façon dont les marchés ont
été segmentés avec le temps. Mais c'est la
réalité et je pense qu'on va être en mesure de vous le
démontrer.
Le troisième facteur qui influence la performance des mutuelles
est leur taille. Nous oeuvrons dans un marché où les marges se
rétrécissant, la taille devient un facteur de survie et de
concurrence extrêmement important. Nous l'avons vécu
nous-mêmes à La Laurentienne Vie, La Laurentienne Vie étant
isolément une entreprise qui, à notre avis, n'aurait pas la
taille suffisante pour faire face aux réalités du marché
contemporain et nous avons dû regrouper La Laurentienne Vie avec les
autres membres du Groupe La Laurentienne pour atteindre la masse critique
suffisante.
Le quatrième facteur, c'est que nous luttons, comme entreprise
mutuelle québécoise, avec des concurrents beaucoup plus riches
que nous qui ont un acquis, un vieux gagné, comme on appelle dans le
métier, qui date de centaines d'années dans certains cas et qui
ont accumulé des bénéfices latents sur leurs affaires
à marge beaucoup plus élevés pendant toute cette
période de temps comparativement aux mutuelles québécoises
qui sont des créatures beaucoup plus récentes. Or, vous avez ces
quatre facteurs de marché qui influencent la rentabilité des
mutuelles d'assurance-vie québécoises. Le résultat de tout
ça, c'est que depuis le début des années quatre-vingt, les
mutuelles ne génèrent plus suffisamment de
bénéfices pour regénérer leur base de capital. Il
ne faut jamais oublier non plus que quand on veut attirer des capitaux, il faut
être en mesure de rémunérer ces capitaux-là, c'est
une règle inéluctable. Quel que soit le système que vous
inventiez, il faut trouver des façons de rémunérer le
capital si l'on veut être capable de l'attirer, il n'y a pas de magie
autre. Autrement, on parle de subventions et on ne pense pas que le
régime des subventions ait démontré qu'il était un
régime tellement utile pour mousser la compétitivité ou
l'essor économique de quelque secteur d'activité de la
société. Alors, vous avez ce problème de
rentabilité et de capitalisation et on ne peut pas les isoler l'une de
l'autre. On va y revenir avec faits à l'appui.
Nous pensons que l'amélioration de la position des mutuelles du
Québec passe par une nouvelle stratégie ou une nouvelle
orientation pour ces sociétés qui les verra segmenter leurs
marchés de façon différente qui permettrait de favoriser
des regroupements possibles entre ces sociétés et, comme on
serait en mesure de vous le démontrer, l'accès aux marchés
extérieurs. Le marché québécois est un
marché très limité par rapport aux marchés des
services financiers. Il faut avoir accès et il faut
pénétrer les marchés hors Québec et même hors
Canada. Les assureurs-vie canadiens sont parmi les meilleurs au monde au plan
de leurs connaissances et de leur compétence, et ça comprend les
assureurs québécois. Ce que je dis est tellement vrai qu'on va
être en mesure de vous démontrer que depuis 1988, les assureurs
canadiens génèrent plus d'affaires et de bénéfices
en dehors du Canada qu'ils ne le font à l'intérieur du Canada.
Évidemment, on concurrence avec ces gens-là. Ces gens-là
ont l'avantage d'une masse d'activités et d'une masse d'actifs qui
proviennent non seulement du marché local mais de l'ensemble de leur
présence géographique.
Il faut, bien sûr, s'attaquer à la question
des structures comme troisième de nos conclusions. Le Groupe La
Laurentienne, comme le Groupe de L'Industrielle-Alliance, se sont
attaqués à leur problème de structures. Nous ne
préconisons pas que La Laurentienne ou la formule Laurentienne soit la
seule formule. D'ailleurs, nous ne nous en accordons pas l'exclusive
paternité; c'est une formule qui a été
développée au cours des années, depuis le début des
années quatre-vingt, avec les gouvernements qui se sont
succédé. La créativité a été autant
de notre côté que du côté des officiers
gouvernementaux qui ont travaillé avec nous pendant toutes ces
années. En pratique, on est arrivé à une formule qui a
vraiment donné des résultats. On va être en mesure de vous
démontrer, encore là chiffres à l'appui, que cette formule
qui n'est pas exclusive... que ce genre de formule permet de régler une
partie du problème.
L'avoir net de La Laurentienne Vie, au moment où on se parle, est
de 50 000 000 $. Nous avons réussi, au cours des 10 ou 15
dernières années, à générer plus d'un
milliard de dollars de capital qui nous viennent de sources externes aux
mutualistes. C'a pris la forme d'apports de capitaux de partenaires qui sont
des partenaires minoritaires dans notre corporation. C'a pris la forme
d'émissions de capital publiques. Nous en avons fait, évidemment,
au Canada; nous en avons fait aux États-Unis; nous en avons fait dans
certaines de nos filiales. C'a pris la forme d'apports sous forme de capital
privilégié et il n'y a aucune dette dans notre système,
aucune dette au niveau de la corporation ni aucune dette dans aucune de nos
filiales, sauf aux États-Unis. On nous a souvent accusé
d'utiliser l'effet de levier. C'est vrai, nous l'avons fait, mais de
façon fort prudente puisque nous n'avons aucun compte à rendre
à aucun créancier, si vous voulez, sous forme de dette. Alors,
les apports de capitaux ont été faits sous forme
d'équité, sous forme de capitalisation qui participe aux risques
de la société, et nous pensons avoir démontré que
c'est possible pour une entreprise qui a protégé le
caractère mutuel de sa propriété d'aller chercher des
capitaux. Maintenant, ça ne veut pas dire qu'on ne fait pas et qu'on ne
continue pas à faire face au défi de la rentabilité. C'est
un défi de tous les jours, et nous n'avons pas réglé tous
les problèmes. Il nous en reste encore, mais nous sommes sur la voie de
devenir, je pense, une entreprise qui est vraiment concurrentielle sur les
marchés tant canadiens qu'internationaux, et qui va continuer à
pouvoir lever des capitaux dans la mesure où nous sommes aussi rentables
que nos concurrents. C'est la règle de fond, c'est la règle de
base. Les gens vont investir chez nous dans la mesure où on est capable
de rémunérer le capital qu'ils vont injecter chez nous.
Je rappelle aussi à la commission qu'autant nous croyons à
la propriété mutuelle... avec le législateur nous avons
réussi un tour de force, je pense, un précédent, conserver
la propriété mutuelle tout en ayant accès aux
marchés dits capitalistes, avec succès. C'est une formule
gagnante, c'est une formule qui va chercher le meilleur des deux mondes et,
d'ailleurs, c'est une formule que vous allez voir copiée bientôt.
Nous savons, par exemple, que deux sociétés s'apprêtent
à emboîter le pas. North American Life et Confederation Life ont
déclaré publiquement être intéressées
à aller dans cette voie-là. Le gouvernement fédéral
regarde très sérieusement la possibilité d'introduire une
législation semblable dans ses statuts qui, encore une fois, ne
donnerait pas nécessairement une solution purement Laurentienne, mais ce
genre de solution pour régler le problème de capitalisation des
mutuelles qui est semblable, d'ailleurs, dans le reste du pays, même s'il
n'est pas du même degré.
Finalement, nous insistons sur la prudence dans l'intervention de
l'État dans les marchés. Quand L'État intervient dans les
marchés, il change les règles du jeu. Nous vous invitons, que ce
soit dans l'introduction de normes prudentiel-les autant que dans les mesures
que l'État voudrait adopter pour supporter la capitalisation des
mutuelles, à être bien prudents, à ne pas perturber les
lois du marché parce que nous pourrions créer ainsi des solutions
qui pourraient être très éphémères, qui
pourraient nous donner l'impression de régler un problème
temporairement, mais qui va nous rebondir dans les quelques années qui
suivent. C'est vraiment un problème de rentabilité, à
notre avis, et ce problème provient du positionnement du marché
qui est vraiment à l'origine de tout le débat ou qui devrait
l'être.
Donc, pour résumer notre position, nous croyons que le
problème de financement des mutuelles n'est pas d'abord un
problème de structure juridique, mais beaucoup plus un problème
de marché. Nous pensons que l'État pourrait favoriser l'adoption
d'une stratégie de repositionnement de cette industrie qui favoriserait
la segmentation des marchés, des regroupements et la diversification
géographique. Nous pensons que les lois générales
devraient favoriser et faciliter la modernisation des structures mutuelles.
Nous ne préconisons pas que la formule Laurentienne soit la seule, bien
loin de là, mais ce genre de formule... Il faut faciliter l'accès
au capital dans la mesure où nos sociétés sont capables de
rémunérer ce capital sur une base concurrentielle. Nous invitons
l'État à la prudence, tant dans l'adoption de mesures
prudentielles que dans son support à l'industrie pour ne pas perturber
les règles du marché et ne pas créer des solutions qui
pourraient être très éphémères. (10 h 30)
Alors, sur cette introduction et ce résumé de notre
position, j'inviterais maintenant M. Forget à vous exposer plus en
détail le contenu
de notre mémoire.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Drouin. M. Forget,
s'il vous plaît.
M. Forget (Claude E. ): Merci, M. le Président. Je ne me
livrerai pas à une lecture du mémoire, ce serait trop long et
pénible, mais j'aimerais insister sur certains éléments
qui, au moins à nos yeux, ont une importance plus significative.
Dans l'introduction, nous soulignons ce qui va probablement de soi, mais
même ce qui va de soi, parfois, il est bon de le souligner. Il s'agit du
financement des mutuelles dans cette séance de votre commission
parlementaire, et nous tenons à dire que, quant à nous, c'est un
débat qui nous intéresse directement.
En effet, l'été dernier, nous avons débattu, devant
vous, d'un projet de loi spécial qui modifiait nos structures.
C'était la deuxième fois en deux ans. Certains observateurs se
sont cru autorisés, à partir de ça, de déduire
qu'à cause de toutes ces transformations juridiques successives, nous
n'étions plus une mutuelle. Nous tenons à affirmer très
formellement, ici, que, quant à nous du moins, nous nous
considérons comme faisant partie des mutuelles
québécoises. À la suite de discussions nombreuses avec les
autorités, dans le cadre, justement, de l'examen de ces deux projets de
loi, il est apparu très clair que, pour ce qui est des autorités
québécoises également, nous continuons d'être
considérés comme une mutuelle avec, bien sûr, des
particularités propres, mais, malgré tout, nous faisons partie de
la famille des mutuelles. Donc, c'est un débat qui nous intéresse
directement et nous sommes, évidemment, ravis d'y participer.
Plus de la moitié de notre mémoire consiste en
l'exposé d'une proposition qui, si on s'était borné
à la faire de façon catégorique et abstraite, aurait pu
apparaître comme arbitraire ou gratuite, c'est-à-dire le fait que
dans le fond, la situation dans laquelle se trouvent les mutuelles au
Québec sur le plan de l'accès au capital... il est
déterminé en premier lieu et continuera d'être
déterminé, quelles que soient les formules juridiques qui sont
disponibles, quel que soit le désir du gouvernement d'aider ou de
stimuler le développement du secteur. Ce qui est déterminant,
c'est le positionnement concurrentiel des mutuelles dans leur
marché.
Les statistiques officielles, telles qu'on les voit publiées dans
les rapports annuels, par exemple, de l'Inspecteur général,
donnent une impression légèrement trop optimiste de
l'évolution de la part de marché des mutuelles, au Québec,
pour la raison toute simple que le nombre des mutuelles s'est accru au cours
des années. Certaines compagnies que l'on connaît très
bien, qui sont citées dans le mémoire - je cite, par exemple,
l'Alliance et également une autre compagnie dont je vous fais
grâce du nom pour l'instant - ont modifié leur statut au cours des
cinq dernières années, d'un statut de charte
fédérale ou de société par actions à un
statut de mutuelle. Évidemment, quand le chiffre de leurs affaires est
additionné au chiffre des affaires des mutuelles qui étaient
là en début de période, on a l'impression d'une
croissance.
Si on fait la correction des chiffres pour replacer les choses dans
l'état où elles auraient été si le statut qu'elles
ont, en 1990, avait été le leur depuis 10 ans ou, du moins,
depuis 5 ans, on se rend compte, hélas, que le progrès qu'on
croyait observer dans la part de marché disparaît
complètement. Donc, on a un secteur qui réussit à
maintenir sa part de marché, mais n'a pas réussi, au cours des
cinq dernières années, à la faire progresser. En soi,
c'est à demi rassurant. Ce n'est pas désolant puisqu'elles ont
maintenu leur part de marché, mais il reste que le progrès qu'on
avait cru observer était une illusion d'optique.
D'ailleurs - et on parle ici évidemment dans tout ce
mémoire de moyennes - il est bien important de s'en souvenir lorsqu'on
parle à la fois de la part de marché, lorsqu'on parle, par
exemple, de la rentabilité des compagnies à charte
fédérale ou à charte provinciale, on parle de moyennes. Il
est évident que si on regarde l'industrie dans son ensemble, il y a une
rentabilité qui a été assez mauvaise jusqu'au milieu des
années quatre-vingt. Ç'a été la période de
substitutions de polices suite à tous ces bouleversements auxquels
Jacques Drouin a fait allusion tout à l'heure. Depuis le milieu des
années quatre-vingt, la situation s'est un peu stabilisée, mais
il reste que, dans l'ensemble, l'industrie réussit tout juste à
rémunérer le capital au taux où le gouvernement
rémunère ses prêteurs, ses bailleurs de fonds. Donc, comme
il s'agit de risques commerciaux, il est évident que c'est un rendement
qui, dans l'ensemble, est insatisfaisant. Il est bien sûr qu'à
l'intérieur de ce groupe de compagnies québécoises et de
compagnies canadiennes, il y a des sociétés qui
réussissent à tirer leurs marrons du feu avec plus de
succès et qui enregistrent des résultats plus
intéressants. Mais, en moyenne, on peut observer qu'il s'agit là
d'un secteur qui n'est pas particulièrement en pointe par rapport
à la rentabilité et pour ce qui est des mutuelles
québécoises, pas en pointe quant à la
pénétration de son marché primaire. C'est probablement
ça qui est le plus significatif: observer une stagnation dans la part de
marché depuis maintenant quelque 25 ans. Pour des compagnies dont le
Québec est le marché primaire, ça commence à poser
un certain nombre de questions puisque pour toutes les autres compagnies avec
lesquelles les mutuelles sont en concurrence au Québec, ou presque
toutes les autres, elles ont d'autres marchés plus importants. Par
conséquent, le fait qu'elles soient stagnantes au point de vue de leur
part de marché est moins préoccupant pour
elles puisqu'elles se sont diversifiées davantage.
Les données subséquentes portent sur ce que nous appelons
le "mix-produit", c'est-à-dire la combinaison variable dans le temps
entre les produits de protection et d'assurance proprement dite sur lesquels
les marges bénéficiaires sont plus significatives par opposition
aux produits d'épargne, essentiellement les rentes, qui sont des
produits où les marges sont plus faibles, en partie parce que la
concurrence est plus vive, étant donné que les assureurs, quand
ils vendent des annuités ou des rentes, sont en concurrence avec
d'autres institutions. Ce n'est pas seulement les assureurs qui vendent des
produits de ce type-là. Donc, la concurrence étant plus vive,
c'est une des raisons au moins pour lesquelles la concurrence est plus
forte.
Non seulement, dans le temps, cette situation est moins que favorable,
mais on observe - si l'on compare de 1985 a 1989 les marchés en
expansion comme celui des rentes - comment les mutuelles
québécoises ont réussi à augmenter leurs primes. On
se rend compte encore une fois que du côté des rentes, il y a une
augmentation qui n'est pas la moitié, mais disons les deux tiers du taux
d'augmentation qu'affichent d'autres sociétés. Pour ce qui est du
côté protection, du côté assurance-vie proprement
dit, la progression des mutuelles québécoises est la
moitié de la progression des compagnies à capital-actions
fédérales ou provinciales, tous statuts confondus.
Donc, il y a vraiment un décalage qui se fait sentir dans le
succès avec lequel les mutuelles québécoises se sont
adressées à leur marché. Sur le plan de la segmentation,
c'est-à-dire que tout le monde n'est pas client des compagnies
d'assurances ou de n'importe quelle autre entreprise au même titre. Il y
a des segments définis par les caractéristiques mêmes des
acheteurs de produits, qu'il s'agisse de leur niveau de revenus, qu'il s'agisse
du sexe, de leurs occupations, des régions dans lesquelles ils vivent,
urbaines ou rurales. Il y a une infinité de façons de segmenter
les marchés et, évidemment, tous ces segments de marchés
ne sont pas également intéressants ou rentables. Le succès
général d'une compagnie dépend de son succès
à pénétrer les segments qui sont les plus rentables,
étant donné les caractéristiques de la
clientèle.
Or, si on fait les recoupements que l'on peut à partir des
données fournies par un grand nombre d'assureurs à un organisme
non seulement nord-américain mais international, le Life Insurance
Marketing Research Association, qui est basé à Hartford au
Connecticut, qui obtient des compagnies, sur une base volontaire, les
données sur la mise en marché de leurs différents produits
en fonction des critères de la clientèle et tout, on a obtenu
certains relevés qui montrent, qui confirment que la
spécialité des assureurs québécois, en
général - encore une fois, on parle toujours de chiffres glo-
baux - c'est plutôt le bas de gamme par rapport au haut de gamme qui
représente les segments où les compagnies plus grosses, les
compagnies fédérales, mutuelles ou non mutuelles, sans
distinction, ont plus de succès. Qu'il s'agisse de l'âge, il est
clair que lorsque vous vendez de l'assurance à des jeunes de moins de 25
ans, des jeunes couples qui commencent avec un revenu modeste et parfois
d'autres obligations importantes, ils ont un revenu disponible moins
considérable pour acheter des produits d'épargne et même
des produits de protection impliquant des primes élevées. Si
toute votre clientèle est concentrée chez des jeunes ou chez des
cols bleus, etc., donc vous avez, par tous ces recoupements-là, des
situations qui sont moins favorables qu'elles ne devraient l'être.
Le mémoire donne plusieurs recoupements de cette nature, et tous
concordent. C'est probablement les chiffres par rapport aux primes, la prime
moyenne. On aurait pu citer le montant de l'assurance en vigueur, il y a
différentes mesures, mais c'est le montant de la prime. On s'entend
généralement dans l'industrie pour dire que c'est le montant de
la prime moyenne qui est le plus significatif. Les primes moyennes en fonction
des différentes catégories sont de 5 % à 55 %
inférieures à ce que les compagnies concurrentes non mutuelles
québécoises pratiquent sur notre marché
québécois. Il y a donc là un écart très
considérable.
Je n'insisterai pas plus longtemps sur cet aspect-là. Je pense
qu'on a une abondance de démonstrations. Il y a également sur le
plan de l'agressivité face au marché, si vous voulez, une mesure
intéressante qui est l'augmentation des forces de vente. Il est assez
bien démontré dans le monde entier que le succès à
vendre de l'assurance dépend, dans une mesure très directe, du
développement des forces de vente, d'abord du maintien des forces de
vente à un niveau parce qu'il y a roulement considérable, c'est
un métier difficile, et aussi de l'accroissement. On se rend compte que
là aussi, les mutuelles québécoises ont eu moins de
succès à maintenir et à développer de forces de
vente, donc il y a, de ce côté-là, si on veut, une certaine
mesure de l'agressivité commerciale et elle semble moindre en vertu de
cette mesure-là.
La deuxième question vers laquelle on se tourne, c'est la
question de la diversification et l'accès au marché des capitaux.
Nous soulevons l'élargissement des pouvoirs de 1984 qui a permis aux
assureurs québécois de créer des filiales en aval, des
holdings en aval, développement qui, à son tour, a stimulé
et encouragé la diversification des entreprises d'assurances. Ce que
nous voulons souligner de ce côté-là, c'est qu'on pourrait
considérer - et, dans certains milieux, je crois qu'on le fait trop
volontiers - que cet élargissement des pouvoirs a entraîné
les assureurs québécois dans trop de domaines. Ils se sont
dilués, ils se sont en quelque sorte étendus
trop largement et ont peut-être menacé leur
viabilité. Je crois qu'il faut le considérer différemment
parce que, étant donné les trois tests du marché dans
lequel les assureurs québécois oeuvrent, étant
donné l'amenuisement des marges bénéficiaires, cette
diversification-là, c'est pas seulement une fantaisie, c'est pas
seulement un luxe, c'est pas seulement une mission économique
générale souhaitée par les pouvoirs publics, mais c'est
également un élément de développement
stratégique essentiel pour assurer la rentabilité et le
rayonnement de ces entreprises-là. Donc, ce n'est pas une distraction.
Quand on a à évaluer les besoins en capital, il ne faut pas dire:
Bien, si on n'avait pas ça, les besoins seraient moindres. Je crois
peut-être qu'effectivement les besoins seraient moindres, mais la
vulnérabilité serait plus grande. Donc, ce ne serait pas au net
un gain. (10 h 45)
D'ailleurs, c'est ce qu'ont compris même les assureurs canadiens
à charte fédérale pour qui même le marché
canadien, pourtant quatre fois plus grand que le marché
québécois, est trop restreint. C'est ce qu'ont compris d'autres
assureurs dans des pays relativement petits comme l'Australie où il y a
également le même désir et le même succès
à diversifier les opérations de façon très
sensible. Un assureur australien l'an dernier a fait l'acquisition d'un des
plus importants assureurs britanniques, Pearl Assurance. C'est la même
logique, c'est le même besoin d'acquérir une taille suffisamment
importante pour se payer un certain nombre de choses qu'un assureur moderne
doit se payer.
Dans ceci, l'expérience du Groupe La Laurentienne est
évidemment intéressante, on en fait l'historique. Encore une
fois, je n'ai pas l'intention de passer en détail tout l'historique,
mais il est important, malgré tout, de souligner un certain nombre de
choses de ce côté-là. Il y a, en particulier, le fait que
certains instruments ont été utilisés à plein comme
le financement public via le holding en aval alors que d'autres n'ont pas pu
l'être comme, par exemple, le pouvoir d'émettre des actions au
niveau de La Laurentienne Vie au moins jusqu'à l'été
dernier où elle conservait son statut de compagnie pleinement
opérante. Pourquoi? Des raisons essentiellement économiques.
Comme on sait, ce statut-là a été acquis à partir
de 1988, ça suivait d'un an le krach d'octobre 1987. La situation des
marchés ne permettait pas d'utiliser l'instrument, ce qui ne veut pas
dire que l'instrument n'était pas valable, c'est tout simplement une
question de timing, si l'on veut, et c'est la raison pour laquelle il n'a pas
été utilisé. Malgré tout, ce qui a
été utilisé, c'est le financement via le holding en aval
et on cite là des chiffres. Malheureusement, il y a des choses qui ont
échappé, ce n'est peut-être pas exprimé comme
ça devrait l'être mais avec un avoir propre de 50 000 000 $ - et
ça, c'est vrai au niveau de La Laurentienne
Vie - le Groupe La Laurentienne a quand même pu, via des
financements minoritaires, des financements dans le public, réussir
à conserver le contrôle sur un ensemble d'opérations
impliquant un financement externe de l'ordre de 1 000 000 000 $; donc, un effet
de levier très considérable mais sans dette, un effet de levier
par équité, en fonction des structures que la Loi sur les
assurances du Québec permettait de mettre en place.
Je pense, M. le Président, pour permettre à M. Drouin de
conclure brièvement, qu'on peut se limiter à ces
éléments-là, les autres ayant déjà
été mentionnés. Je vous remercie.
M. Drouin: M. le Président, s'il nous reste deux petites
minutes...
Le Président (M. Lemieux): Oui, oui, allez-y, M.
Drouin.
M. Drouin:... j'aimerais peut-être vous mentionner trois
choses - au fur et à mesure que Claude parlait - sur lesquelles
j'aimerais attirer l'attention de la commission. La première, c'est que
nous parlons d'un enjeu très important pour l'avenir. Nous ne parlons
pas seulement d'assurance, nous nous demandons à qui va appartenir, dans
l'avenir, la croissance de l'épargne. Nous sommes sur un continent; nous
habitons un continent qui, malgré les crises économiques
temporaires, va s'enrichir et va vieillir au cours des 50 prochaines
années. Il va y avoir une croissance de l'épargne très
importante. Le débat s'engage, à savoir quelle partie de cette
croissance de l'épargne va revenir aux assureurs par rapport aux
banquiers ou autres intervenants financiers. J'aimerais que la commission garde
ça en tête.
Le deuxième point sur lequel j'aimerais attirer l'attention,
c'est que quand nous citons les chiffres qui ont été cités
dans le mémoire - et nous parlons des mutuelles du Québec - nous
ne pouvons pas présenter toute la réalité dans le sens que
certaines mutuelles du Québec, dont nous et L'Industrielle-Alliance, ont
une présence hors Québec et une présence
étrangère assez significatives. En fait, notre présence
à nous hors Québec, est plus importante que notre présence
au Québec et, inversement, nous avons des filiales non
québécoises qui ont une présence au Québec. Les
chiffres ne traduisent pas tout ça. Ce que vous avez vu comme chiffres,
c'est la présence de La Laurentienne Vie prise isolément, ce
n'est pas la présence totale du Groupe La Laurentienne au Québec
et, encore moins, la présence de La Laurentienne ou de
L'Industrielle-Alliance en dehors du Québec, de telle sorte que nous
faisons aussi partie de cet échange entre marchés. Les chiffres
que nous vous avons présentés ne le reflètent pas
adéquatement.
Le troisième point sur lequel j'aimerais
attirer votre attention, c'est que, de notre point de vue, malgré
le fait qu'il y a évidemment des défis de marché et des
défis de rentabilité, je ne voudrais pas que la commission
conclue que notre point de vue, c'est que nous avons des inquiétudes
comme industrie sur la santé financière ou la capitalisation de
l'industrie, pas du tout! C'est une industrie qui est très bien
gérée, qui a été gérée de
façon conservatrice, qui est bien capitalisée. Maintenant, dans
le débat sur la capitalisation, il y a évidemment des
intérêts commerciaux en jeu et il faut en tenir compte dans la
réalité. Nous faisons face dans le débat ou dans la
concurrence pour notre partie de l'épargne ou de la croissance de
l'épargne... Nous sommes donc en concurrence avec les banques qui sont
très intéressées à entrer dans notre marché
parce que la croissance de l'épargne va venir d'intervenants comme nous.
Les réseaux de distribution qui sont très coûteux à
développer, où une interface personnelle est en place, c'est ce
genre de réseau-là qui va permettre de capter le gros de la
croissance de l'épargne future, ou en tout cas, la partie la plus
rentable. Les banques sont évidemment très
intéressées. Vous en entendez parler quotidiennement. Alors, il y
a des intérêts commerciaux qui se manifestent dans tout ça.
Quand il y a beaucoup de pressions qui se font sur l'industrie de l'assurance
de personnes québécoises pour adopter, par exemple, des normes
bancaires ou des normes inspirées du système bancaire, ce n'est
pas tout à fait étranger à certains intérêts
commerciaux que je ne reproche pas du tout à nos concurrents. Ça
fait partie de la partie.
Maintenant, il y a également que les grandes
sociétés canadiennes qui sont en concurrence avec nous, comme on
l'a dit plus tôt, et profitent de l'acquis des 50 ou 100 dernières
années. Elles ne font pas face à la même
réalité économique que nous et elles ont également
poussé très fort pour que des normes de capitalisation beaucoup
plus exigeantes soient imposées à l'industrie
québécoise.
Finalement, par beaucoup d'échanges à l'intérieur
de l'industrie, on a réussi à s'entendre sur des normes à
travers le pays, des normes en vertu desquelles l'industrie se rend responsable
de toute insolvabilité. C'est une grande conquête ou c'est une
grande réussite de l'industrie d'ici. J'aimerais attirer l'attention de
la commission sur le fait que sur ce plan, ces normes représentent un
engagement de l'industrie à s'autosupporter, une industrie qui n'a
jamais connu de faillites, d'ailleurs, qui n'a jamais connu de déboires
et qui est, encore une fois, bien capitalisée. Mais je dirais que pour
l'industrie québécoise, c'est un développement très
important pour l'avenir que nous ayons réussi à nous entendre au
Canada sur des normes identiques alors que les joueurs sont de poids tellement
différents. J'aimerais conclure là-dessus, simplement pour
attirer l'attention sur ces trois points-là.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Drouin. Il n'y a pas
d'autres commentaires? Mme la ministre, est-ce que vous voulez que je pose les
questions ou si vous commencez? Vous commencez, Mme la ministre?
Mme Robic: Oui, si vous me le permettez, M. le
Président.
Le Président (M. Lemieux): D'accord, Mme la ministre, pas
de problème.
Mme Robic: M. le Président, je vous remercie d'ailleurs et
je vous souhaite la bienvenue, M. Drouin, M. Forget et M. Dubreuil. Ça
fait plusieurs fois qu'on se retrouve ici et on apprécie beaucoup votre
participation à ces débats. Je pense que c'est des débats
importants pour nos compagnies, on apprécie votre présence et que
vous preniez le temps de venir nous faire part de vos expériences. je
voudrais dire à mon collègue d'en face, que si je ne croyais pas
à la formule mutualiste, on ne serait pas ici aujourd'hui. j'aurais tout
simplement, dans mon projet de loi, donné une formule quelconque et on
aurait réglé le problème des mutualistes. on leur aurait
dit: démutua-lisez-vous parce qu'on peut s'entendre votre groupe, les
mutuelles... votre compagnie d'assurance ne l'est plus. alors, pour certaines,
bien sûr, ce n'est pas la solution qu'elles préconisent. il faut
apprécier ça. c'est pour ce faire que j'ai créé un
comité, cette solution n'étant pas nécessairement la
seule. pour certaines, c'était important de garder leur aspect
mutualiste et j'y crois. c'est pour cette raison qu'on est ici, ce matin, pour
tenter de trouver des moyens pour permettre à nos compagnies, tout en
demeurant mutuelles, de se capitaliser pour se développer
elles-mêmes et pour participer également à l'essor
économique du québec. mais pour moi, la participation des
mutuelles à l'essor économique du québec ne passe pas
nécessairement par l'acquisition de filiales, mais par les
investissements que nos compagnies mutuelles peuvent faire dans des entreprises
québécoises. m. le président, si j'ai fait un recul
à ce niveau pour les filiales commerciales - la loi n'empêche pas
les filiales financières, bien sûr, qui sont
contrôlées, qui sont également surveillées, c'est
que nous croyions qu'il y avait un degré de risque plus
élevé au niveau des filiales commerciales et qu'il fallait avoir
une certaine prudence. c'est là que, bien sûr, nous avons
partiellement - si certaines avaient des ambitions - limité
l'acquisition de filiales commerciales pour nos compagnies mutuelles, mais
c'est dans un esprit de prudence que nous l'avons fait, m. le
président.
C'est assez intéressant, M. Drouin, quand vous nous faites votre
présentation. Vous nous dites: Les besoins de capitaux ne proviennent
pas de la structure juridique à caractère mutuel. Pourtant, dans
votre énoncé, vous nous suggérez
un modèle semblable au vôtre pour aider à la
capitalisation de nos mutuelles. Alors là, j'ai un problème. Vous
faites un rapport direct, dans votre énoncé, entre la structure
et les besoins de capitaux. Pourtant, nous autres, on s'interroge parce qu'on
établit plutôt un rapport entre le besoin de capital et le mode
restreint de capitalisation qu'offre la structure mutuelle. Est-ce que ce n'est
pas la structure? Vous, vous dites que non, mais pourtant vous suggérez
une restructuration. J'aimerais que vous m'éclairiez un peu parce que je
suis un peu perplexe.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre, est-ce que je
pourrais compléter dans ce sens-là?
Mme Robic: Oui.
Le Président (M. Lemieux): C'est parce que j'ai
remarqué deux interventions. Vous avez dit, M. Drouin - et je reprends
vos propres mots - vous avez parlé d'une mutuelle, quand on est dans des
marchés non profitables, et M. Forget a repris ceci: La position
concurrentielle des mutuelles dans leur marché est restreinte. Alors
vous en êtes arrivé à la conclusion d'une stagnation dans
le marché; vous avez parlé d'une forme de diversité de vos
opérations. Je pense que, si je suis votre logique, pour avoir
participé à plusieurs travaux de la commission, elle se situe en
aval. Mais je voudrais rejoindre ce que Mme la ministre vient de dire. Dans
votre mémoire, à part d'utiliser votre structure, est-ce que vous
avez d'autres orientations qui pourraient être prises pour une forme de
capitalisation externe? Je pense que ça rejoint un peu ce que vous venez
de dire, Mme la ministre.
Mme Robic: C'est parce que je trouve qu'il y a une contradiction,
un peu, dans vos propos. J'aimerais que vous élaboriez.
M. Forget (Claude E.): je peux peut-être essayer
d'éclaircir le point où on semble trouver un défaut dans
la logique de l'argumentation. je le ferais en faisant la distinction, je
pense, bien connue entre une condition suffisante et une condition
nécessaire. il peut être nécessaire de changer des
structures juridiques pour régler un problème de financement dans
une mutuelle. c'est peut-être nécessaire mais ce ne sera pas
suffisant. cependant, si vous augmentez la rentabilité suffisamment,
ça, c'est une condition suffisante. c'est-à-dire que ça
peut être suffisant pour régler un problème de financement,
dépendant de sa nature et de son envergure, d'avoir un très bon
rendement financier, peut-être en conservant la formule traditionnelle
des mutuelles. d'ailleurs, on n'a pas toujours parlé du problème
de financement des mutuelles; il y a eu une période où les
mutuelles étaient très rentables, merci, et n'avaient pas besoin
ou ne voyaient pas que leurs structures juridiques créait un
problème. aujourd'hui, comme les conditions de marché ont
changé, toute manipulation des structures juridiques qui "n'adresse" pas
le problème économique est vouée à l'échec.
donc, la condition essentielle et en elle-même suffisante, à la
limite, c'est d'améliorer la situation concurrentielle. cependant,
compte tenu du fait qu'on ne vit plus dans le monde de 1950 mais dans le monde
de 1990, il peut être nécessaire d'ajouter à ça un
assouplissement des formules juridiques, mais il faut faire attention de ne pas
voir là, dans le changement des stuctures juridiques, la panacée.
il n'y a pas de panacée là. ce n'est pas ça qui va, en
soi, régler le problème le plus aigu.
M. Drouin: Si vous permettez, je pourrais même... (11
heures)
Le Président (M. Lemieux): Oui, mais est-ce qu'il y a
d'autres orientations que celle-là pour faire en sorte qu'on augmente la
capitalisation externe? Vous, en tout cas, j'ai eu l'impression moi dans votre
mémoire qu'il n'y a pas de solution à cet effet-là,
à part celle peut-être qu'on retrouve dans le rapport Garneau. Je
vous en reparlerai tout à l'heure.
M. Drouin: J'aimerais répondre peut-être de deux
façons...
Le Président (M. Lemieux): Oui.
M. Drouin: ...avec l'exemple très concret du Groupe La
Laurentienne. Nous avons dit que nous avons réussi à lever au
cours des années près de 1 000 000 000 $, en fait au-dessus de i
000 000 000 $ en capitaux externes. nous l'avons fait. pendant les
années 1980, nous l'avons fait alors que la rentabilité de nos
activités permettait de rémunérer ce capital-là.
nous pouvons encore aujourd'hui lever du capital, demain matin s'il le faut,
même si les marchés financiers sont difficiles, dans les filiales
ou dans nos activités qui connaissent une rentabilité suffisante.
c'est la simple règle des marchés financiers. mais les
marchés d'aujourd'hui sont beaucoup plus difficiles que les
marchés d'il y a sept ou huit ans. c'était plus facile de lever
des capitaux il y a sept ou huit ans, ou il y a cinq ou six ans. d'ailleurs,
plusieurs entreprises québécoises en dehors du secteur financier
l'ont bien vécu. les règles sont plus difficiles au moment
où on se parle, mais ça va changer. dans trois ou quatre ans, les
marchés financiers vont se rouvrir, mais ils vont se rouvrir
peut-être avec des critères un peu plus souples qu'aujourd'hui,
qu'au moment où on se parle. mais la condition sine qua non sera
toujours la capacité de l'entreprise de rémunérer le
capital. ii n'y a pas d'autre façon de lever du capital que d'être
capable de le rémunérer. il n'y a
personne qui va investir chez vous, sauf si l'État veut le faire
à escompte. Mais alors, à ce moment-là, faisons bien
attention. Si on rend du capital disponible à une entreprise à
escompte, vous affectez dès le lendemain matin sa structure de prix.
Elle va le transférer cet escompte-là dans ses marchés, et
elle va créer une distorsion dans les marchés. Je ne suis pas
sûr qu'on va lui rendre service à long terme, ou qu'on rende
service à l'économie à long terme.
On est beaucoup mieux à notre avis de trouver des formules qui
facilitent l'accès aux marchés des capitaux, les marchés
normaux des capitaux, par les institutions mutuelles, que d'essayer de trouver
des formules qui vont faire en sorte qu'on va créer des distorsions dans
le marché. C'est sûr que la dynamique des marchés fait que
même si on mettait en place une structure idéale, les
marchés financiers sont à peu près fermés au moment
où on se parle. Ils sont en train de se rouvrir. Pour les mutuelles
comme pour n'importe quelle entreprise capitaliste, si vous suivez les
émissions de capital au cours des deux dernières années,
il n'y en a à peu près pas eu de toute forme de
société. Ça recommence au moment où on se parle, et
vous pouvez être sûrs que ça va revenir. C'est une question
de... est-ce que ça va prendre une autre année, deux ans, trois
ans? Je ne le sais pas. Mais nous, on se prépare à commencer
à faire des émissions de capital dans nos filiales ou dans nos
activités qui ont la rentabilité suffisante. On n'aura pas de
difficultés à lever les capitaux, dans la mesure où on est
capable de les rémunérer. C'est une règle très
simple.
Alors, moi je dis. N'adoptons pas nécessairement la structure de
La Laurentienne, mais adoptons une structure ou une formule assez large qui
permette aux mutuelles, quelles qu'elles soient, de s'intégrer au
marché des capitaux normaux, et elles vont être en mesure de lever
des capitaux dans la mesure où elles ont la rentabilité
suffisante. C'est là, je pense, que - ce n'est pas la contradiction -
les deux parties de la proposition se rejoignent. Il faut d'abord s'attaquer au
problème de rentabilité ou au problème de positionnement
de nos entreprises mutuelles avant d'imaginer qu'elles vont être capables
de lever des capitaux sur les marchés normaux.
Le Président (M. Lemieux): M. Drouin, est-ce qu'on doit
déduire de certains de vos propos, et je pense à une
recommandation du rapport Garneau, que l'émission d'un titre d'une
corporation qui s'appellerait un fonds mutuel, vous ne seriez pas d'accord avec
ça si c'était garanti par le gouvernement du Québec?
M. Drouin: Bien, ça nous met un peu dans l'embarras, il me
semble, cette histoire-là, parce que nous, c'est sûr que si
l'État était pour décider ça, on va vouloir s'en
prévaloir comme n'importe quel intervenant parce qu'on va se trouver
désavantagés par rapport à nos concurrents. C'est pour
ça que, nous, on a conservé notre caractère de mutuelle,
et on est, entre guillements, pénalisés jusqu'à un certain
point par le caractère de mutuelle. Le contrôle d'une mutuelle
impose certaines contraintes, certaines règles auxquelles on doit
s'assujettir, y compris le contrôle de la société, et c'est
très important. On est d'accord avec ça.
Nous, ce qui nous préoccupe c'est que si l'État est pour
introduire un régime comme celui-là, c'est très important
pour nous d'y avoir accès. Mais, on se préoccupe de
l'introduction d'un tel mode de financement qui va perturber les règles
du marché et qui va peut-être régler un problème
à court terme, mais peut-être en entretenir un de façon
permanente. On se dit que ça serait peut-être plus intelligent de
consacrer notre énergie à résoudre les problèmes de
marchés qui vont automatiquement déboucher sur une
capacité pour nos sociétés mutuelles de
générer des capitaux, sur les marchés réguliers.
Alors, c'est de là que vient notre position.
Le Président (M. Lemieux): Merci. Mme la ministre.
Mme Robic: Vous nous parlez également du besoin que les
mutuelles auront peut-être de se regrouper et de former des compagnies
plus importantes. Là, je m'inquiète un peu parce que ce n'est pas
la première fois que vous nous dites: II faudra peut-être faire
des regroupe- . ments, peut-être qu'il y a trop de compagnies. Là,
j'ai une inquiétude là-dessus, je m'inquiète de la
concentration du marché. N'y a-t-il pas un danger de ça, d'une
concentration trop grande du marché qui ferait que, finalement, le
consommateur est pénalisé par ça?
M. Drouin: On est un bien petit pays, 25 000 000 d'habitants - je
parle du Canada - au Québec, je ne connais pas le compte exact.
Le Président (M. Lemieux): C'est un sujet houleux de ce
temps-ci, M. Drouin.
M. Drouin: Je sais bien. Une voix: C'est une
réalité.
M. Drouin: Ah oui! Quand votre marché primaire comme
celui-là est aussi petit, c'est très difficile de tirer son
épingle du jeu sans faire certains regroupements. Regardons
l'expérience des banques, avec les années, elles se sont
regroupées. On a abouti à un système où il y a six
grandes banques, peut-être que c'est exagéré d'aller si
loin. Mais, à ma connaissance, il y a 250 assureurs de personnes, il y a
au moins autant d'assureurs de dommages. Le marché des assurances au
Canada et au Québec est beaucoup
trop fragmenté. On hérite d'un nombre de joueurs qui n'ont
vraiment pas les moyens de supporter la concurrence dans l'état actuel
des marchés. Je pense que la majorité d'entre eux le savent au
moment où on se parle.
Nous-mêmes, on a fait l'expérience. Au Groupe La
Laurentienne, on est maintenant convaincu que nous ne sommes pas en mesure
d'être concurrentiels à moins de regrouper environ 3 000 000 000 $
d'actifs sous gestion commune, de là le regroupement que nous avons
voulu faire au cours des deux dernières années. Peut-être
que ce seuil, qui était à 1 000 000 000 $ il y a cinq ans, il
était peut-être à 500 000 000 $ il y a 10 ans, et
peut-être qu'il sera à 10 000 000 000 $ dans cinq ans ou 10 ans
d'ici. Mais il est certain que la loi de la taille joue
énormément dans notre métier et le seuil, si vous voulez,
se déplace. Au fur et à mesure que les marges se
rétrécissent, les entreprises deviennent plus efficaces et les
investissements requis dans l'infrastructure deviennent plus importants. Mais
je ne pense pas que le système bancaire ait desservi le marché
canadien même s'il n'y a eu que cinq ou six joueurs. Quand on compare le
système bancaire canadien aux systèmes bancaires comparables dans
d'autres pays, c'est un système qui est en bonne santé et qui a
bien desservi l'intérêt des consommateurs. Maintenant, je ne dis
pas qu'on doit finir à six, mais peut-être qu'à 250 on est
un peu trop.
Mme Robic: Mais même son association lui dit qu'il a
été un peu arrogant, ils ont été un peu arrogants
alors je pense qu'à six... S'ils étaient plus nombreux, ils
auraient peut-être besoin d'être plus compréhensifs au
niveau du consommateur. C'est là...
M. Drouin: Nous sommes partisans qu'ils soient un peu plus...
D'ailleurs, on fait notre contribution avec beaucoup d'efforts.
Mme Robic: Vous me dites, à la page 7: "Le positionnement
commercial... qu'ont adopté les compagnies à charte
québécoise a un impact important sur la question de leur
financement". Vous ajoutez: "Dans ce contexte, toute injection nouvelle de
capital pourrait aggraver plutôt que résoudre le problème".
J'ai des difficultés à vous suivre là-dessus. J'aimerais
peut-être que vous reveniez là-dessus pour nous.
M. Drouin: M. Forget, je pense, pourrait...
M. Forget (Claude E.): J'essaie de trouver la
référence précise.
Mme Robic: Page 7.
M. Forget (Claude E.): Oui, d'accord, mais un peu plus loin, on
donne une citation...
Mme Robic: Ah bon!
M. Forget (Claude E.): .qui, dans le fond, est la réponse
directe à votre interrogation. C'est l'impact sur les profits de
différents types de produits. Malheureusement, je ne la retrouve pas
rapidement. Mais on sait que certains produits ont un impact beaucoup plus
important sur ce qu'on appelle le "bottom line", c'est-à-dire la
rentabilité, que d'autres. C'est ce genre de raisonnement qui nous
permet de dire: Ce positionnement-là, à la fois sur le plan de la
répartition des produits et de la segmentation du marché, a un
impact direct sur la rentabilité. C'est ce qu'on essaie d'illustrer plus
loin, autrement dit. Je ne sais pas si ça répond à votre
interrogation, Mme la ministre?
Mme Robic: Oui, ça va.
M. Forget (Claude E.): L'analogie est avec un fabricant de
voitures.
Mme Robic: Oui.
M. Forget (Claude E.): Vous savez, c'est connu que GM aimait
mieux vendre des Cadillac que des compactes.
Mme Robic: Oui.
M. Forget (Claude E.): Évidemment, cela a
entraîné d'autres problèmes, mais il reste que pendant des
années c'a été vrai.
Le Président (M. Forget, Prévost): Merci, Mme la
ministre. M. le député de Gouin, s'il vous plaît.
M. Boisclair: Oui. M. Drouin, M. Forget, M. Dubreuil, merci pour
votre présentation. D'entrée de jeu, j'aimerais vous dire que je
partage tout à fait l'analyse que vous faites en page 22 lorsque vous
dites: 'Tout récemment, lors de l'amendement de 1990 à la Loi sur
les assurances, le législateur québécois intervenait pour
bloquer à ce niveau - on parle des acquisitions en aval - ou à
peu près, les prises de participation via des holdings en aval et a en
outre limité son champ d'application aux sociétés
apparentées ou connexes à l'activité des compagnies
d'assurances." Vous dites: "Malgré la détérioration du
contexte concurrentiel et des marges de profit, les assureurs
québécois ont par surcroît tous acquis à compter de
1984, des pouvoirs plus larges et se sont vu attribuer une mission plus
ambitieuse que leurs concurrents à charte fédérale. Le
législateur a en effet jugé que le capital géré par
les compagnies d'assurance-vie, un capital essentiellement à long terme
et regroupé en blocs significatifs, pouvait être un instrument de
développement collectif pour le Québec. Le pouvoir de
détenir - et c'est ça qui
est intéressant - via les filiales en aval, et de contrôler
des sociétés de toutes sortes est sans équivalent dans la
législation fédérale ou la législation des autres
provinces. Plusieurs compagnies québécoises, toutes des
mutuelles, s'en sont prévalues. Elles ont consacré à cette
mission environ le quart de leurs actifs. "
Soit, nous avons défendu ce point de vue, tout comme vous l'avez
fait, en fonction des moyens qui sont ceux de l'Opposition officielle, pour
essayer de faire valoir un certain nombre d'amendements à l'occasion du
débat sur l'adoption de la loi 112, mais, de ce côté-ci, il
faut très clairement dire qu'il y a eu une différence importante
de point de vue avec la ministre qui a pris un certain nombre de
décisions en limitant, pour les compagnies mutuelles d'assurance, la
possibilité d'investir dans des filiales commerciales, dans des
activités dites connexes.
J'aimerais peut-être aussi souligner l'introduction que vous avez
faite en soulevant avec beaucoup de conviction le fait que La Lauren-tienne est
bel et bien une mutuelle. C'est une question qui, bien sûr, a fait
discuter un certain nombre de personnes. La Laurentienne devait être
consultée au moment de la rédaction du rapport Garneau. On me dit
qu'il y a eu, soit par manque de temps ou... un certain nombre de mauvaises
communications qui se sont faites. Je suis convaincu qu'il aurait
été intéressant que votre point de vue soit entendu,
à ce moment-là. Je souhaite, cependant, que la ministre ne
reprenne pas cette même erreur. Lorsqu'elle dit dans son
communiqué de presse qu'elle confie à ses officiers du
ministère des Finances le soin d'entamer des discussions plus
approfondies avec l'industrie sur la base des diverses hypothèses
soulevées dans le rapport, j'espère que les dirigeants et
vous-mêmes, M. Forget, M. Du-breuil, serez consultés à
l'occasion de ces discussions avec les représentants de l'industrie.
J'aimerais m'attarder, justement, à cette question-là: une
mutuelle, oui ou non. Essentiellement, les critiques qui sont portées
à l'égard de La Laurentienne - est-ce une mutuelle, oui ou non -
portent, dans le fond, sur la gestion de l'esprit mutualiste. Certaines
personnes disent que le cadre actuel de propriété...
Malgré le fait que vous participiez, que vous conserviez plutôt
une partie de cette philosophie mutualiste, certains prétendent que le
nouveau cadre engage certains problèmes potentiels et, à certains
égards, la rend moins compatible avec l'esprit mutualiste. J'aimerais
que vous puissiez éclairer les membres de la commission sur la
façon dont se vit l'esprit mutualiste chez vous, la façon aussi
dont, peut-être, le patrimoine des mutualistes est protégé,
et comment ça se vit chez vous dans votre quotidien.
M. Drouin: Écoutez, je peux commencer et M. Forget
pourrait compléter. D'abord, j'aimerais indiquer que nous avons
été fondés comme compagnie à capital-actions. Nous
sommes devenus une mutuelle suite à une tentative de "take-over" par des
intérêts externes et nous avons adopté la formule de la
mutualisatlon qui était - je m'excuse de l'expression anglaise encore
une fois - un "poison pill" à l'époque, formule que nous n'avons
pas inventée, mais qui a été inventée par des
sociétés bien connues, la Sun Life étant la plus connue.
(11 h 15)
Donc, pour nous, la mutualité, c'est une réalité
qui est née en cours d'histoire et qui a permis de consolider, au
Québec, la propriété de notre groupe, la
propriété de notre société qui était,
initialement, une société mutuelle d'assurance-vie. Je ne pense
pas que ce soit une religion. C'est une réalité
économique, c'est une formule de propriété qui comporte de
grands avantages que nous avons intégralement protégés
dans la formule. Avec les années, nous sommes passés d'une
mutuelle d'assurance-vie, que nous avons toujours conservée, à
une société diversifiée dans les services financiers. La
modernisation de la structure a permis de reconnaître ce fait-là.
Les mutualistes ou les détenteurs de polices étaient à la
fois des assurés de La Laurentienne Vie et, à la fois, des
propriétaires d'un groupe financier qui oeuvrait dans le secteur
bancaire, dans le secteur de l'assurance de dommages, etc. Nous voyons, nous,
la modernisation de la structure comme étant, en partie, une
reconnaissance de cette évolution qui permet de protéger la
propriété des mutualistes d'un groupe financier qui n'est plus,
maintenant, une société d'assurance-vie mais un groupe financier
plus diversifié.
Nous nous étions, au cours des années, associés
à des partenaires externes, sans avoir vraiment des structures d'accueil
pour les incorporer dans notre groupe. Déjà, depuis le
début des années soixante-dix, par exemple, le Groupe Victoire
est un partenaire financier du Groupe La Laurentienne sans que nous ayons une
structure d'accueil. Alors, moi, je perçois donc la modernisation de
notre structure comme étant un reflet de cette réalité qui
n'a pas évolué du jour au lendemain parce qu'on a changé
la loi, mais la loi est venue reconnaître l'évolution graduelle de
notre réalité.
Pour ce qui est du fonctionnement de La Laurentienne Vie comme
société d'assurance-vie, les principes de la mutualité ont
toujours été intégralement respectés et il n'y a
absolument rien de changé dans le fonctionnement de cette
société suite à ces changements. Pour ce qui est des
aspects juridiques et des aspects de propriété. Les principes
fondamentaux en vertu desquels les détenteurs de polices ont le
contrôle absolu sur la société ont été
intégralement respectés. Le principe du droit des
détenteurs de polices à leur participation économique dans
l'éventualité de la liquidation de la société est
intégralement respecté.
Nous continuons à tenir des assemblées annuelles avec les
détenteurs de polices de la même façon que nous les avons
toujours tenues. D'ailleurs, ça va se tenir en avril. Nous leur faisons
rapport comme nous leur avons fait rapport non seulement sur la
société d'assurance-vie, mais sur l'ensemble du Groupe La
Lauren-tienne dont ils sont l'actionnaire principal. Nous avons conservé
le conseil d'administration de la mutuelle de gestion de La Laurentienne Vie
qui a encore exactement les mêmes prérogatives, les mêmes
pouvoirs et les mêmes attributions qu'elle avait antérieurement
à la réorganisation. Donc, il n'y a pas eu de changement
important sur le plan des principes de fonctionnement de l'entreprise
détenue en majorité par des détenteurs de polices.
M. Forget (Claude E.): Peut-être qu'on pourrait dire qu'il
y en a certains qui ont voulu nous faire un procès quant au style avec
lequel on entretenait ou on n'entretenait pas une espèce de vie
coopérative ou participative à l'intérieur de
l'entreprise. C'est un point de vue intéressant, mais il reste que c'est
un point de vue tout à fait théorique. Il y a, bien sûr, un
certain nombre de mutuelles qui sont plus semblables à des
coopératives à cause de ce style de gestion participative
qu'elles ont, et qu'elles ont eu dès l'origine, mais ce sont des
entreprises mutuelles minoritaires au Canada. Il y en a quelques-unes sur le
plan québécois. Il y en a une seule, je pense, au plan
fédéral. Toutes les autres sont le produit de la transformation
que M. Drouin vient de décrire. Il est clair que, mis à part le
style participatif ou non participatif, les droits économiques et les
droits juridiques qui définissent essentiellement, à notre point
de vue, la formule mutuelle y sont respectés intégralement, non
seulement avant toutes les mutations et les transformations qu'on a connues,
mais même après. Donc, il n'y a rien de changé de ce
côté-là. Nous sommes une mutuelle dans ce sens-là,
dans le sens du contrôle juridique et du respect des droits.
S'il y a quelque chose avec l'effet de levier dont on parlait tout
à l'heure, les droits économiques des mutualistes ont
été développés et multipliés bien plus que
la formule originale aurait pu le permettre.
M. Boisclair: Je voudrais peut-être revenir sur la
proposition du rapport Garneau où vous craignez un certain nombre de
distorsions dans le marché. Il y a un certain nombre de craintes aussi
qui peuvent être justifiées. Est-ce qu'on pourrait voir dans le
cas de l'éventuelle création d'une corporation semblable à
celle présentée dans le rapport Garneau, par exemple,
d'éventuelles mesures de redressement pour une entreprise? Est-ce que,
par exemple, la corporation pourra porter des jugements sur la qualité
de l'administration qui pourrait faire face à des problèmes de
remboursement? L'Inspecteur général pourrait trouver un
allié intéressant parmi les gens qui composeront la corporation,
puisque les entreprises, les compagnies d'assurances auront à justifier
leurs demandes auprès de la corporation. C'est un peu le genre de
craintes qui retiennent plus mon attention lorsqu'on parie de cette corporation
à l'image de celle proposée par le rapport Garneau. J'aimerais
peut-être vous entendre, savoir si vous partagez ces mêmes
craintes.
M. Forget (Claude E.): Oui II y a deux dangers. Vous soulignez
avec raison...
M. Boisclair: Une perte d'autonomie dans le fond.
M. Forget (Claude E.): ...qu'un accès automatique à
du financement additionnel sans condition, pourvu qu'on ait le statut de
mutuelle et qu'on soit dans le métier d'assurance, ça laisse
envisager un accès probablement trop large. Injecter du capital
additionnel dans un secteur où on voit qu'il y a déjà un
certain nombre d'entreprises, globalement parlant, qui ont des problèmes
de rendement adéquat, c'est presque garantir que les rendements vont
être plus bas après qu'avant, pour l'ensemble encore une fois.
Donc, ça c'est un danger. L'autre danger, on peut s'en douter
facilement, c'est que si on astreint l'obtention de ce financement à des
conditions, à des mesures de restructuration, à la soumission de
plans de redressement ou de repositionnement sur le marché alors qu'on
déplace le lieu de la responsabilité première pour
gérer les compagnies, c'est un dilemme. Mais à tout prendre, ce
que l'on dit, c'est que le danger est peut-être plus grand du premier
côté, c'est-à-dire mettre plus de capital dans une
industrie où se posent des problèmes économiques
réels. Il faut peut-être mettre ça de côté.
L'autre, il y a peut-être des moyens de contenir le risque et le
déplacement de responsabilités vers l'administration publique,
dans le fond, pour gérer une série d'entreprises
commerciales.
Le Président (M. Forget, Prévost): Voici. Comme le
temps s'écoule très rapidement, nous aurons le temps pour deux
brèves interventions. Alors, Mme la ministre, quelques interventions
très rapidement et après ça, on va revenir. Oui. Il reste
13 minutes en tout.
Mme Robic: Non, non. Alors, il peut... Oui, certainement.
Continuez tout simplement.
Le Président (M. Forget, Prévost): O.K
D'accord.
M. Boisclair: Juste pour préciser, M. le Président.
J'ai toujours cru qu'il y avait une demi-heure qui était...
Le Président (M. Forget, Prévost): C'est parce que
le temps se termine à 11 h 30.
M. Boisclair: Oui, mais on a pris du retard au début. On a
commencé à 9 h 50.
Le Président (M. Forget, Prévost): Est-ce qu'on a
une entente pour continuer après 13 heures?
M. Boisclair: L'idée c'est... Oui, qu'on puisse utiliser
tout le temps, qu'on reprenne les 10 ou les 15 minutes.
Mme Robic: On finirait à quelle heure, M. le
Président?
Le Président (M. Forget, Prévost): 13 h 15, 13 h 20
quoi.
M. Boisclair: Quitte à couper sur l'heure du
dîner.
Le Président (M. Forget, Prévost): Non, non, on va
s'entendre. Il n'y a pas de problème.
Mme Robic: Non. On va finir... On va couper sur l'heure du
dîner tout simplement.
Le Président (M. Forget, Prévost): Bon, parfait.
Alors, 20 minutes de retard. On finira vers 13 h 20. Allez, M. le
député de Gouin.
M. Boisclair: merci, m. le président. je comprends
très bien l'analyse que vous faites, m. forget, mais il n'y a personne
non plus qui propose l'accès illimité à des capitaux sans
condition. ça, ça semble assez clair. j'aimerais revenir sur un
élément: le rapport garneau, en plus de proposer la corporation,
fait une réflexion sur un certain nombre d'autres hypothèses. on
parle des actions, ce qu'on pourrait qualifier d'actions mutualistes. on parle
de capital-actions composé de plusieurs catégories d'actions. on
parle de cette question de créer des marchés là aussi pour
les billets en sous-ordre. est-ce que les gens, chez vous, ont
réfléchi sur d'autres moyens pour essayer de faciliter cette
capitalisation, l'accès à des capitaux externes? je comprends que
vous, vous avez choisi un moyen qui est connu par tous: une législation
adoptée par l'assemblée nationale. sans doute pour vous, cela a
dû être un processus très dispendieux, très
onéreux pour en arriver à cette démarche. est-ce que,
compte tenu de ces dépenses importantes suscitées par une
démarche comme celle que vous avez entreprise, il n'y aurait pas lieu
d'examiner un certain nombre de critères? je n'aime pas le mot
dému-tualisation... le rapport quiquennal parle d'une
réorganisation, d'une restructuration totale ou partielle, c'est le
vocable utilisé dans le rapport quiquennal. est-ce qu'il y aurait
peut-être lieu d'examiner d'autres alternatives ou s'il ne vaudrait pas
mieux, d'ores et déjà, poser un certain nombre de règles
qu'on pourrait appeler une restructuration totale ou partielle?
M. Drouin: Évidemment, on ne peut pas prendre comme
position de s'opposer à des formules novatrices, créatrices
d'émissions de capital, pour autant qu'elles respectent les
règles qu'on a essayé d'énoncer: se soumettre aux lois de
la concurrence économique normale. Mais on a fait l'expérience
d'émettre du capital, étant une créature mutuelle, et on
l'a affiché très haut et très fort. Toutes les fois que
nous nous présentons au public, nous présentons notre
société comme étant une société mutuelle qui
veut avoir accès au marché des capitaux. On s'est rendu compte,
avec l'expérience, que le marché a beaucoup de
difficultés, un, à comprendre et, deux, à accepter une
créature comme la nôtre, qui est une créature un peu
spéciale, pour ne pas dire unique sur le marché. Les
marchés financiers, on le sait, sont très conservateurs; Us sont
soumis à des règles, tout un protocole, des façons de
faire, etc. D'ailleurs, ça a fait partie de notre débat avec les
autorités gouvernementales quand notre projet de loi a été
discuté, que dans la mesure où nous allons lever des capitaux sur
les marchés financiers, il faut se démarquer le moins possible
des règles auxquelles sont habitués ces marchés-là.
Toutes les fois qu'il y a le moindre écart, les marchés
réagissent et les gens se posent des questions, hésitent à
investir, se demandent...
Alors, moi, tout ce que je peux dire, fort de cette
expérience-là, c'est que tous les instruments financiers, les
titres ou les façons de faire qui se démarqueraient trop des
marchés financiers normaux, vont avoir énormément de
difficultés à se vendre. Déjà, en utilisant les
formules bien connues, bien testées - en raison de la structure hybride
que nous représentons tous parce que je pense qu'on va tous vouloir
protéger le caractère mutuel - c'est énormément
difficile à vendre et à faire accepter. Je pense que nous autres,
avec les années, c'est en train d'être accepté, mais le
moindre écart serait perçu de façon très suspecte.
On serait immédiatement interrogé si jamais on arrivait avec un
titre auquel les gens ne sont pas habitués, une formule de financement
ou des conditions d'émission qui ne sont pas les conditions
régulières.
M. Boisclair: Une dernière question, M. le
Président, si vous me permettez. C'est peut-être sortir un peu du
cadre du rapport Garneau et de la question du financement des mutuelles
d'assurance. Vous demandez, par exemple, et plusieurs personnes qui
interviendront dans le débat ou qui sont intervenues à
différentes occasions soulignent le fait - je crois que le rapport
Garneau en parle bien, à la page 8, lorsqu'il dit
et je le reprenais dans mon discours d'ouverture: "Aucune
législation n'a encore encadré les principes - on parle du
principe du mutualis-me - dans un corps organisé. Le législateur,
au sein de la Loi sur les assurances, a prévu des modalités de
fonctionnement s'appliquant mutatis mutandis à une compagnie à
capital-actions aussi bien qu'à une mutuelle." Est-ce que vous verriez
d'un bon oeil que peut-être dans une modification à venir de la
Loi sur les assurances le législateur intervienne pour fixer un certain
nombre de règles quant à la gestion de ce patrimoine qui
appartient aux mutualistes, comme c'a été le cas, comme il existe
ce genre de législation, je crois, en France. Le professeur Moffet donne
un certain nombre d'exemples de législation. Est-ce que vous verriez
d'un bon oeil que le législateur intervienne pour protéger
justement ce patrimoine de mutualisme? (11 h 30)
M. Drouin: Moi, mon opinion personnelle sur les mesures
protectionnistes - vous utilisez le mot "protection" - je ne suis pas sûr
que c'est la meilleure voie pour l'avenir économique du Canada, du
Québec, etc. Je pense qu'on devrait prendre une attitude beaucoup plus
agressive sur les marchés. On va se tailler une place sur les
marchés dans la mesure où on est aussi bon que les autres, on est
aussi concurrentiel que les autres et on est aussi capable que les autres.
Toutes les fois qu'on érige des barrières, on crée un
effet négatif vis-à-vis d'autres partenaires, d'autres
investisseurs ou d'autres groupes qui pourraient investir dans nos
institutions. Par contre, nous serions très favorables à ce
qu'une loi générale soit adoptée ici pour permettre de
moderniser les structures mutuelles et les adapter à la
réalité des marchés d'aujourd'hui. Je ne pense pas que ce
serait une attitude protectionniste autant qu'une attitude qui permettrait
d'ouvrir...
Une voix: C'est ça, c'est ça.
M. Drouin: ...de nouvelles possibilités d'action,
d'intervention et de financement des sociétés mutuelles. Encore
une fois, nous sommes loin de préconiser que la solution de La
Lauren-tienne soit la seule.
M. Boisclair: Mais vous dites donc qu'une protection
législative, comme il existe en France - on nous donne même des
références - qu'une intervention du législateur pour
protéger le patrimoine des mutualistes constituerait, quant à
vous, une entrave ou une réglementation accrue de l'industrie.
M. Drouin: Je vais vous donner des exemples concrets. Nous, nous
avons une filiale en Angleterre; notre filiale en Angleterre, nous avons pu
l'acheter sans aucune contrainte. Nous avons 2 500 000 000 $ d'actif maintenant
en
Angleterre. Nous pouvons maintenant avoir plus facilement une licence,
un permis d'opérer une compagnie d'assurance-vie en France que nous
pouvons le faire en Alberta. C'est plus facile, il y a moins de contraintes,
c'est plus simple. Ça va être très difficile, à mon
avis, dans un monde qui se globalise comme ça de dire: Permettez-nous
donc de nous établir en Europe ou aux États-Unis et nous, les
Québécois et les Canadiens, on va établir des
frontières ou des... On va vous empêcher de venir intervenir
librement sur nos marchés. Je pense qu'il y a une question de dosage, il
y a une question de degré et je pense que la législation
française, à l'heure actuelle, évolue beaucoup dans un
sens d'ouverture plutôt que dans un sens de fermeture. Je pense que les
Français qui avaient des entreprises beaucoup moins efficaces que les
Allemands, par exemple, sont en train de devenir aussi efficaces que les
Allemands. On a un bon exemple dans notre propre groupe, le Groupe Victoire,
qui est un groupe français, a acheté une société
allemande. Ils sont aussi bons, aussi capables et aussi efficaces que les
Allemands. La législation allemande a été
libéralisée pour leur permettre de le faire. Moi, je dis: Les
mesures à caractère protectionniste peuvent nous donner une
impression, une illusion à court terme, mais à long terme, je ne
suis pas sûr que ce soit la meilleure formule pour assurer le dynamisme
de nos entreprises. Il faut réaliser que c'est une question...
M. Boisclair: Si vous me permettez...
M. Drouin: Dans tout ça, c'est une question de
degré, c'est une question de timing et c'est une question
d'évolution. C'est sûr qu'on ne peut pas se permettre aujourd'hui
d'ouvrir les vannes toutes grandes, c'est évident.
M. Boisclair: mais vous assimilez une future intervention du
législateur pour protéger le patrimoine des mutualistes, vous
l'assimilez à des mesures à caractère protectionniste.
c'est bien ça que je dois comprendre de votre réponse?
M. Drouin: C'est une question de dosage. Je pense que nous sommes
tout à fait d'accord et nous l'avons proposé, que le
contrôle mutualiste soit protégé dans le cas du Groupe La
Lauren-tienne. Alors, évidemment, nous sommes partisans de cette
barrière-là et nous réussissons à vendre, à
l'heure actuelle... que les investisseurs viennent investir chez nous
malgré ce contrôle-là. Nous ne proposons pas du tout que
cette balise-là soit enlevée. Mais je dis que, dans la
réflexion qu'on fait et dans l'ouverture qu'on veut avoir sur les
marchés, soyons prudents dans les mesures à caractère
protectionniste par rapport aux mesures d'ouverture. C'est tout ce que je veux
dire. Je ne dis pas que nous avons les moyens de nous permettre d'ouvrir les
vannes toutes grandes et
d'éliminer tout le protectionnisme. Tous les pays en font du
protectionnisme, quel qu'il soit. C'est une question de degré sur
laquelle je veux attirer l'attention et on va être beaucoup plus en
mesure de lever des capitaux dans la mesure où on va être plus
ouvert sur les marchés et concurrentiel que les mesures
protectionnistes, trop protectionnistes. Les questions de degré et de
dosage travaillent contre nous et pas pour nous, c'est le point que j'essaie de
faire.
M. Forget (Claude E.): Si je peux ajouter brièvement, je
crois que dès qu'on entend parler de protection, que ce soit du
consommateur ou, dans ce cas-ci, des mutualistes, il est très difficile
d'imaginer que ça se traduirait en fait par autre chose qu'une
interdiction de faire ceci ou cela. Peut-être est-ce une mauvaise
hypothèse?
Le Président (M. Lemieux): Ça va monsieur le...
M. Boisclair: Non, mais c'est de concilier ça avec
l'esprit mutualiste. C'est qu'on concilie ce besoin de protection du patrimoine
avec l'esprit mutualiste. Je pense que M. Drouin a tout à fait raison de
dire qu'il s'agit là finalement d'une question de dosage. Mais, j'aurai
l'occasion dans les jours qui viennent de discuter du partage et surtout des
actifs accumulés dans les régimes de retraite. Vous voyez de
quelle façon le problème se pose. Je vois M. Millette qui aura
à intervenir à l'occasion de cette commission. C'est toute cette
question finalement: À qui appartient ce patrimoine? Comment peut-on en
disposer? De quelle façon aussi peut-il y avoir une interaction entre
les gestionnaires de deux corporations? Le problème est posé et
je pense que M. Drouin y a répondu d'une façon
intéressante en parlant de la question de dosage. Mais, il y a aussi un
certain nombre de considérations. Mot, je peux vous dire, je suis quand
même assez sensible au plaidoyer que bien des gens font dans le milieu
sur le respect de cet esprit mutualiste. Vous avez bien expliqué aussi,
comment chez vous, à La Laurentienne, c'est vécu cet esprit
mutualiste. Mais il y a aussi une certaine conception à y avoir, je
crois, quant à la propriété de ce patrimoine, la
façon dont on peut en disposer. Déjà, un certain nombre de
règles existent, je ne crois pas qu'on est dans le néant.
M. Forget (Claude E.): Si vous me permettez, je crois qu'il faut
faire attention là de ne pas tirer des analogies inappropriées.
La protection du consommateur c'est une chose. Quand on parie de la protection
des mutualistes, il faut bien se souvenir que dans la philosophie de la
mutualité, les mutualistes sont des propriétaires. Les
propriétaires n'ont pas que des avantages dans n'importe laquelle
entreprise; ils encourent aussi des risques. Si l'on veut imaginer une forme de
propriété où il y a seulement des avantages et aucun
risque, je crois que là on est très innovateur et très
audacieux, mais on mélange deux ordres de préoccupations. Si l'on
veut traiter les mutualistes seulement comme des consommateurs, alors, il faut
se poser la question: Est-ce qu'on croit vraiment à la mutualité
parce que, de toute façon, ils sont des assurés, ils sont
protégés comme assurés? Si en plus de ça, on veut
leur donner une protection comme propriétaires, je pense que là
on s'éloigne du concept plutôt que de s'en rapprocher.
Le Président (M. Lemieux): Merci. Mme la ministre.
Mme Robic: Dans votre exposé vous nous dites que
l'amélioration de la position des mutuelles québécoises
passe par les marchés interprovinciaux et internationaux. Ça
m'amène à parler de normes de capitalisation. Vous l'avez
mentionné, tout à l'heure, M. Drouin. M. Millette va être
heureux de savoir que vous avez fait un très bon plaidoyer pour les
normes de l'ACCAP. Mais, n'est-il pas vrai qu'il faut se donner des normes
compatibles sur ces marchés interprovinciaux et internationaux et que
l'un des problèmes que l'on a, que nos compagnies mutuelles ont, c'est
que, justement, ces marchés, les normes que l'on retrouve au niveau
international font en sorte qu'on doit, si on veut être compatible avec
ces normes, faire disparaître le double comptage et l'achalandage? C'est
là, peut-être, que certaines de nos compagnies qui ont grandi
grâce à certaines acquisitions, des filiales, se trouvent
aujourd'hui pénalisées devant ces nouvelles normes. Vous qui
êtes déjà sur ces marchés, vous ne craignez pas que,
si nos normes ne sont pas à la hauteur de ces normes-là, qu'elles
sont déficitaires vis-à-vis de ces normes-là, vos
compétiteurs puissent se servir de ça contre vous?
M. Drouin: Je vais commencer... On a tous les deux la tentation
de répondre ici. L'un des débats favoris de l'heure,
peut-être trois éléments. J'ai indiqué, je pense,
qu'il y a évidemment des intérêts commerciaux en cause ici.
Ottawa est très influencé par la mentalité bancaire qui
domine à Ottawa, puis c'est normal, c'est l'autorité
fédérale qui gouverne le système bancaire. La
majorité des fonctionnaires qui sont reliés aux services
financiers à Ottawa connaissent beaucoup mieux le système
bancaire que quelque autre activité.
Le deuxième point que j'aimerais "faire", c'est que les normes de
l'ACCAP reflètent le résultat d'un long débat à
l'intérieur de l'industrie où là aussi il y a des
intérêts commerciaux en jeu, je l'ai indiqué, des joueurs
plus gros, des joueurs moins importants, qui ont finalement réussi
à s'entendre sur des normes. L'industrie se porte forte, se porte
garante de
faire en sorte que ces normes soient respectées et d'indemniser
tout assuré qui se retrouverait lésé dans le
système canadien, par un assureur qui aurait été
accrédité.
Nous, le débat a eu lieu. On en est arrivés à la
conclusion, comme industrie, que ces normes-là correspondent
parfaitement aux besoins de la protection du public. Non seulement ça
mais, comme industrie, les grands, les moyens et les petits se rendent
responsables d'indemniser les assurés. Nous disons à
l'État: Ou bien l'État n'a pas besoin d'aller plus loin ou, si
l'État veut faire quelque chose, pourquoi n'adopte-t-il pas tout
simplement les normes que l'industrie elle-même a convenu d'appliquer et
dont elle se porte garante?
Le troisième point que j'aimerais "faire", c'est que, au
contraire, je ne pense pas que les Québécois ni les Canadiens
devraient rougir de leurs normes. On a fait des comparaisons, justement, avec
nos confrères européens qui ont une présence en
Angleterre, en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, etc., et on a fait
certains calculs qui démontrent que, non seulement nos normes, on n'a
pas à en rougir mais, au contraire, généralement, les
normes européennes sont plus souples et plus permissives que les normes
de l'ACCAP qui ont été déposées. Je pense qu'on est
en mesure de documenter cette comparaison-là. On a invité vos
représentants à se familiariser avec ces chiffres-là.
Alors, pour ces trois raisons-là, je me sens bien à l'aise
de supporter avec enthousiasme ces normes-là, comme représentant
un compromis qui rencontre toutes les conditions imposées. Je ne sais
pas si, Claude, tu veux ajouter...
Mme Roblc: Merci, M. le Président. Ça va. Le
Président (M. Lemieux): Ça va.
Mme Robic: Non. Peut-être pas, M. le Président, si
vous me le permettez.
Le Président (M. Lemieux): Oui. Allez-y, Mme la
ministre.
Mme Robic: On va revenir sur le pourquoi de la raison qu'on se
retrouve ici. M. le président, vous qui avez pris la décision de
faire une réorganisation importante de votre organisme pour, justement,
vous permettre de grandir, de vous développer, sans doute qu'avant
d'arriver à cette conclusion-là qu'il vous fallait vous
réorganiser, réorganiser vos structures, vous avez dû
également chercher des moyens de vous capitaliser, de grandir, sans
nécessairement aller à une restructuration. Dans toute cette
réflexion, est-ce que ça a été pour vous la seule
façon de réussir, le seul moyen que vous avez trouvé pour
vous capitaliser, pour grandir, ou si c'est un moyen parmi d'autres que vous
avez choisi? Est-ce qu'il y en avait d'autres? Est-ce que vous aviez d'autres
alternatives au moment de vos discussions?
Le Président (M. Lemieux): M. Drouin.
M. Drouin: Si on regarde la solution, quand je dis qu'avec un
avoir net de 50 000 000 $ on a réussi a lever 1 000 000 000 $ de capital
extérieur sous forme d'équité, il y a toute une
variété de réalités là-dedans. Il n'y a pas
de dette; il n'y a pas un sou de dette encore, mais ce n'est pas exclu qu'on
utilise la dette subordonnée ou qu'on utilise d'autres instruments,
d'autant plus que la loi fédérale va nous permettre de le faire.
Elle ne nous le permet pas au moment où on se parle. Mais il y a, dans
l'éventail des moyens auxquels on a accès maintenant, le capital
ordinaire, il y a le capital privilégié, il y a la dette
subordonnée, il y a les intérêts minoritaires dans les
filiales, il y a les intérêts participants de certaines
catégories d'assurés. En d'autres termes, on a maintenant
accès à toute la gamme des instruments financiers, des
marchés financiers normaux, allié au fait que notre
propriétaire principal est une mutuelle, la corporation mutuelle de
gestion, qui représente les assurés. Dans notre système,
il y a déjà une variété de solutions qu'on retrouve
pour capitaliser nos activités, dont certaines ne sont même pas
encore utilisées, dont la dette subordonnée que nous n'avons pas
commencé encore à utiliser, mais que nous allons commencer
à utiliser bientôt.
Le Président (M. Lemieux): En conclusion, s'il vous
plaît, M. Drouin. Vous avez environ deux minutes pour conclure.
M. Drouin: Bien, notre conclusion... Je pourrais
répéter... Nous pensons donc que le problème de
financement des mutuelles n'est pas seulement un problème juridique,
c'est beaucoup plus un problème de marché. À notre avis,
le secteur de l'assurance-vie, le secteur des mutuelles d'assurance-vie, en
particulier, devrait profiter d'une stratégie de repositionnement en se
concentrant sur des segments de marchés plus lucratifs, en favorisant
certains regroupements et la diversification géographique de nos
sociétés. Nous sommes favorables à ce que les lois
générales favorisent et facilitent la modernisation des
structures des entreprises mutuelles. La formule de La Laurentienne est une
solution. Il y en a beaucoup d'autres qui pourraient être mises de
l'avant, mais une loi générale devrait faciliter cette
chose-là plutôt qu'une série de lois privées. Nous
sommes d'accord pour que l'accès au capital soit facilité, mais
il ne faut jamais oublier que, quelle que soit la formule d'accès au
capital, il faut rémunérer le capital et on aurait tort de
trouver des formules, à notre avis, qui privilégieraient des
formules d'accès qui ne sont pas basées sur des données de
marché et une corn-
pétitivité adéquate de nos sociétés.
Nous invitons l'État à être prudent avec l'adoption de
normes de capitalisation et de normes prudentielles qui s'écartent des
marchés ou avec l'introduction de mesures de support ou d'encadrement
qui résulteraient en une perturbation des marchés normaux.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Drouin. Alors, nous
allons maintenant suspendre nos travaux pour environ trois minutes, pour
permettre au Groupe de travail sur le financement des mutuelles de bien vouloir
prendre place. Rapidement, cinq secondes, Mme la ministre.
Mme Robic: Tout simplement, M. le Président, pour
remercier le Groupe La Laurentienne, M. Drouin, M. Forget et M. Dubreuil
d'avoir participé à notre consultation. Votre mémoire est
intéressant. Il est sévère à des moments
donnés, d'ailleurs, vous faites une analyse assez sévère,
mais il est de grande qualité. On l'a trouvé fort
intéressant et nous allons certainement avoir le plaisir de le relire
pour pouvoir l'approfondir. Alors, je vous remercie infiniment.
Le Président (M. Lemieux): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Gouin.
M. Boisclair: M. Drouin, M. Forget, M. Dubreuil, je veux vous
remercier pour votre présentation. Je pense que les gens de l'Opposition
officielle, particulièrement moi-même et M. Parizeau, sont
contents d'avoir pu vous donner l'occasion de vous exprimer. Faut-il rappeler
que c'est grâce à l'Opposition officielle si on est capable de
tenir une consultation comme celle que nous tenons aujourd'hui. Je tiens
à le rappeler, c'est à la demande de l'Opposition, et à
vous dire que nous avons partagé dans le passé plusieurs points
de vue en commun, particulièrement sur cette question des acquisitions
en aval. Je souhaite que votre point de vue soit entendu. C'est une
réflexion novatrice, une réflexion qui détonne
peut-être un peu par rapport aux autres parce que j'ai eu l'occasion de
lire l'ensemble des mémoires. Mais je crois qu'il s'agit là d'une
position courageuse puisqu'elle est peut-être un peu plus à part.
Je tiens à vous en remercier et je suis convaincu qu'il y a là
matière à réflexion.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de Gouin. Alors, nous suspendons...
M. Drouin: Nous avons apprécié le sérieux et
l'accueil de la commission et aussi son sens de l'humour.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Drouin. La commission
vous remercie de votre participation et nous suspendons pour trois minutes,
pour permettre au Groupe de travail sur le financement des mutuelles de bien
vouloir prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 11 h 50) (Reprise à 11 h
55)
Groupe de travail sur le financement des
mutuelles
Le Président (M. Lemieux): La commission reprend ses
travaux pour entendre le Groupe de travail sur le financement des mutuelles. La
durée totale de l'audition de tous les organismes est d'une heure trente
minutes, soit 30 minutes pour l'exposé de votre mémoire; suivront
60 minutes d'échanges entre les parlementaires, dont 30 minutes pour le
groupe parlementaire formant le gouvernement et 30 minutes pour l'Opposition.
Les députés ont un temps de parole de 10 minutes en respectant la
règle de l'alternance. Mme la ministre, vous avez la parole. Pardon, M.
Garneau, président du Groupe de travail sur le financement des
mutuelles, la parole est à vous. Auriez-vous la gentillesse de
présenter les gens qui vous accompagnent?
M. Garneau (Raymond): Certainement. M. le Président, Mme
la ministre, MM. les députés, à ma gauche, M.
Andréa Latulippe, président de La Solidarité, mutuelle
d'assurance sur la vie; à ma droite, M. Leopold Marquis,
président de la mutuelle Les Services de santé du Québec,
M. Yves Millette qui faisait partie de notre groupe de travail à titre
individuel, mais qui est un permanent à l'ACCAP, Association canadienne
des compagnies d'assurance de personnes inc., et, finalement, M. Serge
Chevalier, fiscaliste de la firme comptable Raymond Chabot Martin
Paré.
Nous tenons à remercier les membres de la commission du budget et
de l'administration de nous permettre, aujourd'hui, de nous exprimer et
d'engager le dialogue sur le financement des mutuelles d'assurance de personnes
à charte québécoise.
Comme vous le savez, en octobre dernier, notre groupe de travail a
soumis à Mme la ministre des recommandations afin de procurer aux
mutuelles québécoises un moyen de financement qui leur
permettrait d'assurer leur croissance et leur développement. C'est donc
dans le cadre de nos recommandations et de la réflexion qui les a
précédées que nous voulons faire quelques commentaires.
Vous aviez déjà reçu, je crois, le rapport.
Notre exposé portera d'abord sur le mandat que nous avait
confié Mme la ministre et les paramètres qui l'accompagnaient.
Nous aborderons ensuite les différentes avenues que nous avons
étudiées et celles que nous avons volontairement ignorées.
Finalement, nous expliquerons pourquoi les recommandations formulées
nous apparaissent
comme étant une bonne solution pour le financement des
mutuelles.
En mai 1990, dans le cadre de la révision quinquennale de la Loi
sur les assurances, Mme Robic demandait à notre groupe d'examiner les
véhicules de financement qui pourraient être mis de l'avant afin
de permettre aux mutuelles d'assurance de personnes du Québec de
poursuivre leur expansion et ainsi continuer à jouer un rôle
toujours plus important dans le développement économique du
Québec. Dans l'exécution de ce mandat, Mme Robic nous a
demandé de respecter un certain nombre de paramètres.
Premièrement, les recommandations qui comprendraient des exemptions
fiscales seraient difficilement acceptables. Deuxièmement, notre groupe
devait réfléchir en dehors des structures gouvernementales, et je
pense que ça se comprenait. Elle avait déjà le point de
vue, probablement, de ses fonctionnaires. Troisièmement, aucun budget ne
nous était alloué et, finalement, on avait cinq mois pour
déposer notre rapport. Je crois que nous avons respecté les cinq
conditions. J'espère qu'il ne leur arrivera pas la même chose que
le lac Meech.
Finalement, quant à nous, les membres du groupe de travail, nous
voulions proposer des options qui soient simples. C'était l'une de nos
préoccupations. C'était de pouvoir proposer un mécanisme
qui ne nécessiterait pas des tonnes de législations et des
changements aux principes fondamentaux opérationnels des entreprises.
Nous voulions que nos propositions soient transparentes, c'est-à-dire
qu'on évite les voies, les avenues qui nous permettraient de faire
indirectement ce qu'on n'a pas le droit de faire directement et, finalement,
qui comporteraient pour le gouvernement et aussi pour les entreprises en
question des coûts les plus bas possible. De plus, les propositions qui
seraient faites devaient être applicables et équitables aussi pour
toutes les mutuelles, peu importe leur dimension. contrairement aux
sociétés à capital-actions, les mutuelles ne peuvent
émettre d'actions ordinaires pour lever du capital et assurer leur
croissance. en plus de leur profit annuel qui s'ajoute aux excédents
accumulés, les mutuelles disposent des instruments ou moyens de
financement suivants qui sont soit prévus par la loi ou simplement
autorisés: d'abord, les actions privilégiées; ensuite, /es
obligations non garanties et les billets en sous-ordre; troisièmement,
les holdings en aval, fa fusion des mutuelles, la démutualisation ou la
restructuration.
En ce qui concerne les actions privilégiées, la loi 75 de
1984 a bien permis aux mutuelles d'émettre ce type d'actions, mais la
fiscalité sur ces titres a été tellement amplifiée
depuis que leur utilisation comme instrument de financement est maintenant
très coûteuse et le marché potentiel restreint. Ce moyen de
financement a d'ailleurs été abandonné, je crois, par une
des mutuelles qui l'avaient utilisé. Il s'agit donc d'un moyen de
financement plutôt théorique que pratique.
Deuxièmement, quant aux obligations non garanties et les billets
en sous-ordre, nous croyons qu'il est maintenant possible de donner une
certaine vitalité à ces instruments qui sont permis par la loi,
lesquels, à notre connaissance, n'ont pas été ou
très peu été utilisés. Comme vous l'avez
constaté à la lecture de notre rapport, nos recommandations
reposent sur l'utilisation de ces instruments de financement. Alors, vous me
permettrez d'y revenir un peu plus tard.
Troisièmement, les holdings en aval représentent un
excellent instrument de financement qui se compare aux instruments qui sont
à la disposition des autres institutions financières qui sont,
rappelons-le, des concurrentes directes des mutuelles dans bien des
domaines.
En permettant aux mutuelles québécoises de créer
des sociétés en aval, le gouvernement du Québec a voulu
ainsi faciliter l'utilisation de l'avoir des assurés et des actifs qu'il
gère, qui sont sous le contrôle de Québécois en
grande majorité et de permettre, en fait, à la
collectivité québécoise d'en bénéficier par
des développements économiques plus considérables. Or, cet
instrument risque de devenir de moins en moins attrayant et sera
peut-être même délaissé avec les normes de capital
qui sont en cours d'élaboration et qui prévoient un traitement
très, très conservateur des investissements en filiales et de
l'achalandage.
Ainsi, jusqu'à maintenant, cet instrument a permis et permet
encore aux mutuelles de diversifier leurs activités dans leur nature et
sur le plan géographique à un coût abordable. Grâce
à la participation de partenaires externes, cet instrument risque de ne
plus être utilisé. la fusion de mutuelles. par le passé, on
a connu quelques fusions. les coopérants ainsi que la compagnie
l'industrielle-alliance sont des entreprises qui sont issues de fusions. la
fusion, bien que n'étant pas un instrument de financement en soi, a
permis aux mutuelles, mais aussi à d'autres types de
sociétés, premièrement, d'avoir la taille suffisante pour
opérer à des coûts concurrentiels et, deuxièmement,
de jumeler leur avoir pour ainsi créer une base de capital plus
importante. dans le cadre du mandat gu/ nous a été confié,
nous n'avons pas examiné /a question de fusion. nous aurions pu
difficilement suggérer cette option comme une source valable de
financement et elle demeure ouverte aux entreprises intéressées,
le tout sujet à l'approbation des autorités.
Finalement, la démutualisation et la restructuration. Au
Québec, deux compagnies ont opté pour la démutualisation
pour répondre à leurs besoins spécifiques de
développement stratégique. Les consultations auprès des
autres dirigeants de mutuelles - et nous avons tenu deux séances de
travail avec ces entreprises - nous ont amenés à la
conclusion que celles-ci désiraient préserver leur
caractère mutualiste qui sert bien leur clientèle et
protège nos compagnies québécoises contre les prises de
contrôle non désirées. Comme nous l'indiquions dans notre
rapport, nous croyons que le patrimoine collectif amassé par nos
mutualistes et dont nous sommes les gardiens doit être
protégé, nourri et développé.
Par la suite, dans le cadre de notre mandat, nous avons examiné
deux nouvelles avenues et analysé plus en profondeur le marché
des obligations non garanties. Parmi les nouvelles avenues, il y avait ce que
nous avons appelé les actions mutuelles que nous retrouvons à la
page 18 de notre rapport. Sans entrer dans le détail technique, ces
actions mutuelles auraient été des titres que l'on aurait pu
comparer aux parts permanentes émises par les caisses populaires
Desjardins.
Nous n'avons pas recommandé cette source éventuelle de
financement. À notre avis, pour intéresser les épargnants
à ce type d'instrument, il faudrait que des actions mutuelles jouissent
d'avantages fiscaux, comme c'est le cas pour les parts permanentes. De plus,
comme les mutuelles ont besoin de capital permanent ou quasi permanent, les
investisseurs auraient dû accepter d'immobiliser leur épargne sur
une période minimale de 10 ans, d'où la nécessité
d'un marché secondaire actif.
Finalement, pour mettre en marché de tels titres à un
coût raisonnable, il aurait fallu compter sur un important réseau
de distribution, élément que plusieurs de nos mutuelles n'ont
pas. Le véhicule demeure quand même valable, mais il ne serait pas
adéquat pour lever rapidement des capitaux. La seconde avenue que nous
avons examinée est celle du capital-actions composé de plusieurs
catégories d'actions. Cette option mériterait d'être
approfondie, chose que nous n'avons pu faire. Elle nécessiterait sans
doute des modifications à la loi actuelle sur les assurances. Cette
avenue avait déjà été recommandée par
l'ACCAP en 1982, mais compte tenu que cette source de financement
nécessite la cohabitation d'actionnaires et de mutualistes dans la
société mère et qu'une étude des
possibilités et conséquences aurait été
nécessaire - étude que nous n'avions ni les moyens, ni le temps
de faire - nous n'avons pas été en mesure de recommander cette
approche. De plus, une opération consistant à joindre des
actionnaires ordinaires aux mutualistes nous apparaît délicate
puisque, dans la pratique, un actionnaire, même minoritaire, pourrait
avec un peu d'astuce et de patience prendre le contrôle de la mutuelle ou
faire en sorte que ses intérêts personnels influencent fortement
les opérations.
Il nous reste donc les obligations non garanties et les billets en
sous-ordre dont nous avons parlé plus tôt. Ces instruments de
financement sont actuellement autorisés dans la Loi sur les assurances.
Aucune législation nouvelle ne serait donc requise. La seule
difficulté que présentent ces titres est que les compagnies n'ont
pas trouvé de moyen efficace de les mettre en marché à un
coût acceptable. À leur avantage, ces titres d'endettement sont
reconnus dans le calcul du capital minimal d'une compagnie d'assurance-vie par
l'ACCAP et par les autorités de surveillance dans la mesure où
leur échéance est à long terme.
Comme nous l'avons mentionné, la principale difficulté est
de mettre ces titres en marché à un coût raisonnable pour
la mutuelle et, surtout, d'assurer un marché secondaire pour les
détenteurs de ces titres. De plus, les mutuelles d'assurance de
personnes étant relativement moins connues que les autres institutions
financières et la composition de leur bilan étant moins bien
comprise, cela rend difficile toute démarche individuelle ainsi que
l'établissement d'un coût équitable du capital. C'est
pourquoi nous avons proposé une approche unifiée des mutuelles
qui prendrait la forme d'une corporation que nous avons appelée le Fonds
des mutuelles d'assurance de personnes à charte
québécoise. De plus, pour faciliter la mise en marché des
titres émis par la corporation, obtenir du financement à un
coût raisonnable et assurer le marché secondaire - j'y reviens
toujours parce que c'est, je crois, la pierre angulaire de toute approche -
nous avons suggéré la participation du gouvernement du
Québec sous la forme d'une garantie des titres qui seraient émis
par la corporation.
L'importance de la garantie gouvernementale réside dans,
premièrement, la facilité de mise en marché des titres;
les titres garantis par le gouvernement sont des placements admissibles par les
fonds de pension et les institutions financières qui sont des
intervenants très importants sur le marché des obligations.
Deuxièmement, la garantie gouvernementale assurerait le fonctionnement
d'un marché secondaire et aussi diminuerait le coût du capital.
Troisièmement, toutes les mutuelles auraient la possibilité
d'emprunter auprès de la corporation en émettant, en
contrepartie, des titres équivalents en durée et en rendement.
Cette source de financement serait donc accessible aux petites mutuelles.
Quel serait le risque pour le gouvernement du Québec? À
notre avis, le risque serait nul ou presque: d'abord, parce que toute demande
de financement provenant d'une mutuelle devrait, au préalable,
être acceptée par le conseil d'administration de la corporation
proposée; ensuite, comme vous le savez, les mutuelles d'assurance font
l'objet d'une surveillance et d'un contrôle régulier de la part de
l'Inspecteur général des institutions financières. Ainsi,
le gouvernement du Québec, sans s'ingérer dans les affaires des
compagnies, a un accès permanent aux données financières
des compagnies, ce qui permet d'avoir
un portrait toujours à jour de la situation financière des
assureurs.
Finalement, il convient de rappeler que les provisions
mathématiques établies par les assureurs sont calculées
sur des bases conservatrices et, faut-il le rappeler, que dans le domaine de
l'assurance de personnes, aucun membre assuré d'une mutuelle n'a subi de
perte à la suite de l'incapacité d'un assureur de respecter ses
engagements. De plus, en se capitalisant au moyen d'obligations, cela n'aurait
aucun effet sur les droits et les pouvoirs des mutualistes. Comme nous l'avons
expliqué dans notre rapport, le besoin de trouver de nouvelles sources
de financement n'est pas nouveau ni unique aux mutuelles. Grâce aux
régimes d'épargne-actions, plusieurs institutions
financières québécoises d'importance ont
bénéficié d'avantages qui leur ont permis de renforcer
leur base de capital à meilleur coût. Les caisses populaires
Desjardins ont, elles aussi, procédé à la levée de
capitaux par le biais de parts permanentes auxquelles sont attachés des
avantages fiscaux. Comme en font état les experts auxquels nous faisons
référence dans notre rapport, les institutions financières
des États-Unis, d'Europe et du Japon cherchent aussi à se
capitaliser, tout cela afin, d'une part, de soutenir leur croissance et ainsi
continuer à occuper la place qu'occupent ces institutions dans leur
marché respectif et, d'autre part, pour satisfaire aux exigences
minimales en capital auxquelles elles sont soumises.
Ainsi, la démarche des mutuelles québécoises n'est
pas le signe qu'elles sont plus faibles que les autres institutions
financières. Il s'agit plutôt de la recherche d'une solution qui
leur permettra de concurrencer, sur une base équitable, avec les
banques, les sociétés de fiducie et les caisses populaires qui
occupent de plus en plus les champs d'activité qui étaient
autrefois réservés aux compagnies d'assurances. À la
différence de ces dernières, les mutuelles n'ont pas accès
à des sources de financement comparables. Elles n'ont jamais pu
bénéficier d'avantages fiscaux qui auraient pu faciliter la
levée de capitaux. La solution que nous proposons ne contient aucune
demande d'avantage fiscal, est, à notre avis, sans risque pour le
gouvernement du Québec, est accessible à toutes les mutuelles,
grandes et petites, et pourrait, en pratique, n'entraîner aucun
coût pour le gouvernement puisque la différence entre le taux
chargé aux mutuelles emprunteuses et le taux accordé à
l'investisseur pourrait couvrir les frais d'opération du fonds des
mutuelles d'assurance de personnes à charte québécoise. De
plus, le capital ainsi souscrit serait admissible dans la base de capital
requise par les autorités de surveillance.
Madame, messieurs, M. le Président, voilà les remarques
que nous voulions faire et qui sont en quelque sorte un résumé du
rapport qui avait été déposé auprès de Mme
la ministre et dont vous avez copie. Nous sommes donc à votre
disposition pour les remarques et les questions. Merci.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Garneau. Mme la
ministre.
Mme Robic: Merci, M. le Président. Bienvenue, messieurs.
Merci de... On est heureux de vous avoir pour pouvoir discuter plus en
profondeur votre rapport qu'on peut certainement taxer d'être
ingénieux et audacieux. Je vous l'ai déjà dit en
privé et en public et je veux vous le redire dans l'exercice
d'aujourd'hui. J'admets que c'est à l'initiative de l'Opposition, et que
j'ai accepté d'emblée, parce que j'en ai fait une priorité
que de trouver et de vous aider à trouver une solution à un
problème que vous avez à vivre et qui, contrairement à
d'autres, est peut-être causé par la structure que vous avez et
que vous désirez conserver d'ailleurs, et que j'appuie. Donc, c'est
intéressant de pouvoir vous avoir à notre table aujourd'hui et de
pouvoir continuer avec vous la réflexion. C'est vrai que je ne vous ai
pas donné beaucoup de temps; donc, la qualité du rapport, dans si
peu de temps, doit nous impressionner. C'est vrai que je vous avais
donné des balises à part ça, il faudrait peut-être
qu'on fasse sauter ces balises-là dans la continuation de notre
réflexion et aller plus largement dans notre poursuite de solution.
J'aimerais peut-être vous demander de nous décrire un peu
plus en détail une opération de financement type qui serait
réalisée via le fonds qu'on pourrait créer. Comment est-ce
que ça fonctionnerait, un financement à travers le fonds
mutuel?
M. Garneau: Oui. Je voudrais réellement prendre un exemple
théorique parce qu'il n'est pas en fonctionnement et si mes
collègues ont des choses à ajouter, je les prierais d'y aller. La
façon dont on le voyait, c'est que ça opérait un peu comme
la SDI. La SDI lève des fonds par l'émission d'obligations. Le
conseil d'administration et le fonctionnarisme ou les officiers de cette
entreprise-là reçoivent des demandes, les analysent, les
acceptent ou les refusent. S'ils les acceptent, ils pourront les mettre en
application soit par une prise de possession d'une partie du capital en actions
directes, soit en débentures subordonnées, soit tout simplement
en financement à long terme avec souvent des retours en actions du
Trésor si telle et telle condition s'appliquent, mais souvent il s'agit
de prêts à long terme. Donc, pour ce qui est du fonds des
mutuelles, moi, je le vois un peu de la même façon. Afin de me
soustraire de mon exemple théorique, prenons une mutuelle X qui veut
prendre de l'expansion, qui a toutes sortes de bonnes raisons et un bon dossier
soit pour procéder à l'expansion de son réseau soit par
achat d'une société dans un secteur géographique
désiré, dans le même domaine où elle est.
Elle présenterait une demande de financement au conseil d'administration
de cette corporation. Il y aurait des gens qui devraient porter un jugement
comme une entreprise quelconque, qui veut faire du financement sur le
marché public, doit d'abord convaincre un courtier qui va soit acheter
ferme son émission, soit analyser le prospectus et être convaincu
de la véracité du projet, assez pour être capable de le
distribuer dans le public. Si cette corporation-là, par son conseil,
trouve le projet acceptable et valable et qu'il se situe à
l'intérieur des capacités financières de l'entreprise, il
pourrait y avoir émission de cette forme de financement, un peu comme la
SDI opère dans le secteur manufacturier. Je ne sais pas si... (12 h
15)
Le Président (M. Lemieux): J'aurais peut-être une
question là-dessus, moi, M. Garneau. Vous êtes un ancien ministre
des Finances et ce fonds mutuel là... Qu'est-ce qui se passe si une
mutuelle se trouve en difficulté financière? N'y aurait-il pas un
danger, si elle se trouve en difficulté financière, que le fonds
devienne en difficulté et que ce soit le gouvernement qui garantisse? Ne
pourrait-il pas y avoir un effet sur la cote financière du gouvernement
et ne pourrait-il pas y avoir un effet aussi sur la dette publique?
M. Garneau: C'a la même influence, M. le Président,
que tout prêt fait par la SDI. C'a la même influence que toute
garantie que le gouvernement donne à Hydro. On pourrait faire
l'hypothèse qu'Hydro serait en faillite. J'ai souvent fait cette
opération-là, non seulement sur les marchés canadiens,
mais sur les marchés internationaux. Même si Hydro n'aimait pas
ça, on savait fort bien qu'elle ne pouvait pas emprunter si elle n'avait
pas de garantie gouvernementale. Elle prétendait qu'elle pouvait le
faire, mais elle ne le pouvait pas en réalité et c'est ni plus ni
moins la même situation que la SDI. Prenons Hydro-Québec, c'est
une société d'État. Je verrais ça peut-être
un peu tiré par les cheveux de donner cette comparaison-là, mais
il reste que sur le plan que vous soulevez, c'est ni plus ni moins la situation
de la SDI.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre
Mme Robic: II faudrait peut-être, M. le Président,
dire, à ce moment-ci, que la SDI opère un peu différemment
qu'elle opérait. Maintenant, elle fait plutôt des prêts
participa tifs. Elle s'éloigne des prêts pour faire du financement
pur et simple. Alors, là, il y a une approche qui est un peu
différente.
M. Garneau: C'est-à-dire que quand on regarde
l'évolution de la SDI, aujourd'hui, elle opère davantage par des
mandats et même... On a pensé de le faire faire aussi, de
suggérer que ce fonds-là soit géré par la SDI pour
ne pas créer une autre structure. Sans avoir fait toutes les analyses
juridiques, on était sous l'impression que le gouvernement du
Québec pourrait, par arrêté en conseil, confier à la
SDI ce champs d'opération sans avoir de législation, un peu comme
il a été fait avec le fonds coopératif lequel est à
la charge de la SDI, mais tout ça, ça peut être
vérifié. Je ne sais pas, je suis peut-être dans l'erreur
sur le plan juridique strict, mais en termes de fonctionnement, l'idée
générale est là. Et quand la SDI a été
créée, ses antécédents, ses
prédécesseurs - j'occupais des fauteuils qui étaient moins
luxueux que ceux-là dans le temps, mais qui ressemblaient à
ceux-là - c'était une forme de prêt et de garantie qui
était donnée. Mais c'est sûr qu'on ne peut pas être
et ne pas être en même temps. S'il faut trouver une solution, bien,
c'en est une qui, à mon sens, est avantageuse, qui nécessite
très peu de législation, de réglementation, qui n'est pas
exorbitante par rapport à des précédents qui existent ou
des situations qui existent et qui répond, je crois, à un besoin
qui pourrait se situer dans le temps et qui est peut-être un peu plus
dramatisé en raison... J'écoutais tout à l'heure les
questions que Mme la ministre posait aux témoins qui m'ont
précédé et qui est peut-être aussi largement
influencé par les discussions qui existent entre le
fédéral et les provinces concernant les normes de capital qui...
On change les règles du jeu. Alors, au lieu d'avoir le hors-jeu à
la ligne bleue, maintenant, on veut l'avoir à la ligne rouge. On dit:
Donnez-nous un peu de temps pour nous ajuster aux nouvelles règles.
Le Président (M. Lemieux): Est-ce qu'il y a un ordre de
grandeur que vous avez à l'esprit pour les besoins de...
M. Garneau: La question que je poserais, c'est: Dites-moi comment
seront rédigées les règles et je vous dirai
approximativement le montant. Si on se basait, par exemple, sur une formule qui
ressemblerait à celle de l'ACCAP, même si on la prenait à
66 %, comme le Fonds d'indemnisation permet d'aller jusqu'à 66 % de la
norme, mais je crois que si on appliquait des normes fédérales et
provinciales partout au Canada, qui seraient dans la nature de 100 %, 125 % de
la norme SIAP actuelle, le montant serait relativement petit.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre.
Mme Robic: Vous avez parlé d'une différence entre
les coûts d'emprunt du fonds et le coût d'emprunt des mutuelles
auprès du fonds.
M. Garneau: Oui...
Mme Robic: Voulez-vous...
M. Garneau: ...parce qu'on pense que le fonds doit se... Les
mutuelles qui empruntent doivent payer un surplus par rapport aux coûts
d'intérêt que le fonds lui-même va payer aux investisseurs
pour défrayer les coûts, même si on pense qu'il n'y aura pas
de demandes tous les jours. D'abord, il n'y a pas 200 mutuelles.
J'écoutais le débat, tout à l'heure, même si
certaines sont restructurées, elles peuvent encore être mutuelles
dans leur concept, sauf qu'au point de vue du financement même, la
compagnie qui a gardé son caractère mutuel par la tête de
la société de gestion, si elle a besoin de financement dans ses
opérations d'assurance, elle peut émettre du capital-actions, ce
que nous ne pouvons pas faire. C'est là la distinction que l'on a. Elle
est peut-être ténue, mais... Moi, je ne peux pas émettre de
capital-actions et mes collègues ne peuvent pas non plus le faire
aujourd'hui, tandis que dans la formule du témoin
précédent, il ne pouvait peut-être pas le faire par la
tête, mais il pouvait certainement le faire par la compagnie
opérante puisqu'elle est une structure conventionnelle bien connue et
qui permet - d'ailleurs, c'est l'une des raisons pourquoi ça a
été fait, j'imagine - de pouvoir le faire par l'émission
de capital. Nous, c'est ce qu'on ne peut pas faire.
Le Président (M. Lemieux): Pourquoi ne pas vous
démutualiser?
M. Garneau: Pardon?
Le Président (M. Lemieux): Pourquoi ne pas vous
démutualiser?
M. Garneau: Bien, ça, c'est un débat philosophique,
je pense, qui serait intéressant et on souhaitait un peu le faire, ce
matin, parce que nous voulons garder ce caractère de mutualité
dans sa structure actuelle. Là, j'ai des remarques qui sont
peut-être plus personnelles, mais, encore là, j'espère que
mes collègues ne seront pas gênés de le dire. Si je prends
le cas de notre entreprise, nous étions une compagnie à
capital-actions. Pourquoi cette compagnie s'est mutualisée? Pour
éviter un "take-over", une prise de contrôle par des
intérêts non canadiens et non québécois,
forcément. La mutualité, à ce moment-là, a
été une façon d'éviter que la compagnie qui avait
été en opération, ici, à Québec, qui a
été fondée en 1905, passe entre les mains d'autres
intérêts.
Depuis, nous avons et j'ai expérimenté au cours des
dernières années avec cette entreprise que la mutualité
est un principe fort intéressant pour ce genre d'institution parce que
nous sommes en quelque sorte les fiduciaires. Même lorsque nous sommes
une compagnie à capital-actions, on est obligé, disons, de
gérer pour nos actionnaires, mais lorsqu'il n'y a pas de ça, on
est véritablement des fiduciaires et ça nous permet aussi
d'assurer un certain développement sans avoir à l'esprit que,
demain matin, on pourrait être acheté par une compagnie
européenne, une compagnie de toronto, une compagnie de new york. pour
les gens du québec, et je pense que ça a aussi été
le cas pour plusieurs entreprises canadiennes, c'est une formule
intéressante. c'est une formule qui permet aussi à ceux qui
veulent apporter une participation, s'intéresser aux opérations
de l'entreprise, de le faire à titre de propriétaire. il y en a
qui disent: bien, il n'y a pas beaucoup de participants à nos
assemblées. les mutualistes, est-ce qu'ils sont véritablement
conscients qu'ils sont propriétaires? c'est fort possible que ce soit
comme ça. moi, je suis actionnaire d'un certain nombre d'entreprises et
c'est rare que je vais aux assemblées des actionnaires. j'envoie ma
procuration au président, parce que ça ne vaut pas la peine. j'ai
10, 15 ou 100 actions, ça ne vaut pas la peine de le faire. mais il
reste que, fondamentalement, la direction a la responsabilité. moi,
comme dirigeant d'une entreprise comme ça, je me sens beaucoup plus
fiduciaire, représentant d'intérêts d'actionnaires qui sont
limités, forcément, dans leur nombre pu dans leur
intérêt. c'est la distinction qu'on fait entre les deux. j'ai
géré dans les deux cas et la distinction est véritable. je
la sens, moi, dans la façon de prendre les décisions et de
rapporter également nos activités.
Le Président (M. Lemieux): Merci.
M. Garneau: Peut-être que M. Marquis voudrait ajouter.
M. Marquis (Leopold): M. le Président, votre question,
d'ailleurs: Pourquoi ne pas se démutualiser? Je trouve qu'elle vient
justement à point. Je pense qu'il faut y aller carrément dans nos
discussions. J'aurais été même très
déçu de passer ici, aujourd'hui, sans avoir parlé de ce
volet particulier qui est très cher aux mutualistes.
Le Président (M. Lemieux): c'est suite aux explications
qu'on nous donnait en atelier, ce matin, très tôt, d'ailleurs,
à la convocation de mme la ministre que la question m'est venue. je me
suis demandé pourquoi. il me semble que ça pourrait donner une
extension de croissance. c'est la raison pour laquelle j'ai...
M. Marquis: Ça règle tous les problèmes si
vous dites: Démutualisez-vous. C'est sûr, si on prend ça
sous cet aspect-là. Mon intervention vient justement ici. Moi, je
pense... D'ailleurs, le rapport y a fait bien allusion. C'est qu'on a
résumé, ce matin, la position dans une suggestion. Si vous lisez
tout le rapport, vous allez vous rendre compte que, quand même, tout le
contexte a été donné pour bien faire ressortir le
caractère mutualiste que l'on voulait garder à
nos institutions. Je n'ai pas besoin de les reprendre ici ce matin,
c'est d'ordre historique, si vous voulez, mais il y a peut-être aussi un
besoin de se dire que toute entreprise, tout management d'une entreprise, ce
n'est pas seulement des "cennes" et des piastres. Il y a aussi la formule et,
au Québec, je pense qu'elle prend un caractère particulier. Le
gouvernement doit le savoir plus que tout autre, parce qu'il représente
la collectivité. Les mutualistes ont toujours eu tendance aussi à
dire, et avec raison, qu'ils représentaient justement une partie de la
population qui s'exprimait, d'une certaine façon, sur le plan financier
par le biais de leur entreprise, mais ils voulaient toujours garder ce
caractère de mutualisme. Alors, c'est le filon qu'on a voulu exploiter
dans notre rapport. Il est très bien expliqué. Je pense que
l'erreur que l'on pourrait faire justement, c'est de passer tellement vite sur
le contexte qu'on s'en va aux formules strictement d'ordre financier,
s'associer à toute autre formule et ne pas distinguer entre le
caractère mutualiste qu'on voudrait conserver à nos entreprises,
tout en gardant la possibilité d'avoir le financement pour notre
développement.
Je pense avoir vécu assez longtemps dans l'entreprise que je
représente pour avoir passé par le caractère d'abord
coopératif, syndicat coopératif en 1948. Un peu plus tard,
secours mutuel parce que l'habit juridique ne fonctionnait pas. C'était
le secours mutuel qui allait mieux à notre entreprise qui avait pris de
l'ampleur dans les années soixante, et en 1976, si je me souviens bien,
le législateur est arrivé. Sans même nous consulter, il a
dit: Vous êtes assez gros. Vous avez les mêmes activités
qu'une entreprise ordinaire d'institution d'assurances et on vous surveille de
la même façon. Donc, soyez donc demain... et, par un article de la
loi, 525, si je me souviens bien, en 1976 nous sommes devenus compagnie
mutuelle. c'est donc que les mutualistes ne se sont jamais opposés. nous
avons subi quand même trois transformations juridiques très
fortes, très importantes, mais on ne s'est jamais opposé, on ne
s'opposera jamais, je dirais, à aller vers un autre statut juridique,
pour autant et aussi longtemps qu'on conservera et qu'on aura été
capable de conserver le caractère mutuel. alors, aujourd'hui, la
question est posée clairement et je pense qu'elle fait un peu
d'éclairage sur le débat qui va aller sur le public, c'est
sûr, c'est: pourquoi ne pas se démutualiser pour avoir, autrement
dit, des possibilités de financement comme tout le monde? c'est
ça la vraie question de base et je suis content qu'on soit au moins
capable de l'aborder. et même pour passer pour un homme avec un peu
d'idéologie, ça ne me fait rien, ça me fait même
plaisir aujourd'hui de le dire et d'être représentant des autres
mutuelles qui ne sont pas ici aujourd'hui, mais que l'on a
représentées dans le rapport.
Je pense, parce que je connais très bien le milieu
coopératif et mutuel depuis des années, être très
bien comme représentant ici pour faire valoir cette qualité
maîtresse que l'on recherche dans tout et on est prêt à
vouloir autre chose. C'est pour ça qu'on a, je dirais, glissé
vers une formule qui sera le moins possible dérangeante pour personne,
j'entends, et même pour le gouvernement. On nous avait donné ce
mandat-là, dans le fond, et on l'a respecté. Sachant que les
fonds qui viendront... N'oublions pas ça, les gens, au lieu d'investir -
c'est ça la formule mutualiste - pourraient investir dans leur propre
entreprise s'ils le voulaient, si on trouvait la technique juridique. Ils
pourraient le faire par le biais de leur caisse de retraite et la caisse
centrale. Il me semble que c'est un retour normal des choses. C'est toujours
sur une question d'options. Ce n'est pas la solution qu'on a proposée.
Ça m'a touché de voir qu'on l'avait quasiment mise de
côté, en voulant dire: Ça ne semble pas la vraie solution.
On ne l'a jamais présentée ici, au comité, comme la
solution, mais comme une solution d'ordre pratique, rapidement applicable et
qui ne pourrait pas déranger. Les gens qui ne voudraient pas l'utiliser
n'ont seulement qu'à ne pas l'utiliser, ma foi, même dans les
mutuelles. Plusieurs mutuelles n'auront pas besoin de ce véhicule pour
leur développement, j'en suis certain, mais, au moins, c'est une option
de plus. Alors, on respecte beaucoup les formules actuelles qui sont
essayées. C'est du cheminement chez les mutualistes actuellement, on en
est certain. Mais de nous imposer une démutualisation . sous
prétexte que d'autres l'ont fait ou d'autres veulent le faire, il me
semble que c'est aller vite dans l'exercice qu'on fait actuellement et qui va
toucher non seulement le coeur des mutualistes, mais aussi, je pense, la
mécanique financière de toutes ces entreprises. Alors... (12 h
30)
Le Président (M. Lemieux): Merci. Mme la ministre.
M. Marquis: Je m'excuse, c'est peut-être un peu long...
Le Président (M. Lemieux): Non, non, ça va. Pas de
problème.
M. Marquis: ...mais, moi, je l'avais... je trouve que votre
question était bonne. ma réponse ne l'est peut-être pas,
mais votre question m'a piqué, en tout cas.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre.
Mme Robic: M. Marquis, vous nous avez parlé d'une
évolution au sein des entreprises. Il y a eu des changements importants
de structure qui se sont produits au fil des ans pour moderniser l'entreprise,
la rendre plus viable, plus intéressante. Vous ne pensez pas que
peut-être
c'est encore le temps... Vous n'êtes pas à une autre
étape d'évolution? Qu'est-ce que vous dites à ceux qui se
sont réorganisés, mais qui ont une corporation qui est toujours
une corporation mutuelle? Les mutualistes à l'intérieur de cette
corporation sont protégés, c'est encore leur entreprise, elle est
différente, mais le caractère mutualiste est toujours là.
C'est une "remutuali-sation", dans le fond. Ce n'est pas une
"démutua-lisation", mais une "remutualisation" d'un conglomérat.
Alors, est-ce qu'on ne retient pas le caractère mutualiste auquel vous
tenez, tout en modernisant vos structures?
M. Marquis: Je suis certain, moi, que ceux qui ont essayé
la formule, et d'ailleurs, je salue...
Le Président (M. Lemieux): Ils sont ici, il y en a
peut-être ici, dans cette salle, M. Marquis.
M. Marquis: Oui. D'ailleurs, je les salue. Ça a toujours
été quelque chose d'excellent, parce qu'il faut essayer de sortir
du fameux problème de financement des mutuelles. Il est là, le
problème, la problématique est là, tout le monde le
reconnaît, le problème est bien posé. La façon d'en
sortir, ceux qui ont essayé des formules actuelles, moi, je salue
ça très bien, mais je pense que c'est à l'essai. Puis eux
autres mêmes, puis Ils sont très corrects avec eux-mêmes,
ils vont vous le dire que... D'ailleurs, ils ont évolué, ils
évoluent tellement vite à l'intérieur de deux ou trois
ans, que dans deux ans, trois ans, ils auront peut-être modifié
leur propre formule, pour la corriger, l'améliorer. Donc, ce ne sont pas
des formules, d'après moi, que j'appelle "éprouvées", de
façon à dire: Voici... Comme législateur, c'est assez
important d'arriver à dire... Ça ne change pas
régulièrement les lois; vous savez que vous nous encadrez pour
longtemps d'avance, dans les lois. Alors, on serait pris encore avec un autre
carcan qui n'aurait pas été assez éprouvé. C'est
ça qui nous fait le plus peur, dans le fond, ce n'est pas le changement.
J'ai pris la peine de vous dire qu'on en a accepté comme un et d'autres
en acceptent, et je pense qu'on est très ouvert parce qu'on
connaît le problème qui s'en vient. On le connaît. On
voudrait le solutionner le mieux possible, mais en respectant toujours ce
fameux caractère mutuel, et il y aura des degrés... Je
répondrais, Mme la ministre, si vous le permettez, qu'il y a des
degrés dans la pureté, je pense que c'est vrai... On n'aime pas
être trop pur, personne n'aime être trop pur...
Le Président (M. Lemieux): Vous vous situez à quel
endroit?
M. Marquis: Moi le premier, je n'aime pas ça et je ne le
suis pas, on ne l'est pas. Sauf que je sais qu'il y a des degrés, comme
dans la perfection. Alors, chez les mutuelles, je n'hésiterais pas
à dire qu'il y en a qui sont plus pures que d'autres, qui ont
réussi. Comme chez nous, je ne le cache pas, on n'a pas de procuration,
imaginez vous, puis d'autres ont des procurations. Les mutuelles qui ont des
procurations... M. Garneau, je le trouve bien chanceux de diriger avec
ça. Moi, je n'ai aucune procuration, et on exerce quand même
vraiment le pouvoir, le pouvoir est vraiment entre les mains des mutualistes.
Mais j'accepte ça, moi, que dans les entreprises, tout le monde ne soit
pas toujours sur la même règle fixe, qu'il y ait des
différences. C'est ça la personnalité des entreprises,
puis, moi, je crois à ça plus qu'à toute autre chose. Ce
n'est pas juste des "cennes" et des piastres, il y a de la personnalité
dans les entreprises, j'en suis certain, à cause de l'expérience
vécue. On aime à se distinguer du concurrent parce que c'est
ça qui fait la différence et c'est ça, finalement, qui
fait qu'on se pense meilleur que l'autre. Je voudrais garder cette
différenciation possible, et on respecte toujours le voisin. Alors, ce
qu'on a suggéré, c'est une option. Ce ne sera pas la règle
à suivre pour tout le monde. Peut-être que les grandes mutuelles,
comme La Laurentienne, qui ont pris une longueur d'avance sur le
développement, bravo!... Mais nous autres, quand on représente la
petite mutuelle, comparé même à L'Industrielle, et la
petite el la moyenne, je pense que c'est comme si vous analysiez une PME par
rapport à autre chose. Vous devez avoir un réflexe
différent. Alors, nous autres, c'est ça qu'on veut
protéger. Je ne sais pas si ça répond un petit peu
à votre interrogation, madame.
Le Président (M. Lemieux): Merci. Vous voulez
compléter, je pense, M. Garneau.
M. Garneau: Évidemment, c'est une question de choix. Je
crois, moi, que les gens doivent avoir ce choix-là. Chacun peut prendre
la route qu'il veut, et ce n'est pas à moi de porter des jugements. Mais
mon impression et ma conviction, c'est que cette voie-là est, en quelque
sorte, à rencontre de la loi qui nous a permis d'avoir des filiales en
aval. Quand la loi a été passée, si je me rappelle bien,
et le débat et, encore aujourd'hui, tant du côté de
l'Opposition que du côté gouvernemental et des intervenants,
qu'est-ce qu'on dit? On dit: On se réfère à cette
loi-là comme étant un pas en avant, qui a placé le
Québec en avant de bien d'autres. Et pourquoi on dit ça? C'est
que cette loi-là a permis aux mutuelles surtout, aux mutuelles
d'assurance de personnes à charte québécoise, d'utiliser
leur actif pour faire des expansions soit géographiques, soit en termes
de champ d'activité. Quand on redéfait le processus et qu'on suit
la réorganisation, c'est pour répondre à une
difficulté que j'appelle les changements de règlements en cours
de parties. Avant ça, les mutuelles qui
achetaient une entreprise - et c'a été le cas de la
plupart de celles qui sont ici - leur investissement n'était pas
soustrait de leur capital. Maintenant, on nous dit que ça va être
soustrait du capital. Si ça l'est, tout le développement en aval
ne pourra plus se faire et, à ce moment-là, on pourra
peut-être continuer à parler des beautés de la loi 75, mais
elle ne sera pas mise en application. On ne pourra pas utiliser nos actifs pour
poser des gestes parce que tous ces gestes-là vont venir briser notre
formule de capitalisation.
Vous dites: Maintenant, c'est devenu... Je vais prendre votre exemple de
pureté. À venir jusqu'à il y a quelque temps, ce
n'était pas péché mortel et, bientôt, ça va
l'être. Bien, peut-être qu'il y a quelqu'un qui pourrait donner
l'absolution pour les péchés passés pour un certain temps
et qu'on puisse, par la suite, rattraper. Ça va prendre quoi? 10, 15 ans
pour passer à travers cette période-là, mais il faut
être bien conscient que lorsqu'on se restructure, ça veut dire
qu'on soustrait les actifs des mutuelles au développement qu'on voulait
créer par la création, par l'adoption de la loi 75, et c'est
ça qui est le fond de toute l'histoire. Comme je l'ai déjà
dit en privé... Bien là, je vais être assez gentil, M.
Martel, je ne serai pas aussi... On était en privé lorsqu'on
avait eu une discussion réellement franche, mais, moi, je crois que ce
qu'on fait à ce moment-ci, c'est que quand on se... Si on se
restructure, on se cache un peu la tête dans le sable. Ce n'est pas
uniquement pour trouver un financement, c'est pour se réajuster aux
nouvelles règles du jeu qui appellent le hors-jeu à la ligne
rouge au lieu d'à la ligne bleue, en pleine période. C'est
ça le réajustement qu'il nous faut faire et on se dit: Si vous
preniez notre formule de création d'un fonds, moi, je crois qu'il y
aurait probablement une période de 10 à 15 ans et, après
ça - les mutuelles, elles ne sont pas plus folles que les autres - on
saura qu'on ne peut plus utiliser nos actifs comme moyen de
développement, mais uniquement notre capital. Donc, cette période
va nous permettre d'accumuler des profits. Bon. Si on fait 27 000 000 $ de
profits, ça augmente notre avoir et, l'année prochaine, on va
probablement en faire autant et dans quatre, cinq, six ans, on va avoir
augmenté notre base de capital par notre source de
bénéfice et on va être capable de porter le
péché dont on nous accuse ou dont on risque de nous accuser d'ici
un mois, deux mois, un an, je ne sais pas quand.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre.
Mme Robic: Alors, M. Garneau, ce n'est pas à cause de la
nouvelle loi de la ministre que les compagnies auraient des problèmes
à investir dans des filiales en aval, mais bien parce que les nouvelles
réalités du marché vont s'appliquer bientôt et on ne
peut pas les éviter, ces réali- tés-là.
M. Garneau: Absolument. C'est pour ça qu'on fait la
proposition qu'on fait.
Mme Robic: Si on veut être compétitif, si nos
compagnies veulent être compétitives et pouvoir aller sur les
marchés internationaux, il va falloir se plier à certaines
règles de ces marchés-là. Vous l'avez mentionné
très éloquem-ment, et c'est une des raisons pour lesquelles nous
sommes ici aujourd'hui, d'ailleurs. Alors, ça, je voudrais que ce soit
bien noté.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre, vous dites
élégamment, mais, moi, je voudrais bien comprendre parce que
même si on a à siéger souvent dans ce type de projets
là, êtes-vous en train de nous dire que la loi 75, de 1984, vous
embête relativement à l'environnement d'aujourd'hui? C'est
ça que vous êtes en train de nous dire?
M. Garneau: C'est-à-dire l'environnement qui nous plane
au-dessus de la tête.
Le Président (M. Lemieux): O.K.
M. Garneau: Parce que, à venir jusqu'à
récemment, dans la formule qui était utilisée pour
calculer la capitalisation des entreprises...
Le Président (M. Lemieux): Oui. L'investissement dans les
filiales en aval, oui.
M. Garneau: ...on faisait référence à une
norme de 5 % sur laquelle l'inspecteur, même s'il ne le disait pas,
jouait un peu. c'était le bon jugement, mais, d'une façon
générale, sur le plan international, on utilisait à peu
près la règle des 5 % de capital pour comparer au passif qu'on
avait. si on avait 100 $ de passif, plus ou moins... je prends la norme
à laquelle on se réfère généralement, aux
états-unis, c'est ça. alors, à venir jusqu'à date,
lorsque, par exemple, on achetait le contrôle du trust
général, notre investissement dans la filiale qui s'appelait
l'industrielle-alliance-la financière, qui est une structure juridique,
une corporation, cet investissement-là n'était pas soustrait de
notre capital et maintenant on veut le soustraire. je ne dis pas que ce n'est
pas une bonne chose, là. je n'argumente pas sur le fond. on pourrait
argumenter sur le fond, mais si on le constate, on dit: comment on le
règle, le problème? comment on le règle, le
problème, pour permettre de passer de la situation qui existe
aujourd'hui? en fait, toutes nos compagnies... si on ne change pas les
règles du jeu, on est tous, en tout cas, très bien
capitalisés. je disais, hier, qu'on a une norme de capitalisation de
quelque 14 %. donc, on est même tellement capitalisé que notre
"leverage" nous donne un retour sur notre avoir
qui n'est peut-être pas assez grand parce qu'on a trop de capital
sous cette formule-ià. Mais, là, si on dit que l'on soustrait
l'investissement qu'on a fait dans le Trust Général, qu'on
soustrait l'investissement qu'on a fait en achetant d'autres
sociétés...
Le Président (M. Lemieux): Je comprends.
M. Garneau: ...c'est là que change toute l'affaire.
Le Président (M. Lemieux): Je comprends, M. Garneau.
M. Garneau: II y a deux options: on soustrait totalement ou on
soustrait les exigences en capital pour éviter le double comptage. Moi,
je suis d'accord avec plusieurs de ces mesures prudentes. Je pense que j'ai eu
l'occasion de le mentionner et je le répète ici. Je ne suis pas
en faveur d'un trop grand laxisme. Je pense que les institutions
financières doivent être surveillées, quant à moi,
parce qu'on ne joue pas avec notre argent, on joue avec l'argent du public.
C'est dans ce sens-là, je pense, qu'on est des fiduciaires. Mais, ce
qu'on recherche, c'est une solution pour passer du point A au point B et,
ensuite de ça, on aura besoin d'une base plus permanente. La solution,
évidemment, ce n'est peut-être pas la solution idéale, mais
elle permet de faire face rapidement à une situation. Si vous voulez
mettre n'importe quelle norme, parce que je ne vois pas - et j'écoutais,
tout à l'heure, la question que vous posiez - que le Québec
puisse avoir des normes moins sévères qu'ailleurs. J'ai souvent
utilisé l'exemple... On a eu, il y a quelque temps, dans un domaine que
vous connaissez bien - je l'ai utilisé et je vais le
répéter encore - dans le domaine de l'inspection des viandes, on
a connu, au Québec, deux inspections: l'inspection "Canada approved"
comme on disait, et "Québec approved". Parce que le Québec
répondait à des normes de petites entreprises, il a
été un peu moins sévère pour permettre à
certaines de passer à travers. La conséquence, c'est que sur les
tablettes des magasins, on disait: Nous ne vendons que de la viande "Canada
approved". Finalement, l'autre est pratiquement disparue. On a
été obligé de s'aligner. Comme on a toujours
été des entreprises fortement capitalisées, au
Québec, aucun des mutualistes ou des assurés n'a perdu un sou
suite à une défaillance d'une entreprise. Il ne faudrait quand
même pas se pénaliser psychologiquement en donnant l'impression
qu'on est moins solide que les autres. Alors, je suis prêt, sur ce
plan-là, à me comparer à peu près à tous mes
concurrents.
Le Président (M. Lemieux): Merci. Une dernière
petite question. Après, je dois passer au député de Gouin,
madame.
Mme Robic: Je ferai tout simplement une mise au point, ici. Je
voudrais bien vous rassurer encore une fois. En ce moment, le Québec, le
gouvernement vous a demandé de vous soumettre aux normes de l'ACCAP, ce
que vous faites tous sans aucun problème. Il n'est pas question pour
nous... on vous a dit, d'ailleurs, qu'on n'était pas rendu au point de
prendre une décision sur de nouvelles normes. Il nous reste encore
beaucoup de travail à faire à ce niveau-là. C'est bien
sûr qu'on comprend les problèmes tout particuliers que vous avez
et ce n'est pas notre intention de vous acculer au pied du mur. Il y aura
certainement un délai dans le temps pour vous permettre de vous
réajuster. Cela, je veux le dire encore une fois parce que je pense que
c'est important que ce soit bien compris.
Le Président (M. Lemieux): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Gouin.
M. Boisclair: oui. m. garneau et les gens qui vous accompagnent,
/e vous remercie de votre présentation. je pense qu'il s'agit là,
bien sûr, dans le rapport que j'ai eu l'occasion de lire à
plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion même d'en discuter avec un certain
nombre d'entre vous de façon plus détaillée... je veux
vous remercier de cette contribution originale, surtout de la façon
généreuse dont vous l'avez faite aussi, dans des conditions pas
nécessairement faciles, avec un mandat très clair et un certain
nombre d'échéances quant au temps. vous avez quand même
produit un rapport assez substantiel. (12 h 45)
J'aimerais aussi souligner les propos quand même assez
élogieux que la ministre a tenus à l'égard du travail que
vous avez fait, mais en rappelant que la qualité de son
appréciation sera surtout fonction des résultats et des suites
qu'elle donnera à ce rapport et que c'est bien facile de faire de beaux
discours, de créer des comités, mais je pense que la
véritable appréciation se trouvera dans les suites qu'on donnera
à votre rapport.
J'ai bien apprécié aussi ce plaidoyer que M. Marquis, si
je ne m'abuse, a fait tout à l'heure pour défendre cet esprit
mutualiste. Je pense que tous alentour de cette table pourront convenir que si
l'esprit mutualiste vous anime, je suis convaincu que l'esprit
"entrepreneurial" vous anime tout autant. Maintenant, dans quelle proportion?
Je pense que je laisse ça à votre bon jugement, mais il n'en
demeure pas moins que vous êtes tous là en affaires, vous vous
battez pour des parts de marché, pour des segments de marché. Il
y a une certaine pression qui s'exerce auprès de vos dirigeants, des
gestionnaires chez vous et que vous vous devez d'être compétitifs
et concurrentiels dans un monde où nos économies se globalisent
de plus en plus.
Ceci étant dit, j'aimerais revenir et partir dans mon analyse
justement du plaidoyer de M.
Marquis tout à l'heure, en fonction de cet esprit mutualiste.
Votre rapport souligne avec beaucoup de pertinence qu'à l'heure actuelle
la législation qui s'applique aux compagnies mutuelles d'assurance est
à peu près la même, mutatis mutandis, comme vous l'avez dit
dans votre rapport, que celle qui s'applique aux sociétés
à capital-actions. Vous rappelez même que le développement
de l'esprit mutualiste, une condition nécessaire mais peut-être
pas suffisante, pour reprendre l'expression qu'on utilisait tout à
l'heure, serait peut-être de réglementer ou, à tout le
moins, encadrer un certain nombre de choses pour une mutuelle,
particulièrement la question du patrimoine qui appartient au mutualiste,
le patrimoine mutualiste, comme le souligne M. Moffet, de la Chaire en
assurance de l'Université Laval. La question que je veux vous poser est:
Cet esprit mutualiste auquel vous êtes si attaché et vous en
faites un vibrant plaidoyer dans votre rapport, jusqu'à quel point, si
on veut vraiment en assurer... une certaine continuité, ne faudra-t-ii
pas que le gouvernement intervienne et vienne encadrer un certain nombre
d'éléments? On peut parler de la protection du patrimoine
mutualiste ou d'autres éléments, mais jusqu'à quel point
ne faudrait-il pas, comme le soulignait un peu M. Béland dans une
citation que vous reprenez à votre compte, à titre de membre du
groupe de travail... Jusqu'à quel point ne faudra-t-il pas que, dans une
révision à venir de la Loi sur les assurances, on vienne
encadrer, comme on l'a fait peut-être dans d'autres pays - je prends
l'exemple de la France - un certain nombre de règles?
M. Marquis: je ferais l'intervention suivante. je pense que le
pas qu'on pourrait faire nous amènerait forcément non pas
à une intervention de l'état au vrai sens du mot, pour la
réglementation, mais il est à prévoir que si les mutuelles
demeurent au québec - il faut se demander si elles vont demeurer - je
suis à peu près persuadé que dans quelques années,
pour répondre à votre interrogation, il y aura certainement une
double intervention. lés points que vous avez soulevés, ce sont
les deux seuls, je pense, qui seront à préciser dans la future
législation pour permettre justement que les mutuelles soient vraiment
des mutuelles. on a beau se gargariser avec ce mot-là et en faire un
caractère distinctif des autres entreprises, mais il va falloir que ce
soit vraiment inscrit dans la pratique et on sait fort bien que ce n'est pas
juste un mot. alors, je prétends que sur la question du patrimoine, il
est sûr qu'il faudra certaines interventions, parce que actuellement
c'est au dernier, dans le fond, que demeurent les biens, s'il y a une
liquidation, vous le savez, ou s'il y a une démutualisation. on en a
fait une chez nous, une petite, dans le cas de la mutualité. on sait
fort bien que c'est très difficile d'appliquer des règles
équitables lorsqu'il y a une démutualisation,
précisément parce que le patrimoine, ce sont les gens qui sont
là aujourd'hui qui en profitent, mais ce sont des gens, bien souvent,
qui ont constitué ce patrimoine qui auraient dû en profiter bien
avant la démutualisation. Alors, c'est pour ça que ces
règles-là ne sont pas établies, sauf en cas de
liquidation. Je pense que la loi le prévoit. Je pense qu'il faudrait
arriver à établir certaines normes beaucoup plus précises
qu'actuellement. Ça, j'en suis.
Quant à l'autre, je pense que l'autre secteur où je
verrais une certaine intervention possible aussi pour que les mutuelles soient
vraiment ce que j'appelle - moi, j'ai toujours appliqué ça dans
les coopératives, avec M. Béland, mais c'est à peu
près la même chose - les trois P, la règle des trois P, qui
était une trouvaille, en tout cas, la mienne, "possibilité de
participation au pouvoir". Ça, je pense que, il y a 10 ans, tout le
monde se débattait pour avoir ce qu'on appelle la possibilité de
participation au pouvoir, dans tous les secteurs, y compris les secteurs
financiers qui sont venus beaucoup plus... Il y a beaucoup plus de
réactions, c'est bien normal. Mais si on veut avoir des entreprises, ce
qu'on appelle, de chez nous, appartenant à des collectivités, ce
n'est pas nécessaire que ce soit toujours le gouvernement. Il y a un
espace entre le secteur privé bien respecté et respectable, et
l'autre espace qui peut être habité par des collectivités.
Donc, c'est ça. Les caisses populaires, si on veut, la meilleure image,
c'est ça, alors ce sont des possibilités de participation au
pouvoir, et ça, ça veut dire réglementer forcément
et probablement un peu plus les règles qui sont là actuellement
et qui régissent les mutuelles, peut-être pas de façon
assez distincte des autres règles. C'est pour ça que je vous ai
dit qu'il y avait des degrés de pureté dans ça. Ceux qui
n'ont, admettons, aucune procuration prennent certains risques, mais c'est la
règle la plus pure, c'est sûr. Mais la démocratie peut
endurer beaucoup d'autres volets et il n'y a pas de problème à
ça. Donc, il y aurait des interventions, d'après moi, à
prévoir sur ces deux aspects-là, entre autres.
M. Boisclair: Vous avez tiré la conclusion à
laquelle j'en arrivais: c'est bien beau se gargariser avec l'esprit
mutualiste...
M. Marquis: Ouais...
M. Boisclair: ...mais il n'en demeure pas moins que c'est
toujours intéressant de voir comment ça se vit dans chacune des
mutuelles. Le rapport préparé pour le compte de Maheu-Noiseux, en
1989, par MM. Moffet et Gendron, était quand même assez
intéressant à cet égard et proposait déjà un
certain nombre de modifications quant au fonctionnement des mutuelles. On parle
de ce régime de procuration qui les inquiétait, il y a une
série de recommandations. On parlait même d'une possibilité
d'instauration
d'un régime autocratique au sein des mutuelles. Je reprends tout
simplement les propos de MM. Moffet et Gendron. Donc, finalement, ça
dépend toujours de la qualité de la façon dont ça
se vit dans chacune de nos entreprises.
Ce qui m'amène à vous poser une deuxième question,
en regardant jusqu'à quel point et quelle analyse vous faites. Et
là, je ne sais pas jusqu'à quel point vous parlez en tant que
groupe de travail qui a réfléchi dans le cadre d'un mandat
particulier, ou si vous pouvez vous permettre aussi d'intervenir sur une base
individuelle en parlant de chacune de vos expériences dans vos
entreprises, mais jusqu'à quel point les problèmes de
capitalisation et de réduction de marges bénéficiaires
sont dus à la forme juridique de la mutuelle, ou s'il ne s'agit pas
plutôt d'un certain nombre d'autres causes ou de facteurs qui pourraient
faire que vous voyez à l'heure actuelle une certaine difficulté,
je n'oserais pas dire "problème", mais un certain nombre de
difficultés qui sont rencontrées par les compagnies d'assurances
de façon générale. Et est-ce que vraiment les
problèmes dont vous faites part dans votre introduction, dans le
rapport, sont des problèmes qui sont uniquement ceux des mutuelles
d'assurances, ou ne sont-ils pas les problèmes rencontrés par
plusieurs autres intervenants, plusieurs autres entreprises dans le milieu de
l'assurance, qu'elles soient mutuelles ou pas? La conclusion à laquelle
arrivaient un certain nombre de personnes, avec des démonstrations quand
même assez solides, je n'ai pas à ce jour... Entre autres, sur les
parts de marché, sur l'augmentation des parts de marché, sur le
problème de segmentation aussi. Je fais référence au
mémoire de La Laurentienne qui constitue quand même une base assez
solide. Jusqu'à quel point, à votre avis, faut-il tenir compte de
ces réalités-là, ou est-ce plutôt dû à
la forme juridique de l'entreprise?
M. Garneau: Je pense que le domaine de l'assurance, en
général - et on le réfère, dans notre rapport, je
l'ai soulevé tout à l'heure dans mes notes d'introduction - c'est
que la structure d'un bilan d'une compagnie d'assurance sur la vie, disons, ne
s'analyse pas de la même façon, ou les données qui y sont
ne s'analysent pas de la même façon qu'un bilan d'une autre sorte
d'entreprise, à cause de notre façon d'opérer, à
cause des exigences légales, à cause des exigences
établies par les actuaires. Nous avons une structure d'actif et de
passif qui est un peu différente et qui ne se comprend pas toujours.
Dans une entreprise, vous pourriez toujours cacher, si on peut dire, des
profits en essayant de montrer les inventaires différents - mais c'est
très limité, cette capacité-là - tandis que dans
une entreprise comme la nôtre, vous avez pratiquement dans une ligne 80 %
de votre passif, ce sont les réserves actuarielles. C'est quoi le
montant précis que ça prendrait ce matin? C'est très
difficile à dire. Est-ce que c'est un quart de un pour cent de trop ou
un quart de un pour cent de pas suffisant? Il y a des normes assez
conservatrices qui peuvent faire en sorte que la structure du bilan de l'actif
et du passif et l'état des opérations y soient influencés.
Alors, à cause de ça, il y a une compréhension du
marché en général qui est peut-être
différente de celle des autres types d'entreprises.
Deuxièmement, il y a très peu de compagnies
d'assurance-vie ou encore moins de vie, d'assurances générales,
qui ont des actions, celles qui ne sont pas mutuelles, celles qui ont des
actions cotées à la Bourse. Il y en a très peu, de telle
sorte que l'expérience du marché n'est pas très grande et
l'investisseur privé n'est pas influencé dans ses
décisions par des courtiers qui ont eu à analyser beaucoup ces
compagnies-là. Donc, je pense qu'il y a une difficulté
additionnelle.
Quant à la rentabilité, je pense qu'elle est reliée
beaucoup au type de placements que l'on fait, à la prudence qu'on peut
avoir. Et je pense que chaque compagnie peut tirer des conclusions. Qu'elles
soient grandes ou petites, elles peuvent avoir des conclusions
différentes.
M. Boisclair: vous comprenez que les conclusions - celles que
l'on va tirer - vont être quand même assez importantes, dans la
mesure où les solutions qu'on tente d'apporter vont être fonction
des conclusions auxquelles nous arriverons. c'est tout simplement parce
qu'à la lecture de votre mémoire, c'est un volet qui n'est pas
abordé, ou quand même rapidement, vous n'êtes
peut-être pas allé à fond. j'essaie tout simplement d'aller
encore plus loin dans l'analyse que vous faites, mais il y a quand même
un certain nombre de démonstrations qui ont été faites cet
avant-midi et là, si vous êtes capable de faire la
démonstration contraire, j'en serais fort aise.
Lorsqu'on dit, par exemple, que les mutuelles du Québec sont
cantonnées dans les segments relativement moins profitables de leur
marché primaire, que la plupart d'entre elles n'ont pas une taille
suffisante pour absorber leurs frais fixes, elles luttent avec des concurrents
riches pour qui le marché du Québec est secondaire, sans qu'elles
n'aient en contrepartie un accès équivalant à d'autres
marchés. Lorsqu'on dit que l'amélioration de la position des
mutuelles du Québec passe inévitablement par une meilleure
segmentation de leurs marchés locaux, par des regroupements probables et
par un accès au marché hors Québec, qu'est-ce que vous
dites à ces gens-là? Qu'est-ce que vous répondez à
cette argumentation qui est quand même assez solide et aussi bien
étayée? Loin de moi l'intention de reprendre...
M. Garneau: Vous comprendrez que les
remarques qu'on pourrait faire là-dessus ne seraient que
personnelles puisque aucun de nous n'a le mandat au nom du comité...
M. Boisclair: Je comprends bien, mais, monsieur, vous comprendrez
cependant que les conclusions auxquelles on veut arriver vont guider les
solutions qu'on essaiera de mettre de l'avant. On ne mettra pas des
solutions... Je me sentirais bien mal à l'aise de proposer des
solutions, alors qu'on ne s'entend pas sur le problème. Mais je crois
que c'est la question du marché qui a été abordée
d'une certaine façon dans votre mémoire. Je crois que, comme
groupe, vous avez dû vous questionner sur ce positionnement des
compagnies dans le marché. Il serait intéressant de voir ce que
vous en dites.
M. Garneau: Allez-y donc!
M. Marquis: Je peux peut-être dire ce que je pense
là-dessus. C'est que les institutions d'assurances en
général, quelle que soit la forme au Québec ou ailleurs,
ce n'est pas les institutions financières, pas une institution qui
attire le plus de capitaux extérieurs au point de départ à
cause de leur rendement en général. Je pense qu'on peut
établir ça. Vous pouvez faire n'importe quelle recherche, vous
allez arriver à cette conclusion en soi. C'est pour ça que
ça demande, je ne dis pas un protectionnisme, mais, d'après moi,
quelque chose, une intervention même un peu spéciale qui est
peut-être une des formules qu'on a proposées, une intervention,
appelons ça, spéciale à cause de ce
caractère-là. Ce sont quand même des institutions qui, au
point de départ, ne seront pas libres d'agir exactement comme elles le
veulent, comme elles aimeraient le décider selon les règles du
marché. N'oubliez pas que nous sommes régis par beaucoup. Il y a
des enfarges. On peut appeler ça des enfarges législatives. Il ne
faut pas se gêner. À l'occasion, ce sont de grosses enfarges.
Pourtant, ce sont des institutions qui n'ont absolument aucune dette. Quand on
fait l'analyse des titres pour placer à la Bourse, vous savez que c'est
un des gros éléments que l'on regarde, le degré
d'endettement et tout ça. Pourtant, il y en a qui vont jusqu'à 30
%, 40 % d'endettement, des grandes entreprises, et qui vont très,
très bien dans leur développement. Les compagnies d'assurances
n'ont absolument pas un seul sou de dettes. Même la règle qui
vient s'établir, le fameux ratio, c'est en plus. Il y en a qui ne
saisissent pas ça. Je pense que dans la population ici, il n'y a pas de
problème, mais dans la population, les gens pensent qu'il y a un manque
d'argent parce qu'on va sur une formule de financement. Ce n'est pas un manque
d'argent. Les engagements sont pleins. Alors, là-dessus, il n'y a pas de
problème. C'est un surplus. Donc, vous avez affaire à des
compagnies qui sont saines au point de départ.
M. Boisclair: Ça, je le comprends bien, c'est bien
expliqué dans le rapport. Mais lorsqu'on dit... Est-ce que vous
êtes d'accord avec l'affirmation de dire que l'augmentation de votre...
ou une meilleure situation concurrentielle, ou une meilleure position
plutôt de la situation concurrentielle passe par une meilleure
segmentation du marché? Est-ce que, en termes d'analyse
stratégique, c'est le genre de conclusion auquel vous arrivez?
Le Président (M. Lemieux): II y a M.
Millette qui voulait aussi... Peut-être si vous voulez
compléter.
M. Millette (Yves): Je pourrais peut-être ajouter à
ça que, effectivement, c'est une grande préoccupation, la
segmentation des marchés ou dans quels marchés les compagnies
d'assurances doivent se développer. (13 heures)
Je pense qu'il faut dire aussi, si on parle des compagnies
québécoises, c'est qu'elles ont commencé leur
développement après les grandes compagnies canadiennes. Le
développement des compagnies québécoises est plus
récent et elles ont pénétré les marchés
qu'elles ont pu pénétrer, je pense bien, et elles se sont
développées tranquillement. Je suis tout à fait d'accord
avec le mémoire qu'il y avait ce matin, il faut que les compagnies
québécoises pénètrent tous les segments de
marchés. C'était d'ailleurs la raison fondamentale de la loi 75,
en 1984. C'est qu'on voulait permettre aux compagnies d'assurances
québécoises, à défaut d'être capables de
pénétrer les marchés extérieurs, de
pénétrer d'autres marchés québécois. Mais on
voulait leur donner cette possibilité de pénétrer et les
marchés québécois dans d'autres domaines et les
marchés extérieurs.
Et ça, je pense que les compagnies québécoises
l'ont jusqu'à un certain point accompli. Si je pense, dans mon
association, l'ACCAP, il y a 4 des 20 plus grandes compagnies qui sont des
compagnies québécoises. Je pense que ce n'était pas le cas
il y a 10 ou 15 ans, ou 20 ans.
M. Boisclair: Ce que vous me dites donc, M. Millette, c'est que
le problème auquel sont confrontées les mutuelles n'est pas
uniquement dû à leur structure juridique, à leur structure
de propriété, il y a aussi d'autre chose comme...
M. Millette: Bien, il y a une structure de développement,
mais quand on parle d'une structure de développement, il y a une chose
dont on doit parler aussi, c'est le financement de ce
développement-là. Un des problèmes que les mutuelles
québécoises ont rencontrés, c'est justement d'avoir
accès à des sources de financement suffisantes pour soutenir leur
développement tout en préservant la protection des consommateurs,
des assurés. Je pense que c'est
ça, le fond du problème, et c'est tout le fond du
mémoire qui vous a été soumis ce matin. Ce sont toutes des
considérations dont on doit tenir compte.
Évidemment que le problème ne sera pas
réglé. Si les mutuelles sont capables de lever du capital mais
que le capital est mis à la banque en attendant une hypothèse
quelconque de développement, bien, je pense que ça ne donne
absolument rien.
M. Boisclair: Bon. Revenons-en, et c'est là,
c'étaient...
Le Président (M. Lemieux): Allez-y, M. le
député de Gouin.
M. Boisclair:... justement ces besoins en termes de financement
et de développement, parce que je pense que c'est vraiment ça le
noeud du problème. C'est que les compagnies mutuelles d'assurance
tiennent effectivement à un certain développement, je pense, dans
le meilleur intérêt de l'ensemble des Québécois et
Québécoises. Comment arriver à ce financement-là?
On a parlé de la question de la démutualisation qui est une
option que vous rejetez dès le départ dans votre rapport, suite
au témoignage qui vous a été... Vous donnez même
l'exemple d'une ou deux compagnies qui ont affirmé très
clairement leur volonté de vouloir demeurer compagnie mutuelle
d'assurance. Il y a un moyen qui est, j'en conviens, fort original,
proposé par votre comité, avec la garantie gouvernementale et
avec aussi un certain nombre de règles.
Moi, j'aimerais aller peut-être plus en détail. Comment la
voyez-vous dans le concret, l'application de ce fonds? Il y a certaines
personnes qui ont soulevé, et c'est un peu ce que je disais au moment
où vous êtes arrivé dans cette salle, on a parlé du
problème d'autonomie des mutuelles. Comment vous voyez, et quel genre
d'intervention, par exemple, les dirigeants d'un futur fonds semblable à
celui-là pourraient-ils faire, et sur quelle base aussi? Vont-ils
accepter les projets qui leur seront déposés? Est-ce que vous
voyez peut-être qu'un jour les futurs dirigeants de ce fonds-là
pourraient remettre en question le style de gestion, non pas le style de
gestion mais la gestion même faite par certains des dirigeants des
compagnies d'assurances? Est-ce que ça deviendra l'allié de
l'Inspecteur général pour assurer un meilleur contrôle,
puisque ces gens-là auront, bien sûr, à justifier leurs
demandes? Comment voyez-vous ça dans le concret? Quel genre
d'intervention? Quelles seraient les responsabilités des gestionnaires
de ce fonds-là? De quelle façon agiraient-ils en interrelation,
par exemple, avec le gouvernement du Québec et avec l'Inspecteur
général? Ça, à mon avis, c'est une question
pertinente. S'il y a un moyen d'aller peut-être encore un peu plus loin
dans votre proposition.
Le Président (M. Lemieux): Oui, M. Garneau.
M. Garneau: En réponse à une question posée
par Mme Robic, tout à l'heure, j'ai donné un certain nombre de
paramètres. Évidemment, si jamais le gouvernement ou une
législation créait cet organisme-là, il y a
peut-être des normes additionnelles qui devront être soumises, mais
moi, j'y vois le même genre de relations qui peuvent exister entre un
investisseur et l'entreprise dans laquelle il veut investir et le même
degré de surveillance. Si vous détenez des actions, par exemple,
d'une entreprise et que vous en détenez suffisamment pour pouvoir jouer
un rôle, vous pouvez faire connaître votre point de vue et
être assez actif au niveau de l'assemblée des actionnaires.
Si vous êtes un prêteur, à ce moment-là... Je
reprends l'exemple de la SDI. S'ils analysent un projet, ils en analysent la
rentabilité à long terme et la décision est prise sur
l'hypothèse de rentabilité d'un investissement et du retour qui
peut être acceptable sur l'ensemble de l'avoir de cette
entreprise-là. Dans le cas d'une mutuelle, ce sont des excédents
accumulés et ce serait la même règle du jeu, à mon
sens, que dans ces deux cas-là, soit un prêteur qui est une
institution, soit gouvernementale comme la Caisse de dépôt et
placement du Québec, par exemple. Quand la Caisse de dépôt
et placement du Québec achète des obligations, elle porte un
jugement sur le crédit, sur le management de l'entreprise et ce serait
sans doute le même genre de critère qui devrait jouer.
M. Boisclair: Comment voyez-vous la nomination des membres d'un
futur conseil d'administration d'une corporation semblable à celle que
vous proposez?
M. Garneau: Nous croyons qu'ils...
M. Boisclair: Est-ce que vous voyez... Vous songez à des
représentants gouvernementaux, par exemple?
M. Garneau: C'est-à-dire que ce seraient des gens qui
seraient désignés, forcément, par le gouvernement ou par
une commission parlementaire comme la vôtre ou les structures
habituelles. Je ne vois pas comment les mutuelles ou les sociétés
d'assurances qui pourraient éventuellement être appelées
à... qui pourraient être autour. Donc, ça devrait
être des gens indépendants.
Le Président (M. Lemieux): Absolument, absolument.
M. Boisclair: Ça, je le comprends très bien mais
au-delà, ça peut être bien d'autres choses que des
représentants gouvernementaux. Je comprends très bien que...
M. Garneau: Voyez-vous, actuellement, quand elle fonctionne, la
SDI, d'une façon générale, c'est que lorsqu'elle a une
demande d'emprunt, disons, ou de financement par une entreprise, supposons une
scierie, je donne ça comme exemple, et que cette scierie-là est
située à Matane, disons. Avant de prendre une décision...
Normalement, si ma mémoire m'est fidèle et si ça se passe
encore comme ça s'est déjà passé, la SDI va
demander au ministère... Et dans ce cas-ci, ce seraient les gens qui
s'occupent des terres et forêts, disons. Est-ce qu'il y a une dichotomie
entre la politique générale et... Par exemple, si le
gouvernement, pour toutes sortes de raisons, dans un plan de
développement général, a décidé que les
scieries ne seraient pas à Matane mais qu'elles seraient à Amqui,
supposons, bien, la main gauche, dans ce cas-là, qui est peut-être
la SDI ne viendrait pas renverser la politique du ministère. Le
ministère ne pose pas... Est-ce que ça marche encore comme
ça? Je ne le sais pas. Vous pouvez peut-être me le...
Le Président (M. Lemieux): Vous êtes encore à
jour, M. Garneau.
M. Garneau: Je suis encore à jour? Bon. Le
ministère ne porte pas de décision sur l'investissement
lui-même, mais il porte sur la politique plus générale de
l'établissement ou non de scieries. Il pourrait y avoir, dan? ce
cas-là, une référence au service gouvernemental
impliqué, qui est l'Inspecteur des institutions financières.
M. Boisclair: Donc, vous voyez fort bien, d'un bon oeil, le fait
qu'une future corporation semblable à la vôtre soit... je ne
dirais pas soit prise, comme si je l'associais à un
élément péjoratif, mais doive respecter, à tout le
moins, un certain nombre d'orientations gouvernementales et doit
peut-être fixer un certain nombre de priorités quant aux projets
qui seront retenus par une future corporation.
M. Garneau: Si je comprends bien, les réactions
premières du gouvernement, c'est qu'il y a une réticence à
le garantir. Si, en plus, il fallait qu'il intervienne pour dire le genre
d'investissements, je pense que ce serait un peu malhabile et ça
limiterait l'esprit d'entreprise, jusqu'à un certain point. Disons
qu'une des mutuelles veut faire un développement, je ne sais pas, pour
acheter une autre entreprise d'assurances, supposons, et que le projet est
rentable. À moins que le gouvernement ait statué que les
mutuelles ou les autres entreprises d'assurance-vie ne peuvent pas se
développer dans leur domaine, ça va de soi que c'est la
rentabilité...
M. Boisclair: C'est donc le critère de rentabilité
qui doit primer...
M. Garneau: Absolument, la rentabilité du projet, et dans
ce cas-là, surtout dans le domaine de l'assurance-vie, ce sont toujours
des rentabilités à long terme. Quand on signe un contrat de rente
à quelqu'un qui a 35 ans et que sa rente, au lieu d'être payable
à 65 ans, et qu'il vit jusqu'à 90 ans, vous vous rendez compte
que c'est un contrat qui est à long terme, qui n'est pas à court
terme, et évidemment il faudra faire des analyses comme on fait
lorsqu'on prend ces décisions-là. Et moi, je vous dirais que si
les gouvernements décidaient d'appliquer la formule SIAP telle quelle,
le besoin de financement à long terme va se poser, mais il se poserait
dans un échelonnement beaucoup plus long et permettrait peut-être
de développer des formules. Mais on en aura toujours besoin à
long terme. On a des collègues, nous ici, des partenaires qui sont des
mutuelles françaises et j'ai assisté à l'assemblée
annuelle de cette mutuelle, l'an dernier, à Paris, et moi, je ne
connaissais pas le président de la mutuelle, M. Jolain. Je l'ai entendu
parler, et le discours qu'il a fait, j'aurais pu aussi bien le faire devant nos
propres mutuellis-tes, il exposait le problème du financement à
long terme des structures mutuelles. Justement parce qu'on n'a pas la
possibilité d'émettre des capital-actions.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Gouin, une dernière petite question.
M. Boisclair: Très rapidement, parce que le temps file.
Vous avez sûrement comme groupe, et c'est ça que je voulais
savoir, comment vous entrevoyez le déroulement... Quel genre de suite
faudrait-il donner à votre rapport?
M. Garneau: Je sais que ce matin, on viendrait commenter, article
par article, le projet de loi créant la corporation, mais...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Boisclair: Mais j'aimerais bien avoir une réponse
à cette question: Quel genre de suite voyez-vous à ce rapport?
Quel genre de concertation ferez-vous avec les gens du milieu? Parce que
déjà, Mme la ministre nous annonce qu'il y a un mandat qui a
été donné aux officiers de son ministère pour faire
une concertation avec l'entreprise du milieu, et est-ce que vous entendez
associer, dans la mesure où, comme groupe, vous continuez d'exister ou
si votre mandat fait que vous n'existez plus comme groupe, mais dans la mesure
où...
M. Garneau: 11 est terminé depuis le mois d'octobre
alors... Évidemment, on intervient par nos associations
professionnelles...
M. Boisclair: Ah! Quel genre de suite faudrait-il donner à
votre rapport, M. Garneau? Je termine là-dessus.
M. Garneau: Le mettre en application.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Garneau. Alors, en
conclusion, Mme la ministre.
M. Garneau: Vous n'attendiez pas une autre réponse,
j'imagine.
M. Boisclair: Évidemment, on aurait pu parler du
délai, et vous savez comment ça fonctionne, là, M.
Garneau.
Le Président (M. Lemieux): Oui, M. Garneau.
M. Garneau: II y a une chose que je voudrais mentionner sur une
des questions que vous avez posées antérieurement, M. Boisclair,
c'est l'encadrement des mutuelles. Il faut quand même reconnaître
que la loi qui a été adoptée avant Noël, dans le
fonctionnement des mutuelles, soulève des préoccupations qui
existaient et qui posent un certain nombre de balises qu'il nous faudra
respecter dans l'avenir, que ce soit, par exemple, dans la forme des
assemblées annuelles. Cette année, heureusement, comme la loi a
été passée sur le tard et que cette nouvelle
réglementation nous imposait toutes sortes de nouvelles
considérations, ça aurait été difficile de
rencontrer un échéancier aussi court, mais l'an prochain, on
devra respecter ces nouvelles normes-là, et je crois qu'elles
s'inscrivent un peu dans les préoccupations que l'on soulevait dans
notre rapport sur l'encadrement du processus des mutuelles et toute la question
des procurations, comment est-ce qu'elles peuvent être exercées,
il y a des limites maintenant, qui sont placées, des limites dans le
quorum des assemblées. Donc, il y a eu certainement un geste de
posé et qui répond à un certain nombre des
préoccupations qui existaient et auxquelles on se référait
dans notre rapport.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Garneau. En
conclusion, Mme la ministre.
Mme Robic: Oui, M. le Président. J'aurais aimé
pouvoir dire au comité et à l'Opposition qu'on aurait
déposé un projet de loi dans cette session, je pense que la
réflexion est avancée, mais on n'est pas à ce
point-là. Cependant, M. le Président, je l'ai dit et je le
répète, notre intention est de travailler avec l'industrie pour
trouver une solution à l'intérieur de structures que vous voulez
conserver. Nous espérons que nous pourrons le faire. Vous nous l'avez
dit, M. Marquis, vous nous avez suggéré une solution parmi
d'autres. Cette solution semble apporter certains problèmes au niveau de
l'industrie même, au niveau gouvernemental. On peut espérer que
cette réflexion va se continuer. D'ailleurs, le mandat que j'ai
donné au ministère, ç'a été non pas
d'imposer des formules, mais bien d'alimenter le débat et la
réflexion. Alors, ça va se con- tinuer. on espère qu'on
arrivera à une conclusion positive qui sera acceptable pour tous les
partenaires et qu'on pourra faire en sorte que nos compagnies mutuelles
pourront demeurer, conserver leurs structures et en même temps se
développer et atteindre leurs objectifs. alors, messieurs, je vous
remercie beaucoup...
M. Garneau: Est-ce qu'on peut également remercier...
Le Président (M. Lemieux): Mais préalablement, M.
le député de Gouin, et je vais revenir avec vous.
M. Boisclair: Merci beaucoup de cette collaboration et de cette
contribution au débat. Comme je vous dis, la qualité de
l'appréciation de la ministre en fonction des suites qu'elle donnera
à votre rapport, et ça, je pense que, M. Garneau, vous qui avez
déjà siégé dans un Parlement, savez très
bien que c'est bien beau de dire qu'on veut y donner suite, et je comprends que
ce soit à votre intention, mais vous connaissez aussi le fonctionnement
de l'appareil gouvernemental pour avoir déjà siégé
à un Conseil des ministres. Alors, souhaitons que rapidement on puisse
en arriver à des solutions, en tenant compte, bien sûr, je pense
que les compagnies... je terminerai peut-être juste là-dessus en
disant: Je crois que les mutuelles d'assurance ont elles-mêmes un chemin
à faire dans leur réflexion. J'ai particulièrement
apprécié l'intervention de M. Millette qui disait que oui,
effectivement, il y a un certain repositionnement et il y a une certaine
orientation stratégique peut-être à modifier, et ça,
chacun d'entre vous dans vos milieux à faire cette
réflexion-là, mais elle est importante, et le caractère
mutualiste aussi pourra se développer dans la mesure où il y aura
aussi un certain... je n'ose pas dire contrôle, mais où les
règles du jeu à tout le moins seront claires pour tous et
toutes.
Le Président (M. Lemieux): Merci. M. le
député de Gouin. M. Garneau.
M. Garneau: Alors, au nom de MM. Chevalier et Millette, M.
Marquis et M. Latulippe, je voudrais vous remercier de nous avoir accueillis.
Personnellement, je pense me faire le porte-parole aussi de mes
collègues pour vous transmettre notre appréciation de la
façon réellement non partisane dont fonctionne ce comité.
Évidemment, à l'occasion, il faut respecter les règles du
jeu de l'Opposition et du gouvernement, mais je crois que ç'a
été très agréable de pouvoir travailler dans un
contexte qui ne semblait pas orienté vers des couleurs politiques, mais
plutôt vers une recherche de solutions. En tout cas, personnellement,
j'ai bien apprécié.
Le Président (M. Lemieux): D'ailleurs, M.
Garneau, c'est le problème à cette commission, on cherche
l'opposition et le pouvoir. Alors...
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Lemieux): La commission vous remercie de
votre participation. Nous suspendons nos travaux jusqu'à 15 h 30, soit
après les affaires courantes de l'Assemblée.
(Suspension de la séance à 13 h 18)
(Reprise à 15 h 36)
Le Président (M. Lemieux): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission du budget et de l'administration reprend ses travaux
relativement à la consultation particulière sur le financement
des compagnies mutuelles d'assurance au Québec.
Nous allons maintenant entendre M. Denis Moffet. Alors, je demanderais
à M. Denis Moffet de bien vouloir prendre place à la table des
témoins. Vous aurez, M. Moffet, une demi-heure pour l'exposé de
votre mémoire, et suivra une période d'échange entre les
deux groupes parlementaires. 30 minutes seront consacrées au parti
ministériel, 30 minutes seront consacrées au parti de
l'Opposition, et les députés pourront intervenir pendant une
période de 10 minutes; je m'efforcerai de faire respecter la
règle de l'alternance.
Alors, M. Moffet, nous sommes prêts à vous
écouter.
M. Denis Moffet
M. Moffet (Denis): Je vous remercie, M. le Président.
Alors, vous avez bien reçu, je crois, le mémoire que je
présente à cette commission et qui s'intitule "Réflexions
sur la problématique du financement des compagnies mutuelles
d'assurance". Je ne lirai pas ce mémoire; je vais me contenter d'attirer
votre attention sur certains points qui me paraissent plus importants, et
peut-être même, à l'occasion, aller un peu à
l'extérieur de ce mémoire.
En tout premier lieu, cependant, même si je ne lis pas le texte,
j'aimerais répéter les remerciements à l'égard de
l'Assemblée nationale pour m'avoir invité à participer
à cette commission parlementaire. C'est pour moi un grand honneur, c'est
une marque de considération et je pense que c'est important que
l'université, en tant qu'institution, puisse avoir à l'occasion
des représentants à ce genre d'exercice. Alors je vous en
remercie, et je vais essayer, au meilleur de mes connaissances, de
répondre à vos ques-tions, et peut-être d'apporter aussi
des points nouveaux.
Je n'aime pas me qualifier d'expert. C'est a sujet extrêmement
vaste. Il y a beaucoup de significations, et je crois que pour une seule
personne, peu importe sa bonne volonté et sa compétence, ce
serait assez difficile, à mon avis, qu'une telle personne puisse se
prétendre experte sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui. En
ce qui me concerne, j'ai commencé à m'intéresser au
problème du financement des mutuelles d'assurance il y a à peine
trois ans. Donc, c'est assez récent, et c'était à la suite
de la demande du Conseil québécois de la coopération
d'effectuer une étude portant sur les enjeux de la
démutua-lisation. Et, depuis ce temps, j'ai eu l'occasion de prononcer
quelques conférences à la suite des invitations que j'avais, et
donc, de fil en aiguille, on en arrive ici aujourd'hui.
Il est intéressant peut-être de situer un petit peu le
contexte historique des mutuelles. Les mutuelles québécoises, et
je dirais peut-être canadiennes-françaises parce qu'il y a une
compagnie mutuelle que je n'ai pas mentionnée dans le mémoire que
vous avez lu aujourd'hui, et qui est une mutuelle du Nouveau-Brunswick, la
Société L'Assomption, qui ressemble beaucoup, dans son histoire,
aux mutuelles que l'on connaît, aux mutuelles québécoises.
Donc, on peut aussi bien parler des mutuelles canadiennes-françaises en
pensant qu'il y a au moins un très bon exemple au Nouveau-Brunswick.
Ce qu'il est important de bien avoir à l'esprit, c'est que nos
mutuelles puisent leurs racines, si on veut, puisent leur inspiration dans les
sociétés fraternelles et aussi dans les coopératives. Les
sociétés fraternelles se sont développées pendant
la révolution industrielle en Angleterre au XVIII siècle; c'est
dans les centres industriels comme Manchester et Londres que se sont donc
développées ces sociétés fraternelles qui avaient
vraiment comme but l'entraide, la solidarité. Et je pense qu'il faut
aussi avoir à l'esprit qu'il y avait peut-être une connotation de
réaction à l'endroit des excès du capitalisme à
cette époque-là. Quand on lit un petit peu sur la
révolution industrielle, on se rend compte que, même si
aujourd'hui on en ramasse certains bénéfices, à cette
époque-là, ça a été extrêmement
pénible pour les classes laborieuses. alors, il m'apparaît
extrêmement important d'avoir à l'esprit que les
sociétés fraternelles d'inspiration britannique ont
influencé l'évolution de l'assurance au canada et ont
influencé particulièrement - je dirais - la naissance de nos
compagnies d'assurances. ici, au québec, on peut par exemple mentionner
la société des artisans qui a été fondée
à la fin du siècle dernier sous forme de société
fraternelle, et est devenue plus tard une coopérative d'assurances. et,
à la suite d'une fusion, le nom de la société des artisans
a disparu et on retient maintenant le nom des coopérants, qui est une
fusion entreles artisans et les coopérants. vous avez vu, dans
l'historique que j'ai fait, donc, que je parte beaucoup de cet
aspect-là. on a des compagnies d'assurances, au québec, qui ont
commencé comme des sociétés fraternel-
les et qui se sont ensuite adaptées aux circonstances et sont
devenues des mutuelles.
Il y a une différence assez importante, ici, entre l'histoire des
compagnies canadiennes-françaises et l'histoire des compagnies
canadiennes-anglaises parce que, si on va du côté de nos amis
anglophones, au Canada, on constate que les compagnies d'assurances qui se sont
développées au siècle dernier, se sont
développées un peu avant les compagnies d'assurances
canadiennes-françaises. Par exemple, la Canada Life, qu'on
considère comme étant la plus ancienne des compagnies
d'assurances canadiennes, a été fondée en 1842, je crois.
Et ce que je veux bien vous signaler, c'est que les compagnies
canadiennes-anglaises ont été, pour la plupart, des compagnies
à capital-actions quand elles ont été établies, et
elles se sont mutualisées beaucoup au cours de ce siècle,
particulièrement dans les années 1950 et 1960. Il y a une
exception notable qui est La Mutuelle du Canada. La Mutuelle du Canada, c'est
une compagnie qui a été fondée au siècle dernier et
qui a été fondée comme mutuelle, contrairement, donc,
à la plupart des autres compagnies canadiennes-anglaises. alors, ici au
québec, on a aussi des compagnies qui ont été
établies sur une base de société à capital-actions,
mais elles sont minoritaires par rapport aux autres. si on veut avoir quelques
exemples de compagnies à capital-actions au québec,
l'industrielle-alliance est une compagnie qui a été fondée
en 1905 comme étant une compagnie à capital-actions; il y a eu
ensuite la sauvegarde, qui a été fondée comme une
compagnie à capital-actions et ensuite, on peut penser à la
laurentienne, qui a été fondée comme compagnie à
capital-actions. quand on regarde, par contre, la plupart de nos compagnies
canadiennes-françaises, on trouve des origines dans le mutual isme. et
le mutual isme, je le disais, était inspiré beaucoup par le
fraternalisme qui remonte, donc, au xviiie siècle - d'origine anglaise -
et ensuite, le coopératisme, lui, est apparu au milieu du siècle
dernier. il y a eu l'expérience de rochdale, qui était une
coopérative de tisserands; quand on parle du coopératisme,
généralement, on parle des principes de rochdale. alors, on
remonte justement à cette expérience de rochdale, au milieu du
siècle dernier.
Il y a eu aussi, bien entendu, l'expérience, en Allemagne, des
caisses de crédit qu'on doit à Raiffersen. Alors ça, c'est
venu un petit peu après l'expérience de Rochdale et je pense
qu'on peut dire, sans trop se tromper, que l'expérience allemande a
influencé beaucoup le mouvement coopératiste
québécois. On connaît bien, ici, le Mouvement Desjardins,
qui est un mouvement de type coopératiste, et qui remonte au
début du siècle. Je pense qu'on peut rattacher, si on veut,
révolution ou la naissance du Mouvement Desjardins aux
expériences de Raiffersen en
Allemagne.
Alors, on a donc ici, en toile de fond, une histoire qui est
basée sur l'entraide, la solidarité. Mon ami, M. Drolet, dans le
mémoire qui va suivre cet après-midi, m'attribue une petite
référence dans le texte qu'il a préparé, où
il réduit ma conception des sociétés fraternelles à
la défense de la veuve et de l'orphelin. Je pense que c'est minimiser
beaucoup le rôle des sociétés fraternelles. D'ailleurs, je
ne reconnais pas ça dans le texte dont il s'inspire, qui s'intitule
"Entraide, solidarité et mutualisme", que je pourrai déposer
d'ailleurs, ici, auprès du secrétaire de la commission pour qu'on
puisse s'y référer adéquatement. Ceci étant dit,
donc, je tiens à ce qu'on considère, qu'on comprenne bien tout le
respect que j'ai pour les origines fraternal istes et mutualistes de nos
compagnies d'assurances.
Il y a eu aussi, à un moment donné, parmi nos compagnies
d'assurances à capital-actions, un mouvement de mutualisation. On peut
donner différentes explications à ce mouvement de mutualisation.
La première explication qu'on donne - et c'est probablement celle qui
satisfait le plus de personnes, qui est susceptible d'être la mieux
reçue - c'est quand on dit que les compagnies à capital-actions
se sont mutualisées dans le but de se prémunir contre des prises
de contrôle hostiles. Et, quand on dit "hostiles" ici, il faut surtout
comprendre des prises de contrôle qui nous viendraient de
l'étranger. C'est une explication possible. On dit, en statistique, que
c'est une hypothèse nulle compatible avec l'observation des
données. Alors, mes amis statisticiens voudront bien prendre note et
ceux qui ne sont pas statisticiens, j'espère que je ne les embête
pas trop avec cette comparaison qui s'inspire des tests en statistique.
Par contre, il y a d'autres hypothèses qui peuvent être
aussi tout à fait compatibles avec l'observation de notre histoire. Je
pense à deux autres explications pour le phénomène de
mutualisation. Ça pourrait être d'abord la volonté des
gestionnaires de se protéger de la discipline de marché.
Pourquoi? Parce que, quand on forme une mutuelle, à un moment
donné, en particulier via le vote par procuration, il est possible de
prendre le contrôle d'une compagnie et, à ce moment-là,
d'être assez bien protégé de la discipline de
marché; entre autres donc, des prises de contrôle, pas
nécessairement hostiles. On pourrait aussi - comme le disait Ardian
Gale, qui est un actuaire de New York - apporter comme explication la
volonté, à un moment donné, de faire quand même une
bonne affaire sur le plan commercial en transformant une compagnie à
capital-actions en mutuelle. C'est-à-dire, à ce moment-là,
que les actionnaires se font payer par ce qui va devenir la mutuelle pour
laisser leur contrôle à la mutuelle après coup.
Alors, il y a trois explications possibles qui
ne réapparaissent pas à rejeter à priori,
même en contexte québécois.
H y a eu aussi des démutualisations, c'est-à-dire des
compagnies qui ont voulu laisser le statut ou abandonner la forme
organisationnelle qu'on appelle le mutualisme pour devenir des compagnies
à capital-actions. Un exemple récent de ça,
évidemment, c'est Desjardins. On sait que Desjardins s'est
démutualisée récemment et aussi, il y a quelque temps, La
Laurentienne. La Laurentienne était une compagnie à
capital-actions; elle s'est mutualisée à un moment donné
et s'est démutualisée par la suite.
Alors, on peut observer un certain va-et-vient entre les
différentes formes organisation-nelles. Des fois, ça
m'amène à me poser la question et peut-être à la
laisser en suspens ici: Est-ce que le mutualisme, à un moment
donné, n'est pas tout simplement un moyen commode de s'adapter à
certaines circonstances? Je parle, à un moment donné, dans le
texte que vous avez sous les yeux, d'une espèce de mouvement au
gré des courants dominants.
Pourquoi ai-je essayé de vous entretenir de l'historique du
mutualisme? C'est dans le but de bien comprendre notre préoccupation
d'aujourd'hui, c'est-à-dire le financement des mutuelles. Parce que,
dans ma façon de voir les choses, il y a certainement des raisons de
vouloir financer les mutuelles. Ou essayons aussi d'en trouver, des raisons de
financer les mutuelles, à partir de leur contribution historique. Parce
que, tout simplement, si le mutualisme est juste une forme d'accommodement
quand on veut bien s'en servir, il faudra se poser la question si on veut
véritablement financer cette forme d'organisation structurelle. Moi, au
contraire - donc, c'est le point de vue que je veux vraiment énoncer
clairement - je crois que la forme mutuelle au Québec a des origines
basées sur l'entraide, basées sur la solidarité. À
un certain moment, au Québec, ce mouvement d'entraide, ce mouvement de
solidarité a été extrêmement important pour aider
notre peuple à s'émanciper sur le plan économique. Alors,
je pense que c'est une contribution historique qu'il est important d'avoir
à l'esprit, malgré les faits que j'ai signalés, par
exemple des mouvements de va-et-vient d'une forme à l'autre. Je pense
qu'il y a un bilan extrêmement positif à tirer de
l'expérience mutualiste au Québec.
Quand on arrive ensuite au financement des mutuelles, on peut voir
plusieurs possibilités. Avant de parler des possibilités, il y
aurait peut-être lieu de se poser la question: Pourquoi a-t-on besoin de
se financer maintenant? Il est important de bien comprendre que dans une
mutuelle, c'est la notion d'usage, davantage que la notion de capital, qui est
la notion importante, de même que dans le coopératisme. On
crée des coopératives dans le but de se donner un service. On n'a
pas comme but, à un moment donné, nécessairement de faire
des profits. On va parler d'ailleurs de trop-perçu plutôt que de
parler de profits et on va faire des redistributions selon l'usage plutôt
que selon l'investissement en capital.
Cependant, nos mutuelles se sont développées. En
particulier dans les années 1980, il y a eu un mouvement de
décloisonnement au Québec. Je pense que ce mouvement de
décloisonnement a été en partie, disons, amené par
les autorités gouvernementales de l'époque. On voulait donner
plus de taille à nos compagnies d'assurances et, à cette
époque-là, donc, nos compagnies d'assurances... Parce que
Desjardins, par exemple, l'AVD était toujours une mutuelle. La
Laurentienne était aussi une mutuelle. Alors, quand on pariait de
compagnies d'assurances, on parlait surtout de mutuelles; et La Sauvegarde
faisait partie - c'était une compagnie à capital-actions, vous le
savez - du mouvement coopératif. alors, il y a eu un mouvement de
décloisonnement dont un des buts était de donner une plus grande
taille à nos compagnies d'assurances. évidemment, si on veut
avoir des institutions financières de grande taille, il faut se rendre
compte, au québec, que les banques nous échappent sur le plan du
contrôle parce qu'elles sont à charte fédérale.
alors, reste le mouvement coopératiste et, si on veut, le mutualisme ou
particulièrement les compagnies d'assurances. alors, on a eu un
mouvement de décloisonnement, entre autres choses, pour donner une plus
grande taille.
La diversification, cependant, qui a été un chemin
adopté parce qu'on pouvait la faire dans les quatre piliers, ça a
amené, je dirais, certaines contraintes sur la liquidité des
compagnies. Et on dit que les compagnies, peut-être, ont des besoins de
liquidité. Pourquoi? Parce que les investissements dans les filiales, ce
sont des investissements qui sont moins liquides que des investissements dans
des titres, par exemple. Alors, c'est évident que si on a besoin,
à un moment donné, d'argent pour les différentes affaires
de l'entreprise, on n'a pas des actifs qui sont aussi liquides que si on avait
des titres.
D'autre part aussi, quand on prend le contrôle d'une entreprise,
que ce soit une institution financière ou n'importe quelle autre
entreprise, il faut en général payer une prime pour le
contrôle. Donc, à ce moment-là, ça entraînait
aussi, l'acquisition de filiales, une sortie de liquidités dans nos
compagnies. Évidemment, on peut dire que les filiales prennent de la
valeur. Je veux bien prendre une partie de cet argument-là, mais je ne
peux certainement par le prendre en totalité parce que c'est
évident que nos compagnies d'assurances, lorsqu'elles font l'acquisition
de mutuelles, c'est qu'elles n'ont pas comme but de devenir, en quelque sorte,
des courtiers en filiales. Elles ont comme but de développer un ensemble
cohérent qui, en particulier, va avoir comme finalité de donner
de meilleurs services aux assurés. Il ne faut pas
comparer ça à des entreprises comme Trilon ou comme Power
Corporation où, dans ce genre de holding financier - ou comme Edper par
exemple - on est prêt à faire l'acquisition d'entreprises dans le
but de les améliorer, si possible, et de les revendre après
ça et, ce faisant, de faire un profit. Je n'ai absolument rien contre ce
genre d'entreprises-là sauf que je pense important de faire la
distinction avec les compagnies d'assurances.
Alors, on en est donc arrivé à dire qu'on a certains
besoins de financement et, à ce moment-là, que constatons-nous?
Nous constatons que, dans les mutuelles, il n'est pas possible de faire des
levées de fonds de capital de risque. Pourquoi? Parce qu'on ne peut pas
émettre d'actions. Alors, comment s'effectue le financement à
l'intérieur des compagnies d'assurances de type mutuel? Il s'effectue
par l'autofinancement, c'est-à-dire qu'on fait des bonnes affaires, et
les surplus qui s'accumulent, on peut les utiliser, donc, ces
surplus-là, dans le but de faire du développement.
Dans le passé, et c'est signalé dans le rapport Garneau,
il y a eu aussi différentes approches. On parle, dans le rapport
Garneau, des billets en sous-ordre et il y avait aussi les actions
privilégiées. Je n'ai pas parlé des actions
privilégiées dans mon mémoire. C'est une omission que je
signale, mais on sait que La Lauren-tienne, notamment, a utilisé les
actions privilégiées pour faire une levée de capital il y
a quelques années; et encore, actuellement, je pense que la valeur de
ces actions privilégiées, dans les livres de La Laurentienne,
monte je pense, à 33 000 000 $, quelque chose comme ça. Alors
donc, il y a déjà certaines possibilités.
Et aussi, on a créé au Québec, il y a quelques
années, une structure particulière qui est la
société mutuelle de gestion, dont on a déjà vu une
application au Québec, et qui avait aussi comme but de permettre
davantage de possibilités de financement dans les mutuelles. Je pense
que cette formule-là présente ce que j'appellerais encore,
beaucoup de zones grises, et que ces zones grises là, personnellement,
me déplaisent suffisamment pour que je n'encourage pas ce genre de
structures-là. Et les principales zones grises que je vois - et j'en
parle dans le mémoire - c'est surtout une absence de législation
concernant le patrimoine mutualiste. D'ailleurs, le rapport Garneau fait
état que, bien souvent au Québec, qu'est-ce qu'on a? On a tout
simplement une application des lois des compagnies d'assurances aux mutuelles,
et sans faire grande distinction. C'est signalé quelque part dans le
rapport Garneau et vous l'avez dans le mémoire que je vous ai soumis.
Alors, ça, en ce qui me concerne, je pense que c'est une lacune au
Québec actuellement, qu'on ait laissé une espèce de zone
grise permanente dans la gestion du patrimoine mutualiste.
En ce qui me concerne aussi, dans la vie participative à
l'intérieur des mutuelles - si on remonte au début de nos
mutuelles d'assurance, comme je l'ai signalé - nous constatons une
volonté d'implication sociale. Il y a dans nos mutuelles, donc, un
historique, non seulement économique, mais social. Je pense, par
exemple... Tantôt, je vous disais qu'il y avait des
sociétés qui étaient aussi intéressantes en dehors
du Québec; la société l'Assomption, par exemple - j'ouvre
une parenthèse - avait clairement comme mission l'éducation. Ici,
dans nos sociétés mutuelles, si on remonte au tout début,
par exemple, il y avait la Société des Artisans, qui était
une société canadienne-française et catholique.
C'était un regroupement avec, donc, des visées qui
dépassaient la visée strictement financière.
Alors donc, je pense, moi, que lorsqu'on a des sociétés
qui ont un historique d'idéal social autant que d'idéal
économique, ce serait peut-être important de penser avoir aussi
une législation qui s'en inspire. Et je pense qu'on devrait, dans nos
mutuelles, utiliser beaucoup plus ces institutions-là comme un lieu
d'apprentissage de la vie économique, un lieu de démocratie. Mais
ce n'est pas tout à fait ce qui s'est produit. Et c'est pour ça,
quand vous voyez la conclusion que j'atteins dans mon mémoire, que
j'associe étroitement le financement des mutuelles à ce genre de
législation-là.
Alors, quand on regarde le problème, donc, de financement des
mutuelles dans un contexte québécois, nous pourrions penser aussi
à des solutions comme celle du Mouvement Desjardins, où on avait
tout simplement pensé au financement par parts permanentes. J'ai eu
l'occasion de le dire dans d'autres écrits que j'ai faits, je pense que
c'est un mode de financement qui est quand même respectueux de la
mentalité, disons, coopérative ou mutualiste. Il y a quand
même peut-être aussi certaines zones grises. Peut-être que la
loi en a pris bien soin - si je me trompe, je veux bien qu'on me le dise - mais
ce que je peux voir des fois, dans les parts permanentes, c'est qu'il y a quand
même des membres des coopératives qui peuvent maintenant avoir un
investissement financier qui est plus considérable que d'autres. Alors,
je me demande si on a mis vraiment à l'abri nos conseils
d'administration des coopératives de ces possibilités que les
gens qui ont plus, disons, d'investissement via les parts permanentes, et s'ils
sont en même temps des dirigeants des conseils d'administration, est-ce
qu'on est complètement à l'abri des conflits
d'intérêts? J'ose espérer qu'il est ainsi. Je n'en ai pas
la certitude.
Alors, je dis que les parts permanentes, c'est quand même
très intéressant dans une mentalité mutualiste ou
coopératiste, mais je pense que, dans cette approche-là aussi,
maintenant, on fait entrer la notion de capital, on différencie les gens
par le capital. C'est donc pour moi encore peut-être une zone grise.
J'avoue, là, que je n'ai pas, disons, passé en
détail la loi à cet égard-là, mais je le signale
ici cet après-midi. (16 heures)
Alors, on aurait pu penser aussi, si on veut aller chercher du capital
externe... On disait que la solution de La Laurentienne, en créant une
société mutuelle de gestion, ça permettait d'aller
chercher du capital à l'extérieur tout en maintenant le
contrôle chez les mutualistes. Je dis, à ce moment-là,
qu'on pourrait peut-être penser donner aux mutuelles le pouvoir
d'émettre des actions, mais sans droit de vote; parce que, à ce
moment-là, donc, le contrôle, de toute façon, resterait
dans les mains des mutualistes. Mais je dis encore une fois, malgré
tout, un peu comme ce que je viens d'ouvrir comme, disons, interrogation en ce
qui concerne les parts permanentes, que si on introduit des actions, par
exemple, non votantes, on peut amener du capital. Mais n'empêche qu'on
amène en même temps aussi, même si les intérêts
sont minoritaires... On a déjà dit aux États-Unis: Tous
les gens sont égaux sauf qu'il y en a qui sont plus égaux que
d'autres. C'est que, quand les gens ont plus d'implication dans l'entreprise
via le capital, on peut s'imaginer aussi que, à ce moment-là, ils
peuvent avoir plus d'influence. Mais enfin, quand on veut associer
différents types d'idéaux, c'est ce à quoi on peut
s'exposer.
Alors, on a eu une proposition, celle que j'appelle du comité
Garneau, qui est un mode de financement qui repose sur le financement par
dette. Alors, un des avantages, peut-être, du financement par dette,
c'est que ça ne crée pas, à un moment donné...
Ça n'amène pas des intervenants dans la structure, qui auraient
des intérêts, si on veut, à faire voter des dividendes.
Cinq minutes, M. le Président?
Alors, ce qui est intéressant dans la démarche
proposée par le comité Garneau, c'est qu'on fait intervenir
aussi, dans le financement des mutuelles, les caisses de retraite. Alors, quand
on regarde les caisses de retraite, il y a aussi, dans la gestion des caisses
de retraite, un objectif d'amélioration du patrimoine des participants.
Alors, on fait rejoindre, possiblement, des entreprises qui peuvent avoir,
jusqu'à un certain point, donc, des idéaux communs.
Et ce qui est intéressant aussi, c'est qu'on demande la garantie
de l'État à cet égard-là. Alors, je constate que la
garantie de l'État, sauf erreur de ma part, elle est déjà
donnée au Québec sur les emprunts d'Hydro-Québec; alors,
ce n'est pas un précédent. Je signale aussi qu'il y a des pays
comme la France et les États-Unis - qui est pourtant un pays de libre
entreprise - qui ont des mécanismes d'assurance où la garantie de
l'État intervient. Je pense à la Caisse centrale de
réassurance en France, et je pense aussi au National Flood Insurance
Program aux États-Unis, où l'État joue le rôle de
garant ultime des ces deux systèmes-là.
Je remarque aussi qu'il y a eu au Québec, dans le passé,
une intervention de l'État en ce qui concerne la capitalisation des
entreprises. Qu'on pense au régime d'épargne-actions, à la
SODEQ, à la SPEQ. Alors, il n'y a pas de précédent,
là non plus, dans l'intervention de l'État. Alors donc, si on
examine ça, et, M. le Président, j'approche de ma conclusion, si
on met tout ça bout à bout, je peux lire maintenant, si vous me
le permettez, la conclusion à laquelle j'en arrive.
Considérant que le mutualisme repose sur des notions d'entraide
et de solidarité héritées du fratemalisme et du
coopératisme;
Considérant l'importance de la contribution des mutuelles
d'assurance au développement social et économique du
Québec;
Considérant le rôle incitatif joué par les
autorités gouvernementales en matière de
décloisonnement;
Considérant le rôle contributif du décloisonnement
au problème actuel de capitalisation des compagnies mutuelles
d'assurance à charte québécoise;
Considérant les interventions récentes de l'État
québécois en matière de capitalisation des
entreprises;
Considérant les précédents, tant au Québec
qu'à l'étranger, du rôle de garant assumé par
l'État;
Considérant le réalisme de la formule de financement
proposé par le comité Garneau et même donc, s'il pouvait
exister d'autres modes de financement; j'ouvre cette parenthèse;
Considérant les faiblesses de la législation
québécoise en matière de "gouvernance" des mutuelles,
notamment en ce qui a trait à la gestion du patrimoine mutualiste et
à la vie participative des mutualistes;
J'exprime aux représentants de l'Assemblée nationale du
Québec mon appui à la formule de financement proposée par
le comité Garneau, tout en proposant d'associer l'acceptation
éventuelle de cette formule à une démarche devant conduire
le plus tôt possible à une révision de la
législation portant sur la "gouvernance" des mutuelles, notamment en ce
qui a trait à la gestion du patrimoine mutualiste et à la vie
participative des mutualistes. Et j'ajouterais que, ce faisant, nous
rejoindrons aussi les principes que Mme Robic énonçait dans la
lettre d'introduction à son plan quinquennal, où elle nous disait
qu'elle voulait la protection des intérêts des mutualistes, et
aussi que l'incitation à la vie participative deviennent une
préoccupation en ce qui concerne l'évolution de nos assurances.
Je suis d'accord avec cet énoncé et je pense qu'on pourrait aller
dans cette direction. M. le Président, je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Moffet. Mme la
ministre.
Mme Robic: Oui, merci, M. le Président. Bienvenue, M.
Moffet, à cette table de consultation. Merci d'avoir accepté de
participer. Vous m'avez citée, en fin de présentation, mais vous
avez dit, dans votre mémoire, que je vous ai laissé sur votre
faim.
M. Moffet: C'est vrai, Madame.
Mme Robic: Alors, si on en parlait un peu, de ce projet de loi
là. Quelles sont les forces et les faiblesses du projet de loi? Je suis
brave, comme ministre, de demander une affaire pareille, mais je le fais. Et si
je vous ai laissé sur votre faim, qu'est-ce que vous auriez voulu voir
dans ce projet de loi là?
M. Moffet: D'abord, en ce qui concerne les modifications
apportées aux lois, je dois vous féliciter pour avoir introduit
un élément de déontologie à l'intérieur des
compagnies d'assurances. Je pense que vous avez fait là une
démarche qui, à mon point de vue, est extrêmement
intéressante et rejoint plusieurs de mes préoccupations. Alors,
il faudra voir, à l'usage, comment ça va se passer. Alors,
ça, je ne le mentionnais pas parce que ce n'est pas tout à fait
dans nos préoccupations, mais je suis heureux de le signaler; vous m'en
donnez l'occasion.
Mais, où vous m'avez laissé sur ma faim, Mme Robic - Mme
la ministre - c'est quand on parle effectivement des mutuelles. Moi, je pense
que la vie participative à l'intérieur des mutuelles
mérite beaucoup d'être encouragée et aussi d'être
organisée, en quelque sorte. Et là, je pense qu'on n'a pas encore
avancé. Et j'ai mentionné aussi, donc, dans le mémoire, ce
que j'appelle, moi, la gestion du patrimoine mutualiste. Alors, ça, je
pense que, dans les préoccupations futures... C'est là que je
conserve mon espoir. C'est que je souhaiterais beaucoup que l'on aborde ces
questions-là.
Mme Robic: J'entendais mon confrère dire qu'on
était hors d'ordre. Ce n'était pas tout à fait ça.
Je vais le reprendre parce que l'inquiétude que j'avais dans la
préparation de mon projet de loi, c'était justement: Comment
peut-on protéger le consommateur, le mutualiste? Et donc, j'ai
été très sensible à vos remarques à ce
niveau-là. Et c'est une question qu'on s'est posée:
Jusqu'où peut-on aller, comme gouvernement, pour mettre quelque chose
dans une loi pour inciter à la participation des mutualistes? Il faut
que le mutualiste lui-même s'intéresse à sa compagnie,
veuille participer. On ne peut pas le prendre par la main, là. Comment,
nous, comme gouvernement... Je comprends qu'il y a toutes sortes de choses que
les compagnies peuvent faire, mais nous, comme gouvernement, qu'est-ce qu'on
peut faire pour inciter les mutualistes à mieux participer? On ne peut
certainement pas les obliger à participer s'ils ne le veulent pas.
M. Moffet: Vous avez une vie politique active. Les partis
politiques ont plusieurs moyens pour faire sortir le vote, par exemple. Est-ce
que, si on n'avait pas des structures pour faire sortir le vote...
Le Président (M. Lemieux):... les résultats qu'on
voudrait.
M. Moffet:... les gens iraient voter autant que cela? Alors, ce
que je veux vous dire par là, Mme Robic, c'est qu'on peut faire des
efforts. Alors si, à un moment donné, on omet totalement de faire
des efforts pour amener les gens, soit à voter ou à aller
à des assemblées générales, c'est évident
qu'ils n'y vont pas. On peut cependant avoir des cas beaucoup plus concrets que
ça. Quand vous allez à une assemblée d'une mutuelle et que
l'on vous remet sur place, par exemple, le rapport annuel de la compagnie...
Alors moi, je ne suis pas un comptable, mais malgré tout, depuis deux ou
trois ans, je me suis intéressé un petit peu plus à la
gestion des mutuelles et je commence à me démêler un peu
dans les rapports annuels de compagnies. Je vais vous avouer que, quand vous
êtes en train d'essayer de comprendre le rapport annuel pendant que les
discours ont lieu... Et tout d'un coup, vous vous réveillez en pleine
période d'élections et là, vous constatez que les
propositions vous arrivent et, souvent, viennent de gens qui sont des
employés de la compagnie. Vous assistez quelquefois à ce genre
d'assemblée là, mais vous perdez vite le goût. Ah! disons
que je ne généraliserai pas, je vais parler pour moi-même.
Je perdis vite le goût de participer à ce genre d'assemblée
générale.
Et, cependant, j'ajouterais, Mme la ministre, si vous me le permettez
que si un pays comme les États-Unis, par exemple, se permet de limiter
à deux termes le temps qu'un président peut faire, est-ce qu'on
ne pourrait pas penser à limiter aussi le temps qu'un président
de mutuelle peut faire pour inciter, par exemple, d'autres gestionnaires,
à l'intérieur de la compagnie, à s'intéresser
davantage et à conserver l'espoir qu'ils peuvent, eux aussi, à un
moment donné, avoir la possibilité de monter dans cette
compagnie-là?
Je pense qu'on pourrait s'asseoir et imaginer bien des façons
d'améliorer la vie participative dans les compagnies mutuelles. Je crois
qu'avec plusieurs personnes qui sont habituées plus aux questions
"manageriales" et aux motivations, je pense qu'on pourrait faire de bons
progrès là-dessus, assez facilement.
Mme Robic: Non pas comme ministre, mais comme membre d'un parti
politique, je pourrais peut-être faire parvenir aux mutuelles notre
manuel d'organisation...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Moffet: C'est une très bonne idée, madame.
Mme Robic: Très bon, hein?
Le Président (M. Lemieux): Ça dépend, Mme la
ministre; il y en a qui vont peut-être vouloir se
démutualiser.
Mme Robic: En page 9, vous exposez plusieurs de vos
inquiétudes, mais vous déplorez le fait que les règles de
déontologie sont quasi-muettes en regard de la question du patrimoine
que constitue la partie non distribuée des surplus. Vous mentionnez
qu'il est possible d'exproprier ou de privatiser ce patrimoine.
M. Moffet: Oui.
Mme Robic: Pourriez-vous nous expliquer un peu où vous
voulez en venir, parce que vous suggérez que c'est même possible
à travers un holding en aval, etc.? Et j'aimerais que vous nous exposiez
vos craintes à ce niveau-là.
M. Moffet: Oui, certainement. Certainement, madame.
Si on prend un holding en aval, par exemple. Alors, vous avez une
mutuelle et vous avez un holding en aval. Et le holding en aval est
lui-même une compagnie à capital-actions, où les actions
peuvent être transigées dans le public. Ce holding contrôle
des filiales où les actions peuvent aussi être transigées
dans le grand public.
Alors, quand vous observez, par exemple, qu'on peut être à
la fois un dirigeant de la mutuelle, un dirigeant du holding et, en même
temps, être un actionnaire à titre privé du holding ou de
ses filiales, ou même être rémunéré avec des
options d'achat d'actions sur, soit le holding, soit ses filiales, je pense
que, déjà, on a une situation qui me semble une situation de
conflit d'intérêts flagrant, et qui peut donc inciter à
capitaliser dans le holding plutôt qu'à capitaliser dans la
mutuelle.
Et comment donc peut-on en arriver à privatiser le patrimoine
mutualiste? En faisant des affaires qui nous amènent à descendre,
en quelque sorte, l'argent dans le holding en aval. Sans compter qu'on n'exclut
pas certaines transactions entre compagnies affiliées qui peuvent avoir
comme effet, aussi... Si on vend, par exemple, une entreprise du holding
à la mutuelle qui le contrôle, et si on la vend à gros
prix, c'est une façon d'expédier les surplus de la mutuelle vers
le holding. Ce sont des zones grises qui existent et, à mon avis, on
peut très bien observer que cela se produit.
Mme Robic: Mais n'est-il pas vrai que ce holding est
contrôlé par la mutuelle? M. Moffet: Oui.
Mme Robic: Et que, si on capitalise le holding, on enrichit par
le fait même la mutuelle, puisque que le holding fait partie de son
patrimoine? N'est-ce pas?
M. Moffet: Oui, mais le dirigeant, je le répète...
Imaginons un dirigeant qui est aussi le directeur de la mutuelle. Il peut
prendre des décisions pour capitaliser, par exemple, le holding... S'il
est en même temps un dirigeant du holding, où il participe, si
l'on veut, aux décisions concernant le paiement de dividendes, et si
cette même personne est actionnaire à titre privé, alors,
ses intérêts de mutualiste, en haut dans la mutuelle, pour lui,
sont très minimes par comparaison avec ses intérêts
d'actionnaire privé.
Mme Robic: Alors, j'ai l'impression que vous pensez qu'une
meilleure structure d'exercice de la démocratie dans une mutuelle
favoriserait la discipline dans la gestion.
M. Moffet: Je pense qu'il faudrait s'assurer qu'il y ait une
meilleure discipline, en effet, parce que, au niveau de la mutuelle, en haut,
la discipline de marché est amenuisée par comparaison avec la
discipline de marché qui prévaut lorsqu'on a affaire à des
compagnies à capital-actions, madame.
Mme Robic: Vous êtes d'accord. Vous avez regardé le
rapport Garneau, vous semblez... J'ai une autre question avant d'aller au
rapport Garneau.
Vous avez parlé de démutualisation, vous avez parlé
de réorganisation au niveau des mutuelles, mais on n'a pas touché
à la remutua-lisation telle qu'on la connaît dans certaines de nos
compagnies. Certains nous ont dit que c'est illusoire, que ce n'est plus une
mutuelle, mais que, d'un autre côté, l'ensemble du
conglomérat est contrôlé par une mutuelle de gestion qui
est en haut de cette pyramide. Donc, dans toute la pyramide, la
mutualité se reflète dans cette pyramide qui est
protégée contre des prises de contrôle, etc. Quelle est
votre pensée là-dessus? (16 h 15)
M. Moffet: Je vais vous poser une question, Mme la ministre. La
société mutuelle de gestion est-elle demeurée sous la loi
des assurances? Je ne sais pas si quelqu'un peut répondre à cette
question-là? Moi, ce n'est pas clair, ce n'est pas une question pour
vous embêter, d'aucune façon...
Mme Robic: Oui.
M. Moffet: C'est une question qui, pour moi, n'est pas claire. Je
veux que vous compreniez que ce n'est pas pour vous embarrasser,
de quelque façon que ce soit.
Mme Robic: Bon, toutes les dispositions d'une mutuelle
s'appliquent à la corporation des mutuelles.
M. Moffet: Parce qu'il est important de bien voir ça au
point de départ. Parce que, à un moment donné, ça
ne m'apparaissait, personnellement, pas tout à fait clair, si la
société mutuelle de gestion restait sous le chapitre de la Loi
sur les assurances. Parce que, à ce moment-là, ça aurait
permis de faire, en dehors de la mutuelle, ce qu'on ne pouvait pas faire sous
le chapitre, disons, de la Loi sur les assurances, en partant.
Mme Robic: Ils ne peuvent pas faire ça. C'est sous le
contrôle...
M. Moffet: Alors, moi, ce que je vois d'abord dans ce genre de
structure là, c'est que, quand on met une structure sur pied, il y a, je
pense, immanquablement, une dilution du pouvoir. Ça, c'est clair. Alors,
je trouve tout à fait étonnant que des mutualistes, par exemple,
ne demandent pas une compensation pour une dilution de leur pouvoir. Je pense
que, en général, dans des entreprises a capital-actions, les
actionnaires sont très réticents à accepter une dilution
de pouvoir sans avoir de compensation. Ça, c'est d'une part.
Alors, d'autre part, et ce que je vous disais
précédemment, quand on crée cette société
mutuelle de gestion, si le but est le financement - parce que notre
préoccupation principale, aujourd'hui, est le financement - alors si
notre but est le financement d'une compagnie, si vous entrez, finalement, des
capitaux externes au niveau de l'ex-mutuelle, qui devient une compagnie
à capital-actions, alors, ce que je dis, c'est que ça vient
exacerber les possibilités de conflits d'intérêts qui, de
toute façon, étaient déjà présentes
lorsqu'on avait la mutuelle et son holding en aval. Alors, pour moi, il y a,
dans le contexte actuel, à moins de légiférer en la
matière, des possibilités de conflits d'intérêts qui
sont exacerbées par cette structure-là.
Mme Robic: Merci. Vous avez étudié le rapport
Garneau, vous nous dites que vous êtes d'accord avec les conclusions du
rapport, avec la méthode retenue pour capitaliser nos mutuelles
d'assurance. Est-ce que vous avez eu l'occasion de vous pencher
là-dessus, vous, et de regarder d'autres méthodes possibles de
financement pour nos mutuelles?
M. Moffet: on aurait pu penser, par exemple, aux parts
permanentes. j'en ai déjà parlé
précédemment, on aurait pu penser aux actions non votantes...
Mme Robic: Est-ce que ça s'applique, les parts
permanentes? Est-ce que vous voyez un véhicule, là,
intéressant pour nos mutuelles?
M. Moffet: Moi, je pense que le rapport Garneau souligne
l'importance d'être capable de mettre sur le marché ces parts
permanentes là. Et je crois que le Mouvement Oesjardins avait un
réseau de distribution qui lui donnait un avantage à cet
égard-là. Et je ne crois pas que les mutuelles aient un
réseau de distribution qui leur soit autant favorable pour entreprendre
une telle opération. Il m'apparaft, moi, que les parts permanentes, oui,
c'est dans l'esprit, avec les réserves que j'ai apportées
précédemment. Mais il y a la question ensuite, aussi, du
réalisme de l'approche. Et il me semble, en tout cas, que le Mouvement
Desjardins, lui, pouvait compter sur un réseau de distribution qui l'a
supporté beaucoup dans l'usage de ce mode-là.
Il y aurait peut-être lieu, éventuellement aussi, de
permettre le financement des mutuelles par une forme d'endettement, ou si les
mutualistes sont prêts à accepter d'avoir des capitaux externes,
avec des gens qui ont des préoccupations un peu différentes, il y
a peut-être d'autres formules d'endettement qui sont possibles aussi. Et
j'ai eu une information récemment; il semblerait que la Sun Life - ce
pourrait être vérifié - vient de faire une forme
d'émission d'obligations qui serait quelque chose comme 100 000 000 $,
via la firme Burns Fry. J'ai entendu ça récemment, sans avoir
tous les détails, mais ça m'a amené à... Et
ça rejoint votre question. Pensez, récemment, est-ce qu'il n'y
aurait pas possibilité d'avoir des formes d'endettement qui ne sont pas
nécessairement subordonnées, par exemple? Si les mutualistes
veulent jouer un rôle d'entrepreneurship, ils devraient peut-être
accepter, au niveau, par exemple, de leurs polices d'assurance participantes,
le risque de supporter de l'endettement de l'extérieur. Il y aurait
peut-être lieu d'explorer ça. Je ne sais pas où on pourrait
aller avec ça, mais il y a peut-être des ouvertures.
Évidemment, j'ai examiné particulièrement le rapport
Garneau, d'abord, pour essayer de me convaincre si cette formule-là,
moi, me satisfaisait, à partir de l'interprétation, disons, que
je fais des besoins de financement d'une part, et d'autre part aussi, à
partir de ce que je vois comme étant la mission des mutuelles.
Mme Robic: Merci. Ça va, M. le Président.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Gouin?
M. Boisclair: Oui, merci, M. le Président. M. Moffet, je
vous remercie de votre contribution. Je pense que vous êtes quelqu'un qui
est à même de regarder les choses d'un peu plus loin, sans
être pris dans le feu de l'action. Vous êtes
capable de porter un jugement qui, je pense, va éclairer
l'ensemble des membres de cette commission. J'aimerais revenir, moi, sur un
certain nombre d'éléments de votre mémoire, et essayer de
mettre en relief aussi un certain nombre de discussions qu'on a eues cet
avant-midi avec les représentants du Groupe de travail sur le
financement des mutuelles, présidé par M. Garneau, et aussi avec
des représentants du Groupe La Laurentienne.
Vous faites un vibrant plaidoyer, dans votre mémoire, pour cette
structure de propriété, la structure mutuelle. Vous en faites
même tout l'historique. Vous rappelez même le départ et
l'emprise... pas l'emprise, mais le point de départ, plutôt, de
ces mutuelles dans les sociétés fraternelles, comme vous les
appelez. Je voudrais vous demander si, aujourd'hui, à votre avis, il y
a, dans nos mutuelles, ce même esprit mutualiste qui a, au départ,
animé les fondateurs de ce mouvement et si, à votre avis... Parce
que j'ai pu prendre connaissance du rapport que vous signiez et que vous avez
signé avec votre collègue, M. Gendron, où vous posiez
déjà un certain nombre de remarques à l'égard de la
façon dont la pratique du mutualisme s'effectuait. Alors, je ne sais pas
quel jugement vous portez sur la situation actuelle quant au vécu de
l'esprit mutualiste dans la mutuelle québécoise.
M. Moffet: Je tiens à souligner qu'il y a, à ma
connaissance, au moins deux mutuelles dans la province de Québec, Les
Coopérants et la SSQ, qui ont maintenu une forme de vie participative.
On pourrait dire qu'elles sont dirigées par un collège
électoral, en quelque sorte, parce qu'il y a des régions, et les
régions délèguent des représentants à
l'assemblée générale. Si on prend Les Coopérants,
enfin, ma compréhension est qu'il y a trois niveaux dans la structure.
Il y a les sections locales, les régions et l'assemblée
générale. En ce qui concerne la SSQ, ma compréhension,
c'est qu'il y a deux niveaux, les régions et l'assemblée
générale.
Alors, il y a au moins deux mutuelles au Québec où il y a
une assemblée générale qui repose, à la limite, sur
une représentation. Donc, il n'y a pas accumulation de votes par
procuration. Parce que, ce que je vois dans les mutuelles et qui,
personnellement, m'apparaît comme étant une lacune à
l'heure actuelle, c'est la direction au moyen des votes par procuration. Dans
une compagnie d'assurances, il est relativement facile pour les dirigeants de
recueillir des procurations. Ils peuvent tout simplement envoyer des
formulaires de procuration par les avis de prime, entre autres choses. Si un
individu, un assuré quelconque désirait contester, en quelque
sorte, la gestion de la compagnie, et qu'il voulait, à la limite, se
débarrasser des gestionnaires en place, il n'aurait pas
nécessairement accès à la liste des assurés. Ce
serait une opération très coûteuse. Et même s'il y
avait accès, ça pourrait coûter très cher, pour
cette personne-là, de contacter les assurés. Alors, c'est
évident que les dirigeants ont un avantage tout à fait
marqué par rapport à n'importe quelle personne qui voudrait
contester ce management-là.
M. Boisclair: Je m'excuse, là, parce que le temps...
M. Moffet: Oui.
M. Boisclair: ...passe et j'aurais beaucoup de questions à
vous poser. Donc, ce que vous nous dites, c'est que, dans la majorité
des cas, la façon dont l'esprit mutualiste se vit laisse un peu à
désirer et, pour reprendre un peu la citation du rapport Garneau
où on parlait du cadre réglementaire qui faisait un peu
défaut, on disait... Vous citez le rapport Garneau lorsqu'on dit que,
mutatis mutandis, ce sont à peu près les mêmes
réglementations qui s'appliquent pour les mutuelles que celles qui
s'appliquent pour les entreprises à capital-actions. Moi, ce que je vous
dis, c'est... J'entends bien des gens - et même, certaines personnes sont
venues en témoigner cet avant-midi - se gargariser un peu avec le
discours mutualiste. Mais vous-même, vous le notez dans votre rapport
présenté pour le Conseil de la coopération du
Québec et le Conseil canadien de la coopération, que c'est
souvent l'esprit entrepreneurial qui prime l'esprit mutualiste. J'aimerais donc
essayer de vous demander si, justement, à votre avis, la
problématique qui entoure la question de la capitalisation vient de la
structure de propriété, à savoir une structure sous forme
mutuelle, ou si elle ne vient pas plutôt de caractéristiques
propres à l'industrie, sur lesquelles on pourrait revenir?
M. Moffet: J'ai mentionné au cours de mon exposé
que le décloisonnement entraînait, à mon avis, des
problèmes de capitalisation. Alors, ces problèmes de
capitalisation là s'appliquent pour toutes les compagnies qui ont
entrepris leur croissance par l'acquisition de filiales, peu importe qu'elles
soient des compagnies à capital-actions ou des mutuelles. La
différence était, cependant, qu'au Québec, quand on a
commencé ce mouvement-là, c'étaient des mutuelles que
ça touchait. Et je dois avouer que, si on avait eu des compagnies
à capital-actions, je ne suis pas convaincu que le
décloisonnement serait allé aussi loin. Si on prend, à la
même époque au Québec, on a eu de la diversification dans
les chaînes d'alimentation. Alors, vous avez lu les journaux, tout le
monde ici, aussi bien que moi.
M. Boisclair: En plus, j'ai lu votre mémoire, aussi. Vous
en faites...
M. Moffet: Vous savez qu'on a constaté très
rapidement que la diversification était extrême-
ment coûteuse, tant chez Provigo que chez Métro-Richelieu.
Et puis, on a fait des changements de cap assez rapidement.
Le problème - et je tiens à le souligner ici par cette
question - c'est que, dans des compagnies d'assurance de personnes, vous avez
une forme de captivité qui vient du fait que les gens sont membres parce
qu'ils sont détenteurs de polices. De quelle façon cette
captivité se fait-elle? Elle se fait parce que, en assurance de
personnes, on peut avoir des contrats à long terme. Alors, imaginons que
vous avez pris une police d'assurance à 25 ans et que vous vous
retrouvez à 55 ans; vous êtes bien assuré et vous
êtes maintenant atteint du diabète ou d'une autre maladie, peu
importe, et vous voulez changer de compagnie d'assurances. À ce
moment-là, ça va être coûteux de changer de compagnie
d'assurances parce qu'on va vous assurer selon des nouvelles normes, de
nouveaux standards, en tenant compte de votre degré
d'assurabilité. Vous pouvez, à la limite, n'être même
pas assurable.
Ce qu'il est important de voir, c'est que, dans les mutuelles
d'assurance, on peut, jusqu'à un certain point, prendre des risques en
sachant fort bien que les gens - comme on le dit souvent - ne peuvent pas voter
facilement avec leurs pieds. Pourquoi? Parce qu'ils sont, en quelque sorte,
captifs par le fait de leur assu-rabilité. C'est même
différent dans une compagnie d'assurance de biens ou de dommages parce
que, dans une compagnie d'assurance de biens ou de dommages, les contrats sont
à beaucoup plus court terme. Les assurés y sont beaucoup moins
captifs, si on veut, que dans une compagnie d'assurance de personnes.
M. Boisclair: Est-ce que ce n'est pas plutôt un
phénomène qui s'analyserait à la marge?
M. Moffet: Je ne pense pas qu'il s'analyse tellement à la
marge. Si vous examinez le portefeuille d'une compagnie d'assurance de
personnes, vous allez trouver un grand nombre d'assurés - si la
compagnie est sur son erre d'aller depuis un certain temps - qui vont
être d'un certain âge et qui devraient sûrement payer
beaucoup plus cher pour aller s'assurer ailleurs. Je ne pense pas que ce
phénomène-là soit à la marge.
M. Boisclair: Non, mais je vous demande votre opinion.
M. Moffet: Non, non. Je comprends bien et je vous
réponds.
M. Boisclair: Mais il y a aussi, au-delà du
décloisonnement, je crois que les compagnies d'assurances n'ont pas
voulu grossir pour grossir. Je pense que le mémoire de l'ACCAP, qui sera
présenté tout à l'heure, est très éclairant
à ce sujet, et très clair. Je pense que tout le monde va
facilement convenir que, si les sociétés d'assurances ne
s'adaptent pas à un nouveau milieu, elles seront aussi rapidement
délaissées par les consommateurs.
M. Moffet: Mon cher monsieur, c'est un argument qui ne me
convainc pas totalement. Vous avez, dans le "Business Week" du 4 mars par
exemple, en page couverture - j'ai signalé cet article-là, si
vous avez vu, récemment - 'The Mess at Pru-Bache" aux États-Unis.
la prudentielle, c'est une compagnie qui a à peu près 130 000 000
000 000 $ en actif et qui, elle aussi, s'est décloisonnée. et
"bâche", dans le mot "pru-bache", c'est une compagnie de courtage. et
elle a des poursuites qui lui viennent de gauche et de droite. même pour
une grosse compagnie comme ça, la situation peut être assez
difficile. il y a eu, dans les années 1980 - pour moi, c'est important
de le signaler - en amérique du nord, un vent de libéralisme. et
je n'aime même pas le mot "libéralisme", que j'associe,
là... c'est faute de trouver mieux. il y a eu un climat d'euphorie qui
nous a portés vers la déréglementation, la privatisation,
et qui n'est pas, en ce qui me concerne, sans rappeler ce qui s'est
passé dans les années 1920. et on se retrouve avec des fiascos
économiques de très grande importance. que l'on songe, par
exemple, à la "savings and loan association" aux états-unis -
c'est une facture énorme - et on trouve, à un moment
donné, à l'intérieur de cet imbroglio-là, une
espèce de réseau politico-financier qu'on parvient à peine
à démêler. (16 h 30)
Moi, ma vision des choses, c'est que les compagnies d'assurances vont
être efficaces quand elles vont donner le meilleur produit possible
à . leurs assurés. Ça n'exclut pas d'essayer d'offrir des
produits, disons, associés à d'autres produits d'épargne,
là, mais vraiment à l'intérieur de certaines limites.
M. Boisclair: Reste à voir aussi jusqu'à quel point
le cas que vous soulevez - la Pru-Bache - est comparable. Je cherche une
analyse, là, que j'ai lue dans un dossier de presse et il y a bien des
réserves qui étaient exprimées.
J'aimerais peut-être profiter du temps qu'il me reste pour revenir
à la formule qui est proposée dans le cadre du rapport Garneau.
Compte tenu d'un certain nombre de réflexions - les considérants
sont très clairs dans votre texte - finalement, vous en arrivez à
proposer... à donner votre appui, plutôt, à la formule
proposée par le rapport Garneau. Considérant aussi certaines
réserves où vous dites: "II ne faut pas que ça; il faut
aussi être capable d'encadrer l'esprit mutualiste,
particulièrement en ce qui a trait à la protection du
patrimoine."
Comment voyez-vous le fonctionnement... Parce que là, c'est
sûr que la solution qu'on propose sera toujours fonction de la vision
qu'on
a du problème qui est posé. C'est un peu pour ça
que je vous demandais, tout à l'heure, jusqu'à quel point il vous
apparaît que le problème... je n'aime pas vraiment parler du
problème, mais la problématique, plutôt, qui entoure le
phénomène de capitalisation des entreprises mutuelles, est due
à la structure plutôt qu'à leur nature même, en
termes d'entreprises qui oeuvrent dans une industrie. Permettez-moi juste de
vous rappeler ce que disait le rapport de La Laurentienne: "Les mutuelles du
Québec sont cantonnées dans les segments relativement moins
profitables de leur marché primaire. La plupart d'entre elles n'ont pas
une taille suffisante pour accepter les frais fixes. Elles luttent avec des
concurrents riches pour qui le marché du Québec est secondaire,
sans qu'elles n'aient, en contrepartie, un accès équivalent
à d'autres marchés." Ce sont quand même des choses... un
point de vue qui est quand même bien étayé dans le reste du
mémoire.
Ce que je veux finalement vous demander, d'une part, c'est: Est-ce que
ce qui est proposé par le rapport Gameau est une véritable
solution aux problèmes vécus par nos mutuelles? On a
discuté aussi de questions de segmentation de marchés, de
stratégie, de "mixed marketing" et de "mixed..." au niveau des produits
aussi. Donc, est-ce que c'est vraiment une solution qui va régler le
véritable problème vécu par les mutuelles?
Et, deuxièmement, quelle est votre vision du fonctionnement de
cette corporation? Bien des gens, certaines personnes plutôt, ont
exprimé un certain nombre de réserves quant à la perte
possible d'autonomie des compagnies mutuelles d'assurance. Aussi, certaines
personnes ont dit que ce genre de fonds ne pourra pas s'adresser aux gens qui
auraient peut-être plus de besoins. Quels critères, par exemple,
devraient être retenus par une corporation semblable à celle
proposée pour la guider dans ses choix de placements? J'aimerais un peu
vous entendre sur cette question-là.
M. Moffet: Vous avez plusieurs questions.
M. Boisclair: Oui. Bien, dans le fond, j'en aurais deux.
M. Moffet: Oui.
M. Boisclair: Est-ce que ce qui est proposé répond
aux problèmes? Et, deuxièmement, comment voyez-vous le
fonctionnement, plus dans le détail, de la solution proposée par
le comité Garneau?
M. Moffet: D'abord, est-ce que ça répond aux
problèmes? À mon avis, il y a différents types de
financement qui peuvent être envisageables. J'en ai mentionné
quelques-uns et j'ai mentionné les limites à certaines de ces
approches-là. Je dis que la solution Garneau m'ap- parait, dans le
contexte historique du Québec, une solution raisonnable, modeste
même. Il y a quelque chose, cependant, dans le préambule à
vos deux questions, qui était une forme d'interrogation, aussi. Je me
pose toujours la question. Si on dit que le domaine d'assurance des personnes,
ce n'est pas un domaine tellement en évolution, je veux bien le croire.
Moi, je considère ça comme étant - l'assurance des
personnes - un bien essentiel. Cependant, il y a un besoin qui est
là.
Si on dit, maintenant, qu'il faut développer d'autres secteurs au
Québec, la question qu'on doit se poser, c'est: Est-ce qu'on doit
confier aux mutuelles de faire du développement dans d'autres secteurs,
ou bien est-ce qu'on ne doit pas encourager d'autres secteurs? On pourrait
avoir plusieurs réponses à ça. Une des réponses,
c'est peut-être de dire: Étant donné qu'on a
déjà un certain type d'entreprises au Québec, qu'on a une
infrastructure, pour essayer de garder un niveau d'activité chez nous et
s'assurer qu'il reste là, par exemple, une certaine vision nationaliste
qui, je pense, est toujours très présente maintenant au
Québec, peu importent les allégeances politiques - je le dis -
à ce moment-là, on peut dire: Écoutez, on a une structure
qui s'appelle les mutuelles, on aimerait faire du développement dans
d'autres domaines, alors peut-être qu'on peut profiter du fait qu'elles
sont là, ces mutuelles-là, pour les emmener ailleurs.
Je dirais, cependant, strictement comme économiste, que les
compagnies d'assurances, ce qu'on leur demande, c'est de donner le meilleur
produit possible dans le domaine de l'assurance. Et, s'il y a d'autres domaines
à développer, qu'ils se développent. À la limite,
on pourrait dire: Si les mutuelles sont très efficaces, et vu que ce
sont des mutuelles, elles vont retourner des fonds à leurs membres et
puis les individus feront le choix. Et s'ils veulent s'acheter des
téléphones cellulaires en cours de route, ils encourageront un
développement en pleine expansion, qui est celui des
téléphones cellulaires.
Vous voyez, cependant - et je dis bien cependant - si on veut
développer une espèce de stratégie économique
où on exerce un contrôle et on garde, à l'intérieur
de ce qu'on peut contrôler ici, au Québec, certaines institutions,
à ce moment-là, on peut dire: Essayons de faire en sorte que ce
soient les mutuelles qui le fassent, il y a un choix politique, à mon
avis, qui est 'à-
M. Boisclair: Je ne sais pas si, vraiment... c'est vraiment
là, sans doute, la question de fond la plus importante que...
M. Moffet: Vous avez entièrement raison. Ça me
semble une question de fond. La réponse n'est pas évidente
à ça, à mon avis.
M. Boisclair: Je ne prétends pas avoir la réponse
à ça.
M. Moffet: Moi non plus. Je dis que la réponse n'est pas
évidente. Mais je vous ai donné, par exemple, une forme de cadre
d'analyse là-dedans.
M. Boisclair: Oui. Au niveau du fonctionnement, maintenant,
comment fait-on la comparaison avec la SDI...
M. Moffet: Oui. Moi, je vais vous dire...
M. Boisclair:... que je trouve un peu boiteuse, là.
Mais...
M. Moffet: Moi, je vais être très honnête avec
vous, je me trouve fort incompétent pour répondre à cette
question-là. Au meilleur de ma connaissance, j'ai essayé de voir
si le mode proposé, en tout cas, s'incrivait dans une certaine logique
mutualiste et une certaine perception des choses. Quant à l'organisation
fonctionnelle de cette entreprise-là, je vous recommanderais vraiment de
demander à des gens plus compétents que moi en la
matière.
M. Boisclair: Oui. Mais là, c'est parce que vous vous
êtes quand même permis...
M. Moffet: Oui.
M. Boisclair: Vous vous êtes quand même permis
d'appuyer la formule proposée par le rapport Garneau...
M. Moffet: Oui.
M. Boisclair: II faut comprendre qu'au delà des principes
- très rapidement - dans la mesure où on aura à
réfléchir, nous, comme parlementaires, ce sera sans doute une
proposition qui, nous le souhaitons, viendra dans un délai assez
court.
M. Moffet: Oui.
M. Boisciair: Nous aurons à nous prononcer sur cette
question-là. Et, le fond du problème, c'est souvent, pour
reprendre d'autres débats qu'on a eus sur d'autres sujets, une question
de composition sur les critères d'admissibilité, des choses
semblables. Parce que, facilement, les objectifs qu'on met sur papier peuvent
souvent, lorsqu'on étudie concrètement les choses,
s'avérer complètement différents. Et, dans ce
sens-là, moi, je pense qu'il y a déjà une certaine mise en
garde à faire.
Je pourrais donner des exemples très concrets, là, sur
d'autres sujets. Les énoncés de politique et les projets de loi,
ce sont souvent deux choses bien distinctes. Donc, par exemple, comment...
Est-ce qu'on analyse un rapport financier d'une compagnie mutuelle d'assurance,
et est-ce que les comparer les unes aux autres comme on compare - je ne sais
pas, moi, des entreprises qui oeuvrent dans le secteur manufacturier - est-ce
qu'on peut se permettre... De quelle façon, par exemple, peut-on les
comparer, ces rapports-là, et sur quelle base doit-on accorder le
financement? Quels critères devra-ton retenir? Qui prendra ces
décisions-là?
M. Moffet: Vous avez des questions qui me semblent tout à
fait pertinentes. Mais je vous répète que, sur une courte
période, il me serait difficile d'entrer dans tous ces
détails-là. Quand vous me parlez, à titre d'exemple, de
comparaison d'une mutuelle avec une autre mutuelle, d'abord, il faudrait bien
s'entendre sur la façon de présenter les rapports
financiers...
M. Boisclair: Bien, voilà!
M. Moffet: Bien, écoutez. Vous pouvez prendre, à un
moment donné... À titre d'exemple, je me souviens d'un rapport
annuel où on nous annonce un bénéfice net de 8 500 000 $;
et il faut aller à la note 13, à un moment donné du
rapport annuel, pour voir qu'il y a 7 100 000 $ qui proviennent d'une
transaction entre compagnies affiliées. Alors, comment on traite
ça, à ce moment-là? Est-ce que c'est 8 500 000 $ moins 7
100 000 $, le bénéfice net, ou si c'est 8 500 000 $? alors, comme
vous voyez, quand on entre là-dedans... c'est pour ça que je vous
dis, m. le député, que je ne peux que vous répondre. vous
entrez dans quelque chose qui est énorme, à ce moment-là.
et si vous vous attendez qu'on prenne un document comme le rapport garneau, et
qu'un individu, par exemple, qui n'a pas toutes les compétences,
s'installe là et qu'il dise, à un moment donné: je vais
faire maintenant l'analyse de comment ça va fonctionner, on s'embarque
dans quelque chose. et le genre de questions, donc... comme je vous le dis,
vous prenez les rapports annuels et, maintenant, avec les holdings en aval,
vous avez des transactions entre compagnies affiliées. une chatte y perd
ses chatons là-dedans.
Le Président (M. Lemieux): Avez-vous des questions, M. le
député de Gouin?
M. Boisclair: Ah bien! Oui. J'en aurais plusieurs autres, mais je
vais commencer par celle-ci. Puisqu'on peut s'entendre qu'effectivement, entrer
dans toute l'analyse, ça peut être en soi très difficile,
au-delà de ça, si on regarde de façon
générale, est-ce que la crainte soulevée par certaines
personnes, dans le fond, qu'il y ait une perte d'autonomie des compagnies
mutuelles, vous apparaît justifiée?
M. Moffet: Une perte d'autonomie...
M. Boisclair: Je fais référence à M.
Cardinal, qui est avocat, qui publiait un article dans Le Devoir.
Permettez-moi de le citer. "Verra-t-on un jour la corporation imposer des
mesures de redressement, la nomination d'inspecteurs, ou encore la verra-t-on
porter des jugements sévères sur les dirigeants à
l'occasion de difficultés de remboursement ou de refus de financement
ou, enfin, verra-t-on exiger la diffusion", par exemple?
M. Moffet: Bien ça, ça me semble... J'ai lu
l'article de M. Cardinal. Il n'y a rien qui m'étonne là-dedans.
Si vous empruntez auprès d'un banquier, il va vous poser le même
type de questions, à un moment donné. Vous allez être
obligé de vous asseoir devant lui, à un moment donné, et
de discuter des possibilités de redressement en cas de besoin. Oui.
À chaque fois que vous vous endettez ou à chaque fois que vous
faites affaire avec un partenaire, vous perdez, jusqu'à un certain
point, de l'autonomie. Pour moi, c'est très clair.
M. Boisclair: Alors, je comprends très bien que le
banquier va être très à même de faire une analyse de
vos états financiers, et ça, je pense qu'il a les
compétences pour le faire, et même de comparer avec un certain
nombre de ratios de l'industrie. Et il y a aussi un certain nombre d'exigences
qui sont là, des exigences de l'Ordre des comptables, pour faire la
comparaison entre les états financiers. Il y a une série de
critères qui existent. Mais, par exemple, qui choisirait-on pour faire
l'analyse des demandes de projets venant d'une compagnie X, mutuelle
d'assurance?
M. Moffet: Mais, quand on...
M. Boisclair: On ne pourra certainement pas prendre des gens du
milieu, qui seraient immédiatement, vous le comprendrez facilement, en
conflit d'intérêts.
M. Moffet: Mais, quand on a créé la Caisse de
dépôt et de placement du Québec, par exemple, je suppose
qu'à ce moment-là, on a aussi prévu des mécanismes
pour étudier les demandes de financement et autres choses
semblables...
M. Boisclair: Effectivement, mais les représentants...
M. Moffet: Je ne vois pas ce qui est différent de
certaines autres situations, entre autres, la Caisse de dépôt dans
le passé, sauf erreur de ma part.
M. Boisclair: Non, mais... C'est sûr, mais il n'en demeure
pas moins, vu... Essayer de comprendre les états financiers des
compagnies mutuelles d'assurance, ce n'est pas la même chose que comparer
les états financiers... que d'essayer d'avoir une compréhension
des états financiers d'entreprises du secteur manufacturier, dans la
production ou dans le domaine des services. C'est très... Je vous avoue
que, parfois, les problèmes que j'ai à essayer de les comprendre
et d'en tirer des comparaisons, les uns avec les autres... Mais il n'en demeure
pas moins que c'est un secteur très spécialisé et qu'il
pourrait peut-être y avoir un certain problème de ce
côté-là.
M. Moffet: Je vous comprends et je sympathise totalement avec
vous quand vous dites que vous avez des problèmes à comparer,
à un moment donné, une compagnie à une autre. Et Je pense,
à ce moment-là, encore une fois, qu'il y a des gens qui vont
développer une spécialité en cette
matière-là; parce que, quand on compare des compagnies, c'est
évident qu'il y a bien des points. Il ne faut pas regarder juste, par
exemple, les primes, parce qu'on peut avoir une compagnie qui vend beaucoup
à un moment donné, mais si elle vend de la mauvaise
qualité, elle peut avoir des problèmes dans cinq, dix, quinze
ans. C'est bien évident, c'est très clair. Je sympathise avec les
interrogations que vous avez, bien sûr.
M. Boisclair: ii y a une dernière question que j'aimerais
vous poser, m. moffet: est-ce que le fait qu'une société soit
regroupée sous une forme juridique de mutuelle... est-ce que vous avez
déjà fait des études ou une réflexion sur le
fait... est-ce que ça ne constitue pas, pour cette entreprise, un
avantage en termes marketing, en ce sens que le détenteur de police est
aussi propriétaire de sa police, dans le fond? n'y a-t-il pas là
un avantage qui a peut-être été négligé ou
sous-estimé de la part des dirigeants de ces compagnies mutuelles? et,
dans je fond, les compagnies n'auraient-elles pas l'avantage propre à
développer cet esprit mutualiste pour, peut-être, en tirer des
résultats qui pourraient être très évidents en
termes de rendement et en termes de part de marché? (16 h 45)
M. Moffet: Vous avez bien raison. Moi, ça m'a toujours
étonné de voir que les compagnies d'assurances n'ont pas
utilisé, comme outil de marketing, leur caractéristique
première. Je dois avouer que je trouve que le Mouvement Desjardins, par
exemple, a vraiment cultivé beaucoup le sentiment d'appartenance
lié au coopératisme, et même le sentiment de
propriété, dans certaines de ses publicités
passées. Vous avez entièrement raison.
M. Boisclair: Alors, si c'est si évident, pourquoi ne le
font-elles pas?
M. Moffet: C'est une interrogation que j'ai. Je n'ai pas la
réponse à ça. Je trouve qu'elles ont vraisemblablement eu
peut-être un manque à
gagner dans le passé à cet égard-là. Je
pense qu'elles auraient pu l'utiliser bien davantage. Je vous assure que je
pense qu'elles auraient dû l'utiliser. Je suis toujours
étonné de voir qu'elles ne l'ont pas fart.
M. Boisclair: Alors, je concluerais peut-être sur cette
question-là; jusqu'à quel point est-ce la philosophie mutualiste
ou l'esprit entrepreneurial qui les anime?
M. Moffet: C'est une question que vous pouvez fort bien poser.
C'est pour ça que moi, donc, encore une fois, je pense que ma position
est claire. Je dis: Finançons les mutuelles si on croit vraiment que le
mutualisme en vaut la peine. Et, justement, s'il en vaut la peine, associons
notre démarche à une révision de la législation en
matière de gestion du patrimoine mutualiste, et aussi en matière
d'animation de la vie participative. Je pense que ma position est claire.
M. Boisclair: Oui et, sans doute, j'en partage une bonne partie.
Moi, ça va pour...
Le Président (M. Lemieux): Peut-être seulement une
petite question, parce qu'il y a quelque chose dans votre mémoire qui a
attiré un petit peu mon attention. Ma question va être très
courte, sans préambule. Est-ce que les mutualistes y trouvent vraiment
leur compte dans une démutualisation? Parce que vous semblez, dans votre
mémoire, affirmer le contraire, qu'il n'y trouvent pas leur compte en se
démutuali-sant. Ça m'a frappé un petit peu. C'est la seule
petite question. J'en avais discuté, d'ailleurs, avec le
député de Prévost qui m'avait souligné ça
aussi.
M. Moffet: Est-ce qu'ils y trouvent leur compte en se
démutualisant?
Le Président (M. Lemieux): Oui.
M. Moffet: Bon, si on regarde la seule démutualisation qui
a eu lieu au Québec, on remarque une chute de l'avoir propre des
détenteurs de polices, des mutualistes, en passant de l'année qui
précède la démutualisation à l'année qui
suit la démutualisation. Alors, comment s'est faite la
démutualisation? Il y a peut-être des interrogations qui sont
là. Comment a-t-on traité en particulier le fonds de
participation? On ne peut pas le savoir parce que, dans les rapports annuels
qui sont publics, on ne voit pas cela.
Le Président (M. Lemieux): Ça va. Alors, comme il
n'y a pas d'autres interventions, en conclusion, Mme la ministre.
Mme Robic: Oui, M. le Président. Je voudrais remercier M.
Moffet d'avoir participé. Ça a été
intéressant. Je pense qu'on est en train de développer la suite
de ce qu'on a entendu, certaines idées ici, alors on vous
écoutait M. Moffet, mais on prenait des notes en même temps.
Alors, on vous remercie infiniment. Vous nous permettez de saisir certaines
faiblesses dans l'opération, également dans les obligations d'un
gouvernement vis-à-vis des mutualistes. Il faudra peut-être
regarder ça. Ça a toujours été ma grande
préoccupation. Cet argent qui se retrouve dans les compagnies appartient
aux mutualistes. On parlait de redistribution tout à l'heure, comment
ça doit se faire, mais ça, je pense que c'est un tout autre
débat. Ce n'est pas si simple que ça. Donc, on vous remercie
infiniment et on espère pouvoir utiliser vos lumières à
d'autres moments.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Gouin, brièvement.
M. Boisclair: Oui, je veux vous remercier de votre
présentation, et juste reprendre où la ministre a laissé.
C'est quand même quelque chose d'intéressant et j'aurais
aimé ça, vous questionner; mais on pourra rediscuter de cette
question. Il y a quand même un choix qui a été fait par le
gouvernement du Québec de protéger le consommateur d'assurances
plutôt que le mutualiste. Et je pense que le projet de loi 112, qui a
été adopté en décembre dernier, est venu
concrétiser cette volonté-là. Mais, ceci étant dit,
je veux vous remercier, M. Moffet, de votre contribution, et soyez
assuré qu'on prend bonne note de vos propos.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. le
député de Gouin. La commission vous remercie de votre
participation à cette commission parlementaire, et si vous voulez dire
peut-être un petit mot en conclusion, rapidement.
M. Moffet: Vous avez été très aimable
pendant ces délibérations. Je vous en remercie beaucoup.
J'apprécie encore l'honneur qui m'a été fait de venir ici
cet après-midi. Je vous assure de mon entière collaboration si
vous vouiez continuer ces débats-là, ça me fera le plus
grand des plaisirs.
Et j'aimerais aussi déposer un texte qui a été
cité à la fois dans mon propre texte et dans le texte d'autres
personnes, qui s'intitule "Entraide, solidarité et
mutualité".
Le Président (M. Lemieux): Alors, j'en autorise le
dépôt, M. Moffet. Encore une fois, la commission vous remercie de
votre participation. Je demanderais maintenant au représentant de
l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, M. Millette,
de bien vouloir prendre place à la table des témoins.
Alors, M. Millette, comme vous êtes un personnage coutumier des
commissions parlemen-
taires, bientôt on va peut-être songer à vous
prêter un de nos sièges, mais il y a une prémisse: il va
falloir que vous mettiez votre photo sur les poteaux
Alors, bienvenu à cette commission parlementaire. Vous
connaissez...
Une voix:...
Le Président (M. Lemieux): Votre photo sur les poteaux!
Oui, c'est ça. C'est un peu...
M. Millette:...
Le Président (M. Lemieux):... l'accent du Lac-Saint-Jean,
ce n'est pas celui de Montréal.
Alors, vous connaissez les règles du jeu: vous avez une
demi-heure pour exposer votre mémoire. Suivra une période
d'échanges entre les différents groupes parlementaires d'une
demi-heure chacun. Et il y aura l'intervention des députés qui
ont un temps de parole de 10 minutes. Alors, nous sommes prêts à
vous écouter, M. Millette.
Association canadienne des compagnies d'assurance de
personnes inc.
M. Millette: D'abord, je dois dire que Me Jean-Pierre Bernier qui
est le directeur du contentieux, vice-président et chef du contentieux
de l'Association, devait assister à la présentation et j'imagine
qu'il a été quelque peu retardé. Il devrait être
là dans quelques instants. Il sera en mesure de vous fournir une
perspective qui est plus encore une perspective de l'extérieur du
Québec à ce niveau-là.
Je dois aussi vous dire que la position qui a été
présentée par l'ACCAP à la présente commission
parlementaire n'est pas une position de l'Association, mais un document de
travail qui a été préparé pour le
bénéfice de la commission. Il y a déjà plusieurs
années qu'on parie de financement des compagnies mutuelles au
Québec, mais ce sujet-là est un sujet qui est nouvellement
débattu à l'extérieur du Québec, dans les autres
mutuelles canadiennes. Notre Association n'en est pas encore arrivée
à développer une position certaine. Vous allez voir dans mon
mémoire que, à partir de 1985, l'Association a commencé
à faire une réflexion sur la démutualisation ou sur la
réorganisation des mutuelles. Mais aujourd'hui le
phénomène s'est étendu à d'autres
préoccupations de sorte qu'on parle maintenant de financement des
compagnies mutuelles et même de réorganisation des compagnies
mutuelles dans un ensemble qui est beaucoup plus global. Donc, dans ce
cadre-là, l'Association n'a pas encore établi des positions
qu'elle défend ou qu'elle préconise, mais elle est encore au
stade de la recherche pour essayer d'amener l'industrie canadienne à se
positionner.
Évidemment, la législation quand on parle de financement,
on parle aussi, dans le cas des mutuelles, de réorganisation, on parie
des droits des mutualistes, mais aussi on parie de protection des
consommateurs. Donc, je pense qu'il faut situer et c'est où on a
essayé de situer le mémoire, il faut essayer de situer toute
cette question-là dans un ensemble global. On a vu d'autres personnes
qui ont fait des représentations ce matin qui venaient dire qu'une chose
importante, c'était le marché que vous deviez développer,
vos segments de marché, etc. Effectivement, on ne peut pas parier de
financement dans l'absolu comme ça. Il n'y a personne qui va commercer
à se financer pour le plaisir de se financer, pour mettre l'argent
à la banque en fait. Ça doit obéir à des raisons,
à des motifs. Le financement des mutuelles finalement n'est qu'un des
éléments de l'ensemble de la problématique de la
réorganisation des institutions financières au Canada; qu'on
parie des lois fédérales sur les fiducies, la nouvelle loi sur
les banques, etc..
C'est Jean-Pierre Bernier de l'ACCAP.
Le Président (M. Lemieux): Bienvenu. Continuez, M.
Millette.
M. Millette: oui, parfait. donc, c'est l'ensemble de tout le
système de fonctionnement des institutions financières qui est
sous-jacent au problème du financement comme tel. l'accap, finalement,
le document qui a été préparé essaie de faire le
tour de toute cette problématique-là et non pas uniquement du
financement. au départ, on peut essayer d'explorer les motifs qui
pourraient inciter une compagnie mutuelle à se réorganiser. le
premier de ces motifs-là, c'est le développement de ses affaires.
c'est un grand débat à l'intérieur de l'industrie - m.
moffet en parlait un peu tantôt - c'est: est-ce qu'une compagnie
d'assurance-vie devrait se limiter à bien servir ses assurés et,
dans le cas d'une mutuelle, à bien servir ses mutualistes en leur
donnant le meilleur produit possible ou si une compagnie mutuelle ou une
compagnie d'assurances devrait aussi essayer d'être une opération
commerciale et essayer de développer les secteurs du marché? je
pense qu'il n'y a pas de réponse qui va l'une sans l'autre.
D'un côté, si une compagnie mutuelle n'est pas progressive,
le marché va finir par l'éliminer. D'un autre côté,
on peut dire que si elle fait du décloisonnement à outrance et
qu'elle abandonne son marché de base, son "sequel function", elle risque
aussi d'avoir des problèmes. Mais, au bout de tout ça, il y a un
juste milieu à trouver et, pour réussir à trouver ce
milieu-là, il peut s'avérer qu'une mutuelle ait besoin de trouver
du financement pour développer les nouveaux marchés qu'elle veut
développer. Et donc, à ce moment-là, une des raisons qui
pourraient l'inciter à se réorganiser est justement le
développement de ses affaires. Et je pense que
notre société... La commande, entre guillements, qui a
été passée aux compagnies mutuelles d'assurance-vie du
Québec, c'était qu'elles devaient participer au
développement économique du Québec, qu'elles devaient
participer au développement du marché des institutions
financières québécoises pour améliorer, pour garder
chez nous, pour canaliser chez nous l'épargne des
Québécois, etc.
Donc, le législateur a élargi la vocation des compagnies
mutuelles. Et je pense que, finalement, c'était une perspective juste,
parce qu'on s'aperçoit que partout dans le monde, à l'heure
actuelle, on a un développement des marchés de cette
façon-là.
La deuxième raison qui peut amener le développement, la
réorganisation d'une mutuelle, c'est la diversification en amont et la
question des liens commerciaux. On se rappellera que, au Québec,
lorsqu'on a fait la réforme des institutions financières, la
réforme des compagnies d'assurances, on ne s'est pas vraiment
posé la question des liens commerciaux. On disait: Les compagnies
mutuelles d'assurance sont des compagnies qui sont largement détenues
par leurs propriétaires et ces compagnies-là pourraient avoir des
liens commerciaux aussi bien en amont qu'en aval. Aujourd'hui, avec la
réforme des institutions financières et avec ce qui s'est
passé dans les autres juridictions, il y a un genre de pattern qui se
crée et où on dit que les lieux commerciaux devraient être
plutôt en amont et on favorise - ou on facilite - jusqu'à un
certain point la diversification en amont plutôt qu'en aval. donc,
à ce moment-là, les compagnies mutuelles qui n'ont pas de
capital-actions, qui ne peuvent pas être possédées par
quelqu'un d'autre peuvent être tentées de se réorganiser
pour pouvoir participer à cette nouvelle tendance qu'on
décèle dans les milieux internationaux de la diversification en
amont et des liens commerciaux. quand je parle des liens commerciaux, ça
peut aussi bien être d'essayer de trouver une affiliation avec des
institutions financières étrangères. donc, j'entends liens
commerciaux dans un sens très large, ici. c'est qu'on va essayer de
trouver des partenaires pour développer un marché où,
finalement, c'est de plus en plus dispendieux de développer des nouveaux
produits, etc., pour satisfaire la nouvelle gamme. donc, ça peut
être un autre des motifs qui peuvent inciter les compagnies mutuelles
à se réorganiser.
Un dernier motif qui peut inciter les compagnies mutuelles, c'est
d'avoir un meilleur accès au capital et de trouver du capital moins
dispendieux. On sait que ou, généralement, on va dire que
l'endettement est une façon plus dispendieuse de trouver du capital que
l'émission d'actions ordinaires, par exemple. Parce que l'action
ordinaire va permettre à l'actionnaire de participer à l'essor de
la compagnie, il va avoir un gain de capital que vous ne trouverez pas dans le
type d'endettement. Donc, à ce moment-là, le coût pour
lever le capital va être moindre au moment où vous allez le faire.
Donc, il peut y avoir des intérêts marqués à le
faire. Et, dépendant des époques aussi, certains véhicules
financiers vont être plus intéressants que d'autres. Les actions
privilégiées ont déjà été quelque
chose de très intéressant. (17 heures)
Aujourd'hui, la fiscalité fait que c'est beaucoup moins
intéressant. Le dernier budget de M. Wilson a commencé à
dire que les caisses de retraite devraient être incitées à
investir en actions. Eh bien! on peut s'attendre que le marché va se
déplacer de ce côté-là éventuellement. Donc,
il y a des modes, si on peut dire, dans le financement des entreprises. Et je
pense que les mutuelles vont devoir avoir un meilleur accès au capital
pour pouvoir profiter, jusqu'à un certain point, de ces modes-là.
Parce que, à l'heure actuelle, les compagnies mutuelles sont
obligées d'inventer un véhicule à chaque fois qu'elles
veulent avoir accès à du capital, mais le temps qu'elles
inventent leur véhicule, l'opportunité est partie et il y a
déjà autre chose qui est à la mode. À ce
moment-là, il y a un intérêt à faire une
réorganisation des compagnies mutuelles, pour qu'elles aient un meilleur
accès au capital au moment où c'est nécessaire. Donc,
ça prend une réorganisation qui est assez large pour permettre
ça.
Quelles sont les considérations, maintenant, à retenir
lors de la réorganisation des mutuelles? Évidemment, c'est toute
la question des droits des mutualistes. Le premier des droits des mutualistes
dont on parle souvent, c'est le droit des mutualistes ou des assurés
participants à un dividende. Et là je parle du cas où la
compagnie d'assurances fonctionne, est opérationnelle et qu'elle ne
songe pas à se réorganiser. Est-ce qu'on devrait améliorer
les droits des assurés? Par exemple, est-ce qu'on devrait obliger, comme
un rapport l'a déjà préconisé au gouvernement
fédéral, les compagnies d'assurances à distribuer sous
forme de dividendes, à garantir des échelles de dividendes
à leurs assurés participants, de façon à ne garder
comme surplus que ceux qui sont absolument essentiels à leur
développement? Est-ce que la compagnie devrait le faire dans le cours
normal de ses affaires? C'est une préoccupation qui revient
continuellement et qu'on va habituellement attacher à la notion que la
compagnie d'assurances devrait se limiter à essayer de fournir le
meilleur produit d'assurance possible à ses assurés? À ce
moment-là, tout ce qui est en excédent, on va dire que ça
devrait être retourné à l'assuré. Toute la
jurisprudence, tant au Canada qu'aux États-Unis, est venue nier ce genre
de chose là et est venue dire que non, l'assuré n'a pas droit au
surplus de la compagnie, n'a pas droit d'exiger un dividende en cours
d'opération. C'est, dans une compagnie mutuelle,
la même chose que dans une compagnie à capital-actions,
c'est le conseil d'administration qui doit décider si un dividende doit
être distribué. La législation vient dire que lorsqu'un
dividende va être distribué, il y en a un certain pourcentage, 90
% et plus, qui doit être donné aux assurés participants.
Ça, c'est dans le cas où on a une compagnie à
capital-actions qui a des assurés participants. Mais, à part
ça, on laisse au conseil d'administration le choix de déterminer
à quel moment un dividende devrait être déclaré.
Il y a certains États américains, l'État de New
York, plus spécifiquement, qui sont imposé par législation
une certaine forme de distribution des surplus, sous prétexte ou sous
motif d'équité inter-générations, et c'est un des
problèmes des mutuelles, c'est que les surplus qui sont accumulés
par une génération devraient être retournés aux
assurés de cette génération-ià. Et non pas
attendre, éventuellement, que la mutuelle soit liquidée et que
seuls les assurés au moment de la liquidation participent aux dividendes
de liquidation.
Encore là, il y a peu d'États américains et pas de
provinces canadiennes qui ont suivi ce genre de législation là,
parce que ça hypothèque assez lourdement le développement
de la compagnie mutuelle.
Maintenant, quels sont les éléments de protection des
mutualistes? Évidemment, les législations, du moins les
législations canadiennes et québécoises, ont surtout
privilégié la protection de l'assuré ou du consommateur,
à venir jusqu'à maintenant, plutôt que la protection du
mutualiste comme tel. Parce que la Loi sur les assurances, que ce soit du
Québec ou du fédéral, parie très peu de la
protection des actionnaires. Et actionnaires, je comprends par ça les
droits des mutualistes. C'a été laissé au droit
général des corporations ou des compagnies au Québec et
les mutualistes, finalement, n'ont pas été protégés
comme tels. Il n'y a pas de législation qui concerne les mutualistes, le
fonctionnement, les droits de vote. Il y a un certain nombre de dispositions
dans la législation, mais ce sont des dispositions minimales. Par
contre, en voulant protéger le consommateur, la législation est
allée très loin et a beaucoup, comme M. Garneau le disait ce
matin, accentué le rôle fiduciaire des administrateurs et,
jusqu'à un certain point, la législation a changé
l'équilibre entre la compagnie d'assurances et ses administrateurs et
ses assurés pour ne laisser qu'un rôle très marginal,
finalement, aux actionnaires des compagnies. Et là, je parle plus
spécialement des petits actionnaires, parce que si on parle
d'actionnaires dans des groupes financiers, etc., là, le poids de
l'actionnaire va se faire sentir plus, mais si on parle de petits actionnaires,
les législations n'ont pas favorisé la protection des petits
actionnaires, y compris les mutualistes ordinaires.
Maintenant, dans le cas d'une réorganisation, quels sont les
droits des mutualistes aux surplus accumulés? Encore là, au
Québec et au Canada... Au Canada, les démutualisations, il y en a
eu très peu, sinon au Québec. Au Québec, il y en a eu
plusieurs, donc, la jurisprudence, si vous voulez, ou la coutume qui a
été établie l'a été beaucoup plus à
partir de réorganisations québécoises que canadiennes,
mais aux États-Unis, dans les droits des mutualistes, il s'est
développé... Il y a eu des législations dans, je crois,
c'est 33 États, de mémoire, c'est 33 États
américains qui ont développé des législations sur
la façon de faire. Mais, dans tous ces États-là, encore,
on laisse aux conseils d'administration le choix du mécanisme de
réorganisation et on leur laisse le choix de distribuer ou non les
surplus accumulés.
Évidemment, les législations vont poser des conditions. Il
va devoir y avoir des évaluations et si l'argent est retourné,
s'il y a des sommes d'argent qui sont retournées aux assurés, on
va surveiller que ce montant-là soit un montant raisonnable, qui tienne
compte des surplus, qui tienne compte de la santé financière de
l'entreprise et, surtout, qui va faire en sorte que les administrateurs et les
dirigeants de la compagnie ne prendront pas le contrôle de cette
compagnie-là à bon compte. Et ça, c'est la grande
préoccupation du législateur américain. Ç'a
été aussi, je pense, la grande préoccupation du
législateur québécois. Je pense que chacune des
réorganisations au Québec a été faite en tenant
compte de la situation particulière. Des évaluations ont
été demandées dans chacun des cas: évaluations
comptables, évaluations actuarielles. Je pense que, chaque fois, on a
pris une très grande précaution pour éviter qu'un groupe
d'invididus ne jouissent d'un privilège d'initiés parce qu'ils
sont au courant de la situation. Et je ne pense pas que ça se soit
produit. Même aux États-Unis, les législations se sont
développées de façon telle que peut-être qu'à
l'origine il y a eu des cas d'abus, au début du siècle, mais,
aujourd'hui, il y a presque autant de démutualisations que de formations
de nouvelles compagnies aux États-Unis et on n'entend jamais ou à
peu près jamais de critique sur la valeur qui est accordée aux
actions, etc.
Il y a beaucoup de problèmes lorsqu'on distribue de l'argent pour
créer un marché pour les actions de la mutuelle, pour s'assurer
que ces actions-là ont une juste valeur marchande qui s'établit,
mais le problème est un problème de marché et non pas un
problème d'initiés, si vous voulez, ou de personnes qui essaient
de s'enrichir au détriment des mutualistes. Habituellement, il y a un
pattern qui s'est établi autant aux États-Unis qu'au Canada, les
mutualistes qui ont droit à un remboursement ou qui ont des droits
advenant la démutualisation sont les assurés actuels et ceux qui
l'ont été au cours des cinq années précédant
la date de démutualisation et tout ça se fait pour une raison
évidente, c'est que ça devient très difficile de retracer
ceux qui
ne sont plus là depuis longtemps. il y a plusieurs façons
de distribuer aux mutualistes. il y a d'abord la façon de distribuer des
actions de la compagnie démutualisée; il y a aussi celle de
vendre des actions dans le marché et de prendre le produit de la vente
pour le donner sous forme de dividendes ou de bonis aux mutualistes et il y a
aussi celle de garantir des échelles de dividendes pour un certain
nombre d'années à venir. ici au québec, dans tous les cas
de mutualisation, on a choisi cette route-là. il n'y a pas eu de
distribution d'argent aux. mutualistes, pour leur permettre de s'acheter des
téléphones cellulaires, mais il y a eu des garanties des
échelles de dividendes qui ont été garanties sur une
certaine période de temps. donc, il y a toujours eu, jusqu'à
maintenant, un certain retour. lorsque la compagnie était
démutualisée comme telle - on va prendre l'assuran-ce-vie
desjardins qui est devenue compagnie à capital-actions, qui appartient
au mouvement desjardins - dans ces cas-là, il y a eu un certain retour.
dans des cas où il y a eu des réorganisations avec compagnie de
gestion mutuelle, là on se retrouve dans un cas différent,
où, finalement, on est encore avec une mutuelle et il n'y a pas eu
véritablement démutualisation. je pense qu'on doit, à ce
moment-ci, faire un petit retour historique. d'abord, on s'est beaucoup
posé la question, c'est une question qui s'est posée depuis le
début: est-ce qu'une compagnie d'assurances a besoin d'un
capital-actions? dès l'origine, dès les années 1800,
dès les origines de l'assurance, on se posait la question. et on s'est
très souvent dit: on a besoin d'argent, on a besoin d'un
capital-actions, d'un capital de départ, d'un fonds de garantie pour
démarrer des opérations, mais par la suite on n'en a plus besoin.
et ça a été vrai, par la suite, il y a beaucoup de
compagnies qui sont nées mutuelles ou qui se sont
démutualisées. il y a eu des tendances et, finalement, on
s'aperçoit que c'est quand une compagnie veut se développer ou
doit développer ses opérations qu'elle a besoin d'une
capitalisation, et on s'aperçoit qu'aujourd'hui, aux états-unis
comme au canada, on a un retour vers une réorganisation, vers un besoin
de financement, mais parce qu'il y a un besoin de développement des
opérations, pour permettre aux compagnies d'assurances de conserver leur
position concurrentielle sur le marché où elles sont, qui est une
position très concurrentielle à l'heure actuelle. donc, pour
conserver leur position, elles ont besoin de fonds de développement, et
c'est la même problématique qui revient encore.
À l'origine, aux États-Unis à tout le moins, la
mutuelle était, ce qu'on appelait la mutuelle pure, dans le fond
c'était un club d'investissements, c'est-à-dire que
c'était foncièrement capitaliste. La mutuelle était
organisée, c'était un groupe d'investisseurs qui devaient
souscrire une police d'au moins 1000 $. Si on se reporte au milieu du
siècle dernier, 1000 $, c'était quand même assez
impressionnant. Et les 1000 $, l'assuré devait payer la prime
entière au moment où il s'assurait. Donc, il devait la
déposer, il devait avoir suffisamment d'argent pour le faire. Donc,
c'était une forme d'investissement, et par la suite la compagnie
d'assurances faisait des placements. Et, selon la rentabilité des
placements, retournait des dividendes aux mutualistes, et ce
dividende-là constituait une rémunération du capital qui,
finalement, avait été investi, de la prime qui avait
été payée d'avance. À un point tel qu'aux
États-Unis, ce qui a permis de développer l'Ouest
américain, ce sont les compagnies mutuelles qui, avec les compagnies de
chemin de fer, ont finalement développé l'Ouest américain,
littéralement.
Donc, c'étaient vraiment, à l'origine, des clubs
d'investissements, beaucoup plus que des compagnies fraternelles ou des
compagnies de secours mutuel. C'étaient vraiment des clubs
d'investissements. Par ailleurs, il y a eu aux États-Unis des
sociétés de secours mutuel, avec le développement du
fraternalisme, de l'entraide, d'aider les gens autour d'eux II y a eu,
spé-cialement au Québec aussi, un fort mouvement fraternaliste.
À la fin du siècle dernier, les Unions Saint-Joseph, comme on les
appelait - ou les cercles d'entraide de la Société
Saint-Jean-Baptiste un petit peu plus tard - se sont installées à
peu près partout, ont couvert le territoire, il y en avait
énormément et elles étaient vraiment là, selon les
principes mutualistes, pour aider les autres. Mais, aux États-Unis, ces
institutions-là ne se sont à peu près jamais
transformées en compagnies mutuelles, contrairement à ce qui
s'est passé au Québec. Au Québec, il y a un certain nombre
de compagnies mutuelles qui sont nées du fraternal isme, mais, encore
là, les grandes compagnies québécoises ne viennent pas de
cette origine-là. La Laurentienne et L'Industrielle étaient des
compagnies à capital-actions à l'origine et non pas des
compagnies fraternelles ou des sociétés de secours mutuel. (17 h
15)
Maintenant, quelles sont les méthodes de réorganisation
des mutuelles? Il y en a un certain nombre, il y en a, en fait, sept ou huit
qu'on connaît à l'heure actuelle et qui ont presque toutes
été utilisées au Québec - pour ne pas dire toutes -
mais la première, c'est la démutualisation pure et simple,
c'est-à-dire où il y a des sommes d'argent, la compagnie
émet du capital-actions et rembourse les assurés des sommes
d'argent. Ça n'a pas été utilisé à l'heure
actuelle au Canada. Au Québec, ça ne s'est jamais fait, et
ailleurs au Canada non plus; il n'y a pas eu de démutualisation
pure.
La deuxième méthode qu'on a vue assez souvent au
Québec, c'est l'acquisition d'une compagnie à la suite de sa
démutualisation ou la démutualisation de la compagnie en vue
d'une fusion. Bon, on connaît le dernier cas, c'est
l'Assurance-Vie Desjardins, avec La Sauvegarde; l'Assurance-Vie
Desjardins a été démutualisée pour pouvoir
fusionner avec La Sauvegarde et est devenue une compagnie à
capital-actions qui appartient au Mouvement Desjardins. Il y a eu plusieurs cas
comme celui-là au Québec.
La troisième méthode de réorganisation, c'est la
cohabitation des mutualistes avec les actionnaires par l'émission
d'actions privilégiées. Ça, ça a été
proposé en 1984 dans la loi du Québec; ça a
été accepté; ça a été utilisé
une fois par La Laurentienne-Vie qui, à l'époque, a fait une
émission d'actions privilégiées; les règles
fiscales ont changé; ça a rendu le véhicule beaucoup moins
intéressant. On revient au problème du financement dont je
parlais un peu plus tôt; on crée un véhicule puis, au
moment où on s'en sert, l'opportunité est passée. La
législation fédérale qui est présentement à
l'étude devrait normalement permettre aussi aux compagnies mutuelles
d'émettre des actions privilégiées.
Le rapport Garneau, le comité Garneau a étudié
cette perspective-là, en essayant d'étendre les privilèges
- le phénomène d'actions privilégiées - parce que,
dans le droit corporatif moderne, on ne parle plus d'actions ordinaires et
d'actions privilégiées; on dit qu'il y a trois droits à
rattacher à des actions, qui sont le droit de vote, le droit de
participer aux surplus, et le troisième, de mémoire, je l'oublie.
Mais, il y a trois droits rattachés aux actions et il doit y avoir un
type d'actions, au moins, qui donne le droit de vote. Mais, pour le reste, il y
a à peu près toutes les réorganisations possibles. On ne
parle plus d'actions ordinaires, d'actions privilégiées. Donc, il
serait possible d'étendre le concept d'actions
privilégiées pour faire des actions beaucoup plus utiles pour le
financement des compagnies mutuelles. Encore là, évidemment,
ça pose des problèmes de cohabitation d'actionnaires ou
d'assurés.
Le quatrième phénomène...
Le Président (M. LeSage): M. Millette, il reste deux
minutes à votre présentation.
M. Millette: Parfait. La quatrième méthode de
réorganisation des mutuelles qui a été très
largement utilisée au Québec, c'est le holding en aval. Le
holding en aval est un mécanisme qui est intéressant parce qu'il
permet de faire vivre des mutualistes et des actionnaires; et, chacun
étant dans un véhicule séparé, chacun a ses droits.
Donc, il y a beaucoup d'intérêt au holding en aval. D'ailleurs,
ça a bien fonctionné. Mais les nouvelles règles sur la
solvabilité des institutions financières, double comptage de
capital et autres, risquent de rendre assez difficile l'utilisation du holding
en aval parce que, évidemment, les investissements de la compagnie
d'assurances, de la mutuelle, dans son holding en aval, ne seront pas tenus en
compte; il va y avoir une certaine élimination du capital, ce qui fait
que, même si vous levez du capital, on ne peut pas en tenir compte;
à ce moment-là, ces règles risquent de ne pas être
intéressantes. Donc, le holding en aval risque de perdre beaucoup
d'intérêt.
Il y a aussi les entreprises en participation conjointe, les "joint
ventures". Il y en a, pour en parier vite, deux qui ont eu lieu à
l'heure actuelle au Québec et qui ont permis à des compagnies
d'assurances de mettre sur pied une aventure quelconque sur le plan
économique. Les deux se sont faites dans le domaine de l'assurance
collective. La première, c'est L'Industrielle qui, avec la Standard Life
- c'étaient deux compagnies qui n'ont aucun lien entre elles, aucun lien
de parenté - se sont réunies pour faire un "joint venture" en
assurance collective pour permettre le développement de l'assurance
collective. Ce "joint venture" là, n'existe plus à l'heure
actuelle; l'autre a été un "joint venture" entre
L'Impériale et La Laurentienne pour faire le marché de
l'assurance collective; et ce "joint venture" là continue à
fonctionner.
Le Président (M. LeSage): En conclusion, M. Millette.
M. Millette: En conclusion, il y a encore d'autres
mécanismes de financement qui existent et on peut penser qu'il y en a un
nouveau qui pourrait être discuté, qui est la fiducie, parce que
la fiducie est un mécanisme qui permettrait de ne pas
complètement séparer la mutuelle de son surplus, si vous voulez,
ou de son fonds de développement. Alors voilà; ça
complète un peu la présentation du mémoire et ça me
fera plaisir, ainsi qu'à mon collègue Jean-Pierre Bemier, de
répondre à toutes les questions de la commission.
Le Président (M. LeSage): Merci, M. Millette. La parole
est à vous, Mme la ministre.
Mme Robic: Merci, M. le Président. M. le Président,
ça me fait de la peine que M. Moffet soit parti parce que les
dernières paroles de mon confrère m'ont un peu surprise. Quand je
dis que je favorise la protection des assurés et non pas la protection
des mutuelles et des mutualistes, je dois vous dire qu'il me semble que les
principes que j'ai retenus dans la réorganisation de La Laurentienne...
Dans mon projet de loi, quand je parle de conflit d'intérêts, de
transactions intéressées, de création d'un comité
de déontologie et puis de la composition du conseil d'administration,
là, ça, c'est la protection du mutualiste, il me semble.
M. Boisclair: Bien je vais laisser M. Millette répondre.
Je citais, à la page 8, la page...
Mme Robic: Non, c'était M. Moffet, ce n'est pas M.
Millette; je veux dire, ce n'est pas ça...
M. Boisclair: Madame, je citais le mémoire...
Mme Robic: Ah!
M. Boisclair: Je citais le mémoire...
Mme Roblc: Bien, c'est donc de valeur que je ne lui aie pas
répondu; il est disparu, là.
M. Boisclair: Je citais le mémoire, Mme la ministre, je
citais le mémoire à la page 12. À la page 12: "Comme on le
voit, les gouvernements, dont celui du Québec, ont choisi..." - comme M.
Millette l'a d'ailleurs expliqué dans sa présentation - "Comme on
le voit, les gouvernements, dont celui du Québec, ont choisi de
protéger le consommateur d'assurance plutôt que le mutualiste..."
Alors si vous aviez lu...
Mme Robic: Oui, alors, M. Millette, c'est votre question.
Une voix: Ha, ha, ha!
M. Boisclair: Si vous aviez lu le mémoire, Mme la
ministre, vous auriez compris.
Mme Robic: Alors...
M. Millette: Je pense, et ça c'est un
phénomène...
Mme Robic: ...je suis piquée.
M. Millette: ...qui a été, qui est universel en
Amérique du Nord - je parle du domaine des assurances - le
législateur a eu une volonté de protéger le consommateur
des produits d'assurance; et il a conduit sa protection, notamment en
augmentant le rôle fiduciaire des administrateurs, en exigeant des normes
de solvabilité, etc. Ce n'est pas une remarque désobligeante
à l'égard de la loi 112, loin de là, c'est tout simplement
pour dire que la législation s'est plus appliquée à
protéger le consommateur du produit que le participant, le mutualiste ou
l'actionnaire de la compagnie. Donc, le gouvernement a, pour toutes sortes de
bonnes raisons, là, protégé le consommateur plutôt
que l'actionnaire.
Mme Robic: Alors, comment un gouvernement protège-t-il
l'actionnaire?
M. Millette: Si on parle de l'actionnaire comme tel, il y a une
loi sur les valeurs mobilières, qui est épaisse comme ça,
et qui permet de protéger l'actionnaire; mais il n'y a rien dans la
législation qui permette de protéger le mutualiste comme tel.
C'est un animal qui est tombé entre deux chaises, je pense.
Mme Robic: Et ce qu'on peut retrouver dans ma loi ne comble pas
une partie de ce problème-là?
M. Millette: Oui, quand on parle... Notamment l'article qui
prévoit qu'il doit y avoir un certain nombre d'assurés qui
assistent à une assemblée annuelle, c'est un droit ou c'est une
règle qui vise plus spécialement la protection des mutualistes en
tant qu'actionnaires de leur compagnie. Mais si on regarde le nombre de
dispositions de ce type-là qu'il y a dans la Loi sur les assurances avec
le nombre de dispositions qui concernent la protection du mutualiste
consommateur, je pense qu'une ne fait pas le poids par rapport à
l'autre. Ce qui ne veut pas dire que...
Mme Robic: je n'insisterai pas plus. vous dites, dans le
début de votre document, dans votre présentation, qu'il ne s'agit
pas d'une prise de position de l'accap. cette présentation, c'est donc
produit pour information, c'est bien ça?
M. Millette: C'est exact, oui.
Mme Robic: Est-ce qu'on peut tout de même déduire de
votre exposé que la réorganisation des mutuelles est une avenue
qu'elles devront examiner si elles veulent améliorer leurs
possibilités de capitalisation?
M. Millette: Bien, quand on parle - je voudrais être bien
clair - de réorganisation des mutuelles et qu'on énumère 8
ou 10 possibilités de réorganisation, je pense que les 8 ou 10
possibilités de réorganisation devraient être
envisagées. Je ne pense pas qu'on doive obliger une compagnie
d'assurances mutuelle à se dému-tualiser et à retourner de
l'argent à ses assurés; ou je ne pense pas qu'on doive obliger
une mutuelle à devenir ou à créer une compagnie mutuelle
de gestion. Ça, je ne le pense pas. Mais on doit permettre à une
compagnie mutuelle d'avoir les outils nécessaires pour se
réorganiser si jamais elle décide de tirer profit des
opportunités qui lui sont offertes, et par le marché, et par la
législation.
Mme Robic: Donc, il ne fallait pas couler un modèle dans
une loi générale et dire: Voici, si vous voulez vous
démutualiser, c'est de cette façon que vous devez le faire et il
n'y a pas d'autres façons.
M. Millette: Oui, je pense que c'est ça.
Mme Robic: Enfin, laisser constamment l'initiative à
chacune d'elles, malgré la lourdeur de bills privés,
c'était mieux.
M. Millette: II y a toujours possibilité d'organiser une
législation générale qui va faire suffisamment d'ouverture
pour permettre des réorganisations de mutuelles sans recourir à
des bills privés. Ça, c'est un problème technique
particulier. Mais je ne pense pas que la législa-
tion devrait reconnaître une seule méthode de
réorganisation.
Mme Robic: Vous avez parlé d'un modèle, vous avez
parlé de la fiducie, la création d'une fiducie. Est-ce que vous
pourriez élaborer là-dessus? Je ne pense pas que ce soit un
modèle qui est en vogue ici présentement, là, et
j'aimerais vous entendre.
M. Millette: D'abord, à l'heure actuelle, au
Québec, la fiducie n'est pas... Jusqu'à l'adoption de la
révision du Code civil, la fiducie était une création de
la "common law", donc elle n'a pas cours ici, au Québec. Mais, la
fiducie... Finalement, les compagnies mutuelles sont d'origine fiduciaire et
les législations, comme je le disais tantôt, ont beaucoup accru le
rôle fiduciaire des dirigeants et administrateurs. Elles en ont quasiment
fait des administrateurs de compagnies de... pas de compagnies de
crédit, mais de fiducies. Et l'intérêt de la fiducie, c'est
que c'est un corps de droit organisé qui, en "common law", est aussi
bien organisé et aussi intéressant que le droit des compagnies,
par exemple. Donc, il y a des auteurs qui écrivent. La fiducie est
quelque chose de très courant en "common law", et l'intérêt
de la fiducie est de ne pas créer des entités qui soient
différentes. On crée des patrimoines, mais on ne crée pas
des choses qui sont indépendantes les unes des autres, contrairement au
fait que, lorsqu'on crée des compagnies, on crée des
entités qui sont séparées.
En "common law", ce n'est pas tout à fait le cas... pas en
"common law", dans la création de fiducies. Ça pourrait
constituer une avenue intéressante, la fiducie, pour la
réorganisation des compagnies mutuelles parce que, à ce
moment-là, c'est le constituant qui choisit la méthode de
réorganisation et il pourrait établir les droits qui sont
nécessaires à chacun des participants. Donc, il peut y avoir un
intérêt, mais c'est encore très hypothétique comme
approche, à l'heure actuelle. Il y a certains spécialistes
québécois, ici au gouvernement, qui ont étudié la
fiducie et qui trouvent que ce véhicule peut être très
intéressant et compléter le droit québécois dans ce
domaine-là.
Mme Robic: Vous vantez les mérites du holding en aval et
vous dites: Bon, c'est un bon véhicule de financement et de
développement pour la mutuelle. Mais vous dites que ça permet
également d'incorporer toute la dynamique du droit corporatif nouveau,
dont l'émission d'actions comme fonds de rémunération des
cadres. Alors, là, vous touchez un point sensible encore, parce que M.
Moffet nous disait qu'il y avait un danger, là, à se servir
justement de ce genre de véhicule pour rémunérer des
cadres ou pour faire en sorte que les mêmes administrateurs, que ces
administrateurs-là, puissent agir en conflit d'in- térêts.
Est-ce que vous avez ces mêmes inquiétudes-là, vous?
M. Millette: II y a toujours des possibilités de conflits
d'intérêts, partout, toujours. Mais je pense que le droit
corporatif a développé des mesures de protection pour s'assurer
que les administrateurs et les dirigeants n'abusent pas de ces
mécanismes-là. Mais, d'un autre côté, si la
législation ne permet pas de le faire à un type de compagnie
donné, c'est à son détriment parce qu'elle ne pourra pas
attirer les meilleurs administrateurs, les meilleurs dirigeants. Donc, elle
n'est pas aussi bien positionnée dans la concurrence avec les autres
secteurs qui l'entourent. Et donc, jusqu'à un certain point, le holding
en aval était intéressant pour ça. C'est qu'il permettait
à la compagnie mutuelle de continuer à exister, mais aussi
d'incorporer tout le courant de droit corporatif nouveau à son
fonctionnement. Et, on s'est aperçu que ce modèle-là a
été très populaire. Je pense que la très grande
majorité des compagnies québécoises ont des holdings en
aval maintenant. (17 h 30)
Mme Robic: C'est nécessaire pour attirer des bons cadres,
ce genre de "perk"? Est-ce que c'est courant dans des compagnies à
capital-actions?
M. Millette: Bien, les programmes de participation des
dirigeants, encore là, il y a beaucoup de modes, des choses qui viennent
et qui vont. Mais toujours, la législation... Finalement, le but du
mémoire, c'est de permettre à une compagnie mutuelle de se
positionner, d'avoir une législation qui est suffisamment souple pour
être capable de se positionner, d'avoir le véhicule
nécessaire pour se positionner au moment où c'est
intéressant de le faire. Et, c'est dans ce sens-là, finalement,
que tous ces mécanismes-là sont intéressants. C'est pour
permettre aux compagnies mutuelles de se développer au même rythme
qu'une banque ou qu'une compagnie d'assurances à capital-actions. C'est
pour jouir des mêmes mécanismes et être capable d'aller
chercher les mêmes moyens de financement, de développer des
produits, etc., au moment où le besoin s'en fait sentir.
Mme Robic: Qu'est-ce que vous pensez de l'idée de M.
Moffet qui disait que les administrateurs devraient être changés
à tous les deux ans?
Une voix: Deux termes!
Mme Robic: Deux termes. Oh! Oui! Grosse différence. Je
m'excuse. Deux termes, oui. Je m'excuse.
M. Millette: C'est difficile de répondre à une
question comme celle-là. Je pense que ça
n'est pas la pratique. Ça n'est même pas la pratique dans
le domaine politique, contrairement aux États-Unis. Ça n'est pas
la pratique dans le domaine des affaires de permettre à un
administrateur de rester plus qu'un terme ou deux termes. Il peut y avoir
toutes sortes de raisons qui font qu'un administrateur doit rester pour une
plus longue période. Et, je ne pense pas que ça
améliorerait tant que ça la qualité des conseils
d'administration des compagnies. Et même, ça pourrait risquer de
poser des problèmes de non-permanence et des choses comme ça, qui
peuvent être aussi néfastes pour le développement d'une
mutuelle.
Mme Robic: Je vais m'éloigner de ce genre de questions
auxquelles il est difficile de répondre.
M. Boisclair: ...c'est un bel exemple de permanence. Ça
fait quoi, 25 ans, M. Lévesque?
Mme Robic: Oui, c'est vrai.
M. Boisclair: 35?
Mme Robic: 35, à peu près, oui.
Le Président (M. LeSage): Mme la ministre...
Mme Robic: Vous traitez dans le rapport... à la page 29,
vous constatez que les compagnies mutuelles d'assurance n'ont jamais
effectué d'émissions publiques, ni de placements privés de
debentures subordonnées, et ce, même si elles véhiculent et
jouissent d'un traitement fiscal raisonnablement favorable. On nous dit qu'on
ne se sert pas de ce véhicule-là parce que les analystes ne
connaissent pas le produit. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?
Est-ce qu'on pourrait remédier à ça? Est-ce que
l'industrie a fait ce qu'il fallait pour remédier à ce
problème-là?
M. Millette: Là, vous faites appel à mon chapeau de
membre du comité Garneau. Je pense que oui. Je pense que c'est vrai. La
recherche qu'on avait faite à ce moment-là au comité
Garneau - et ce n'est pas vrai uniquement pour les compagnies mutuelles, c'est
vrai pour l'ensemble des compagnies d'assurances - nous amène à
conclure que les milieux financiers, que ce soient les caisses de retraite, que
ce soient les investisseurs, que ce soient les courtiers en valeurs,
connaissent très mal le fonctionnement des compagnies d'assurances. Et,
lorsque vous voulez utiliser, faire des émissions de capital, que ce
soit sous forme de debentures ou sous forme d'obligations, ou même sous
forme d'actions privilégiées, c'est difficile parce que les gens
connaissent mal le fonctionnement, connaissent mal à quoi ils doivent
s'attendre et vont se fier habituellement aux critères prudentiels qui
peuvent être rattachés à ça. Donc, s'il y a des
normes qui permettent d'acheter un titre lorsqu'il a eu un certain rendement
pendant un certain temps et que le titre a ce rendement-là, on va
l'acheter. C'est un peu ce qui avait amené le comité Garneau
à faire la proposition d'une garantie gouvernementale. S'il y a une
garantie gouvernementale, on peut avoir moins de réticence de la part
d'un investisseur à acheter le titre parce qu'on se dit: S'il y a eu une
garantie gouvernementale, c'est qu'il y a une étude qui a
été faite et qu'il y a une certaine garantie que ce
mécanisme-là peut fonctionner. Donc, à la longue,
ça peut réussir à créer un marché, ça
peut amener les investisseurs à s'intéresser au titre, et
ça peut aussi amener à développer des analystes qui vont
être capables d'expliquer les institutions financières.
Je ne voudrais pas particulariser l'exemple, mais je me souviens d'avoir
vu l'émission d'actions privilégiées de La Laurentienne et
je sais à quel point il m'a été difficile de convaincre
à peu près tout le monde que c'était un véhicule
qui était aussi bon qu'un véhicule d'actions
privilégiées émises par n'importe quelle compagnie
incorporée au Canada. Donc, il y a vraiment une difficulté
à percer les marchés financiers qui ne connaissent pas ce genre
d'institutions.
Mme Robic: Ça va.
Le Président (M. LeSage): Merci. M. le
député de Gouin.
M. Boisclair: Oui. Quelques questions. Juste pour revenir sur une
question de la ministre tout à l'heure: Ce n'est pas une prise de
position, c'est un document de recherche préparé par l'ACCAP.
Est-ce que c'est préparé par sa section québécoise?
Parce que, là, c'est juste pour bien comprendre au niveau du
fonctionnement chez vous.
M. Millette: Oui. L'ACCAP est une association canadienne et elle
a une section québécoise. Évidemment, la section
québécoise a été plus confrontée au cours
des dernières années au problème du financement des
compagnies mutuelles. Comme je l'ai dit tantôt, la réorganisation
mutuelle a été un phénomène essentiellement
québécois au cours des six ou sept dernières
années. C'est maintenant une préoccupation beaucoup plus large.
Il y a des mutuelles canadiennes qui s'en préoccupent. Comme je le
citais dans mon mémoire, North American Life a soumis au comité
de la Chambre des Communes du Canada, qui étudie le
décloisonnement des institutions financières, un mémoire
demandant au gouvernement fédéral d'adopter un mécanisme
qui est semblabe à celui de la mutuelle de gestion, qui est semblable au
modèle de La Laurentienne. Vous avez aussi la
confédération qui a demandé au gouvernement
fédéral de lui
permettre d'avoir des "joint ventures" et de libérer un peu les
règles sur les transactions intéressées pour permettre
à ces "joint ventures" là de fonctionner. Donc, on
s'aperçoit qu'il y a un intérêt grandissant de
l'Association à ce niveau-là. Et je pourrais demander à
Jean-Pierre Bernier de vous faire part un peu de ces
préoccupations-là.
M. Boisclair: Oui. Mais juste pour être bien sûr que
je vous ai bien compris, vous me dites que votre association nationale a
déposé un mémoire au ministre responsable des institutions
financières pour permettre ce genre de société de gestion
semblable à celui de La Laurentienne?
M. Millette: Non, c'est la North American Life qui a
déposé un mémoire comme ça auprès du
comité de votre équivalent au gouvernement fédéral,
le comité Blenkarn.
M. Boisclair: Parfait. Merci.
Le Président (M. LeSage): M. Bernier, est-ce que vous
pourriez vous identifier?
M. Bernier (Jean-Pierre): Oui. Jean-Pierre Bernier,
vice-président et chef du contentieux de l'ACCAP. Le mémoire que
vous avez est beaucoup plus québécois que canadien et ceci est
dû au fait que les lois québécoises concernant les
compagnies d'assurances sont beaucoup plus avancées que les lois qui
régissent les autres provinces, et même la loi
fédérale. Vous avez donné aux mutuelles
québécoises, ici, des moyens d'accéder à des
capitaux nouveaux tels que rémission d'actions
privilégiées pour les mutuelles ou l'émission de
debentures, qui n'existent pas dans les autres lois canadiennes.
Il est vrai que nous travaillons actuellement avec le gouvernement
fédéral pour donner aux mutuelles à charte
fédérale le même genre d'accès au capital que les
lois québécoises ont donné aux compagnies mutuelles
à charte québécoise. Nous avons, depuis six ou huit mois,
des relations ou consultations très régulières avec les
autorités fédérales, justement sur l'émission
d'actions privilégiées par les mutuelles fédérales.
Nous discutons, non pas de la démutualisation, mais surtout de la
réorganisation des mutuelles, un peu comme La Laurentienne a fait avec
son holding en amont. Nous discutons également de rémission de
debentures et d'obligations, des termes et conditions qui seront
rattachés à ces debentures. Nous discutons également avec
le gouvernement fédéral toute la question de l'investissement et
de l'accès au capital par l'intermédiaire de holdings en aval. Le
problème des holdings en- aval, c'est que vous êtes pris dans des
règles concernant les transactions entre parties
intéressées et, au fur et à mesure que le système
financier s'en va vers la conglomeration, le regroupement des compagnies, vous
êtes pris dans un conglomérat où vous avez des compagnies
fédérales qui sont associées avec des compagnies
provinciales, et il y a toute la question de l'harmonisation des lois. C'est un
sujet qui est énorme.
M. Boisclair: Je ne voulais pas insister outre mesure;
c'était juste pour avoir une petite précision sur le contenu de
votre mémoire parce qu'il doit y avoir de vives discussions parfois,
chez vous; j'en suis convaincu.
M. Millette: Non, mais tout ça, c'est qu'il y a souvent
une tendance, je pense, à dire que la réorganisation des
compagnies mutuelles, c'est une patente de compagnies
québécoises. Je ne pense pas que ce soit le cas. On a
essayé de démontrer, avec le mémoire, que c'est une grande
préoccupation aux États-Unis; on a donné des exemples. Je
pense qu'à peu près chacun des modèles de
réorganisation qui a été utilisé au Québec
est documenté aux États-Unis; il y a eu des
précédents aux États-Unis. Et maintenant, c'est une grande
préoccupation canadienne. Je pense que c'est important de le savoir. Ce
n'est pas quelque chose que les compagnies québécoises...
M. Boisclair: La revue de presse est abondante aussi, en la
matière. Il y a eu des cas très célèbres aux
États-Unis qui, je pense, pourraient nous éclairer ici. Moi,
j'aimerais revenir sur votre proposition parce que vous êtes les seuls
à nous avoir parlé de la fiducie. Vous nous avez dit que,
à votre connaissance, il y a des études qui se font à
l'heure actuelle au gouvernement du Québec sur cette question-là.
Est-ce que je vous ai bien saisi?
M. Millette: Sur l'implantation de la fiducie comme instrument
québécois.
M. Boisclair: Oui, mais à l'intérieur du Code
civil.
M. Millette: À l'intérieur du Code civil.
M. Boisclair: c'est ça qui, je présume en tout cas,
suit le cours normal de son adoption, et a été
déposé en chambre, je crois, la session dernière?
M. Millette: C'est ça. Et l'intérêt de la
fiducie, notamment de la fiducie d'investissement, c'est que ça peut
fonctionner de façon semblable à une compagnie; ça peut
être inscrit en Bourse; les unités peuvent être inscrites en
Bourse, etc. Et il y a une souplesse qui permet d'utiliser deux patrimoines
côte à côte.
M. Boisclair: Comment cohabitent les détenteurs
d'unités, les actionnaires, si on peut les appeler ainsi?
M. Millette: Bien, c'est qu'il n'y a pas...
M. Boisclair: C'est ça, il n'y a pas de titres, ce sont
tous...
M. Millette: ...ce sont tous des actionnaires, ce sont tous des
détenteurs de titres d'investissement et dont la qualité peut
être différenciée. Il peut y avoir différents types
de titres. L'intérêt, comparativement au droit corporatif, c'est
que le constituant, c'est-à-dire la compagnie mutuelle, peut mettre dans
le contrat les clauses nécessaires pour assurer la
pérennité du contrôle des mutualistes. Elle peut permettre,
par ce biais-là aussi - pourrait éventuellement permettre, parce
que ça pourrait fonctionner un peu comme un fonds distinct qu'on
connaît déjà dans les compagnies d'assurances - ça
pourrait permettre de reporter la plus-value des fonds ou de la valeur de la
compagnie auprès des assurés. Donc, vous auriez un contrat
participant qui pourrait prendre de la valeur selon la valeur de la compagnie.
Il y a beaucoup d'intérêt à étudier un
mécanisme comme ça.
M. Boisclair: Je trouve que votre contribution est
particulièrement intéressante à cet égard. Lorsque
vous dites, je vais juste reprendre votre mémoire, en page 32: "Le
constituant, c'est-à-dire la compagnie mutuelle qui se
réorganise, établit les règles de base - lorsque vous
parliez des contrats - qui perpétueront la primauté des
mutualistes et, par la suite, l'équilibre se fera entre les diverses
catégories de détenteurs d'unités", lorsque vous parlez
d'équilibre, vous faites référence à quoi,
exactement?
M. Millette: Par exemple, dans une fiducie, on ne parle pas
d'administrateurs, mais on parle...
M. Boisclair: De fiduciaires.
M. Millette: ...de fiduciaires. Et, à ce moment-là,
le nombre de fiduciaires, l'élection ou le choix des fiduciaires va se
faire de façon à respecter l'équilibre. Il va y avoir des
fiduciaires qui vont représenter des investisseurs de telle
catégorie, des fiduciaires de telle autre catégorie, et ça
devient plus facile de le faire dans le droit corporatif.
M. Boisclair: donc, c'est une avenue qui est quand même,
sans doute à votre avis, des plus prometteuses. sans doute que,
déjà, lorsqu'on parle des fiducies...
M. Millette: C'est une avenue prometteuse. Je suis porté
à dire plus prometteuse, mais c'est une avenue prometteuse.
M. Boisclair: Donc des plus prometteuses, c'est dans ce
sens-là.
M. Millette: Ah! O.K. D'accord.
M. Boisclair: Peut-être pas... Je ne peux pas la mettre en
comparaison avec d'autres et commencer à mettre différents
niveaux aux différentes solutions proposées, mais c'en est une,
à tout le moins, qui pourrait être intéressante. Est-ce que
cette discussion s'est faite, au comité Garneau, sur la fiducie?
M. Millette: Non, la fiducie...
M. Boisclair: Parce que la fiducie n'est pas du tout reprise dans
le rapport. (17 h 45)
M. Millette: La fiducie, c'est la première fois qu'on en
fait état publiquement, je pense, dans un mémoire. C'est un
concept qui avait été étudié, plus ou moins, il y a
un certain temps. Je pense que c'est un modèle qui est en suspens, en
parallèle, depuis plusieurs années, depuis 1984, en fait. Mais la
fiducie était un phénomène qui n'était pas
québécois. La législation québécoise ne la
permettait pas et ça a fait en sorte que ce modèle-là est
toujours resté un peu de côté par rapport à d'autres
modèles qui ont été utilisés parce qu'ils
étaient des modèles corporatifs.
M. Boisclair: Compte tenu des modifications au Code civil, il y a
cette convention à laquelle vous faites référence dans
votre mémoire, la convention internationale signée en 1985...
M. Millette: C'est ça.
M. Boisclair: ...dont je ne connais pas le contenu, mais vous me
dites qu'il y a moyen d'importer ce système-là ici.
M. Millette: Oui, oui, c'est une question, je ne dirai pas de
mois, mais c'est une question d'une couple d'années avant que le Code
civil soit adopté et que ce genre de véhicule devienne quelque
chose qui peut être utilisé couramment.
M. Boisclair: Je vais peut-être sortir de cet
élément qui m'a particulièrement intéressé
dans votre mémoire, et revenir un peu dans le corps de votre
mémoire, au milieu, lorsque vous parlez de cette démutualisation.
Vous expliquez, bien sûr, qu'il n'y a pas eu de démutualisation
pure, au sens où il y a toujours eu un certain nombre de modèles,
ou il y a quand même une certaine mixité qui s'exprime. Vous qui
avez quand même une excellente connaissance du marché et de cette
industrie-là, est-ce que - je ne sais pas si vous vous laisserez aller
sur la réponse - il est trop facile pour une compagnie d'assurances, une
mutuelle, de faire une restructuration, eu égard aux
intérêts des mutualistes?
M. Millette: Quand vous dites "trop facile"...?
M. Boisclair: Trop facile en ce sens que, ne gagnerait-on pas
à protéger - M. Moffet nous parlait du patrimoine, tout à
l'heure; d'autres personnes sont venues nous dire, cet avant-midi, que ce
serait une contrainte qui serait vue comme une mesure protectionniste; vous
nous avez bien expliqué aussi la jurisprudence qui existe, à
savoir qui détient ce surplus, puis de quelle façon on peut en
disposer - mais ne gagnerait-on pas, à certains égards, à
baliser les règles du jeu? À l'heure actuelle, la Loi sur les
assurances ne le prévoit pas; on en faisait mention dans le rapport
quinquennal. Il n'y a cependant pas eu de dispositions, comme vous le savez,
qui ont été reprises à cet effet-là. Est-ce que,
à votre avis, il serait intéressant et pertinent de
réfléchir à cette voie-là et peut-être de
s'entendre sur un certain nombre d'éléments, peu importe la
formule choisie? Vous avez bien fait comprendre qu'il existe différentes
possibilités de restructuration, mais ne devrait-il pas y avoir un
certain nombre de grandes lignes directrices qui devraient être
définies dans une législation?
M. Millette: II y a, effectivement, des grandes lignes
directrices...
M. Boisclair: Oui, vous en soulignez quelques-unes.
M. Millette: ...et en annexe de mon mémoire, le
mémoire de 1985, on vous en donne toute une série. L'étude
de 1985 a été faite par mon association. Il y a effectivement des
règles à suivre, mais je pense que jusqu'à maintenant, le
gouvernement québécois a suivi scrupuleusement toutes ces
règles-là. Comme je le disais tantôt, il y a eu des
évaluations à chaque fois, il y a eu des avis qui ont
été envoyés à l'ensemble des assurés, chacun
a eu l'occasion de se prononcer sur le bien-fondé, tout ça a
été entériné par une législation et l'expert
du gouvernement, l'Inspecteur général des institutions
financières, s'est prononcé sur chacune des transactions. Il y a
un modèle qui se répète de transaction en transaction, qui
s'est développé au Québec. Je ne pense pas qu'on soit
encore des néophytes, au Québec, à ce niveau-là.
Ça fait peut-être, je ne sais pas, je ne les ai pas
comptées, mais sept ou huit réorganisations qui se font.
M. Boisclair: Ça s'est toujours, cependant, fait à
la pièce?
M. Millette: Ça s'est fait à la pièce,
effectivement, et j'irais presque dire Dieu merci. Ça s'est fait
à la pièce jusqu'à maintenant, parce qu'il n'y a pas un
cas qui est semblable, exactement pareil à l'autre. Donc, je pense qu'il
devrait y avoir des règles qui pourraient encadrer de façon
générale cette réorganisation, la rendre plus souple
aussi, parce qu'un des problè- mes qu'il y a lorsqu'on crée un
modèle nouveau - je vais prendre juste pour un instant le modèle
de la laurentienne - on le met dans une loi privée, mais il n'a pas de
concordance dans les lois générales; et ça devient
très difficile de raccorder cette loi particulière là avec
le système de droit existant autour. et là, il y a un
intérêt certain, à ce moment-là, à
reconnaître ce modèle-là dans une loi
générale pour lui permettre de participer au corps de droit
constitué au québec, et non pas le garder de façon
restreinte dans un mécanisme qui est en soi très restreint, le
mécanisme d'une législation privée.
M. Boisclair: Peut-être une dernière question pour
reprendre la question que j'ai posée à à peu près
tous les groupes qui sont venus témoigner aujourd'hui devant cette
commission. Est-ce que, à votre avis, fa problématique entourant
le financement des compagnies mutuelles d'assurance est due à la nature
même de l'industrie et des activités de ces entreprises-là
ou si elle due à sa structure, la structure juridique?
M. Millette: Bien, si on parle de problèmes de financement
dans le sens de rejoindre des outils, c'est dû à sa structure. Si
on parle de la nécessité de trouver du financement, bien, c'est
dû à la conjoncture. Je pense qu'on ne peut pas parler de l'un et
de l'autre...
M. Boisclair: Non, mais je peux faire... C'est très habile
de votre part, M. Millette; je reconnais là votre grand talent parce que
vous êtes aussi membre du comité Garneau... et pour bien d'autres
considérations aussi. Mais, dans le fond, le problème, quel
est-ii? Je vais essayer de poser ma question de façon différente.
Le problème, est-ce que c'est un problème du fait que les marges
bénéficiaires - et sur ça, tout le monde s'entend - ont
été relativement basses ces dernières années? Que
les mutuelles du Québec sont cantonnées dans certains segments
d'activités relativement... peut-être moins rentables
comparativement à d'autres? Est-ce que c'est une question de taille?
Est-ce que c'est une question de concurrence? Est-ce que ce sont ces
facteurs-là qui sont les plus importants, qui font que la
problématique est d'actualité, ou si c'est plutôt la
structure même de l'entreprise, à savoir une mutuelle, puisqu'il y
a un choix qui a été fait de limiter les acquisitions en aval
à des, par exemple, activités connexes, choix qu'on a fait avec
la loi 112 au mois de décembre? Par conséquent, on peut juste se
retrouver en amont... le discours qu'on connaît bien. Dans le fond, je
n'oserais pas m'exprimer ainsi parce qu'on pourrait me citer là-dessus,
mais je vais le tenter: Est-ce que ce n'est pas un faux problème? Je
vous la pose de façon très crue, la question, là.
M. Millette: Est-ce que le financement des mutuelles est un faux
problème?
M. Boisclair: Non, ce n'est pas ça, mais jusqu'où
devrait-on s'interroger sur les moyens apportés? Est-ce que, dans le
fond, ce ne sont pas des problèmes plus structurants que les
problèmes de conjoncture, finalement?
M. Millette: Je voudrais faire une histoire courte, là,
mais l'industrie de l'assurance-vie au Québec est une industrie qui est
jeune, je pense. Les entreprises sont de naissance relativement récente.
Elles n'ont pas, comme le mémoire de La Laurentienne le disait ce matin,
une longue tradition où elles ont pu accumuler des surplus. Elles ont
occupé les créneaux de marché qui étaient
disponibles lorsqu'elles se sont développées et, malgré
tout, elles ont atteint un développement - on a parlé de 25 % du
marché au cours des 10 dernières années, ou des 7 ou 8
dernières années - malgré le fait que la concurrence est
devenue extrêmement vive, malgré le fait qu'il y a des nouveaux
joueurs qui sont venus s'installer, malgré le fait qu'il y a eu une
véritable révolution technologique, les compagnies
québécoises continuent de conserver au moins la même part
de marché. Et je pense que, finalement, avec l'aide du
législateur, les compagnies québécoises ont réussi
à prendre le tournant. Je ne sais pas s'il y a des considérations
philosophiques derrière ça, mais je pense qu'il y a eu du travail
quotidien qui a été fait et qui a permis à ces
institutions-là de trouver les moyens, avec l'aide du gouvernement,
d'occuper des nouveaux créneaux de marché, de se diversifier et
de tenter de s'implanter à l'étranger. Et tout ça a fait
qu'on a même réussi à trouver des moyens de financement.
Donc, finalement, c'est une expérience collective dans l'ensemble de
l'industrie et, effectivement, il y a encore des problèmes structurels,
il y a encore des problèmes... Mais, je pense que les compagnies
québécoises réussissent présentement à
prendre le tournant.
M. Boisclair: Peut-être une dernière chose. L'ACCAP,
comme telle, a endossé le rapport Garneau puisque vous êtes un des
signataires?
M. Millette: Je siégeais au comité Garneau à
titre personnel et non pas comme représentant de l'ACCAP. Chacun des
membres du comité Garneau siégeait à titre personnel.
M. Boisclair: Ah! Ils y étaient à titre individuel.
Bon. Bien, je vous remercie pour ces précisions.
Le Président (M. Lemieux): Mme la ministre.
Mme Robic: Alors, M. le Président, à mon tour de
remercier M. Millette, de l'ACCAP, de sa présence et du travail qui a
été fait. On l'apprécie grandement. On apprécie
également les textes de référence que vous avez inclus
parce qu'ils vont nous servir. Alors, merci.
Le Président (M. Lemieux): alors, la commission vous
remercie de votre participation et nous ajournons nos travaux sine die, la
commission ayant...
M. Boisclair: ...un mot de clôture?
Le Président (M. Lemieux): Oui, oui. O.K. Allez-y, M. le
député de...
M. Boisclair: Bien, je laisserai la ministre s'exprimer.
Le Président (M. Lemieux): Oui, oui. Ça va. Un
petit mot de la fin, Mme la ministre.
Mme Robic: Ah! bon, c'est bien. C'est terminé, M. le
Président. Regardez, M. le Président, je suis toute
prête.
M. Boisclair: II faudrait savoir où on s'en va.
Mme Robic: Voici.
M. Boisclair: II n'a toujours pas été
préparé ce matin.
Mme Robic: M. le Président...
Le Président (M. Lemieux): Vous allez remercier
l'organisme en même temps, Mme la ministre?
Mme Robic: J'ai remercié l'organisme, M. le
Président.
Le Président (M. Lemieux): Oui? Alors, ça va.
M. Boisclair: J'espère qu'il n'a pas été
préparé ce matin.
Mme Robic: II y a trois semaines. Bon. Vous êtes heureux,
là?
Le Président (M. Lemieux): Alors, M. Millette, je vous
remercie de votre participation à cette commission parlementaire sur la
consultation sur le financement des compagnies mutuelles d'assurance au
Québec. Alors, Mme la ministre, nous vous écoutons,
maintenant.
Remarques finales Mme Louise Robic Mme Robic: Merci, M. le
Président. Je tiens
d'abord à souligner, M. le Président, après avoir
discuté toute la journée de ressources financières pour
les compagnies mutuelles, qu'il est fort encourageant de constater qu'au
Québec, nous avons aussi des ressources intellectuelles remarquables. La
qualité des mémoires qui nous ont été
présentés aujourd'hui en est une démonstration très
éloquente. Tous ceux et celles qui ont consacré des
énergies considérables à la confection de ces
mémoires, je les en remercie.
M. le Président, à la lumière des
représentations qui nous ont été faites au cours de la
journée, je pense que nous avons été en mesure de
constater que l'originalité et le dynamisme sont toujours
présents au Québec. Je suis confiante que nous pourrons y puiser
des éléments d'une solution efficace, non pas à des
problèmes, mais plutôt à des situations visant à
donner à notre secteur de l'assurance la possibilité de prendre
un second souffle dans la poursuite de son développement.
Je suis consciente, M. le Président, du rôle de catalyseur
que le gouvernement se doit d'assumer dans l'opération d'analyse, de
recherche et d'ingénierie financière que nécessitera toute
cette opération de rehaussement de la faculté de capitalisation
des compagnies mutuelles d'assurance. C'est pourquoi je réitère
les invitations que j'ai eu maintes fois l'occasion d'adresser à
l'industrie, à l'effet de poursuivre ses efforts afin de nous
présenter des hypothèses de travail dont nous pourrons nous
inspirer pour lui procurer des outils bien adaptés à sa
stratégie de croissance.
Quant à nous, nous poursuivons et nous mènerons à
terme la réflexion entreprise au sujet du financement des compagnies
mutuelles d'assurance et nous demeurons tout à fait disponibles à
l'endroit de ceux et de celles qui voudront bien nous faire profiter de leurs
vues.
Je m'en voudrais de ne pas souligner, encore une fois, l'excellent
travail du groupe que M. Raymond Garneau a accepté de présider.
À M. Gameau et à chacun des autres membres de ce groupe, je dis
merci et je vous donne l'assurance que le gouvernement saura mettre à
profit les idées intéressantes que vous avez formulées.
Nous retenons votre intention de demeurer des compagnies mutuelles d'assurance
de personnes.
M. le Président, on nous a entretenus de toute une
variété de concepts, aujourd'hui, et on est venu nous dire que le
gouvernement devait faire quelque chose. À cela, je réponds qu'il
n'a jamais été question pour nous de nous défiler devant
nos responsabilités. Nous sommes tout à fait disposés
à faire preuve de rigueur et à démontrer un esprit
innovateur dans notre contribution à l'amélioration des choses;
j'espère que personne, ici, n'en doute. Nous sommes disposés
à déployer tous les efforts requis pour apporter à la
législation les ajustements appropriés dans le but de procurer
aux compagnies mutuelles d'assurance de personnes les accès les plus
étendus possible au capital.
Par ailleurs, il m'apparaît que l'industrie
québécoise de l'assurance devra démontrer de pareilles
dispositions en choisissant de mettre l'épaule à la roue. De leur
côté, les compagnies mutuelles devront songer à se
prévaloir de ces accès pour lever de véritables capitaux
qui soient permanents, qui soient flexibles sur le plan de la
rémunération, et à l'égard desquels on puisse
concevoir un marché au profit de l'investisseur. Car, M. le
Président, il ne fait aucun doute que de tels capitaux peuvent servir de
base durable au développement futur de notre secteur de l'assurance au
Québec. Mais, pour (es compagnies mutuelles, considérant la
structure corporative qu'elles ont choisie, il existe une contrainte
additionnelle. Il faut en effet que les titres de capital qu'elles
émettront confèrent des droits qui soient compatibles avec le
mutualisme et son fonctionnement. Les droits conférés à
ceux qui injecteront du capital dans la compagnie mutuelle devraient respecter
les privilèges fondamentaux des mutualistes qui sont
propriétaires de l'avoir de la mutuelle et qui en élisent une
majorité d'administrateurs.
J'ai le sentiment, M. le Président, que notre industrie de
l'assurance ne s'attaquera pas là à une mince tâche. Mais,
une chose est certaine, c'est que le gouvernement a l'intention de relever avec
elle ce défi, de telle sorte que nous puissions apporter à nos
compagnies mutuelles, à l'intérieur des paramètres que
j'ai indiqués plus tôt, des modes d'accès efficaces au
capital dont elles auront besoin pour poursuivre la croissance que nous voulons
tous leur voir connaître. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Lemieux): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Gouin, brièvement.
M. André Boisclair
M. Boisclair: Oui, mais, M. le Président, vous me donnerez
au moins autant de temps que vous en avez donné à...
Le Président (M. Lemieux): Non, M. le député
de Gouin, la moitié du temps de Mme la ministre.
M. Boisclair: La moitié du temps. Je reconnais là
votre générosité, mais tout simplement pour vous dire...
Et vous êtes sans doute un vrai libéral, M. le
Président...
Le Président (M. Lemieux):...
M. Boisclair: ...mais vous dire que je me permettrai de faire un
certain nombre de commentaires, sur l'inspiration du moment, et qui sont un peu
le fruit des réflexions qu'on a pu avoir toute la journée. Mon
discours de clôture n'est pas prêt depuis trois semaines. J'ai
au
moins attendu...
Mme Robic: Franchement.
M. Boisclair: C'est ce que vous avez dit, Mme la ministre. Alors,
j'ai au moins attendu de pouvoir lire les mémoires et d'en prendre
connaissance pour dire que, effectivement, au-delà d'un certain nombre
d'intentions, je peux constater que le discours que je viens d'entendre
ressemble fort à celui que j'ai entendu au moment de l'étude du
projet de loi 112, où on nous disait: Oui, certainement, je n'ai pas
l'intention de mettre ce rapport-là sur des tablettes et je n'ai pas
l'intention non plus de laisser aller les choses. Encore une fois, je n'ai pas
d'échéancier à vous donner pour le moment, mais la
commande est passée.
Ce que nous souhaitons, rapidement, de ce côté-ci, c'est
qu'on puisse répondre à l'appel qui a été
lancé. Faut-il rappeler que nous étudions depuis 1982, à
ma connaissance à tout le moins, et j'ai lu un certain nombre de
documents qui remontaient à 1982. En 1987, le ministre Fortier avait
aussi été saisi de cette question-là. La question a
été ramenée sur la table à l'occasion de
l'étude du rapport quinquennal, et c'est dans cette perspective que
l'Opposition avait cru bon qu'on puisse se donner un forum pour essayer
d'accélérer les choses, pour permettre à l'ensemble des
intervenants de se prononcer sur la question d'actualité qu'est le
financement, bien sûr, et aussi sur une proposition qui avait
été élaborée par un groupe de travail formé
de gens de l'industrie.
Ce que je pourrais peut-être en conclure, c'est que, d'une part,
soit, il existe un problème. Je crois que nous avons tous un certain
nombre de responsabilités. Je crois que les compagnies mutuelles
d'assurance de personnes ont, elles aussi, un rôle important à
jouer dans cette restructuration de l'échiquier international. Je me
souviens de l'intervention de M. Millette, cet après-midi, lorsqu'il
participait aux travaux de la commission avec les membres du rapport Gar-neau,
lorsqu'il nous disait: Oui, c'est vrai, les mutuelles ont aussi un effort de
réflexion à faire en termes de segmentation, de
réalignement en fonction d'un certain nombre de réalités.
Je crois que, ça, c'est leur responsabilité et je suis convaincu
qu'elles s'en acquitteront comme elles doivent le faire, bien sûr, au
meilleur de leurs intérêts, et aussi dans le meilleur
intérêt des mutualistes.
Cependant, il n'en demeure pas moins que nous avons sans doute, nous
aussi, comme législateurs, une responsabilité pour veiller
à ce que ce qui constitue, dans le fond, nos institutions
financières... Nous en sommes tous bien fiers; nous sommes tous heureux
d'en parler lorsque nous nous adressons à l'Assemblée nationale.
Je crois que ce qui caractérise, d'ailleurs, notre système
d'institutions financiè- res, c'est que la majorité de ces
grandes institutions sont à l'abri des prises de contrôle, et
qu'elles ont réussi avec brio, grâce au leadership des gens qui
les ont dirigées, à canaliser l'épargne des
Québécois dans leur meilleur intérêt. Et je crois
que c'est dans ce sens que l'intervention du législateur devrait se
situer, en ayant en tête ces mêmes préoccupations.
Donc, je conclurai en remerciant l'ensemble des participants - je l'ai
souligné au moment de l'introduction - pour la qualité des
mémoires présentés. Il y a là une expertise
certaine et j'espère que tous les membres de la commission prendront le
temps de les lire attentivement, particulièrement les annexes du
mémoire de l'ACCAP, le mémoire de La Laurentienne, et, dans le
fond, l'ensemble des mémoires, qui nous fournissent certainement
matière à réflexion. Il faudra certes un peu de temps pour
digérer tout ça, mais je suis convaincu que c'est certainement
faisable... en moins d'un an, peut-on se dire?
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le
député de Gouin. Alors, la commission ayant... Oui, Mme la
ministre.
Mme Robic: M. le Président, si vous me permettez un petit
instant, M. le Président.
M. Boisclair: M. le Président, moi, je ne... Mme Robic:
Non? Ah!
Le Président (M. Lemieux): Là, il n'y a pas le
consentement. Alors la commission ayant accompli son mandat, nous ajournons nos
travaux sine die.
(Fin de la séance à 18 h 6)