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Version finale

34e législature, 1re session
(28 novembre 1989 au 18 mars 1992)

Le mardi 5 mars 1991 - Vol. 31 N° 22

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, ainsi que sur les niveaux d'immigration souhaités de 1992 à 1994


Journal des débats

 

(Quatorze heures six minutes)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre!

Il est un peu passé 14 heures. Nous allons reprendre les travaux que nous avons laissés en suspens la semaine dernière. Donc, simplement pour situer tout le monde, il s'agit de la consultation générale sur l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration intitulé "Au Québec pour bâtir ensemble". Cette consultation porte aussi sur les niveaux d'immigration souhaités pour les années 1992, 1993, 1994.

Je constate que nous avons le quorum. Je déclare la séance ouverte et je demanderais à Mme la secrétaire de nous annoncer les remplacements s'il y en a.

La Secrétaire: M. Bradet (Charlevoix) est remplacé par M. Bordeleau (Acadie); M. Messier (Saint-Hyacinthe) est remplacé par M. Bergeron (Deux-Montagnes) et M. Paré (Shefford) est remplacé par M. Boisclair (Gouin).

Le Président (M. Doyon): Nous avons des invités à entendre jusqu'à 22 heures ce soir. Nous allons commencer par la commission scolaire Sainte-Croix. Je les inviterais à bien vouloir s'avancer et à prendre place à la table de nos invités.

Je rappelle, pour le bénéfice de tous, les règles qui régissent cette commission. Il s'agit, pour la plupart des intervenants, d'une période d'une heure qui se partage de la façon suivante: une vingtaine de minutes pour la présentation du mémoire ou son résumé, 20 minutes sont dévolues ensuite au parti ministériel et à ses représentants pour engager le dialogue avec les invités et le parti de l'Opposition dispose d'un temps équivalent.

Je vous inviterais donc maintenant à faire la présentation des gens qui sont membres de votre délégation et, ensuite, à bien vouloir commencer la lecture ou la présentation de votre mémoire.

Commission scolaire Sainte-Croix

Mme Lortie Hinse (Judith): Merci, M. le Président. Je vais vous présenter les membres de l'équipe et aussi les membres qui étaient du comité de rédaction. À ma droite, vous avez M. Roch Archambault, docteur en pédagogie. M. Archambault a commencé dans le domaine interculturel dès 1968, à Fribourg en Suisse, et il est arrivé à Saint-Laurent. Il a continué ce travail sur l'interculturel. C'est lui qui a fondé les classes d'accueil à Sainte-Croix. Après M. Ar- chambault, vous avez Mme Nadine Ackad qui, depuis deux ans, travaille, met en place la politique interculturelle chez nous, à Sainte-Croix. Mme Ackad est sociologue. Elle est engagée comme conseillère en interculturel. Immédiatement à ma gauche, vous avez M. Pierre Dufour qui est notre conseiller pédagogique en éducation chrétienne. M. Dufour a fait sa formation en théologie, éducation et histoire des religions à Paris, à l'Institut catholique à Paris. Il a passé une année sabbatique dans les camps de réfugiés l'an dernier, à Hong Kong; il a également été à la table de travail du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. À mon extrême gauche, vous avez Mme Yvette Biondi, qui est commissaire depuis novembre dernier. C'est une ex-attachée de presse; elle est responsable du mémoire sur la viabilité de la presse hebdomadaire à travers le Canada et journaliste indépendante de profession. Donc, Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, M. le ministre délégué aux Communautés culturelles...

Le Président (M. Doyon): Si je comprends bien, vous êtes madame...

Mme Lortie Hinse: ...moi, je suis Mme Judith Lortie Hinse... Ah! Toutes mes excuses...

Le Président (M. Doyon): Non, tout simplement pour situer le Journal des débats.

Mme Lortie Hinse: ...on oublie de se présenter...

Le Président (M. Doyon): Bienvenue, madame.

Mme Lortie Hinse: Judith Lortie Hinse, la présidente de la commission scolaire. Je suis administrateur agréé.

Le Président (M. Doyon): Bienvenue, Mme Hinse. Bienvenue à tous.

Mme Lortie Hinse: Merci. Donc, Mme la ministre, M. le ministre délégué aux Communautés culturelles, M. Bordeleau, député de l'Acadie, Mmes et MM. les membres de la commission de la culture, d'entrée de jeu, il nous fait plaisir et il nous faut, Mme la ministre, M. le ministre, saluer le désir de votre gouvernement de reconnaître publiquement l'émergence du phénomène et l'apport potentiel de l'immigration au développement du Québec comme société distincte. De plus, il faut féliciter le gouvernement du Québec

d'être à la fois prospectif et persuadé que la venue au Québec de nouvelles personnes peut et doit contribuer à la prospérité économique, au redressement démographique, à la pérennité du fait français et à l'ouverture du Québec sur le monde.

En publiant l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, le gouvernement pose un geste historique en ce sens que c'est la première fois que le Québec se dote d'une orientation dans ce domaine. La principale valeur de ce document, c'est d'avoir formulé en termes de volonté explicite, avec des moyens d'action appropriés, ce qui n'était qu'un simple projet pouvant être remis en question à tout moment. Nous y reconnaissons donc une volonté claire et louable d'inscrire l'immigration et l'intégration à l'intérieur d'un contrat moral, engageant à la fois les immigrants et les populations d'accueil. La commission scolaire Sainte-Croix se réjouit donc de l'opportunité qui lui est offerte de démontrer une fois de plus qu'au Québec elle peut, en tant qu'institution, continuer à bâtir ensemble.

Qui sommes-nous, à Sainte-Croix? 59 % de nos écoles possèdent plus de 25 % d'élèves allophones. La commission scolaire Sainte-Croix est celle qui, au Québec, possède (e taux le plus élevé d'élèves allophones. Le pourcentage indique 41,01 % au 30 septembre 1990. Notre réseau comprend une écoje primaire et une école secondaire anglaise. Pour le secteur français: 14 écoles primaires et 3 écoles secondaires; ces dernières sont localisées à Mont-Royal, Outremont et Saint-Laurent. Le très grand nombre de classes d'accueil au primaire engendre de sérieux problèmes. Nous envisageons sérieusement, dans le secteur de Saint-Laurent, tout spécialement le secteur Chameran, la construction prochaine d'une école primaire. Nous sommes en réalité un point de mire géolinguistique fort intéressant, où des enjeux socioculturels et socio-économiques sont devenus propices au questionnement et à la réflexion pour le Québec tout entier, particulièrement pour les décideurs, quel que soit le palier gouvernemental où ils oeuvrent: scolaire, municipal, provincial.

L'avenir du Québec se joue en grande partie sur les bancs des écoles françaises métropolitaines. Il faut y réfléchir ensemble afin de bâtir ensemble. La métropole, Mme la ministre, a atteint une capacité raisonnable d'accueil des immigrants. Depuis quelques années, le Québec a mis en oeuvre plusieurs interventions visant à accroître les volumes d'immigration en fonction de ses besoins et de sa capacité d'accueil. Durant les prochaines années, le gouvernement se propose de poursuivre son orientation de hausse soutenue et réaliste des volumes d'immigration. En effet, tant le défi démographique lui-même que les objectifs économiques et linguistiques de la présente politique exigent d'intensifier les efforts déjà entrepris en ce sens. Cependant, il faudra encore, plus que par le passé, articuler étroite ment et publiciser largement les actions en matière de sélection et d'intégration afin de clarifier la capacité d'accueil de la population du Québec.

Les actions à mener appellent des ententes gouvernementales. Il n'a pas été question, en aucun endroit, d'une concertation avec les autres institutions qui, elles, doivent accueillir ces personnes. Par exemple, est-ce que les écoles ont la possibilité d'accueillir un nombre soudain et important d'élèves immigrants, non seulement en début d'année, mais aussi tout au long de l'année scolaire?

Pour les années 1992, 1993 et 1994, l'hypo thèse soumise à la consultation publique est celle d'une augmentation soutenue et réaliste des niveaux d'immigration. Cependant, la commission scolaire Sainte-Croix invite le gouvernement à tenir compte de la conjoncture sociale actuelle et de la récession économique qui s'abat sur le Québec. Il est important que le gouvernement prenne en considération que, s'il ouvre davantage la valve de l'immigration, il devra nécessairement s'assurer que ce flux migratoire ne vienne pas aggraver encore plus la situation montréalaise.

Compte tenu de la récession et du ralentissement de l'économie au cours des prochaines années, la commission scolaire Sainte-Croix recommande que le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration situe le niveau d'immigration pour les années 1992, 1993 et 1994 à l'intérieur d'une fourchette de 30 000 à 45 000 personnes et qu'il le répartisse approximativement entre les diverses catégories suivantes: en ce qui a trait à l'immigration économique, environ 50 %, c'est-à-dire de 15 000 à 22 500 personnes, gens d'affaires et entrepreneurs indépendants; quant à l'immigration familiale, environ 30 %, soit de 9000 à 13 500 personnes; pour ce qui est de l'immigration humanitaire, approximativement 20 %, entre 6000 et 9000 personnes. Dans ces conditions, il est impératif que le ministère fasse jouer trois variables essentielles: la connaissance du français, la capacité d'adaptation des immigrants et, Mme la ministre, la capacité d'accueil de la société québécoise.

Il est tout aussi important d'établir deux stratégies: La première serait la "démétropolisa-tion" et la deuxième, la régionalisation. Ce sont là deux défis difficiles mais réalisables, seulement à long terme. Seule, sans la "démétropolisation" de l'immigration, Montréal vivra un choc culturel sans aucune possibilité réelle d'intégration à la francophonie. La métropole ne pourra pas continuer longtemps à augmenter sa population immigrée et à assumer seule le poids de l'intégration des nouveaux arrivants au Québec sans connaître une crise d'identité sérieuse. La régionalisation s'impose en soi mais elle ne se réalisera pas d'elle-même. Il faut une volonté politique et économique de le faire. Seul le gouvernement peut canaliser et orienter tant les

industries que les individus. Quand verrons-nous les premiers signes significatifs de cette volonté? Pour ce qui est de la démographie, la politique familiale et la politique d'immigration et d'intégration doivent être complémentaires. La dénatalité ainsi que la démographie constituent maintenant des préoccupations majeures de la société québécoise. La mise en place de mesures telles que "Famille en tête" et le redressement démographique obtiennent de plus en plus l'appui d'une très large part de la population. Il nous semble que le gouvernement devrait surtout faire porter ses efforts sur le relèvement de la natalité plutôt que sur un recours massif à l'immigration. Tout nous porte à croire que, si l'immigration semble nécessaire au Québec, ce n'est pas d'abord pour des raisons démographiques, mais plutôt pour des raisons d'ordre économique.

Pourtant, il n'en demeure pas moins que l'apport des immigrants au redressement démographique est nécessaire, voire essentiel. Le Québec n'est certes pas en situation de faire un pari très optimiste sur l'avenir avec un indice synthétique de natalité de 1, 52 enfant par femme et la possibilité d'une décroissance de la population à partir de l'an 2000. Nous ne pouvons pas prendre pour acquis que le taux de natalité suffira à augmenter sensiblement la population au cours des prochaines années. Donc, la commission scolaire Sainte-Croix insiste auprès du gouvernement afin qu'il révise sa politique familiale de sorte qu'elle soit plus efficace et qu'il évalue sérieusement ce que coûte financièrement un enfant, de sorte qu'il devienne un facteur d'enrichissement et non d'appauvrissement.

Pour ce qui est des revendicateurs du statut de réfugié au Canada, leur présence révèle bien que le climat politique de certaines régions de la planète est générateur de situations de détresse plus nombreuses. Par ailleurs, des personnes voulant améliorer leur condition économique, leurs conditions de vie, se servent de cette filière pour entrer au pays plus facilement. Cependant, il faudrait souligner davantage que ces aspirants réfugiés font l'objet d'un traitement cruel, inhumain et dégradant, pour des raisons de retards administratifs. Ils sont plus de 35 000 au Québec, éprouvant beaucoup de difficultés à formuler un projet d'avenir et à s'adapter à notre société parce que leur vie est trop marquée par la peur, l'incertitude et le désespoir.

Beaucoup de jeunes aspirants réfugiés qui fréquentent nos écoles se trouvent dans des situations désespérées qui compromettent tout apprentissage et toute insertion sociale et qui suscitent souvent des comportements violents. La situation au Québec concernant les aspirants réfugiés est alarmante. Plus de 35 000 cas sont en attente et 1000 nouveaux cas d'aspirants arrivent tous les mois. Il est impératif aux yeux de la commission scolaire Sainte-Croix que la situation se régularise rapidement. La préoccupation humanitaire d'accueillir les personnes en situation de détresse peut entrer en concurrence avec la nécessité de donner la priorité au développement économique. Pourtant, 15 000 000 d'êtres humains à travers le monde qui, jour après jour, cherchent refuge, souvent avec la menace de mort qui pèse sur eux, doivent nous amener à assumer sérieusement nos responsabilités internationales.

Nous voulons un Québec français. La commission scolaire Sainte-Croix souscrit au message que le gouvernement entend livrer à tout citoyen étranger qui veut s'établir au Québec, à savoir que: le Québec se définit comme une société distincte dont le français est la langue commune de la vie publique; le Québec représente une société démocratique fondée sur la pleine participation de tous; le Québec s'inscrit comme une société pluraliste et ouverte; le Québec s'engage dans un processus d'affirmation dans le contexte nord-américain.

Cette seconde partie de l'énoncé de politique précise davantage la notion d'immigration comme un domaine fortement balisé. En fait, l'immigration constitue le premier élément du tandem immigration-intégration qui est l'objet de la présente politique. Devant le défi de l'avenir québécois, la finalité de la politique en matière d'immigration-intégration s'impose. Celle-ci vise à chercher et à utiliser les parts démographique, économique, linguistique et sociologique de l'immigration pour contribuer au développement du Québec.

Tout en s'appuyant sur une expérience acquise depuis plus de 10 ans, le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration devra exercer un contrôle quantitatif et qualitatif dans ses pratiques de recrutement et de sélection. La commission scolaire Sainte-Croix invite le gouvernement a être vigilant en ce domaine puisque le partage des responsabilités fédérales et provinciales a encore un caractère administratif et non constitutionnel.

Nous appuyons fortement la première orientation concernant la sélection des immigrants. En effet, l'augmentation de la proportion de l'immigration francophone peut faciliter un certain type d'intégration et non pas nécessairement l'intégration à la culture existante. Il faut par ailleurs noter qu'aujourd'hui 43 % des élèves du primaire et 69 % des élèves du secondaire reçoivent un enseignement moral non confessionnel. Plusieurs élèves proviennent de familles québécoises de vieille souche pour qui la religion est devenue une réalité du domaine privé, exclusivement.

Parmi les défis importants que pose l'augmentation de l'immigration francophone, il ne faudrait pas minimiser le fait qu'un nombre trop élevé de francophones de culture traditionnelle et rigide, avec des valeurs religieuses intégristes et "communautaristes", peut compromettre une

véritable intégration socioculturelle. Ce phénomène nous amène à nous poser de sérieuses questions sur l'évolution et la place de la religion catholique en milieu urbain cosmopolite, il remet en cause nos responsabilités organisationnelles et budgétaires.

Il est vrai aussi que, depuis quelques années, le Québec a réussi à augmenter le nombre d'immigrants francophones. Mais a-t-il réussi à intégrer ces personnes à la société québécoise? A-MI permis de donner à ces immigrants un sentiment d'appartenance à leur nouvelle société d'accueil? Est-ce que ces personnes venaient s'installer au Québec pour y rester? Il nous semble qu'il faut être prudent dans ce type de sélection parce qu'il est important d'avoir au Québec des personnes "fran-cophonisables" et acceptant de participer, à tous les niveaux, à la construction de la société.

Au Québec, l'intégration des immigrants est un défi supplémentaire à cause de certaines caractéristiques spécifiques à notre société: la réalité linguistique particulière du Québec, où la langue de la majorité reste minoritaire sur un continent dominé par le pouvoir d'attraction de la langue anglaise; le caractère récent de l'émergence de la société francophone comme pôle intégrateur de l'immigration, qui implique un certain rattrapage par nos institutions; le contexte de hausse des niveaux et de diversification des flux migratoires.

Le fait de présenter et d'expliquer les caractéristiques du processus d'intégration donne à cet énoncé une base solide aux orientations et différentes mesures proposées. Il dénote une compréhension du processus d'intégration de la part de la société d'accueil.

L'explication est en effet très claire, mais, malheureusement, il nous est difficile de croire que la population en général changera d'opinion et surtout d'attitude envers les immigrants. Comment un gouvernement fait-il pour amener ses habitants à comprendre et à devenir des acteurs actifs dans le processus d'intégration des immigrants? Parce que, Mme la ministre, des mesures doivent être prises afin d'éduquer, depuis le plus jeune âge, à l'ouverture, à l'entraide et au respect. L'accueil scolaire nécessitera bien des coûts en 1991, 1992 et 1994, et des coûts plus qu'indexés. À l'instar des autres commissions scolaires de l'île de Montréal, la commission scolaire Sainte-Croix offre le service de classes d'accueil aux nouveaux arrivants. Dans la mesure du possible, nous favorisons la mise en place de ce service à l'école du quartier. Ce faisant, nous désirons responsabiliser chaque école par rapport à cette clientèle. Depuis maintenant deux ans, il nous est impossible de respecter l'école de quartier dans le secteur Chameran. C'est pour ça qu'un peu plus tôt je mentionnais qu'on aura besoin d'une école dans ce secteur.

L'expérience nous a également démontré que l'intégration des jeunes immigrants en classe régulière se vit d'une manière plus harmonieuse lorsque l'équipe-écoie est sensibilisée grâce à la présence de classes d'accueil. Au moment de l'intégration de jeunes immigrants en classe ordinaire, l'enseignant d'accueil informe, clarifie, rassure son collègue du régulier et aplanit les difficultés au fur et à mesure qu'elles se présentent.

Actuellement, 7 écoles primaires sur 14 ont des classes d'accueil chez nous. Deux de ces écoles desservent uniquement la clientèle de leur quartier, trois autres écoles desservent à la fois les élèves du quartier et d'autres écoles où, faute de places, il est impossible d'offrir le service. Trois écoles sont considérées écoles régionales et reçoivent majoritairement des élèves des autres écoles. Cette situation engendre des coûts élevés en termes de places-élèves. Le ministère de l'Éducation n'a jamais tenu compte de cette variable dans l'établissement de ses allocations. Le nombre élevé de classes d'accueil cause des coûts maintenant mesurables. Juste un exemple. Nous avons, à la commission scolaire Sainte-Croix, un budget de près de 1 000 000 $ dans le domaine du transport. Du seul fait que nous ne puissions placer ces élèves d'accueil dans leur école de quartier, cette année, ce budget-là est en déficit de 50 000 $. Nous, on mesure ça; après ça, c'est un professeur de moins, etc., lorsqu'on est déficitaires de ce montant-là. Et je pourrais vous parler longuement des espaces, des locaux qui manquent dans cet élément-là.

Le développement de l'usage du français. Les mesures citées dans l'énoncé de politique concernant le développement de l'usage du français comme langue de travail sont valables, mais demeurent des mesures peu contrôlables. Il n'y a aucune mesure qui touche la loi 101. Il faudrait que certaines modifications soient apportées à cette dernière: les élèves de plus de 16 ans qui peuvent aller dans les écoles anglaises; des programmes offerts aux adultes en vue de la formation professionnelle où les cours doivent être dispensés en anglais; le caractère obligatoire plutôt qu'incitatif de franciser tous les employés dans les compagnies. Dans ce domaine, l'énoncé de politique est très faible. Il faudra plus de rigueur au niveau des entreprises et au niveau de la publicité. Le gouvernement aurait avantage à appliquer les exigences de la loi 101 au niveau du cégep si l'on veut vraiment faire du français la langue commune de travail. (14 h 30)

Nous aurions quelques recommandations à faire.

Le Président (M. Doyon):. Mme Hinse, s'il vous plaît.

Mme Lortie Hinse: Oui. En conclusion, que le ministère des Communautés culturelles et de l'immigration collabore avec le ministère de

l'Éducation afin d'obtenir plus de ressources financières et humaines pour les commissions scolaires qui possèdent déjà une forte concentration humaine. Mesure d'aide aux classes ordinaires. Que ces deux mêmes ministères examinent la faisabilité de la mesure d'aide aux classes ordinaires décrite dans notre mémoire, qui ont un taux de 30 % et plus d'élèves allophones. Nous aimerions qu'on travaille aussi sur une diminution des maxima d'élèves par classe. Que le maximum d'élèves par classe soit réduit de trois élèves dans toutes les classes d'accueil de l'enseignement primaire ou secondaire. La commission scolaire Sainte-Croix recommande aussi que la même logique s'applique dans les classes ordinaires. Les maxima devraient être réduits de quatre élèves dans les classes dont les effectifs sont de 25 % d'élèves allophones, à leur première année d'intégration seulement. Ce même maximum devrait diminuer de un élève par tranche additionnelle de 15 % d'élèves allophones.

Le ministère de l'Éducation du Québec considère qu'un local de classe standard doit accueillir environ 26 élèves. Or, en classe d'accueil, le maximum d'élèves par classe est de 19. Alors que quatre locaux suffisent pour accommoder 104 élèves des classes régulières, nous avons besoin de 5, 5 locaux pour un nombre identique d'élèves en classe d'accueil. Devant cette situation, la commission scolaire recommande que le ministère de l'Éducation du Québec subventionne un local de classe par 16 élèves en classe d'accueil et que l'utilisation maximale des locaux dans les écoles ne dépasse pas 80 %. Ce faisant, chaque milieu disposerait d'un nombre de locaux pouvant permettre de recevoir des élèves en classe d'accueil, quel que soit le moment de leur arrivée.

Nous aurions aussi comme recommandations: l'aide pédagogique, la baisse de la moyenne du nombre d'élèves par groupe dans les classes d'accueil du primaire et du secondaire et l'ajout d'aide en orthopédagogie. Cette aide devrait attribuer l'équivalent de un dixième de tâche d'enseignant par classe d'accueil.

Il y a aussi les préoccupations d'ordre moral et religieux. De plus en plus d'observateurs et d'analystes attirent notre attention sur le fait que l'apparition des mouvements de renouveau religieux est non seulement planétaire mais aussi quasi simultanée dans toutes les grandes religions. Le renouveau...

Le Président (M. Doyon): Je veux vous rappeler qu'il restera peu de temps pour les questions et le dialogue si votre mémoire...

Mme Lortie Hinse: C'est très bien.

Le Président (M. Doyon):... si vous poursuivez encore longtemps.

Mme Lortie Hinse: J'ai terminé, M. le Président. Juste cette petite recommandation finale: Que le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration fasse une analyse plus profonde de l'impact du nouveau phénomène religieux qui est en train d'émerger, de manière à ce que l'école ne devienne pas un terrain d'affrontement et de propagande mais un lieu de rencontre pour les diverses confessions religieuses. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Hinse. Je sais que Mme la ministre a plusieurs questions à poser. Vous pouvez commencer, Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Lortie Hinse. Parmi les documents que vous nous avez transmis, j'ai pris connaissance, avec beaucoup d'intérêt d'ailleurs, de votre politique d'éducation interculturelle. Bien sûr, je profite de l'occasion pour vous féliciter pour ce magnifique travail qui va finalement un peu aussi dans le sens de la vision proposée dans l'énoncé de politique.

Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous êtes allés chercher la collaboration du milieu, c'est-à-dire des enseignants et des parents pour établir un consensus sur cette question? Et comment expliquez-vous l'esprit d'ouverture qui caractérise votre commission scolaire à l'égard du phénomène de la diversité ethnique, raciale ou religieuse, entre autres?

Le Président (M. Doyon): Mme Hinse.

Mme Lortie Hinse: Je vais demander à M. Archambault de répondre à cette question puisqu'il est l'initiateur de cette politique.

M. Archambault (Roch): En ce qui concerne la politique d'éducation interculturelle de la commission scolaire, disons qu'il y a environ une douzaine d'années nous avons mis sur pied, à la commission, un comité de réflexion sur la problématique des nouveaux Québécois et des nouvelles Québécoises qui arrivaient sur notre territoire, tant à Saint-Laurent qu'à Mont-Royal et à Outremont. Nous étions sept ou huit professionnels, cadres et commissaires, dont Mme la présidente, qui était à ce moment-là commissaire d'écoles. Le comité a travaillé, est allé chercher une expertise à l'Université de Sherbrooke. À ce moment-là, sur l'île de Montréal, il n'y avait pas de préoccupation. Avec l'aide de M. André Beauchesne, de l'Université de Sherbrooke, nous avons réfléchi pendant une année et demie. Nous avions aussi l'opportunité d'avoir parmi nous M. Georges Latif, du ministère de l'Éducation, qui voulait réfléchir, lui aussi. Et, par la suite, nous avons travaillé avec différents groupes, soit des professionnels, des enseignants, du personnel de soutien et des cadres; nous avons formé des sous-comités. Nous avons préparé une problé-

matique, nous avons travaillé, et c'a a fait boule de neige dans nos écoles, partout, de sorte que nous avions beaucoup de matière à mettre en place lorsque Mme Ackad est arrivée à la commission scolaire il y a deux ans. Nous avons fait une enquête - et là je dois dire que la nouvelle loi s'apprêtait à prendre forme - et nous avons fait une consultation élargie qui dépassait les conseils d'orientation, les comités d'école et les comités de parents. Nous sommes allés plus loin, chercher tout le jus nécessaire pour nous doter d'une politique qui représentait les aspirations du milieu, particulièrement du personnel enseignant, parce que c'est avec eux que nous bâtissons ensemble la commission scolaire Sainte-Croix.

C'est ainsi que parents, enseignants et enseignantes, nous nous sommes donné la main pour réaliser une politique. Et la politique ne suffisait pas. Nous la voulions opérationnelle - mettez-le entre guillemets, parce ce n'est pas tout à fait français - par un plan d'action réaliste. À ce moment-là, nous avions une entière collaboration et une volonté politique de la table du conseil des commissaires qui nous appuyaient dans nos orientations. C'est ainsi que nous avons pu, ensemble, réaliser quelque chose d'assez bien pour notre petite commission scolaire, qui a une dimension importante aussi: elle est à dimension humaine.

Le Président (M. Doyon): À vous, Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Oui. Vous parlez beaucoup aussi de difficultés d'apprentissage des élèves. Et, naturellement, on entendra parler aussi au cours de l'après-midi et de la soirée de cette difficulté d'apprentissage. Moi, j'aimerais savoir, est-ce que cette difficulté d'apprentissage, vous l'évaluez à partir, par exemple, des différences - comment pourrais-je dire, donc - provenant du milieu socio-économique des clientèles? Par exemple, clientèle favorisée par rapport à une clientèle défavorisée ou par rapport aux catégories d'immigrants - parce que vous avez la catégorie des travailleurs, des gens d'affaires, des familles, des réfugiés, des revendicateurs - est-ce que vous identifiez justement des clientèles un peu plus lourdes à partir de ça, là? Est-ce que vous avez pu identifier des problèmes un peu plus lourds?

Mme Lortie Hinse: Je vais demander à Mme Ackad de vous répondre, Mme la ministre.

Le Président (M. Doyon): Mme Ackad?

Mme Ackad (Nadine): Les difficultés d'apprentissage, d'abord, se situent à deux niveaux: il y a la difficulté d'apprentissage au niveau de l'utilisation du français dans la classe et dans l'école, qui est une problématique, et il y a la difficulté d'apprentissage au niveau général de l'enfant qui a de la difficulté à apprendre comme n'importe quel enfant. C'est sûr que le milieu socio-économique va jouer parce que les difficultés à trouver de la nourriture, les difficultés d'être dans un logement, un taudis, à huit personnes dans deux pièces, ça n'aide pas non plus à la réussite scolaire. Ces enfants-là, il faut qu'ils étudient en même temps qu'il y a une machine à coudre qui fonctionne; donc ce sont des endroits qui ne sont pas du tout... qui ne facilitent pas ça.

Il y a aussi les difficultés qui ne sont peut-être pas du milieu socio-économique, mais qui sont plutôt du milieu social, où les parents veulent que les enfants restent dans la culture d'origine et parlent leur langue d'origine à la maison. Donc, ça n'aide pas à apprendre le français. Il y a aussi le fait que, dans les écoles, les professeurs se voient pris avec des enfants qui viennent de l'accueil. Il y a des fois, dans des écoles, dix enfants qui arrivent de l'accueil dans la classe; le professeur a toujours un ratio de 26 à 30 élèves; c'est donc beaucoup plus difficile pour lui. Et on sait que les enseignants, pour eux, un échec, c'est très... Ils le vivent mal. Pour eux, s'ils ne réussissent pas bien, ça n'aide pas.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais est-ce que, au niveau des catégories d'immigrants que l'on sélectionne, vous voyez plus de difficultés d'apprentissage - comme je le mentionnais tout à l'heure - entre les catégories, par exemple, de travailleurs, gens d'affaires, familles, réfugiés et revendicateurs?

Mme Lortie Hinse: J'aimerais céder la parole à M. Archambault.

M. Archambault: Nous avons pu observer, au cours de dix années, que dans le domaine de l'accueil il y a des catégories. C'est un fait que, lorsque nous avons accepté des gens qui venaient, non pas des villes, mais vraiment de la campagne, dans leur pays d'origine, et aussi des élèves qui avaient vécu dans des camps de concentration, nous avons pu observer une sous-scolarisation chez ces gens-là. Particulièrement lorsqu'ils nous arrivent au secondaire, nous avons une côte énorme à remonter. Au primaire, au deuxième cycle, on peut les récupérer. Mais, lorsqu'ils arrivent au secondaire, la tâche est immense et très lourde pour tout notre personnel. Quant aux autres catégories, c'est évident que, lorsque les gens nous arrivent de milieux aisés de leur pays d'origine, ils apprennent le français rapidement. Mais nous observons aussi une volonté et un désir de réussir - un désir de s'en sortir - qui est exemplaire.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est pour ça que je reviens... Comme vous le mentionnez, vous

retrouvez quand même des clientèles lourdes qui nécessitent beaucoup plus de soutien, un soutien accru en termes d'intégration; cette clientèle se retrouve majoritairement chez les élèves dont les parents n'ont pas été sélectionnés pour leur capacité d'intégration. Ils n'ont pas été sélectionnés pour le Québec, par le Québec, pour leur capacité d'intégration. D'autre part, vous me dites: Est-ce que les écoles sont en mesure d'accueillir plus? Alors, vous voyez un petit peu où je veux en venir. C'est que nous avons des niveaux d'immigration. Nous décidons de certains niveaux à partir d'un consensus et, au cours des trois prochaines années, nous privilégierons la catégorie des indépendants pour avoir un certain équilibre. C'est aussi pour permettre aux commissions scolaires de respirer parce que ça demanderait un peu moins de soutien; on ne demanderait pas un soutien aussi accru.

Par contre, vous semblez, dans votre mémoire, vous axer davantage vers la famille et les réfugiés. Vous savez fort bien qu'il y a aussi la catégorie des revendicateurs. Tout à l'heure, vous disiez qu'au niveau administratif c'est cruel. Je suis d'accord avec vous. Sauf qu'ils sont ici; et aussi c'est une catégorie de personnes que nous n'avons pas sélectionnée, sur laquelle nous n'avons aucun contrôle, et qui a aussi une implication dans vos commissions scolaires.

Mme Lortie Hinse: M. Archambault.

Le Président (M. Doyon): M. Archambault.

M. Archambault: Concernant cette affirmation sur ce qui ressort de notre mémoire, peut-être que nous paraissons vouloir insister davantage sur les réfugiés, sur une politique d'adoption internationale. Je pense qu'à l'heure actuelle, au Québec, il y a au-delà de 35 000 personnes qui sont en attente de ce statut. Il faudrait, une fois pour toutes, prendre les trois prochaines années et dire: On essaie de nettoyer cette problématique qui grandit de mois en mois, c'est-à-dire qu'à peu près 1000 personnes par mois arrivent par la porte d'à côté, dans probablement - ce qu'on pourrait mettre entre guillemets - l'illégalité. Mais ils sont à la recherche du statut de réfugié.

Notre problématique, c'est qu'il y a des élèves, qui sont dans nos écoles... Je céderai la parole à Pierre Dufour, tout à l'heure, là-dessus, parce qu'il le vit comme parent. Encore là, il expliquera la situation. Mais nous les vivons, ces choses-là. Quant à ce qu'on envisage, nous, environ 50 % des gens qui seraient dans la première catégorie... Nous insistons aussi pour que la politique d'adoption internationale soit révisée. Je sais qu'il y a une nouvelle loi, mais elle n'est pas connue de beaucoup de personnes au Québec, à l'heure actuelle. Il y a eu des aménagements faits en septembre dernier, mais nous pensons, avec l'Association des parents adoptifs du Québec, que ce n'est pas encore assez.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre? Une voix: Vous permettez que...

Le Président (M. Doyon): M. le député de l'Acadie. (14 h 45)

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Tout d'abord, je voudrais mentionner que je suis très heureux que vous ayez accepté de venir présenter un mémoire à la commission. Je pense que, effectivement, vous couvrez une partie du comté de l'Acadie, et je connais bien le milieu parce que j'y vis moi-même et que j'ai eu l'occasion de vous rendre visite à l'école Émile-Legault et de voir, avec mon collègue, le député de Richelieu, le fonctionnement de certaines classes. Alors, effectivement, je veux vous féliciter, vous et vos collègues, pour l'excellent travail que vous faites à Émile-Legault et aussi pour la qualité du mémoire que vous nous avez présenté.

Je crois que ce qui est intéressant aussi, c'est le fait que la commission scolaire Sainte-Croix - et je pense particulièrement au secteur de Saint-Laurent - vit au fond la réalité de l'immigration depuis un certain nombre d'années, depuis 10, 15 ans. Et, dans ce sens-là, je pense que peut-être les expériences qu'on vit dans ce secteur-là sont un peu à l'avant-garde de ce que sera le Québec de demain, au fond. Dans ce sens-là, je pense que votre expérience est tout à fait pertinente et intéressante.

Je voudrais plus particulièrement revenir sur un point, étant donné que le temps passe. À la page 56 de votre mémoire, vous faites référence à la question des nouveaux phénomènes religieux et vous vous interrogez sur l'impact de ce que vous appelez les nouveaux phénomènes religieux, sur le climat d'échange et d'ouverture qu'on cherche à préserver dans le milieu scolaire. C'est quand même une réalité qui existe à Saint-Laurent depuis, comme je le mentionnais, plusieurs années, avec laquelle vous vivez et, effectivement, actuellement, le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration essaie de développer une certaine expertise dans ce secteur-là, des relations interconfessionnelles, avec toute l'ambiguïté que ça peut avoir; c'est quand même un phénomène assez récent et d'actualité aussi, si on regarde un peu ce qui est sorti dans les journaux aujourd'hui. Dans ce sens-là, le ministère essaie de mieux comprendre, d'établir ses positions pour aider les institutions à faire face à cette réalité-là. J'aimerais savoir, dans ce contexte particulier, comment vous composez concrètement, dans votre commission scolaire, avec certaines contraintes qui sont imposées par des pratiques religieuses qui ne vont pas nécessairement dans le fonctionnement traditionnel du milieu scolaire ou des écoles.

Vous devez avoir vécu ces réalités-là; comment, concrètement, avez-vous procédé à ce niveau-là?

Le Président (M. Doyon): Mme Hinse.

Mme Lortie Hinse: Avec votre permission, M. le Président, je vais laisser la parole à M. Dufour, notre spécialiste en ce domaine.

Le Président (M. Doyon): M. Dufour.

M. Dufour (Pierre): Bien sûr, c'est une réalité de plus en plus présente et qui se manifeste de bien des façons. Nous avons toujours essayé de respecter en premier lieu la liberté de conscience, la liberté religieuse des minorités ethniques et, d'autre part, essayé de répondre à leurs besoins même si, parfois, c'est lourd sur le plan organisationnel d'offrir les deux enseignements religieux: confessionnel catholique et morale non confessionnelle.

Mais il y a d'autres problèmes auxquels vous faites allusion. C'est-à-dire que certaines minorités ethniques manifestent des revendications qui nous inquiètent et qui, à la limite, peuvent être dangereuses. J'en mentionne quelques-unes; et pourtant, c'est prévu dans la loi 107, à l'article 228, où on dit que, si on offre à l'école un enseignement religieux d'une autre religion que la religion catholique, il doit respecter les objectifs du programme de morale non confessionnelle et les intégrer ou, du moins, ne pas être en opposition avec eux.

Or, beaucoup de revendications de certaines minorités ethniques montrent qu'on ne connaît pas la loi et qu'on veut même la contourner d'une certaine manière. J'évoque trois revendications qui reviennent. On sait que certaines minorités n'ont pas du tout la même idée que nous concernant la condition de la femme dans la société et qu'ils veulent donner un enseignement en ce sens qui nous inquiète. C'est la même chose pour le jeûne du ramadan, qu'on applique; nous nous retrouvons parfois avec des enfants qui, l'après-midi, ne peuvent pas fonctionner normalement parce qu'ils n'ont pas mangé depuis le matin et ils vont manger seulement après le coucher du soleil le soir. Donc, ces situations-là, ça pose d'énormes problèmes; il faut composer avec les parents puis même avec les représentants de ces religions-là, qui interviennent dans nos écoles. Autre revendication: les temps et les moments de prière, non seulement à l'intérieur des heures de classe, mais à l'heure du dîner et aux heures de recréation.

On en demande beaucoup et, à mon humble avis, c'est difficile de concilier cela avec ce qu'on trouve dans nos lois qui essaient de concilier à la fois le respect de ces religions d'origine et, d'autre part, le respect des principes de la religion dominante au Québec, et qu'il n'y ait pas opposition et même conflit entre les deux.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Dufour.

M. Bordeleau: Est-ce que vous me permettez de...

Le Président (M. Doyon): Très rapidement.

M. Bordeleau: Très rapidement, oui. Mais concrètement, vous dites... Vous avez fait référence un peu à ces difficultés-là. Comment les avez-vous vécues? Comment les avez-vous solutionnées, concrètement, ces difficultés-là?

M. Dufour (Pierre): Alors, rapidement, nous observons qu'au niveau de l'école les directions semblent très peu préparées à faire face à ces revendications, à ces remarques et à ces demandes parce qu'elles ont peu de connaissances sur les religions autres que la religion catholique. Donc, il faudrait, de ce côté-là, faire en sorte qu'on puisse offrir, aux directions d'école surtout, un peu plus de formation concernant d'autres confessions religieuses. Notre façon habituelle de régler les problèmes actuellement, c'est d'aller à un niveau supérieur pour rencontrer des gens qui connaissent ce que sont ces religions-là avec leurs principes, leur morale, leurs exigences rituelles, et d'essayer de dialoguer avec eux pour dire que, bon, d'après nos lois, d'après nos habitudes, il faut respecter ce qui est déjà en place et ce que sont les principes dominants de la religion dominante. Donc, on doit se référer à un niveau supérieur et on a beaucoup de difficultés, dans l'école même, à les résoudre.

M. Bordeleau: Je vous remercie beaucoup, M. Dufour.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Dufour. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: Mme la présidente, mesdames, messieurs, vous me permettrez une toute petite remarque préliminaire, et cela va renforcer mon opinion que l'enseignement de l'histoire est négligé au Québec. Ce n'est pas la première fois que le Québec se dote d'une orientation comme celle-ci, c'est la deuxième fois. Il y a eu une première fois; ça s'appelait "Autant de façons d'être Québécois", ce qui explique que nous donnons notre concours à Mme la ministre puisqu'elle s'inspire largement de la première fois qui était "Autant de façons d'être Québécois".

Ceci étant dit, je pense que vous nous présentez un mémoire extrêmement fouillé, dans lequel il y a des principes fondamentaux au sujet desquels je suis entièrement d'accord avec vous. Le premier transcende toute votre argumentation qui est: Rien ne se fera sans la collaboration - je dis collaboration - sans l'implication massive du ministère de l'Éducation.

Sinon, ça ne serait tout simplement que vous remettre la chose, et de vous la remettre dans le sens très québécois. Pelleter la neige dans votre cour, on voit ce que ça donne; ça fait un amoncellement, mais ça ne règle rien. Vous avez eu aussi l'honnêteté de dire que, quant à la loi 101, c'est-à-dire la place du français dans notre société, eh bien, des messages clairs doivent être donnés et des actions doivent également être faites dans d'autres domaines que le domaine de l'éducation comme tel. Il y a tout le monde du travail, etc. Ça, j'en conviens.

Ceci dit, avant d'aller aux questions que j'avais préparées pour vous, je vais prendre le relais, si vous le permettez, de la question que mon collègue, M. le député de l'Acadie, vous posait tantôt, à savoir ces différences de valeurs religieuses. Il semble que cela puisse peut-être poser certaines difficultés d'organisation au niveau de l'école comme telle, mais est-ce que ces particularismes - c'est le terme que je vais employer - provoquent des conflits entre les élèves comme tels ou si ce n'est qu'un problème d'ordre administratif et pédagogique que vous devez administrer?

Mme Lortie Hinse: Je vais laisser M. Dufour y répondre.

M. Dufour (Pierre): Non, il y a très peu de conflits entre les élèves eux-mêmes, très peu. C'est surtout au niveau des parents qui interviennent au nom de l'enfant parce qu'ils veulent pour lui certaines choses qu'on ne peut pas lui offir.

M. Boulerice: D'accord. Alors, la première question de mon cru, quoique celles de mon collègue étaient très importantes. Le Conseil québécois pour l'enfance et la jeunesse, notre ancien CQEE, le Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle, qu'on a tous connu, nous, issus du monde de la pédagogie, affirmait devant cette commission, la semaine dernière, que les jeunes immigrants voyaient de plus en plus leurs chances d'intégration menacées parce qu'ils ne trouvaient plus de référence québécoise à l'école. La référence québécoise à l'école, pour eux, était l'absence de Québécois de plus ancienne souche. Par exemple, dans une école qui avait au-delà de 60 %, 65 % ou 70 % d'enfants immigrants, la vieille souche étant très minime, il n'y avait pas de référence à la société d'accueil. Est-ce que vous partagez cette opinion?

Mme Lortie Hinse: Moi, je ne vais pas répondre à votre question, mais je vais l'alimenter quand même. Voici, on l'a réalisé. Ce que vous dites est vrai, excepté que, nous, on a travaillé dans un autre sens pour solutionner ce problème-là. C'est qu'on a organisé des projets d'échanges. Je vais laisser quand même M. Archambault vous en parler.

Le Président (M. Doyon): M. Archambault.

M. Archambault: Alors, devant cette réalité, chez nous, de 41 % de clientèle allophone, c'est évident que nous avons des écoles qui ont 90 % de clientèle allophone. Il y a très peu de francophones qui sont là. Nous avons mis sur pied des projets, des pians pour faciliter des échanges - et nous allons jusque sur la rive sud, à Saint-Jean sur le Richelieu - des échanges avec des classes. Nous avons 38 classes francophones qui ont des échanges avec les élèves allophones de nos écoles. Cependant, il ne faut pas regarder l'intégration d'une façon immédiate, dans un mois, dans 15 jours. Il faut penser voir un Québec dans une génération, deux générations. Et nous sommes sur le chemin, à l'heure actuelle, d'une intégration de plus en plus vraie, de plus en plus grande vers la francophonie. C'est ça qu'il faut viser. Ce n'est pas à court terme ou à très court terme qu'il faut voir les choses.

Le Président (M. Doyon): M. le député.

M. Boulerice: À votre avis, est-ce que les écoles ont une capacité d'accueil illimitée de nouveaux arrivants? En d'autres termes, est-ce qu'il y a un niveau de concentration ethnique qu'il ne faut pas dépasser?

Le Président (M. Doyon): Mme Hinse.

Mme Lortie Hinse: Je vais vous laisser répondre, M. Archambault.

Le Président (M. Doyon): M. Archambault.

M. Archambault: Nous avons dit dans notre présentation, dans notre mémoire, que Montréal, le centre, la métropole... Il y en a trois métropoles au Canada: il y a Vancouver, il y a Toronto et il y a Montréal. Disons que, sur l'île de Montréal, nous pensons avoir atteint un taux raisonnable d'accueil. C'est pour ça qu'on parle, premièrement, de "démétropolisation" et, deuxièmement, de régionalisation. Nous sommes, je pense, une commission scolaire très réaliste, un point de mire où les enjeux sont très importants pour notre avenir. Nous pensons qu'il faut absolument mettre en place des structures et avoir une volonté politique et économique de diriger et d'orienter les nouveaux arrivants. Quand on leur parle du premier contrat moral d'engagement, il faut leur dire: C'est dans la région du Québec que vous venez, non pas sur l'île de Montréal. Nous croyons, nous, qu'il y a un seuil raisonnable d'atteint sur l'île de Montréal si on veut réaliser les objectifs de la politique, c'est-à-dire franciser et francophoniser tous les nouveaux arrivants. Est-ce que ça répond à votre question? (15 heures)

M. Boulerice: Oui. Mais certains disent: On

ne peut pas... Bon, je suis bien d'accord avec vous, avec la "démétropolisatlon", parce qu'il y a une capacité d'accueil. Je ne parle pas uniquement de la capacité psychologique de l'accueil; je parle des conditions de logement. J'étais heureux de voir que madame y ait fait allusion. L'immigrant investisseur, oui, mais il est minoritaire. Et, quand on arrive dans la condition d'immigrant, on n'arrive pas les poches bourrées de yens, de marks, de pounds, je ne sais pas de quelle unité monétaire, là. Donc, il y a des situations pénibles qui sont vécues. Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de la "démé-tropolisation". Je pense que c'est ma formation qui, pour la première fois, a employé le terme. Mais, quant à la régionalisation, lorsqu'on en parle, c'est toujours de façon très philosophique, en se disant: Oui, il est beau d'en parler. Mais on ne peut mettre aucune mesure incitative, cela viendrait en contradiction avec notre Charte des droits et libertés. Et, parallèlement, d'autres nous disent: Oui, mais les conditions économiques en région ne permettent pas d'y aller. Que répondez-vous à ça?

M. Dufour (Pierre): M. le Président, c'est sûr qu'il y a des difficultés qui sont liées à des problèmes d'ordre économique. On en est tous conscients, mais il faut savoir qu'il y a aussi autre chose. Ce n'est pas un hasard - et là il faudrait questionner! cette situation - si on retrouve à Montréal la majorité des associations des minorités ethniques, les restaurants et les épiceries exotiques, asiatiques et autres, les magasins de vidéo, les cinémas err langue étrangère et les lieux de culte. Et on va même jusqu'à doubler dès services déjà existants comme des banques, dès cliniques, des écoles. C'est tout ça qui fait que, même si, au départ, les immigrants trouvent de l'emploi à Trois-Rivières et même jusqu'à Sherbrooke, tôt ou tard ils vont avoir la forte tentation de revenir à Montréal pour pouvoir retrouver les avantages que leur offrent leurs associations avec, bien sûr, les magasins, les vidéos, les lieux de culte, les banques et les cliniques. Bon. Je pense que, de ce côté-là, il faudrait questionner ce qu'on trouve actuellement à Montréal et qui favorise la venue à Montréal de tous nos immigrants, de tous nos réfugiés. Ce n'est pas tout de leur trouver de l'emploi ailleurs; il faut y installer des services auxquels ils peuvent avoir recours et qui sont très importants pour eux. Il ne faut pas minimiser.

M. Boulerice: Le plan d'action pour le ministère des arts et de la culture versus communautés culturelles. Je pense que vous lancez là une piste intéressante. J'aimerais vous poser une dernière question; c'est une sensibilité que votre commission a et que j'apprécie. Vous avez parié des réfugiés, mais moi, j'aimerais parler des jeunes aspirants réfugiés qui vivent des problèmes à l'école. Est ce que vous pouvez nous dire si l'intégration de ces jeunes est possible? J'aimerais, à la fin de cette question que je vous pose, vous dire que, oui, nous avons des pouvoirs pour ce qui est dé la sélection des réfugiés. L'extérieur, ça va. Mais, par contre, ceux qui sont actuellement ici et en attente de statut, eh bien, malheureusement, c'est une condition que leur a fait vivre le gouvernement fédéral par son laxisme et qui n'est pas réglée par le même laxisme du gouvernement fédéral.

Le Président (M. Doyon): Mme Hinse.

Mme Lortie Hinse: M. Dufour va répondre à ça.

Le Président (M. Doyon): M. Dufour.

M. Dufour (Pierre): Concernant la situation des jeunes en particulier, il faut faire tout de suite une distinction qu'on oublie parfois. Il y a une différence énorme entre un jeune qui est accompagné d'un parent et même d'un ami important, surtout adulte, et puis un jeune qui est seul, qui est célibataire. Vous savez que, pour les Asiatiques en particulier, et même pour les Africains, la famille, c'est extrêmement important. Sans cet appui, ils sont vraiment démunis; de sorte que s'ils ne trouvent pas de l'accompagnement, un adulte québécois de référence qui va les aider à s'intégrer, ils vont avoir d'énormes difficultés et ils sont parfois tentés, comme on le dit dans notre mémoire, de prendre, la voie de la délinquance, si ce n'est pas le vol à l'étalage et la prostitution. Donc, il faut trouver des moyens pour les accompagner, les appuyer, et c'est plus vrai encore en région.

Le Président (M. Doyon): Merci. M. Boulerice: Je vous remercie.

Le Président (M. Doyon): M. le député, est-ce que vous avez quelques mots de conclusion?

M. Boulerice: Je ne voudrais pas être flatteur envers d'anciens collègues, mais lorsque j'étais à la régionale de Chambly mes liens étaient très étroits avec votre commission scolaire. J'étais en mesure de:., pas de quantifier, puisque je n'étais pas là comme contrôleur, mais d'apprécier la qualité de réflexion et surtout la pensée pédagogique qui animait votre commission scolaire. Je suis heureux de voir que, dans tout ce volet immigration, la pensée pédagogique est éminemment présente et je peux vous dire que c'est un enrichissement pour cette commission. Je vous en remercie, Mme. la présidente, et je remercie vos collègues qui vous accompagnent, et d'abord Mme Biondi, qui est un bel exemple d'intégration puisque sa famille a de longues racines dans ce pays.

Mme Biondi (Yvette): ...sur un plateau d'argent.

M. Boulerice: Sur un plateau d'argent. Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, je veux vous remercier également pour la présentation de votre mémoire, et surtout vous féliciter pour le travail que vous faites pour nous aider, justement, à relever ce grand défi de l'intégration. Je suivrai bien sûr de très près l'évolution de votre nouvelle politique d'éducation interculturelle. Merci beaucoup.

Mme Lortie Hinse: Merci, Mme la ministre.

Le Président (M. Doyon): Merci. Je me fais sûrement l'interprète des membres de cette commission en vous remerciant de votre présentation. Je vous invite à vous retirer pour permettre aux gens qui vous suivent d'occuper la place.

Il s'agit de la Commission des écoles catholiques de Montréal qui, d'après les documents qui m'ont été fournis, est représentée par M. Jean Trottier, Mme Louise Laurin et M. Robert Attar. Je leur demande de prendre place à la table de nos invités.

Je vous souhaite à tous les trois la bienvenue. Je vous invite donc...

À l'ordre, s'il vous plaît! Je vous invite donc à vous présenter et à procéder à la lecture de votre mémoire ou de son résumé, pour une vingtaine de minutes, le temps qui reste étant partagé également entre les deux formations politiques. Nous vous écoutons.

Commission des écoles catholiques de Montréal

M. Trottier (Jean): M. le Président, Mme la ministre, Mme et MM. les députés, laissez-moi d'abord présenter les personnes qui m'accompagnent. M'accompagneront dans cette présentation, à ma droite, Mme Louise Laurin, commissaire et membre du comité de rédaction du mémoire dont il sera aujourd'hui question, et aussi M. Robert Attar, à ma gauche, directeur de l'Office des relations interculturelles à la CECM. Je signale aussi la présence parmi nous de Mme Rolande Pelletier, vice-présidente et membre du comité exécutif de la CECM, et aussi de Mme Carmen Gadoury, membre du comité exécutif de la CECM.

L'intégration des immigrants à la CECM. La CECM accueille favorablement l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration. Vous l'avez remarqué, notre mémoire ne traite pas des niveaux d'immigration en tant que tels, mais plutôt de l'incidence de ce phénomène sur notre pédagogie.

Nous sommes heureux de participer à cette consultation publique, car les relations interculturelles sont une réalité que nous assumons quotidiennement. Ceci s'est fait par la force des choses puisque nous accueillons une forte proportion des enfants immigrants. Nous avons ainsi développé un savoir-faire original, autant par son approche que par la variété de ses services. Chez nous, les premiers efforts d'intégration des jeunes et des adultes allophones à l'école francophone remontent au début de la Révolution tranquille. Dès 1965, le Service de l'éducation des adultes de la CECM mettait sur pied des cours de langue destinés à sa clientèle pluriethnique. Puis, en 1968, les premières classes d'accueil virent le jour. Depuis peu, nous avons franchi une nouvelle étape en sollicitant la participation des membres des communautés culturelles. Nous avons mis sur pied le comité consultatif des groupes ethniques et créé l'Office des relations interculturelles.

Plus récemment, le Conseil des commissaires a adopté un plan global sur la pluriethnicité du milieu scolaire. Ce plan comporte trois volets: la langue, les relations interculturelles et la pratique pédagogique. Nous tenons à améliorer la maîtrise du français et ce, pour tous les intervenants du monde scolaire. C'est de cette façon que nous préparerons la société de demain à mieux vivre dans un milieu pluraliste où le français est la langue officielle. Pour pouvoir s'adapter à une société québécoise en mouvement et répondre à des besoins inédits, la CECM n'a jamais cessé ses recherches. C'est ainsi que nous sommes actuellement à rédiger un document traitant de l'adaptation de la pédagogie au milieu pluriethnique et du renforcement des services pédagogiques aux élèves des communautés culturelles. Je suis convaincu qu'il s'agira d'un outil précieux pour les années à venir.

J'inviterais maintenant Mme Louise Laurin à vous entretenir des répercussions de la hausse de l'immigration sur l'école montréalaise. Mme Laurin.

Mme Laurin (Louise): Selon l'énoncé de la ministre, le gouvernement du Québec désire accroître l'immigration globale. Si cet accroissement apparaît souhaitable pour pallier la baisse de la natalité, certains facteurs doivent être examinés de près. Parmi ces facteurs, mentionnons la situation économique et le fait que la capacité physique d'accueil de nos institutions et de la société montréalaise n'est pas illimitée. Il ne faut pas se leurrer sur le phénomène de la concentration urbaine des immigrants. Malgré le désir de la ministre, les diverses mesures de régionalisation de l'immigration seront difficilement applicables. L'expérience passée peut en témoigner. Près de 90 % des immigrants s'installent dans la région de Montréal. Selon les estimations, ce phénomène ira en s'accentuant. Le nouvel arrivant cherche à s'installer dans un secteur ou un quartier où se trouvent déjà de

ses compatriotes. Pour lui, H s'agit d'un sentiment de sécurité.

Au cours des dernières années, le phénomène de l'étalement urbain est apparu dans la population francophone. La population immigrante n'y échappe pas. Ainsi, on retrouve un petit nombre de membres des communautés culturelles qui s'installent à Laval ou sur la rive sud de Montréal. Cependant, il s'agit de distances peu importantes. Il est donc permis de croire que les commissions scolaires de la région de Montréal auront à faire face à Ja plus grande partie des nouvelles arrivées des membres des communautés culturelles. Or, parmi les commissions scolaires de ta région métropolitaine, la CECM en reçoit le plus grand nombre. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 1967, 4300 non-francophones fréquentaient les écoles de la CECM, soit 2,6 % de la clientèle totale. En 1990, 24 000 non-francophones fréquentaient les écoles de la CECM, soit 30,2 % de la clientèle totale. En décembre dernier, (es classes d'accueil comptaient plus de 4000 élèves et, selon les prévisions, ce chiffre atteindra 5000 d'ici la fin de l'année scolaire, ces élèves provenant de 107 pays d'origine différents et pariant 54 langues maternelles.

Avant d'établir les niveaux d'immigration, le gouvernement doit tenir compte des ressources humaines et des services disponibles. Pour relever le défi de l'immigration, tes commissions scolaires ne disposent pas nécessairement d'un personnel adéquatement préparé, d'un personnel à tous les paliers, à la constante évolution de la situation. Les institutions doivent s'ajuster constamment et répondre aux nouveaux besoins des jeunes immigrants qu'elles reçoivent.

Le second objectif de la ministre est de favoriser une immigration francophone. Même si pet objectif est fort louable, il suscite un certain nombre de préoccupations. D'abord, il nous apparaît important de préciser que les immigrants dits francophones qui s'installent ici n'ont pas toujours le français comme langue maternelle. Il s'agit souvent de leur langue seconde. Le second défi repose sur l'intégration dans la société. Le fait de parler la langue ne suffit pas à réduire les distances culturelles associées au travail, à la famille, à la religion, à la place des femmes dans la société, à la perception que certains nouveaux venus ont de l'autorité. Dans les écoles, nous devons apprendre à transiger avec toutes ces différences. Le défi de l'intégration reste entier. (15 h 15)

L'enfant immigrant doit relever plusieurs défis dont le premier est d'apprendre à communiquer dans la langue de l'école, car elle lui permettra non seulement de s'intégrer à la société d'accueil, mais elle est indispensable à l'apprentissage scolaire. Mais le français est-il seulement la langue de l'école? Comment peut-il être attrayant si le français n'est pas la langue de travail? Déjà la langue anglaise, par sa situation privilégiée en Amérique du Nord, est très attrayante. À ce chapitre de la langue de travail, le gouvernement doit renforcer sa volonté de faire du français la langue d'usage et la langue de travail. Car l'école seule ne peut relever ce défi, c'est aux autres partenaires de la société d'y participer.

M. Trottier: Les facteurs de réussite do l'intégration. Au cours des années, pour réussir à bien intégrer les enfants immigrants, nous avons vu à adapter les programmes, la formation des professeurs et la démarche pédagogique. Mais une intégration réussie passe par trois canaux.

Le premier canal de réussite, c'est l'enseignement du français et le français comme langue d'enseignement. Il faut prendre conscience que l'usage même du français comme langue d'enseignement représente dans certains milieux une difficulté de premier ordre. Depuis 1965, la CECM offre aux adultes allophones des cours de français langue seconde et, dans le champ de l'éducation populaire, des activités d'intégration à la société québécoise. Dans l'ensemble dos programmes offerts par la CECM, la population née hors Québec représente depuis quelques années entre 40 % et 50 % de la clientèle adulte de la CECM. Certains centres de formation en comptent jusqu'à 70 %. En ce qui concerne la clientèle des jeunes, la CECM ne peut que se réjouir des principales dispositions prévues pour tes milieux éducatifs dans les prochaines années, soit: la baisse de la moyenne du nombre d'élèves par groupe dans les classes d'accueil de l'ordre secondaire, le développement des services de soutien linguistique, le maintien des budgets spéciaux d'instrumentation pour les établissements à haute densité ethnique et l'ajout d'enseignants-ressources dans les écoles francophones à forte concentration ethnique.

Le second canal de réussite, c'est la participation des communautés culturelles. Depuis 1989, la CECM a mis sur pied un programme d'accès à l'égalité dans l'emploi pour les Québécois des communautés culturelles à tous les échelons de sa hiérarchie administrative. Par la création de son comité consultatif des groupes ethniques, la CECM assure une réelle participation des Québécois des communautés culturelles à son projet éducatif. Nous croyons que l'agent de milieu devrait desservir l'ensemble du milieu scolaire, le personnel et les élèves, et favoriser par des mesures concrètes l'adaptation mutuelle. Il doit devenir une clé qui incitera les élèves à adopter des attitudes favorables à la communication interculturelle, travaillera à la promotion et valorisera le français, favorisera l'intégration psychosociale de l'élève immigrant, tissera des liens entre l'école pluriethnique et les diverses communautés qui la fréquentent.

Le troisième et dernier canal de réussite, c'est une emphase sur les relations intercommunautaires. La CECM accorde son appui à l'intention du gouvernement de mettre en oeuvre

des projets favorisant le développement de relations harmonieuses entre Québécois de toutes origines en milieu scolaire et collégial. Cependant, nous remarquons que les mesures proposées dans l'énoncé de politique sont formulées de façon fort générales. Nous croyons qu'au moment où le Québec dispose davantage de leviers en matière d'admission et d'intégration des immigrants il faut mettre en place des mesures concrètes pour répondre aux objectifs formulés dans l'énoncé de politique du ministère. Il faut implanter des programmes de formation des employés et de réduction des tensions intercommunautaires. En somme, il faut soutenir par des ressources humaines et financières les commissions scolaires dans leur effort d'adaptation à la réalité pluraliste. D'autres intervenants sont nécessaires à la bonne marche du projet. Le recours aux ressources du milieu, spécialement les parents, et la sensibilisation des martres à la réalité multiculturelle constituent deux facteurs non négligeables.

Nos recommandations touchent tous les domaines d'intervention scolaire concernés par une augmentation du nombre de nouveaux arrivants. Étant donné que vous êtes déjà en possession de celles-ci, nous nous contenterons de réaffirmer leur sens général.

Premièrement, pour les services éducatifs destinés aux adultes, nous recommandons de mettre l'accent sur le français. Une meilleure accessibilité aux activités de francisation de tout genre pour les immigrants constitue la base des mesures. L'allocation des ressources financières sous forme d'enveloppe fermée oblige des institutions à refuser un certain nombre d'immigrants dans les classes de français langue seconde. La connaissance du français, c'est la porte d'entrée à une pleine participation des Québécois d'origine ethnique au cours de notre société. À ce titre, nous recommandons que les instances gouvernementales concernées donnent les outils nécessaires aux commissions scolaires pour pénétrer les milieux de travail et ainsi donner un second souffle aux efforts de francisation des travailleurs. Nous croyons que les chevauchements actuels dans les services d'éducation aux immigrants entraînent des coûts supplémentaires inutiles. Le ministère de l'Éducation est l'intervenant principal dans le domaine de l'éducation. Nous recommandons que le ministère de l'Éducation retrouve sa mission éducative et dispense les services actuellement offerts par les COFI.

Deuxièmement, pour les services destinés aux jeunes des communautés culturelles, nous considérons que le droit à l'éducation est universel. Nous recommandons que les mesures pour les jeunes des communautés culturelles aient leur équivalent dans les mesures auxquelles ont accès les autres élèves québécois De plus, nous recommandons de favoriser les initiatives pédagogiques adaptées aux classes pluriethniques par la création de postes d'enseignants-ressources et en révisant la pédagogie de l'enseignement de l'histoire du Québec et du Canada par le soutien d'une instrumentation mieux adaptée. Nous recommandons de développer des mesures particulières pour certaines clientèles, soit les sous-scolarisés, les enfants handicapés et les élèves nécessitant une insertion sociale et professionnelle.

Troisièmement, pour la participation des citoyens d'origine ethnique, nous recommandons d'accorder aux commissions scolaires les ressources nécessaires pour voir à diffuser au Québec et à l'étranger l'information sur nos services éducatifs. Nous recommandons également d'associer commissions scolaires à forte concentration ethnique et universités pour que les programmes de formation des maîtres incluent les notions essentielles à l'enseignement en milieu pluri-ethnique.

Quatrièmement et finalement, pour les relations intercommunautaires, nous recommandons que le gouvernement attribue aux commissions scolaires à forte concentration ethnique les ressources financières nécessaires pour former tout son personnel et réaliser des projets favorisant l'harmonisation des relations interculturelles.

En conclusion, nous souscrivons pleinement aux objectifs de la ministre lorsqu'il s'agit d'augmenter la proportion des immigrants francophones entrant au Québec. Par notre exposé, nous voulons toutefois souligner aux membres de la commission qu'une telle mesure ne constitue pas une finalité en soi. Bien que plus francophone, la clientèle pluriethnique qui occupera demain nos classes ne requerra pas moins de services et d'encadrement. L'arrivée dans un nouveau pays au régime pédagogique et aux règles scolaires nouveaux représente un défi pour tous les immigrants, qu'ils soient francophones ou non. Depuis plusieurs années, la CECM a vu développer des programmes pour faciliter aux nouveaux arrivants l'adaptation à un nouvel environnement scolaire. Aujourd'hui, nous tenons à vous souligner qu'il existe chez nous une expertise unique en son genre. Nous sommes prêts à partager nos expériences et nos connaissances avec le ministère et les commissions scolaires, mais nous tenons à vous mentionner qu'un tel travail a demandé, demande et demandera énormément d'efforts et de ressources. Nous considérons d'ailleurs que l'énoncé de politique demeure vague, autant face aux ressources financières qui seront disponibles à son sujet qu'au niveau du partage de celles-ci. On serait tenté de conclure en disant que l'avenir du français se joue à l'école. Je suis sûr que vous serez d'accord avec moi pour ajouter que ce n'est pas que l'avenir de notre langue qui se joue aujourd'hui dans nos écoles, mais celui de notre société, de son harmonie, de son sentiment collectif et de son ouverture sur le monde. Merci d'être à l'écoute de nos orientations à la CECM.

Le Président (M. Khelfa): Merci, M. Trot-tier. Je reconnais maintenant Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Merci beaucoup de votre présentation également. Dans votre mémoire, à la page 8, vous mentionnez que la sélection d'une immigration francophone n'assure pas à elle seule l'intégration. Je suis d'accord avec vous. En même temps, cependant, on sait très bien que, même si la connaissance du français n'est pas la panacée, elle représente quand même un atout appréciable, je pense qu'on ne peut pas le nier non plus. D'après votre expérience en milieu scolaire, quelles sont les difficultés particulières que la clientèle des immigrants francophones connaît? Tout à l'heure, on a fait allusion justement au fait qu'il y a aussi des difficultés, même si on parle français. Alors, quelles sont ces difficultés particulières que vous rencontrez en commission scolaire?

M. Trottier: Je vais demander à notre expert, M. Robert Attar, qui est reconnu dans le monde allophone, de bien vouloir répondre à votre question.

Le Président (M. Khelfa): M. Attar.

M. Attar (Rottërt): On m'appelle allophone et ça fait plus d'un quart de siècle que je suis au Québec. Né sur les rives du Nil, je suis très heureux de poursuivre ma vie avec celle de ma famille sur les rives du Saint Laurent. Voyez-vous, être francophone comme je le suis, puisque vous avez un exemple frappant devant vous, fait de moi un Québécois à part entière mais non pas un Canadien français. J'aurais pu l'être, mais je ne le suis pas. Comme moi, des dizaines et des centaines et des milliers qui sont venus au Québec et au Canada construire ce pays sont restés, par des politiques voulues, ancrées tout de même dans leurs origines. Lorsqu'on parle d'une immigration francophone, le petit peuple, les gens ordinaires comme nous se rendent-ils compte que nous parions de certaines sociétés qui ne sont pas et qui ne viendraient pas de France ni de Suisse ni de Belgique, mais francophones du Maroc, francophones de Haïti, francophones d'Algérie, francophones d'Egypte, du Liban, de la Syrie, du Vietnam et j'en passe? Toute l'Afrique francophone. Est-ce que le peuple, celui qui lit les journaux, qui lit la politique et qui vous écoute et qui nous écoute, savent-ils que c'est de ces francophones que l'on parle? Or, ces francophones n'ont pas notre culture. Ça peut être des francophones musulmans qui demandent de porter le "hijab" dans deux écoles de la CECM, qui ne veulent pas, à l'âge de 12 ans, partager des activités avec des garçons. Voilà toute la différence et l'impact que peuvent causer des immigrants qui vont avoir certainement une langue commune avec nous, qui vont être moins lourds comme budget à supporter pour les francophoniser, qui vont nous comprendre très vite mais qui n'ont pas notre culture. Et cette culture, c'est tout un monde qui comprend le patrimoine québécois; le patrimoine québécois peut être aussi la langue, la culture, la famille, la religion pour certains et pour beaucoup. Voilà où la différence va se faire et où ces nouveaux venus devront comprendre cette société d'accueil pour s'intégrer à cette société.

Mme Gagnon-Tremblay: M. Attar, est-ce que vous voulez dire, à ce moment-là, que le Québec devrait sélectionner à partir des cultures plutôt que la langue ou...

M. Attar: Non

Mme Gagnon-Tremblay: Non. (15 h 30)

M. Attar: Ce n'est pas possible de faire une sélection de cultures parce que le monde est fait de diverses cultures. Dans la même langue parlée, vous avez plusieurs cultures et dans la même langue arabe parlée et écrite, il y a plusieurs cultures. Donc, aujourd'hui nous parlons deux langues et, pour moi, la langue, elle est en marche et le français va devenir la langue de la majorité. Mais la culture, eh bien, c'est un autre domaine qui implique une façon de vivre, de se comporter.

Mme Gagnon-Tremblay: En somme, vous mentionnez que, même au niveau des élèves qui parient le français, il y a des problèmes d'intégration à cause des cultures. Mais comment évaluez-vous cette intégration comparativement à celle des immigrants allophones? Est-ce qu'elle est plus facile? Est-ce qu'elle est plus difficile? Est-ce que ça se rejoint? Comment pouvez-vous comparer?

M. Attar: Du point de vue du cheminement linguistique, elle est certainement plus facile. Du point de vue du cheminement culturel, lorsqu'un jeune de 16 ou 17 ans du Moyen-Orient n'accepte pas de se faire suspendre de l'école parce que c'est une femme qui est directrice adjointe qui le lui demande... Et ce jeune de 16 ou 17 ans lui répond dans un excellent français: Chez nous, c'est mon père qui me dit de sortir, ce n'est pas ma mère. Donc, cette autorité patriarcale, cette façon de concevoir certaines choses... Le père va lui dire: Quand je te parie, baisse les yeux. À l'école, on lui dit: Quand je te parte, regarde-moi. C'est des détails!

Mme Gagnon-Tremblay: Donc, il y a énormément d'éducation à faire avec les enfants, mais avec les familles aussi.

M. Attar: Exactement.

Mme Gagnon-Tremblay: Avec les familles. Pour être capable d'intégrer dans les classes, il faut être capable aussi de travailler avec les familles pour leur faire comprendre aussi certains droits fondamentaux que nous devons ici respecter.

M. Attar: Mais, Mme la ministre, sans les agents de milieu, comment pourrons-nous arriver à ces objectifs?

Mme Gagnon-Tremblay: Je vais revenir aux agents de liaison, parce que vous faites allusion aux agents de liaison, fort possiblement, là. Je vais y revenir. Je voudrais, par contre, avant de passer à cette deuxième question... Concernant cette clientèle de francophones versus allopho-nes, est-ce que vous avez des données sur leur performance scolaire?

M. Attar: Mme la ministre, M. le Président...

Le Président (M. Khelfa): Oui, monsieur.

M. Attar: ...j'ai des surprises parce qu'on globalise beaucoup. On généralise beaucoup. Il y a de la violence qu'on lit dans La Presse - il était noir, il était jaune, je m'en excuse - bon. C'est toujours... On catégorise les gens et on globalise les gens. Oui, il y a des difficultés. Oui, il y a des clientèles très lourdes. Mais les preuves ont été faites que 80 % de la clientèle réussissent. Pourquoi culpabiliser les immigrants et les parents ethniques en leur faisant croire que c'est à cause d'eux que les performances sont mauvaises, que la violence est dans nos écoles? Oui, il y a de la violence; oui, il y a de l'électricité dans la violence parfois. Oui, il y a des performances avec des retards scolaires incommensurables, où l'école ne peut pas répondre aux besoins de cette clientèle. Non, on ne peut pas changer les habitudes, les traditions et les valeurs, même de ceux qui réussissent. Mais il y a des écoles où sont concentrées des clientèles scolaires très lourdes, où les professeurs, malgré toute la préparation qui a été faite, malgré tous les encouragements qui leur viennent aussi bien du côté patronal que du côté syndical., parce qu'il faut le dire, ces professeurs ont le désir et le vouloir de performer avec cette clientèle, mais ils sont dépassés, ils sont découragés. À ce moment-là, les directions d'école se trouvent dans le même bain. Les intervenants scolaires, orthophonistes, psychologues... Il n'y a pas de psychologues au secondaire parce que l'enfant québécois a déjà été analysé au primaire. Il a déjà fait son cheminement, il a un dossier qui est monté, il y a des soins qui lui sont donnés, il y a un suivi. Mais le gars de 14 ans, un Latino-Américain qui monte sur les murs chaque matin, à 14 ans, il n'a pas de dossier. Pourquoi donner un service de psycholo- gue au secondaire? Il n'y en a pas pour les Québécois. Mais qui va trouver la solution pour aider le prof, pour aider la direction de l'école? Il n'y en a pas. Donc, je dois aller piger dans le budget régulier des élèves réguliers pour aider ces enfants-là. Il n'y en a pas pour... Les sourds-muets québécois qui arrivent à la CECM, il y a des écoles à vocation nationale, mais un Vietnamien sourd-muet et un Turc sourd-muet, vous les avez vus, Mme Louise Laurin, à qui il faut donner des lignes de démarche aux parents, il faut que quelqu'un intervienne. Il a fallu travailler avec trois téléphones, un interprète qui travaille dans une banque turque, les parents turcs dans une école de handicapés, puis le spécialiste. Ça ne se fait pas parce qu'il est catégorisé comme un enfant handicapé. Donc, il y a des mesures pour les handicapés. Mais, pour un handicapé allophone, on fait quoi? On l'a accepté au Québec, il faut le servir.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. Attar. Je veux revenir à votre question d'agents de liaison, parce que vous en faites état dans votre mémoire, à la page 19. Vous préconisez l'utilisation d'agents de liaison pour favoriser les relations entre l'école et les parents des communautés culturelles. Je me demande... C'est sûr que c'est peut-être une solution, c'est peut-être la solution la plus rapide, mais, dans un contexte de rareté des ressources, est-ce que c'est la seule? Est-ce qu'il y a d'autres moyens, par exemple? Est-ce que la présence d'agents de liaison, de leur communauté, ne risque pas de développer la dépendance des parents qui ne s'habituent pas à entrer en contact direct avec l'école? J'aimerais vous entendre sur ça.

M. Trottier: Mme Louise Laurin.

Le Président (M. Khelfa): Mme Laurin.

Mme Laurin: Je pense que ce qu'on préconise, ce n'est pas... L'agent de liaison serait, à mon avis, comme un interprète qui fait le lien au début, pour mieux comprendre ce qui se passe. Mais nous, ce qu'on appelle, c'est plutôt un agent de milieu, c'est-à-dire une personne qui va agir sur les élèves d'abord pour les relations intercommunautaires et interculturelles, autant avec les francophones et les diverses ethnies, et aussi qui va agir avec les familles pour les rapprocher de l'école.

Donc, à ce moment-là, ce n'est pas nécessairement une personne d'une communauté précise. Ça peut en être une, mais cette personne-là ne doit pas représenter cette communauté-là. Cette personne-là est l'agent du milieu, donc elle est l'agent, la personne qui rapproche entre eux les différents groupes ethniques et qui les rapproche au Québec français.

Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que cette personne, par exemple, pourrait provenir d'un groupe communautaire qu'on pourrait subventionner aussi ou... Parce qu'il y a toujours aussi... Si on crée, par exemple, un service permanent de ces agents au sein des commissions scolaires... Bon. Il y a quand même aussi une vague migratoire des communautés qui sera terminée, à un moment donné. Il y a aussi... Ça change. L'immigration ne nous provient pas du même endroit, des mêmes ethnies, des mêmes communautés. Donc, à ce moment-là, il faut prévoir aussi qu'un jour ou l'autre on aura à modifier. Est-ce que, par exemple, si on crée ce service permanent, on n'aura pas par la suite à déplacer ces gens ou à avoir certains problèmes? Est-ce que ça peut se faire? Est-ce que vous croyez, par exemple, que ça pourrait se faire par l'entremise de communautés avec lesquelles nous poumons créer un certain partenariat, parce qu'elles ont aussi une expertise souvent dans ces contacts?

Le Président (M. Khelfa): Mme Laurin.

Mme Laurin: Je ne sais pas si on est tous du même avis ici. Mais pour moi, ce n'est pas une personne d'une communauté donnée. Je veux dire, ça peut être une personne d'une communauté, mais c'est une personne qui oeuvre dans un domaine communautaire, qui est habituée de travailler avec (tes groupes. Ce n'est pas nécessairement une personne d'une communauté spécifique. Ça peut très bien l'être, mais il faut que cette personne-là ne soit pas au service uniquement de sa communauté à elle, mais au service autant de toutes les communautés de la société d'accueil. Parce que, à ce moment-là, on ne peut pas avoir un nombre incommensurable. On a dit 107 pays différents tantôt, je pense que ça peut être très bien joué par un francophone de la société d'accueil comme par une personne qui est très bien intégrée à la société d'accueil, mais qui vient d'une communauté ethnique. Mais c'est une personne surtout qui fait un travail social. C'est un animateur social.

Le Président (M. Khelfa): M. Attar.

Mme Laurin: Ce n'est pas de créer de ghettos des communautés si on veut qu'elles s'intègrent à la société francophone.

Le Président (M. Khelfa): M. Attar, pour compléter.

M. Attar: Oui. Si vous me permettez, l'agent de milieu, on lui a donné un nom parce qu'il fallait créer autre chose que l'agent de liaison. À certains moments de l'histoire de révolution des élèves d'origine ethnique et multiculturelle qui ont intégré la CECM, on a senti un besoin parce que certains problèmes se développaient dans certaines écoles. Donc, c'étaient des aides, une aide ponctuelle qu'on donnait. Cette aide ponctuelle s'est raffermie parce que la personne qui était là a pu remplir un rôle de psychoéducateur, d'interprète. Lorsque vous parlez, par exemple, de la communauté haïtienne, tout le monde pense qu'on est francophone. Un bon nombre n'est pas francophone. Il parle et il comprend le créole. Donc, il fallait absolument que cet agent de liaison d'origine haïtienne qui avait une formation excellente joue ce rôle de psychoéducateur, d'intervenant, d'interprète, etc. Il peut y avoir trois genres de formules d'aide. Il y a l'agent de liaison dont il faudra vraiment définir le rôle, le travail qu'il fait, ses relations avec le milieu des professeurs et la famille. Les agents de milieu, nous les avons appelés ainsi grâce à la seule physionomie ethnique de la CECM. La seule physionomie ethnique de la CECM, ce sont les professeurs du PELO. Nous sommes en train de faire un inven taire de toute notre population dans le cadre de l'accès à l'égalité, mais nous savons d'ores et déjà que nous ne dépassons pas les 4 % ou 5 % de notre clientèle, de nos professeurs qui seraient d'origine ethnique. Cependant, les professeurs du PELO sont au nombre de 52 et ils enseignent neuf langues d'origine. Mon ami et cher collègue du ministère de l'Éducation, M. Latif, connaît le dossier et il essaie de nous aider, sauf que nous n'avons pas les moyens de multiplier... Pourquoi? Parce que ceux qui connaissent les familles au primaire, ceux qui connaissent la communauté au primaire, ceux qui connaissent notre milieu scolaire au primaire, ceux qui vivent avec des professeurs des classes régulières, ce sont ces professeurs du PELO qui connaissent les valeurs, les traditions et qui peuvent faire le joint. Nous avons diffusé un livre en neuf langues pour que les parents comprennent notre milieu scolaire, comprennent nos services. Ces personnes servent d'interprètes avec l'école, avec les professeurs, sauf qu'ils sont payés des montants dérisoires. C'est quelques heures par semaine. Donc, au primaire, on pourrait utiliser ce personnel dans les écoles puisque, si le PELO est là, c'est qu'il y a concentration ethnique.

Mme Gagnon-Tremblay: Je vois que Mme Laurin hoche la tête.

M. Attar: Finalement, je devrais ajouter que la troisième ressource serait les parents eux-mêmes, les parents qui, après avoir appris le français, pourraient et peuvent travailler à l'intérieur de l'école comme relationnistes entre l'école et les parents.

Le Président (M. Khelfa): Merci, M Attar

Mme Gagnon-Tremblay: Vous aviez des précisions à apporter, Mme Laurin? (15 h 45)

Mme Laurin: Oui. L'expérience vécue... Le professeur du PELO est un excellent agent de liaison. Mais l'agent de milieu, c'est plus qu'un agent de liaison. Moi, je vais essayer encore de clarifier cette notion-là. Les professeurs du PELO nous ont aidés beaucoup à rapprocher les parents de certaines communautés mais pas de toutes parce qu'on n'a pas toutes les langues dans nos écoles. C'est très... Pour mieux se comprendre, comme interprètes, mais ces gens-là n'ont pas de formation sociale. Souvent, ce sont des enseignants, mais ils n'ont pas de formation en relation d'aide. Ils n'ont pas de formation en milieu communautaire tel quel. Donc, dans leur rôle, ils vont aider la progression de certains parents mais ils n'auront pas le rôle d'agent de milieu qui est beaucoup plus large, qui va permettre, je pense, entre autres, surtout à nos écoles secondaires à forte concentration ethnique où non seulement les francophones sont en minorité, mais il y a tellement de différences d'ethnies qui peuvent souvent... qui créent des tensions interethniques. À ce moment-là, cette personne-là aura le travail de créer une communauté nouvelle.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. M. le Président, dans votre mémoire, à la page 9, vous manifestez un grand intérêt pour la mise en oeuvre de formules d'apprentissage du français en milieu de travail. Je trouve ça très intéressant. C'est à la page 9 de votre mémoire. Comment voyez-vous l'implication d'une commission scolaire comme la CECM dans de tels projets?

M. Attar: Vous savez, j'avais donné un exemple...

Le Président (M. Khelfa): M. Attar.

M. Attar: Excusez-moi, M. le Président. Quand j'ai eu le plaisir, pendant cinq ans, de collaborer avec le Conseil des communautés culturelles et de l'immigration du Québec... Vous savez, demander à un manufacturier qui fait 200 ou 300 gilets par jour: Tu vas arrêter tes machines parce qu'on va enseigner le français... Je vais vous dire, madame, moi, j'ai 200 gilets à sortir par jour, je vais les sortir. C'est mon gagne-pain. Je ne peux pas arrêter les machines. Si on nous disait: Écoute, en collaboration avec le Service de l'éducation des adultes de la CECM, tu ouvres ta shop le matin, là, un peu plus tôt, puis si tu fais ça, tu ne perds pas, tu n'es pas sur tes heures de travail. Il y aurait des cours donnés le matin, tôt, on n'est pas fatigué, l'esprit peut absorber certaines choses, mais dans le vécu de ces personnes sur leurs machines, sur le fil à coudre, sur les ciseaux, vraiment un cours adapté à leur travail qui les incite... Ça peut être, un jour, un petit lunch, c'est le beurre, c'est le pain, ça peut être... Mais bien structuré, bien organisé, et ça n'entre pas dans les heures de travail, il y a un encouragement à ces ouvriers et à ces ouvrières qui veulent se franciser sous des formes qu'on pourrait considérer, et le bonhomme aurait un petit reçu de déduction d'impôt à la fin de l'année pour encouragement à la francophonie. Ce ne seraient pas des milliards ni des millions. C'est une formule très banale, mais, si on l'étudie sous différents aspects, il se peut qu'on puisse par des projets expérimentaux, avec des programmes bien préparés, avec notre collaboration pouvoir mettre sur pied peut-être des expériences comme celle-là dans beaucoup de manufactures où ces mères de famille dont les enfants se trouvent chez nous...

Mme Gagnon-Tremblay: Mais vous savez qu'il existe déjà des crédits d'impôt, actuellement, pour la formation professionnelle, et bien sûr que ça comprend aussi la francisation. Est-ce que la commission scolaire a déjà expérimenté des expériences similaires ou bien si c'est quelque chose que vous proposez ou si vous avez déjà expérimenté quelque chose dans ce milieu?

M. Attar: Non.

Mme Gagnon-Tremblay: Non. C'est à faire?

Mme Laurin: Oui, il y en a un petit peu...

M. Attar: Oui, il y a d'autres formules. Madame peut vous expliquer, Mme la commissaire, des formules qu'elle a utilisées dans son école et qui ont été très efficaces.

Mme Laurin: Oui. Déjà, le Service de l'éducation des adultes, à tous les groupes d'éducation, à des groupements communautaires ou des groupes populaires, donne des cours de français et donne aussi des cours d'intégration à la société québécoise aux groupes qui lui font la demande. Alors, le directeur du service des adultes me dit qu'il serait prêt, en milieu de travail même, à transposer. Et, si les milieux de travail le demandent, qu'il serait prêt à le faire. Mais il y a d'autres formules pour qui, la francisation, c'est la francisation aussi des parents au niveau des écoles, en même temps que leurs enfants. Cette formule s'avère très heureuse et les parents et les enfants sont davantage motivés en suivant la démarche de l'école dans l'apprentissage du français. Pour moi, c'est une chose qui devrait être presque institutionnalisée dans nos écoles, non seulement... parce que déjà en rapprochant la famille de l'école, on la rapproche aussi de la société.

Le Président (M. Khelfa): Merci, Mme Laurin. Rapidement, M. Attar, parce que c'est le temps que...

M. Attar: Je complète ce que dit Mme Laurin, qui est très efficace. Elle a vécu des expériences et nous avons vécu d'autres expériences à Saint-Luc et à d'autres écoles, Lam-bert-Closse. Cependant, nous avons une forte demande de revendicateurs du statut de réfugié. Je sais que, si on se promène, comme disent les Anglais, "by the book", on n'en sortira jamais. Je pense qu'on a assez de finesse pour trouver des solutions parce que si le Québec accepte d'envoyer des enfants de revendicateurs du statut de réfugié aux classes d'accueil, et ça nous coûte au-dessus de 7000 $, l'expérience des mères de famille qui suivent des cours dans les mêmes écoles que les enfants coûte quelques piastres par mois... Or, je me demande pourquoi toutes ces mères de famille qui ne peuvent pas travailler, qui sont à la maison et qui peuvent profiter de ce projet ne peuvent pas être admises. Demain matin, j'aurais immédiatement de 5 à 10 classes.

Le Président (M. Khelfa): Merci, M. Attar. Je reconnais maintenant M. le député de Sainte-Marie-Saiht-Jacques.

M. Boulerice: Oui. Eh bien, M. le vice-président, Mme la commissaire, et je me permettrai d'ajouter chère amie. Quant à vous, M. le directeur, nous sommes de vieux complices depuis déjà au moins 20 ëhs. Donc, c'est toujours un plaisir de vous revoir.

J'ai noté, dans votre mémoire, deux choses: la première est votre appui au projet de loi que l'Opposition a déposé au sujet de la francisation des entreprises de 50 employés et moins. C'est au-delà de 100 000 entreprises. Une langue qu'on laisse au vestiaire est une langue qui n'est pas utile. Donc, je pense que vous avez un peu répondu, à cette page-là, à la question que vous posait Mme la ministre, tantôt. J'ai aussi remarqué une idée qui est fort originale et vous êtes, je crois, le premier groupe à présenter cette idée qui est d'associer les commissions scolaires qui ont une expérience de "pluriethnicité" dans la formation des maîtres à l'université. Je pense que là vous apportez quelque chose de vraiment authentique parce qu'on peut songer, comme disait mon ami, tantôt, M. Attar, en s'exprimant en latin - puisqu'il est très polyglotte - "by the book". Mais si ce "by the book" n'est pas assimilé par celui qui va se retrouver demain devant ces enfants issus de diverses communautés, eh bien, je pense qu'on aurait fait fausse route avec tous les beaux manuels, les directives et les programmes. Ça se fait complètement, cette participation. En stage...

M. Attar: Voyez-vous... M. le Président, il y a actuellement... Ce n'est pas un désert, il y a déjà des choses qui se font, au Québec. L'Université du Québec a mis sur pied, en collaboration avec les instances et le ministère de l'Éducation, les commissions scolaires, après consultation, un certificat d'éducation interculturelle. Ce que nous disons, nous, c'est un certificat qui est donné à des personnes qui vont aller suivre ce cours mais dans la formation en général, dans la formation des maîtres, que ce soit dans n'importe quelle université... Et vous savez fort bien que d'ici cinq ans - Mme la présidente de la CEQ pourra confirmer le nombre exact - il y aura des dizaines de milliers de professeurs qui prendront leur pension. Vous savez fort bien que le "boom" de l'éducation, enfin, est arrivé avec la Révolution tranquille, que dans les années 1960-1965 les professeurs ont commencé à arriver avec toute la qualification nécessaire et que dans les années 1990-1995 ils vont quitter. Ils quittent déjà, à 32 ans de service. Donc, c'est par milliers et nous manquerons de profs comme l'Université de Montréal manque actuellement de profs et va les chercher ailleurs parce qu'on ne se lance pas dans la recherche, on ne se lance pas dans le Ph.D., dans le doctorat. Et il faut... Donc, nous allons manquer... Or, pour le peu de personnel que nous pourrons remplacer, il n'y a actuellement aucune formation pour tout le monde, aussi bien le professeur d'histoire que de géographie, que de français et que de mathématiques. Et moi, je trouve que ça, c'est une lacune très grave parce que nous allons nous retrouver de nouveau dans un contexte où ces personnes vont avoir à faire face... Et vu les projets d'augmentation des niveaux d'immigration, ils vont de nouveau, ces nouveaux professeurs, faire face... Nous avons des cours de perfectionnement, le ministère a mis des cours très bien préparés. Le ministère de l'Éducation a préparé, à Montréal, des cours de perfectionnement de personnel mais vous ne pouvez pas toucher tout le monde. Donc, si, à la base, les universités, avec l'expérience qu'a la CECM, ne prennent pas les mesures nécessaires pour corriger la situation, bien, on va se retrouver, dans 10 ans, en commission parlementaire et parlant de la même affaire.

Le Président (M. Khelfa): Mme Laurin, vous voulez compléter?

Mme Laurin: Oui. D'abord, il y a deux choses. Ce que M. Boulerice a mentionné, ce n'est pas tout à fait ça mais je suis contente que M. Attar l'ait relevé. C'est que c'est tragique, actuellement... Il est permis, à l'université, de ne suivre aucun cdurs, aucune sensibilisation au développement et à l'ouverture des autres cultures. Ce n'est pas obligatoire et je trouve ça tragique. Absolument! Les enseignants, actuellement, se forment sur le tas, on essaie d'aller grappiller un peu de cours de perfectionnement. Et ce ne sont pas seulement les enseignants, c'est tous les personnels. Si on veut accueillir beaucoup d'immigrants, il faut une formation de tous les personnels. Ce que je trouve absolument

tragique, actuellement, c'est que nos futurs maîtres - les commissions vont se vider - ne sont pas prêts à ça.

Mais, M. Boulerice, ce dont vous faisiez mention, je pense que c'est un autre apport que nous avons souligné. C'est que la CECM souhaite en plus que l'université et les milieux scolaires pluriethniques s'associent pour entreprendre une recherche sur l'apprentissage et l'enseignement en milieu pluriethnique. C'est plutôt ça. Je pense qu'à ce moment-là... Parce que, déjà, certains enseignants, les conseillers pédagogiques ont développé de l'expertise dans l'enseignement sur l'apprentissage, mais il faut aller plus loin. À ce moment-là, il faudrait que l'université aussi s'engage dans une... Il y a déjà quelques recherches, actions, mais que ça aille beaucoup plus loin dans ce sens-là. Il faut développer une pédagogie différente, une adaptation différente et ça ne vient pas tout seul. Donc, il faut constamment accumuler de l'expertise et l'université peut faire une recherche dans ce sens.

Le Président (M. Khelfa): Merci, Mme Laurin. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: Votre commission scolaire n'a pas de règle interne quant à l'assignation de l'école, contrairement à d'autres commissions scolaires qui en ont. Donc, ce qui fait...

Le Président (M. Khelfa): M. le député, voulez-vous répéter votre question?

M. Boulerice: On peut habiter Rivière-des-Prairies et décider d'aller à l'école à Côte-Saint-Luc. Vous n'avez pas cette règle qui existe dans d'autres commissions scolaires, ce qui a amené certaines écoles à avoir de très fortes concentrations comme telles. Est-ce que vous croyez qu'il doit y avoir un dosage? Est-ce que vous croyez qu'il y a un danger d'avoir une école où la quasi-totalité des élèves sont de nouveaux immigrants alors que, comme je vous le disais, l'ancien CQEE, ou le Conseil québécois pour l'enfance et la jeunesse, disait qu'il était dommageable pour le nouvel arrivant, pour son intégration, de ne pas avoir de référence venant de la société d'accueil puisqu'elle est absente de l'école? À toutes fins pratiques, elle peut, à certains endroits, représenter 10 %, 15 %, 20 %, peut-être 30 % de l'école au maximum.

M. Attar: Je vais vous donner une informa-tion qui va vous étonner, Il y a une école - je prends ça comme exemple - qui existe actuellement, au primaire, qui n'a pas de maternelle régulière française. Une école primaire qui n'a pas, cette année-ci, une classe de maternelle régulière française. Cela signifie qu'il n'y a que des maternelles d'accueil. Cela signifie qu'il n'y a aucun francophone de vieille souche ou de nouvelle souche dans cette école. Cela signifie que cette école, dans quelques années, sera à 100 % composée d'enfants de communautés culturelles et pas un seul Québécois. M. Michel Paillé, eminent démographe, soulignait samedi dernier le développement de cette démographie qui fera que, d'ici 10 ans, il y aura un pourcentage d'écoles qui n'auront aucun Québécois. Mais cela n'est pas un phénomène étrange.

Vous le trouvez en France, vous le trouvez en Floride, vous le trouvez dans certaines écoles d'Amérique, de la Californie, où les Latino-Américains sont en majorité. C'est un phénomène qui se développe à travers le monde, là où il y a des concentrations. Donc, les États-Unis, qui n'ont qu'une seule langue, il n'y a aucun danger, se trouvent actuellement pris. En France, en octobre dernier, une délégation, avec l'inspecteur général de l'enseignement du français, est venue rencontrer le ministère et a demandé de rencontrer la CECM pour visiter nos écoles. Avec toute l'expérience qu'a la France, elle se trouve dans des situations où ils n'ont pas d'outils, ils ne savent pas quoi faire, alors que là-bas il n'y a pas de danger d'anglicisation, il n'y a aucun danger.

Moi, j'ai vu de mes propres yeux, il y a 10 ans, à Aix-en-Provence, le jardin de la France, les "harkis", qui sont les Algériens qui se sont battus pour la France, ils ne pouvaient plus rentrer chez eux. Ça faisait 20 ans qu'ils étaient là, on ne parlait pas français. Donc, ces situations nous étonnent parce que nous vivons cela progressivement mais il faut se préparer. La régionalisation ne réglera pas les problèmes parce que ça va se répéter dans les régions. Donc, c'est une société en mouvement et à laquelle nous devrons faire face si nous ne voulons pas fermer les portes complètement et je ne sais pas comment on va le faire. (16 heures)

M. Boulerice: Vous dites, M. Attar, qu'une école composée exclusivement ou à plus de 80 % ou 90 % de communautés culturelles, ce n'est pas problématique dans la mesure où on a les bons instruments.

M. Attar: Non, je ne dis pas cela. M. Boulerice: Non.

M. Attar: Je dis que si on veut équilibrer dans une école un environnement québécois, un environnement français... Un environnement de langue française, du fait français, c'est une chose, mais un environnement de culture québécoise avec des élèves et des parents québécois, ça deviendra problématique certainement et insoluble parce que faire du "busing"... Si, moi, j'ai des enfants sur le boulevard Rosemont, je ne «/eux pas les voir traverser la ville pour aller à Saint-Pascal-Baylon. Donc, ceux qui préconisent un certain "busing", c'est rêver en couleur.

M. Boulerice: Mais le "busing" se fait. On part de Rivière-des-Prairies pour aller sur Côte-Saint-Luc.

M. Attar: Pas nous autres. Voyons donc, jamais! Le choix de l'école se fait au secondaire si les parents l'exigent et que le directeur d'école dont relève l'élève dans son quartier accepte que l'élève quitte son école. Chez nous, les classes d'accueil sont régionalisées. On ne peut pas traverser les frontières d'une région.

M. Boulerice: Alors, M. Attar, pourquoi est-ce important qu'il y ait une référence culturelle québécoise? Puis je vais mettre ça en relief avec ce que vous dites en page 12. Vous dites: "Que l'enseignement de l'histoire et de la géographie du Québec et du Canada en classes pluriethniques soit valorisé. Les enseignants ont maintes fois évoqué la difficulté d'enseigner ces matières." En lisant ça, moi, je me rappelais une longue discussion avec le président Senghor qui me disait sérieusement: "Nos ancêtres, les Normands".

M. Attar: Quelle page? M. Boulerice: Page 12. M. Attar: Oui.

M. Boulerice: Je vous demandais. En quoi est-ce important d'avoir une référence culturelle québécoise en milieu scolaire? Et je mettais ça en relief avec ce que vous dites, eri page 12, sur l'enseignement de l'histoire et de la géographie où vous vous dites que c'est extrêmement difficile d'enseigner ces matières en classes phiriethniques.

M. Attar: Vous savez que la discipline de l'histoire et de la géographie, chez nos Québécois, jeunes Québécois de famille de vieille souche, ce n'est pas le fleuron de la classe. Vous êtes un pédagogue, vous devez le savoir. Et, si nous demandons à ceux qui viennent d'arriver de faire ce que nous ne faisons pas nous-mêmes, on commence à se poser de vraies questions. Mais il y a des profs qui ont ce génie, sans outil. Nous avons fait beaucoup dans la démarche avec le ministère de l'Éducation et les services centraux de la CECM, nous avons beaucoup fait sur le côté pédagogique de l'enseignement du français. On peut s'améliorer. Ce qui manque à nos profs, c'est comment adapter l'enseignement d'autres disciplines en introduisant le facteur interculturel. Je connais un prof qui, dans un cours d'histoire, disait à sa classe et à ses Québécois, et il y avait des jeunes immigrants: Vous savez, quand Jacques Cartier est arrivé, il n'a trouvé que de la neige et de la glace au point que les Espagnols disent que le nom Canada vient de "aca" et 'nada". Il n'y a rien. "Aca", ici, "nada", rien. Bon. Donc, le professeur faisait... Au moment où il y avait de la neige, ça couvrait tout le Québec. Alors, le jeune immigrant a dit au professeur: Vous savez, moi, en arrivant, je n'ai pas vu la maison. J'ai vu la maison de mon oncle et de ma tante couverte de neige et ça m'a frappé. Le petit Québécois ne remarque pas ça chaque matin. Le professeur, lui, disait: Voyez-vous, les premiers Français qui sont arrivés ici ont dû avoir les mêmes réactions que ce jeune immigrant, ils ont constaté cette différence que vous ne voyez pas. Et il a fait un rapprochement entre Cartier et cette famille vietnamienne qui arrivait du Vietnam. Donc, je le répète, l'histoire et la géographie, malheureusement, qui sont peut-être des disciplines qui vont enrichir la classe, qui vont permettre à un Vietnamien de parler du Vietnam et de l'Asie et à d'autres de pays d'origine qu'ils connaissent... L'introduction à l'intérieur de l'histoire et de la géographie d'éléments qui enrichissent la classe, malheurement, cela nous manque et ce sont des outils qu'il faudra fabriquer.

M. Boulerice: Une question que j'aimerais adresser à Mme Laurin puisque vous avez été longtemps directrice d'école. Mme Laurin, est-ce que les parents immigrants sont présents au comité d'école et est-ce que vous croyez que les parents, globalement, sont en mesure d'accompagner les enfants dans leur démarche scolaire?

Mme Laurin: Les parents, au niveau du comité d'école, ça prend plusieurs années avant de... parce qu'il faut qu'ils comprennent très bien les nuances de la langue pour être capables de discuter au niveau du comité d'école. Ça ne se fait pas immédiatement. Ça peut prendre.. Tout dépend des personnes. Si elles maîtrisent assez bien la langue, elles vont participer facilement au comité d'école, sinon... J'en ai connu qu'on a comme un peu forcées et qui ont démissionné parce que c'était trop pour elles pour suivre l'ensemble. Par contre, l'ensemble des parents immigrants est désorienté aussi souvent par notre système scolaire. Alors, à ce moment-là, ça nous appartient de les initier à notre système scolaire. Et, s'il faut le faire, il faut le faire, moi, je me dis, d'abord dans les langues d'origine pour qu'ils comprennent la démarche générale qu'on adopte. Par la suite, les inviter à le faire en français.

M. Boulerice: Et la deuxième question que je posais: Est-ce que vous estimez que les parents, globalement, sont capables d'accompagner les enfants dans leur cheminement scolaire?

Mme Laurin: Mais non. Même nos parents québécois de souche ne sont pas tous habilités à le faire non plus. Mais je pense qu'on peut les initier à cette démarche, qu'on peut leur montrer ce qui se fait À ce moment-là, si on leur offre...

Comme chez nous, on leur offrait un cours où on leur montrait la démarche. Chez les petits, ça se fait bien. Chez les plus vieux, c'est plus difficile. Mais on leur montrait à l'aide des mêmes textes que les enfants, on leur montrait comment on montre aux enfants à lire et à écrire. Les parents, à ce moment-là, étaient capables de suivre cette démarche-là. C'est des projets comme ça qu'il faut multiplier parce que non seulement ils suivent la démarche de leur enfant, mais, en plus, ils se familiarisent avec tout ce que l'école vit, tout ce qu'on vit au Québec.

Le Président (M. Doyon): M. Trottier voulait ajouter quelque chose.

M. Trottier: Je pense que, pour favoriser l'intégration des parents dans le contexte des comités d'école, il faut laisser faire le temps et c'est toujours long, cette intégration-là. D'ailleurs, la prochaine semaine interculturelle, prendre le temps de se connaître... Moi-même, j'ai expérimenté la même chose que ma collègue. J'avais même deux parents qui étaient membres de mon comité d'école, mais au bout de deux mois ils sont disparus. Je n'ai pas pu les réintégrer parce que, justement, ils n'étaient pas habitués à vivre dans le nouveau contexte québécois. Mais on tente des essais et je pense qu'avec le temps on aura certainement des choses intéressantes à vous divulguer.

M. Boulerice: J'avais commencé la discussion avec un commissaire d'écoles chez vous dont le nom est assez connu. Il est malheureusement absent aujourd'hui. Vous avez un commissaire d'écoles qui s'appelle André Boulerice. Bien des gens ont cru que je sollicitais un double mandat. Ha, ha, ha! En avoir deux, mes collègues vont dire que c'est beaucoup trop pour le Québec, mais enfin. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boulerice: Un, c'est déjà beaucoup, dit notre président. Je sais qu'il le dit avec taquinerie et amitié. La question que je voulais vous poser: Est-ce que je vous interprète, est-ce que je fais une bonne lecture? Vous semblez critiques face aux COFI et j'ai l'impression que - c'est un mot banni dans mon vocabulaire - vous voulez parler de rapatriement de certains pouvoirs...

M. Trottier: Écoutez, concernant...

M. Boulerice: ...en ne vous souhaitant pas un Meech à ce niveau-là.

M. Trottier: ...la recommandation que nous faisons suite à l'énoncé de politique, nous aimerions que les COFI reviennent au ministère de l'Éducation afin d'assurer une certaine cohérence éducative, que tout l'aspect pédago- gique, que toutes les orientations scolaires face à la scolarisation des immigrants relèvent du ministère de l'Éducation comme ça se faisait auparavant. Nous, on ne veut pas susciter de combats entre ministères. Ce n'est pas ça qu'on veut faire. Nous, on se place pédagogiquement devant la situation et on aimerait que la situation redevienne comme auparavant et on favorise cette orientation-là.

Le Président (M. Doyon): Une dernière question, peut-être, M. le député.

Mme Laurin: Est-ce que je peux...

M. Boulerice: Je pense que Mme Laurin...

Le Président (M. Doyon): Oui, Mme Laurin.

M. Boulerice: ...veut ajouter. Ça servira de question.

Mme Laurin: Non, mais pour compléter ce que M. Trottier vient de dire, c'est qu'il nous apparaît bizarre qu'il y ait comme deux ministères de l'Éducation: un pour les immigrants et un autre pour les autres ou je ne sais pas. On trouve ça... Est-ce que les autres ministères ont aussi leur réseau scolaire? Je ne pense pas. En fait, c'est dans cet esprit-là, parce que ça double les services. Si on veut rapatrier de l'argent, c'est peut-être un moyen aussi. Mais ça double les services. Le ministère peut donner ses orientations, je me dis, mais l'expertise en pédagogie relève du ministère de l'Éducation.

M. Boulerice: II y a de grandes écoles d'État qui relèvent de ministères effectivement, mais je pense que vous nous suggérez tout de suite une question à poser à ceux qui vous succéderont dans les jours à venir, le Syndicat des professeurs de l'État du Québec, pour voir dans quelle mesure ils ne favorisent pas ce transfert latéral. Je pense que nous en sommes au moment de la conclusion, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): S'il vous plaît, M. le député, oui.

M. Boulerice: Eh bien, je vais vous remercier, M. Trottier, Mme Laurin et M. Attar, de votre participation. Je pense que la CECM se devait de faire entendre sa voix et je vois que vous êtes tous partisans d'une école très ouverte aux immigrants. De toute façon, c'est de visu sur notre territoire, sauf qu'il faut se donner les moyens. À ce niveau-là, je pense que vous avez apporté dans la série, je crois, des 17 résolutions des éléments drôlement importants.

Je conclurai en disant que vos collègues de Sainte-Croix trouvaient certains énoncés globaux. Il va de soi que ce sera suivi par un plan d'action, la ministre l'a annoncé. Je souhaiterais

avec vous, sans aucun doute, comme avec les gens de la commission scolaire Sainte-Croix, que le plan d'action fasse l'objet également d'une discussion comme celle que nous avons puisque c'est beau discuter du principe, mais, si le plan d'action n'est pas discuté avec l'expertise des gens comme vous, on pourrait peut-être faire fausse route. Ça serait dommage. C'est le Québec qui écoperait et non pas les individus, là.

M. Trottier: Est-ce que je peux compléter ce que monsieur vient de dire?

Le Président (M. Doyon): Très rapidement, M. Trottier, le temps étant écoulé.

M. Trottier: C'est que nous suggérons fortement qu'il y ait un plan d'action qui complète l'énoncé de politique, peut-être dans un court délai d'une année, en l'exprimant dans divers milieux scolaires. Et, au bout d'une année, on l'évalue, et peut-être refaire une consultation populaire pour voir les différents aspects, s'ils comblent les espérances et les attentes des commissions scolaires.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Trottier. Mme la ministre, quelques mots de conclusion.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Écoutez, je voudrais conclure justement peut-être sur la question de la formation des maîtres. Nous avons justement, à la page 57, une mesure concernant l'intégration de l'éducation interculturelle à la nouvelle politique de formation des maîtres, et la mise en oeuvre subséquente de mesures adaptées aux ordres préscolaire, primaire, secondaire et collégial. Je dois vous dire aussi que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science se préoccupe également de ce facteur et a l'intention d'intégrer cette dimension à sa future politique dans ce domaine. De plus, il y a déjà un groupe de travail de la CREPUQ qui se penche actuellement ou qui se penchera sur l'adaptation des universités, notamment en matière de programmes de formation.

Et aussi, peut-être en conclusion, je voudrais aussi, M. Attar... Nous avons signé ensemble des ententes, par exemple pour donner de la formation aux parents en même temps qu'à leurs enfants. Je dois vous dire que nous sommes en train actuellement... D'ici quelque temps, nous serons plus en mesure d'évaluer l'impact de ces ententes que nous avons signées avec les commissions scolaires, mais je suis heureuse par contre de constater que l'expérience semble être profitable chez vous. Alors, je vous remercie beaucoup de la présentation.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, Mme la ministre Donc, les remerciements de cette commission à Mme Laurin, à M. Trottier et à M. Attar. On leur souhaite un bon retour à Montréal.

Alors qu'ils se retirent de la table de nos invités, j'inviterais maintenant les représentants de la Centrale de l'enseignement du Québec à bien vouloir prendre place à la table, en avant.

La Centrale de l'enseignement du Québec est représentée par Mme Lorraine Pagé et M. Henri Laberge. Me Micheline Jourdain devait être avec vous. Je ne sais pas si elle y est.

Mme Pagé (Lorraine): Elle n'est pas avec nous.

Le Président (M. Doyon): Elle ne sera pas avec vous. Alors, bienvenue à vous deux, Mme Pagé et M. Laberge. Les présentations étant faites, étant donné que vous êtes seulement deux, vous pouvez passer dès maintenant peut-être à la présentation de votre mémoire, pour une vingtaine de minutes, la conversation s'engageant pour une partie égale de temps entre les deux côtés de cette table. Vous avez donc la parole, Mme Pagé

Mme Pagé: Vous me permettrez d'attendre, M. le Président, que les députés soient revenus à leurs places. (16 h 15)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre! Silence dans la salle, s'il vous plaît. Je demanderais à tous et chacun de reprendre leur place dans la salle, s'il vous plaît, les rencontres pouvant se faire à l'extérieur. C'est plus facile et plus commode pour tout le monde. Mme Pagé.

Centrale de l'enseignement du Québec

Mme Pagé: Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, c'est avec beaucoup de plaisir que notre Centrale se présente aujourd'hui à la commission parlementaire pour faire valoir son point de vue sur le projet de politique de l'immigration qui est mis de l'avant par la ministre.

Comme organisation syndicale regroupant au-delà de 120 000 personnes oeuvrant dans l'éducation surtout mais également dans la santé, les affaires sociales, les loisirs, les garderies, les communications, la CEQ s'est déjà exprimée à plusieurs reprises sur les questions d'immigration et d'intégration des communautés culturelles. On ne peut plus compter nos interventions, les présentations que nous avons faites dans des colloques, les travaux que nous avons menés, les recherches que nous avons publiées et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous venons donc vous faire part de notre point de vue. Je dois d'ail leurs vous rappeler que notre 31e congrès, en juin 1988, avait adopté un ensemble de résolutions proclamant la nécessité d'une politique globale do la population au Québec qui devait intégrer des préoccupations liées à l'immigration

el à l'intégration. Lors do notro dornior congrès en juin 1990, alors que nous nous prononcions en faveur de l'indépendance nationale du Québec, nous avions en même temps adopté une déclaration de principe sur le caractère pluriethnique et français de la société québécoise. J'ai apporté, à l'intention de la ministre tout particulièrement, la recherche que nous avions produite à ce moment et cette déclaration de principe. Je dois aussi vous dire que présentement nous avons mis en débat et en consultation auprès des communautés culturelles - c'est probablement une première pour une organisation syndicale - un projet de politique de l'éducation interculturelle. Nous avons donc beaucoup de choses à vous dire aujourd'hui.

Tout d'abord, permettez-moi de vous dire que les principes et orientations de base qui sont présentés sont, dans une large mesure, ceux que nous préconisons depuis plusieurs années. Toutefois, nous craignons que les moyens de mise en oeuvre de la politique ne soient pas proportionnés à l'importance des défis à relever et des bonnes intentions qui sont formulées.

Les principes et l'approche globale. Tout d'abord, c'est rafraîchissant de voir qu'on ne nous parle pas seulement d'augmentation ou de diminution du volume de l'immigration, mais qu'on aborde cela dans un énoncé de politique qui traite en profondeur des principes qui doivent dicter l'action gouvernementale. Ces principes - comme je le disais en ouverture - nous apparaissent globalement convenables. Ils tiennent compte à la fois des droits fondamentaux des personnes venant s'établir au Québec et également des besoins fondamentaux de la société d'accueil de préserver sa cohérence et son développement. De plus, l'immigration est présentée comme un outil de développement de la société québécoise et non pas comme une panacée à tous nos problèmes. Je crois que c'est là une approche qui est réaliste, qui est franche et qui est responsable. Toutefois, nous avons tout de suite deux points de désaccord que je dois vous signaler.

Tout d'abord, notre premier point, c'est qu'on nous présente l'entente Couture-Cullen comme la confirmation de la maîtrise du Québec sur la sélection à l'étranger des immigrants indépendants, alors que le Québec n'a acquis qu'une autorité administrative révocable sur une partie d'un domaine qui est toujours soumis au pouvoir législatif prépondérant du Parlement fédéral. Nous ne nions pas l'importance de l'autorité administrative. Nous reconnaissons l'entente Couture-Cullen comme une étape nécessaire. Nous reconnaissons que la nouvelle entente Québec-Canada qu'on vient de ratifier va élargir l'étendue et la portée des pouvoirs administratifs, mais nous estimons que ce n'est pas suffisant et qu'on doit vraiment manifester une volonté ferme de récupérer au Québec la totalité du pouvoir législatif exclusif, surtout en ce qui concerne l'immigration, y compris la réception et l'accuoll des personnes réfugiées, la naturalisation et l'intégration. J'espère que le Parti libéral pourra s'inspirer de cette recommandation dans les débats qui auront lieu au prochain congrès sur le rapport Allaire.

Deuxième point de désaccord. À notre avis, la société qui intègre se doit de maîtriser pleinement sa politique d'immigration, c'est vrai. D'autre part, la société qui accueille la population immigrante doit disposer de tous les moyens propres à assurer son intégration harmonieuse, ce qui implique, pour nous, la pleine maîtrise de l'aménagement linguistique, de la politique culturelle, de l'éducation et de la formation ainsi que de la sécurité sociale et du développement des institutions communautaires, là aussi des champs où il ne devrait pas y avoir chevauchement de compétence entre le fédéral et le provincial, un deuxième élément de réflexion pour les débats qui sont les vôtres.

Maintenant, sur les enjeux et objectifs en matière d'immigration, vous nous en proposez quatre: le redressement démographique, la prospérité économique, la pérennité du fait français et l'ouverture sur le monde. Nous croyons que ces quatre défis ne sont pas une liste exhaustive, qu'ils ne doivent pas témoigner d'un ordre de priorités et nous aurions voulu que deux autres éléments soient ajoutés, à savoir: le progrès social et le développement culturel. Il nous semble particulièrement que l'ouverture sur le monde est une notion qui déborde celle de l'enrichissement culturel. En effet, cela veut dire à la fois contacts, possibilité de contacts avec plus de pays et on voit là nécessairement les retombées culturelles mais aussi économiques, une meilleure compréhension de la réalité internationale et peut-être, sûrement, une meilleure sensibilisation de notre responsabilité comme pays riche à l'égard des plus démunis et des plus discriminés dans certains pays. Je pense que c'est un élément qui est très important et qui est trop absent de l'énoncé de politique qui est présenté.

Vous nous dites que l'immigration ne saurait être une panacée à tous nos problèmes. Nous reconnaissons par exemple que l'immigration peut contribuer au rajeunissement d'une société devenue vieillissante, mais il ne faut pas non plus croire que ça amènerait un rajeunissement très substantiel mais, à tout le moins, ça permettrait de corriger des déficits dans certaines catégories d'âge. Donc, nous souscrivons à cela, en indiquant toutefois qu'il ne faut pas voir là-dedans la solution miracle. Ça ne dispose pas de la nécessité d'avoir une véritable politique familiale. Je ne parle pas de politique nataliste, mais véritablement de politique familiale, parce qu'il y a une grande différence dans mon esprit. Autre élément. Vous nous parlez de l'objectif d'augmenter la proportion de l'immigration francophone. Nous sommes d'accord, en vous

indiquant que cela ne doit pas se traduire par une diminution de l'immigration non francophone mais par une véritable augmentation de l'immigration francophone.

Par ailleurs, nous croyons qu'il y a quand même des pays qui nous ont donné une immigration qui ont connu un taux de rétention très appréciable et que les efforts doivent continuer à être farts dans ce sens. Vous avez, en pages 8 et 9 de notre mémoire, ces pays qui sont identifiés. Si on constate sur 15 ans, vous avez, par exemple, le Portugal, l'Italie, la Belgique, l'Espagne, la Grèce, la Yougoslavie, la France. Ce ne sont pas tous des pays francophones, mais ce sont souvent des pays qui retrouvent ici des communautés implantées depuis longtemps, parfois des pays où le français a été enseigné à une certaine époque. Il faut donc préserver nos efforts dans ces champs-là. Par ailleurs, si on regarde sur une époque plus récente, depuis cinq ans, on va s'apercevoir que le Vietnam, par exemple, la Roumanie, le Maroc, l'Egypte, la Hongrie et Haïti donnent également des taux de rétention très intéressants. Donc, nous pensons qu'il ne faut pas simplement cibler francophone, mais qu'il faut également cibler pays qui nous donnent une immigration dont la rétention est intéressante.

En pages 10 et 11 de notre mémoire, vous nous parlez de la nouvelle entente Québec-Canada qui donne au Québec la possibilité de recevoir une proportion de l'immigration canadienne équivalente à son poids démographique à l'intérieur du Canada, plus 5 % s'il le juge à propos. Je dois vous dire que nous trouvons cette clause un peu injurieuse pour le Québec. Quand on songe que l'Ontario, depuis plusieurs années, reçoit plus de la moitié de l'immigration canadienne sans qu'il y ait eu besoin de recevoir l'autorisation spéciale du fédéral à cet effet, nous ne comprenons pas pourquoi il a fallu que le Québec ait une autorisation pour pouvoir aller chercher son quota d'immigrants, alors que le reste du Canada a dépassé ce quota sans aucune autorisation.

Enfin, nous croyons que le Québec devrait acquérir la pleine compétence pour déterminer sa politique à l'égard des réfugiés. Nous pensons que dans le passé le Québec a souvent eu une approche différente du gouvernement fédéral à cet égard. En plus, la tradition d'accueil des

Québécoises et Québécois est particulièrement significative à ce chapitre. Rappelons-nous l'époque des "boat people" et à quel point il y a eu un mouvement de solidarité très important ou même, plus récemment, avec les familles turques.

Je pense qu'il y aurait lieu de réviser cette approche.

Enfin, en page 13 de notre mémoire, nous avons voulu attirer l'attention sur le fait que cette politique d'intégration devra être une responsabilité de toute; l'administration. Quelques éléments là aussi de recommandation. Nous croyons que le fait d'exclure des services d'apprentissage du français les personnes qui connaissent déjà l'anglais, c'est un héritage de la politique fédérale sur les deux langues officielles et que le Québec doit prendre ses distances. Les personnes qui ne connaissent pas le français, même si elles connaissent l'anglais, doivent avoir accès à des services d'apprentissage du français.

Un autre élément pour nous très important, c'est les services accessibles aux personnes qui ne sont pas sur le marché du travail, et je pense ici spécifiquement aux femmes. Les femmes ont un rôle clé à jouer dans l'éducation de l'enfant, dans l'apprentissage de la langue maternelle et dans la transmission des valeurs traditionnelles. Mais les femmes immigrantes, si elles avaient accès au français, à l'apprentissage du français, pourraient également jouer un rôle très important au niveau de l'intégration ethnique et culturelle de leurs jeunes enfants à la société québécoise. On pourrait d'ailleurs s'inspirer des études qui ont été menées, qui prouvent que, dans les milieux défavorisés, la scolarisation de la mère a un rôle très important sur la réussite des enfants. On pourrait donc prétendre que la connaissance du français des femmes immigrantes serait un facteur positif sur le développement de l'intégration culturelle et ethnique au sein de la famille.

Enfin, nous croyons aussi que l'éducation interculturelle ne doit pas être qu'une approche qui se développe auprès des jeunes, mais également auprès des adultes, parce que les parents ont besoin d'être conscients des chocs culturels que vivent leurs enfants en contact avec les différentes autres cultures. En page 14, nous attirons votre attention à l'effet que tous les ministères, les organismes, les municipalités, les services publics sont concernés et qu'ils doivent s'assurer d'une représentation équitable des divers groupes ethniques. On parle donc là de programmes d'accès à l'égalité. Et pour référer à un commentaire qui a été fait précédemment, dans le secteur de l'éducation entre autres, au cours des prochaines années, il y a une possibilité importante du renouvellement du corps enseignant et il y a là une occasion qu'il faut saisir pour implanter de véritables programmes d'accès à l'égalité pour les communautés culturelles, mais selon les normes qui doivent régir l'implantation de ces programmes d'accès à l'égalité.

Nous abordons également la question du COFI. Nous croyons que les COFl doivent être revalorisés, dotés de ressources plus abondantes. Nous croyons qu'il faut absolument que, pour le ministère, l'expertise, le bassin d'expertise que constituent les ressources travaillant dans les COFI soit davantage utilisé. Par ailleurs, nous pensons qu'il est absolument nécessaire de travailler à nouer une collaboration beaucoup plus otroilo ontre les COFI et les écoles primai res et secondaires. Nous n'allons pas jusqu'à

aborder la question du rattachement des COFI aux structures du réseau public général d'éducation, nous n'avons pas arrêté de position définitive sur la question, mais nous estimons que cela mérite d'être abordé, d'être creusé, mais à tout le moins il faut trouver des façons de renforcer la collaboration entre ces deux réseaux.

Enfin, nous abordons la question du domaine scolaire. Nous croyons qu'il est important de consacrer davantage de ressources aux classes d'accueil, aux services de francisation, aux services de soutien linguistique, dans les classes à milieu pluriethnique. Je crois que là il y a certainement des mesures déjà qui vous ont été suggérées. On a parlé d'agents de liaison, d'agents de milieu. Je veux vous signaler que les enseignantes et les enseignants avaient évalué, lors d'un travail d'enquête fait au cours des dernières années, que la mesure qui donnait les résultats les plus concrets et les plus rapides dans les milieux pluriethniques, c'était la formule des agents de liaison et d'agents de milieu. Donc, je pense qu'il y a là une approche intéressante. Il y a également à évaluer la diminution des élèves dans les classes en milieu pluriethnique particulièrement, compte tenu de la lourdeur des clientèles et des défis qui sont posés aux enseignantes et aux enseignants.

Maintenant, au-delà de ces éléments, nous abordons en page 17 une double problématique, c'est celle de l'école publique commune. Nous ne voyons pas dans l'énoncé de politique la mention du problème de la structuration biconfessionnefle de notre système scolaire. C'est là un problème qu'il faudra régler avec la diversification de la population québécoise. Je dois d'ailleurs vous dire que, dans les travaux de la commission Bélanger-Campeau, plusieurs groupes de communautés culturelles sont venus nous dire, alors que j'étais commissaire, que les écoles laïques permettraient une bien meilleure intégration que les écoles confessionnelles garanties par la Constitution canadienne. (16 h 30)

Deuxièmement, il existe au Québec des institutions privées subventionnées à 100 %, s'adressant exclusivement à des communautés culturelles. Nous croyons que ce n'est pas là un facteur d'intégration à la société québécoise. Par ailleurs, si on ne veut pas se faire accuser de subventionner des écoles privées pour les Québécois de souche et de ne pas le faire pour les Québécois des communautés culturelles, il faudra tout simplement repenser les subventions aux écoles privées de façon progressive - nous voulons bien en convenir - mais il faut absolument remettre en question cette approche.

Enfin, pour montrer à que! point c'est une volonté qui ne peut pas se faire de façon linéaire mais bien englober tous les secteurs, nous y allons de quelques recommandations sur les contenus de programmes. Nous pensons, par exemple, que l'histoire nationale doit faire état de révolution de notre population, faire état de sa composition cuiturellement diversifiée et cela, depuis l'origine de la Nouvelle-France. Et cela, c'est beaucoup trop absent du programme d'histoire nationale où il y a encore, beaucoup, souvent l'histoire du Canada et non pas l'histoire du Québec. On sait le sort déplorable que connaît l'enseignement de l'histoire dans nos écoles secondaires... dans la grille horaire.

Enfin, il y a aussi l'enseignement du français qui pourrait se faire dans une perspective multiculturelle et pluriethnique, en faisant davantage de place à la littérature francophone et non pas seulement des pays francophones, mais également des pays d'autres origines ethniques où on aurait traduit en français les oeuvres de leurs auteurs.

Il y a également la politique d'enseignement des langues étrangères qui mériterait d'être dépoussiérée un peu. On a une politique de l'enseignement des langues étrangères qui repose sur le français et où la langue seconde, c'est l'anglais. Au moment où on se diversifie, je crois qu'il faut faire que l'enseignement d'une langue seconde soit, bien sûr, maintenu mais que cette langue seconde puisse être, dans certains cas, autre chose que l'anglais. Ce serait bien bénéfique et beaucoup plus respectueux de l'évolution de notre société à cet égard-là.

Enfin, nous pensons qu'il faut maintenir et développer les programmes d'enseignement des langues d'origine. On en a parlé tantôt, avec la CECM. Nous pensons que c'est un élément qu'il faut maintenir tout comme l'établissement d'une véritable politique d'éducation interculturelle, pas simplement par l'initiative de chacune des commissions scolaires mais comme une véritable responsabilité du ministère de l'Éducation.

Enfin, il faut continuer à travailler pour admettre de plus en plus, dans nos cégeps francophones, les jeunes des communautés culturelles. Et ici, une attention toute particulière aux jeunes du Québec qui sont des réfugiés ou qui sont en attente du statut de réfugié ou leurs enfants. Présentement, ils n'ont pas le même traitement, à cet égard, que les jeunes Québécois de souche pour l'admission aux cégeps francophones.

Avec cette présentation, vous comprendrez que pour nous - et c'est l'élément le plus important - le Québec doit maîtriser pleinement sa politique d'immigration, être donc maître d'oeuvre de la réception, de l'accueil des personnes réfugiées, définir les objectifs de l'immigration, les catégories de personnes immigrantes, les conditions et les modalités de la naturalisation. Il doit avoir le pouvoir législatif exclusif sur l'immigration, sur les étrangers présents sur son territoire, sur la naturalisation. Il doit également récupérer les pouvoirs sur une politique linguistique unifiée et cohérente, il doit affirmer l'importance primordiale de l'école publique. Tous ces éléments ne peuvent, à notre avis, être

pleinement réussis sans l'accession du Québec à sa souveraineté politique et à son indépendance constitutionnelle.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la présidente. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci beaucoup, Mme Pagé. J'essaierai d'avoir une pensée positive pour vous, en fin de semaine, lors du prochain congrès du Parti libéral.

Mme Pagé: Moi aussi, je penserai à vous.

Mme Gagnon-Tremblay: Mme Pagé, dans votre mémoire, à la page 8, vous appuyez l'objectif du gouvernement d'une hausse progressive des volumes d'immigration pour répondre aux besoins démographiques du Québec, parallèlement, bien sûr, à la politique familiale. Je me réjouis de cette position et j'en profite également pour signaler ici que la hausse des volumes est également le levier qui nous permet de mener concurremment nos objectifs définis dans l'énoncé de politique - je pense, par exemple - linguistique, économique, familial et humanitaire dans le respect, bien sûr, des valeurs de non-discrimination qui nous tiennent à coeur.

Vous exprimez aussi certaines craintes concernant la récente entente qui a été signée avec le gouvernement fédéral, entre autres quant à la limite de recevoir plus de 30 % de l'immigration canadienne. À cet égard, je voudrais vous rassurer: il n'y a rien dans l'entente, dans l'accord qui interdise au Québec de recevoir, à long terme, plus de 30 % de l'immigration canadienne si, bien sûr, cela correspond à nos besoins et surtout à notre capacité d'accueil. On a vu, cet après-midi, quand même, qu'il y a des gens qui ont aussi des résistances, qui nous disent: Attention à l'accueil. L'intégration, la capacité d'intégration, c'est important. Je dois aussi ajouter que l'entente, contrairement à l'entente Couture-Cullen qui avait été signée en 1978 et qui pouvait être révoquée par l'une des parties, cette entente administrative ne peut pas être révoquée de façon unilatérale. Bien sûr qu'on aurait souhaité qu'elle soit constitution-nalisée, cependant, mais elle ne peut pas être révoquée de façon unilatérale.

Ceci étant dit, certains intervenants du monde scolaire, notamment la Fédération des commissions scolaires catholiques, considèrent que le seuil de tolérance est déjà atteint en milieu scolaire et s'opposent pour cette raison à la hausse des niveaux. Comment votre syndicat se situe-t-il face à cette position, par exemple?

Mme Pagé: Je pense que ce qui est atteint, c'est le seuil de tolérance des moyens mis à la disposition des personnes à qui nous demandons de faire ce travail d'éducation et d'intégration. Les Québécoises et les Québécois ont une capacité, je dirais, infinie d'accueil et d'ouverture. Mais, bien sûr, il faut donner les moyens pour que cela se réalise. C'est pour cela que nous avons indiqué dès l'ouverture de notre mémoire - et je l'ai fait en présentation - que, si nous étions tout à fait d'accord au niveau des principes, des orientations, des objectifs, nous demeurons sceptiques quant à la garantie des moyens qui seront réellement consentis. Parce que, si nous ne le faisons pas, bien sûr nous ferons face à des difficultés importantes dans certains milieux, nous constaterons parfois même des situations de crise dans certains milieux, nous constaterons que des personnels sont dépassés, démunis devant certaines situations. Mais nous croyons que s'il y a une volonté politique claire et affirmée de faire de l'immigration et de l'intégration un défi de notre société et que les moyens sont mis pour réussir cela, moi, je n'ai pas d'inquiétude quant à ce seuil de tolérance. J'ai moi-même enseigné en milieu pluriethnique et je sais qu'il y a de grandes capacités d'accueil et d'ouverture mais il y a également, et cela c'est important, des lacunes importantes dans les moyens mis à la disposition. Je pense qu'il faut corriger cela. Il faut également éviter que cette politique ne soit que la préoccupation de la ministre des Communautés culturelles. Il faudra que ce soit une préoccupation du gouvernement du Québec, de l'ensemble des ministères, de l'ensemble des organismes publics et parapublics, des municipalités, de toutes nos institutions en somme.

Mme Gagnon-Tremblay: Ça, je peux vous donner, Mme Pagé, l'assurance que ce ne sera pas la responsabilité seule de la ministre qui vous parle. J'ai eu l'occasion de travailler au niveau de la Condition féminine et je sais comment m'y prendre pour que chacun puisse prendre ses propres responsabilités. Cependant, je voudrais revenir à de nombreux mémoires. On nous parle de concentration et on nous parle souvent d'écoles à forte concentration ethnique. J'ai comme le sentiment, à un moment donné, qu'on mélange aussi bien, par exemple, les générations, la deuxième génération, que les nouveaux venus. Est-ce que, par exemple, c'est légitime, quand on parle de pourcentage, d'inclure ce pourcentage des Québécois des communautés culturelles installés au Québec depuis longtemps et même nés ici, ils sont même nés ici, au même titre que les immigrants récents, au même titre que ceux qui arrivent? J'ai comme l'impression que, dans certains mémoires, on ne fait pas cette différence. On dit, par exemple: II y a une forte concentration d'ethnies dans notre école. Et on calcule aussi bien des gens qui sont nés ici que des gens qui sont nouvellement arrivés.

Mme Pagé: Je ne sais pas, je n'ai pas eu, moi, la possibilité de lire tous les mémoires que

vous avez lus sur cette question. Je sais, pour l'avoir constaté, que, dans certaines écoles où il y a de fortes proportions de communautés culturelles, ce ne sont pas tous et toutes des élèves qui sont de première génération, pour prendre cette expression. Il y a souvent des élèves qui sont d'une deuxième génération effectivement. Par ailleurs, ça ne doit pas nous amener à sous-estimer la problématique particulière qui existe dans ces milieux. C'est surtout un problème de mise en relief, si on veut, de la culture commune, qui est la culture québécoise, qui est davantage difficile quand le nombre de Québécois et de Québécoises de plus vieille souche est réduit. D'un autre côté, je pense qu'on ne peut pas non plus se lancer tête baissée dans une formule de quotas ou de "busing" à rebours. Je pense qu'il y a d'autres mesures qui devraient être envisagées. Je vous signale par exemple que, si notre secteur scolaire n'était pas morcelé comme il l'est présentement entre un secteur protestant, un secteur catholique, un secteur anglophone, un secteur francophone, nous aurions une dynamique tout à fait différente qui s'établirait et nous aurions tout de suite des écoles qui connaîtraient un abaissement de leur proportion d'élèves de communautés culturelles. Il y a un autre phénomène avec lequel il faut composer, c'est le phénomène de l'étalement urbain qui fait que les francophones sont maintenant en banlieue et les immigrants, dans les grands centres. S'il y avait des politiques très actives, très énergiques pour contrer l'étalement urbain et pour retenir les francophones dans les grands centres, là aussi, sur du moyen terme, il y aurait tout de suite un renversement de la vapeur dans beaucoup de secteurs, dans beaucoup de quartiers. Mais je pense qu'à cet égard-là il faut agir sur du moyen terme, se donner des objectifs, se donner une politique cohérente. C'est pour ça que je dis qu'il faudra que tous les ministères se préoccupent de cela, mais je pense en même temps qu'il faut prendre acte que, dans certains milieux, ça pose des problèmes particuliers et là on touche, bien sûr, à des approches spécifiques dans ces milieux-là, à des ressources spécifiques, au développement d'approches éducatives et pédagogiques qui permettent davantage de relever le défi.

Le Président (M. Doyon): M. Laberge, vous voulez ajouter quelque chose? ,

M. Laberge (Henri): Oui. Vous avez dit, Mme la ministre, que vous verriez à ce que la préoccupation de l'intégration soit partagée par vos collègues. Alors, je vais vous demander d'insister particulièrement auprès du ministre de l'Éducation pour lui faire comprendre le problème que pose la structuration biconfessionnelle du système scolaire. Il y a un risque très grand qui va se matérialiser le jour où la loi 107 va s'appliquer. Actuellement, elle n'est pas encore en application pour ce qui est de la structuration scolaire proprement dite mais, au moment où elle va s'appliquer de façon intégrale, il ne faut pas oublier qu'il y aura maintenant quatre commissions scolaires à Montréal au lieu de seulement deux. Nous expliquons dans notre mémoire ce qui est possible; ce n'est pas une prédiction qu'on fait mais on mentionne que c'est une possibilité très grande qu'à ce moment-là la commission scolaire dite francophone devienne un peu la commission scolaire des nouveaux venus parce qu'eux, ceux qui ne sont ni catholiques ni protestants, ne pourront pas aller dans les commissions scolaires confessionnelles et, comme ils sont des enfants d'immigrants, ils devront fréquenter l'école française. Donc, ils vont aller dans la commission scolaire francophone alors que la commission scolaire catholique, elle, serait fréquentée principalement par des gens qui continuent à se dire catholiques, quel que soit leur niveau de pratique. Alors, on est en train, avec ce système-là, de créer toutes les conditions pour assurer une ségrégation ethnique que, il me semble, on devrait contrer de toutes les façons. Je vous invite à expliquer cette problématique à votre collègue de l'Éducation.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Laberge. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous m'avez indiqué justement les principaux facteurs, c'est-à-dire certains facteurs à l'origine de cette concentration. Tout à l'heure, on a parlé avec un autre groupe des classes d'accueil. On retrouve dans certaines écoles beaucoup de classes d'accueil concentrées et je pense qu'on en est très fier aussi, on dit: Bien voici, nous avons des classes d'accueil. Par contre, j'ai comme l'impression que, quand on a des classes d'accueil, la population se concentre aussi par la suite dans ces écoles. Est-ce que vous considérez ça comme un facteur aussi, un facteur de concentration?

Mme Pagé: Je pense que le premier facteur de concentration repose bien plus sur la nécessité pour les nouveaux arrivants de se joindre à une communauté qui est déjà en place. On s'aperçoit que, par exemple, dans le quartier portugais, des nouvelles familles portugaises qui arrivent vont être portées à aller s'établir d'abord dans ce milieu-là parce que le bassin de population permet à cette population de se donner, entre autres, des institutions communautaires, des instruments d'information, des services de solidarité sociale, je dirais, et c'est la même chose pour la communauté haïtienne et on pourrait les passer ainsi à la suite l'une de l'autre. Par ailleurs, sur les classes d'accueil, il faut savoir que ce qui a, à l'origine, fait qu'on maintient un certain nombre de classes d'accueil dans les écoles, c'est que c'est absolument

nécessaire d'avoir un nombre d'élèves suffisant pour permettre le fonctionnement même des classes d'accueil qui fonctionnent à la fois par sous-groupes d'âge et par sous-groupes de connaissance de la langue. Si on n'a pas un bassin suffisant, on est rapidement mis devant la situation que le système lui-même ne fonctionne pas. Donc, c'est pour cela qu'il faut maintenir un certain nombre de classes d'accueil dans une école.

Mme Gagnon-Tremblay: Prenons le cas des classes d'accueil, et là je vous avoue que je n'ai aucune idée. Je vous parle du "busing", entre autres. Jusqu'à maintenant, l'expérience a démontré que ce n'était pas favorable, ce n'est pas tellement favorable. Mais lorsqu'on parle de classes d'accueil, que vous m'identifiez par exemple qu'il faut avoir aussi un bassin, est-ce que pour les classes d'accueil, uniquement pour les classes d'accueil, ça ne serait pas envisageable?

Mme Pagé: De créer un bassin?

Mme Gagnon-Tremblay: Non, de voir à transporter des élèves uniquement pour la classe d'accueil dans des écoles...

Mme Pagé: C'est déjà ce qui se fait...

Mme Gagnon-Tremblay: ...à forte densité francophone, québécoise, pour avoir vraiment ce bain d'immersion au cours de la première année, après ça revenir dans le milieu?

Mme Pagé: II y a déjà, dans certaines commissions scolaires, une planification géographique, je dirais, des classes d'accueil qui fait qu'elles sont à la fois disséminées sur le territoire, donc pas simplement concentrées dans une école de classes d'accueil. Il y en a donc dans plusieurs pôles. Ça peut amener, bien sûr, du transport scolaire. Quand le stage en classe d'accueil est terminé, la plupart du temps, l'élève va être intégré à son école de quartier. Donc, c'est déjà une mesure qui existe. Je ne sais pas si elle existe dans toutes les commissions scolaires qui ont le réseau des classes d'accueil, mais je sais qu'à la CECM, entre autres, c'est ce modèle-là qui existe le plus généralement.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Une voix: Mais pas partout.

Mme Gagnon-Tremblay: Je vais passer à une autre... J'ai le temps, M. le Président? Mon collègue a d'autres questions.

Le Président (M. Doyon): Bien oui, il vous reste une minute ou deux. (16 h 45)

Mme Gagnon-Tremblay: Dans votre mémoire, à la page 11, vous proposez d'étendre l'obligation de fréquenter une institution scolaire de langue française pour les nouveaux arrivants au secteur collégial. Les données dont nous disposons par le biais d'une recherche du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science - parce que maintenant, depuis 12 ans, nous pouvons... nous possédons maintenant ces données - indiquent que près de 75 % des élèves allophones qui ont suivi leur secondaire en français choisissent librement le cégep français. Alors même que nous parlons de la cohorte des enfants de la loi 101, croyez-vous qu'une telle donnée justifie par exemple la nécessité d'une action coercitive dans ce domaine?

Mme Pagé: Je vais laisser M. Laberge aller plus longuement sur la réponse à cette question en vous signalant que nous avons, d'après les chiffres que nous avons eus nous aussi, constaté qu'il y a une nette amélioration quant à la fréquentation des cégeps francophones par les allophones, mais le phénomène de l'attraction de l'anglais demeure encore assez préoccupant. Je vais laisser M. Laberge compléter.

Le Président (M. Doyon): M. Laberge.

M. Laberge: Oui. Il semble bien, d'après ce qu'on a étudié comme chiffres, qu'effectivement il y a une tendance à l'augmentation du choix des cégeps francophones. Cependant, on est rendu à 73 %. Ce n'est pas encore... Ce n'est pas encore vraiment une situation tout à fait satisfaisante, loin de là. Je pense qu'on devrait être satisfait le jour où on serait proche des 100 %...

Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, j'ai... M. Laberge: ...et si on était dans les 90 %.

Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, monsieur, j'ai une autre...

M. Laberge: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: ...donnée qui m'indique que, dans le milieu francophone, et là je ne pourrais pas avancer... je pense que c'est tout près de 80 %, 85 % qui choisissent le cégep anglophone.

M. Laberge: Non.

Mme Gagnon-Tremblay: Euh... francophone, c'est-à-dire.

M. Laberge: Excusez...

Mme Pagé: Les francophones qui fréquentent les commissions scolaires francophones

choisissent le cégep francophone à 95 %, mais là on parle des francophones. Mais si on parle des allophones...

Mme Gagnon-Tremblay: On dit... Il ne semblerait pas que ce soit à 95 %, il semblerait que ce soit à peu près à 80 %, 85 %.

Mme Pagé: Ça, pour les francophones. Les allophones qui fréquentent une commission scolaire francophone choisissent le cégep francophone entre 75 % et 81 %, à peu près. Mais il faut distinguer les francophones, les anglophones et les allophones. Si on regarde la clientèle allophone qui fréquente une école francophone, c'est entre 75 % et 81 % qui choisissent le cégep francophone. Si, par ailleurs, on considère les ailophones qui ont fréquenté une école anglaise, là, le taux tombe à...

M. Laberge: Je veux dire, c'est 95 %...

Mme Pagé: ...qui choisissent à 95 % le cégep anglophone.

M. Laberge: Ça, d'ailleurs, c'est un chiffre qui illustre bien à quel point l'anglais est encore à un taux d'attraction beaucoup plus élevé parce que les allophones qui ont étudié au secondaire en anglais, ils passent à 95 % du côté anglophone au cégep, tandis que ceux qui ont étudié en français au secondaire ne passent qu'à entre 72 % et 81 % au collège francophone. Donc, on voit tout de suite que la force d'attraction est beaucoup moins grande. Et puis, à part ça, il y a un autre élément pour soutenir nbtre recommandation, c'est que si c'est vrai... Je pense que c'est vrai qu'on peut dire que dfcune manière générale, à mesure que les effets de la loi 101 vont s'appliquer, ceux qui auront fait toutes leurs études primaires et secondaires en français auront tendance naturellement à aller au cégep francophone. Ça, je pense que ça va s'accentuer. Cependant, dans le cas des immigrants qui arrivent, par exemple, à l'âge de 12 ans, 13 ans ou 14 ans, bien, à ce moment-là, ils n'ont pas le temps de faire un nombre d'années suffisant au secondaire pour que l'incitation soit de même nature. Et ce sont ces gens-là précisément qui ont le plus besoin du bain linguistique que représenterait la fréquentation du cégep francophone. Alors, il nous semble que notre recommandation pourrait se justifier, ne serait-ce que pour assurer le bain linguistique nécessaire à ceux qui sont arrivés peut-être en secondaire II ou en secondaire III ou même, parfois, en secondaire IV ou secondaire V.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Laberge. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui. Mme la présidente - pour ne pas dire Mme ma présidente parce que je suis encore membre - M. Laberge, les gens qui tiennent le même discours, quelquefois certains leur disent vicieusement qu'ils sont bornés. Moi, je leur dis que, tout au contraire, ils ont de la cohérence. On retrouve dans votre texte effectivement le discours que tient la CEQ depuis de très nombreuses années, notamment - et vous êtes bien placés puisque, si majoritairement les employés de la CEQ s'occupent d'éducation, ils sont dans bien d'autres secteurs également - vous parlez avec insistance du français, langue de travail; ça a été de longs débats. Une langue qu'on laisse au vestiaire est une langue qui n'est pas utile, je le dis et je le répète. Donc, j'ai apprécié de voir que votre groupe, comme bien d'autres, continue de réclamer l'adoption par cette Assemblée nationale du projet de loi qu'a présenté l'Opposition et qui est de franciser les entreprises de 50 employés et moins, ce qui représente au-delà de 100 000 entreprises au Québec. C'est important, 100 000 entreprises au Québec.

Il y a bien d'autres points à l'intérieur de celui-ci. Vous parlez de l'enseignement de l'histoire, l'enseignement à partir de la Nouvelle-France; ça nous permettra d'apprendre que la pluriethnicité au Québec a commencé avec Jacques Cartier. Il y avait trois marins croates dans son équipage, ce que peu de Québécois savent. Ce n'est quand même pas d'hier.

Vous allez au fond des choses aussi. Vous dites: Intégrer, oui. Mais les intégrer à qui, quand on n'a pas encore pris la décision de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être? Comment voulez-vous intégrer des gens à une société qui n'a pas encore pris une décision quant à elle-même?

C'était pertinent que vous insistiez aussi autour de tous les symboles que rencontre le nouvel arrivant dans ce pays, alors que ces symboles ne sont pas les nôtres! Il voit, comme premier drapeau à l'aéroport, un drapeau qui n'est pas le nôtre et il prête serment d'allégeance à une dame qui a beaucoup de noblesse, mais qui est quand même une reine étrangère. Les signaux ne sont pas nécessairement clairs, les signaux sont même presque absents, à ce moment-là, sur une détermination commune d'une collectivité, en disant: Nous sommes là, nous vous accueillons, voilà ce que nous sommes. Mais ça, on ne l'a pas encore précisé. Enfin, certains y réfléchissent depuis longtemps et ont pris leur décision; d'autres en discuteront durant la fin de semaine. Vous leur avez suggéré une pensée positive. Alors, j'ose espérer que cela aura son effet. Mais sur le contenu du mémoire comme tel - parce que moi aussi je fais mon lobby auprès de ma collègue, la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration... Vous avez remarqué qu'il y en a moins de rouge sur sa robe aujourd'hui?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boulerice: Vous avez affirmé, comme bien des groupes, que les programmes d'accès à l'égalité ne fonctionnaient pas. Enfin, bien des groupes ont affirmé cela. Et vous, vous parlez de véritables programmes. Alors, quand vous parlez de véritables programmes, je pense que, in extenso, vous dites - sans le dire - que les programmes actuels ne fonctionnent pas. Alors, ils feraient quoi, d'après vous, ces vrais programmes d'accès à l'égalité?

Mme Pagé: Si vous le permettez, je vais revenir à deux autres éléments que vous avez abordés dans votre question avant de répondre à celle-ci. Tout d'abord, quand vous parlez du français langue de travail, je voudrais vous rappeler que, dans la seule industrie du vêtement, 58% et un peu plus de la main-d'oeuvre sont allophones. Et quand, à la commission Béianger-Campeau, j'ai posé la question aux représentants de cette industrie sur la langue de travail, j'ai eu plutôt le silence qu'une réponse claire disant que c'était le français.

Alors, quand, dans un secteur d'activité, on a 58 % de la main-d'oeuvre qui sont allophones et qu'on n'a pas vraiment de politique claire pour que le français soit une langue de travail, le jeune, si le français est la langue de l'école mais que son père ou sa mère gagne sa vie en anglais, eh bien, il va décider que c'est l'anglais qui lui est nécessaire. C'est très important. C'est aussi important dans le symbole que l'aspect symbolique dont on a parlé tantôt. La clarification du statut du Québec permettra d'envoyer un message clair à tous les nouveaux arrivants, à toutes les nouvelles arrivantes, à l'effet qu'ils arrivent dans un pays qui n'est pas comme le reste de l'Amérique du Nord, un pays qui est francophone, où la langue commune est le français, où la culture commune est francophone, un pays qui est pluraliste, qui est ouvert, mais qui repose sur cette identification claire et précise. Et cela ne pourra se faire sans qu'on lève l'ambiguïté quant à notre devenir et à notre statut.

Sur le dernier élément, sur les programmes d'accès à l'égalité. Une des grandes lacunes que nous constatons sur les programmes d'accès à l'égalité, d'abord pour les communautés culturelles comme pour les femmes, c'est qu'ils sont volontaires. Il n'y a pas vraiment de volonté gouvernementale affirmée par exemple de dire, à tout le moins, que dans toutes les institutions publiques, dans tous les ministères il devra y avoir implantation de programmes d'accès à l'égalité négociée entre les parties syndicales et les parties patronales, et répondant aux mécanismes qui doivent régir ces programmes d'accès à l'égalité. Et là je pense à tout le travail d'identification des clientèles, fixer les objectifs numériques pour progresser de façon verifiable et soutenue. Je pense qu'à cet égard-là il faut s'inspirer des programmes d'accès à l'égalité qui se sont mis en place dans des entreprises comme la STCUM par exemple, à l'égard des femmes. Mais, procéder dans des programmes d'accès à l'égalité pour les communautés culturelles, ça doit répondre de la même logique. Il faut à la fois identifier les populations cibles, voir quel est le bassin, quelle est la proportion qu'il faut viser, établir des objectifs numériques sur une durée de cinq ans, faire des évaluations, faire les ajustements. Si on ne procède pas comme ça, si on procède simplement sur la bonne volonté ou bien: Profitez-en donc quand vous engagerez pour engager un peu de représentants de communautés culturelles ou un peu de femmes dans les places où il en manque, bien, dans 15 ans, dans 20 ans, dans 25 ans, on constatera que les forces d'inertie ou la présence de la socialisation ou des stéréotypes ou des préjugés ont fait que les corrections véritables n'ont pas été apportées.

Donc, je pense qu'il faut à la fois avoir les volontés gouvernementales très claires, mais aussi voir à doter la société québécoise d'une politique à cet effet sur l'accès à l'égalité dans l'emploi, mais aussi sur des mesures d'égalité à l'emploi. Et là on parle autant d'équité salariale pour les femmes, parce que non seulement les femmes sont discriminées salarialement, mais on peut dire que les femmes immigrantes le sont encore plus parce qu'elles se retrouvent dans des secteurs d'emploi qui sont encore plus désavantagés que les secteurs qui reçoivent les femmes québécoises.

Donc, vous voyez qu'il faut jouer à la fois sur programmes d'accès à l'égalité dans l'emploi, mais aussi mesures d'équité en emploi. Et là ça touche également l'équité salariale et l'établissement d'une loi proactive à ce chapitre-là.

M. Boulerice: D'après vous, est-ce qu'il y a des limites à donner au sens d'accueil? Quand on regarde les intervenants qui nous parlent de valeurs morales et de valeurs religieuses différentes, et l'influence que ces valeurs ont dans les comportements, face à des lois que nous nous sommes données suite à des luttes épiques qu'ont livrées bien des composantes de notre société, et je prends à l'exemple les femmes... Nous vivons dans un pays où, quand on parle des droits de la femme, ce n'est pas bidon, c'est sérieux. Je conviens avec vous qu'il y a encore des progrès mais, comme société, je pense que nous avons fait de grands pas. Mais est-ce qu'on va, en fonction du principe dit de l'accueil, aller - puis là je vais citer le titre d'un livre de Carl Rogers qui a sans doute fait partie de nos lectures communes à l'époque de notre formation - jusqu'à "L'acceptation inconditionnelle d'autrui"? J'aimerais connaître votre point de vue, Mme Pagé.

Mme Pagé: Nous avons beaucoup insisté dans notre mémoire sur la culture commune parce que nous croyons que c'est sur cette

assise que nous pouvons composer ou gérer des différences culturelles. Il faut voir aussi que même au sein de la société québécoise de souche, même si je n'aime pas cette expression-là, mais pour me faire bien comprendre, les valeurs culturelles ne sont pas intégrées et partagées de façon équitable et équivalente. Si c'était le cas, mais, mon Dieu, on aurait 52 % des députés qui seraient des femmes et on aurait 52 % des juges qui seraient des femmes et ainsi de suite. Il faut donc dire que, même nous-mêmes, notre culture n'est pas nécessairement partagée, endossée et véhiculée de façon intégrée dans tous nos comportements et dans toutes nos expressions. Mais je pense que, si on travaille à l'éducation et à rétablissement de cette culture commune sur quelques années, il y aura ce métissage qui fera que la culture québécoise commune aura connu à la fois des apports de celles et ceux qui arrivent, mais la culture d'origine de celles et ceux qui arrivent sera également transformée au contact des Québécoises et des Québécois. Pour nous, c'est important de l'affirmer comme ça. Autrement, on tombe un peu dans le concept du multiculturalisme qui est un peu plus la macédoine, et ça, je pense qu'il faut se détacher de ce concept-là pour vraiment parler d'interculturalité et d'élaboration d'une éducation commune. Bien sûr, je pense qu'il faut être clair sur les valeurs qui régissent la société québécoise et, à cet égard, si nous pouvions avoir une constitution québécoise, je crois que là il y aurait un élément très important en termes d'identification des immigrantes et des immigrants à la société et ça, je le tiens d'un savant universitaire qui est venu nous faire un exposé à la CEQ. Maintenant que la religion a moins d'importance dans nos sociétés, ce qui vraiment très souvent fait le fondement d'une société, c'est la constitution. C'est le cas aux États-Unis, par exemple. Ça permet aux immigrantes et aux immigrants d'avoir une vision claire de la société dans laquelle ils viennent s'intégrer. (17 heures)

M. Boulerice: La régionalisation, Mme Pagé, comme outil d'intégration, est-ce que c'est possible, d'après vous?

Mme Pagé: Écoutez, on ne peut pas demander à des immigrantes et à des immigrants d'aller s'installer dans des régions et d'y rester alors que les Québécoises et les Québécois les quittent. Ce serait une vue de l'esprit. Par ailleurs, il faut se demander pourquoi les Québécoises et les Québécois quittent ces régions. Il faut agir sur les causes de cet exode parce que je pense que la sous-occupation du territoire est un problème qu'on ne peut pas sous-estimer. À ce moment-là, on parle de politique de planification de la main-d'oeuvre, on parle de politique de développement régional et ça m'amène encore à dire: II faut que cessent les chevauchements dans ces deux secteurs. Il faut que le Québec se dote d'une planification de la main-d'oeuvre, d'une planification de l'emploi, d'une politique de développement régional, fasse des régions des pôles de développement économique, social et culturel. Ça permettra aux Québécoises et aux Québécois de rester dans les régions et ça deviendra des pôles d'attraction pour des immigrantes et des immigrants qui arrivent. Mais quand on leur présente le désert régional, la pauvreté, le chômage endémique qui est le cas en Gaspésie, bien, c'est un peu utopique de croire qu'on pourra les prendre, les mettre dans un autobus, dans le train - mais non, il n'en reste plus - dans l'autobus, les amener là et s'imaginer qu'ils vont rester. Donc, il faut vraiment prendre le problème à son début, se donner de véritables politiques et ça jouera sur les deux tableaux, à la fois la rétention des Québécoises et des Québécois et l'attraction pour les immigrantes et les immigrants.

M. Boulerice: On a parlé des COR. Vous y avez fait allusion sans aller dans le détail comme tel. Il a été question du rattachement des COFI au réseau public général d'éducation. Je vous pose la question très directement: Les COFI devraient-ils relever du ministère de l'Éducation du Québec ou continuer de relever du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration?

Mme Pagé: Nous n'avons pas tranché la question. Nous abordons à peine notre réflexion là-dessus. Ce que je peux vous dire, par exemple, c'est qu'il faut absolument - ça, c'est le strict minimum - qu'il y ait un rapprochement entre le réseau des COFI et les structures scolaires du primaire et du secondaire. Ça, c'est à tout le moins le seuil minimal parce que nous retrouvons dans les COFI les parents des jeunes que nous avons dans nos écoles primaires et secondaires. Or, présentement, c'est complètement coupé. Il y a un clivage entre les deux réseaux. Il y a une osmose, une mise en commun d'expertises, d'expériences qui ne se fait pas. Si on veut avoir vraiment un objectif d'intégration, bien, il ne faut pas l'avoir juste à l'égard des immigrantes et des immigrants, il faut l'avoir pour nous-mêmes et davantage intégrer les actions que nous faisons dans un réseau par rapport aux actions que nous faisons dans un autre réseau. Alors, à tout le moins, pour nous, le seuil minimal, c'est le renforcement de la collaboration entre le réseau des COFI et le réseau scolaire primaire et secondaire.

M. Boulerice: D'expérience, Mme Pagé, je peux vous dire que la collaboration a toujours été extrêmement difficile lorsque nous avons vécu sur les territoires le clivage primaire et secondaire, commissions scolaires primaires, commissions scolaires secondaires. Vous aviez un parent au primaire, un parent au secondaire qui avait d'ailleurs la réunion du comité d'école le

même soir. Alors, quand elle avait un fils au primaire et une fille à l'école secondaire, bien, il fallait qu'elle fasse le choix. Si on veut faire cette collaboration-là, est-ce qu'au départ vous ne pensez pas qu'il va falloir quand même, même si ça me déplaît souvent de jouer avec les structures, trouver le moyen, à un moment donné, de faire une réflexion sur les structures? Parce que, loin de favoriser, souvent la structure, malheureusement, devient la barrière et des canaux multiples. Vous avez fait une image des commissions scolaires, ce que moi j'appelais les autoroutes à quatre voies sans interconnection. Est-ce qu'on vit ça, COFI et système d'enseignement public?

Mme Pagé: Je ne peux pas vous donner de réponse aussi claire que je le voudrais à votre question, pourtant j'ai l'habitude des réponses claires, mais là-dessus, comme je vous le disais, notre réflexion n'est pas complétée, mais, à tout le moins où je suis tout à fait d'accord avec vous, c'est que le moment de la réflexion poussée là-dessus est venue. Parce que les objectifs que nous nous donnons, avec la politique qui est mise de l'avant par la ministre, sont tellement importants qu'il nous faut accepter de poser toutes les questions qu'il faut poser. Autrement, nous allons nous retrouver avec une politique très généreuse dans ses objectifs, dans ses principes directeurs, mais sans avoir véritablement les moyens de satisfaire ces objectifs ou ces attentes. À cet égard-là, la question que vous soulevez devra être un des éléments de réflexion comme beaucoup d'autres que nous avons abordés dans notre mémoire.

M. Boulerice: Le Québec veut se doter d'une politique d'immigration, une politique d'immigration qui est à son image, donc généreuse, etc. Vous avez insisté sur le contexte constitutionnel, c'est un débat d'ailleurs qui dure depuis l'époque de cette photo qui orne ce salon et celui dans l'autre, c'était le débat sur la langue. Votre pronostic de l'immigration au Québec, est-ce que ça va être une immigration réussie ou si nous n'aurons qu'une immigration cahin-caha si on n'a pas réglé d'abord et avant tout la question constitutionnelle dans ce pays?

Mme Pagé: Je pense que tant qu'il restera une ambiguïté ou une ambivalence sur le projet de société du Québec, sur son avenir comme entité, bien sûr, on ne peut pas demander aux immigrantes et aux immigrantes d'avoir les idées plus claires que nous-mêmes. Alors, moi, je comprends très bien quand on reçoit des groupes des communautés culturelles et qu'ils se sentent ambivalents et qu'ils nous disent: Bien, on se sent bien au Québec, mais... On ne se sent pas mal au Canada, vous comprenez... Et on a un peu peur... Qu'est-ce qu'il arriverait si nous n'avions que la Charte des droits et libertés québécoise et qu'on n'aurait pas la Charte canadienne, est-ce que nos droits seraient mis en péril? Je ne peux pas leur demander de faire les choix plus rapidement que ce que nous sommes, semble-t-il, capables de faire ou prêts à faire, mais je pense que cette clarification-là est très importante, quand bien même que ce ne serait qu'au niveau du symbole comme je le disais tantôt. Le jour où nous serons capables de dire: Vous venez vous établir dans un pays, un pays qui est francophone, qui est de culture francophone, qui repose sur la pluralité, la diversité, un pays qui s'est donné tous les moyens de reconnaissance de cette diversité et de cette pluralité, entre autres dans ses institutions scolaires en les rendant laïques et non plus confessionnelles, nous aurons franchi une étape incommensurable dans notre capacité d'accueil, d'intégration et dans la réussite de ce projet social que nous devons porter tous et toutes ensemble, quel que soit le moment de notre arrivée au Québec et quelle que soit notre origine de base.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Pagé. M, le député, une dernière question peut-être, ou un remerciement.

M. Boulerice: Simplement des remerciements pour la clarté de vos propos et le contenu du mémoire. Merci, Mme Pagé; merci, M. Laberge.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Également, je veux vous remercier pour vos propos, pour leur clarté, comme disait mon collègue. Comme vous l'avez mentionné au tout début, on vous demandait souvent de vous prononcer sur les niveaux d'immigration, mais j'ai toujours retrouvé cependant dans vos mémoires antérieurs non seulement l'aspect niveau, mais vous abordiez aussi les problèmes de fond et on les a pris en considération quand est venu le temps d'élaborer notre politique, notre énoncé de politique. Alors, je vous remercie et, bien sûr, je vais prendre en considération encore ce qu'il y a de mentionné dans votre mémoire. Merci beaucoup.

Mme Pagé: Merci, Mme la ministre.

Le Président (M. Doyon): Alors, au nom des membres de la commission, merci, Mme Pagé; merci beaucoup, M. Laberge. Bon retour!

Pendant que nos invités pour la dernière heure se retirent de la table, je demanderais maintenant à ceux qui les suivent, c'est-à-dire le Service interculturel collégial, représenté par Mme Mireille Bertrand, d'après les renseignements que j'ai, de bien vouloir prendre place à la table, de bien vouloir s'y installer.

La chose étant faite, sans plus de délai, compte tenu que nous devons poursuivre rapidement, je vous demanderais d'entamer, pour une

vingtaine de minutes, la présentation du rapport.

Le reste du temps sera utilisé par les deux formations politiques. Mme Bertrand, nous vous écoutons attentivement.

Service interculturel collégial

Mme Bertrand (Mireille): Bonjour. Je ne sais pas dans quelle mesure je dois être fidèle au texte que j'ai préparé pour aujourd'hui, parce qu'il semble que les personnes présentes ici ont lu attentivement les textes qui leur ont été soumis. Conséquemment, je pourrais facilement passer à la période des questions. Maintenant, je ne veux pas non plus priver les gens qui n'ont pas lu le texte, qui n'ont pas eu la chance d'y avoir accès d'une présentation minimale. Alors, si vous voulez bien, c'est à ça que je vais procéder tout de suite.

Le Président (M. Doyon): Nous vous écoutons, Mme Bertrand.

Mme Bertrand: Je m'appelle Mireille Bertrand. Je suis la secrétaire d'une organisation qui s'appelle le Service interculturel collégial, le SIC. Ma présentation portera essentiellement sur deux points: premièrement, les besoins du réseau collégial en regard de l'intégration des Québécois des communautés culturelles et, deuxièmement, la redéfinition des concepts reliés à l'intégration pour le bénéfice du réseau collégial en particulier et de la société québécoise en général. D'abord, je vais exposer brièvement ce qu'est et ce que fait le Service interculturel collégial en laissant les détails pour la période d'échange.

Formé à l'automne 1988, le Service interculturel collégial est une corporation de personnes qui travaillent dans les collèges québécois et qui visent l'implantation de l'éducation interculturelle dans le réseau. Peuvent en faire partie toutes les catégories de personnel: pour l'instant, des professeurs, des professionnels et des administrateurs en sont membres actifs. Le SIC vise à ce que se développe dans les collèges québécois une orientation commune en matière d'éducation interculturelle. Il se penche sur des thématiques variées telles que la pédagogie interculturelle, l'intégration des immigrants, les relations interethniques au Québec entre francophones et anglophones, majorité et minorités, minorités ethniques et minorités nationales et les liens entre les questions interculturelles et internationales. Plus spécifiquement, son action se résume à fournir aux membres les services d'entraide quant à l'information sur les activités interculturelles, la formation dans le domaine de l'éducation interculturelle, l'intervention auprès des collèges et des instances gouvernementales pour que se développe l'éducation interculturelle au collégial et, enfin, l'analyse des phénomènes et des problèmes interculturels dans le secteur de l'éducation.

Le conseil d'administration du SIC est composé de cinq membres, provenant de cinq collèges différents. Cette année, les membres du conseil d'administration sont: la présidente, Mme Denise Lemay, du cégep de Bois-de-Boulogne; le premier vice-président, M. Yves Tousignant, du cégep François-Xavier-Garneau; la deuxième vice-présidente, Mme Céline Blais, du cégep de Sherbrooke; le trésorier, M. Cart Witchel, de John Abbott; et la secrétaire, c'est-à-dire moi-même, Mireille Bertrand, du collège Vanier. Le SIC travaille en étroite collaboration avec l'équipe du collège de Saint-Laurent qui diffuse la revue Impression. Nous avons réciproquement conscience de nous adresser en partie aux mêmes personnes. Donc, voilà pour les présentations. Passons maintenant aux besoins que nous ressentons dans le milieu collégial. (17 h 15)

Étant donné que notre association oeuvre dans la sphère de l'éducation et plus spécifiquement dans l'ordre collégial, c'est surtout par rapport à celui-ci que notre mémoire se situe. Comme vous le savez, les cégeps accueillent deux types de clientèle, soit les adolescents et les adultes. En ce qui concerne les premiers, ils se trouvent à l'âge où se forme et se consolide l'identité adulte et le milieu où ils étudient exerce une influence capitale sur ce processus. De plus, le cégep constitue très souvent la dernière étape avant d'entrer dans le monde du travail. Pour ce qui est des adultes, le retour aux études des personnes issues de milieux ethnoculturels différents de celui de la majorité représente fréquemment la première occasion de se familiariser avec celui-ci, c'est-à-dire le milieu de la majorité, et de s'y intégrer. Il est donc de la plus grande importance que les cégépiens, adolescents ou adultes, soient outillés pour composer harmonieusement avec la diversité culturelle de la société dans laquelle ils s'apprêtent à s'insérer ou dans laquelle ils travaillent déjà.

Et il y a lieu de féliciter la Fédération des collèges et la Direction générale de l'enseignement collégial - la DGEC - pour l'appui qu'elles ont apporté à diverses activités visant à promouvoir la compréhension interculturelle et favoriser l'apprentissage en milieu pluriethnique: participation à la semaine interculturelle d'avril 1991 et au colloque de l'Association québécoise de pédagogie collégiale de juin prochain, financement du SIC, etc. Il faut également reconnaître que certains établissements ont aussi pris diverses initiatives en ce sens: adoption d'une politique interculturelle ici, formation interculturelle du personnel là, expériences de parrainage d'étudiants allophones ailleurs. Néanmoins, ces pratiques procèdent le plus souvent d'efforts ponctuels et isolés. Or, si on désire que ce genre d'actions ait réellement un impact sur la qualité de la vie collégiale, il faut doter le réseau d'une approche globale et assurer la coordination des

différentes initiatives.

Voici donc quelques mesures que le SIC propose que le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration de même que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science adoptent afin de remédier à la situation présente: que dans chaque établissement il y ait une personne chargée de coordonner les activités relatives aux questions interculturelles et dégrevée pour ce faire; que toutes les catégories d'employés bénéficient d'un programme de formation interculturelle conçu en fonction des spécificités de leurs tâches respectives et du collège où ils travaillent; que lors de l'introduction de nouveaux programmes d'études ou de la révision de programmes déjà existants on en revoie l'approche et le contenu dans une perspective interculturelle; que ce processus de révision de même que son application impliquent la participation d'intervenants issus de divers milieux ethnocul-turels; que l'on reconnaisse l'importance de la tâche des animateurs de la vie étudiante et que l'on facilite leurs efforts visant à rapprocher les différents groupes ethnoculturels présents dans chaque cégep; que l'on favorise la création de réseaux d'échanges entre des intervenants de diverses appartenances ethnoculturelles et de différents collèges, réseaux constitués en fonction de centres d'intérêts communs; que l'on encourage et finance des recherches sur des questions ethnoculturelles ou sur des sujets traités dans une perspective interculturelle; et, enfin, que les intervenants du réseau collégial, de concert avec ceux du milieu universitaire et des différentes collectivités ethnoculturelles du Québec, collaborent pour faire en sorte que le matériel utilisé pour l'enseignement de l'histoire et des autres sciences sociales, en général, reflète l'existence et les contributions de tous les groupes qui ont formé et forment notre société.

En ce qui concerne la deuxième partie de cet exposé, j'aimerais faire part à l'auditoire de nos réflexions en ce qui concerne l'approche de l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, en ce qui concerne les communautés qu'elle vise.

Il s'agit donc d'une décision du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration d'étendre aux seules communautés culturelles la portée de son projet d'intégration. En d'autres mots, bien que nous trouvions louables les intentions du gouvernement et bien que nous soyons conscients des obstacles qu'il lui faut surmonter dans l'application de sa politique, nous estimons qu'il est impérieux que toutes les composantes de la population soient incluses dans le modèle d'intégration qu'il nous propose. L'honnêteté intellectuelle l'exige de même que la réalité quotidienne des rapports interethniques.

En effet, nous reconnaissons que les autochtones et les anglophones bénéficient d'un statut particulier au Canada, comme le souligne l'énoncé en page 4, et que les autochtones tombent sous la juridiction d'un autre palier de gouvernement. Cependant, nous pensons que le fait d'exclure du discours intégrateur ces deux catégories de citoyens ne simplifie pas la tâche d'intégration au Québec, au contraire, et ce, pour deux raisons. D'abord, parce que les autochtones et les anglophones font partie intégrante de la population collégiale en particulier et de la population québécoise en général et que l'énoncé de politique ne propose aucun plan d'action quant aux relations intercommunautaires entre ces communautés et les autres communautés du Québec. Ensuite, parce que, contrairement à ce que laissent entendre l'énoncé de politique et le document d'accompagnement qui porte sur l'intégration - je pense particulièrement à la page 13 de ce document d'accompagnement - la société d'accueil, au Québec, n'est pas exclusivement constituée de francophones et encore moins de francophones de vieille souche française. Par conséquent, le fait de ne pas reconnaître les autochtones et les anglophones comme membres de la société d'accueil donne à ces communautés l'impression qu'elles n'ont aucun rôle à jouer dans le projet d'intégration, et c'est ainsi que la majorité francophone se prive de la précieuse collaboration des anglophones et des autochtones qui ont été francisés ou qui sont conscients de la nécessité d'apprendre et d'utiliser le français et qui connaissent la réalité québécoise et qui, grâce à ces atouts, pourraient aider les nouveaux venus à s'intégrer en français à notre société. Ce n'est pas suffisant d'accorder aux membres des communautés culturelles établies ici depuis longtemps le titre de Québécois des communautés culturelles, il faut effectivement considérer ces communautés de même que les communautés autochtones comme des membres à part entière de la société d'accueil québécoise. Si vous le voulez bien, je vais prendre tout de suite les questions parce que je ne crois pas que ce soit nécessaire d'élaborer sur des questions qui ne seraient pas nécessairement d'intérêt pour l'auditoire.

Le Président (M. Ooyon): Merci Mme Bertrand, merci de votre présentation. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président, merci Mme Bertrand. Dans votre mémoire vous demandez que le personnel des cégeps reçoive une formation en interculturel. En ce qui concerne la formation des professeurs, il est prévu de façon spécifique dans l'énoncé, à la

page 73 entre autres, que des programmes de formation interculturelle soient mis en oeuvre pour les intervenants dans le domaine de l'éducation. De plus, on a prévu intégrer la dimension interculturelle à la nouvelle politique de formation des maîtres, ce qui fait qu'avec le temps les professeurs vont devenir de plus en plus connaissants et à l'aise avec les réalités pluriethni-ques. À votre avis quels devraient être les groupes cibles et les contenus d'une telle formation?

Le Président (M. Doyon): Mme Bertrand.

Mme Bertrand: Pour répondre à la première partie de votre question, nous savons que i'énoncé de politique propose la formation interculturelle au collégial notamment. L'énoncé de politique propose des plans d'action. Nous répondons en disant que, oui, nous sommes d'accord avec ce plan d'action là, nous l'endossons, mais seulement il faut que le gouvernement soit conscient de ce que ça implique au point de vue monétaire, évidemment, au point de vue dégrèvement entre autres.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, d'après nous, tous les groupes présents au collégial forment des groupes cibles, c'est-à-dire le personnel enseignant, les professionnels, les gens qui ont affaire aux étudiants et les étudiants eux-mêmes, évidemment. À l'intérieur de chacune de ces deux catégories de population au collégial, il ne faut évidemment pas se limiter aux autres, entre guillemets, c'est-à-dire à ceux qui viennent d'arriver, mais ça l'énoncé de politique le dit très clairement. L'énoncé de politique dit que la population francophone de vieille souche française doit être exposée aux nouvelles réalités de la société québécoise francophone, c'est-à-dire au pluralisme croissant de la société francophone québécoise. Nous insistons là-dessus, nous insistons sur le fait aussi qu'il n'y a pas que les professeurs qui ont besoin de formation interculturelle; les administrateurs en ont besoin également, parce que ce sont eux qui établissent les politiques et nous avons besoin de leur collaboration, ça va de soi. Maintenant, je pense que je ne pourrais insister suffisamment sur l'importance de donner une formation interculturelle aux groupes qui se considèrent comme étant la majorité. Lorsque je dis "aux groupes", je parle au pluriel parce qu'évidemment tout dépend de l'établissement scolaire dans lequel vous vous trouvez. J'enseigne moi-même dans un établissement anglophone où il n'y a pas de majorité ethnique comme telle. On pourrait dire que les étudiants d'origine italienne forment la majorité de la population qui fréquente l'établissement, mais ce ne sont certainement pas eux qui détiennent les rênes du pouvoir au collège vanier.

Donc, si on considère comme le groupe majoritaire le groupe anglophone, la catégorie linguistique anglophone... parce qu'il faut faire très attention aux catégories, parce que très souvent on mêle catégories ethnoculturelles et catégories linguistiques, souvent ça se recoupe mats pas toujours. Dans le cas des anglophones, c'est très clair que la catégorie linguistique anglophone ne dit pas tout au sujet de l'identité ethnoculturelle de ses membres. Donc, si on pense à la majorité anglophone d'un collège anglophone, cette majorité-là, évidemment, doit être formée. Mais pour en arriver au contenu -et c'est là que je fais le lien - trop souvent, dans le discours interculturel, on insiste sur la nécessité de connaître la culture des autres aux dépens de la connaissance de sa propre culture. Ce que je veux dire par là, c'est que bien que l'on enseigne la littérature québécoise, l'art québécois, etc., à l'école primaire, secondaire, au collégial, c'est très, très peu souvent dans une perspective relativiste. La plupart du temps, ce sont des choses qu'on prend pour acquises. On place les étudiants devant du matériel qui n'est pas remis en question, qui n'est pas placé dans une perspective interculturelle et encore moins mondiale. Je pense que c'est important, et il est grand temps que les Québécois francophones de vieille souche française se rendent compte que, eux aussi, ils ont des codes culturels et que leurs interventions dans les communications, dans leurs rapports quotidiens ont un impact sur ceux-ci. Et c'est important que les majorités, donc, prennent conscience de ces codes culturels qu'ils utilisent sans s'en rendre compte.

Donc, je pense que tous les documents qui ont été publiés récemment au gouvernement provincial et aussi au Conseil des communautés culturelles et de l'immigration élaborent de façon très juste sur les contenus. Je pense, par exemple, au document que le Conseil des communautés culturelles et de l'immigration a publié en 1988, et qui constituait un avis à la ministre; en ce qui concerne la valorisation du pluralisme dans les manuels scolaires québécois, je pense que les contenus sont très clairs. Et comme je le disais, la chose que je reproche, c'est de ne pas présenter suffisamment la société québécoise francophone de vieille souche comme un des groupes ethniques qui doit prendre conscience de ses codes culturels et des implications de ceux-ci sur ses rapports avec les autres communautés culturelles du Québec; et deuxièmement, et ceci m'apparaft très, très important, il faut intégrer, il faut inviter les groupes ethnocul-turels qui ont été mis de côté, comme je disais, à la page 4 de l'énoncé de politique, à prendre parti, à jouer un rôle actif dans ce processus de formation interculturelle. Je pense que les anglophones, quelles que soient leurs origines... et je pense qu'on a toit d'établir une distinction entre anglophones de vieille souche britannique et anglophones d'autres souches, je pense que c'est une projection que les francophones de vieille souche française font de leur propre

réalité sociolinguistique, cette réalité-là n'est pas vécue de cette façon-là en milieu anglophone, je le sais pour y travailler depuis maintenant 16 ans. Je pense que ces gens-là ont une contribution à faire, je les considère moi-même comme partie intégrante de la société d'accueil. Beaucoup d'anglophones sont francisés et connaissent très bien la culture francophone, je pense que les francophones ont intérêt à faire un effort semblable vers leurs compatriotes anglophones, de façon à ce que ce soit une oeuvre commune que l'on entreprenne et pas une oeuvre partielle.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Bertrand. M. le député de l'Acadie, vous avez une brève question? (17 h 30)

M. Bordeleau: Oui. Merci, M. le Président. Disons que dans votre document vous faites une suggestion, à savoir qu'au fond le dossier des relations interculturelles devrait être confié possiblement à une personne qui aurait la charge, au niveau d'un collège disons, de mettre en place des incitations ou des moyens quelconques pour... Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y a un risque à ce que ce soit confié à une seule personne plutôt qu'à un comité ou un groupe plus large qui ferait en sorte que la question des relations interculturelles serait une réalité qui devrait au fond s'intégrer dans l'ensemble des activités? Confier le dossier à une personne, parce qu'on sait que c'est une tâche très difficile, c'est un défi important, j'ai une crainte à savoir qu'une seule personne pourrait mieux gérer ce dossier-là que de le confier à un groupe ou à un organisme quelconque qui serait représentatif de l'ensemble du collège.

Mme Bertrand: Je suis tout à fait d'accord...

Le Président (M. Doyon): Mme Bertrand, une réponse?

Mme Bertrand: Pardon, excusez-moi. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Et, d'ailleurs, ce qu'il s'est fait jusqu'à maintenant dans le domaine interculturel au collégial, bien que j'aie dit qu'il se faisait de façon ponctuelle, s'est rarement fait de façon isolée, c'est-à-dire dans le sens qu'une personne aurait pris sur ses épaules la charge d'organiser une activité, un service; ça me paraît impossible. Non seulement ça me paraîtrait risqué, je suis d'accord avec vous là-dessus, ça me paraît impossible.

Lorsque nous parlons d'une personne en particulier, lorsque nous proposons de confier à une personne ce dossier-là, ça ne veut certainement pas dire que cette personne-là ne constituerait pas, ne mettrait pas sur pied un comité, justement, chargé de voir aux différents aspects de la question dans chacun des collèges. Seulement, ce qui se produit en ce moment, c'est qu'en général il y a une personne ou des person- nes, quelques personnes à l'intérieur d'un collège qui proposent différentes actions, qui mènent plusieurs actions de front, avec ou sans la collaboration de la majorité de leurs collègues, avec ou sans la collaboration de l'administration. Et c'est du bénévolat, avec les conséquences que ça entraîne, c'est-à-dire que ce sont des tâches qui sont très souvent incomplètes, qui ne bénéficient pas à toute la communauté du collège, et aussi, souvent, qui pèchent par un manque de, comment dirais-je, de fondement théorique. Autrement dit, encore une fois, comme c'est souvent le cas du bénévolat, les gens font ce qui leur semble être bon dans les circonstances dans lesquelles ils se trouvent sans nécessairement connaître les processus cognitifs par lesquels les gens pourraient plus facilement accepter ou s'intégrer à la tâche qui est proposée et sans nécessairement non plus identifier très clairement les objectifs des tâches qui sont entreprises.

Je dis tout ça pour expliquer que ce genre d'entreprise demande du temps. On ne veut pas entreprendre des actions qui ne soient pas réfléchies, planifiées, coordonnées, et qui ne soient pas non plus basées sur un corpus de connaissances. Par exemple, l'énoncé de politique et le document d'accompagnement qui concerne l'intégration se basent très clairement sur des connaissances dans différents aspects, non seulement en ce qui concerne les statistiques évidemment relatives à l'immigration, mais des connaissances qui relèvent des sciences humaines, par exemple, la connaissance de tous les processus psychologiques qui accompagnent l'apprentissage et l'utilisation d'une langue, le pourquoi, le comment, etc. Et je ne parle ici que des questions linguistiques. Il y a aussi les questions de relations interethniques. Il y a énormément de connaissances qui existent, mais auxquelles il faut puiser lorsqu'on propose de mettre une action sur pied. Et ce n'est pas en faisant ça en sus de sa tâche régulière qu'on peut y arriver.

Donc, une personne qui serait capable de coordonner les activités au collège serait dégrevée, entre autres, pour faire la recherche requise pour que ces actions-là ne soient pas des actions qui sont le fruit de son imagination ou de ses impressions.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme

Bertrand. Je vais maintenant permettre au député de Sainte-Marie-Saint-Jacques de vous poser quelques questions. M. le député.

M. Boulerice: Oui, madame, vous avez dit que vous veniez du cégep Vanier, cégep où j'étais lundi matin dernier.

Mme Bertrand: Oui.

M. Boulerice: Et, en fonction des questions qu'on m'a posées, je vous avoue que je me suis demandé si j'étais sur la même planète. Mais

comme je m'y étais rendu en voiture, là, ça m'a rassuré un peu après sur l'autoroute Métropolitaine. Est-ce que le cégep, d'après vous, intègre à la société québécoise ou bien donc intègre à la société anglophone, dans son sens le plus restrictif du terme?

Mme Bertrand: Je suis... Est-ce que je peux répondre?

Le Président (M. Doyon): Oui, oui, Mme Bertrand. Nous vous écoutons.

Mme Bertrand: Je suis au courant de votre venue au collège Vanier, M. Boulerice, et je regrette d'avoir manqué votre présentation. On m'en a dit grand bien. On m'a parlé également des interventions qui ont été faites et des réactions qui ont suivi.

Lorsque vous me demandez si le cégep Vanier intègre ses étudiants à la société québécoise plutôt qu'à la société anglophone du Québec ou du Canada, je vous répondrai deux choses: d'une part oui, le cégep Vanier intègre sa population étudiante à la société québécoise, mais pas à la société québécoise francophone et, si c'est ce que vous vouliez dire, vous aviez tout à fait raison, et c'est une chose que je déplore; d'autre part, si le cégep n'intègre pas ses étudiants à la société québécoise francophone, il y a toutes sortes de raisons, entre autres, le manque de contact que je déplore beaucoup. Comme vous le savez, nous sommes voisins du collège Saint-Laurent duquel nous sommes séparés par une église. Nous n'avons strictement aucun contact avec le collège Saint-Laurent...

M. Boulerice: Séparés par une église ou enfin... C'a été notre drame durant des siècles, mais enfin, ha, ha, ha!

Mme Bertrand: En termes concrets et en termes symboliques, en effet.

Nous n'avons aucun contact avec le collège Saint-Laurent, sinon quelques visites à l'occasion de la proclamation d'articles législatifs comme la loi 178; on a droit à ce moment-là à la visite des étudiants francophones mécontents. Mais, seulement, ça ne nous mène pas à un dialogue, ça ne nous mène pas à une tentative de rapprochement et de construction d'un autre Québec, d'un Québec qui serait autre que la somme de deux solitudes.

M. Boulerice: Vous dites, madame, que le cégep - là, c'est l'interprétation que je donne de votre texte, vous me corrigerez si je fais erreur - ne fait pas partie du processus normal d'intégration, enfin du processus optimum d'intégration, et devrait en être partie prenante. Mais, quand je lis plus loin, je vois que vous dites: "Que l'on reconnaisse l'importance de la tâche des animateurs de la vie étudiante et que l'on facilite leurs efforts visant à rapprocher les différents groupes ethnoculturels présents dans chaque cégep." Là, vous me dites qu'il se fait quand même des choses. Le drame, c'est qu'on ne les reconnaît pas, qu'on ne les supporte pas, le support ne vient pas du ministère de l'Enseignement supérieur, le support ne vient pas de l'administration comme telle. Le support ne vient pas à cause de quelle raison?

Le Président (M. Doyon): Mme Bertrand.

Mme Bertrand: Oui, en effet, les animateurs et animatrices culturels dans les cégeps font des efforts pour rapprocher les groupes ethnoculturels présents. En ce qui concerne les groupes ethnoculturels présents au collège, ce que Ion remarque, c'est que les groupes ethnoculturels qui se constituent en groupes, c'est-à-dire en clubs étudiants, ce sont des groupes dont la langue maternelle est autre que le français ou l'anglais. C'est-à-dire les étudiants d'origine arménienne, italienne, irakienne, indienne de l'Inde, etc. Ce qui ne veut pas dire évidemment qu'il n'y a pas une importante minorité francophone au collège Vanier ni une importante minorité anglophone de vieille souche britannique, si on veut, à Vanier. Donc, les efforts qui ont été fournis jusqu'à maintenant portaient plutôt sur des cas litigieux, comme dans le cas des Juifs et des Arabes, à Vanier, entre autres.

Maintenant, il y a des tentatives de rapprochement entre collèges. Je travaille personnellement à un projet qui s'intègre dans le cadre de la semaine interculturelle entre Saint-Laurent et Vanier justement, projet pour lequel je bénéficie de l'aide des animatrices culturelles des deux cégeps. Mais, comme je le disais, les efforts qui sont faits - là vous, vous parliez particulièrement des animateurs et animatrices culturels - les efforts que je connais à l'intérieur des collèges anglophones, et qui visent à mieux faire connaître la culture francophone du Québec, sont le fait de professeurs individuels, de professeurs qui appartiennent, entre autres, au programme d'études qui vous a invité lundi dernier, le programme d'études Québec-Canada, Québec-Canada Studies, mais aussi le fait de professeurs qui appartiennent à des programmes, qui enseignent des disciplines telles que les "Humanities" en général, l'anglais, la sociologie, etc. Il y a plusieurs cours... Il y a un cours en particulier auquel je pense qui s'appelle "Montreal Perspectives", qui est donné par un anglophone de vieille souche écossaise, et qui fait connaître le Québec francophone à ses étudiants, à travers la littérature traduite en anglais, mais tout de même, il y a un cours en anglais qui s'appelle également "Entre Québécois", c'est le titre. Le cours est donné en anglais, mais il s'appelle "Entre Québécois" et la littérature que les étudiants lisent est la littérature québécoise francophone traduite. C'est une façon d'exposer

l'étudiant à la réalité québécoise francophone, mais Il ya très peu d'appui de la part de l'administration en général et, comme vous l'avez ressenti vous-même en faisant votre présentation à Vanier, il y a beaucoup de travail à faire. Les étudiants vivent dans un autre monde. Mais, si je peux me permettre, j'ajouterais - et ça, sans vouloir offenser mes compatriotes francophones de vieille souche française - que les francophones de vieille souche française vivent, eux aussi, dans un autre monde. Et je suis à cheval entre les deux et je mesure le gouffre qui les sépare, et je m'Inquiète beaucoup quant aux possibilités de succès du projet d'intégration des communautés culturelles lorsqu'on n'a pas encore réussi à parler, à établir un dialogue minimal entre les deux communautés linguistiques francophone et anglophone. Je pense que, quand même, on a passé l'étape où les anglophones n'étaient pas capables d'apprendre le français. Je veux dire, je le dis en badinant évidemment, nous savons tous que les anglophones sont capables de parler le français, et beaucoup d'entre eux ont appris à parler le français et le parlent très bien d'ailleurs. Ce que je regrette, c'est qu'on ne leur accorde pas davantage la parole, qu'on ne les intègre pas davantage dans le projet d'intégration.

En les mettant de côté, en disant qu'eux bénéficient d'un statut particulier et que, par conséquent, il n'y a rien à faire de ce côté-là, je pense qu'on se prive d'alliés importants, et non seulement on se prive d'alliés importants, mais cela pose un problème de définition lorsqu'on parle de la société d'accueil, parce que, d'une part, dès le début de l'énoncé de politique, on ditque la société d'accueil est formée de gens qui viennent de nombreux horizons, mais, lorsque vient le moment de parler de la société d'accueil, on parle de la société d'accueil francophone et, à plusieurs moments, on comprend qu'il s'agit de la société d'accueil, d'une société d'accueil francophone de vieille souche française. Comme je le disais, je citais la page 13, là, du document d'accompagnement, je pourrais trouver d'autres citations... Ce n'est pas un reproche comme tel que j'adresse, là, ce sont des commentaires, des remarques que je fais et qui, je crois, auraient intérêt à être corrigés si on veut que la politique soit prise au sérieux.

Le Président (M. Doyon): Une dernière question, M. le député.

M. Boulerice: Oui, une dernière question, Mme Bertrand. Je me rattache à la réponse que vous avez donnée à ma première. Vous avez parié de la composante pluriethnique qui existe à votre collège, au cégep Vanier. Est-ce qu'il se reproduit - vous me permettrez d'employer une expression anglaise mais, de toute façon, vous allez la comprendre - les mêmes "patterns" que ceux qu'on décrivait dans les écoles secondaires - je caricature, là, mais pour vous l'illustrer - en disant: Bien, le couloir C appartient aux jeunes Québécois d'origine asiatique, une partie de la cafétéria appartient à ceux originaires des Caraïbes? Est-ce que ces comportements se reproduisent également dans le cégep anglophone auquel on prête des qualités d'intégration à la communauté anglophone plus fortes que le cégep francophone?

Mme Bertrand: Bien, je vais circonscrire ma réponse au collège Vanier, tout en signalant que le collège Vanier n'est pas représentatif de tous les collèges anglophones. Le collège Vanier, comme les autres collèges de l'île de Montréal, a la caractéristique d'être pluriethnique pour les raisons qu'on connaît, la concentration des immigrants s'étant faite en région métropolitaine. Ceci dit: oui et non. (17 h 45)

Dans le collège Vanier, il y a un cloisonnement dans l'espace, comme vous le dites, comme au collège Saint-Laurent, comme dans d'autres collèges. C'est un phénomène qui a été décrit dans un rapport qui vient tout juste de sortir sur la réalité pluriethnique du collège Vanier, recherche qui a été faite par Paul Bureau de concert avec les services étudiants du collège Vanier et le département de santé communautaire de l'Hôpital général de Montréal. Donc, ce rapport d'enquête révèle une chose qu'on avait déjà observée, que j'avais déjà moi-même signalée dans un de mes articles publié dans la revue Impression.Ceci dit, il y a aussi mélange, association de groupes entre eux. Par exemple, on s'aperçoit que les immigrants ou les fils et filles d'immigrants d'immigration plus ancienne ont tendance à s'associer. Par exemple, les Grecs et les Italiens s'associent. Les étudiants d'origine asiatique ont tendance à s'associer, tous groupes confondus. Et, à l'intérieur des classes, on s'aperçoit qu'il y a une plus grande facilité de communication que dans les collèges francophones, d'après ce que je peux en lire, d'après ce que peuvent m'en dire mes collègues qui travaillent dans les collèges francophones. Donc, oui, il y a communication, il y a association intercommunautaire, mais oui aussi il y a cloisonnement spatial. Tout est une question de proportion.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Bertrand. M. le député.

M. Boulerice: Je vous remercie et dites à vos collègues que j'accepterai toujours avec beaucoup de plaisir les invitations qui me viennent de Vanier.

Mme Bertrand: Nous l'apprécions.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci beaucoup,

Mme Bertrand, et je prends bonne note de vos recommandations.

Mme Bertrand: Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Bertrand. Merci d'avoir pris la peine de venir nous rencontrer. Maintenant, pendant que vous vous retirez de la table de nos invités... Le prochain invité est M. Pierre Anctil. Je crois qu'il est dans la salle, je l'invite à s'avancer, à prendre place et à nous faire sa présentation... Environ une dizaine de minutes. Après ça, les deux côtés de la table engageront le dialogue avec vous pour un temps qui sera à peu près le même. Alors, M. Anctil, vous avez la parole.

M. Pierre Anctil

M. Anctil (Pierre): M. le Président, Mme la ministre, membres de l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un mémoire privé qui est surtout fait d'observations générales sur l'évolution de la culture québécoise et je le présente à titre de membre de la majorité linguistique de Québécois de souche. J'ai complété mon cours primaire, secondaire et collégial dans des institutions qui se trouvent à moins de 20 minutes de marche de cette salle et c'est à ce titre, effectivement, que je présente mon mémoire. C'est tout à fait différent comme expérience de celle de mes enfants qui sont tous les trois dans le réseau scolaire de Montréal et il y a beaucoup de ce que je vais vous présenter qui découle de cette rencontre entre les générations.

Il y a deux éléments d'abord dans votre énoncé de politique que j'aimerais vous souligner, et je crois qu'il y a encore du travail à faire sur le fait que, souvent, malheureusement, vous présentez les immigrants, vous présentez les communautés culturelles et l'enjeu comme quelque chose d'instrumental par rapport à nous, francophones de souche. Et ça, je regrette ça. Je crois qu'il faudrait, quand vous en viendrez à votre programmation, quand vous en viendrez à des mesures plus concrètes, il faudrait insuffler une vitalité, il faudrait insuffler un contenu culturel véritable, une compréhension plus profonde de cette question. Je n'aime pas, malheureusement, trop souvent, que l'on considère les immigrants comme un apport démographique, comme une procédure pour nous permettre de nous ouvrir au monde, et je trouve ça un peu triste et déplorable. Ça, c'est un point, mais je comprends aussi qu'il faut aborder ces questions-là.

L'autre point, je pense, c'est la distinction entre immigrants et communautés culturelles que votre mémoire ne fait pas toujours. Il y a des communautés culturelles qui sont très solides, très implantées à Montréal, qui ne sont pas constituées d'immigrants mais de Québécois, soit les Québécois de troisième et quatrième généra- tion. Il faudra s'adresser à eux aussi. Il faudra avoir des politiques et des approches pour que ces communautés culturelles puissent dialoguer, communiquer, entrer dans le débat. Si on cible seulement les immigrants récents, seulement les gens qui sont arrivés depuis 15 ans ou depuis que votre ministère existe, je crois qu'on va laisser tout un énorme plan de côté, et ça, ça serait, je pense, tragique. Il faut se rappeler qu'il y a de l'immigration au Québec depuis plus d'un siècle et que ce qui est nouveau, c'est notre ouverture, à nous, les francophones de souche, à cette question. Ce n'est pas l'immigration en soi. L'immigration a profondément transformé la culture québécoise et la démographie québécoise et le contexte dans lequel nous vivons depuis déjà fort longtemps. Il faut tirer les conséquences de ce fait et il faut y mettre le temps aussi, et je crois que, si votre programmation réalise que nous, francophones de souche, nous commençons à nous intéresser, à sortir de notre torpeur, de notre indifférence, je crois que vous pourrez marquer des points. Votre propre ministère existe depuis seulement 20 ans alors que la Constitution canadienne prévoyait un siècle plus tôt, en 1867, que c'était une juridiction partagée. Il y a beaucoup de travail à faire au niveau de la formation des Québécois de souche. Je répète ce que d'autres ont dit avant moi, beaucoup de travail à faire au niveau de la recherche et de la conscientisation et il faut aller de ce côté-là, pas seulement appeler les immigrants à participer à notre société, il faut inviter les gens de souche, les gens qui sont ici depuis plus longtemps, à se pencher sur cette question, à prendre conscience, à s'ouvrir.

Un autre point, je pense, qui est fort important et fort intéressant, c'est celui du rapport entre langue et culture. Je pense qu'il faut travailler plus là-dessus ' aussi. On se rappelle tous que, il y a quelques mois, ça faisait exactement 30 ans que la Révolution tranquille a eu lieu. La Révolution tranquille a introduit une nouvelle variable dans notre culture de souche. Elle nous a détachés de notre identité religieuse catholique. Reste, pour nous les francophones de souche, l'identité linguistique comme phénomène majeur, comme phénomène premier. Quand on a fait le choix démocratique en tant que collectivité de devenir, nous, les francophones de souche, communauté d'accueil, quand on a accepté de prendre en charge, dans notre société, l'intégration et l'adaptation des immigrants, ce choix qu'on a fait depuis à peine la loi 101, on a voulu inviter ces gens à participer à notre milieu, surtout sur le plan linguistique. Il ne faudrait pas, je pense, exiger de ces gens qu'ils entrent dans notre milieu et aussi se conforment à notre culture. Ce serait une erreur d'avoir une vision normative de la culture québécoise. Le français comme langue des échanges sur la place publique, le français comme lieu de dialogue, oui, mais la culture québécoise

comme un fait à préserver à tout prix, comme quelque chose de fossilisé, non. Vous savez aussi bien que moi que la majorité des immigrants qui entrent au Québec aujourd'hui sont originaires du tiers monde, qu'il y a une distance qui s'accroît, qui est parfois assez importante entre l'immigrant et le Québécois de souche. Est-ce qu'on va exiger de ces gens-là qu'en plus d'apprendre le français ils se conforment à un idéal culturel très précis, à une perception de la culture québécoise de souche ou est-ce qu'on va leur donner une ou deux générations et, surtout, est-ce qu'on va leur permettre de contribuer à la culture québécoise, est-ce qu'on va leur permettre d'avoir un apport positif et concret?

Je pense que c'est fort important de dire que l'État québécois a un rôle à jouer là, premier. D'ici une génération, le pourcentage de francophones de langue maternelle qui ne seront pas de culture québécoise va être beaucoup plus important qu'aujourd'hui. Il va aller augmentant avec les années. Il va aller augmentant à un point tel que tout va être modifié sur le plan culturel. On s'en va, je pense, vers une forme de révolution culturelle, nous, les Québécois de souche. On s'en va vers un élargissement et vers un renouvellement de certains phénomènes culturels. Il faut, je crois, que l'État québécois soit ouvert à ceci, que l'État québécois prenne conscience qu'il n'a pas à défendre la culture de souche de manière rigide et stricte, mais, au contraire, à permettre l'élargissement de cette culture. Et ce serait triste, je pense, que l'État québécois s'implique seulement au niveau de votre ministère. Vous avez un rôle fondamental à jouer parce que vous êtes le moteur, vous êtes la porte d'entrée, vous êtes le lieu de rencontre premier, mais il y a d'autres secteurs à convaincre. Je pense aux Affaires culturelles, je pense à l'Éducation, je pense à énormément de domaines où l'État québécois est actif et doit s'ouvrir aussi à la contribution que feront les gens qui, aujourd'hui, entrent dans les classes d'accueil et qui, dans 20 ans, seront citoyens québécois avec le français langue d'usage. Si on dit à ces gens: Venez vous joindre à nous, vous êtes maintenant citoyens québécois, vous êtes maintenant francophones, et qu'au bout de 20 ans on leur ferme la porte sur le plan institutionnel et sur le plan des responsabilités, on aura créé, tout simplement, au lieu d'un ghetto en langue anglaise, comme il y a 50 ans, un ghetto en langue française. Et ça, je trouverais ça déplorable, pénible et un échec profond de notre société.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Anctil. Mme la ministre, y a-t-il des questions?

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, M. Anctil. Je dois tout d'abord vous dire que c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai pris connaissance de votre mémoire. Vous nous avez apporté une perspective tout à fait rafraîchissante. On s'est dit que c'est dans des termes semblables aux vôtres que j'aimerais que la population québécoise pense aux immigrants. Certains groupes que nous avons entendus jusqu'à maintenant, de même que ceux que nous entendrons ce soir, affirment qu'il existe une capacité d'accueil à Montréal, une espèce de seuil de tolérance au-delà duquel on ne peut plus intégrer les immigrants. Par contre, le Conseil économique du Canada, que nous avons entendu la semaine dernière, avait constaté que plus grande était la proportion de minorités visibles dans une région, meilleurs étaient les niveaux de tolérance. Existe-t-il, selon vous, un seuil de tolérance et, si oui, est-ce qu'il se quantifie?

M. Anctil: Oui. Il existe certainement un seuil de tolérance, mais il est extrêmement relatif et je ne crois pas qu'une équation va nous permettre de le trouver, ou une étude démographique ou même une étude économique. Je suis convaincu que ce seuil se situe au niveau de la volonté d'intervention de la communauté d'accueil, de la capacité de la communauté d'accueil de prendre en charge et de rencontrer l'immigrant. Je crois qu'on ne peut pas s'attendre à ce que la communauté d'accueil soit plus ouverte envers les immigrants noirs de souche africaine ou de souche arabe musulmane qu'elle le sera envers les Québécois de souche qui sont déjà de ces origines. Il y a un travail à faire chez nous, d'abord, et je crois... Moi, je ne crains pas une hausse importante de l'immigration sur ce plan-là. Je crois que ce n'est pas là que réside le problème. Le problème réside dans les institutions et les lieux où se fait la négociation entre notre culture de base, notre culture installée, notre culture établie et les immigrants.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Je voudrais vous parler du sentiment d'allégeance des Québécois des communautés culturelles. Je crois que nous nous entendons tous pour dire qu'il est souhaitable que tous les Québécois qui s'identifient à la majorité francophone, à la communauté anglophone ou à une communauté culturelle, là, ressentent un sentiment d'appartenance. C'est important qu'ils ressentent ce sentiment d'appartenance au Québec et partagent nos valeurs communes, c'est-à-dire, bien sûr, celles consacrées dans les lois.

Cela dit, les opinions diffèrent sur comment en arriver à ce que les nouveaux arrivants partagent ces valeurs. Certains affirment qu'avec le temps les immigrants ou bien leurs descendants finiront par adopter ces attitudes tandis que d'autres, à l'autre bout du spectre, réclament du gouvernement un discours affirmatif et des

mesures plus vigoureuses d'initiation aux valeurs québécoises. À votre avis, quels sont les meilleurs moyens pour susciter chez les immigrants ce sentiment d'appartenance et une allégeance aux valeurs communes?

M. Anctil: Je crois que l'État québécois doit défendre l'idéal démocratique de notre société, le respect des lois et un certain consensus social, par exemple l'égalité des sexes, l'égalité des races, l'égalité des communautés culturelles. Je crois que c'est à ça surtout que doit s'attacher le partage des valeurs. Il faut comprendre et partir de ce point de vue que les immigrants et les communautés culturelles - et là, je dis bien les deux - modifieront nos valeurs, modifieront nos pratiques sociales et introduiront des éléments qui surprendront la majorité et qui - et c'est déjà commencé depuis fort longtemps - nous permettront d'effectuer une certaine forme de métissage ou d'ouverture. C'est pour ça que, quand on parle de partage des valeurs, je le mets dans un corridor assez étroit, plutôt sur un plan légaliste. Je ne crois pas que l'État doit vraiment dire beaucoup plus. Ces valeurs-là sont fondamentales, les immigrants et les communautés culturelles y tiennent énormément, venant souvent de pays où les libertés n'existaient pas. Le reste, c'est une forme de négociation, c'est une rencontre. Vous devez favoriser la rencontre, vous devez favoriser le dialogue et créer des lieux de rencontre, mais vous n'avez pas à indiquer le rythme de cette rencontre, ni l'intensité, je crois, ni la densité des liens qui doivent se créer. J'insiste beaucoup et je pense que ce serait... D'après mon expérience des communautés culturelles qui m'informe le plus, ce à quoi tiennent le plus les communautés culturelles et les immigrants, c'est le respect des droits et libertés. Et quand cette valeur sera acquise - et elle l'est déjà largement et va continuer de l'être - je crois que le reste peut couler beaucoup plus facilement.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Doyon): M. le député de l'Acadie, vous avez une question? (18 heures)

M. Bordeleau: Oui. Merci, M. le Président. Tout comme la ministre, M. Anctil, je veux vous dire que j'apprécie beaucoup le contenu de votre mémoire. Je trouve que c'est... De fait, ça dégage une perspective que je trouve caractérisée, au fond, par une ouverture très large face à l'apport que peut avoir l'immigration à l'intérieur de notre propre culture québécoise. Aussi, réaliste dans le sens que vous abordez cette question-là comme ça a déjà été mentionné aujourd'hui, c'est-à-dire en donnant au temps le temps de faire les choses et, également, je pense que l'ouverture que vous manifestez dans votre document me plaît aussi dans le sens qu'on réagit avec une certaine sérénité face à la venue des immigrants et non pas avec une insécurité qui nous fait réagir, des fois, de façon très émotive.

J'aimerais revenir... Mme la ministre, tout à l'heure, vous posait une question sur le partage ou le sentiment d'allégeance et elle faisait référence surtout au comment, comment en arriver à faire en sorte que les gens aient un sentiment d'appartenance. Et vous parliez, à ce moment-là, dans votre document des valeurs communes. Moi, j'aimerais - je ne sais pas si vous avez réfléchi à cette question-là - que vous me disiez peut-être plus quelles sont les valeurs communes que les gens devraient partager. L'impression que j'ai, c'est que, souvent, dans la population, on va être très critique face à l'immigration parce qu'on va dire: Bon, les gens ne s'intègrent pas, ils ne parlent pas français. Quand ils parlent français, il y a d'autre chose qui fait qu'ils ne s'intègrent pas encore, et j'ai l'impression que, quand on parle d'immigration, il faut se voir nous, si nous, on était dans un autre pays, même un pays francophone, on ne serait jamais... Par exemple, si je vivais en France, je ne serais jamais un Français, je serais toujours un Québécois. Et où doit-on s'arrêter en termes d'attente? Parce qu'il y a beaucoup de confusion et il y a beaucoup de déceptions qui peuvent survenir, au fond, quand on parle d'immigration parce qu'on a des attentes qui ne sont peut-être pas réalistes.

Et quand on parle de respect mutuel, c'est-à-dire que les immigrants doivent respecter la société d'accueil, mais la société d'accueil aussi doit respecter l'identité culturelle des immigrants. Où est-ce que vous mettriez la limite peut-être, si c'est possible de le faire, au niveau des valeurs communes qu'on doit partager?

Le Président (M. Doyon): M. Anctil?

M. Anctil: Je crois que les immigrants veulent avoir l'accès au marché du travail, ils veulent avoir l'accès à nos institutions démocratiques, ils veulent avoir l'accès au lieu où se font le partage et les décisions. C'est bien évident que ça ne se fera pas du jour au lendemain, et c'est bien évident qu'il faut y mettre beaucoup de temps. Eux aspirent à une mobilité sociale, ils aspirent à une société démocratique, ils aspirent à partager, je crois, si on les invite et si on les convainc, ils vont aspirer aussi à partager une certaine portion des valeurs culturelles de notre société. La condition, évidemment, c'est qu'il y ait une langue qui soit commune à tous, ça, c'est acquis depuis la loi 101. L'autre condition, je crois, c'est qu'il y ait une compréhension du phénomène suivant: L'immigrant a besoin d'une à deux générations pour faire ce travail. Trop souvent, les personnes qui se prononcent sans réfléchir croient qu'un immigrant peut, en l'espace de quelques mois, un

an, deux ans, se québéciser, s'introduire dans nos réseaux scolaires, trouver un emploi où il va avoir accès à tous les avantages de la majorité, et surtout prendre conscience du processus démocratique et politique. C'est faux. Il y a des immigrants qui ont besoin d'une à deux générations. Il y a des immigrants qui arrivent de pays où la démocratie n'existe pas, où il n'y a aucune tradition politique en ce sens. Il y a des immigrants qui arrivent de pays qui n'appartiennent pas à la sphère culturelle occidentale. Leurs enfants vont être de langue maternelle allophone, môme nés au pays, et ils vont vivre dans des lieux communautaires et culturels qui les rassurent, qui les aident, qui forment un coussin face à la majorité. Il faut y mettre le temps, et je crois que c'est malheureusement ce qui manque souvent. Vous me parlez des valeurs communes, oui, on partagera des valeurs communes, si on y met le temps, et beaucoup d'organismes et beaucoup de personnes oublient que c'est un facteur fondamental et essentiel. Quand tout près de la moitié de nos immigrants sont d'origine asiatique, ces immigrants ont besoin de beaucoup de temps. Ils ont besoin de prendre conscience du type de société dans lequel ils ont été invités à vivre, et ça ne se fera pas du jour au lendemain.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Anctil, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: M. Anctil, votre document est, hors de tout doute, dans une perspective intellectuelle. Je tiens à dire "perspective intellectuelle", parce que, malheureusement, le contexte nord-américain a toujours fait que ce mot était négatif, et triste est la société qui ne valorise pas ses intellectuels. Vous avez développé, hors de tout doute, un point de vue intéressant, notamment au niveau de la culture dans son sens mouvant... Enfin, je vais prendre plutôt un mot plus noble, dans son sens polymorphe, et je pense qu'il y avait là matière, effectivement, à commentaire, à réflexion, mais que la mécanique impitoyable de cette commission ne me permettra sans doute pas, mais une question que je voulais vous poser à partir du vieil adage "Quand je me regarde, je me désole et, quand je me compare, je me console", je veux dire le Québec n'est pas la seule terre d'immigration au monde. Est-ce que les Québécois seraient, pour reprendre ces bons vieux examens de type objectif qu'on a commencé à nous introduire au collège puisque nous sommes, sans aucun doute, de la même génération, est-ce que le Québec est plus ouvert, ouvert, moins ouvert ou pas ouvert du tout par rapport à l'immigration, comparé justement à ces autres terres d'immigration qui existent?

Le Président (M. Doyon): M. Anctil.

M. Anctil: La réponse, c'est aucune des trois. La réponse, c'est: beaucoup plus qu'autrefois; et c'est là que j'insiste et c'est là que je crois qu'il faut réfléchir. Beaucoup plus qu'autrefois.

M. Boulerice: Elle est beaucoup plus, M. Anctil, ouverte. Là, vous introduisez un élément de pédopsychiatrie qui dit que chaque élément n'est comparable qu'avec lui-même, mais, sans vouloir vous faire pratiquer ce métier, le Québec est beaucoup plus ouvert que ce qu'il a été. Bravo, merveilleux, je m'en réjouis, mais je me dis donc que dans cette vie, toutes choses étant fragiles, continuons. Par contre, par rapport à d'autres sociétés, parce qu'il y en a qui ont tendance - je ne dis pas que c'est votre cas, loin de moi cette pensée, au contraire, je vous connais - mais certains ont tendance à vouloir inculquer aux Québécois une espèce de culpabilité qui répond bien d'ailleurs à ce masochisme traditionnel que nous avons cultivé là: né pour un petit pain, porteur d'eau, etc. Notre société est-elle plus, autant, moins ou pas ouverte du tout par rapport aux autres terres d'immigration?

Le Président (M. Doyon): M. Anctil.

M. Anctil: Je crois qu'historiquement la communauté de souche a fait des erreurs majeures dans son parcours d'accueil au XXe siècle, je le montre dans mon texte. C'est des choses, des décisions qui ont été prises, qui ont été tragiques pour l'orientation linguistique de certaines communautés qui sont arrrivées avant la Deuxième Guerre mondiale. Je crois que nous avons accédé maintenant, d'une façon définitive, au statut de majorité. Mais ce statut de majorité, cette volonté d'être une communauté d'accueil comporte des responsabilités aussi très lourdes. Je crois que nous sommes en mesure de prendre ces responsabilités. Je crois que nous sommes une société qui a plus réfléchi à cette question que, par exemple, le reste du Canada, le Canada anglais, plus réfléchi que la France sur le plan des institutions concrètes et du lien, du moment de rencontre et aussi plus que les États-Unis, peut-être à cause de notre statut minoritaire, peut-être à cause de la fragilité linguistique de la situation des francophones de souche en Amérique du Nord. Il n'y a aucun doute que comparer des situations, comparer des pays, c'est très périlleux parce qu'il y a des démarches historiques qui ne se ressemblent pas. Les États-Unis et la France sont des États unitaires, centralisateurs, ça n'a jamais été la situation claire, aussi clairement au Canada ou au Québec; c'est un avantage historique pour nous. II...

Le Président (M. Doyon): Non, non, je vous en prie. Continuez, M. Anctil.

M. Anctil: Si nous prenons conscience de cette accession au statut de majorité qui ne se

passe pas souvent dans l'histoire d'un peuple, je crois que nous pouvons cocher la case plus, plus ouvert. Si nous profitons de cette situation historique qui se déroule, qui se développe depuis la loi 101 et depuis d'autres événements, si nous en profitons au contraire pour imposer à l'État un caractère qui soit trop normatif face à la culture, je crois que, là, on risque quelque chose. On risque de diminuer notre capacité d'accueil. Mais je suis persuadé que la réflexion qui est engagée dans la société québécoise, au sein des différentes instances politiques, sociales et culturelles, est saine et qu'elle peut déboucher sur un plus, à condition que la majorité démographique et linguistique poursuive la recherche, poursuive le questionnement et ne considère pas les événements politiques actuels et à venir comme quelque chose d'acquis ou quelque chose qui irait de soi. Je pense qu'il y a toujours une réflexion que l'État québécois... Peu importe le régime politique, l'État québécois aura une réflexion sérieuse à poursuivre sur le plan de l'accueil des communautés culturelles et des immigrants.

Le Président (M. Doyon): M. le député?

M. Boulerice: Ce sentiment tout à fait légitime de crainte que les Québécois éprouvent n'est-il pas dû au fait - et c'est des mots que j'employais il y a six ans ou sept ans et j'étais à votre place là, où je disais que, comme province ou comme État souverain, ça sera toujours vivre dangereusement que de vouloir vivre en français en Amérique du Nord. Est-ce que vous ne croyez pas que ce sentiment-là de crainte est légitimé par la fragilité numérique sur un continent où nous sommes 40 fois minoritaires mais non pas un travers génétique - pour employer la phrase d'une dame tantôt, là, parce qu'il y a un nouveau vocabulaire qui s'introduit à tous les jours - des archéo-Québécois? C'est comme ça que ceux de vieille souche, maintenant, doivent s'appeler. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Doyon): M. Anctil?

M. Boulerice: Du grec "arkhaios", vous avez bien compris. Ha, ha, ha!

M. Anctil: Oui. Je comprends votre point de vue. Je crois que la prise de conscience de cette fragilité que vous soulignez, oui, je suis prêt à la faire avec vous, mais je suis prêt aussi à dire que les communautés culturelles et les immigrants aussi vivent une situation de fragilité, aussi vivent une situation de précarité face à nous, face à l'État québécois, face à la majorité démographique, et il y a là l'assise d'un dialogue important. Il y a là, je crois, quelque chose qui peut être un avantage, qui peut être une prise de conscience. Il est plus facile peut-être, pour un peuple minoritaire, pour un peuple dont l'histoire est difficile, de comprendre ses voisins à long terme; de comprendre l'accueil qu'il doit faire à l'immigration interne peut être plus facile, oui, c'est possible, à long terme. Ce n'est pas sûr que ce soit vrai à tout moment dans l'histoire, mais j'ose espérer que ce soit vrai.

M. Boulerice: Certains esprits chagrins disent que ce mouvement, cette adhésion massive des Québécois, enfin les sondages en témoignent, au concept de souveraineté serait un frein à l'ouverture. Vous entendez cette phrase: Mais pourquoi se replier alors que l'on s'ouvre? Que pensez-vous de cette assertion?

M. Anctil: Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure. Je le répète avec beaucoup de force et il y a des communautés culturelles qui vous l'ont dit à la commission Bélanger-Campeau de manière très claire. Quand ce processus d'État souverain se produira, de la façon qu'il se produira, quand on accordera aux communautés culturelles et aux immigrants la garantie ferme du respect des droits de la personne et du respect des spécificités culturelles, il y aura, je crois, une adhésion à ce phénomène beaucoup moins ambiguë qu'aujourd'hui. Je crois que les communautés culturelles, dans des conditions où les droits de la personne seront quelque chose de fondamental, se joindront à l'État québécois de la manière que vous le définirez, de la manière dont l'avenir le définira, peu importe la forme précise que prendra le régime. C'est ça qui est la pierre d'assise, je crois, pour l'immigrant et le membre d'une communauté culturelle installée. Ce n'est pas le fait que nous, en tant que francophones, on souhaite protéger notre culture, ce n'est pas le fait que nous, en tant que francophones, on souhaite avoir des garanties de survie. Ce n'est pas ça qui est le problème. C'est la manière dont ces méthodes de privilégier le fait français seront appliquées de façon très concrète. Et l'État québécois, je le répète, a un rôle à jouer là qui est fondamental. L'État québécois doit prendre conscience... pas seulement le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, l'État québécois en entier doit prendre conscience de ce que ça signifie, cela.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Anctil. En terminant, M. le député.

M. Boulerice: Je suis content de vous entendre dire ça parce que ça rejoint l'assertion du ministre de la Justice, M. Robillard, qui disait que la Charte des droits et libertés du Québec était plus généreuse que la Charte canadienne. Mais la dernière question que j'aimerais vous poser: Vous, M. Anctil, qui fréquentez les communautés culturelles - c'est une opinion que je vous demande - pouvez-vous me dire si - parce que vous dites que les Québécois de vieille souche doivent avoir une certaine sen-

sibilité, un intérêt envers les communautés culturelles - est-ce que, d'après vous, pour les Québécois de vieille souche, et notamment leur élite qui siège, là, sous les lambris dorés des palais nationaux, comme je le dis avec un peu de dérision, le fait de ne pas commenter, de ne pas discuter, voire même de condamner, si la chose a été négative, ce qui s'est passé dans les pays d'origine de ces Québécois nouveaux ne contribue pas, d'une certaine façon, au non-rapprochement des communautés?

M. Anctil: Pourriez-vous être plus précis dans votre question?

M. Boulerice: Vous fréquentez les communautés culturelles. Vous savez fort bien qu'elles ont toutes quand même une référence au pays d'origine. Elles sont toujours inquiètes, sensibles à ce qui s'y passe. Et très souvent ce qui s'y passe n'est pas pour le meilleur des mondes. Le fait que les Québécois de vieille souche et je disais, notamment, peut-être dans cette belle enceinte, ici, le fait de ne pas commenter, discuter, voire même condamner ce qui se passe dans les pays d'origine des nouvelles communautés - et je pense que c'est d'importance; les gens de la CECM, là-bas, semblent partager mon point de vue, je vois madame, d'ailleurs - est-ce que ça ne contribue pas au non-rapprochement des Québécois, des archéo-Québécois - parce que j'ai trouvé l'expression savoureuse - et des nouvelles communautés?

M. Anctil: Oui, ou les paléo-Québécois. Il y a là, je crois, dans ce que vous mentionnez, l'amorce d'une politique étrangère pour l'État du Québec, si vous me permettez. Je crois que, sur la scène internationale, on n'est pas rendu là, sous le régime actuel. Mais ça sera le rôle de l'État québécois, effectivement, d'intervenir, de se prononcer sur des questions des droits de la personne à l'étranger. Ça sera certainement le rôle de l'État québécois, sous un régime ou un autre, compte tenu du nombre important d'immigrants qui rentrent de certaines régions du monde qui sont des foyers de tensions et de conflits. Ce sera sûrement le rôle de l'État québécois d'avoir des responsabilités de ce côté-là. Je suis d'accord avec vous. Quelle forme exactement ça peut prendre? Je ne peux pas vous le dire, mais je crois que les communautés culturelles qui sont ici, qui vibrent à l'appel de leur pays d'origine parce que beaucoup de leurs proches y sont encore, attendent du pays d'accueil qu'il soit capable d'avoir une position proche des droits de la personne, proche d'un ordre mondial juste. Oui, ça, je suis d'accord avec vous, il n'y a aucun doute.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Anctil. M. le député, quelques mots de remerciement, peut-être.

M. Boulerice: Voilà, M. Anctil, vous avez entendu ce diktat que le président est obligé de faire compte tenu de sa fonction. Je vais vous remercier, en souhaitant pouvoir continuer avec vous, en d'autres temps et d'autres lieux, le débat, mais situé dans sa perspective culture, parce qu'il y a un débat qui se fait actuellement au Québec où on parle de l'État, l'État architecte, ce qui m'effraie, moi personnellement, mais, de toute façon, je pense que cette invitation, vous l'accepterez très volontiers et moi, je serai très heureux que vous l'acceptiez. Merci, M. Anctil, de votre participation.

M. Anctil: Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: M. Anctil, je vous remercie pour la réflexion en profondeur, et avec cette ouverture d'esprit que vous le fartes dans votre mémoire. Vos propos sont très intéressants. Merci beaucoup, je vous félicite.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Anctil. Vous avez pu voir l'intérêt que vous avez soulevé. C'est avec beaucoup de regrets que je suspends ces travaux jusqu'à 20 heures alors que nous recevrons deux autres groupes. Donc, suspension jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 19)

(Reprise à 20 h 8)

La Présidente (Mme Loiselle): À l'ordre, s'il vous plaît!

Si vous voulez prendre place - bonsoir, M. Boisclair - nous allons commencer les travaux de la commission pour cette soirée.

Alors, bienvenue à la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec. Bienvenue aux travaux de cette commission, la commission de la culture. Avant de débuter, j'aimerais que vous fassiez la présentation des gens qui vous accompagnent. M. d'Anjou, s'il vous plaît.

Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec

M. d'Anjou (Guy): Oui. Bonsoir, Mme la Présidente, Mme la ministre, Mme et MM. les députés. Il me fait grandement plaisir de vous présenter la délégation de la Fédération des commissions scolaires. À ma gauche, la première vice-présidente, Mme Diane Drouin; à ma droite, le directeur général de la Fédération, M. Fernand Paradis; M. Alain Doyer, un professionnel de la Fédération qui a travaillé au dossier, ainsi que M. Roch Archambault qui nous a grandement

éclairés dans l'étude de ce dossier.

La Présidente (Mme Loiselle): M. d'Anjou, vous savez que, selon les procédures pour les échanges, vous avez 20 minutes pour la présentation. Ensuite, c'est l'échange qui débute avec Mme la ministre et le porte-parole de l'Opposition officielle. Vous pouvez commencer.

M. d'Anjou: La Fédération des commissions scolaires, comme vous le savez, regroupe 168 des 170 commissions scolaires catholiques ou pour catholiques. Nous espérons bientôt les regrouper toutes.

Je peux vous dire au départ que, dans l'ensemble, nous souscrivons à l'énoncé de politique du ministère, mais nous tenons à dire qu'une politique d'immigration, ce n'est qu'un volet d'une politique de population. Il nous apparaît important de relier les deux. Il y a une interaction entre une politique de population et l'immigration. Il y a aussi des impératifs d'ordre culturel et linguistique qui doivent nous aider à établir et à mettre en pratique une telle politique. Il y a également des impératifs d'ordre économique qui ont leur importance lorsqu'il s'agit de faire des choix, de choisir des immigrants, et également lorsqu'il s'agit de déterminer le nombre d'immigrants chaque année.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que nous devons mettre l'accent sur une politique familiale au Québec. Il ne faut pas croire que l'immigration seule pourrait remplacer une politique familiale. Nous croyons qu'une telle politique est une priorité et que l'immigration est complémentaire de la politique familiale qui, elle aussi, fait partie d'une politique de population. Dans la pratique, nous croyons qu'une partie de la présentation de la politique du ministère est peut-être un peu idéaliste par rapport à la réalité, par rapport aux moyens que nous avons pour l'accueil et l'intégration des immigrants.

Nous constatons comme vous tous qu'il y a une concentration dans la région métropolitaine de Montréal et qu'il serait désirable que l'immigration soit régionalisée, c'est-à-dire s'étende sur l'ensemble du territoire du Québec. Nous constatons également que ce n'est pas facile dans le contexte économique actuel, alors que les régions ont beaucoup de difficultés à se développer au point de vue économique et que la plupart des régions excentriques sont en perte de population. Il faudrait trouver le moyen de développer les régions, d'occuper le territoire du Québec, et peut-être de sélectionner des immigrants qui pourraient oeuvrer en région.

Mais j'admets avec vous que ce n'est pas trop facile. Ce qui est capital dans une politique comme celle-là, je pense, c'est de prévoir et d'avoir les moyens de mesures visant a l'intégration. C'est pourquoi les commissions scolaires s'intéressent grandement à la question, vu le rôle important que l'école publique, l'école du quar- tier, l'école du village peuvent jouer dans l'intégration et l'accueil des immigrants. Il ne s'agit pas seulement d'admettre les jeunes immigrants à l'école publique, il s'agit de faire de cette école le centre d'accueil des immigrants, là où les adultes, les parents, seront reçus, là où les parents, dans leur école de quartier, apprendront la langue, apprendront à s'intégrer a la société québécoise, de telle sorte que parents et enfants reconnaissent l'école comme le centre de la vie communautaire, en autant que l'éducation est concernée.

Nous pensons même qu'il serait réalisable que l'école devienne un centre d'accueil donnant divers services aux immigrants. Ce serait, en somme, le phare qui les attirerait, les retiendrait, là où l'immigrant, en toute confiance, pourrait trouver les services dont il a besoin.

Une mesure que nous favorisons d'une façon particulière, c'est l'adoption internationale. Il y a beaucoup de possibilités de ce côté-là, mais les procédures sont très longues, très difficiles. Mais nous croyons que, tout en faisant oeuvre humanitaire, en favorisant l'adoption d'enfants abandonnés de divers pays, accueillis dans des familles d'ici, nous croyons que ces enfants-là, naturellement, comme leurs frères et soeurs, s'intégreront à la société québécoise. C'est peut-être la formule la plus facile. Le problème qui rend difficiles toutes ces mesures d'accueil et d'intégration, c'est un problème financier. Notre capacité d'accueil est limitée par les ressources financières qui existent. Quand on sait que des adultes attendent encore pour suivre des cours de langue française, c'est un problème très sérieux, à notre avis. Il est capital que les parents, en même temps que les jeunes, les enfants, apprennent la langue de leur nouveau pays, de leur nouvelle région.

Alors, nous pensons que, pour faciliter aux commissions scolaires et à l'école publique un rôle important dans le domaine de l'intégration des immigrants, de l'accueil des immigrants, il faudrait chercher des moyens pour favoriser une plus grande dispersion de la clientèle ethnique sur le territoire scolaire. Il est important, je pense, que les jeunes immigrants soient en contact quotidien à l'école avec les Québécois établis ici depuis longtemps, de façon à favoriser des liens d'amitié et l'apprentissage pratique de la langue.

Il faudrait aussi augmenter la représentation des diverses ethnies au sein du personnel des commissions scolaires et des écoles et organiser des échanges scolaires entre des écoles francophones et des écoles à forte concentration ethnique. Ça se pratique à Montréal, actuellement. Il faudrait également accroître les mesures post-accueil en général. À titre d'exemples: des agents de liaison, des cours de langue après l'horaire régulier et les études dirigées. Vous savez que beaucoup de jeunes, lorsqu'ils ne possèdent pas la langue, prennent un retard

scolaire important. Il faut mettre tout en oeuvre pour les aider à rattraper les autres le plus rapidement possible et éviter qu'ils ne puissent terminer leurs études. Une autre mesure possible, c'est des cours du samedi et la participation de parents des communautés culturelles à la vie scolaire et aux comités d'école, comme vous le suggérez d'ailleurs dans votre politique.

En conclusion, le projet gouvernemental touchant l'immigration et l'intégration des immigrants trace des orientations et identifie un certain nombre de moyens d'action avec lesquels la Fédération tient à exprimer son accord global et auxquels elle donne son appui. Dans la mesure où il s'agit là de pistes à poursuivre ou d'objectifs à atteindre à moyen ou à long terme, la direction identifiée apparaît définitivement être la bonne. Mais il faudra éviter d'agir avec trop d'empressement et laisser le temps aux mentalités de se modifier en conséquence, et aux institutions que nous avons au Québec de s'ajuster, sans trop les brusquer. Il faudra notamment, avant d'ouvrir les vannes de l'immigration, accentuer l'effort gouvernemental en vue de mieux supporter les familles installées au Québec et favoriser chez elles un accroissement de la natalité. Il faudra aussi améliorer sensiblement l'aide économique aux régions pour qu'elles puissent se développer et devenir des lieux d'emplois stables, intéressants et aptes à garder les populations qui y vivent et, aussi, à attirer de nouveaux arrivants en provenance d'autres pays du monde.

Si les perspectives d'emplois en région ne s'améliorent pas de façon importante, il sera à peu près impossible d'y amener et surtout d'y garder des immigrants. Pour l'heure, la nouvelle entente Québec-Ottawa sur l'immigration permettra au Québec de se doter d'une politique d'action en cette matière qui sera, sans aucun doute, plus conforme à ses besoins et à ses objectifs et lui permettra plus de souplesse et de capacité d'action pour les satisfaire. C'est certainement un élément très positif et nous espérons bien en constater les retombées concrètes à court terme dans le réseau de l'éducation, au bénéfice des clientèles ethniques que nous devons desservir actuellement avec des ressources trop limitées.

Alors que les besoins sont très grands, nous apprenons l'intention gouvernementale d'appliquer des compressions budgétaires de l'ordre de 100 000 000 $ pour la prochaine année financière. Nous tenons à dire que nous ne pouvons pas être d'accord avec de pareilles intentions alors que, au contraire, il y a des besoins nouveaux qu'il faut satisfaire. Nous croyons que les dépenses en éducation doivent être considérées par l'État comme des investissements pour l'avenir, pour créer de la richesse, au lieu de sous-financer l'éducation, avec le résultat que vous connaissez, à savoir les coûts sociaux énormes causés par une sous-scolarisation. Alors, voilà; ça nous fera plaisir de répondre à vos questions.

La Présidente (Mme Loiselle): Est-ce qu'il y a d'autres interventions, de vos collègues, M. d'Anjou?

M. d'Anjou: Peut-être en réponse aux questions, si vous voulez, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Loiselle): Alors, Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, et merci, M. d'Anjou, pour cette présentation. M. d'Anjou, comme ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, j'ai à peu près tous les jours l'occasion de constater des attitudes positives, et même parfois d'engagement à l'égard du français, chez nos concitoyens de toutes origines. Par exemple, dans le dernier sondage, 80 % des allophones considèrent l'apprentissage du français comme une condition nécessaire à leur intégration. Et, d'ailleurs, on a eu l'occasion, la semaine dernière entre autres, d'entendre plusieurs groupes venir nous dire comment ils reconnaissaient que le français est la langue commune de la vie publique, et l'importance, aussi, d'utiliser cette langue. Lorsque vous abordez le contrat moral dans votre mémoire, à la page 3, vous mettez en doute l'acceptation du fait français par les communautés culturelles et, par le fait même, leur adhésion à ce volet du contrat moral. Qu'est-ce qui vous amène à avoir de telles craintes, et croyez-vous que de telles attitudes soient généralisées au sein des communautés culturelles?

M. d'Anjou: Non, je ne crois pas. Les communautés culturelles que nous avons entendues, pour une très grande majorité, se sont prononcées clairement en faveur du fait français. Mais vous dites vous-mêmes 80 %; il y a peut-être les autres 20 %.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, pour vous, il y a encore des attitudes à changer, à ce niveau-là?

M. d'Anjou: Oui, je le crois. Il y en a peut-être qui arrivent ici mal informés. Je pense que c'est ça qui est capital. Il faut que ce soit clairement établi. Quand quelqu'un s'en vient au Québec, il faut que les règles du jeu soient connues au départ, à savoir que la langue prioritaire, la langue officielle, c'est la langue française, et que ces immigrants-là doivent accepter au départ que leurs enfants devront fréquenter une école française. Et il arrive des immigrants qui ne sont pas au courant. Mais le fait que le Québec aura peut-être une plus grande maîtrise du choix des politiques d'immigration, du choix des immigrants, de l'accueil, à

ce moment-là, je pense qu'il y aura de meilleures possibilités de les informer adéquatement.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Je pense que l'information à l'étranger est tout à fait importante. Je pense que la personne qui veut faire un choix éclairé doit être bien renseignée. Comme vous l'avez sûrement constaté dans l'énoncé de politique, nous voulons faire des efforts dans ce sens-là. Par contre, bien sûr, pour nous, il faut quand même aussi mettre beaucoup d'emphase sur cette question du français et il faut que les gens en arrivent, à un moment donné, non seulement à, l'utiliser, mais aussi à la maîtriser, cette langue commune.

M. d'Anjou: Pour ça, il faut absolument que les parents, en même temps que les enfants, apprennent le français.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Cependant, est-ce que vous donnez quand même une certaine chance à la première génération"? Il y a quand même un peu de flexibilité, je pense, qu'il faut accorder à la première génération.

Quant à la deuxième génération, on sait qu'en vertu de la loi 101, au départ, ils doivent s'inscrire à l'école française; mais la première génération, est-ce que vous lui accordez un peu de souplesse?

M. d'Anjou: Bien, sûrement. On n'a pas demandé que tout le monde possède la langue française avant d'arriver au Québec; il n'en est pas question.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Je voudrais vous parler aussi de la concentration à Montréal. À la page 4 de votre mémoire, vous dites que Montréal comprendrait, actuellement, 16 % d'immigrants. Je constate que vous incluez sous le vocable "immigrant" toute la population immigrée, même celle qui est installée ici depuis 40 ans. Est-ce à dire, par exemple, que ces gens ne devraient jamais être comptés comme des Québécois? Ce qui arrive - et vous n'êtes pas les seuls; cet après-midi, j'ai entendu ça, à un moment donné - on parle de fortes concentrations dans les écoles. Par contre, on dit: II n'y a pas de... le Québécois... Mon collègue a l'habitude de parler de tuques et de bas de laine. Par contre, vous avez quand même de ces personnes qui sont nées ici, de la deuxième génération, et souvent, on les identifie encore comme des immigrants. Par exemple, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, quand on parle de fortes concentrations, de faire une différence entre les personnes qui sont ici depuis plusieurs années, qui sont nées ici et qui fonctionnent ici, ceux de la deuxième génération, entre autres, et les nouveaux arrivants?

M. d'Anjou: C'est clair que toute personne qui est née au Québec ne peut pas être considérée comme étant immigrante, elle est née au Québec, au Canada. Alors, à ce moment-là, on ne peut pas la considérer comme étant immigrante. Mais lorsque les parents ne parlent pas le français, à ce moment-là, il y a un certain problème. Les enfants, même s'ils sont de la deuxième génération, s'ils sont nés au Québec, arrivent à l'école avec une connaissance insuffisante du français. Ils ont aussi des difficultés scolaires à cause de ce facteur-là.

Mais je suis d'accord avec vous. À partir du moment où quelqu'un est né au Québec ou au Canada, il n'est pas question de le considérer comme un immigrant; il est né ici.

Mme Gagnon-Tremblay: Nous avons discuté aussi cet après-midi des fortes concentrations. On disait qu'il y avait certains facteurs qui étaient à l'origine de cette concentration. Bon. Je pense, entre autres, à la CEQ qui en avait identifié quelques-uns comme, par exemple, la question des écoles anglo-catholiques et des écoles franco-québécoises. Il y a aussi, bien sûr, les concentrations d'immigrants par quartier, dans certains quartiers. Mais est-ce que vous identifiez d'autres facteurs qui seraient, par exemple, à l'origine de cette concentration, et qu'est-ce qu'on pourrait faire pour déconcentrer? Bien sûr, vous avez parlé tout à l'heure de la régionalisation, mais la régionalisation aussi, c'est un projet à plus long terme. Comme je le dis toujours, la régionalisation, on ne l'impose pas à l'immigrant et on ne l'impose pas non plus à la région. Il faut commencer par changer des attitudes, des mentalités. Il faut préparer, il faut aussi se donner des structures d'accueil. Alors, c'est un projet à moyen et à long terme. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire rapidement, demain matin. Mais est-ce que vous avez, par exemple, d'autres possibilités, d'autres suggestions à nous faire pour empêcher cette concentration, pour éviter cette concentration?

M. d'Anjou: Oui. Je pense qu'on ne pourra jamais l'empêcher, c'est un mouvement naturel. Les gens d'une même culture tentent de se regrouper, je pense. Et, souvent, les immigrants font venir des membres de leur famille et les gens se regroupent. Je pense que c'est un mouvement naturel. C'est très difficile de l'empêcher. Mais ce qui est important, je pense, c'est d'éviter d'avoir des écoles où il y aurait une trop forte concentration de gens de diverses cultures autres que des gens parlant français, ou anglais dans le cas des écoles anglaises. Moi, je pense que, dans la mesure du possible, l'intégration est facilitée par le contact entre les Québécois qui sont nés ici et les nouveaux arrivants. Il faut que ces contacts-là se fassent. Il y a sûrement une éducation du public à faire pour une plus grande ouverture, un accueil chaleureux, je dirais. C'est pourquoi nous voudrions que

l'école devienne le lieu de rassemblement des communautés culturelles et des nouveaux arrivants. Mais les moyens ne sont pas faciles. Commencer à les transporter, je pense que ce n'est pas facile. Mais je pense que la mise en contact de ces groupes-là avec les Québécois nés ici, c'est ça qui va faciliter l'intégration.

Mme Drouin (Diane): Je peux peut-être...

M. d'Anjou: Oui, Mme Drouin voudrait ajouter quelque chose.

Mme Drouin: Oui, peut-être ajouter... Dans notre mémoire, on vous parle justement de deux moyens. On a parlé de l'adoption internationale. Ça nous apparaît peut-être l'un des moyens qui est assez facile d'application, si l'on assouplit un petit peu les règles, pour amener, justement, des immigrants en région. Parce que, là, les parents choisissent l'enfant, ils l'amènent chez eux, et puis l'enfant s'intègre beaucoup plus facilement. On a aussi parlé de développement économique. Parmi les moyens, il y aurait peut-être la possibilité d'inviter ou d'inciter fortement les immigrants indépendants ou les immigrants gens d'affaires à installer leur entreprise en région, par des moyens au niveau de la fiscalité ou autrement. Ça serait sûrement bienvenu en région à ce moment-là parce que, s'ils apportent du travail, je pense que les régionaux seraient très heureux de les accueillir. (20 h 30)

Mme Gagnon-Tremblay: Comme je le mentionnais, au niveau des gens d'affaires, il faut aussi se donner des structures. Actuellement, nous travaillons avec tous les leaders économiques des régions, des principales régions, là où on a des directions régionales, justement dans le but de préparer l'accueil de ces gens. Comme je le mentionnais la semaine dernière, nous accueillerons cette année 2000 entrepreneurs que nous avons sélectionnés l'année dernière. Alors, bien sûr, il faut que les régions connaissent leurs besoins et qu'elles soient capables d'offrir à ces entrepreneurs des projets d'entreprises, des projets de création d'entreprises et d'emplois. Alors, c'est toute la chimie qu'on doit avoir entre les besoins et l'offre.

Je reviens rapidement à l'adoption internationale; bien sûr qu'on peut miser, qu'on peut réduire les délais et qu'on peut travailler. C'est un dossier qui ne relève pas nécessairement de notre ministère, cependant. Mais, au-delà de ça, supposons qu'on réussisse à réduire les délais et tout ça, c'est quand même un infime pourcentage par rapport à l'ensemble de l'immigration. Qu'on puisse réussir à faire venir des enfants par l'adoption internationale, ça représente quand même un pourcentage très minime par rapport au flux migratoire. Ce n'est pas, naturellement, le plus gros. Je pense qu'il y a des efforts à faire dans ce sens-là, mais ce n'est pas nécessairement le plus gros morceau de notre immigration.

Mais je reviens à la question de la concentration. J'ai constaté cet après-midi, entre autres, qu'il y a des écoles où il y a aussi des classes d'accueil. On est très fiers d'avoir beaucoup de classes d'accueil. On demande aussi d'avoir des classes d'accueil. Mais, cependant, j'ai constaté aussi que, d'autre part, lorsqu'on a ces classes d'accueil dans des écoles, généralement, il y a concentration après parce que ces gens demeurent là. Ils entrent - c'est une classe d'immersion - mais ils ne bougent pas après. Ils demeurent dans le même quartier, ils demeurent dans cette classe. Là, je me demande quel serait le moyen pour éviter ça. La question du "busing", par exemple; je ne suis pas nécessairement en faveur parce que je pense que, dans d'autres pays, ça n'a pas donné les résultats escomptés. Mais cependant, en ce qui concerne les classes d'accueil, si l'on veut avoir une immersion avec des Québécois nés ici ou de souche, à ce moment-là, est-ce que ce ne serait pas une bonne chose de penser... Quitte à transporter pendant la première année, uniquement durant ces classes d'accueil, des gens dans des secteurs vraiment entièrement francophones; ou bien croyez-vous que ce n'est pas ça qui va nous aider à améliorer le problème de la concentration?

M. d'Anjou: Je ne suis pas sûr que ça réussirait, mais ça pourrait être tenté sur une base volontaire; mais je ne suis pas sûr que ça réussirait parce que la concentration ne dépend pas seulement de ça. Nous favorisons des classes d'accueil, pratiquement dans chaque quartier où il y a des immigrants. Il faut que ce soit à l'école, comme on le disait tout à l'heure, autant pour les adultes que pour les jeunes.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour vous, le facteur classes d'accueil, par rapport aux autres facteurs qu'on a pu énumérer tout à l'heure, est-il un facteur qui, finalement, est nécessairement le plus important, celui sur lequel on devrait nécessairement essayer de trouver des solutions par rapport aux autres?

M. d'Anjou: Ce facteur-là n'est pas le seul qui attire les immigrants dans un coin ou un quartier. Si les classes d'accueil sont là, c'est parce qu'ils sont déjà là. M. Archambault, qui a travaillé au dossier de Montréal, est plus au courant que nous et il pourrait vous donner la réponse plus facilement.

M. Archambault: Oui. Je peux vous citer en exemple deux noms d'écoles, cette année, à la commission scolaire chez nous, l'école Morand-Nantel, qui est dans le nord-ouest de notre commission scolaire, et l'école Beauséjour, où nous n'avions pas de classe d'accueil les années passées; mais, comme on l'a souligné, nous manquons d'espace, nous manquons de classes.

Nous avons véhiculé les enfants de notre commission scolaire vers ces écoles-là, tant au premier cycle qu'au deuxième cycle. L'année se termine, on veut rapatrier dans leur quartier d'origine ces élèves-là, et je vous dis que nous avons de la difficulté; ils se sont fait des copains, des copines. Le personnel enseignant s'attache à ces gens-là; les parents ont été très bien reçus dans ces milieux et nous devrons leur offrir, l'an prochain, des services pour qu'ils soient dans ces milieux-là. Ça favorise l'intégration.

Mais, sur une très haute échelle, le "busing" amène des inconvénients assez majeurs parce qu'il faut leur garantir, à ces élèves-là, la faisabilité de six années de primaire, quitte à bloquer des entrées ou des gens qui sont du milieu même parce que nous manquons d'espace actuellement.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais est-ce que vous avez constaté cependant, en tentant cette expérience... Parce que, d'une part, on se rend compte que, justement, ça évite une concentration parce qu'ils s'attachent à ce milieu-là.

M. Archambault: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais est-ce que vous avez remarqué cependant si les parents sont prêts à déménager pour se rapprocher de cette école-là, ou bien si on continue à exiger le transport?

M. Archambault: Dans certains cas - là, on peut compter ça sur les doigts de ia main, ceux qui veulent déménager dans le secteur - dans le secteur où ces écoles sont situées, il n'y a pas de bloc d'appartements; c'est des unifamiliales et c'est le transport.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

La Présidente (Mme Loiselle): M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais revenir sur un point. Dans votre mémoire, à la page 4, vous parlez de l'imprécision du concept de la capacité d'accueil. Effectivement, on parle souvent de la capacité d'accueil de la société québécoise. Disons que, dans le passé, ça s'est fait un peu sous forme de consensus social; mais ça demeure toujours une notion qui est relativement floue, relativement ambiguë. Je suis à peu près assuré que, si on demandait à différents segments de la société québécoise quelle devrait être la capacité d'accueil à partir des indicateurs qu'ils valorisent le plus, on arriverait probablement à des estimations très différentes, selon qu'on parlerait à des gens des commissions scolaires ou à des gens du milieu économique ou du milieu industriel, etc.

Est-ce " que vous avez des suggestions à nous faire sur les indicateurs qui devraient être utilisés - étant donné, justement, ia complexité d'en arriver à établir une capacité d'accueil pour l'ensemble de la province - compte tenu du fait que ça peut varier beaucoup d'une catégorie d'informateurs par rapport à une autre catégorie? Quels sont, selon vous, les indicateurs qui devraient être pris en considération?

M. d'Anjou: Du point de vue des commissions scolaires, nous n'avons pas l'expertise pour déterminer, par exemple, le nombre d'immigrants, en tenant compte de facteurs économiques. Ce que nous constatons quand même, c'est que les commissions scolaires ont des problèmes sérieux au niveau de l'accueil et aussi au niveau de l'appui à donner aux élèves dans les classes pour leur permettre de cheminer au même rythme que les autres. Il y a des problèmes réels, là.

Alors, quand on parle de capacité d'accueil, nous, comme commissions scolaires, c'est les ressources limitées que nous avons pour nous permettre, justement, d'accueillir ces jeunes-là et de les faire cheminer très rapidement, et aussi le fait qu'on ne peut pas recevoir tous les adultes désireux de prendre des cours de langues. Ça aussi, c'est une capacité d'accueil diminuée, à notre avis. Mais, pour parler du problème d'intégration dans notre société, c'est qu'il faut éviter d'avoir des ghettos, je pense, et viser à ce que toute ia population au Québec vive harmonieusement. Je pense qu'il faut viser ça.

M. Bordeleau: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il demeure quand même que, pour le gouvernement, nous devons en arriver à déterminer... C'est qu'il doit prendre en considération l'ensemble des points de vue: le point de vue du milieu scolaire et le point de vue du milieu des entreprises. Et ça ne concorde pas toujours pour arriver à déterminer. Évidemment, il peut y avoir des écarts, à certains moments donnés, compte tenu des disponibilités des ressources, etc., ou un déficit, à la limite, du côté des industries, si, dans certains secteurs, on ne recrute pas la main-d'oeuvre nécessaire.

M. d'Anjou: II y a quand même une chose que nous constatons. C'est qu'avec tout le chômage qui sévit au Québec, quand nous voyons les entreprises qui n'ont pas le personnel qualifié pour répondre à leurs besoins, nous nous disons qu'il faut que le Québec s'organise pour fournir la formation professionnelle nécessaire pour que les gens d'ici puissent postuler des emplois dans les secteurs où la technologie est avancée. Pour nous, le développement de la formation professionnelle, c'est capital; et on croit qu'il faut favoriser d'abord les gens d'ici au lieu d'aller chercher une main-d'oeuvre hautement qualifiée quand nous pourrions la former ici.

Quand il s'agit d'entrepreneurs, c'est une

autre histoire. Quand il s'agit de réfugiés, c'est sûr que notre pays, le Québec, doit faire sa part pour recevoir sa part de réfugiés. Mais nous croyons que les procédures doivent être accélérées pour ces gens-là, qui vivent pendant des années dans l'incertitude. Il me semble qu'on pourrait procéder beaucoup plus rapidement et, surtout, ne pas renvoyer des gens qui se sont déjà intégrés à notre société et qui se sont déjà trouvé un gagne-pain.

M. Bordeleau: C'est ce que je voulais savoir, merci.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. M. le député de Qouin.

M. Boisclair: Merci, Mme la Présidente. M. d'Anjou, je veux vous dire que ça fait plaisir de vous retrouver...

M. d'Anjou: Moi aussi.

M. Boisclair: ...dans cette salle où on a eu l'occasion d'échanger à quelques reprises, mais sur un autre forum. On ne reviendra pas sur ces questions-là. Je veux vous dire, peut-être en guise d'introduction, jusqu'à quel point ça peut être intéressant de vous entendre faire ce plaidoyer en matière d'éducation, en matière de formation professionnelle. Je crois que vous avez soulevé à juste titre, dans votre mémoire, qu'une politique d'immigration n'est qu'un des piliers sur lesquels doit reposer une société qui se veut ouverte, démocratique, et aussi qui veut participer à ce nouveau contexte qui est en train de se développer un peu partout à la grandeur du monde.

Je crois que c'est rafraîchissant et que ça fait du bien de se le faire dire, et je crois qu'il s'agit là d'une condition essentielle à un développement juste et équitable du Québec. Et je souhaite que l'appel que vous avez fait à plusieurs reprises soit entendu de l'ensemble des intervenants et des dirigeants politiques.

J'aimerais peut-être revenir plus précisément sur votre mémoire. Vous parlez de l'équilibre entre les différents objectifs qui sont présentés dans l'énoncé de politique. Vous donnez un certain nombre d'exemples qui démontrent jusqu'à quel point cet équilibre peut être fragile et précaire et vous observez un certain nombre de difficultés. Ce qui est intéressant dans votre présentation - ce qu'on ne retrouvait peut-être pas dans votre mémoire - c'est jusqu'à quel point vous insistez pour dire que l'école n'est pas seulement un lieu physique. L'école est effectivement - ça, je peux en convenir facilement avec vous - un milieu de vie dans lequel les gens font plus que recevoir ou absorber des connaissances. C'est aussi un lieu où on peut privilégier un certain nombre de contacts personnels, où on peut se permettre de grandir non seulement intellectuellement mais socialement et de bien d'autres façons, et je crois qu'il y a là un élément important de cet équilibre qu'on essaie de définir.

La réflexion m'amènerait donc à ce contrat moral dont on parle dans l'énoncé de politique, sur lequel vous faites un certain nombre de commentaires. Vous dites: Ne sous-estime-t-on pas quelque peu les difficultés à réaliser un tel objectif? Vous parlez d'un certain nombre de problèmes. J'aimerais peut-être revenir à une question, un peu dans le même sens que mon collègue de l'Acadie le faisait tout à l'heure, et vous dire: Comment, bien sûr, au-delà de ces simples énoncés de principe, ces énoncés de volonté - qui sont faits de bonne foi, j'en suis convaincu - peut-on essayer, pour nous qui aurons à discuter un jour, je présume, d'un projet de loi, d'une politique ou de choses plus concrètes, de concilier ces objectifs-là? Et comment, concrètement, peut-on essayer d'appliquer ce contrat moral? Est-ce qu'il y a des exemples, dans un certain nombre de commissions scolaires qui sont membres chez vous, de ce genre de contrat social qui a fait consensus, dans une communauté qui serait le milieu de vie, qui serait l'école? Est-ce que c'est quelque chose qui se discute dans les différentes instances de votre fédération? Est-ce qu'il y a des gens qui en feront la promotion? Est-ce que vous vivez, d'une certaine façon, votre contrat social, chez vous?

M. d'Anjou: Oui. Ça existe. Il y a parfois de fortes contestations d'un contrat comme celui-là. Il y a toujours des gens qui sont prêts à contester, mais, au niveau scolaire, quand les parents suivent le développement de l'enfant et sont présents à l'école avec les agents de formation de l'école, le personnel de l'école, je vous assure qu'un genre de contrat social comme celui-là est rapidement respecté. Et c'est la minorité qui n'est pas d'accord.

M. Boisclair: Ce contrat social devra se faire. On parle d'un certain nombre d'objectifs dans le redressement. On parle du redressement démographique, de la prospérité économique, de la pérennité du fait français, de l'ouverture sur le monde. Soit, je peux comprendre que les parents ont un rôle important à jouer, puis votre position là-dessus est...

M. d'Anjou: Ah! c'est capital, à mon avis.

M. Boisclair: Votre position est très claire à cet effet...

M. d'Anjou: Ah! c'est capital. (20 h 45)

M. Boisclair: ...puis vous avez eu l'occasion d'en parler. Mais n'empêche qu'il faut aussi que ce consensus-là et que ce constat se fassent

autour d'un certain nombre de valeurs. Une fois qu'on a dit que les parents, bien sûr, étaient maîtres d'oeuvre importants dans une politique d'éducation et jouaient, bien sûr, un rôle important dans le développement, au-delà de ça, ces consensus doivent se tisser autour d'un certain nombre de valeurs. Et je me demande, je me pose un peu la même question que vous: Comment, "réalistement", peut-on appliquer ce genre de contrat moral? Comment peut-on y arriver? Bien sûr, en impliquant les parents, mais autour de quel genre de valeurs? La finalité, en soi, n'est pas d'impliquer les parents. La finalité, c'est plutôt de définir un projet de société dans lequel, bien sûr, les parents, les enfants, les éducateurs et les administrateurs vont se reconnaître. Je voudrais plus en revenir au niveau des valeurs.

M. d'Anjou: II y a un équilibre à ce niveau-là. J'ai toujours pensé, et qu'on regarde l'histoire du monde, c'est très clair que le pays qui reçoit est autorisé à préserver ses propres valeurs - parlons de la langue à titre d'exemple - et que ceux qui s'en vont dans un autre pays... Parce que l'intégration, ce n'est pas seulement de la part de celui qui reçoit, c'est aussi de la part de celui qui vient habiter dans un autre pays. Je pense que si les règles du jeu sont bien connues... Comme on le disait tout à l'heure, quand le Québec accueille, sélectionne, et que l'on connaît très bien les règles du jeu, je pense qu'on peut respecter les valeurs culturelles de chacun des immigrants ou de chacune des communautés culturelles, tout en étant sûrs que les valeurs d'ici, de la population du Québec, de notre société, doivent primer, à mon avis, mais sans brimer la culture et les droits de la personne, bien sûr. Dans tous les pays, c'est comme ça que ça se passe.

M. Boisclair: Ça ferait sûrement une bonne intervention, ça, M. d'Anjou, si vous me permettez, à la commission Bélanger-Campeau.

M. d'Anjou: Pardon?

M. Boisclair: Ça aurait fait une bonne intervention à la commission Bélanger-Campeau.

M. d'Anjou: Ça m'arrive d'en faire, des fois.

M. Boisclair: Je ne suis pas tout à fait convaincu de ça, mais...

M. d'Anjou: Ah!

M. Boisclair: ...vous dire, M. d'Anjou, pour revenir sur... C'est pour ça, je crois, qu'il faut élargir aussi le débat. Vous avez parlé de l'importance des politiques de régionalisation. Vous soulevez un élément important lorsque vous dites qu'encore là il faut une politique de régionalisation; mais une politique de régionalisation qui doit, bien sûr, s'appuyer sur une politique de développement, sans quoi ça serait illusoire. Mon collègue, le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, l'a soulevé au moment de son allocution d'ouverture et a eu l'occasion de se prononcer sur cette question-là.

Et on pose aussi la question du projet de société. Moi, je crois que c'est à ce niveau-là qu'il faut s'en tenir à l'occasion d'un débat sur un énoncé de politique. Mais cette régionalisation? On a parlé tout à l'heure des difficultés d'évaluer cette capacité d'accueil. Est-ce que, lorsque vous dites, par exemple, à la page 7 de votre mémoire, "Si on ne peut répondre à ces questions..." Et là, lorsqu'on parle d'un certain nombre de demandes... Vous soulevez, entre autres, comme question: Qu'offre-t-on aux immigrants pour leur rendre attrayant le fait de s'installer en région? Vous avez dit: Si on ne peut répondre à ces questions, il faudra alors continuer à évaluer notre capacité d'accueil en fonction de celle de Montréal et de sa région immédiate plutôt qu'en fonction de l'ensemble du Québec. Est-ce que c'est une façon indirecte, pour vous, de peut-être remettre en question cet objectif de, quoi, 55 000 personnes en 1994? Je crois que c'est l'objectif à atteindre en 1994. On parie de 55 000 personnes environ. Au niveau des quotas, est-ce que vous remettez en question ce...

M. d'Anjou: Nous ne sommes pas en mesure - je l'ai dit tout à l'heure - d'évaluer exactement des quotas particuliers, parce que nous n'avons pas toutes les données économiques et nous n'avons pas eu trop de temps non plus pour faire des études plus approndies. Mais, simplement, nous disons: II y a un certain risque. Nous disons: II faut être prudents à ce niveau-là. Nous sommes ouverts à l'immigration qui peut jouer un rôle important dans une politique de population et dans une politique de développement économique. Mais ça prend quand même une certaine prudence. D'ailleurs, tous les pays du monde excercent cette prudence en établissant des quotas, justement.

Alors, c'est simplement, nous, notre expérience au niveau scolaire, qui nous dit: L'intégration ne se fait pas toujours si facilement que ça. Nous constatons surtout que nous sommes loin d'avoir les ressources nécessaires pour faire une intégration harmonieuse dans tous les cas. À ce moment-là, si nous voulons aller plus vite et plus loin, ça va prendre des ressources supplémentaires au niveau scolaire. Je pense que M. Paradis avait quelque chose à ajouter là-dessus.

M. Paradis (Femand): Peut-être, M. le Président, sur un point antérieur. La question de l'intégration de l'élève et des intérêts des parents. On remarque que, dans la plupart des familles, le point d'intérêt, le centre d'intérêt,

c'est le ou les enfants. L'intérêt des parents tourne autour de cela, et l'école est justement le lieu où les enfants font les apprentissages principaux. Mon expérience dans le domaine de l'éducation me montre que les parents veulent le succès de leur enfant et ils ont des attitudes, en général, je dis en général, positives face aux enfants. Ça se traduit dans des réflexions du genre: Ce n'est pas parce que c'est mon garçon, ou ce n'est pas parce que c'est ma fille, mais s'il voulait... Ils leur attribuent un potentiel qui amène à développer une attitude positive dans le succès.

Et en faisant de l'école un lieu d'intégration où on capitalise sur l'intérêt des parents face aux enfants - et les parents s'amènent à l'école pour vivre ce succès et y participer - nous pensons que c'est un pari intéressant. Nous pensons que le lieu privilégié, l'école, si ça devenait de plus en plus le cas, c'est une excellente trajectoire, à la fois d'intégration et d'intérêt des parents.

Et aussi il m'apparaît que, dans ce contexte, ce qui est fondamental, c'est l'apprentissage de la langue. C'est vrai, non seulement pour les immigrants, c'est vrai pour tout enfant. L'apprentissage de la langue, ce n'est pas seulement le véhicule de la pensée face aux autres, c'est aussi le véhicule de la culture que nous avons. C'est aussi l'instrument de la pensée. Et on arrive à des écueils assez facilement, non seulement sur le plan linguistique, mais dans le domaine de la lecture, par exemple; la lecture qui n'est pas seulement un exercice plaisant, mais qui est la base pour déchiffrer les problèmes de mathématiques, les problèmes de sciences. Et un mauvais départ en ce domaine, que ce soit pour des Québécois ou pour des immigrants, c'est déjà piégé pour l'avenir.

Il me semble y avoir deux pôles importants. Le premier, c'est d'intéresser la famille à ce que l'école fait; il y a déjà un désir naturel de sa part. Deuxièmement, ne pas craindre d'investir dans l'apprentissage de la langue qui, elle, débouche sur la lecture. La lecture permet non seulement des moyens d'évasion ou autres, mais ça devient l'instrument privilégié de la pensée et du travail.

M. Boisclair: Je vous remercie.

La Présidente (Mme Loiselle): Ça va. Oui, vous voulez, Mme la ministre...

Mme Gagnon-Tremblay: J'aurais peut être une question, parce que vous avez parlé tout à l'heure de ressources supplémentaires pour pouvoir réussir ce grand projet d'intégration. Je suis d'accord qu'on aura besoin de ressources supplémentaires et, au niveau de l'énoncé de politique, entre autres, on prévoit peut-être 30 000 000 $ de budget de développement au cours des trois prochaines années. J'entends "budget de développement".

Mais cependant, je me dis, bien sûr, est-ce que c'est des dizaines de milliers de dollars? Est-ce que c'est des centaines de millions de dollars? Est-ce que c'est un milliard tout court? C'est sûr qu'il y a besoin de ressources, mais au-delà de ça, de tout ça, je me dis: Est-ce qu'il serait temps qu'on s'assoie, par exemple, tous ensemble, les gens qui ont l'expérience, qui travaillent dans le milieu, et qu'on regarde comment on peut réaménager aussi les efforts qu'on fart actuellement, les ressources qu'on a? Je comprends que ça peut peut-être nous déranger comme gouvernement, et ça peut peut-être déranger vos commissions scolaires aussi. Mais, à un moment donné, croyez-vous que si on s'assoyait et qu'on essayait de voir comment on peut réaménager ça... C'est un défi qu'on a à relever, qui est un défi quand même relativement nouveau pour nous. On fait face maintenant à certains problèmes et je pense cependant qu'on est encore... Comme je l'ai mentionné, le fait qu'on arrive et qu'on se prenne en main immédiatement, qu'on ait une politique... Bon, on a quand même un discours très clair, avec des objectifs qui sont très clairs, mais pour atteindre ces objectifs il faut poser des gestes, bien sûr. Mais ne croyez-vous pas que, au-delà de toutes les ressources financières dont on aurait besoin, on pourrait penser à réaménager peut-être aussi les ressources qu'on a actuellement, qu'on possède actuellement, dans un contexte de rareté des ressources, justement?

M. d'Anjou: C'est toujours possible, c'est une question de priorités à établir. Pour nous, l'éducation est prioritaire, vous le savez. On l'a crié sur tous les toits et c'est considéré comme un investissement dans l'avenir. Il y a peut-être des possibilités d'aménagement au niveau administratif. Moi, je pense que nous avons des dédoublements de structures qui coûtent cher. Il y a un effort considérable à faire de ce côté-là, pas seulement du côté des commissions scolaires, mais aussi du côté gouvernemental.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais, finalement, quand on pense à ces structures, on pense peut-être à protéger certains acquis. Mais est-ce qu'on le fait vraiment en pensant à cette nouvelle - comment pourrais-je dire, donc - clientèle qui nous arrive et qui nous arrivera maintenant de façon plus considérable? Est-ce qu'on le fait et est-ce qu'on est prêts, par exemple, est-ce qu'on est mûrs pour dire: Voici, dans toutes ces modifications qu'on pourrait apporter, il faut penser aussi à cet avenir, l'avenir qui passe aussi, bien sûr, par l'immigration? On va devoir prendre ça en considération et d'une façon assez importante, quand on aura, par exemple, des modifications à faire au niveau de nos lois, entre autres.

M. d'Anjou: C'est sûr qu'on a encore pas mal de chemin à faire de ce côté-là, mais je peux vous dire une chose, c'est que la Fédération des commissions scolaires et les commissions scolaires sont ouvertes à prendre des responsabilités dans ce domaine-là. Nous croyons vraiment que l'école peut jouer un rôle important et nous sommes prêts à le jouer et à nous asseoir, comme vous le disiez tantôt, pour tenter de trouver les meilleures solutions. Et nous sommes prêts à dialoguer avec...

Mme Gagnon-Tremblay: Mais est-ce que, par exemple, ça pourrait aller - je vois quand même une ouverture de votre part...

M. d'Anjou: Ah, il y en a.

Mme Gagnon-Tremblay: ...jusqu'à dire que les commissions scolaires sont même prêtes à remettre en question leurs structures pour être capable de relever ce défi de l'intégration de nos immigrants?

M. d'Anjou: Oui. Cela ne relève pas de la Fédération, vous le savez.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui.

M. d'Anjou: Moi, je pense qu'il y a des possibilités.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui.

M. d'Anjou: II y a un cheminement qui se fait. Il y a des possibilités, à la condition que nous ayons des garanties constitutionnelles relatives aux droits historiques des catholiques et des protestants. Moi, je pense que, là-dessus, ça sera difficile d'obtenir un consensus au Québec s'il n'y a pas de garanties constitutionnelles relativement... et, également, si on en vient à l'établissement des commissions scolaires linguistiques pour la minorité anglophone au Québec, la garantie d'institutions scolaires gérées par des anglophones élus au suffrage universel. Ça, c'est peut-être la clé qui permettrait justement de modifier les structures, mais en gardant des garanties constitutionnelles et en protégeant des droits historiques, tout en respectant la culture et la religion des autres personnes et la liberté de conscience. Je pense qu'on peut avoir une très grande ouverture de ce côté-là.

Mais il y a une histoire ici, au Québec, et, à mon avis, cette histoire-là doit être respectée.

Mme Gagnon-Tremblay: Remarquez que c'est un sujet sur lequel on pourrait discuter fort longtemps...

M. d'Anjou: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: ...mais je vois que le temps passe rapidement. Je vais m'arrêter, mais on aura peut-être l'occasion d'en rediscuter plus en profondeur.

M. d'Anjou: Ça me fera plaisir, madame.

Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que vous pouvez donner la parole à...

La Présidente (Mme Loiselle): M. le député de Gouin, quelques mots de remerciements avant de clore cet échange.

M. Boisclair: M. d'Anjou et ceux et celle qui l'accompagnent, je vous remercie pour votre présentation. Je suis convaincu que les propos que vous avez tenus, particulièrement les dernières phrases, m'ont particulièrement intéressé. Je pense que vous connaissez très bien notre position sur la question des commissions scolaires linguistiques ou confessionnelles. Je crois qu'on a eu l'occasion, chez nous, de l'illustrer à plusieurs reprises. Je présume que, tous et chacun, on devra cheminer dans le respect de nos positions respectives. Mais, soit, je prends bonne note de l'ouverture que vous venez de faire de ce côté-là. Je pense que cette nouvelle réalité que nous vivons au Québec amène aussi les gens responsables à cheminer vers un certain nombre d'objectifs. Je crois qu'on a quelque chose d'intéressant sur la table, on l'a dit au moment de l'ouverture; mon collègue l'a fait. Je vous remercie pour votre présentation et je suis convaincu que les gens en ont pris bonne note. Merci.

M. d'Anjou: Je vous remercie de nous avoir reçus.

Mme Gagnon-Tremblay: Moi aussi, je tiens à vous remercier. Bien sûr, vous ne vous êtes pas prononcés dans votre mémoire sur les niveaux d'immigration. Comme vous le savez, cette consultation porte également sur les niveaux d'immigration. Mais, si jamais, par contre, vous sentez le besoin de nous faire connaître votre position par la suite, soyez à l'aise, soyez toujours à l'aise de le faire dans un autre moment.

Alors, merci pour la présentation et pour vos propos qui étaient d'ailleurs fort pertinents.

M. d'Anjou: Merci, madame.

Mme Drouin: Merci. (21 heures)

La Présidente (Mme Loiselle): Alors, mesdames, messieurs, représentants et représentantes du Conseil scolaire de l'île de Montréal, bienvenue à la commission de la culture. Comme vous savez, vous avez 20 minutes de présentation. Avant de débuter, je vous demanderais de présenter les gens qui vous accompagnent, s'il

vous plaît.

Conseil scolaire de l'île de Montréal

M. Hartt (Joël): Merci. Mme la Présidente, Mme la ministre, Mmes et MM. membres de la commission, je vous transmets d'abord les salutations du président du Conseil, Me Jacques Mongeau, qui aurait vivement souhaité représenter notre organisme devant vous ce soir, mais qui est malheureusement retenu à l'extérieur du pays. Je me présente, Joël Hartt. Je suis le vice-président du Conseil scolaire de l'île de Montréal et le président de la commission scolaire de Lakeshore qui m'a délégué au Conseil scolaire de IHe de Montréal.

Je voudrais vous présenter les membres du comité exécutif du Conseil scolaire qui m'accompagnent ce soir. Mme Madeleine Benoit-Gougeon, commissaire à la commission scolaire Sainte-Croix, M. Ivan Livingstone, commissaire à la commission des écoles protestantes du Grand Montréal, M. Claude d'Andrieu, commissaire à la commission scolaire de Sault-Saint-Louis. Mme Doris Trudelle, conseillère en relations publiques, est aussi avec nous ce soir et, à ma droite, Raynald Laplante, directeur général du Conseil scolaire de l'île de Montréal, et le conseiller cadre en pédagogie et planification, M. Pierre Tougas.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci.

M. Hartt: Mme la Présidente, le Conseil scolaire de I He de Montréal est heureux de l'invitation qui lui est faite de présenter à la commission de la culture son avis sur l'énoncé de politique du gouvernement du Québec en matière d'immigration.

Le Conseil scolaire, qui regroupe les huit commissions scolaires de l'île de Montréal, s'intéresse au dossier de l'éducation interculturelle depuis longtemps. Dès 1980, conscient des nouveaux défis que posait aux commissions scolaires de son territoire l'afflux d'élèves néo-Québécois, il adoptait une politique pour favoriser le dialogue entre les commissions scolaires et les communautés ethniques. Sans doute a-t-il été le premier organisme scolaire public du Québec à poser un tel geste.

En 1984, désirant que ses interventions deviennent complémentaires a celles des commissions scolaires et du ministère de l'Éducation, le Conseil a adopté une nouvelle politique qui lui a permis de devenir un lieu de rencontre et de concertation pour les commissions scolaires ainsi qu'un centre de recherche et de publication qui a permis d'enrichir les connaissances et d'avoir une meilleure compréhension de la problématique des enfants immigrants.

C'est, par conséquent, avec les "yeux du coeur" que le Conseil scolaire de l'île de Montréal, dont les commissions scolaires membres accueillent plus de 76 % des enfants allophones du Québec, a pris connaissance du présent énoncé de politique et formule aujourd'hui ses remarques à la commission de la culture.

Je demanderais maintenant au directeur général du Conseil, M. Raynald Laplante, et au conseiller cadre en pédagogie et planification, M. Pierre Tougas, de vous présenter l'essentiel du mémoire qui vous a été remis.

M. Laplante (Raynald): Alors, Mme la Présidente, Mme la ministre, mesdames et messieurs, dans un premier temps, je vous ferai part des vues du Conseil sur les trois parties de l'énoncé de politique. Dans un deuxième temps, mon collègue, M. Tougas, commentera les trois éléments de l'énoncé, qui, à notre avis, font plus problème. Il vous fera part, finalement, des propositions des commissions scolaires de l'île de Montréal sur les mesures visant à faciliter l'apprentissage linguistique et l'intégration psychosociale des enfants immigrants.

D'abord, sur les enjeux et principes, le Conseil scolaire est d'accord avec le texte de l'énoncé de politique qui identifie les quatre défis de l'avenir de la société distincte du Québec comme étant: le redressement démographique, la prospérité économique, la pérennité du fait français et l'ouverture sur le monde.

Le Conseil est aussi d'accord, compte tenu des nuances que nous apporterons plus loin, que l'immigration est un enjeu majeur pour le Québec et qu'il faut l'associer à ces quatre grands défis.

Il en va de même en ce qui a trait au contrat moral sur lequel on doit s'entendre, dès le départ, et même avant, entre le Québec d'accueil et l'immigrant potentiel. Ce principe fondamental, à notre avis, à la base d'un processus d'intégration réussie, constitue pour le Conseil la pierre angulaire de toute la politique d'immigration.

Quant aux orientations en matière d'immigration, le Conseil souscrit aux orientations de l'énoncé de politique qui vise à maximiser les retombées économiques des indépendants et à soutenir l'adoption internationale.

Les travailleurs indépendants sont bienvenus au Québec pour autant qu'il y ait chez eux la volonté de respecter le contrat moral dont je viens de parler. Les retombées économiques engendrées par ces immigrants indépendants sont d'autant plus importantes qu'elles ne représentent qu'à peine plus de 50 % de l'ensemble des immigrants admis récemment au Québec et qu'ils doivent suppléer au faible apport économique de l'autre moitié des immigrants. Le soutien accru à l'adoption internationale nous apparaît aussi une orientation à privilégier.

Quant aux orientations en matière d'intégration, c'est lorsqu'un immigrant admis au Québec parle le français, participe de plein droit à tous les aspects de la vie sociale, économique,

culturelle et politique de son pays d'accueil, développe un sentiment d'appartenance à la société et a le goût de contribuer à son enrichissement et à son développement que l'on peut affirmer qu'il est intégré, que le contrat moral a été respecté de part et d'autre.

Le Conseil croit que, eu égard à l'intégration, les orientations du gouvernement visant le développement des services d'apprentissage du français et de promotion de son usage, le soutien à l'ouverture de la société d'accueil et le développement des relations intercommunautaires harmonieuses sont justes. Le Conseil est donc d'accord avec les mesures proposées qui visent à accroître l'accessibilité et la qualité des services d'apprentissage de la langue française tant pour les adultes nouveaux arrivants que pour l'ensemble des adultes des communautés allophones. Le Conseil donne son appui aussi aux mesures proposées pour assurer la participation des immigrants à la vie collective du Québec.

Quant aux mesures, cependant, favorisant la régionalisation de l'immigration, nous avons des doutes sur leurs chances de succès certainement à court terme, et nous voyons mal comment, pour les prochaines années, on incitera plus d'immigrants à s'installer hors de la région métropolitaine de Montréal.

Les mesures proposées pour soutenir l'adaptation des institutions à la réalité pluraliste sont toutes louables, mais le Conseil croit que la priorité devrait être placée sur la formation interculturelle des intervenants et encore davantage sur celle de ceux qui sont en place. Il est assez facile d'intégrer la dimension interculturelle dans des programmes de formation initiale de futurs intervenants, mais c'est autre chose de rejoindre et de changer les mentalités des gens en poste, ceux qui, pour de nombreuses années encore, assureront les services.

Enfin, quant aux groupes de travail en milieu scolaire que le gouvernement veut créer pour analyser la problématique de la connaissance de la société québécoise en milieu pluriethnique, le Conseil compte bien en faire partie. Nous croyons que notre expérience dans ce domaine, à laquelle s'est ajouté, ces derniers mois, le fruit d'une intense réflexion sur la problématique des immigrants dans les écoles menée en collaboration avec les commissions scolaires membres, devrait nous qualifier pour participer à ce comité. M. Tougas.

M. Tougas (Pierre): Mme la Présidente, vous devinez bien qu'on n'est pas venus de Montréal uniquement pour vous dire que l'énoncé de politique était parfait. Bien que, dans l'ensemble, comme vient de l'indiquer M. Laplante, le Conseil scolaire soit tout à fait favorable à l'énoncé de politique, il souhaite quand même attirer l'attention de la ministre et des membres de la commission sur trois éléments qui lui font problème.

Le premier élément, c'est celui de la capacité d'accueil. Dans le document, on parie de la capacité d'accueil du Québec et nous - et ce n'est probablement pas la première fois qu'on le dit ici, à la commission - ce qu'on aurait souhaité, c'est qu'on parle plutôt de la capacité d'accueil de Montréal parce que, comme vous le savez, du moins au plan scolaire, 93 % des enfants fréquentent les écoles des commissions scolaires de la région de Montréal, dans un premier temps. Les commissions scolaires de l'île de Montréal, à elles seules, accueillent 76 % de ces enfants et, quand on regarde ce qui se passe au secteur francophone des commissions scolaires de l'île, on se rend compte qu'actuellement il y a quatre commissions scolaires qui ont plus de 30 % d'enfants allophones et, dans l'ensemble, les francophones de souche représentent moins de 70 % des enfants dans les écoles des commissions scolaires de ffle. Avec le rythme d'immigration que l'on propose, ce qui peut nous amener de 10 000 à 12 000 enfants par année avant l'an 2000, au niveau du secteur francophone, on frisera les 50 % de francophones de souche et on sera probablement en deçà de 50 % si on regarde l'ensemble du secteur scolaire montréalais, c'est-à-dire le réseau francophone et le réseau anglophone.

Alors, le Conseil se demande comment on pourra assurer la francisation et l'intégration harmonieuse des enfants immigrants si la société d'accueil, celle de Montréal, devient minoritaire, même totalement absente dans certains secteurs de l'île où les immigrants se concentrent et où, malheureusement, les francophones s'en vont, abandonnent ces régions-là. Pour pallier à cet état de fait, le Conseil croit que non seulement le gouvernement se doit d'aller plus loin et plus vite aussi avec sa politique familiale qui, seule, croyons-nous, peut assurer d'abord le rajeunissement de la population parce que toutes les études indiquent que ce n'est pas par l'immigration qu'on peut assurer le rajeunissement de notre population, et surtout de permettre la présence d'une société d'accueil. Et non seulement doit-il encourager cette politique familiale, mais on pense qu'il doit également encourager les familles francophones à demeurer sur IHe de Montréal et a en inviter de nouvelles à se joindre à elles. (21 h 15)

Dans le mémoire, on indique qu'on voudrait que Montréal soit zone désignée à ce niveau-là. 11 faut vraiment que Montréal soit rendu attrayant pour les jeunes familles; il faut que les conditions de vie urbaine au niveau du logement, au niveau de l'accès à la propriété et au niveau du transport fassent que les familles francophones demeurent ou qu'elles viennent se joindre à celles qui sont déjà là. On pense que c'est uniquement en réunissant ces conditions qu'on pourra assurer le maintien d'une majorité de francophones à Montréal et, par voie de consé-

quence, une possible intégration des immigrants qui s'y concentrent.

Le second élément qui suscite les commentaires du conseil concerne la venue massive d'immigrants francophones au Québec. Le Conseil ne croit pas que cette orientation puisse, à elle seule du moins, modifier la situation anticipée sur l'île de Montréal. Bien sûr, quand on a des immigrants francophones, on n'a pas de problème d'apprentissage linguistique. Donc, en ce sens-là, on n'a pas besoin de classes d'accueil ou de francisation. Il y a peut-être une étape de moins dans le cas des enfants. Pour les adultes, nécessairement, connaissant la langue, la communication devient plus facile. Et, au plan statistique, le nombre de parlant français va augmenter, bien sûr, sur l'île de Montréal.

Mais ce ne sont quand même pas eux qui, du moins à court terme, pourront assurer l'intégration des allophones à la société montréalaise et québécoise. Sans s'opposer à une politique visant à augmenter l'immigration francophone au Québec, au contraire, le Conseil croit quand même que c'est davantage la qualité de la politique d'immigration que la langue maternelle qui garantit l'intégration et, dans le mémoire, on cite l'exemple des années cinquante ou des années soixante où les italophones et les hellé-nophones se sont intégrés à la société anglophone parce que les structures d'accueil étaient là parce que... Bon, je n'ai pas besoin de vous conter toute l'histoire.

Mais ces gens-là se sont quand même intégrés. Souvent on leur en a fait le reproche, et justement à mon sens, mais il reste que ces gens-là n'étaient quand même pas des parlant anglais. Le devoir du Québec de sélectionner une immigration susceptible de s'intégrer au Québec et de contribuer à son développement économique, culturel et social, ça, c'est incontestable. Ce qui l'est moins à notre sens, c'est de penser qu'une immigration francophone permettra d'atteindre naturellement ces objectifs.

Enfin, dernier commentaire. Le Conseil a eu un peu de mal à comprendre l'équilibre que le gouvernement souhaite établir entre les objectifs économiques, démographiques et linguistiques de l'immigration. Pour le Conseil, ce qui est important, c'est que le Québec, lorsqu'il fixe ses conditions d'admissibilité, s'assure que les immigrants aient un maximum de chances de s'intégrer et de s'établir de façon permanente au Québec. C'est peut-être par cette permanence qu'on peut encore mieux mesurer l'intégration. Quand les gens demeurent, c'est parce qu'en général ils sont intégrés. Et c'est important également que ces gens-là puissent contribuer à son développement économique.

Mais là où on a de la difficulté à comprendre, c'est quand l'énoncé de politique affirme que, si on met un accent trop marqué sur les seules retombées économiques, ça nous amènerait à privilégier des gens d'affaires, bien sûr, qui, compte tenu, dit-on, de la situation géopolitique, proviennent de bassins non francophones. Donc, si on essaie d'aller chercher trop de gens d'affaires, on n'a pas nécessairement de francophones. De la même façon, on dit: II ne faudrait peut-être pas toujours être trop exigeants sur les exigences d'employabilité parce que là on va peut-être avoir de la difficulté à en trouver et on ne pourra pas atteindre notre objectif démographique.

Le Conseil ne voit pas pourquoi la politique de sélection responsable nécessite un arbitrage entre ces trois objectifs. On pense que les objectifs économiques seront atteints si on s'assure que les immigrants sont employables, contribuent comme investisseurs à l'essor économique du Québec, et puis que les objectifs linguistiques seront atteints si les réseaux, les critères, les outils de sélection, la politique d'accueil et de francisation font que les immigrants, de quelque communauté culturelle qu'ils soient, deviennent à court et à moyen terme citoyens du Québec, respectueux de la langue, de la culture et des aspirations du Québec.

Et, enfin, les objectifs démographiques seront atteints si le Québec devient suffisamment attrayant pour recruter sa quote-part d'immigrants qui répondent aux deux premiers objectifs. Il nous semble que ces objectifs ne s'opposent pas, mais qu'ils sont au contraire complémentaires.

En terminant, Mme la Présidente, permettez-moi de vous rappeler que le Conseil scolaire vient tout juste de remettre un important mémoire au ministre de l'Éducation sur la situation des enfants pauvres et la situation des enfants immigrants dans les écoles des commissions scolaires de l'île de Montréal. Ce mémoire dont vous recevrez copie, si ce n'est déjà fait, fait entre autres état de quatre mesures dont on n'a pas parlé dans notre mémoire parce qu'on était à rédiger ce deuxième mémoire au moment où on a dû vous présenter celui-ci, où on fait donc état de quatre mesures qui visent à faciliter l'apprentissage linguistique, l'intégration psychosociale, à améliorer les liens entre les parents et les écoles et l'émergence d'une véritable éducation interculturelle dans les écoles.

Ces mesures ont été étudiées et recommandées par un comité qui regroupait les huit commissions scolaires de I He, et le Conseil les a faites siennes. Permettez-moi, très rapidement, de vous faire part de ces mesures.

D'abord, les commissions scolaires souhaitent que les maternelles de francisation soient dispensées à plein temps, comme les maternelles d'accueil, parce qu'on pense que les clientèles sont du même type et que le service, par conséquent, devrait être d'une même durée. Tel que proposé dans l'énoncé de politique, également, les commissions scolaires de IHe souhaitent que le rapport maître-élèves, dans les classes d'accueil

au secondaire, soit diminué. La sous-scolarisation, de plus en plus marquée des élèves du secondaire et l'éloignement des langues d'origine du français expliquent cette demande de diminution.

Enfin, mais en précisant la proposition que vous faites dans l'énoncé de politique concernant les enseignants-ressources, les commissions scolaires voudraient que, dans chaque école où la présence ethnique est importante, on puisse retrouver et un enseignant-ressource et un agent de milieu. Un enseignant-ressource pour la partie pédagogique, pour créer des outils, pour apporter des solutions au problème de sous-scolarisation, pour améliorer la pratique pédagogique des enseignants qui est quand même assez spéciale quand on a affaire à un si grand nombre d'immigrants; et, pour l'aspect d'intégration psychosociale, un agent de milieu qui familiariserait les immigrants d'abord aux caractéristiques de la réalité québécoise, mais qui, également, sensibiliserait ou aurait comme rôle de sensibiliser l'ensemble du milieu scolaire, les gens de souche comme les nouveaux immigrants, à la richesse, à la diversité et au respect dus à tous les groupes ethniques, pour permettre également l'établissement de liens étroits entre l'ensemble des parents et entre les parents et l'école. Le Conseil compte sur l'appui de la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration et de chacun des membres de la commission de la culture pour appuyer les demandes des commissions scolaires auprès du ministre de l'Éducation.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci, M. Tougas. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, messieurs, mesdames, de votre présentation. Dans votre mémoire, à la page 15, vous mentionnez qu'il y a de moins en moins de francophones dans le réseau scolaire français. Ceux-ci représenteraient aujourd'hui environ 70 % de la clientèle, alors que les allophones ont vu leur pourcentage augmenter à près de 30 %. Ces données ne témoignent-elles pas de la réussite d'un des objectifs majeurs du gouvernement depuis une vingtaine d'année, soit d'assurer la fréquentation de l'école française par la très forte majorité des élèves des communautés culturelles? Ainsi, en 1990-1991, 72,6 % des allophones de Montréal fréquentent désormais l'école française, ce qui est une augmentation très forte par rapport à 1987-1988, qui était de 63,6 %. En plus, si je ne me trompe, en 1990-1991, 74,5 % de la clientèle montréalaise, toutes origines confondues, fréquentait une école française, alors qu'en 1974-1975, par exemple, ce pourcentage n'était que de 59,7 %. Donc, ma question, c'est: Lorsque vous faites des projections relatives à la fin du siècle, des projections de pourcentage de 55 % de francophones dans les écoles françaises, pour-riez-vous, d'une part, me dire sur quelle étude vous vous basez? Et, en particulier, assumez- vous, comme l'a fait M. Michel Paillé - que je salue d'ailleurs, qui est ici avec nous - que vous citez plus loin, que les allophones n'effectueront durant cette période aucun transfert linguistique vers le français et que la proportion d'immigrants francophones ne sera que de 15 %? J'aimerais vous entendre sur ce point-là, s'il vous plaît.

M. Tougas: D'abord, Mme la ministre, quand on dit que, dans nos écoles, le nombre de francophones de souche a baissé à 70 % et que le nombre d'allophones est de 30 %, ce n'est pas une critique, ce n'est pas un blâme. Au contraire, on pense que le nombre... On est fort contents de la politique actuelle, des effets de la loi 101. Ce qui nous inquiète, ce n'est pas qu'il y ait de plus en plus d'allophones, ce qui nous inquiète, c'est qu'il y ait de moins en moins de francophones. Si la tendance se poursuit, les deux Québec dont on ne parlait qu'en termes de pauvreté vont être les deux Québec en termes de langue puisque, à Montréal, on aura une minorité de francophones et, à l'extérieur du Québec, on aura une très grande majorité, au-delà de 94 %, de francophones. Donc, notre inquiétude, ce n'est pas qu'il y ait un grand nombre d'immigrants, c'est qu'il n'y ait plus que des immigrants - dans certains secteurs, c'est déjà le cas - et que, bientôt, dans l'ensemble de l'île de Montréal, on retrouvera plus d'allophones que de francophones dans nos écoles. Et ces sources, comme vous disiez tantôt, viennent d'abord de l'étude de M. Paillé, du Conseil de la langue française, qu'on avait étudiée en détail et également du travail de nos démographes, au niveau du Conseil.

Mme Gagnon-Tremblay: Cet après-midi, on a eu l'occasion de poser certaines questions à des groupes qui sont venus, en disant: Bon, c'est quoi... quelle est la différence entre quelqu'un de la deuxième génération qui est né ici, qui est allé à l'école française, par rapport à un nouvel arrivant, par exemple? À votre avis, pour être considéré comme francophone - et ça, je pense que c'est important - est-ce qu'il faut à la fois être de langue maternelle française et d'origine canadienne-française? Est-ce à dire, par exemple, qu'un élève... Par exemple, prenons un élève juif séfarade, immigrant récent, dont le milieu est francophile, ou un élève québécois d'origine italienne dont les grands-parents ont immigré au Québec au début du siècle. Constituent-ils a priori des facteurs d'alourdissement de la tâche de l'enseignant et de l'école? Je pense qu'il y a des différences à faire, à un moment donné.

M. Tougas: C'est certain qu'il y des différences à faire à ce niveau-là. Je pense que les deux exemples que vous avez donnés sont très différents. D'abord, il faut dire que c'est certain que, après quelques générations, parfois deux générations - mais souvent ça prend plus de

temps que ça - les transferts linguistiques peuvent se faire et l'intégration peut se faire ou se fait. On n'a pas de raison de considérer, à ce moment-là, les gens comme étant des immigrants. Il faut quand môme penser que dans les commissions scolaires de lile de Montréal actuellement, quand on parle des allophones, il y a quand même 70 % de ces allophones qui sont nés hors Canada. Ce ne sont pas des gens qui sont ici depuis des générations. Les immigrants de nos écoles du secteur français sont des immigrants récents. Et s'ils sont francophones de langue, comme l'exemple du jeune enfant juif séfarade, c'est certain que la communication se fait plus facilement. Mais nous, on ne considère pas que cet enfant-là qui arrive, s'il est un immigrant récent, comme vous l'avez dit dans votre exemple, s'il arrive au Québec, qu'il peut être un élément intégrateur, que les jeunes immigrants allophones qui viennent d'ailleurs peuvent prendre cet étudiant-là comme étant un modèle de la société québécoise, peuvent s'identifier à Cet élément et dire: C'est ça, la société québécoise.

Dans votre autre exemple, je pense que là c'est évident que le jeune italophone dont les parents sont ici depuis deux ou trois générations peut être parfaitement intégré et jouer ce rôle intégrateur aussi bien qu'un francophone. Et ce sera la même chose, d'ailleurs, du jeune Vietnamien ou du jeune Turc, après un certain temps, qui s'intégrera à la société québécoise et qui jouera le même rôle que les francophones de souche. Sauf que, le problème actuel, c'est un problème d'immigration récente. Et on pense que les jeunes se retrouvent dans les écoles sans véritable modèle de la société d'accueil.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est parce que j'ai comme l'impression, parfois, que... Là, vous m'avez quand même fait un portrait assez bien, un portrait assez fidèle. Mais je discutais, cet après-midi, avec des intervenants et c'est comme si, à un moment donné, on a peur qu'il n'y ait plus dans les écoles de ces Québécois tricotés serrés et que, par contre, parce que vous avez quelqu'un d'origine italienne, né ici, comme je vous ai dit, deuxième génération et tout ça, mais parce qu'il a un nom à consonance italienne, un nom à consonance grecque, un nom à consonance vietnamienne ou quoi que ce soit, déjà là, on dit: Voici, ce sont des allophones. Ce ne sont pas nécessairement des Québécois. Je me dis: C'est appelé à changer, bien sûr. Surtout sur lile de Montréal, on sait qu'il y a de la forte concentration, c'est appelé à changer. Mais est-ce qu'on fait cette différence? Est-ce que, par exemple, on s'attend à ce que la pluralité... C'est ça finalement... Ce phénomène-là, on va le vivre, mais ça ne veut pas nécessairement dire qu'il y aura un problème comme tel d'intégration. Bien sûr que là je ne parle pas des nouveaux arrivants, des nouvelles cohortes de gens, comme 50 % nous arrivent, qui sont des allophones. Les gens qui nous arrivent sont des allophones. Et là je comprends qu'il y a des difficultés et tout ça. Mais je regarde sur une certaine période, là. (21 h 30)

M. Tougas: Vous savez, les statistiques que l'on a indiquent... D'abord dans le document qu'on a remis au ministre de l'Éducation, que vous avez dans le mémoire, on n'a étudié que la période 1980-1990. Donc, on n'a pas voulu regarder ce qui se passait dans les années soixante. Quand on parie des immigrants, on parie de l'immigration récente et, dans la plupart des cas, des enfants nés hors Canada. Et quand on regarde la situation dans les écoles, les commissions scolaires de lile de Montréal, d'abord, je vous ai dit tantôt que 70 % étaient nés hors Canada, et 87 % des enfants qui sont dans nos écoles du secteur français - 87 %, c'est beaucoup! - parient une autre langue que le français à la maison. Cela veut dire que la situation immédiate, ce n'est quand même pas une situation où les enfants allophones ou immigrants récents qui sont dans nos écoles peuvent être des pôles intégrateurs au même titre que les enfants de souche. Mais quand on a 125 écoles où il y a plus de 25 % d'enfants immigrants, près d'une cinquantaine où les enfants de souche sont en minorité et un assez bon nombre où il n'y a même pas 10 % d'enfants de souche, il y a quand même un problème là, à mon sens, puisque le modèle n'existe pas. Ça devient difficile et, même si, au niveau scolaire, on peut arriver par toutes sortes de mesures à déconcentrer, il n'y a pas que des enfants, il y a aussi la population qui vit dans un quartier et qui vit souvent le même phénomène que l'enfant à l'école, parce que l'école reflète aussi la situation ou la vie du quartier.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais vous avez parlé, tout à l'heure, justement, des transferts linguistiques. On constate que, lorsqu'il y a transferts linguistiques maintenant, ces transferts se font majoritairement en français et ce, sur IHe de Montréal. On constate, par exemple, que... Si ma mémoire est fidèle, je pense que c'est 56 % des transferts qui se font maintenant vers le français, alors que c'était l'inverse avant 1981. Alors, même au niveau des transferts linguistiques, on voit des changements.

M. Tougas: Oui, mais les statistiques indiquent que, quand il y a des transferts linguistiques, le plus grand nombre se fait du côté français. Les statistiques indiquent que les transferts linguistiques, il n'y en a pas beaucoup qui se font. Donc, c'est un peu trompeur. On peut considérer que le pourcentage de transferts linguistiques du côté francophone par rapport au côté anglophone progresse. Mais les transferts linguistiques réels, en termes de pourcentage absolu, il n'y en a pas beaucoup. Et la preuve de

cela, c'est que, quand on pose la question à nos élèves des commissions scolaires de l'île de Montréal, on en a 87 % qui nous indiquent que la langue d'usage, la langue utilisée à la maison, ce n'est pas le français. Et, pourtant, ils vont à l'école française.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

La Présidente (Mme Loiselle): M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Merci, Mme la Présidente. Je veux revenir peut-être un peu sur les renseignements que vous avez donnés à Mme la ministre, concernant, au fond, ce que vous avez appelé le modèle intégrateur. J'ai l'impression que c'est quelque chose qui est relativement complexe. Tout à l'heure, vous avez dit, par exemple, dans le cas du jeune Italien auquel on faisait référence, que les parents étaient arrivés ici au début du siècle. Bon, évidemment, ça va devenir un pôle intégrateur; le jeune va devenir un pôle intégrateur à la société québécoise. Quand vous faites référence au modèle intégrateur, j'ai l'impression qu'on fait référence à un modèle intégrateur du Québécois typique, comme mon collègue de Sainte-Marie-Saint-Jacques le mentionne, tricoté serré avec... Mais moi, personnellement, j'ai l'impression que la réalité est déjà changée, c'est-à-dire que les modèles intégrateurs, ce n'est plus nécessairement le modèle canadien-français qui existait il y a 25 ou 30 ans.

Par exemple, il y a quelques jours j'étais - Mme Gougeon connaît bien le coin - à Saint-Laurent, je m'en vais dans une station-service. C'était un jeune Vietnamien qui m'a répondu. C'était manifestement un jeune étudiant qui travaillait à la station les fins de semaine ou le soir. Au niveau de son expression, il parlait très bien français, comme n'importe qui, avec l'accent québécois, même. Bon, je ne sais pas s'il est né ici ou combien d'années ça fait qu'il est ici. J'imagine un peu, à partir de l'exemple que vous donniez du jeune Italien, parce que j'en ai connu, exactement de ce genre d'étudiants là aussi à l'Université de Montréal, des Italiens qui étaient là... Les parents avaient immigré ici; eux parlaient très bien le français. Il n'y avait absolument rien qui les distinguait, à part la façon d'écrire le nom, des autres Canadiens français qu'il y avait là-bas. Mais il reste que dans ce cas-là - je pense au jeune Vietnamien - s'il devient, lui, un modèle intégrateur, je n'ai aucune objection à ça, loin de là, au contraire; il ne pourra pas être le modèle intégrateur parce qu'il a sûrement... Il partage probablement un certain nombre de valeurs communes avec la société québécoise, mais il a sûrement aussi des valeurs caractéristiques de sa culture d'origine, qui sont valorisées à la maison; ça peut être la religion, ça peut être des habitu- des de vie, etc. Il fait partie du modèle intégrateur et il devient le modèle québécois. Il va jouer un rôle intégrateur.

Moi, j'ai l'impression que le modèle québécois n'est plus, actuellement - à Montréal, c'est manifeste - le modèle québécois francophone d'origine. Quand on parle des francophones et des allophones, j'ai l'impression qu'à un moment donné on distingue rapidement le Québécois francophone d'origine, et les allophones, c'est les autres. Chez les allophones, il y en a beaucoup qui font déjà partie de la société québécoise et, à ce titre-là, ils font partie du modèle intégrateur, du modèle qui va permettre, au fond, de faciliter l'intégration des autres, des nouveaux arrivants.

J'aimerais ça avoir vos commentaires sur ça, parce que ça me semble être une ambiguïté qu'on traîne depuis longtemps au niveau des discussions qu'on a ici. Je n'ai plus l'impression qu'on est au même niveau, c'est-à-dire que le modèle n'est plus le même.

M. Tougas: Bien, heureusement qu'il y a des allophones ou des gens qui sont venus d'ailleurs, de différentes communautés culturelles et qui peuvent agir comme pôle intégrateur. Sans ça, on se poserait de sérieuses questions sur la qualité de notre système d'éducation et sur la qualité de notre politique d'immigration et de notre politique d'accueil, si on ne pouvait retrouver personne qui, après avoir passé un certain temps au Québec, dans certains cas plusieurs générations, s'intégrait à la société québécoise et qu'on pouvait dire que les francophones, la société québécoise ou le pôle intégrateur n'était que des francophones de souche. Ce n'est vraiment pas notre prétention.

Il ne faut pas non plus rêver en couleur parce qu'à notre sens, quand on regarde la situation dans les écoles, les enfants que l'on retrouve dans nos écoles sont des enfants d'immigrants et des enfants d'immigrants récents. À mon avis, ce n'est quand même pas des enfants qui sont ici depuis un an, deux ans, trois ans, même cinq ans, qui peuvent pour les nouveaux arrivants, ceux que l'on peut accueillir, les 50 000, 55 000 ou 60 000, représenter la société d'accueil. À ce niveau-là, je pense qu'on rêve quand on pense ça. M faut visiter les écoles où on a de fortes concentrations d'enfants immigrants pour constater le problème. Tantôt, on demandait: Est-ce qu'il y aurait moyen de déconcentrer? On cherche par tous les moyens possibles des solutions à ça, mais, en pratique, les solutions ne sont pas faciles. Il arrive que les enfants ne voient, comme modèle de la société francophone, que leurs enseignants, point à la ligne. C'est tout parce qu'ils n'en ont pas dans leur école; il n'y a pas d'enfants à leur école. Donc, c'est vraiment un problème sur l'île de Montréal.

Quand on pense en accueillir 10 000 à

12 000 par année, pendant que la population francophone diminue de façon extrêmement importante... On a un taux de fécondité de 1,4 sur l'île de Montréal. Ça prendrait 2,1 seulement pour le renouvellement des générations, donc, à 10 000 ou 12 000 par année, sur une population totale de 180 000 étudiants, je vous dis que c'est extrêmement rapide comme rythme. Quand on parle de capacité d'accueil, on se pose des questions. Donc, on se dit: On est peut-être capable d'en accueillir 50 000 par année et 10 000 ou 12 000 à Montréal, mais faisons quelque chose pour garder des francophones quand même, parce que si Montréal, un jour...

Vous l'admettrez avec moi, en supposant que tous les immigrants qui viennent ici s'intègrent d'une façon parfaite et puis qu'un jour on ait, à Montréal, des immigrants intégrés d'une façon parfaite et ailleurs, dans le Québec, uniquement des francophones de souche, on aura une société un peu bizarre comme modèle. Il nous semble qu'une métropole comme Montréal se doit d'être accueillante, et ce sera toujours normal que les métropoles accueillent un grand nombre d'immigrants. Il faudra toujours, à mon sens, que le gouvernement et les autorités municipales se préoccupent que ce que j'appelle les francophones de souche demeurent présents. Et, actuellement, ça devient extrêmement dangereux quand on regarde les tendances.

M. Bordeleau: Juste ajouter peut-être un commentaire. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la question... Je pense qu'on n'a pas parlé de la régionalisation qui est effectivement, disons, quelque chose qui devrait être mis en place pour déconcentrer, au fond, l'immigration qui est à Montréal. Maintenant, quand vous faites référence au nombre d'enfants qui vont arriver, les nouveaux arrivants. Je ne prétends pas que les nouveaux arrivants peuvent être des pôles intégrateurs, excepté que les immigrants qui sont actuellement installés au Québec vont avoir des enfants qui, dans quatre ou cinq ans, seront à l'école primaire; eux vont jouer le même rôle qu'un Québécois, au fond, dans la mesure où on accepte d'élargir le concept de culture. Ça va, merci.

La Présidente (Mme Loiselle): M. le député de Lafontaine, mais brièvement. Le temps est presque écoulé.

M. Gobé: Oui, merci. Je ne voulais pas trop intervenir moi non plus parce que je n'ai pas beaucoup de temps, mais je vais dans le sens du même genre de commentaires. Je partage, moi, l'avantage ou l'inconvénient - ça dépend où on se place - de venir d'un autre pays, de m'être établi ici et je crois que vous avez soulevé un bon point lorsque vous dites que, lorsqu'on s'intègre, ça prend des gens locaux pour s'intégrer à quelque chose. Il n'y en a plus, des

Québécois. Des jeunes Québécois dans les écoles, il n'y en a plus ou il y en a peu.

Ensuite de ça, ils vont résider dans des quartiers... Les francophones vont maintenant résider dans des quartiers particuliers comme, à Montréal, on va dire, sur la rive sud ou Laval, des quartiers plus favorisés parce que la population francophone, depuis les 15 ou 20 dernières années au Canada, a beaucoup évolué et a acquis la propriété, a acquis un niveau de vie beaucoup plus intéressant qu'avant, délaisse les logements dans le centre de Montréal, la Petite Bourgogne à Montréal. Ces logements-là sont occupés par des immigrants qui, eux, sont moins nantis et c'est normal qu'ils aillent là parce que les logements coûtent moins cher et on arrive avec ces genres de concentration. Ça fait qu'il ne faut pas rêver en couleur, là.

Ceux qui disent: Ils vont s'intégrer, ils vont s'intégrer à quoi? Bien, quand même qu'il y aurait des Vietnamiens, des Italiens, et tout ce que vous voulez comme origine, qui vivraient dans le centre de Montréal pendant sept, huit, neuf ans, ils ne seront jamais des Québécois du Lac-Saint-Jean et ils ne seront jamais des Québécois de Laval. Ça fait que les autres immigrants qui vont arriver là, ils vont s'intégrer à ces immigrants-là et on va arriver à une société particulière qui parlera français, O.K., mais qui parlera aussi anglais et leur langue d'origine. Ça fait qu'on va retrouver le même problème qu'on connaît en Angleterre, en Allemagne. À Paris, on appelle ça les beurs, dans la région parisienne, où toute une génération de jeunes n'a pas de pays. Ils ne sont ni Allemands, ni Turcs en Allemagne. Ils ne sont ni Français, ni Algériens, ni Maghrébins en France. Parce que leurs parents leur ont transmis une partie de leur culture, on va prendre l'image de la France, culture algérienne, par exemple, ils ont été élevés en France, ils rejettent la culture des parents parce que ça représente l'ancien pays avec le sous-développement ou le peu de richesse que ça représentait dans ce temps-là, les conditions de vie assez précaires. Ils n'ont pas accepté la culture française parce que... Ils ne sont pas des petits Français. Ils ne se promènent pas avec un béret sur la tête et une baguette de pain - je fais une caricature là - alors on se retrouve avec des gens qui sont apatrides. Ils habitent en France ou ils habitent en Allemagne.

Au Québec, on semble se boucher les yeux, on semble rêver en couleur, on se fait des "accroires", mais tout à l'heure on va se réveiller, on va prendre ça en pleine face et là on n'aura pas de solution. Et moi, je dis: Attention! Je pense que vous avez raison. Beaucoup d'intervenants l'ont fait remarquer: Attention! Si l'on continue à regarder ça d'une manière angélique, un peu idéaliste, on va se retrouver tout à l'heure avec de graves problèmes et, malheureusement, il sera trop tard parce qu'il y a 12 000 enfants... Il n'y a pas seulement des enfants, il y

a les parents - on parle de 50 000 personnes par année. Dans 10 ans, avec la multiplication, on va avoir 600 000 à 700 000 personnes dans Montréal, peut-être 800 000, qui ne seront pas des Québécois d'origine. Merci.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. M. le député de Gouin. (21 h 45)

M. Boisclair: Merci, Mme la Présidente. M. Hartt, madame et monsieur qui vous accompagnent. Je vous remercie pour la présentation de votre mémoire. Dire que... Je pense que, comme députés de la région de Montréal, on est à même d'apprécier le travail du Conseil scolaire de l'île de Montréal. Vous avez soumis avec pertinence, dans votre mémoire, que le Conseil scolaire était l'un de ceux qui a été un peu le fer de lance, qui a été l'un des premiers à initier un discours entre les membres des communautés culturelles et les différentes commissions scolaires. Je crois que c'est tout à votre honneur et que votre mémoire est d'autant plus pertinent à cause de l'expérience que vous avez acquise au cours des dernières années. Vous rappelez aussi, dans votre mémoire, que le Conseil scolaire est celui dont les membres accueillent 76 % des enfants allo-phones à l'école. C'est encore là quelque chose qui donne plus de mérite à votre mémoire, vu l'expérience que vous avez su acquérir au fil des ans.

J'aimerais revenir peut-être sur un certain nombre de recommandations que vous faites dans votre mémoire et vous dire que je crois qu'effectivement il serait pertinent que le Conseil scolaire fasse partie de ce groupe d'étude en milieu de travail. Je crois que c'est là une recommandation qui devrait être entendue. J'espère que la ministre pourra nous donner son point de vue, au moment de ses remarques de clôture sur la proposition que vous faites dans votre mémoire. Je pense que ce serait intéressant de l'entendre se prononcer sur cette question-là.

Vous n'êtes pas le premier groupe à venir en témoigner, les gens de la CECM l'ont fait et d'autres intervenants l'ont fait aussi, c'est de voir jusqu'à quel point, lorsqu'on parle de capacité d'intégration des immigrants, lorsqu'on parle des différents quotas ou des tendances, il est important, bien sûr, de tenir compte de la réalité montréalaise. Il faut d'abord tenir compte... On a une certaine réflexion à faire là-dessus et qui devrait aller dans le sens que vous proposez. On doit d'abord et avant tout tenir compte de la capacité d'accueil de Montréal et, si l'on n'en tient pas compte, ce sera un peu illusoire et irréaliste de pouvoir se lancer vers de grands objectifs, sans déjà bien tenir compte de la région montréalaise.

J'apprécie aussi particulièrement le fait, à la page 16, lorsque vous soulevez avec beaucoup de pertinence, je crois... Vous dites: De plus, alors qu'au cours des années quatre-vingt les régions périphériques de l'île de Montréal connaissent une croissance importante de leur population française... J'essayais d'illustrer tout à l'heure en disant que, bien sûr, une politique d'immigration va être pertinente, mais elle sera d'autant plus pertinente lorsqu'elle s'imbriquera dans un projet de société. Pour vous qui êtes des intervenants montréalais, qui êtes sans doute des "montréalistes" aussi, vous êtes bien conscients des problèmes d'étalement urbain, des problèmes de paupérisation. On parle de l'ancien T renversé qui est rendu le S de la pauvreté à Montréal. On parle du phénomène de ghettos de plus en plus à Montréal et de choses d'une réalité inquiétante, que ce soit la question du logement, que ce soit la question des différentes infrastructures pour Montréal, à la fois culturelles ou économiques.

Je crois qu'il y a une prise de conscience des milieux montréalais, qui, il faut peut-être le dire, ressentent dans certains milieux, peut-être pas chez vous, mais je crois qu'on a tout intérêt à développer cette espèce de lobby montréalais. Autant les gens de la Chambre de commerce de Montréal ont commencé à faire une réflexion sur les problèmes de pauvreté, autant le Conseil scolaire de l'île de Montréal y a été d'une contribution majeure récemment. Je crois que c'est il y a deux semaines que vous avez publié votre mémoire. Je pense que ça a été accueilli à la fois avec beaucoup... Comment pourrais-je dire? Ç'a été accueilli... Bien des illusions sont tombées, suite à la prise de connaissance de votre rapport. Moi, juste dans mon quartier - je représente un quartier qu'on appelle Rosemont, la Petite patrie - je peux vous dire que c'est un document qui a fait réfléchir et qui a fait parler bien des gens qui s'intéressent particulièrement aux questions de développement économique, local et communautaire, qui s'intéressent aux questions de l'éducation.

Donc, tout simplement pour vous dire qu'il faut voir la question un peu dans son ensemble et que, bien sûr, la question de Montréal doit être étudiée au premier plan.

On a parlé, tout à l'heure, et mon collègue de l'Acadie en parlait tout à l'heure... Vous faites part que le résultat net des effets de la loi 101 - toujours en page 16 de votre mémoire - de l'immigration et du faible indice de fécondité a fait baisser la proportion de francophones dans les écoles françaises de me de Montréal de 92 % en 1976-1977 à environ 70 % en 1989-1990. J'aimerais vous entendre parler des conséquences pratiques de cette baisse d'étudiants francophones dans ces écoles. Il y a des gens qui, devant cette commission, sont venus parler de l'importance d'avoir un certain nombre d'éléments de référence. Ce sont particulièrement les gens du Conseil québécois pour l'enfance et la jeunesse qui ont parlé de l'importance, pour ces jeunes immigrants qui fréquentent ces écoles, d'avoir un certain nombre, je n'oseraFs pas dire

de modèles, mais d'avoir un certain nombre de points de référence auxquels s'accrocher. Je pense que c'est monsieur, tout à l'heure, qui partait que, lorsqu'un étudiant a comme seul modèle de référence l'enseignant ou l'enseignante, on peut voir là toutes les difficultés d'intégration que ça peut causer.

Donc, je ne sais pas s'il y a aurait moyen d'aller encore un peu plus loin dans cette réflexion-là et d'essayer de regarder concrètement quelles sont les conséquences de cette baisse importante de la fréquentation d'élèves francophones dans plusieurs des commissions scolaires du Conseil.

M. Tougas: Ce qui est inquiétant, ce n'est pas qu'on ait 70 %. Si on avait 70 %, on n'aurait pas de problèmes, à mon avis, parce que, quand vous avez 7 enfants sur 10 qui sont des francophones de souche ou des francophones intégrés des Québécois intégrés, qui peuvent servir de pôle intégrateur, il n'y a pas de problème dans une société comme ça ou dans un milieu comme celui-là. Le problème, ce n'est pas qu'il y ait 70 %... et c'est pour ça qu'il ne faut peut-être pas mal comprendre notre intervention en disant: Bon, on en avait 90 % et on est rendus à 70 %. Ça n'a pas de bon sens. Ce qui est dangereux, c'est deux choses: c'est que les 70 % ne sont pas répartis également; s'ils étaient répartis également dans toutes les écoles de l'île de Montréal, on aurait 70 % d'enfants francophones ou intégrés - on va parler des deux - et 30 % d'enfants allophones. Il y aurait des modèles; il n'y aurait pas de problème avec ça. On pourrait même descendre à 60 % et il n'y aurait peut-être pas de problème; même à 50 %, il n'y aurait pas de problème. Mais ce n'est pas ça, la situation.

La situation, c'est 95 %, 98 % ou 99 % de francophones dans certaines écoles et le contraire dans d'autres: 94 %, 98 % ou 99 % d'al-lophones. Je vais dans les extrêmes, bien sûr. Mais c'est des situations qui existent. Et ça, en moyenne, ça fait 70 %. Donc, quand on voit aller ça vers 50 %, on se dit: Si, c'est 70 % en moyenne quand on a cette situation de concentration, vous pouvez imaginer ce que ça pourra être quand ça va être inférieur à 50 %. C'est ça qui est le problème. Le problème, c'est...

Je voudrais poser le problème à l'envers. Le problème, à notre sens, ce n'est pas le nombre d'immigrants; c'est l'absence de francophones ou de gens intégrés. Pour l'instant, peut-être que... Vous savez, la situation des immigrants qui s'intègrent à la société francophone, c'est quand même un phénomène récent. Chez les anglophones, on ne se pose probablement plus ces questions-là parce que l'immigration s'est faite ou l'intégration s'est faite au cours des années cinquante ou soixante les gens se sont intégrés et, aujourd'hui, dans les écoles anglophones ou chez ceux qui ont accès à l'école anglaise, on ne se pose plus la question pour voir si c'est un anglophone de souche ou un immigrant. Ça deviendra peut-être le cas chez nous, mais actuellement ce n'est vraiment pas le cas et la tendance nous inquiète.

M. Boisclair: Au niveau du processus d'intégration, je vais essayer, moi aussi, de vous reposer la question à l'envers. Au niveau du processus d'intégration, pourquoi c'est important que les étudiants francophones soient dans l'école?

M. Tougas: II me semble, comme on indiquait tantôt... Quand des immigrants viennent s'établir dans un coin de pays quelconque et qu'ils souhaitent participer, comme on le dit dans l'énoncé, à la vie sociale, économique, culturelle, linguistique du pays, il faut qu'ils apprennent la langue. Il n'y a pas de problème à apprendre la langue. Même s'il y a 98 % d'enfants immigrants, vous les mettez dans des classes d'accueil. Nos enseignants sont excellents. Après un an, dix-huit mois, seize mois, ils parlent tous français. Donc, l'apprentissage linguistique, c'est un problème, à mon sens, qui... On a besoin des classes d'accueil, on a besoin de soutien linguistique dans certains cas, mais de façon générale l'apprentissage linguistique se fait. Mais la langue, comme vous le savez, ce n'est pas tout. C'est d'ailleurs pourquoi, quand on parle d'immigration francophone, on a aussi des réserves à ce niveau-là. Je veux dire, la culture, c'est autre chose. Et on ne pense pas que les enfants puissent s'intégrer ou avoir un modèle culturel s'ils n'ont pas devant les yeux des enfants avec qui ils étudient, des enfants avec qui ils jouent aussi parce que, quand ils sont sortis de l'école, ils retournent dans leur milieu et ils n'en trouvent pas plus dans leur cour ou dans la rue.

Donc, il leur reste la télévision, quand ils ne la regardent pas en anglais.

M. Boisclair: Voilà ce que j'avais un peu le goût de vous faire dire. Est-ce que peut-être les commissions scolaires linguistiques - je ne veux pas sortir du cadre de votre mémoire; sentez-vous bien à l'aise de répondre - permettraient de voir peut-être un... Vous parlez du problème de l'équilibre, des 70 %. Vous dites: Ce n'est pas le fait qu'il y a 70 %. Le problème, c'est qu'il y a un déséquilibre à l'intérieur même de certaines écoles, de certaines commissions scolaires. Est-ce que des commissions scolaires linguistiques permettraient d'en arriver à un meilleur équilibre au niveau de la représentation francophone et des membres de la communauté culturelle?

M. Laplante: Vous savez, des questions de structures, surtout de commissions scolaires, ce n'est pas ça qui va... Finalement, on parle d'écoles et peut-être qu'à long terme les questions de structures pourraient avoir une influen-

ce, mais, dans l'immédiat, ce n'est pas le cas. C'est des questions d'écoles.

On regarde la société américaine, qui est une société qui était très très intégratrice. Elle l'a toujours été. Quand on émigrait aux États-Unis, c'était une question d'honneur ou une question de pratique d'intégrer les immigrants dans ce qu'ils appellent, eux, le melting-pot. Alors, ce qu'on constate aujourd'hui, aux États-Unis, dans une région, par exemple, comme Miami avec les Cubains, ou Los Angeles avec les Mexicains, ils se sont créé des petites sociétés à l'intérieur de la société américaine. Et même cette formule-là, dans ces endroits-là, ne fonctionne pas, aujourd'hui, dans le sens où ils ont leur propre... Ils parient anglais, évidemment, mais ils contrôlent les institutions. Ils ont leurs propres écoles, ils ont tout ce qu'il leur faut pour vivre dans une société un petit peu isolée à l'égard de la grande société américaine, et ça crée des tensions, des difficultés.

C'est dans ce sens-là qu'on faisait une remarque pour dire qu'il faut, à un moment donné, se préoccuper d'une situation, à Montréal, qui fait en sorte que les immigrants puissent trouver un accueil de la société québécoise. C'est plus large que simplement parler la langue.

M. Boisclair: Cependant, si vous me permettez une petite remarque, il y a plusieurs États, comme celui de la Floride ou celui de la Californie, qui ont fait des référendums pour se doter de législations linguistiques. Ceci étant dit, peut-être revenir, justement, sur ces conditions d'accueil.

Le Conseil scolaire de l'île de Montréal a produit un rapport important et majeur sur la question de la pauvreté. À ma connaissance, ce sont des chiffres de 1981 que vous avez utilisés dans votre portrait statistique. Donc, on peut présumer que la réalité, en 1990, est encore pire que celle que vous avez décrite quant à un certain nombre de statistiques, puisqu'il faut faire référence au dernier recensement qui est le seul outil statistique qu'on puisse utiliser. Je suis convaincu que le recensement dû en 1992, je crois, permettra de jeter un éclairage encore plus à jour sur cette réalité-là. Mais, à tout le moins, mon intention n'est pas de partir un débat de chiffres avec vous, mais je pense que vous faites un constat important.

Compte tenu, justement, de cette situation-là, je pourrais vous parler d'écoles dans mon quartier, dans mon comté où, d'une part, on vit quotidiennement cette réalité de pauvreté, que ce soit au niveau à ia fois des enfants, mais aussi du côté des parents, et des conséquences que ça peut avoir. M. d'Anjou, tout à l'heure, nous parlait de l'importance de l'implication des parents dans ce projet éducatif, de l'importance aussi de l'ensemble des intervenants, des éducateurs, des administrateurs et de tous ceux qui contribuent à cette vie alentour de l'école.

Compte tenu que l'école est, comme on le disait, plus aussi qu'une boîte où on transmet des connaissances, c'est, bien sûr, un milieu de vie. Comment, jusqu'à que! point il est encore plus difficile d'arriver à cet objectif d'intégration qu'on souhaite tous? Comment n'est-il pas encore plus difficle de susciter la participation des parents, compte tenu de la situation financière dans laquelle ils sont placés? Et jusqu'à quel point...

Je me laisse un peu aller, mais... Des fois on regarde certains quartiers de Montréal, et le réflexe que bien des Montréalais ou Montréalaises ont, c'est de dire... C'est un peu peine perdue parfois, c'est un peu dommage, mais on dirait qu'il y a bien des gens qui ont lancé la serviette. J'aimerais que vous redonniez confiance, peut-être, ou que vous nous fassiez voir une certaine lueur au bout du tunnel. Mais comme Montréalais, en tout cas, je peux vous dire... et au niveau des préoccupations, sans doute que vous aussi, dans vos milieux de vie, vous entendez ce genre de commentaire. Mais pourra-t-on y arriver un jour?

M. Tougas: II faudrait transformer...

M. Boisclair: Qu'est-ce que vous dites à un jeune parlementaire de 24 ans qui est rempli d'ambition et qui est confronté à ces dures réalités dont il n'était peut-être pas toujours conscient? On entend les témoignages de gens, je ne sais pas, de 50 ans ou 60 ans, des gens qui connaissent bien les quartiers, qui disent: Ce n'était pas comme ça, mon quartier, voilà 10 ou 15 ans. On peut parler des problèmes de violence, des problèmes... Est-ce que vous qui...

La Présidente (Mme Loiselle): ...toujours dans la pertinence de l'énoncé de politique.

M. Boisclair: Je crois que c'est tout à fait pertinent au niveau de l'énoncé, Mme la Présidente. J'essaie d'aborder la question de la pauvreté et du projet de société, et je crois que la démonstration a été faite noir sur blanc, Mme la Présidente, qu'on aura bien beau discuter d'une politique d'immigration, mais le faire sans discuter d'un projet de société-La Présidente (Mme Loiselle): Les travaux aujourd'hui sont sur la pertinence de l'énoncé de politique sur l'immigration.

M. Boisclair: Si vous ne me laissez même pas le temps, Mme la Présidente, de plaider ma cause-La Présidente (Mme Loiselle): D'accord, allez-y, M. le député.

M. Boisclair: Mais juste essayer de revenir sur une façon de regarder la situation dans son

ensemble.

M. Tougas: Ça nous prendrait une commission sur la pauvreté. On pourrait en parler longtemps. Je peux tout simplement indiquer, pour faire le parallèle entre les deux dossiers, que le Conseil a pris la peine de regarder la situation des écoles défavorisées en parallèle avec la situation de la présence des enfants immigrants dans les écoles. On peut quand même vous dire qu'il n'y a pas d'adéquation, il n'y a pas de corrélation entre des concentrations d'enfants immigrants et les écoles pauvres. Bien sûr, il y a des écoles où les deux phénomènes se retrouvent. L'école la plus pauvre à Montréal, c'est celle où il y a plus d'enfants immigrants, si on veut donner des extrêmes. Mais dans l'ensemble, sur 300 quelques écoles, environ 325 écoles primaires, on n'a que 22 écoles où on a une forte concentration d'enfants immigrants et des écoles pauvres. Heureusement, ça fait que les deux problématiques ne se recoupent pas trop parce qu'on sait que, quand les deux problématiques se recoupent, le problème devient... On a déjà...

Vous connaissez les problèmes qu'ont les enfants pauvres. On n'entre pas dans ces détails-là, mais quand, en plus de ces problèmes-là, il y a l'apprentissage linguistique et l'intégration, ça devient vraiment dramatique et ce n'est pas une simple addition arithmétique, ça devient géométrique comme problème. Mais on pense quand même, tant pour l'intégration des enfants immigrants que pour la pauvreté... sans penser que l'école puisse résoudre tous les problèmes parce que ce sont des problèmes de société, donc, il faut que tous les intervenants jouent leur rôle. Je pense quand même que c'est par le succès scolaire, la persévérance aux études, l'accès aux études collégiales, tant pour les enfants immigrants que pour les enfants pauvres, qu'on arrivera à briser le cycle de la pauvreté, et le Conseil- scolaire, dans sa demande au ministre de l'Éducation, tant pour les enfants pauvres que pour les enfants immigrants, demande les ressources nécessaires pour donner aux uns comme aux autres une égalité de chances. Et on ne dit pas qu'on va réussir, mais on a sûrement la volonté de le faire.

M. Boisclair: Merci.

La Présidente (Mme Loiselle): Quelques mots de remerciement pour terminer?

M. Boisclair: Oui, bien, peut-être vous remercier. C'est volontairement, Mme la Présidente, si je suis sorti peut-être un peu du cadre, mais je croyais que c'était important de faire parler les représentants du Conseil scolaire de l'île de Montréal sur cette étude majeure qu'ils ont produite sur les enjeux des enfants qui fréquentent des écoles dans les milieux défavori- sés. Je crois que c'est une contribution toute spéciale que le Conseil scolaire de IHe de Montréal peut apporter aux travaux de cette commission et, même si je conviens avec vous que je suis peut-être sorti du cadre strict des débats de la commission, je crois que c'était tout à fait pertinent et légitime, surtout d'aborder cette question-là. Donc, vous remercier pour votre contribution, vous remercier aussi pour le travail que vous faites. Merci.

La Présidente (Mme Loiselle): Mme la ministre?

Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que nous sommes tous conscients que l'intégration, c'est un processus à long terme. Comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, ce n'est pas avec le fait de parler français qu'on peut parler d'une intégration réussie. Mais il faut être capable aussi de participer et, bien sûr, ça va se faire sur plusieurs générations. Moi, je suis quand même très confiante qu'on peut réussir à relever le défi parce que, justement, on a quand même des moyens... C'est sûr qu'il faut en inventer d'autres aussi. Je pense qu'il faut avoir des idées novatrices et il faut aussi, je pense, être prêt... Il faut croire que notre culture, au contact des autres cultures, ne sera plus la même, évoluera aussi, est toujours en changement et, donc, il faut aussi être prêt à s'ouvrir, je pense bien, à cette pluralité parce qu'inévitablement on doit faire face à cette situation nouvelle. Bon.

Il y a des concentrations et on retrouve cette concentration dans la région de Montréal, mais je dois vous dire que toutes les mesures qui sont dans l'énoncé de politique, comme ces mesures sont pour la clientèle, donc, cela signifie qu'elles sont en bonne partie pour la région de Montréal. Et il y a peut-être aussi d'autres moyens, d'autres palliatifs, par exemple, à la grande concentration, qu'on peut peut-être utiliser comme, par exemple, le jumelage, le parrainage. Je pense qu'il y a des choses, qu'il faut s'arrêter à certains palliatifs.

De toute façon, je vous remercie parce que vous avez apporté des points de vue quand même fort intéressants. Je dois vous dire aussi que je lirai avec grand intérêt le mémoire que vous avez déposé à mon collègue, le ministre de l'Éducation, et je serai en mesure de vous faire des commentaires à ce sujet-là. Merci beaucoup et bon voyage de retour.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci beaucoup. Nous allons donc ajourner les travaux de cette commission pour ce soir, pour les reprendre le mardi 12 mars, tout de suite après la période des affaires courantes, vers 15 h 30. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 22 h 5)

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