L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission de la culture

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission de la culture

Version finale

34e législature, 1re session
(28 novembre 1989 au 18 mars 1992)

Le mardi 15 octobre 1991 - Vol. 31 N° 44

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la proposition de politique de la culture et des arts


Journal des débats

 

(Quinze heures quarante minutes)

Le Président (M. Doyon): Je vais commencer par déclarer la séance ouverte et souhaiter la bienvenue à tout le monde, y compris à nos collègues parlementaires, Mme la ministre, en ce début de session. La commission de la culture a déjà commencé à travailler depuis une quinzaine de jours maintenant et nous continuons le travail que nous avions entrepris. Il s'agit de poursuivre le mandat qui nous a été confié par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire de procéder à une consultation générale et publique qui consiste à tenir des auditions sur la proposition de politique de la culture et des arts, tel que ça a été déposé à l'Assemblée nationale le 14 juin dernier.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Messier (Saint-Hyacinthe) par M. Tremblay (Rimouski).

Le Président (M. Doyon): Consentement? Des voix: Consentement.

M. Boulerice: Mme Carrier-Perreault en remplacement de Mme Dupuis (Verchères).

Le Président (M. Doyon): Donc, deux remplacements. Je vais m'abstenir de faire la lecture de l'ordre du jour compte tenu que nous avons déjà quelques minutes d'écoulées sur l'horaire qui est le nôtre. Nos invités sont déjà là et je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues. Il s'agit de M. Ralph Mercier, le maire de Charlesbourg; il est accompagné de son directeur général adjoint, M. Ghislain Jobin, à qui je souhaite aussi la bienvenue, et il y a aussi M. Bluteau, je pense - on m'en a informé tout à l'heure - qui est parmi nous. Alors, à ces trois personnes, je souhaite la plus cordiale des bienvenues et je leur indique que leur mémoire, je pense, a déjà été distribué. Les membres de la commission en ont déjà pris connaissance. Vous pouvez en faire une lecture ou tout simplement un résumé. Vous disposez de 10 à 15 minutes pour faire la présentation qui est la vôtre. Après ça, la conversation va s'engager pour un quart d'heure environ, avec chacun des deux côtés de la table, c'est-à-dire du côté ministériel, ainsi que du côté de l'Opposition. Alors, les présentations, je les ai faites pour vous. Je vous souhaite la bienvenue encore une fois et je vous invite dès maintenant à commencer votre présentation.

Ville de Charlesbourg

M. Mercier (Ralph): M. le Président, je veux remercier la commission d'avoir accepté de nous recevoir, la ville de Charlesbourg, ici aujourd'hui. Bien sûr, la ville de Charlesbourg, vous la connaissez, étant une ville, peut-être, des plus importantes au Québec. Elle est la dixième en importance avec une population de 72 600 et, à cet égard, raison de plus que nous apprécions effectivement de nous retrouver ici aujourd'hui. Bien sûr, vous avez pris soin, et je vous en remercie, M. le Président, d'avoir présenté les gens qui m'accompagnent. Il y a peut-être juste dans le cas de M. André Bluteau, dont je voudrais souligner le fait qu'il est le chef de section aux arts et à la culture. C'est quand même, je pense, assez important pour nous.

M. le Président, Mme la ministre, membres de la commission, on se souviendra que, au congrès de l'Union des municipalités du Québec... Et, là-dessus, je voudrais aussi quand même préciser que je coiffe, bien sûr, ici, plutôt davantage le chapeau de maire de la ville de Charlesbourg et non celui de président de l'Union des municipalités. Une petite distinction, bien sûr, vous avez compris, qui s'impose. À ce congrès qui avait été tenu en mai 1991, nous exprimions le désir que le ministère des Affaires culturelles du Québec considère les municipalités comme des partenaires privilégiés pour promouvoir le développement et la diffusion de la culture, des arts et la mise en valeur du patrimoine bâti. Dans la même ligne de pensée, nous formulions le souhait que le ministère s'associe au monde municipal pour définir les engagements financiers qui pourraient être pris dans le contexte de la rédaction d'une politique culturelle.

Cette résolution de l'Union des municipalités du Québec rejoint, dans une grande mesure, les préoccupations que j'aimerais exprimer, comme maire de Charlesbourg, au nom, bien sûr, du comité exécutif, mais également au nom des organismes culturels oeuvrant sur notre territoire, Charlesbourg étant une municipalité, comme je vous l'indiquais il y a quelques instants, de 72 000 habitants, située dans la région de Québec, bien évidemment. Le point de vue d'une ville comme la nôtre permettra, j'en suis convaincu, de mieux faire comprendre notre réalité, nos besoins, nos attentes et surtout notre volonté d'être un partenaire à part entière avec le ministère des Affaires culturelles. Et, malgré le fait que notre mémoire, M. le Président, n'est peut-être pas très volumineux, je pense qu'il va directement au point.

Après avoir pris connaissance du projet de

politique de la culture et des arts, les orientations prônées par le groupe-conseil nous ont beaucoup interpellés. Dans le contexte difficile des transferts budgétaires aux municipalités, nous adhérons à l'ensemble des principes mis de l'avant par le groupe-conseil et nous soulignons tout particulièrement les positions définies dans la recommandation 80, qui peut être perçue comme un appui à la demande formulée par l'Union des municipalités. Cette recommandation disait, et je cite: "Que le ministère des Affaires culturelles s'associe au milieu municipal pour fixer les paramètres des implications et du financement, dans le cadre d'une politique culturelle favorisant un plus grand engagement des municipalités dans la culture".

Nous sommes encore plus sensibles au point de vue exprimé dans la recommandation 78, à savoir et je cite: "Que le ministère des Affaires culturelles soit présent et très vigilant dans les opérations de décentralisation vers les villes, afin que les programmes culturels ne fassent pas l'objet d'un délestage de la part du gouvernement. Il s'agit plutôt d'un nouveau partage des responsabilités et d'un transfert des moyens lorsque les responsabilités des municipalités augmentent".

De nombreuses villes agissent depuis déjà plusieurs années dans le domaine culturel, plusieurs par le biais du loisir. Elles ont acquis à ce chapitre une solide expertise. D'autres municipalités possèdent ou gèrent, de concert avec les forces vives du milieu, des équipements comme une salle de spectacle, une bibliothèque, un centre d'interprétation. Certaines aussi, se sont engagées à conserver et à mettre en valeur leur patrimoine, compte tenu des pouvoirs octroyés depuis la refonte de la Loi sur les biens culturels en 1985. Et voilà que, depuis quelques années, certaines d'entre elles se sont dotées d'une politique culturelle. C'est le cas de notre municipalité.

C'est, en effet, en avril dernier que notre municipalité adoptait une politique d'intervention dans ce domaine. Par cette dernière, nous voulions nous donner un outil d'orientation qui guiderait nos actions présentes et futures, afin d'offrir à nos concitoyennes et à nos concitoyens une variété d'activités culturelles correspondant à leurs attentes et à nos capacités financières. En sanctionnant une telle démarche, nous étions conscients, et le demeurons encore davantage, que le gouvernement municipal est le niveau d'autorité le plus apte à répondre aux attentes des citoyennes et des citoyens en matière de développement culturel.

L'adoption de cette politique constituait pour nous une affirmation de l'importance de la culture. Dans le préambule de notre politique, nous affirmons que c'est par sa vitalité culturelle qu'une ville rayonne, augmente son pouvoir d'attraction et qu'elle parvient à retenir ses concitoyens sur le territoire. En proposant des activités culturelles accessibles pour l'ensemble de ses concitoyennes et de ses concitoyens, une municipalité fait preuve de leadership et de fierté. Pour nous, c'est là que s'inscrivent le rôle et le profit de notre municipalité.

La preuve est maintenant faite que le dynamisme culturel est un facteur de bien-être pour nos concitoyennes et nos concitoyens, et un élément supplémentaire de développement et de promotion sur les plans économique et social. Pour nous, s'intéresser au développement culturel, c'est accepter d'investir dans des secteurs artistiques porteurs d'avenir, même si les retombées ne se traduisent pas par un gain financier tangible et immédiat.

C'est un peu ces perspectives qui nous ont incités à investir dans le développement de notre réseau de bibliothèques, dans la protection et la mise en valeur de nos sites patrimoniaux, de même que dans le soutien aux autres disciplines artistiques. Mais le contexte économique actuel et l'ajout de nouvelles responsabilités non assorties des transferts budgétaires compromettent de façon dramatique l'éveil de l'intérêt et d'une implication plus large d'une municipalité de l'envergure de fa nôtre. Il ne faudrait pas interpréter notre refus d'assumer de plus grandes responsabilités dans le domaine culturel comme un aveu de notre manque d'intérêt. Il s'agit plutôt ici d'une orientation dictée par la réponse à des besoins plus urgents.

Nous formulerons nos recommandations à la lumière des contraintes qui sont actuellement celles, vous le savez fort bien, de l'ensemble de nos partenaires municipaux.

Les recommandations. La première est que le ministère des Affaires culturelles, soucieux d'être à l'écoute du milieu, de ses besoins, de ses ressources, associe le monde municipal dans l'élaboration des programmes de développement culturel et accorde un soutien financier susceptible de servir de levier pour créer et consolider un véritable réseau culturel.

Que le ministère des Affaires culturelles soit l'initiateur, qu'il coordonne et qu'il fasse connaître les programmes de soutien offerts dans d'autres ministères, surtout s'ils contribuent à l'épanouissement culturel de la population de chacune des municipalités du Québec.

Troisièmement, vu le contexte financier de nos gouvernements, que le ministère des Affaires culturelles favorise l'implantation et le développement de la culture à partir de la base. Il s'agit là d'une prémisse indispensable à un rayonnement hors Québec et une condition essentielle au renouvellement d'une culture qui risquerait autrement de se scléroser.

Quatrièmement, que le ministère des Affaires culturelles intensifie son appui au développement et au fonctionnement des bibliothèques publiques, en consolidant les politiques et les programmes de soutien.

Cinquièmement, que le ministère des Af-

faires culturelles apporte sa contribution aux municipalités en élaborant et en rendant publique une politique du patrimoine, afin que des programmes de soutien au fonctionnement des sites historiques et patrimoniaux favorisent leur mise en valeur, leur interprétation et leur animation, et que soient maintenus les programmes actuels d'aide à la restauration. Le patrimoine architectural de la ville de Charlesbourg est d'une très grande richesse. L'arrondissement historique du Trait-Carré, phénomène unique en Amérique du Nord, les quelque 114 propriétés d'intérêt patrimonial témoignent de la diversité et de l'importance de cet héritage historique. Sans l'initiative de programmes de soutien financier à caractère direct ou indirect, nous pouvons à juste titre prévoir une dégradation et même la disparition de cette inestimable trame historique. Il serait opportun, à cet effet, que le ministère accepte à l'occasion d'assouplir le cadre de ses programmes, afin de répondre davantage à des besoins spécifiques et urgents.

Six, que le ministère des Affaires culturelles aide les municipalités à mettre sur pied des programmes de fonctionnement et des mesures à caractère fiscal permettant aux artistes et aux compagnies artistiques de s'implanter dans toutes les municipalités du Québec.

En conclusion, j'aimerais poser la question suivante: Comment un gouvernement supérieur peut-il sérieusement exiger davantage d'efforts financiers de la part des municipalités, alors même que l'on est en droit de s'interroger sur les volontés et les actions concrètes que celui-ci compte entreprendre? Un véritable partenariat doit, au contraire, s'inscrire dans une volonté affirmée d'implication et non de désengagement.

Selon nous, il devra en être de la culture comme de l'éducation, deux dimensions, d'ailleurs, étroitement liées par les auteurs du rapport. En effet, personne ne conteste que toute municipalité doit demeurer maître d'oeuvre dans certains champs d'intervention: réseaux routiers, aqueducs, urbanisme, etc. Cependant, le respect du principe de l'équité envers l'ensemble des citoyens du Québec exige la prise en charge de mandats plus larges, comme la réflexion et l'orientation du développement culturel par un niveau supérieur de gouvernement.

Les municipalités pourraient, de leur part, collaborer à l'application de ces politiques en les imprégnant de leur identité propre. Les municipalités doivent, cependant, compter sur l'expertise et l'implication financière du même gouvernement. C'est dans cette mesure qu'une véritable réflexion culturelle pourra s'ancrer dans la réalité et dans la pratique quotidienne de chacun de nos milieux respectifs. Je vous remercie, M. le Président, et les membres de la commission.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le maire. Mme la ministre.

Mme Frulla-Hébert: Merci et bienvenue à vous tous. Merci, M. le maire. Premièrement, ça me fait plaisir de vous accueillir parce que nous reconnaissons les efforts de votre municipalité pour le développement culturel et artistique de votre communauté. Je voudrais quand même vous rassurer. Le ministère des Affaires culturelles a toujours travaillé en étroite collaboration avec les municipalités, ne serait-ce qu'au niveau, finalement, du développement du réseau de bibliothèques. On essaie, d'ailleurs, de parler de véritable partenariat. Et, en ceci, évidemment, il n'est pas question pour nous de délestage, au contraire, mais vraiment d'accentuer ce partenariat-là.

J'aimerais, par contre, revenir sur votre mémoire. Je suis curieuse, à certains niveaux. D'abord, au niveau de votre politique culturelle. Vous avez adopté une politique culturelle municipale pour vous guider dans vos interventions dans ce domaine. Est-ce que vous pourriez, d'abord, nous donner les grandes lignes de cette politique-là et, deuxièmement, nous dire comment vous le faites, si vous avez les leviers nécessaires, justement, pour appliquer cette politique-là dans votre communauté?

M. Mercier: Merci, Mme la ministre. Je pense qu'à cet égard M. Bluteau, qui est avec nous, qui est chargé effectivement du dossier culturel à la municipalité, pourra vous donner l'ensemble des technicalités mêmes qu'on retrouve à l'intérieur de cette politique. Et, si vous permettiez, je lui céderais la parole là-dessus. M. Bluteau.

Le Président (M. Doyon): M. Bluteau, vous avez la parole.

M. Bluteau (Marc-André): Mme la ministre, d'abord, la politique culturelle dont la ville s'est dotée, justement, veut aller plus loin que la simple pratique du loisir culturel. Nous étions conscients, en proposant cette politique-là, de vouloir oeuvrer dans l'ensemble des champs d'intervention culturelle, que ce soit des activités d'animation, de diffusion ou même d'excellence. Et notre politique tient compte de ces principes-là. On veut vraiment faire en sorte que soit un groupe artistique ou un artiste professionnel qui veut travailler à Charlesbourg, par exemple, puisse oeuvrer sur notre territoire.

Alors, on a mis en place différents moyens pour agir dans ce domaine-là, que ce soit en termes d'expertise professionnelle, que ce soit en termes de soutien au fonctionnement de ces organismes-là, que ce soit également pour les aider à oeuvrer sur le plan culturel.

C'est sûr que ce n'est pas la même dimension comme aide ou comme réalité culturelle qu'un milieu plus considérable, mais on veut absolument faire en sorte que, de notre milieu, s'il y a des gens qui ont du talent, qui veulent

vraiment faire en sorte de vivre de la culture, bien, qu'ils puissent exercer leur profession chez nous. C'est un peu les grandes lignes de notre politique. Il y a plusieurs principes. Je vous fais grâce de toutes les modalités de fonctionnement comme telles, mais ça va un peu dans ce sens-là, c'est-à-dire faire en sorte qu'on prenne conscience que c'est un phénomène important et faire en sorte que les artistes qui veulent travailler chez nous puissent le faire.

Mme Frulla-Hébert: Quelles sont vos priorités?

M. Bluteau: Chez nous, il y a deux grandes priorités: il y a la musique, il y a le théâtre. Nous avions antérieurement une troupe de théâtre, le Théâtre le Grand Dérangement, qui a été implantée pendant plusieurs années à Charlesbourg, qui est maintenant ailleurs et c'est très bien. Mais on voudrait faire en sorte que, sur le plan théâtral, il y ait des troupes de théâtre d'intérêt, je dirais, local et même régional qui puissent s'implanter chez nous et sur le plan du développement de la musique également. Il y a beaucoup d'initiatives, il y a beaucoup de talents, il y a beaucoup de cours qui se donnent, il y a beaucoup d'initiatives privées, mais il y a peu d'organismes capables de prendre en charge un réel développement culturel ou musical. Sur le plan patrimonial, on a une société historique qui est absolument riche, on a un patrimoine, M. le maire le mentionnait tout à l'heure dans son mémoire, qui est absolument exceptionnel. Il y a beaucoup d'efforts à faire. Le ministère nous a aidés énormément jusqu'à maintenant à mettre en valeur que ce soit le Moulin des jésuites ou des maisons historiques d'intérêt patrimonial important à l'intérieur du Trait-Carré, mais il reste beaucoup à interpréter. Nous sommes rendus là. Il y avait tous les efforts de restauration qui ont été mis sur pied, mais il y a aussi maintenant tous les efforts de faire prendre conscience aux citoyens de la valeur de leur patrimoine et de mettre des programmes à cet effet-là. Alors, c'est un peu vers ça qu'on veut aller. La politique énonce des principes à ce niveau-là.

Pour la danse, on fait beaucoup. La municipalité organise maintenant depuis cinq ans un énorme spectacle pour stimuler le milieu de la danse, bien sûr amateur, mais il y a au-dessus de 400 participants dans la municipalité à des cours de danse et chaque année on prend en charge un spectacle municipal pour permettre au milieu de bien régénérer ce milieu-là de la danse. Alors, voilà un peu, en gros, les grandes lignes.

Mme Frulla-Hébert: Du fait que vous êtes en périphérie de Québec et que vous êtes ville membre de la Communauté urbaine, est-ce que vous avez des liens privilégiés, par exemple, avec la capitale, soit dans votre action en matière culturelle et artistique? Est-ce qu'il y a une espèce de synergie et de coordination qui se fait avec la capitale, par exemple, ou si chacun travaille en vase clos?

M. Mercier: Mme la ministre, là-dessus, il y a définitivement une communication qui se fait à partir des permaments à l'intérieur de la municipalité. M. Bluteau et également aussi Mme Grégoire, qui est associée à M. Bluteau, ont régulièrement à rencontrer des gens de la capitale, c'est le fait de le dire, de la ville de Québec, d'autres aussi des autres municipalités, ici, dans la région de Québec. Que ce soit en matière quand même de bibliothèque ou d'autres interventions culturelles, je pense que cette pratique-là est quand même courante. Ça ne répond peut-être pas à votre question, mais j'ajoute là-dessus que, si on parle d'initiatives à l'intérieur de notre politique culturelle, on est peut-être une des municipalités qui, récemment, dans la région, a créé un fonds pour l'acquisition d'oeuvres d'art. Vous me direz que déjà, au niveau de la ville de Québec, il y en a un, oui, sauf qu'il est géré quand même par l'Institut canadien pour la bibliothèque Gabrielle-Roy. Mais, comme ville, comme municipalité, on est la seule ville dans la région de Québec, du moins de la Communauté urbaine, qui a initié un tel fonds. C'est récent, mais je pense que ça va certainement dans l'objectif de pouvoir encourager les artistes locaux et faire en sorte quand même qu'on encourage un certain développement qui est relié peut-être davantage à celui de l'excellence, donc peut-être de l'élite. C'est un fonds désigné à cet égard.

Sur d'autres plans, sur le plan de la participation dite amateur, tenter de faire en sorte que le développement progresse davantage, on a déjà également aussi d'autres initiatives qui sont enclenchées depuis quelques années. Je pense que, sur ce plan-là, ça ajoute peut-être déjà à ce que M. Bluteau vous indiquait tantôt sur le fond, c'est-à-dire la politique culturelle.

M. Bluteau: J'ajouterais peut-être un complément d'information à ce que M. le maire disait. Je travaille fréquemment avec les gens du Bureau des arts et de la culture, justement à Québec, pour essayer d'inventer, je dirais, des moyens de faire en sorte que des projets, par exemple, d'expositions qui viennent à Québec ou qui sont pensés par le Bureau des arts et de la culture puissent être diffusés chez nous, dans nos lieux patrimoniaux ou dans les salles d'exposition. Mais on est encore au début et le problème majeur, c'est toujours, vous le savez très bien, le problème financier relié à l'organisation de tels projets. (16 heures)

Mais je pense que, de plus en plus, on prend conscience qu'au lieu de faire chacun individuellement, en périphérie... Vous le situez très bien, le problème: c'est une municipalité

comme Charlesbourg, de 70 000 habitants, en périphérie de Québec qui est un centre patrimonial important. On a un aspect patrimonial, nous, tout aussi important, mais qui est très différent, qui est d'une autre mesure, mais c'est riche aussi à mettre en valeur et c'est intéressant. C'est une coloration différente. Alors, il ne s'agit pas de se comparer avec Québec, mais de travailler ensemble. En tout cas, on commence à travailler ensemble pour faire en sorte que sur des projets, on pourrait peut-être faire des actions communes.

Mme Frulla-Hébert: II y a eu une idée intéressante émise, par exemple, par le maire de la ville de Québec, qui demande que les équipements et les institutions culturels soient réévalués, c'est-à-dire qu'on ait des équipements dits nationaux qui soient pris par le gouvernement et d'autres équipements qui soient catégorisés comme équipements régionaux et, à ce moment-là, ils seraient pris en charge par les municipalités. Est-ce que vous seriez d'accord? Je vous demande ça à titre de maire et aussi à titre de président de la conférence. Est-ce que c'est possible de penser, par exemple, que la CUQ pourrait prendre en charge les équipements dits régionaux et nous laisser, évidemment, la charge des équipements nationaux?

M. Mercier: Bon. Mme la ministre, c'est certainement une façon de voir les choses. Je pense que ça demeure quand même des formules intéressantes, mais il faut, je pense, aller au-delà de ça, c'est-à-dire les approfondir. C'est certainement, dans l'application, faisable. Il ne faut quand même pas nier ça, sauf qu'il faut voir aussi que, si on parle quand même des équipements qui génèrent aussi certains revenus pour une municipalité comme telle, s'il y a des partages à ce niveau-là au point de vue d'un ensemble ou d'un regroupement comme la Communauté urbaine, je pense que ce sont des formules qui sont envisageables, oui, sauf qu'il ne faudrait pas tenter, dans le fond, de faire un partage qui ne se veut pas globalement et, je dirais, totalement équitable sur tous les plans, autant sur le plan des déboursés que sur le plan des revenus. Vous savez, déjà, l'ensemble des municipalités de la Communauté urbaine, on contribue à différents égards à des activités d'ordre culturel dans le territoire et, lorsqu'on le fait pour la ville de Charlesbourg, quand c'est la Communauté urbaine qui contribue, que ce soit pour l'Orchestre symphonique ou autrement, notre participation, notre quote-part est toujours, à ce moment-là, d'environ 10 % ou 11 %. Alors, on participe quand même largement là-dessus. Et, encore une fois, je pense qu'il y a certainement une ouverture à définir peut-être des équipements dits...

Mme Frulla-Hébert: Nationaux versus régionaux?

M. Mercier: ...nationaux, sauf qu'il faudrait voir aussi dans les modalités, dans la mécanique, de quelle façon, en somme, ça pourrait s'assumer de part et d'autre.

Mme Frulla-Hébert: C'est parce qu'il y a toujours une discussion entre les grandes villes qui disent: Bon, nous, on a la responsabilité de ces grands équipements-là dont les citoyens des plus petites municipalités bénéficient et, à ce moment-là, on a la charge financière, mais, de l'autre côté, cette charge-là n'est pas répartie équitablement au prorata, par exemple, de la population ou de l'utilisation.

M. Mercier: Mme la ministre, je comprends très bien mon collègue de Québec de s'exprimer ainsi, s'il l'a fait comme vous le dites. Je le comprends. C'est bien évident qu'il y a des équipements qui servent à l'ensemble, je pense, de notre région et il y a peut-être des municipalités en périphérie, comme la nôtre, et des citoyens qui vont bénéficier, par exemple, de ce qu'on retrouve comme locaux au Grand Théâtre ou encore au palais Montcalm, n'importe, qui sont des équipements à être assumés par la ville de Québec comme telle. Mais, d'autre part, je pense qu'il y a des choses possiblement à analyser sur ce plan-là, mais, encore une fois, il y a toute la question de dépenses versus aussi les recettes. Je pense que, si on veut être équitable, si on veut parler de partage quel qu'il soit, même si on parle de partage au niveau régional, il faudra faire une analyse en profondeur là-dessus.

Il reste également aussi qu'il ne faut quand même pas nier qu'il y a une part, il y a un pourcentage aussi de retombées pour la ville de Québec sur ce plan-là. Quand les gens, finalement, sont à des activités culturelles dans le territoire de Québec, il y a toujours une retombée. Alors, je pense que c'est quand même non négligeable et, si la ville de Québec ne les avait pas comme tel, ça aussi, ça pourrait être pour elle un autre problème, mais quand même je pense que c'est tout ce genre d'activités qui vient meubler un peu notre capitale. Mais il faut avouer que ça devient lourd quand même pour la vieille capitale, pour Québec, à soutenir seule. La population n'est quand même pas importante nécessairement. La région l'est, mais, pour la ville de Québec, la population n'est quand même pas si importante que ça et ça devient très lourd à supporter par un nombre de contribuables restreint. Maintenant, il y a sûrement des formules ou des avenues à analyser sur ce côté-là. Mais vous pouvez constater, comme moi, que d'en faire l'analyse globale ici, cet après-midi, serait assez difficile. Mais je pense que c'est faisable.

Mme Frulla-Hébert: Oui, d'accord. Mais on

parie juste d'une idée qui est soumise. En terminant, le programme d'intégration de l'art à l'architecture, le fameux 1 % que, nous, on a comme programme obligatoire, est-ce que ce serait pensable de demander aux municipalités, par exemple, de l'intégrer obligatoirement?

M. Mercier: L'intégrer à quel niveau, madame?

Mme Frulla-Hébert: C'est-à-dire de la même façon qu'on le fait, nous. C'est-à-dire que, pour tout bâtiment de service public commandé par une municipalité ou défrayé par une municipalité, il y aurait obligatoirement, tel qu'on le fait au niveau du gouvernement, 1 % qui irait à l'architecture ou à l'intégration d'une oeuvre d'art dans ce cadre-là.

M. Mercier: C'est un aspect, bien sûr, qui est envisageable. Mais, encore une fois, évidemment, ça varie peut-être aussi... Il n'y a pas nécessairement de politique uniforme, à cet égard, qui est établie actuellement à travers le Québec. Il y a peut-être certaines municipalités qui en ont pris l'initiative. Ce n'est pas impossible. Mais il n'y a pas d'uniformité sur ce plan-là. Ce sont des formules pensables, mais, évidemment, à chaque fois qu'on pense à une initiative, une démarche ou politique qui pourrait s'établir de façon peut-être plus nationale, il faut voir aussi qu'il y a toujours des déboursés sur ce plan.

Et on a indiqué, à un moment donné, que des fois les priorités peuvent varier, bien sûr, d'une municipalité à l'autre et que chez nous, même sur le plan des ressources disponibles, on peut avoir des choix à faire. Remarquez qu'on n'est peut-être pas la municipalité qui consacre nécessairement le plus d'argent vers la culture, mais, si on la compare avec les budgets, si on fait une certaine comparaison en termes de pourcentage avec celui du Québec, il reste quand même que, sur le plan culturel, on consacre à peu près 1 %, 1 1/4 %, chez nous à la culture. Et ça exclut, évidemment, peut-être d'autres contributions qui se voudraient peut-être davantage reliées à des effectifs ou, finalement, à des personnels de soutien qui viennent s'ajouter à ça.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Mercier. Cela met, malheureusement, fin au temps qui était imparti à Mme la ministre. Je me dois maintenant de passer la parole à M. le porte-parole officiel de l'Opposition en matière d'affaires culturelles. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, vous avez la parole.

M. Boulerice: Oui, M. le maire, messieurs. Heureux de vous revoir, M. Mercier. La première question que j'aimerais vous poser... En prémisse, je dois vous avouer qu'il faut une bonne dose de courage pour un maire d'une municipalité, et ci-devant également président d'une puissante union, de venir dire: Oui, nous avons le goût de faire alors que, dans un autre secteur, malheureusement, on a défait. Je me rattache à cette conviction que vous avez. Je m'en réjouis et je commence, M. Mercier, un bref questionnement. Comment peut-on assurer une implication plus grande des municipalités à l'égard du patrimoine bâti? Et, à cette question, je rajoute une autre. Vous êtes sans doute au courant que la commission des sites et biens culturels était tiède - et c'est un mot tendre que j'emploie -quant à l'obtention de plus de pouvoirs au niveau des municipalités pour ce qui est du patrimoine.

M. Mercier: Bien, je ne sais pas si je vais répondre directement à votre question, mais je vais tenter de le faire. Je dois vous dire d'abord que, sur le plan, je dirais, du développement de notre patrimoine ou du maintien, finalement, de notre patrimoine sur le plan local, il va de soi que la contribution du ministère ou du gouvernement, sur ce plan-là, est définitivement indispensable. Je pense qu'on ne peut pas songer à se retirer d'une façon quelconque de ce domaine-là et, à mon avis, ça demeure aussi une mission. Encore une fois, c'est une des missions qui devraient être une mission nationale. Qu'elle soit faite en collaboration, bien sûr, avec la municipalité qui connaît bien son milieu, qui est plus près, effectivement, de cette richesse patrimoniale pour être capable de coordonner les programmes qui sont mis en place ou, finalement, l'exécution de la restauration, il va de soi. Mais je dois vous dire que je pense qu'on ne pourra pas le faire ou difficilement le faire sans l'implication ou une contribution du gouvernement à cet égard.

D'autre part, je pense aussi qu'il est extrêmement important que le gouvernement ou le ministère comme tel puisse définir peut-être, à l'occasion, certains programmes incitatifs qui aident davantage aussi à faire en sorte qu'on ne fasse pas uniquement maintenir, mais qu'on développe peut-être davantage aussi, pour des fins d'activités culturelles, certains joyaux de notre patrimoine sur le plan local. C'est un élément qui me semble majeur à ce niveau-là.

M. Boulerice: M. Mercier, on sait que, dans des municipalités de la taille de la vôtre et des municipalités dont la taille est peut-être moins importante que la vôtre, une très grande partie de l'activité culturelle gravite alentour de la bibliothèque. C'est vraiment le pôle. Votre ville est quand même une ville d'environ 80 000 habitants; donc, c'est une grande ville. Mais, dans les villes de 10 000, 15 000, 20 000 habitants, le pivot est vraiment la bibliothèque comme telle. Dans le cas de votre municipalité, bon, il y a une autre infrastructure d'édifices, de bâtiments qui peuvent servir, ça va de soi, mais

la bibliothèque n'en perd quand même pas son importance dans une municipalité comme la vôtre. Et quel est actuellement l'état d'une bibliothèque dans une ville comme la vôtre, au niveau de ses équipements, au niveau de ses budgets d'acquisition, renouvellement, etc.?

M. Mercier: Bon, je dois vous indiquer qu'on a, je pense, une activité quand même intéressante pour une ville comme la nôtre. Le développement du secteur bibliothèque est de plus en plus croissant d'une année à l'autre. Le nombre d'abonnés est quand même en croissance. Maintenant, tout est relié à ce que je qualifie quand même aussi, mais en partie, d'accessibilité. On a souvent, quand même, relié l'accessibilité dans une bibliothèque à une question de coûts, alors que je dois vous dire que, chez moi, ce n'est pas nécessairement, je pense, une question de tarification qui pourrait faire la différence sur le plan d'une bibliothèque, mais davantage quand même les lieux physiques. À cet égard, on a quand même tenté de développer un certain réseau à partir d'une bibliothèque centrale avec succursales. Nous en avons deux actuellement dans le territoire, de ces succursales. Nous songeons à en développer une additionnelle dans le secteur sud. Maintenant, encore une fois, je dois vous indiquer que ce n'est certainement pas un désengagement de la part des Affaires culturelles qui pourrait aider, je dirais, non seulement au soutien, mais au développement de notre réseau de bibliothèques.

Vous avez pris connaissance dernièrement d'une diminution, évidemment, dans le pourcentage sur les programmes existants de soutien à l'opération des bibliothèques. Il a diminué de 10 % à 7,8 %. Je ne pense pas que c'est dans cette orientation-là qu'on puisse venir supporter la culture. Et la culture, vous le dites bien, je pense qu'elle prend aussi ses racines à partir d'une bibliothèque et il y a, je pense, possibilité de faire voir de façon différente peut-être l'aspect culture à une certaine partie de notre population si on lui en donne largement l'accessibilité ou la possibilité de le faire. Mais, d'autre part, je pense que l'aspect financier est important. Il y a des choix à faire sur le plan budgétaire et on ne pourrait pas vivre, tantôt, avec des coupures constantes au cours des prochaines années et qui ne tendent pas à soutenir l'activité de nos bibliothèques. (16 h 15)

M. Boulerice: M. Mercier, votre ville appartient à une immense agglomération qui fait au moins un demi-million, si ce n'est pas 600 000 personnes, dite Communauté urbaine de Québec. Certains ont émis le souhait de voir se créer, à l'exemple de la Communauté urbaine de Montréal - mais, rassurez-vous, je ne vais pas dans un affrontement Montréal-Québec; nous le souffrons au hockey, nous ne le ferons pas au niveau de la culture - certains ont proposé la création d'un conseil des arts de la Communauté urbaine de Québec. Est-ce que vous avez une position arrêtée quant à cette suggestion?

M. Mercier: Non, je n'ai pas nécessairement de position arrêtée là-dessus, sauf que le sujet, bien sûr, est venu à la table quelques fois de la Communauté urbaine comme telle, en raison peut-être des problèmes que nous avions de demandes provenant du milieu culturel, à l'égard de subventions qui pourraient être accordées par la Communauté urbaine. Mais je vous dis très honnêtement que ce n'est pas une question qui a été davantage approfondie. Il y aura peut-être lieu qu'à un moment donné on puisse retrouver effectivement une forme de canal qui fasse en sorte qu'on puisse assurer, je ne dirais pas la survie, mais le développement, effectivement, de l'ensemble de nos activités sur le plan culturel, ici, dans la région de Québec. Un conseil, dit type des arts, est certainement un moyen de le faire.

M. Boulerice: Merci. M. le Président, je crois que mon collègue, le député de Mercier et ancien ministre des Affaires culturelles, aimerait poser une question.

M. Godin: Très brièvement, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Alors, M. le député de Mercier, je vous en prie, si vous voulez... Il reste à peu près cinq minutes sur le temps.

M. Godin: Alors, je vais aller vite.

Le Président (M. Gobé): Peut-être que vous pouvez conclure même.

M. Godin: Je vais aller relativement vite. Tout dépendra de la longueur, de la dimension des réponses de M. Bluteau et de M. Mercier. J'aimerais, M. Mercier ou M. Bluteau, qu'on me décrive ce que c'est que le Trait-Carré, de quelle époque date cet ensemble patrimonial et qu'est-ce qu'il contient. Parce qu'on sait très bien que, depuis quelques années, il y a au Québec une espèce de passion pour le patrimoine et c'est ainsi que le Village d'Emilie à Saint-Tite a attiré, l'été dernier, enfin, l'été qui se termine là, 250 000 personnes, ce qui est assez inouï pour Saint-Tite. Alors, vous, si vous aviez à convaincre les touristes qui passent à Québec d'aller au Trait-Carré, qu'est-ce que vous leur feriez comme portrait du Trait-Carré pour les attirer là-bas, pour que se développe une espèce de mouvement touristique qui amènerait les gens au Trait-Carré? Parce que Québec, c'est bien beau, mais, quand on l'a vu une fois, on l'a vu pour la vie, tandis que, s'il y a d'autres ensembles patrimoniaux autour de Québec, comme le Trait-Carré, moi, je serais le premier, en tout cas, à aller voir sur place de quoi ça a l'air et

qu'est-ce qui devrait attirer les touristes de Montréal et d'ailleurs à Charlesbourg pour voir ça.

M. Mercier: Oui. Vous avez raison, je pense, de dire ça. Dans une région comme la nôtre, ici, la région de Québec, c'est certainement la diversité des équipements, qui peut faire en sorte que le touriste est davantage intéressé à y demeurer plus qu'une nuitée ou deux ou trois, s'il y a effectivement quelque chose à voir au-delà du secteur qui est à l'intérieur des vieux murs, évidemment, de notre capitale et qui est très intéressant, bien sûr. Mais je pense que déjà, à l'intérieur du Trait-Carré de Charlesbourg, si nous n'avions pas eu - et encore une fois j'insiste là-dessus - au cours des dernières années la collaboration du ministère des Affaires culturelles qui a investi aussi de pair avec la municipalité et même les contribuables locaux l'argent nécessaire pour le faire, on ne serait peut-être même pas en mesure, au cours peut-être des prochaines années, d'offrir à la population, aux visiteurs dans la région, quelque chose qui soit intéressant à voir. Je pense que nous avions des équipements, que ce soit autour de la vieille église Saint-Charles-Borromée, que ce soit effectivement des maisons ancestrales qui étaient dans le secteur, que ce soit plus récemment le Moulin des jésuites: si nous n'avions pas eu la collaboration et l'argent nécessaire du ministère pour pouvoir retaper effectivement tout ce secteur-là, je pense qu'on n'aurait rien à offrir vraiment de façon agréable et visuelle.

Maintenant, sur le plan du contenu de l'ensemble du secteur Trait-Carré, vous permettrez à M. Bluteau, de vous faire une bonne explication en détail, je pense, du contenu du Trait-Carré comme il est aujourd'hui.

M. Bluteau: Très bien, je n'irai peut-être pas dans le détail, M. Godin, mais je peux vous préciser peut-être l'importance du Trait-Carré. C'est un plan cadastral unique en étoile qui a été développé par les jésuites dès 1665. Alors, les jésuites étaient seigneurs de la seigneurie Notre-Dames-des-Anges, à ce moment-là, et ils ont trouvé cette forme cadastrale là pour permettre aux colons qui s'établissaient autour du carré... Alors, c'était un développement en étoile; au centre, il y a un carré autour duquel étaient rassemblées les maisons des habitants et c'était à la fois pour se protéger des incursions iroquoises à l'époque, c'était un plan de protection. Mais c'était également un plan de développement en étoile. Alors, il y a un phénomène cadastral unique. C'est également une contrainte importante quand on parle en termes de développement urbain. Ça a encore des conséquences même actuellement dans le développement urbain de Charlesbourg et même dans les projets d'expansion de la ville, on doit tenir compte du plan cadastral. Et on n'est pas sans connaître égale- ment toutes les contraintes en termes de génération pour pouvoir loger les habitants, la répartition des terres entre les descendants des aïeux qui se sont établis dans le Trait-Carré. Alors, il y a ça.

Il y a l'architecture également, une architecture paysanne, fin XVIIIe, début XIXe siècle. Il y a, bien sûr, le Moulin des jésuites, qui vient d'être restauré et qui est un élément important. C'est rare, ces équipements-là. Dans la région de Québec, je pense que c'est un des seuls qui existe dans le territoire de la CUQ, en tous cas, comme moulin. Il y en a, bien sûr, en périphérie, mais à la CUQ comme telle. Alors, c'est quand même quelque chose d'unique à interpréter. Ce n'est pas la richesse patrimoniale du patrimoine bâti de Québec, c'est bien certain. Mais cette configuration en étoile est particulière. D'ailleurs, sur le territoire de Charlesbourg, il y a celui-là qui est quand même très visible. Il y en a un autre également, le Carré Tracy, qui est encore là. La richesse patrimoniale est peut-être moins grande, mais le tracé en étoile, et sa configuration sur le plan cadastral comme tel, est toujours présent et guide même le développement actuel de Charlesbourg. Alors, on essaie d'en tenir compte même dans la promotion actuelle du développement urbain. C'est un phénomène riche qui vaut la peine d'être interprété, puis qui est caractéristique de notre histoire.

Le Président (M. Gobé): M. Bluteau, je vous remercie. C'est malheureusement tout le...

M. Godin: Une deuxième question, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Très rapidement, M. le député, parce que le temps est déjà dépassé.

M. Godin: Comme toujours, M. le Président. Le Président (M. Gobé): Je me fie à vous.

M. Godin: Je ne sais pas si c'est de votre faute...

Le Président (M. Gobé): Et à votre célérité.

M. Godin: ...chaque fois que je parle, on me dit que le temps est dépassé.

Le Président (M. Gobé): C'est parce que votre collègue vous donne toujours la parole après lui et, malheureusement, étant donné qu'il a des questions très intéressantes, lui aussi, ça fait passer le temps.

M. Godin: Alors, je vais faire ça en deux temps, trois mouvements. Messieurs, j'aimerais savoir s'il y a eu des occasions où la population a eu à se prononcer sur votre politique cul-

turelle, un référendum ou un règlement d'emprunt, et, si oui, est-ce que vous avez senti, lors de ces événements municipaux, un appui important à votre politique et à vos choix budgétaires et autres?

M. Mercier: Bon, il y a deux aspects. D'abord, sur la politique culturelle, c'est évident qu'il y a eu une consultation parmi les organismes du milieu. Je pense que les gens qui sont impliqués dans le territoire ont été consultés là-dessus avant qu'on puisse effectivement la préciser et la définir. Sur le plan, par exemple, de règlements d'emprunt qui sont reliés à de la restauration de bâtiments patrimoniaux, oui, nous avons eu à aller à la signature effectivement de registres et nous ne sommes pas allés aussi loin que nous retrouver en référendum là-dessus. Mais, je dois vous dire que, dans un dernier cas, pour celui, par exemple, de la restauration du Moulin des jésuites, qui semble être un joyau important du patrimoine pas seulement de la ville de Charlesbourg, mais de la région de Québec, il y avait des citoyens de chez nous, de Charlesbourg, il y avait un certain nombre de ces gens-là qui ne semblaient pas être favorables davantage à ce qu'on investisse pour sa restauration comme telle. Malgré ça, nous avons, je pense, convenu de moyens possibles pour arriver aux fins qui donnent le résultat que nous allons voir dans quelque temps. Mais, on n'avait pas nécessairement sur ce plan-là, je pense, la caution de la population. Ce n'est pas facile toujours, et ça, je pense que vous le reconnaissez en matière patrimoniale d'avoir véritablement l'engouement, le cautionnement, effectivement d'une population pour sa restauration. Je pense qu'il doit y avoir définitivement cette contribution de la part du ministère sur ce plan-là. Autrement, je suis convaincu que nous ne serions pas la seule ville à ne pouvoir y arriver. Il y en aurait plusieurs au Québec qui auraient de la difficulté quand même à maintenir leur patrimoine.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Mercier, et merci, M. le député de Mercier, ça tombe bien...

M. Godin: De Mercier, oui, le même nom que le maire.

Le Président (M. Gobé): Mais oui. J'étais près du lapsus, mais non, en effet, c'est bien cela. Mme la ministre, en conclusion, s'il vous plaît.

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Mercier. Tout simplement pour réaffirmer notre volonté et notre besoin aussi de cette collaboration avec les diverses municipalités. Je pense que le développement culturel en dépend et vous pouvez trouver, enfin, dans le ministère, un allié qui date et qui sera toujours là. Merci, M. Mercier.

Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. Merci, M. Mercier ainsi que les gens qui vous accompagnent. Il m'a fait plaisir de vous accueillir aujourd'hui à cette commission. Ceci met fin à votre audition et je vous demanderais de bien vouloir vous retirer afin que nous puissions accueillir le groupe suivant qui est le Townshippers' Association/Association des anglophones de l'Estrie.

(Suspension de la séance à 16 h 27)

(Reprise à 16 h 31)

Le Président (M. Gobé): M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, bienvenue parmi nous cet après-midi, pour recommencer cette session après cette courte interruption. Alors, nous allons donc maintenant reprendre nos audiences et il me fait plaisir d'accueillir l'Association des anglophones de l'Estrie qui est représentée par M. Robert Lemire. Bonjour, M. Lemire. Par Mme Marjorie Goodfellow.

Mme Goodfellow (Marjorie): Bonjour.

Le Président (M. Gobé): Bonjour, madame, ça me fait plaisir. Mme Sharon Shaw.

Mme Shaw (Sharon): Bonjour.

Le Président (M. Gobé): Bonjour, madame. Et Mme Barbara Verity.

Mme Verity (Barbara): Bonjour.

Le Président (M. Gobé): Bonjour, madame.

Vous avez 15 minutes pour faire votre présentation. Par la suite, 15 minutes pour discuter avec

Mme la ministre, ou un représentant de Mme la ministre, et 15 minutes avec quelqu'un du côté de l'Opposition ou leur porte-parole officiel. Alors, vous pouvez commencer.

Association des Townshippers

M. Lemire (Robert): Merci, M. le Président. Au début, je dois présenter, à ma gauche, Marjorie Goodfellow, qui est ex-présidente de l'Association des Townshippers, et, à ma droite immédiate, c'est Barbara Verity, qui est directrice adjointe en ce moment, et, à sa droite, Sharon Shaw, qui est membre du conseil d'administration. Moi, je suis membre du Comité sur le patrimoine et les arts, et c'est un rôle que je joue avec fierté parce que le patrimoine, c'est vraiment ma vie.

Je partage mon temps entre Montréal et Danville qui est tout près d'Asbestos, pour vous situer, en Estrie où je demeure. Et, en faisant le trajet entre Montréal et l'Estrie, je vois immédiatement le changement de la topographie. Je

trouve que l'Estrie est vraiment un non-sens parce que c'est vraiment les Cantons de l'Est. Ça été arpenté par les Britanniques et c'est au sens contraire des seigneuries qu'on a tout le long du fleuve Saint-Laurent. Et tous les documents d'archivé qui sont conservés à l'Université Bishop parlent uniquement des Cantons de l'Est et c'est vraiment dommage qu'on change un nom, quand historiquement c'est valable.

L'Association des Townshippers a été fondée, c'est à but non lucratif et on est subventionnés principalement par le fédéral. On a aussi des projets pour fêter l'an prochain le bicentenaire des Townshippers. Il y a des projets qui ont été subventionnés, évidemment, par les Québécois.

Dans le mémoire, vous allez voir, on a trois points. Et quand on m'a demandé de lire votre politique de la culture et des arts, ce qui m'a sauté aux yeux et de beaucoup de mes collègues, c'est la lacune du côté patrimoine bâti, l'architecture. Et l'architecture des Cantons de l'Est est une architecture qui est enracinée, comme les anglophones le sont. On est 10 000 membres à Townshippers, l'Association des Townshippers. Il y a 50 000 anglophones en Estrie. Je vais utiliser les deux mots, Estrie et Cantons de l'Est, parce que ce sont vraiment les deux dont on se sert aujourd'hui. La population de l'Estrie est de 500 000; donc, on forme environ 10 %.

On a fait beaucoup d'activités depuis la fondation, il y a environ 15 ans, du côté patrimoine et aussi on partage des intérêts du côté politique pour les droits des anglophones. Dans les trois points, le premier que je vous ai dit, c'est le côté patrimoine. Justement, je voudrais féliciter le ministère des Affaires culturelles, parce qu'il vient juste de lancer le deuxième tome des "Chemins de la mémoire", et je peux vous référer, si vous voulez, à un survol sur l'historique de l'Estrie. C'est le chapitre 5. Et les monuments qui ont été classés depuis 1972 paraissent dans ce volume et on est fiers de ce volume, et on vous félicite. Mais, du côté du patrimoine, il y a beaucoup à faire. Il y a moins de douze monuments qui sont classés dans la région et, pour une région qui est assez vaste, il y a beaucoup de chemin à faire.

Et le deuxième point majeur qu'on avait souligné dans le mémoire que vous avez devant vous, c'est le morcellement qu'on a fait de ce qui était originairement les Cantons de l'Est qui sont devenus morcelés politiquement. Quand on fait des demandes du subvention, ça crée des problèmes. Des projets qui touchent toute la région, c'est bureaucratique, évidemment, on ne sait pas à qui s'adresser et, des fois, on peut manquer la chance d'avoir des subventions à cause d'un projet qui est trop global ou qui ne couvre pas vraiment la région.

Je voudrais surtout donner la chance à mes collègues de répondre à vos questions. Donc, je ne veux pas parler trop longtemps. J'ai tenu, en m'habillant ce matin, dans mon vêtement, parce que je tenais aux audiences à porter un veston qui a été fait en Angleterre, un foulard qui vient de l'Ecosse et une cravate fléchée qui a été faite par une amie à Québec. Et le macaron, qui est celui des Townshippers, est un tartan écossais qui est enregistré en Ecosse, un vrai tartan écossais adopté par les Townshippers. Et ça, ça vous donne un peu l'idée de l'enracinement des anglophones. Les anglophones sont très intéressés à la conservation non seulement du patrimoine, mais aussi à mettre en valeur la culture de la région. C'est une culture qui devient un peu plus connue par les gens de l'extérieur. Et on voudrait partager avec le ministère pour, nous deux, mettre plus en valeur cette culture. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Lemire. Mme la ministre, vous avez maintenant la parole.

Mme Frulla-Hébert: M. Lemire, Mme Good-fellow, Mme Shaw, Mme Verity, comme résidente de Sutton d'ailleurs, ça me fait plaisir de vous accueillir. On sait, d'ailleurs, que vous avez fait beaucoup au niveau du patrimoine et votre association existe, je pense, depuis 1792 ou, enfin, on m'a dit que votre existence remontait jusqu'à 1792. Alors, vous qui aimez le patrimoine.

M. Lemire (Robert): Ah, pardon! Les Cantons de l'Est, oui.

Mme Frulla-Hébert: Oui, c'est ça.

M. Lemire (Robert): Oui, on fête le bicentenaire l'an prochain.

Mme Frulla-Hébert: Oui, c'est ça, de 1792. Donc, vous avez fait et vous avez beaucoup à faire.

Maintenant, il y a des choses au niveau de votre mémoire qui, évidemment, suscitent certaines questions et on est ici pour évidemment... On ouvre la discussion et on voudrait poser quand même certaines questions.

À la page 9 de votre mémoire, par exemple, vous dites: "Le danger de l'augmentation de contrôle bureaucratique sur la culture" et vous croyez "fermement qu'une saine distance doit être maintenue entre l'État et ses artistes". À ce niveau-là, j'aimerais avoir certaines explications. Est-ce que vous percevez qu'ici au Québec, par exemple, finalement, notre relation, si on veut, entre l'État et les artistes, c'est une relation de dirigisme? Est-ce que c'est ça et pourquoi? Parce que, après, dans votre mémoire, vous parlez de toute l'importance du fédéral, de l'implication du fédéral. Il semble, en tout cas, quand on lit, finalement, la perception, c'est que le fédéral a un "arm's length" beaucoup plus que nous, au provincial, versus nos associations et nos organismes, malgré le fait que, ici au provincial, tel

qu'au fédéral, tout est attribué par jury de pairs. Il n'y a pas une décision qui se prend, au niveau des subventions, par exemple, si ce n'est par jury. Alors, on essaie, justement, de garder cette distance-là, mais la perception, chez vous, en tout cas, semble être à l'inverse. Est-ce que vous pourriez expliquer un peu ce que vous voulez dire par "une saine distance doit être maintenue entre l'État et ses artistes"?

M. Lemire (Robert): Bien, si je vous comprends bien, le gouvernement, à Québec, devrait adopter une position de leadership, mettons, mais garder quand même la distance. On subventionne, on a offert des expertises en matière de culture, comme vous l'avez fait déjà avec les municipalités et les MRC. Mais il y a encore plus à faire du côté des MRC parce que, quand vous donnez le pouvoir aux municipalités, c'est un pouvoir qui est tout récent et elles ne savent pas trop comment le prendre. Et, comme mon collègue, qui vient de s'adresser à vous, de la ville de Charlesbourg, c'est toujours du côté finances. La culture, aujourd'hui, ça risque pas de tomber à l'oubli, mais d'être toujours poussé à l'arrière à cause des pressions des augmentations de taxes, mettons. Ça, c'est très important. Les municipalités et les MRC ont été quasiment envahies et bouleversées par les taxes qu'elles sont maintenant obligées de défrayer, du côté municipal. C'est ça. Moi, je ne veux pas trop... Mais si votre question... Vous voyez un conflit entre les deux? C'est ça?

Mme Frulla-Hébert: Non, non, pas du tout. C'est parce que je voulais juste que vous élaboriez un peu là-dessus et ça m'amène à ma deuxième question. À un moment donné, vous proposez de limiter le rôle du Québec à un rôle un peu mineur en matière de culture, dans ce sens où vous dites: Le rôle du Québec serait d'identifier les ressources disponibles, d'élaborer des politiques de soutien aux arts avec financement adéquat. Mais vous semblez être quand même beaucoup plus confortables à laisser, par exemple, au fédéral le rôle majeur et au Québec, un rôle qui est un peu mineur. Évidemment, on a des positions, aussi, contraires. Bon, certains groupes viennent avec des opinions qui sont contraires. Alors, j'aimerais, s'il vous plaît, que vous élaboriez aussi un peu là-dessus.

M. Lemire (Robert): Si vous permettez, je vous laisse...

Mme Goodfellow: Nous nous sentons un peu négligés par les deux niveaux de gouvernement. Je pense que nous ne penchons pas vers un ou l'autre. Mais, quand vous avez parlé des jurys, les jurys sont organisés par région administrative. Et M. Lemire a fait référence à ce problème pour nous autres, il y a quelques minutes. Quand un groupe des Cantons de l'Est a un projet à soumettre, on le soumet à quel jury? Il y a le jury de l'Estrie, le jury de la Monté-régie, le jury qui traite les soumissions de Trois-Rivières, et j'en passe. Alors, c'est ce genre de bureaucratie que nous trouvons un peu difficile parce que c'est contre notre nature, comme territoire, et c'est contre nos origines aussi.

Mme Frulla-Hébert: Oui, je peux comprendre...

M. Lemire (Robert): Si on veut, en effet, respecter l'histoire de la région, c'est vraiment les Cantons de l'Est, mais ça, c'est un autre problème, c'est devenu un problème politique.

Mme Frulla-Hébert: Mais, là, si je vous comprends bien, c'est que la division administrative qui est faite par l'État va un peu - ce que vous disiez auparavant - à rencontre du statut, depuis 1792, donné à la grande région.

M. Lemire (Robert): À la région, oui. (16 h 45)

Mme Frulla-Hébert: Ce qui m'amène encore à cette question. Quand vous dites: II y a plusieurs jurys et où on va? Justement, ces portes-là, qui sont ouvertes autant au niveau de la Montérégie qu'au niveau de l'Estrie, est-ce que, au contraire, ce n'est pas, finalement, une possibilité accrue dans un sens où, au Québec même, vous pouvez aller présenter vos projets à différents jurys? Il y a différentes possibilités.

Mme Goodfellow: Si je comprends bien, le premier survol est fait au jury local et, après ça, les recommandations vont à un jury-

Une voix: Régional? Non.

Mme Goodfellow: ...de Québec.

Une voix: O.K.

Mme Goodfellow: Et c'est là qu'on perd, je pense, parce que, si on est retenu par un jury, disons, de l'Estrie, peut-être qu'on va perdre par rapport à un jury de Montréal, disons.

Mme Frulla-Hébert: Oui.

Mme Goodfellow: Pour la région de la Montérégie, qui comprend quelquefois la région de Montréal où il y a beaucoup plus d'organismes qui ont des projets à soumettre.

Mme Frulla-Hébert: Oui, excusez-moi, mais c'est parce que chacune des régions a maintenant son propre budget, ce qui fait qu'un ne vient pas à rencontre de l'autre, au contraire.

Mme Goodfellow: II n'y a plus de jury...

Mme Frulla-Hébert: Pour certains projets, il peut y en avoir, mais il y a aussi le développement régional qui compte. Mais aussi c'est parce que vous n'avez pas répondu à ma deuxième question. À un moment donné, vous dites que, finalement, le Québec devrait se réserver une place qui est tout simplement de soutien par rapport au fédéral, par exemple. Est-ce que vous...

M. Lemire (Robert): Mineure, vous avez dit que c'est une position mineure pour l'État.

Mme Frulla-Hébert: Oui. M. Lemire (Robert): Oui.

Mme Frulla-Hébert: Est-ce que c'est comme ça que vous le percevez? On est dans l'élaboration d'une politique culturelle, on parle beaucoup aussi de développement culturel chez soi, de maîtrise d'oeuvre chez soi. Donc, il faut avoir certains contrôles et aussi plusieurs leviers si on veut y aller selon nos priorités, mais vous ne vous sentez pas confortables dans ça. Par contre, vous semblez préférer avoir un rôle mineur au niveau du Québec, de soutien, et un rôle accru au niveau du fédéral dans les grandes politiques globales. C'est ce que le mémoire reflète, là.

M. Lemire (Robert): Non.

Mme Goodfellow: Je pense que nous n'avons pas dit ça.

M. Lemire (Robert): Ce n'est pas l'idée qu'on a eue en écrivant le mémoire. De mon côté, je trouve que c'est difficile de limiter les choix quand on fait une demande de subvention. Quand on a les deux, le fédérai et le Québec, on a au moins deux chances. On peut avoir même deux subventions. Et, si vous êtes prêts à assumer tous les coûts, je ne sais pas si ça peut aller d'un côté seulement. La réponse n'est pas facile.

Mme Frulla-Hébert: Autrement dit, la décision, c'est à peu près comme pour plusieurs groupes que l'on voit, c'est-à-dire qu'avoir plusieurs paliers fait en sorte que c'est une police d'assurance, dans le fond.

M. Lemire (Robert): Quand vous enlevez...

Mme Frulla-Hébert: Au lieu d'aller cogner à une porte...

M. Lemire (Robert): ...l'option d'aller au fédéral, vous enlevez quand même des subventions, je ne peux pas le dire autrement.

Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. Merci, M. Lemire. M. le député de

Sainte-Marie-Saint-Jacques, vous avez la parole.

M. Boulerice: Oui, une brève observation, mesdames, messieurs des Townshippers. La première est que vous dites: "L'Association des Townshippers croit fermement qu'une saine distance doit être maintenue entre l'État et ses artistes", ce à quoi je souscris effectivement. Il n'est pas question de dirigisme, sauf que le dirigisme est toujours beaucoup plus axé vers Québec que vers Ottawa, alors qu'il y a des exemples très patents de dirigisme qui émanent du gouvernement fédéral actuel. Nous en reparlerons. Et vous dites: "L'Association s'oppose à ce que la culture devienne la mission réservée à l'État, tel que mentionné dans la proposition de politique culturelle". Le rapport Arpin a des failles, des oublis - je ne me suis pas gêné pour les dénoncer - mais je pense que vous avez fait une mauvaise lecture du rapport Arpin. Le rapport Arpin a le mérite de dire que la culture est une des grandes missions de l'État, mais jamais le rapport Arpin n'est allé dire que l'État serait le seul acteur dans le domaine de la culture. Alors, je pense qu'il faut décoder cela immédiatement.

Vous nous parlez: Oui, il y a deux portes, nous avons deux subventions. Moi, je connais bien des gens qui n'ont rien eu aux deux portes et, à ce moment-là, on pourrait bien dire: Pourquoi pas une troisième? On pourrait peut-être aller à Capitol Hill, à Washington, et on serait encore bien plus sécuritaire en ayant trois portes. Avez-vous pensé à la Belgique s'alliant à la France en se disant: On va avoir deux portes?

M. Lemire (Robert): On travaille dans les limites qu'on a, existantes.

M. Boulerice: Et vous dites que vous vous sentez ignorés des deux, à la fois le fédéral et le provincial. Mais j'ai l'impression que le pire serait le Québec, dans votre raisonnement. Vous voulez quand même conserver le fédéral. Alors?

M. Lemire (Robert): On ne dit pas que le pire est le Québec, mais le Québec nous a donné le moins d'appui. Au début, en vous présentant un résumé, je vous ai dit que le fédéral nous subventionne en grande partie. Donc, on ne peut pas penser autrement.

M. Boulerice: Mais pourquoi subventionne-t-il plus, d'après vous, M. Lemire?

M. Lemire (Robert): Je ne suis pas au conseil d'administration.

Mme Goodfellow: Le fédéral nous subventionne au sein d'un programme du Secrétariat d'État, mais c'est une subvention pour notre organisme au complet. Je pense qu'il y a un malentendu entre les deux côtés ici. Nous ne

prétendons pas, dans notre mémoire, que le

Québec est pire que le fédéral. Ce n'est pas du tout la question dans notre mémoire. Quand M.

Lemire a fait référence à une subvention du fédéral à l'association, c'est la subvention du

Secrétariat d'État au programme d'appui aux communautés minoritaires des langues officielles.

M. Boulerice: Et vous présumez que, si ce budget au Secrétariat d'État, à Ottawa, était transféré au ministère des arts et de la culture du Québec, vous cesseriez de l'avoir?

Mme Goodfellow: Mais je doute fort que cela serait transféré dans cette optique parce que c'est un programme dirigé vers les communautés minoritaires des langues officielles à travers le Canada.

M. Boulerice: Est-ce que vous doutez que le Québec pourrait en arriver à un point où il vous dirait: Mais l'anglais n'est pas une langue officielle du Québec, vous n'avez plus rien?

Mme Goodfellow: Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas reçu une subvention globale comme cela. Nous avons demandé une telle subvention du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, il y a 10 ans, je pense, et pendant 3 ans à cette période, et nous étions refusés à chaque fois. Peut-être que cela va changer dans l'avenir. J'espère que oui. Mais, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas eu de succès de ce côté-ci.

M. Boulerice: Au départ, je me permettrais de vous dire que je suis contre le fait que vous vous adressiez au ministère des Communautés culturelles lorsque vous avez besoin de sous, mais cela devrait être au ministère des arts et de la culture puisque vous vous occupez d'art et de culture. Pourquoi y aurait-il un guichet autre pour vous?

Mme Goodfellow: Je pense que c'est là le problème parce qu'il y a un mélange dans notre discussion entre un budget d'art et culture et un budget de support à un groupe communautaire qui représente les membres d'une communauté minoritaire.

M. Boulerice: Pourquoi, d'après vous, les subventions d'Ottawa sont-elles plus fortes?

Mme Goodfellow: Parce qu'ils ont un programme afin de donner un tel appui aux groupes minoritaires et le gouvernement provincial n'a pas un programme dirigé vers les communautés avec des racines aussi longues que nous.

M. Boulerice: Croyez-vous que, dans le cas de rapatriement de tous les pouvoirs de la culture au Québec, l'État québécois serait incapable d'instaurer un programme identique?

Mme Goodfellow: Non.

M. Boulerice: Donc, votre position, elle n'est pas tout à fait ferme?

Mme Goodfellow: Non, parce que je pense que vous avez mal compris notre position.

Une voix: Mal interprété.

M. Boulerice: "Please don't let me be misunderstood." Si vous le permettez, M. le Président, ma collègue, Mme la députée de Johnson, aimerait bien adresser quelques questions aux Townshippers, c'est bien ça, oui?

Le Président (M. Gobé): Avant de permettre...

M. Boulerice: Entre parenthèses, je m'excuse, si Mme la ministre se réclame de Sutton, moi, je me réclame d'un joli petit village qui s'appelle Graniteville et mon collègue de Mercier, de Hemmingford.

M. Godin: North Hatley.

M. Boulerice: North Hatley, pardon.

M. Lemire (Robert): Je connais beaucoup Graniteville.

Le Président (M. Gobé): Je vous trouvais monolithique, je comprends pourquoi.

M. Lemire (Robert): II y a beaucoup de bâtiments à Montréal qui sont construits de granite de Stanstead, Sun Life.

M. Boulerice: De granite, oui, Graniteville.

Le Président (M. Gobé): Alors, avant d'accéder à votre demande et d'autoriser notre collègue de Johnson à prendre la parole, étant donné qu'elle n'est pas membre de cette commission, je demanderais, en vertu de l'article 132, le consentement des deux partis afin de l'autoriser. Y a-t-il consentement?

Une voix: Mais oui.

Le Président (M. Gobé): Alors, étant donné qu'il y a consentement, Mme la députée de Johnson, vous avez la parole. Il reste à peu près cinq minutes.

M. Boulerice: Comme on l'a fait pour le député de...

Mme Juneau: Je vous remercie beaucoup, M.

le Président, et je remercie les membres de la commission de me permettre de poser des questions, compte tenu que je suis de la région de i'Estrie et que je connais très bien Mme Goodfellow depuis de nombreuses années. Je sais que c'est une femme qui, lorsqu'elle prend une décision et lorsqu'elle s'occupe d'une association, travaille ne...

M. Godin: Lésine.

Mme Juneau: ...lésine sur rien pour donner le maximum et je la connais comme telle. Je la connais aussi pour une femme persévérante et je comprends très bien pourquoi elle se bat, étant une minorité, finalement, dans la région. Elle comprend très bien pourquoi, nous, on se bat aussi au niveau du Canada. On est une minorité au niveau canadien. Donc, je sais qu'on partage, en tout cas de ce côté-là, la combativité. Mme Goodfellow, à plusieurs reprises, dans votre mémoire, vous parlez du danger de l'augmentation du contrôle bureaucratique et, à la page 9, vous mentionnez: "Une bureaucratie étroite d'esprit empêcherait la diversité culturelle et étoufferait la créativité." Est-ce que, lorsque vous utilisez des termes aussi forts, vous voulez parler du ministère des Affaires culturelles québécois, du ministère des affaires culturelles canadien ou si vous parlez du rapport Arpin?

Mme Goodfellow: Ce n'est pas moi qui ai écrit ce mémoire, alors je suis un peu mal prise. Mais je pense que nous avons parlé du rapport Arpin parce que les recommandations du rapport Arpin, semble-t-il, sont très...

M. Godin: Pertinentes.

Mme Goodfellow: ...pertinentes. Exact, oui.

Mme Juneau: Est-ce que vous souhaiteriez, tel que mon collègue l'a indiqué tout à l'heure, que l'ensemble des responsabilités, au niveau culturel, puisse provenir du Québec?

Mme Goodfellow: Mais je pense que, comme l'a dit M. Lemire il y a quelques instants, nous voulons profiter de toutes les occasions possibles de recevoir des subventions et, avec les deux paliers de gouvernement, c'est possible actuellement que nous profitions d'un programme ou l'autre. Avec un transfert des pouvoirs du fédéral au provincial, j'espère qu'il y aura un réaménagement des programmes pour nous permettre un plus grand accès aux programmes qui donnent un appui à nos activités comme groupe minoritaire.

Mme Juneau: Ne croyez-vous pas, Mme Goodfellow, que, si, éventuellement, nous conservons ici, au Québec, les 25 000 000 000 $ qu'on a pu payer en impôts et en taxes l'année dernière, on ne pourrait pas, à ce moment-là, au niveau de notre ministère des Affaires culturelles, offrir une subvention et faire en sorte qu'on ne paierait plus à deux endroits, c'est-à-dire au fédéral et au Québec, au gouvernement du Québec? Et, à ce moment-là, ne croyez-vous pas que le ministère des Affaires culturelles serait en mesure de pouvoir honorer les besoins que des associations comme vous nécessitent?

Mme Goodfellow: Je ne sais pas, madame. Je pense aux autres ministères aussi comme les Communications, par exemple. Maintenant, nous profitons d'un service de radio et de télévision par CBC. Est-ce que ce serait le cas avec un transfert au complet? Je ne le sais pas. Peut-être que M. Lemire veut ajouter quelque chose. (17 heures)

M. Lemire (Robert): Déjà, à Radio-Québec, on voit des émissions sur les Cantons de l'Est ou I'Estrie, si vous voulez. Moi, ce que je trouve intéressant, parce que je suis de langue maternelle anglaise, mais quand même mon père est québécois... En voyant les deux - j'ai vécu à Montréal, je suis né à Montréal, mais là j'ai une maison à Danville - donc je vois le changement qui s'est fait récemment et les félicitations que j'ai faites au ministère pour le chapitre sur I'Estrie dans "Les chemins de la mémoire", c'est un début, c'est vraiment un début. Il y a beaucoup d'échanges à faire. C'est non seulement de recevoir des subventions, mais des échanges culturels entre les régions. Je pense que ce qui est le plus important pour l'avenir, ce sont les échanges entre les régions comme on l'a fait... Je suis allé voir une exposition de Rodolphe Duguay, qui est mentionnée dans le mémoire, et j'ai été très impressionné. C'est cinq musées: Trois-Rivières, Nicolet, Arthabaska: et les deux autres, je ne m'en souviens pas. C'est "Rodolphe Duguay en mémoire". C'est pour fêter le centenaire de sa naissance, cette année. Et, moi, j'ai trouvé, dans ceux qui avaient planifié et fait les demandes de subvention pour ça, que vraiment il y a un avenir pour les musées de la région des Cantons de l'Est. Il y a déjà un regroupement des musées, qui s'appelle The Group of Seven, les sept musées anglophones de I'Estrie. Et il y a vraiment des potentiels dans ces musées, qui ne sont pas réalisés du tout. Il y a des fonds et des subventions qui ont été coupés. Chez moi, à Richmond, la subvention est de 5000 $. Ils n'ont rien reçu, cette année, parce qu'ils ne sont pas selon les normes des musées. Ils n'ont pas des normes établies. Ils ne peuvent pas. Ce sont des musées qui existent depuis longtemps, depuis le tournant du siècle, et il y a des potentiels, il y a des réserves qui sont très impressionnants, mais ce n'est pas utilisé. Il faut faire une promotion de ces choses-là. Avec des regroupements comme on a fait pour l'exposition de Duguay, il y a vraiment un chemin à suivre.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Lemire,

et merci, Mme la députée de Johnson. Maintenant, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques en conclusion, s'il vous plaît.

M. Boulerice: En conclusion, je pense que le débat s'est quand même relativement bien amorcé avec vous et qu'il y a sans doute des pistes intéressantes. C'est un fait que vous êtes énormément préoccupés de patrimoine et, forcément, d'architecture; donc, ce n'est pas sans me déplaire. Et je vous quitterai en vous remerciant d'être venus nous présenter des choses et nous apprendre aussi des choses. Je ne savais pas que Coburn venait des Cantons de l'Est. Vous me l'avez appris; donc, sa toile prend donc probablement plus de valeur patrimoniale pour moi maintenant. Et peut-être vous dire en tout dernier lieu que, oui, je pense que tout gouvernement et tout citoyen doit être prudent face à la bureaucratie. Mais, moi, je fais un choix: au lieu de payer deux appareils bureaucratiques, je préfère prendre le risque d'en payer un seul et, avec l'économie d'échelle, refiler l'argent aux Townshippers qui ont tellement de projets sur le métier, actuellement. On en reparlera bientôt dans votre région, M. Lemire, mesdames.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Mme la ministre, en conclusion, s'il vous plaît.

Mme Frulla-Hébert: Encore une fois, merci. Vous savez que le rapport Arpin, c'est une base de discussion. Cette base de discussion là a été formulée par des gens qui ont beaucoup d'expérience en matière culturelle et qui ont essayé de nous faire profiter de cette réflexion, de telle sorte qu'on puisse partir de quelque chose pour amorcer cette discussion au niveau de la commission parlementaire. Et je pense qu'à ce niveau-là le rapport remplit très bien ses objectifs. Ceci dit, encore une fois, merci de votre collaboration et merci aussi du travail que vous faites au niveau du patrimoine. Vous savez que nous avons créé un centre d'archives en Estrie, c'est-à-dire celui de l'Université Bishop, à Sherbrooke. Et, évidemment, nous allons regarder de près aussi la situation des musées. Merci.

Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. Merci, M. Lemire, ainsi que les gens qui vous accompagnent. Ceci met fin à votre audition. Vous pouvez, donc, maintenant vous retirer et je vais appeler le groupe suivant, soit l'Association des galeries d'art contemporain de Montréal. Je demanderais à mon collègue, le député de Rimouski, de bien vouloir me remplacer quelques minutes, s'il vous plaît.

Le Président (M. Tremblay, Rimouski):

Alors, mesdames et messieurs de la commission, si vous voulez prendre place, s'il vous plaît. Mesdames, messieurs de la commission. Mme la députée de Saint-Henri, vous êtes présente? Très bien, nous recevons maintenant l'Association des galeries d'art contemporain de Montréal. Est-ce que, mesdames et messieurs, vous pourriez vous présenter, s'il vous plaît?

Association des galeries d'art contemporain de Montréal

M. Tétreault (Michel): Tout d'abord, je tiens à remercier, M. le Président, Mme la ministre et les membres du comité d'avoir accepté de recevoir notre mémoire et de le commenter ici aujourd'hui. Et je me présente, Michel Tétreault, président de l'Association des galeries d'art contemporain de Montréal et aussi du Québec.

Mme Palardy (Lorraine): Lorraine Palardy, présidente sortante de l'Association des galeries d'art contemporain du Québec.

Mme Labrecque (Marise): Et Marise Labrec-que, directrice générale de l'Association.

Le Président (M. Tremblay, Rimouski):

Alors, M. Tétreault, c'est vous qui faites la lecture du mémoire?

M. Tétreault: Oui.

Le Président (M. Tremblay, Rimouski): Très bien.

M. Tétreault: L'art contemporain, son marché, ses intervenants. L'art contemporain est un secteur en continuel développement - c'est l'essence même de sa définition - qui englobe la recherche artistique actuelle sous toutes ses formes et dans ses aspects et ses supports les plus divers. En ce sens, le marché de l'art contemporain au Québec est à la fois très restreint dans sa clientèle et très large dans ses moyens d'expression. Fragile à toute fluctuation économique, ce marché est extrêmement réduit quant à la quantité d'acheteurs réels et potentiels. À l'heure actuelle, les clients individuels, les entreprises et les institutions ne représentent qu'un minuscule fragment de la population québécoise (voir à ce sujet l'étude de Boisvert, Mizoguchi et Associés, "Étude sur les clientèles actuelle et potentielle des galeries d'art contemporain de Montréal", réalisée en 1989).

Malgré le fait que l'art contemporain ne touche qu'un faible pourcentage de la population, il est toujours étonnant de constater la fascination qu'il exerce. Son hégémonie sur les autres disciplines culturelles lui a permis de s'approprier le mot "art". Du point de vue étymologique, l'art est l'expression par les oeuvres de l'homme d'un idéal esthétique. Il s'adresse aussi bien à la danse qu'à la littérature, à l'architecture, à la musique, aux meuble, au bijou ou au vêtement.

Étrangement, cette domination des arts visuels ne se traduit pas par une couverture médiatique très importante. À Montréal, un seul quotidien sur quatre couvre systématiquement l'actualité des arts visuels. Il y a une dichotomie entre cette fascination et la faiblesse de la couverture médiatique. Peut-être est-ce dû au préjugé qui dit que le milieu des arts visuels est bien nanti; les arts visuels ne sont-ils pas un plaisir de riches?

Accessibilité aux arts visuels. Voir est le mot clé. Selon une étude réalisée par l'Association des galeries d'art contemporain de Montréal, le collectionneur voit une vingtaine d'expositions avant d'acheter une oeuvre. Il consacre donc énormément de temps à voir et à apprécier. Les galeries ont de ce fait tendance à se regrouper de manière à créer une masse critique qui puisse attirer le collectionneur. Ce phénomène est visible aussi bien à Paris qu'à New York ou à Chicago.

Les galeries d'art contemporain, dont l'AGACM est la principale représentante, cumulent les rôles d'éditeur, de diffuseur et de détaillant. Les galeristes entretiennent, en effet, des contacts professionnels constants avec les artistes et concluent avec eux des contrats ressemblant fort au contrat entre un éditeur et son auteur. Ils assument de plus le rôle de promoteur et de diffuseur, c'est-à-dire qu'ils assurent aux artistes représentés une publicité adéquate, des expositions régulières et des outils promotionnels efficaces et de qualité. Ils ont, finalement, le mandat de vendre, tel le libraire, les oeuvres à une clientèle préalablement identifiée.

L'AGACM regroupe la majorité des galeries professionnelles du Québec. Son mandat premier consiste à promouvoir l'art contemporain par tous les moyens mis à sa disposition. Elle est également responsable de la réalisation d'Entrée libre à l'art contemporain, une expo-foire qui se déroule tous les ans à la mi-novembre, à la place Bonaventure, permettant la visibilité à plus de 500 artistes; d'où l'importance aussi de conserver cette foire.

L'AGACM doit en outre veiller aux intérêts de ses membres et, à cet égard, rassembler les différents intervenants impliqués dans le milieu. Comme chacun le sait, le travail accompli en concertation est, dans certains cas, beaucoup plus solide que le travail individuel et profite ainsi à l'ensemble du réseau. Actuellement, le marché de l'art contemporain est en pleine restructuration. Le secteur en est à consolider et augmenter ses efforts de promotion et de diffusion. Il faut noter qu'en 1990-1991 plusieurs galeries ont dû fermer leurs portes. Il est souhaitable d'espérer une certaine stabilisation du marché d'ici 1992.

Une mondialisation des marchés. S'il y a un produit culturel qui a une chance de percer sur les marchés internationaux, c'est bien l'art contemporain. Aucune barrière linguistique ne s'érige entre le regardeur et l'oeuvre. Les arts visuels sont un langage universel. Riopelle est compris aussi bien par les Français que par les Japonais ou les Américains. Actuellement, les jeunes artistes québécois réalisent d'importantes percées sur les marchés internationaux. En fait, ils n'ont pas le choix, c'est une question de survie, sans oublier que nos universités ont formé depuis les 10 dernières années plus de 3000 artistes.

L'exportation, un soutien nécessaire. Les galeristes souhaitent, bien sûr, se positionner sur le marché international. La plupart d'entre eux tentent de le faire par le biais des grandes foires internationales: Bâle, Paris, Cologne, Chicago, etc. Il reste cependant essentiel de ne pas effectuer que des actions ponctuelles, mais bien récurrentes. Ce n'est qu'en développant, année après année, des contacts avec leurs collègues étrangers que les galeristes réussiront à s'implanter de façon durable sur les marchés visés. Entrée libre à l'art contemporain joue à cet égard un rôle particulièrement important en invitant des galeries étrangères à participer à l'événement. Dès la première année de cette expérience qui a débuté avec l'Autriche, les contacts ont été assez fructueux et ont résulté en l'échange d'artistes entre des galeries autrichiennes et québécoises.

L'État et le marché. Les nombreux aspects du rôle de la galerie d'art contemporain en font un intervenant majeur du secteur. La galerie représente à la fois les dimensions artistiques et économiques de la diffusion de l'art; elle éduque, sensibilise, publicise, diffuse et distribue. En réalité, la définition même de ce qu'elle est fait de la galerie un élément moteur de la vie artistique contemporaine. L'État a un rôle prépondérant à jouer dans le domaine des arts visuels afin d'aider le marché à se bâtir et à se consolider. Les galeries parallèles, presque entièrement financées par l'État, entrent en compétition directe avec les galeries privées en présentant des artistes professionnels ou bien en organisant des expos-ventes pour compenser leur déficit d'opération.

Compte tenu de l'évolution de la structure du marché, l'État et le milieu auront à l'avenir à adapter leurs politiques et leurs actions respectives afin de bien clarifier les mandats de chacun des intervenants de manière à harmoniser les pratiques et à maximiser les résultats. L'État, par la loi 78 sur le statut professionnel de l'artiste, a défini le rôle de l'artiste et du diffuseur, en l'occurrence la galerie, et obligé les deux parties à signer un contrat. Il est essentiel que ces balises soient systématiquement utilisées et respectées si on veut que se construise le secteur.

Éduquer et sensibiliser. L'étude de Boisvert, Mizoguchi et Associés antérieurement mentionnée démontre clairement l'étroitesse du créneau à

l'intérieur duquel se meuvent les galeries. En 1989, le Québec comptait à peine 60 000 clients collectionneurs particuliers et un peu plus de 30 entreprises achetant de l'art contemporain. Par contre, en 1991, ce tableau n'est plus valable. La survie du milieu passe donc par un accroissement considérable de la clientèle régulière, qu'elle soit particulière, publique ou de l'industrie privée. L'unique façon d'y parvenir sera d'éduquer la population, de la sensibiliser, de lui démontrer les avantages inhérents à l'acquisition d'oeuvres d'art contemporain et de l'amener à comprendre l'implication sociale et culturelle que représentent ces acquisitions.

Le rapport Arpin a, en ce sens, parfaitement cerné le problème en recommandant la création de programmes éducationnels pour les arts et la culture à tous les niveaux scolaires. (17 h 15)

Promouvoir, publiciser. L'éducation du public consommateur de culture ne peut se faire qu'en élargissant l'éventail promotionnel réalisé par les galeries. La production régulière de catalogues ou de fiches sur les artistes représentés, la publici-sation d'événements tels les vernissages et les expositions, et la participation annuelle aux foires internationales ne sont que quelques-uns des moyens qui devront être utilisés par les galeristes pour rendre visible et accessible le travail des artistes. Bien entendu, ces efforts promotionnels donneront des résultats positifs dans la mesure où les galeristes bénéficieront des moyens nécessaires à leur réalisation récurrente. C'est en ce sens que prend toute son importance la recommandation du rapport Arpin visant à "favoriser l'accès à la vie culturelle".

Commercialiser l'art contemporain, c'est aussi favoriser l'investissement privé et d'entreprise. Il faut, pour encourager cela, faire en sorte que les investisseurs actuels et potentiels puissent bénéficier de mesures fiscales pour l'acquisition d'oeuvres d'art. C'est en mettant de l'avant de tels avantages que nous pourrons inciter de plus en plus les investisseurs potentiels à acheter de l'art contemporain et à développer cette économie culturelle.

Reconnaître le statut des galeries professionnelles. Le processus de développement du marché national et international en art contemporain ne pourra se poursuivre que si tous les intervenants du secteur reconnaissent le rôle et le statut du galeriste professionnel. Son rôle de diffuseur, de promoteur et d'éducateur doit être clairement identifié et connu des différentes sphères d'intervention. Son statut d'expert et de principal représentant des artistes en art actuel, ainsi que sa place dans la chaîne artistique, favorisera l'évolution des tendances et la recherche de nouveaux partenaires tant culturels qu'économiques. Lorsque ces conditions seront réunies et que les subventionneurs, mécènes, conservateurs et collectionneurs se recommanderont de cette dynamique, le marché de l'art contemporain sera à même de se doter des outils nécessaires à son développement.

En effet, les galeries possèdent l'infrastructure suffisante pour éduquer et sensibiliser le public à l'art contemporain, pour offrir service et conseils aux collectionneurs et aux musées, ainsi que pour découvrir et promouvoir à long terme des artistes de talent. Cette reconnaissance obtenue, tout le milieu travaillera en collégialité et maximisera ainsi l'impact de chaque action entreprise. Ce n'est que de cette façon que se développera de manière homogène le marché de l'art contemporain au Québec et à l'étranger.

Le ministère des Affaires culturelles: un contrat culturel à assumer. Le ministère des Affaires culturelles a soutenu la création et la culture. Il est présentement à un tournant de son évolution et le rapport Arpin indique très distinctement le sens que devrait prendre son implication future. Les grands axes de travail du rapport: favoriser la création, favoriser l'accès à la vie culturelle, développer l'éducation culturelle, pour ne nommer que ceux-là, précisent que le MAC devra, afin d'assurer la survie et l'épanouissement de la culture et des arts au Québec, assumer son rôle moteur en se dotant des politiques et budgets nécessaires à la poursuite de ses activités.

Le gouvernement du Québec a un contrat culturel à respecter, des engagements à prendre et à mettre en application au même titre que son engagement social et économique envers la population. La société québécoise est un tissu formé de tous ces éléments interactifs et indissociables. Le rapport Arpin a mis en lumière les responsabilités fondamentales d'une société désireuse d'évoluer et de s'affirmer. Le gouvernement québécois, via le ministère des Affaires culturelles, devra maintenant faire en sorte que cela se concrétise. C'est une question de vie et de choix social.

Et, pour terminer, peut-être tout simplement une seule question: Est-ce que, pour vous, les galeries sont nécessaires et ont-elles un rôle à accomplir dans l'élaboration et la mise en place d'une politique culturelle? Merci beaucoup.

Le Président (M. Tremblay, Rimouski):

Alors, M. le président, M. Tétreault, je vous remercie pour la lecture et la présentation de votre mémoire. Le questionnement doit se faire normalement par l'Opposition officielle et les ministériels. Alors, je vais laisser le soin à Mme la ministre, dans un premier temps, de réagir à votre "rapport" et de répondre peut-être à votre interrogation.

Mme Frulla-Hébert: Merci. M. Tétreault, bienvenue. Il ressort clairement de votre présentation que les galeries d'art contemporain veulent relever le défi et c'est un défi quand même de taille. Vous dites dans votre mémoire: À elles

"seules les galeries possèdent l'infrastructure suffisante pour éduquer et sensibiliser le public à l'art contemporain, pour offrir service et conseils aux collectionneurs et aux musées". Qu'est-ce que vous faites, par exemple, des centres d'exposition, des centres d'artistes autogérés? Quel est leur rôle par rapport au vôtre? Et, ensuite, on va parler de l'internationalisation.

M. Tétreault: Quand, dans le mémoire, on mentionne à elles seules, on veut dire à elles seules en autant que tous les intervenants de la chaîne assument leur rôle et le mettent en pratique. Je veux dire qu'on ne peut pas, naturellement, les galeries privées ou les galeries dites commerciales, assumer la responsabilité de diffuser et de promouvoir les artistes; c'est impossible. On a besoin de tous les autres intervenants. Comme on le mentionnait un peu plus tôt, il faut que tous les intervenants soient clairement indentifiés, bien définis, et que chacun assume le rôle qu'il a à assumer et le joue clairement.

Mme Frulla-Hébert: À ce moment-là, au niveau de l'internationalisation, vous dites qu'il y a maintenant plusieurs artistes québécois qui réalisent d'importantes percées au niveau international et qu'il y en a plusieurs même qui sont des artistes de moins de 40 ans et qui exposent régulièrement à l'étranger. Selon vous, quels sont les moyens qu'on devrait se donner pour privilégier ce développement-là et se positionner efficacement sur le marché international? On sait, par exemple que nous avons un centre et une vitrine à Paris, etc. Mais est-ce qu'il y a d'autres moyens? Qu'est-ce que vous nous suggéreriez?

M. Tétreault: II y a beaucoup de moyens; ne serait-ce, dans un premier temps, que chaque personne qui se sent impliquée assume son rôle de diffuseur dans son entourage, ce serait déjà beaucoup. Par là, ce que je veux mentionner, c'est que je considère que, d'une certaine façon, le premier ministre, lorsqu'il s'en va sur une plaque internationale faire un discours ou quoi que ce soit, ne parle que de l'économie via l'hydroélectricité et tout ça. Bravo, c'est excellent! Mais quand est-ce que les gens qui ont le pouvoir en main et qui ont la possibilité de donner des décisions vont parler de la culture d'une façon très ouverte et qu'ils vont vraiment s'impliquer? À mon point de vue, c'est de là que ça part et toute la chaîne, ensuite de ça, va se mettre en marche. L'artiste qui s'en va exposer sur la scène internationale a besoin de ce support en arrière qui justement le soutient, et la galerie, et tout le milieu. Alors, ce rôle-là va être assumé en autant que les gens le mettent en pratique.

Mme Frulla-Hébert: II y a une politique, par exemple, qui est en train d'être mise sur pied au niveau des Affaires internationales par le ministre des Affaires internationales qui favorise de plus en plus, au niveau, par exemple, des délégations, l'intégration de membres du milieu culturel, justement. Il y a quelques années, c'est sûr que c'était quand même moins évident, mais là de plus en plus on se sensibilise à ça.

Au niveau de l'art contemporain, par exemple, vous parlez de créer, d'aller chercher des nouveaux publics et, finalement, d'augmenter la demande. C'est un peu ce que le rapport Coupet disait aussi: On a travaillé beaucoup sur l'offre, mais il faut travailler aussi sur la demande. Vous parliez de promotion. Est-ce qu'on peut penser à des regroupements? Au niveau promotionnel, par exemple, comment fait-on pour travailler sur la demande?

M. Tétreault: Au niveau promotionnel... Écoutez...

Mme Frulla-Hébert: En général. Vous parlez d'aller chercher de nouveaux publics. Il va y avoir le nouveau Musée d'art contemporain qui va ouvrir incessamment, mais il y a sûrement d'autres méthodes et d'autres moyens.

M. Tétreault: Oui. On est à un tournant - je n'ai pas besoin de l'expliquer - important. Il y a le nouveau Musée d'art contemporain qui s'en vient au centre-ville, le Musée des beaux-arts qui s'agrandit, le Musée du Québec s'est agrandi. Il y a toute une infrastructure qui s'est mise en place. Mais, depuis plusieurs années, tranquillement le gouvernement réalise qu'il a beaucoup aidé la création à tous les niveaux - c'est parfait, c'est excellent, les artistes en ont besoin et le milieu en avait besoin - mais, en parallèle, il n'y a pas eu de commercialisation de cette création-là qui était là, qui se faisait, pour faire en sorte que le public soit prêt à absorber tout cela et à le consommer, si je peux m'exprimer ainsi. Ce que je veux dire, c'est que, pour pouvoir arriver à s'exporter, il faut nécessairement que les gens ici s'impliquent, il faut que les intervenants puissent se concerter.

Mme Frulla-Hébert: Est-ce que le milieu scolaire... On a parlé - vous-mêmes, vous le dites - au niveau de l'éducation, combien c'est important de sensibiliser nos jeunes. Bien souvent, on va sensibiliser nos jeunes - quand on le fait - à des choses un peu plus conventionnelles: musique classique plus conventionnelle. Alors, souvent tout le secteur de ce qu'on appelle contemporain est négligé, faute de temps aussi, parce qu'il y a quand même un gros travail à faire au niveau de la sensibilisation culturelle, un point, c'est tout.

Alors, est-ce que vous en êtes au même constat, c'est-à-dire qu'au niveau du système d'éducation, par exemple, l'art contemporain,

c'est plutôt absent?

M. Tétreault: C'est absent, je pense; enfin, ça se fait, mais ça ne se fait pas à une échelle vraiment très élargie. Une constatation que j'ai faite à quelques reprises, lorsque je visitais un musée, le Musée des beaux-arts ou souvent le Musée d'art contemporain, je voyais des classes d'enfants qui circulaient et c'était des classes anglophones. Bon, comment ça se fait que les classes francophones ne vont pas systématiquement dans les musées? Comment ça se fait qu'il n'y a pas un programme d'établi pour sensibiliser ces jeunes-là à l'art, à ce qui se fait, à ce qui se produit? Je veux dire, ça commence à se faire, je n'ai pas les statistiques de toute cette mise en place dans le système éducationnel.

Je pense aussi à un autre élément. Aux Éditions l'image de l'art, il y a tout un programme qui a été mis sur pied. Comment ça se fait que ce programme-là n'est pas encore dans les écoles partout, systématiquement? C'est quoi qui se passe là? Je sais que souvent une partie importante de ce qui est produit par les Éditions l'image de l'art s'exporte vers l'étranger, vers les États-Unis, vers la France. Comment ça se fait que ce n'est pas ici au Québec, dans nos écoles à nous autres? Je comprends peut-être qu'il y a une façon de fonctionner: il faut que les commissions scolaires acceptent de recevoir ces programmes-là, mais il faudrait que le gouvernement donne le feu vert et donne l'autorisation de commander et de mettre en pratique ce programme-là, entre autres.

Mme Frulla-Hébert: Au niveau des régions, quand j'ai fait ma tournée régionale, j'ai vu beaucoup d'artistes qui veulent créer et demeurer en région, qui ne sont pas du tout intéressés à venir vivre à Montréal ou à Québec, qui créent en région, qui sont très heureux de le faire et qui y sont très bien. Maintenant, qu'en est-il, selon vous, de l'accessibilité au niveau de l'art contemporain en région, d'une part? Et, deuxièmement, comment fait-on aussi pour activer ces échanges? Parce qu'ils veulent travailler en région, exposer en région, mais aussi être vus ailleurs.

M. Trétreault: Écoutez, la façon pour que ces artistes-là qui travaillent en région puissent venir à Montréal, nous, on ne demande pas mieux qu'il y ait beaucoup plus de galeries. Il y a peut-être, je ne sais pas, une trentaine de galeries à Montréal. Nous représentons seulement une certaine quantité d'artistes par galerie. C'est la diffusion qui le veut ainsi. On ne peut pas s'occuper de 40, 50, 60 artistes sous un même toit. Ça revient toujours au fait qu'il faut développer le marché. S'il y a plus de galeries, bien, il y aura plus d'artistes qui vont avoir accès aux galeries, des artistes en région qui pourront venir exposer à Montréal, et la dif- fusion va se faire davantage.

Les lieux d'exposition en région, on en connaît beaucoup. Il y en a qui font de l'excellent travail. Mais c'est que, à un moment donné, dans une galerie, on est peut-être deux ou trois personnes maximum; on ne peut pas voir à... Ça prendrait quelqu'un à temps plein qui cédule les possibilités d'exposition, d'échanges via les régions, via Montréal, via les grandes villes. Il y a tout un travail. On est limités dans la capacité financière aussi d'engager du personnel pour s'occuper de voir à tout ça. L'élaboration d'une exposition demande beaucoup de temps. Faire circuler une exposition hors Montréal et en région, et vice versa, je veux dire, ça prend des gens à temps plein. On ne peut pas assumer tout ça.

Mme Frulla-Hébert: Bon, le Musée d'art contemporain, il déménage à Montréal; évidemment, augmentation, finalement, du métrage carré, ce qui fait une grosse augmentation au niveau des coûts de fonctionnement. Donc, on en est peut-être, l'an prochain, à un budget de g 000 000 $ par année en termes de fonctionnement. Est-ce que ce serait une solution, par exemple, justement, afin de faire voir ou faire connaître nos artistes, que ce soit le Musée d'art contemporain qui prenne cette vocation d'une certaine façon et essaie justement non seulement de diffuser, mais finalement de sensibiliser les gens?

M. Tétreault: Je pense que, par la venue du Musée d'art contemporain au centre-ville, c'est déjà énorme. C'est vraiment se rapprocher de la population. Et son rôle de diffuseur et de sensibilisateur va vraiment s'accentuer. Déjà c'est beaucoup, déjà c'est énorme. Alors, souhaitons, en fait, qu'il puisse voir le jour et qu'il puisse vraiment s'ouvrir avec les moyens financiers dont il doit être doté pour faire pleinement son travail. Et, suite à ça, je veux dire, les gens qui vont circuler dans ce nouveau musée, ça va éveiller leur conscience aussi d'aller voir ce qui se fait dans le milieu via les galeries, via les expositions itinérantes, via toute l'activité culturelle qui va exister. (17 h 30)

Mme Frulla-Hébert: Merci.

Le Président (M. Gobé): Mme la ministre, merci beaucoup et je passe maintenant la parole à M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: M. le Président, avec un plaisir évident...

Le Président (M. Gobé): Je le vois à votre sourire.

M. Boulerice: ...oui, de voir M. Tétreault, Mme Palardy, Mme Labrecque. Au profit de la

ministre, oui, il y a de grandes fenêtres internationales. M. Tétreault était à la FIAC, la Foire internationale d'art contemporain à Paris. Elles ne sont pas nombreuses, les galeries québécoises qui ont accès à cette importante foire, mais il faut les aider pour qu'elles puissent y aller. Mme Palardy, eh bien, on pourrait aussi parler longuement de votre galerie, mais je vais me retenir. L'an dernier, à pareille date, vous vous rappelez l'état d'excitation dans lequel nous étions. J'ai pu compter à ce moment, comme pour M. Tétreault, sur votre collaboration, mais vraiment incroyable, et surtout sur votre grande générosité. Je tenais à le redire ce soir puisque, comme ceci est enregistré, ça sera au Journal des débats. Ha, ha, ha!

Mme Palardy: Merci.

M. Boulerice: Piètre merci, vous allez me dire, comparé avec tout ce que vous avez fait, mais c'est important. Je regrette, malheureusement, qu'Éric ne soit pas avec vous puisqu'il a gagné l'an dernier, Trois Points a gagné le prix de la meilleure entreprise culturelle, décerné par la Corporation de développement économique du centre-sud et du Plateau-Mont-Royal, ce qui m'aurait permis de mousser un dossier important qui est les incubateurs d'entreprises culturelles dans le centre-sud et le Plateau-Mont-Royal. Je terminerai sur le centre-sud en disant que M. Tétreauit a été le premier à tenter l'expérience de l'est de Montréal pour une galerie d'art et ça réussit bien.

Ceci dit, bon, mon plaisir va être gâché par un chronométrage impitoyable de la part du président, mais, que voulez-vous, c'est malheureusement son rôle, sauf que, comme on discute d'une passion commune, c'est difficile de se limiter.

Vous avez parlé dans votre mémoire que plusieurs galeries ont été contraintes de fermer leurs portes. Est-ce que c'est en raison de la récession ou bien donc de ces taxes scélérates qui commencent à s'additionner?

M. Tétreault: À mon avis, il y a un peu des deux. Il y a les taxes et il y a la récession et il y a aussi - je peux peut-être apporter un commentaire à cet effet - à quelque part le fait que les galeries - je vais remonter beaucoup plus loin - qui existaient dans les années soixante ne soient plus là aujourd'hui pour témoigner d'une vitalité de création des artistes qui sont encore vivants aujourd'hui. C'est pour vous dire que ça demande une vision d'avenir pour que le milieu se développe, le marché se développe. Alors, souhaitons que les galeries, qui sont actuellement encore là, puissent être là dans 10 ans, dans 15 ans pour témoigner de cette activité. Alors, c'est à nous, c'est au gouvernement à décider et à faire en sorte que les outils soient mis en place, que les galeries existent et que ça se développe, et que le milieu de l'art puisse prendre son évolution.

M. Boulerice: À moins que je ne me trompe, votre association avait sorti une statistique sur la durée moyenne des galeries.

M. Tétreault: La durée moyenne d'une galerie, c'est environ 5 ans; 10 ans, c'est rendu un tour de force. Ensuite de ça, il n'y en a plus beaucoup des galeries passé 10 ans à part d'anciennes galeries qui avaient peut-être, bon, des fortunes ou quelque chose ou une association quelconque. Je pense à la galerie Dominion ou à la galerie Waddington & Gorce. Bon, je veux dire, dans les galeries d'art actuel, d'art contemporain, c'est une dizaine d'années maximum. Alors, souhaitons qu'on puisse poursuivre le travail engagé et qu'on sente en quelque part qu'il y a vraiment un souci de viabilité et qu'on place les outils nécessaires.

M. Boulerice: Vous dites, dans votre mémoire - et vous citiez des chiffres de 1989 -que le Québec comptait à peine 60 000 clients particuliers et un peu plus de 30 entreprises achetant de l'art contemporain. Ceci dit, entre parenthèses, je suis bien d'accord avec vous, M. Tétreault, en disant qu'au Québec on doit sortir des pylônes comme forme de sculpture. Il serait peut-être intéressant qu'on ait d'autres objets à présenter que ceux-ci. Alors, 60 000 clients particuliers. Au-delà de l'élaboration... Je pense qu'on est d'accord sur l'élaboration d'une politique globale dans le domaine des arts et de la culture, mais par quelle mesure on pourrait stimuler la consommation d'objets d'art visuel chez les individus? Je ne sais pas, mais je l'ai lancé en 1989, lors de la dernière campagne électorale, en disant que je n'avais aucun droit d'auteur. Je le dis au bénéfice de nos amis de la SARDEC qui sont très minutieux là-dessus. Je n'avais aucun droit d'auteur. N'importe quel gouvernement pouvait s'approprier mon idée qui était celle d'un REART comme incitatif fiscal à l'achat d'oeuvres d'art. Je suis très franc, M. Tétreault: 90 % de mes amis n'ont peut-être pas les mêmes facilités que j'ai d'acheter, mais, par contre, ils trouvent très beau ce que j'ai acheté chez vous, chez Mme Palardy, etc. Mais, s'il y avait un petit incitatif pour les aider, une déduction fiscale au même titre que les entreprises en ont, ça pourrait, ne trouvez-vous pas, avoir une espèce de boom incroyable?

M. Tétreault: Oui, tout à fait, s'il y avait une politique qui était mise de l'avant au niveau d'un incitatif fiscal. Les entreprises, comme vous l'avez mentionné, bénéficient, justement, de cette possibilité-là. Le fait qu'un particulier puisse bénéficier d'un avantage fiscal quelconque inciterait les gens à s'impliquer davantage et à bâtir des collections faisant partie du patrimoine

artistique. C'est comme cela qu'on pourrait aussi développer le marché et la structure. Ce serait une façon aussi de remettre dans le milieu une forme de subvention indirecte en enlevant les taxes. Il y aurait tout un mécanisme qui pourrait se mettre en place. Peut-être qu'il y aurait moins de subventions possibles, mais l'avantage, c'est qu'il y aurait une consommation des produits culturels. Les gens seraient incités à acheter, à bâtir des collections et à faire l'acquisition d'oeuvres. Alors, le marché en bénéficierait. Les artistes, tout le monde pourraient en bénéficier.

M. Boulerice: Mme Palardy ou vous me corrigerez, les galeries elles-mêmes ont adopté des incitatifs, un étalement des paiements, de façon à s'attirer de nouvelles clientèles. Est-ce que c'est généralisé ou bien si c'est le fait de quelques galeries particulières?

Mme Palardy: Non, je pense que les galeries ne sont pas un modèle à suivre pour le gouvernement. Mais je pense que notre but, c'est de favoriser la consommation. On ne consomme pas assez d'art. Je pense que, comme M. Tétreault le disait tantôt, il faut tout essayer. Mais je pense que, là on est rendus aujourd'hui à un point où, après 15 ans, on a tout essayé! Ce n'est peut-être pas un cri d'alarme, parce que je pense qu'on n'est pas des alarmistes. Je veux juste dire que des mémoires, ce qu'on met sur la table, c'est très intéressant, c'est stimulant, on repense nos idées, on voit ce qu'on peut faire de plus, mais il y a des choses qui ont été dites. J'espère que cela tombe dans une bonne oreille et j'espère qu'ici, aujourd'hui, il y a des gens qui vont faire que cela va avancer d'un pas de plus et que, enfin, le gouvernement soit par des mesures fiscales, comme vous le disiez, va faire comme on fait, nous autres. On fait du crédit à l'année longue, mais ce n'est pas nécessairement juste parce qu'on aime notre métier, mais c'est parce qu'on veut en vivre et qu'on veut que des artistes en vivent aussi. Je pense que tout cela, c'est une chaîne. L'importance des galeries, je suis ici pour en témoigner avec Michel, c'est qu'à un moment donné on fait partie du chaînon. Le rôle, ce n'est pas seulement de vendre, mais c'est de la diffusion. Quand on le comparait tantôt avec le rôle des centres culturels, on ne veut pas les éliminer, loin de là notre pensée, mais je pense que, nous, on est là pour faire le marche de l'art et le marché de l'art, c'est un mot qui, jusqu'ici, a fait peur.

M. Boulerice: Deux autres brèves questions. Un groupe nous disait que nous étions dans un système de monopole au Québec. C'était l'Association touristique, je ne me souviens pas de l'appellation exacte. Par exemple, lorsqu'on parle de Barcelone, bien des gens nous disent: Ah! Il y a d'extraordinaires galeries. Est-ce que vous avez des indications d'impact pour Montréal au niveau du tourisme, puisque vous êtes en mesure de vérifier qui vient dans vos galeries? Il y a forcément une clientèle locale, mais sentez-vous que le touriste vient dans nos galeries et vient voir notre expression?

Mme Palardy: Je ne sais pas si la question m'est posée, à moi, mais, si je réponds, je peux vous dire que vous faites un sondage et vous demandez soit à des hommes ou à des femmes: Qu'est-ce que vous faites quand vous arrivez comme touristes? Souvent, vous allez magasiner, vous allez dans les musées, vous allez voir les galeries. Montréal n'échappe pas à cette règle-là. Moi, je suis située au coin de Bleury et Sainte-Catherine, et je peux vous dire que, le samedi après-midi, je vois autant d'Américains, de Français, de gens qui viennent de partout qui font le tour systématiquement des galeries où on se compare en qualité.

M. Boulerice: Le mot a été lancé, Mme Palardy, vous avez dit musée. Le rapport Arpin favorise la restauration des enveloppes budgétaires des organismes culturels, notamment celles des musées. Est-ce que pour vous l'un des moyens d'aider les galeries d'art pourrait être que l'acquisition de nouvelles oeuvres par les institutions muséales fasse l'objet véritablement d'une priorité au chapitre de la restauration de ces enveloppes budgétaires?

M. Tétreault: Oui, à mon avis, il faudrait nécessairement que les enveloppes budgétaires, qui sont données aux musées en vue des acquisitions, soient définitivement augmentées. C'est nettement insuffisant, à mon point de vue. C'est très restreint; je n'ai pas les chiffres exacts, mais c'est vraiment très peu par rapport à d'autres musées ou par rapport à certains musées aux États-Unis. Et, sur ce point-là, je pourrais mentionner que les États-Unis ont donné pendant de nombreuses années l'accès à des collectionneurs pour faire des acquisitions importantes et les donner à des musées, ce qui n'existe pas ici, jusqu'à un certain point. Ça existe, mais ce n'est pas assez diffuse, pas assez mentionné. Il faudrait, justement, qu'un collectionneur puisse faire l'acquisition, garder l'oeuvre quelques années et en faire don à un institut muséolo-gique, et là bénéficier aussi, au niveau de l'impôt et tout ça, d'avantages. C'est pour ça que les musées aux États-Unis regorgent d'oeuvres et qu'il y a vraiment un patrimoine culturel important au niveau des oeuvres d'art. Ici, on n'a pas encore ça, mais il faudrait, oui, que toutes ces implications et toutes ces mesures-là soient mises en place.

M. Boulerice: Bon, le président dans sa bonté proverbiale m'autorise à vous poser une autre question. Je vois un paragraphe et je vous

avoue que je me questionne. Vous dites: "L'État, par la loi 78 sur le statut professionnel de l'artiste, a défini le rôle de l'artiste et du diffuseur, en l'occurrence la galerie, et obligé les deux parties à signer un contrat". Et là vous ajoutez: "II est essentiel que ces balises soient systématiquement utilisées et respectées si on veut que se "constitue" le secteur". Je vous avoue que je ne le pige pas comme on dit en mauvais français.

M Tétreault: La loi 78, qui a reconnu le rôle, le statut officiel de l'artiste, est excellente. L'artiste est quelqu'un dans la société qui a un rôle professionnel, qui a un rôle à assumer et qui le joue pleinement, et l'artiste a besoin d'un diffuseur qui est la galerie. La dernière question que j'ai posée après la lecture du mémoire: Est-ce que vous voulez que les galeries existent encore? Donc, il y a une prise de conscience qui est importante. Le contrat entre l'artiste, c'est une entité, là, c'est un contrat culturel. Autant le gouvernement a un contrat culturel à assumer avec tous les intervenants, bien, ça part, ça, avec l'artiste et son agent, si je peux m'exprimer ainsi. Et c'est ce qu'est la galerie. La galerie va respecter l'artiste. Peut-être que Mme Palardy pourrait ajouter quelque chose à cet effet.

Mme Palardy: Bien, remarquez que, dans le contexte, justement, je pense qu'on s'est trouvés face à un contrat. On respecte ce contrat-là et dans ces termes-là j'ai l'impression que c'est un peu ce qui fait qu'à un moment donné, si les deux parties respectent leur contrat, quand on parlait du secteur, bien, c'est le secteur culturel qui va faire qu'à un moment donné que ceci va marcher plus rondement, si vous voulez. C'est une démarche qu'on a bien voulu respecter. Donc, c'est un petit peu l'esprit du paragraphe, si vous me suivez.

M. Boulerice: Oui.

Le Président (M. Gobé): Je vous demanderais de bien vouloir conclure, M. le député.

M. Boulerice: Bon. Alors, vous voyez, c'est inévitable, ça arrive.

Le Président (M. Gobé): C'est fort intéressant, mais malheureusement le temps étant le temps...

M. Boulerice: Mais je sais qu'on aura bien des occasions de se revoir et de continuer. Si j'ai bien compris aussi la dernière trame de l'intervention qu'on a eue, bien oui, la galerie a une notion commerçante et il ne faut pas s'en cacher, je veux dire, c'est tout à fait naturel, c'est noble d'être commerçant d'art. Mais je pense que vous venez également nous dire que la galerie avait une mission culturelle, dans le sens que c'est un des grands moyens de diffusion pour nos artistes en art visuel, et que, si on n'aide pas les galeries, si les galeries disparaissent - et les galeries disparaissent très régulièrement, puisqu'une espérance de vie de 10 ans, je vous avoue que c'est très court, quand on regarde le développement d'un marché d'art - à ce moment-là, on défavorise non pas uniquement l'ensemble du réseau, mais également la production culturelle comme telle. Je saisis ça aussi comme dernier message que vous nous lancez. Alors, je vous remercie beaucoup, Mme Palardy, Mme Labrecque, M. Tétreault. Et l'art pour l'art, continuons! Peut-être qu'il y a une lumière au bout du tunnel, très bientôt. Du moins, je le souhaite et je m'y emploie. (17 h 45)

Le Président (M. Gobé): Merci, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Mme la ministre, en conclusion.

Mme Frulla-Hébert: Oui, je joins mes remerciements à ceux de mon collègue. Il y a une chose, par exemple, qui me frappe. Vous savez, on parie de développement de nouveaux publics. Oui, il y a les mesures fiscales, on va les regarder, etc. Mais on n'achète pas ce qu'on ne connaît pas et tout le secteur... Et je pense que vous avez touché un très bon point: c'est au niveau du secteur de l'éducation. On voit ce que l'éducation a fait, et en peu de temps, au niveau de l'environnement, par exemple, chez nos jeunes: ils sont naturellement sensibilisés à l'environnement au point où ils nous font la leçon tous les jours. Au niveau de la sécurité routière, alors c'est la même chose. Si on veut développer des publics, oui, on peut le faire par des incitatifs, etc., mais le vrai public, c'est celui qui le consomme parce qu'il l'aime. Et, à ce moment-là, je pense que tout part de l'éducation et c'est ce qu'on est en train de faire avec le ministère de l'Éducation: essayer de voir une façon, justement, de rentrer la culture comme étant un élément moteur et nécessaire à une vie ou à la vie de tous les jours. Alors, merci beaucoup de votre contribution.

Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. Mesdames et monsieur, merci beaucoup. Ceci met fin à votre audition et vous pouvez maintenant vous retirer. Au nom des membres de cette commission, je tiens à vous remercier d'être venus nous rencontrer.

M. Tétreault: Merci.

Le Président (M. Gobé): Et j'appellerai maintenant, pour vous faire suite, la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs. Et je leur demanderais de bien vouloir prendre place sans plus attendre.

Alors, mesdames et messieurs les députés, nous allons maintenant reprendre nos auditions

et nous allons entendre la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs, qui est représentée par M. Jean-Marie Ladouceur, vice-président - bonjour, M. Ladouceur - M. Yves Légaré, directeur général - bonjour, M. Légaré - et M. Robert Malenfant, administrateur. Bonjour, M. Malenfant. Vous pouvez maintenant, sans plus tarder, commencer votre présentation.

SARDeC

M. Ladouceur (Jean-Marie): M. le Président, Mme la ministre, distingués membres de la commission, nous sommes heureux de vous rencontrer aujourd'hui. Je signale, en passant, que M. Malenfant est aussi le représentant régional des membres de la SARDeC.

La SARDeC regroupe et défend les intérêts de près de 550 auteurs, recherchistes et documentalistes de l'audiovisuel depuis 1949. De "La boîte à surprises" à "Passe-Partout", du "Curé du village" au 'Temps d'une paix", de "Rue des pignons" à "L'héritage", de "La vie heureuse de Leopold Z" à "Jésus de Montréal", nos auteurs ont contribué à façonner l'imaginaire québécois, tout comme nos recherchistes et documentalistes du "Sel de la semaine", de "Femmes d'aujourd'hui", de "Second regard" ont oeuvré à notre façon d'appréhender la réalité. Les oeuvres radiophoniques, télévisuelles et cinématographiques de nos membres sont des jalons de notre mémoire collective et constituent, le plus souvent, une partie importante de notre bagage culturel commun.

Nos membres oeuvrent tant à Radio-Canada, Radio-Québec, l'ONF que chez les producteurs et diffuseurs privés. Ils sont à l'origine d'oeuvres qui ont fait le succès de notre télévision et de notre cinéma. Leurs créations rejoignent nos auditoires dans une proportion que nombre de pays nous envient.

M. le Président, nous ne souhaitons pas relire en entier notre mémoire, mais plutôt attirer votre attention sur certains points, en résumer les grandes lignes.

Précisons, tout d'abord, que rapatrier ou non la culture ne nous est pas apparu comme la question primordiale sur laquelle nous devions nous prononcer. La SARDeC n'a pas pris position à ce sujet et n'a pas de mandat de ses membres pour le faire. Nonobstant la question constitutionnelle, nonobstant les choix qui seront faits, que la culture soit rapatriée ou non, que le Québec soit indépendant ou non, la proposition de politique culturelle du rapport Arpin est-elle en soi acceptable? Telle est, pour nous, la question ou, du moins, l'angle que nous avons voulu privilégier. Notre réponse, M. le Président, est non. Ce non signifie simplement que nous ne sommes pas preneurs d'une vision institutionnelle et bureaucratique de la culture, d'une vision où l'État, plutôt que de soutenir véritablement la culture, souhaite en assumer la maîtrise d'oeuvre, soit en concevoir et en diriger les activités, pour reprendre la définition même du rapport Arpin.

Certes, le rapport Arpin est rempli de bonnes intentions. Certaines mesures qui y sont suggérées sont valables, mais le rapport Arpin contient des lacunes particulièrement importantes pour le secteur dans lequel oeuvrent nos membres, l'audiovisuel et plus particulièrement la télévision et le cinéma. Le cinéma constitue encore la sortie culturelle privilégiée. Quant à la télévision, M. le Président - et je mets entre guillemets l'expression - c'est assurément le produit culturel le plus consommé. Le rapport Arpin s'y arrête très peu. Il aborde presque davantage la question de la télé communautaire - et ça a du mérite - que la télé conventionnelle. Or, l'histoire de notre télévision est assez exceptionnelle. Nous avons réussi à nous approprier les ondes, à concurrencer les télévisions étrangères. Le public apprécie, écoute les émissions québécoises dans des proportions inégalées dans le monde. A-t-on idée du danger d'acculturation que représenterait la situation inverse? Ce succès, il repose, entre autres, sur quelques ingrédients qui ont été oubliés dans le rapport Arpin. D'abord, sur la télévision publique qui, en quelque sorte, établit les normes. Nous aurions voulu voir dans le rapport Arpin une réaffirmation du rôle de la télévision publique et, par conséquent, l'engagement des pouvoirs publics de continuer à l'appuyer.

Ensuite, il est capital de préserver la diversification des structures, des sources de financement, voire des lieux de création. Comme nous l'avons mentionné, ce n'est pas une prise de position en faveur du statu quo, mais le souci de préserver l'indépendance des créateurs en multipliant les possibilités. Une politique culturelle proprement québécoise devrait, de toute façon, s'y ingénier.

Enfin, il nous apparaît aberrant que l'État veuille assurer la maîtrise d'oeuvre, c'est-à-dire concevoir et diriger l'activité culturelle. Toute politique culturelle doit préserver l'autonomie des créateurs. Si notre développement culturel a profité du soutien de l'État, il a d'abord reposé - et ça, c'est important, M. le Président - sur le talent des créateurs et sur les possibilités offertes à ce talent de se développer. De plus en plus, les créateurs voient leur rôle se réduire, voient les paliers de décision se multiplier. Notre culture ne doit pas être l'oeuvre de fonctionnaires.

En conclusion, le secteur culturel attend depuis des années que les gouvernements démontrent leur volonté de soutenir fortement la culture. Le rapport Arpin demande que nous nous prononcions sur son approche de la culture. Nous aurions aimé voir des mesures concrètes qui démontrent la volonté du Québec d'occuper réellement le champ culturel. Cinquante pour cent des interventions du fédéral dans la culture vont dans l'audiovisuel. En télévision et en

cinéma, la présence du fédéral est massive. Même la préservation de notre patrimoine audiovisuel est, selon ce qui ressort d'une enquête de l'IQC, l'Institut québécois du cinéma, laissée au fédéral. Que compte concrètement faire le Québec pour démontrer son intérêt réel dans ce secteur? À quand la création d'un fonds de télévision à la SOGIC? À quand le 1 % de la culture? L'État souhaite-t-il enfin soutenir vigoureusement le secteur culturel? Nous aurions aimé obtenir des réponses à ces questions, mais le rapport Arpin est malheureusement silencieux à cet égard. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci beaucoup. Mme la ministre ou voulez-vous que je commence?

Mme Frulla-Hébert: Non, je vais y aller, moi. Je vais juste commencer et ensuite...

Le Président (M. Gobé): Allez-y.

Mme Frulla-Hébert: Je vous remercie beaucoup, M. Ladouceur, M. Légaré et M. Malenfant. J'aimerais qu'on discute un petit peu. Vous savez, le rapport Arpin, finalement, je l'ai dit tantôt, c'est une base de discussion. Si le rapport Arpin n'a pas touché tout le secteur de la télévision, etc., c'est que le système est ainsi fait depuis 30 ans, j'imagine, où les Communications sont un ministère et les Affaires culturelles en sont un autre. Bon! Alors, le rapport Arpin dit: On devrait unir les deux. Ça, c'est une chose. Mais, d'une certaine façon, le secteur télévisuel, en disant que c'est important, effectivement, ils l'ont effleuré, ils y ont touché, mais le mandat n'était pas donné conjointement. Ça, c'est une chose. Par contre, c'est une base de discussion et on est là, justement, pour discuter parce qu'il y a des choses où je trouve que vous êtes très, très à point.

Vous dites que le Québec, en matière de télévision... Parce que j'ai assumé quand même l'autre ministère, je sais très bien que l'apport du fédéral, effectivement, en matière de télévision, est important parce qu'ils ont toutes les lois, avec le CRTC, etc. Mais le Québec, quand même, fait beaucoup au niveau de la programmation, ne serait-ce que, bon, par ses mesures fiscales, etc., au niveau de la télévision. Le cinéma, je vous l'accorde, le fédéral y est beaucoup plus présent, ça, il faut le dire et c'est vrai, mais au niveau de la télévision, par exemple, ce n'est pas tout à fait le cas.

Mais je voudrais revenir au fait où vous sentez, de la façon dont c'est exprimé, une espèce de bureaucratie qui veut s'implanter et un dirigisme culturel. J'aimerais ça que vous élaboriez un peu plus là-dessus. Au contraire, l'intention, je pense, c'est justement d'arrêter pas le dirigisme, mais la bureaucratie. C'est devenu lourd et, de là, notre examen de conscience est de dire: Bon! Là, on va s'en parler, tout le monde ensemble, parce qu'on est très conscients aussi qu'on a des choses à changer. Alors, parlez-nous de ça. De la façon dont c'est présenté, vous sentez ça lourd ou plus lourd.

M. Ladouceur: Si vous permettez, Mme Hébert, comme, sur ça, ça a été de longues discussions au C.A. de la SARDeC, je demanderais à notre directeur général, peut-être, de faire écho à ces discussions-là pour vous permettre un peu de comprendre notre crainte à l'égard de la notion de maître d'oeuvre. C'est bien ça dont il est question.

Mme Frulla-Hébert: Oui, d'accord.

M. Légaré (Yves): Effectivement, c'est davantage cette notion qui a créé problème, c'est-à-dire que les créateurs ont toujours eu l'impression que la culture reposait pas seulement sur eux, mais entre autres sur eux et qu'ils étaient peut-être le maillon d'origine, un des maillons les plus importants. Or, de plus en plus, particulièrement dans le secteur que nous représentons où les coûts de production sont très élevés, où l'intervention de l'État en termes d'argent est assez importante, les créateurs ont à composer avec de nombreux intervenants. C'est-à-dire qu'il n'est pas vrai qu'un créateur a une vision d'une oeuvre et que, le lendemain, elle est produite ou qu'elle coûte quelques milliers de dollars. Il faut vraiment beaucoup de personnes qui doivent se pencher sur cette oeuvre-là.

Or, on se rend compte, de plus en plus, que les interventions gouvernementales visent à créer des programmes, à encadrer la création, à nous orienter dans les directions avec lesquelles on est pris. Je peux vous donner l'exemple du programme sur la relève où on a défini, il y a quelques années, que la relève était composée de personnes de 18 à 35 ans, ce qui n'est pas nécessairement approprié à tous les secteurs. Je ne sais pas si un danseur de 35 ans, un peu perclus d'arthrite, peut être considéré comme de la relève. Bon! Et on est obligés, donc, de s'ajuster par la suite. (18 heures)

Je vous donne un exemple d'un programme tout récent, qui est annoncé dans un entrefilet dans La Presse, de coproduction avec la France pour de la coécriture, une écriture transculturelle. Ce programme-là, on en a eu vent, il y a déjà quelques mois, par le biais de notre représentante à l'IQC qui, à l'époque, disait: Attention, vous inventez des façons de travailler aux auteurs, ça ne peut pas fonctionner, il y a de graves lacunes; consultez la SARDeC, consultez les auteurs. Le programme chemine au sein de l'administration, les fonctionnaires articulent, d'une certaine façon, l'ensemble des programmes et on se retrouve à la toute fin à intervenir pour leur dire: Écoutez, ça ne va pas, ce sera

tout à fait à côté de ce que les auteurs peuvent faire; vous allez dans la mauvaise direction. Et, donc, la concertation n'est pas toujours là.

Et, lorsqu'on dit que l'État, justement, va assumer la maîtrise d'oeuvre, c'est un peu ces exemples-là que nous avons en tête. On pourrait trouver des exemples semblables au fédéral. La maîtrise d'oeuvre en tant que telle, pour nous, qu'elle relève du fédéral, qu'elle relève du provincial, ça nous dérange. Et c'est vraiment dans cette perspective-là, dans ce cadre-là que nous avons voulu dire en quelque sorte: Soutenez la création, soutenez les créateurs, mais n'essayez pas de décider pour nous, n'essayez pas de concevoir l'activité culturelle; vous gérez à l'heure actuelle le succès. Le problème de la culture est-ce parce qu'on ne sait pas où on s'en va? D'une certaine façon, si on regarde la télé, aucun pays n'atteint un tel auditoire. Nos émissions supplantent les émissions américaines de façon inégalée. Donc, lorsque vous gérez quelque chose, pensez que c'est de succès qu'il s'agit; n'essayez pas de nous trouver des solutions, des recettes miracles, de jouer aux apprentis sorciers et consultez.

Mme Frulla-Hébert: Là-dessus, je vais vous dire, je suis d'accord à 100 %. Par contre, vous savez que, quand on gère, on gère des fonds publics; veux veux pas, c'est ça. Et la plupart des groupes nous ont parlé justement de fonds; j'en faisais état à la télévision, mais c'est ça pareil. On parle beaucoup de fonds. On peut avoir des grands principes, mais il y a toujours une question d'argent. Et, quand on gère des fonds publics, évidemment, on doit le faire dans la transparence la plus absolue. Ce n'est pas comme au privé ou, enfin, dans un secteur où on peut carrément choisir; les fonds publics, c'est tout à fait différent. Alors, comment fait-on? Vous dites: On gère le succès. Bon. C'est quoi, le rôle de l'État, finalement, à travers tout ça? Quand on parle de maîtrise d'oeuvre, c'est pouvoir s'assumer, se développer soi-même - je pense que c'était plus ça, la définition de maîtrise d'oeuvre - et ne pas avoir d'autres personnes pour nous développer, tu sais. Donc, c'était beaucoup plus dans ce sens-là, la définition de maîtrise d'oeuvre. Mais quel est, d'après vous, le rôle de l'État et, plus particulièrement, du ministère des Affaires culturelles? Quel rôle devrait-on assumer, nous, à l'intérieur de tout ça?

M. Ladouceur: Madame, c'est un rôle pour faciliter... Prenez dans une production d'une oeuvre, il y plusieurs groupes qui interviennent et - c'est notre perception du rapport, vous corrigerez, si vous voulez - plutôt que d'avoir une perception très verticale de la culture, à savoir une espèce d'organisation pyramidale où tout, finalement, aboutit au ministère qui décide de mener le bateau de la culture, ce serait mieux de garder une vision très horizontale, qui est un peu présente actuellement, où tous les gens qui participent à la culture et à l'art, en général, puissent avoir accès à des facilités pour mettre en oeuvre ce qu'ils ont à faire. Et, dans le moment, notre perception du rapport Arpin, c'est que ce n'est pas une vision horizontale de la culture, ce n'est pas une vision du côté des créateurs, c'est plutôt... Bon, à un moment donné, vous signalez qu'il faut faire des études sur le goût du public pour que les oeuvres arrivent au goût du public. Mais, souvent, ce sont les artistes qui créent le goût du public. Alors, ils ne sont pas en arrière du goût du public, ils sont en avant, c'est très important. Alors, c'est un peu cette démarche-là. La finalité 1 et la finalité 2 du rapport Arpin, on est tout à fait d'accord avec, il n'y a pas de problème. C'est cette espèce de présence de l'État sous cette forme-là, vous savez. Que vous multipliiez les guichets, tant mieux!

Mme Frulla-Hébert: Beaucoup d'organismes sont venus nous voir et ils nous ont parlé du "arm's length".

M. Ladouceur: Oui.

Mme Frulla-Hébert: C'est vrai que c'est un problème, parce que, effectivement, n'importe qui qui se voit refuser un projet ou un autre, la première chose qu'on sait, le téléphone sonne au bureau de la ministre, ce qui n'est pas normal. Malgré qu'on a des jurys régionaux, malgré que jamais, jamais, jamais - et on a été, d'ailleurs, et moi-même je l'ai été, fustigés pour ça - on ne contrôle la création et on n'émet ne serait-ce qu'une opinion, ça finit toujours sur le bureau de la ministre pareil. Alors, on regarde aussi sérieusement le fait d'avoir un organisme indépendant, un genre de conseil des arts pour le développement - on ne l'appellera pas comme ça, certain - au niveau de la création. Mais on a aussi la SOGIC et ce sont des organismes qui sont tout à fait autonomes, si on veut.

Est-ce que ce serait aussi une solution d'avoir plus d'organismes autonomes, c'est-à-dire partant d'objectifs transparents, c'est sûr, parce que ce sont des fonds publics? À partir de ce moment-là, on les laisse aller complètement et on sort tout ça du ministère.

M. Légaré: Je pense que ce qui ressort de notre mémoire, c'est un désir de diversification. En ce sens-là, plus il y aura d'organismes, plus il y aura de guichets, plus les créateurs seront sans doute mieux servis. Le souci de transparence est également vrai pour nous. On ne peut pas en vouloir à un État qui déciderait d'instaurer une grande transparence. Au contraire, on va toujours appuyer la plus grande transparence, mais c'est peut-être ce qu'il manque à l'heure actuelle. Les prises de décision sont-elles tou-

jours bien connues? Les règles sont-elles toujours claires? Il y a intérêt à se concerter avec le milieu.

Pour peut-être répondre à votre question de tout à l'heure, on demande que le ministère nous appuie dans le secteur culturel, un peu comme, dans d'autres secteurs, les différents ministères appuient. On pense à l'aéronautique; ce n'est pas le ministère de l'Industrie et du Commerce qui va décider quelle orientation ça va prendre. Il y a des gens qui sont effectivement appuyés par les différentes instances gouvernementales pour faire en sorte que le Québec, dans l'aéronautique, devienne très présent, très actif et très dynamique. C'est un peu le même genre d'intervention qu'on souhaiterait.

Mme Frulla-Hébert: Merci. M. le Président, vous auriez une question?

Le Président (M. Gobé): Oui, Mme la ministre, bien que vous ayez posé sensiblement les questions qui m'intéressaient. Ça me fait un drôle d'effet de vous entendre et d'écouter aussi la ministre. Vous parlez de dirigisme, de réglementation, de maîtrise d'oeuvre, culture d'État, à peu près ça, que vous avez cru voir dans le rapport Arpin. Ça me rappelle une lecture que je faisais, il y a quelque temps, sur ce bon M. Colbert, vous savez ce ministre de Louis XIV, qui, à un moment donné, avait décidé de former avec un M. Chapelain, un ancien écrivain que vous devez probablement connaître, vous, une espèce de politique culturelle. Il avait dressé une liste de 70 ou 90 noms d'écrivains, documentalistes, auteurs, compositeurs français afin de les recommander au roi afin qu'il les dote, ceci pour développer la culture et faire en sorte que la culture française rayonne. Sauf qu'il y avait un écrivain, un dénommé Jean de La Fontaine, que tout le monde connaît - rien à voir avec notre LaFontaine, ici - qui, lui se plaignait parce qu'il disait: C'est de la culture d'Etat, ça a pour but de faire valoir la gloire et la grandiloquence du roi, de faire valoir une image de la France.

Je me demande si on n'en arrivera pas là à un moment donné. Si l'État prend le contrôle de la culture, si les fonctionnaires le prennent, ils pourront faire comme M. Chapelain qui a recommandé à M. Colbert - je ne sais pas comment il s'appellerait dans ce temps-là - 90 noms, 110 noms ou 120 noms. Et, advenant le bon vouloir du prince, dépendant des écrits ou de la musique qui serait composée, on pourrait se retrouver avec un système... D'abord, il n'y aurait pas de créativité, mais ça deviendrait une espèce de machine à propagande ou à remerciement des copains.

J'ai un exemple parfait. Mon ami, le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, va peut-être m'en vouloir un peu parce que probablement c'est un de ses amis. Mais on voit qu'actuellement dans la République française - on est des francophones, on va s'en inspirer un peu - le ministre de la culture, M. Jack Lang, est constamment critiqué dans les médias, dans les journaux - dernièrement, le Canard enchaîné encore le sortait -pour octroyer des bourses et des dotations, tel Colbert, à ses amis, la république des camarades comme ils le disent, et à tous les gens qui écrivent des grandiloquences sur le roi-président François II.

C'est pour ça que je trouve intéressant ce que vous dites. C'est parce qu'on retourne en 1660, dans le temps de Colbert. On se ramasse ici à faire une politique pour l'an 2000 et il n'y a rien de changé, d'après ce que je peux voir. Qu'est ce que vous pensez de ça?

M. Légaré: Aucun de ceux que vous avez nommés n'est membre de la SARDeC. Ce que je voudrais simplement dire, c'est que les auteurs - et ça, dans un paragraphe du rapport Arpin, je l'avais vu - et les créateurs en général assument d'une certaine façon le risque de leur situation. Ils assument que, pendant des années, ils puissent oeuvrer sans avoir de succès. Ils assument qu'ils sont à la merci du choix du public. Jamais, en tout cas, notre position ne sera de dire: Identifiez des créateurs et faites en sorte que ces créateurs-là puissent écrire pendant des années, tout comme on trouve parfois aberrant que des producteurs puissent vouloir que la vie de leur maison de production puisse être établie pendant des années. Les règles du jeu sont, dans ce secteur-là, que le public a son mot à dire. L'État doit, cependant, intervenir; sinon, seules les oeuvres ayant du succès finiraient par être produites, peu importe le secteur. L'État doit faire en sorte d'assurer une diversité. Qu'il y ait des gens qui puissent écrire de la poésie pour un public réduit comme des gens qui vont vivre très bien de leur plume en écrivant des romans grand public, je pense que c'est une situation culturelle saine. Et le rôle de l'État est, entre autres, justement, de préserver l'équilibre, d'avoir une culture qui laisse de la place à ces différents genres, d'une certaine façon.

Le Président (M. Gobé): Donc, vous n'avez pas besoin de structure comme telle qui va... Vous préférez probablement avoir une espèce de plancher qui vous permette de fonctionner, pas forcément pour vivre continuellement de...

M. Ladouceur: Et que l'État nous parle aussi. C'est très important que l'État nous parle, soit en contact avec nous dans l'élaboration des choses. Vous savez, on ne peut pas imaginer pourquoi une histoire aussi simple qu'une maîtresse d'école du XIXe siècle qui tombe amoureuse d'un garçon qui est alcoolique, ça fasse une histoire, à la télévision, qui marche. Pourtant, vous savez bien que "Les filles de Caleb" ont bien fonctionné. Alors, c'est ça, il y a comme un risque dans le domaine de la culture et des arts

et ce risque-là, tout le monde doit l'assumer, c'est-à-dire l'État comme outil culturel et des arts de la population avec les auteurs, avec les recherchistes, les documentalistes, avec les créateurs. C'est ensemble. Actuellement, notre vision du rapport Arpin, c'est que ce n'est pas ensemble.

M. Légaré: Et je vous dirais qu'il y a des outils. Il y a nécessité de cadres parfois. Je pense à la loi 90. C'est un outil pour que les créateurs et les artistes puissent être reconnus et obtenir des conditions décentes dans l'exercice de leur travail, si on veut. Il y a également la loi du droit d'auteur qui relève du fédéral, qui est une vieille loi, vétusté, pour laquelle on demande depuis des années, et tout le monde en demande, des réajustements qui tardent à venir et ça nous nuit énormément. Donc, il y a des cadres qui sont nécessaires, mais ces cadres-là doivent être perçus comme s'adressant à des adultes, d'une certaine façon, et non pas à des gens qui ne sont pas capables de s'occuper eux-mêmes de leurs affaires.

Le Président (M. Gobé): Donc, moins de dirigisme, mais plus de liberté d'action, sans pour autant un désintéressement total de la culture envers votre condition qui n'est pas toujours facile.

M. Légaré: Effectivement.

M. Malenfant (Robert): Je pourrais ajouter: Dans le fond, ce qu'on veut, c'est qu'on nous donne les moyens de créer tout simplement, sans nécessairement nous encadrer ou essayer de nous contrôler ou quoi que ce soit. À venir jusqu'à présent, la culture au Québec a pris énormément d'expansion et ce n'est pas nécessairement dû à l'État, mais c'est dû aux créateurs eux-mêmes. Et, dans le rapport Arpin, il semble que le cheval est bien parti et il voudrait être aussi là et essayer de contrôler et de maîtriser cette bête-là.

Le Président (M. Gobé): Dernière question avant de passer la parole à mon collègue de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Est-ce que vous avez fait des représentations auprès du gouvernement fédéral afin d'améliorer cette loi des droits d'auteur?

M. Légaré: À plusieurs reprises. Tant la SARDeC que la Coalition des créateurs et titulaires de droits dont elle est membre et la Conférence des associations de créateurs et créatrices du Québec, nous avons, via ces différents regroupements, rencontré le ministre Masse, à l'époque, le ministre Blais dont relève la loi - même si le ministre des Communications est chargé de la révision de la loi, la loi relève de corporations et consommation Canada - les différents fonctionnaires à plusieurs reprises.

Le Président (M. Gobé): Est-ce que le ministère des Affaires culturelles du Québec a été saisi de votre demande et a fait des représentations pour appuyer votre demande auprès du ministre fédéral?

M. Légaré: C'est-à-dire que le ministère est, je pense, au courant du travail de la Coalition des créateurs et titulaires de droits, du travail de la CACCQ. Il sait quelles sont nos demandes en tant que telles. On a eu des échanges d'informations à quelques reprises là-dessus. Je ne pense pas que... Il y a eu une politique...

Le Président (M. Gobé): Vous dites qu'il y a des pressions qui ont été faites?

M. Légaré: Hum.

Le Président (M. Gobé): Merci. Alors, je vous remercie, en ce qui me concerne. Maintenant, nous entrons dans le temps du député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. M. le député, vous avez la parole.

M. Boulerice: Eh bien! Écoutez, j'adresserai à mon ami, Jack Lang, les reproches qui lui ont été faits et, pour ce qui est des droits d'auteur, M. le député de LaFontaine en parlera à son grand ami intime, Jean Chrétien. (18 h 15)

Le Président (M. Gobé): II n'est pas, pour l'instant, chef du gouvernement, mais, lorsqu'il le sera, permettez-moi de vous dire que je lui en ferai part.

M. Boulerice: Rêvez, monsieur, rêvez. Ceci dit, M. Ladouceur, M. Légaré, M. Malenfant, heureux de vous revoir. Écoutez, moi, je voudrais qu'on mette quelque chose au clair tout de suite, là, parce que j'entends le mot "dirigisme" à un point tel que là je commence drôlement à me regarder dans la glace le matin en me disant: Mais, mon Dieu, derrière cette figure d'archange se cache-t-il un monstre? Et probablement que ma collègue a les mêmes interrogations, sauf que le miroir lui renvoie peut-être quelque chose de plus agréable que le mien. Mais, enfin, ceci dit, est-ce que vous avez senti le dirigisme dans l'énoncé du rapport Arpin ou si c'est un bilan que vous faites de la gestion des arts et de la culture au Québec depuis 30 ans? Si vous me répondez oui, là, je vais avoir de sérieuses difficultés avec ma glace demain matin.

M. Légaré: On a senti le dirigisme dans le rapport Arpin et on ne peut pas faire de constat pour les 30 dernières années aussi général en tant que tel. C'est-à-dire qu'il y a des choses, qui peuvent être perçues tout à fait favorablement, qui sont issues du ministère des Affaires

culturelles. Il y a des choses qui, au contraire, ont soulevé la désapprobation, et ça, c'est du cas par cas, d'une certaine façon.

M. Ladouceur: II y une définition dans le rapport Arpin, M. le député, qui est très claire au sujet de ce qu'est être maître d'oeuvre. Je pense que c'est à la page 187 du rapport. "Être maître d'oeuvre, cela signifie être celui qui conçoit - et je ne pense pas que ce sont des mots au hasard - et dirige les activités dans le domaine culturel." Alors, pensez que vous êtes un auteur et que vous lisez cette phrase-là. On n'est pas loin de la liste des accrédités de monsieur, puis on n'est pas loin, non plus, de certaines décisions qui disent: Maintenant, la culture, ça va avoir telle allure et, nos chers auteurs et créateurs, vous n'avez qu'à vous ajuster dans cette orientation-là. C'est dans ce sens-là. Est-ce qu'on se trompe? Si ce n'est pas ça que ça signifie, dites-le-nous.

M. Légaré: C'est peut-être aussi, entre autres, que les créateurs ont quand même vécu certaines expériences, que ça soit, par exemple, les rôles de Téléfilm et de la SOGIC. C'est-à-dire qu'auparavant le créateur n'avait qu'un diffuseur à convaincre. Maintenant, depuis quelques années, son oeuvre doit recevoir l'assentiment du producteur, recevoir l'assentiment des gens à la SOGIC, recevoir l'assentiment des gens à Téléfilm, recevoir l'assentiment des gens chez le diffuseur et, bien sûr, du public par la suite. C'est sûr que, dans l'exercice de leur travail, c'est parfois difficile à vivre. Il y a des choses qui sont défendables, d'autres moins. Et, lorsqu'on voit que l'État intervient, il y a tout ça derrière également.

M. Boulerice: Bon. Disons que j'apprécie cette mise au point là parce que je vous avoue que, depuis le début de la commission, j'ai un petit peu eu le sentiment qu'on assistait un petit peu a un mauvais "remake" de "The Good, the Bad and the Ugly", "the Ugly" étant ces méchants politiciens tentés par une espèce de dirigisme, mais, enfin, ce n'est pas le cas. Surtout que - et je vais prendre à témoin mes collègues - nous sommes tous, députés, dispensateurs de subventions qu'on appelle hors normes et Dieu seul sait qu'on ne s'ingère pas dans la programmation des organismes de nos circonscriptions qui nous en demandent. Je peux même vous citer, dans mon cas, des organismes que je subventionne et dont l'activité principale est de faire ma critique. Donc, je pense ne pas souffrir de dirigisme et je mets au défi quelqu'un de prouver que mes collègues le sont.

Bon, ceci étant dit, M. Ladouceur la ministre vous a répondu que ce n'était pas dans le mandat du rapport Arpin de regarder la télévision, donc, l'immense domaine de l'audiovisuel. À cette réponse, je répondrai par la tirade de "Cyrano de Bergerac": "C'est un peu court." Le rapport aurait pu dire: Quoique cela n'étant pas de notre mandat, nous croyons utile de dresser des pistes, parce que c'est 85 % du temps culturel des Québécois. Et on a eu le plaisir d'avoir à cette commission le président de Vidéotron. Bon, ce n'est pas à vous que je vais apprendre ça, les gens de la SARDeC, la télévision de demain, on est en train de la fabriquer et, mon Dieu, personne alentour de nous n'a l'imagination, et je m'inclus, assez fertile pour saisir ce que ça va être, tellement c'est immense et quelque chose de phénoménal.

Donc, nous - je suis obligé de vous dire "nous", j'appartiens à une formation politique et je n'en ai aucune gêne, tout au contraire - on parle de ministère des arts, de la culture et des communications, en se disant que, si on a donné à une puissante société d'État le mandat de promouvoir l'unité nationale de ce pays, on pourrait peut-être s'arranger, nous, pour avoir une télévision qui aurait le mandat de diffuser notre culture, de produire notre culture. Et, plus on la diffuse, plus on la produit, bien, plus on donne aux gens le goût. Ces prémisses-là étant établies, est-ce que vous reconnaissez qu'à cet égard - puis, Dieu seul sait qu'on pourrait se bombarder de chiffres; l'audiovisuel, c'est des milliards, des milliards - au même titre que les droits d'auteur, le Québec ne dispose d'aucun levier réglementaire sur ce secteur d'activité? Bon, sur les droits d'auteur, peut-être un peu moins, mais, au niveau de la radiotélévision, on ne peut rien faire.

M. Ladouceur: On reconnaît ça, M. Boulerice, mais la question nous apparaît un petit peu courte en disant: Le problème va être solutionné très facilement, on va rapatrier. O.K., mais ce n'est pas tout de rapatrier. Il faut savoir qu'est-ce que le ministère veut faire avec ça et comment il veut traiter ces créateurs, comment il veut traiter ces auteurs. Parce que le rapatriement, c'est comme si vous nous demandiez de signer un chèque en blanc, puis après, soyez-en sûrs, messieurs les créateurs, vous allez être heureux, parce que vous allez nous appuyer là-dessus.

Pour nous, l'autonomie de base, c'est l'autonomie du créateur. Et je pense qu'un ministère de la culture, des arts et des Communications doit reconnaître ça et favoriser ça. C'est la condition primordiale pour nous, pour avoir une culture vivante, dynamique, et une culture qui va contribuer à l'épanouissement de la population.

M. Légaré: Et peut-être ajouter aussi qu'au-delà du pouvoir réglementaire il y a des choses qui demeurent possibles. C'est-à-dire Radio-Québec existe, en tant que telle. Lorsque Radio-Canada, il y a quelques mois, a coupé les régions, il était peut-être intéressant de se

rappeler que Radio-Québec avait fait la même chose au niveau des régions. Et, lorsque je vois dans le rapport qu'on parle d'accessibilité pour les régions, dans notre secteur, cette accessibilité, elle se traduit, justement, par des stations un peu partout au Québec. Et les deux paliers de gouvernement ont sabré là-dedans.

Il reste, également qu'au niveau de la production rien n'empêche le gouvernement du Québec, à l'heure actuelle, de mettre de l'argent dans la production. La production, en tant que telle, ne relève pas du fédéral. On peut mettre davantage d'argent que présentement à la SOGIC, sans aucun problème. Il y a encore des choses possibles. Et, un peu comme le disait effectivement Jean-Marie, nous, ce qu'on aurait aimé voir, c'est comment est-ce que nous allons occuper notre espace culturel avec le rapport Arpin. Et, il n'y a pas de réponse à ça. Il y a, d'une certaine façon, des idées qui sont données, mais, au-delà de l'idée, qu'y a-t-il?

M. Ladouceur: Pour commenter un peu votre réponse, M. Boulerice, tantôt, en disant: C'est un peu court de dire que le problème des communications actuellement n'est pas sous notre juridiction, il y a quelque chose qui nous a fatigués aussi à la lecture du rapport Arpin, c'est ce rôle qu'on donne aux médias dans le domaine de la culture. On en fait des transporteurs de représentation de la culture, mais - et si nous avons mal lu, veuillez nous corriger - on ne semble pas s'apercevoir, entre autres, que la télévision et le cinéma créent aussi. O.K. Les téléromans de Pierre Gauvreau sont des créations. Ce ne sont pas seulement des représentations d'un concert ou d'une pièce de théâtre. Et on semble, dans le rapport Arpin, faire des médias une espèce de transporteur de la culture auprès du public. Ce n'est pas rien qu'un transporteur, c'est aussi un créateur de culture.

M. Boulerice: Justement, en parlant de créateurs, M. Légaré a fait allusion à la fermeture des antennes régionales de Radio-Québec. Je me souviens fort bien, je venais d'entrer en ce Parlement, nouvellement élu dans cette belle circonscription que vous connaissez, et j'ai dû faire, mon Dieu, je pense, 37 heures de ce qu'on appelle un "filibuster" pour empêcher l'adoption de la loi. Mais, malheureusement, elle est passée.

Mais il y a des gens des régions qui viennent et j'aimerais ça savoir si... Bon. Je suis de nature à les croire, mais je pense que vous avez autorité pour le faire. Les gens des régions viennent nous dire: Oui, ça a été catastrophique au niveau de la production chez nous, mais ce qui est le grand drame, c'est qu'on accuse maintenant des retards considérables au niveau des producteurs parce qu'on a fermé des débouchés, on n'a plus ces producteurs et en reformer d'autres, ce n'est pas demain la veille. Est-ce qu'ils ont raison quand ils nous disent cela?

Une voix: Tout à fait.

M. Boulerice: Je pense que M. Malenfant... Oui.

M. Malenfant: Ils ont tout à fait raison parce que, au moment où Radio-Québec a régionalisé sa production, ça s'est fait d'abord extrêmement rapidement et dans des conditions difficiles pour les gens en région. Il y a eu très peu de formation à ce moment-là. Bon. On a reproché, par après, que des émissions, c'était plus ou moins intéressant, plus ou moins bien fait, assez bâclé, etc. Ça se comprend dans le contexte. On n'a pas laissé aux gens le temps vraiment de se perfectionner et, après, quand ça a été fermé, bien, on fait quoi en région à ce moment-là si Radio-Québec n'est pas là? Radio-Canada vient de fermer. Les gens qui veulent produire en région, ils font quoi? Ils produisent quoi? Ils diffusent où? La culture régionale, on la montre à quel endroit? On la diffuse à quel endroit? Il n'y a plus de place à ce moment-là. Et les gens qui avaient commencé à acquérir une certaine formation avec Radio-Québec, bon, bien, qu'est-ce qu'ils font? Ils essaient de vivoter tant bien que mal en région ou ils s'en vont à Montréal et, à ce moment-là, la culture de la région, elle est où? Elle est nulle part. Et on vient de perdre un apport important.

M. Boulerice: O.K. Veux veux pas, dans votre texte, il y a quand même une certaine méfiance à l'égard du ministère. Est-ce que je pourrais dire qu'elle s'explique par son défaut de livrer la marchandise des lois structurelles importantes qui ne sont pas venues et qu'on attend? Bon, on a parlé du statut de l'artiste, mais il y a le statut fiscal de l'artiste qu'on attend encore. Je l'ai toujours dit: Le statut de l'artiste ne sera qu'une statue si on n'a pas le statut fiscal. Oui, il faut revoir nos droits d'auteur dans la notion de droits voisins aussi qui est extrêmement important. On ne peut pas échapper à cela. Le démantèlement de Radio-Québec, on en a parlé et, après ça, il y a cette gestion on ne peut plus inquiétante de la SOGIC. On a entendu ici des cris du coeur qui étaient: À l'époque de la société gérant les industries du cinéma, ça allait bien, mais, depuis la SOGIC, c'est le... Je vous donne les trois points de suspension. Est-ce que mon analyse, enfin, ma traduction de votre texte est bonne?

M. Ladouceur: Elle est juste.

M. Malenfant: Elle est très juste si on regarde qu'est-ce que le gouvernement antérieur, qu'est-ce que les gouvernements qui ont passé avant aujourd'hui ont fait: ils ont produit des rapports à tous les cinq ans et ils ont fermé Radio-Québec, et l'argent qui est donné à la SOGIC, par exemple, ça n'augmente pas néces-

sairement. Je veux dire, qu'est-ce qu'on a fait, à venir jusqu'à présent, qui justifierait les auteurs et les créateurs de faire confiance? Qu'est-ce qu'on a fait au gouvernement qui nous justifierait de faire confiance? L'important pour un auteur, c'est d'avoir de nombreux endroits où il peut aller chercher du financement pour pouvoir travailler.

M. Boulerice: Bon. Alors, il semble que le président, cette fois-ci, ne sera pas aussi...

Le Président (M. Gobé): J'ai mon caucus, mon cher collègue.

M. Boulerice: ...bienveillant. Alors, je retiens, M. Ladouceur, M. Légaré, M. Malenfant, de votre intervention, outre les choses que vous nous avez dites, qu'il faudrait, oui, une politique globale, vous y souscrivez, mais où est clairement défini quel est le rôle de l'État. Il faut faire toujours attention avec les termes; moi, j'aurais plutôt le goût de parler d'architecte dans le sens qu'il dit: Bon, bien, voilà, il nous faut une maison, mais maintenant le charpentier a son mot à dire, le plâtrier a le sien, le plombier, etc., et non pas dans le sens que vous dites où vraiment tout est très ciblé et il s'agit de voir si on entre dans la petite case, pour faire une image là, B42, etc. C'est ça que je retiens.

M. Ladouceur: Si l'État était gestionnaire de ce qui est plutôt que gestionnaire de ce qui devrait être, nous, on aurait sûrement plus confiance.

Le Président (M. Gobé): Merci.

M. Boulerice:. Pour vous remercier, si vous me permettez, juste une petite anecdote puisque vous avez fait allusion à cette magnifique série qui a montré des scènes de la vie quotidienne d'un quartier auquel nous sommes tellement attachés, le conseiller municipal, M. Lajeunesse, et moi-même travaillons activement pour que ce beau petit bout de rue prenne définitivement le nom de rue des Pignons.

M. Ladouceur: Merci.

Le Président (M. Gobé): Mme la ministre, en terminant, s'il vous plaît.

Mme Frulla-Hébert: Oui, merci. Effectivement, la remarque de plusieurs des créateurs qui sont venus nous parler était quand même générale: Aidez-nous, nous les créateurs. Mais, au niveau de l'État, vous savez, on a toujours l'impression aussi beaucoup d'aider. Quand vous nous dites: Bien, il y a eu un grand développement, mais ce n'est pas vraiment au gouvernement. Moi, je peux en parler très librement; je suis là depuis un an, alors. Mais, en fait, c'est vrai que les budgets ont augmenté, les aides ont augmenté. On a investi dans certains réseaux, etc. Mais, il y aurait peut-être maintenant lieu et il y a lieu - on le regarde de très près -maintenant, au niveau des créateurs et au niveau des artistes, d'isoler ce qu'on fait, parce qu'il y a deux choses, justement, que Mme Courchesne me disait. On a l'impression beaucoup que parler aux associations, ce n'est pas bon pour les intervenants du ministère ou on parie toujours au même parce que le retour, c'est: Bien, vous ne me parlez pas suffisamment. Et c'est la même chose au niveau des budgets. On a l'impression qu'on les augmente, puis qu'on y va à bout de bras, c'est sûr. Excepté que c'est la même chose: on dirait que bien, là, ça ne descend pas. Alors, on va regarder ça de très près parce que, effectivement, la culture part des créateurs.

Le Président (M. Gobé): Alors, messieurs, au nom des membres de cette commission, je tiens à vous remercier. Ce fut fort intéressant. Et ceci met malheureusement fin à votre audition. On aurait pu la continuer longtemps. Je crois qu'on aurait eu tellement de choses à discuter, mais, malheureusement le temps imparti est terminé. Alors, je déclare la commission suspendue à ce soir, 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 32)

(Reprise à 20 h 11)

Le Président (M. Doyon): La commission va maintenant continuer ses travaux après la suspension que nous avons eue. J'invite maintenant la ville de Roberval, représentée par M. le maire, André-Guy Laroche, à bien vouloir prendre place en avant, ainsi que M. Michel Bouchard qui, je pense, est ici, le directeur des loisirs. Je vous souhaite la bienvenue au nom de Mme la ministre, ainsi que de mon collègue de Sainte-Marie-Saint-Jacques et vous invite à faire votre présentation d'une durée d'environ 10, 15 minutes. Après ça, la conversation s'engage avec les deux côtés de la table pour vous demander des explications. Vous disposez donc, au total, d'à peu près trois quarts d'heure. Vous avez la parole, M. Laroche.

Ville de Roberval

M. Laroche (André-Guy): M. le Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs de la commission, c'est un peu pour répondre à l'aimable invitation de la ministre que je me trouve ici ce soir. Le document que vous avez entre les mains a été produit assez rapidement; cependant, il est, je pense, un élément de plus dans l'ensemble des mémoires qui vous ont été présentés.

Qu'un maire d'une municipalité de 12 000

habitants se décide à réagir à la lecture du rapport Arpin, c'est qu'il y a des éléments ou des énoncés qui irritent et blessent un régiona-liste convaincu et un individu qui a un intérêt bien particulier pour la culture et les arts.

Les irritants. Si certaines orientations nous permettent de découvrir une vision nouvelle de la culture et des arts, une approche intéressante et surtout un guide capable de favoriser l'élaboration d'une politique susceptible de faciliter un véritable accès de toute la population du Québec à la culture et aux arts, il ne faudra pas que certains irritants deviennent des vérités et des éléments pouvant compromettre une véritable réforme.

Ce n'est pas en mettant fin à l'éparpille-ment des subventions qu'on va permettre à des petits milieux d'initier des activités culturelles et de donner le goût de la culture. Ce n'est pas, non plus, en alourdissant le poids financier des municipalités qu'on va les convier à des efforts supplémentaires dans le domaine de la culture et des arts. Il ne suffit parfois que d'une aide financière minime pour permettre à des bénévoles dans un milieu de susciter des activités culturelles et sensibiliser toute une population au beau et au bien.

Ce n'est pas, non plus, en établissant un réseau sur l'ensemble du territoire du Québec, formé de trois pôles, Montréal, Québec et l'ensemble régional, pour faire de Montréal la plaque tournante de la vie culturelle, que les régions vont se nourrir des retombées de la synergie Montréal-Québec. On nous propose ce même scénario dans le domaine économique et on privilégie le sous-développement des régions aux dépens de Montréal et on assiste non seulement à la mort des régions, mais aussi à la faiblesse de plus en plus marquée de Montréal.

Sur le plan de la culture, comme sur le plan économique, permettons aux régions d'être fortes et nous reconnaîtrons une nouvelle puissance de Montréal. Cela ne veut pas dire, cependant, que Montréal n'a pas un rôle national et international à jouer sur le plan de la culture, mais, si nous voulons vraiment alimenter la vie artistique et culturelle de Montréal, faisons en sorte que les régions soient assoiffées de culture et d'arts.

Je ne peux pas désirer une chose que je ne connais pas, mais si, dans mon milieu, on m'éveille, on me sensibilise à la culture et aux arts, j'aurai peu à peu le goût du mieux. Il y a trois ans, j'ai fait découvrir à une personne de 66 ans le théâtre d'été. Or, depuis ce temps, il est un des meilleurs adeptes du théâtre d'été au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Le milieu local. Une ville qui consacre déjà plus de 3,5 % de son budget à la culture et 13,17 % aux loisirs en général ne peut plus faire d'efforts additionnels. Elle a besoin de soutien pour maintenir vivant un comité culturel, sa troupe de théâtre, ses nombreuses expositions, ses ateliers culturels, sa société d'histoire, son école de musique, son école de ballet. Quand on lit qu'il faut éliminer le saupoudrage des subventions, on se demande si la nouvelle politique ne veut pas tout simplement tuer le bénévolat et les organismes locaux qui sont à la base du développement culturel. Je le répète: Pour développer le goût de la culture, il faut absolument sensibiliser et initier les gens qui n'ont pas la chance à l'école de pouvoir vivre des expériences culturelles enrichissantes.

Par ailleurs, l'application du programme 1 % pour la réalisation d'oeuvres d'art dans les municipalités devrait, dans un premier temps, privilégier les artistes du milieu local, de manière à favoriser l'émergence de nos professionnels en arts. Et, si la compétence artistique recherchée n'est pas trouvée, le concours pourrait, par la suite, être ouvert aux autres paliers, régional et provincial.

La situation financière précaire de la majorité des organismes, les responsabilités additionnelles des municipalités dans d'autres domaines et le peu de conscience sociale pour la culture et les arts me font craindre l'abandon de certaines activités culturelles et peut-être le danger que la culture locale devienne un luxe au lieu d'un bien essentiel que seules les localités riches pourront se donner. C'est dans un effort conjugué du milieu local et du gouvernement que nous pourrons vraiment donner accès à la culture à tout le peuple québécois.

Le milieu régional. Chaque région doit compter sur une présence active et dynamique de l'unité centrale du ministère des Affaires culturelles. Les fonctionnaires régionaux ne doivent pas seulement se contenter de diffuser l'information et d'expliquer les directives ou les programmes. Ils doivent plutôt adapter les politiques aux situations particulières et soutenir les initiatives des différents milieux. Ces personnes doivent donc être le plus possible polyvalentes et travailler à la régionalisation des programmes du ministère. Je ne vois pas la nécessité d'un conseil régional de la culture dans le cadre des mandats actuels. Ce dont nous avons surtout besoin, c'est de soutien, d'encouragement et d'appui financier dans la proportion où le milieu s'implique. Quand j'entends dire d'un maire: Moi, la culture, c'est le dernier de mes soucis, ces gens-là ne méritent pas d'aide financière, mais les citoyens, par l'intermédiaire des bureaux régionaux, doivent au moins avoir droit à l'information et à la possibilité de recourir aux services régionaux.

La culture est un bien indispensable à toute collectivité. Le vieillissement de nos populations, le chômage chronique doivent permettre à nos populations d'avoir accès à d'autres choses que la télévision, les cartes pour les personnes de l'âge d'or et l'oisiveté et les bars pour les chômeurs. Tous nos milieux doivent avoir une bibliothèque bien organisée, des ateliers culturels

pour leur permettre de développer leurs talents et le goût du beau, et une sensibilisation au patrimoine architectural et aux valeurs historiques du milieu. Chaque région devrait au moins avoir des équipements adéquats pour pouvoir rapprocher de nos gens la possibilité d'assister aux grandes réalisations artistiques de Montréal.

Le ministère devra donc s'imposer si, en région, on n'est pas capable de faire l'unité et la concertation autour de l'implantation d'un équipement de haute qualité. C'est fini, des petits morceaux ici, des petits morceaux là, pour ne pas déplaire à personne. On ne peut priver toute une population régionale d'un accès aux grandes activités artistiques parce que certains milieux se donnent des vocations limitées. En région, il y a donc nécessité d'un bureau régional bien articulé, avec des pouvoirs bien définis si l'on veut que chaque région puisse bénéficier d'une politique de la culture et des arts cohérente et surtout enrichissante pour chaque citoyen.

La culture et l'école. Ce n'est pas une question de cours, ni de programme, mais bien une ambiance, une volonté, une capacité d'éveiller et de susciter chez les jeunes le goût de produire, de réaliser et de mettre leurs talents au profit de leur milieu scolaire. L'école devra donc, comme autrefois dans les collèges classiques, dégager et soutenir certains enseignants qui ont le goût de réaliser des activités culturelles.

Le rôle du ministère des Affaires culturelles. Il faut que le gouvernement, à qui incombe une responsabilité fondamentale en matière de culture et d'arts, assume son rôle pleinement et sorte des sentiers battus pour que les orientations favorisent une prise en charge par le milieu d'un développement culturel susceptible d'assurer à toute la population non seulement l'accès à la vie culturelle, mais surtout de créer un goût et un besoin de participer à la réalisation d'activités culturelles propres à l'enrichissement collectif du milieu. Donc, si l'implication financière du gouvernement doit assurer l'implantation de services essentiels (bibliothèques, patrimoine, etc. ) dans chaque milieu, le milieu doit aussi faire des efforts financiers pour favoriser l'épanouissement et le développement de la culture sur l'ensemble de son territoire.

Une autre responsabilité du gouvernement, c'est aussi d'assurer la stabilité des organismes professionnels et de faciliter leur participation à l'essor culturel des régions. Enfin, nous reconnaissons à Montréal un rôle prépondérant dans le domaine de la culture et des arts, et nous souhaitons que le gouvernement soit bien conscient de cette responsabilité.

En conclusion, pour moi, la culture, le patrimoine et les arts sont la plus grande richesse d'un peuple et la meilleure école de vie. Nul ne peut nier que le moment est venu au Québec de se doter d'une politique des arts et de la culture claire et précise. Les municipalités auront des efforts à faire, le gouvernement devra trouver des moyens pour inciter les municipalités à prendre leurs responsabilités. Mais, si le gouvernement a une vision claire et des orientations précises, je suis convaincu que le milieu saura trouver les moyens pour assurer non seulement l'épanouissement, mais le développement de la culture et des arts chez nous. Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, M. le maire. Mme la ministre.

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. le maire et bienvenue. La dernière fois qu'on s'est vus, c'était pour l'inauguration des travaux de la bibliothèque et je suis contente que vous ayez accepté, finalement, notre invitation. D'ailleurs, ça me fait plaisir que vous soyez ici parce qu'il y a deux choses. Vous parlez, d'une part, de régionalisme, comme des gens qui sont des régionalistes convaincus, ça, c'est une chose et, par contre, malgré tout, vous acceptez le fait qu'il y a Montréal métropole, Québec capitale et 16 régions distinctes interreliées qui, finalement, participent au développement culturel. Bien sûr, finalement, votre vision, parce que... Je voulais vous demander, premièrement, quand vous parlez du milieu, hein, et des responsabilités que le milieu devrait assumer, quand vous dites "milieu", à qui faites-vous référence?

M. Laroche: Je fais référence surtout au milieu en tant que municipalité, mais je peux m'élargir en termes de municipalité régionale de comté. À ce moment-là, il y a une réflexion qui pourrait se faire, je pense, quand même, parce que, dans une municipalité régionale de comté, vous avez des milieux urbains et vous avez des milieux ruraux. Alors, il pourrait y avoir une concertation de ces milieux-là pour se donner des services comme je pense parce que déjà, au niveau des municipalités régionales de comté, il y a des intérêts, il y a des points communs, il y a un sens d'appartenance qui, de plus en plus, se développe et je pense qu'éventuellement il y a des possibilités au niveau de la culture d'atteindre des objectifs intéressants dans ce domaine-là.

Mme Frulla-Hébert: Donc, vous voyez parce que, évidemment, surtout quand on participe à des conférences ou, enfin, des sommets économiques, on s'aperçoit aussi qu'il y a des guerres de clocher ou des régions où les gens, les municipalités veulent protéger leur propre développement. Donc, ce que vous me dites, c'est qu'on sent maintenant qu'il y a une volonté de concertation au niveau des différents milieux de telle sorte qu'au lieu de voir chacune des municipalités demander sa salle de concerts, à ce moment-là on pourrait regrouper tout ça.

M. Laroche: Bien, je pense que la qualité de

cet équipement-là, si vous me permettez, Mme la ministre, devrait être établie dans chacune des régions. Il est impossible que, dans une région comme la nôtre, par exemple, on en ait deux ou trois. Je pense que c'est plus que temps qu'on tranche le débat et qu'on dise qu'à un tel endroit, c'est l'équipement adéquat qu'il nous faut et puis qu'on le soutienne, qu'on fasse les efforts pour soutenir un équipement de valeur de façon à pouvoir permettre à l'ensemble de la collectivité régionale d'avoir accès à une qualité de production. Je pense qu'actuellement ce n'est plus possible de se rendre dans chacune des petites localités ou dans les localités de moindre importance. Ce n'est plus possible.

Mme Frulla-Hébert: Hum, hum. Une chose aussi, au niveau des CRC, vous êtes, enfin, un des rares intervenants qui disent que, finalement, les CRC dans les régions, compte tenu de la régionalisation du ministère, c'est plus ou moins nécessaire. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Laroche: Vous avez très bien compris. Quant à moi, le CRC, chez nous, est en train de se chercher une vocation et il n'a pas de mandat bien spécifique. Je me dis que, du moment où les politiques générales, où les orientations sont bien définies, à ce moment-là, ce dont on a besoin, c'est beaucoup plus de soutien et de personnes qui interviennent dans notre milieu pour que les programmes, pour que les orientations données puissent répondre à nos besoins et, surtout, initier dans les milieux des activités qui permettront de développer le sens de la culture chez nous.

Le Président (M. Doyon): M. le député de Rimouski.

M. Tremblay (Rimouski): M. le maire, tout à l'heure, vous avez parlé de saupoudrage. Dieu sait si, dans les régions, on a tendance à vouloir satisfaire un peu tous les milieux. Avez-vous des exemples précis dans votre région de saupoudrage? D'abord, est-ce un saupoudrage au niveau des infrastructures ou bien un saupoudrage au niveau des intervenants?

M. Laroche: C'est au niveau des activités. Le gouvernement, le ministère des Affaires culturelles subventionne actuellement des activités de base qui, à mon sens, sont essentielles et il ne faudrait pas qu'elles disparaissent. Je prends, par exemple, les subventions aux bibliothèques. Je pense aux subventions de certaines activités culturelles qu'ils ont dans notre milieu, je pense que cela est absolument nécessaire. Je ne voudrais pas que ces éléments disparaissent. Il y a, au départ, une nécessité d'aide, ensuite une exigence de la part du milieu de se prendre en main suite à l'effort fait par le gouverne-[ ment.

Le Président (M. Doyon): Merci. M. le député de Richelieu, y a-t-il une question?

M. Khelfa: Merci, M. le Président. J'aimerais vous féliciter, M. le maire. Votre vision régionaliste est très intéressante, surtout votre témoignage réaliste et pondéré. Ma question touche ce que vous avez mentionné sur les MRC et leur mission. Si je constate bien, vous seriez en mesure de convaincre vos élus autour d'une table avec la MRC et de leur demander de déterminer une mission culturelle et des infrastructures pour que cela ne soit pas une sorte d'entrecoupage entre les municipalités. Cela va être la mission du gouvernement municipal, de la MRC. De votre côté, comment pouvez-vous concilier cette prémisse qui est intéressante avec la concertation du milieu et le gouvernement. C'est quoi, le rôle du gouvernement? C'est quoi, le rôle du milieu? C'est quoi, le rôle de la MRC dans votre esprit?

M. Bouchard (Michel): Le rôle de la MRC, je vais donner un exemple bien pratique pour le comprendre. Il n'est pas possible, au niveau de l'animation culturelle, que chacune des municipalités s'engage un animateur, mais, 10 ou 12 municipalités pourraient en engager un. Au niveau de la MRC, comme chez nous il y a 10 municipalités, on pourrait engager un animateur culturel. Ce type-là pourrait initier des ateliers, pourrait initier des activités dans les différents milieux, pourrait aider les bénévoles aux bibliothèques, pourrait soutenir toute activité culturelle qui se présente dans les différentes municipalités et je parle des petites municipalités. À ce moment-là, je me dis: Quelle est la part du gouvernement? Le gouvernement, c'est une aide financière à condition que les municipalités fassent l'effort aussi pour assurer le plein emploi d'un individu comme celui-là.

M. Khelfa: Qui est le maître d'oeuvre? Est-ce la MRC, le milieu ou...?

M. Laroche: C'est la MRC.

M. Khelfa: La MRC est le maître d'oeuvre. Cela veut dire que le rôle du gouvernement va être limité seulement à dépenser et à donner une enveloppe budgétaire ou un pourcentage pour réaliser une infrastructure?

M. Laroche: Un certain pourcentage pour assurer une infrastructure.

M. Khelfa: Vous considérez que cela est le fruit d'une concertation régionale, d'une concertation avec le gouvernement.

M. Laroche: Déjà, au niveau des MRC la concertation se fait de plus en plus, sur certaines activités. Je vais donner comme exemple,

tout dernièrement chez nous, les mâchoires de vie. Ce n'est pas possible qu'il y en ait dans toutes les municipalités. La MRC s'est concertée et les gens ont dit: C'est un besoin essentiel pour sauver des vies humaines. Par conséquent, on va tout simplement demander à chacune des municipalités de se donner ce service. Je me dis: Sur le plan culturel, étant donné que c'est un bien essentiel et que, de plus en plus, on vit quand même des situations de chômage, des situations de vieillissement de la population, il va falloir à un moment donné qu'on occupe ces gens-là à autre chose. Qui va pouvoir jouer un rôle dans ce domaine? Ce n'est pas possible que dans chacune des municipalités, on puisse le faire. Je regarde simplement au niveau des clubs d'âge. On a régionalisé, on a engagé des animateurs, on a remis de la vie dans cela pour des coûts très minimes. (20 h 30)

Je me dis: Au niveau de la culture, il y a des éléments, il y a des nécessités de base qui, pour moi, sont, par exemple, un animateur culturel qui pourrait faciliter grandement l'évolution de la culture dans un milieu. Et ceci pourrait être donné par la MRC; c'est l'exemple que je vous donne.

M. Khelfa: Une dernière question, puis je vais arrêter. Moi, personnellement, j'adhère à 100 % à votre discours. Il est très intéressant puis ça serait très approprié de le mettre en application sur tout le territoire des MRC.

Mais quel est votre incitatif qui va inciter les autres maires et les autres élus de votre MRC à réaliser cette concertation? Parce qu'à l'heure actuelle nous savons que nous traversons une période assez difficile économiquement et vous allez imposer une sorte d'investissement des municipalités dans ce qu'on appelle la culture, pour ne pas dire une dépense. Ça va être un investissement. Par quel incitatif vous allez leur dire: Écoutez, mes collègues, nous devons relever le défi de la culture?

M. Laroche: Je sais que ça sera très difficile. Mais c'est au moment où ce besoin-là sera senti, c'est au moment où une politique générale sera définie par le gouvernement, où des orientations seront bien précises; j'ai nettement l'impression que le monde municipal va commencer à s'interroger sur le besoin. Et, si la population est sensibilisée, est de plus en plus amenée à souhaiter avoir des réalisations dans son milieu, elle va venir voir les responsables municipaux, puis elle va dire aux responsables municipaux: C'est le temps de vous impliquer.

Je vous donne seulement un exemple, les bibliothèques. Il y a 20 ans, des bibliothèques dans les petites municipalités il n'y en avait pas. On a créé les centrales de prêt dans les bibliothèques et, actuellement, toutes les petites municipalités ont des bibliothèques, ce qui est un élément essentiel de la culture dans le milieu. Il y en a aussi au niveau d'autres activités. De la même façon qu'on a pu regrouper les énergies au niveau des centrales de prêt pour créer une unité très valable, je me dis: Pourquoi on ne pourrait pas le faire au niveau de l'animation culturelle? Je parle de l'animation culturelle. Chez nous, par exemple, il y a des ateliers de culture. On commence par faire de la poterie, on commence par faire un petit peu de musique, on commence par faire ci, on commence par faire ça, et ça donne des activités et des regroupements intéressants. Et, au moment où on aura réussi à donner ça, j'ai bien l'impression qu'on va créer un besoin chez les gens. Et les élus sont là pour quoi? C'est pour répondre aux besoins des gens.

M. Khelfa: Si je comprends bien, vous capitalisez sur la politique culturelle au Québec.

M. Laroche: Ça nous prend une politique générale précise. Il faut savoir où on va.

M. Khelfa: Merci. Continuez votre esprit de régionalisme et puis de concertation. Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui. M. le maire, M. Bouchard, il y a deux choses d'emblée que je veux vous dire avant d'aller au questionnement. La première, je pense que c'est drôlement motivant pour les membres de cette commission d'entendre les maires puisque certains de vos collègues vous ont précédé, le maire de Sherbrooke, la mairesse de Drummondville, Trois-Rivières, Amos, etc. Bien oui, c'est un fait: on n'a jamais demandé aux municipalités de s'occuper de la culture. On ne le leur a jamais demandé. Ce n'était pas dans leur mandat. Et on a été tentés de lancer, à l'occasion, des pierres aux municipalités en disant: Ah bien, les municipalités font ça. Sauf que l'on voit apparaître graduellement, avec le temps, des maires qui ont cette sensibilité et qui ont su aussi la transmettre à leurs concitoyens.

Donc, je pense que c'est intéressant et ça détruit aussi une image qui est fausse. Si je peux employer l'expression, il y a une nouvelle génération de maires aussi. Il y a eu longtemps des maires à patinoire, des maires à voirie, mais il y a des maires à culture. Et vous en êtes un exemple.

La deuxième chose - bon, convenons de vous appeler les régionaux - c'est cette extraordinaire conviction que vous avez dans vos capacités. À chaque fois qu'il y a un groupe qui vient en cette commission, et qui vient d'une région, je ne vous le dis pas par flatterie, M. le maire, mais c'est ce que je ressens: cette confiance en soi que les gens des régions

peuvent avoir. Au moment où certains groupes deviennent frileux, en se disant: C'est épouvantable si on est réduits à une seule source de financement, qu'il y a le rapatriement, et puis c'est torturé, etc., les gens des régions, vous nous arrivez et puis vous nous dites: Écoutez, donnez-nous donc notre enveloppe. On va se débrouiller. On sait quoi faire. Et, là-dessus, je vais vous dire qu'on se rejoint. Je n'ai jamais cru qu'un ministère, aussi puissant, aussi armé qu'il puisse être, soit capable d'aller dire aux gens du Lac-Saint-Jean, comme aux gens de l'Abitibi-Témiscamingue: Chez vous, c'est ça. Je pense qu'on doit avoir une politique globale pour le grand ensemble, puisqu'on forme une nation. Mais, les contenus, ça fait partie de vos vécus et le vécu d'un Johannais... C'est comme ça qu'on appelle les gens du Lac-Saint-Jean? J'espère que je ne me tromperai pas parce que j'ai déjà fait des bourdes monumentales dans les municipalités. Au même titre que nous, les gens de Lanaudiè-re... Je dis nous puisque je suis peut-être arrivé à Montréal, mais je suis resté à Joliette. On ne quitte pas Joliette. C'est impossible. Alors, c'est cette confiance et j'aimerais que les autres groupes qui viennent aient ce sentiment et cette conviction que, vous, vous avez.

Ceci dit, tantôt, j'ai peur que mon collègue, le député de Rimouski, ait mal interprété votre mémoire. Je ne pense pas que vous souhaitiez la fin du saupoudrage. Vous vous inquiétez de ses effets.

M. Larouche: Exactement.

M. Boulerice: Chez vous, ça signifie quoi, M. le maire?

M. Laroche: Pour moi, ça signifie que je regarde l'ensemble des organismes qui sont chez nous. Avec les subventions qu'on a actuellement, ça nous permet, d'abord, de faire fonctionner la bibliothèque, ça nous permet de faire fonctionner l'ensemble des groupes de travail qu'on a ou des groupes de réalisation. Je prends l'école de ballet, chez nous, je prends l'école de musique, je prends chacun des organismes qu'on a. Ces petits organismes-là, parce qu'ils ont une subvention de base très minime, peuvent fonctionner. La subvention va, par exemple, aux livres de la bibliothèque mais le fait qu'on reçoit une subvention de x montant pour les livres de la bibliothèque, ça permet a nos municipalités de financer d'autres organismes. C'est ça qui fait qu'à un moment donné l'ensemble de la collectivité locale en profite. Puis, je me dis que, si les subventions de base, qu'on appelle le saupoudrage, on ne les a pas, vous allez exiger encore de la municipalité un effort plus grand et, à ce moment-là, on va être obligés de faire des sélections. On va dire: Bien, écoutez, la priorité, c'est quoi? C'est la bibliothèque. Bien, l'école de ballet, on ne vous aide plus, l'école de musique, on ne vous aide plus. Je regarde Mie-Mac chez nous, le groupe de théâtre qui existe depuis 20 ans. On va le laisser tomber? Ce n'est pas possible. Est-ce qu'il y a moyen d'aller chercher encore de l'argent dans le milieu? Moi, je vous dis qu'actuellement, chez nous, on est rendus à l'extrême limite, on n'est plus capables. Donc, on a encore besoin absolument d'une subvention de base qui permette à l'ensemble de notre organisation locale d'y aller.

J'irai même plus loin. Je vais dire: Donnez-nous une subvention globale de base, puis on l'affectera en fonction des priorités qu'on établira dans notre milieu. Que le gouvernement nous donne un cadre général de fonctionnement, ça va. Mais le reste, par exemple, qu'on ait au moins le jugement de pouvoir, chez nous, établir nos propres priorités, quitte à ce que le gouvernement nous. contrôle, puis vienne voir: oui, d'accord, c'est bien utilisé, c'est vraiment avantageux pour vous autres, etc. Mais je dirais, moi: Laissez-nous au moins la liberté de pouvoir faire en sorte que cet argent-là qui nous est donné profite au maximum à notre milieu.

M. Boulerice:. M. le maire, je crois que c'est à la page 5 de votre mémoire. Je vous avoue que ça m'a un peu étonné. Je ne veux pas vous engager dans une démarche qui peut-être tournerait au procès ou etc., donc vous rendre inconfortable. Mais je vous avoue que ça m'a quand même un peu étonné de voir les réticences que, vous, vous avez face aux conseils régionaux de la culture alors que, enfin, dans la quasi totalité des régions du Québec, que forcément j'ai visitées puisque, bon, ça fait quand même six ans que je suis porteur de ce dossier dans ma formation politique - tu sais, les ministres passent, le porte-parole reste - les conseils régionaux de la culture ont toujours été reconnus comme des éléments extrêmement dynamiques. Mais chez vous, il semble y avoir un problème particulier. C'est lequel?

M. Laroche: Je vous pose la question, moi: Quel est le rôle du conseil régional de la culture chez nous? Je me le suis demandé. Alors, à un moment donné, quand un organisme ne joue pas le rôle, puis que je m'interroge sur la raison pour laquelle il est là, je me dis: II faudrait se trouver d'autres moyens. À chaque fois qu'on a un besoin, nous autres, je vais vous le dire, on va au bureau du ministère qui répond à nos besoin, qui est capable de nous soutenir. Qu'est-ce que vous voulez, moi, des organismes parallèles, je n'en veux pas. Si on est pour donner au conseil régional de la culture un rôle et des pouvoirs nouveaux, on verra après. Mais, actuellement, chez nous, personnellement, je me suis toujours demandé quel était le rôle du conseil régional de la culture. Même je me demande si eux autres ne sont pas en train de s'interroger sur ce qu'ils faisaient. Alors, quand ça fait 5 ou

10 ans qu'on existe et qu'on s'interroge sur le rôle qu'on a joué, je me demande la pertinence de l'organisme. Mais c'est une vision personnelle, M. le député.

M. Boulerice: Oui. M. le maire, vous avez presque, sans utiliser les mots, proposé l'établissement d'une table Québec-municipalités pour les affaires culturelles dans l'espoir que le pacte soit un pacte qui ne pourra pas être dénié par l'une des deux parties, ce qui n'a pas été le cas de la fiscalité. "Chat échaudé craint l'eau froide." On a entendu plusieurs de vos collègues et on a établi une espèce de palmarès des municipalités; avec 3,5 %, je crois que vous êtes dans une moyenne très, très acceptable, même plus qu'acceptable. Mais, sans addition ferme, soutenue et surtout contenue dans le sens de durée, 5 ans ou quelque chose comme ça, votre municipalité ne pourrait pas aller plus loin compte tenu du délestage que vous avez subi.

M. Laroche: Ah, ça, c'est évident. Je n'ai pas employé le terme, mais, quand je parle de responsabilité du milieu et de responsabilité du gouvernement, je ne voulais pas employer le discours d'une table Québec-municipalités sur le plan de la culture, mais je pense que c'est plus que le temps qu'on puisse s'asseoir à une même table pour regarder quels sont nos rôles respectifs et nos responsabilités respectives à l'intérieur d'un cadre général et à l'intérieur d'une politique bien définie. Je pense qu'on aurait avantage, à ce moment-là, le monde municipal et le monde du gouvernement, à se parler pour d'abord bien connaître nos besoins, connaître les besoins des milieux et des municipalités. Ensuite de ça, le gouvernement pourra peut-être réajuster certaines de ses politiques.

M. Boulerice: Une dernière, mais très brève question, M. le maire. Est-ce que ce délestage vous a forcés, pour ce qui est de cette année, de l'an prochain, etc., c'est-à-dire un avenir assez immédiat, à mettre sur les tablettes - c'est une expression consacrée - des projets au niveau culturel que votre ville avait?

M. Laroche: M. le député, on aurait le goût de le faire, mais la population actuelle chez nous est trop sensibilisée et trop, je pense, impliquée sur le plan culturel pour nous permettre de commencer à faire du délestage de ce côté-là en lui disant: Écoutez, continuez et essayez de trouver de l'argent. Ce n'est pas possible. Les gens ont commencé à nous responsabiliser. Je peux vous dire que les gens de chez nous n'accepteront pas que le conseil de ville, dans son prochain budget, coupe surtout sur le plan culturel.

Le Président (M. Doyon): Merci. M. le député, en terminant.

M. Boulerice: En terminant, M. le Président, je dirais à M. Laroche, M. le maire de Roberval, et à M. Bouchard, qui est le directeur du service des loisirs, que probablement votre dernière phrase est un message très porteur pour l'avenir, quand vous dites que vous en êtes à un point tel dans cette belle ville de Roberval que, si vous deviez délester des projets culturels, la population vous en tiendrait rigueur. Donc, il y aurait une sanction électorale au bout du geste que vous poseriez. C'est la preuve effectivement de la grande sensibilité probablement des gens de votre région et de votre ville pour l'action que vous faites. Alors, je vous incite à poursuivre. De toute façon, le débat n'est pas terminé et il y aura une place aux régions, j'en suis persuadé.

Je vous remercie de nouveau, M. le maire et M. Bouchard.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député. Mme la ministre.

Mme Frulla-Hébert: M. le maire, je me joins à mon collègue pour vous remercier. Effectivement, quand on parle d'avoir confiance en soi, quand on parle de pouvoir être maître d'oeuvre de son propre développement, je pense que vous en êtes un exemple vivant. Merci, M. le maire. (20 h 45)

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, Mme la ministre. Au nom de la commission, M. le maire, et au nom des collègues, je tiens à vous remercier d'avoir pris la peine de venir nous rencontrer. Merci beaucoup.

M. Laroche: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Et bon retour à Roberval.

Maintenant, le temps est venu d'entendre un autre groupe. Il s'agit du Conseil régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue. Je vous invite à bien vouloir prendre place en avant. Sur la feuille qui m'a été remise, il y a M. Gérald Lemoyne, qui devait être accompagné de M. Fernand Bellehumeur; peut-être qu'il n'est pas là ou l'un des deux n'est pas là. Il y a M. Beliehumeur qui est ici. M. Lemoyne n'est pas ici. Alors, M. Bellehumeur, je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes ici depuis le début. Vous connaissez nos règles, je ne vous les répète pas. Vous avez donc la parole pour nous entretenir de ce qui vous tient à coeur dans le domaine de la culture, dans le beau coin de l'Abitibi-Témiscamingue.

CRDAT

M. Bellehumeur (Fernand): Merci. M. le Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs de la commission, M. Lemoyne, le président du conseil régional de développement, devait m'accompagner; j'imagine qu'il a dû avoir un contretemps et j'imagine aussi qu'il s'excuse.

Quant à moi, je tiens peut-être à vous signaler en quel honneur je suis ici. Je suis sur le conseil d'administration du conseil régional de développement, mais, par ailleurs, le mémoire que vous avez en main est présenté au nom de trois organismes. Il y a le Conseil régional de développement qui a été peut-être un peu l'initiateur de la démarche, mais il y a aussi l'association touristique et l'Union des producteurs agricoles de la région. Ça peut avoir l'air un peu cocasse que ces trois organismes se mettent ensemble pour présenter un mémoire dans le domaine de la culture, mais il y a peut-être une petite histoire assez récente, mais quand même qui est intéressante. C'est que, dans les régions périphériques en particulier, la situation alarmante de dépérissement des régions fait qu'il y a de plus en plus de personnes qui se concertent et qui essaient de voir, au moins, par une première analyse, qu'est-ce qui se passe et de voir aussi quels sont les moyens qu'on peut prendre pour éviter le dépérissement des régions. Et, particulièrement au conseil régional de développement, il y a un comité qui a été formé pour essayer de bâtir un cadre de développement ou d'avoir une pensée commune pour le conseil régional de développement. J'y ai été associé et, par après, il y a eu les états généraux du monde rural, les suivis aux états généraux qui ont réuni des personnes. Et c'est à ce moment-là que ces trois organismes se sont adonnés un peu à voir qu'ils avaient des idées communes. Quand le rapport Arpin est sorti, c'est à ce moment-là qu'il y a eu quelques rencontres qui ont fait qu'ils ont décidé de présenter un rapport commun. J'ai été demandé pour le préparer et c'est le sens de ma présence.

Comme le "rapport" n'est pas très long, on va se permettre de le lire, de le regarder au complet. On a essayé de synthétiser le plus possible, parce qu'on pensait que peut-être vous en auriez plusieurs à regarder.

Nous avons indiqué au début quels sont nos accords généraux. Là aussi, c'est très succinct et je vais les résumer rapidement. Nous sommes d'accord, d'abord, avec la visée générale du rapport Arpin qui est "d'accorder à la culture une place tout aussi importante que le social et l'économique à la table des grandes décisions qui modèlent le Québec et qui définissent les conditions de vie et de bonheur de ses citoyens." De même, nous adhérons totalement aux "trois principes fondamentaux qui éclairent et illustrent l'ensemble du texte". Et nous croyons aussi que "la culture est un bien essentiel" et que "l'activité culturelle doit être accessible à l'ensemble des citoyens".

Nous ne pouvons que souscrire à l'idée que la création est "la base de toute la vie culturelle, de sa qualité, de sa diversité, de sa vitalité et de sa spécificité", et que, sans elle, "elle verse rapidement dans la routine et l'aliénation". Et, enfin, nous sommes agréablement impressionnés par les réflexions et les analyses présentées et adhérons à la plupart des recommandations.

Tout au long du texte, il y a beaucoup d'analyses, beaucoup de choses qui sont frappantes et qui sont très intéressantes, et qui sont à garder, en tout cas, quand on veut faire une réflexion sur la vie culturelle ou sur l'avenir culturel du Québec. Et ça, il ne faudrait pas que le reste du mémoire le fasse oublier ou le laisse trop dans l'ombre. C'est pourquoi nous conclurons avec cette pensée que, même s'il y a beaucoup de critiques, peut-être, que vous entendez ou que, nous, nous allons vous présenter, il y a tellement de choses positives qu'il faudrait éviter de trop, à grands traits, barrer des pages ou des chapitres complets. Il n'y a pas de coin où il n'y a pas de choses intéressantes dans le rapport Arpin.

Ceci ne nous empêche pas, cependant, de souligner ceci: l'ensemble du document et des recommandations laisse entendre qu'il est acquis et qu'il est inévitable que la culture soit plus vivante dans les grands centres, notamment, dans les deux pôles principaux, et que c'est là qu'est la création, les régions étant surtout des lieux de diffusion. Cette approche ne tient pas compte des analyses et des recommandations faites dans le rapport sur le développement social et démographique, que le Conseil des affaires sociales a publié en janvier 1989 et qui était intitulé "Deux Québec dans un". Ces études montrent qu'une partie importante des milieux ruraux et certains coins des milieux urbains, les centres, cumulent de nombreux indices de déficience: taux d'inoccupation élevé, faibles revenus, faible instruction, etc., alors que d'autres parties du territoire offrent des conditions de vie attrayantes pour la population active. C'est un fait, ce sont des statistiques et il n'y a personne, à ma connaissance, qui a remis ça en question.

Les auteurs maintiennent que ces écarts sont dus à plusieurs causes, notamment les lois du marché et surtout un développement axé sur des pôles de croissance; il s'agit de décisions politiques. De plus, ils insistent pour que l'on considère les dépenses de l'État sous l'angle d'un investissement et que ces dépenses soient localisées davantage dans les milieux en difficulté à partir d'une philosophie politique, car les dépenses publiques peuvent faire la différence entre le progrès et la stagnation, entre l'enrichissement et l'appauvrissement, entre le développement et la dépendance. Pour les auteurs du rapport, c'est une question de choix. Il faut un coup de barre vigoureux pour renverser la tendance et le temps presse.

De plus, nous relevons une méconnaissance des déclarations des états généraux du monde rural tenus les 3, 4 et 5 février 1991, déclarations qui ont fait de larges consensus dans le Québec. Nous voulons seulement vous citer deux extraits, un du sociologue connu et reconnu,

Fernand Dumont: "La première condition pour une décentralisation véritable n'est pas d'abord de l'ordre de l'organisation et de l'administration; elle relève de la culture. Le problème le plus urgent, c'est celui du développement culturel des régions. Car à quoi pourrait bien conduire un réaménagement des structures si les régions se vident de leurs ressources créatrices et si elles sont dépourvues des moyens par lesquels s'affirment des genres de vie, s'alimentent des enracinements, se forment des prises de conscience? Il ne saurait y avoir diffusion de la culture sans création culturelle. La politique est centralisée; la culture l'est aussi. Pourquoi un plus grand nombre de troupes de théâtre, d'orchestres, par exemple, ne pourraient-ils pas s'implanter en région pour rayonner ensuite, pourquoi des artistes n'ambitionneraient-ils pas une grande carrière sans espérer partir au plus tôt pour Montréal?"

Et l'autre témoignage, celui du comédien Serge Turgeon, président et parlant au nom de l'Union des artistes, coauteur du rapport Arpin: "II faut favoriser, en région, la création sous toutes ses formes. Il s'agit de faire en sorte, notamment, que les artistes et les artisans puissent vivre dans leur milieu et de leur milieu. "

Le rapport déplore ces états de fait, et c'est souligné à plusieurs endroits, mais semble les considérer comme inéluctables, soit à cause des lois du marché, de la distribution de la population, de la faiblesse et des limites des moyens financiers de l'État, etc. Mais il n'esquisse pas de correctifs vigoureux; il n'y en a même pas. Au contraire, il met l'accent sur les pôles de croissance et d'excellence, sur les produits dits de haute qualité, sur la visibilité nationale et internationale, etc. Toutes ces choses sont bonnes, valables, nécessaires, mais, puisqu'il y a des choix à faire, qui va les faire si une proposition de politique n'ose pas s'y aventurer?

Nous avons aussi relevé des perspectives qu'on a qualifiées de dangereuses. Il est convenu que, pour diverses raisons, il est plus difficile de créer en région, que les créateurs ont tendance, pour survivre, à émigrer vers les centres. Il faut donc qu'il y ait des mesures pour contrer cette tendance et on n'en voit ni dans le texte, ni dans les recommandations.

Autant il est nécessaire d'établir des critères d'accès aux programmes de subventions, que ce soit pour les créateurs ou les organismes, autant il est nécessaire de moduler ces critères et ces normes selon les difficultés et les besoins du milieu, et selon les autres sources possibles de financement, etc. L'évolution d'une population ou d'un milieu ne se fait pas de façon continue et ne peut être de même calibre partout au même moment. Si on applique des normes et des évaluations d'une façon uniforme à travers la province, on risque de tuer la possibilité de progression à partir des capacités d'un milieu. Il ne faut pas oublier que les efforts de production et de création locales ou régionales, fussent-ils menés par des non-professionnels, font davantage pour l'éducation et l'animation culturelle des gens que la seule consommation de la culture. Ici, nous avons relevé quelques exemples.

Autant il a été intéressant d'avoir accès à la pièce de Michel Tremblay, "Albertine en cinq temps", présentée par le TPQ à Rouyn-Noranda, autant il a été important de voir, quelques années plus tard, cette même pièce montée par une troupe locale et présentée dans les cinq principales villes de la région, avec un impact autrement plus significatif dans le public. Autant il a été intéressant de pouvoir entendre l'OSM à Val-d'Or, il y a trois ans, autant il est important de permettre le défi que représente la formation d'un orchestre symphonique régional en Abitibi-Témiscamingue - il faut le faire - avec des musiciens qui viennent de tous les coins de la région et réussissent à présenter un Festival Mozart dans cinq endroits de l'Abitibi-Témis-camingue, avec une participation massive du public: 5000 auditeurs. Autant il est important de sauver le Festival des films du monde à Montréal, autant il est primordial d'appuyer un Festival du cinéma international en Abitibi, qui en est à sa dixième édition, une entreprise qualifiée de folle quand elle a commencé, qui s'est réalisée à l'encontre de toutes les lois du marché et de tous les courants, qui draine 10 000 spectateurs à Rouyn-Noranda et qui a acquis une visibilité nationale et internationale à sa façon.

On décèle une tendance à accentuer la concentration de la culture vers les villes. À preuve, dans les recommandations 78 et 79, on parle de décentralisation culturelle vers les villes et non de décentralisation culturelle tout court. Les milieux ruraux ne sont pas pris en compte.

Autre point. Quand on veut partager les responsabilités entre les fonctionnaires qui travaillent dans les directions régionales et ceux qui sont rattachés à l'administration centrale, on dit qu'il est tout à fait normal "que les responsabilités d'orientation, de planification, d'élaboration de politiques et de programmes de recherche soient de compétence de l'unité centrale du ministère", laissant aux fonctionnaires en région les fonctions de relayeurs. Mais le pouls des régions, la perception des besoins régionaux et la place du développement culturel en région risquent d'être négligés et de n'entrer que sporadiquement dans les préoccupations globales de l'administration centrale, si on n'établit pas des mécanismes serrés et constants pour que les fonctionnaires régionaux influent sur les orientations, la planification, l'élaboration de politiques et de programmes. Ce sont eux qui peuvent le faire, pas ceux du centre.

On instaure une situation de lutte continuelle entre les deux factions - parce que, en fait, ça finit par faire des factions - et d'incom-

préhension où les moins aguerris des régionaux abandonnent la partie, si jamais ils ont eu le coeur de s'y engager ou s'ils n'ont pas eu peur pour leur carrière. Je ne parie pas particulièrement du ministère des Affaires culturelles quand je dis ça; j'ai été à la fonction publique dans d'autres ministères et je n'ai jamais été aux Affaires culturelles. Si on regarde attentivement les recommandations concernant le patrimoine (42, 43, 44, 47), on se rend compte que ce qui peut exister en dehors de Montréal et de Québec est ignoré. Tout un pan du patrimoine québécois risque d'y perdre. De même, on recommande que "les institutions nationales, en particulier les musées d'État, aient l'obligation d'élaborer des programmes d'activités à l'intention des régions", sans souligner aussi qu'il faut accorder une attention particulière aux efforts locaux ou régionaux pour se doter de certains équipements élémentaires, mais qui sont très près du vécu des gens. (21 heures)

Enfin, un autre point qui nous fait problème. Pour faciliter et structurer l'apport du mécénat, on fait référence au programme Fonds d'appui au financement des arts auquel on suggère quelques correctifs, notamment en limitant l'aide "aux organismes déjà subventionnés par le ministère des Affaires culturelles pour éviter un trop grand étalement".

Cette approche risque, à la fois, de standardiser la culture et de limiter les partenaires au seul apport financier. En effet, les partenaires qui sont prêts à s'impliquer par de l'aide en argent ou en équipement - je parle de partenaires régionaux - peuvent souvent apporter beaucoup plus qu'une aide matérielle ou financière. Ils sont enracinés dans la communauté, ils apportent des points de vue complémentaires, ils ont un rayonnement différent parce qu'ils ne sont justement pas dans le domaine de la culture. Souvent ils exigent aussi d'être seuls à déterminer à qui ils veulent accorder leurs faveurs, tout en prêtant la. plupart du temps une oreille attentive aux recommandations des fonctionnaires qui sont plus près d'eux.

De plus, tout en étant d'accord avec l'objectif d'une visibilité nationale et internationale, il ne faut pas insister au point de négliger les productions plus modestes qui sont aussi l'indice de la vitalité d'une culture et qui lui donnent les assises pour un rayonnement futur. C'est certain qu'il faut éviter le saupoudrage, mais il est encore plus dangereux de ne favoriser que les produits dits de haute qualité qui risquent de ne s'adresser qu'à l'élite pointue en laissant végéter la moyenne de gens. D'autant plus qu'il est difficile de définir dans le domaine artistique ce qui est de haute qualité, et qu'il n'est pas certain que les organismes et les artistes en région puissent avoir "droit" au chapitre pour établir cette classification. D'ailleurs, je ne peux pas m'empêcher de douter que,

i probablement, les premiers qui ont lu "Les filles de Caleb" ou qui ont entendu la chanson "Le petit bonheur" de Félix Leclerc, ou la première chanson de Richard Desjardins, ou qui ont vu les premières toiles de Marc-Aurèle Fortin les classaient parmi les choses de haute qualité. Ça me surprendrait beaucoup.

Enfin, nous sommes surpris de la suggestion de créer deux autres organismes pour soutenir l'implantation et le développement d'une politique culturelle: l'observatoire des politiques culturelles et la commission consultative sur la culture. Le texte laisse entendre que l'Institut québécois de recherche sur la culture aurait dû ou devrait jouer le rôle dévolu à l'observatoire, mais on n'ose pas l'y contraindre. Et, par ailleurs, le rôle dévolu à la commission consultative sur la culture, particulièrement pour apporter des avis à la ministre sur le suivi de la politique culturelle et organiser des consultations diverses, risque, à mon sens, de faire double emploi avec les conseils régionaux de la culture, du moins pour le développement culturel en région.

D'ailleurs, la remise en question des conseils régionaux de la culture dans les recommandations 89, 90, 91, sans autre questionnement ou analyse dans le rapport, ne peut que nous laisser songeurs. On dit qu'il faut redéfinir les responsabilités et les rôles, que certains mandats ou certaines structures semblent inutiles ou inadéquats, comme si on avait un choix à faire entre les conseils régionaux de la culture et les directions régionales des ministères. Ça laisse une impression de ce style. Et, si on fait un choix entre les deux, on peut penser que ce ne sont pas les directions régionales qui vont sauter.

Enfin, il y a des affirmations qu'on trouve douteuses, qui nous ont inquiétés. On voudrait les relever. Dans la présentation des principales caractéristiques de la vie culturelle, on présente les causes de l'asymétrie de l'infrastructure des activités culturelles et on dit: "La deuxième cause, c'est la faible population et sa répartition inégale sur un vaste territoire, cela dans un domaine où les règles du jeu et de l'organisation sociale font que la culture, c'est en ville principalement qu'elle se fait". Nous aurions aimé lire que c'est plutôt partout qu'elle se fait, mais que la ville la canalise et lui donne les possibilités de se répandre davantage.

Enfin, dans la description de l'évolution du ministère des Affaires culturelles, on fait le point sur la situation actuelle et on dit que "le développement régional atteint la maturité". On se demande sur quoi est fondée cette affirmation. Si elle s'applique au domaine culturel, elle est contredite par tout le reste du document, que ce soit au plan des infrastructures, des services ou de la production. Si elle s'applique au développement socio-économique ou démographique, elle va à l'encontre de toutes les recherches et analyses du Conseil des affaires sociales. Si elle s'applique

au domaine de l'administration gouvernementale - et le paragraphe parle de la déconcentration des services gouvernementaux comme étant chose faite et d'une certaine décentralisation qui s'esquisse; ça laisse entendre qu'il s'agit de ce domaine-là - il faudrait plutôt affirmer la précarité de la situation où un pas en avant est souvent suivi de deux pas en arrière, au gré des changements de ministre, de sous-ministres ou des fois même de directeurs généraux. La tendance à la décentralisation est toujours présente et presque inscrite inexorablement dans les règles du jeu. On peut penser qu'une proposition de politique pourrait faire état de problèmes de disparités sociales et géographiques, ce qu'elle fait, sans trouver le moyen d'articuler des recommandations correctrices, ce que nous avons noté. La machine politique pourrait n'en retenir que ce qui est plus facile ou peut-être plus rentable. La machine administrative centrale pourrait à son tour, par inconscience ou intérêt, centraliser encore davantage et la boucle serait bouclée. Ça s'est déjà vu.

De plus, quand on parle de l'antagonisme national-régional, on dit: "On a tenté de contourner ces problèmes en créant, par exemple, des programmes régionaux et en allouant des enveloppes budgétaires forcément atomisées. La solution s'est avérée insatisfaisante, tant pour les créateurs que pour les diffuseurs et pour le public". Nous croyons que les insatisfactions manifestées dans les régions par rapport à ces programmes ne doivent pas faire oublier que l'appétit vient en mangeant. C'est parce qu'on a commencé à en donner que les gens commencent à en vouloir davantage. Quoique minces, ces enveloppes budgétaires ont facilité un essor jamais vu auparavant dans tous les domaines culturels. Je parle de ma région. C'est probablement la même chose ailleurs.

Si on voulait changer les mécanismes actuels, il faudrait s'assurer que ceux qu'on instaurera donneront de meilleurs résultats en région. Nous craignons l'instauration de standards ou de critères qui ne tiennent pas compte des réalités concrètes dans lesquelles se développe la vie culturelle d'une région. Cette remarque n'infirme pas le bien-fondé d'une classification à trois niveaux: supérieur, intermédiaire et émergent, pour "comprendre et assurer une gestion équitable des programmes d'aide".

Il y a quelques oublis que nous voulons signaler en terminant. Le rapport fait parfois allusion au rôle du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche dans le domaine du loisir culturel. Nous aurions aimé que soit au moins esquissé l'arrimage entre les deux organismes. Même si la frontière n'est pas toujours facile à faire entre loisir culturel et culture, surtout pour les consommateurs, il faut en arriver à clarifier les rôles des divers intervenants dans les activités concernées.

De plus, le rapport parle longuement et avec raison du rôle de l'éducation dans le développement culturel, et il souhaite "une meilleure concertation, le partage d'objectifs congruents, la coordination au niveau de l'action commune" entre le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Éducation. C'est nécessaire et bien. Mais on ne souligne pas que l'éducation se fait dans des institutions décentralisées et qu'il est fondamental d'interpeller directement les commissions scolaires qui sont les maîtres d'oeuvre de l'action. Il y a, certes, les programmes et les orientations, mais il y a aussi ceux qui les appliquent. Il y a les activités parascolaires, le partage des ressources humaines, d'équipements, etc.

Enfin, on indique le rôle des collèges et universités dans la formation professionnelle en matière culturelle, mais on oublie que ces institutions, particulièrement en région, sont ou peuvent être des lieux privilégiés et des pôles de développement culturel. Il faut au moins le reconnaître et peut-être esquisser des mécanismes pour optimiser les ressources qui y sont concentrées.

En terminant, nous voudrions dire que ces quelques pages ne doivent pas vous faire oublier la première où nous avons largement indiqué nos accords. Nous aimerions voir s'élaborer quelques recommandations dans les pistes suivantes. Il faut non seulement assurer l'équité dans l'allocation des ressources entre les pôles urbains et les régions, mais, pour corriger les retards et contrer les tendances, il faut exercer une discrimination positive envers les régions. C'est seulement de cette façon-là qu'on va rétablir l'équilibre. Il faut moduler les normes, les critères et les évaluations dans l'attribution des ressources pour les créateurs et les organismes. Il faut établir des mécanismes pour que les régionaux participent de façon systématique aux orientations, à l'élaboration de politiques et de programmes et aux évaluations.

Nous vous remercions de votre attention et je suis disponible pour apporter les éclaircissements, s'il y a lieu et si je suis capable.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bel-lehumeur. Mme la ministre, vous avez la parole.

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Bellehumeur. Je vous remercie, d'abord, pour la réflexion. On voit que vous avez vraiment épluché le rapport à fond. Je trouve intéressant aussi qu'une association touristique, un conseil régional de développement, ainsi que l'UPA se mettent ensemble pour présenter un mémoire. D'ailleurs, votre région est très dynamique en ce sens. J'aurai l'occasion aussi d'y retourner dans 15 jours, justement pour le festival du film.

Mais j'aimerais aussi que l'on parte de votre affirmation quand vous reprenez une citation de Fernand Dumont où vous dites: "La première condition pour une décentralisation

véritable n'est pas d'abord de l'ordre de l'organisation de l'administration; elle relève de la culture." Est-ce que vous avez, vous, la conviction que la culture est devenue un moteur, sinon un des principaux moteurs du développement régional?

M. Bellehumeur: Actuellement, je ne peux pas parler pour le Québec.

Mme Frulla-Hébert: Dans votre région?

M. Bellehumeur: Mais, dans ma région, ce que je remarque, moi, c'est que les gens de la région s'identifient de plus en plus à une région en essor ou qui a de l'avenir en autant qu'ils voient qu'il y a une activité culturelle qui s'y développe et qui est locale, qui a des assises locales. Quand ce n'est pas présent, c'est comme le sentiment d'appartenir a une région qui n'existe pas. Finalement, si l'on regarde les principes, quand on n'est pas capables de s'exprimer de façon correcte verbalement, mettons, on n'a pas le sentiment d'exister. Mais, quand des gens ne se reconnaissent jamais dans des oeuvres d'art de quelque façon que ce soit, ils ont l'impression de ne pas encore être sur la carte. Des événements comme le Festival de cinéma - je reviens encore une fois sur cet exemple-là parce que c'est un cas très spécial - quand ça a été lancé, on croyait que Jacques Matte était tombé sur la tête. On s'est dit: II se trompe dans les mots: un Festival de cinéma international. Pourtant, il a l'air à connaître le cinéma. Mais, après 10 ans, c'est acquis, cette affaire-là. C'est une fierté qui fait que les gens n'ont pas l'impression d'être dans une région si reculée, d'être dans une région qui n'a pas d'avenir parce qu'on se dit: On est capables de faire ça. Puis, c'est de même dans beaucoup de domaines. Qu'un peintre perce en région et que ses toiles commencent à être reconnues, même les gens qui ne s'y connaissent pas tellement en peinture vont aller voir parce qu'ils se disent: Ça, on est capables de faire ça. Et ce n'est pas nécessairement un moteur économique de premier plan tout le temps, mais c'est un moteur de motivation pour qu'on n'abandonne pas le coin même s'il y a des tempêtes. Puis, dans les temps qu'on traverse, c'est fondamental, fondamental.

Mme Frulla-Hébert: Finalement, c'est que, par exemple, l'effet Desjardins, d'une certaine façon, peut être une source de motivation pour une région beaucoup plus grande qu'un autre artiste reconnu dans une autre discipline à Montréal où finalement, c'est tellement vaste que ça se perd.

M. Bellehumeur: L'impact de ces gens-là en région est beaucoup plus grand, toutes proportions gardées, que s'ils étaient en ville. Ça en prendrait 10 pour faire la même chose en ville, pour qu'il y ait un impact significatif pour la vie montréalaise, alors que chez nous ça n'en prend pas une tonne de monde comme ça. Malheureusement, on les perd.

Mme Frulla-Hébert: Justement, quand vous dites: "Malheureusement, on les perd", on en a beaucoup parlé en région et, dans ma tournée régionale, il y a beaucoup d'artistes qui nous disent: Bon, on voudrait vivre et créer chez nous. On ne veut pas forcément s'expatrier non plus, on est bien. Par contre, on veut se faire connaître à Montréal et à Québec. Pensez-vous que cette affirmation-là est vraiment... Je comprends que, quand on le dit, on le dit avec le coeur, mais, quand on a des opportunités, par exemple, d'aller faire un développement ou enfin de se faire connaître à un plus vaste auditoire, si l'on veut, devant un plus grand marché, on a toujours tendance à quitter et, finalement, à s'en aller ailleurs. C'est la même chose aussi pour les gens de Montréal qui s'en vont à Paris, bon! Est-ce que c'est réaliste de penser, justement, que ces gens-là, on les garde chez soi? Est-ce que ce n'est pas contre la tendance et contre nature aussi?

M. Bellehumeur: II y a un nombre x de ces gens-là qui sont comme tous les autres, qu'ils soient des industriels ou des hommes d'affaires, des professionnels ou n'importe qui, qui vivent en Abitibi-Témiscamingue et qui, un jour ou l'autre, partent pour toutes sortes d'autres raisons. Des fois, il y a des raisons très concrètement familiales. Les enfants sont tous partis aux études et ça va coûter moins cher d'aller rester en ville et ils vont rester à la maison, etc. D'autres fois, c'est l'attrait de coins où le climat est plus propice. Il y a toutes sortes de facteurs. (21 h 15)

Mais il y a des irréductibles qui veulent rester en Abitibi-Témiscamingue et qui sont quasiment obligés de partir s'ils veulent vivre de leur métier et de leur art. Desjardins, c'est un cas, c'est évident; c'est un gars du coin qui ne serait jamais parti s'il avait été capable de vivre en Abitibi-Témiscamingue. Puis, il y a des musiciens qui carrément n'ont pas été capables de survivre. Dans l'écriture, c'est plus facile. Évidemment, tu peux avoir des contacts avec les maisons d'édition; ce n'est pas la distances qui coince les gens. Mais il y a des domaines où c'est très dur, très dur: le théâtre.

Les gens qui veulent vivre professionnellement dans le domaine théâtral chez nous, d'abord, ils n'ont pas de cachet pour la publicité à part des enveloppes que Radio-Nord peut leur donner. Ils ont des petites choses à faire à droite et à gauche, des petits contrats de 500 $ pour faire une petite présentation de quelque chose. C'est tout ce qu'ils peuvent avoir. Alors,

ils sont la moitié du temps sur l'aide sociale ou sur l'assurance-chômage et, le restant du temps, chez mon oncle.

Mme Frulla-Hébert: Donc, de penser... Souvent, on nous dit: Oui, mais si on nous aidait ou, enfin, si on développait des réseaux, etc. On veut bien et on essaie. Ça ne veut pas dire, non plus, finalement, qu'on ne le regarde pas de près, mais c'est quand même se leurrer que de penser que ces gens-là restent là. Finalement, c'est une tendance normale et c'est souhaitable. Il y en a d'autres qui viennent, qui s'y développent et qui partent.

M. Bellehumeur: On ne rêve pas en couleurs, évidemment. La première condition pour qu'ils y restent, c'est qu'ils le veuillent et qu'ils soient enracinés. La deuxième, c'est qu'ils soient dans des domaines où il y a un minimum de marché qui va les alimenter. Moi, je ne pense pas qu'il soit intelligent de les faire vivre. C'est la meilleure façon de tuer quelqu'un; alors, eux autres aussi. Je pense qu'il faut qu'ils gagnent leur croûte de leur métier et que ce ne soit pas complètement subventionné.

Mais il y a des domaines où il y a un minimum de vie culturelle locale qui doit exister si on veut garder nos artistes; je pense au domaine de la musique, par exemple. Qu'on foute, demain, à terre nos écoles de musique, qu'on ferme le conservatoire et qu'on coupe les subventions à l'Orchestre, eh bien, qu'est-ce qui va rester chez nous comme musiciens? Quelques amateurs, c'est tout. Mais on a actuellement réussi, c'est-à-dire que quelqu'un a réussi à former un orchestre symphonique en Abitibi en drainant les efforts de tout partout. Au début, ça ne s'écoutait quasiment pas, ce qu'ils faisaient, puis, aujourd'hui, c'a de l'allure en crime. C'est des efforts inouis. C'est des gens de tous les coins qui font ça tous les 15 jours, aller pratiquer ensemble, qui font des fins de semaine en commun, malgré les difficultés qu'ils ont avec les critères de subvention et tout ça. Pour vous donner une petite idée - quand c'est rendu chez nous, ça fait rire tout le monde - les critères exigeaient qu'ils aient une harpe dans l'orchestre symphonique. Eh bien, ça ne se promène pas dans une valise de char, ça. Ça ne sert à rien. Ils se promènent d'une ville à l'autre et ils pratiquent à droite et à gauche, mais qu'est-ce que vous voulez? Bon, bien, il y a des minima pour un orchestre et on s'en tient à ça, et c'a de l'allure ce qu'ils font. Alors, pourquoi exiger des choses qu'on va exiger de l'OSM? C'est la même chose dans n'importe quoi.

Quand on parle de modulation d'un programme ou de critères, de la même façon que les évaluateurs... Si c'est un évaluateur de l'Orchestre symphonique de Montréal qui vient à Amos écouter l'Orchestre symphonique de l'Abi-tibi, peut-être bien qu'on va manger la claque.

Mais ce n'est pas celui-là qu'il faut choisir dans ce temps-là. Il faut choisir un gars qui est ouvert aux régions et qui est capable un peu de comprendre ce que fait un orchestre symphonique régional.

Mme Frulla-Hébert: Ce qui m'amène à ma dernière question. Je me souviens, quand je suis allée chez vous, c'est ce qu'on disait. On disait que des gens des Jeunesses musicales y allaient et qu'il n'y avait presque pas d'auditoire. Par contre, quand l'orchestre donnait une performance, c'était plein. Ce qui m'amène à vous demander... La même chose dans votre exemple. quand vous parliez d'"Albertine en cinq temps" et que vous dites: Ensuite, cette même pièce montée par une troupe régionale et présentée dans les cinq principales villes de la région a connu aussi un très grand succès. Est-ce que vous souhaitez que nous axions, nous, notre soutien à la création au niveau régional plutôt que d'appuyer des organismes, des troupes ou des artistes, finalement, à développer ces tournées-là? Est-ce que notre action, nous, en région, devrait être beaucoup plus vers la création régionale au lieu d'arriver et de dire: Bien, on amène le monde et on s'organise pour que les tournées se fassent et tout ça - ça, ça fait partie d'un réseau, donc, ça va se faire - au lieu de se concentrer là-dessus, de développer beaucoup plus le côté régional spécialement pour les régions dites éloignées?

M. Bellehumeur: Ça va dépendre probablement des disciplines, ça. Les régions doivent être probablement assez différentes et, dans le temps, elles vont pouvoir évoluer différemment. Je pense, par exemple, mettons, à un domaine comme l'Atelier les Mille Feuilles, c'est un organisme régional. À ce moment-là, on peut favoriser un organisme comme ça. Ou je pense au symposium sur la peinture qui a eu lieu. Un événement comme ça est un événement régional et c'est évident qu'en l'aidant, en l'appuyant - et, en passant, il est allé chercher pas mal d'argent ailleurs qu'au gouvernement - bien, c'est formidable parce que, sans ce coup de pouce là, ça n'aurait pas été faisable et avec ça il y a moyen de faire quelque chose, et là ils peuvent être sur l'erré d'aller pendant deux, trois ans. Peut-être que, pendant les quelques années qui suivent, il suffirait d'aider un peintre ou deux et ça pourrait être suffisant, et, à un autre moment, d'autre chose. C'est difficile, à mon sens, de faire un pattern unique et de dire: C'est de cette façon-là qu'on va intervenir en région. Moi, je crois et je croirai toujours, tant qu'on n'aura pas une vraie décentralisation gouvernementale, à des enveloppes régionales. Les gens des régions, ils vont peut-être s'arracher les cheveux, ils vont peut-être se haïr, ils vont peut-être faire un tas de problèmes pour se la diviser, c'est évident, elle ne sera pas assez grosse, mais il reste que les

meilleurs arbitrages, c'est encore eux autres qui vont devoir les faire et qui les feront et, s'ils ne sont pas capables de les faire, ils vont apprendre avec le temps comment gérer quelque chose sans se nuire les uns les autres et de la façon la plus rentable possible.

Vous nous parliez tout à l'heure de théâtre. Voyez-vous, moi, je suis convaincu que ça a bien du bon sens d'arrêter de subventionner le théâtre d'été dans la majorité des villes importantes parce que les troupes n'ont probablement pas besoin de ça pour vivre et ce n'est pas nécessairement là qu'est la meilleure qualité. Mais, dans une région éloignée, si on prend le même pattern et qu'on coupe ça, bien, on coupe pratiquement la vie de la plupart des troupes de théâtre parce qu'elles ont absolument besoin de ce pain-là, l'été, pour survivre. Elles sont capables de monter une autre pièce dans l'année et c'est tout. Alors, si on coupe celle-là, qui est la seule rentable, il n'y a plus de théâtre en Abitibi-Témiscamingue. Nous autres, ça ne nous dérangerait pas que les gens qui font du théâtre d'été aient plus d'argent pour venir nous les passer pendant la saison, ils viendraient peut-être avec de quoi qui a plus d'allure.

Le Président (M. Doyon): Merci. J'ai une demande du député d'Abitibi-Ouest pour intervenir. Il n'est pas membre de la commission. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix: Oui.

Le Président (M. Doyon): M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: M. le Président, Mme la ministre, je suis très heureux de pouvoir saluer les gens de l'Abitibi, en particulier M. Bellehu-meur que j'ai l'honneur de connaître intimement. Sur le mémoire présenté, peut-être pour l'intérêt de la ministre: que le Conseil régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue soit l'instance régionale forte qui, souvent, va porter un jugement d'opportunité sur une réflexion gouvernementale ou autre chose de majeur et d'important, c'est une tradition assez bien enracinée en Abitibi-Témiscamingue. C'est sûr que cela aurait été préférable si on avait eu la chance d'avoir le président du CRDAT, mais il a eu un pépin, parce que M. Lemoyne, qu'on connaît bien aussi, devait être ici, de même que le directeur général, M. Jolin. Mais que le CRDAT ait été un peu l'initiateur d'un mémoire tripartite, compte tenu des deux autres intervenants, c'est plus qu'une association d'idées. C'est une vieille pratique de concertation en Abitibi. Je pense que c'est important de le relater pour les membres de cette commission.

Sur le mémoire comme tel, c'est sûr que non seulement j'en ai écouté la présentation, mais j'avais eu l'occasion de le recevoir; je ne pense pas que ce soit une surprise pour personne, le CRDAT me l'avait expédié en indiquant qu'il aimerait que je lui fasse part de mes commentaires. Il était même allé jusqu'à dire qu'il serait intéressant qu'il ait une lettre ou une forme d'appui quelconque, en me demandant si j'étais d'accord pour qu'il puisse la rendre publique en commission. C'est pour dire qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je ne pensais pas que ce soir j'aurais l'occasion moi-même de venir dire qu'en ce qui regarde le mémoire de l'Abitibi-Témiscamingue par le CRDAT et le conseil de la culture, de même que l'UPA, c'est important d'avoir ce son de cloche, qui a été depuis quelques années repris et répété à peu près à toutes les occasions que vous nous avez données comme gouvernement - et elles n'ont pas été aussi nombreuses qu'on l'aurait souhaite - d'entendre les intervenants dits régionaux.

Et ça me fait penser un peu à ce qu'on a entendu à la commission Bélanger-Campeau, cette espèce de cri d'alarme, dans certains cas, des régions qui, malheureusement, étaient en difficulté, mais à tous égards, autant sur le plan culturel que sur d'autres réalités de leur vécu, toujours par à peu près cette même inconsidération de ne pas tenir compte que les modèles traditionnels mur-à-mur souvent ont des conséquences désastreuses et, en particulier, dans des régions dites - pour vous autres, les gens de la ville - plus éloignées, plus marginales.

Et c'est ce que nous avons vécu en Abitibi pendant de nombreuses années. Et je pense qu'un témoignage comme celui de M. Belfehumeur, qui a une très grande expérience d'implication d'abord, de vécu à l'intérieur de la région de l'Abitibi-Témiscamingue, est intéressant pour les membres de cette commission. Puis c'a été le cas, entres autres, également de la ville d'Amos qui a présenté un mémoire suite au rapport Arpin. Et je pense que, si on se donne de regarder ce que les gens ont dit, la ville d'Amos a présenté un excellent mémoire toujours sur ce même clou, essentiellement.

Je veux revenir au mémoire du CRDAT. Juste dans une phrase, je disais ceci, dans la lettre que j'envoyais à M. Jolin: "L'important, cependant, au-delà de ce que vous avez fait", c'est-à-dire combler le silence, parler des oublis, parler des affirmations qui vous apparaissent à questionner... Qu'est-ce qu'on sent dans le mémoire du CRDAT conjointement et ainsi de suite? "Ce qu'on sent, c'est la trame de fond suivante." Et je pense que c'est ce message-là, Mme la ministre, qu'il faut surtout que vous receviez." La culture se doit d'être plus accessible partout, rayonner et grandir dans tout le Québec, et cela doit nécessairement tenir compte de la dimension régionale". Quand je dis ça, je sais bien que ça n'arrivera pas partout avec quelque politique que ce soit. Mais il faut l'avoir comme objectif. Il faut l'avoir comme objectif de pouvoir faire rayonner la culture québécoise

partout. "Ce n'est pas toujours évident - là, bien sûr, c'est moi qui parlais, mais le mémoire à la commission du CRDAT dit la même chose dans le rapport Arpin. Et c'est pourquoi vos conclusions - en parlant de leur mémoire - rappellent à juste titre... Sans vouloir les reprendre, il m'apparaît adéquat d'indiquer que l'esprit qui les anime, si elles étaient retenues, garantirait sans aucun doute un meilleur rayonnement et un plus grand impact pour ce qu'on appelle communément les régionaux. À titre d'exemple, moduler les normes, les critères et évaluations pour fins d'attribution des ressources aux organismes et aux créateurs est un préalable requis pour croire, nous aussi - et je parlais comme régional - que, dans cette profonde réflexion culturelle, on a également notre place." C'est la trame de fond du mémoire du CRDAT avec les intervenants que j'ai la chance de connaître depuis de nombreuses années.

Rapidement, deux commentaires sur le mémoire, puis j'irai à deux questions. C'est évident, M. Bellehumeur, qu'il me semble que vous avez bien fait - et ça n'a pas été assez fait, en ce qui me concerne, parce que je n'ai pas pu suivre les travaux de la commission, mais ce n'est pas parce qu'on ne suit pas les travaux de la commission qu'on ne sait pas ce qui se passe ici un peu et qu'on n'en entend pas parler - le CRDAT, d'évoquer la référence à "Deux Québec dans un", parce qu'il y a, encore là, une trame de fond qui traduit cette réalité, qui ne peut pas perdurer, de bâtir un Québec différent dépendamment des endroits où on vit.

Et même chose avec la référence aux états généraux du monde rural. Parce que la ruralité est comprise dans le domaine culturel. Si on l'oublie, on a un problème, parce qu'il y a 1 000 000 de personnes qui vivent dans le monde rural. Donc, si on ne parle pas de la dimension de la ruralité, on oublie un cinquième du Québec, on oublie 20 % du Québec. Et je ne peux pas être d'accord là-dessus. Je ne peux pas être d'accord. Il y en a 800 petites communautés de moins de 700 de population. Si on prend certaines phrases du rapport Arpin où il faut concentrer dans les villes, puis dans les grands centres la diffusion culturelle, le rayonnement de la culture, ça veut dire qu'avec l'impôt des contribuables du Québec on leur dit: Écoutez, vous autres, faites le sacrifice que la dimension culturelle, pour à peu près 800 communautés, ce n'est pas pour vous. Mais on n'a pas le droit d'avoir de telles attitudes. Et, moi, en tout cas, ce sont ces deux références qui m'ont plu particulièrement.

Je n'ai pas de trouble avec votre mémoire. Donc, je ne le commenterai pas plus. Deux questions. À la page 4, j'étais heureux également que vous indiquiez: "il faut favoriser, en région, la création sous toutes ses formes." Bien sûr, c'était la citation de Serge Turgeon qui parlait au nom de l'Union des artistes. Et là, il y avait une phrase très intéressante et, comme il est coauteur du rapport Arpin, c'était pertinent de le rappeler, mais là j'arrive à ma question. Vous dites: "Mais - en parlant du rapport Arpin - il n'esquisse pas de correctifs vigoureux." (21 h 30)

J'aimerais ça vous entendre là-dessus, très précisément, parce que, d'une part, compte tenu de l'expérience que vous avez, compte tenu de la réflexion que vous avez faite très précisément là-dessus, il me semble que ce serait intéressant, pour les membres de la commission, que vous donniez quelques précisions sur ce que vous appelez, vous, des "correctifs plus vigoureux", plus agressifs, plus précis.

M. Bellehumeur: Bien, d'abord, il y a une recommandation à la fin où on demande qu'il y ait une discrimination positive dans les programmes gouvernementaux pour les régions. S'il est vrai que le Québec des régions est en train de s'appauvrir - on constate qu'il est plus pauvre et qu'il est en train de dépérir - bien, c'est une décision politique qui doit être prise pour savoir quelle sorte de Québec on veut. Et, si on veut un Québec équilibré, sans disparités, puisque tout le monde paie les mêmes taxes, avec les mêmes principes, parce que, quand il s'agit de payer les taxes, on est jugés tous pareil, bien, quand les retours arrivent, il faudrait qu'on ait tous les mêmes chances. Or, le seul fait de vivre en région ne nous donne pas les mêmes chances. Ça ne sert à rien, on n'a pas les mêmes chances, puisqu'on est loin des grands centres, pour avoir accès à toutes les possibilités. Alors, il faut donc qu'il y ait, dans le système même, dans les programmes, une mécanique qui fasse que, si on donne tant pour un artiste, bien, quand il est en région - la façon de déterminer, c'est quoi les régions, il faudrait voir - il faudrait qu'il y ait une enveloppe plus grosse, dès le départ, que ce soit pour faire fonctionner un orchestre, que ce soit pour faire fonctionner une troupe de théâtre, que ce soit pour une subvention à un artiste en particulier ou à un organisme.

Je ne sais pas, moi, mettons quelqu'un - évidemment, pour toutes sortes de raisons, c'est à Québec - qui est à Montréal ou alentour et qui vient vous rencontrer, ça ne lui coûte pas cher. Là, je ne sais pas ce qui arrive à Lemoyne, mais, moi, je coûte 500 $ au CRDAT pour venir vous parler. Si Lemoyne est venu, ça fait 1000 $ au CRDAT pour venir dire ce qu'on pense. Il y en a que ça leur coûte 50 $, 60 $. Mais, c'est toujours comme ça. Toujours. S'il y a un instrument qui fait défaut dans l'orchestre, on ne peut pas le réparer à Rouyn. Alors, il n'y a rien à foutre. Il faut s'en venir à Montréal avec. Qui va l'amener? Comment ça coûte et on le fait revenir comment? C'est toujours comme ça. Si on a besoin de décors pour une pièce de théâtre, il faut que quelqu'un parte, qu'il prenne l'avion pour venir choisir ça ou bien trouver localement

peut-être des choses. Mais c'est toujours plus cher de créer en région. S'il y a une exposition la moindrement importante, l'artiste qui vient ici paie pour. S'il y a un musicien qui veut enregistrer, il n'y a pas de studio valable là-bas. Vous avez l'exemple de Desjardins qui l'a dit, là. Il a cotisé ses "chums" pour 10 $. Il a vendu ses disques à l'avance, 10 $, à tous ceux qu'il connaissait pour pouvoir se financer. C'est ça, la condition de travailler en région éloignée. Bien, il faut une discrimination positive. Donc, il faudrait carrément que l'assiette ne soit pas la même et qu'elle soit toujours plus grande, d'un tiers s'il le faut - je ne sais pas, moi - quand il s'agit des régions. Ça, c'est une première mesure, dans les programmes mêmes. Dans le reste, c'est l'arrimage, finalement, avec les fonctionnaires locaux en région, les programmes et tout ça qui, devrait être repensé pour que ça fonctionne de façon à ce que la création, en région, continue à être possible.

M. Gendron: Bien, je vous remercie et, comme je l'ai indiqué, M. Bellehumeur, pour cette question-là...

Le Président (M. Doyon): En terminant, M. le député, s'il vous plaît.

M. Gendron: Est-ce parce que je viens d'une région qu'il y aurait iniquité dans le partage du temps?

Le Président (M. Doyon): Non, pas du tout. Le temps est écoulé. Vous avez même eu plus de..

M. Gendron: J'ai dû mal vérifier.

Le Président (M. Doyon): Vous avez commencé... On en discutera tout à l'heure. Allez!

M. Gendron: Très rapidement. Ma dernière question, très rapidement...

Le Président (M. Doyon): Oui, oui.

M. Gendron: ...si vous me permettez, M. le Président. Vous avez évoqué, à la page 10, avec pertinence, encore là, que le rapport parle longuement et avec raison du rôle de l'éducation. Vous concluez en disant: II serait "fondamental d'interpeller directement les commissions scolaires qui sont les maîtres d'oeuvre de l'action", ce qui est encore pertinent, ce qui est exact. Là, j'aurais aimé entendre de vous une phrase ou deux sur le comment, le concret, parce que, moi, je suis sensible à ces questions reliées à l'éducation, comme critique. C'est peut-être moi, là, qui n'ai pas eu le temps de réfléchir assez. Je ne vois pas concrètement comment vous voudriez, sur le quoi faire, en termes d'interpellation directe aux commissions scolaires, si ce n'est que i bien sûr, j'espère que, de temps en temps, il y a des professeurs de français, d'art qui passent des messages, mais je pense que vous voulez quelque chose de plus spécifique. À quoi faites-vous référence exactement?

M. Bellehumeur: Bien, je vous avoue que je n'ai pas réfléchi longuement. La seule chose que j'ai remarquée, c'est qu'on parle du ministère et qu'on fait, évidemment, allusion aux programmes et aux orientations, mais, en pratique, j'aurais aimé que le rapport interpelle directement ceux qui font de ''éducation et qu'il y ait soit une recherche ou des suggestions de faites pour qu'en plus des programmes et des orientations il y ait une poussée du côté des activités parascolaires. En fait, en général, ce qui se passe dans le domaine artistique dans le système scolaire ou dans le monde de l'éducation, que ce soit dans les collèges ou dans les commissions scolaires, c'est souvent dans le parascolaire et c'est souvent dans le bénévolat des professeurs. Il y aurait peut-être lieu de réfléchir à ça.

Moi, je me souviens de mon temps de collège. Les plus beaux moments que les étudiants dans les collèges avaient, c'était dans le parascolaire, ce n'était pas dans les cours. Pour tous ceux qui ont été aux collèges classiques de l'époque dans les pensionnats, la vie qu'on avait, c'était en dehors du système quasiment, c'est quand on avait un "sideline" à côté pour avoir un petit local quoique part. On se ramassait là et c'est là qu'on "tripait". Dans les écoles, c'est encore comme ça. Je regarde un professeur comme Beauchamp à Rouyn-Noranda: il fait faire des choses qui me font tomber à terre avec ses élèves en théâtre. Je ne pensais jamais que, dans une école polyvalente comme Iberville, qui est une petite école de "toughs", il réussirait à faire du théâtre qui a de l'allure comme ça. Puis, ça marche, mais ça prend un gars qui y met ses tripes, puis il les met. Mais comment faire pour arrimer ça avec un peu d'encouragement ou je ne sais pas quoi, parce que ce n'est pas admissible, ces affaires-là? Il faudrait trouver un moyen d'aider cette création-là parce que c'est là que ça se vit.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bellehumeur.

M. Gendron: Merci.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre, quelques mots de remerciement.

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Bellehumeur, d'abord, de vous être déplacé et d'être venu nous voir. Notre remarque au dernier intervenant s'applique aussi à vous. C'est rafraîchissant de voir des gens des régions justement qui, vous avez raison, évoluent dans un contexte qui est beaucoup plus difficile à cause tout simplement

du contexte géographique et qui, finalement, avec les moyens qu'on a, toujours en espérant en avoir plus comme tout le monde, comme nous aussi, se disent: On est capables de se développer, donnez-nous juste la chance. Je pense que c'est un exemple qu'il faut regarder et suivre de très près. Merci beaucoup.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la ministre. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, un dernier mot.

M. Boulerice: Oui. M. Bellehumeur, vous avez compris que l'affection de mon collègue pour sa région est sans partage. Alors, il n'y a pas eu de partage de temps et j'ai bien noté ce que vous avez dit. Je vous remercie de votre présence.

M. Bellehumeur: Merci aussi de m'avoir écouté.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, M. Bellehumeur. Merci infiniment. Tout en vous permettant de quitter la table, j'indique maintenant que le temps est venu d'entendre Mme Josette Ferai. Je l'invite à bien vouloir prendre place en avant. Mme Ferai, vous êtes avec nous depuis le début de la soirée; alors, vous savez comment on procède. Sans plus de délai, je vous laisse la parole.

Mme Josette Ferai

Mme Ferai (Josette): Je vous remercie, M. le Président. Mme la ministre, mon intervention sera brève, parce qu'elle ne veut pas vous présenter un programme d'action qui viendrait remplacer la proposition de politique qui a été soumise à votre approbation, mais elle vise essentiellement à vous dire une chose, c'est qu'il ne peut y avoir de politique culturelle sans qu'il y ait comme préalable une politique artistique véritable. Or, dans le rapport tel qu'il a été présenté, cette question est loin d'être au centre du document. Je vais donc tenter dans les quelques minutes qui me sont données de vous dire le pourquoi d'une telle affirmation. Ce faisant, je ne résumerai pas le mémoire que je vous ai soumis, mais je choisirai délibérément de privilégier l'un des points qui s'y trouvent soulignés et qui me paraît crucial, ce sont les relations entre arts et culture. Pour ce qui touche au reste du mémoire, je répondrai à vos questions.

Donc, pourquoi ce mémoire? La première raison est que je souhaite réagir à une lecture qui m'a laissée sur ma faim. Bien sûr, la rédaction d'un projet de politique culturelle, quel qu'il soit, impose une certaine forme, un certain style qui ne laisse que peu de place aux débordements et aux analyses de fond. J'en suis bien consciente et je fais la part des choses. Mais le rapport laisse de côté certaines questions importantes et certaines analyses fondamentales qui éclairent la situation des arts aujourd'hui et l'orientation qu'il faudrait donner à une politique culturelle. Il m'a donc semblé que ce rapport aurait dû, aurait pu aller plus loin et poser en termes plus clairs certaines questions en analysant sous un éclairage différent certains problèmes. On sait parfaitement que la formulation des questions est déjà une façon d'y répondre. Or, le rapport ne dit rien sur la distinction entre arts et culture, et il choisit même de privilégier la notion de création par rapport à celle d'art. De plus, il parle peu de la part que devrait occuper une politique artistique dans une politique culturelle. Le mémoire adopte, d'ailleurs, une définition pragmatique du mot "culture" pour plus de commodité, nous dit le texte. Pourtant, la définition du mot "culture" ne peut pas être purement rhétorique et doit être posée.

Je dirais pour commencer que la notion de culture a pour limite à un extrême l'art, c'est-à-dire la pratique artistique elle-même, à l'autre les loisirs. Bien sûr, ces trois domaines, l'art, la culture, les loisirs, appartiennent au domaine plus vaste de la culture dans son sens anthropologique ou sociologique. La culture, c'est un ensemble de caractéristiques, on est bien d'accord, de modes d'être, qui transforment un ensemble d'individus en société différente des autres. Le rapport Arpin se réfère sans cesse à cette notion établissant que le rôle du ministère des Affaires culturelles est d'être un organisme d'intervention "qui travaille à faire valoir auprès de tous l'importance et la primauté de la mission culturelle; qui fasse le repérage constant de tous les moyens disponibles [...] susceptibles d'appuyer le développement de la culture." C'est la proposition 75.

Mais cette culture, quelle est-elle? Le document n'est pas clair là-dessus. La culture prise de façon si générale englobera nécessairement tout parce que nous savons aujourd'hui que tout est culturel. Comment peut-on faire une politique pour tout? Il n'est pas étonnant que les gouvernements manquent d'argent pour un tel projet. On ne peut faire une politique pour tout. Il faut nécessairement limiter la notion et le champ d'intervention.

Alors, que considère-t-on comme relevant de la sphère culturelle? Les arts visuels et les arts d'interprétation - ça, c'est la définition donnée par le rapport Arpin - la littérature, le cinéma et la télévision, l'architecture et le design, le patrimoine culturel, les industries culturelles. À quoi l'on ajoute la ressource professionnelle, le réseau de diffusion et l'éducation scolaire.

Il ne faut pas être expert pour se rendre compte que tous ces domaines culturels ne sont pas au même niveau et ne remplissent pas les mêmes fonctions. Ils font tous, bien sûr, partie de la vaste sphère culturelle, mais pas au même

titre. Certains reposent entièrement sur la création, l'imagination, l'invention; d'autres sur le savoir-faire. Certains produisent de la culture; les arts, la littérature, le cinéma d'art et d'essai, par exemple. D'autres en consomment pour produire une autre culture différente et à un autre niveau; le cinéma encore, la télévision. D'autres, enfin, se contentent de préserver de la culture pour les sociétés à venir, alimentant notre mémoire; c'est le patrimoine culturel.

Comment un seul ministère peut-il soutenir adéquatement tous ces ensembles? Cela est impossible. Aussi, est-il évident que des répartitions implicites ou explicites vont avoir lieu et qu'il y aura des laissés-pour-compte le long de la route. Mais, lorsque ces laissés-pour-compte sont les pratiques artistiques elles-mêmes qui devraient être au centre de toute politique culturelle, cela devient grave. En effet, il est clair que ce qui travaille notre société, ce qui la fait bouger, ce qui la fait penser, ce sont nos pratiques artistiques. Ce sont elles qui réinterprètent le monde pour nous, qui l'analysent, qui nous en renvoient l'image transformée. Ce sont elles qui créent de la culture.

Or, l'art ne semble plus conférer son sens à la culture et, donc, à quelque chose comme une politique, voire un ministère de la culture. L'extension du champ culturel est telle qu'il finit par couvrir tous les phénomènes sociaux, techniques, économiques, écologiques, art de vivre, éthiques, droit, religion, beaux-arts. Il couvre aussi tout le domaine du politique et du symbolique sans que l'art y occupe une place définie. Pourtant, un économiste comme John Kenneth Gal brait h notait que les industries de certaines grandes villes, dont Paris, New York et Londres, survivent quand même dans un contexte économique par ailleurs peu favorable parce qu'elles côtoient l'art. Ces affirmations ne semblent pas avoir été entendues et la culture assoit son empire de plus en plus vaste, finissant par faire oublier ce fait tout simple et pourtant fondamental que ce sont les arts qui sont le moteur de cette même culture. (21 h 45)

Nous sommes tous arrivés à la conclusion que nous devrions aider davantage les créateurs que les consommateurs de culture, disait l'un des membres du comité permanent pour les communications et la culture qui se réunissait à Ottawa en 1986. Et une association comme Les Arts et la Ville notait de son côté que les artistes produisent de l'art et ceux qui le regardent forment la culture.

Les divers gouvernements sont responsables de cette situation où la culture, conçue comme une vaste entreprise de consommation, sert de prétexte à l'édification d'une politique fondée essentiellement sur l'accès du plus grand nombre aux oeuvres, qui privilégie la réception sur la création, la consommation sur l'invention.

Il est intéressant de remarquer que per- sonne ne prétend produire de la culture. Aucun artiste, aucun écrivain, aucun cinéaste ne vous dira qu'il fait de la culture. Ils produisent tous quelque chose. L'écrivain n'écrit pas de la culture, mais il écrit un livre. Une compagnie de théâtre ne produit pas de la culture, mais une pièce. Un danseur fait une chorégraphie. C'est intéressant de remarquer que seule la télévision, Radio-Québec comme Radio-Canada, fait du culturel de façon explicite lorsqu'elle programme des émissions artistiques, lorsqu'elle programme des émissions qui parlent d'art, ce qui souligne les ambiguïtés des mots et révèle bien le flou des concepts.

En fait, tout cela souligne que, dans l'image que nous lui donnons, la culture a fini par phagocyter la pratique artistique renversant le rapport de force. C'est que la culture dérive de l'art et non l'inverse, même s'il va de soi que toute pratique artistique s'inscrit dans la culture. Cela veut dire, en d'autres termes, que ce qu'il y a au centre de toute culture, c'est une pratique artistique, que ce sur quoi repose la culture d'un pays, c'est sur ses artistes et écrivains et, donc, que toute politique culturelle doit être, avant tout et même je dirais presque exclusivement, une politique artistique. Sans politique artistique, toute politique quelle qu'elle soit ne pourra qu'être une politique de gestionnaires. Il faut à toute politique une conviction. Or, celle qui se dégage de ce rapport fait frémir. On sent le discours résigné des gestionnaires de la chose culturelle. On lit, en filigrane, la mise en sourdine des pratiques artistiques pour le plus grand bénéfice des industries culturelles, des nouvelles technologies et de l'internationalisation.

Il m'est arrivé de comparer les arts et la culture à une voiture. Les arts en seraient le moteur, d'où le titre du mémoire "Les arts: moteur de la culture", la culture serait la carrosserie. On ne peut faire une politique culturelle sur une carrosserie, celle-ci fût-elle rutilante, à la mode, avec tous les gadgets imaginables. Il faut quelque chose qui anime cette masse. Une voiture, c'est avant tout un moteur et ce dernier doit être puissant. On le soigne, on l'entretient, on s'en occupe. Sans lui, toute la belle machine s'effondre. Or, ce rapport oublie le moteur de la culture. Il semble accepter comme un fait irrémédiable que nos gouvernements ne peuvent faire plus pour les arts. En fait, il est clair que les gouvernements ont décidé une fois pour toutes qu'ils ne voulaient plus faire autant pour les arts, d'où cette invitation pressante qu'ils font aux compagnies artistiques de se tourner vers l'entreprise privée et cette pression faite sur les municipalités pour qu'elles s'impliquent davantage dans le dossier culturel. Nous savons très bien que le recours à ces deux secteurs de la société pose un nombre de problèmes tels qu'il est évident que ceci veut dire, à brève échéance, que le gouvernement se désengagera progressivement de ses responsabilités.

Je citerai simplement à titre d'exemple une recherche effectuée en 1990 par le Conseil pour le monde des affaires et des arts du Canada qui souligne que la part que représente l'aide gouvernementale dans les revenus des organismes culturels ne cesse de diminuer. Elle est passée de 10 % en 1984-1985 à 8 % en 1990. Ce qui nous permet de dire que, proportionnellement, le gouvernement fait moins aujourd'hui qu'il y a six ans.

Et, pour finir, je vous citerai un extrait du journal Le Monde sur lequel je suis tombé par hasard alors que j'étais dans l'avion il y a quelques jours et qui m'a semblé fait pour nous ce soir. Il s'agit d'un article paru le mardi, 8 octobre, donc la semaine dernière, sous la plume du cinéaste Jean-Luc Godard, à propos des mésaventures d'un centre que Lang veut créer en France qui est le centre de recherche sur les métiers de l'image et du son. Cet extrait se lit comme suit: "II faut, à notre sens, séparer la notion d'art de celle de culture." C'est évident que ça m'a fait plaisir. "Quand Beethoven compose la Septième, ce sera de l'art et si Bruno Walter la dirige aussi. Quand Karajan la dirigera, cela deviendra vite de la culture et ce sera définitivement de la culture lorsque CBS Sony en organisera la diffusion par "compact dise". Cela peut redevenir de l'art si un auditeur sincère l'écoute." Voilà qui peut alimenter la réflexion du ministère des Affaires culturelles.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, Mme Ferai. Mme la ministre.

Mme Frulla-Hébert: Merci, Mme Ferai. D'ailleurs, nous avions votre livre qui est une thèse et vous nous apportez un éclairage qui est, en fait, très différent de ce que l'on a des groupes, finalement, qui sont venus se présenter à la commission. Il y a des choses, par exemple, qui me font un peu sursauter dans un sens. Vous dites que, quand on fait appel au privé, quand on fait appel aux municipalités, quand on fait appel au partenariat, c'est parce que les gouvernements veulent se retirer. Dans le fond, je pense qu'il n'y a pas une société responsable, qui considère son développement culturel comme étant justement un projet de société, qui n'essaie pas d'avoir des partenaires tout simplement sans penser à se retirer, au contraire, mais tout simplement d'avoir des partenaires pour qu'eux aussi soient impliqués et, aussi, en bout de ligne, pour en faire plus, spécialement dans une société et dans un marché comme le nôtre qui est si petit. J'aimerais savoir d'où vient cette réflexion.

Mme Ferai: Elle vient d'une étude de ce qui se passe ici et de ce qui se passe ailleurs. D'abord, vous savez qu'au Québec le ministère soutient les compagnies artistiques à environ 50 % de leur budget, alors qu'il y a bien des pays européens où ce soutien est à 90 %, je citerai l'Allemagne. Ce qui laisse quand même une marge d'intervention assez grande. Par ailleurs, on se rend compte, pour avoir vu certaines compagnies artistiques faire ces campagnes de souscription, de la difficulté qu'elles rencontrent parce que, d'abord, il n'y a pas de tradition dans le domaine de l'aide de l'entreprise privée aux arts au Québec. Enfin, il y en a, ça se fait, ça se développe, mais ce n'est pas une tradition comme aux États-Unis où elle constitue l'essentiel de l'aide aux arts. En plus, il faut dire que, lorsque les artistes sont renvoyés du côté des entreprises privées, ils ont à lutter avec d'autres secteurs qui, eux aussi, sont renvoyés vers les entreprises privées. Donc, l'éducation, la santé, le sport, le loisir, les oeuvres de charité, tout ça, c'est au même niveau et les arts se trouvent en confrontation avec tous ces domaines. Par ailleurs, dans les entreprises privées, vous savez que ce sont souvent des commandites, ce n'est pas vraiment des dons, donc il y a une négociation qui se fait sur ce qui va être présenté, sur ce que l'entreprise va obtenir comme visibilité en échange. Il est évident qu'une entreprise qui veut de la visibilité ne va pas soutenir un certain théâtre expérimental; elle va choisir, par exemple, des compagnies qui sont déjà bien implantées. Les entreprises artistiques, les organismes artistiques le font, mais la proportion d'efforts qu'ils doivent fournir pour les maigres résultats qu'ils obtiennent fait que cette énergie pourrait très bien être investie ailleurs. Voilà pour les entreprises privées.

Pour les municipalités, je crois que le problème est clair. Les municipalités voient avec inquiétude arriver ces nouvelles charges. Souvent, elles n'ont pas l'infrastructure qui leur permet ce développement. Par ailleurs, il y a un problème au niveau des municipalités que l'une des personnes qui est passée avant moi a souligné, c'est que la différence entre loisir et culture n'est pas très claire. Donc, à plus forte raison, la différence entre culture et arts. Donc c'est très difficile de renvoyer les artistes en leur disant: Allez chercher ce complément du côté de l'entreprise privée ou des municipalités.

Mme Frulla-Hébert: Quand on parle finalement des municipalités, il y a quand même plusieurs municipalités qui viennent et qui témoignent - et on le sait pour avoir été aussi chez elles - qui s'impliquent de plus en plus et qui, effectivement, commencent à faire la différence. Parce que, vous avez raison, à un moment donné, tout était loisir et là on fait la différence entre loisir et culture, d'une part, on commence. Mais, si je suis le raisonnement, c'est un cercle vicieux dans le fond. On ne touche pas au mécénat ou aux compagnies privées parce qu'on se dit: Bien, effectivement, c'est une commandite ou, enfin, bon, il y a quand même

une perte d'énergie. Donc, vaut mieux ne pas y aller. On ne va pas voir les municipalités non plus parce qu'on se dit: Bon, les municipalités, c'est du loisir, ce n'est pas de la culture.

Mais, dans un sens, si on suit le raisonnement, le gouvernement devrait soutenir presque à 100 %, excepté qu'il n'y a pas d'implication au niveau d'un partenariat différent, donc au niveau de la société globalement. Donc, comment fait-on, d'un côté, pour dire: Allons, l'État va subventionner à 100 %. On peut bien se comparer à l'Allemagne ou se comparer aux villes européennes, excepté qu'on est 6 000 000. Il y a un certain montant d'argent que l'État peut ou ne peut pas donner et que même la société québécoise est prête à donner, mais, à un moment donné, elle aussi dit: Là, il faut arrêter, il faut en mettre ailleurs; ça, c'est une chose. Si on ne va pas chercher les partenaires, on fait quoi?

Mme Ferai: Je ne voulais pas dire qu'il ne fallait pas se tourner vers les municipalités. Je pense, au contraire, que l'avenir du développement artistique vient des municipalités. D'ailleurs, le rapport Bovey l'avait dit, lui aussi. Mais ce que je souligne, c'est qu'il y a des problèmes à se tourner vers les municipalités parce que les municipalités actuellement n'ont pas les fonds, n'ont pas l'infrastructure pour soutenir la culture et les arts. Mais c'est évident qu'une diffusion artistique, qui ne veut pas se centrer seulement dans les capitales, doit aller chercher du côté des municipalités. D'ailleurs, dans une recherche antérieure que j'ai faite, on se rend très bien compte que le gouvernement du Québec est l'un de ceux qui investissent le plus au niveau provincial et c'est celui qui a le moins de donné au niveau municipal. C'est-à-dire que l'écart est très grand entre ce que les municipalités apportent et ce que le gouvernement du Québec fait. Il y a certainement un effort à faire, mais les municipalités, c'est ça, n'ont pas actuellement l'infrastructure pour le faire.

Par ailleurs, il y a un autre problème qui n'est pas celui des pays européens. C'est que, dans un pays européen comme l'Allemagne ou l'Italie, il y a des traditions municipales, mais c'est parce que le pays aussi a commencé comme une somme de petits États. Donc, vous n'avez pas besoin de passer par Rome pour être honoré. Vous pouvez être à Milan, Venise, Florence. En fait, il y a des centres culturels forts partout en région. Alors, oui, bien sûr, il faut aller du côté des municipalités. Je crois que les municipalités le savent très bien. Je fais partie de l'association Les Arts et la Ville et je vois bien des intervenants culturels en face de moi. Ils sont très sensibilisés à leur implication et ils comprennent très bien quels sont les enjeux. Leur problème est un problème financier.

Mme Frulla-Hébert: Finalement, comme nous tous. En quelque part, et c'est pertinent, vous dites: II ne faut quand même pas trop s'éparpiller et vous pariez - et c'est ici que c'est très différent - d'une politique artistique qui est le moteur d'une politique culturelle. Si je vous suis bien, si je suis votre pensée et si j'ai bien lu, c'est qu'au lieu de s'éparpiller et de s'étendre en disant: Nous allons être un peu partout comme intervenant majeur, il faudrait quand même commencer à faire une politique artistique, donc soutenir les arts. Est-ce que j'interprète bien ce que vous dites?

Mme Ferai: Oui, vous interprétez très bien. Comme vous le savez, le défi des années quatre-vingt, enfin, des années quarante, c'est le défi culturel. Le défi de notre moitié de siècle, c'est le défi culturel. C'est quelque chose de nouveau dans les politiques. C'est quelque chose de nouveau aussi dans les modes de penser. C'est donc normal que tous les ministères aient été créés dans cette période-là. Mais, ce défi culturel marque ses insuffisances et, lorsqu'on analyse, par exemple, les budgets des ministères, en particulier du vôtre, le budget proprement artistique représente 10 % du budget culturel. C'est très peu. Ça veut dire que 90 % du budget, on peut arrondir à 85 %, disons, pour laisser 15 % d'erreur, 85 % vont à la promotion culturelle et 15 % vont aux arts. (22 heures)

Mme Frulla-Hébert: Mais c'est parce que 85 % vont, bon, à tout le réseau, réseau de bibliothèques, à l'accessibilité aux citoyens, aux musées, au réseau muséal et à tout ce qu'on avait à développer.

Mme Ferai: Absolument.

Mme Frulla-Hébert: Et, effectivement, c'est une charge énorme pour l'État, ce que d'autres partenaires, comme vous dites, telles les municipalités, ne peuvent absolument pas prendre. Alors, oui, on a de l'aide au niveau des bibliothèques, mais quand même au niveau des grands musées, par exemple, le budget de fonctionnement annuel est énorme. Donc, c'est une lourde charge au niveau de l'État et ça appartient à l'État de l'assumer. Ce qui fait que, effectivement, on a 15 % ou 10 % qui retournent directement aux artistes. Mais qu'est-ce que vous suggérez? Est-ce qu'on devrait diminuer cette accessibilité? Dans un monde idéal, il faut avoir de l'argent pour tout, bon. Mais, dans un monde réaliste où les sommes sont limitées, où, selon vous, devrait-on se concentrer?

Mme Ferai: Bon, il est difficile de faire des suggestions comme ça, rapidement. Mais je pense qu'il y a des choses tout à fait simples à faire au point de départ. D'abord, qu'il soit clair dans les discours du ministère ce qui revient à l'art et ce qui revient à la culture, et ne pas confondre le tout dans une masse qui fait que le milieu

artistique ne sait plus ce que le ministère des Affaires culturelles soutient vraiment ou alors qui fait que le milieu artistique se sent délaissé pour cette oeuvre de diffusion et de promotion culturelle. Donc, séparer déjà les budgets, avoir des chiffres clairs. Par ailleurs, je pense qu'il n'est pas du tout inconcevable de créer une structure qui aurait pour fonction de s'occuper explicitement des arts, par exemple, un conseil des arts qui ait pour seul objectif la pratique artistique, ce qui rendrait plus claire la position du ministère.

Mme Frulla-Hébert: C'est-à-dire de sortir, finalement, parce qu'on a eu une grande discussion là-dessus tout au long de la commission, du ministère, même si ça se fait par jury, toute l'aide qu'on peut donner aux arts, aux artistes et aux organismes spécifiquement artistiques - comme je l'ai dit, qui se fait par jury et non pas de façon simplement subjective - donc de le sortir et de faire un organisme à part qui s'occupe spécifiquement de cette aide aux artistes et aux organismes artistiques.

Mme Ferai: Oui, enfin, de façon à ce que les arts ne soient pas englobés, engloutis dans l'ensemble culturel.

Mme Frulla-Hébert: À ce propos, vous rejoignez un peu à ce niveau-ci la pensée du rapport Arpin qui disait tout simplement: Une politique pour la culture et les arts, et non pas une politique de la culture tout court, et qui séparait les deux.

Mme Ferai: J'aimerais pouvoir dire une politique des arts et de la culture.

Mme Frulla-Hébert: Et de la culture, bon.

Le Président (M. Doyon): Merci. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: Heureux de vous avoir inspirée. Mme Ferai, j'ai écouté avec beaucoup d'attention lorsque vous avez parlé de la commandite et, sans employer ce mot exécrable que nos amis d'outre-Atlantique emploient, le sponsoring, qui me hérisse, il y a forcément des limites quant à son bassin comme tel. Mais là où j'aimerais avoir votre opinion, puisque certains, voire même plusieurs, me l'ont exprimé, s'il y a des dangers que certains voient, à tort ou à raison on ne va pas épiloguer, de la culture et des arts d'État, il y a bien des gens qui, au niveau de la commandite, commencent à avoir la crainte qu'on finisse par développer une culture ou des arts d'entreprise, où on ne verra bien que ce qui plaît à Provigo, où on ne créera que ce qui plaît à Métro, pour ne donner que dans les chaînes alimentaires. Et je pourrais vous donner un exemple: la ministre, ses sous-ministres, son cabinet recevront, dans quelques heures, de ma part, une invitation pour une petite soirée à 100 $ du couvert, ce qui n'est quand même pas énorme, pour un groupe qui s'appelle L'oreille recousue. Ce sont des ateliers autogérés pour de jeunes peintres, de jeunes sculpteurs, enfin, de l'art contemporain. Mais on n'a pas réussi à associer des entreprises dans cette commandite. Ce n'était pas "glamour", si on peut utiliser l'expression américaine. Alors, je ne sais pas si vous partagez cette crainte que j'ai un peu également, je vous le confesse.

Mme Ferai: Cette crainte, je l'ai eue à un moment donné, il y a quelques semaines où l'Orchestre métropolitain discutait les choix de Péladeau, je crois, en matière musicale et je me suis dit que, oui, enfin, l'entreprise avait, bien sûr, des dangers, enfin, le financement par l'intermédiaire de l'entreprise. Mais, indépendamment de ces choix, qui sont quand même assez rares, où un mécène impose ses goûts artistiques, l'entreprise, même les très grandes entreprises font des choix dans la mesure où elles subventionnent surtout ce qui va leur donner beaucoup de visibilité. Donc, elles n'aident pas les organismes expérimentaux. Elles ne vont pas prendre de risques sur une création. Par conséquent, c'est très clair, on peut déterminer quel genre de productions elles vont financer. Alors, oui, je partage cette inquiétude, mais, par ailleurs, je vous dirais qu'au XVIIIe siècle ou au XVIle les mécènes choisissaient leurs artistes et c'est parce qu'ils imposaient également leur choix qu'il y a certains artistes qui sont arrivés jusqu'à nous. Alors, je pense qu'il faut faire la part des choses et les entreprises aujourd'hui ne seront pas aussi dirigistes qu'elles ont pu l'être il y a quelques siècles.

M. Boulerice: J'aurais le goût de lancer une blague: Merde pour Salieri et bravo pour Mozart. Mme Ferai, on a parlé tantôt de dirigisme, puisqu'il y a des gens qui ont cette crainte. On essaie d'être rassurants et de dire que 1984, ça date quand même d'il y a sept ans; donc, la crainte devrait s'être estompée. Et vous, vous dites, à la page 10 de votre mémoire: "Le souci constant de garantir la liberté de l'artiste - vous parlez d'un trait du rapport Arpin auquel je souscris - mais il est possible d'envisager qu'un État intervienne en privilégiant la création et en faisant une politique artistique sans que ce dernier soit pour cela accusé d'ingérence." Moi, j'aimerais ça vous entendre élaborer un peu sur cette notion-là.

Mme Ferai: Oui. Je pense qu'on est toujours prêts à voir l'autre intervenir pourvu qu'il fasse les bons choix, c'est-à-dire les choix que nous-mêmes, on souhaite. S'il intervient dans le mauvais sens, on n'est pas du tout prêts à ce qu'il intervienne. Et c'est pour ça que, dans mon

mémoire, j'ai spécifié qu'il serait bon que le gouvernement intervienne en faisant le choix de la création, c'est-à-dire en choisissant vraiment les arts. C'est une façon d'orienter une politique et c'est dans ce sens-là que je parle d'intervention. Et on peut tout à fait choisir la création en laissant l'artiste libre. C'est ce que disait un ministre européen en disant: II faut savoir être à la fois volontariste et libertaire, c'est-à-dire avoir une certaine volonté, vouloir quelque chose et, au sein de cette volonté, laisser la liberté à l'artiste.

Je parlais tout à l'heure, tiens, du centre de l'image et du son dont on parle en France et que Lang veut créer. Ce centre est un acte volontaire de la part du gouvernement, mais ce centre va être donné aux artistes; donc, au sein de ce centre, ils feront ce qu'ils veulent. Donc, on peut avoir à la fois une certaine orientation et laisser là les artistes libres de faire leur propre pratique.

M. Boulerice: Madame, cessez dans l'encensement de Lang, vous allez déplaire à M. le député de LaFontaine qui le traitait de Colbert, il y a peu de temps.

Une autre question sur un ton plus sérieux, parce que le mot employé lorsqu'il s'agit de parler d'arts et de la culture fait toujours un peu peur. Au niveau du plafonnement de l'aide aux arts et à la culture, vous parlez de rationalisation des pratiques.

Mme Ferai: Oui, je parle de rationalisation des pratiques en reprenant ce que le rapport Arpin mentionne. Parce qu'il est évident que bon... Pour qui se penche sur le milieu artistique, on constate que ce sont toujours les mêmes qui sont subventionnés et qu'il y a les mêmes laissés-pour-compte chez les artistes. Par exemple, la relève n'a pas beaucoup de place. Il y a les mêmes laissés-pour-compte dans les régions. On constate qu'il y a un grand nombre de compagnies" et ça revient sans arrêt dans les textes. Bien sûr, à cette situation, il y a des raisons conjoncturelles et des raisons historiques. On comprend très bien que ce sont toujours les mêmes qui sont subventionnés parce qu'à un certain moment ils ont été là dans les demandes et que progressivement c'est devenu un droit d'aînesse qui fait que les subventions se renouvellent d'année en année.

Alors, je pense qu'à un moment donné il y a un travail pour le ministère, qui ne cesse de dire qu'il n'a pas assez d'argent, pour s'arrêter et essayer de voir, pour lui, combien de compagnies il peut raisonnablement financer de façon adéquate. Ça ne veut pas dire limiter le nombre des compagnies ailleurs, mais ça veut dire s'interroger sur ce qu'il peut aider en nombre.

M. Boulerice: Oui. Dernière question, Mme Ferai, et je la ferai brève puisqu'il est tard autant pour vous que pour nous. À partir de votre dernière intervention qui suivait ma question, est-ce que je pourrais bien vous interpréter en disant que vous êtes en faveur - vous parliez de compagnies - d'une certaine institutionnalisation? Je pense que l'État se doit de le garantir pour certaines, naturellement, avec les balises que vous apportez, mais qu'il doit maintenir ce qu'on a appelé, dans le document, le "saupoudrage", puisque ça lui permet de donner un petit peu à certaines nouvelles compagnies. Ne pas le faire serait probablement tuer la création, donc tuer l'art.

Mme Ferai: Je vous dirai ce que disait la personne qui m'a précédée en disant que vous ne pouvez pas faire une politique globale et uniforme pour toute la province. Il faut une institutionnalisation et il faut des lieux de théâtre donnés à des hommes de théâtre, qui occupent ces lieux importants et ces institutions. Je ne suis pas en faveur du saupoudrage quand on le nomme saupoudrage. Je suis en faveur de l'aide aux régions. Et là on parlerait alors de saupoudrage pour les régions, alors que la notion de saupoudrage n'a jamais été utilisée spécifiquement pour les régions; elle a été utilisée pour une masse de compagnies qui sont souvent aidées au compte-gouttes. Les subventions de projet, par exemple, je crois que ça ne permet pas à une compagnie d'avoir une existence et un fonctionnement, et de faire de la recherche quand il y a uniquement un projet de temps en temps qui est subventionné. C'est ça, le saupoudrage.

Le Président (M. Doyon): M. le député, en terminant, s'il vous plaît.

M. Boulerice: À l'évidence, nous aurions pu poursuivre fort longtemps, Mme Ferai. Mais, au départ, ce que vous nous avez livré est fort intéressant. Mme la ministre l'a devant elle, mais je pense qu'on va être obligés de vous confesser très honnêtement, tous les deux, que, les travaux de la commission étant tellement prenants, on n'a pas fini de le lire, mais qu'au moment où la commission se terminera on va plonger dedans et on ira comparaître à votre commission, tous les deux. Merci, Mme Ferai, de votre participation et bon travail à l'UQAM, qui est un centre de grande créativité.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre, en terminant.

Mme Frulla-Hébert: Merci, Mme Ferai. Je pense que vous terminez bien cette soirée. Vous apportez aussi à la discussion certains éléments qu'on ne touche pas. Alors, effectivement, comme mon collègue l'a dit, à la fin de la commission, on va pouvoir aussi comparer, si on veut, certains de vos propos avec d'autres, finalement,

qui viennent ici et qui nous parlent soit de culture globale, soit des arts en particulier et, évidemment, aussi de tout ce soutien à la création. Je pense que, là-dessus, il y a un grand chemin à faire. Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la ministre. Alors, en vous souhaitant bonsoir, Mme Féral, en vous remerciant tout particulièrement d'être venue nous entretenir ce soir et en vous souhaitant un bon voyage de retour, j'ajourne les travaux de cette commission à demain, 9 h 30, le 16 octobre.

(Fin de la séance à 22 h 15)

Document(s) associé(s) à la séance