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Version finale

34e législature, 2e session
(19 mars 1992 au 10 mars 1994)

Le mardi 18 mai 1993 - Vol. 32 N° 24

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude détaillée du projet de loi n° 68, Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je constate que nous avons quorum, et la commission de la culture débute ses travaux. Je rappelle que le mandat de la commission de la culture est le suivant: procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française.

M. le secrétaire, pouvez-vous nous annoncer les remplacements, s'il vous plaît?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Fradet (Vimont) sera remplacé par Mme Boucher Bacon (Bour-get); M. Boisclair (Gouin) par M. Bélanger (Anjou); M. Boulerice (Sainte-Marie—Saint-Jacques) par M. Brassard (Lac-Saint-Jean); M. Bourdon (Pointe-aux-Trembles) par M. Chevrette (Joliette) et M. Paré (Shefford) par Mme Harel (Hochelaga-Maisonneuve).

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le secrétaire.

J'indique à cette commission que nous sommes réunis ici suite à un ordre de la Chambre, et l'ordre et le déroulement de nos travaux ont été prévus dans une motion qui a été présentée et adoptée par l'Assemblée nationale. Donc, nous n'avons pas, à proprement parler, à adopter l'ordre du jour, et dans les...

Oui.

Organisation des travaux M. Chevrette: M. le Président...

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député de Joliette.

M. Chevrette: ...j'ai bien compris vos propos. Comme je vous ai prévenu que je demanderais la parole, il n'y a pas de surprise, en ce sens que je veux avoir des informations avant que débute cette commission.

Vous savez pertinemment qu'il est peu coutume de n'avoir aucune séance de travail au niveau de la commission. Ça a été du tout cuit en Chambre avec une motion du leader, ce qui était contraire à toute coutume parlementaire où, normalement, on devait se rencontrer pour discuter quels groupes on invitait, etc. Mais, ce matin, on se rend compte, à l'ouverture même de cette commission, qui est télédiffusée au coût de 300 000$, me dit-on, qu'on aura de la difficulté, même comme commission, à réaliser notre mandat. Donc, j'aurais d'abord quelques questions d'information à vous demander.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député. Alors, à titre exceptionnel, en dépit de l'ordre qui devrait être exécuté derechef, c'est-à-dire avec le commencement des remarques du ministre de l'Éducation, je suis prêt à vous écouter sur quelques demandes d'information.

M. Chevrette: Merci.

Tout d'abord, M. le Président, je voudrais savoir s'il est exact, au moment où on se parle, qu'il y a au moins huit désistements et qu'il y aurait une demande au moins de trois reports, c'est-à-dire de changer de moment précis. Est-ce que la commission a été avisée? Est-ce qu'elle pourrait nous déposer les lettres de désistement ainsi que les demandes de report et quels sont les groupes, pour qu'on puisse les identifier?

Parce que si je fais cette demande, c'est pour vous signaler immédiatement qu'on ne peut plus réaliser l'ordre de la Chambre, si on a huit désistements puis trois reports. On sait que ça prendrait à nouveau, ou une motion en Chambre modifiant un ordre de la Chambre, et non plus en envoyant en commission, ce qui est très différent sur le plan de nos règlements — et vous en savez quelque chose comme président de commission — ou on va chercher ensemble un moyen de dénouer l'impasse et de faire en sorte qu'on réalise notre mandat le plus adéquatement possible devant un sujet que je pense aussi important, puis qui mobilise quand même des forces intéressantes au Québec.

Le Président (M. Doyon): Oui. Sur les demandes de désistement, vous me permettrez de vous dire qu'effectivement je suis informé qu'il y a huit organismes qui ont informé la commission, le Secrétariat, en tout cas, qu'ils n'avaient pas l'intention de se présenter devant cette commission. Je vous donne les noms. Il y a la Chambre de commerce du Québec, qui a donné cette information; il y a l'Association des hôteliers et restaurateurs du Québec; troisième groupe, il y a le Conseil des hôpitaux d'enseignement affiliés à l'Université McGill; quatrième, l'Association des détaillants en alimentation; cinquième, Conseil québécois du commerce de détail; sixième, Parti libéral du Québec; septième, l'Association des manufacturiers du Québec et le dernier et huitième, l'Association touristique des Laurentides.

Pour ce qui est des demandes de report, je suis informé qu'il y a eu quatre demandes. La première demande, c'est la Chambre de commerce du Montréal métropolitain; deuxième demande, Commission des écoles catholiques de Montréal; troisième, Mediacom, et un qui s'ajoute et qui a confirmé par écrit, j'imagine, c'est le Congrès national des Italo-Canadiens. Alors,

c'est ce que j'ai actuellement, au moment où nous nous parlons.

M. Chevrette: Bon. Est-ce que vous êtes au courant que lors d'une rencontre qui a eu lieu entre nos employés, au niveau des deux leaders, il y avait d'autres noms également qui étaient soulignés? Exemple: le conseil d'éducation anglophone du Québec qui était potentiellement un groupe qui devait se désister également? Est-ce que vous avez reçu ces lettres-là? Pas encore?

Le Président (M. Doyon): Non, rien de ce côté-là.

M. Chevrette: Est-ce que les hôpitaux affiliés à McGill ont confirmé? Parce que c'était également une annonce qu'on nous faisait.

Le Président (M. Doyon): Ça, c'était le troisième groupe, et je vous l'ai indiqué. Le Conseil des hôpitaux d'enseignement affiliés à l'Université McGill s'est désisté.

M. Chevrette: II s'est désisté également? Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: Donc, M. le Président, à stade-ci, on en a au moins huit officiels, et probablement quelques autres qui s'annoncent. On a des demandes de report, et on dit également que le mouvement municipal hésite au moment où on se parle, selon les informations que nous, nous avons dans nos pourparlers avec certains membres.

Donc, vous comprendrez, à ce stade-ci, par rapport aux groupes qui, eux, ont demandé d'être entendus... Est-ce que la commission pourrait nous faire part, maintenant, du nombre de groupes qui, eux, ont voulu se faire entendre et qui n'ont pas reçu de réponse?

Le Président (M. Doyon): Oui. Le secrétariat de la commission a reçu neuf demandes à cet effet-là. Si vous voulez, je peux vous en donner la lecture.

M. Chevrette: Oui.

Le Président (M. Doyon): II y a M. Charles Castonguay, qui est un démographe; il y a la Société Saint-Jean-Basptiste de l'ouest de l'île; la Société nationale des Québécois de l'Outaouais; le Comité national des jeunes du PQ; le Rassemblement des jeunes souverainistes, Outaouais; la Société nationale des Québécois de la capitale; la Société nationale des Québécois de la Mauricie; Société nouvelle; et, neuvième groupe, Société nationale des Québécois de Richelieu-Yamaska.

M. Chevrette: Est-ce qu'il n'a pas été dit que le Parti Égalité avait fait une demande?

Le Président (M. Doyon): Rien n'a été transmis au secrétariat de la commission par écrit; les informations que j'ai...

M. Chevrette: Oui. Ensuite, est-ce que le ministre n'avait pas manifesté le désir d'entendre Télé-Direct?

Le Président (M. Doyon): Je n'ai pas d'information que cela a été transmis au secrétariat de la commission.

M. Chevrette: Mais, au niveau des échanges, est-ce qu'on peut nous informer? Parce que ce n'est pas venu en l'air, on nous a dit que c'était une demande de M. le ministre.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le ministre.

M. Ryan: Oui, ça a été mentionné. Cet organisme a fait part de son désir d'être entendu. Nous en avons fait part à l'Opposition.

M. Chevrette: Et le Conseil catholique d'expression anglaise, est-ce qu'ils n'ont pas manifesté également au ministre le désir d'être entendus?

M. Ryan: Oui.

Le Président (M. Doyon): Le ministre dit que oui.

M. Chevrette: Le ministre dit que oui.

Donc, vous voyez, M. le Président, ce que j'ai voulu étaler par les quelques questions de départ, c'est qu'il y a des groupes qui se sont désistés, puis il y a des groupes qui, d'autre part, veulent être entendus.

Et si on lit la lettre de l'attachée du ministre, du 4 mai 1993, signée de Mme Renée-Claude Lallier, qui dit, en date du 4 mai 1993, ceci à l'avant-dernier paragraphe de la lettre: En deuxième lieu, le ministre tient à préciser que les audiences publiques seront tenues ce printemps. La commission parlementaire sur la langue et les modifications à la Charte commencera ses travaux à la mi-mai. Tous les intervenants intéressés seront appelés à venir y témoigner.

Tous les intervenants intéressés seront appelés à y témoigner. Est-ce qu'à ce stade-ci le ministre, qui a reçu de notre part au moins deux lettres indiquant une série de groupes intéressants à être entendus ici, ainsi que les groupes qui ont manifesté directement leur désir soit au ministre, soit à la commission, soit à nous, pourrait nous dire s'ils seront entendus conformément à ce que sa propre attachée politique disait il y a quelque temps, à savoir que tous les groupes intéressés seront appelés à venir y témoigner?

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député de Rimouski.

M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, la commission a reçu un ordre de la Chambre pour tenir une commission parlementaire en invitant des groupes d'une façon particulière. Alors, nous avons présenté une liste d'organismes qui devaient se présenter devant cette commission. Il y a eu quelques désistements, nous en convenons; cependant, il y a des demandes supplémentaires qui sont devant nous. Il n'est pas exclu que nous ne les entendions pas. Je pense que la commission est en plein de droit de siéger, elle a accompli sa mission, à savoir l'ordre qu'elle a reçu de la Chambre d'entendre des groupes et également de regarder s'il y a lieu d'entendre d'autres groupes, dépendamment de l'entente qu'on pourrait avoir de part et d'autre. Alors, la commission est en plein droit présentement de siéger et, en même temps, elle se doit de procéder à l'écoute de ces groupes. (10 h 20)

M. Chevrette: M. le Président...

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député.

M. Chevrette: ...je ne nie pas la légitimité de la commission sur un ordre de la Chambre; j'ai pris la peine de dire que vos propres propos, les premiers propos que vous avez prononcés étaient tout à fait justes. De là à dire qu'il y a une légitimité...

Le premier groupe, ce matin, la Chambre de commerce, ont demandé un report; ils ne sont pas ici. Les deux autres qui suivent se sont désistés. On peut bien regarder les chaises vides et dire: Bravo pour votre beau programme! Mais ce n'est pas ça, là. L'ordre de la Chambre, c'est d'écouter des groupes. La procédure utilisée fait en sorte qu'on n'est pas certain que les groupes vont venir ou qu'ils ne se désisteront pas ou qu'ils demanderont du temps pour se préparer, ce qui est normal.

Ce que je veux dire: Y a-t-il moyen de trouver une solution? J'ai prévenu la présidence en toute franchise, comme un leader doit le faire avec un président d'Assemblée pour venir à bout de trouver une solution. Ce que j'ai dit au président de l'Assemblée: Y a-t-il moyen, sans verser dans la procédure, qu'on trouve un moyen de se sortir de ce guêpier qui n'est pas habituel? Parce qu'une commission qui est maître de ses travaux, ordinairement, pourrait se convertir en séance de travail, par exemple, pendant une demi-heure, trois-quart d'heure, une heure, évaluer les groupes et dire: Comment on agence ça?

Parce que là, on a une surprise, également, là. N'oubliez pas une chose: jeudi soir, il y a le budget. Les deux groupes qui sont convoqués durant le budget, ils ne peuvent pas siéger, il n'y a aucune commission qui siège durant le budget. L'ordre de la Chambre devient caduc par lui-même.

Mercredi matin prochain, c'est la réplique du leader de l'Opposition. Il y a deux ou trois groupes qui devaient être ici. Il n'y a pas de commission durant la réplique sur le budget; donc, ça ne marche pas.

Je veux bien parler de légalité, ça ne me dérange pas, mais si on parle de légalité, je voudrais vous dire ce qui va arriver, M. le député de Rimouski: le leader devra se lever en Chambre, proposer, par un avis au feuilleton avant, un amendement à cet ordre de la Chambre. Parce que là, ce n'est pas un renvoi à la commission, c'est un amendement à l'ordre de la Chambre. Il faudrait que ce soit précédé d'une journée et, là, tous les députés ont le droit de parler sur ladite motion parce que ce n'est plus un renvoi, ce n'est plus une motion de forme, c'est une motion de fond sur modification à un ordre de la Chambre.

Moi, ça ne me fait rien. Si vous voulez jouer à ça, vous jouerez, mais je vous dis que c'est en tout esprit de collaboration que je vous arrive avec ce problème-là. Je n'avais pas d'autre moment pour y arriver. On a tenté quelques discussions au niveau de nos employés. Il n'y a eu aucune convocation officielle des leaders, il n'y a eu aucune séance de travail, et on est devant une situation qui, à mon point de vue, mérite au moins, si on est sérieux et si on veut que le débat se déroule dans un contexte des plus favorables, sans interruption, par exemple, pour la télé.

On sait ce que ça représente. On a accepté spontanément, les deux formations politiques, de faire ce débat à la télé. Encore faut-il qu'il y ait un intérêt soutenu, avec des heures et des groupes, qu'on sache s'ils viennent ou s'ils ne viennent pas. Ça ne marche pas, ça. Ça ne peut pas marcher de la manière dont on démarre, et c'est pour ça que j'ai apporté le sujet.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le leader de l'Opposition. Je suis bien sensible à vos représentations. Vous avez évoqué tout à l'heure, quand vous m'avez dit quelques mots, derrière, ici, la possibilité, soit d'une séance de travail, ce qui peut être fait aussi, et vous avez aussi parlé d'une conférence des leaders. Je suggère, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, qu'on fasse une conférence des leaders où cette question-là sera discutée entre les leaders, ce qui nous permettrait, nous autres, de commencer nos travaux, et je serai informé, en temps et lieu, du résultat de vos discussions avec le leader du gouvernement, et nous ajusterons nos travaux de la façon que nous pourrons le faire, compte tenu des ententes qui pourront avoir lieu postérieurement.

M. Chevrette: M. le Président, je vais vous faire une motion, quitte à ce qu'elle ne soit pas longue au point de vue discussion, pour s'en tirer avec la légalité de la Chambre. Je proposerais qu'on fasse un rapport intérimaire à la Chambre, qui serait déposé dès cet après-midi, qui oblige à ce moment-là l'Assemblée à convoquer les leaders. Parce que ce n'est pas nous qui pouvons convoquer les leaders ici, c'est l'Assemblée nationale; on a un ordre de l'Assemblée nationale. Donc, qu'on fasse un rapport intérimaire sur la partie... On va faire les remarques préliminaires. Je ne veux pas m'objecter à ça du tout, mais il faut bien trouver un moyen pour enclencher un autre processus qui va chan-

ger quelque chose. Et je ne pense pas que la commission puisse aller à rencontre d'un ordre de la Chambre.

Donc, je déposerais une motion qui dirait de faire un rapport préliminaire en Chambre cet après-midi, et le leader aura beau, après la période de questions, enclencher un autre processus qui réglerait les problèmes. Sinon, je ne vois pas comment on va s'en tirer.

Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: Je vous donne juste un exemple. J'ai la lettre ici du Parti libéral du Québec qui avait été dans votre motion — ce n'est toujours pas le PQ: J'ai bien reçu votre lettre du 17 mai 1993 pour une audition à la commission de la culture. Le Parti libéral du Québec n'a pas l'intention de faire des représentations à la commission, puisque le projet de loi 86 a été présenté par le gouvernement après consultation des instances du parti et qu'il reflète fidèlement le consensus dégagé au sein de ses membres.

Ils ne disent pas que les gros commerces étaient dans la proposition, mais ça ne fait rien, je vous donne un exemple.

Imaginez-vous si ça n'a pas l'air improvisé, ça! Votre propre parti, qui est dans la proposition, qui ne vient plus, qui crée quoi? Je veux dire, il faut s'en sortir. Moi, je propose donc qu'on dépose la motion suivante, et sans discussion; je suis prêt à l'adopter sans discussion. Qu'on fasse un rapport préliminaire disant qu'on a des problèmes d'agencement d'horaire. Le président pourra convoquer les leaders ou bien le leader pourra proposer un autre calendrier, avec d'autres groupes.

Ça serait intéressant, par exemple, que le ministre nous dise... Lui, il a reçu des nombres de groupes; on lui a suggéré des groupes, nous, il y en a qui ont manifesté leur désir. Il devrait nous dire aussi quels sont ceux qu'ils vont entendre. Peut-être que pour remplacer le Parti libéral ce serait intéressant d'avoir Equality qui se ferait battre sur une motion et qui applaudirait pareil pour l'autre. Ce serait bon de voir ça, comme on a vu en Chambre cette semaine. Je veux dire, ça serait intéressant de voir ça et d'assister à ça.

Le Président (M. Doyon): Mme la députée de Saint-Henri, vous avez demandé la parole.

Mme Loiselle: M. le Président, on a reçu l'ordre de la Chambre de procéder à une consultation particulière, invitant les groupes à venir se présenter en commission parlementaire. C'est un droit fondamental, une liberté fondamentale de la part des groupes de refuser ou d'accepter notre invitation; ils l'ont fait. Moi, je pense qu'il faut passer plutôt à voir à des ajustements de nos travaux, et commencer la commission parlementaire tel que la Chambre nous l'a prescrit.

M. Chevrette: M. le Président, dans ce cas, si c'est la réaction officielle du côté du gouvernement, je vais faire officiellement la motion, parce que recevoir un ordre de la Chambre, après avoir vous autres mêmes créé votre propre ordre de la Chambre, et assister à une telle improvisation, sans groupes qui viennent, qui ne viennent pas, qui se désistent, qui ne se désistent pas, même son propre parti, vous comprendrez que...

Mme Loiselle: C'est un droit fondamental, M. le Président.

M. Chevrette: On vient d'engager de la finance, 300 000 $ au moins, pour télédiffuser une série de groupes que vous aviez vous-mêmes invités, de votre propre chef, sans tenir compte de ceux qui voulaient venir ou pas.

Motion proposant que la commission

dépose un rapport intérimaire

à l'Assemblée

Je propose donc, M. le Président, «qu'en vertu de l'article 175 de notre règlement, la commission de la culture adopte et dépose à l'Assemblée nationale un rapport intérimaire lui faisant part des groupes, organismes et individus ayant exprimé leur désir d'être entendus dans le cadre de la consultation particulière sur le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française, et lui recommandant de modifier son ordre, tel qu'il fut adopté le 6 mai 1993, de manière à pouvoir entendre ceux qui en ont manifesté le souhait».

Autrement, on ne peut pas se conformer à quelque chose d'irréalisable.

Le Président (M. Doyon): M. le député, je suis prêt à vous entendre sur la question de la recevabilité de la motion.

Débat sur la recevabilité M. Guy Chevrette

M. Chevrette: La motion est recevable, M. le Président, parce qu'elle ne s'inscrit pas dans le sens de contrer la non-application de l'ordre de la Chambre, elle s'inscrit précisément dans une volonté de voir appliquer l'ordre de la Chambre qui est inapplicable, et vous en avez une preuve ce matin même: avant même qu'on commence, le premier groupe a demandé un report; les deux autres groupes se sont désistés. (10 h 30)

M. le Président, vous avez vous-même lu la liste des huit groupes qui se sont désistés, plus une couple qui ont l'intention de le faire. Vous avez lu la liste de ceux qui on manifesté le désir d'être entendus, et on est rendu à une douzaine. Donc, ce que je vous dis...

Je vous réfère au député Lemieux, de la circonscription de Vanier, qui, à trois reprises au cours des derniers temps, a été appelé à trancher sur une motion similaire. M. Lemieux soutient, et il était appuyé en

cela pas une décision du président Saintonge, qu'une motion, arrivant avant le début des travaux mais ne visant pas à empêcher la réalisation d'un ordre de la Chambre, mais plutôt à favoriser par un souhait sa réalisation ou en simplifiant le travail, aider à simplifier et à améliorer le travail, mais en ne contrant pas la réalisation de l'ordre de la Chambre, que cette motion est tout à fait recevable en fonction des normes et des règlement de l'Assemblée.

Le Président (M. Doyon): Merci. Est-ce que j'ai d'autres représentations? Oui, M. le député de Rimouski.

M. Michel Tremblay

M. Tremblay (Rimouski): Oui, M. le Président.

Je pense que la motion, telle qu'elle est formulée, elle est contraire à l'ordre de la Chambre.

Nous avons un ordre de la Chambre qui nous donne à entendre les remarques préliminaires, d'une part, et en même temps entendre les groupes qui sont déjà listés sur un document. Nous devons nécessairement procéder si nous voulons respecter l'ordre de la Chambre. Nous sommes totalement mandatés pour le faire, d'une part, ce matin, d'autant plus que nous sommes prêts pour les remarques préliminaires. Et après, vous avez proposé, M. le Président, la tenue d'une conférence des leaders qui pourrait se tenir dans les meilleurs délais et, en même temps, revenir à la Chambre et, à ce moment-là, regarder l'ordre de la Chambre qui pourrait être modifié s'il y a entente entre les leaders. S'il n'y a pas entente, à ce moment-là, la Chambre décidera. Mais, pour le moment, nous sommes totalement mandatés, nous sommes complètement mandatés pour tenir cette commission et, en même temps, entendre les remarques préliminaires. Nous sommes totalement dans l'ordre de la Chambre et nous sommes dans la légalité totale.

M. Chevrette: M. le Président...

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député.

M. Chevrette: ...je vais plaider seulement sur la recevabilité. Il parle, dans le fond, sur l'opportunité de faire quelque chose ce matin. On parle sur une motion précise, sur la recevabilité précise.

D'abord la décision de Marcel Parent, le député Marcel Parent, rendue le 8 novembre 1988 et rapportée en page 1297-1299 du procès-verbal. Le député de Sauvé, qui présidait cette commission de la culture, nous disait, et je cite cette propre commission de la culture: «La motion doit avoir pour objet d'obtenir de l'Assemblée, soit des moyens supplémentaires pour accomplir le mandat qui a été confié à la commission, soit des précisions supplémentaires sur ce mandat.» Exactement dans le sens, M. le Président, de celle que je vous ai déposée ce matin.

Par ailleurs, comme le souligne également Jean-Guy Lemieux, député de Vanier — toujours un des vôtres — dans la décision du 15 février 1993, ce n'est pas tellement loin, à la commission du budget et de l'administration, aux pages 1561 et 1562, il disait: «Subsidiaire-ment, selon Geoffrion, la présentation par la commission d'un rapport intérimaire vise à obtenir des instructions additionnelles — c'est exactement ça — de l'Assemblée permettant à la commission de poursuivre son travail.»

On a bien beau faire des remarques préliminaires, après ça, qu'est-ce que vous allez faire? Vous allez dire aux concitoyens: On devait entendre des citoyens, mais ils ne sont pas ici, et nous avons loué un système de télévision. Ce n'est pas ça, l'esprit de la commission, c'est d'entendre du monde, ce n'est pas de s'entendre nous autres, de s'écouter entre nous autres.

Je pourrais vous dire qu'il y a un autre... Le président a jugé qu'il n'était pas opportun... C'est toujours M. Lemieux... Vous vous rappellerez, il disait ceci... Je vous donnerai la date, je pense que c'est le 17 février. Il disait... Comme quoi c'est important de le faire au début d'une assemblée: Demain matin, au début de la séance, avant l'adoption de l'ordre du jour, rien ne vous empêche de présenter cette motion; vous pouvez très bien le faire. Il avait même précisé le moment précis pour le faire, c'est avant que ne débute... pour une motion du genre sur un rapport intérimaire. Donc, c'est une motion, en l'occurrence, sur des règlements qu'on voulait connaître avant. Faites-le avant que ne débutent les travaux et tout sera légal.

De sorte que vous avez de la jurisprudence en abondance, et vous avez même le conseiller qui était, chaque fois... À votre gauche, c'était le même conseiller qui était auprès de vos deux prédécesseurs que j'ai cités.

Le Président (M. Doyon): M. le ministre, sur la question de la recevabilité de cette motion.

M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, j'ai nettement l'impression, en regardant le texte du mandat qui nous a été donné par l'Assemblée nationale, que ce mandat nous enjoint de commencer les travaux ce matin, en entendant les exposés préliminaires des représentants des principaux partis.

Maintenant, la recevabilité de la motion; je n'ai pas beaucoup d'éclairage à vous donner là-dessus. En principe, je pense bien que c'est une motion qui a sa rationalité, personnellement, dont je ne contesterais pas le bien-fondé à bien des égards, mais je croyais tantôt que vous aviez ouvert une avenue qui nous permettrait de dirimer cette situation-là de manière constructive, quand vous avez suggéré qu'une conférence des leaders ait lieu.

Comme le programme de ce matin n'est pas très chargé, si nous procédions aux exposés préliminaires d'abord — et ce n'est pas parce que je tiens, moi, à présenter mon exposé; s'il est bon, il va être aussi bon

cet après-midi que ce matin, et s'il n'est pas bon, c'est la même chose évidemment — c'est parce que je ne voudrais pas qu'on s'éloigne trop de l'esprit de ce mandat qui nous a été donné par la Chambre, et je me dis: Si nous disposons de cette partie et qu'ensuite les leaders se réunissent, en viennent à des ententes quant à des ajustements possibles dans le programme, auxquels le gouvernement n'est aucunement fermé d'ailleurs, auxquels nous ne sommes aucunement fermés, à ce moment-là, il y aurait peut-être lieu que vous — c'est vous qui en jugeriez, M. le Président — réunissiez la commission en séance de travail, on a encore un petit peu de temps cet après-midi. Là, on pourrait arriver et demander à la Chambre un ajustement du mandat. La demande serait faite dans un esprit de collaboration, comme a semblé l'indiquer dans ses remarques tantôt le député de Joliette, le leader de l'Opposition. Nous ne demandons pas mieux qu'établir certains ajustements qui peuvent paraître souhaitables dans un esprit de dialogue et de collaboration. Je pense que nous avons tous les éléments pour le faire, étant donné la flexibilité qui vient s'ajouter à l'horaire de la journée par suite de désistements ou de demandes de report dont on peut comprendre le bien-fondé.

M. Chevrette: Mais est-ce que le ministre me permet une question? Si on ne leur demande pas à la Chambre... La motion vise précisément à dire: Donnez-nous les moyens de mieux structurer nos travaux parce qu'on a des problèmes. A ce moment-là, en faisant le dépôt après midi, le leader est légitimé de demander une conférence des leaders pour voir comment on se réenli-gne. C'est ça l'esprit de la motion, c'est juste d'aider... Là, je veux bien plaider le fond, si vous voulez, mais vous m'avez demandé de plaider sur la recevabilité. Tantôt, je vous ferai un plaidoyer, M. le Président, à votre demande, sur le fond, et vous allez voir que c'est pour donner la collaboration non seulement à cette commission-ci... Parce que pour dénouer l'impasse, c'est en Chambre; il faut leur demander.

Le Président (M. Doyon): Alors, s'il n'y a pas d'autres...

Oui, M. le ministre.

M. Ryan: C'est parce que le leader de l'Opposition m'a adressé une question à laquelle je voudrais répondre. Je crois bien que l'idée de demander à la Chambre un ajustement une fois qu'il y aura accord... Si on s'en va demander à la Chambre un ajustement alors qu'il n'y a pas accord de travail, ça va être un débat qui va être absolument inutile, qui va se perdre dans des interventions unilatérales de part et d'autre, qui ne changeront rien. S'il y a lieu, la conférence des leaders, ce que vous avez suggéré, que les membres de la commission soient consultés à un stade ou l'autre également, et qu'ensuite — ça peut être demain, ça peut être après-demain, si on juge qu'il y a lieu de le faire — la Chambre soit saisie d'une demande de modifica- tion du mandat qu'elle nous a donné, ce serait très bien, mais si on voulait tout faire ça pour cet après-midi, je pense que là on ne peut pas arriver. On ne peut pas arriver.

Du côté du gouvernement, je suis convaincu que le leader est prêt à se mettre à la disposition de l'Opposition tout de suite après que la première partie de nos travaux aura été faite. Les membres de la commission resteront disponibles, j'en suis sûr, du côté ministériel, pour siéger en séance de travail à votre invitation n'importe quand. Je pense qu'on arriverait à produire des résultats satisfaisants. Partout des vacances se sont créées, si on peut les combler d'une manière constructive... Vous connaissez assez le gouvernement, je pense, pour savoir qu'il n'a pas d'autre intérêt que de le faire.

Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: II s'agirait de savoir si vous la déclarez recevable ou pas.

Le Président (M. Doyon): Oui. Alors, je vais prendre cette motion en délibéré pour quelques minutes. Donc, suspension des travaux.

(Suspension de la séance à 10 h 40)

(Reprise à 10 h 52)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît!

Décision du président

Comme président, je suis saisi d'une motion par le leader de l'Opposition, motion que, avant d'en débattre, je dois déclarer recevable ou non recevable.

J'aimerais tout d'abord faire remarquer aux membres de cette commission que l'ordre de la Chambre a été donné d'entendre un certain nombre d'organismes, mais cet ordre de la Chambre ne fait aucune obligation aux organismes de se présenter devant nous. Donc, il est concevable que la Chambre donnant cet ordre devait, en même temps, envisager la possibilité qu'un certain nombre de groupes ne se présentent pas. Et, dans les circonstances, ces invitations ayant été faites et un certain nombre de groupes se désistant, il n'y a, à véritablement parler, aucune surprise ni contradiction vis-à-vis de l'ordre de la Chambre.

L'autre particularité, c'est qu'il y a une possibilité que jeudi qui vient, ainsi que mercredi de la semaine prochaine, mercredi matin par voie de conséquence, que jeudi soir soit prononcé le discours sur le budget par le ministre des Finances et que, par voie de conséquence, mercredi matin ait lieu la réplique du porte-parole de l'Opposition officielle. Cependant, cette commission n'en est pas informée officiellement, ni la Chambre d'ailleurs. Nous sommes donc dans des hypothèses qui

sont fort plausibles, mais qui ne sont pas encore établies d'une façon certaine.

Il s'agira pour la commission, bien sûr, éventuellement, quand elle sera sûre de cette éventualité, c'est-à-dire la présentation du budget jeudi soir, d'ajuster ses travaux en conséquence, et elle aura l'obligation de le faire. Mais, actuellement, nous n'en sommes pas là.

La motion qui nous est présentée actuellement va globalement dans le sens de permettre à la commission de réaménager son horaire, lui permettre de fonctionner normalement et d'arriver aux résultats qu'elle poursuit. Donc, sur la nature de la motion, je n'ai pas de problème. Ce avec quoi j'ai un problème, c'est le moment où cette motion- est présentée. Ce que je rends comme décision, c'est que cette motion, comme telle, est rece-vable, mais pas au moment où nous nous parlons, parce que nous sommes encarcanés dans un ordre de la Chambre qui ne nous donne aucune latitude. De 10 heures à 11 heures, nous devions, pour respecter cet ordre de la Chambre, entendre les remarques préliminaires du ministre responsable, du porte-parole de l'Opposition ainsi que du représentant du Parti Égalité.

Il est possible qu'ultérieurement nous soyons obligés de réaménager nos travaux, comme je l'ai dit, et à ce moment, cette motion pourrait être débattue, déclarée recevable non seulement quant à sa forme et au fond, mais quant au moment où elle est présentée pour que nous puissions en débattre. Comme président, je suggérerai quelques moyens pour qu'elle puisse donner lieu à des ententes, parce qu'une motion qui ne donne pas lieu à des ententes ne servirait à rien. Il y aura évidemment la possibilité d'une conférence des leaders, nous l'avons déjà indiqué; il y aura aussi la possibilité d'une séance de travail.

Je déclare, quant au moment choisi, cette motion, pas sur la forme, pas sur le fond, comme étant irrecevable, quitte à ce qu'elle nous revienne plus tard et qu'il puisse en être discuté à un moment opportun. Ce matin, nous sommes et je suis, comme président, responsable de voir à l'exécution et je suis ligoté en ce qui concerne l'utilisation du temps de la commission. Nous devons, cet avant-midi, entendre les remarques préliminaires.

Alors, c'est ma décision.

M. Chevrette: Oui, M. le Président, sans vous contredire — je n'ai pas le droit de contredire votre décision — je voudrais déposer à la commission, avec votre permission, le communiqué de presse de M. Gérard D. Levesque qui dit officiellement que c'est jeudi soir à 20 heures et qui va un petit peu à rencontre du fait que la commission ne soit pas avisée, puisque ça a été redistribué à chacun des députés de l'Assemblée nationale par le bureau du ministre lui-même, par M. Francis Nadeau, du cabinet du ministre des Finances, première chose.

Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: Deuxième chose, c'est une ques- tion d'information.

Si vous êtes encarcané ce matin parce que l'ordre de la Chambre dit «de 10 heures à 11 heures, vous devez entendre des remarques préliminaires», à 11 heures, vous deviez entendre le premier groupe, vous êtes encarcané. À midi, il n'y a pas d'autre groupe, vous êtes correct. Après midi, il y a désistement; vous êtes encarcané, c'est deux groupes que vous deviez entendre. Pourriez-vous m'indiquer à quel moment vous allez vous sentir désencarcané avec un ordre de Chambre que vous ne pouvez pas sortir du carcan ce matin?

Le Président (M. Doyon): J'ai évidemment envisagé cette possibilité-là. Au moment où j'aurais pu vous dire finalement qu'aucune motion et aucune discussion, aucune demande d'information n'était admissible, je l'ai fait dans le but de faciliter les travaux de cette commission.

Il est sûr que si cette commission décidait qu'il est 10 h 57 et que les remarques préliminaires sont terminées et que c'est comme ça, je serai dans rembarras. Mais je crois que nous n'avons pas intérêt à donner le spectacle d'une commission qui ne veut pas faire le travail. Compte tenu que nous nous rendons à 11 heures, actuellement, pour pouvoir accommoder le leader de l'Opposition, je pense qu'il comprendra que ce serait difficile de passer dès maintenant à une autre étape de nos travaux sans avoir fait la première.

M. Chevrette: M. le Président, vous avez fait partie de la commission de l'Assemblée nationale. Vous savez pertinemment que le seul temps, en vertu de la jurisprudence, pour présenter des motions en commission quand c'est un ordre de la Chambre, c'est avant que l'ordre du jour ne soit amorcé. Vous ne l'avez pas nié dans votre exposé, mais vous ne pouvez pas me donner une réponse...

Et c'est là que je vous pose une question très sérieuse. Vous ne pouvez pas vous sentir encarcané quant au moment précis d'un point à cause de l'ordre, qui est celui des remarques préliminaires, parce que je vous dirais: À ce moment-là, l'ordre vous dit qu'à 11 heures, c'est les chambres de commerce, voulez-vous les appeler, M. le Président? Ça serait le carcan que vous avez si j'interprète votre propre décision. Donc, je vous demanderais, M. le Président, d'appeler le premier groupe en vertu de l'ordre qui vous crée un carcan. Si on veut discuter du carcan, on va en discuter.

Le Président (M. Doyon): M. le député de Rimouski. (11 heures)

M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, avec tout le respect que j'ai pour l'Opposition officielle, je pense qu'en vertu de l'article 41 vous avez déjà rendu une décision et, nécessairement, on pourrait discuter longtemps de votre jugement à cet égard. Cependant, je pense que nous avons manifesté de notre côté une très grande ouverture d'esprit, à savoir que nous avons

proposé une conférence des leaders, ce qui n'est pas rejeté dans un premier temps. Nous vous proposons une séance de travail également, et je pense qu'en vertu de la décision de la présidence qui vient d'être rendue, nous devrions procéder à entendre les remarques préliminaires pour ne pas retarder indûment cette commission parlementaire. Après, nous pourrons disposer de votre motion, s'il y a lieu, mais pour le moment, je pense que la décision est rendue, et nous devrions procéder aux remarques préliminaires.

M. Chevrette: M. le Président, je m'excuse... Le Président (M. Doyon): M. le député.

M. Chevrette: ...mais je vais intervenir sur le fond des propos mêmes du député de Rimouski. Vous ne pouvez pas — et je sais que vous ne le feriez pas non plus — demander à un président de commission ou même de l'Assemblée nationale d'avoir des propos différents selon le moment dans lequel on se situe. L'argumentaire pour juger de l'opportunité de recevoir ou non, à mon point de vue, n'est pas valable.

Je vous pose une question de règlement à ce stade-ci. Vous avez à juger de la recevabilité ou de la non-recevabilité. Vous avez tranché qu'elle était recevable, la motion; vous avez jugé que c'était inopportun et vous me donnez l'exemple du carcan. Vous devez donc me répondre, en toute justice, quand ma proposition pourrait être présentée. Si elle n'est pas présentable au moment des remarques préliminaires, elle ne peut pas l'être à 11 heures, si vous avez un carcan, parce que c'est la Chambre de commerce qu'on voudrait entendre. C'est l'argumentaire même de vos... C'est votre propre argumentation, donc.

Je veux bien, M. le Président... Je sais, vous l'avez vous-même dit, que vous seriez mal pris, dans votre propre décision. Je ne veux pas chercher à vous prendre plus mal, davantage, mais je vous dis qu'il faut au moins une cohérence au niveau de la décision. Moi, je pense que vous aviez l'opportunité, en deux phrases, de dire: C'est l'Assemblée nationale qui a décidé. On lui fait rapport comme quoi on ne peut pas s'en sortir correctement pour faire des travaux cohérents. On vous fait un rapport préliminaire et l'Assemblée nationale va le modifier. Parce qu'on ne peut pas le modifier selon la décision du président, on ne peut plus modifier l'ordre de la Chambre. Donc, à 15 heures, on va venir ici, on va appeler les manufacturiers québécois. Où sont-ils? C'est un ordre de les entendre. Ils se sont désistés. Bonjour! Merci.

On va entendre à 16 heures. Vous allez appeler le groupe. Bonjour! Vous deviez venir... Ils ne sont pas là. Vous fermez la TV et vous rentrez jusqu'à 18 heures. Voyons! Ça ne marche pas de même, ça! Si vous voulez qu'un Parlement fonctionne, il aurait fallu au moins prendre la précaution d'appeler les groupes quand on les a cédulés, quand on veut se barricader dans une formule fermée. Et j'écoutais le ministre dire: C'est un droit le plus fondamental que de se désister. Est-ce que c'est un droit fondamental que de se faire entendre, M. le ministre? Il y a des groupes qui veulent se faire entendre. Droit pour droit, on peut en discuter un petit peu! Vous vous êtes montré ouvert, depuis quelques jours, mais après que vous l'avez dit, vous vous refermez tout de suite.

Pourriez-vous vous ouvrir et nous dire quels groupes vous voulez entendre? On va combler les endroits où il y a de la place et on va entendre le Conseil de langue et on va entendre les jeunes qui veulent être entendus, les étudiants. On va entendre la société nationale de l'ouest de Montréal, pour faire plaisir à M. Libman, et etc. On va pouvoir se parler un peu. Ça doit être un droit aussi fondamental de se faire entendre que celui de se taire ou de se désister.

Le Président (M. Doyon): M. le député de Richelieu.

M. Chevrette: Le PLQ s'est désisté. A-t-il été consulté avant de faire partie de la motion de M. Paradis en Chambre? Parce qu'il dit que vous avez décidé selon sa propre résolution du conseil. Ça aurait été intéressant de demander au Parti libéral. Et vous n'ajoutez pas que les grands commerces ne devraient pas afficher, pour voir si ça s'inspirait bien de la décision du conseil national; ils ne viennent plus. On fait quoi, de l'improvisation?

Le Président (M. Doyon): M. le député de Richelieu.

M. Khelfa: Merci, M. le Président.

Je constate la volonté du leader de l'Opposition de faire avancer les travaux d'une façon remarquable. Il a une ouverture proverbiale. Il a une expérience très claire de ne pas mettre de carcan quand il veut et de mettre des carcans quand il ne veut pas, mais je reviens sur la motion.

La motion est intéressante. Vous l'avez mentionné avec sagesse, M. le Président. Elle pourrait être présentée au moment opportun. À mon sens, l'ouverture de la conférence des leaders avec une séance de travail, ça serait opportun si l'objectif premier du leader de l'Opposition est de faciliter les travaux de notre commission, c'est de retourner au mandat même, à la motion même. L'objectif et la nature de notre mandat, ça veut dire écouter les remarques préliminaires des groupes, du ministre et de l'Opposition, et du député de D'Arcy-McGee. Si on ne fait pas ça, on va tourner autour du pot.

Le leader de l'Opposition, je suis assuré que son objectif, ce n'est pas de mettre de carcan, c'est de donner un envoi à cette commission pour qu'on atteigne l'objectif de notre mission. Je doute fort qu'il ait une autre pensée derrière la tête. C'est pour ça que je vous demande, M. le Président, humblement, de procéder aux remarques préliminaires.

M. Chevrette: M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député.

M. Chevrette: Je vais vous poser deux petites questions. Je veux aller vite, oui, mais on ne me donnera pas n'importe quel motif, puis on ne me donnera pas n'importe quelle raison.

M. le Président, l'objectif d'une commission, c'est bien d'entendre du monde, oui ou non?

Le Président (M. Doyon): Je vous écoute, M. le député.

M. Chevrette: Est-ce que c'est bien d'entendre des citoyens?

Le Président (M. Doyon): M. le député...

M. Chevrette: Ce n'est pas de s'entendre et de s'écouter ici, premièrement.

Deuxièmement, les remarques préliminaires, au point de vue des règlements, M. le Président, dans les motions, pour favoriser le mandat d'une commission, est-ce qu'elles doivent se faire au début, oui ou non? C'est une question de directive que je vous demande.

Le Président (M. Doyon): Ce que je constate, M. le député, c'est que la Chambre, par un vote, a confié à cette commission un mandat, dont j'ai fait lecture tout à l'heure, et a indiqué que pour accomplir notre mandat nous devions procéder de telle et telle façon. Je vous indique qu'en vertu de l'article 138 du règlement, j'ai, comme président, l'obligation d'organiser les travaux de la commission et d'en assurer le bon fonctionnement. C'est une latitude qui ne m'a pas été enlevée par la motion, c'est une latitude que je conserve et c'est une latitude qui me permet, parce que je considère que la question d'heure, à savoir si on est une heure en avant, une demi-heure en avant ou en retard, c'est une question d'organisation des travaux et, en tant que président, je ne considère pas que je déroge à l'ordre de la Chambre si je procède à l'audition des remarques préliminaires me fondant sur le droit qui m'est accordé, comme président, de faire en sorte que les travaux soient organisés et que le bon fonctionnement nous permette d'atteindre le but, qui est de procéder à entendre des organismes et à les consulter.

Donc, je vous informe que j'ai l'intention de permettre au ministre de procéder à ses remarques préliminaires dès maintenant et je donnerai, après, la parole au porte-parole de l'Opposition officielle pour faire de même; après, le représentant du Parti Égalité pourra procéder de la même façon.

M. le ministre, vous avez la parole.

M. Chevrette: M. le Président, je voudrais, sur une question de règlement, vous demander... Vous n'avez pas répondu à ma question, et je vous la repose.

Et vous avez, je crois, le devoir de me répondre.

Les motions visant à aider la réalisation du mandat, qui sont présentées au moment où tous vos prédécesseurs ont jugé qu'elles devaient être présentées, vous venez de décider quoi? Que ce n'est plus le moment, alors que toute la jurisprudence... Et, quand vous invoquez l'article 138, M. le Président, je vous ferai remarquer que vous dérogez précisément, vous-même, à l'ordre de la Chambre. Alors, 235 fut la proposition par laquelle il y a eu motion en Chambre; vous vous rappellerez, M. le Président. Si on a senti le besoin de mettre les remarques préliminaires avec le temps de chacune d'elles, ça devenait un ordre de la Chambre et non plus un agencement qui vous était laissé en vertu de 138, si on veut jouer au règlement. Même votre conseiller ne peut pas dire le contraire parce que c'est un ordre de la Chambre, c'est 235. Le leader a pris la peine de définir les temps de parole, de définir l'ordre, et ce n'est plus laissé à la commission en vertu de 138. M. Major ne pourrait pas dire le contraire de ça, c'est 235 et c'est la Chambre, et c'est moi-même qui ai soulevé la question de privilège, M. le Président.

Vous ne pouvez pas avoir deux discours juridiques: un quand ça fait notre affaire et l'autre quand ça ne fait pas notre affaire. Il y en a qui vont réaliser qu'ils vont avoir une cohérence au niveau du droit, en tout cas; sinon, moi, je vais le leur rappeler, si bons conseillers soient-ils. (11 h 10)

Le Président (M. Doyon): Bon. Moi, j'ai rendu ma décision, et je vous signale que cette décision-là est basée sur le fait que nous avons un ordre de la Chambre, que, dans les circonstances, cette procédure qui est la nôtre actuellement ne nous donne pas les mêmes latitudes que nous aurions si c'était une commission ordinaire. Je dois, comme président — j'ai cette responsabilité et j'ai l'intention de l'assumer — faire en sorte que les consultations se déroulent, que les gens qui veulent être entendus soient entendus, que ceux qui ne veulent pas être entendus ne soient pas dérangés et ne soient pas mis en question: ils ont le droit de venir, ils ont le droit de s'absenter.

Et dès maintenant, sans plus de préambule, je donne la parole à M. le ministre.

Motion proposant que le ministre dépose

les projets de règlements concernant

l'application du projet de loi 86

M. Chevrette: M. le Président, j'aurais une motion à proposer, qui est la suivante. Je vais vous la trouver, là, ça s'en vient. Oui. «Que la commission de la culture souhaite que le ministre chargé de l'application de la Charte de la langue française mette — j'allais dire «de la langue anglaise», mais on a corrigé, on a dit «de la langue française» — à la disposition des membres une copie des projets de règlements concernant l'application du projet de loi 86, Loi modifiant la Loi de la Charte de la langue

française, et ce dans le but d'éclairer les groupes, organismes et individus qui témoigneront dans le cadre des consultations particulières.»

Si vous voulez nous entendre sur la recevabilité, M. le Président, je suis prêt également. Et ça me permettra du juger de la cohérence des procéduriers des commissions.

Le Président (M. Doyon): Je voudrais avoir copie de cette motion. Merci.

Je suis prêt à vous entendre, M. le député.

Débat sur la recevabilité M. Guy Chevrette

M. Chevrette: M. le Président, c'est exactement un cas identique suivi d'un ordre de la Chambre.

Je vous réfère au 17 février 1993, M. le Président, et c'était marqué à la page 1760 de la commission du budget et de l'administration: «Dans le présent cas, notre mandat est prioritaire en vertu de l'article 146; il s'agit d'entendre des organismes en vertu des articles 166, 167. L'ordre de la Chambre est impératif de tenir cette consultation, et nous nous devons de la faire.»

Donc, M. le Président, je dépose à ce stade-ci cette motion, avant même l'adoption de l'ordre du jour, pour une raison bien simple. C'est en effet la voie que m'indique la jurisprudence tracée par le président de la commission du budget et de l'administration dans quatre décisions rendues les 15, 16, 17 et 18 février 1993, dans un contexte similaire, à savoir la consultation générale sur le financement des services publics au Québec. Je vous réfère particulièrement à la décision du 17 février, où M. Major était conseiller spécial du président qui présidait, rapportée au Journal des débats de la commission du budget et de l'administration. La motion présentée alors par la députée de Taillon exprimait le souhait que le président du Conseil du trésor mette à la disposition des membres divers documents concernant les chevauchements administratifs.

Le président a jugé qu'il n'était pas opportun de le faire à 15 h 6, soit au milieu d'une séance, mais il indiquait dans un même souffle la procédure à suivre: «Demain matin, au début de la séance, avant l'adoption de l'ordre du jour, rien ne vous empêche de présenter cette motion, vous pouvez très bien le faire.» Et ça, c'était sous les conseils judicieux de M. Major, secrétaire de la commission.

Ce qui est important, M. le Président, c'est que la motion ne vise pas à entraver ou à empêcher l'exécution de l'ordre de l'Assemblée. Ce n'est pas le cas ici, puisqu'elle vise dans son essence même à faire en sorte que le ministre fournisse un outil de travail essentiel à la bonne exécution par les membres de la commission, et les invités qui y seront reçus, du mandat qu'ils ont reçu de l'Assemblée.

De par sa formulation, elle n'est même pas contraignante pour le ministre, il s'agit d'une demande de la commission ou d'un souhait. Et le terme «souhait», je vous prierais de bien retenir cela.

Quant à la recevabilité, elle ne fait aucun doute. La jurisprudence est constante et persistante, à part ça. Les précédents sont nombreux. La décision du président Guy Bélanger concernant les projets de règlements, concernant le projet de loi sur la sécurité du revenu, et je vous réfère au 30 novembre 1988 de la commission des affaires sociales, à la page 2303. Décision du vice-président Saintonge, à l'époque où il était vice-président de l'Assemblée, concernant le projet de règlement relié au projet de loi 178. Ça «peut-u» être plus relatif? Là, 86 vient d'amender 178, M. Major et M. le député de Louis-Hébert. Donc, M. Saintonge disait quoi? Il disait carrément que c'était acceptable comme motion.

Plus encore, je vous réfère à la décision de Jean-Guy Lemieux du 18 février, commission du budget et de l'administration, toujours accompagné du très solide M. Major comme conseiller, qui s'applique avec d'autant plus de pertinence que la commission exécutait un mandat de consultation, et je le cite: «Alors, comme j'en arrive à la conclusion, eu égard à la jurisprudence qui a déjà été citée à la commission de l'Assemblée nationale, à la commission des affaires sociales, eu égard à une décision du vice-président Saintonge du 21 décembre 1988, et ainsi de suite, j'en arrive à la conclusion que, effectivement, elle n'est ni contraignante et elle n'empêche pas l'exécution de l'ordre.»

M. le Président, la jurisprudence, comme on se plaît à le dire devant tous nos concitoyens, c'est la cohérence et la constance. On ne peut pas changer de plat selon le menu législatif au point de vue de la procédure et des droits parlementaires, sinon on passe pour des Ti-coune. «Je vous dirais même plus que ça. J'ai vérifié une vingtaine de ces motions-là, et elle est de ce qu'il y a de plus classique, à la fois au niveau des virgules et des points.» Et ça, c'est ce que M. Lemieux disait, là. M. Lemieux disait: «Je vous dirais même plus que ça — et vous savez comment M. Lemieux fouille ses dossiers avec ses spécialistes —j'ai vérifié une vingtaine de ces motions-là, et elle est de ce qu'il y a de plus classique, à la fois au niveau des virgules et des points. «Alors, pour moi — toujours M. Lemieux qui parle — elle ne pose aucun problème d'ordre juridique et elle est recevable.»

Donc, M. le Président, j'espère que la présidence va s'inscrire dans la logique, la cohérence et la constance de nos règlements ici, à l'Assemblée nationale, sinon je vais demander au président de faire passer quelques tests sur l'interprétation de la cohérence et de la jurisprudence.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député de Rimouski.

M. Michel Tremblay M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, vous

comprendrez que je suis contre cette motion et qu'elle contrevient définitivement à l'ordre de la Chambre. Elle est dans le même style que l'autre, qui a été présentée précédemment.

Je vous rappellerai, pour votre gouverne, l'article 244, étude détaillée d'un projet de loi, motion préliminaire, dépôt de documents, le 16 juin 1986, par M. Guy Bélanger, président de la commission: «Lors de l'étude détaillée d'un projet de loi, un député de l'Opposition propose une motion visant à ce que le ministre dépose devant la commission les règlements découlant d'une disposition du projet de loi sous étude. «Cette motion préliminaire est-elle recevable?»

La décision du président: «La motion est irrecevable puisqu'il apparaît difficile de demander des règlements qui découlent d'un projet de loi qui n'est pas encore adopté. Les règlements n'ont aucune valeur tant que la loi n'est pas adoptée, et l'on présume que le ministre n'exercera son pouvoir de réglementation qu'une fois la loi adoptée.»

Donc, la décision, nécessairement, avait été rejetée par le président, et je fais référence au recueil de la commission, à la page 244/13. M. le Président...

M. Chevrette: M. le Président, sur la motion, est-ce qu'on pourra démontrer que ça a été renversé par M. Saintonge lui-même en 1988?

M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, je vous demande de faire référence à cette décision. Je pense qu'elle est tout à fait pertinente dans la présente motion, et je pense qu'elle pourra faire jurisprudence, j'en conviens.

M. Chevrette: M. le Président...

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député.

M. Chevrette: ...sur ce point précis, si M. le député de Rimouski avait continué sa recherche, il se serait rendu compte qu'en 1988 M. le vice-président Saintonge a précisément renversé cette décision-là. Quand on marquait «les projets de règlements», ça devenait admissible, et ça a été renversé. Malheureusement, votre exemple ne tient plus à cause de la jurisprudence du président même de l'Assemblée nationale d'aujourd'hui.

Et je vous remercie de l'avoir souligné; c'est pour montrer comment on peut se servir de choses vétustés et dépassées quand on improvise.

M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, c'est vous qui rendrez votre décision, et je vous fais confiance à cet égard.

Décision du président

Le Président (M. Doyon): Alors, pour les mêmes raisons que j'ai indiquées tout à l'heure, sur le fond de la motion, comme elle est présentée, nous pourrions... cette commission pourrait en discuter, sauf que ce n'est pas le moment, parce que, encore une fois, ça a pour effet d'empêcher cette commission de réaliser son mandat et, comme président, je dois voir et faire en sorte que le mandat qui a été confié à cette commission puisse être exécuté. Débattre de cette motion, ça aurait pour effet de rendre impossible à cette commission l'exécution du mandat qui est le sien. Pour les mêmes raisons, je dis que le moment opportun n'est pas maintenant. Ça pourra être fait à un autre moment, mais ce n'est pas à l'heure où nous nous parlons que la chose peut être possible. C'est ma décision. (11 h 20)

M. Chevrette: M. le Président, sans contrevenir à votre décision, vous devez au moins répondre à une directive.

Si vous jugez du moment, vous vous permettez de juger du moment, au moment où je le fais, vous devez avoir la décence de me donner le moment où ça sera correct, et vous ne répondez pas. Ça, je m'excuse, mais je suis au moins en droit parlementaire de vous dire qu'un président qui porte un jugement de non-opportunité doit être capable d'en porter un d'opportunité. Je vous demande donc quand la motion sera recevable.

Le Président (M. Doyon): Je suis prêt à prendre ça en délibéré.

M. Chevrette: Bon. Eh bien, tout de suite, parce que c'est important, M. le Président, et vous le savez. Sinon, M. le Président, vous allez être jugé de la façon suivante. Je vais vous le dire.

Vous ne pouvez pas, devant cette assemblée, ici, juger de la non-opportunité: Je prends ça en délibéré, parce que j'ai une décision, pour plaire au ministre. Ça ne marche pas de même, ça. Vous devez prendre une décision d'opportunité, tout autant que vous en prenez une de non-opportunité. Je vous dis donc: Si votre jugement vous dit que ce n'est pas opportun à ce moment-ci, votre jugement doit être capable de vous indiquer le moment où ça deviendra opportun. Et ça, c'est ce que je vous demande, en droit parlementaire le plus strict, de me donner avant de commencer les travaux.

Le Président (M. Doyon): Ce que je vous indique, M. le député, cette décision, je la rendrai à un moment ultérieur, alors que j'aurai pu vérifier les moments qui sont opportuns pour ce faire. À brûle-pourpoint, compte tenu de l'importance et des répercussions de la discussion de cette motion sur les travaux de cette commission, je ne suis pas en mesure de me rendre à votre demande maintenant, et je n'accepterai pas d'ultimatum, d'aucune façon. Je n'accepterai pas d'ultimatum. Je suis ici pour présider les travaux de cette commission. Je suis ici pour qu'il se passe quelque chose d'utile dans cette commission, et je ne fais que faire le travail qui est le mien et exécuter les devoirs de ma charge en permettant au ministre de commencer avec les

remarques préliminaires.

Nous devions commencer à 10 heures. J'ai accepté, M. le député de Joliette, que vous y alliez de bon gré et ça se retourne maintenant contre la commission, c'est-à-dire à rencontre du mandat qui nous a été confié. Je vous assure, M. le député, que s'il y avait piège là-dedans, ce n'est pas très glorieux.

M. Chevrette: Je m'excuse, question de règlement.

Le Président (M. Doyon): Un instant, je n'ai pas terminé. Ce que je voudrais, c'est que nous puissions permettre au ministre... Je sais que vous avez des gens de votre côté qui sont prêts à faire des remarques préliminaires aussi. Je sais que le député du Parti Égalité est aussi prêt, il est ici pour ça. Nous avons les caméras de télévision, nous avons les journalistes, et j'imagine que ce n'est pas les débats de procédure que nous tenons actuellement qui les intéressent; ils sont ici pour entendre parler du projet de loi que la commission a mandat d'étudier et sur lequel la commission a mandat de procéder à des consultations. Si nous ne faisons pas ça, nous sommes à rencontre du mandat.

Alors, M. le ministre...

M. Chevrette: Question de règlement.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député de Joliette.

M. Chevrette: M. le Président, vous êtes là aussi pour le respect le plus intégral des règlements de l'Assemblée nationale. Ça, c'est votre premier rôle, et vous ne l'avez pas mentionné. Avec tout le respect que j'ai pour vous, vous n'êtes pas là pour protéger le droit de quelqu'un qui est supposé écouter des groupes, parce que c'est le mandat et l'ordre de la Chambre, vous êtes là, d'abord et avant tout, pour respecter les droits fondamentaux des parlementaires et des règlements de l'Assemblée nationale. Et quand vous refusez, M. le Président, vous vous créez le carcan vous-même de l'ordre de la Chambre pour juger inopportune une question... Vous la jugez recevable, mais vous dites que ce n'est pas le moment.

Je vous demande quand ça sera le moment, et là, vous n'avez plus de jugement pour porter un jugement d'opportunité. Ça, ça commence à sentir autre chose. Ce n'est pas le rôle de la présidence, M. le Président, de prendre parti dans l'interprétation de la réglementation. Le rôle de la présidence, c'est d'appliquer le règlement dans le sens de la tradition, de la jurisprudence. Et toute la jurisprudence, dans le cas d'une commission avec un ordre de la Chambre, est à l'effet, M. le Président, que les remarques préliminaires ou les motions préliminaires...

Le Président (M. Doyon): Je vous rappelle à l'ordre dès maintenant, M. le député, parce que...

M. Chevrette: C'est ça, parti pris, M. le Président, comme la motion en Chambre. Et vous affichez vos couleurs.

Le Président (M. Doyon): M. le député. À l'ordre, s'il vous plaît, M. le député!

M. Chevrette: Votre jupon dépasse, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Vous vous adressez à la présidence, M. le député!

M. Chevrette: Ça ne me fait rien du tout. Vous prenez parti, vous n'avez pas le droit.

Le Président (M. Doyon): Non, je n'accepte pas, M. le député...

M. Chevrette: Acceptez-le ou pas, moi, je vous le dis, M. le Président, vous avez l'air partisan. «C'est-u» clair?

Le Président (M. Doyon): Un instant. À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Chevrette: Comme vous l'avez été dans la motion en Chambre.

Le Président (M. Doyon): J'indique à cette commission que l'article 41 indique que les décisions du président ne peuvent être discutées. «Le président se prononce sur les rappels au règlement au moment où il le juge opportun, en indiquant le motif de sa décision. Il peut aussi choisir de soumettre la question à l'Assemblée.»

Alors, je ne rends pas les décisions dans un esprit partisan, je le fais en tenant compte des droits des parlementaires, en tenant compte du mandat qui a été confié à cette commission par l'Assemblée nationale, en tenant compte du fait que nous avons un sujet important à discuter. Je me prévaux des pouvoirs qui sont les miens, qui me permettent d'organiser les travaux pour que nous puissions arriver à quelque chose.

Le jugement que vous portez sur la présidence, M. le député, en plus d'être injuste, est extrêmement dommageable aux travaux que nous allons entreprendre. En plus d'être injuste!

M. le ministre, vous avez la parole.

M. Chevrette: Je vous demanderais de respecter l'ordre de la Chambre et d'appeler le groupe qui est supposé être entendu, selon votre propre carcan.

M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, c'est de la diversion.

M. Chevrette: Non, non, je lui posais une question. C'est lui-même qui m'a répondu qu'il avait un

carcan; donc, je lui demande d'appeler...

Le Président (M. Doyon): J'ai déjà indiqué... M. Chevrette: Appelez votre groupe.

Le Président (M. Doyon): ...qu'en vertu d'une décision qui me permet, comme président, d'organiser les travaux, je considère que l'heure des interventions est une question d'organisation interne et que, dans les circonstances, je dispose des pouvoirs nécessaires pour inviter le ministre responsable de la loi à bien vouloir s'adresser à cette commission.

M. le ministre, vous avez la parole.

Remarques préliminaires M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, la langue française est notre bien collectif le plus précieux, elle exprime ce qu'il y a de plus fondamental en nous. Nous sommes profondément attachés à son maintien et à son rayonnement, au Québec d'abord, mais aussi à travers le Canada et même dans l'ensemble du continent nord-américain. Elle est un bien qui appartient en propre, cela va de soi, à ceux qui la parlent comme leur langue maternelle, mais la langue française est beaucoup plus large et universelle. Elle appartient aussi à tous ceux qui veulent l'apprendre, qui veulent la parler, qui veulent bénéficier des richesses inestimables de la culture dont elle est l'expression.

Normalement, la langue n'a pas besoin de la protection spéciale de l'État pour s'exprimer dans une société. Mais au Québec, étant donné le contexte géographique, politique, économique, social et culturel particulier qui est celui du Canada et de l'Amérique du Nord, il est apparu à l'Assemblée nationale, à plusieurs reprises, qu'une protection de nature spéciale devait être accordée à la langue française par voie législative, et le gouvernement actuel estime qu'il faut continuer d'assurer la force, la santé et le rayonnement du français en recourant à des mesures législatives.

Il ne suffit pas toutefois d'affirmer l'importance que nous attachons à notre langue, il faut le faire dans le respect des droits individuels que nous nous sommes engagés à protéger et à respecter, non seulement dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, mais aussi dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans la décision que le gouvernement du Québec a librement prise, de sa propre initiative, en souscrivant, en 1976, au pacte international relatif aux droits civiques et politiques, ainsi qu'au protocole qui accompagne ce document.

En outre, lorsqu'on agit par voie législative sur la question linguistique, il faut le faire en ayant une juste perception de la place qu'occupent la langue anglaise et la langue française dans l'histoire et le développement du Québec et du Canada. Ni le français ni l'anglais ne sont des langues comme les autres au Canada. Elles ont toutes deux des racines historiques, un statut constitutionnel et juridique différent, et prétendre faire abstraction de cette réalité, je pense que c'est vouloir légiférer d'une manière qui ne peut pas engendrer des fruits justes et des résultats efficaces. Il faut légiférer en ces matières dans le respect des droits proprement linguistiques que nous devons distinguer des droits individuels parce qu'ils ne sont pas du même ordre, les droits proprement linguistiques que garantit la Constitution de ce pays.

Notamment, dans l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et dans l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, on trouve des garanties précises concernant les droits des francophones et des anglophones en matière d'enseignement, de justice et de législation. Si l'on veut légiférer de manière sérieuse, il faut tenir compte de ces réalités. (11 h 30)

II faut enfin agir, en matière linguistique, en tenant compte de l'état de l'opinion publique et de l'évolution générale de la société. Depuis l'entrée en vigueur de la Charte de la langue française, en 1978, on note, à tout le moins, deux séries de changements significatifs au Québec.

Tout d'abord, le français a fait des progrès substantiels dans les domaines de l'enseignement, de l'administration publique, de l'activité économique, de la vie sociale et culturelle. Nous n'avons pas le temps d'étayer, à l'aide de statistiques, tous ces progrès accomplis par le français, mais la brochure que nous publions régulièrement sous le titre «Indicateurs de la situation linguistique au Québec» le démontre amplement et à l'abri de toute contestation.

Deuxièmement, les Québécois veulent que leur langue soit soutenue et protégée par l'État et la législation, mais ils veulent de moins en moins — et de nombreux indices l'établissent — que cette protection se fasse au prix de l'interdiction qui serait faite à d'autres d'utiliser une langue autre que le français, et en particulier l'anglais, pour les raisons que j'ai données tantôt, dans toute la mesure où l'utilisation de cette langue ne vient pas violer les droits des francophones.

Voilà la ligne de démarcation qui m'apparaît la seule juste, la seule vraie, au bout de la ligne. Et c'est en tenant compte de tous ces impératifs que le gouvernement a procédé à une révision de la Charte de la langue française et propose, dans le projet de loi 86, un certain nombre d'ajustements qui paraissent répondre à des attentes du Québec de 1993.

L'objectif fondamental de la Charte — qui est d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française, de faire du français la langue de l'État, la langue des lois, la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, des affaires et du commerce — demeure, n'est pas remis en question par les modifications que nous proposons à la Charte. Toutes ces grandes orientations définies dans Charte de la langue française demeurent. Ainsi, le fran-

çais demeure la seule langue officielle de l'État québécois et du secteur public et parapublic québécois, c'est-à-dire la langue qui devra être utilisée le plus souvent, de manière exclusive, par l'administration.

Les dispositions voulant que les enfants de foyers immigrants soient tenus de fréquenter l'école française demeurent intégralement. Les dispositions relatives à la langue de travail et la francisation des entreprises sont maintenues le plus souvent dans leur teneur actuelle, et, dans le cas de la francisation des entreprises, sous des formes qui en clarifient la portée et en renforcent les effets éventuels.

Mais le temps était venu d'apporter des modifications à la loi afin d'atténuer certaines aspérités qui n'ont plus leur raison d'être dans le contexte d'aujourd'hui, de corriger le manque de cohérence que l'on avait observé à maintes reprises à l'occasion de l'application de la loi et, surtout, de corriger l'impression d'intolérance susceptible d'être créée au Québec même, et aussi à l'extérieur du Québec, par des dispositions qui sont — de l'avis de tous les tribunaux qui ont été appelés à se prononcer à leur sujet, de tous les tribunaux — contraires à des droits dont nous avons garanti la protection, par ailleurs, en particulier la liberté d'expression.

Voilà donc les motifs qui ont inspiré la rédaction du projet de loi 86. Ce projet propose essentiellement les changements suivants.

En matière d'affichage public et de publicité commerciale, trois règles présideront désormais à l'activité dans ce secteur, à condition, évidemment, que le projet de loi soit approuvé par l'Assemblée nationale.

Le français demeurera obligatoire dans toute forme d'affichage public ou de publicité commerciale, et seul le français devra obligatoirement être utilisé dans toute forme d'affichage public et de publicité commerciale.

Deuxièmement, une langue autre que le français pourra être utilisée dans l'affichage, mais à condition que le français soit toujours en situation de nette prédominance. Une autre langue pourra être utilisée; elle ne devra pas obligatoirement l'être, et les annonceurs, les entreprises qui voudront faire connaître leurs produits et leurs services sauront très bien que la population du Québec est francophone à 84 %. Et on ne s'imagine pas qu'ils seraient assez stupides pour aller s'imaginer que, dans des régions entières du Québec, il serait profitable pour eux de vouloir faire de l'affichage dans une autre langue que le français. Mais la liberté sera là, nous la reconnaissons; c'est une des caractéristiques fondamentales du projet de loi que nous présentons.

Troisièmement, le gouvernement pourra définir par règlement certaines situations où l'affichage pourra se faire soit exclusivement en français, soit en français et dans une autre langue — sur un pied d'égalité, puis sans nette prédominance — soit encore exclusivement dans une autre langue.

Ces règles visent à conserver, dans le domaine de l'affichage, la place prépondérante que le français oc- cupe dans la vie collective des Québécois. Mais elles tiennent compte aussi de certaines règles de souplesse que nous sommes obligés de considérer quand vient le moment d'appliquer une loi comme celle-là. Et des dispositions de cette nature se trouvent déjà dans la Charte de la langue française dans sa formulation actuelle et n'ont jamais soulevé l'angoisse des députés dé l'Opposition. Voilà pour l'affichage. C'est très simple. Nous résumons dans ces considérations ce qui traite de l'affichage.

En matière d'enseignement, le projet de loi maintient essentiellement l'équilibre actuel, tout en définissant avec prudence certaines ouvertures devenues nécessaires.

Pour tous les parents québécois — nés au Québec autant qu'immigrants — l'obligation d'inscrire leurs enfants à l'école française demeure. Font seule exception à cette règle — comme c'est le cas actuellement — les enfants de parents ayant reçu, au Québec ou au Canada, la majeure partie de leur enseignement primaire en anglais. Alors, la règle de base est maintenue. On a beau répandre tous les bobards qu'on voudra, c'est ça, la vérité.

Deuxièmement, la Charte prévoit actuellement que, dans les écoles françaises, l'enseignement doit se donner en français. La loi actuelle a cependant donné lieu à des interprétations qui créent des contraintes inutilement lourdes pour l'apprentissage normal d'une langue seconde. Le projet de loi propose, à cet égard, une modification qui, tout en maintenant le caractère obligatoire primordial du français dans les écoles françaises, permettrait une plus grande mesure de souplesse dans l'apprentissage d'une langue seconde.

La Charte, dans la version qui a toujours été présentée à la population jusqu'à ce jour, est rédigée comme si le Québec avait déjà cessé, depuis plusieurs années, de faire partie du Canada. Elle est rédigée comme si certains jugements émis par les tribunaux n'avaient jamais été émis par personne. Nous continuons de présenter à la population une Charte qui est trompeuse dans son contenu, en ce qui touche la clause Canada, en particulier.

Et nous disons qu'il est temps de rétablir la vérité des textes et d'indiquer clairement qu'en matière d'enseignement, de législation et de justice l'Assemblée nationale, qui est l'autorité souveraine dans ces choses au Québec, tient à respecter l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, tout comme l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, et qu'il est possible de tenir compte de ces articles, tout en affirmant la nette prédominance du français comme langue commune de la société québécoise.

La Charte autorise présentement l'Office de la langue française à reconnaître comme aptes à fournir des services en langue anglaise des municipalités, des hôpitaux, des services sociaux, des commissions scolaires ou des établissements d'enseignement qui offrent ou fournissent leurs services à une clientèle qui est en majorité d'une langue autre que le français, à condition

que ces organismes puissent offrir des services en français. À la satisfaction de l'Office de la langue française, ils sont habilités — par l'article 113f de la loi actuelle et la reconnaissance qu'ils retirent de l'Office au titre de cet article — à fournir également des services en langue anglaise, puis à organiser une certaine partie de leur fonctionnement interne en anglais autant qu'en français de même qu'à faire leur affichage dans les deux langues. Ça existe déjà, ça. (11 h 40) on pourrait s'interroger sur le seuil d'admissibilité que définit, à cet égard, la charte: nous autres, c'est... il faut que 50 % de la clientèle soit d'une langue autre que le français. si on compare à n'importe quelle autre législation semblable à travers le monde, c'est beaucoup plus élevé que ce qu'on trouve partout ailleurs dans le monde et, même au jugement du sens commun, c'est trop élevé. mais, comme cette question n'a pas fait l'objet de débats approfondis jusqu'à maintenant, le gouvernement maintient ce seuil. cependant, tout autre... et la question du retrait d'une reconnaissance qui a déjà été donnée: selon la lettre de la loi actuelle, dès qu'un organisme a une clientèle qui cesse d'être en majorité d'une autre langue — ça tombe tout de suite à 49 %, 48 % ou 47 %, par exemple — là, normalement, la reconnaissance devrait être retirée par une décision purement administrative de l'office de la langue française. nous considérons qu'il ne s'agit pas d'une décision purement administrative. c'est une décision qui a de multiples implications culturelles, sociales et politiques, comme l'a très bien illustré, ces dernières années, le cas de rosemère. nous disons: comme il s'agit d'une décision hautement politique, cette décision devra revenir, à l'avenir, au gouvernement, tandis que sera maintenu le pouvoir qui est accordé à l'office d'attribuer une reconnaissance à un organisme qui est au service d'une clientèle en majorité d'une autre langue.

En ce qui touche la langue de l'administration, le projet de loi maintient le principe suivant lequel le français doit être obligatoirement utilisé, le plus souvent de manière exclusive. Mais l'administration, au sens que définit la Charte de la langue française, embrasse un vaste réseau de services et d'activités dont certains sont de nature plutôt commerciale. Dans ces cas, il est normal qu'une certaine souplesse puisse être envisagée. De même, je donne l'exemple de l'entrée aux frontières du Québec, par exemple: Qui s'objectera, honnêtement, à ce qu'on ait des inscriptions souhaitant la bienvenue aux visiteurs qui arrivent au Québec dans leur langue, qui est très généralement l'anglais? Actuellement, on ne peut pas le faire en vertu de la lettre actuelle de la Charte de la langue française.

Nous avons des musées, jardins botaniques, jardins zoologiques que nous souhaitons tous voir visités en grand nombre par des visiteurs de l'Ontario, des Provinces atlantiques et des États-Unis. Est-ce qu'il n'est pas plus intelligent et plus raisonnable d'avoir des inscriptions pour les objets qui sont exposés dans ces musées en langue française d'abord, mais également dans la langue de nos visiteurs afin de leur montrer que nous sommes contents de les avoir chez nous, que nous sommes heureux de les recevoir?

Alors, il faut prévoir une certaine mesure de souplesse, et, déjà, l'Office de la langue française avait recommandé que nous apportions des modifications aux règlements de manière que des choses comme celles-là puissent être faites. Nous les ferons grâce aux modifications que propose le projet de loi, et je pense qu'il s'agira d'assouplissements fort raisonnables.

Dans le domaine du travail, nous avons accompli, ces dernières années, des progrès considérables grâce, en particulier, au travail de l'Office de la langue française. Le français a fait beaucoup de progrès comme langue de travail, et nous serons en mesure d'en faire la démonstration plus tard, au cours des auditions que nous tiendrons ensemble. Il reste...

Le Président (M. Doyon): Je vous signale, M. le ministre, qu'il vous reste une minute.

M. Ryan: Une minute.

Alors, dans le projet de loi, nous renforçons les dispositions relatives à la francisation des entreprises. Dorénavant, pour ne prendre qu'un exemple, toute entreprise qui a reçu un certificat de francisation sera obligée par la loi d'assurer que le processus de généralisation de l'utilisation du français dans l'entreprise continuera, et elle devra, chaque année... à tous les trois ans, produire un rapport auprès de l'Office à cette fin.

Actuellement, une entreprise reçoit un certificat, puis, la plupart du temps, elle n'entend plus parler du gouvernement ou de l'Office pendant des années, ensuite. Là, nous établirons une continuité, un suivi beaucoup plus sérieux.

On a beaucoup parlé — je termine là-dessus, M. le Président — du pouvoir de réglementation. Nous aurons l'occasion d'en discuter au cours des auditions, mais j'affirme tout de suite qu'aucun règlement présentement en vigueur — il y en a 17 — n'a été mis en vigueur sans avoir été approuvé au préalable par le gouvernement.

Nous maintenons, nous confirmons ce pouvoir d'approbation du gouvernement et nous disons que, si le pouvoir d'approbation appartient au gouvernement, il ne peut pas appartenir à deux instances en même temps. Et, là où il y avait équivoque dans la loi, nous clarifions les choses, ce qui n'empêchera pas l'Office de la langue française, s'il juge opportun de proposer des modifications aux règlements existants, de le faire en tout temps. Mais il sera clairement établi que le pouvoir de décision en cette matière appartient au gouvernement. Comme je le soutiens...

Le Président (M. Doyon): M. le ministre...

M. Ryan: ...c'a été le cas dans tous les règlements appliqués jusqu'à maintenant sous l'autorité de la Chambre.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre.

Je signale aux membres de cette commission que le président est responsable de donner la parole et de l'enlever à qui de droit et je demande que ce pouvoir, qui est celui de la présidence, soit respecté.

Mme la députée de Chicoutimi, vous avez la parole.

Mme Jeanne L. Blackburn

Mme Blackburn: Merci, M. le Président.

M. le Président, nous voici donc de nouveau lancés dans le débat linguistique, un débat — devons-nous le rappeler — que personne ne souhaitait et qui ne fait que diviser la société québécoise au moment où toutes les énergies devraient être consacrées à sortir de la récession et à créer des emplois. Un débat malvenu, donc, mais également un débat que le gouvernement engage de bien mauvaise façon.

Contrairement aux us et coutumes de notre Parlement, les groupes que nous entendrons dans les prochains jours ont été choisis unilatéralement par le parti ministériel, sans consultation de l'Opposition officielle. À défaut de la consultation générale à laquelle nous aurions été en droit de nous attendre tant les modifications de la loi sont importantes, l'usage aurait voulu que le gouvernement s'enquière auprès de l'Opposition des groupes qu'elle souhaitait voir participer au débat. Malheureusement, tel ne fut pas le cas. Par ordre de la Chambre — procédure pour le moins singulière — le leader du gouvernement a imposé l'horaire des travaux de la commission de la culture ainsi que la liste des organismes invités. Une telle attitude est déplorable et témoigne du peu de respect qu'entretient le gouvernement libéral à l'égard des parlementaires.

Le gouvernement fait face, aujourd'hui, aux conséquences de la démarche qu'il a voulu privilégier dans ce dossier, une démarche empreinte de fausse précipitation. Le gouvernement est, en quelque sorte, enlisé dans un bourbier inextricable, où, aujourd'hui, déjà plusieurs groupes importants se sont désistés — une douzaine — tandis que d'autres ont demandé des reports.

D'un autre côté, paradoxalement, plusieurs organismes qui ont été écartés ont fait connaître leur intention de figurer sur la liste. Ces remarques ne visent évidemment pas à remettre en cause la légitimité des organismes que nous entendrons dans les prochains jours.

De plus, le gouvernement nous convie à une consultation, alors que les règlements d'application du projet de loi ne sont pas encore disponibles. Mais comment évaluer convenablement l'ampleur des altérations à la loi 101 que nous propose le gouvernement si on ne dispose pas de ces règlements? Il s'agit d'une question fort légitime, si on s'arrête quelques instants à la nature et à l'ampleur des pouvoirs réglementaires qui seront dorénavant confiés au gouvernement par le projet de loi 86.

En effet, par cette pièce législative, le gouvernement s'arroge à peu près tous les pouvoirs réglementaires attribués à l'Office de la langue française par la loi 101. On le sait, c'est à l'Office de la langue française qu'on avait confié le mandat de traduire concrètement, à l'abri des pressions partisanes et des lobbies, les dispositions de la Charte de la langue française. Désormais, ce mandat appartiendra au Conseil des ministres, qui l'exécutera à sa guise, au fur et à mesure que s'approcheront les échéances électorales, avec les conséquences qu'on doute.

Entreprendre cette consultation sans les règles d'application du projet de loi 86, ce serait signer un chèque en blanc au gouvernement, et, comme ce fut le cas pour l'accord de Charlottetown, il ne saurait en être question. Seuls des motifs purement électoralistes inspirent la démarche libérale.

Ni une soi-disant évolution de la situation linguistique ni le contexte juridique de la sauvegarde des droits fondamentaux ne sauraient justifier les modifications profondes, les altérations de la Charte de la langue française que le gouvernement libéral se propose de faire adopter. À cet égard, le gouvernement libéral n'a pas su démontrer en quoi la situation linguistique avait changé radicalement depuis 1988, et plus particulièrement depuis 1992, au moment où il plaidait le maintien des dispositions en matière d'affichage. Pourtant, c'est à lui que revient de démontrer, hors de tout doute, que des modifications et des affaiblissements à la Charte de la langue française sont requis dans le contexte actuel.

Faut-il, d'ailleurs, rappeler que le gouvernement plaidait encore lui-même devant le comité de l'ONU, il y a à peine un an, la fragilité et la vulnérabilité du français pour maintenir l'unilinguisme dans l'affichage extérieur? Le gouvernement cherche à tort une caution dans l'avis du comité de l'ONU. D'une part, il appert qu'il n'a pas utilisé tous les arguments qui étaient à sa disposition pour faire valoir son point de vue. Autrement dit, le comité des Nations unies l'accuse d'avoir mal plaidé sa cause — faut-il s'en étonner? D'autre part, sur le plan du pacte international et de son protocole facultatif, rien n'indique que la liberté d'expression commerciale, reconnue par le comité, s'applique tout autant aux corporations qu'aux individus. (11 h 50)

Soulignons en outre que des pays de longue tradition démocratique, respectueux des droits et libertés — comme les États-Unis, la Belgique, le Royaume-Uni et, en partie, la France — n'ont pas adhéré au protocole facultatif, comme l'indique son titre, d'ailleurs.

L'échéance de la clause «nonobstant», en décembre 1993, constitue également un autre argument factice. Selon l'avis de juristes réputés, l'état du droit a évolué de manière telle, au cours des dernières années, que la Cour suprême pourrait reconnaître aujourd'hui comme valides les présentes dispositions de la loi 101, ce qui veut dire qu'il est fort possible que l'affichage unilingue extérieur serait jugé conforme aux Chartes canadienne et québécoise.

Même dans l'éventualité contraire, en quoi devrions-nous maintenant avoir honte de recourir en toute légalité et légitimité à la clause dérogatoire que le premier ministre, M. Robert Bourassa, a lui-même qualifiée de dernier rempart, d'outil de protection essentiel pour le Québec? Pourquoi devrions-nous avoir honte de l'utiliser?

En fait, le projet libéral traduit une seule obsession: la récupération du vote de la clientèle anglophone qui avait glissé vers le Parti Égalité, en 1989. Pour des motifs purement électoralistes, les libéraux sont prêts à rompre l'équilibre linguistique toujours fragile que le Québec était parvenu à établir depuis l'adoption de la loi 101.

La fragilité du français. À entendre l'argumentation du ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, il n'est plus utile, voire nécessaire de promouvoir ou de protéger la langue française au Québec. La bataille serait gagnée, selon lui. Un rapide examen de la situation démontre qu'au contraire les gains sont fragiles et ténus, tel que l'évoquait ce présent gouvernement, il n'y a pas longtemps.

Rappelons d'abord que les transferts linguistiques des allophones — ceux qui n'ont ni le français ni l'anglais comme langue maternelle — se font encore aujourd'hui majoritairement vers l'anglais. En effet, en 1991, c'est 63 % de ceux qui adoptent une nouvelle langue au Québec qui choisissent l'anglais.

Quant au français, langue de travail, soulignons qu'entre 1979 et 1989 la proportion des travailleurs francophones du secteur privé, dans la région métropolitaine, qui travaillent généralement en français est restée la même, soit 63 %. En 10 ans, aucun progrès.

Encore aujourd'hui, les travailleurs francophones de la grande région de Montréal — soulignons-le, de la grande région de Montréal, on ne parle pas de Montréal exclusivement — sont encore 37 % à ne pouvoir travailler essentiellement en français. Si les données étaient disponibles — je le dis, pour l'île de Montréal — la situation serait assurément encore plus déplorable. Quant aux allophones, seulement le quart des travailleurs et des travailleuses du secteur privé de la région montréalaise utilisait généralement le français en 1989, le quart. il faut en outre souligner le fort pouvoir d'attraction de la langue anglaise, au québec. à ce chapitre, mentionnons que les allophones s'inscrivent majoritairement dans les cégeps et universités de langue anglaise, encore aujourd'hui, et en dépit du fait qu'ils soient tenus de fréquenter l'école française. ainsi, en 1990, 55 % des allophones choisissaient de faire leur cours collégial en anglais, alors que 57 % d'entre eux faisaient de même pour l'université.

Les pratiques culturelles des jeunes témoignent également de la force d'attraction de la langue anglaise. Faut-il s'en étonner lorsqu'on connaît la puissance d'attraction de la culture américaine? Selon une étude réalisée par le Conseil de la langue française, les médias électroniques anglophones occupent une place majeure dans la vie culturelle des jeunes francophones, particu- lièrement aux endroits ou villes ou lieux où l'offre d'émissions anglophones équivaut à l'offre d'émissions en langue française.

Chez les jeunes francophones, la langue anglaise est très présente dans les films, les spectacles, et tout à fait dominante pour ce qui est des disques et des cassettes. Faut-il souligner également que la pratique chez les jeunes allophones québécois rejoint celle des jeunes anglophones, en matière de consommation des biens culturels?

C'est sur cette base fragile que le gouvernement propose des modifications majeures à la Charte de la langue française, modifications, comme je m'apprête à le démontrer, qui vont à rencontre de l'esprit de la loi.

Des modifications majeures à la loi 101. En conférence de presse, alors qu'il expliquait son projet de loi, et encore tout à l'heure, le ministre banalisait l'importance du projet de loi 86 en soulignant qu'il ne comportait que peu d'articles, et qu'il aurait des effets modérés. Pourtant, une analyse attentive et minutieuse nous permet de conclure le contraire. Il s'agit d'un projet de loi de 65 articles qui vient modifier pas moins de 84 articles des 215 que contient la Charte.

Les dispositions du projet de loi 86 touchent à quatre chapitres de la loi de la langue française — et non les moindres — soit la langue de la législation et de la justice, la langue de l'administration, la langue du commerce et des affaires, et la langue d'enseignement. Dans les faits, les modifications proposées consacrent le bilinguisme institutionnel — il ne s'agit pas du bilinguisme individuel: du bilinguisme institutionnel — au Québec et nous rangent au même rang que le Nouveau-Brunswick, une province bilingue, à côté de huit unilin-gues anglaises.

La langue de la législation et de la justice. Les modifications proposées par le projet de loi 86, au chapitre de la législation et de la justice, n'ont d'autre but que d'entériner une décision de la Cour suprême dont l'effet concret est de «bilinguiser» tout le processus législatif au Québec.

En ce qui a trait à la langue de l'administration, à ce chapitre, alors que l'article 16 de la loi 101 obligeait l'administration à n'utiliser que le français avec les personnes morales et les gouvernements, le ministre propose qu'elle puisse dorénavant utiliser, sur une base officielle, le français et une autre langue. Les milliers de communications annuelles que le gouvernement entretient avec les personnes morales, les entreprises, les compagnies, les organismes pourront dorénavant être bilingues ou peut-être même, on ne le sait pas encore, unilingues anglaises. Par ailleurs, par l'article 4, le gouvernement se donne un pouvoir réglementaire pour introduire le bilinguisme dans l'affichage de l'administration, au-delà des considérations de santé et de sécurité publique. Enfin, toujours au chapitre de la langue de l'administration, le projet de loi propose l'abrogation de l'article 44 de la Charte qui prévoyait que les décisions d'arbitrage dans les conflits de travail devaient être rédigées dans la langue officielle ou être accompagnée

d'une version anglaise... qui seule était officielle. Là, on vient de changer ça. Donc, les décisions arbitrales pourraient être publiées exclusivement en anglais, et voyez les conséquences pour les travailleurs français du Québec.

La langue du commerce et des affaires. Avec l'article 17, le projet de loi introduit de nouvelles dispositions portant sur l'affichage commercial. On le sait, maintenant, le gouvernement propose un retour au bilinguisme avec prédominance du français. Le gouvernement se réserve toutefois le droit de prévoir par règlement les cas où la prédominance du français ne serait pas exigée, ceux où l'unilinguisme français serait maintenu de même que ceux où l'unilinguisme dans une autre langue — essentiellement l'anglais — serait permis. On introduit ici la possibilité de l'unilinguisme anglais en matière de langue d'affichage, du commerce et des affaires.

Concernant les raisons sociales, le gouvernement opte également en faveur du bilinguisme. On note cependant que, dans ce cas, le concept de prédominance du français disparaît. Cette large ouverture à l'affichage bilingue modifiera le message que nous voulons envoyer aux immigrants et aux Québécois également. Désormais, on donnera du Québec l'image d'une société bilingue, où l'on peut fonctionner en anglais et en français. Le Conseil de la langue française prend d'ailleurs soin de réitérer, dans un avis récent, que le visage linguistique conserve toute son importance en ce qu'il contribue à modifier l'attitude psychologique des non-francophones à l'égard de la langue française, en les persuadant qu'il est nécessaire pour eux d'apprendre et d'employer cette langue. Le Conseil de la langue française. (12 heures)

La langue d'enseignement. À ce chapitre, les modifications proposées par le gouvernement sont très importantes tant d'un point de vue pratique que d'un point de vue politique. En effet, l'article 23 du projet de loi introduit un nouvel article 73. Cet article donne suite à un jugement de la Cour suprême en vertu duquel la clause Canada avait été invalidée au profit de la clause dite Canada. En d'autres termes, ce que le gouvernement fait, il vient ainsi codifier, dans la législation québécoise, certaines des dispositions imposées lors du coup de force constitutionnel de 1982, auquel coup de force s'était opposé le présent ministre responsable de la Charte de la langue. Pour la première fois, par ce biais, l'Assemblée nationale du Québec reconnaît donc la Constitution de 1982 et la légitimité d'une partie de ses dispositions, et ce, dans un secteur relevant de la compétence exclusive du Québec depuis 1867, savoir: l'éducation.

Quant aux dispositions relatives à l'enseignement de l'anglais langue seconde, supposément pour favoriser son apprentissage, on ne pourra en mesurer l'impact réel que lors du dépôt d'un règlement sur le régime pédagogique. On constate, cependant, qu'il est pour le moins ironique de trouver dans la Charte de la langue française des dispositions visant à promouvoir l'ensei- gnement de l'anglais et favorisant, en quelque sorte, la «bilinguisation» des écoles françaises.

D'autres solutions, pourtant, s'offraient au gouvernement. En effet, cette brève analyse de quelques-unes des dispositions du projet de loi 86 en dit long sur les intentions réelles du gouvernement libéral, qui, en quête du vote anglophone, n'a pas voulu évaluer convenablement l'ensemble des solutions qui s'offraient à lui pour protéger et renforcer la Charte de la langue française. Car, même au chapitre de la langue de travail, le ministre essaie de jeter de la poudre aux yeux. Il y a peu, sinon ce qui se retrouvait déjà dans la réglementation. Il a, par ailleurs, laissé entièrement de côté la totalité ou la quasi-totalité des recommandations du Conseil de la langue française, à cet égard.

Les hypothèses qui s'offraient au gouvernement, bien des juristes — en l'occurrence, Me José Woehrling, dans l'avis juridique qu'il a préparé pour le Conseil de la langue française — croient que la Cour suprême, dans sa décision relative à l'affichage commercial, a erré de façon flagrante quant aux objectifs de la loi 101.

En effet, l'exclusivité du français était probablement abusive, comme l'a dit la Cour suprême, si on voulait simplement assurer la prédominance, mais pas s'il fallait faire du français la langue nécessaire et utile des communications. Si la Cour devait de nouveau se pencher sur cette question aujourd'hui, les dispositions qu'elle considérait contraires aux Chartes québécoise et canadienne, en 1988, seraient probablement, aujourd'hui, jugées valides.

Le gouvernement aurait donc pu reconduire la loi 178, sans la clause dérogatoire, et tester sa validité devant la Cour suprême. C'était une hypothèse qui a été écartée par le gouvernement. Par ailleurs, le gouvernement aurait également pu couvrir la Charte de la française pour lui donner plus de force en précisant les objectifs et en y inscrivant des mesures concrètes de promotion du français. Par cette voie, nous dit Me Woehrling, la Cour suprême aurait pu également considérer comme étant valides les dispositions en matière d'affichage commercial. À titre d'exemple, soulignons qu'en matière de langue de travail le ministre aurait pu accepter la proposition du Conseil de la langue française visant à élargir les pouvoirs de l'Office pour favoriser l'implantation de programmes de francisation dans les entreprises de 50 employés et moins. Le ministre n'en a pas tenu compte. Aucune des mesures de promotion du français, finalement, n'a vraiment été retenue.

En conclusion, le fardeau de la preuve repose essentiellement sur les épaules du gouvernement et sur le ministre responsable de l'application de la Charte. C'est à lui, et à lui seul, de faire la preuve que les modifications proposées par le projet de loi 86 n'auront aucun impact négatif sur la situation du français au Québec.

Mais comment pouvons-nous faire confiance, aujourd'hui, à ceux qui, à l'époque où le gouvernement du Parti québécois faisait adopter la Charte de la langue

française, condamnaient ses objectifs et refusaient de croire à ses effets positifs sur le statut du français? Comment faire confiance au ministre aujourd'hui responsable du dossier linguistique, celui-là même qui, de sa chaire d'éditorialiste, combattait, en 1977, la loi 101?

Quinze ans plus tard, le ministre Ryan donne pourtant raison au Parti québécois. Il admettait, dans une lettre adressée au Conseil de la langue française, le 11 décembre 1992, que le français a connu, au Québec, depuis l'entrée en vigueur de la Charte, des progrès remarquables. Par cet aveu, il démontrait son incompétence à saisir et à gérer adéquatement la question linguistique. Car, si, en 1977, nous avions fait confiance au Parti libéral et à l'éditorialiste Ryan, la Charte de la langue française n'aurait jamais vu le jour. Ce n'est pas la loi 82, à la fois bancale et faiblarde, qui aurait procuré le progrès que nous avons connu. Aujourd'hui, le même parti, avec comme ministre de la langue Claude Ryan, nous demande de lui faire confiance aveuglément en faisant fi du contexte linguistique, des opinions des experts et de l'évolution du droit.

En terminant, M. le Président, je tiens donc à condamner à nouveau la précipitation dont fait preuve le gouvernement dans le but évident de limiter la portée du débat et d'éviter les débats et la prise de position.

Au cours des consultations particulières qui débutent aujourd'hui, nous allons, néanmoins, tenter, comme Opposition, de cerner les intentions véritables du gouvernement et les conséquences réelles des affaiblissements et des altérations proposés à la Charte de la langue française par le projet de loi 86. Nous allons également tenter de mesurer l'état réel du français au Québec, comme celui de l'anglais, et d'explorer les alternatives qui s'offraient au gouvernement dans un domaine aussi vital, puisqu'il s'agit de l'avenir du français au Québec.

Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la députée de Chicoutimi. M. le député...

M. Chevrette: M. le Président... Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: ...je vous demanderais de me dire si, à ce moment-ci, vous respectez l'ordre de la Chambre comme président de la commission.

Le Président (M. Doyon): J'ai donné réponse à ça, tout à l'heure.

M. Chevrette: Non, non: le cadre.

Le Président (M. Doyon): Je considérais et continue de considérer que l'horaire particulier, de telle heure à telle heure, etc., relevait de l'organisation prati- que des travaux et qu'à ce titre j'avais l'intention de permettre le déroulement de cette commission en donnant dès maintenant la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Chevrette: M. le Président, est-ce que ça n'exige pas un consentement quand on dépasse les heures fixées? Je m'excuse. Je m'excuse, là, je vous pose une question de droit, là. Vous pouvez l'agencer comme vous voulez, mais dans le cadre qui nous est imparti des horaires.

Une voix: Consentement. M. Chevrette: II n'y en a pas.

Le Président (M. Doyon): Alors, est-ce qu'il y a des oppositions à ce que nous continuions?

M. Chevrette: II n'y a pas de consentement, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): II n'y a pas de consentement.

M. Chevrette: Ajournement des travaux.

Le Président (M. Doyon): Alors, très bien. Dans, dans...

Mme Loiselle: Nous, du côté ministériel, on accorde...

M. Chevrette: Oui, mais il n'y en a pas.

Mme Loiselle: Un instant, M. le député, s'il vous plaît.

Nous, du côté ministériel, on accorde notre consentement afin de donner le droit de parole...

M. Chevrette: Oui, mais ce n'est pas de même... C'est l'unanimité.

Mme Loiselle: ...au député de D'Arcy-McGee — merci beaucoup — et ce, dans le respect du droit de parole des parlementaires.

Merci.

M. Chevrette: M. le Président, dans le cadre du respect du règlement, M. le député de D'Arcy-McGee commencera à 15 heures. Ça ne doit pas vous embêter, il n'y a pas un groupe qui vient.

Le Président (M. Doyon): Je constate donc qu'il y a absence de consentement et, dans les circonstances, je suspends les travaux de cette commission jusqu'à 15 h 30, cet après-midi.

(Suspension de la séance à 12 h 8)

(Reprise à 15 h 47)

Le Président (M. Doyon): La commission de la culture reprend ses travaux dans l'exécution du mandat qui lui a été confié par l'Assemblée nationale de procéder à des consultations particulières et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française.

Nous nous sommes quittés ce matin, alors que le député de D'Arcy-McGee allait nous faire part de ses remarques préliminaires. Donc, je lui reconnais le droit de s'adresser à cette commission.

M. le député.

M. Robert Libman

M. Libman: Merci, M. le Président.

M. le Président, ma perspective, cet après-midi, sera très différente de celle des deux autres intervenants ce matin — surtout la députée de Chicoutimi — et plutôt étrangère aux discours habituels tenus dans cette Assemblée, puisqu'elle a rapport à la loi 101. Mais c'est une perspective néanmoins partagée par une partie importante de la société québécoise.

Je suis né en 1960, à l'aube de la Révolution tranquille au Québec. J'avais 16 ans quand la loi 101 est devenue loi. Mais, 16 ans plus tard, aujourd'hui, presque tous les amis avec qui j'ai grandi dans les 16 premières années ont quitté le Québec, les deux tiers de la classe où j'ai gradué de l'école secondaire ont quitté le Québec. Plusieurs de mes collègues de l'École d'architecture de McGill sont partis; plusieurs amis et membres de ma famille ont arraché leurs racines, pris leurs biens, leurs talents, leur pouvoir de dépenser et leur potentiel, pour déménager à Toronto, Ottawa ou aux États-Unis.

Le résultat en est la fermeture du tiers des écoles anglaises au Québec et de plusieurs institutions. Des familles ont été déchirées, familles qui, avant la loi 101, se considéraient tout autant des Québécois que tous ceux de vieille souche francophone.

Et, malgré toute la farouche rhétorique, exagérée, utilisée par le député de Chicoutimi ce matin, il y a des éléments de la loi 101 qui doivent changer, qui sont injustes, qui sont pernicieux. Autrement, ces centaines de milliers de gens n'auraient pas quitté l'endroit qu'ils appelaient leur chez-soi depuis des générations.

La loi 101, il faut le dire, a été la raison primordiale pour laquelle cette communauté a été dévastée depuis les 16 dernières années. Mais, malheureusement, M. le Président, ça ne devrait pas être comme ça. Si vous lisez le préambule de la loi 101, et je cite: «Attendu que l'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française», fin de la citation, très peu d'anglophones ne seraient pas d'accord avec cet objectif d'assurer la richesse de la langue française au Québec.

L'accommodement et la préservation de l'identité distincte, culturelle et linguistique du Québec à prédominance francophone étaient, et sont encore, des objectifs importants de la Confédération. Cette identité et la ténacité des Québécois de souche à préserver celle-ci sont respectées par la grande majorité des Québécois anglophones.

Alors que l'objectif de la Charte de la langue française pouvait être positif, les moyens ne l'ont pas été. C'est le désir du psychiatre de mettre les Québécois anglophones à leur place qui a façonné, finalement, la Charte de la langue au Québec. Même René Lévesque, l'auteur du préambule, croyait que les dispositions de la loi 101 allaient trop loin. Et ça, c'était très clair le 3 octobre 1977, alors qu'il rencontrait des parents anglophones réunis dans une école de Saint-Hubert, sa première prise de contact avec un groupe anglophone depuis l'adoption de la loi 101 (15 h 50).

Et je cite, ici, Marcel Adam, dans La Presse du 4 octobre 1977. Il dit: «M. Lévesque n'a pas défendu sans réserve la loi 101. Encore une fois, il a paru mal à l'aise devant certaines de ses dispositions et, plusieurs fois, il a presque imploré les anglophones de permettre à cette loi de faire ses preuves, soulignant qu'à l'usage des modifications seront apportées, que, si des droits fondamentaux ou constitutionnels semblent être violés, il est possible de la contester devant les instances appropriées — énumérant même les recours possibles d'une manière qui avait parfois l'air d'une invitation à s'en prévaloir.» Il s'est montré franchement étonné des résultats pratiques de leur application. Fin de la citation.

Donc, la communauté anglophone du Québec, de façon très respectueuse et appropriée, s'adressa aux tribunaux. La Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel du Québec, la Cour suprême du Canada, toutes ont déclaré unanimement que les dispositions de la loi sur l'affichage commercial violaient la liberté d'expression. Par conséquent, l'usage du gouvernement libéral de la clause «nonobstant», 11 ans plus tard, pour outrepasser ces décisions, afin d'adopter la loi 178, a profondément blessé la communauté anglophone, bien plus qu'on pouvait l'imaginer. Et c'était un frein à l'expression même de notre identité, ici, chez nous. Cette interdiction des langues autres que le français donne un visage artificiel de la société québécoise et nie la réalité de ses habitants, surtout à Montréal.

Maintenant, cinq ans après la décision de la Cour suprême, les Nations unies condamnent également cette loi. Alors, avec le projet de loi 86, il semble que le gouvernement soit prêt, finalement, à souligner une des leçons les plus importantes de la loi 101 et de la loi 178: qu'une juste fin exige de justes méthodes pour y arriver. Le gouvernement essaie finalement, en partie, de réparer certaines injustices passées et de corriger des éléments que René Lévesque croyait être inévitables. Donc, le projet de loi 86 est considéré, par l'Opposition officielle et même par certains commentateurs, comme une concession ou une victoire importante aux Québécois anglophones.

J'aimerais, M. le Président, être d'accord avec ça, mais, malheureusement, je ne le peux pas. Il faut rappe-

1er d'abord qu'on nous redonne un droit que tous les pays démocratiques du monde tiennent pour acquis. Mais, ceci étant dit, dans le contexte difficile de la politique québécoise, il représente un signe d'ouverture d'esprit, un pas dans la bonne direction. Cependant, nous croyons — notre formation politique — que ça ne va pas assez loin, et pour trois raisons.

Premièrement, ce pouvoir réglementaire est très large et est une source sérieuse d'inquiétude. L'article 17 du projet de loi donne au gouvernement toute latitude, par règlement, pour prescrire les conditions où l'interdiction d'afficher en d'autres langues continuera d'exister. Cela veut dire que le gouvernement peut, à n'importe quel moment, revenir à la proposition du Conseil de la langue française et interdire d'autres langues d'affichage pour les entreprises incorporées en ajustant tout simplement les règlements et, par conséquent, sans débat à l'Assemblée nationale. Mais, pire encore, si le Parti québécois venait au pouvoir, il n'aurait même pas à amender la loi 101 telle qu'elle était, il pourrait simplement inclure dans les règlements des restrictions sur presque tout l'affichage commercial. Alors, laisser l'article 17 tel qu'il est présentement invite à des contestations devant les tribunaux. Nous ne devons pas permettre que cela persiste; nous ne devons pas permettre de laisser cette blessure ouverte, et nous espérons que le ministre introduira un amendement pour changer cet aspect du projet de loi et qu'il ne permettra pas un pouvoir réglementaire si vaste, qui pourrait vraiment faire traîner le débat.

Mais, malgré tout cela, l'initiative du gouvernement sur l'affichage, son changement d'esprit sont des signes importants d'espoir, comme je l'ai mentionné. Il existe toujours du scepticisme, mais, en signe de bonne volonté, j'offre au ministre notre collaboration. Et, malgré les règlements encombrants et compliqués que nous attendons pour décrire les prédominances, je demande aujourd'hui à la communauté anglophone de ne pas abuser des assouplissements et de respecter les règlements de la prédominance pour préserver le visage français du Québec. La Cour suprême a suggéré que l'obligation et même la prédominance du français était tout à fait légitime et était une limite raisonnable dans une société libre et démocratique, et nous respectons entièrement cette décision. deuxièmement, en ce qui concerne le statut bilingue et l'article 113f, comme le ministre l'a souligné ce matin, dans tous les pays du monde, lorsqu'une minorité linguistique historique affirme sa présence dans une municipalité, c'est-à-dire entre 7 % et 30 %, celle-ci devient ipso facto bilingue. au québec, pour qu'une municipalité ou une institution soit reconnue bilingue, il faut que la minorité devienne majorité et dépasse 50 %. alors, nous espérons que le ministre va beaucoup plus loin. nous croyons qu'il doit être prêt à abaisser le seuil de 50 %.

Mais, troisièmement, M. le Président, l'aspect le plus important, le plus grand défaut du projet de loi 86, c'est son échec de s'attaquer à la question de la survie même de la communauté anglophone du Québec. La décision du gouvernement de ne pas ouvrir, même un tout petit peu, l'accès à l'école anglaise est une décision majeure. Si le gouvernement veut que la communauté anglophone continue d'exister comme partie intégrante de la trame démographique, sociale et culturelle du Québec, qu'elle reste une composante importante de la société québécoise au cours du prochain siècle, alors, le projet de loi 86 ne réussit pas. Nous ne devons pas laisser un changement dans la loi sur l'affichage n'être qu'une façade de ce dont la communauté a véritablement besoin pour survivre.

Le rapport du groupe de travail Chambers sur le réseau scolaire anglophone dit que l'affirmation que le Québec anglais n'est pas menacé en raison du contexte nord-américain où nous vivons est sans fondement. Sans doute que l'anglicité des Québécois anglophones n'est pas menacée, mais le Québec anglais, en tant qu'élément fonctionnel de la société québécoise dans son ensemble, ne peut fonctionner sans les ressources humaines dont il a besoin pour apporter sa contribution collective. Si on l'empêche de se renouveler, il disparaîtra tout bonnement. Le fait de le couper systématiquement de ses réseaux, de ses sources traditionnelles de réapprovisionnement peut être interprété comme un arrêt de mort à retardement; mais, délibéré, il le sera sans doute.

Le défi n'est pas mince et ne peut être relevé par le Québec anglophone à lui seul. Nous connaissons bien les statistiques: il y avait plus de 250 000 étudiants dans les écoles anglaises au Québec en 1972, 100 000 étudiants dans les écoles anglaises aujourd'hui. Mais ce qui est terriblement malheureux, c'est qu'il y en a qui ont eu l'audace de se plaindre, récemment, que les anglophones, non satisfaits de l'affichage bilingue, amorçaient maintenant une nouvelle bataille linguistique sur la question de l'accès aux écoles anglaises. Agnès Gruda, de La Presse, a écrit: En s'accrochant au rapport Chambers, les porte-parole anglophones commettent une grossière erreur. Ils confirment aux tenants de la thèse de la première brèche que les choses ne s'arrêtent pas là.

Lucien Bouchard, qui se présentait l'an dernier comme le messie de la tolérance et se disait honteux de l'interdiction d'afficher en anglais, a dit la semaine passée que les anglophones ne seront jamais heureux tant qu'ils n'auront pas tout.

Alors, cette attitude, il faut le dire, démontre une sérieuse incompréhension. La libéralisation dans l'affichage, ce n'est pas un cadeau à la communauté anglophone, ça représente une évolution importante pour tous les Québécois. Et, de plus, les représentants de la communauté anglophone n'ont demandé rien de plus que le minimum pour que leur propre communauté survive en paix aux côtés de la communauté majoritaire francophone, à peine assez pour maintenir une masse critique dans le réseau des écoles anglaises.

Le rapport Chambers, par exemple, demande seulement que les parents qui viennent d'un pays anglophone aient le droit d'envoyer leurs enfants aux écoles

anglaises du québec, ce qui n'affecterait même pas 1 % du nombre d'inscriptions dans les écoles françaises, alors que le réseau anglophone y trouverait un regain de vigueur qui pourrait fort bien faire la différence entre la fermeture ou non de plusieurs de ces écoles. (16 heures)

Le Parti québécois crie de ce noble perchoir que nous ne devons pas créer de classes d'immigrants. Par conséquent, lorsque nous demandons d'apporter une semblable modification, en permettant à l'article 23(l)a de la Charte des droits et libertés de s'appliquer au Québec, laquelle utilise le critère de la langue maternelle anglaise plutôt que du pays d'origine pour accéder aux écoles anglaises, le ministère nous dit que les modalités pour déterminer la langue maternelle sont trop compliquées et difficiles, cela malgré le fait que le Québec est la seule province au Canada où la garantie de l'accès à l'enseignement dans la langue de la minorité sur la base de la langue maternelle n'est pas en vigueur.

Le gouvernement doit réaliser que, loin d'être une menace pour la francisation du Québec, les écoles anglaises éprouvent des difficultés majeures, aujourd'hui, à s'approprier de nouvelles recrues en nombre suffisant pour compenser pour l'usure.

Si nous devons rester une valeur intrinsèque pour le Québec, nous avons désespérément besoin de réapprovisionnement. Comme le Québec français, notre taux de natalité est très en dessous des niveaux de remplacement, alors qu'au même moment nos jeunes nous quittent.

The Liberal Party's own Beige Paper permitted in the past any parents who had their formal education in English to send their children to English schools.

In April 1978, Claude Ryan, in a position paper on language said, and I quote: Bill 101 brings deplorable restrictions to the access of anglophone children to English schools. It ignores also the very definite desire of parents to see that their children acquire a good knowledge of French and English. Consequently, there is a need to consider the following improvements: that, number one, English schooling should be available to English-speaking children, wherever they are born.

M. le Président, un tel assouplissement aux règles d'admissibilité à l'école anglaise aura un effet concret et psychologique très positif pour notre communauté. La mesure pourrait inciter certaines personnes qualifiées de pays industrialisés à s'établir au Québec, et son impact serait minimal, négligeable sur le rapport relatif entre les secteurs français et anglais.

The Minister said recently in his press conference that public opinion is not ready for any widening of access to English education. But he, as minister, and the government have not done enough to educate Quebeckers to these realities. Many Quebeckers do not realize that what the anglophone community leaders have been asking for will barely scratch the francophone majority. If they were aware of the numbers, you would see that public opinion would be ready for these very modest changes.

There is a desperate urgency; there is no more time to engage in talk of gradualism for the sake of social peace. Now is the time for the government to act on this pressing issue, and we urge the Minister to soften the deplorable restrictions — those are his own words: deplorable restrictions — to the access to English schools, and we hope that this will be considered before Bill 86 is adopted in a few weeks.

What we find unbelievable, unfortunate and frustrating is that this simple, minimal request for something that is so basic, yet so crucial for our survival, has been treated with such scorn, that Québec political decisions dealing with changes to language must withstand such angry denunciation, clouded at times by historical inaccuracies and even an obsession with being a victim.

We have all been victims of injustices and we have all been perpetrators of injustices. But there comes a time when the vendettas, when the bitterness must end, when one's eyes must be open and when the motto of a society should no longer be «Je me souviens», but rather «Je rêve». We cannot, as a society, move forward if we remain fixated on the past. Emotional intransigence is the first step towards intolerance.

And many who will speak before this commission in the coming days will screech and they will scream and they will bang their fists and they will point their fingers at the Minister and they will curse the government for this bill.

But in time of dispute between language groups, each side usually will have its own version of history; but it is crucial not to erect any view of history into a dogma, justifying departure from international standards of human rights. And that is what should guide this commission for the next few weeks.

The government must articulate an ability to look forward, to focus on what is right and, especially in the next few weeks, not to cave in to nationalist fearmongering, not to be intimidated by street demonstrations or ultranationalist organizations.

Instead, we must take heart from the fact that in the vast majority of instances of daily life, relations between English and French-speaking fellow citizens are characterized by courtesy and goodwill. Difficulties arise in consequence of collective social intervention. It is the collective behavior that all too often becomes politicized, polarized and mobilized by the crude forces of Québécois nationalism which exploit and inflame both legitimate concerns and anxieties, but also deep rooted reflexes of paranoia and xenophobia.

All Quebeckers should hope that we will not be witness to tribalism emerging from the dark recesses of Québec society and spilling into the streets, being led by the psychiatrist. This will inflict serious damage to Quebec's reputation and all Quebeckers will suffer.

Selon Lysiane Gagnon, il sera suicidaire pour le Québec de fermer les yeux sur la face sombre du courant nationaliste qui fait de la pureté linguistique une valeur supérieure à toutes les autres.

Le Président (M. Doyon): ...M. le député.

M. Libman: In conclusion, Mr. Chairman, preserving, promoting and protecting the French language and culture in Québec is an admirable objective. It is something for which all Quebeckers, Francophones, Anglophones and Allophones can work together to achieve, but Bill 101 went much too far, with odious dispositions and devastating and unacceptable results. if our community is not given a breath of fresh air soon, our community will be fighting for its own survival in a quarter of a century. as an overall percentage of quebec's population, anglophones have dropped from 14,7 %, in 1971, to 12,3 %, in 1981, to 11,1 %, in 1991. the english-speaking community can in no way be considered a threat to quebec's frenchspeaking majority.

And, just to conclude, the time, therefore, has never been more appropriate for the French-speaking majority to show that it respects and accepts the anglophone community, with changes to the very law that has hurt our community so badly. Bill 86 takes a small step in that direction. The Minister must guide it further, and if he is willing, the population will support his initiative.

Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député de D'Arcy-McGee.

J'ai en main deux lettres, ici: une de la Chambre de commerce du Québec qui m'indique qu'ils ne seront pas présents cet après-midi, et une autre lettre...

Pardon?

M. Chevrette: Est-ce que' vous pourriez en faire lecture, s'il vous plaît? Il devait être convoqué à 15 h 30, si j'ai bien compris, ce groupe-là?

Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: Est-ce qu'on pourrait savoir les motifs? Est-ce qu'ils donnent les motifs?

Le Président (M. Doyon): «La Chambre de commerce a bien reçu, en fin de journée, vendredi dernier, l'invitation de la commission de la culture à comparaître devant elle, le 18 mai prochain, pour discuter du projet de loi 86 qui modifie la Charte de la langue française. «Le bureau exécutif en a discuté à sa réunion tenue hier, le 10 mai. La Chambre, pour se prononcer sur une aussi importante question, doit suivre un processus de consultation fidèle à ses traditions et à ses règlements en pareil cas. Or, les délais de rigueur, prescrits par les statuts et règlements de la Chambre pour la tenue d'une telle consultation, ne lui permettent pas d'émettre un avis en temps utile en regard de l'échéancier des travaux de la commission. «La Chambre de commerce regrette donc de ne pouvoir se rendre à l'invitation de la commission. «Veuillez agréer», etc. Signé: Yvon Marcoux.

L'autre lettre que j'ai en main, c'est celle de... M. Chevrette: ...des hôteliers et restaurateurs?

Le Président (M. Doyon): De l'Association des hôteliers et restaurateurs, oui, parce que l'entête de la lettre ne portait pas ce nom-là. Elle est adressée au secrétaire de la commission. «Monsieur, c'est avec grand regret que l'Association des hôteliers et restaurateurs doit décliner l'invitation concernant les consultations particulières sur le projet de loi 86. «Veuillez agréer», etc.

M. Chevrette: M. le Président. Le Président (M. Doyon): Oui.

M. Chevrette: Je vous remercie de la lecture des deux lettres.

Pourriez-vous me dire ce qui arrive avec le groupe qui devait être entendu ce matin, de 11 heures à midi?

Le Président (M. Doyon): On avait une demande de report en ce qui concerne ce groupe-là, qui nous disait ne pas être en mesure de se présenter à l'heure prévue.

M. Chevrette: Est-ce que, M. le Président, vous pouvez me dire, à ce moment-là, à quel moment ils seront entendus?

Le Président (M. Doyon): II y aura probablement des discussions qui devront avoir lieu, j'imagine.

M. le ministre, est-ce que vous avez des informations à ce sujet? (16 h 10)

M. Ryan: Les échos qu'on m'a rapportés indiquent que la Chambre de commerce du Montréal métropolitain souhaite être entendue. Elle ne pouvait pas se présenter cette semaine parce que son président serait en voyage à l'extérieur du pays. Mais, si une entente survient entre l'Opposition et le groupe ministériel quant à la confection définitive et ajustée, là, suivant des accidents de parcours que nous connaissons, il sera facile de l'inclure sur la liste, et je suis convaincu qu'elle aura une très bonne contribution à nous fournir.

M. Chevrette: Mais, compte tenu du fait que vous aviez décidé, au niveau de la motion préliminaire déposée en Chambre le 5 ou le 6, là...

Une voix: Le 6.

M. Chevrette: ...le 6, est-ce qu'il n'est pas dans votre intention, au-delà du consentement requis ou pas, de modifier votre résolution du 6 mai, là, et de l'introduire?

M. Ryan: Ça, ça dépendra, là, des discussions qui devaient avoir lieu aujourd'hui même. Et, à supposer qu'il n'y ait pas d'entente, les gens de la Chambre de commerce sont des gens pratiques, ce sont des gens qui ont les pieds à terre, et toutes nos discussions de règlement ne les intéressent aucunement. Et je suis convaincu qu'ils viendront présenter leur point de vue au ministre, au gouvernement — peut-être aussi à l'Opposition, ils en jugeront eux-mêmes.

Mais ils ont bien d'autres moyens de faire connaître leur opinion. Ils ne sont pas obligés de venir attendre que nos débats de procédure soient terminés ici.

M. Chevrette: Non, non. Mais... M. Ryan: Si on peut...

M. Chevrette: C'est parce que vous avez affirmé...

M. Ryan: ...les inclure, là, dans un climat de concorde, nous le ferons par tous les moyens raisonnablement possibles.

M. Chevrette: Oui, c'est parce que vous déclariez, M. Ryan, vous-même, en 1977, dans le temps que vous faisiez des éditoriaux, que la simple courtoisie... Vous vous rappelez de ça, d'avoir écrit ça?

M. Ryan: Non, mais je ne me rappelle pas tout ce que j'ai écrit.

M. Chevrette: Non? C'est dommage parce que... M. Ryan: Non. J'aime me le faire rappeler.

M. Chevrette: ...ça changerait probablement les propos actuels, si vous écoutiez... si vous relisiez ce que vous avez écrit. Mais je vous l'apporterai, puis...

M. Ryan: Non, mais j'ai toujours été en faveur de la liberté, c'est vrai.

M. Chevrette: ...je vous le donnerai, demain matin, pour vous montrer comment vous écriviez bien, à l'époque.

Le Président (M. Doyon): Alors, compte tenu de l'absence des deux groupes indiqués, je suspens les travaux de cette commission jusqu'à 20 heures ce soir.

(Suspension de la séance à 16 h 12)

(Reprise à 20 h 5)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de la culture reprend ses travaux.

Nous allons avoir l'occasion, ce soir, d'entendre les représentants de deux organismes. Le premier, qui est le Mouvement Québec français, qui sera avec nous pour une heure, et le deuxième, ce sera Alliance Québec, qui sera aussi avec nous pour une heure.

Je vous indique qu'il y aura 20 minutes qui seront réservées à nos invités pour nous faire part de leur point de vue. Le parti ministériel disposera de 20 minutes pour s'entretenir avec nos invités, et les représentants de l'Opposition auront, globalement, 20 minutes.

Je demanderais, étant donné que ces 20 minutes sont consacrées et réservées pour les députés de l'Opposition et qu'il y a un représentant — en tout cas, ce soir — du Parti Égalité, je demanderais au représentant du Parti Égalité, qui aura droit à 5 minutes, de bien vouloir me l'indiquer en temps utile pour que je puisse lui réserver ce temps-là sur les 20 minutes qui sont réservés à l'Opposition; autrement, je serai dans l'impossibilité de le faire.

M. Chevrette: c'est automatique, ça, m. le président? ;

Le Président (M. Doyon): Sur demande du... Oui, monsieur./.

M. Libman: Je vais vous faire signe, M. le Président, comme d'habitude.

Le Président (M. Doyon): Très bien. Comme on a procédé dans d'autres commissions.

M. Libman: Oui.

Auditions

Le Président (M. Doyon): Alors, j'invite donc nos représentants à bien vouloir tout d'abord se présenter pour les fins de transcription de nos débats. Ils connaissent nos règles, ils sont habitués à venir nous rencontrer en toutes sortes d'occasions. Je leur souhaite la bienvenue et je leur dis que nous sommes prêts à les écouter, dès maintenant.

Mouvement Québec français (MQF)

M. Bouthillier (Guy): Merci, M. le Président.

M. le ministre, Mmes et MM. les députés, je voulais d'abord vous remercier, au nom de mes amis que je vais vous présenter tout de suite, d'avoir bien voulu nous inviter à venir ici. Je voulais aussi remercier la Providence, qui a parfois des voies tortueuses et qui a permis que nous soyons ce soir les premiers à prendre la parole sur cette question du projet de loi 86.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bouthillier: Sans plus ample informer, je vous présente mes amis: Raymond Perreault, qui représente

l'AQPF, l'Association québécoise des professeurs de français au Mouvement Québec français; Jean-Pierre Diane, qui représente l'Alliance des professeurs de Montréal; Armor Dufour, qui représente le Mouvement national des Québécois; Bruno Roy, qui est président de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois; Michel Rioux, qui représente ici la CSN; Michel Morasse, qui représente ici la FTQ; et Henri Laberge, qui représente, ici et au MQF, la CEQ.

Vous savez aussi que le Mouvement Québec français est composé de la Société Saint-Jean-Baptiste, de l'Union des artistes et de l'Union des producteurs agricoles.

Si vous permettez, M. le Président, je vais vous lire rapidement le mémoire que nous avons préparé ainsi qu'une annexe de ce mémoire.

Le projet de loi 86 n'est pas bon parce qu'il touche à notre affichage commercial et qu'il le fait au point d'en annihiler l'esprit et même la chose. Mais, de surcroît, ce projet de loi touche à de nouveaux et nombreux aspects de la loi 101, toujours, bien sûr, pour affaiblir cette loi. Je vous en donne quelques exemples.

Sur le plan de l'école, si le gouvernement refrène, pour l'instant, son impatience à servir la cause que défend, par exemple, Alliance Québec, il fait déjà un premier pas dans cette direction en entrouvrant un peu plus encore la porte de l'école anglaise, et il le fait de la pire façon: en invitant à tirer profit d'exceptions pourtant déjà prévues, c'est-à-dire, en fait, en invitant à en abuser.

De plus, le projet de loi 86 accepte formellement la clause Canada, imposée par la constitution de 1982, que ne reconnaît pourtant toujours pas le Québec.

Mais, surtout — et c'est peut-être là ce qui en dit le plus long sur l'esprit de ce projet — il porte atteinte aux principes mêmes de l'enseignement en français. En effet, à l'immersion collective du Québec dans une mer anglo-saxonne, voilà que ce projet de loi ajouterait maintenant l'immersion de chacun et de chacune d'entre nous dans l'enseignement anglais. (20 h 10)

Sur le plan de l'État, maintenant. L'acceptation formelle de l'article 133 du «BNA Act» qui revient en force se réinstalle à la place d'honneur et déloge les dispositions prévues en 1977. On fait même dire à cet article 133 ce que ses auteurs de 1867 ne prétendaient pas lui faire dire, et simplement parce que tel est le bon vouloir de la Cour suprême.

Sur le plan de l'économie, maintenant. En plus d'être affaiblie indirectement par la «rebilinguisation» de l'affichage, la langue du travail le sera aussi directement par la mise en tutelle de l'Office de la langue française, qui perd l'essentiel de son pouvoir de réglementation.

Par ailleurs, on le sait, l'anglais, dans ce projet de loi, retrouve sa place comme langue des sentences arbitrales, tandis que la reconnaissance illimitée de la liberté d'expression des entreprises servira à contester les dispositions relatives à la langue du travail.

Et tout cet activisme contre l'esprit et la lettre de la loi se traduirait par une politisation extrême de l'ensemble de notre législation linguistique. Par l'abolition de la Commission de protection, qui disparaît purement et simplement, par la mise en tutelle de l'Office, on renforce ainsi le pouvoir du cabinet des ministres, toujours — on le sait — sensible aux pressions et aux calculs électoraux. Ce pouvoir réglementaire que s'arroge ainsi le Conseil des ministres équivaut à donner à celui-ci un chèque en blanc en matière linguistique.

Prises individuellement, chacune de ces dispositions est mauvaise, mais, additionnées, elles seraient très graves pour la loi 101 et pour la langue française. Ce projet, en effet, serait un pas de plus dans la reconnaissance de l'égalité des langues et, par-delà, dans la reconnaissance que le Québec est une entité politique à deux éléments constitutifs d'égale valeur. Or, comme chaque recul de la loi 101 a toujours été suivi jusqu'ici d'un autre, on peut être sûr que, cette fois-ci encore, ce recul en préparerait de nouveaux. Et d'autant plus sûrement que les arguments dont on prétend se servir aujourd'hui — globalisation de l'économie, intégration continentale, investissements étrangers, ouverture d'esprit, générosité, etc. — tous ces arguments serviraient demain à nous arracher de nouveaux reculs.

Tout ceci signifierait la stérilisation de la loi 101, ravalée au rang de momie, la stérilisation de la loi 101 et de son idée du français, langue commune du Québec. Avec ce projet de loi, on franchirait la ligne rouge qui sépare l'idée — qui est la nôtre, au MQF et ailleurs dans la société québécoise — d'un Québec, foyer national d'un peuple francophone, à celle qui a inspirée, notamment, les auteurs du texte de Charlottetown, d'un Québec devenu ou redevenu «a bilingual province».

L'affichage commercial, parlons-en: ce n'est jamais qu'une partie de la langue de l'activité économique, mais ça en est de loin la partie la plus visible. La langue de l'affichage est donc le témoin privilégié non seulement d'un état de choses, mais aussi — mais surtout — d'une volonté. C'est sur le terrain de l'activité économique que se joue le destin de notre langue. Fer-nand Ouellette, notre poète, l'avait dit mieux que tous les sociolinguistes: Les langues qu'on ne parle plus qu'après cinq heures de l'après-midi sont déjà mortes.

La place de notre langue comme langue de l'activité économique au Québec pèsera aussi non seulement sur le destin de la langue, mais, bien entendu, sur le destin politique, le destin même de notre peuple en tant que peuple, et il en est ainsi depuis très longtemps. Lord Durham avait bien compris, en son temps déjà, et je cite «que le spectacle de la langue anglaise gagnant chaque jour du terrain comme langue de ceux qui distribuent les emplois aux travailleurs ne pouvait que décourager les Canadiens français de l'espoir de conserver leur nationalité».

Et, plus près de nous, Frank Scott refit exactement la même analyse et il s'opposa net, du temps de la commission Laurendeau-Dunton, à ce que les pouvoirs publics viennent déranger les dirigeants d'entreprises de la liberté que ceux-ci s'étaient donnée en matière de

langue: Accroître l'emploi du français comme langue des affaires au Québec, disait le professeur de McGill, renforcera la position de ceux qui croient en la possibilité d'un Québec indépendant.

C'est pour témoigner de notre volonté de redressement collectif et de notre détermination à réconcilier notre culture avec notre activité économique que nous avons décidé, en 1977, d'imprimer la marque de notre peuple sur les affiches de nos commerces et de nos entreprises. Tel est le plus important des messages qu'envoie l'affichage unilingue français. Et c'est bien aussi parce qu'ils ont compris la même chose que les épigones de Frank Scott et tous les adversaires du Québec français et de la loi 101 cherchent à nous faire reculer et à nous imposer le retour de l'anglais dans l'affichage commercial. Or, comme ces adversaires savent — Reed Scowen l'a même écrit — que l'affichage unilingue ne dérange pas les anglophones dans leurs activités quotidiennes, et comme aussi ils s'imposent de masquer, dans cette affaire, leur mobile politique, ce qu'ils cherchent à faire, c'est à nous culpabiliser. Les Québécois ne se laisseront pas culpabiliser.

Cette loi de l'affichage unilingue est non seulement belle et bonne, elle est aussi parfaitement justifiée. La commission Pépin-Robarts l'avait d'ailleurs déjà dit, en 1979. Et, pour ceux qui en douteraient encore, le Mouvement Québec français joint aujourd'hui à son mémoire un texte qu'a bien voulu lui fournir monsieur Gregory Baum, théologien, professeur de morale sociale au Département d'études religieuses de l'Université McGill, texte dont je vous lirai quelques extraits.

À la page 2 de l'annexe, ce texte, qui nous a été fourni par le professeur Baum: «La loi 101, dit-il, [...] adoptée sous le gouvernement de René Lévesque, constitue une réalisation politique majeure pour le peuple québécois du fait qu'elle remédie à une injustice héritée du passé colonial du Québec.» (20 h 20)

On passe ensuite à la page 5, vers la fin: Les arguments éthiques — c'est sur ce plan que se place le professeur Baum de McGill, les arguments moraux — invoqués à l'appui de la législation en matière de langue reposent tous sur le même fondement: les deux principes que nous avons déjà exposés plus haut. Les lois qui renforcent les droits collectifs aux dépens des droits individuels ne sont acceptables du point de vue de l'éthique que si, primo, elles se fondent sur des raisons valables et urgentes et, secundo, si elles n'imposent que des restrictions minimales, c'est-à-dire sans conséquences graves. Plus l'urgence est grande, plus les restrictions sont justifiées, dit Baum.

À la page 7: Appliquons maintenant les deux principes énoncés à l'étude relative à l'affichage dans la loi 101 en examinant les raisons, et puis ensuite les restrictions. Les raisons sont valables et sont urgentes, dit Gregory Baum, professeur de McGill.

Premièrement: «La loi 101 [...] est le fruit d'une longue lutte historique contre une domination coloniale et vise à remédier à une vieille injustice.»

Deuxièmement: «Pour la majorité des Québécois, la loi 101 assure symboliquement la protection de leur identité culturelle.»

Troisièmement: «La loi 101 défend les intérêts économiques de la grande majorité des Québécois en leur permettant de travailler et de commercer désormais dans leur langue et, du coup, de remettre en cause l'hégémonie économique de la minorité.»

Quatrièmement: «La loi 101 donne au Québec un visage français en montrant de façon symbolique que la société québécoise est francophone et non pas bilingue, ce qui constitue un message important pour les immigrants.»

Cinquièmement: «La langue française reste menacée au Québec pour diverses raisons: d'abord à cause de la présence envahissante de la culture et de la technologie américaines; ensuite, du fait que l'anglais est devenu la lingua franca à travers le monde; et, troisièmement, par suite de la condition minoritaire des Québécois au sein d'un Canada qui, grâce à une immigration massive et récente, n'est plus considéré comme le résultat d'une union entre deux peuples.»

Sixième point:, «La langue d'un petit peuple qui vit à l'ombre d'une grande civilisation risque toujours de devenir folklorique et de ne plus être apte à refléter tous les aspects de la vie sociale et intellectuelle des Québécois.»

Page 9: «Maintenant que nous avons démontré la validité et le caractère d'urgence des raisons sur lesquelles se fonde la loi 101, examinons, dit le professeur Baum, la nature des restrictions que cette loi impose aux minorités linguistiques.»

Premièrement: «Les restrictions prévues par la loi dans le domaine de l'affichage ne portent pas foncièrement atteinte à la liberté d'expression qui a pour but de protéger le pluralisme politique, idéologique et artistique et ne concerne que de façon très indirecte l'affichage commercial.»

Deuxièmement: «Les anglophones du Québec peuvent continuer de faire affaire en anglais. Les restrictions portant sur l'affichage n'empêchent pas les commerçants anglophones de faire leur publicité en anglais à la radio, à la télévision, dans les journaux, les revues hebdomadaires, la presse de quartier et les circulaires. De même, les grands magasins et les simples boutiques conservent les moyens d'amplifier leur clientèle de langue anglaise.»

Troisièmement: «La loi 101 ne menace pas la survivance des institutions historiques de la collectivité anglophone, telles que les écoles, les universités, les hôpitaux, les services de bien-être social et les autres organismes communautaires.»

Quatrièmement, page 10: «Selon M. Charles Taylor, s'il est vrai qu'il y a lieu de protéger et de promouvoir la langue française au Québec, les mesures législatives qui portent sur l'affichage n'avantagent aucunement le français et n'ont [...] pas de conséquences.» «À mon avis», dit Gregory Baum, lui aussi professeur de McGill comme Charles Taylor, professeur au

Département d'études religieuses... «À mon avis, dit Baum, ce grand philosophe sous-estime la force des symboles. Le visage français que la loi donne au Québec, par ses dispositions sur l'affichage, adresse un message important à ceux qui ont passé leur vie ici de même qu'aux nouveaux arrivants.»

Cinquièmement: «À mon avis, dit Gregory Baum, les Québécois d'origine française sont bien trop sensibles à l'attitude négative de la presse et de l'opinion publique du Canada anglais relativement à la question linguistique. À cause du caractère asymétrique de la Confédération canadienne, d'un mépris et d'une hostilité héréditaires et du fait qu'ils n'ont jamais eu besoin d'institutions pour protéger leur langue, les anglophones du Canada, même les mieux intentionnés, sont généralement incapables de comprendre la situation du Québec et l'importance de la Charte de la langue française.»

Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier. M. Bouthillier: «S'ils devaient»...

Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier, je vous indique que le temps qui vous est alloué est terminé. Alors, si vous voulez bien conclure de façon à ce que les échanges puissent commencer avec les membres de cette commission.

M. Bouthillier: Je conclus sur Baum qui nous dit: Si les francophones du Québec «devaient se laisser culpabiliser par cette attitude négative, les Québécois feraient preuve d'une irrationalité qui pourrait même compromettre l'avenir de leur culture.»

C'est pour cela et pour toutes les autres raisons que le Mouvement Québec français, ici, est venu dire son opposition au projet de loi 86 et son attachement à la loi 101.

M. le Président, au nom de mes amis, je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bouthillier. M. le ministre vous avez maintenant la parole pour 20 minutes.

M. Ryan: Oui. Je voudrais tout d'abord, M. le Président, saluer les représentants du Mouvement Québec français et leur dire qu'il est toujours intéressant pour nous d'échanger avec eux sur les questions linguistiques.

Je n'ai pas besoin de préciser, d'entrée de jeu, que je ne partage pas l'approche fondamentale du Mouvement Québec français. Je pense que c'est une approche qui dramatise à l'extrême la situation dans laquelle nous avons à prendre des décisions de cette nature. C'est une approche qui sous-estime singulièrement l'aptitude de la liberté, quand on la reconnaît chez les citoyens, à prendre des décisions raisonnables, et c'est une approche qui érige aussi des barrières d'incompréhension beaucoup trop élevées entre personnes de lan- gues et de cultures différentes. Sur ces points fondamentaux, j'inscris mon désaccord et mon droit de l'exprimer, celui du gouvernement aussi.

Le Mouvement Québec français reproche au gouvernement de vouloir tenir compte de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 dans notre législation linguistique. On a tenté de légiférer, il y a 15 ans, en faisant abstraction de l'article 133. Les tribunaux ont été saisi de contestations et se sont prononcés clairement qu'aussi longtemps que nous vivons dans l'ensemble canadien — quelles que soient les opinions des uns et des autres — les lois de ce pays s'appliquent, et ceux qui font des lois dans ce pays doivent en tenir compte, à moins de vouloir se nourrir d'abstractions ou de théories coupées de la réalité.

Alors, quand nous reconnaissons la réalité de l'article 133 pour traiter de la langue de la législation et de la justice, je pense que nous faisons acte de vérité. Depuis déjà 15 ans, nous présentons à la population un texte officiel qui ne traduit pas la réalité véritable des choses que nous faisons tous les jours. Nous voulons tout simplement rétablir la vérité. Il n'y a rien de changé, en réalité. Et, quand nous reconnaissons la clause Canada, c'est une clause qui s'applique dans le système d'enseignement du Québec depuis plusieurs années déjà, avant même l'avènement du gouvernement libéral. C'est une clause qui, dans notre cas, ne crée pas de difficultés fondamentales parce que, comme nous adhérons à la réalité canadienne, nous favorisons depuis longtemps la clause Canada, l'application de la clause Canada en matière d'admission à l'école. (20 h 30)

Alors, si ce sont des points qui vous scandalisent, je pense bien que vous nous dites implicitement que c'est tout le Canada qui vous scandalise. Nous respectons votre opinion, mais je ne saurais accepter que vous veniez nous l'imposer. Je vous le dis franchement.

En matière d'enseignement, je pense que vous faites un gros plat avec l'assouplissement que nous apportons concernant l'apprentissage d'une langue seconde. Si vous lisez attentivement la disposition contenue à l'article 22 du projet de loi, vous verrez clairement qu'il est dit que cet article «n'empêche pas l'enseignement dans une langue autre que le français afin d'en favoriser l'apprentissage». Pas pour n'importe quelles fins, pas pour des fins d'enseignement en général, «afin d'en favoriser l'apprentissage, selon les modalités et aux conditions prescrites dans le Régime pédagogique établi par le gouvernement en vertu de l'article 447 de la Loi sur l'instruction publique».

Prendre prétexte d'un texte comme celui-ci pour tenter de faire croire à la population que nous voulons transformer les écoles françaises du Québec en écoles bilingues ou en écoles anglaises — on est allé jusque-là — c'est tromper la population, c'est répandre des mythes, et je dirais même des mensonges. Je tiens à clarifier ces choses. Ce que nous visons ici, c'est une réponse efficace au voeu de 90 % au moins des parents du Québec qui veulent que leurs enfants, lorsqu'ils

quittent l'école secondaire, n'aient pas passé 11 années à l'école pour en sortir incapables de s'exprimer dans la langue anglaise ou dans une autre langue seconde. Mais ce sera, dans la très grande majorité des cas, la langue anglaise pour des raisons évidentes. Alors, je ne vois pas ici, je vous le dis franchement, où est le mal, je ne vois pas où est le danger mais je ne vois qu'exagération dans les interprétations que l'on nous propose.

En matière d'affichage, j'avais invoqué le témoignage de Gregory Baum, qui est un de mes vieux amis, que je connais très bien, dont je respecte les opinions. Je ne les partage pas toujours, évidemment. Mais ça, c'est un jeu facile, les citations. Je pourrais vous citer l'article de Michel Lebel, dans Le Devoir de ce matin, qui est un juriste respecté de l'Université du Québec à Montréal, et combien d'autres. Editorial qui paraissait dans La Presse encore aujourd'hui. Combien d'articles ont paru dans les journaux, depuis une couple de semaines, établissant, je pense, de manière très fortement majoritaire le caractère foncièrement modéré des modifications que nous voulons apporter à la loi 101 afin non pas de l'annihiler, non pas d'en détruire l'esprit, mais de la rendre mieux adaptée aux réalités actuelles.

J'en viens à l'affichage, qui est le sujet principal de discussion. Parce qu'en matière d'enseignement, vous aurez beau — je vous le dis en toute simplicité, je vous connais depuis longtemps — essayer de créer des frayeurs, ce sera artificiel parce que ce n'est pas ce que vous trouverez dans le texte de loi si vous l'examinez objectivement.

En matière d'affichage, il y a un changement important. Je pense que c'est normal que nous en discutions. Et je vous pose la question que je trouve dans l'article du professeur Lebel dans La Presse de ce matin: «Le gouvernement devait tenir compte en cette matière de deux considérations. La première, c'est que toutes les instances judiciaires et quasi judiciaires depuis 1985, soit la Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel du Québec, la Cour suprême du Canada et le Comité des droits de l'homme des Nations unies ont affirmé que l'affichage commercial unilingue français allait à l'en-contre de la liberté d'expression. Le gouvernement du Québec devait prendre acte de ces verdicts et proposer des corrections.»

Vous n'avez pas parlé du tout de cet aspect-là dans votre présentation. Je n'ai entendu aucune mention de la liberté d'expression. J'aimerais que vous nous disiez comment vous réagissez à ces jugements nombreux qui se sont accumulés au cours des années, qui ont été menés de manière unanime par les magistrats appelés à se prononcer sur les dispositions de la Charte de la langue française traitant de l'affichage. Nous, ça nous a préoccupés du côté du gouvernement. Chaque fois qu'un jugement défavorable est rendu, non seulement au sujet de la Charte de la langue française mais au sujet de n'importe quelle loi du gouvernement, moi, ça me préoccupe, comme membre du gouvernement, et je me dis: Si nous avons raison, nous irons en appel; si nous avons tort, nous modifierons notre législation de manière à la rendre acceptable. Une fois que vous avez épuisé tous les recours, qu'est-ce que vous faites? J'aimerais que vous me disiez ça.

Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier.

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M. Bouthillier: Oui, il y a beaucoup de choses à dire. Dans votre intervention, M. le ministre, vous avez parlé de l'article 133 et de la clause Canada en disant: Enfin, il est normal que l'on intègre ça dans la Charte. Pour ce qui est de l'article 133, je ferai quand même remarquer que vous-même, M. Ryan, vous-même en commission parlementaire, lorsque nous avons discuté du projet de rapatriement de M. Trudeau, vous avez dit: Si l'Ontario ne se fait pas appliquer l'article 133, je ne vois pas pourquoi le Québec se le ferait appliquer.

En ce qui concerne la clause Canada, vous étiez à l'Assemblée nationale en 1981-1982 lorsque celle-ci a refusé d'accepter de reconnaître la Constitution pour les raisons que vous savez. Le Québec refuse toujours cette Constitution. Voici que, faut-il dire, par un détour, par la bande, en pièces, détachées, vous acceptez un des éléments essentiels, un des éléments les plus importants de la Constitution que vous-même, M. Ryan, vous-même refusiez en 1981-1982.

Vous avez parlé de barrières d'incompréhension. Les barrières au Québec, les solitudes au Québec, les deux solitudes, M. Ryan, existaient bien avant la loi 101. Ces barrières, ces solitudes, elles sont le fruit de l'histoire. La loi 101, qui veut faire justement du français la langue commune à tous les Québécois, est une loi qui vise justement à nous sortir les uns et les autres de nos incompréhensions réciproques, de nos mutismes réciproques, de nos solitudes réciproques. Elle vise surtout — et ça, c'est très important de le dire, car nous sommes dans ce siècle de grande immigration internationale — à nous protéger contre le danger de l'apartheid. C'est un mot que je n'invente pas, c'est un mot que j'emprunte à l'avis du professeur Marc Levine qui est venu ici, au Québec, en témoigner le 15 novembre dernier: Attention, si vous laissez tomber la loi 101, attention, si vous affaiblissez la loi 101, vous risquez fortement de créer un apartheid dans la région de Montréal. Et «apartheid», c'est beaucoup plus qu'une barrière d'incompréhension, c'est l'intolérance, c'est les difficultés, c'est les inimitiés, c'est les conflits dans nos quartiers, dans nos rues, dans nos villes.

La loi 101 est une loi de rapprochement. Pourquoi est-ce qu'on ne lui a pas donné sa chance? Depuis qu'elle est née, cette loi, depuis qu'elle a été adoptée il y a un peu plus de 15 ans, ici, dans cette Assemblée nationale, il s'est trouvé des gens, pour des motifs politiques inspirés par l'appareil fédéral — gouvernement, Commissariat aux langues officielles, Parlement fédéral — il s'est trouvé toute une machine pour faire la guerre à la loi 101: la guerre législative, la guerre judiciaire, la guerre de propagande, qui est la pire, parce qu'elle mine, au fond. (20 h 40)

Si on avait laissé à la loi 101, comme on laisse à un coureur sa chance, vous ne croyez pas qu'effectivement on aurait commencé... D'ailleurs, on commence. Regardez nos écoles, nos écoles sont devenues, grâce à la loi 101, des écoles de compréhension, des écoles d'ouverture, des écoles de fraternité, enfin, at long last! Nos écoles françaises sont les écoles où viennent prendre place des enfants qui, autrement, seraient allés ailleurs, dans les autres écoles. Vous le savez très bien, M. Ryan. Et ces enfants, grâce à la loi 101, vont devenir les enfants de nos propres enfants. La loi 101, c'est une loi d'amitié, c'est une loi de fraternité, c'est une loi d'ouverture sur le monde. La loi 101, c'est précisément la charte avec laquelle, par laquelle et grâce à laquelle le peuple du Québec a décidé de s'ouvrir au monde. Et nous demandons, bien sûr, en retour que le monde s'ouvre à nous tels que nous sommes, fabriqués avec notre histoire, notre culture, notre tempérament, notre volonté.

C'est ça, la loi 101. La loi 101 est une loi d'ouverture, si j'ai bien compris.

Je continue?

Le Président (M. Doyon): Si vous voulez. Nous sommes ici pour vous entendre.

M. Bouthillier: Merci.

Vous avez parlé de liberté d'expression, M. Ryan, en me disant, en nous disant, si j'ai bien compris, que nous n'en avions pas parlé. Je me permets quand même de vous reporter au texte de Gregory Baum qui tourne essentiellement autour de ça. Charles Taylor lui-même le disait: Les adversaires, la machine, la machine à propagande se sert de l'argument de la liberté d'expression, liberté fondamentale. Mais il n'y a pas matière à liberté fondamentale là-dedans. La liberté d'expression n'a pas été inventée pour permettre de vendre des chaussures, elle sert à autre chose. La liberté d'expression, M. Ryan, on en a fait un plat et on a voulu nous faire honte partout sur les places du monde avec cette histoire de liberté d'expression.

Effectivement, l'opinion québécoise a été un petit peu ébranlée par cette affaire. Nous avons le respect des libertés; lorsqu'on nous dit qu'on brimerait une liberté fondamentale, on s'inquiète. Effectivement, on a cherché dans cette histoire à voir s'il n'y avait pas d'autres exemples de par la terre de peuples aussi civilisés, aussi propres et aussi ouverts que nous qui portaient atteinte aux libertés d'expression. On cherchait, on cherchait dans tous les coins etc. pour constater qu'il n'était pas indispensable d'aller à l'autre bout du monde, qu'il suffisait d'aller à côté, au Canada.

Nous aussi nous reconnaissons la réalité canadienne, M. Ryan. La réalité canadienne, c'est bien des choses, et c'est notamment un CRTC, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, c'est aussi une réglementation du CRTC, c'est aussi une réglementation concernant le contenu canadien, justement, des ondes radio et télé. Mais cette réglementation porte atteinte à la liberté d'expression. Cette réglementation sur le contenu canadien limite la liberté d'expression sur les ondes de radio et de télé. Est-ce qu'il y a des jugements de la Cour Suprême qui l'interdisent?

Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier, simplement pour vous rappeler qu'il reste trois minutes sur le temps qui devait servir à un échange.

M. le ministre, vous voulez peut-être réagir aux propos...

M. Bouthillier: Oui. Je suis tout à fait d'accord, M. le Président. C'est vous qui m'aviez donné la...

Le Président (M. Doyon): Oui. C'est pour ça que je me permets de vous le rappeler. M. le ministre.

M. Ryan: Je vous écoute, M. Bouthillier... M. Bouthillier: Merci, M. Ryan.

M. Ryan: ...vous ne répondez pas du tout à la question qui est posée. Quand on parle d'un magistrat de la Cour supérieure, de trois ou cinq juges de la Cour d'appel du Québec, de sept juges de la Cour suprême du Canada, ce ne sont pas des membres d'un appareil de propagande à ma connaissance, ce ne sont pas des gens qui sont au service d'intérêts particuliers, ce sont des magistrats qui ont été nommés d'une manière légitime, qui sont munis d'une indépendance considérable pour juger des actes des citoyens, des entreprises et des gouvernements. Il arrive souvent, nous le savons, nous, qui sommes au pouvoir, que les tribunaux viennent annuler des décisions très importantes que nous pensions avoir prises en toute légitimité. Alors, je vous dis: Vous ne répondez pas à cette question-là qui nous a été adressée de manière répétée au cours des dernières années. Et ce n'est pas par l'invocation exclusive du témoignage d'un théologien que vous pouvez répondre aux problèmes pratiques d'ordre politique auxquels fait face un gouvernement. Et quand vous me dites que la loi 101, dans toutes ses dispositions, est une loi inclusive, une loi d'amitié, ça paraît que vous n'êtes pas sur le terrain de l'action politique concrète, vous recueilleriez de toutes autres réactions que celle-là, et pas seulement de membres des «establishments» économiques, de citoyens ordinaires, d'honnêtes gens d'une autre langue qui paient des taxes comme vous et moi et qui trouvent que leurs droits fondamentaux étaient violés et contredits dans certaines dispositions de la loi. Nous voulons tenir compte de ces réalités, et je crois que les modifications que nous proposons sont des modifications tout à fait raisonnables et modérées.

Ce que j'ai entendu ce soir de votre part ne réussit pas du tout à ébranler l'option qu'a faite le gouvernement de tenir compte davantage de la liberté d'expression en matière d'affichage, tout en veillant à assurer, dans le futur texte législatif, la nette prédominance du français.

Le President (M. Doyon): Trente secondes pour réagir, si vous le voulez, M. Bouthillier.

M. Bouthillier: Les juges de la Cour suprême sont des gens nommés, des gens sérieux, des gens qui étudient, des gens... Est-ce qu'ils l'étaient tellement moins en 1988-1989, quand vous avez décidé, pour des intérêts supérieurs, de vous servir de la clause qui redonne à l'Assemblée nationale sa souveraineté parlementaire? Est-ce que ces juges étaient moins valables que ceux d'aujourd'hui? Pourquoi est-ce que vous avez fait fi des juges de la Cour suprême à l'époque et pourquoi est-ce que, tout d'un coup, maintenant, vous avez inventé l'idée qu'il fallait se soumettre à eux aujourd'hui et pas hier?

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bouthillier.

Le temps qui était dévolu au parti ministériel est maintenant écoulé.

Je reconnais Mme la députée de Chicoutimi pour 15 minutes, étant entendu que le temps qu'elle ne prendra pas pourra être partagé avec ses collègues.

Mme Blackburn: Bien. Merci, M. le Président.

M. Bouthillier, messieurs, bonsoir. Alors, je vais tenter d'avoir des commentaires relativement brefs parce que mes collègues veulent également participer à l'échange.

M. Bouthillier, je pense que vous vous inspirez peut-être des propos de M. Ryan en 1988 pour établir la distinction entre la liberté de vendre des chaussures dans sa langue et la liberté d'exprimer une opinion ou la liberté religieuse. Je rappelle les propos de M. Ryan le 20 décembre 1988, lorsqu'il commentait l'adoption de la loi 178 et les jugements de la Cour. Il disait, et je cite: «Je ne suis pas davantage convaincu, je vous le dis en toute simplicité — quand on dit souvent "en toute simplicité", ça cache quelque chose — par l'opinion de la Cour suprême du Canada selon laquelle il existerait un lien vital et essentiel entre le discours commercial et le discours intellectuel, politique, culturel, social ou religieux. «Le discours commercial, c'est-à-dire la promotion de la publicité des produits, des biens et des services dans un but lucratif se rattache bien davantage, dans mon esprit, à la liberté du commerce qu'à la liberté d'expression proprement dite. Or, la liberté de commerce, tout en étant un élément très important d'une vision libérale de la société, ne se situe pas au même niveau que les grandes libertés fondamentales que proclament les chartes des droits humains depuis le deuxième conflit mondial.»

Et il poursuivait: «Mais lorsqu'on leur parle du droit à l'affichage commercial, et même du discours commercial, je pense qu'on peut introduire beaucoup de nuances et que la page 75 du jugement de la Cour suprême est loin d'être le dernier mot en ces matières. Le débat continuera, nous annonce-t-il, et je souhaite vive- ment qu'il continue et je m'engage — c'est le ministre Ryan qui parle — pour ma part, à continuer de l'alimenter.»

Il rejoint, dans ses propos, les commentaires du professeur Baum et on croirait qu'ils se sont inspirés l'un l'autre, sauf qu'il y en a un qui a de la suite dans les idées; le Dr Baum, s'entend. Et le ministre tente par tous les moyens de minimiser l'importance de la loi. Pourtant, et il le sait, la seule façon de rassurer le Québec, les Québécois, tous ceux et celles qui s'inquiètent des impacts de son projet de loi sur la loi 101 en matière d'administration, de justice, d'éducation, d'enseignement et d'affichage, ce serait d'avoir les projets de règlements. Pourtant, il nous les refuse toujours. (20 h 50)

À présent, M. Bouthillier, sur la base du texte duquel vous avez tiré de grands extraits du Dr Baum, est-ce que vous pourriez... Le docteur conclut en disant que ces réflexions éthiques démontrent bien que la loi 101 est, du point de vue moral, parfaitement acceptable, même si les tribunaux canadiens et un comité de l'ONU considèrent qu'elle va à rencontre des chartes qui protègent les droits individuels.

Vous faisiez référence, peut-être de façon trop brève tout à l'heure, à un parallèle qu'établit le Dr Baum avec une interdiction qui est posée par le CRTC pour limiter les contenus étrangers dans la télévision et la radio. Pourriez-vous un peu expliciter par rapport à cet aspect de la question?

M. Bouthillier: Au fond, il y a plusieurs choses à dire là-dessus. Effectivement, il y a deux poids deux mesures. On nous traîne devant les tribunaux du monde ou on voudrait prétendre nous traîner devant les tribunaux du monde parce qu'on a fait ce qu'on a fait dans l'affichage commercial, alors que le Canada se pavane sur toutes les scènes du monde comme étant, évidemment, le grand défenseur et le grand témoin des grandes libertés fondamentales; lui aussi a ses limites, et ces limites du CRTC sont autrement plus importantes, car elles touchent...

Dans la hiérarchie des valeurs, le discours politique, le discours littéraire, le discours culturel, le discours idéologique est autrement plus important que le discours commercial. Il porte atteinte à ça, personne ne le lui reproche. Nous, on essaie, si vous voulez, pour nous défendre... vous savez, on est 2 %... c'est nous, david, et goliath, c'est l'autre. on essaie de se défendre et on veut nous enlever notre fronde! on voudrait nous enlever la petite fronde qu'on s'est faite et on voudrait presque que l'on ait honte d'avoir eu l'idée de nous donner une fronde. ça vous paraît normal, ça?

Mme Blackburn: Bien. Alors, comme mon collègue de...

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député de Joliette.

Mme Blackburn: ...Joliette...

M. Chevrette: Oui, M. le Président. Dans un premier temps, je voudrais vous dire que j'écoutais religieusement le ministre, et nous avons eu droit aux salades habituelles quand on n'est pas d'accord avec lui. Dans les cinq premières minutes, il vous a dit que vous aviez une approche fondamentale, que vous créiez des barrières d'incompréhension, que vous vous nourrissiez d'abstractions, que vous étiez coupés des réalités, que vous étiez des trompeurs et des menteurs. Tout ça dans les cinq premières minutes. Ça, c'est le mépris habituel qu'on reçoit de cet homme lorsqu'on n'est pas d'accord avec lui.

Ceci dit, je voudrais vous demander à vous, qui avez à vous promener à travers le Québec et qui représentez des multitudes de travailleurs dans chacun de vos secteurs: Est-ce que vous avez senti, depuis déjà une semaine, lorsqu'on explique exactement les enjeux de la loi 86, une mouvance et un changement d'attitude des Québécois qui semblaient fatigués de ce genre de débat stérile? Est-ce que vous avez remarqué un certain intérêt accru et une certaine volonté de se défendre ardemment contre l'agression qui est faite à la loi 101?

M. Bouthillier: Est-ce que je dois répondre à votre question?

M. Chevrette: Oui.

M. Bouthillier: Nettement, très nettement. Et je veux, je pense, appeler l'attention de tous sur une comparaison qui est souvent faite entre, disons, le climat actuel — ce n'est pas un climat facile sur le plan politique, économique, social — et le climat d'il y a quatre ou cinq ans quand M. Ryan avait décidé, effectivement, que l'Assemblée nationale aurait le dernier mot sur la Cour suprême.

Il y a eu cette grande manifestation, dont tous les Québécois sont fiers, au centre Paul-Sauvé, le 18 décembre 1988, et ensuite il y a eu celle dans les rues de Montréal, le 12 mars 1989, où certains d'entre vous étiez peut-être présents. Et aujourd'hui, effectivement, il n'y a pas 60 000 personnes dans les rues de Montréal, il n'y a pas 50 000 personnes devant le Parlement du Québec, pas encore.

Qu'est-ce qui s'est passé en 1988? Dès 1986, le Mouvement Québec français, les mouvements qui constituent le Mouvement Québec français se sont mis en marche. La campagne «Ne touchez pas à la loi 101» a commencé en mai 1986. En décembre 1986, nous avons fait une manifestation à Paul-Sauvé; il y avait 5000 à 7000 personnes. Le 17 avril 1988, il y avait 25 000 personnes dans les rues de Montréal. C'est ce qu'on appelle un crescendo.

La manifestation du 18 décembre, M. Ryan — et je me permets de vous le dire parce que je sais qu'elle vous a frappé et qu'elle a frappé M. Bourassa, il l'a dit sur les ondes de la télé ce soir-là — ce n*était pas le lapin tiré du chapeau du magicien, c'est une préparation, une longue préparation, un mûrissement de l'opinion publique du Québec. Et là, voici que l'on se retrouve dans une situation difficile, devant un projet autrement plus considérable, d'une ampleur autrement plus grave que celle dont on nous avait parlé.

Ce n'est pas seulement l'affichage qui en cause, c'est bien des choses et des idées fondamentales derrière tout ça. On se retrouve devant un document d'une ampleur considérable et on voudrait que, sans préavis, on stimule une opinion publique! Mais nous sommes sur le terrain, nous étions au Plateau il y a huit jours. Hier encore, nous avions une conférence de presse où on annonçait une activité, et d'ores et déjà on le sent, ceux qui étaient tannés, comme on dit, de cette histoire-là, ceux qui ne voulaient plus en entendre parler, ils commencent à en parler. Écoutez les ondes radio!

J'ai reçu depuis trois jours quatre coups de téléphone de personnalités politiques, artistiques, etc., que j'avais invitées à venir prendre la parole avec nous au Plateau, qui s'étaient excusées au moment où je les ai invitées, pour toutes sortes de raisons, je suppose, et qui m'ont dit depuis ces deux ou trois jours: La prochaine fois, je veux en être, parce qu'ils voient bien que le courant est en train de monter, ils voient bien que cette opinion publique, malgré les difficultés... Et je ne suis pas sûr, moi, que ce sera à l'honneur historique du gouvernement d'avoir choisi un temps si difficile pour les Québécois et les Québécoises pour essayer de leur arracher un document et un acquis aussi importants. Dans un moment aussi difficile, malgré tout, on voit l'opinion publique se former, et on voit que cette opinion publique n'acceptera pas ce projet de loi qui est très grave parce qu'il contredit la loi 101, il menace la langue française et, surtout, il contredit l'idée qui est à la base de tout ce qu'on fait depuis 30 ans: qu'ici, c'est le foyer national d'un peuple francophone et que ce n'est pas une province franco-anglaise.

Voilà, M. le député Chevrette, les éléments dé réponse à votre intervention de tout à l'heure.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bouthillier.

Je sais que le député d'Anjou brûle de vous adresser la parole. Je vous signale qu'il reste à peine trois minutes et quelques. Alors, M. le député d'Anjou.

M. Bélanger (Anjou): Je vous remercie, M. le Président.

Le ministre semble parler du caractère inexorable, inévitable d'inclure la clause Canada dans le nouveau projet de loi à cause, justement, des décisions récentes... des décisions, disons, passées de la Cour d'appel et de la Cour suprême, mais je pense que le ministre ne comprend pas quelles sont, au plan constitutionnel, tant sur le plan constitutionnel que sur le plan politique, les conséquences réelles et désastreuses de cette reconnaissance de cette Constitution de 1982 qu'aucun gouvernement du Québec n'a acceptée. Quelles sont, d'après

vous, les conséquences?

M. Bouthillier: En tout les cas, une chose que je remarque, c'est que le peuple du Québec a dit «non» au projet de 1982, à la sauce de Charlottetown, et on dirait en quelque sorte qu'on voudrait lui tourner le dos, faire comme si sa décision d'octobre dernier n'existait pas et reprendre par la bande ce qu'on a perdu! Il y a presque un esprit de revanche là-dedans.

Michel, tu voulais intervenir?

Le Président (M. Doyon): Oui, monsieur.

M. Rioux (Michel): Je voudrais préciser quelque chose. Il faudra, je pense, que le gouvernement, dans les prochains jours, sinon dans les prochaines semaines, fasse appel à tous ses propagandistes patentés pour réussir à convaincre le peuple québécois que la principale urgence était, à ce moment-ci, de rouvrir la question linguistique alors qu'il y a à peu près 600 000 chômeurs, autant d'assistés sociaux. Ce n'était vraiment pas le temps de se lancer là-dedans. Il y a là comme une rapidité suspecte qui nous amène à penser qu'on se livre, au hasard des sondages, au gré des échéances électorales, et agrémentez tout cela de calculs électoraux, assaisonnez aussi tout cela de coups de gueule d'Alliance Québec, il y a là comme des comptes à rendre ou des «IOU» à payer, et il nous semble qu'on fait des mélanges.

M. Ryan, il y a trois semaines ou un mois, on le rencontrait et il nous faisait un parallèle entre les Héro-diens et les zélotes; ceux qui ont fréquenté la Bible s'en souviendront...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: II me semble de Gérald Laro-se — mais, visiblement, je pense que vous n'aviez pas écouté sa réplique — vous avait expliqué un certain nombre de choses: que, par exemple, la liberté d'expression fondée sur le droit de propriété ne permettait pas de faire n'importe quoi. Comme, par exemple, à quatre heures du matin, de se mettre à tirer du .12 sur les personnes qui marchent dans la rue, ou alors, à minuit, de se mettre à crier dans un mégaphone. Il y a des choses qui s'appellent des aménagements dans les sociétés.

La loi 101 est un aménagement linguistique et, en matière linguistique, il semble que l'expérience nous apprend qu'il faut laisser au temps le temps de faire son oeuvre. Or, il y a là des rapidités extrêmement suspectes qui risquent de mettre en péril les fondements d'une certaine paix sociale qu'on avait réussie à atteindre.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Rioux.

Compte tenu du temps qui reste, c'est au tour du député de D'Arcy-McGee de s'adresser aux invités. (21 heures)

M. Libman: Merci, M. le Président.

It is always a pleasure for me to come face to face with M. Bouthillier du Mouvement Québec français. We have never agreed in the past and nothing leaves me to believe that we will find serious common ground tonight.

What I still would like to go back to... the fundamental question that the minister was asking you and that you avoided answering. You have been speaking of a jurist this evening. He mentionned that the question of banning other languages on signs was found by the Superior Court of Québec, by the Appeal Court of Québec, by the Supreme Court of Canada to be a violation of freedom of expression. Eleven judges unanimously ruled in this manner; eight juges from Québec ruled in this manner by invoking both the Québec Charter of Human Rights as well as the Canadian Charter. Since then, the United Nations Human Rights Tribunal, 18 jurists, 18 experts in human rights, ruled that banning languages on signs violated freedom of expression. You still not have answered whether or not you feel that this whole slew of juges is wrong or wether you agree with their decision.

M. Bouthillier: Thank you very much for your question, M. Libman. It is always a pleasure to speak to you.

Ceci dit, vous avez dit que les experts du Comité des droits de l'homme des Nations unies étaient des experts en droit de l'homme. Certes, mais ils ne sont pas des experts en histoire, en réalité, en politique québécoises. Leur document pèche fondamentalement par le fait qu'il est fondé sur une erreur sur la personne, c'est-à-dire sur nous. C'est nous qui sommes en cause. Ce jugement, ce document, cet avis se trompe de personne.

Relisons-le, ce document: Qu'est-ce qu'il dit de nous? Qu'est-ce qu'il dit du Québec? Il ne dit rien du Québec. Le Québec n'est pas là. La majorité francophone du Québec dont on parle partout dans la vie politique québécoise et même canadienne, cherchez-la dans le document; elle n'est pas là. Il n'y a pas le Québec, il n'y a pas le peuple du Québec, il n'y a pas la majorité francophone du Québec; tout ce qu'il y a — comme si on était allés chercher ça dans le fond des tiroirs de l'histoire — c'est la minorité francophone du Canada. C'est une erreur fondamentale! Ce jugement, ce document ne s'adresse pas à la bonne personne; il n'y a plus de minorité francophone au Canada, nous sommes le peuple majoritaire francophone du Québec.

Et ce n'est pas par susceptibilité, M. Ryan, mesdames et messieurs, que je soulève cette erreur fondamentale sur nous. Nous ne sommes pas susceptibles. Je le souligne parce que le fait de nous catégoriser dans ce groupe de minoritaires nous affaiblit et rendait impossible à ce groupe de reconnaître la validité, la légitimité de la loi 101.

Relisez la charte du mois de décembre 1966, la

charte de l'ONU, reconnaissant les droits civils et politiques. Relisez son article 27, et surtout son article 27 qui a été cité d'ailleurs; il y a une référence directe à l'article 27 dans le document de l'ONU. L'article 27 reconnaît les droits des minorités linguistiques. Et quels sont les droits des minorités linguistiques aux yeux de l'ONU? Us sont extrêmement ténus, extrêmement limités. L'ONU est extrêmement chiche — excusez-moi du mot — quand vient le moment de reconnaître aux minorités linguistiques des droits en matière linguistique. Tout ce qui est reconnu à l'article 27, c'est ceci: Dans les États où il existe des minorités linguistiques, les personnes — ce n'est même pas des minorités qui se voient reconnaître des droits, ce sont les personnes, vous et moi — appartenant à ces minorités ne peuvent être privées — voyez comme c'est négatif, voyez comme c'est chiche — du droit en commun avec les autres membres du groupe de parler leur langue.

Tout ce que ça veut dire en bon français, en clair, c'est qu'entre nous on peut parler notre langue et que la GRC ne peut pas venir nous empêcher de le faire. À peu près, c'est ça que ça veut dire. Alors, évidemment, quand vous vous placez sur une base aussi mince, aussi maigre, aussi chiche et puis que vous regardez la Charte des droits de l'homme, la Déclaration universelle des droits de l'homme, vous vous dites: Sur une base aussi étroite, je ne peux évidemment pas porter atteinte à la liberté d'expression. Par contre, si on nous avait reconnus comme majorité, on nous aurait permis de le faire.

Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier, ceci termine l'heure que nous devions passer ensemble. Nous avons eu l'occasion d'échanger, et je vous remercie au nom de la commission, et je remercie les gens qui vous ont accompagné.

À l'ordre, s'il vous plaît! J'invite les députés à reprendre leur place de façon à ce que nous puissions procéder sans délai avec nos travaux. Le temps nous est compté.

À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.

J'invite les représentants d'Alliance Québec à bien vouloir s'avancer et prendre place à la table de nos invités, s'il vous plaît.

À l'ordre!

Je souhaite la bienvenue aux représentants d'Alliance Québec. Je vois qu'ils ont pris place à la table. Je leur répète très brièvement les règles qui nous gouvernent. Nous aurons une heure pour leur présentation, cette présentation étant réellement 20 minutes de leur mémoire ou de leur réflexion, suivie de 20 minutes accordées au parti ministériel, et ensuite 20 minutes aux deux partis de l'Opposition qui sont représentés ici, à cette commission, 15 minutes étant d'office réservées à l'Opposition officielle et cinq autres minutes étant réservées au représentant du Parti Égalité, s'il veut s'en prévaloir.

Alors, si vous voulez bien vous présenter pour les fins de la transcription de nos débats, nous sommes prêts à vous écouter.

Alliance Québec (AQ)

M. Keaton (Robert J.): Merci, M. le Président.

Honorables députés de l'Assemblée nationale, je suis heureux de vous adresser la parole, ce soir, en tant que président d'Alliance Québec pour parler des modifications aux lois linguistiques du Québec proposées dans le projet de loi 86.

M. Brian Rock, enseignant et adjoint spécial d'école de l'organisation communautaire d'Alliance Québec à Baie-Comeau, à ma gauche, et Mme Victoria Percival-Hilton, directrice générale d'Alliance Québec, m'accompagnent, ce soir. (21 h 10) pour commencer, je vais brièvement vous décrire ce qu'est alliance québec et ce que n'est pas alliance québec pour que vous puissiez mieux comprendre le contexte dans lequel se situent nos commentaires de ce soir. oui, nous sommes un groupe de pression qui défendons et soutenons les droits civils et les droits de la personne de la communauté d'expression anglaise du québec, une communauté qui compte environ 760 000 québécois, soit plus de 10 % de la population de notre province.

Cependant, nous sommes davantage qu'un groupe de pression parce que notre organisme et notre réseau ont des racines dans la communauté; nos membres proviennent de tout le Québec, de la Basse-Côte-Nord à l'Outaouais; notre «membership» est organisé en chapitres ainsi qu'en associations et institutions affiliées qui élisent leurs directeurs de façon démocratique.

La vaste majorité de nos membres travaillent activement au sein de leur communauté en tant que chefs de file et bénévoles. Tous veulent continuer à faire partie intégrante du Québec. Nous voulons cohabiter sereinement avec nos concitoyens québécois, payer nos impôts, élever nos enfants, respecter les lois, respecter les autres, et contribuer de façon constructive à un Québec prospère au sein du Canada. Voilà ce qu'est Alliance Québec et voilà ce qu'elle représente. Autrement dit, Alliance Québec n'est pas un groupe radical, Alliance Québec est un organisme représentatif.

Les Québécois d'expression anglaise constituent une communauté linguistique et non pas un groupe ethnique, racial ou religieux. Notre communauté est étonnamment hétérogène; nous constituons un groupe de personnes extrêmement varié et disparate. Certains membres de la communauté d'expression anglaise ont de profondes traditions d'individualisme politique; ils manifestent de la méfiance, parfois, envers une approche trop collectiviste. D'autres dénoncent avec vigueur le discours et les manifestations nationalistes, d'extrême nationalisme, pour en avoir observé les excès, dans d'autres pays par le passé. D'autres ont fui des régimes autoritaires un peu partout dans le monde et réagissent, encore maintenant, de façon soupçonneuse aux démonstrations d'autorité excessive.

Toutes ces personnes et des milliers d'autres composent notre communauté et, si je vous ai fait cette

courte description, c'est pour que vous compreniez mieux la communauté de Québécois d'expression anglaise, ainsi que le contexte, et non pas les causes, dans lequel se situent les réactions de notre communauté aux questions politiques.

La communauté d'expression anglaise du Québec a subi un déclin incroyable au cours des deux dernières décennies; notre communauté a perdu plus de 200 000 de ses membres. Et, même si les données récentes indiquent un ralentissement de cet exode, les répercussions psychologiques se font toujours sentir.

Le nombre d'écoles anglaises au Québec a connu une diminution considérable, passant de 519 en 1971 à environ 350 aujourd'hui. Nos enfants ont cherché à bâtir leur avenir dans d'autres régions, voire dans d'autres pays, et cet exode a marqué beaucoup notre communauté. Les jeunes Québécois d'expression anglaise se sentent souvent aliénés au sein d'une société où ils sont parfois ridiculisés, qualifiés de «communauté gâtée», oui, et de «minorité la mieux traitée au monde». Oui. Très commodes ces expressions.

Comme la plupart des minorités du monde, la minorité d'expression anglaise du Québec est souvent devenue, pour les éléments d'extrême nationalisme, un bouc émissaire pour les nombreuses frustrations. Très commode. Je ne poursuivrai pas cette explication, sauf pour ajouter que notre communauté constitue un élément fondamental du Québec, que nous avons des préoccupations graves, et que nous voulons qu'on s'y attaque.

Le projet de loi 86 doit rétablir un sentiment de dignité, d'équité et de justice envers notre communauté. Bill 86 must reestablish a sense of dignity, a sense of fairness, a sense of justice to our community.

Maintenant, en ce qui concerne l'affichage. En tant qu'individus, nous voulons retrouver notre droit fondamental d'afficher dans notre langue. En tant que communauté linguistique, nous voulons que l'interdiction imposée à notre langue soit levée. As a linguistic community, we want the ban on our language removed.

La distinction entre le droit d'afficher dans notre langue et le droit de voir notre langue figurer dans l'affichage est capitale pour les raisons que la Cour suprême, dans sa célèbre décision de 1988, invoquait pour établir que les deux étaient fondamentaux.

La position adoptée récemment par le maire de Montréal à cet égard ne reconnaît pas cette distinction lorsqu'il suggère que le droit à l'affichage bilingue devrait être limité aux petites entreprises de quatre employés ou moins.

L'aspect le plus odieux de l'unilinguisme imposé par la loi en matière d'affichage est que les langues autres que le français sont interdites en public. Dans notre cas, il s'agit d'une langue historique du Québec, une langue officielle du Canada, la langue prédominante en Amérique du Nord et une des cinq langues officielles des Nations unies interdites au Québec.

Autrement dit, ce qui est en jeu ici est bien plus que le droit des petites entreprises d'afficher en anglais, c'est la dignité et les droits d'un groupe linguistique et la réputation du Québec aux yeux du reste du monde.

En matière d'affichage, la position d'Alliance Québec a consisté et consiste toujours à retrouver le droit fondamental d'affichage dans notre langue. Nous ne demandons pas un bilinguisme obligatoire. Certains manipulateurs de l'opinion publique tentent d'amener les Québécois d'expression française à croire cela en utilisant l'expression trompeuse de «bilinguisme intégral».

Nous voulons simplement que l'interdiction d'afficher dans notre langue soit levée. Cette interdiction dure depuis 16 ans. Cette interdiction contrevient, comme vous l'avez écouté tout à l'heure, à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne; cette interdiction contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés; cette interdiction s'oppose au jugement unanime de la Cour supérieure du Québec, de la Cour d'appel du Québec et de la Cour suprême du Canada. Et, dernièrement, nous avons appris que cette interdiction contrevient à la Déclaration universelle des droits de la personne des Nations unies. Toutes ces sagesses doivent être considérées comme beaucoup plus valides que les opinions extrêmes de certains individus au Québec.

Elle a également causé des dommages inestimables aux relations entre les Québécois d'expression anglaise et française, malgré ce que disent certains individus quand ils parlent de la paix sociale, entre le Québec et le reste du Canada, ainsi qu'à la renommée internationale de notre province de Québec. (21 h 20)

Grâce au projet de loi 86, nous espérons revenir à une solution raisonnable, une solution qui, tout en exigeant la présence du français, ce à quoi Alliance Québec ne s'est jamais opposée... Nous ne nous sommes jamais opposés à l'exigence légale... la présence du français permettrait la présence d'autres langues... en autant que ça permette la présence d'autres langues, et même à la prédominance. Même à la prédominance.

Le message ainsi véhiculé à tous et à toutes, y compris les immigrants, est que le Québec est une société à prédominance française, mais également une société qui respecte les autres langues. The message that this will convey to everybody, including immigrants, is that Québec is a predominantly French society, but also a society that is respectful of other languages.

Je veux ici demander maintenant à tous les membres de ce comité, au gouvernement, à l'Assemblée nationale de faire en sorte que les dispositions sur l'affichage contenues dans le projet de loi 86 soient adoptées tel que présentées et ne soient pas mises en péril par les règlements, et que tout cela s'effectue dans un esprit d'ouverture et de compréhension.

Maintenant, je voudrais aborder une question encore plus controversée et litigieuse, et pour certains même religieuse: l'accès à l'école anglaise. Sur ce sujet en particulier, il est essentiel de rétablir les faits. En abordant la question de l'accès à l'école anglaise, Alliance Québec, et dans ce cas la majorité de la communauté d'expression anglaise, avait en tête un objectif simple. Pas un complot, un objectif très simple: enrayer

le déclin des inscriptions dans nos écoles et enrayer la fermeture de nos écoles qui en est la conséquence. C'est ça, l'objectif, quand on aborde la question de l'accès à l'école.

Nous ne voulons pas revenir en arrière, nous n'essayons pas de détourner l'intention de la Charte de la langue française qui cherche à favoriser l'intégration des immigrants à la communauté majoritaire. Et nous n'essayons pas, sûrement, nous n'essayons pas de déclencher une lutte au sujet des écoles, comme certains chefs politiques l'ont laissé entendre de façon irresponsable. Ce que nous essayons de faire, c'est simplement de faire en sorte que le système scolaire anglais soit durable et viable au Québec, ce qui signifie endiguer le déclin continu des inscriptions dans nos écoles et endiguer les fermetures de nos écoles.

M. Rock est enseignant à Baie-Comeau, et je lui ai demandé de nous donner le pouls de sa communauté et de nous expliquer l'importance des écoles pour le présent et l'avenir de cette communauté.

M. Rock.

Le Président (M. Doyon): M. Rock.

M. Rock (Brian): Bonsoir. Je suis actuellement adjoint spécial du Baie-Comeau High School et j'enseigne l'histoire, l'anglais et l'informatique aux étudiants du secondaire. Je fais également partie du comité provincial sur l'éducation d'Alliance Québec.

Le Baie-Comeau High School, le seul établissement d'enseignement de la commission scolaire protestante de Baie-Comeau, a une clientèle de 137 élèves, de la maternelle au secondaire V. Quand je suis arrivé à Baie-Comeau pour enseigner, il y a 15 ans, j'ai trouvé une communauté d'expression anglaise dynamique de plus de 1000 personnes représentant plus de 5 % de la population totale de Baie-Comeau. La majeure partie des activités de cette communauté d'expression anglaise était centrée sur le Baie-Comeau High School et sur l'église anglicane St. Andrew et St. George de Baie-Comeau.

Depuis ces 15 années, 1'attrition a causé un déclin de la population d'expression anglaise qui ne s'élève plus qu'à 300 personnes, soit 1 % de la population totale de Baie-Comeau. Cette année, le Baie-Comeau High School verra sa clientèle diminuer de 137 à 128 élèves, et seulement quatre élèves seront inscrits à la maternelle pour septembre 1993. Baie-Comeau High School will see its enrolment of this year drop from 137 to 128 students, but only four students registered for kindergarten in September of 1993.

L'église anglicane St. Andrew and St. George n'a plus de pasteur. Des pasteurs itinérants viennent à Baie-Comeau de Gaspé ou de Québec tous les deux ou trois mois pour célébrer la messe.

Il y a deux ans, les problèmes que connaissent les écoles anglaises du Québec a été jugé assez grave pour que le ministre de l'Éducation, Michel Pagé, mette sur pied un groupe de travail pour étudier la question. Après six mois d'analyse en profondeur, le groupe de travail a formulé 29 recommandations unanimes. La recommandation no 1 consistait à accorder aux immigrants des pays anglophones le droit d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Le rapport Chambers nous a donné quelque raison d'espérer. Les éducateurs du secteur anglais ont été encouragés par ces recommandations, particulièrement par celle qui demande un plus grand accès à l'école anglaise. Nous sommes déçus qu'elle n'ait pas été appliquée parce que, non seulement nos écoles, mais aussi notre communauté en dépend.

En fait, le projet de loi 86 offre le statu quo, tandis qu'à l'heure actuelle le secteur anglais connaît un taux annuel d'attrition de plus de 5 % en dehors de la région montréalaise. Avec une clientèle et des ressources qui diminuent, il est devenu de plus en plus difficile d'offrir l'éducation de qualité à laquelle nos élèves et leurs parents s'attendent.

Je suis très fier d'enseigner au Baie-Comeau High School. Notre commission scolaire s'est classée première de la province à deux reprises grâce aux bons résultats des élèves aux examens. Mais ensuite? I am extremely proud to be a teacher at Baie-Comeau High School. Our school board has been ranked as the number one board in the province twice in the last five years, based on high school leaving examination results. But where do we go from here?

Nous devons accroître le bassin où nos écoles peuvent aller chercher leur clientèle; cela va permettre au système scolaire anglais de continuer à donner l'éducation de qualité pour laquelle il est reconnu, dans un environnement vivant et sûr, qui incite à l'apprentissage.

M. Keaton: la première recommandation du rapport chambers est raisonnable; elle ferait augmenter de 700 à 800 élèves par année la clientèle de nos écoles. cela réglerait le problème du déclin des inscriptions et nous fournirait la base d'une régénération continue. et qu'est-ce que de 700 à 800 élèves représentent? moins de 1 % des nouvelles inscriptions annuelles; moins de 1 %, annuel, c'est tout.

Cependant, après être passée sous le rouleau compresseur du sentiment nationaliste, il ne reste plus grand-chose de la recommandation du rapport Chambers. Alliance Québec...

Le Président (M. Doyon): M. Keaton, il vous reste une minute pour conclure.

M. Keaton: Alliance Québec a aussi proposé comme solution l'article 23(l)a), en référence à la Charte canadienne des droits et libertés. C'était une autre solution à la question des inscriptions, à l'accès aux écoles anglophones, anglaises au Québec. Cela est axé sur la citoyenneté: un citoyen canadien de langue maternelle anglaise aurait donc le droit d'envoyer des enfants aux écoles anglaises au Québec. C'est une autre suggestion, une autre solution que nous avons offerte, mais c'est tombé aussi.

Alors, on arrive à la situation que, devant nous, il

y a certaines suggestions qui, nous ne le croyons pas, vont régler le problème à l'accès. C'est un problème qui continue. Si on a un peu plus de temps tout à l'heure, on va vous donner les chiffres exacts.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Keaton.

M. le ministre, vous disposez de 20 minutes. (21 h 30)

M. Ryan: M. le Président, il me fait plaisir d'accueillir le groupe Alliance Québec ce soir. Je pense que, quand on veut savoir la réaction véritable d'une communauté minoritaire, la façon la plus sûre, c'est de l'écouter, c'est d'essayer de saisir ses sentiments réels, quoi qu'on pense de l'interprétation historique qu'il convient d'en donner. Et la chose qui me peine le plus, c'est d'entendre des personnes disposer du sort des communautés minoritaires à la lumière d'un modèle uniforme, d'un modèle qui ne fait de place qu'à une perspective, qu'à une façon de voir les choses, alors que l'essence même d'une société diversifiée comme l'est le Québec, c'est d'être capable d'accueillir différentes perspectives, et, au premier chef, évidemment, celles que présentent les communautés minoritaires parmi lesquelles la communauté anglophone — d'un point de vue historique, économique, constitutionnel et autres — occupe, évidemment, une place de tout premier rang.

On a essayé, dans la loi 101, de faire abstraction de la langue anglaise, de la traiter comme une langue autre que le français. C'est l'expression qu'on emploie un peu partout. Ça ne peut pas cacher la réalité. Puis l'article de Michel Lebel, de l'Université du Québec à Montréal, que je citais tantôt, le disait, justement. Lorsqu'une loi ne tient pas compte de la réalité véritable d'une société, tôt ou tard, elle est rattrapée par la réalité, puis elle doit chercher à s'ajuster à cette réalité-là. C'est ce que nous devons faire aujourd'hui.

On peut vivre avec un modèle uniforme de ce qu'est la société québécoise; ce n'est pas la réalité, surtout dans la région de Montréal. Dans la région de Montréal, nous avons une société extrêmement diversifiée, qui le devient même de plus en plus. Certains considèrent que c'est un danger; d'autres considèrent que c'est un enrichissement; d'autres considèrent que c'est un défi formidable. Et je pense pouvoir vous dire que, du côté du gouvernement, nous préférons voir le défi positif que pose cette situation plutôt que d'y voir uniquement des dangers, comme on se complaît trop à le faire du côté de l'Opposition.

Ceci étant dit, j'ai cru comprendre, à propos d'affichage, que les dispositions contenues dans le projet de loi représentent, aux yeux d'Alliance Québec, un progrès quand même très sensible par rapport à la situation qu'il exerçait auparavant... qui a existé jusqu'à maintenant.

Je vous pose une question: Le Parti libéral du Québec, à son conseil général tenu il y a à peu près un mois, a soutenu que l'affichage sur les panneaux-réclame devrait être exclusivement en français, et je voudrais savoir quelle est l'opinion d'Alliance Québec à ce sujet.

M. Keaton: Ça, c'est une question assez difficile, parce que le principe que nous avons expliqué, c'est le droit d'afficher en anglais et d'enlever le «ban» sur la langue anglaise. En ce qui concerne les panneaux publicitaires, c'est évident que ça pose un problème. Mais il faut que la solution soit assez simple pour éviter les batailles juridiques. Et ce n'est pas que nous insistions qu'il y ait les panneaux publicitaires bilingues, mais il faut aussi compter sur le bon sens des publicistes et des compagnies, et on ne peut pas très bien imaginer un panneau publicitaire... parce que, s'il y a... avec les limites... Vous allez mettre les limites que le français soit prédominant. Comment ça va se traduire, en ce qui concerne les panneaux publicitaires? C'est difficile à dire. Mais ce n'est pas une bataille essentielle, dans le sens que, l'important, c'est deux choses: qu'on évite la clause «nonobstant», parce que ça brime les droits, la clause «nonobstant», et qu'on enlève le «ban» et qu'on admette le principe que l'anglais est visible.

What, Mr. Ryan, I am trying to say more, perhaps, clearly: if you are going to make a unilingual law for panels, you have all sorts of problems there; transversal. In other words, you have a truck that is passing by: are you going to say that it has to be unilingually French? It does not make much sense, especially if it comes from out of the province; you can't do that. And if a truck coming from out of the province can be bilingual, why can't a truck within Québec be bilingual, in that case?

Publicity billboards: again, it is not...I do not think... It is not a question of principle, but it is a question of simplicity. You have got to adopt a law that is not going to lead us to the courts.

Tout ce que je veux dire, c'est que c'est le principe qui est le plus important, dans ce sens-là, le principe que la communauté linguistique anglophone du Québec a le droit aussi d'avoir sa langue, comme d'autres communautés linguistiques. Parce qu'il faut que ça soit clair: lorsqu'on parle d'enlever le «ban», c'est sur toutes les autres langues. Je ne veux pas que ça devienne une bataille juridique, ce que j'ai dit.

I do not want to go to my grave with an epitaph written on that I fought for bilingual billboards all the way to my grave!

M. Ryan: C'est un problème d'application, si je comprends bien.

M. Keaton: C'est plutôt un problème d'application. Et on est très conscients de la nécessité de garder, ici au Québec, pour la communauté francophone, la création en ce qui concerne la conception publicitaire. Parce que, dans l'ancien temps, c'était à Toronto que le concept était créé et c'était au Québec pour la traduire. On comprend bien que ce n'est pas possible de traduire les concepts. Comme aujourd'hui sur la première page du Devoir: le problème pour Cossette et ces gens-là, je comprends bien.

Mais je préférerais qu'on approche cette question,

cet aspect de la question d'une façon pratique, plutôt que d'une façon idéologique, parce que ce serait beaucoup plus facile de résoudre le problème.

M. Ryan: Sur la question scolaire, je voudrais faire quelques observations rapides.

J'ai entendu le ton plutôt pessimiste de vos observations. Les renseignements dont nous disposons indiquent que deux facteurs pourraient contribuer, au cours des prochaines années, à favoriser une légère croissance des inscriptions dans les écoles anglaises.

Le premier de ces facteurs, c'est la diminution des pertes nettes du Québec au chapitre des migrations interprovinciales et internationales. Nous avons fait des pertes considérables au cours des 10 dernières années, mais, depuis une couple d'années, les pertes s'amenuisent considérablement. Pour la communauté anglophone, cela signifie des plus grandes perspectives de stabilité que celles qu'on a connues au cours des 10 dernières années.

Et, deuxièmement, les données statistiques qui nous sont communiquées indiquent une augmentation significative du taux de fécondité chez les mères anglophones, les mères de langue anglaise. On constate que le nombre de naissances, dans ce secteur, est supérieur d'environ 800 à 1000 par année, depuis deux ou trois ans, à ce qu'il était, ce qui incite les démographes du ministère de l'Éducation à prévoir qu'au cours des cinq ou six prochaines années il devrait y avoir une certaine augmentation des inscriptions dans les écoles anglaises du Québec, ce qui serait de nature à apaiser les craintes d'extinction que vous avez formulées — non sans raison — à la lumière de l'évolution des 10 dernières années.

Je vous pose la question de ce point de vue là: Est-ce que vous avez noté ces tendances récentes?

M. Keaton: C'est une tendance encourageante, mais on se méfie un petit peu des projections fondées sur un changement soudain, comme la projection des déficits, comme la projection du temps, la météo et des choses comme ça: ça change d'un jour à l'autre. Je ne sais pas si ces tendances de fécondité plus précoces des anglophones vont continuer, mais disons que la question reste quand même.

Encore une fois, l'objectif, c'est de stopper le déclin, d'une façon ou l'autre; stopper le déclin pour assurer un système viable. Donc, je veux que ça soit bien clair que ce n'est pas comme si quelqu'un voit un maraudage pour les immigrants.

M. Ryan: En ce qui touche l'admission des immigrants, justement, à l'école anglaise...

M. Keaton: Excusez-moi, M. le ministre, je veux juste rajouter une chose. Les chiffres, semble-t-il, sur la fécondité des anglophones, ça définit un anglophone dans ce sens-là; ça ne dit pas si ces anglophones sont éligibles aux écoles anglaises.

M. Ryan: II y a une vérification à faire de ce côté-là, vous avez raison.

M. Keaton: Alors, il faut faire attention à ces chiffres-là. (21 h 40)

M. Ryan: Mais on peut considérer que la majorité de ces mères ont probablement fréquenté l'école anglaise. Mais je n'ai pas de statistiques là-dessus, là, et je reconnais qu'il y a une difficulté là.

M. Keaton: ...mais certainement l'engagement que ces membres, des deux côtés de l'Assemblée, soient conscients du problème.

M. Ryan: Nos recherchistes du ministère de l'Éducation considèrent qu'il y a une très forte probabilité que ces mères auront le droit...

M. Keaton: On va prendre note de ça, M. le ministre.

M. Ryan: Pardon?

M. Keaton: On va prendre note de cet optimisme.

M. Ryan: Oui, plus tard, au cours des travaux de la commission, je déposerai des statistiques, qui seront également disponibles pour vous.

Je voudrais vous poser une deuxième question à propos de la langue d'enseignement. Vous avez demandé — le rapport Chambers l'avait recommandé — que les enfants d'immigrants — soit en provenance de pays anglophones, soit des enfants d'immigrants qui auraient reçu un début de scolarité en anglais dans leur pays d'origine — puissent être envoyés à l'école anglaise, au Québec. D'un certain point de vue, ça se comprend, puis ça nous ramène à l'argument de la langue maternelle que vous invoquez souvent, qui est loin d'être un argument indifférent, mais qui pose de gros problèmes d'application, ce qui a forcé à le laisser de côté, il y a déjà plusieurs années. Mais comment répondez-vous à l'objection qu'on formule souvent, où on nous dit: Nous, les francophones au Québec, nous acceptons d'envoyer nos enfants obligatoirement à l'école française parce que nous voulons que le Québec français demeure et nous trouvons que les francophones doivent donner l'exemple? Alors, la loi s'applique à nous pour commencer.

Une voix: C'est ça, oui.

M. Ryan: Une exception prévaut pour les anglophones qui ont reçu leur enseignement primaire en anglais au Québec ou au Canada. Mais comment pour-riez-vous accorder cette liberté aux enfants d'immigrants, alors que les Québécois francophones eux mêmes s'imposent une limite, de ce côté?

M. Keaton: Justement, c'est pourquoi il faut...

M. Ryan: Puis, si vous retendiez aux enfants d'immigrants de pays anglophones, là, vous créez deux classes d'immigrants. En plus, il y aurait deux classes de citoyens au Québec; en plus, il y aurait deux classes d'immigrants. Vous ne trouvez pas que ça crée des difficultés très sérieuses? Et vous entendiez les objections que l'on formule à l'endroit d'assouplissements très mineurs, très modérés que nous apportons à la loi 101.

Si nous faisions des changements comme ceux que vous proposez, est-ce que vous pensez que l'opinion québécoise serait prête à les accepter?

M. Keaton: Mais, à ça, la majorité a mal réagi. La majorité va mal réagir à l'idée qu'un immigrant aura — si ça change dans cette direction — plus de droits que les Franco-Québécois, c'est évident. C'est un problème, mais c'est pourquoi je préfère, honnêtement, une solution fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, qui dit que, une fois citoyen, un citoyen canadien, après trois ans ou quatre ans ou cinq ans au Canada — si sa langue maternelle est anglaise et qu'il continue de parler l'anglais — il aura le droit d'envoyer les enfants soit à l'école francophone ou à l'école anglophone. Parce que vous savez bien qu'un nombre assez appréciable des anglophones envoie leurs enfants aux écoles francophones, maintenant: 12 000, je ne me souviens...

M. Ryan: ...7000.

M. Keaton: ...7000? En tout cas, c'est assez intéressant comme chiffre. Mais, certainement, je pense que le débat sur l'éducation, l'accès aux écoles, je pense qu'il faut continuer à discuter tout l'ensemble de cette question-là parce que c'est assez délicat. On reconnaît l'importance pour la communauté majoritaire, mais, en même temps, nous croyons que c'est possible de trouver une solution qui ne nuira pas à la communauté majoritaire, mais qui répondra aux problèmes des effectifs aux écoles anglophones. Donc, que ça reste au niveau... des discussions, au niveau honnête et pratique, au lieu de faire peur au monde.

M. Ryan: Vous reconnaissez la difficulté logique que poserait une solution comme celle-là?

Dernière question, si vous me permettez, M. le Président. Nous proposons des changements au régime de reconnaissance des institutions municipales, scolaires, hospitalières ou services sociaux comme partiellement bilingues, et la reconnaissance accordée en vertu de l'article 113f de la Charte. Nous proposons que soit modifié le régime concernant le retrait éventuel d'un statut une fois qu'il a été reconnu à un organisme.

Qu'est-ce que vous pensez de ces modifications que nous proposons?

M. Keaton: oui. nous croyons que la proposition est très raisonnable. c'est très raisonnable, sauf, quand même, ça ne résout pas un problème. ça reste quand même... le seuil de 50 % reste, ce qui est une anomalie. il me semble que ça doit être... pour qu'une institution de la langue minoritaire... doit être quelque chose de moins. mais quel chiffre? ça dépend. c'est à vous, le gouvernement, de décider ça.

Parce qu'il n'y a pas... Certainement, au niveau du Canada, les minorités linguistiques, en ce qui concerne les services fédéraux, ont droit, dès qu'elles représentent 5000 dans une communauté ou représentent... quel pourcentage? 5 %...

M. Ryan: ...500; 10 % ou 500.

M. Keaton: en ontario, pour les franco-ontariens, lorsqu'ils représentent 10 % de la population, ils ont droit à des services. même dans le bill 22, il y a longtemps, je pense que c'était le seuil aussi.

Encore une fois, je pense qu'il faut chercher une solution raisonnable; mais on appuie justement ce changement qui donnerait l'initiative au conseil d'administration ou au conseil municipal local et, finalement, au ministre.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Keaton. Merci, M. le ministre.

Oui, Mme la députée de Chicoutimi, j'indique tout de suite à cette commission que, tout à l'heure, à 22 heures, je requerrai un consentement pour permettre au député de D'Arcy-McGee de pouvoir disposer du temps qui lui est alloué, parce que nous dépasserons 22 heures. Alors, je vous l'indique et, si vous voulez bien y réfléchir ou me le donner dès maintenant.

Je vois qu'il n'y a pas d'objection? Donc, on aura consentement?

Mme Blackburn: Oui, consentement.

Le Président (M. Doyon): Très bien. Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Merci, M. le Président.

M. Keaton, mesdames, messieurs, bonsoir. À écouter, tout à l'heure, le ministre, il suggère que c'est responsable que de s'ajuster à la réalité. Et la réalité voulant que le peuple francophone en Amérique du Nord — 6 000 000 — comme, d'ailleurs, tout le Canada anglais glisse presque de façon irrémédiable vers l'américanisation, laissons aller le mouvement. Si on pousse sa logique jusqu'au bout, c'est ça: laisser s'ajuster à la réalité. Cette réalité, c'est celle-là; donc, on s'y ajuste, on laisse glisser.

Je voudrais relever... Probablement inconsciemment avez-vous, tout à l'heure, pu induire nos auditeurs dans l'erreur en disant que les juges avaient appuyé leur jugement sur la Charte des droits de l'homme. Ce n'est pas en vertu de la Charte des droits de l'homme que les

juges ont rendu jugement — l'avis qu'on a eu du comité des Nations unies — mais bien... ils se sont basés sur le protocole facultatif relatif aux droits civils et politiques.

M. Keaton: ...protocole, c'est ça.

Mme Blackburn: Ce qui est une différence majeure, vous le reconnaîtrez, puisque ce protocole, comme le dit son titre, est facultatif. La Grande-Bretagne, de tradition, évidemment, anglo-saxonne; les États-Unis — tradition anglo-saxonne, également — n'y ont pas adhéré; la France, que de façon partielle. Alors, c'est sur la base de ce pacte, de ce protocole que nous avons été jugés.

M. Keaton: C'est pourquoi nous avons toujours insisté sur la Charte québécoise et sur la Charte canadienne.

Mme Blackburn: Donc, si vous le permettez, je poursuis. Et les juges — faut-il le dire — se sont trompés de cible, parce qu'ils nous ont dit — ce qu'on ne demandait pas — que les anglophones, ce n'était pas une minorité. Alors, s'ils se sont trompés sur ça, ils se sont également trompés sur la lecture qu'ils font de la réalité québécoise.

Par ailleurs, j'ai bien de la sympathie pour le professeur de l'école de Baie-Comeau, mais il doit reconnaître avec moi que ce n'est pas parce qu'on admettrait demain matin les enfants d'immigrants d'origine anglaise — qui ont l'anglais comme langue maternelle — dans les écoles que ça mettrait un élève de plus dans votre école, à Baie-Comeau. Avec la situation économique actuelle, je ne vois pas beaucoup d'immigrants dans votre région, pas plus que dans la mienne — d'ailleurs, on le déplore, on le déplore. Mais prétendre que ça va corriger les problèmes de décroissance et de déclin des écoles en région, c'est leurrer la population et vous leurrer vous-mêmes, vous le savez. La conjoncture économique est telle que les régions se vident, en anglais comme en français.

M. Keaton: Oui.

Mme Blackburn: Et ce n'est pas en ajoutant les élèves qui ont l'anglais comme langue maternelle que ça va corriger la situation en région. Et rappelons, pour les fins d'information des personnes qui nous écoutent, qu'il y a dans les écoles anglaises, juste sur l'île de Montréal, plus d'enfants dans les écoles anglaises — tout près de 90 000 — qu'il y en a dans tout le Nouveau-Brunswick, en anglais. Et on ne dit pas que les écoles du Nouveau-Brunswick sont en perdition.

M. Keaton: Oui, mais c'est faux comme comparaison, madame.

Mme Blackburn: Alors, si vous permettez, j'ai quelques questions.

M. Keaton: Oui.

(21 h 50)

Mme Blackburn: Et, dans le fond, ce que le ministre fait, c'est qu'il ouvre les classes d'immersion. C'est une façon de remplir vos écoles, vous ne croyez pas?

M. Keaton: II faut étudier cela d'un peu plus près. C'est une proposition très intéressante, dans un sens, pour avoir des échanges entre les francophones et les anglophones. Mais, pour vraiment créer un bassin plus large pour assurer la continuité des écoles anglophones, je ne sais pas si ça va répondre au problème. Mais, quand même, c'est une suggestion assez intéressante, Madame.

Mais j'aimerais ajouter une chose. Tout à l'heure, justement, quand on parlait des Nations unies, le protocole, et tout cela, j'ai toujours insisté que, ici, déjà, au Canada, ici au Québec, par la Charte québécoise et la Charte canadienne, il existe déjà les garanties des droits fondamentaux. Mais si seulement vous respectiez ces droits, madame.

Mme Blackburn: Vous avez parlé, tout à l'heure, de l'exode des jeunes. Est-ce que vous ne reconnaissez pas que vous avez, comme leader de la communauté anglophone, une certaine responsabilité à cet égard, lorsque vous entretenez un discours tout à fait démobilisant à l'endroit de vos jeunes?

La seconde remarque à ce sujet. J'ai entendu de vos leaders dire aux jeunes: Vous n'avez pas d'avenir au Québec. Faut-il se surprendre qu'ils quittent? L'autre raison qu'on nous a donnée, lorsque j'ai mené la consultation, pour expliquer l'exode des jeunes anglophones, c'est de nous dire: Ils maîtrisent mal le français. Ils se sentent un peu, pour ces raisons, mal préparés pour occuper des postes de commande au Québec, où ça se passe en français; et, évidemment, des promotions dans la fonction publique leur apparaissent tout à fait inaccessibles parce que, nous a-t-on dit, ils maîtrisent mal le français. Et la réponse à cette requête, c'est de dire: Faites des bains d'immersion pour les jeunes francophones.

Vous ne trouvez pas qu'il y a là quelque chose d'un peu bizarre dans la lecture de votre réalité?

M. Keaton: Peut-être qu'on a trop écouté les discours pessimistes de certains nationalistes. C'est le pessimisme nationaliste qui nous a affecté. Mais je suis d'accord, il faut avoir un portrait plus optimiste du Québec, et nous essayons de faire un portrait plus optimiste.

Mais, madame, j'insiste aussi que le problème existe; ce n'est pas la faute des leaders anglophones. Il y a certains leaders anglophones, comme certains leaders francophones, qui créent aussi des crises au sein de la société québécoise. Mais la plupart des leaders anglophones essaient de garder leurs enfants et les jeunes au Québec. Nous avons pris des mesures pour promouvoir

le Québec, promouvoir l'avenir des jeunes anglophones, ici au Québec. Nous avons toujours insisté pour améliorer l'apprentissage, la maîtrise de la langue française pour nos jeunes. Et, justement, le taux de bilinguisme augmente. Ils sont plus capables de travailler en français.

Mais c'est le même problème pour les francophones aussi, plusieurs francophones; c'est l'apprentissage d'une deuxième langue. Mais c'est beaucoup plus facile lorsque les leaders politiques établissent l'atmosphère d'«accueillance» à ces jeunes-là, madame.

Mme Blackburn: Vous avez... Tout à l'heure, en réponse à une question du ministre, vous vous êtes dit assez heureux, finalement, du projet de loi 86, bien que plus insatisfait par rapport à l'affichage sur les grands panneaux, que ça ne rejoignait pas votre objectif, qui était d'ouvrir les écoles aux enfants d'immigrants qui avaient l'anglais comme langue maternelle. Et vous nous avez déjà annoncé — dans ce qu'on a lu dans les journaux — que vous ne lâcherez jamais ce morceau. Et, comme la porte est ouverte, à savoir l'accès des enfants qui ont l'anglais comme langue maternelle dans les écoles anglaises — les enfants d'immigrants, s'entend...

M. Keaton: Est-ce que vous pouvez citer l'article?

Mme Blackburn: Vous vous êtes déjà engagé à continuer la lutte dans ce sens-là. Est-ce qu'on a bien compris?

M. Keaton: Est-ce que vous pouvez citer l'article, lorsque j'ai été cité, moi, en disant que je...

Mme Blackburn: En réaction au projet de loi 86.

M. Keaton: Mais, madame, je n'ai jamais dit qu'on ne lâcherait pas un morceau des immigrants. Je n'ai jamais dit ça.

Mme Blackburn: Des immigrants qui ont l'anglais comme langue maternelle.

M. Keaton: Je n'ai jamais dit que je ne lâcherais jamais ce morceau.

Mme Blackburn: Est-ce que je dois donc conclure que vous n'aurez plus de revendications qui iraient dans ce sens-là?

M. Keaton: Madame, si vous pouvez travailler avec le gouvernement pour trouver une solution aux effectifs des écoles anglophones, on va se contenter de cette solution-là, qu'elle soit fondée sur les immigrants, sur la citoyenneté, sur n'importe quel autre... Tout ce qu'on veut, c'est trouver une solution pour les effectifs, pour garder nos écoles.

Mme Blackburn: Mais, sérieusement, reconnaissez-vous que vos écoles ne sont pas dans la difficulté que vous prétendez, particulièrement dans la grande région métropolitaine, où vous avez plus d'enfants dans vos écoles anglaises qu'il y a d'enfants dans les écoles anglaises au Nouveau-Brunswick? Évidemment qu'on ne parle pas de PÎle-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve, Manitoba. Est-ce que vous pensez que cette situation vous fragilise à ce point qu'il faille prendre de telles mesures?

M. Keaton: Madame, en Ontario, maintenant... Il y a plus d'écoles francophones en Ontario que d'écoles anglophones au Québec, avec la moitié de la population. Donc, il faut faire attention aux comparaisons.

Mais, d'après moi, ce qui envoie nos jeunes en dehors du Québec le plus, c'est justement la menace des leaders nationalistes au Québec... et par l'Opposition officielle, à l'effet que, s'ils gagnent les prochaines élections, ils vont effacer tous les gains... Ah! oui, oui, oui! M. Landry, il a dit ça, et quand nos jeunes voient ça, ils disent qu'ils n'ont pas un avenir, au Québec, parce que le Parti québécois va toujours essayer de limiter les libertés de ces jeunes-là.

Il y a 50 000 élèves anglophones dans les écoles à Montréal, madame; 50 000, pas 80 000.

Le Président (M. Doyon): Est-ce qu'il y a consentement pour que le député de Pointe-aux-Trembles intervienne? Je constate qu'il y a consentement.

Oui, M. le député.

M. Bourdon: M. le Président, je voudrais d'abord adresser à mon ami, Robert Keaton, un reproche amical, comme Montréalais.

Lorsqu'il est venu au conseil national du Parti québécois, à Sainte-Anne-de-Bellevue, il avait demandé, pour qu'on puisse avancer dans la voie d'un rapprochement entre francophones et anglophones, qu'on fasse attention à la rhétorique verbale. Et il me permettra de souligner que, quand il utilise couramment, pour parler de positions différentes de la sienne, d'éléments extrémistes ou irresponsables, je trouve qu'il cède à une tentation d'inflation verbale que, moi, j'ai connue à la CSN, dans les années soixante-dix, dans la même décennie où mon ami Keaton en était, d'ailleurs, membre.

Un exemple: moi, je suis en total désaccord avec l'idée de créer deux catégories d'immigrants et de permettre à certains d'aller à l'école anglaise. Je sais qu'Alliance Québec le préconise; je ne pense pas que ce soit un point de vue extrême ou irresponsable. Dans une démocratie, on essaie de s'entendre.

Mais je me permets de faire observer aussi que, sur l'île de Montréal, les deux partis politiques qui se sont succédé au gouvernement, au Québec, ont tenté, depuis 20 ans, d'avoir des commissions scolaires qui ne soient pas confessionnelles. Donc, je pense que c'est un point de vue qui n'est ni extrême ni irresponsable. Le ministre a adopté lui-même une loi qui est rendue à la

Cour suprême depuis un bon moment. Et ce qu'on a sur l'île de Montréal, c'est que, si on parle de barrières, on n'admet pas dans ce système scolaire que des anglophones protestants aillent à la même école que des anglophones catholiques; et le rapport Chambers disait avec raison qu'il faut, au moins, «déconfessionnaliser» les structures scolaires. Et, dans le fond, est-ce que vous ne trouvez pas, M. Keaton, qu'il y a comme un comble de dire que, parmi les barrières dans une ville où vivent deux solitudes, on ne permet même pas que des gens qui sont catholiques ou non catholiques, mais de langue anglaise...

Et, dans ce sens-là, je me permets d'adresser au ministre une chose, c'est: Quel merveilleux système politique, qui n'a pas permis, en 20 ans, d'amener, mettons, Brian Mulroney, Clyde Wells et Robert Bou-rassa de convenir que, dans la Constitution de 1867, quand on employait «catholique» et «protestant», ce qu'on entend en termes modernes aujourd'hui, c'est «francophone» et «anglophone»!

Quand on va dans un café à Montréal, il est assez rare qu'on entende les gens se définir sur la base de leur religion, mais plutôt sur la base de leur appartenance à un groupe linguistique.

Et, à cet égard-là, je me permets d'adresser...

Le Président (M. Doyon): Une dernière, dernière remarque, M. le député, puisque le temps est écoulé. (22 heures)

M. Bourdon: Oui. Juste dire que Robert Keaton a été, comme moi, membre du Rassemblement des citoyens de Montréal, et quand le maire de Montréal a parlé d'un assouplissement sur l'affichage réservé aux petits commerçants, est-ce que ça n'a pas été une solution trouvée dans un congrès entre francophones et anglophones? Puis, est-ce que M. Keaton ne trouve pas qu'il y aurait là une piste à regarder?

Le Président (M. Doyon): Oui, la question est posée, mais vous n'aurez pas la réponse ce soir...

M. Bourdon: O.K. On va se revoir de toute façon.

M. Keaton: Reste à...

Le Président (M. Doyon): ...puisque vous avez préféré élaborer sur la question, ne laissant pas de temps pour la réponse. Alors, c'est un choix avec lequel vous devez vivre.

M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Libman: Merci, M. le Président.

I would like to welcome Alliance Québec also. I am not as optimistic as the Minister at some of these blips in his demographic portraits that he is speaking of. I think what really tells the story is the type of story we heard from Mr. Rock, a personal testimony which is the reality that really does hit home. And despite what the

Member from Chicoutimi spoke about in Baie-Comeau, we need only look as far as St. Kevin's School, which recently closed. It is the last English catholic school right in the heart of Montréal, and that is the reality, hopefully; the reality that will start to sink in and seep in, and something that, hopefully, the Minister will really, really be sensitive to and feel that he must attack directly as a very serious problem.

Now, that being said, we are talking about possible solutions. The anglophone community leaders are being reproched by certain commentators for, after gaining this great victory on signs, having the nerve to want to go after greater access in our schools. We will never be satisfied until we have everything, according to Lucien Bouchard. But what the anglophone community spokespersons have been asking for is something that is very minimal, that will barely even scratch the francophone majority school system in any way, shape or form. You even mention it will affect... perhaps, a change, says the Chambers report, that would not even affect 1 % of the enrollment in French schools.

But there is a problem that is constantly brought up here in the National Assembly: the Official Opposition, from their noble perch, talks about the dangers of creating two classes of immigrants; the question of 23.(l)a), which is invoking an aspect that is dealt with in our Canadian Charter; the Minister, a few weeks ago, mentionned that there are certain problems in really defining what is a mother tongue; there were problems in the early seventies with language tests.

So we are looking, perhaps, at a way of really incorporating this type of change to the language law, allowing access to English schools for English-speaking children, but finding a modality that this can be done, without opening up the possibility of this rhetoric.

Now, Bill 101 speaks already in article 73. It talks about a child whose father and mother are, on August 26, 1977, domiciled in Québec and have received elementary instruction in English outside Québec. Is that a criteria that Alliance Québec has looked at to, perhaps, offer greater access to English schools? It does not create the problems of two classes of immigrants. It does not create the problems of language testing or defining what is a mother tongue, but it specifically speaks of anyone whose parents were educated in English anywhere in the world outside of Québec as being eligible for English schooling in Québec. Is that a concept that Alliance Québec has looked at? And have you any idea of what some of the statistics would be if access...

Le Président (M. Doyon): Peut-être, M. Keaton, une réponse d'environ deux minutes, s'il vous plaît. M. Keaton, vous avez la parole.

M. Keaton: It is close to the Chambers recommandation, that is very true. And to give you a very frank answer, we have obviously not studied it that closely, but it is a possibility we will look at.

I think what is important, Mr. Deputy, is to take into account that the school system would need an influx, annually, of somewhere in the order of 2000 to 3000 students on a student population of over 1 000 000. So, it is not trying to create a flood into English schools, but trying to stabilize it.

And I think that what we have to hold accountable is the government to make sure that the figures that they have come up with are figures that are realistic, and if that can solve the problem in combination... in what seems that is going to be a combination of different mesures to bring about that sufficient influx.

M. Libman: Juste une toute petite...

If, you know, for political reasons, the time is not opportune for the government to introduce in this specific piece of legislation that much needed breath of fresh air or enlarged access to English education, the Minister has said: One step at a time, we are dealing with the signs issue this time. Maybe later we can address...

What do you think... How do you think the Minister — or at least the community — should proceed in at least attacking this problem if, in fact, Bill 86 is adopted without addressing the problem?

M. Keaton: I think one thing, I think the government should be... For Francophones and Anglophones in the rural areas is that every community has a right to a school and that the school stays opened, that he will not close a final school in a community. And that would be, whether it be an English school or a French school, that every community has a right to a basic school, no matter... you know, unless there is some extraordinary, extraordinary situation. But I think that would go a long way for the rural areas: Saguenay, Gaspé, Baie-Comeau, places like that. In the areas in Montréal, I think that the government should basically have a close look at the decisions by school boards for closures, to see, in fact, the impact they would have on the community, because most of these schools are being closed for financial reasons which are pretty valid, but they do not take into account the impact it would have on the community. I think the governments should take a closer look at that.

But I think that we should all approach this... If the things do not happen now, we have got to keep the issue alive because I think there are a lot of problems in our school systems.

Même en français, il y a toutes sortes de problèmes dans les écoles aussi, pour la communauté francophone: le décrochage, toutes sortes de problèmes. Je pense que c'est au gouvernement à vraiment tenir compte de ces problèmes-là et à trouver les solutions. C'est justement, je dis que nous avons suggéré les différentes solutions, qui sont rejetées, soit par ce côté-là, ce côté-là. C'est à vous, maintenant, de trouver les solutions. Nous, nous définissons le problème. Mais trouvons ensemble... On est là pour collaborer avec le gouvernement pour trouver une solution.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Keaton. M. Libman: Et, dernièrement...

Le Président (M. Doyon): Je regrette, M. le député.

Alors, nous avons terminé l'heure qui était prévue pour écouter les représentations et discuter avec les représentants d'Alliance Québec. Il me reste à remercier M. Keaton, M. Rock et Mme Percival-Hilton d'avoir bien voulu venir nous rencontrer.

Merci beaucoup.

M. Keaton: Je vous remercie infiniment, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Merci.

Alors, j'indique que nous allons nous retrouver demain matin, à 10 heures, conformément à l'ordre de l'Assemblée nationale. Alors, à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 7)

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